Bilan législatif

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Sous la Troisième République le domaine de la loi était sans borne. Expression de la volonté générale, elle ne faisait pas l'objet d'un contrôle de constitutionnalité. Une loi pouvait s'appliquer à n'importe quelle matière et n'importe quel objet et même à un cas particulier. La portée de l'action législative de la Troisième République est cependant considérable. En effet, certaines lois de la Troisième République, inspirées par l'idéal républicain, restent actuelles, tenant lieu de références politiques ou même constitutionnelles auxquelles la loi d'aujourd'hui est tenue de se conformer.

Dans le domaine des libertés publiques, la loi du 30 juin 1881 relative à la liberté de réunion dispose que « les réunions publiques sont libres ». Elle supprime l'autorisation préalable et lui substitue la déclaration préalable. Les organisateurs doivent seulement informer l'administration de la tenue de la réunion. L'obligation de déclaration préalable est supprimée en 1907.
La loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse supprime le régime de l'autorisation, le droit de timbre et le cautionnement. Ce régime exclut la censure. Il exclut aussi tout délit d'opinion. Les délits de presse sont précisés ; ils sont limités aux offenses au chef de l'État, aux chefs d'État étrangers et aux ambassadeurs, à la diffamation, à la provocation au meurtre et à la désertion. Un droit de réponse est institué. Les incitations à la désobéissance des militaires, la provocation au crime et les chants séditieux sont réprimés. Les formalités préalables à la création d'un journal sont réduites.

La loi du 21 mars 1884 relative à la liberté d'association professionnelle reconnaît l'activité syndicale. Et la loi du 1er juillet 1901 reconnaît la liberté d'association :« les associations de personnes pourront se former librement sans autorisation ni déclaration préalable. » Elle rend effectif le principe qui avait été proclamé à l'article 8 de la Constitution du 4 novembre 1848 : « Les citoyens ont le droit de s'associer... » Elle abroge l'article 291 du code pénal (« Nulle association de plus de vingt personnes dont le but sera de réunir tous les jours ou à certains jours marqués, pour s'occuper d'objets religieux, littéraires, politiques ou autres, ne pourra se former qu'avec l'agrément du Gouvernement et sous les conditions qu'il plaira à l'autorité publique d'imposer à la société. »). La loi du 10 janvier 1936 prévoira la dissolution administrative des ligues ayant pour but de provoquer à des manifestations armées dans la rue, de présenter, par leur forme ou leur organisation, le caractère de milices privées ou de groupes de combat, de porter atteinte à l'intégrité du territoire national ou attenter par la force à la forme républicaine du gouvernement.

La politique scolaire et religieuse a fait l'objet des premières lois de la République. Jules Ferry, ministre de l'Instruction publique en 1879 crée l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses afin d'assurer la formation des cadres des écoles normales d'institutrices de chaque département. L'École normale de Saint-Cloud quant à elle était destinée aux cadres des écoles normales d'instituteurs déjà créées. La formation du citoyen, nécessaire à la démocratie puisque la souveraineté appartient à l'ensemble des citoyens, est assurée par les maîtres d'école « hussards noirs de la République » (Charles Péguy).

La loi du 16 juin 1881 introduit la gratuité de l'enseignement primaire public. La loi du 28 mars 1882 rend obligatoire l'école pour les enfants âgés de 6 à 13 ans et crée le certificat d'études. Les programmes d'enseignement sont laïcisés et une instruction civique et morale se substitue au catéchisme religieux. La loi du 30 octobre 1886 laïcise le personnel enseignant. Sous le ministère Combes la loi du 5 juillet 1904 accorde un délai de dix années aux congrégations autorisées pour fermer leurs écoles et interdit d'enseignement tous les religieux. La loi du 9 décembre 1905 institue la séparation des Églises et de l'État et dispose que la République ne reconnaît et ne salarie aucun culte ; elle prévoit l'établissement d'un inventaire des bâtiments dévolus aux cultes afin de les transférer à des associations cultuelles. Briand, rapporteur du projet fait introduire la liberté de conscience et le libre exercice des cultes et la loi du 28 mars 1907 supprime la déclaration préalable des cérémonies du culte. La loi a supprimé le service public du culte et remplacé les établissements qui en étaient chargés par des associations cultuelles régies par la loi de 1901. La loi de 1905 a prévu que les édifices affectés à l'usage du culte continueraient, à défaut d'associations cultuelles, à être laissés à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion. Les associations diocésaines subviennent aux frais du culte. Une loi du 29 avril 1926 a transféré à celles-ci la partie du patrimoine des anciens établissements cultuels non liquidés à la suite de la loi du 2 janvier 1907. Dans le domaine des moeurs, la loi dite Naquet du 27 juillet 1884 rétablit le divorce qui avait été supprimé à la Restauration par la loi du 8 mai 18l6.

