N° 3313 - Proposition de loi de M. Jean-Luc Warsmann visant à faciliter l'accès au crédit et à mieux protéger les consommateurs



 

N° 3313

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 septembre 2006.

PROPOSITION DE LOI

visant à faciliter l’accès au crédit
et à
mieux protéger les consommateurs,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,
à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Jean-Luc WARSMANN

Député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le crédit à la consommation figure à bien des égards, parmi les plus honorables institutions créées en faveur des particuliers. Il est un facteur de développement de l’économie, et s’avère particulièrement utile d’un point de vue social, dans la mesure où il a pour objet de permettre à la plus grande partie de la population, d’évoluer normalement au sein de l’espace économique.

Néanmoins, force est de constater que l’état du droit positif annihile partiellement cette vocation. Lorsqu’ils contractent des crédits à la consommation, les particuliers doivent prendre en compte l’existence d’inconvénients susceptibles d’éclipser, à court ou à long terme, les avantages escomptés.

En amont, il s’agit du droit de timbre applicable à tous les crédits à la consommation, et dont le montant est fonction de la taille du dossier de demande. Sa suppression permettrait de faciliter l’accès aux crédits de tous montants aux particuliers.

En aval, se trouve concerné le surendettement, dont sont victimes, chaque année, plusieurs dizaines de milliers de foyers en France. Or, il s’avère que sur dix dossiers déposés devant les commissions de surendettement, six voient la part d’endettement bancaire ou financier représenter au moins 75 % de la totalité des dettes.

Aussi, pour rendre au crédit à la consommation sa fonction réelle, il apparaît nécessaire de modifier la réglementation actuellement applicable.

Le dispositif légal actuel comprend trois degrés de traitement du surendettement. Chaque degré correspond à une strate législative, et s’insère dans une politique développée à compter de la fin des années 1980. Il s’agit premièrement, des lois des 31 décembre 1989 et 8 février 1995, établissant des mesures « ordinaires » de traitement du surendettement. Il s’agit ensuite, de la loi du 29 juillet 1998, instaurant des mesures « extraordinaires » de traitement. Ces deux degrés concernent les situations qui ne sont pas irrémédiablement compromises. Il s’agit enfin, de la loi d’orientation sur la ville du 1er août 2003, dite « Borloo », qui a institué une procédure de rétablissement personnel (dite de « faillite civile »). Ce dernier degré vise les situations irrémédiablement compromises dans lesquelles le débiteur est de bonne foi. Néanmoins, cet ensemble normatif revêt un caractère essentiellement curatif.

Or en 2004, la France comptait plus d’un million de foyers surendettés, soit 3,8 % des Français, dont plus de la moitié de manière très grave. La même année, 190 000 dossiers étaient déposés par des particuliers, devant les commissions de surendettement. Ce chiffre, confronté aux 64 000 dossiers déposés en 1992, révèle une hausse de l’ordre de 200 % en seulement douze ans.

Cette situation se trouve aggravée par l’évolution de la part du surendettement « passif », c’est-à-dire du surendettement dû à des accidents de la vie. En effet, ceux-ci représentaient en 2001, 63,6 % de l’ensemble des dossiers déposés devant les commissions de surendettement. Ce chiffre a sensiblement évolué en l’espace de trois années, pour atteindre 72,9 % en 2004. À l’inverse, le surendettement dit « actif », c’est-à-dire dû à une mauvaise gestion de l’emprunteur, passait de 36,4 % en 2001 à 27,1 % en 2004, soit une diminution de près de 10 %.

Dans ce contexte, les syndicats de la Banque de France ont fait connaître leurs préoccupations au regard de l’importance des moyens nécessaires, afin d’assurer la pleine effectivité des dispositions de la loi « Borloo ». Cette crainte a également été exprimée par les juges de première instance, à l’occasion d’un colloque qui s’est tenu le 23 septembre 2005, à Paris.

Selon Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France, le traitement administratif des dossiers de surendettement mobiliserait 12 % des effectifs de la Banque de France, et coûterait 180 millions d’euros par an. À ces données chiffrées, s’ajoutent les coûts liés à la mobilisation du service public de la justice, aux aides dispensées aux personnes surendettées par l’État et les collectivités territoriales, ainsi qu’aux subsides accordés par le fonds de solidarité du logement, le fonds de solidarité énergie et le fonds de service universel des télécommunications. Enfin, il est nécessaire de prendre en compte les pertes subies par les établissements de crédit qui ne peuvent recouvrir les sommes dues par les personnes surendettées.

