Le 28 mars 2023, le groupe d’études Pastoralisme a auditionné M. Bruno Caraguel, président de l'Association française de pastoralisme (AFP) et directeur de la Fédération des alpages de l'Isère et Mme Corinne Eychenne, membre du conseil d’administration de l’AFP, géographe et professeure à l’université de Toulouse-Jean Jaurès.
Présentation de l’Association Française de Pastoralisme (AFP) et de ses activités
L’AFP existe depuis 1984 et a été créée à l’occasion d’un congrès à Montpellier. Le but de l’association est de promouvoir la modernité du pastoralisme dans ses différentes dimensions scientifique, technique et culturelle, et d’apporter une expertise auprès des décideurs publics.
L’AFP organise des rencontres annuelles, qui se tiennent généralement en septembre et sont l’occasion de mettre à l’honneur un territoire différent chaque année avec l’organisation de visites de terrain. L’association publie de façon régulière une revue d’information. Elle est composée essentiellement de bénévoles. Ses membres sont des enseignants-chercheurs, des techniciens pastoraux et agents de développement local travaillant dans les administrations, chambres d’agriculture ou associations pastorales, des éleveurs et bergers, etc.
Définitions et spécificités du pastoralisme
Le pastoralisme regroupe, d’après la définition qu’en propose l’AFP, « l’ensemble des activités d’élevage valorisant, par un pâturage extensif, les ressources fourragères spontanées des espaces naturels, pour assurer tout ou partie de l’alimentation des animaux ». Le pastoralisme peut ainsi être caractérisé par la nature « semi-naturelle » de la ressource utilisée qui ne fait pas l’objet de pratiques culturales. Les éleveurs et bergers suivent la ressource plutôt qu’ils ne la produisent, ce qui exige de la mobilité (dont la transhumance est la forme la plus connue) et de l’adaptabilité.
Il existe une grande diversité d’espaces pastoraux qui ne sauraient être réduits aux alpages en montagne : le pourtour méditerranéen, les marais, les prés salés (comme la Baie du Mont Saint-Michel, la Baie de Somme), etc.
Le pastoralisme tend de plus en plus à se re-déployer dans des territoires où il avait disparu. Il apparaît aujourd’hui comme la meilleure alternative possible pour répondre aux enjeux de préservation de la biodiversité et de lutte contre les risques naturels.
L’une des spécificités du pastoralisme est de se déployer sur des espaces qui restent largement ouverts à d’autres usages ; ce qui pose la question de la cohabitation et du partage de l’espace entre des usages multiples.
Le pastoralisme se caractérise également par des modes de gestion collectifs.
Enfin, le pastoralisme implique des conditions de travail particulières, ainsi que la mobilisation de compétences spécifiques de la part des éleveurs et bergers, comme l’observation et l’adaptabilité aux milieux naturels et à ses aléas.
Mme Corinne Eychenne souligne qu’il y a aujourd’hui un enjeu de reconnaissance du pastoralisme comme relevant d'activités de nature agricole. Historiquement, les espaces pastoraux comme les alpages n’ont pas été regardés comme des exploitations agricoles même si aujourd’hui, de plus de plus de chambres d’agriculture font de l’ingénierie pastorale, et l’AFP elle-même réunit des chambres d’agriculture et des agents de l’État.
Mme Corinne Eychenne invite également les décideurs publics à soutenir davantage les modes de gestion collectifs et à mieux accompagner les bergers et éleveurs face à la problématique du multi-usages des espaces pastoraux. Le pastoralisme pourrait également gagner à obtenir un droit à l’expérimentation compte tenu de ses spécificités.
M. Benoit Caraguel appelle à davantage reconnaître, par exemple par la labellisation, la qualité des produits issus du pastoralisme, qui sont des produits locaux, issus de productions spécifiques, et accessibles financièrement, au moins au niveau local.
Le député M. Antoine Armand, revient sur les relations qu’entretient l’AFP avec les décideurs publics au niveau national, et souligne le rôle du groupe d’études pour contribuer à structurer ce dialogue nécessaire.
Le député M. Inaki Echaniz revient sur les enjeux relatifs à l’inscription de la transhumance en 2020 au patrimoine culturel immatériel (PCI) en France. Cette reconnaissance a constitué une première étape pour le projet d’inscription de la transhumance au patrimoine mondial de l’UNESCO. L’AFP a été partenaire de cette démarche aux côtés du Collectif des Races locales de Massif (CORAM).
