N° 1486 - Rapport d'information au nom de la délégation aux droits des femmes sur le projet de loi relatif au divorce (Sénat, 1ère lecture) (Mme Geneviève Lévy)




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N° 1486

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 mars 2004.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET A L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1) SUR LE PROJET DE LOI (n° 1338) ADOPTÉ PAR LE SÉNAT APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE relatif au divorce.

PAR Mme Geneviève LEVY,

Députée.

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(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 389 (2002-2003), 120 et T.A. 41 (2003-2004)

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente ; Mmes Danielle Bousquet, Anne-Marie Comparini, M. Edouard Courtial, Mme Geneviève Levy, vice-présidents ; Mmes Brigitte Bareges, Muguette Jacquaint, secrétaires ; Mme Patricia Adam, M. Pierre-Christophe Baguet, Mmes Chantal Bourragué, Chantal Brunel, Martine Carrillon-Couvreur, M. Richard Cazenave, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Patrick Delnatte, Mmes Catherine Génisson, Claude Greff, Arlette Grosskost, MM. Laurent Hénart, Mansour Kamardine, Mmes Conchita Lacuey, Marguerite Lamour, Martine Lignières-Cassou, Hélène Mignon, Françoise de Panafieu, Béatrice Pavy, Valérie Pecresse, Bérengère Poletti, Josette Pons, Marcelle Ramonet, MM. Jacques Remiller, Bernard Roman, Jean-Marc Roubaud, Martial Saddier, Mmes Michèle Tabarot, Béatrice Vernaudon.

INTRODUCTION 5

I - DANS LE DIVORCE PAR CONSENTEMENT MUTUEL, RESPECTER LA VOLONTÉ LIBREMENT EXPRIMÉE DE L'UN ET DE L'AUTRE ÉPOUX 9

A. UN DIVORCE SIMPLIFIÉ QUI FAIT APPEL À LA RESPONSABILITÉ 9

1. Un meilleur respect de l'accord entre époux par l'allégement des procédures 9

2. Un avocat commun ou deux avocats 10

B. DES INTERROGATIONS QUANT AU CONTRÔLE DE LA LIBERTÉ DU CONSENTEMENT 11

1. La liberté du consentement sera-t-elle suffisamment garantie ? 11

2. Un temps de réflexion nécessaire à la maturation du consentement 12

II - PROTÉGER L'ÉPOUX LE PLUS VULNÉRABLE DANS LES PROCÉDURES CONTENTIEUSES 13

A. SIMPLIFIER LES PROCÉDURES SANS LÉSER UN DES EPOUX 13

1. La question du délai dans le divorce pour altération définitive du lien conjugal 13

2. Un divorce pour faute pour les cas les plus graves 15

B. PROTÉGER L'ÉPOUX VULNÉRABLE PAR DES DÉDOMMAGEMENTS SPÉCIFIQUES ET LA PACIFICATION DES CONFLITS 16

1. Des dédommagements spécifiques 16

2. Dissociation des conséquences financières du divorce et de l'attribution des torts 17

3. La pacification des conflits par la médiation familiale 17

C. PRENDRE EN COMPTE DANS L'ATTRIBUTION DE LA PRESTATION COMPENSATOIRE LA SITUATION DE L'ÉPOUX VULNÉRABLE ÉCONOMIQUEMENT 19

1. L'inégalité économique des femmes dans le divorce 19

2. Eviter de léser certaines catégories de femmes lors de son attribution 20

III - AVANT LE DIVORCE, PROTÉGER LE CONJOINT VICTIME DE VIOLENCES CONJUGALES 22

A. POUR UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DES VIOLENCES CONJUGALES SUR LE PLAN PÉNAL 22

1. Les difficultés des femmes à faire reconnaître leurs droits 22

2. La réponse des institutions judiciaires sur le plan pénal 24

B. MIEUX PROTÉGER L'ÉPOUX VICTIME DE VIOLENCES DANS LE CADRE DU MARIAGE 25

1. Une mesure forte : l'éviction du conjoint violent du domicile conjugal 25

2. Pour une application effective de la mesure 26

3. Étendre cette protection contre les violences à d'autres catégories de couples 27

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 29

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES 33

ANNEXE : LISTE DES PERSONNALITÉS ENTENDUES PAR LA DÉLÉGATION ET COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 37

MESDAMES, MESSIEURS,

La Délégation aux droits des femmes a été saisie, le 12 janvier dernier, par M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, du projet de loi relatif au divorce, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence.

Le bicentenaire du code civil, dont le droit de la famille, incluant le divorce, est un des chapitres fondamentaux, conduit à replacer la réforme proposée aujourd'hui dans son contexte historique.

L'évolution du droit de la famille, étroitement liée à celle du statut de la femme dans le mariage, a conduit celle-ci, après les étapes d'une lente et progressive émancipation (1), de mineure et incapable dans le code civil de 1804, à une égalité de droits des époux dans le mariage. Ces progrès ont été marqués notamment par l'acquisition de la capacité civile en 1938, le droit de travailler, d'avoir un compte en banque et un passeport sans l'autorisation du mari en 1965, la suppression de la notion de chef de famille remplacée par l'autorité parentale en 1970, parallèlement à la conquête par les femmes de leurs droits politiques et sociaux.

Le divorce n'a suivi que très lentement cette progression vers plus d'égalité. Institué avec succès en 1792 par la Révolution française, interdit en 1816 en raison du principe de l'indissolubilité du mariage, il est réintroduit dans le code civil en 1884, mais uniquement pour faute. Il faut attendre la loi du 11 juillet 1975, pour que soit réhabilité, cent cinquante ans plus tard, le divorce par consentement mutuel, qui reconnaît l'égalité des volontés de l'un et l'autre époux, du mari et de la femme, dans la décision : « Les époux demandent ensemble le divorce ».

Le divorce pour faute est alors maintenu, mais l'adultère est dépénalisé et n'est plus une cause péremptoire de divorce. Quant au divorce pour rupture de la vie commune, très dissuasif, d'où son peu de succès, il est cependant déjà l'amorce d'un divorce de par la volonté unilatérale de l'un des époux.

Depuis 1975, le divorce a connu une progression considérable. De 74 000 en 1978 pour 355 000 mariages, le nombre de divorces est passé à 122 000 en 2002 pour environ 286 000 mariages (2), devenant une réalité sociologique incontournable.

C'est aussi une réalité humaine, souvent douloureuse pour les époux et pour les enfants, à partir du constat partagé d'échec du couple, d'une situation de désaffection ou de désamour qui peut n'affecter que l'un des époux, d'un conflit exacerbé d'intérêts dont le divorce paraît la seule issue.

Le régime actuel du divorce, issu de la loi de 1975, malgré le succès de la procédure de divorce par consentement mutuel, ne répond plus aux attentes des citoyens. Le divorce pour faute, qui représente encore plus de 40 % des affaires, a fait l'objet de graves détournements de procédures, engageant les couples dans de pénibles conflits préjudiciables non seulement aux époux, mais aussi à l'entourage et aux enfants.

En gestation depuis déjà plusieurs années, débattue sous la précédente législature, la réforme du divorce était urgente et nécessaire.

Le projet de loi, comme l'indique l'exposé des motifs, entend moderniser le droit du divorce pour prendre en compte les évolutions sociales, en simplifiant les procédures lorsque les époux s'entendent sur le principe de séparation et, lorsqu'il s'agit de divorces contentieux, en diversifiant et en pacifiant les procédures.

Les quatre cas de divorce sont maintenus, mais aménagés, afin de mieux répondre à la diversité des situations familiales. La grande innovation réside dans le divorce pour altération définitive du lien conjugal qui remplace l'actuel divorce pour rupture de la vie commune. Le divorce pour faute, qu'avait voulu supprimer la proposition de loi de M. François Colcombet, est conservé. Le recours à la médiation permettra de favoriser le dialogue et d'atténuer les conflits.

Le champ de la réforme proposée s'applique strictement au divorce du livre Ier du code civil, c'est-à-dire aux époux unis par les liens du mariage. Il ne s'applique pas aux autres formes d'union, reconnues cependant par le code civil et qui, parallèlement au mariage, ont connu ces dernières années un développement considérable, l'union libre, étape fréquente des couples avant le mariage ou après le divorce, et le pacte civil de solidarité qui connaît, depuis 1999, une croissance régulière.

La Délégation aux droits des femmes a été associée par M. Patrick Delnatte, rapporteur du projet de loi au nom de la commission des lois, aux entretiens qu'il a menés avec des professionnels du droit, magistrats, avocats, professeurs. Elle a, de son côté, en présence de M. Patrick Delnatte, procédé à des auditions, notamment de représentantes d'associations de défense des droits des femmes.

Elle a bénéficié également du travail très approfondi mené par la Délégation aux droits des femmes du Sénat sur l'égalité des chances entre les époux devant le divorce.

A partir de ces échanges et de ces réflexions, la Délégation, tout en approuvant les avancées du projet de loi, qui, par sa modernisation, adapte le divorce à notre temps, a souhaité, conformément à sa mission, en étudier les conséquences sur les droits des femmes.

Dans le divorce, hommes et femmes sont à parité, mais l'égalité entre hommes et femmes est-elle toujours au rendez-vous, dans la prise de décision, dans les procédures et dans les conséquences du divorce ?

