Histoire du Palais Bourbon et de l'Hôtel de Lassay

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Si l'on retrouve aisément dans l'aspect actuel de l'Hôtel de Lassay, résidence du Président de l'Assemblée nationale, l'inspiration qui fut à l'origine de sa construction, plus rien, sinon son appellation, n'évoque l'aimable demeure de la duchesse de Bourbon dans le palais où siège, depuis deux cents ans, la représentation nationale.

La demeure princière (1722-1788)

Le Palais Bourbon en 1722

Palais Bourbon peu après sa construction en 1722. A l'époque, le Pré-aux-Clercs, qui allait devenir le Faubourg Saint-Germain, est encore très peu urbanisé.D'après reconstitution.© Assemblée nationale

Le Palais Bourbon et l'Hôtel de Lassay furent édifiés simultanément, de 1722 à 1728, sur des terrains acquis par la duchesse de Bourbon en 1720 et dont elle céda une partie à son amant, le marquis de Lassay. Quatre architectes (Giardini, Lassurance, Jacques Gabriel et Aubert) se succédèrent dans la direction des travaux. Le même parti architectural, dit « à l'italienne » caractérisait les deux bâtiments : construction de plain-pied entre cour et jardin. Le Palais achevé en 1728, qui rappelait par son style le Grand Trianon, fut considéré au XVIIIe siècle comme « le plus grand ornement de la ville après les maisons royales ».

Après la mort de la duchesse, le Palais fut acquis par Louis XV qui le céda en 1764 au prince de Condé. Celui-ci confia à Le Carpentier puis à Bellisard de vastes travaux d'agrandissement : la cour d'honneur fut entourée de bâtiments prolongés à l'ouest jusqu'à l'Hôtel de Lassay qui avait été racheté en 1768 aux héritiers du marquis.

Palais Bourbon et Lassay vers 1780

Palais Bourbon et Lassay vers 1780

La vue par Compigné du Palais Bourbon et de l'Hôtel de Lassay côté Seine permet de mesurer le développement de la construction à l'ouest : plusieurs cours ont été créées ainsi que des remises et des écuries. L'intérieur de l'Hôtel de Lassay a été réaménagé. Les Petits Appartements adossés aux remises et écuries ont été construits en 1771 et 1772 pour Louise-Adélaïde, l'une des filles du prince de Condé. De ceux-ci, Mme d'Oberkirch, après la visite qu'elle fit en 1784, a écrit : « C'est un bijou, M. le Prince de Condé en a fait le plus joli colifichet du monde. »

Les aménagements longs et coûteux commencés dès 1765, ne furent achevés qu'en 1788 ; un an plus tard, le prince de Condé, fuyant la Révolution,quittait la France pour vingt-cinq ans.

Le premier palais républicain (1791-1798)

Confisqué en 1791, le palais « ci-devant Bourbon » fut déclaré « bien de la Nation ». Il abrita en 1794 la future école polytechnique avant d'être affecté en 1795 au Conseil des Cinq-Cents. Sans toucher aux façades, les architectes Gisors et Lecomte relièrent Hôtel de Lassay et Palais Bourbon par une galerie vitrée ; auparavant, ils construisirent également une salle des séances, hémicycle inscrit dans un rectangle, sur l'emplacement des « grands appartements ». Cette salle de cinq cents places fut inaugurée le 21 janvier 1798 et utilisée, sans modifications, jusqu'en 1829. De cette salle originale, seuls subsistent le bureau du Président et la tribune de l'orateur.

