N° 2405 - Proposition de résolution de M. Georges Hage tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'état de la dette des pays en développement à l'égard de la France, sur les conséquences pour le développement de ces pays, sur les perspectives d'annulation de la dette




 

N° 2405

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 juin 2005.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête
sur l'état de la
dette des pays en développement
à l'égard de la France, sur les conséquences
pour le développement de ces pays,
sur les perspectives d'annulation de la dette,

(Renvoyée à la commission des affaires étrangères,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. Georges HAGE, Alain BOCQUET, François ASENSI, Gilbert BIESSY, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Jacques BRUNHES, Mme Marie-George BUFFET,
MM. André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Frédéric DUTOIT, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. André GERIN, Pierre GOLDBERG, Maxime GREMETZ, Mmes Muguette JACQUAINT, Janine JAMBU, MM. Jean-Claude LEFORT, François LIBERTI, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS (1)

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En septembre 2000, lors du sommet du millénaire, les 191 Etats membres de l'ONU se sont engagés à réaliser d'ici 2015 les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD).

Ces objectifs prévoyaient notamment de réduire la pauvreté de moitié et de combattre des pandémies comme le paludisme et le sida.

Au tiers du parcours, aucun progrès n'a été réalisé. Afin de masquer cet échec, les responsables des pays riches rivalisent de bonnes intentions.

Le Premier Ministre britannique, M. Tony BLAIR, parle d'annulation de la dette des pays africains.

Le Président de la République française, M. Jacques CHIRAC reprend le thème d'une taxe de type Tobin sur la spéculation financière, les ventes d'armes, les billets d'avions afin de dégager des ressources supplémentaires pour financer le développement.

Pendant ce temps-là, 30 000 enfants meurent chaque jour de maladies qui auraient pu être soignées, plus d'un milliard de personnes n'ont pas accès à l'eau potable, 800 millions souffrent de la faim...

Ces questions sont à nouveau à l'ordre du jour du sommet du G8, qui se tient du 6 au 8 juillet prochains en Ecosse. A cette occasion, 18 pays (Bénin, Burkina Faso, Ethiopie, Ghana, Guyana, Honduras, Madagascar, Mali, Mauritanie, Mozambique, Nicaragua, Niger, Ouganda, Rwanda, Sénégal, Tanzanie et Zambie) vont bénéficier d'une annulation de 40 milliards de leur dette due à la Banque Mondiale, au FMI et à la Banque Africaine de Développement.

Pour positive que soit cette avancée, elle dissimule le drame dans lequel ont plongé et tentent de survivre les nations pauvres.

En septembre, l'Assemblée générale des Nations Unies dressera un premier bilan des OMD. En décembre, enfin, l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) se réunira à Hong Kong.

Depuis l'éclatement de la crise de la dette en 1982, les pays en développement (PED) se sont vus imposer des préceptes dits du « consensus de Washington », qui édictent les commandements libéraux. Ils sont basés sur le désengagement de l'Etat et sur une ouverture croissante des économies.

Ainsi, dans les années 90, dans leur majorité, les PED sont tombés sous la coupe du FMI. L'ouverture totale du Tiers Monde aux capitaux étrangers et les mesures libérales qui leur ont été imposées ont attiré des capitaux très volatils, prêts à se retirer dès les premiers signes de fragilité économique. Ce fut le cas en Amérique du Sud en 1994, puis en Asie du Sud Est en 1997, en Russie en 1998, de nouveau en Amérique latine en 1999, en Turquie entre 1999 et 2002, en Argentine en 2001-2002, au Brésil en 2002.

Toujours et partout, les mêmes recettes ont été préconisées : de nouveaux prêts en échange d'une libéralisation accentuée de l'économie. Ces nouveaux prêts sont venus alourdir la dette mais n'ont jamais été destinés à améliorer le sort des populations.