S'agissant du respect des droits des femmes et, en particulier de l'égalité, de la solidarité et de l'intégrité, le projet de réforme du divorce doit être examiné de trois points de vue :

- le respect de la volonté librement exprimée de l'un et de l'autre époux ;

- la protection de l'époux le plus vulnérable, lorsqu'il n'y a pas égalité entre les conjoints devant le divorce, notamment dans le domaine économique ;

- la protection de l'époux victime en cas de violences conjugales.

*

* *

I - DANS LE DIVORCE PAR CONSENTEMENT MUTUEL, RESPECTER LA VOLONTÉ LIBREMENT EXPRIMÉE DE L'UN ET DE L'AUTRE ÉPOUX

L'institution du divorce par consentement mutuel, grande innovation de la loi du 11 juillet 1975, a répondu à une profonde et ancienne demande de la société et à un immense besoin d'égalité de la femme dans le couple. Son succès a été immédiat et grandissant. Il représente aujourd'hui plus de la moitié des procédures (41 % pour le divorce sur requête conjointe et 13 % pour le divorce sur demande acceptée).

Le projet de loi, qui maintient le rôle du juge dans la procédure, propose de favoriser le consentement mutuel par une procédure simplifiée valorisant l'égalité et la responsabilité des époux dans leurs décisions et leurs accords.

La déjudiciarisation du divorce pour consentement mutuel soutenue par certains professionnels du droit, lorsqu'il n'y a ni biens, ni enfants et qu'une convention n'apparaît pas nécessaire pour régler les effets du divorce, n'a pas été retenue par le Sénat en première lecture. La Délégation a estimé également que seul le contrôle du juge permet de garantir effectivement la volonté librement exprimée de chacun des époux, l'équité des accords et le respect des intérêts de chacun.

A. UN DIVORCE SIMPLIFIÉ QUI FAIT APPEL À LA RESPONSABILITÉ

1. Un meilleur respect de l'accord entre époux par l'allégement des procédures

▪ La procédure actuelle de divorce sur requête conjointe fait l'objet de critiques émanant des justiciables et des professionnels de la justice, quant à la lourdeur et la longueur de la procédure, la durée moyenne de la procédure étant actuellement d'environ neuf mois et demi. Le législateur de 1975, en rétablissant le divorce par consentement mutuel, craignant qu'il ne soit décidé de manière précipitée ou irréfléchie, a posé plusieurs garde-fous : interdiction d'y recourir dans les six premiers mois du mariage ; obligation de deux comparutions personnelles devant le juge ; délai d'au moins trois mois entre les deux audiences.

La nécessité de la seconde comparution, souvent abrégée par le juge, est considérée comme inutile, source de retard et cause de frais supplémentaires.

▪ Le divorce par consentement mutuel qui remplace l'actuel divorce sur requête conjointe repose sur l'accord entre les époux, tant sur le principe de la rupture que sur l'ensemble de ses conséquences.

Il fait le pari de la responsabilité et de l'autonomie des volontés individuelles, qui seront encouragées par une procédure simplifiée comportant une comparution unique devant le juge et l'absence de délai de réflexion.

Cette disposition permettra de diminuer la durée de la procédure, d'alléger le travail du juge, tout en lui permettant de procéder à une audience unique plus approfondie et d'inciter les époux à préparer bien en amont la convention réglant les conséquences de la séparation.

Les époux devront présenter au juge la convention. Ce dernier l'homologuera et prononcera le divorce, si elle préserve suffisamment les intérêts des enfants et les intérêts propres de chacun des époux.

2. Un avocat commun ou deux avocats

Les époux, comme c'est le cas actuellement, pourront choisir de recourir à un avocat choisi d'un commun accord ou avoir chacun leur propre conseil.

Cette disposition a fait l'objet de nombreux débats. Comment les intérêts de chacun des époux seront-ils le mieux défendus ?

Mme Marie-Cécile Moreau, juriste, entendue par la Délégation, a fait valoir que « lorsqu'il existe un consentement commun au divorce, il faut bien voir que c'est un consentement dans un désaccord : on ne cherche pas à divorcer lorsqu'on s'entend bien au préalable. Par conséquent, les divorçants sont des gens (...) qui, par définition, sont en contentieux ou en tout cas en discussion et, plus encore, dans un rapport parfois très inégalitaire entre l'homme et la femme, au détriment de la femme. Je pense donc (...) que, pour cette raison, un accord dans le désaccord justifie que chacun des conjoints ait son avocat. Ce n'est pas une mesure de défense professionnelle (...), mais de respect pour le consentement libre et éclairé qui est au centre de notre droit ».

Si, en théorie, la présence de deux conseils permettrait en effet de mieux prendre en compte la volonté réelle et les intérêts de chacune des parties, en particulier des femmes, qui ne sont pas toujours au courant des « affaires » de leur mari, la pratique actuelle et le choix des couples qui, dans neuf cas sur dix, selon la Chancellerie, s'adressent à un avocat commun, conduisent à en maintenir la possibilité.

S'agissant d'une procédure non contentieuse, l'avocat a davantage à jouer un rôle de conseil dans l'élaboration de la convention, même si les intérêts des parties divergent. En cas de conflits réels d'intérêts et de situations patrimoniales complexes, le choix sera toujours possible du recours à deux conseils.

Des raisons financières plaident également en faveur du recours à un seul avocat : étant donné le coût des conseils, les époux, par souci d'économie, préfèrent généralement partager les frais d'honoraires.

Enfin, le recours obligatoire à deux avocats irait à l'encontre du souci de simplification des procédures voulue par la réforme du divorce.

B. DES INTERROGATIONS QUANT AU CONTRÔLE DE LA LIBERTÉ DU CONSENTEMENT

1. La liberté du consentement sera-t-elle suffisamment garantie ?

▪ Le juge est tenu de s'assurer de la volonté réelle et du libre consentement de chacun des époux. Selon l'article 232 du code civil : « Le juge homologue la convention et prononce le divorce s'il a acquis la conviction que la volonté de chacun des époux est réelle et que leur consentement est libre et éclairé ». En revanche, s'il constate, lors de l'homologation, un désaccord entre les époux, il est fondé à rejeter la demande.

De même, il peut refuser l'homologation et ne pas prononcer le divorce s'il constate que la convention préserve insuffisamment les intérêts des enfants ou de l'un des époux. Mais, dès lors qu'il estime respectées la réalité, la liberté et la persistance des consentements, il ne peut mettre en cause l'accord de principe des époux quant au divorce, dont par ailleurs il n'a pas à connaître les causes.

▪ Le contrôle du juge sur le consentement sera difficile face à certaines situations de consentements contraints, qui sont principalement le fait des femmes. Ainsi, Mme Annie Guilberteau, directrice générale du CNIDFF (3), entendue par la Délégation, a souligné que, d'après la pratique du centre, dans la procédure de divorce par consentement mutuel actuelle, beaucoup de consentements sont contraints. Il peut s'agir de consentements formels, mais qui ne sont pas totalement acceptés par l'un ou l'autre des époux, en raison de phénomènes d'emprise, de pressions psychologiques ou d'ordre financier, de chantage affectif concernant les enfants, voire de violences.

Aussi, la simplification de la procédure par la comparution unique, a-t-elle suscité des interrogations quant à la prise en compte effective d'un consentement libre et éclairé des époux. Le juge sera-t-il à même de détecter ces comportements au cours d'une seule audience ?

Des professionnels du droit et des associations ont souhaité qu'une seconde comparution puisse avoir lieu à la demande des parties.

▪ Des garanties entourent cependant le consentement : la procédure précise que le juge examine la demande en divorce avec chacun des époux séparément, puis en réunion commune et ensuite en présence du ou des avocats.

Cette audience, menée en profondeur, sera essentielle et nécessitera en amont une sérieuse préparation entre les époux et le ou les avocats.

En cas de doute sur le libre consentement, le juge qui en est le garant, aura la possibilité de demander une seconde comparution dans un délai de six mois. De façon informelle, les parties, par le biais de leurs conseils, pourront éventuellement solliciter auprès du juge cette seconde audience.

Dans ces conditions, la Délégation aux droits des femmes a donc approuvé le principe de la comparution unique. Elle a souhaité néanmoins l'assortir d'un délai de réflexion.

2. Un temps de réflexion nécessaire à la maturation du consentement

Même si le risque est faible de voir prononcer en quinze jours un divorce par consentement mutuel, l'absence de délais dans la procédure (suppression des trois mois entre les deux comparutions, suppression du délai de six mois après le mariage pour introduire une requête) suscite des interrogations.

Ainsi, Mme Chantal Lebatard, administratrice de l'Union nationale des associations familiales, entendue par la Délégation, a souligné « qu'il n'est fait aucune mention du délai, comme si on tablait finalement sur l'encombrement des tribunaux et la charge de travail du juge pour assurer un délai de réflexion entre le moment où on dépose la demande et le moment où on comparaît devant le juge. Je pense que l'on pourrait au moins fixer un délai minimal, qui préserverait la réalité du consentement et sa maturation. En effet, à un moment donné, dans une espèce d'euphorie qui ne permet pas vraiment de prendre ses distances, on peut se laisser aller dans l'accord parfait, puis cheminer ensuite ».

Un temps s'avère nécessaire pour la maturation d'une décision grave qui, engageant l'avenir, ne doit pas être prise dans la précipitation. Même si la pratique judiciaire le permet aujourd'hui, la Délégation aux droits des femmes a estimé qu'il serait utile de prévoir dans la loi, pour sa valeur symbolique, un délai raisonnable de trois mois entre le dépôt de la requête conjointe et la comparution devant le juge.

