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mis en distribution
le 13 novembre 2006
N° 3421
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 novembre 2006.
PROPOSITION DE LOI
visant à modifier le mode de calcul de la
dotation globale de fonctionnement,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉE
PAR MM. Hervé MARITON, Céleste LETT, Thierry MARIANI, Franck MARLIN, Jean-Claude MATHIS, Pierre MÉHAIGNERIE, Christian MENARD, Pierre MICAUX, Jean-Marie MORISSET, Georges MOTHRON, Alain Moyne-Bressand, Daniel Prévost, Didier QUENTIN, Michel RAISON, Jean-François Régère, Serge ROQUES, Jean-Marc ROUBAUD, Michel Roumegoux, Joël SARLOT, Alain SUGUENOT, Michel TERROT, Guy TEISSIER, Dominique TIAN, Christian VANNESTE, Philippe VITEL
Députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les dépenses des administrations publiques locales représentent, avec 177 milliards d’euros en 2004, plus de la moitié de celles du budget de l’État. Plus du tiers de ces dépenses est financé par l’État, pour un montant de 64,6 milliards d’euros prévus au budget de 2006 (dont 38,1 pour la DGF, « dotation globale de fonctionnement »). Ces concours représentent 20 % du budget de l’État. L’État joue donc un rôle très important dans le financement des dépenses des collectivités locales.
Or les dépenses de ces collectivités ont progressé depuis 20 ans à un rythme supérieur de 2 % à celui du PIB. D’après M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, « les collectivités territoriales pèsent d’un poids croissant dans l’économie. Sur les 25 dernières années, la croissance des administrations publiques locales a été en moyenne de 6,8 % par an. Les dépenses des administrations publiques locales représentent 10,5 % du PIB en 2003, contre 9,8 % en 1998 ». Cette croissance s’est accélérée dans la période récente : en 4 ans, de 2001 à 2005, les dépenses des régions ont crû de 56 %, et celles des départements de 47 %.
Cette progression n’est due qu’en partie à des transferts de compétence de l’État aux collectivités locales. Les transferts prévus par la loi Raffarin de décentralisation n’ont guère commencé à produire leurs effets. Les causes principales en sont :
1) La progression des salaires du personnel des collectivités locales (environ + 5 % par an), due notamment à une augmentation des effectifs de 2 % par an.
2) L’intercommunalité (mise en commun de services publics, confiés à des communautés de communes ou d’agglomérations), qui devait en principe réduire les dépenses, les a en fait augmentées. Les dépenses réalisées par ces groupements de communes ont été multipliées par 3,9 entre 1993 et 2003, pour atteindre 22,9 milliards d’euros. Dans le même temps, les dépenses des communes continuaient à augmenter.
3) L’empilement des impôts des différentes collectivités (régions, départements, communes et communautés de communes). La plupart des impôts locaux sont partagés entre les différentes sortes de collectivités de sorte qu’aucune n’est responsable d’un seul impôt, et qu’elles ont toutes intérêt à ce que leur part de chaque impôt soit la plus grosse possible. De plus, qui est chargé de la culture ? des sports ? de la formation professionnelle ? de l’aide sociale ? des HLM ? de la protection de l’environnement ? de l’action économique ? Toutes les collectivités, à des degrés divers ! Chacune intervient, à son niveau, en complément d’une autre institution. Les élus locaux ont donc de nombreuses raisons pour accroître leurs dépenses. D’après M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, « les collectivités territoriales restent dans une logique de moyens et non de performance ».
Ainsi, par exemple, un directeur de la SNCF a-t-il déclaré à la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’évolution de la fiscalité locale (Rapport n° 2436 – juillet 2005), à propos des dépenses des régions pour les trains régionaux : « Les régions se sont davantage attachées à améliorer la qualité du service et à développer l’offre, plutôt qu’à exiger une réduction des coûts de la SNCF. Je n’ai pas d’exemple à donner d’une politique de réduction des coûts (demandée par une région) ».
M. Marc Censi, président de l’Association des communautés de France, a déclaré à cette commission : « la multiplication des acteurs locaux et l’incohérence des politiques menées sont un vrai problème… S’il y a une économie à faire, c’est dans l’imbroglio des compétences et la concurrence entre départements et régions. Les différents niveaux de collectivités sont mis en concurrence et chacun souhaite planter son drapeau sur les opérations locales. Il y a là une véritable gabegie que personne ne veut ni dénoncer, ni mesurer ».
