N° 1719 ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DOUZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 juillet 2004. PROPOSITION DE LOI
CONSTITUTIONNELLE relative à l'évaluation et au contrôle des politiques publiques, (Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.) PRÉSENTÉE par M. Alain SUGUENOT Député. EXPOSÉ DES MOTIFS Mesdames, Messieurs, L'article 14 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen pose le principe selon lequel « Tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ». Au XIXe siècle les premiers acteurs du parlementarisme français en ont tiré les conséquences en exerçant pleinement leur fonction de contrôle lors du vote du budget. Ce contrôle était dès la première moitié du XIXe siècle éclairé par le rapport annuel de la Cour des comptes conformément à l'article 15 de la déclaration de 1789 disposant que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Créée par Napoléon par la loi impériale du 16 septembre 1807, cette institution a produit, dès son origine, un document des plus précieux, son rapport annuel. Réservé à la seule lecture de l'Empereur puis au Roi, ce rapport annuel est distribué aux parlementaires à partir de 1832. Aux termes d'une longue évolution et à la suite de nombreuses révélations sur son contenu par la représentation nationale, il est devenu public à partir de 1938. Il est ainsi devenu un élément du débat public relatif aux comptes de l'Etat et acquit une véritable dimension politique. Le constituant de 1958 a tiré les conséquences de cette évolution, en constitutionnalisant cette institution financière. L'alinéa 6 de l'article 47 du texte fondamental dispose en effet que « la Cour des comptes assiste le gouvernement et le Parlement dans le contrôle de l'évaluation des lois de finances ». Cette mission d'assistance a, depuis 1958, essentiellement reposé sur la remise du rapport au Président de la République. Préparé par un comité composé du Premier Président de la Cour des comptes, du procureur Général, des Présidents de chambre et du rapporteur général, il est le résultat d'un travail d'enquête et de contrôle rigoureux. Adopté par la chambre du conseil de l'institution de la rue de Cambon, il fait l'objet d'un échange avec les gestionnaires des deniers publics avant sa publication définitive. Les ministres, les exécutifs territoriaux, les dirigeants des établissements, sociétés, groupements et organismes intéressés sont informés des observations relatives à leur gestion que la cour envisage d'insérer dans le rapport public, et sont invités à lui soumettre, dans un délai de deux mois leurs réponses, celles-ci étant jointes au rapport lors de sa publication. Volumineux et imposant, le rapport n'est pourtant pas exhaustif. Il ne comporte que des morceaux choisis du long métrage du gaspillage des deniers publics. Ce rapport a, au cours des dernières décennies, considérablement évolué. Il n'est plus un exercice classique de contrôle de la régularité des opérations financières publiques. Il est devenu un outil critique d'appréciation de l'action des services de l'Etat. Afin de faire échec à la culture du « toujours plus », une commission des suites du rapport avait été créée en 1963 par le gouvernement pour suivre l'exécution des recommandations de la Cour. Dirigée par le chef du service de l'inspection générale des finances et composée de hauts fonctionnaires, cette commission avait pour toute fonction de rédiger un rapport sur les effets pratiques des conclusions du rapport annuel. Cette commission a partiellement rempli son devoir, puisqu'au moment de sa disparition en 1986, un tiers des observations de la Cour étaient suivies d'effets, un tiers ne l'était que pour partie et le dernier tiers ne l'était pas du tout. Dans le prolongement de sa politique de rénovation du service public, le gouvernement avait, lors d'un conseil des ministres du 3 janvier 1991, décidé qu'un conseil interministériel se réunirait dans les trois mois suivant la parution du rapport public pour examiner les conséquences à tirer des recommandations de la Cour. Cette louable initiative est cependant restée lettre morte, puisque aucun conseil interministériel ne s'est tenu sur ce sujet. Avec la fin du cycle keynésien des trente glorieuses et l'apparition au milieu des années 1970 des déficits publics, la nécessité de maîtriser les dépenses publiques, de prélever moins sur la richesse