II - PROTÉGER L'ÉPOUX LE PLUS VULNÉRABLE DANS LES PROCÉDURES CONTENTIEUSES

Dans les procédures contentieuses, l'initiative du divorce est majoritairement féminine. Ce sont les femmes qui à 75 % demandent un divorce pour faute. Davantage impliquées dans le mariage et la vie familiale dont elles assument les tâches plus que les hommes, elles sont plus sensibles aux échecs et aux dysfonctionnements du couple, et n'hésitent pas, faute de consentement mutuel, à recourir à des procédures longues et difficiles.

L'assouplissement des procédures contentieuses, positif pour l'un et l'autre époux, doit cependant avoir pour corollaire une meilleure protection de l'époux vulnérable, dans un souci d'équité et de solidarité.

A. SIMPLIFIER LES PROCÉDURES SANS LÉSER UN DES EPOUX

1. La question du délai dans le divorce pour altération définitive du lien conjugal

▪ Un divorce moins contraignant

Principale innovation du projet de loi, le divorce pour altération définitive du lien conjugal se substitue au divorce pour rupture de la vie commune, resté peu attractif.

Cette procédure de divorce ne concerne actuellement que 1,3 % des divorces, étant donné les conditions particulièrement sévères imposées à l'époux demandeur - conditions qui avaient pour but de mettre des garde-fous au divorce imposé par l'un des époux à l'autre : délai de séparation de fait depuis six années ; maintien du devoir de secours impliquant le paiement d'une pension alimentaire à l'autre époux jusqu'à la fin de sa vie ; charges du divorce incombant à l'époux demandeur ; clause de dureté, permettant le rejet de la demande de divorce, si le conjoint défendeur peut faire la preuve qu'une exceptionnelle dureté s'attache à la désunion.

Les adversaires de ce type de divorce ont voulu y voir une sorte de répudiation de l'époux innocent. Ces craintes n'ont pas été fondées, l'initiative de ce divorce revenant presque autant aux femmes (46 %) qu'aux hommes (54 %).

La nouvelle procédure du divorce pour altération définitive du lien conjugal diminue considérablement les contraintes :

- le délai de six années de séparation est remplacé par un délai de deux années avant l'assignation en divorce, au terme duquel le juge constate la cessation de la communauté de vie et prononce le divorce ;

- le devoir de secours cesse avec le prononcé du divorce et comme pour tous les cas de divorce, le droit commun de la prestation compensatoire s'applique ;

- les charges du divorce n'incombent pas à l'époux demandeur ;

- la clause de dureté est supprimée.

Par rapport au divorce pour rupture de la vie commune, cette procédure implique un changement profond de philosophie. A l'alternative offerte entre le consentement mutuel et la faute, c'est un divorce à la demande d'un seul des époux, qui est imposé à l'autre, qu'il soit ou non consentant, et auquel le juge ne peut s'opposer.

▪ La question du délai de séparation au cœur du débat

La reconnaissance de la liberté individuelle de chacun des époux au sein du mariage implique qu'on ne saurait contraindre l'un d'eux à demeurer contre son gré dans les liens du mariage.

D'où l'importance symbolique du délai de séparation qui a cristallisé les débats, certains craignant un risque nouveau de répudiation.

Le délai de six années du divorce pour rupture de la vie commune avait été institué à une époque, où prévalait encore fortement une conception pérenne du mariage pour des raisons sociologiques, historiques et religieuses et où certaines épouses refusaient le principe même du divorce. Depuis trente ans, les mentalités ont changé et la notion d'un divorce civil et laïque, qui doit respecter la liberté des époux, s'est imposée.

Le délai de six ans paraît maintenant excessif et le débat a porté sur le bien-fondé d'une durée de séparation de trois ans ou deux ans, sachant qu'il n'y a pas de délai idéal.

Lors des débats au Sénat, Mme Gisèle Gautier, présidente de la Délégation aux droits des femmes avait proposé trois années, estimant qu'un délai de deux ans, trop court, favorisait le conjoint demandeur.

Mme Marie-Cécile Moreau, juriste, dans le même sens, a estimé devant la Délégation qu'« un délai de trois ans aurait pour lui un argument
a pari
tiré du code civil. Le délai de trois ans (article 306 du code civil) est celui qui figure dans le code pour la conversion de la séparation de corps en divorce. Il est prévu que la séparation de corps peut être convertie en divorce trois ans après le jugement qui a prononcé cette séparation de corps. Il y aurait donc peut-être là une argumentation de texte qui aurait un certain fondement, même si cette durée de trois ans est aussi discutable que celle de deux ans ».

Le temps psychologique nécessaire à l'époux qui n'a pas souhaité le divorce, pour faire en quelque sorte le deuil de l'union, est difficilement mesurable. Le projet de loi a fait le choix du délai de deux ans. On peut effectivement penser que, après deux ans de séparation complète, il n'y a plus guère de chance que les époux reprennent la vie commune et qu'il vaut donc mieux que ce délai ne soit pas trop long. Cela permettra d'éviter le développement d'un climat de ressentiment et de mettre davantage l'accent sur la reconstruction de l'avenir le plus tôt possible pour l'épouse et pour ses enfants, mais aussi pour celui des époux qui a pris l'initiative de la séparation et souhaite fonder une nouvelle famille.

C'est pourquoi, compte tenu de l'évolution des modes de vie depuis trente ans et de la nécessité d'une reconstruction de l'avenir de l'époux qui n'a pas consenti au divorce, le délai retenu de deux ans avant l'assignation au divorce a paru raisonnable à la Délégation aux droits des femmes.

2. Un divorce pour faute pour les cas les plus graves

En ce qui concerne le divorce pour faute, maintenu, le projet de loi, adopté en première lecture, reprend les termes de l'actuel article 242 du code civil : « Le divorce peut être demandé par l'un des époux lorsque des faits constitutifs d'une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune. »

A l'initiative du Sénat, le terme de violation « renouvelée », supprimé dans le texte initial du projet de loi, a été réintroduit. Cette notion apporte une dimension complémentaire, celle du harcèlement et de la répétition dans la durée des faits constitutifs de la faute.

Dans l'esprit du projet de loi, ce divorce devra être retenu en cas de violations graves des devoirs du mariage, qui doivent être dénoncées et sanctionnées, principalement les violences conjugales dont les femmes sont principalement les victimes.

L'aménagement de procédures plus souples en cas de conflit entre les époux, la possibilité de passerelles entre les différentes formes de divorce et la simplification de la procédure pour altération définitive du lien conjugal devraient avoir pour effet d'éviter, comme c'est le cas aujourd'hui, de recourir au divorce pour faute dans des cas qui ne le justifient pas, et donc de limiter ces cas de divorce aux situations les plus graves, violences, harcèlement, humiliations.

B. PROTÉGER L'ÉPOUX VULNÉRABLE PAR DES DÉDOMMAGEMENTS SPÉCIFIQUES ET LA PACIFICATION DES CONFLITS

1. Des dédommagements spécifiques

La clause de dureté qui permet au juge de repousser la demande en divorce pour rupture de la vie commune, s'il est établi que le divorce aurait pour le défendeur des conséquences matérielles ou morales d'une exceptionnelle dureté, est supprimée par le projet de loi.

Cependant, le nouvel article 266 du code civil permet de prendre en compte « les conséquences d'une particulière gravité » que l'époux défendeur subit du fait de la dissolution du mariage.

Il appartiendra au juge d'évaluer ces conséquences d'une particulière gravité. Comme dans la clause de dureté, elles pourront être liées notamment à l'âge de l'époux défendeur, qui, par exemple, ne lui permettra pas de trouver d'activité professionnelle, et à la durée du mariage dont la rupture a entraîné un grave préjudice moral.

Des dommages-intérêts pourront alors être accordés en réparation à l'époux défendeur, dans le cas d'un divorce pour altération définitive du lien conjugal ou lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de son conjoint.

Liée aux torts exclusifs du conjoint, l'attribution des dommages-intérêts ne manquera pas d'être considérée comme la sanction de la faute.

En tout état de cause, ces dommages-intérêts pourront s'accompagner d'actions en responsabilité introduites sur le fondement de l'article 1382 du code civil. En effet, l'époux victime des agissements fautifs de son conjoint pourra invoquer les dispositions du droit commun pour obtenir la réparation de préjudices, qui ne seront pas des conséquences du divorce, mais qui seront intervenus antérieurement (par exemple, en cas de violences antérieures au divorce).

2. Dissociation des conséquences financières du divorce et de l'attribution des torts

La prestation compensatoire est aujourd'hui refusée au conjoint divorcé à ses torts exclusifs. Désormais, elle sera attribuée au conjoint divorcé, y compris à l'époux fautif, sur des critères liés à la compensation de disparités de niveau de vie liées au divorce.

A titre exceptionnel cependant, si l'équité le commande, le juge pourra refuser d'accorder la prestation compensatoire, « soit en considération des critères prévus à l'article 271 notamment lorsque la demande est fondée sur l'altération définitive du lien conjugal, soit, lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l'époux qui demande le bénéfice de cette prestation, au regard des circonstances particulières de la rupture » (article 270 du code civil).