4) L’État lui-même encourage l’augmentation des dépenses locales. En premier lieu, ses dotations aux collectivités locales sont en augmentation constante, toujours supérieure à la hausse des prix : + 2,7 % par exemple en 2006 pour la DGF ; + 5,5 % pour la dotation d’intercommunalité en 2005. De plus la répartition de ces dotations est faite pour encourager la dépense. Ainsi la « dotation nationale de péréquation » est réservée aux communes dont « l’effort fiscal est supérieur à l’effort fiscal moyen des communes appartenant au même groupe démographique » (art. L. 2334-14 du code général des collectivités locales). Elle est donc réservée à celles qui dépensent le plus. De même l’« effort fiscal » est pris en compte pour la « dotation de solidarité urbaine » et la « dotation de solidarité rurale ». D’après l’article L. 2334-15 du code général des collectivités locales, une « dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale » est versée aux communes urbaines qui dépensent le plus en logements sociaux et en aides au logement. Les communes dont le taux de taxe professionnelle est inférieur à la moyenne nationale doivent verser une « cotisation de péréquation ».
En outre, de nombreux dégrèvements d’impôts locaux initiés par l’État ont poussé les collectivités locales, pour augmenter les dotations compensatrices de l’État, à augmenter leurs impôts. Comme l’a indiqué le sénateur Yves Fréville, les dégrèvements législatifs de taxe d’habitation s’apparentent à une « subvention implicite de l’État au profit des collectivités locales les plus imposées ».
De même, le bonus de DGF accordé par l’État aux communautés de communes a été pour moitié absorbé par des charges de structure supplémentaires, notamment par des augmentations d’effectifs de salariés, et des augmentations de salaires des personnels transférés des communes aux communautés de communes.
Pour les députés UDF membres de la commission précitée « trop de mécanismes financiers initiés par l’État favorisent les collectivités dépensières au détriment de celles qui ont fait le choix de la modération de la dépense et de la pression fiscale ».
Les dotations de l’État sont de ce fait les plus élevées pour les collectivités qui dépensent le plus. Celles-ci sont généralement les plus riches. Alors que la dotation moyenne de DGF aux communes était en 2003 de 185 euros par habitant, celle de la ville de Paris était de 65 % supérieure, et la commune qui en recevait le moins était Rungis. Le dégrèvement de taxe d’habitation pris en charge par l’État est, par habitant, 4,5 fois plus élevé dans les Alpes-Maritimes qu’en Lozère.
Pour M. Alain Guengant, directeur de recherche au CNRS et professeur à l’université de Rennes 1 « sur le rapport entre la richesse et la dépense, la réponse est claire : si certaines collectivités dépensent plus que d’autres, c’est d’abord et principalement parce qu’elles sont plus riches. Les travaux économétriques sur l’origine de la dépense communale, départementale et régionale ont montré que l’inégalité de la dépense par habitant tient pour les deux tiers à la richesse, le reste tenant aux différences de composition sociologique et enfin aux choix politiques. Le comportement des collectivités s’apparente quelque peu à celui du consommateur : plus on a de revenus, plus on consomme ». En 2005, la dépense moyenne par habitant des communes de plus de 300.000 habitants était, à 2118 €/an, 2,14 fois celle des communes de moins de 500 habitants. La « péréquation », en principe destinée à favoriser les collectivités les plus pauvres, qui a été inscrite dans la Constitution, n’est actuellement qu’un mirage.
De plus en plus de voix s’élèvent pour dire que cette situation ne peut plus durer. Le ministre du budget Jean-François Copé a déclaré : « il faut clairement poser la question de la modération des dépenses publiques locales ». Le rapport Camdessus a souhaité « mettre sous contrainte financière les dépenses des collectivités locales », et le rapport Pébereau a proposé de « stabiliser les dotations de l’État aux collectivités locales en euros courants ».
Cette dernière proposition n’est réalisable qu’en changeant profondément le mode de répartition des dotations de l’État, car les transferts de compétence prévus par la loi Raffarin de décentralisation devraient normalement augmenter dans les années à venir les dotations de l’État aux collectivités locales. La stabilisation proposée par le rapport Pébereau est en réalité une diminution. Celle-ci ne sera possible que si l’État pèse de tout son poids pour changer la tendance actuelle.