La défense nationale est fondée sur la conscription, instituée par la loi Jourdan de 1798 et supprimée par la loi Gouvion Saint-Cyr en 1818, considérée comme un symbole de la démocratie et de la République. Le service militaire, sous l'impulsion de Freycinet, est rendu obligatoire pour tous par la loi du 15 juillet 1889 soumettant tout Français à vingt cinq ans d'obligations militaires (trois dans l'armée active, sept dans la réserve de l'armée active, six dans la territoriale, neuf dans la réserve de la territoriale) . Mais les exemptions sont nombreuses. La loi du 21 mars 1905 a vraiment institué la conscription, c'est à dire l'inscription individuelle sur les rôles de l'armée sans distinction de classes sociales de tous les jeunes gens ayant atteint l'âge fixé par la loi. La loi rappelle le caractère national, personnel et obligatoire du service en réduit la durée à deux ans (service actif). Depuis cette loi, la durée du service est fluctuante mais trois catégories demeurent : le service actif, la disponibilité et la réserve. La loi du 7 août 1913 rétablit la durée du service à trois ans.

Des réformes décentralisatrices ont été engagées dès 1871. La loi départementale du 10 août 1871 élargit les attributions des conseils généraux, tandis que la loi du 4 mars 1882 supprime la nomination des maires et celle du 5 avril 1884 supprime la nomination des adjoints aux maires. Les lois de 1871 et 1884 créent certaines institutions nouvelles (la commission départementale) et accroissent les pouvoirs des assemblées locales. L'article 61 de la loi du 5 avril 1884 dispose que : « Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune. » Le département et la commune acquièrent ainsi le statut de collectivité territoriale. La loi rend publiques les séances de conseils municipaux. Elle oblige chaque commune à installer la mairie dans un local spécifique. Paris conserve un statut spécial.

Dans le domaine social, la loi du 2 novembre 1892 limite le temps de travail des femmes à 11 heures par jour et interdit le travail des enfants avant treize ans. La loi du 9 avril 1898 sur la réparation des accidents du travail rend les employeurs responsables des accidents du travail et la loi du 31 mars 1905 substitue l'assureur à l'employeur légalement responsable en cas d'action de la victime. La loi du 14 juillet 1913 institue l'assistance aux familles nombreuses. La loi du 29 avril 1919 institue pour tous les salariés la journée de 8 heures. La loi du 5 avril 1928 institue les assurances sociales et celle du 11 mars 1932 rend obligatoire l'affiliation des employeurs de l'industrie et du commerce à des caisses de compensation agréées. La loi du 13 juillet 1928 établissant un programme de construction d'habitations à bon marché et de logements, en vue de remédier à la crise de l'habitation, dite loi Loucheur, vise à favoriser le logement populaire individuel et l'accession à la propriété. La loi du 20 juin 1936 généralise l'institution des congés payés. La loi du 21 juin 1936 limite à 40 heures la durée légale hebdomadaire du travail (la semaine de 40 heures).

Dans le domaine de l'économie, on retient le rôle joué à la commission des douanes de la Chambre par Jules Méline, dont le nom est associé à une politique douanière protectionniste. En 1884, le tarif Méline crée un droit de 3 francs par quintal de froment importé, élevé à 5 francs en 1887 et 7 francs en 1894. La « loi du cadenas » permet au gouvernement de modifier, s'il le juge utile, les droits sur les céréales, sur les vins et la viande. Le système du double tarif douanier permet de moduler les droits de douane selon les secteurs d'activité économique et selon les pays. La politique de Poincaré de 1926 à 1928 est associée au redressement financier. La loi constitutionnelle du 25 février 1875 est partiellement révisée pour créer la Caisse autonome d'amortissement, chargée du service de la dette. La loi monétaire du 25 juin 1928, assure la stabilisation du franc, vise à assurer sa stabilisation. La première guerre et la crise de 1929 ont eu pour conséquence de rendre fréquentes les interventions de l'État en matière économique et le contrôle des importations. A partir de 1930, avec la loi du 4 juillet 1931 permettant à l'État d'intervenir en cas de mévente dans la viticulture, on parle d'économie dirigée. La loi du 21 mars 1936 interdit l'extension de fabriques étrangères de chaussures installées en France. Sous le gouvernement de Front populaire les transports ferroviaires sont nationalisés (création de la SNCF), ainsi que les fabrications d'armement et de matériel aéronautique. L'Office national interprofessionnel du Blé est institué.

La Troisième République a mis en oeuvre d'importantes réformes fiscales. L'impôt sur le revenu a été proposé par Joseph Caillaux en 1900, puis en 1907. Il a pour caractéristique d'être général, progressif, personnalisé et d'atteindre l'ensemble des revenus du contribuable. Deux lois du 15 juillet 1914 et du 31 juillet 1917 introduisent deux catégories d'impôts superposées : les impôts cédulaires et l'impôt général sur le revenu. Le système a subsisté jusqu'en 1948. Après la première guerre mondiale, les impôts sur la consommation ont été remplacés par un impôt général à caractère synthétique et en 1936 a été institué une taxe à la production.