N° 3331 - Proposition de résolution de M. Christian Philip sur les droits fondamentaux dans l’espace pénal européen (E2589, E3072, E3134)


Document

mis en distribution

le 22 septembre 2006

   

N° 3331

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 septembre 2006

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

sur les droits fondamentaux dans l'espace pénal européen

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement)

PRÉSENTÉE,

en application de l'article 151-1 du Règlement,

par M. Christian Philip

Rapporteur de la Délégation

pour l'Union européenne,

Député.

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Voir le numéro : 3330.

EXPOSE DES MOTIFS

Depuis le 11septembre 2001, l'Union européenne a mis l'accent sur la dimension sécuritaire de l'espace judiciaire européen. Cette orientation, confortée par les tragiques attentats de Madrid et de Londres, a suscité certaines critiques, de la part notamment du Parlement européen, au motif que la dimension « sécurité » de l'espace de liberté, sécurité et justice aurait été privilégiée au détriment de son volet « liberté ». C'est pour répondre à ces critiques que la Commission a déposé une série d'initiatives visant à renforcer la protection des droits fondamentaux dans l'espace pénal européen : une proposition de décision-cadre relative aux droits procéduraux accordés dans les procédures pénales, un Livre vert relatif à la présomption d'innocence et un Livre vert relatif aux conflits de compétences et au principe « ne bis in idem ».

Cette proposition de résolution a pour objet, en premier lieu, de définir des principes directeurs visant à encadrer l'action de l'Union européenne en matière de procédure pénale. Le respect du principe de subsidiarité est particulièrement important dans ce domaine, où il convient de tenir compte de la diversité des traditions et des systèmes juridiques des Etats membres.

La proposition de résolution suggère, en deuxième lieu, un compromis permettant de surmonter les difficultés rencontrées au sujet de la base juridique de la proposition de décision-cadre relative aux droits procéduraux accordés dans les procédures pénales. Ce compromis consisterait à limiter le champ d'application de la future décision-cadre aux instruments de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires, c'est-à-dire à des situations dans lesquelles au moins deux Etats membres sont concernés. Elle vise également à clarifier l'articulation de la future décision-cadre avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et appelle au maintien des dérogations procédurales prévues par la législation française pour certaines infractions graves, telles que le terrorisme ou le trafic de stupéfiants.

La proposition de résolution porte, en troisième lieu, sur le Livre vert sur la présomption d'innocence. Elle souligne qu'une intervention de l'Union européenne n'apporterait pas de valeur ajoutée dans ce domaine, la présomption d'innocence faisant déjà l'objet d'une définition commune dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme a défini précisément les contours.

La proposition de résolution concerne, en quatrième lieu, le Livre vert sur les conflits de compétences et le principe « ne bis in idem » dans les procédures pénales. Elle approuve la volonté de relancer les travaux concernant le principe « ne bis in idem » (selon lequel nul ne peut être poursuivi, jugé ou puni deux fois pour la même infraction), dont l'application entre Etats membres suscite des difficultés. La règle « ne bis in idem » souffre en effet, entre Etats, de nombreuses exceptions. Leur suppression est souhaitable, hormis celle relative aux infractions portant atteinte à la sûreté de l'Etat ou à ses intérêts essentiels, qui répond à des exigences constitutionnelles selon un avis du Conseil d'Etat du 29 avril 2004.

Il est également proposé d'harmoniser la définition de ce qu'est une décision définitive devant être prise en compte, en incluant les décisions prises par les autorités de poursuite dès lors qu'elles aboutissent à une extinction de l'action publique et qu'une appréciation des éléments de fond a été opérée, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE, 11 février 2003, Gözütok et Brügge).

La proposition de résolution appelle enfin à la création d'un mécanisme efficace et cohérent de règlement des conflits de compétences pénales entre Etats membres. Ce mécanisme devrait reposer sur l'unité Eurojust créée par la décision du Conseil du 28 février 2002. Sa transformation, à terme, en un parquet européen compétent pour la criminalité transnationale grave est indispensable.

