N° 2790 - Proposition de résolution de M. Alain Bocquet tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions d'introduction en bourse d'EDF, sur l'ouverture de son capital au marché financier, sur le recours à des souscripteurs forcés et sur les conséquences de cette situation pour l'accomplissement de ses missions de service public




 

N° 2790

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 janvier 2006.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête
sur les
conditions d'introduction en Bourse d'EDF,
sur l'
ouverture de son capital au marché financier,
sur le
recours à des souscripteurs forcés
et sur les
conséquences de cette situation
pour l'
accomplissement de ses missions de service public,

(Renvoyée à la commission des finances, de l'économie générale et du plan,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. Alain BOCQUET, François ASENSI, Gilbert BIESSY, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Jacques BRUNHES, Mme Marie-George BUFFET, MM. André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Frédéric DUTOIT, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. André GERIN, Pierre GOLDBERG, Maxime GREMETZ, Georges HAGE,
Mmes Muguette JACQUAINT, Janine JAMBU, MM. Jean-Claude LEFORT, François LIBERTI, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS (1)

Députés.

(1) Constituant le groupe des député-e-s communistes et républicains.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Nous avons sans doute des progrès à faire », tel est l'aveu euphémique et sibyllin par lequel des responsables du réseau bancaire français tentent aujourd'hui d'apporter un point final au scandale boursier et politique des conditions de privatisation d'EDF.

En quelques semaines et au travers de témoignages multiples et convergents de personnels des banques, de responsables syndicaux et de clients floués de ces établissements, une vérité se fait jour. Des pratiques diverses, additionnées et toutes plus intolérables les unes que les autres, ont été mises en œuvre et systématisées pour précipiter la privatisation de l'entreprise nationale.

« Nous démentons très fermement que l'État ait pu donner des instructions aux banques, et il faudra que l'Autorité des marchés financiers (AMF), fasse toute la lumière sur cette affaire, pour voir s'il s'agit de cas isolés ».

Cette déclaration de l'entourage du Ministre de l'Économie et des Finances, Thierry Breton, pour botter en touche, reprise et commentée par la presse, en dit long sur le début de panique que soulève une affaire qui laisse redouter des rebondissements et comporte, à ce jour, une vaste part d'ombre.

« Inadmissible, inacceptable ; honteux ; lamentable... ». Les qualificatifs qui viennent ainsi à la bouche des Françaises et des Français qui s'expriment progressivement sur ce dossier, en disent long. Et pour cause. Il est en effet question ici de pressions exercées et renforcées sur des personnels bancaires pour « faire du chiffre ».

Les faits rapportés sont de ce point de vue, accablants : « On pouvait s'attendre à tous ces dérapages, commente un ancien dirigeant de banque. Il y a dans les agences bancaires à l'occasion des introductions en Bourse, une pression énorme. EDF comme GDF, comme France Télécom sont souvent clients de grandes banques, et c'est à qui fera le meilleur chiffre. »

Des conseillers bancaires le confirment : « On nous force à violer le client ». « Avant EDF, on n'avait jamais eu une pression pareille. Il y avait un challenge à qui vendrait le plus d'actions. » « Dans telle ou telle agence, on a fait des ventes sans l'accord du client. »

Car c'est le second aspect de l'affaire ; des femmes, des hommes et semble-t-il, plus particulièrement des personnes âgées retraitées, ont été « promus » à leur insu, au rang de souscripteurs d'actions EDF, sans que l'on ait pris leur avis et sans qu'ils aient donné leur accord.

Il apparaît même que des bulletins d'achat de titres aient été établis en utilisant jusqu'au nom des enfants de clients.

« C'est la première fois que nous avons des cas signalés de souscription forcée sur une introduction en Bourse » a estimé devoir préciser le Médiateur de l'Autorité des marchés financiers, qui a d'ores et déjà reconnu l'existence avérée de plusieurs dizaines de cas. Des cas qui peuvent aller de quelques centaines d'euros à plusieurs milliers !

Toute la lumière doit donc être faite, sans attendre, sur ces différents aspects ainsi que sur la façon dont a pesé et compté le fait que les banques, commissionnées, aient pu tirer au passage et à raison, si ces chiffres sont vérifiés, de cinq à sept euros par action, un bénéfice de quelques 140 millions d'euros qui nourrissent les profits records qu'elles enregistrent en 2005.

Par tous ces aspects, cette affaire dépasse infiniment le cadre strict du secteur bancaire et les compétences de l'Autorité des marchés financiers aujourd'hui à la recherche d'accords amiables !

Tout cela va en effet très au-delà et met en cause des responsabilités politiques évidentes dès lors qu'une opération de privatisation voulue par le gouvernement en place, d'une entreprise nationale essentielle pour l'indépendance énergétique de la France, pour l'égalité des territoires et des citoyens, pour le développement d'énergies nouvelles, conduit à de tels dérapages et à de telles manœuvres.

Cela pose notamment toute une série supplémentaire de questions sur les manipulations ayant accompagné la mise en Bourse d'une partie du capital d'EDF. Pourquoi et sur la base de quelles informations, les investisseurs institutionnels (fonds de pensions, sociétés, grandes entreprises), ont-ils paru renâcler à prendre des actions, estimant le cours d'introduction trop élevé en fonction des progressions du titre à long terme ?

