N° 996 -- ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DOUZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 1er juillet 2003. RAPPORT D'INFORMATION FAIT AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET A L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1) SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 937) ADOPTÉE PAR LE SÉNAT portant réforme de l'élection des sénateurs. PAR Mme Marie-Jo ZIMMERMANN Députée. -- (1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page. Voir les numéros : Sénat : 313, 334 et T.A. 125 (2002-2003). Assemblée nationale : 937. Elections et référendums. La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente ; Mme Anne-Marie Comparini, M. Edouard Courtial, Mmes Geneviève Levy, Hélène Mignon, vice-présidents ; Mmes Brigitte Bareges, Muguette Jacquaint, secrétaires ; Mme Patricia Adam, M. Pierre-Christophe Baguet, Mmes Chantal Bourragué, Danielle Bousquet, M. Philippe Briand, Mmes Chantal Brunel, Martine Carrillon-Couvreur, M. Richard Cazenave, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Patrick Delnatte, Mmes Catherine Génisson, Claude Greff, Arlette Grosskost, M. Laurent Hénart, Mmes Conchita Lacuey, Marguerite Lamour, Martine Lignières-Cassou, Françoise de Panafieu, Béatrice Pavy, Valérie Pecresse, Bérengère Poletti, Josette Pons, Marcelle Ramonet, MM. Jacques Remiller, Bernard Roman, Jean-Marc Roubaud, Martial Saddier, Mmes Michèle Tabarot, Béatrice Vernaudon. Pages 1. Un effet global négatif sur la parité 11 2. Une dynamique paritaire à préserver 12 3. La constitutionnalité de la proposition de loi 14 RECOMMANDATIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES 17 MESDAMES, MESSIEURS, Depuis l'adoption de la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, la parité politique est devenue un objectif à valeur constitutionnelle, dont le Conseil constitutionnel s'est montré le gardien vigilant. Les propositions sénatoriales de réforme du mode de scrutin, dont la Délégation aux droits des femmes a été saisie, sur sa demande, par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, auront des incidences non négligeables sur le nombre de femmes élues au Sénat à l'occasion des prochains renouvellements. Même s'il est de tradition que chaque Assemblée fixe elle-même son régime électoral, la Délégation aux droits des femmes, qui a pour mission d'évaluer les conséquences sur les droits des femmes de toute modification législative, ne pouvait se désintéresser du nouveau mode de scrutin sénatorial. Elle a donc souhaité dans un premier temps rappeler l'importance des acquis de la parité depuis la révision constitutionnelle de juillet 1999, toutes les modifications législatives ayant pris en compte cet objectif constitutionnel et le renouvellement sénatorial de septembre 2001 ayant permis une augmentation sensible du nombre des femmes au Sénat. Elle a ensuite analysé la réforme envisagée, ses effets sur la parité et les interrogations constitutionnelles qu'elle suscite. I. UN IMPÉRATIF : PRÉSERVER LES ACQUIS DE LA PARITÉ La France est le seul pays à avoir inscrit l'objectif de parité dans sa Constitution et la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 a été l'amorce d'un mouvement continu en faveur de la parité. D'incontestables progrès de la parité ont pu être constatés aux élections municipales de mars 2001 et aux élections sénatoriales de septembre 2001. En phase avec une évolution sensible des mentalités, l'objectif constitutionnel de parité a permis d'obtenir des avancées qu'il importe de faire progresser, mais avant toute chose de maintenir. 1. Le sou régionaux et des représentants au Parlement européen, puis lors de l'adoption de la loi du 27 mai 2003 organisant une consultation des électeurs de Corse sur la modification de l'organisation institutionnelle de la Corse. a) La loi du 6 juin 2000 : première étape vers la parité La loi du 6 juin 2000 prévoyait pour les élections au scrutin de liste l'introduction du principe d'alternance homme-femme sur les listes électorales. Ce principe devrait être strictement appliqué pour les élections sénatoriales et européennes, c'est-à-dire que l'alternance un homme/une femme ou une femme/un homme était obligatoire du début à la fin de la liste pour ces deux élections. Ce principe était assoupli pour les élections municipales, régionales et à l'Assemblée de Corse, où la parité devait être respectée par tranche de six candidats. Pour les élections