Ils ont juste permis aux Etats en crise de rembourser les créanciers du Nord, souvent responsables d'investissements hasardeux guidés par le seul objectif d'une rentabilité maximum à court terme.

S'ajoute à cela l'endettement excessif de nombreux pays du Sud provenant en partie de l'attitude de leurs dirigeants, souvent aidés par les créanciers du Nord, et ayant détourné une part non négligeable des sommes prêtées à leur pays (dette du Zaïre d'un montant de 12 milliards $ et la fortune de Mobutu s'élevant à 8 milliards $ en 1997, fortune de Duvalier d'un montant de 900 millions $ en 1986 et dette d'Haïti de 750 millions $).

Durant plusieurs siècles, le Nord a pillé les ressources du Sud. Ce fut le drame de la colonisation qui, par la force, a permis aux pays riches de s'approprier les ressources humaines et naturelles des Etats et populations concernés.

C'est par la domination économique que se poursuit aujourd'hui ce pillage.

De ce point de vue, le remboursement de la dette des PED constituerait une première et légitime réparation des préjudices subis, d'autant que ces exigences de remboursements relèvent du scandale et de l'escroquerie internationale.

Les PED ont déjà largement remboursé leur dette puisqu'ils ont transféré à leurs créanciers environ neuf fois le montant de leur dette de 1980 et se retrouvent malgré tout quatre fois plus endettés. Ils continuent pourtant de payer environ 230 milliards de dollars chaque année au titre du service de leur dette extérieure, ce qui entrave bien évidemment toute perspective de développement.

Il apparaît même que les flux financiers sont actuellement dirigés du Sud vers le Nord. Ainsi, entre 1997 et 2003, les PED ont remboursé à leurs créanciers du Nord, 323 milliards de dollars de plus que ce qu'ils ont reçu sous forme de nouveaux prêts. De même, les réserves accumulées, 675 milliards de dollars, ces deux dernières années, ne servent pas au développement mais sont placées au Nord afin d'accumuler les devises nécessaires au remboursement de la dette. Ainsi, les PED financent les déficits colossaux des Etats-Unis et, dans une moindre mesure, en Europe.

Pour mesurer les profondeurs de l'abyme, il faut savoir que le stock de la dette s'élevait à 580 milliards $ en 1980 et le service de la dette à 90 milliards $. Le stock était passé en 2002 à 2 400 milliards $ et le service à 340 milliards $.

Ces sommes semblent a priori colossales. Elles le sont pour les pays concernés. Il convient néanmoins de les mettre en rapport avec la dette historique, écologique, économique et sociale que les pays riches ont contractée à leur égard.

Comparons ces 2 400 milliards, dont 75 % sont des dettes publiques, et la dette mondiale qui atteint 45 000 milliards de dollars, l'addition des dettes publiques et privées aux Etats-Unis s'élevant à elle seule à 22 000 milliards de dollars.

Par conséquent, si la dette extérieure publique du Tiers Monde était entièrement annulée sans indemnisation des créanciers, cela représenterait une perte minime de moins de 5 % dans leur portefeuille.

En revanche, les populations enfin libérées du fardeau de la dette, pourraient utiliser les fonds disponibles à améliorer la santé, l'éducation, à créer des emplois...

En 1996, au sommet du G7 à Lyon, la Banque mondiale, le FMI, le G7 et le Club de Paris lançaient une initiative pour renforcer la capacité des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) à assurer le remboursement de leur dette.

La promesse leur était faite d'une annulation de 80 % de leur dette.

En 1999, au cours d'un autre sommet du G7 à Cologne, un allégement encore plus important allant jusqu'à 90 % était annoncé.

Qu'en est-il en réalité ?

Ce projet concernait 41 pays, soit une minorité des PED que l'OCDE chiffre à 187 pays.

Sur ces 41 Etats, 22, dont 18 en Afrique subsaharienne, sont en lice depuis décembre 2000 pour bénéficier, dans les années à venir, d'une réduction du service de leurs dettes.

