N° 3659 - Proposition de résolution de M. André Chassaigne tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conditions d’application des politiques de santé sur les territoires et dans les établissements de proximité, et plus précisément sur les raisons qui ont conduit à la fermeture de la maternité d’Ambert



Document

mis en distribution

le 15 février 2007


N° 3659

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 février 2007.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conditions d’application des politiques de santé sur les territoires et dans les établissements de proximité, et plus précisément sur les raisons qui ont conduit à la fermeture de la maternité d’Ambert,

(Renvoyé à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales,
à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement
.)

PRÉSENTÉE

PAR MM. André CHASSAIGNE, Alain BOCQUET, François ASENSI, Gilbert BIESSY, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Jacques BRUNHES, Mme Marie-George BUFFET, MM. Jacques DESALLANGRE, Frédéric DUTOIT, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. André GERIN, Pierre GOLDBERG, Maxime GREMETZ, Georges HAGE, Mmes Muguette JACQUAINT, Janine JAMBU, MM. Jean-Claude LEFORT, François LIBERTI, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXES 1,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

À la Libération, sous l’autorité du ministre communiste Ambroise Croizat, la création de la sécurité sociale a été une étape importante permettant à chacun d’accéder à un niveau de soins sans précèdent quelle que soit sa condition sociale. Au fil des années, à l’image de cette grande conquête, un système de santé solidaire et performant s’est construit sur les principes constitutifs du service public que sont la continuité et l’égalité. L’instauration d’une péréquation tarifaire a scellé ces principes contribuant du même coup à un aménagement harmonieux du territoire national.

Pourtant, depuis plusieurs années, notamment depuis l’adoption du traité de Maastricht, la logique libérale qui inspire les politiques gouvernementales a introduit de profonds dysfonctionnements qui remettent gravement en cause le droit fondamental de se soigner. Durant cette législature, le Parlement, en adoptant le plan « Hôpital 2007 », a amplifié cette logique marchande dans laquelle il veut enfermer notre système de santé. Les hôpitaux sont financièrement à bout de souffle. Depuis des années, les dépenses votées par le Parlement sur proposition du gouvernement sont toujours inférieures aux besoins.

Or, le budget 2007 va amplifier cette politique suicidaire puisque la direction de la CNAM (Caisse nationale de l’assurance maladie) veut donner un nouveau tour de vis aux dépenses en ciblant spécialement les hôpitaux dont les besoins en financements nouveaux sont pourtant évalués à plus de deux milliards d’euros selon la Fédération hospitalière de France (FHF). En refusant de donner aux établissements les moyens budgétaires nécessaires, le gouvernement les oblige à contracter des emprunts importants à des taux élevés, ce qui conduit à des situations de surendettement dramatiques. Dans le même temps, les agences régionales de l’hospitalisation (ARH) manient la carotte financière pour obtenir des projets d’établissements qui s’inscrivent totalement dans la logique gouvernementale de restrictions des dépenses de santé.

De plus, la tarification dite à l’activité (T2A), élément clé du plan « Hôpital 2007 », vient amplifier les difficultés budgétaires. Il y a quelques mois, un rapport commun à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et à l’Inspection générale des finances (IGF) soulignait le rôle néfaste de la T2A dans le dérapage budgétaire des hôpitaux. Ce rapport préconisait même une pause dans l’application de la T2A. En privilégiant la spécialisation sur les activités les plus rentables, elle va consacrer une compétition entre les établissements qui va dégrader la qualité des soins tout en favorisant l’hospitalisation privée par le « tri » des pathologies et des malades.

La logique financière du plan « Hôpital 2007 » s’est accompagnée d’une réforme budgétaire fondamentale : les crédits ne sont plus attribués aux établissements en fonction des besoins, mais un état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD) est défini sans référence aux prévisions d’activité hospitalière ni aux besoins de soins mais en fonction d’équilibres budgétaires à court terme. La T2A fonctionne donc à l’intérieur d’une enveloppe fermée. Si l’activité augmente, le gouvernement diminue les tarifs pour rester à l’intérieur de l’enveloppe. Nous assistons donc à une vraie duperie puisque les tarifs n’ont plus de lien avec le coût réel des activités.