PROPOSITION DE RESOLUTION

Article unique

L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de décision-cadre relative à certains droits procéduraux accordés dans le cadre des procédures pénales dans l'Union européenne (COM [2004] 328 final/n° E 2589),

Vu le Livre vert sur les conflits de compétences et le principe ne bis in idem dans le cadre des procédures pénales (COM [2005] 696 final/ n° E 3072),

Vu le Livre vert sur la présomption d'innocence (COM [2006] 174 final/n° E 3134),

I. Sur les principes directeurs que l'Union européenne devrait respecter en matière de procédure pénale :

1. Estime que l'Union européenne, conformément au principe de subsidiarité, doit fixer, en ce qui concerne la procédure pénale dans les matières ayant une dimension transfrontalière, des principes fondamentaux apportant une valeur ajoutée par rapport aux dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2. Rappelle qu'il appartient ensuite aux Etats membres de mettre en œuvre ces principes fondamentaux conformément à leurs traditions et systèmes juridiques, sous le contrôle des juridictions européennes ;

II. Sur la proposition de décision-cadre relative à certains droits procéduraux accordés dans le cadre des procédures pénales :

3. Approuve la volonté de renforcer la protection des droits fondamentaux dans le cadre des procédures pénales, s'il s'agit de conforter la confiance mutuelle entre les Etats membres ;

4. Estime que le traité sur l'Union européenne ne donne pas compétence à l'Union européenne pour harmoniser les droits procéduraux accordés aux mis en cause dans des procédures strictement internes, ne comportant aucun élément transfrontalier ;

5. Suggère de limiter le champ d'application de la future décision-cadre aux instruments de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires, afin d'en circonscrire l'application aux affaires comportant un élément transfrontalier, conformément au traité sur l'Union européenne ;

6. Invite le Gouvernement à veiller à ce que les droits figurant dans la future décision-cadre ne constituent pas une simple reproduction des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, mais apportent une réelle plus value par rapport à celle-ci ; un nouvel acte sans valeur ajoutée n'apporterait rien et risquerait, au contraire, d'altérer les principes reconnus ;

7. Considère que l'articulation de la future décision-cadre avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales devrait être clarifiée, afin d'éviter l'apparition de jurisprudences parallèles et potentiellement contradictoires, et suggère d'inviter des représentants du Conseil de l'Europe à contribuer aux travaux à cette fin ;

8. Demande que la future décision-cadre ne remette pas en cause les dérogations procédurales prévues par le droit français pour certaines infractions graves, telles que le terrorisme ou le trafic de stupéfiants ;

III. Sur le Livre vert sur la présomption d'innocence :

9. Rappelle que la présomption d'innocence est un droit fondamental garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

10. Estime que cette définition commune de la présomption d'innocence, dont les contours ont été précisément définis par la Cour européenne des droits de l'homme, doit être mise en œuvre par les Etats membres et qu'une action de l'Union européenne sur ce sujet n'apporterait aucune valeur ajoutée ;

IV. Sur le livre vert sur les conflits de compétences et le principe « ne bis in idem » dans les procédures pénales :

11. Se félicite de la volonté de la Commission de relancer les travaux relatifs au principe « ne bis in idem », selon lequel nul ne peut être poursuivi, jugé ou puni deux fois pour la même infraction, dont l'application entre Etats membres pose des difficultés certaines ;

12. Souhaite la suppression des exceptions relatives à l'application de la règle « ne bis in idem » prévues par la Convention d'application de l'accord de Schengen, hormis celle concernant les infractions portant atteinte à la sûreté nationale de l'Etat ou à d'autres intérêts fondamentaux, qui découle d'exigences constitutionnelles ;

13. Suggère que le futur instrument inclut dans son champ d'application les décisions prises par les autorités de poursuite, dès lors qu'elles aboutissent à une extinction de l'action publique et qu'une appréciation des éléments de fond a été opérée, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice ;

14. Souhaite qu'un mécanisme efficace et cohérent de règlement des conflits de compétences reposant sur Eurojust soit mis en place ;

15. Souligne qu'à terme, seule la création d'un parquet européen à partir d'Eurojust permettrait de résoudre efficacement les conflits de compétences dans les affaires de criminalité transnationale grave.