N° 890 - Proposition de résolution de M. Jean-Marie Sermier sur la révision à mi-parcours de la politique agricole commune (PAC) (documents E-2212 à E-2217)


Document

mis en distribution

le 2 juin 2003

   

N° 890

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 mai 2003

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

sur la révision à mi-parcours de la politique agricole commune (PAC),
(documents E 2212 à E 2217)

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement)

PRÉSENTÉE,

en application de l'article 151-1 du Règlement,

par M. Jean-Marie SERMIER

Rapporteur de la Délégation

pour l'Union européenne,

Député.

________________________________________________________________

Voir le numéro : 889.

Union européenne.

EXPOSE DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'Assemblée nationale est saisie de six propositions de règlement présentées par la Commission européenne le 21 janvier 2003 et qui visent à réformer en profondeur, à partir de 2004, la politique agricole commune (PAC) de l'Union européenne.

Cette réforme n'est pourtant prévue par aucun texte communautaire.

Elle ne résulte pas non plus d'un mandat donné par les chefs d'Etat et de Gouvernement : ces derniers ont seulement demandé à la Commission, lors du dernier Conseil européen ayant modifié la PAC, réuni à Berlin en mars 1999, de produire une série de rapports, éventuellement assortis de propositions techniques, sur l'évolution de certaines productions et l'évaluation du coût budgétaire de la réforme.

Par ailleurs, elle n'est imposée par aucune échéance majeure.

D'abord, le Conseil européen de Berlin a fixé le cadre d'évolution de la PAC jusqu'en 2006.

Ensuite, la PAC a été réformée à Berlin pour donner à l'Union européenne les marges de manœuvre nécessaires à la conduite des négociations agricoles au sein de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC).

Celles-ci ont été ouvertes le 1er janvier 2000 et doivent s'achever au plus tard le 31 décembre 2004, après la conclusion d'un accord sur la libéralisation de l'agriculture, qui doit diminuer les protections tarifaires et les soutiens dont bénéficie ce secteur.

Ainsi, en voulant réformer la PAC avant la conclusion de ces négociations pour donner des gages supplémentaires de bonne volonté à ses partenaires, la Commission européenne prend le risque de faire payer deux fois cette politique à l'OMC.

Elle affaiblit sa position à l'OMC au lieu de s'en tenir au respect de son mandat de négociations, qui lui enjoint de s'appuyer sur la PAC réformée de 1999.

Enfin, le Conseil européen de Bruxelles d'octobre 2002, suite à une initiative commune de la France et de l'Allemagne, a stabilisé les dépenses agricoles jusqu'en 2013 tout en prévoyant d'attribuer de manière progressive les aides directes aux dix nouveaux Etats membres de l'Union.

Cet accord permet de préserver les aides de la PAC et d'absorber le choc budgétaire de l'élargissement.

Au total, aucun élément objectif ne presse en faveur d'une nouvelle réforme de la PAC, qui interviendrait seulement quatre ans après celle décidée à Berlin.

La Commission européenne propose cependant de procéder à un bouleversement complet des mécanismes de la PAC pour les adapter à ce qu'il faut bien appeler « le nouveau paradigme agricole ».

Ce dernier repose sur la reconnaissance du caractère multifonctionnel d'une activité qui fait bien plus que produire des biens vendus sur un marché : l'agriculture apporte une contribution décisive à l'environnement, à l'aménagement du territoire et à l'emploi dans les zones rurales.

L'agriculture doit par ailleurs garantir la sécurité et la qualité des aliments, en offrant des produits de plus en plus diversifiés aux consommateurs. Ses modes de production doivent également préserver la santé des consommateurs et le bien-être des animaux.

Les services qu'elle rend à la société sont éminents. Ils doivent être pleinement reconnus et encouragés par la plus ancienne et la plus intégrée des politiques communes de l'Europe.

Mais si ce nouveau paradigme impose d'adapter certains outils de la PAC, il ne peut conduire la Commission européenne à proposer aux Etats membres d'adopter, dans la précipitation, une réforme conduisant à abandonner la notion même de régulation des marchés agricoles.

Ainsi, le découplage revient à rompre tout lien entre les aides directes et les instruments de limitation de la production. Il comporte des risques inacceptables de déséquilibres et de transferts entre les productions. Il met fin au rôle assumé par la PAC depuis quarante ans en matière d'aménagement du territoire et institue au profit des bénéficiaires des aides un revenu minimum agricole, qui est politiquement indéfendable.