législatives, le principe retenu était celui de la pénalité financière, dès lors que les partis ne présentaient pas 50 % de candidats de chacun des deux sexes (à 2 % près). Ces dispositions favorisant la parité ont trouvé à s'appliquer avec succès aux élections municipales de mars 2001 et aux élections sénatoriales de septembre 2001. Dans les communes de 3 500 habitants et plus, les femmes représentent désormais 47,5 % du total des conseillers municipaux (au lieu de 25,7 % auparavant). Aux élections sénatoriales, il y a eu vingt-deux femmes élues (21,6 %) sur les cent deux sénateurs élus ou réélus (au lieu de sept auparavant). En revanche, l'effet positif des dispositions de la loi du 6 juin 2000 favorisant la parité aux élections législatives ne s'est pas concrétisé lors des élections de juin 2002. Leurs résultats médiocres en terme de parité ont cependant suscité la réprobation, la plupart des observateurs estimant la loi imparfaite et considérant qu'elle devrait être corrigée sur ce point. Il est clair qu'il est beaucoup plus difficile de définir un mécanisme qui fasse progresser la parité pour les élections au scrutin uninominal, comme les élections législatives, les élections cantonales et les élections sénatoriales. En revanche, un tel mécanisme a été trouvé pour les élections au scrutin de liste : c'est celui de l'alternance de candidats de chaque sexe. A lui seul, il garantit la parité, puisqu'il oblige les partis politiques à présenter autant de femmes candidates que d'hommes aux élections. b) Les lois du 11 avril et du 27 mai 2003 et la poursuite de l' family: 'Arial'; font-size: 10pt">Ce même principe d'alternance est retenu pour les élections européennes, sans changement par rapport à la loi du 6 juin 2000. En revanche la loi ayant omis d'étendre à l'Assemblée de Corse le principe d'alternance homme/femme, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 3 avril 2003, a invité le législateur à mettre fin à cette inégalité dans la prochaine loi relative à la Corse. Amorce de cette modification, la loi du 27 mai 2003 organisant une consultation des électeurs de Corse sur la modification de l'organisation institutionnelle de la Corse définit en annexe les orientations proposées par le Gouvernement pour modifier l'organisation institutionnelle de la Corse au sein de la République et précise que "le mode de scrutin garantira le respect du principe de parité entre hommes et femmes en imposant que chaque liste de candidats soit composée alternativement d'un candidat de chaque sexe". 2. Les effets positifs sur la parité du mode de scrutin actuel des élections sénatoriales En l'absence de toute révision de la loi électorale, le mode de scrutin applicable aujourd'hui aux élections sénatoriales a pour fondement les lois des 6 juin et 10 juillet 2000. La loi du 10 juillet 2000 prévoit que les élections ont lieu au scrutin majoritaire dans les départements qui ont droit à un siège ou deux sièges de sénateurs. Au-delà, c'est-à-dire dans les départements élisant trois sénateurs ou plus, le scrutin est proportionnel. La loi du 6 juin 2000 avait imposé que chaque liste soit composée alternativement d'un candidat de chaque sexe pour les élections ayant lieu au scrutin proportionnel. Le mode de scrutin des élections sénatoriales, issu des lois des 6 juin et 10 juillet 2000, a trouvé sa première application au renouvellement de septembre 2001. Ses effets sur la parité ont été extrêmement positifs lors du renouvellement sénatorial du 23 septembre 2001 (renouvellement de la série B). Alors que, parmi les cent un sénateurs sortants, il n'y avait que sept femmes (soit 6,9 %), il y a eu vingt-deux élues (soit 21,6 %) parmi les cent deux élus ou réélus. Le nombre de femmes a donc plus que triplé. L'arrivée des femmes a également eu un effet de rajeunissement, puisque la moyenne d'âge des femmes élues ou réélues est de 53,9 ans au lieu de 59,3 ans pour les hommes. L'impact de la réforme sur la parité a été différencié suivant que les élections ont eu lieu au scrutin majoritaire ou au scrutin proportionnel. Le nombre de femmes élues au scrutin majoritaire es ENTRAÎNERAIT UN RECUL DE LA PARITÉ La réforme envisagée par les sénateurs est organisée par deux propositions de loi distinctes, l'une organique, l'autre ordinaire. Déposées par MM. Christian Poncelet, Josselin de Rohan, Michel Mercier, Henri de Raincourt, Xavier de Villepin, Daniel Hoeffel et plusieurs de leurs collègues, le 22 mai 