La France est partie prenante de ce processus.

Au-delà des effets d'annonces et des bonnes intentions affichées, ce dispositif relève de la supercherie.

Quelques chiffres :

Le stock de la dette des 41 PPTE a évolué de la manière suivante entre 1990 et 2001 : en 1995, 158,4 milliards $ - en 1996, 205,5 milliards $ - en 1997, 202,1 milliards $ - en 1998, 204,4 milliards $ - en 1999, 209,8 milliards $ - en 2000, 207,9 milliards $ - en 2001, 214,9 milliards $ (source : FMI, World Economie Outlook).

Entre 1990 et 1996, le stock a augmenté de 30 %. En pratique, la dette, depuis 1996, a poursuivi son ascension et grimpé de 4,7 % en cinq ans.

En outre, les PPTE ont payé en remboursement 1 680 millions $ de plus que ce qu'ils ont reçu sous forme de nouveaux prêts (source : World Bank, Global Development Finance). Où se trouve donc la diminution de la dette ?

Entre 1996 et 1999, selon la Banque mondiale, le service de la dette des PPTE a augmenté de 25 %, passant de 8,86 millions $ en 1996 à 11,40 en 1999 (source : World Bank).

Selon l'OCDE, la dette des PPTE à l'égard du FMI et de la Banque mondiale (la dette multilatérale) est passée de 70,7 milliards $ en 1998 à 70,4 milliards en 1999. Elle n'a donc diminué que de 0,5 %. Le reste de la dette (dette bilatérale et dette privée) a diminué de 6,6 % durant la période 1998-1999.

Mais les mécanismes de ce dispositif sont extrêmement pervers. En premier lieu, il ne s'agit pas de libérer le développement des PPTE mais plus modestement de rendre leur dette « soutenable », c'est-à-dire de leur permettre d'atteindre un seuil de solvabilité qui garantira le remboursement de leur dette.

On annule, en fait, essentiellement les créances impayables pour mieux obtenir la pérennité des remboursements. Le système de la dette perdure et les PPTE y demeurent enchaînés avec, en outre, l'obligation de conduire des politiques qui répondent aux intérêts des pays riches et de leurs multinationales.

La Banque mondiale et le FMI se chargent de dicter ces politiques, avec le Club de Paris, dans le cadre des Facilités pour la Réduction de la Pauvreté et la Croissance (FRPC) et des Documents de Stratégie pour la Réduction de la Pauvreté (DSRP). Ces politiques impliquent une accélération des privatisations des services (eau, électricité, télécommunications, transports publics), ce qui a pour mérite d'accélérer en même temps la mise en œuvre de l'Accord Général sur le Commerce et les Services (AGCS), à l'échelle mondiale dans le cadre de l'OMC ; la privatisation ou la fermeture d'entreprises industrielles publiques existantes ; la suppression des subsides aux produits de base (pain ou autre aliment essentiel) ; l'augmentation des impôts payés par les pauvres avec la généralisation de la TVA (à un taux unique de 18 % comme c'est le cas au sein de l'Union Economique et Monétaire de l'Ouest africain) ; l'abandon des protections douanières pour permettre à la concurrence des multinationales de liquider les producteurs locaux ; la libéralisation des entrées et sorties de capitaux ; la privatisation des terres ; la politique de recouvrement des frais dans la santé et l'éducation.

En définitive, non seulement le dispositif ne libère nullement les PPTE de l'asphyxie de l'endettement mais il les met sous tutelle et les livre à une nouvelle colonisation des pays riches et des multinationales, qui les pillent et les enfoncent davantage dans la pauvreté.

En ce qui concerne les dettes bilatérales (le Club de Paris regroupe la plupart des créanciers publics bilatéraux) entre un PPTE et un pays riche, l'exemple de la France est éclairant. Elle a mis en place le procédé de refinancement par don par l'intermédiaire des Contrats de Désendettement et de Développement (C2D). Elle a signé de tels contrats avec le Mozambique, l'Ouganda, la Tanzanie, la Mauritanie, et la Bolivie. Deux autres sont programmés avec le Nicaragua et le Ghana. Ainsi le PPTE rembourse les échéances à la France qui reverse la même somme sur une ligne spéciale de la banque centrale de ce pays.