Les effets du réchauffement climatique sur les ressources écosystémiques et la ressource en eau
Le président de l’AFP, M. Benoit Caraguel, alerte sur les effets des modifications et des aléas météorologiques sur les ressources pastorales, avec de façon schématique, des hivers plus doux et courts, des périodes de froid en mars-avril, des périodes de sécheresse intenses sur les mois d’été. Les effets sont notables sur les ressources en eau (sécheresse estivale) et les végétations (moins couvertes avec plus d’érosions et de sols nus, voire des pertes de sols).
Les pénuries d’eau impactent à la fois les conditions de vie des bergers (avec certains logements qui n’ont plus d’approvisionnement en eau sur place) mais aussi les conditions d’abreuvement des troupeaux.
Dans une autre perspective, les systèmes pastoraux peuvent constituer, dans ce contexte, des ressources alternatives salutaires pour les exploitations agricoles classiques.
La question de la prédation
La question de l’ours dans les Pyrénées est ancienne, tandis que celle du loup dans les Alpes est plus récente. Les premières arrivées ont pu être datées en 1992 dans le Mercantour.
La prédation modifie la nature du travail des éleveurs et des bergers, et peut remettre radicalement en cause leur présence ainsi que celle de leurs familles dans les territoires. Des recherches récentes conduites par des chercheurs de l’INRAE (Institut national de recherche pour l'agriculture, l’alimentation et l’environnement) ont mis en évidence les difficultés au travail et les effets néfastes sur la santé des bergers et des éleveurs confrontés au problème de la prédation du loup sur leurs troupeaux.
Les solutions mises en place (parcs de nuit, chiens de protection, aides-bergers) ont entraîné d’autres problématiques. En particulier, la présence des chiens de protection est devenue un véritable sujet de tensions avec les autres usagers. Outre les incidents qui peuvent arriver, leur présence tend à dégrader l’image social des éleveurs et bergers.
Les représentants de l’AFP soulignent l’importance du niveau local pour gérer l’ensemble des problèmes soulevés par la prédation et alertent sur l’insuffisance de l’implication des autorités locales.
L’évolution des représentations du monde pastoral et de ses acteurs
Alors qu’auparavant le pastoralisme constituait un monde relativement isolé, la question de la prédation aurait fortement contribué à le mettre en lumière et en faire un sujet dans le débat public.
Il y a des problèmes fréquents de cohabitation avec les randonneurs, touristes ou riverains qui n’ont pas toujours l’habitude du contact avec les animaux (altercations, dégradations des cabanes, accidents, etc.). La stratégie consistant à pâturer dans des endroits plus isolés, de façon « cachée », fonctionne par ailleurs de moins en moins du fait de la multiplication des usages de la montagne, notamment sportifs (ski, parapente, trail, etc.) et ce, à toutes les saisons. L’activité pastorale devient alors un élément perturbateur pour ces activités.
D’après Mme Corinne Eychenne, cette problématique tient notamment au fait que le pastoralisme a la particularité de se déployer sur des espaces non agricoles perçus comme des espaces naturels de liberté. Dans les espaces pastoraux de montage, il y a peu de marqueurs physiques de l’activité pastorale ; la légitimité des éleveurs et bergers à y être serait donc plus facilement contesté.
Problématiques relatives aux conditions de travail des salariés
M. Bruno Caraguel soulève la question des conditions de travail des salariés dont les contrats de travail excèdent largement 35 heures et sont rémunérés à des niveaux proches du SMIC avec des exigences atypiques (endroits isolés). Les relations de travail entre employeurs et salariés constituent également un sujet en l’absence de formation à l’encadrement des employeurs.
M. Bruno Caraguel soulève également la question des conditions de logements des salariés qui demeurent régis par un arrêté ministériel du 1er janvier 1996 relatif à l'hébergement des salariés agricoles que l’AFP considère comme relativement caduque (par exemple, sur les besoins en eau portable).
Trois grands types de logement peuvent être distingués sur les espaces pastoraux : les habitations dites principales ; les logements dits secondaires, construits dans un contexte de prédation, moins confortables, souvent dépourvus de toilettes et de douches, utilisés environ un mois dans l’année ; et enfin, des logements d’urgence, proposés par les services de l’État, précaires mais ayant le mérite d’offrir des points de couchage. Le président de l’AFP, M. Bruno Caraguel, alerte tout particulièrement sur la situation de ces logements d’urgence qui présentent des niveaux de confort très insuffisants pour répondre aux besoins essentiels.
Le Conseil National de la Montagne conduit des travaux sur ces questions : le logement des salariés d’une part, et les conventions collectives qui régissent le travail des bergers.
Les co-présidents du groupe d’études, Mme Sylvie Ferrer et M. Antoine Armand, saluent la richesse des échanges qui ont été tenus lors de cette audition et invitent à des collaborations futures entre l’AFP et les parlementaires.