3. La pacification des conflits par la médiation familiale

Beaucoup d'espoirs sont mis dans l'intervention de la médiation familiale qui devra humaniser la procédure, faciliter la recherche d'accords, alléger et soutenir la tâche du juge.

▪ Sous le contrôle du juge, la médiation familiale requiert l'accord des deux époux

La médiation, méthode pacifique de solution des conflits, a été légalisée en France par la loi du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.

A titre familial, elle a été introduite pour la première fois dans le code civil, par la loi du 12 mars 2002 relative à l'autorité parentale, avec pour mission de faciliter le règlement des conflits familiaux, en relation avec le partage de l'autorité parentale, de restaurer le dialogue entre les parents, afin d'aboutir à un accord négocié, mieux accepté qu'une décision imposée par le juge.

Le projet de loi mentionne explicitement l'intervention de la médiation familiale dans le divorce, dans les mêmes termes que pour l'autorité parentale. Le juge peut proposer aux époux, avec leur accord, dans le cadre des mesures provisoires, une mesure de médiation ou enjoindre aux époux de participer à une séance d'information sur la médiation.

La médiation familiale ne se fera que sous le contrôle du juge. Le médiateur qui ne peut se substituer au juge, ni lui rendre compte, doit être un conciliateur discret, respectueux de la confidentialité des entretiens, gage du succès de sa mission. La médiation intervient à un stade précis de la procédure, dans le cadre des mesures provisoires. De caractère essentiellement volontaire, elle requiert l'accord des époux.

Comme dans le cadre de l'autorité parentale, est instituée une injonction à une information sur la médiation de la part du juge vis-à-vis des époux. Cette injonction ne doit pas se comprendre comme une obligation assortie d'une sanction, mais comme une forte incitation dans les situations les plus graves, où les époux, face à un conflit extrême, ne sont plus capables de renouer le dialogue. Une information de pré-médiation peut alors constituer une sorte de bouée de sauvetage.

▪ La médiation familiale n'est pas appropriée en cas de violences familiales

Des associations de défense des droits des femmes se sont inquiétées du rôle de la médiation familiale en cas de violences conjugales.

A ce sujet, Mme Marie-Dominique de Suremain, déléguée nationale de la Fédération nationale Solidarité-Femmes, a souligné devant la Délégation : « Nous pensons que la médiation familiale dans le cas du divorce, la médiation pénale s'il y a plainte, est inappropriée en cas de violences. Elle met les personnes de nouveau sur un pied d'égalité. Elle ne reconnaît pas qu'il y a violence, donc délit. Elle ne rétablit pas la loi. Elle fait grandir un sentiment d'impunité chez l'agresseur et elle conduit tout droit à la récidive ».

La Délégation aux droits des femmes a estimé qu'en cas de situation de violences constatées au sein de la famille, des mesures de médiation familiales sont en effet inappropriées.

▪ La médiation familiale a besoin du soutien de l'Etat pour son financement et son organisation

L'introduction de la médiation dans la procédure est une mesure extrêmement positive qui a un coût. Elle devra, pour se développer, être impérativement ouverte à tous et dans toutes les juridictions, et bénéficier d'un financement public au titre de l'aide juridictionnelle ou dans le cadre de la protection sociale.

Une contribution minimale des époux qui acceptent d'y recourir pourrait être requise, afin de mieux les impliquer dans cette démarche.

Néanmoins, la première rencontre aux fins d'information avec un médiateur familial, que le juge peut enjoindre aux époux, devra être gratuite.

C. PRENDRE EN COMPTE DANS L'ATTRIBUTION DE LA PRESTATION COMPENSATOIRE LA SITUATION DE L'ÉPOUX VULNÉRABLE ÉCONOMIQUEMENT

1. L'inégalité économique des femmes dans le divorce

Du point de vue économique, les époux - et particulièrement les femmes - ne sont pas à égalité devant le divorce. Le mécanisme de la prestation compensatoire vise précisément à « compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage créé dans les conditions de vie respectives » (article 270 du code civil).

Malgré l'accroissement considérable du taux d'activité des femmes (80 % des femmes entre 25 et 49 ans travaillent) et la conquête de leur indépendance économique parallèlement à leur autonomie juridique, de fortes inégalités demeurent dans la vie professionnelle, en matière de salaires et de retraites ainsi que dans la répartition des tâches au sein de la famille. Au moment du divorce, ces disparités placent les femmes dans une situation vulnérable et, en tout état de cause, vont entraîner presque automatiquement une baisse de leur niveau de vie, en raison notamment de leur dépendance économique au sein du couple, et du fait qu'elles ont très majoritairement la garde des enfants.

Deux catégories de femmes risquent plus que d'autres d'être pénalisées au lendemain du divorce :

- les femmes responsables de familles monoparentales, dont le nombre va croissant. Ces familles sont aujourd'hui 1 500 000 environ, dont les trois quarts proviennent d'une séparation. Dans 86 % de ces familles, le parent seul est une femme. Ces familles sont très menacées par la précarité ;

- les femmes d'un certain âge, qui, ayant peu ou jamais travaillé, n'ont aucun ou seulement de faibles droits personnels à la retraite. Les statistiques concernant l'âge de l'épouse au jugement de divorce montrent que si la grande majorité des divorces concernent les femmes entre 30 et 45 ans, (environ 64 000 en 2001, sur 113 618 divorces), au-delà de 45 ans le nombre des divorces demeure élevé, 35 000. Après 60 ans, ce sont encore environ 3 500 femmes par an qui sont concernées par le divorce.

Ces femmes, arrivées à la cinquantaine, n'ayant jamais eu d'activité professionnelle, ont peu de chances de pouvoir intégrer le marché du travail.

La philosophie du projet de loi fait le pari de l'activité professionnelle des femmes, avec le risque d'un fossé entre femmes qui travaillent et celles qui ne travaillent pas et qui auront fait le choix, en couple, de se consacrer à leur famille.

2. Eviter de léser certaines catégories de femmes lors de son attribution

▪ Le projet de loi maintient le principe de la prestation compensatoire à caractère forfaitaire versée sous forme de capital.

Pour atténuer les rigidités de la réforme du 30 juin 2000, un certain nombre d'aménagements et d'assouplissements sont apportés par le projet de loi en ce qui concerne les modalités de versement, les possibilités de révision, la transmissibilité de la rente, de manière à tenir compte des intérêts des débiteurs et des créanciers et des modifications de leur situation.

Le projet de loi répare une injustice flagrante, celle de la transmissibilité de la rente aux héritiers. Ces derniers ne seront plus tenus personnellement au paiement de la rente que dans la limite de l'actif de la succession, avec possibilité immédiate de transformation de la rente en capital. Cela permettra de mettre fin à des situations pesantes et mal vécues par les héritiers et la seconde famille du débiteur.

▪ Le système ainsi réaménagé appelle néanmoins des observations, principalement en ce qui concerne les modalités d'attribution de la rente viagère.

Celle-ci, comme c'est le cas aujourd'hui, selon l'article 276 du code civil, ne peut être fixée par le juge « qu'à titre exceptionnel, par décision spécialement motivée, lorsque l'âge ou l'état de santé du créancier ne lui permet pas de subvenir à ses besoins et qu'aucune amélioration notable de sa situation financière n'est envisageable. »

Il est à craindre que le souci de parvenir à un apurement rapide des relations financières entre les ex-époux par le versement en capital, ne conduise à négliger l'intérêt pour certains conjoints divorcés de bénéficier d'une rente plutôt que d'un capital.

Des associations de défense des droits des femmes ont souligné la situation d'épouses d'un certain âge, divorcées après une longue durée de mariage et qui, faute d'activité professionnelle suffisante, n'ont pu acquérir que très peu, ou pas du tout, de droits personnels à la retraite.

La prestation compensatoire sous forme de capital pouvant être liquidée par paiement fractionné en huit ans, ces femmes risquent de se retrouver sans ressources au terme de ce délai et sans doute pour de longues années, étant donné les chiffres actuels d'espérance de vie, même si elles peuvent éventuellement espérer une pension de réversion, à partager avec la seconde épouse.

La Délégation a donc estimé qu'une attention particulière devrait être apportée à la situation de ces femmes, divorcées après une longue durée de mariage, dont les ressources personnelles, du fait de choix de couple, sont inexistantes. L'attribution de la prestation compensatoire, à la fois sous forme de capital (droit d'usufruit du logement par exemple) et sous forme de rente viagère devrait être facilitée.

▪ Le juge, avant de fixer la prestation sous forme de rente viagère, doit prendre en considération un certain nombre d'éléments énumérés à l'article 271 du code civil.

Aux dispositions initiales concernant l'âge et la santé des époux, les droits existants et prévisibles, la situation du patrimoine après liquidation du régime matrimonial, la loi du 30 juin 2000 a intégré la durée du mariage, le temps consacré à l'éducation des enfants, la situation professionnelle et au regard des droits à la retraite. Le projet de loi complété par le Sénat, propose d'y ajouter, de façon très positive, les choix professionnels faits pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et les choix professionnels faits par un époux en faveur de la carrière de l'autre au détriment de la sienne.

Comme l'a fait remarquer Mme Chantal Lebatard devant la Délégation, ces derniers éléments sont examinés uniquement en termes de vie professionnelle, sans considérer qu'un conjoint puisse « dans un choix de vie conjugale ou d'harmonie de vie familiale (...) choisir de ne pas exercer de vie professionnelle ou de limiter la sienne. »

La Délégation a estimé qu'il convenait d'introduire cette dimension supplémentaire parmi les éléments de l'article 271 et donc, que le juge devrait également prendre en considération le choix de la vie familiale.

