N° 1832 - Proposition de loi constitutionnelle de M. Jean-Louis Debré tendant à renforcer l'autorité de la loi




 N° 1832

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 octobre 2004.

PROPOSITION DE LOI
CONSTITUTIONNELLE
tendant à renforcer l'autorité de la loi,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE
par M. Jean-Louis DEBRÉ
Député
Président de l'Assemblée nationale.

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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Déplorée de longue date, l'inflation législative mine l'autorité de la loi. Son aggravation expose le Parlement à un phénomène d'emballement qui aboutit à des calendriers de plus en plus difficiles à maîtriser, et dont l'alourdissement compromet l'accomplissement correct de ses autres missions, en particulier dans le domaine du contrôle de l'action gouvernementale.

Parmi les raisons de cette situation, l'abandon progressif de la distinction entre ce qui relève du domaine de la loi fixé par l'article 34 de la Constitution et ce qui appartient au domaine réglementaire a joué incontestablement un rôle. L'idée, introduite en 1958 dans la Constitution, qu'il appartenait au législateur de fixer les principes de base dans les domaines essentiels et qu'il revenait à l'action gouvernementale d'en réglementer les modalités d'application, a progressivement été perdue de vue. Depuis bien longtemps déjà, les gouvernements successifs par leurs projets, les parlementaires de tout bord par leurs amendements légifèrent trop, avec un souci croissant du détail et de l'ajustement qui n'est pas dans la vocation de stabilité, de clarté et de lisibilité, seule de nature à fonder la force de la loi dans l'esprit du citoyen.

Bien plus, les lois se laissent aller désormais au bavardage, en comportant de plus en plus de dispositions purement déclaratives, voire d'annexes descriptives comportant des objectifs et des principes d'action qui peuvent être gratifiants au niveau programmatique, mais qui n'ont rien à voir avec la responsabilité du législateur et créent même une ambiguïté sur la portée de son intervention. La loi n'a pas pour objet d'affirmer des évidences et des projets politiques, mais de fixer les normes rendant possible la mise en œuvre des objectifs poursuivis. Comme vient de le rappeler opportunément le Conseil constitutionnel : « la loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit, par suite, être revêtue d'une portée normative ».

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Les mécanismes mis en place par la Constitution de 1958 pour assurer la régulation de l'initiative législative se sont révélés inadaptés, au point qu'ils sont pratiquement tombés en désuétude. A cet égard, le pouvoir discrétionnaire et exclusif reconnu au Gouvernement d'opposer l'irrecevabilité législative, comme la lourdeur d'une procédure pouvant aboutir à suspendre le débat pour saisir le Conseil constitutionnel en cas de désaccord entre le Gouvernement et le Président de l'Assemblée, ont sans doute joué un rôle dissuasif, au point de ruiner l'objectif de rationalisation poursuivi en ce domaine par la Constitution de 1958.

Pour redonner vigueur à cet objectif, une révision de la Constitution s'impose, de manière à conférer une certaine automaticité au contrôle de l'initiative. Le Constituant de 1958 s'en était remis - il faut le souligner - aux Règlements des assemblées pour assurer un tel contrôle, au regard de la prescription limitant l'initiative financière au sens de l'article 40 de la Constitution. A l'Assemblée, une procédure confiée au président de la commission des finances (pour les amendements) et à une délégation du Bureau de l'Assemblée ainsi qu'au bureau de la commission des finances (pour les propositions de loi et rapports sur ces propositions) a été mise en place à cet effet et fonctionne dans des conditions globalement satisfaisantes au regard de l'objectif poursuivi.

Sans doute est-il temps de s'inspirer de cette solution, en faisant confiance aux organes parlementaires eux-mêmes pour réguler l'initiative au regard du respect du domaine de la loi et au regard de l'exigence de normativité dont il convient de rappeler à cette occasion, l'exigence constitutionnelle. Tel est le sens de la nouvelle rédaction proposée pour l'article 41 de la Constitution par la présente proposition de loi. Ce nouveau dispositif devra, bien évidemment, être complété pour sa mise en œuvre, par une révision des Règlements des assemblées, en vue de confier, dans ce domaine, aux commissions des lois et à leurs présidents un rôle qui, mutatis mutandis, sera identique à celui qui est exercé par les commissions des finances en matière de recevabilité financière. Dans cette nouvelle logique, l'arbitrage éventuellement demandé, en cours de procédure législative, au Conseil constitutionnel, n'a plus d'objet, ce qui entraîne l'abrogation du deuxième alinéa dudit article.

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Il est exclu de prévoir, pour des raisons tenant à la séparation des pouvoirs, des mécanismes internes de contrôle opposables à l'initiative gouvernementale, qu'il s'agisse des articles des projets de loi ou des amendements dont le Gouvernement est l'auteur. Toutefois, on peut espérer que la modification constitutionnelle proposée devrait, par elle-même, introduire une pratique nouvelle et plus respectueuse, de la part du Gouvernement, de la séparation des domaines de la loi et du règlement, ne serait-ce que par les facultés nouvelles d'intervention qu'elle devrait ouvrir au Conseil constitutionnel dans le cadre de l'article 61 de la Constitution.

Quant à l'exigence normative de la loi - dont il n'y a aucune raison d'exonérer le Gouvernement lui-même - elle serait clairement introduite à l'article 34 de la Constitution, de manière à lui donner un caractère objectif, applicable à tous, sous le contrôle du Conseil constitutionnel.

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PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article 1er

Le premier alinéa de l'article 34 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, elle est par nature de portée normative. »

Article 2

L'article 41 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Art. 41. - Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne peuvent être mis en discussion, lorsqu'ils ne relèvent pas du domaine de la loi, lorsqu'ils sont contraires à une délégation accordée en vertu de l'article 38, ou lorsqu'ils sont dépourvus de portée normative. »

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Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

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ISBN : 2-11-118761-5
ISSN : 1240 - 8468

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