Ce système pervers qui introduit une gestion de type privée au sein de l’hôpital va progressivement amputer le niveau général de ses moyens budgétaires. Ainsi, à la logique qui devrait répondre aux attentes des ayants droit, cette tarification substitue un mode de financement qui non seulement ne part plus des besoins mais introduit une concurrence généralisée entre les établissements publics et privés.

Enfin, « Hôpital 2007 » porte également un coup à la démocratie au sein de chaque établissement. Leur fonctionnement est profondément modifié au détriment des conseils d’administration. Les directeurs d’ARH deviennent omnipotents. Ils sont désormais les supérieurs hiérarchiques directs des chefs d’établissements. En réalité, ce plan gouvernemental est une machine de guerre contre notre système de santé.

La politique gouvernementale est marquée d’un dogme obsessionnel: la limitation des dépenses remboursées. Cette logique comptable n’est pas compatible avec un système de santé dont l’ambition est de répondre aux besoins. Considérer qu’il suffit de diminuer l’offre de soins afin de maîtriser les dépenses de santé est une aberration. Appliquée depuis des années, cette politique n’a fait qu’aggraver la situation sans faire diminuer la demande de soins. Des milliers de lits ont été supprimés, les urgences se sont engorgées, les délais de rendez-vous pour les consultations ont augmenté. En fait, la politique du gouvernement s’obstine à nier les évidences : le vieillissement de la population, le coût des médicaments innovants et des équipements lourds et les progrès sanitaires représentent des coûts supplémentaires pour notre système de santé. Le courage politique ne consiste pas à nier cette évolution mais au contraire à trouver les moyens nécessaires pour financer ces besoins nouveaux. C’est tout simplement le coût de la solidarité nationale. Il s’agit donc bien d’un choix politique qui ne peut se limiter au seul aspect comptable qui inspire le plan « Hôpital 2007 ». Une population en bonne santé, des établissements judicieusement répartis sur le territoire et travaillant en réseau, des équipements performants et des personnels en nombres suffisants et convenablement formés… voilà une richesse sociale et un atout économique qui ne peuvent se mesurer aux chiffres froids et sans humanité d’un budget. Il faut avoir le courage politique de se prononcer pour l’augmentation des dépenses remboursées afin d’améliorer la réponse aux besoins de santé de la population. C’est une mesure de justice sociale, d’égalité et de progrès.

C’est pourquoi cette situation pose de façon brûlante la question fondamentale des recettes nouvelles qu’il est nécessaire de dégager. Or, ces recettes potentielles existent. Le recul du chômage et l’augmentation des salaires représentent des milliards d’euros de cotisations supplémentaires. Il en est de même avec une réforme de la fiscalité qui encourage les politiques créatrices d’emplois tout en pénalisant la spéculation. Quant aux 21 milliards d’exonérations de cotisations sociales consenties aux entreprises, non seulement elles ont fait la preuve de leur inefficacité mais elles constituent un manque à gagner qui représente plus de dix fois les besoins de financement nécessaires au bon fonctionnement de l’hôpital.

Évidemment, la politique gouvernementale se décline dans chaque région avec les schémas régionaux d’organisation sanitaire 3génération (SROS) qui s’inscrivent dans les orientations du plan « Hôpital 2007 ». Le découpage de chaque région en plusieurs territoires de santé est un élément clé de cette déclinaison. Sans cohérence sanitaire, ce découpage vise à organiser la concurrence entre les établissements de chaque territoire et à les couper des grands centres hospitaliers régionaux. De plus, à la différence des cartes sanitaires pour lesquelles le ministre devait garantir l’équité de l’offre de soins, ce sont désormais les élus locaux avec les professionnels de santé qui, sur chaque territoire, devront définir un projet territorial d’offre de soins (PTOS). Ils devront définir ce projet dans le strict respect d’ « objectifs quantifiés » que les directeurs d’ARH imposeront sur chaque territoire en terme de journées et par grandes disciplines. Leur marge de manœuvre est donc un leurre. C’est bien pourquoi, aucune mention n’est faite aux besoins de santé. Au contraire, ces « objectifs quantifiés » sont enfermés dans le cadre d’une offre préalable qui ne permettra plus de rallonge budgétaire pour adapter les moyens aux besoins.

