N° 3804 - Proposition de loi constitutionnelle de M. René Dosière supprimant le droit de veto du Sénat



Document

mis en distribution

le 15 mai 2007


N° 3804

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 mai 2007.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

supprimant le droit de veto du Sénat,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

PAR M. René DOSIÈRE,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Selon la rédaction actuelle de l’article 89 de la Constitution, toute modification du texte fondamental exige un vote identique des deux assemblées, ce qui revient à donner au Sénat un droit de veto. Cette manière de traiter à égalité l’Assemblée nationale et le Sénat n’est pas justifiée compte tenu du mode respectif d’élection de chacune des assemblées.

Si les députés et les sénateurs représentent la Nation, les députés seuls, au sein du parlement, représentent le peuple puisque, seuls, ils sont élus directement par lui. Par définition, la deuxième Chambre est seconde. Elle n’a pas la légitimité de la première, élue au suffrage universel direct, donc représentative des citoyens, seule source démocratique de l’autorité. Elle ne peut, en toute logique, disposer des mêmes pouvoirs.

La présente proposition de loi constitutionnelle a pour objet de mettre un terme à cette situation anormale en retirant au Sénat son droit de veto et en donnant à l’Assemblée nationale le dernier mot. Elle concerne à la fois les textes de loi organiques (art. 45), ceux qui concernent le Sénat (art. 46), ainsi qu’en cas de révision du texte constitutionnel (art. 89).

Pour autant, la proposition de loi ne remet aucunement en cause l’existence du Sénat.

En France, un Sénat est nécessaire. Deux délibérations de la loi valent mieux qu’une. Plusieurs espaces de contrôle du gouvernement s’imposent, surtout dans un système majoritaire largement présidentialiste et encore trop centralisateur. La représentation parlementaire des collectivités territoriales, voire de toutes les forces vives du pays, s’est inscrite, au fil du temps, dans notre culture politique. Elle doit toutefois se distinguer de l’Assemblée nationale par un autre mode de représentation que l’on voudrait rendre juste et cohérent.

On peut, en se fondant sur ces principes, imaginer bien des Sénats possibles et de multiples formes de différenciation. Elles ont leur force, méritent attention et ne disqualifient pas ceux qui les défendent. Certains imaginent ainsi un Sénat des régions, abandonnant l’actuelle circonscription électorale départementale. D’autres le voient fédérer les assemblées locales existantes et n’être composé que d’élus territoriaux, dont les catégories seraient pondérées avec plus d’équité et de bon sens qu’aujourd’hui. Quelques-uns, inspirés par des exemples étrangers, le voient composé de membres de droit y siégeant du fait de l’exercice de telle ou telle qualification locale : les maires d’une commune d’une certaine taille, les présidents d’assemblées régionales, départementales, etc. L’idée générale étant toujours qu’il s’agit de représentants du sol ou de l’espace qui ont acquis, par leur expérience, une qualification s’accompagnant de dynamisme et de sagesse. Pour proposer des changements, on partira de la situation existante, sans prétendre tout bouleverser, animé d’un esprit de logique et non de revanche.. L’idée est conservée que, dans le cadre actuel, le Sénat doit être composé différemment de l’Assemblée nationale, dans un souci d’équité respectueux de la diversité et de l’équilibre des diverses composantes du tissu local, selon un mode de scrutin tendant à plus de démocratie.

Au demeurant, les formes du choix des sénateurs, de la durée de leur mandat, de leur nombre ne dépendent pas du texte constitutionnel mais de la loi organique ou ordinaire. C’est pourquoi la présente proposition de loi devra être complétée par une législation électorale qui, tout en conservant le scrutin sénatorial à deux facettes (majoritaire et proportionnel), le rendrait plus juste et plus démocratique en procédant au choix des sénateurs à la représentation proportionnelle chaque fois que trois d’entre eux seraient élus dans une circonscription départementale. Le maintien du caractère indirect du suffrage exige une réforme de la composition des collèges électoraux qui relève aujourd’hui d’une parodie de l’équité la plus élémentaire. À titre d’exemple, on rappellera que pour élire les deux nouveaux sénateurs de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, créés par la loi du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer, il suffira d’obtenir 11 voix (Saint-Barthélemy) ou 13 voix (Saint-Martin), ce qui constitue la porte ouverte à toutes les manœuvres, y compris financières. Il faut également revoir les modalités de choix des sénateurs représentant les Français établis hors de France, aujourd’hui désignés par une trop modeste poignée d’électeurs (on est élu avec 20 à 25 voix !). Ainsi franchirait-on un pas constructif vers un Sénat où l’on vivrait peut-être enfin l’alternance des majorités, critère moderne et significatif de la démocratie. En donnant aux élections sénatoriales une légitimité satisfaisante aux yeux d’une population de plus en plus défiante à l’égard d’autorités politiques abritées par certains modes de désignation ou d’exercice du pouvoir, on contribuerait à réduire le déficit de citoyenneté de notre pays.