nationale ont entraîné une profonde remise en cause de notre philosophie budgétaire. La loi de finances, véritable budget de moyen, dénuée d'indicateurs de performances et de résultat, est apparue inadaptée. Une nouvelle logique fondée sur la rationalisation des dépenses publiques et la mise en relation des coûts et des performances des politiques publiques s'est progressivement imposée. Après les premières expériences de rationalisation des choix budgétaires, la thématique de l'évaluation de la dépense publique est devenue une réalité dans les années 1990. Partant de l'idée que la modernisation de l'Etat et le renouveau du service public devaient se traduire par une exigence accrue d'efficacité, le Premier Ministre de l'époque, M. Michel Rocard a fait adopter, le 22 janvier 1990, un décret relatif à l'évaluation des politiques publiques. Créant des structures au service de l'exécutif, ce décret a écarté les parlementaires de la démarche évaluative. Il n'en a pas moins constitué un premier pas dans la construction d'une conception française de l'évaluation des politiques publiques. Le début du septennat de Jacques Chirac est venu confirmer cette orientation, en adoptant cependant une orientation beaucoup plus favorable au Parlement ; deux offices parlementaires d'évaluation étant créés par la loi n° 96-517 du 14 juin 1996 ; l'office d'évaluation de la législation et surtout l'office d'évaluation des politiques publiques. L'expérience de ce dernier office va être utilement mise à profit à partir de 1998 par l'ensemble des parlementaires, toutes tendances politiques confondues. A la suite du rapport du groupe de travail dirigé par le rapporteur de la commission des finances de l'Assemblée nationale intitulé « Contrôler réellement, pour dépenser mieux et prélever moins », un nouvel organe de contrôle, la Mission d'Evaluation et de Contrôle, a été créé. Partant de l'idée qu'un renforcement de l'évaluation du Parlement pouvait donner l'impulsion nécessaire à des réformes plus profondes touchant au fonctionnement même de l'Etat, ces missions, composées de membres de l'ensemble des groupes parlementaires, ont procédé à des investigations approfondies en menant des auditions de gestionnaires publics, en diligentant des contrôles sur place et sur pièce. Depuis 1999, douze rapports ont ainsi été rédigés. Pour mener à bien leurs travaux, les Missions d'Evaluation et de Contrôle ont eu recours à l'expertise de la Cour des comptes, et il convient de souligner que les secteurs ayant fait l'objet d'évaluations avaient, au préalable, fait l'objet de contrôle de la Cour des comptes lors de la rédaction de son rapport annuel. La loi organique du 1er août 2001, notre nouvelle constitution financière adoptée grâce à l'action conjointe de MM. Migaud et Lambert, est venu inscrire dans le marbre cette pratique. L'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances dispose en effet que « les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat suivent et contrôlent l'évaluation des lois de finances et procèdent à l'évaluation de toute question relative aux finances publiques ». Les articles 58 à 60 viennent compléter cet article. La commission des finances de l'Assemblée a clairement demandé aux rapporteurs spéciaux chargés de mener les travaux d'évaluation de faire des propositions concrètes en terme de rationalisation de la dépense publique. Les travaux de la Cour des comptes, qui assiste les parlementaires dans l'exercice de cette mission, servent de point de départ à la réflexion des rapporteurs spéciaux en charges des missions d'évaluation et de contrôle. La loi organique relative aux lois de finances du premier août 2001 a sans conteste marqué un tournant décisif dans notre histoire financière en normalisant les pouvoirs de contrôle et d'évaluation du Parlement. Au demeurant, afin de confirmer cette avancée, il est aujourd'hui nécessaire de faire figurer dans le texte suprême les principes et outils fondamentaux de l'évaluation des politiques publiques. C'est pourquoi, un débat annuel, au sein de chaque assemblée, sur le rapport annuel de la Cour des comptes déposé sur le bureau du Président de la République au début de la session parlementaire doit être institué. Il est en effet indispensable que les parlementaires, chargés de consentir à l'impôt et de veiller au bon usage des deniers publics le fassent de manière éclairée. Par ailleurs, en