Le Ministère de l'Économie et des Finances a-t-il incité le réseau bancaire à faire le forcing auprès de ses clients, simples particuliers, pour placer un maximum d'actions afin que l'opération privatisation n'échoue pas lamentablement ? La question mérite d'être prioritairement posée au vu de déclarations de directeurs du milieu bancaire : « Nous avons dû contribuer, à la demande du gouvernement, à introduire en Bourse un titre sur un temps extrêmement court et imposé. »

Des explications devront aussi être apportées sur cet aspect du dossier, qui jette une lumière crue sur l'interpénétration dans cette société ultralibérale, du monde des affaires et des responsabilités d'État.

Le Premier ministre, Dominique de Villepin, déclarait le 25 octobre 2005 à l'Assemblée nationale, en réponse à l'interpellation du Président des députés communistes et républicains : « j'ai décidé hier, d'augmenter le capital d'EDF. Je vous rappelle que le Parlement s'est prononcé pour le changement de statut d'EDF en août 2004, à l'initiative de Nicolas Sarkozy. Cette décision est bonne pour l'entreprise ». On voit déjà et sur ce seul plan, les résultats !

Cette question du rôle joué par les Pouvoirs publics dans cette affaire se pose avec d'autant plus d'acuité que dès son deuxième jour de cotation, fin novembre 2005, l'action EDF finissait à 31,05 euros, c'est-à-dire sous le prix payé par les particuliers.

La presse soulignait alors qu'à la demande du gouvernement qui ne pouvait pour des raisons politiques et budgétaires, laisser l'action EDF s'effondrer et voir cette chute accompagner le bradage de ce patrimoine national, les banques « introductrices » étaient incitées à acheter en masse pour sauver les meubles.

On a assisté à des reventes spéculatives colossales dès l'introduction en Bourse. Ces mouvements qui montrent en tout cas, l'instabilité du recours au « marché » pour financer le développement de l'entreprise, étaient-ils concertés et plus ou moins organisés ?

L'opération de privatisation ne rapportera que 6,3 milliards d'euros ; loin par conséquent des 7 milliards minimum escomptés. Mais cela n'empêche pas gouvernement et direction de l'entreprise d'avaliser et de mettre en œuvre un plan de réduction de la masse salariale d'EDF par le non-remplacement des départs en retraite.

Ainsi sont accomplies car tout se tient dans cette affaire, les promesses faites avant la mise en Bourse, aux futurs actionnaires. Et plus de 6 000 suppressions d'emplois sont avancées pour 2006, à l'opposé là encore, de l'intérêt général de l'entreprise, de ses salariés : et à l'opposé également de l'intérêt national.

Le document de base préalable à l'introduction d'EDF en Bourse, déposé le 23 septembre auprès de l'Autorité des marchés financiers, projetait la poursuite du programme Altitude, et l'amélioration de la rentabilité par « une évolution maîtrisée des effectifs de toutes les divisions, en tenant compte des départs à la retraite de l'ordre de 10 000 à l'horizon 2008 ».

C'est dire, au-delà de 2006, la marge de suppressions de postes que conserve la direction de l'entreprise.

Tout confirme que la privatisation d'EDF et la logique de rémunération du capital privé investi, ne peuvent se réaliser qu'au détriment des personnels, des usagers, des souscripteurs petits actionnaires abusés ou consentants, et des missions majeures de l'opérateur de service public : répondre aux besoins énergétiques de notre pays et de la planète ; pratiquer des tarifs abordables tout en respectant l'environnement et les équilibres écologiques.

Le scandale de la privatisation d'EDF s'établit donc sur plusieurs niveaux. Il renvoie aux conditions dans lesquelles l'introduction en Bourse s'est effectuée, et aux liens reliant le réseau bancaire, la direction de l'entreprise et les Pouvoirs publics ; ainsi qu'aux dispositions prises par les banques pour engager leurs clients, jusqu'à leur insu, dans cette opération.

Il est indispensable qu'un point précis, complet soit établi en toute transparence, de cette affaire et de ses conséquences, y compris sur l'avenir d'EDF et sur ses capacités à mener à bien les missions de service public qui lui sont dévolues.

C'est pourquoi les députés communistes et républicains déposent cette proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la privatisation d'EDF, son introduction en Bourse et les conditions d'ouverture partielle de son capital au « marché » financier.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du règlement, est créée une commission d'enquête de trente membres chargée d'investiguer sur les conditions d'introduction en Bourse d'EDF, sur l'ouverture partielle de son capital au marché financier, sur le recours à des souscripteurs forcés, et sur les conséquences résultant de cette situation globale pour l'accomplissement de ses missions de service public.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-119674-6
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 2790 - Proposition de résolution de M. Alain Bocquet tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions d'introduction en Bourse d'EDF, sur l'ouverture de son capital au marché financier, sur le recours à des souscripteurs forcés et sur les conséquences de cette situation pour l'accomplissement de ses missions de service public


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