Ainsi, les nouvelles baisses de prix proposées par la Commission européenne conduisent à appauvrir les agriculteurs, pour atteindre un prix mondial qui ne reflète aucune réalité économique tangible, car ce dernier résulte des manipulations de certains pays exportateurs.

La Commission veut promouvoir une agriculture attentive aux préoccupations des citoyens en livrant cette activité aux aléas du marché.

C'est là que réside le paradoxe des ambitions de la Commission : elle veut assurer la pérennité d'un modèle agricole en le faisant entrer de force dans le schéma ultralibéral qui inspire les règles de l'OMC et le discours - fallacieux car en contradiction avec leurs propres pratiques - des Etats-Unis et des pays du groupe de Cairns tels que l'Argentine, l'Australie, le Brésil et la Nouvelle-Zélande.

Or, il ne peut y avoir d'agriculture économiquement, socialement et écologiquement viable sans orientation et contrôle de la production et des marchés, une mission qui doit rester au cœur de la PAC.

Notre politique agricole peut évoluer sans renier les principes qui font sa force et aideront, demain, les nouveaux Etats membres à moderniser leur agriculture.

C'est pourquoi les propositions de la Commission européenne visant à affaiblir les qualités premières de la PAC doivent être rejetées. Elles doivent nous inciter à proposer des solutions alternatives, qui permettent de conserver dans l'Europe élargie une agriculture durable et forte, qui protége ses productions par une préférence communautaire rénovée.

L'Europe doit continuer d'assumer son ambition agricole pour remporter ensuite la seule bataille qui mérite d'être gagnée à l'OMC : la reconnaissance du droit à la sécurité alimentaire des peuples de la planète.

PROPOSITION DE RESOLUTION

Article unique

L'Assemblée nationale,

- Vu l'article 88-4 de la Constitution,

- Vu la communication de la Commission européenne au Conseil et au Parlement européen du 10 juillet 2002 sur la révision à mi-parcours de la politique agricole commune (COM [2002] 394 final),

- Vu la proposition de règlement du Conseil établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant des régimes de soutien en faveur des producteurs de certaines cultures (COM [2003] 23 final-1 / E 2212),

- Vu la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1257/1999 concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA) et abrogeant le règlement (CE) n° 2826/2000 (COM [2003] 23 final-2 / E 2213),

- Vu la proposition de règlement du Conseil portant organisation commune des marchés dans le secteur des céréales (COM [2003] 23 final-3 / E 2214),

- Vu la proposition de règlement du Conseil portant organisation commune du marché du riz (COM [2003] 23 final-4 / E 2215),

- Vu la proposition de règlement du Conseil portant organisation commune des marchés dans le secteur des fourrages séchés pour les campagnes de commercialisation de 2004/05 à 2007/08 (COM [2003] 23 final-5 / E 2216),

- Vu la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1255/1999 portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers (COM [2003] 23 final-6 / E 2217),

I. En ce qui concerne le cadre général de la réforme proposée par la Commission européenne

1. Rappelle que la politique agricole commune (PAC) constitue l'une des réussites majeures de la construction européenne, qui a permis de développer une agriculture performante et diversifiée, et est soumise depuis plus de dix ans à un processus continu de réformes ;

2. Considère que la PAC ne doit évoluer, dans la perspective de l'élargissement, qu'en fonction des propres besoins de l'Union européenne en matière de production, de sécurité alimentaire et de développement durable ;

3. S'oppose à la logique de la réforme proposée, qui remet en cause toute ambition européenne en matière d'agriculture en soumettant celle-ci aux aléas de marché, sans conserver de garde-fou permettant de contrôler la production ;

4. Estime que la PAC ne pourra répondre aux attentes de la société qu'en conservant un pilier fort d'organisation des marchés, dont les mécanismes d'intervention doivent être renforcés et étendus en raison de leur rôle primordial pour la stabilisation des prix et des revenus agricoles, d'une part, et d'aménagement du territoire, d'autre part ;

5. Demande que le modèle agricole européen soit défendu à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) dans le cadre d'une préférence communautaire rénovée reflétant les exigences de qualité et de sécurité des consommateurs et qu'en parallèle, les règles de cette organisation reconnaissent le droit à la sécurité alimentaire des pays pauvres à déficit vivrier.

