N° 746 - Proposition de loi de M. Jean-Paul Bacquet pour une juste reconnaissance du préjudice subi par les harkis




No 746 rectifié

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 mars 2003.

PROPOSITION DE LOI

pour une juste reconnaissance du préjudice
subi par les
harkis.

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Jean-Paul BACQUET,

Député.

Rapatriés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le Président de la République a décidé, en 2001, de rendre un hommage national aux harkis et de fixer la date du 25 septembre. Les harkis se sont réjouis de cette initiative attendue depuis trente-neuf ans. En 2002, cette marque de reconnaissance a été reconduite et célébrée. Cet hommage national, rendu à toute une communauté que les épreuves n'ont pas épargnées, en mémoire aux centaines de milliers de morts, des veuves et des orphelins réfugiés en France, doit être inscrit non seulement dans le temps, mais également dans les faits.

I. - Brefs rappels d'une histoire particulièrement douloureuse

«La connaissance de l'histoire, de toute l'histoire de la guerre d'Algérie, en France comme en Algérie, est une condition indispensable à un apaisement des passions. Il n'y a pas de devoir de mémoire sans devoir de vérité.»

- Pendant la Première Guerre mondiale :

Au cours de la Première Guerre mondiale, les tirailleurs et spahis algériens ont mené, avec courage, les mêmes combats que les soldats français. Les Algériens ont laissé 26000 des leurs sur les champs de bataille d'Orient et d'Occident de la Première Guerre mondiale. De la nécropole nationale de Notre Dame de Lorette aux champs de bataille de l'Hartmannswillerkopf, en passant par l'ossuaire de Douaumont, le sacrifice consenti par les troupes d'Afrique du Nord et plus particulièrement par les Algériens, est encore de nos jours perceptible. Les Algériens ont été de toutes les grandes batailles de l'armée française de la Première Guerre mondiale. Ils se sont distingués notamment dans l'enfer de Verdun, sur la Somme en 1916, ou encore au chemin de Dames en 1917. De par leur ardeur au combat, ils ont toujours suscité l'admiration. Les tirailleurs et spahis algériens ont été, pendant ces quatre années de guerre, mêlés à toutes les batailles de l'armée française. La devise du 2e régiment de tirailleurs algériens résume bien, à elle seule, l'esprit des Algériens de 1914, soldats de la liberté «Dieu est avec nous, pour notre drapeau et pour la France».

- Pendant la Seconde Guerre mondiale :

Dès la déclaration de guerre le 3 septembre 1939, la France envoie plusieurs régiments de tirailleurs algériens en Tunisie. Pendant toute la durée du conflit, plus de 134 000 soldats algériens servirent dans l'armée d'Afrique. De La Horgne, face à l'assaut des Panzers et des Stukas, de leur lutte dans le désert contre l'Afrika Korps de Rommel, à la libération de la Tunisie et à la capitulation germano-italienne du cap Bon en mai 1943, les soldats algériens contribuent aux titres de gloire de l'armée française. Ils combattent en Italie au sein du « Corps expéditionnaire français », commandé par le général Juin. Ils affrontent les troupes de Kesselring, notamment autour de Monte Cassino. Les tirailleurs et spahis algériens participent activement avec le 2e corps d'armée, commandé par le général de Lattre, à l'opération « Anti-Dragoon » qui libérera en moins de dix jours la Provence de la XIXe armée allemande (Toulon le 27 août 1944 et Marseille le 28 août 1944). Ils entreprennent ensuite la marche fulgurante vers le nord.

Les soldats algériens ont fourni près de la moitié des effectifs de l'armée d'Afrique, composée de 290 000 musulmans. Ils ont forcé l'admiration par leur acte de courage et leur détermination au service de la France. Comme pendant le premier conflit mondial, ils ont participé avec héroïsme et fraternité aux combats les plus durs et les plus meurtriers de la Seconde Guerre mondiale, que ce soit en Belgique, en France, en Italie ou en Tunisie.

- De 1954 à 1960 :

Le terme de harkis, tiré de l'arabe harka (mouvement), s'applique aux soldats de certaines unités supplétives autochtones d'Algérie, engagées avec l'armée française contre les forces indépendantistes de 1954 à 1962.

Cette appellation s'est ensuite généralisée à tout Algérien ayant pris le parti de la France durant la guerre d'Algérie, qu'il soit civil ou armé ainsi qu'à sa famille.

Depuis des siècles, la France armait pour son compte des ressortissants locaux dans les pays où elle exerçait son autorité.Selon cet usage, en Algérie, dès le début de la rébellion, les représentants des autorités françaises recherchèrent l'adhésion des musulmans à la lutte contre la subversion.Se fiant à l'époque aux promesses des dirigeants de l'Etat, dont celles notamment que fit le général de Gaulle jusqu'en 1960, ces représentants crurent que la France resterait durablement en Algérie et ils transmirent cette conviction aux musulmans algériens qu'ils enrôlaient.

Les supplétifs furent surtout engagés de 1957 à 1960. Ces autochtones perdirent 5000 hommes, morts au combat ou disparus.

Les désertions furent très rares.

- De 1960 aux Accords d'Evian :

A partir de 1961, la politique française s'infléchit clairement vers l'indépendance algérienne. Le putsch militaire avorté d'avril 1961 fut en partie motivé par la grande inquiétude d'officiers, mûris par l'expérience indochinoise, sur l'avenir des «francophiles» dans une Algérie aux mains des « rebelles ».

Peu après, la démobilisation et le désarmement des supplétifs commencèrent.

Les Accords d'Evian attribuèrent l'Algérie au FLN, laissant alors les «musulmans français» sans protection véritable.