Hémicycle vide - Le perchoir

Les travaux réalisés sous le Premier Empire

Projet colonnade de l'architecte Bernard Poyet

Bâtie en 1722 dans le goût du Grand Trianon, la façade originelle avait été mutilée par les travaux conduits en 1795, notamment par l'adjonction d'un toit en forme de « pain de sucre » permettant d'assurer l'éclairage de l'hémicycle installé dans le grand appartement de la duchesse de Bourbon. L'architecte Bernard Poyet (1742-1824) propose alors la construction d'un péristyle de douze colonnes élevé sur un gradin de trente marches. L'objectif de l'entreprise était double : « donner à la façade un style noble et religieux », et compenser le bombement du pont de la Concorde qui aurait en partie masqué la colonnade. Décidés par le Conseil d'administration du Corps législatif en 1806, les travaux ne furent achevés qu'en 1810. La légende veut que Napoléon, fort mécontent du résultat final, ait émis le regret « de ne plus être lieutenant d'artillerie pour faire donner le canon contre ce portique de mauvais effet». Moins d'un siècle après son édification, une imitation gracieuse du Grand Trianon était remplacée par un monument néoclassique.

L'ancienne façade a donc été entièrement « enveloppée » par la nouvelle, ce qui a permis d'aménager, dans le vide entre les deux constructions, une salle des gardes et un salon dans lequel l'Empereur pouvait se préparer pour la séance d'ouverture de la session. Grâce à la colonnade de Poyet, le Palais Bourbon donne de l'extérieur l'impression d'être strictement perpendiculaire au pont de la Concorde. En réalité, le corps de bâtiment du palais est sensiblement décalé par rapport à la ligne du fleuve.

A l'origine, le perron du Palais Bourbon était dépourvu de grilles et accessible aux passants.

Façade du Corps législatif en 1810

De la Restauration à nos jours

A la Restauration, le prince de Condé voulut récupérer son bien. Il reprit possession de l'Hôtel de Lassay, mais fut obligé de louer le Palais transformé en hémicycle à la Chambre des députés « par un bail de 3 ans ». L'Etat devint définitivement propriétaire du Palais Bourbon en 1827 et de l'Hôtel de Lassay en 1843.

Après l'acquisition du Palais Bourbon, en 1827, pour y installer la Chambre des députés, l'architecte Jules de Joly dirigea pendant cinq ans les transformations qui allaient donner aux lieux leur physionomie actuelle : construction d'une salle des séances plus vaste, avancement de la façade côté cour et division de l'espace ainsi conquis en trois salons, édification, en doublement de l'aile droite, d'une bibliothèque. La décoration des plafonds de cette dernière, ainsi que celle d'un des salons, fut confiée à Eugène Delacroix.

Pour loger les 900 constituants de 1848 et les 750 députés qui leur succédèrent, il fallut édifier dans la cour d'honneur un bâtiment provisoire, dit « salle de carton », qui fut détruit après le 2 décembre 1851. Le Corps législatif du Second Empire retrouva l'hémicycle où avait siégé la Chambre des députés de la monarchie de Juillet et qui abrite maintenant l'Assemblée nationale.

Résidence du Président de la Chambre depuis 1843, l'Hôtel de Lassay fut surélevé d'un étage en 1848 et soudé définitivement au Palais par une grande salle des fêtes. Le duc de Morny, président du Corps législatif, en fit un des centres de la vie parisienne sous le second Empire et ajouta pour ses tableaux, en 1860, une galerie, dite maintenant des Tapisseries, au flanc sud de la salle des fêtes.

La Galerie des Fêtes

Les transformations les plus récentes

Les travaux menés au XXe siècle n'ont touché, pour l'essentiel, qu'à l'aménagement interne, soit pour conquérir des espaces de travail supplémentaires (aménagement des combles), soit pour satisfaire aux exigences de la vie moderne (installation d'une usine électrique, de salles de réunion et de parcs de stationnement souterrains et, plus récemment, d'une régie audiovisuelle).