L'utilisation des sommes ainsi dégagées est décidée conjointement par le gouvernement du pays et l'ambassadeur de France, ce qui place une partie du budget de ce PPTE sous tutelle française et met, à ce titre, la France en position de dicter ses volontés.

Mais, en outre, la somme reversée par la France est comptabilisée comme Aide Publique au Développement (APD) alors que cette APD n'a pas été augmentée en conséquence. Ce budget est même en baisse significative depuis plusieurs années.

Il n'y a donc pas d'annulation, le lien entre le créancier et son débiteur demeurant en l'état, mais, par ailleurs, ce tour de passe-passe s'effectue au détriment des projets qui devaient être financés par l'APD. En définitive, l'APD accordée au PPTE est payée par ce dernier.

Ainsi apprenons-nous que la France finance des programmes pour l'éducation primaire en Tanzanie, pour le développement local de deux régions en Mauritanie, pour la santé publique en Bolivie ou encore pour la lutte contre le sida au Mozambique.

Si nous voulons réellement améliorer la situation des quelques 400 millions d'habitants des PPTE, qui ne représentent par ailleurs que 11 % de la population totale des PED, il faut en finir avec ces politiques de pillage et de néo-colonialisme.

Il est, à l'inverse, impératif d'aller vers une annulation complète de la dette extérieure publique de ces pays combinée à l'abandon des politiques d'ajustement et à la rétrocession aux populations de ces pays de ce qui leur a été volé.

La France s'honorerait d'être à l'initiative. Il lui appartient de l'être au sein des institutions et instances internationales, telles que l'Assemblée Générale des Nations Unies, l'Organisation Mondiale du Commerce, le G8 et l'Union européenne.

Pour être crédible et ne pas sembler se contenter de discours et de bonnes intentions, elle doit montrer l'exemple.

A cette fin, il serait utile de dresser un état précis de la dette des Pays en développement (PED) à l'égard de la France, d'évaluer les conséquences de cet endettement sur leur développement, de mettre en évidence tous les effets pervers de cette dette et des mécanismes mis en place qui l'accroissent, de dégager des propositions innovantes et justes en vue de règlements bilatéraux et multilatéraux permettant de déboucher sur l'annulation de la dette.

En prenant ainsi des mesures concrètes dans ses rapports avec les pays pauvres concernés, la France n'en aurait que plus d'autorité à l'échelle internationale pour substituer aux rapports actuels de domination de nouveaux rapports de coopération et de solidarité.

Ce travail d'investigation et d'élaboration n'en aura que plus de force et de poids s'il est conduit par les représentants du peuple français à travers l'Assemblée Nationale.

C'est pourquoi le groupe des député(e)s communistes et républicains vous propose la création d'une commission d'enquête parlementaire chargée de s'acquitter de cette tâche.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement, est créée une commission d'enquête de trente membres chargée de dresser un état précis de la dette des pays en développement (PED) à l'égard de la France, d'évaluer les conséquences de cet endettement sur leur développement, de mettre en évidence les effets des dispositifs existants et prétendant à une réduction de cette dette.

Cette commission d'enquête devra, sur la base de cette analyse, élaborer des propositions permettant de déboucher sur l'annulation de la dette des PED dans le cadre des rapports bilatéraux de la France avec ces pays mais également dans le cadre multilatéral au niveau international.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-119278-3
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

N° 2405 - Proposition de résolution de M. Georges Hage tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'état de la dette des pays en développement à l'égard de la France, sur les conséquences pour le développement de ces pays, sur les perspectives d'annulation de la dette

1 () Constituant le groupe des député-e-s communistes et républicains.


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