N° 728 - Proposition de loi de Mme Martine Billard relative à la lutte contre l'homophobie, la lesbophobie et la transphobie




No 728

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 mars 2003.

PROPOSITION DE LOI

relative à la lutte contre l'homophobie, la lesbophobie
et la transphobie.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par Mme Martine BILLARD, MM. Yves COCHET
et NoËl MAMÈRE,

Députés.

Droits de l'homme et libertés publiques.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'homophobie et la transphobie (actes et sentiments de haine, effectués ou ressentis, à raison de l'orientation et l'identité sexuelles, vraies ou supposées, de la victime) sont des fléaux sociaux.

La haine contre les personnes homosexuelles ou transgenres et les violences verbales ou physiques dont elles sont victimes ne sont pas tolérables dans notre société. Parce que s'attaquant à des personnes avec des choix et des comportements minoritaires en matière d'identité et d'orientation sexuelles qui n'entrent pas dans le cadre social dominant de la famille patriarcale, les agressions verbales et physiques contre les homosexuel(le)s et les transgenres sont trop souvent considérées comme relevant de la coutume au point d'être encore tacitement acceptées par la majorité d'entre nous. C'est notamment à cause de cette homophobie et transphobie ordinaires tacitement acceptées par la société comme normales, face à des choix et des comportements stigmatisés a priori comme anormaux, que notre appareil législatif est encore défaillant pour lutter contre ces fléaux sociaux. Il a ainsi fallu attendre le 26 avril 2001 pour qu'un Premier ministre de la République française reconnaisse officiellement le statut de victimes du nazisme aux homosexuels déportés pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce sont en effet deux cent dix Français qui ont été déportés en raison de leur homosexualité, pendant les années de l'Occupation. Un des drames de l'homophobie routinière de notre civilisation a précisément résidé dans cette longue et difficile reconnaissance du statut de victimes du nazisme pour les homosexuels déportés, parfois même auprès des autres déportés.

Les dispositions de la loi du 16 novembre 2001 contre les discriminations pour cause « d'orientation sexuelle » dans le cadre professionnel (travail ou formation) et à l'occasion de l'accès au logement par la location ont assurément marqué un pas important vers la pénalisation de l'homophobie. Elles doivent toutefois être complétées par des mentions faisant référence aux transgenres, susceptibles d'être discriminés à raison « de leur identité sexuelle » choisie, vraie ou supposée, et non à proprement parler à raison « de leur sexe » ou « de leur orientation sexuelle ». Loin de prétendre mettre fin à elle toute seule à l'homophobie et à la transphobie au sein de la société, la présente proposition de loi entend toutefois permettre à la représentation nationale de fixer la norme exigible de la part de toute personne sur le territoire national, qu'elle soit investie ou non de l'autorité publique, en terme de refus des discriminations portant sur les choix et des appartenances intimes des personnes dans leur existence propre : l'identité et l'orientation sexuelles, vraies ou supposées, au même titre que l'appartenance, vraie ou supposée, à une nation, une race, une ethnie ou une religion. Aujourd'hui, la loi française ne protège pas les personnes homosexuelles et transgenres contre les discours de haine en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité sexuelle choisie. C'est pourquoi la présente proposition de loi entend s'inspirer des textes normatifs européens, notamment de la résolution du 8 février 1994 du Parlement européen sur « l'égalité de droits des homosexuels et des lesbiennes dans la Communauté européenne » qui invite à mettre un terme, entre autres, « à toute discrimination au niveau du droit pénal, civil, du droit contractuel général et du droit économique », et de la résolution du 17 septembre 1998 du Parlement européen sur « l'égalité du droit pour les homosexuels et les lesbiennes dans l'Union européenne » demande aux Etats de tenir compte du « respect des droits de l'homme, des homosexuels et des lesbiennes ».