Un principe clair de répartition des dotations devrait être adopté : que la dotation globale de fonctionnement de l’État soit d’autant plus forte que la collectivité dépense peu, c’est-à-dire est plus pauvre. Seule l’application de ce principe permettra de réduire fortement les dotations de l’État aux collectivités les plus dépensières, c’est-à-dire les plus riches, qui ont moins besoin que les autres de ces dotations. La stabilisation globale pourra alors être atteinte, tout en augmentant les dotations aux collectivités les moins dépensières, qui en ont le plus besoin. Le principe de péréquation sera alors réellement appliqué, et la bonne gestion des collectivités locales encouragée.
Ce nouveau mode de répartition des dotations de l’État aux collectivités locales ne s’oppose en rien à la libre administration de ces collectivités, consacrée par la Constitution. Pas plus que le système actuel. M. Dominique Schmitt, directeur général des collectivités locales, a déclaré à la commission d’enquête sur l’évolution de la fiscalité locale : « nous sommes régis par le principe de libre administration des collectivités territoriales ; la DGCL n’a absolument aucun rôle de régulation. [...] Nous ne pouvons jouer que sur un élément : l’évolution des dotations aux collectivités territoriales. C’est le seul que l’État contrôle ». Les dépenses des collectivités restent donc libres d’évoluer comme le décident les assemblées locales, et l’État reste libre de revoir les modalités de son effort financier en faveur des collectivités.
La mise en œuvre de cette nouvelle répartition est simple à concevoir : les régions, comme les départements, seront classées par ordre décroissant de dépenses par habitant. Les dotations autres que la dotation forfaitaire de DGF ne seront pas modifiées. La dotation forfaitaire de DGF qui sera versée par habitant sera la plus faible (20 % de la moyenne) pour la première région (ou département) de la liste, la plus dépensière, maximum pour la dernière, et calculée en moyenne de façon que le total des dotations de l’État aux régions (ou aux départements) soit le même qu’en 2006. D’une région (ou d’un département) à la suivante (au suivant) dans la liste, la dotation moyenne par habitant croîtra d’une valeur identique.
Pour les communes, il en sera de même, avec deux compléments :
– Les dépenses des communautés de communes (ou communautés d’agglomérations) seront affectées à chaque commune participant à une communauté au prorata de la population de la commune, sous déduction des montants versés à la communauté par cette commune. Les dotations de l’État versées aux communautés seront affectées à chaque commune au prorata de sa population.
– Plusieurs classements des communes seront faits, suivant la taille des communes, par exemple en reprenant les quinze « groupes démographiques » de l’article L. 2334-3 du code général des collectivités locales, ou en les regroupant en trois à cinq groupes.
Pour assurer une transition douce entre le régime actuel et le régime proposé de calcul de la partie forfaitaire de la DGF, la transition sera étalée sur 3 ans : en 2007, la dotation forfaitaire de DGF d’une collectivité sera égale à celle de 2006, plus le tiers de la différence entre le nouveau calcul et l’ancien ; en 2008, celle de 2006, plus les deux tiers de la différence ; en 2009, le nouveau calcul serait appliqué.
En l’absence d’une réforme fondamentale telle que celle décrite ci-dessus, il n’y a aucune chance pour que notre pays puisse à la fois maîtriser sa dépense publique, tant au niveau national que local, appliquer la loi Raffarin de décentralisation, et permettre à ses collectivités les plus pauvres, notamment les communes des banlieues des grandes villes, de répondre aux besoins de leur population.
En revanche la mise en place d’un dispositif tel que celui présenté réalisera une grande partie du « sursaut » souhaité par la commission Camdessus pour mettre fin au « décrochage » de notre pays, l’arrêt du « laxisme » de la dépense publique condamné par la commission Pébereau, et une véritable application du principe constitutionnel de péréquation.
Tel est, Mesdames, Messieurs, l’objet de la présente proposition de loi que nous vous demandons de bien vouloir adopter.
