Document
mis en distribution
le 27 mars 2007
N° 3775
_____
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 mars 2007.
PROPOSITION DE LOI
tendant à créer une action de groupe,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉE
PAR MM. Jacques DESALLANGRE, François ASENSI, Gilbert BIESSY, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Jacques BRUNHES, Mme Marie-George BUFFET, MM. André CHASSAIGNE, Frédéric DUTOIT, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. André GERIN, Pierre GOLDBERG, Maxime GREMETZ, Georges HAGE, Mmes Muguette JACQUAINT, Janine JAMBU, MM. Jean-Claude LEFORT, François LIBERTI, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS (1).
députés.
(1) Constituant le groupe des député-e-s communistes et républicains.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le président de la République et le Gouvernement ont définitivement renoncé à respecter leur parole en refusant d’inscrire à l’ordre du jour des débats parlementaires le projet de loi instituant l’action de groupe.
Nous nous proposons par ce texte de reprendre l’initiative et de préfigurer ce que pourrait être une véritable action de groupe à la française avec une saisine élargie et un ambitieux champ d’application.
L’actualité judiciaire de l’année 2005 a illustré l’urgence qu’il y a à introduire cette nouvelle procédure. Faute de procédure efficace à la disposition des consommateurs, une multitude de textes législatifs et réglementaires prévoyant des sanctions en cas de comportements abusifs ou illicites des professionnels ne sont pas aujourd’hui appliqués. La faible saisine des tribunaux par les victimes est aisément compréhensible dès lors que le coût global d’une action individuelle (coût informationnel, déplacements, honoraires…) dépasse le plus souvent le montant du préjudice subi. Des exemples récents illustrent ce déséquilibre.
En matière de téléphonie mobile, plus de 400 000 consommateurs ont payé, de façon injustifiée, trois euros par mois pendant six mois. Personne n’engagera un contentieux pour 18 euros même si globalement le préjudice se chiffre à plus de 7 millions d’euros. L’opérateur a spolié 7 millions d’euros et ne risque rien car personne ne saisira la juridiction compétente. Nous sommes bien loin de l’application du principe de justice. Les exemples sont multiples et révèlent tous que l’absence de sanction civile rend le droit fictif. Les acteurs économiques ou administratifs intègrent dans leur pratique que la transgression du droit des citoyens est moins onéreuse que son respect. L’introduction de l’action de groupe, en facilitant la saisine du juge, serait un progrès pour le droit car il serait mis fin à des impunités inacceptables. Il devrait alors s’en suivre une amélioration des comportements ; les acteurs intégrant la probabilité croissante d’une sanction lorsque leur comportement est fautif.
Les procédures actuellement mises à la disposition des justiciables et des associations ne permettent pas de mettre un terme à l’impunité dont jouissent ces entreprises ou personnes morales de droit public.
Au vu de ces éléments, force est de constater que le principe constitutionnel d’accès à la justice n’est pas respecté. La présente proposition de loi entend pallier ce vide juridique en créant une véritable action de groupe pour tous les justiciables.
L’action de groupe instituée par le présent texte a une double vocation. D’une part, offrant un accès à la justice d’un groupe de justiciables en une seule procédure, elle permettra de réparer l’ensemble des préjudices subis ; d’autre part, elle aura un effet dissuasif en sanctionnant la personne physique ou morale fautive, en l’obligeant à cesser une pratique abusive ou illicite et à en assumer les conséquences. La seule existence de l’action de groupe constituera un garde fou au développement des pratiques illicites.
Répondant au souci d’efficacité qui préside à sa création, l’action de groupe doit être ouverte tant au niveau de la saisine que de son champ d’application matériel et humain.
Elle doit ainsi pouvoir être engagée à l’initiative de toutes les entités qui sont fondées à le faire, c’est-à-dire tant les personnes physiques que morales, notamment les associations dont l’objet statutaire porte sur le domaine dans lequel s’inscrit la procédure. L’action doit pouvoir être engagée par toute personne qui agira alors comme représentant du groupe dans son ensemble. Le groupe représenté est constitué de personnes qui n’ont pas à être précisément identifiables en raison du préjudice commun qu’elles subissent. Sont considérées comme membres du groupe bénéficiant des effets du jugement toutes celles répondant aux caractéristiques communes et qui n’ont pas exprimé la volonté d’être exclues du groupe. Le juge apprécie la validité de l’action et contrôle les éléments de définition du groupe. Les questions de droit et de fait doivent être similaires pour l’ensemble des victimes.
Dans le même esprit, l’action de groupe doit pouvoir être intentée quel que soit le domaine et ce tant dans l’ordre judiciaire qu’administratif. Comme en Suède, au Portugal et au Québec le champ d’application de cette action doit être le plus large possible car les préjudices ne se cantonnent pas au droit de la consommation. Par ailleurs l’objet principal de cette proposition de loi est de favoriser l’accès des citoyens à la justice quelle que soit la question de droit posée. Les effets secondaires attendus de cette nouvelle action juridictionnelle sont de favoriser une meilleure application du droit par tous les acteurs privés ou publics. Il est donc légitime que tous les domaines du droit puissent être couverts par cette action. Un comportement, un fait relevant du droit de l’environnement, du droit financier, du droit de la santé,… peut porter préjudice à une multitude d’individus ; il serait donc logique qu’un groupe puisse se constituer en vue de réparer les conséquences du comportement fautif.