Alors que la société française, dans son ensemble, accepte de plus en plus la pluralité des orientations sexuelles entre adultes consentants et la liberté de choix de l'identité sexuelle, comme l'ont révélé les débats à l'occasion de l'adoption de la loi sur le pacte civil de solidarité, chaque année, en France, des personnes sont victimes de violences verbales ou physiques, à raison de leur identité ou de leur orientation sexuelles, vraies ou supposées, par leurs agresseurs. Chaque année, en France, des personnes meurent dans les lieux de rencontres ou après des intrusions d'agresseurs sur les réseaux téléphoniques et électroniques de rencontres, à cause de violences explicitement motivées par l'homophobie ou la transphobie. A ce titre, condamner les propos publics à caractère homophobe ou transphobe doit avoir une vertu préventive.

La question de la lesbophobie, à savoir la haine particulière rencontrée par les femmes homosexuelles, mérite une mention particulière dans cet exposé des motifs. En effet, le lesbianisme n'étant qu'une forme d'homosexualité, la condamnation de la lesbophobie découle de l'appareil juridique prévu pour la condamnation de l'homophobie. Toutefois, parce que ne répondant pas à l'image dominante, masculine, de l'homosexualité, et parce que réputées plus discrètes dans leur distanciation avec le modèle social hétérosexiste que les hommes homosexuels, les lesbiennes sont absentes des représentations usuelles de l'homophobie. Elles sont néanmoins toutes autant victimes des injures et de la stigmatisation que les hommes homosexuels, même si les agressions verbales sont elles aussi souvent « plus discrètes ».

Aussi n'est-il plus tolérable de laisser impunis les actes publics de diffamation, d'injure et de provocation à la haine homophobe, lesbophobe ou transphobe. Il n'est notamment plus tolérable que l'on puisse en France impunément injurier a priori les hommes homosexuels comme pédophiles ou zoophiles. C'est pourtant le cas aujourd'hui, puisqu'un organe de presse a tout loisir de dévoyer la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, en publiant des textes ou des dessins associant a priori tous les hommes homosexuels à des pédophiles. Une association, même déposée depuis plus de cinq ans et ayant inscrit la lutte contre les discriminations homophobes parmi les objectifs dans ses statuts, ne peut toujours pas, en se portant partie civile, obtenir la qualification d'injure à l'acte de l'organe de presse visé. Par ailleurs, il n'est plus tolérable non plus, si l'on se rappelle les débordements publics scandaleux auxquels ont donné lieu les débats lors de l'adoption du pacte civil de solidarité, que l'on puisse impunément appeler à la stérilisation des personnes homosexuelles, sans que cet acte soit considéré comme relevant de la provocation à la haine et à la violence, rappelant les pratiques les plus sombres de la barbarie nazie à l'égard des homosexuel(le)s. Les propos de haine et d'agressions verbales stigmatisantes à l'égard des hommes homosexuels, des lesbiennes ou des transgenres, ou à l'égard de personnes supposées telles, ne doivent plus être passés sous silence.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L'article 225-1 du code pénal est ainsi rédigé :

« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur âge, de leur situation de famille, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur identité sexuelle ou de leur orientation sexuelle, vrais ou supposés, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

« Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de l'origine, du sexe, de l'âge, de la situation de famille, de l'apparence physique, du patronyme, de l'état de santé, du handicap, des caractéristiques génétiques, des mœurs, de l'identité sexuelle ou de l'orientation sexuelle, vrais ou supposés, des opinions politiques, des activités syndicales, de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales. »

Article 2

I. - Le premier alinéa de l'article 2-6 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant par ses statuts de combattre les discriminations fondées sur le sexe, les mœurs, l'identité sexuelle ou l'orientation sexuelle, vrais ou supposés, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les discriminations réprimées par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal, lorsqu'elles sont commises en raison du sexe, de la situation de famille ou des mœurs de la victime, et par l'article L. 123-1 du code du travail. »

II. - Le troisième alinéa de l'article 2-6 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« L'association peut également exercer les droits reconnus à la partie civile en cas d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne et de destructions, dégradations et détériorations réprimées par les articles 221-1 à 221-4, 222-1 à 222-18 et 322-1 à 322-13 du code pénal, lorsque ces faits ont été commis en raison du sexe, des mœurs, de l'identité sexuelle ou de l'orientation sexuelle, vrais ou supposés, de la victime, dès lors qu'elle justifie avoir reçu l'accord de la victime ou, si celle-ci est un mineur ou un majeur protégé, celui de son représentant légal. »