Mais, quel que soit son mode de désignation, dès lors que le suffrage est indirect, l’exigence démocratique impose que la seconde Chambre ne puisse être égale à la première, ni a fortiori prétendre la surpasser. Or, tel n’est pas le cas actuellement, ni en matière de révision constitutionnelle, d’adoption ou de modification de lois organiques, de délibération de certains textes législatifs. Ce sont ces dispositions qu’il faut prioritairement revoir. La vocation du Sénat est balisée par les exigences des principes républicains. Elle est définie par les articles 24 et 25 de la Constitution. Il faut revenir à leur texte, s’y limiter, a fortiori ne pas y ajouter après de ridicules marchandages.

Cette proposition de loi, en soulignant les différences de légitimité des deux assemblées, aidera à mieux fixer le rôle du Sénat, dans l’attente d’une réforme de son mode de désignation qui appelle des dispositions plus équitables, plus réfléchies, plus démocratiques, qui sont du ressort de la loi, non du texte constitutionnel.

Les deux premiers articles concernent la procédure référendaire prévue à l’article 11 de la Constitution. Actuellement l’initiative du referendum est partagée entre le Président de la République, le gouvernement ou une proposition conjointe des deux assemblées. La modification consiste à réserver, dans ce dernier cas, la proposition à la seule Assemblée nationale.

Avec l’article 2, on introduit une consultation préalable du Conseil constitutionnel sur le projet que le Président entend soumettre au référendum. Cette proposition a déjà été formulée par le comité consultatif pour la révision de la Constitution présidé par le doyen Vedel en 1993. Ce contrôle a deux objectifs : éviter la remise en cause de données institutionnelles fondamentales ou des droits essentiels par une consultation référendaire provoquée dans un moment d’émotion ; en second lieu, il implique nécessairement que le referendum ne peut être utilisé pour une révision de la Constitution.

Toutefois, et pour des motifs évidents, la présente modification constitutionnelle ne peut aboutir qu’en utilisant la procédure référendaire, puisqu’on voit mal le Sénat consentir à une suppression de son droit de veto. Dans ce cas, il s’agirait d’un ultime recours à cette procédure, la modification proposée permettant, ultérieurement, de recourir aux modalités de révision prévues à l’article 89.

L’article 3 modifie l’article 24 de la Constitution et concerne la représentation des Français de l’étranger (au nombre de 2 millions environ). Leur représentation parlementaire est limitée au Sénat (12 sénateurs élus à la proportionnelle par les 180 membres de l’Assemblée des Français de l’étranger). La modification proposée précise que les Français établis hors de France doivent être représentés à l’Assemblée nationale. La rédaction proposée laisse ouvertes plusieurs possibilités, en n’excluant pas une double représentation dans chaque assemblée, même si le transfert de celle-ci à l’Assemblée nationale seule paraît préférable. Le régime électoral sera défini ultérieurement par une loi organique.

L’article 4, qui modifie l’article 39 de la Constitution, revient sur une disposition introduite par la réforme constitutionnelle de 2003 qui a donné au Sénat la priorité dans l’examen des textes dont le principal objet concerne l’organisation des collectivités territoriales ainsi que ceux qui concernent les Français de l’étranger. Il est proposé de supprimer cette priorité et de revenir au texte antérieur de la Constitution. En effet, dans notre système démocratique, rien ne justifie que la chambre issue du suffrage indirect ait juridiquement priorité sur celle élue au suffrage universel direct. La suppression de cette disposition laisse néanmoins au gouvernement la possibilité au regard des circonstances (calendrier de l’Assemblée nationale chargé, nature du projet de loi…) de saisir d’abord le Sénat comme c’était d’ailleurs le cas précédemment. La rédaction proposée tire, également, la conséquence logique des nouvelles dispositions proposées concernant la représentation parlementaire des Français de l’étranger évoquée précédemment.