raison du succès rencontré par les Missions d'évaluation et de contrôle, de l'intime collaboration entre ces Missions et la Cour des comptes, il serait logique de mentionner clairement dans le texte suprême la fonction d'évaluation du Parlement, et de renvoyer aux dispositions de loi organique pour l'organisation de cette fonction. Enfin, depuis 1993, chaque alternance donne lieu à la rédaction d'un audit des finances publiques par deux magistrats de la Cour des comptes. A chaque reprise, ces audits ont révélé des écarts significatifs entre l'autorisation budgétaire initiale et l'exécution de la loi de finances. Au cours de la précédente législature, une polémique s'est également fait jour sur le montant réel des déficits et l'existence de cagnottes fiscales consécutives à la vigueur inattendue de la reprise économique. Parallèlement depuis 1994, le Conseil Constitutionnel contrôle la sincérité des lois de finances. Ce contrôle, formel à ses débuts, tend à devenir un contrôle matériel portant sur la réalité et la pertinence des hypothèses économiques servant de base à la prévision budgétaire gouvernementale. La juridiction constitutionnelle exerce, depuis sa décision 99-424 DC du 29 décembre 1999, un contrôle restreint en vérifiant qu'aucune erreur manifeste ne peut être décelée dans l'évaluation des recettes figurant dans la loi de finances. La loi organique du 1er août 2001 dispose dans son article 32 que « les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat » et que cette sincérité « s'apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler ». En vertu de cet article, le Conseil constitutionnel vient de renforcer son contrôle de la sincérité du budget de l'Etat en indiquant que « la sincérité se caractérise par l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre ». Mais, cette sincérité doit également s'exprimer lors de l'exécution de la loi de finances, afin d'en finir avec le mensonge budgétaire. L'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 confie d'ailleurs à la Cour des comptes la mission de certifier « de la régularité et la sincérité et de la fidélité des comptes de l'Etat ». Afin de donner une portée réelle au principe de sincérité et d'éviter la dissimulation de déficits inavouables ou de surplus fiscaux inavoués, il est nécessaire d'instituer dans notre pratique budgétaire la réalisation d'un audit annuel des comptes publics. Cet audit devrait, afin de respecter la fonction financière traditionnelle du parlement, faire l'objet d'un débat dans des conditions qui seront précisées par une loi organique. Le caractère annuel de cet audit permettra un suivi plus professionnel des comptes publics et renforcera la transparence de la politique budgétaire. L'annualité de cette procédure lui permettra d'éviter les inévitables suspicions politiques dont ont fait l'objet les précédents audits réalisés après des échéances électorales passionnées. Cette proposition de loi constitutionnelle n'est en rien révolutionnaire. Il s'agit simplement de graver dans le marbre les pratiques d'une bonne gestion des finances publiques. PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE Article 1er Le dernier alinéa de l'article 47 de la Constitution est complété par 4 phrases ainsi rédigées : « La Cour des comptes adresse au Président de la République et présente au Parlement un rapport annuel qui est publié au Journal officiel. Ce rapport fait l'objet d'un débat en séance publique dans les deux assemblées du Parlement. Il constitue une référence pour l'évaluation des politiques publiques menée par le Parlement. La loi organique relative au vote des lois de finances précise les modalités d'exercice de la fonction d'évaluation et de contrôle menée par le Parlement. » Article 2 L'article 47 de la Constitution est complété par un alinéa rédigé comme suit : « Chaque année, un audit des comptes publics est réalisé par deux magistrats de la Cour des comptes. Il est présenté au Parlement et fait l'objet d'un débat. La loi organique relative aux lois de finances en précise les conditions de présentation. » Imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-118450-0
ISSN : 1240 - 8468 En vente au Kiosque de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21 N° 1719 - Proposition de loi constitutionnelle de M. Alain Suguenot relative à l'évaluation et au contrôle des politiques publiques
© Assemblée nationale |