▪ La loi de 1975 faisait une place particulière, dans le cas de divorce pour rupture de la vie commune, au conjoint dont l'altération des facultés mentales ne permet plus aucune communauté de vie. Le devoir de secours auquel était tenu, dans ce cas, le conjoint, devait expressément couvrir tout ce qui est nécessaire au traitement médical du conjoint malade.

La prestation compensatoire se substituant au devoir de secours, le juge, lorsqu'il statue dans ces cas précis de conjoint dont les facultés mentales sont altérées, devrait tenir compte des frais médicaux entraînés par la maladie du conjoint.

III - AVANT LE DIVORCE, PROTÉGER LE CONJOINT VICTIME DE VIOLENCES CONJUGALES

A. POUR UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DES VIOLENCES CONJUGALES SUR LE PLAN PÉNAL

L'Enquête sociologique sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF), réalisée dans le courant de l'année 2000, a révélé l'ampleur du phénomène des violences à l'encontre des femmes et entraîné ces dernières années une prise de conscience des pouvoirs publics comme de l'opinion.

Une meilleure prise en compte des violences au sein de la famille par l'institution judiciaire s'avère indispensable dans le domaine pénal, pour donner toute son efficacité à la nouvelle mesure envisagée au plan civil d'éviction du conjoint violent du domicile conjugal.

1. Les difficultés des femmes à faire reconnaître leurs droits

Le travail considérable accompli par des associations de femmes, comme la Fédération nationale Solidarité-Femmes, qui anime un réseau d'écoute téléphonique des femmes en situation de violence conjugale, entendue par la Délégation, a permis de comprendre les mécanismes qui entravent souvent l'expression des violences, puis leur traitement par l'institution judiciaire.

- Les femmes victimes, placées dans une situation psychologique d'emprise, dans un huis clos familial sans témoin, éprouvent les plus grandes réticences d'abord à consulter un médecin, puis à effectuer une démarche auprès de la police, à porter plainte, à consulter une association, un avocat. La crainte d'accuser le conjoint, qui est aussi le père des enfants, la peur de représailles, le sentiment de culpabilité sont des obstacles longtemps insurmontables.

Comme l'explique Mme Marie-Dominique de Suremain : « souvent, il y a une banalisation des agressions. Surtout, le mécanisme principal est un retournement permanent de la situation : la victime elle-même se culpabilise... Le mari a tendance à toujours minimiser sa propre responsabilité, à retourner la situation et à accuser la victime d'être coupable des faits ». Mme Marie-Dominique de Suremain dénonce les situations de dépendance qui durent. Les femmes n'appellent que longtemps après le début des violences, quand la situation devient insupportable, quand les enfants sont touchés.

- La première démarche à accomplir est d'apporter la preuve des violences. Or, précisément, réunir des témoignages de ce qui se passe dans la sphère privée est particulièrement difficile.

Les femmes victimes, que l'on appelle traditionnellement les femmes « battues », en mettant ainsi l'accent sur les violences physiques, souffrent, par ailleurs, de violences morales, psychologiques, sexuelles, mais aussi de violences économiques (privation de ressources, retrait de l'argent du compte commun, refus de laisser la femme travailler), qui sont encore plus difficiles à démontrer.

La preuve repose principalement sur le certificat médical, pièce essentielle, lors du dépôt de plainte, qui évalue l'incapacité totale de travail (ITT). Le rôle du médecin, à ce stade, est capital, vis-à-vis de la victime comme vis-à-vis de la justice.

Pour qu'une plainte pour coups et blessures volontaires soit suivie par le parquet, il faut que l'agression ait entraîné une ITT de plus de huit jours. Les associations estiment que la constatation médicale des violences demeure insuffisante. Il en résulte, d'après les associations, une forte proportion de plaintes classées sans suite, le parquet décidant de ne pas poursuivre.

Si l'on considère, d'après l'ENVEFF, que seulement 13 % des violences subies dans la relation de couple font l'objet d'une démarche auprès de la police et 8 % l'objet d'un dépôt de plainte, force est de constater que ces violences sont encore très insuffisamment prises en compte, et les auteurs des violences conjugales encore globalement très peu sanctionnés (6 851 condamnations en 1999, 5 779 en 1997).

2. La réponse des institutions judiciaires sur le plan pénal

Plusieurs étapes marquent ces dernières années la prise en compte des violences conjugales.

Le nouveau code pénal de 1992 reconnaît la particulière gravité des violences exercées par le conjoint ou le concubin, qui constituent un délit spécifique avec circonstances aggravantes, quelque soit le nombre de jours d'ITT, ou même sans ITT (art. 222-12, 6° et art. 222-13, 6° du code pénal). Les peines encourues sont aggravées, lorsque ces violences sont perpétrées sur le conjoint ou le concubin de la victime en situation de particulière vulnérabilité due à un état de grossesse, apparent ou connu de l'auteur.

Le viol, dont la Cour de cassation a admis qu'il pouvait avoir lieu entre époux, fait, par ailleurs, l'objet de peines lourdement aggravées par le nouveau code pénal.

La circulaire interministérielle du 8 mars 1999 relative à la lutte contre les violences à l'encontre des femmes au sein du couple s'efforce de mettre en œuvre un partenariat interministériel, notamment à partir des commissions départementales d'action contre les violences faites aux femmes et d'apporter des réponses adaptées aux victimes (meilleur accueil par les services de police et de gendarmerie, formation des personnels, nouvelle prise en charge judiciaire de ces affaires par les services de police et par les parquets).

La circulaire précise que si une information judiciaire est ouverte, il est particulièrement important avant jugement de solliciter du magistrat instructeur des mesures de sûreté qui permettent de garantir la sécurité des victimes, notamment par l'instauration d'un contrôle judiciaire interdisant, par exemple, tout contact entre le conjoint violent et sa victime. Après jugement, d'autres mesures peuvent être prises pour lui interdire ces contacts ; le non-respect de ces obligations peut aller jusqu'à la mise en détention.

Plus récemment, le 8 mars 2004, dans le cadre de la Charte de l'égalité entre les hommes et les femmes, présentée par Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, un certain nombre de mesures ont été proposées pour améliorer l'accueil des femmes victimes de violence dans les commissariats et dans les gendarmeries.

A côté d'une attention soutenue à la formation des policiers et des gendarmes, qui comprend un volet consacré aux violences faites aux femmes, l'accueil dans les commissariats devra être précisé : espace de confidentialité ; attitude propre à rassurer la victime ; traitement des affaires par des personnels spécialement formés ; contact avec les associations ; exploitation des mains courantes.

B. MIEUX PROTÉGER L'ÉPOUX VICTIME DE VIOLENCES DANS LE CADRE DU MARIAGE

1. Une mesure forte : l'éviction du conjoint violent du domicile conjugal

▪ Actuellement, les situations de violence, parallèlement à une très éventuelle procédure au pénal, ne sont prises en compte sur le plan civil qu'au moment de la séparation du couple, dans le cadre d'une procédure de divorce pour faute.

Lors de l'audience de conciliation, le juge, dans le cadre des mesures provisoires, est amené à statuer sur la résidence séparée des époux (art. 255 du code civil).

S'il y a urgence, le juge peut, dès la requête initiale et avant la conciliation, autoriser l'époux demandeur à résider séparément, s'il y a lieu, avec ses enfants mineurs (article 257 du code civil).

Ces dispositions demeurent insuffisantes pour régler le problème des violences conjugales avant la procédure de divorce, s'agissant en particulier du maintien dans le logement conjugal de l'époux victime et de l'éloignement de l'époux violent.

Jusqu'à présent, le plus souvent, il revient à la femme avec les enfants de quitter en urgence le domicile conjugal. Des solutions d'hébergement provisoires peuvent être offertes : ce sont les CHRS, lieux d'hébergement et de réinsertion, malheureusement chroniquement engorgés.

Cette situation, dénoncée depuis longtemps par les associations, demeure particulièrement injuste. Pour des raisons de sécurité, il n'y a pas actuellement d'autre alternative.

▪ Seule une modification législative de l'article 220-1 du code civil pourra donner au juge l'appui nécessaire pour intervenir avec efficacité et statuer sur le maintien dans le domicile conjugal de l'époux victime.

L'article 22 du projet de loi modifie ainsi le troisième alinéa de l'article 220-1 du code civil :

« Lorsque les violences exercées par un époux mettent en danger son conjoint, un ou plusieurs enfants, le juge peut statuer sur la résidence séparée des époux en précisant lequel des deux continuera à résider dans le logement conjugal. Sauf circonstances particulières, la jouissance du logement conjugal est attribuée au conjoint qui n'est pas l'auteur des violences. Le juge se prononce, s'il y a lieu, sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale. Les mesures prises sont caduques si, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de leur prononcé, aucune requête en divorce ou en séparation de corps n'a été déposée. »

Cette disposition est attendue depuis longtemps par de nombreuses associations. Elle marque une avancée vers plus de justice, de respect et de protection vis-à-vis des victimes de violences conjugales. Elle implique aussi un revirement complet d'attitude vis-à-vis de l'auteur des violences, jusqu'à présent déresponsabilisé puisque n'encourant aucune sanction (sinon très rarement au pénal).