L’article 5 concerne le déroulement des travaux de la commission mixte, composée à parité de députés et de sénateurs, chargée d’aboutir à un texte identique. La rédaction actuelle de l’article 45 de la Constitution laisse au Sénat la possibilité de bloquer cet accord dans la mesure où le Gouvernement n’est pas tenu de saisir l’Assemblée nationale qui statue en dernier ressort. La modification proposée oblige le gouvernement à mettre un terme à la navette. En transformant la potentialité du gouvernement en obligation, il s’agit d’accélérer la procédure d’adoption des textes et d’éviter leur enlisement ainsi qu’à décourager toute tentative dilatoire de l’une ou l’autre assemblée, en laissant au Gouvernement une position forte dans l’examen des textes législatifs. Le dernier mot étant laissé à l’Assemblée nationale, une connivence entre le Gouvernement et le Sénat ne pourrait pas faire traîner indéfiniment une navette. Cette procédure encouragerait aussi à une meilleure rédaction des projets de loi.

L’article 6 concerne les lois organiques relatives au Sénat. À l’heure actuelle, la Constitution prévoit, à son article 46, qu’elles doivent être votées en termes identiques par les deux assemblées. Il est proposé de supprimer cette disposition. En effet, il n’y a pas de motif sérieux pour laisser à une Chambre, qui possède une légitimité démocratique moindre que l’autre, le droit de limiter les modifications organiques qui la concernent, surtout quand une interprétation large de l’expression « lois organiques relatives au Sénat » aboutit à considérer comme telles, non seulement celles qui lui sont exclusives, mais d’autres qui s’appliquent aux deux assemblées. Les dispositions actuelles conduisent inévitablement le Sénat lors de la navette à marchander et à monnayer son accord contre des avantages injustifiés.

L’article 7 propose la suppression de la disposition actuelle qui précise que les conditions de vote des citoyens de l’Union européenne aux élections municipales en France sont déterminées par une loi organique votée « dans les mêmes termes » par les deux assemblées. Cet article, introduit en 1992, est l’illustration parfaite des avantages obtenus par le Sénat lors de la discussion d’une révision constitutionnelle. Ainsi qu’il a été indiqué précédemment, la suppression de la référence au Sénat est la conséquence logique de la réécriture de l’article 46 de la Constitution.

Les articles 8 et 9 concernent la procédure de révision de la Constitution. Actuellement, tout projet ou proposition de révision doit être voté en termes identiques par les deux assemblées, ce qui revient à donner au Sénat un droit de veto. La rédaction proposée supprime ce veto, en donnant le dernier mot à l’Assemblée nationale. Mais, afin d’éviter que la révision constitutionnelle ne devienne trop partisane ou idéologique, il est prévu que, dans ce cas, la révision pour entrer en application doit être approuvée par le peuple au moyen d’un referendum. Par contre, lorsque le vote des deux assemblées est identique, la révision devient définitive après le vote du Congrès et, dans ce cas, il n’y a pas lieu de recourir au referendum.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article 1er

Le premier alinéa de l’article 11 de la Constitution est ainsi modifié :

« Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition de l’Assemblée nationale, publiée au Journal officiel …»

Article 2

Après le premier alinéa de l’article 11 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le projet ne peut être soumis au référendum qu’après constatation par le Conseil constitutionnel de sa conformité à la Constitution. »

Article 3

L’article 24 de la Constitution est ainsi modifié :

1° La dernière phrase du dernier alinéa est supprimée ;

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Les Français établis hors de France sont représentés au Parlement. »

Article 4

La dernière phrase du second alinéa de l’article 39 de la Constitution est supprimée.

Article 5

La première phrase du dernier alinéa de l’article 45 de la Constitution est ainsi rédigée :

« Si la commission mixte paritaire ne parvient pas à l’adoption d’un texte commun ou si ce texte n’est pas adopté dans les conditions prévues à l’alinéa précédent, le Gouvernement, après une nouvelle lecture par l’Assemblée nationale et par le Sénat, demande… »

Article 6

L’avant-dernier alinéa de l’article 46 de la Constitution est supprimé.

Article 7

La dernière phrase de l’article 88-3 de la Constitution est ainsi rédigée :

« Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article. »

Article 8

La première phrase du deuxième alinéa de l’article 89 de la Constitution est ainsi rédigée :

« Le projet ou la proposition de révision est soumis au vote de l’Assemblée nationale. »

Article 9

La première phrase du troisième alinéa de l’article 89 de la Constitution est ainsi rédigée :

« Toutefois, le projet de révision, s’il a été adopté en termes identiques par les deux assemblées… »


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