PROPOSITION DE LOI
Article premier
I. – L’article L. 1613-1 du code général des collectivités territoriales est abrogé.
II. – Les deuxième à dernier alinéas de l’article L. 2334-1 du même code sont supprimés.
Article 2
L’article L. 2334-7 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigé :
« Art. L. 2334-7. – « Pour chacun des groupes de communes définis à la sous-section 1, à l’exception des communes de moins de 2 000 habitants, le total des dotations forfaitaires de l’État sera calculé, en 2009 et les années suivantes, de façon à ce que le total des dotations de l’État à chaque groupe soit identique au total versé en 2006. A l’intérieur de chaque groupe, les communes seront classées par ordre décroissant de dépenses totales par habitant prévues dans les budgets de l’année. La première recevra 20 % de la dotation forfaitaire moyenne des communes de son groupe. La dotation des autres sera telle que la dotation moyenne par habitant de toutes les communes du groupe soit égale à la dotation forfaitaire totale du groupe, divisée par le nombre d’habitants des communes du groupe, et que le montant de la progression de la dotation forfaitaire moyenne de chaque commune soit identique quand on passe d’une commune à la suivante dans la liste.
« Les dépenses des communautés de communes ou des communautés d’agglomérations seront affectées à chaque commune participant à une communauté au prorata de la population de la commune, sous déduction des montants versés à la communauté par cette commune. Les dotations de l’État versées aux communautés seront affectées à chaque commune au prorata de sa population .
« En 2007, la dotation forfaitaire de chaque commune sera égale à sa dotation de 2006, plus ou moins le tiers de la différence entre celle-ci et celle qu’aurait donné le calcul précédent.
« En 2008, la dotation forfaitaire de chaque commune sera égale à sa dotation de 2006, plus ou moins les deux tiers de la différence entre celle-ci et celle qu’aurait donné le calcul précédent. »
Article 3
Le premier alinéa de l’article L. 3334-1 du code général des collectivités territoriales est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« Les départements reçoivent une dotation forfaitaire, une dotation de péréquation et des concours particuliers. Le total des dotations forfaitaires de l’État aux départements sera calculé de façon que le total des dotations de l’État aux départements soit égal, en 2009 et les années suivantes, au total versé en 2006. Les départements seront classés par ordre décroissant de dépenses totales par habitant prévues dans les budgets de l’année. Le premier recevra une dotation forfaitaire égale à 20 % de la moyenne de celles de tous les départements. La dotation des autres sera telle que la dotation moyenne par habitant de tous les départements soit égale à la dotation forfaitaire totale des départements, divisée par le nombre d’habitants, et que le montant de la progression de la dotation forfaitaire moyenne de chaque département soit identique quand on passe d’un département au suivant dans la liste.
« En 2007, la dotation forfaitaire de chaque département sera égale à sa dotation de 2006, plus ou moins le tiers de la différence entre celle-ci et celle qu’aurait donné le calcul précédent.
« En 2008, la dotation forfaitaire de chaque département sera égale à sa dotation de 2006, plus ou moins les deux tiers de la différence entre celle-ci et celle qu’aurait donné le calcul précédent. »
Article 4
L’article L. 4332-4 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigé :
« Art. L. 4332-4. – Les régions reçoivent une dotation forfaitaire et, éventuellement, une dotation de péréquation. Le total des dotations forfaitaires de l’État aux régions sera calculé de façon que le total des dotations de l’État aux régions soit égal, en 2009 et les années suivantes, au total versé en 2006. Les régions seront classées par ordre décroissant de dépenses totales par habitant prévues dans les budgets de l’année. La première recevra une dotation forfaitaire égale à 20 % de la moyenne de celles de toutes les régions. La dotation des autres sera telle que la dotation moyenne par habitant de toutes les régions soit égale à la dotation forfaitaire totale des régions, divisée par le nombre d’habitants, et que le montant de la progression de la dotation forfaitaire moyenne de chaque région soit identique quand on passe d’une région à la suivante dans la liste.
« En 2007, la dotation forfaitaire de chaque région sera égale à sa dotation de 2006, plus ou moins le tiers de la différence entre celle-ci et celle qu’aurait donné le calcul précédent.
« En 2008, la dotation forfaitaire de chaque région sera égale à sa dotation de 2006, plus ou moins les deux tiers de la différence entre celle-ci et celle qu’aurait donné le calcul précédent. »
Article 5
Les pertes de recettes éventuelles qui résulteraient pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par l’augmentation des tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
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