2003, ces propositions de loi ont été adoptées en première lecture par le Sénat le 12 juin 2003. Issue des conclusions du rapport du groupe de réflexion sur l'institution sénatoriale présidé par M. Daniel Hoeffel, la proposition de loi organique réduit de neuf à six ans la durée du mandat des sénateurs, abaisse l'âge d'éligibilité au Sénat de trente-cinq ans à trente ans, augmente le nombre de sénateurs de vingt-cinq (321 à 346), prévoit le renouvellement du Sénat par moitié tous les trois ans et réorganise en conséquence l'élection des sénateurs en deux séries au lieu de trois. La proposition de loi ordinaire tire la conséquence de l'accroissement du nombre des sénateurs en modifiant le nombre de sénateurs de certains départements. Elle modifie également le mode de scrutin des départements élisant trois sénateurs. Alors qu'en l'absence de toute révision électorale, le mode de scrutin applicable à ces départements pour les renouvellements de 2004 et 2007 aurait été un scrutin proportionnel avec alternance homme/femme en application des lois de juin et juillet 2000, la réforme proposée rétablit le scrutin majoritaire, qui était le scrutin précédemment applicable à ces départements. L'analyse de cette réforme nous conduira à en dresser un bilan global défavorable à la parité. Elle manifeste un recul de la dynamique paritaire initiée par la révision constitutionnelle de juillet 1999. 1. Un effet global négatif sur la parité Le scrutin uninominal majoritaire remplacerait dans les départements élisant trois sénateurs le scrutin proportionnel de liste avec alternance homme/femme. Décidée par les lois des 6 juin et 10 juillet 2000, l'élection au scrutin proportionnel de liste avec alternance homme/femme dans les départements élisant trois sénateurs au moins a eu lieu en septembre 2001 dans dix départements, lors du renouvellement de la série B. Comme nous l'avons vu précédemment, ce mode de scrutin a été un incontestable succès de la parité : 21,6 % de femmes contre 6,9 % auparavant. Une analyse plus détaillée du scrutin fait apparaître que la réforme a profité d'autant plus aux femmes que l'&eacu seule femme (3,33 %) avait été élue dans ces dix départements. Avec la réforme envisagée par les sénateurs, le nombre de départements élisant trois sénateurs serait de vingt-cinq, soit au total soixante-quinze sénateurs. Avec le maintien de la proportionnelle et sur la base du renouvellement de 2001 (soit 20 % de femmes), il y aurait alors environ quinze femmes élues. Ces chiffres sont à comparer à ceux des renouvellements de 1992, 1995 et 1998, c'est-à-dire réalisés suivant le mode de scrutin majoritaire : une seule femme (1,3 %) avait alors été élue sur les soixante-dix-huit sénateurs des vingt-six départements élisant trois sénateurs. La comparaison se passe de commentaire. Même s'il faut se garder de toute approche mathématique des questions électorales, il est clair qu'un retour au scrutin uninominal dans ces départements entraînerait un recul flagrant de la parité. 2. Une dynamique paritaire à préserver L'objectif constitutionnel de parité a trouvé dans le Conseil constitutionnel un gardien vigilant. Sans préjuger de son appréciation souveraine, on peut estimer qu'une telle réforme risquerait de porter atteinte à une dynamique paritaire qu'il convient de renforcer plutôt que d'amoindrir. a) Le Conseil constitutionnel, gardien vigilant de la parité Le Conseil constitutionnel a soulevé de sa propre initiative, dans sa décision du 3 avril 2003, le problème de la parité à l'Assemblée de Corse. Comme nous l'avons vu précédemment, la loi du 11 avril 2003 qui, dans son article 4, prévoyait l'alternance homme/femme sur les listes de candidats des sections départementales pour les élections régionales avait omis d'étendre ces modalités à l'Assemblée de Corse. Le Conseil constitutionnel, rappelant l'article 3 de la Constitution, a considéré "que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit." Considérant que l'Assemblée de Corse et les conseils régionaux ne se trouvent pas dans une situation différente au regard de l'article 3 de la Constitution et qu'aucune particularité locale, ni aucune raison d'intérêt général ne justifie la différence de traitement en cause, le Conseil constitutionnel a estimé cette disposition contraire au principe d'égalité et, sans d&ea