Article 3

Le deuxième alinéa de l'article L. 122-3 5 du code du travail est ainsi rédigé :

« Il ne peut comporter de dispositions lésant les salariés dans leur emploi ou leur travail, en raison de leur sexe, de leur âge, de leurs mœurs, de leur identité sexuelle ou de leur orientation sexuelle, vrais ou supposés, de leur situation de famille, de leurs origines, de leurs opinions ou confessions, de leur apparence physique, de leur patronyme, ou de leur handicap, à capacité professionnelle égale. »

Article 4

Le premier alinéa de l'article L. 122-45 du code du travail est ainsi rédigé :

« Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de leur âge, de leur identité sexuelle ou de leur orientation sexuelle, vraies ou supposées, de leur situation de famille, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son patronyme ou, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail dans le cadre du titre IV du livre II du présent code, en raison de son état de santé ou de son handicap. »

Article 5

Le premier alinéa de l'article 13-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi rédigé :

« Le droit de réponse prévu par l'article 13 pourra être exercé par les associations remplissant les conditions prévues par l'article 48-1, lorsqu'une personne ou un groupe de personnes auront, dans un journal ou écrit périodique, fait l'objet d'imputations susceptibles de porter atteinte à leur honneur ou à leur réputation à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, ou à raison de leur sexe, de leur identité sexuelle ou de leur orientation sexuelle, vraies ou supposées. »

Article 6

Le huitième alinéa de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi rédigé :

« Ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminées seront punis d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ou de l'une de ces deux peines seulement. Seront également punis d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ou de l'une de ces deux peines seulement ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur identité sexuelle ou de leur orientation sexuelle, vrais ou supposés. »

Article 7

Le deuxième alinéa de l'article 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi rédigé :

« La diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée sera punie d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ou de l'une de ces deux peines seulement. Sera également punie d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ou de l'une de ces deux peines la diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur identité sexuelle ou de leur orientation sexuelle, vrais ou supposés. »

Article 8

Le troisième alinéa de l'article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi rédigé :

« Sera punie de six mois d'emprisonnement et de 22 500 euros d'amende l'injure commise, dans les conditions prévues à l'alinéa précédent, envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Sera également punie d'emprisonnement et de 22 500 euros d'amende l'injure commise dans les conditions prévues à l'alinéa précédent, envers une personne ou un groupe de personnes, à raison de leur sexe, de leur identité sexuelle ou de leur orientation sexuelle, vrais ou supposés. »

Article 9

Le premier alinéa de l'article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi rédigé :

« Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts, de défendre la mémoire des esclaves et l'honneur de leurs descendants, de combattre le racisme ou d'assister les victimes de discriminations fondées sur l'origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse, ou fondées sur le sexe, l'identité sexuelle ou l'orientation sexuelle, vrais ou supposés, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions prévues par les articles 24 (al. 8), article 32 (al. 2) et 33 (al. 3) de la présente loi. »

Article 10

Après l'article 48-3 de la loi du 29 juillet 1881 précitée, est inséré un article 48-4 ainsi rédigé :

« Il est institué une autorité administrative indépendante chargée de veiller à l'application des dispositions de la présente loi garantissant l'égalité de tous les citoyens, quelle que soit leur orientation sexuelle. Elle agit préventivement contre les manifestations sexistes, homophobes et transphobes, par la mise en place des programmes de sensibilisation au sein des établissements scolaires et au sein des formations des policiers, éducateurs, professeurs, médecins et infirmiers scolaires, magistrats, assistants sociaux. Elle met en place des campagnes nationales d'information et de lutte contre l'homophobie et la transphobie. Elle agit également comme autorité consultative et peut être saisie par l'Etat, par les collectivités locales ou par toute association dont l'objet social est de lutter contre l'homophobie et la transphobie, afin de faire des propositions concrètes concernant la prévention, d'une part, et de veiller à l'application de la présente loi, d'autre part. »

N° 0728 - Proposition de loi relative à la lutte contre l'homophobie et la transphobie (Mme Martine Billard)


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