II. En ce qui concerne la proposition de règlement du Conseil établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant des régimes de soutien en faveur des producteurs de certaines cultures et la proposition de règlement du Conseil portant organisation commune du marché du riz

6. S'oppose à l'institution d'une aide découplée de tout lien avec la production et assise sur des références historiques, car elle figerait de manière arbitraire la distribution des aides, comporterait des risques inacceptables de transferts de production, de distorsions de concurrence entre les exploitations, de renchérissement du foncier et créerait des rentes de situation peu justifiées ;

7. Demande que le lien entre les aides directes et la production soit simplifié en fonction des particularités de chaque secteur sans que cela n'encourage les transferts de production ni n'entraîne de réduction des prix payés aux agriculteurs ;

8. Accepte de subordonner le versement des aides au respect des normes relatives à l'environnement, à la santé des consommateurs et au bien-être des animaux, ainsi qu'à la sécurité des aliments, si la conditionnalité est introduite de manière progressive, porte sur un nombre limité et réaliste de textes réglementaires, prévoit un barème de sanctions proportionnées à la gravité des infractions et repose sur un système de conseil volontaire du conseil agricole, à charge pour les Etats membres d'encourager le recours aux bonnes pratiques agricoles ;

9. Souhaite le maintien d'un gel rotationnel pour le secteur des grandes cultures, dont le taux évolue en fonction de la situation de la production, ainsi que le rejet de l'interdiction de la possibilité de produire des cultures énergétiques sur les terres soumises à la jachère ;

10. Approuve le principe de la création d'une aide spécifique aux cultures énergétiques tout en souhaitant que son montant soit suffisamment incitatif pour développer ces cultures, qui contribuent à la réalisation de l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

III. En ce qui concerne la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1257/1999 concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA) et abrogeant le règlement (CE) n° 2826/2000

11. Prend acte de la volonté exprimée par la Commission de transférer aux mesures de développement rural une partie des fonds actuellement affectés au soutien proprement agricole, la modulation pouvant permettre de dégager certains des crédits nécessaires en l'absence même de toute dégressivité et devant s'appliquer également aux dix nouveaux Etats membres ;

12. Souhaite que les fonds transférés, conformément à leur origine, soient utilisés par l'Union européenne aux fins d'un financement à part entière du développement rural, le principe d'une subsidiarité accrue réglant d'autre part le choix des procédures budgétaires et comptables, dans le sens d'une plus grande souplesse administrative et d'une meilleure adéquation des moyens aux fins poursuivies.

IV. En ce qui concerne la proposition de règlement du Conseil portant organisation commune des marchés dans le secteur des céréales

13. S'oppose à une diminution de 5 % du prix des céréales, coûteuse sur le plan budgétaire, qui conduit à appauvrir les producteurs en cherchant à atteindre un niveau de prix mondial ne reflétant aucune réalité économique en raison des manipulations de certains pays exportateurs, fait baisser le niveau de la préférence communautaire pour ces produits et renforce la dépendance de revenu des agriculteurs aux aides ;

14. S'oppose à la suppression de l'aide au blé dur en zones non traditionnelles et à sa réduction dans les zones traditionnelles, car elle diminuerait les productions concernées, fragilisant ainsi une filière qui contribue à l'aménagement du territoire et à l'emploi rural ;

15. Estime que la recherche de l'équilibre sur le marché des céréales ne doit pas conduire à sacrifier la production communautaire, mais passe par un rééquilibrage des assolements en faveur des oléoprotéagineux, ce qui implique de relever le niveau de l'aide aux cultures protéagineuses, de contester la validité juridique de l'Accord de Blair House de 1992 qui conforte la dépendance protéique de l'Union européenne et d'instituer à plus long terme des dispositifs d'assurance pour réduire le risque que prend le producteur lorsqu'il introduit ces cultures dans ses assolements.

VI. En ce qui concerne la proposition de règlement du Conseil portant organisation commune des marchés dans le secteur des fourrages séchés pour les campagnes de commercialisation de 2004/05 à 2007/08

16. S'oppose à la réduction de l'aide aux fourrages déshydratés, qui mettrait en difficulté l'industrie de la déshydratation dont le rôle pour l'environnement et l'approvisionnement en protéines végétales est essentiel.

VII. En ce qui concerne la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1255/1999 portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers

17. Approuve la proposition visant à ce que la politique du secteur laitier puisse suivre l'évolution de la consommation et prendre acte de son éventuelle expansion en adoptant, le cas échéant, le principe d'une hausse dûment et strictement proportionnée des quotas ;

18. Rejette la proposition d'un abaissement autoritaire des prix, qui remettrait en cause l'équilibre des exploitations tout en faisant supporter au budget communautaire une charge supplémentaire et permanente.