Dans cette logique, l’exemple de la région Auvergne est édifiant. « Le diagnostic partagé » effectué en commun par l’ARH et par l’URCAM a été le document de base pour l’élaboration du SROS. Il mérite que l’on s’y attarde. En effet, l’offre de soins y est systématiquement déterminée sur la perspective d’une baisse démographique et non sur la réalité des besoins. Ainsi, ce document considère que « la région Auvergne paraît souvent avantagée par rapport aux moyennes nationales en matière de taux d’équipement ». Cette analyse est tout à fait symbolique de l’alignement vers le bas qui est le fil conducteur de ce diagnostic. Une situation positive est présentée comme un avantage et donc considérée comme illégitime.

De la même façon, le document mentionnant les capacités importantes en psychiatrie considère que « l’évolution prévisible de ce secteur devra tenir compte des perspectives démographiques des spécialistes. » Là encore, la démographie médicale sert d’arguments pour diffuser l’idée qu’une baisse de l’offre est inévitable.

Le périmètre des arrondissements de Thiers et d’Ambert constitue un des neuf territoires de santé que le SROS a défini en région Auvergne. Ce territoire est un révélateur quant aux véritables objectifs du SROS et de la politique gouvernementale. Les deux maternités de Thiers et Ambert étaient encore en activité à la date de publication du SROS. Depuis le 1er août 2006, celle d’Ambert a été transformée en centre périnatal de proximité (CPP). Le manque de sécurité et la présence de la maternité de Thiers sur le territoire de santé ont servi d’arguments pour cette fermeture. Or, la maternité de Thiers est à vingt minutes seulement du CHU de Clermont-Ferrand comme l’était quasiment la maternité de Riom qui vient d’être transformée en CPP au prétexte de sa proximité avec le CHU. Il est donc totalement illusoire de penser que la fermeture de la maternité d’Ambert assure définitivement l’activité de celle de Thiers. À terme, le risque majeur est bien de ne plus pouvoir réaliser d’accouchements sur ce territoire de santé.

L’inquiétude est d’autant plus réelle qu’il est divisé en deux sous-terrtoires. Ambert au sud-est, à quelques encablures de Montbrison et Saint-Étienne dans la Loire. Thiers au nord, tourné vers le CHU de Clermont-Ferrand. Toutes les conditions sont ainsi réunies pour vider le cœur de ce territoire et aspirer ses services de santé vers les établissements régionaux les plus proches.

En fait, les objectifs conjoints du SROS et des territoires de santé prouvent combien les arguments d’insécurité qui ont prévalu dans la décision de mettre un terme aux accouchements à Ambert sont fallacieux. Par ailleurs, s’il avait fallu pallier un manque de sécurité à l’hôpital d’Ambert, il aurait été judicieux de le faire depuis bien longtemps en privilégiant l’implantation d’un service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) plutôt que l’offrir aujourd’hui comme une monnaie d’échange en contrepartie de la disparition de la maternité. De la même façon, il serait bien plus efficace de prévenir l’insécurité en reconnaissant dès maintenant la notion « d’exception géographique » dans le but de maintenir les services indispensables à cet établissement de proximité.

À l’opposé de cette notion d’exception, le Conseil national de la chirurgie (CNC), sous la plume du professeur Vallancien, vient au contraire d’inclure les deux blocs opératoires de Thiers et Ambert dans la liste de ceux pour lesquels il recommande une fermeture sans délai alors que le bloc chirurgical de l’hôpital de Mongelas à Givors dans la région voisine de Rhône-Alpes vient de fermer depuis le 1er janvier 2007.

La logique comptable qui inspire ses conclusions est dangereuse car elle instaurerait une médecine à deux vitesses. D’une part, les populations concernées qui ne peuvent pas se déplacer seraient privées de soins de proximité. L’exemple d’Ambert en est une parfaite illustration. D’autre part, les grands centres déjà confrontés à des difficultés d’accueil, comme le CHU de Clermont-Ferrand, n’auraient pas les moyens de faire face à l’afflux des nouveaux patients. Ainsi, après la fin des accouchements, la fermeture du bloc opératoire exposerait la population ambertoise à un risque majeur puisque le temps d’accès au plateau technique le plus proche serait largement supérieur à quarante-cinq minutes, amplitude au dessus de laquelle la Fédération hospitalière de France considère qu’il y a danger pour les patients. Après la disparition de la maternité, celle du bloc opératoire déqualifierait de fait le centre hospitalier. C’est une « logique » dramatique.

