Dufay et Danton (4 février 1794)

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Dufay et Danton : Abolition de l'esclavage (4 février 1794)

Le 4 février 1794, Louis Pierre Dufay fait le récit, à la Convention, du sort misérable des esclaves dans les colonies françaises et en particulier sur l’île de Saint-Domingue dont il est le député. Danton, député de la Seine, intervient aussi en faveur de « la liberté dans les colonies » et le même jour, la Convention proclame l’abolition de la traite des Noirs et de l’esclavage, près de quatre ans après l’adoption par l’Assemblée de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Huit ans plus tard, en mai 1802, Napoléon Bonaparte rétablit l’esclavage et la traite dans les colonies françaises. Il faut attendre le 27 avril 1848 pour que l’esclavage soit définitivement aboli par le Gouvernement provisoire de la République.

  

 

M. Dufay : Nous nous attendons bien que les ennemis des citoyens de couleur et des noirs vont les calomnier auprès du peuple français. Ils vont les peindre comme des hommes méchants et indisciplinables, enfin comme des êtres cruels et féroces. Citoyens français, ne les croyez pas ; ceux qui tiennent ce langage ne sont pas des colons fidèles, ce sont des colons contre-révolutionnaires qui font la guerre à la liberté et à vous-mêmes, d'accord avec des émigrés français ; ne les croyez pas, ils vous ont trompés tant de fois ! Ces noirs qu'on vous peindra si méchants, autrefois réunis dans des ate­liers de trois, quatre ou cinq cents, se laissaient conduire par un seul blanc sans rien dire, et étaient dociles à tous ses caprices. S'ils étaient si féroces, les aurait-on menés si facilement ?  Leur méchanceté n'est que dans le cœur de leurs oppresseurs ; c'est un prétexte que ceux-ci prennent pour justifier l'escla­vage ; et quand les noirs auraient été méchants, nous ne pourrions pas raison­nablement leur en faire un crime, car la servitude déprave l'homme ; mais la méchanceté heureusement n'est pas naturelle (Applaudissements) [...].

Dans tous les points de la clause que nous vous soumettons, ce sont les crimi­nels qui sont les accusateurs. Lorsque les détracteurs des noirs présenteront le tableau de quelques-unes de leurs erreurs ou même de leurs fautes, ils ne feront que l'énumération de leurs pro­pres forfaits. Ils les opprimaient quand ils étaient esclaves et qu'ils courbaient la tête ; aujourd'hui ils les calomnient, parce qu'ils l'osent relever un peu. Les fautes des malheureux noirs, je le répète, ne sont jamais, n'ont jamais été que les crimes de ceux qui les égarent après les avoir opprimés. Les noirs ne sont pas cruels, comme des colons blancs aiment à le dire, et l'existence de leurs ennemis prouve assez que les noirs sont patients, exorables et généreux. Les noirs ont même le germe des vertus : ces vertus leur appartiennent, leurs défauts viennent seuls de nous ; ils sont naturel­lement doux, charitables, hospitaliers, très sensibles à la piété filiale ; ils aiment la justice et ont le plus grand res­pect pour la vieillesse : ces vertus, peu­ple français, les rendent encore plus dignes de toi [...].

Quand j'ai vu que je pouvais comp­ter sur leur fidélité, ayant été choisi par l'assemblée des électeurs, légalement formée, aux termes du décret du 22 août 1792, d'après la tenue des assemblées primaires, j'ai accepté comme un devoir la mission qu'ils ont bien voulu me confier, et je n'ai point hésité à braver tous les dangers pour venir vous présenter avec mes collègues, au nom de tous les hommes qui habitent le département du Nord, l'hommage de leur attachement au peu­ple français et de leur dévouement à la République une et indivisible ; Euro­péens, Créoles, Africains, ne connais­sent plus aujourd'hui d'autres couleurs, d'autre nom que ceux de Français.

Citoyens représentants, daignez accueillir avec bonté leur serment de fidélité éternelle au peuple français. Je réponds d'eux sur ma tête, tant que vous voudrez bien être leurs guides et leurs protecteurs. Vous pouvez, citoyens législateurs, vous préparer des souvenirs consolateurs en honorant l'humanité et en faisant un grand acte de justice qu'elle attend de vous. [...] Créez une seconde fois un nouveau monde, ou au moins qu'il soit renouvelé par vous ; soyez-en les bienfaiteurs ; vos noms y seront bénis comme ceux des divinités tutélaires. Vous serez pour ce pays une autre Providence. M. Danton : Représentants du peuple français, jusqu'ici nous n'avons décrété la liberté qu'en égoïstes et pour nous seuls. Mais aujourd'hui nous proclamons à la face de l'univers, et les générations futures trouveront leur gloire dans ce décret, nous proclamons la liberté uni­verselle. Hier, lorsque le président donna le baiser fraternel aux députés de couleur, je vis le moment où la Conven­tion devait décréter la liberté de nos frè­res. La séance était trop peu nombreuse. La Convention vient de faire son devoir. Mais, après avoir accordé le bienfait de la liberté, il faut que nous en soyons pour ainsi dire les modérateurs. Renvoyons aux comités de Salut public et des colo­nies, pour combiner les moyens de ren­dre ce décret utile à l'humanité sans aucun danger pour elle.

Nous avions déshonoré notre gloire en tronquant nos travaux. Les grands principes développés par le vertueux Las Casas' avaient été méconnus. Nous travaillons pour les générations futures, lançons la liberté dans les colonies ; c'est aujourd'hui que l'Anglais est mort. (On applaudit.) En jetant la liberté dans le nouveau monde, elle y portera des fruits abondants, elle y poussera des racines profondes.