Comme l'a souligné Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, intervenant en juillet 2003 devant une commission départementale de lutte contre les violences faites aux femmes, « Cela donnera certainement aux auteurs de violences l'occasion de réfléchir sur leurs actes, sur leur gravité et sur leur conséquences civiles et pénales. Mais cela jouera certainement aussi un rôle important auprès des conjoints potentiellement violents afin de les dissuader de passer à l'acte ».

2. Pour une application effective de la mesure

Lors des débats devant la Délégation aux droits des femmes, l'aspect fortement symbolique de cette mesure a été souligné. Toutefois, les membres de la Délégation, comme ses interlocuteurs, ont unanimement souhaité qu'elle soit accompagnée de dispositions concrètes, d'ordre réglementaire, permettant son application effective.

▪  Nécessité d'une procédure contradictoire

Devant le Sénat, en première lecture, le Gouvernement s'est engagé à préciser, dans un décret d'application, le recours à la procédure contradictoire, afin d'entendre les deux époux, accompagné de leurs avocats.

L'assistance d'un avocat permettra d'éviter que l'emprise d'un époux sur l'autre ne vienne fausser la procédure. De plus, la procédure contradictoire permettra au juge de prendre une décision équitable.

L'aide juridictionnelle sera cependant indispensable pour la victime ; elle devra lui être accordée automatiquement et en urgence.

▪ Information du juge aux affaires familiales

Le juge aux affaires familiales appelé à statuer selon cette procédure, devra être informé des mains courantes, de la plainte déposée par l'époux victime, ainsi que de la procédure éventuellement engagée au pénal.

▪ Mesure d'aide à une exécution effective de la décision d'éviction du domicile conjugal

Si l'époux violent, condamné à quitter le domicile conjugal, est récalcitrant, le juge pourra ordonner des astreintes financières.

▪ Modalités financières du maintien dans le domicile conjugal

Ces dispositions sont très importantes. Le juge devra préciser les modalités financières du maintien dans le domicile conjugal de l'époux victime des violences, en particulier les conditions de la prise en charge du loyer et de la contribution aux charges du mariage de l'époux violent évincé.

▪ Caducité des mesures : de trois à six mois

Les mesures prises en vertu de l'article 220-1 du code civil deviennent caduques si une requête en divorce n'a pas été déposée dans un délai de trois mois. Ce délai a été estimé trop court par les associations qui travaillent sur le terrain. Dans ces situations, les femmes en grande vulnérabilité ont besoin d'un certain temps pour se reprendre, réagir, accomplir les démarches nécessaires. La Délégation a estimé qu'un délai de six mois permettrait de prendre en compte cette réalité.

3. Étendre cette protection contre les violences à d'autres catégories de couples

▪ Les modifications de l'article 220-1 du code civil inscrits dans le chapitre du mariage, s'appliquent strictement aux époux et ne concernent ni les concubins, ni les pacsés.

Ces derniers bénéficient toutefois, en cas de violences conjugales, de la même protection sur le plan pénal que les conjoints. Sur le plan civil, la victime de violences vivant en concubinage, peut demander l'expulsion de son concubin du domicile familial, seulement si elle est propriétaire ou seule locataire du logement.

Il conviendrait donc d'étudier la possibilité d'étendre cette nouvelle protection contre les violences conjugales, aux couples non mariés, concubins ou pacsés, afin d'obtenir l'expulsion du compagnon violent, sans attendre la procédure pénale.

▪ Enfin, une catégorie particulière de personnes mériterait qu'on lui prête attention, celle des ex-conjoints. Ceux-ci ne bénéficient, en cas de violences, d'aucune protection particulière, notamment parce que les circonstances aggravantes qui sont attachées aux crimes et délits commis par les conjoints ou concubins violents, ne sont pas applicables aux ex-conjoints violents.

Les associations font remarquer que les femmes ex-conjointes, dont la séparation a été marquée par la violence, risquent de se trouver au lendemain d'un divorce pour faute dans une situation particulièrement dangereuse.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation aux droits des femmes s'est réunie, le mardi 2 mars 2004, sous la présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, pour examiner le présent rapport d'information.

Mme Geneviève Levy, rapporteure, après avoir souligné que le projet de loi relatif au divorce, par la simplification et la pacification apportées aux procédures, recueillait toute son approbation, a présenté à la Délégation un ensemble de recommandations qui, sur certains points, s'efforcent d'améliorer la prise en compte des droits des femmes du point de vue de l'égalité, de l'équité et dans les situations de violence.

Elle a d'abord suggéré d'instaurer, dans la nouvelle procédure du divorce par consentement mutuel, un délai de réflexion de trois mois entre la demande en divorce et l'audience devant le juge, permettant aux conjoints la maturation de leur décision et la finalisation de la convention de divorce. Elle a estimé que le respect d'un tel délai de réflexion, nécessaire à l'affermissement du consentement mutuel de chacun des époux, était le corollaire de la comparution unique, qui a pour effet de raccourcir la durée de la procédure.

Le problème du délai de cessation de la communauté de vie permettant le divorce pour altération définitive du lien conjugal, qui est une des innovations majeures du projet de loi, a été ensuite abordé. Pour Mme Geneviève Levy, rapporteure, le délai de deux ans avant l'assignation en divorce, retenu par le Sénat en première lecture, paraît raisonnable, compte tenu de l'évolution des modes de vie et de la nécessité pour l'époux qui n'y a pas consenti de reconstruire rapidement sa vie.

L'introduction de la médiation dans la procédure, proposée par le juge après l'échec de la conciliation, a été jugée très positive, à condition qu'elle soit largement accessible aux justiciables et que son coût, qui devrait bénéficier d'un financement public, ne soit pas un obstacle à son développement.

A propos du recours à la médiation familiale, lorsque des violences ont été constatées au sein de la famille, Mmes Marie-Jo Zimmermann, présidente, Geneviève Levy, rapporteure, et Danielle Bousquet ont estimé que la médiation, qui ne peut qu'envenimer les conflits, n'était absolument pas appropriée à de telles situations.

S'agissant de la prestation compensatoire, Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a fait part de sa préoccupation concernant les femmes d'un certain âge, divorcées après une longue durée de mariage et qui, du fait d'un choix de couple, n'auront, au moment de leur retraite, que des droits propres très insuffisants. Elle s'est notamment inquiétée de la situation des femmes qui ont travaillé à temps partiel et qui ne pourront prétendre qu'à de toutes petites retraites. Elle a craint une aggravation de la situation de ces femmes, d'ici dix ou quinze ans. Ces femmes, « premières épouses », doivent bénéficier d'une attention particulière de la part du juge, le souci de pacifier le divorce ne devant pas conduire à déresponsabiliser les époux, au risque d'évoquer la répudiation.

Dans cet esprit, Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné l'intérêt du thème d'étude sur le travail à temps partiel retenu par la Délégation pour l'année 2004.

Mme Danielle Bousquet a souligné le phénomène de nouvelle pauvreté des femmes que le temps partiel imposé, plutôt que choisi, ne fait qu'aggraver, alors qu'on raisonne comme si les hommes et les femmes étaient aujourd'hui à égalité dans le travail.

A l'initiative de Mmes Marie-Jo Zimmermann, présidente, et Danielle Bousquet, une précision a été apportée dans la rédaction de la septième recommandation, afin de tenir compte précisément des faibles droits personnels de ces femmes divorcées à la retraite.

Mme Josette Pons a précisé que le travail à temps partiel choisi correspondait à un choix de vie familiale.

Le problème des violences conjugales avant la requête en divorce et la possibilité pour le juge de prononcer l'éviction du conjoint violent du domicile conjugal a été ensuite évoqué.

Mme Geneviève Levy a présenté plusieurs recommandations visant à assurer l'efficacité d'une mesure hautement symbolique, mais qui ne doit pas demeurer seulement théorique : procédure contradictoire ; information du juge concernant les mains-courantes, les plaintes déposées, la procédure au pénal ; astreintes financières à l'encontre du conjoint violent récalcitrant ; précisions sur les modalités financières du maintien dans le domicile conjugal du conjoint victime et de la prise en charge du loyer ; prolongation jusqu'à six mois du délai au terme duquel les mesures prises deviennent caduques, à défaut de requête en divorce.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est félicitée de ces propositions, notamment celles concernant l'astreinte financière et les modalités de prise en charge du loyer.

Après que Mme Geneviève Levy ait suggéré la mise au point, dans un délai de trois ans, d'une évaluation de l'application de la loi, la Délégation aux droits des femmes a adopté l'ensemble des recommandations suivantes.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

1. Dans la procédure du divorce par consentement mutuel, dont le fondement repose sur la volonté librement exprimée et éclairée de l'un et l'autre conjoint, le principe de la comparution unique devant le juge retenue par le projet de loi devrait avoir pour corollaire le respect d'un temps de réflexion entre la demande en divorce et l'audience, qui pourrait être de trois mois minimum, permettant aux conjoints la maturation de leur décision et la finalisation de la convention réglant les conséquences du divorce.

2. S'agissant du divorce pour altération définitive du lien conjugal qui constitue l'innovation majeure de la réforme du divorce, la durée de la séparation qui le motive a été sujet de débat. Le délai de deux ans avant l'assignation en divorce retenu par le Sénat paraît raisonnable, compte tenu de l'évolution des modes de vie et de la nécessité d'une reconstruction de l'époux qui n'y a pas consenti.