Enfin, l’action de groupe doit permettre l’inclusion de l’ensemble des personnes lésées sans que celles-ci aient à manifester expressément leur volonté. Pour autant, soucieuse de respecter le principe constitutionnel de la liberté d’ester en justice, la présente proposition de loi, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, aménage la possibilité pour toute personne de s’exclure à tout moment de la procédure.
PROPOSITION DE LOI
Chapitre Ier
De l’action de groupe
Article 1er
L’action de groupe est une action par laquelle une personne physique peut saisir seule au nom de l’ensemble des personnes soumises à des litiges présentant des questions de droit ou de fait communes au sien le tribunal de grande instance compétent au sens de l’article 54 du nouveau code de procédure civile ou le tribunal administratif. L’action de groupe est également ouverte aux personnes morales agréées et à celles dont l’objet statutaire porte sur le domaine dans lequel s’inscrit l’ensemble des litiges.
Article 2
En cas d’action de groupe, l’assignation contient :
1° Une description du groupe au nom duquel l’action est introduite ;
2° Un exposé sommaire des allégations de fait ou moyens de droit communs aux membres du groupe.
Article 3
Dans le cadre de l’examen de recevabilité, le juge vérifie la présence des conditions suivantes :
1° La réalité des litiges ;
2° Le caractère commun des questions de droit ou de fait des litiges en présence.
En cas d’absence de l’une quelconque des conditions suivantes, le juge déclare l’action irrecevable.
Article 4
Après avoir constaté la réunion des conditions de recevabilité mentionnées à l’article 3, le juge détermine les caractéristiques essentielles permettant de définir le groupe de personnes parties à l’instance.
Le juge s’assure, grâce à la présentation d’une convention, du caractère raisonnable du montant des honoraires de l’avocat du représentant du groupe. Un décret pris en Conseil d’État fixe les conditions que doit revêtir cette convention.
Article 5
Le juge détermine les modalités permettant d’informer les membres du groupe de l’existence de l’action. Cette information doit mentionner dans l’ordre suivant :
– les éléments de fait ou de droit communs ;
– les caractéristiques essentielles du groupe ;
– la juridiction devant laquelle l’action est introduite ;
– la faculté pour les membres du groupe de s’exclure à tout moment et les modalités de cette exclusion ;
– l’identité du représentant désigné.
Article 6
Toute personne appartenant au groupe défini par le juge est réputée s’associer à l’action à moins de s’exclure volontairement à tout moment de l’instance.
Article 7
La décision de recevabilité ou d’irrecevabilité est susceptible d’un recours devant la cour d’appel du ressort du tribunal ayant rendu la décision. Le premier président fixe la date d’audience, laquelle doit avoir lieu dans le plus bref délai.
Le greffier de la cour en informe le demandeur et le défendeur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.
Article 8
Toute transaction ou renonciation en matière d’action de groupe doit être homologuée par le juge qui vérifie qu’elle ne lèse pas les intérêts des parties à l’instance et qu’elle fixe les conditions dans lesquelles les sommes vont être distribuées aux membres du groupe. Un décret pris en Conseil d’État fixe les conditions que doit revêtir cette transaction.
Article 9
Lorsque le juge fait droit aux prétentions des demandeurs, il fixe le mode de réparation.
Dans tous les cas où elle est possible, le juge décide de l’allocation de dommages et intérêts dont il fixe le montant et les modalités de répartition entre les membres du groupe. Il fixe notamment les conditions et les délais dans lesquels chacun peut faire valoir ses droits.
Dans les autres cas, le juge détermine un mode de réparation qui peut être indirect. Si aucune réparation indirecte n’est envisageable, le juge met à titre de réparation à la charge du défendeur le paiement d’une somme intégralement versée au fonds de gestion des actions de groupe.
Les mesures de réparation directe ou indirecte fixées par le juge peuvent s’accompagner de mesures de publicité ou d’affichage.
Article 10
Dans les hypothèse où le juge a fixé un montant global de réparation à la charge du professionnel, le reliquat existant à l’issue de la période de redistribution fixée par le juge est reversé au fonds de gestion des actions de groupe.
Chapitre II
Du fonds de gestion des actions de groupe
Article 11
Il est institué un Fonds de gestion des actions de groupe géré par la Caisse des dépôts et consignations.
Article 12
Le fonds a pour objet d’assurer le financement des actions de groupe en la manière prévue par le présent chapitre ainsi que de diffuser des informations relatives à l’exercice de ces actions et à l’exécution des jugements.
Article 13
Le fonds adresse chaque année au Parlement un rapport d’activité.
Article 14
Une personne physique ou morale prétendant à une action de groupe peut demander par écrit l’aide de ce fonds qui fera alors l’objet d’une convention. Le bénéficiaire ou son conseil remboursent au fonds les sommes que ce dernier a acquittées jusqu’à concurrence des sommes qu’ils reçoivent à titre d’honoraires, de dépens ou de frais.
Un décret pris en Conseil d’État fixe les conditions que doivent revêtir cette demande et cette convention.
Article 15
Un décret en Conseil d’État fixera les conditions d’application de la présente loi.
© Assemblée nationale