Mais la « cité Assemblée nationale » s'étend aujourd'hui bien au-delà du Palais Bourbon : pour assurer à chaque député un bureau individuel, un immeuble de sept étages, relié au Palais par une galerie souterraine, a été construit rue de l'Université en 1974, un autre immeuble a été acquis en 1986, boulevard Saint-Germain et un autre, en 2002, rue Aristide Briand afin de faire face aux besoins nouveaux, notamment ceux consécutifs à la réforme électorale, qui a porté le nombre des députés de 491 à 577, et à la modernisation des équipements que requiert aujourd'hui le travail des députés.

Au total, le Palais Bourbon et ses annexes représentent aujourd'hui une superficie au sol de 124 000 m², occupée par près de 9 500 locaux de toute nature dans lesquels travaillent, toutes catégories confondues, environ 3 000 personnes.

Statues et bas-reliefs

Napoléon Ier à cheval offrant au Corps législatif les drapeaux conquis à Austerlitz: tel était le thème du bas-relief ornant le fronton sculpté en 1806 par Antoine Chaudet (1763-1810). Dès leur retour en 1814-15, les Bourbon s'empressent de faire disparaître cette allégorie à la gloire de l'Empereur.

Les bas-reliefs sont martelés et remplacés par une scène magnifiant la Charte constitutionnelle octroyée aux Français par Louis XVIII, scène confiée à Evariste Fragonard (1780-1850). La monarchie de Juillet souhaite à son tour effacer cette trace du régime précédent.

Le nouveau motif, sculpté entre 1838 et 1841 par Cortot (1787-1843), représente la France, drapée à l'antique, debout devant son trône, accompagnée de la Force et de la Justice, appelant l'élite à la confection des lois.

Plus aucune modification ne sera apportée à cet ensemble, si ce n'est de manière accidentelle : en juin 1957, lors d'un violent orage, la France perdit un bras, heureusement restauré sans délai.

Fronton

A l'exception du fronton, l'appareil décoratif de la façade du Palais Bourbon date entièrement du Premier Empire.

Devant la colonnade, construite entre 1806 et 1810 par l’architecte Bernard Poyet, se trouvent les statues d’Athéna et de Thémis – déesses grecques de la Sagesse et de la Justice – ainsi qu’un groupe de quatre statues des ministres veillant sur le Palais-Bourbon. Elles illustrent les vertus du service public, avec Michel de L’Hospital le conciliateur, Sully le réformateur, Colbert le travailleur et d’Aguesseau le codificateur.

Michel de L’Hospital (1503 ?-1573), magistrat, chancelier de France, surintendant des Finances, poète latin et protecteur des lettres, est surtout resté dans les mémoires comme un modèle de tolérance. Durant les guerres de religion, il recherche des voies de conciliation entre catholiques et protestants pour maintenir l’unité de la France.

Maximilien de Béthune, duc de Sully (1559-1641), issu d’une famille calviniste, échappe à 12 ans au massacre de la Saint-Barthélemy. Il combat durant les guerres de religion aux côtés d’Henri de Navarre, dont il reste le principal conseiller quand celui-ci devient roi de France sous le nom d’Henri IV. Surintendant des Finances, il réduit les dépenses et trouve de nouvelles recettes fiscales, tout en encourageant l’agriculture.

Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), contrôleur général des Finances, secrétaire d’État à la Maison du roi et secrétaire d’État à la Marine de Louis XIV, favorise l’industrie et le commerce, réorganise les finances, la justice et la marine. À l’origine de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, de l’Observatoire, de la Manufacture des Gobelins et de la manufacture de Glaces de miroirs de Saint-Gobain, il a aussi fait creuser le canal des Deux-Mers. Chargé par Louis XIV de réglementer l’esclavage, aboli depuis 1315 dans le royaume de France mais pratiqué dans les possessions des Antilles, il contribue à l’élaboration du Code Noir, édit royal publié deux ans après sa mort.

Henri François d’Aguesseau (1668-1751), magistrat français, procureur général au Parlement de Paris, devient chancelier de France et garde des Sceaux sous la Régence puis sous Louis XV. Grand jurisconsulte, il entreprend d’unifier le droit français : ses ordonnances préfigurent la codification napoléonienne.