3. La définition de la cessation de la communauté de vie, tant affective que matérielle, permettant le divorce pour altération définitive du lien conjugal, est ambiguë. Etant donné la subjectivité du terme « affectif », il serait préférable de reprendre la notion de séparation « de fait » du divorce actuel pour rupture de la vie commune.

4. La médiation proposée par le juge dans la procédure du divorce après l'échec de la conciliation, est une mesure extrêmement positive, mais elle a un coût. Elle devra, pour se développer, être impérativement ouverte à tous et dans toutes les juridictions, et bénéficier d'un financement public au titre de l'aide juridictionnelle ou dans le cadre de la protection sociale. Une contribution minimale des époux qui acceptent d'y recourir pourrait être requise.

Toutefois, la première rencontre aux fins d'information avec un médiateur familial que le juge peut enjoindre aux époux devra être gratuite.

5. En cas de situations de violences constatées au sein de la famille, des mesures de médiation familiale sont inappropriées.

6. Indépendamment des dommages-intérêts, qui peuvent être accordés à un époux en réparation des conséquences d'une particulière gravité qu'il subit du fait de la dissolution du mariage, des actions en responsabilité peuvent, en tout état de cause, être introduites sur le fondement de l'article 1382 du code civil. Le juge aux affaires familiales devra connaître de ces actions en cas de divorce.

7. Une attention particulière devra être apportée à la situation des épouses d'un certain âge, divorcées après une longue durée de mariage, dont les droits propres à la retraite, du fait de choix de couple, sont insuffisants.

Dans ces cas, l'attribution de la prestation compensatoire, à la fois sous forme de capital (droit d'usufruit du logement, par exemple) et sous forme de rente viagère devra être facilitée.

8. Le divorce mettant fin au devoir de secours, la situation du conjoint dont les facultés mentales se trouvent si gravement altérées qu'aucune communauté de vie ne subsiste entre les époux, devra également faire l'objet, notamment en cas d'altération définitive du lien conjugal, d'une attention particulière de la part du juge, lorsqu'il fixe la prestation compensatoire.

9. Afin de tenir compte dans l'évaluation de la prestation compensatoire des choix de couple faits pendant la vie commune, qui ne sont pas seulement d'ordre professionnel, le juge devra prendre en considération le choix de la vie familiale.

10. En cas de violences conjugales, la possibilité pour le juge de statuer sur la résidence séparée des époux et d'attribuer le logement conjugal à l'époux victime, devra être assortie de garanties juridiques, notamment le respect de la procédure contradictoire.

11. Le juge aux affaires familiales appelé à statuer selon cette procédure, devra être informé des mains courantes, de la plainte déposée par l'époux victime ainsi que de la procédure éventuellement engagée au pénal.

12. Afin d'assurer la sécurité de l'époux victime et des enfants, les modalités d'éviction du domicile conjugal du conjoint violent devront être précisées. Le juge pourra notamment condamner ce dernier à des astreintes financières.

13. Le juge devra préciser les modalités financières du maintien dans le domicile conjugal de l'époux victime des violences, notamment les conditions de la prise en charge du loyer.

14. Le délai de trois mois, au terme duquel les mesures prises en vertu de l'article 220-1 deviennent caduques si une requête en divorce n'a pas été déposée, devrait être porté à six mois.

ANNEXE :

LISTE DES PERSONNALITÉS ENTENDUES
PAR LA DÉLÉGATION ET COMPTES RENDUS
DES AUDITIONS

Personnalités entendues par la Délégation

Pages

16 décembre 2003

Mme Annie Guilberteau, directrice générale du Centre National d'Information et de Documentation des Femmes et des Familles (CNIDFF)

41

20 janvier 2004

M. Benoît Bastard, sociologue, directeur de recherche au CNRS

53

3 février 2004

Mme Marie-Cécile Moreau, juriste

Mme Chantal Lebatard, administratrice de l'Union nationale des associations familiales (UNAF)

61

73

10 février 2004

11 février 2004

Mme Marguerite Delvolvé, présidente de l'Association pour la promotion de la famille (APPF)

Mme Marie-Dominique de Suremain, déléguée nationale de la Fédération nationale Solidarité-Femmes

85

97

Audition de Mme Annie Guilberteau, directrice générale du Centre National d'Information et de Documentation des Femmes et des Familles (CNIDFF)

Réunion du mardi 16 décembre 2003

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous recevons aujourd'hui Mme Annie Guilberteau, directrice générale du Centre National d'Information et de Documentation des Femmes et des Familles, qui coordonne un réseau de 120 associations locales, réparties sur l'ensemble du territoire, chargées de répondre aux demandes d'information des femmes et des familles. Mme Annie Guilberteau est accompagnée de Mme Maryvonne Pasquereau, juriste au CNIDFF.

Notre Délégation souhaite engager un travail de réflexion et de proposition sur le projet de loi relatif au divorce, qui sera examiné au Sénat les 7 et 8 janvier prochains et dont on ne peut que partager l'objectif, celui de simplifier les procédures, lorsque les époux s'entendent sur le principe de la séparation et, dans le cas contraire, d'apaiser autant que possible leurs relations.

Grâce à votre pratique de terrain, vous avez une grande expérience des problèmes que rencontrent les femmes à l'occasion de procédures de divorce. Pourriez-vous nous faire part de vos réflexions sur les points suivants ?

La possibilité de prononcer le divorce après une seule rencontre du juge aux affaires familiales avec les requérants ne risque-t-elle pas de conduire, dans certains cas, à un prononcé trop rapide d'une décision, pourtant lourde de conséquences, certains divorces, qui ne sont consensuels que sur la forme, cachant une pression de l'un ou l'autre des époux ?

La procédure de divorce pour altération irrémédiable du lien conjugal, possible après deux ans de séparation, qui remplace la procédure de divorce pour rupture de la vie commune, est-elle à votre avis entourée de toutes les garanties nécessaires qui permettront d'éviter toute sorte de répudiation, notamment des femmes n'ayant jamais travaillé et qui ont consacré leur vie à leur famille ?

Le divorce pour faute, qui permet une réparation morale, notamment pour les conjoints victimes de violences conjugales, est maintenu par le projet ; mais le fait que la répartition du patrimoine entre époux ne soit plus nécessairement liée à l'appréciation de la faute devrait permettre de limiter le recours à cette forme de divorce, sans le supprimer toutefois. Qu'en pensez-vous ?

Par ailleurs, s'agissant de la médiation familiale, ne faudrait-il pas imposer, selon vous, certains garde-fous, notamment en cas de violences conjugales ?

Mme Annie Guilberteau : Mon propos témoigne d'une expertise de terrain, plutôt que d'une expertise juridique. J'espère pouvoir éclairer votre Délégation sur la réalité du divorce telle qu'elle est vécue par le public que nous accueillons et analysée par les professionnel(le)s de notre réseau sur le terrain.

Nous traitons, chaque année, 589 000 demandes d'information, émanant de femmes et de couples. Nous travaillons sur le terrain avec plus de 1 000 professionnels. Nous approchons les problématiques de manière globale. Les demandes que nous traitons concernent majoritairement le droit de la famille, mais celles concernant les violences sont très nombreuses - 32 000 en 2002 - tout comme celles concernant la réinsertion professionnelle et sociale des femmes.

Notre réseau est né à l'initiative du Gouvernement, il y a trente ans. Il s'agissait alors de faire en sorte que les femmes puissent connaître leurs droits de manière globale, de façon à ce que, progressivement, la question de l'égalité - qui est au cœur du problème - puisse être abordée de manière systémique et systématique. A titre d'exemple, les femmes en rupture de couple se trouvaient quasi-systématiquement confrontées, il y a une vingtaine d'années, au problème de l'insertion professionnelle. C'est moins vrai aujourd'hui, du fait de l'avancée des femmes sur le marché du travail. De la même manière, se posait aux femmes le problème de leur autonomie financière, en raison de leur forte dépendance financière vis-à-vis de leur conjoint, dépendance liée à une organisation ancestrale et stéréotypée des rôles dans la société.

Le caractère global et polyvalent des problèmes abordés par notre réseau explique les chiffres que je vous ai donnés.

75 % de notre activité touche le champ de l'accès au droit. Cette partie de notre activité concerne principalement le droit de la famille, c'est-à-dire le mariage et l'union libre. Mais les personnes viennent nous voir bien plus souvent pour s'informer sur les manières dont elles peuvent se défaire de ces liens que pour savoir, avant le mariage ou la constitution d'une union, quelles sont les obligations en découlant.

Je crois donc pouvoir dire, sans manifester une ambition démesurée, que nous avons une véritable expertise de terrain. C'est au regard de cette pratique que nous fondons notre analyse du projet de réforme du divorce. Nous avons soumis une analyse du premier projet de loi déposé par M. François Colcombet à la commission des lois du Sénat en 2002. Notre souci de pacifier les relations conjugales au moment où elles se distendent, rejoint le sien, mais nous avons affirmé dès 2002 notre opposition à l'idée d'abroger totalement le divorce pour faute, notamment au regard de la problématique des violences conjugales. Une telle idée peut se comprendre dans son principe, mais dans la réalité des relations humaines, elle laisse une trop grande place à l'époux ou à l'épouse inscrit dans une incorrection, voire un délit à l'endroit de l'autre.