Enfin, les effets pervers de la T2A ont une incidence catastrophique sur la situation budgétaire des hôpitaux de proximité. Ainsi à Ambert, les recettes versées par l’assurance maladie ont chuté de 8 % durant les deux dernières années, soit un manque à gagner de près de 900 000 euros.

La concomitance de tous ces mauvais coups aggrave la vulnérabilité d’un centre hospitalier comme celui d’Ambert. Son avenir ne peut donc se concevoir sans clarifier les intentions du gouvernement, notamment celles du directeur de l’ARH.

La pérennité de l’hôpital d’Ambert en tant que centre hospitalier de proximité dans un maillage de qualité ne peut se concevoir sans des engagements fermes sur le maintien et le développement des services que doit offrir cet établissement : un service d’urgence opérationnel 24 heures sur 24, un bloc opératoire fonctionnant 24 heures sur 24 avec une surveillance continue, un service d’imagerie médicale convenablement équipé en radiologie et en échographie. Par ailleurs, des garanties doivent être données sur la possibilité d’un conventionnement avec le CHU pour la mise à disposition de praticiens spécialistes afin de réaliser de la chirurgie programmée. Il faut également anticiper les difficultés prévisibles pour assurer la continuité de la chirurgie généraliste, cette activité vitale pour les hôpitaux de proximité.

Par souci d’honnêteté à l’égard des personnels et des praticiens de l’hôpital mais aussi des professionnels de santé en général, des élus et des usagers, les motivations qui ont conduit à la fermeture de la maternité doivent être clairement identifiées. Il est donc nécessaire de clarifier le rôle respectif des directions de l’ARH et du centre hospitalier.

Alors que la mobilisation ne s’est jamais démentie durant de longs mois à l’initiative de l’association DEHBA (Dynamisons ensemble l’hôpital du Bassin d’Ambert), les efforts conjoints des élus, des personnels et des usagers avaient permis de sensibiliser un praticien susceptible d’assurer la chefferie du service de la maternité suite à la vacance du poste. Certes, ce praticien titulaire du diplôme nécessaire pour assurer la direction de la maternité ne l’avait pas fait valider. Pour autant, cette situation anecdotique ne remettait nullement en cause sa capacité à assurer la direction du service. Or, malgré les démarches entreprises auprès du directeur de l’ARH, du préfet, et du ministre par le député de la circonscription, l’ARH a précipité la fermeture de la maternité au prétexte que le praticien disponible ne disposait pas du diplôme requis. Cette fermeture, certes inscrite dans le SROS, a été d’autant plus mal vécue par la population qu’elle a été annoncée le jour précédant le rendez-vous obtenu par le député auprès du ministre de la santé, alors que la validité de ce SROS s’étend jusqu’à 2011.

Au vu des conséquences qui découleront de cette décision, le caractère plus que douteux de cette précipitation exige des réponses appropriées. C’est d’abord le droit à la santé qui est remis en cause parmi une population lassée de subir la disparition ou l’éclatement des services publics. C’est ensuite le territoire, déjà durement pénalisé par les politiques libérales et en faveur duquel les élus locaux déploient pourtant une énergie sans limites, qui sera confronté à de nouvelles difficultés. Enfin, c’est l’emploi qui, à court terme, paiera le prix fort puisque avec un effectif global de 400 salariés (médical, paramédical et contractuel), l’hôpital est le second employeur de l’arrondissement.

Cette situation, qui n’est malheureusement pas propre à l’établissement d’Ambert, interpelle le groupe des députés communistes et républicains. Il estime qu’il est du devoir du Parlement de connaître précisément les conditions dans lesquelles se décline la politique de santé dans les territoires et dans les divers établissements.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée d’investiguer sur les conditions dans lesquelles s’applique la politique de santé sur l’ensemble du territoire national.

Cette commission d’enquête sera chargée d’analyser la façon dont les ARH conduisent les politiques de santé. Elle aura pour mission de connaître précisément l’application qu’elles font des SROS au sein des territoires de santé et dans l’ensemble des établissements. Elle devra plus particulièrement vérifier que les politiques mises en œuvre par les directions des hôpitaux de proximité sont bien en cohérence avec les exigences de qualité et de sécurité du service ainsi qu’avec le respect du statut des salariés. Elle s’attachera plus précisément à rechercher les raisons qui ont conduit à la fermeture de la maternité d’Ambert.

1 () constituant le groupe des député-e-s communistes et républicains.


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