align: justify">b) Ne pas porter atteinte à la dynamique paritaire Au-delà des problèmes constitutionnels qu'elle pourrait soulever, la réforme envisagée aurait des effets particulièrement négatifs, parce qu'elle conduirait à porter atteinte à la dynamique paritaire. Cette dynamique paritaire a été insufflée par l'alternance homme/femme sur les listes électorales. Revenir sur ce principe ne peut que constituer un frein à la parité. Certes, comme l'ont rappelé certains sénateurs, aucun mode de scrutin n'est a priori défavorable à la parité. Les femmes ont toutes leurs chances au scrutin majoritaire. C'est vrai en théorie. Mais cela fait près de soixante ans qu'on a pu constater que ce mode de scrutin est défavorable aux femmes. L'objectif de la révision constitutionnelle de juillet 1999 était bien de mettre un terme à cette situation et de permettre l'adoption de lois qui tendent à remédier à ces inégalités. Il serait regrettable de mettre en cause un mode de scrutin favorable à la parité auquel on n'aurait pas laissé le temps de produire tous ses effets. Il convient cependant de rappeler que d'autres moyens peuvent être mis en œuvre pour parvenir à la parité. Ainsi, faut-il notamment veiller à la bonne application de l'article 4 de la Constitution qui enjoint aux partis politiques de contribuer à la mise en œuvre du principe de parité. Parmi les exemples de ce que les partis devraient éviter lors des élections au scrutin de liste, on peut citer : - le petit nombre de femmes investies comme têtes de liste ; - le non-respect de l'ordre des candidatures sur les listes, lors de la désignation des exécutifs locaux (adjoints au maire, vice-présidents,...) 3. La constitutionnalité de la proposition de loi L'effet global négatif sur la parité de la proposition de loi sénatoriale qui supprime le mode de scrutin proportionnel pour les départements élisant trois sénateurs conduit à s'interroger sur sa compatibilité avec l'article 3 de la Constitution qui "favorise" l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux. Ce problème a été évoqué par M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, lors de son intervention au Sénat le 12 juin dernier. "Le troisième point majeur est le relèvement du seuil pour l'application de la proportionnelle : il passe de trois sièges à quatre. Bien sûr, l'obligation de pr
En conclusion de son intervention, le ministre a évoqué à nouveau cette possible inconstitutionnalité : "Le Sénat peut fixer lui-même son mode de scrutin, c'est une tradition. Mais il faut éviter le risque d'inconstitutionnalité." * * * La Délégation aux droits des femmes s'est réunie le mardi 1er juillet sous la présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann pour examiner le présent rapport d'information. Après leur présentation par Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, la Délégation a adopté l'ensemble des recommandations. PAR LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES 1) La Délégation réaffirme la portée de la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 qui a reconnu l'objectif constitutionnel de parité en permettant à la loi de favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. 2) Elle rappelle que la réforme constitutionnelle a permis l'adoption de plusieurs lois favorables à la parité, concernant les élections au scrutin de liste - municipales, régionales, sénatoriales et européennes - et les élections législatives. 3) Tout en regrettant les résultats insuffisants de la loi du 6 juin 2000 pour les élections législatives, elle se félicite des avancées significatives obtenues grâce à l'application de cette loi aux élections municipales de mars 2001 et aux élections sénatoriales de septembre 2001. 4) Elle considère que le rétablissement du scrutin majoritaire à la place du scrutin proportionnel avec alternance homme/femme dans les départements élisant trois sénateurs aurait des effets nettement défavorables sur la parité lors des prochaines élections sénatoriales. 5) A l'instar de l'analyse développée devant le Sénat par le ministre délégué aux libertés locales, M. Patrick Devedjian, elle s'interroge sur la compatibilité de la proposition de loi avec l'article 3 de la Constitution. 6) Elle souhaite que, conformément à l'article 4 de la Constitution, les partis politiques veillent activement à la mise en oeuvre de l'objectif de parité. N°
0996 - Rapport d'information au nom de la Délégation aux droits des femmes sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, portant réforme de l'élection des sénateurs (Mme Marie-Jo Zimmermann) |