Maximilien de Sully par Pierre Nicolas Beauvallet ; Michel de L'Hospital par Louis Pierre Deseine ; Henri-François d'Aguesseau par Jean-Joseph Foucou ; Jean-Baptiste Colbert par Jacques-Edme Dumont

De part et d'autre des marches, en avant de la façade, sont placées Athéna et Thémis, représentant la législation et la prudence. Athéna est l'oeuvre de Philippe-Laurent Roland (1746-1816), copiée de la Minerve Giustiniani du musée du Vatican. Thémis, sculptée par Jean-Antoine Houdon (1741-1828), portant de la main gauche une balance, personnifie la justice et l'ordre public.

Athéna par Philippe-Laurent Roland et Thémis par Jean-Antoine Houdon

Sur les côtés de la façade, en arrière de la colonnade, deux bas-reliefs, commandés en 1837 et réalisés respectivement par François Rude (1784-1855) et James Pradier (1790-1852), figurent, à droite, Prométhée animant les Arts, et, à gauche, l'Instruction publique.

Bas-relief : Prométhée animant les Arts

Au centre du relief, Prométhée, personnification de la création, incline sa torche et donne vie aux arts. On remarque, à gauche, l'Architecture dessinant un dôme à l'aide d'un compas et la Sculpture évoquée par un amour sculptant la tête de l'esclave mourant de Michel-Ange et par le Milon de Crotone de Pierre Puget ; à droite, sont figurées la Musique, avec une lyre, et enfin la Peinture représentée par un homme mûr dont les traits semblent ressembler à ceux de Rude lui-même.

Bas-relief : L'Instruction publique

Le relief de l'Instruction publique illustre les débats parlementaires des débuts de la monarchie de Juillet. Au centre, l'Instruction publique est personnifiée par Minerve enseignant l'alphabet à de jeunes enfants ; elle est entourée de l'Education religieuse et des neuf muses représentant les arts et les sciences.

Plans et projets

Aussi surprenant que cela soit pour une démocratie aussi ancienne que la France, aucun palais n'a jamais été construit spécifiquement pour abriter sa représentation nationale.

Cette « lacune » n'a pas manqué d'exciter l'imagination de nombreux architectes et de susciter des propositions : de 1789 à 1963, plus de 80 projets sont recensés, prévoyant l'installation du siège de l'Assemblée à la Bastille, aux Invalides, aux Tuileries, à la Madeleine...

Fin XIXe, début XXe, avec l'accroissement du nombre des députés, l'agrandissement et la modernisation de l'hémicycle semblent si nécessaires que plusieurs projets envisagent, pour gagner du terrain, de détruire la façade.

La Chambre examinera, parmi d'autres, les plans proposés par son architecte Edouard Buquet. L'avant-projet, confié à Paul Nénot, architecte de la nouvelle Sorbonne, devait permettre de remplacer, selon les termes du rapport, « l'horrible paravent qui semble actuellement faire de la chambre le temple de l'obscurité et des ténèbres ». Au soulagement de beaucoup, ce projet, pas plus que ceux qui se succéderont encore jusqu'aux années soixante, ne verra le jour, laissant la colonnade de Poyet intacte.

Projet d'agrandissement du Palais Bourbon par Edouard Buquet vers 1890-1900

Projet d'agrandissement du Palais Bourbon par Edouard Buquet vers 1890-1900

Parmi ceux qui se plurent à imaginer de nouveaux projets pour l'Assemblée, Georges Demoget, architecte de la Chambre des députés, en proposa un en 1912, sur le quai d'Orsay, dans un style architectural proche de celui du Grand Palais. A l'instar des autres projets, les controverses esthétiques, les coûts financiers, les élections puis la guerre empêchèrent son aboutissement.

Projet d'agrandissement du Palais Bourbon par Georges Demoget en 1912