N° 249 ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 octobre 2002.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
relative à l'exercice des libertés locales.
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution
d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉE
par MM. Hervé MORIN, Jean-Pierre ABELIN, Pierre ALBERTINI, Gilles ARTIGUES, Pierre-Christophe BAGUET, François BAYROU, Bernard BOSSON, Mme Anne-Marie
COMPARINI, MM. Charles de COURSON, Stéphane DEMILLY, Jean DIONIS du SÉJOUR, Gilbert GANTIER, Francis HILLMEYER, Olivier JARDE, Jean-Christophe LAGARDE, Jean LASSALLE,
Maurice LEROY, Claude LETEURTRE, Nicolas PERRUCHOT, Jean-Luc PRÉEL, François ROCHEBLOINE, Rudy SALLES, André SANTINI, François SAUVADET, Rodolphe THOMAS, Francis
VERCAMER et Gérard VIGNOBLE (1),
Députés.
(1) Membres du groupe UDF et apparentés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La qualité des institutions publiques est un des facteurs de l'évolution des sociétés.
Leur organisation et leur fonctionnement conditionnent largement leur capacité d'adaptation aux besoins nouveaux. Outre les missions régaliennes (défense, sécurité,
justice) assurées par l'Etat, l'ensemble des institutions, nationale et locales, concourent à l'égalité des chances et à l'équité des territoires.
Or, longtemps inspirée de principes centralisateurs, l'organisation administrative française ne correspond plus aux nécessités de notre temps.
L'Etat, qui est désormais dans un rapport nouveau avec l'Europe, demeure trop souvent gestionnaire et interventionniste. Il mériterait d'être réorienté vers des
fonctions nouvelles de régulation et de garant des grands équilibres, laissant jouer à plein le principe de proximité, plus favorable à l'émergence des initiatives et à
la diffusion des responsabilités.
La décentralisation, amorcée par les grandes lois Defferre, a besoin aujourd'hui de franchir une nouvelle étape. Vingt ans après, on constate en effet qu'elle a abouti à
un enchevêtrement complexe de compétences et de financements, illisible pour le citoyen.
Parallèlement à la réforme de l'Etat, cette étape nouvelle doit répondre aux idées directrices suivantes :
- La clarification
Il s'agit de recentrer chaque collectivité sur une vocation principale, c'est-à-dire sur ce qu'elle est capable d'assumer avec la plus grande efficacité. Cela concerne
particulièrement le couple région-département. Il est légitime de se demander si on pourra conserver, durablement, ces deux échelons superposés. Mais, dans l'immédiat,
c'est dans la complémentarité qu'il faut inscrire leurs missions.
Dans le même esprit, la coopération souple entre les collectivités, quelle que soit leur taille, doit être encouragée. C'est particulièrement le cas pour les communes en
milieu rural comme en milieu urbain. Comme le montre l'émergence des pays et des agglomérations, la mise en commun de projets est une bonne réponse à l'évolution des
besoins. Le débat sur l'élection au suffrage universel direct des structures intercommunales, au-delà d'un certain seuil démographique, peut être ouvert dès maintenant.
Dans un partenariat fructueux, la désignation d'une collectivité pilote, responsable des études préalables, de l'information et de la conduite du projet, aurait
l'avantage de donner à nos concitoyens un repère indispensable sur le «qui fait quoi?».
- L'autonomie financière et fiscale
L'exercice des responsabilités locales, dans de bonnes conditions, suppose de la part des collectivités une autonomie de décision financière. Or, la dépendance, à
l'égard des dotations de l'Etat, ne cesse de croître, réduisant de plus en plus cette marge. Il est donc bon de constitutionnaliser le principe d'autonomie, en confiant
à la Cour des comptes le soin de le garantir.
L'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales est indispensable à l'accomplissement des libertés locales. Mais cette autonomie ne peut être affirmée
sans garantir dans le même temps le principe de péréquation financière des ressources des collectivités territoriales de même niveau, mise à la charge de l'Etat.
- La faculté d'expérimentation
L'indivisibilité de la République à laquelle nous sommes attachés n'exclut pas la mise en oeuvre de solutions différentes, dans le respect d'un même cadre juridique.
L'insularité, le caractère frontalier, par exemple, justifient des réponses particulières.
Dans le même esprit, l'extension des régions comme la fusion de départements ou de communes doivent être laissées à l'initiative locale et pourraient être encouragées
financièrement par l'Etat car celles-ci seraient sources d'économie pour le contribuable.
- La clarté des scrutins
Pour éviter les tentations récurrentes de changement des lois électorales, il est souhaitable d'affirmer le principe selon lequel les modes de scrutin doivent encourager
l'expression d'une majorité et assurer, dans le pluralisme, la représentation des hommes et des territoires.
Le mouvement en faveur de la décentralisation est suffisamment ancien pour lui assurer toute sa pertinence :
«Certains intérêts, écrivait déjà Tocqueville, sont communs à toutes les parties de la Nation, tels que la formation des lois générales et les rapports du peuple avec
les étrangers; d'autres intérêts sont spéciaux à certaines parties de la Nation, tels, par exemple, que les entreprises communales...»