Au regard de ces différents éléments d’information, la présente proposition suggère de compléter le système actuel fondé sur un traitement curatif et public du surendettement, par des mesures reposant sur trois nouveaux objectifs :

1) Prévenir le surendettement ;

2) Associer les établissements de crédit à la lutte contre le surendettement, et les responsabiliser ;

Sur ce deuxième point, il convient de rappeler qu’une telle possibilité a déjà été envisagée au niveau communautaire. En effet, la Commission européenne a déposé une proposition de directive tendant à encadrer le crédit à la consommation. Ce texte, publié le 11 septembre 2002, a été voté en première lecture, le 28 octobre 2004, par le Parlement européen. Son article 9 dispose que « le prêteur adhère au principe du prêt responsable ». Ce principe implique notamment :

D’une part que « les prêteurs doivent évaluer la solvabilité du consommateur sur la base des informations fournies par ce dernier et, le cas échéant, en consultant des bases de données ».

D’autre part que le prêteur a une obligation de conseil envers son client : il doit lui indiquer le crédit le plus approprié à sa situation, voire le dissuader de s’endetter.

3) Donner les moyens aux emprunteurs, de ne pas se surendetter, et les responsabiliser.

Dans cette perspective, le recours aux dispositifs existants à l’étranger, dans certains secteurs économiques de la France, ou mis en œuvre sur la base du volontariat par certains établissements de crédit établis sur le territoire national, semble offrir deux solutions appropriées :

a) La création d’un fichier « positif » du crédit aux particuliers (mesure de dépistage) ;

b) L’institution de centres d’information et d’accompagnement des personnes physiques en voie de surendettement (mesure de résolution préventive).

a) Concernant en premier lieu le fichier national, celui-ci serait créé et géré par la Banque de France. Dit « positif », cette centrale de données répertorierait des informations sur l’état du crédit de toute personne ayant déjà contracté un prêt. Elle viendrait ainsi s’ajouter au fichier national recensant les incidents de paiement caractérisés qui, créé par la loi du 31 décembre 1989 et placé sous le contrôle de la Banque de France, ne revêt qu’un caractère « négatif ».

Ce fichier comprendrait deux catégories d’informations sur les détenteurs de crédit : des données d’ordre personnel (nom, prénom, âge, adresse,...) ; et des données sur les financements (nombre et type de prêt souscrit, échéances de remboursement,...).

Ce répertoire serait soumis aux dispositions de la version consolidée de la loi du 6 février 1978 relative à l’informatique et aux libertés, et sa consultation se verrait limitée aux seuls établissements de crédit auprès desquels un particulier aurait déposé une demande de prêt.

La consultation de cette base de donnée revêtirait un caractère obligatoire pour les établissements de crédit concernés. Ainsi, la responsabilité de l’établissement de crédit pour octroi de crédit excessif, se trouverait renforcée. Dans l’hypothèse où un établissement accorderait un prêt à une personne en voie de surendettement, sans avoir préalablement vérifié la solvabilité de celle-ci, il se verrait déchu de son droit au recouvrement des intérêts dus par l’emprunteur. De la même façon, un établissement de crédit qui accorderait un prêt, en dépit de la constatation d’un risque de surendettement de l’emprunteur, se verrait sanctionné pour non-respect de l’obligation de conseil qui lui est imparti. Certes, cette dernière hypothèse de sanction existe déjà en vertu de la jurisprudence, néanmoins les établissements de crédit seraient, avec l’instauration d’un répertoire central, dans l’impossibilité presque totale de s’exonérer par l’invocation systématique de la faute de l’emprunteur.

Enfin, le coût de fonctionnement de ce fichier serait à la charge des établissements de crédit usagers. De manière plus précise, chaque consultation du répertoire, serait facturée à l’établissement usager. Ainsi, la Banque de France n’aura pas à supporter ce coût.

