Robespierre (26 juillet 1794)

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Robespierre : Ultime discours (26 juillet 1794)

En juillet 1794, la Terreur est contestée et Maximilien de Robespierre est accusé de dictature par le Comité de Salut public et par la Convention, effrayés par son despotisme. Le 8 thermidor (26 juillet), il prononce un long discours durant lequel il accuse ses adversaires sans les nommer et profère de nombreuses menaces à leur encontre.
Le lendemain, Robespierre tente de revenir à l’Assemblée mais on l’empêche de parler et un décret d’arrestation est voté. Il est alors arrêté avec ses partisans, Saint-Just, Couthon, Lebas et Robespierre le jeune ; ils sont exécutés le 28 juillet 1794.

  

    

M. Robespierre : En voyant la multitude des vices que le torrent de la Révolution a roulés pêle-mêle avec les vertus civiques, j'ai tremblé quelquefois d'être souillé aux yeux de la postérité par le voisinage impur de ces hommes pervers qui se mêlaient dans les rangs des défenseurs sincères de l'humanité; mais la défaite des factions rivales a comme émancipé tous les vices; ils ont cru qu'il ne s'agissait plus pour eux que de partager la patrie comme un butin, au lieu de la rendre libre et prospère ; et je les remercie de ce que la fureur dont ils sont animés contre tout ce qui s'oppose à leurs projets a tracé la ligne de démarcation entre eux et tous les gens de bien. Mais si les Verres et les Catilina de la France se croient déjà assez avancés dans la carrière du crime pour exposer sur la tribune aux harangues la tête de leur accusateur, j'ai promis aussi naguère de laisser à mes concitoyens un testament redoutable aux oppresseurs du peuple, et je leur lègue dès ce moment l'opprobre et la mort ! Je conçois qu'il est facile à la ligue des tyrans du monde d'accabler un seul homme ; mais je sais aussi quels sont les devoirs d'un homme qui peut mourir en défendant la cause du genre humain. [...]

Peuple, souviens-toi que, si dans la République la justice ne règne pas avec un empire absolu, et si ce mot ne signifie pas l'amour de l'égalité et de la patrie, la liberté n'est qu'un vain nom !

Peuple, toi que l'on craint, que l'on flatte et que l'on méprise; toi, souverain reconnu, qu'on traite toujours en esclave, souviens-toi que partout où la justice ne règne pas, ce sont les passions des magistrats, et que le peuple a changé de chaînes, et non de destinées !

Souviens-toi qu'il existe dans ton sein une ligue de fripons qui lutte contre la vertu publique, et qui a plus d'influence que toi-même sur tes propres affaires, qui te redoute et te flatte en masse, mais te proscrit en détail dans la personne de tous les bons citoyens !

Rappelle-toi que, loin de sacrifier cette nuée de fripons à ton bonheur, tes ennemis veulent te sacrifier à cette poignée de fripons, auteurs de tous nos maux, et seuls obstacles à la prospérité publique !

Sache que tout homme qui s'élèvera pour défendre ta cause et la morale publique sera accablé d'avanies et proscrit par les fripons ; sache que tout ami de la liberté sera toujours placé entre un devoir et une calomnie ; que ceux qui ne pourront être accusés d'avoir trahi seront accusés d'ambition; que l'influence de la probité et des principes sera comparée à la force de la tyrannie et à la violence des factions ; que ta confiance et ton estime seront des titres de proscription pour tous tes amis ; que les cris du patriotisme opprimé seront appelés des cris de sédition, et que, n'osant t'attaquer toi-même en masse, on te proscrira en détail dans la personne de tous les bons citoyens, jusqu'à ce que les ambitieux aient organisé leur tyrannie. Tel est l'empire des tyrans armés contre nous, telle est l'influence de leur ligue avec tous les hommes corrompus, toujours portés à les servir. Ainsi donc, les scélérats nous imposent la loi de trahir le peuple, à peine d'être appelés dictateurs ! Souscrirons-nous à cette loi ? Non ! Défendons le peuple, au risque d'en être estimé; qu'ils courent à l'échafaud par la route du crime, et nous par celle de la vertu.

Ditons-nous que tout est bien ? Continuerons-nous de louer par habitude ou par pratique ce qui est mal ? Nous perdrions la patrie. Révélerons-nous les abus cachés ? Dénoncerons-nous les traîtres ? On nous dira que nous ébranlons les autorités constituées, que nous voulons acquérir à leurs dépens une influence personnelle. Que ferons-nous donc ? Notre devoir. Que peut-on objecter à celui qui veut dire la vérité et qui consent à mourir pour elle ? Disons donc qu'il existe une conspiration contre la liberté publique; qu'elle doit sa force à une coalition criminelle qui intrigue au sein même de la Convention ; que cette coali­tion a des complices dans le Comité de Sûreté générale et dans les bureaux de ce comité qu'ils dominent; que les ennemis de la République ont opposé ce comité au Comité de Salut public, et constitué ainsi deux gouver­nements ; que des membres du Comité de Salut public entrent dans ce complot ; que la coalition ainsi formée cherche à perdre les patriotes et la patrie. Quel est le remède à ce mal ? Punir les traîtres, renouveler les bureaux du Comité de Sûreté générale, épurer ce comité lui-même, et le subordonner au Comité de Salut public, épurer le Comité de Salut public lui-même, constituer l'unité du gouvernement sous l'autorité suprême de la Convention nationale, qui est le centre et le juge, et écraser ainsi toutes les factions du poids de l'autorité nationale, pour élever sur leurs ruines la puissance de la justice et de la liberté: tels sont les principes. S'il est impossible de les réclamer sans passer pour un ambitieux, j'en conclurai que les principes sont proscrits, et que la tyrannie règne parmi nous, mais non que je doive les taire; car, que peut-on objecter à un homme qui a raison et qui sait mourir pour son pays ?

Je suis fait pour combattre le crime, non pour le gouverner. Le temps n'est point arrivé où les hommes de biens peuvent servir impunément la patrie; les défenseurs de la liberté ne seront que des proscrits, tant que la horde des fripons dominera.