Cette opinion vient d'ailleurs conforter les aspirations exprimées lors des premières heures de la Révolution. Faut-il rappeler que les cahiers de doléances avaient
manifesté un souci de créer des échelons administratifs de proximité, encourageant la première Assemblée nationale de notre histoire constitutionnelle à adopter la loi
du 14 décembre 1789 créant 44000 communes dotées de la personnalité juridique ainsi que la loi du 22 décembre 1789 consacrant l'existence d'un échelon administratif, au
niveau départemental.
Si le centralisme revient en force sous l'Empire, le développement des idées libérales, sous la Restauration, redonne vigueur au concept. Ainsi, la monarchie de Juillet
est à l'origine de deux textes essentiels : la loi du 21 mars 1831 qui restaure l'élection du conseil municipal et celle du 22 juin 1833 qui en fait de même pour le
conseil général.
Sous la seconde République, l'Assemblée nationale constitue même une commission de décentralisation. Quant au Second Empire, il adopte deux lois qui reconnaissent aux
deux collectivités le droit de statuer, sans contrôle a priori, sur les questions locales.
La troisième République conforte le processus en adoptant les lois du 10 août 1871 et du 5 avril 1884, qui constituent encore les textes de référence en matière
communale et départementale.
Le mouvement ne s'arrêtera plus jusqu'à la consécration constitutionnelle des collectivités territoriales par la Constitution du 27 octobre 1946 puis par la Constitution
du 4 octobre 1958.
Cette proposition de loi constitutionnelle, qui s'inscrit dans une même perspective historique et institutionnelle, tend à élever les principes de la décentralisation au
niveau le plus élevé de notre hiérarchie des normes juridiques.
La décentralisation nous offre ainsi l'occasion, non seulement de moderniser nos institutions, mais aussi de régénérer la démocratie et le civisme dont le socle est bien
fragile.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous vous demandons de bien vouloir adopter la présente proposition de loi constitutionnelle.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
Article 1er
I. - Dans l'article 1er de la Constitution, après le mot : «indivisible», est inséré le mot : «décentralisée,».
II. - Cet article est complété par une phrase ainsi rédigée :
«Elle garantit l'exercice des libertés locales et contribue à l'équité et à l'équilibre financier entre les territoires.»
Article 2
Le troisième alinéa de l'article 3 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
«Les modes de scrutin assurent la représentation des hommes et des territoires. Dans le respect du pluralisme des opinions, ils favorisent la constitution de majorités,
dans les assemblées parlementaires et locales.»
Article 3
Dans le premier alinéa de l'article 23 de la Constitution, après les mots : «l'exercice de tout mandat parlementaire», sont insérés les mots : «et de tout mandat
exécutif local».
Article 4
Avant le dernier alinéa de l'article 34 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
«Les lois relatives à la libre administration des collectivités territoriales garantissent leur autonomie financière et fiscale.»
Article 5
Le deuxième alinéa de l'article 39 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :
«Les projets de loi relatifs à la libre administration des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat.»
Article 6
Le dernier alinéa de l'article 47 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :
«Elle leur fournit un rapport sur le respect du principe de l'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales.»
Article 7
Dans le premier alinéa de l'article 61 de la Constitution, après les mots : «Les lois organiques», sont insérés les mots : «les lois relatives à la libre administration
des collectivités territoriales».
Article 8
L'article 72 de la Constitution est ainsi rédigé :
«Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions et les collectivités d'outre-mer. Toute autre
collectivité territoriale est créée par la loi.
«Les collectivités s'administrent librement par des conseils élus et, dans les conditions prévues par la loi, selon le principe de subsidiarité. Dans leur domaine de
compétence, elles mettent en oeuvre les principes de la démocratie locale et assurent l'information des citoyens : elles peuvent soumettre à la consultation des
électeurs des projets de délibération; dans les conditions définies par la loi, les électeurs peuvent saisir l'une des collectivités territoriales visées à l'alinéa 1er
de l'article 72 en vue, de l'organisation d'une consultation sur les affaires relevant de leur compétence.
«Les collectivités territoriales jouissent de l'autonomie financière et fiscale.
«Elles disposent du droit à l'expérimentation dans les conditions fixées par une loi organique. Dans ce cadre, elles peuvent être habilitées par le législateur à fixer
des règles adaptées aux spécificités locales, excepté lorsque l'exercice d'une liberté individuelle ou un droit fondamental est en cause.
«Aucune collectivité territoriale ne peut exercer de tutelle sur une autre. Cependant, pour la conduite d'un projet commun, des collectivités peuvent décider de confier
à l'une d'elles un rôle de pilote, impliquant la responsabilité des études, de l'information et de la réalisation.
«Dans les collectivités territoriales, le préfet a la charge des intérêts nationaux et du respect des lois.»
Article 9
Dans l'article 73 de la Constitution, les mots : «départements d'outre-mer» sont remplacés par les mots : «collectivités d'outre-mer».
Proposition de loi constitutionnelle n° 249 de M. Hervé Morin sur l'exercice des libertés locales
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