Un tel instrument a déjà été adopté par de nombreux États de l’Union européenne, et notamment par quatre des six membres fondateurs : Allemagne, Italie, Pays-Bas et Belgique. S’agissant plus spécifiquement de la Belgique, celle-ci, après avoir, à l’instar de la France, instauré un répertoire « négatif » au début des années 1990, a créé en 2001, une centrale d’information des crédits aux particuliers gérée par la Banque nationale. La consultation des fichiers « négatif » et « positif » belges, à la charge des usagers, générerait 4 millions d’euros de recettes par an, permettant ainsi de couvrir leur coût global de fonctionnement.

En outre, existe en France depuis 1982, un fichier bancaire des entreprises (FIBEN), de caractère « positif ». À ce jour, 3 500 000 d’entreprises et 2 500 000 dirigeants s’y trouvent répertoriés. À partir des informations centralisées la Banque de France attribue une cote qui reflète la capacité des entreprises et groupes à honorer leurs engagements financiers.

Il est nécessaire de relever que l’utilité de ce répertoire dépasserait amplement le seul objectif de prévention des situations de surendettement. En effet, il devrait également permettre de prévenir la fraude et de responsabiliser les acteurs d’une opération de prêt. Concernant ce dernier point, l’existence d’un répertoire et le caractère obligatoire de sa consultation devraient permettre un changement de mentalité, aussi bien de la part des prêteurs que des emprunteurs.

b) S’agissant en second lieu de la création de centres d’information et d’accompagnement des personnes physiques en voie de surendettement, celle-ci permettrait aux emprunteurs de trouver une issue à leurs difficultés financières, le plus tôt possible.

Chaque établissement de crédit devrait établir ou participer à la création d’un tel organisme, puis verser par la suite, une partie de ses résultats nets annuels, à son fonctionnement et à l’exercice de ses missions. Cette part de résultat s’élèverait à hauteur de 1 % de leur montant total annuel, et prendrait le nom de « 1 % solidaire ».

Ces centres seraient indépendants des établissements de crédit ayant conduit à leur création, et par voie de conséquence, ne pourraient être intégrés aux services commerciaux de ces derniers. Il serait d’ailleurs opportun de prévoir un agrément obligatoire du statut de ces entités, par la Banque de France.

Ils prendraient la forme d’associations visées par les dispositions de la loi du 1er juillet 1901, de sorte qu’ils exerceraient des activités à but non lucratif.

Les missions exercées par les centres seraient essentiellement au nombre de trois :

1) Conseiller et accompagner les personnes en voie de surendettement, afin de permettre une restructuration de leurs emprunts. Il s’agit d’informer les emprunteurs sur le « mal-endettement », et de leur préconiser des solutions adaptées à leur situation.

2) Accorder de manière conditionnelle, des « crédits solidaires » :

Il s’agit d’une part, d’accorder des prêts visant à restaurer une situation financière dégradée. Cette activité qui concerne principalement les personnes en voie de surendettement, est indissociable de la mission précédente. Elle consiste pour chaque centre, à concrétiser ses conseils en refinançant les crédits de l’emprunteur, c’est-à-dire en remplaçant tout ou partie des crédits en cours par un prêt global à taux modéré et d’une durée de remboursement plus longue.

Il s’agit d’autre part, d’accorder des petits prêts de dépannage à des personnes qui, sans être en voie de surendettement, n’ont pas accès au crédit. Or, comme l’avait relevé le Président de la République dans ses « vœux aux forces vives » pour 2005, 40 % des Français se trouvent largement exclus de l’accès au crédit, du fait de leur situation financière. Aussi, en octroyant des prêts selon des modalités préférentielles, cette mesure permettrait de prévenir plus en amont, le risque de surendettement.

Il s’agit enfin, d’accorder des micro-crédits visant à permettre la création d’activités indépendantes. Cette mesure consiste à soutenir un endettement contrôlé, en vue d’assurer le développement de petites structures économiques.

3) Coopérer avec la Banque de France, les commissions de surendettement, les services judiciaires, les services de l’État et des collectivités territoriales accordant des aides, et les divers organismes octroyant des subsides aux personnes endettées, afin d’améliorer la lutte contre le surendettement.

Afin d’assurer aux consommateurs un meilleur accès au crédit et une protection accrue contre le surendettement, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, d’adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L’article L. 311-18 du code de la consommation est abrogé.