Le 19 mars 1962, jour du cessez-le-feu entre l'armée française et l'armée de libération nationale, on comptait en Algérie 263000 autochtones engagés du côté français ou récemment démobilisés, dont 60000 militaires, 153000 supplétifs et 50000 notables francophiles. Familles comprises, il y avait plus de 1 million de personnes menacées qui avaient pris le parti de la France sans pour autant avoir souhaité le maintien du statut colonial, sur 8 millions de musulmans algériens.

Au printemps de 1962, alors que le territoire était laissé au FLN par l'armée française, repliée dans les garnisons d'Algérie, le nouveau pouvoir feignit la clémence envers les pro-Français et à Paris le gouvernement limita à une portion minime leur repli en France en application «d'un plan général de rapatriement», et ordonnant même le renvoi en Algérie des supplétifs débarqués en France en dehors du plan de rapatriement.

Le colonel Buis, dans une note officielle en date du 12 mai 1963 adressée à l'inspecteur général des Affaires algériennes, écrivait : «Le ministre d'Etat chargé des Affaires algériennes a appelé l'attention du Haut Commissaire sur certaines initiatives prises en Algérie pour organiser l'émigration et l'installation en métropole de familles musulmanes désireuses de quitter le territoire algérien. C'est ainsi que le 9 mai, sept familles d'ex-Moghaznis ont quitté Oran pour s'installer dans la région de Dijon. Or, dans la conjoncture actuelle, on ne peut laisser à une autorité quelconque l'initiative des mesures de ce genre qui ne peuvent relever que de décisions prises à l'échelon du gouvernement. Le transfert en métropole de Français musulmans effectivement menacés dans leur vie et leurs biens s'effectuera sous la forme d'une opération préparée et planifiée. J'ai en conséquence l'honneur de vous demander de bien vouloir prescrire à tous les cadres placés sous vos ordres de s'abstenir de toute initiative isolée destinée à provoquer l'installation de Français musulmans en métropole.»

- De 1962 à nos jours :

Seulement 15000 à 20000 familles de musulmans pro-Français (91000 personnes) purent s'établir en France de 1962 à 1968 et durent ainsi s'arracher à leur contrée d'origine, à leur famille, à leur culture.

Au sein de l'écrasante majorité restée en Algérie, il y eut au minimum des dizaines de milliers de victimes assassinées par le FLN (150000 selon une note officielle du Service historique des armées rédigée en 1974). Un rapport du sous-préfet d'Akbou au vice-président du Conseil d'Etat, établi sur la base de nombreux témoignages, estime entre 1000 et 2000 le nombre de massacrés, dans chacun des soixante-douze arrondissements d'Algérie, de mars à décembre 1962.

En 1962, le général Faivre avançait une fourchette de 50000 à 70000 harkis tués par le FLN, souvent dans d'ignobles tortures, parfois par familles entières, et cela souvent en présence de l'armée française qui aurait reçu l'ordre de rester passive, comme à Oran le 5 juillet 1962, et sans que l'opinion publique et internationale ne s'en émeuve.

Les meurtres de ces Algériens durèrent jusqu'en 1966.

En 1965, la Croix-Rouge recensait 13500 pro-Français incarcérés en Algérie.

En France, les réfugiés transitèrent dans des camps.

Faute de structures d'accueil suffisantes, ils furent relégués dans des camps, des maisons forestières ou des cités insalubres. Leur insertion fut particulièrement difficile, et ils connurent pendant des années et connaissent encore de nos jours un taux de chômage élevé et des conditions de vie souvent précaires.

II. - Pour une juste reconnaissance du préjudice subi

Parce que selon les termes du colonel de Blignières dans sa préface à Disparus en Algérie «Parmi les faits rayés des manuels, des mémoires et des débats, le désarmement des harkis et l'abandon à leur sort des disparus pèse d'un poids exceptionnel sur la conscience de la France et sur l'honneur de son armée» ; il est indispensable de poursuivre le travail de mémoire débuté le 25 septembre 2001, par le Président de la République, mais il est également indispensable d'ouvrir le nécessaire débat qui conduira à l'élaboration de mesures concrètes pour une juste reconnaissance du préjudice subi.

Il convient avant tout de faire œuvre d'historien par un devoir de mémoire et par un devoir de vérité afin de rendre à la communauté harkie l'honneur de son engagement.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

La journée d'hommage national aux harkis sera officiellement célébrée le 25 septembre de chaque année, suite au décret du 31 mars 2003.

Par cet hommage, la France reconnaît ses responsabilités dans l'abandon des supplétifs et reconnaît l'ampleur des massacres commis après les Accords d'Evian à l'égard des militaires et des civils algériens engagés à ses côtés, ainsi qu'à l'égard de leur famille.

Mais, de plus, la France reconnaît également ses responsabilités dans l'histoire des harkis et les difficultés de vie qui ont été les leurs et prend l'engagement de tout mettre en œuvre pour leur rendre l'honneur de leur engagement notamment :

- en constituant un fond de documentation (documents historiques, travaux universitaires, livres, documents photographiques et audiovisuels);

- en organisant dans chaque département la collecte de témoignages de harkis de la première génération, afin de leur rendre la parole, et constituer ainsi, par l'oralité et l'expression de la mémoire, une véritable reconnaissance de leur histoire et assumer globalement l'héritage de notre passé. Ce travail de vérité est indispensable à l'édification de solides fondations pour l'avenir de notre communauté nationale.

Article 2

Les charges éventuelles qui résulteraient pour l'Etat de l'application de la présente loi seront imputées sur le budget du ministère des Anciens combattants et compensées, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

N° 0746 rectifié - Proposition de loi pour une juste reconnaissance du préjudice subi par les harkis  (M. Jean-Paul Bacquet)


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