Article 2

I. – Dans le chapitre III du titre Ier du livre III du code de la consommation, les sections 1 à 8 deviennent les sections 2 à 9 et les articles L. 313-1 à L. 313-16 deviennent les articles L. 313-6 à L. 313-21.

II. – Dans le même chapitre III, il est rétabli une section 1 ainsi rédigée :

« Section 1

« Fichier national des crédits

« Art. L. 313-1. – Il est institué un fichier national recensant les crédits accordés aux personnes physiques pour des besoins non professionnels. Ce fichier est géré par la Banque de France.

« Le fichier fait état pour chaque emprunteur, du ou des crédits contractés, de leurs montants, des taux d’intérêts qui leurs sont appliqués et de leurs échéances de remboursement. Il est soumis aux dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

« Art. L. 313-2. – Le fichier national des crédits est consulté par les établissements visés par le titre Ier du livre V du code monétaire et financier, dans le cas où un emprunteur sollicite un crédit auprès d’eux. Dans cette hypothèse, la Banque de France est déliée du secret professionnel pour diffuser à ces établissements les informations nominatives contenues dans ledit fichier.

« Il est interdit à la Banque de France et aux établissements visés au premier alinéa de remettre à quiconque copie, sous quelque forme que ce soit, des informations contenues dans le fichier, sous peine des sanctions prévues aux articles 226-21 et 226-22 du code pénal.

« Art. L. 313-3. – Lorsque qu’un des établissements visés à l’article L. 313-2 constate que l’un de ses clients est en voie de surendettement, il l’oriente vers le centre d’information et d’accompagnement auquel il est affilié afin que, dans les conditions définies à l’article L. 330-3, ce dernier lui propose toute mesure utile au rétablissement de sa solvabilité.

« Art. L. 313-4. – Chaque consultation du fichier national des crédits par les établissements visés à l’article L. 313-2 donne lieu au paiement par ces derniers d’une redevance.

« Les redevances, dont le montant est fixé par un arrêté du ministre de l’économie et des finances, après consultation de la banque de France et des établissements susvisés, sont perçues par la Banque de France afin de financer les coûts de la création et du fonctionnement du fichier.

« Art. L. 313-5. – Le prêteur qui accorde un crédit sans avoir consulté le fichier national des crédits est déchu du droit aux intérêts. L’emprunteur ou sa caution ne sont alors tenus qu’au seul remboursement du capital suivant l’échéancier prévu. Les sommes perçues au titre des intérêts, qui sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jour de leur versement, seront restituées par le prêteur ou imputées sur le capital restant dû. »

Article 3

Après l’article L. 330-1 du code de la consommation, il est inséré un chapitre préliminaire ainsi rédigé :

« Chapitre préliminaire

« De la procédure devant le centre d’information
et d’accompagnement des personnes physiques
en voie de surendettement

« Art. L. 330-2. – Chaque établissement visé à l’article L. 313-2 institue un centre d’information et d’accompagnement des personnes physiques en voie de surendettement, sous la forme d’une association à but non lucratif régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. Il peut l’instituer conjointement avec d’autres semblables établissements.

« Art. L. 330-3. – Le centre d’information et d’accompagnement a pour mission en coordination avec les autres organismes publics et privés d lutte contre le surendettement, de conseiller et d’accompagner les personnes physiques en voie de surendettement dans la gestion de leurs emprunts. Lorsque les ressources ou l’actif réalisable du débiteur le permettent, le centre lui propose toute mesure utile au rétablissement de sa solvabilité.

« Le centre peut proposer aux personnes en voie de surendettement une conciliation avec les principaux créanciers et élaborer, avec leur accord, un plan conventionnel de redressement dans les conditions fixées par l’article L. 331-6.

« À la demande des personnes en voie de surendettement, le centre peu accorder des prêts à taux réduit afin de favoriser leur rétablissement financier.

« Art. L. 330-4. – Chaque établissement visé à l’article L. 313-2 verse au moins 1 % de son résultat net annuel à un centre d’information et d’accompagnement des personnes physiques en voie de surendettement, pour assurer son fonctionnement et le financement des mesures visées à l’article L. 330-3. »

Article 4

Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application de la présente loi.

Composé et imprimé pour l’Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-121450-7
ISSN : 1240 – 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
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