Le projet qui va être débattu prochainement par votre Assemblée répond, dans ses grands principes, aux évolutions qui ont, ces dernières décennies, marqué l'évolution de la structure familiale et nous sommes en accord avec sa philosophie. La réforme est sous-tendue par une volonté de simplification des procédures. Notre pratique de terrain nous confirme qu'il est nécessaire de simplifier, mais qu'il ne faut pas simplifier à outrance, au risque de devenir injuste. Nous appelions de nos vœux cette simplification des procédures, ainsi que la logique de pacification des conflits.

Pour assurer la pacification des conflits, il est fait une grande place à la médiation familiale. Nous y sommes favorables, à condition qu'elle prenne sa juste place et qu'elle ne soit pas une forme d'alternative au règlement de certains délits. La médiation rentre dans le champ d'une alternative à la gestion des conflits, mais le droit pénal doit prendre toute sa place, tant réelle que symbolique, dans les cas d'atteinte aux personnes et de violence conjugale. La médiation doit être utilisée à bon escient et ne doit pas entrer dans le champ de l'injonction, car il est essentiel qu'elle relève du libre discernement des deux parties.

Ce projet assouplit certaines procédures, mais maintient le divorce pour faute. Ce maintien nous semble indispensable en cas de violation grave des obligations du mariage, et particulièrement en cas de violences conjugales ou familiales.

Le prononcé du divorce reste de la compétence du juge et le ministère d'avocat demeure obligatoire. Nous sommes favorables à ces dispositions. En effet, si un certain nombre de couples sont en mesure de rompre une relation conjugale sans la présence d'un tiers, le tiers offre néanmoins la possibilité de réinscrire le droit au moment d'un conflit et il est rare de se séparer en se rappelant que l'on s'aime !...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Quelle est selon vous la proportion de couples en mesure de rompre leur relation conjugale sans la présence d'un tiers ?

Mme Annie Guilberteau : Il m'est très difficile de vous répondre, car nous voyons rarement ces couples dans nos permanences. Nous savons qu'ils existent, mais il n'est cependant pas possible d'orienter un projet de loi en fonction de situations particulières ; c'est pourquoi la présence du tiers nous semble indispensable.

Nous sommes favorables à ce que chaque partie soit représentée par un avocat, car c'est une garantie de distanciation de la relation conflictuelle, mais la procédure de divorce par consentement mutuel permet d'engager la procédure avec un seul avocat. Le panel proposé par ce nouveau projet est donc suffisamment large pour répondre de manière adaptée à la majorité des situations.

Cette réforme intègre, pour la première fois, une disposition spécifique relative aux violences conjugales permettant de protéger le/la conjoint(e) victime. Nous y sommes évidemment favorables.

En ce qui concerne maintenant la modernisation législative, nous considérons que le maintien du pluralisme des cas de divorce garantit la liberté des individus et offre une palette suffisamment complète pour répondre à la complexité des situations de rupture, même si nous avons conscience qu'une procédure de divorce idéale n'existe pas.

En ce qui concerne le divorce par consentement mutuel, qui suppose que les époux s'entendent sur la rupture et sur ses conséquences, la nouveauté réside dans la suppression de la seconde audience devant le juge. Cette suppression nous a beaucoup interpellés, car la question se pose de savoir si le juge peut avoir la certitude de recueillir le consentement libre et éclairé des deux parties. Systématiser le deuxième entretien présente une garantie, mais ce projet pourra contribuer à orienter vers la procédure de consentement mutuel les situations qui relèvent véritablement d'un consentement affirmé. Toutefois, nous pensons qu'il faut réaffirmer le devoir du juge, déjà contenu dans les dispositions actuelles, d'entendre les deux parties de manière différenciée, afin d'éviter que la procédure ne soit parasitée par les phénomènes d'emprise que nous connaissons très bien. La pratique nous montre que, dans la procédure de divorce par consentement mutuel actuelle, beaucoup de consentements sont contraints. Nous insistons donc sur la nécessité d'organiser les entretiens du magistrat avec chacune des deux parties.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Qu'entendez-vous par l'expression « consentement contraint » ?

Mme Annie Guilberteau : Il s'agit d'un consentement formel, mais pas d'un consentement sur le fond. Je ne veux pas généraliser mon propos. Mais, généralement, les femmes, qui disposent souvent de moins de revenus, peuvent être victimes de pressions, en particulier financières, et n'ont donc pas toujours la possibilité d'exercer leur libre arbitre.

Nous sommes favorables à l'entretien unique, dans la mesure où le juge, s'il n'est pas certain du consentement, peut proposer un autre entretien, dans un délai maximum de six mois. Le projet présente à nos yeux les garanties nécessaires pour obtenir un consentement éclairé, mais le fait de recevoir le consentement de chacune des parties dans un espace différencié est une garantie supplémentaire et nous insistons beaucoup sur ce point. Le code stipule clairement aujourd'hui que le juge doit mener un entretien avec chaque époux, mais il est souhaitable de le rappeler dans l'orientation même du projet.

M. Patrick Delnatte : Quelle suite faudrait-il donner selon vous à une demande de seconde audience par une des parties, hypothèse qui n'est pas prévue dans le projet ?

Mme Annie Guilberteau : Une seconde audience tenue à la demande d'une des parties pourrait présenter une garantie d'un consentement libre et éclairé que doit rechercher le magistrat, ne serait-ce que pour éviter des recours ultérieurs allongeant la procédure.

M. Patrick Delnatte : Dans le cadre de la procédure de divorce par consentement mutuel, les parties peuvent n'avoir qu'un seul avocat, mais lorsqu'elles en ont un chacune, il ne serait pas anormal de prévoir la possibilité pour une des parties de demander une seconde audience. C'est un sujet de débat. Il faudra attendre que le projet soit débattu et voté au Sénat pour que nous puissions nous déterminer sur ce sujet.

Mme Maryvonne Pasquereau : Il peut être souhaitable d'attendre l'application de la convention provisoire pour savoir si c'est véritablement ce qui convient aux deux époux. Cela peut être un des éléments en faveur de la deuxième entrevue chez le juge. En effet, bien des époux sont déjà séparés au moment de l'introduction de leur requête, mais certains ne le sont pas et il peut être souhaitable d'attendre l'application concrète de la convention provisoire pour savoir si elle doit être reconduite ou si elle doit être modifiée.

Mme Muguette Jacquaint : Le délai maximum de six mois entre les deux audiences devant le juge ne vous paraît-il pas trop long ?

Mme Annie Guilberteau : Dans le premier texte, ce délai était fixé à trois mois, ce qui nous a paru trop court, notamment lorsque le souhait de divorcer n'est pas consensuel. Le juge peut détecter l'emprise d'un époux sur l'autre, mais nous voyons fréquemment dans nos permanences des cas dans lesquels ces phénomènes n'ont pas été détectés. En effet, lorsqu'un des époux est un véritable manipulateur, il est difficile pour le juge de le détecter au cours d'un entretien d'une heure. Nous sommes là au cœur de relations humaines très particulières. Les processus d'accompagnement qui permettent, petit à petit, aux personnes de prendre conscience de leur capacité, ou de leur incapacité, à s'exprimer, nécessitent du temps.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Mais ne pensez-vous qu'il est souhaitable de prévoir des délais assez courts dans le cadre de relations conflictuelles ?

Mme Annie Guilberteau : Le projet prévoit un délai maximal de six mois. Il n'y a donc pas de seuil, mais il y a un plafond, ce qui ouvre des possibilités d'adaptation à la réalité des situations. .

J'insiste sur le fait que la possibilité donnée à l'une des parties de demander un second entretien serait une évolution positive, car elle présente une garantie supplémentaire d'analyse du libre consentement.

M. Patrick Delnatte : Le projet ne prévoit pas une telle possibilité. Je ne suis pas le porte-parole du Garde des Sceaux, mais, dans le cadre de cette procédure, où tous les aspects du divorce font l'objet d'un accord, le juge a toujours la possibilité de convoquer les parties pour une seconde audience, au cas où il détecterait une manipulation. Un des buts de la simplification des procédures étant de permettre au juge de consacrer plus de temps à ces entretiens, il sera donc peut-être plus à même de détecter les manipulations. Ceci dit, l'intervention d'une des parties peut être une garantie supplémentaire. Je n'ai pas encore d'opinion arrêtée, je me contente pour l'instant d'écouter.

Mme Annie Guilberteau : Aujourd'hui, il n'y a pas d'alternative entre le vrai consensus et la faute caractérisée. Le projet instaure de nouvelles alternatives. On peut donc penser que, dans le cadre de la procédure de divorce par consentement mutuel, il y aura plus de vrais consentements qu'aujourd'hui. Cette procédure, telle qu'elle apparaît dans le projet, permettra de régler les situations qui existent de fait, mais peut-être faut-il donner la possibilité à certaines personnes de se prémunir contre le risque de s'engouffrer dans une procédure très simple, alors que la situation cache des complexités qui n'ont pas été exprimées.

Il faut donner à un couple qui se sépare le temps nécessaire pour être entendu par le magistrat. Or, nous constatons aujourd'hui, dans le cadre de nos permanences, que beaucoup de personnes regrettent l'indisponibilité des magistrats.

Le divorce par acceptation du principe de la rupture du mariage présente un changement philosophique profond que nous apprécions. Dorénavant, ce divorce repose sur un simple accord des parties relativement à leur rupture et non plus sur un double aveu rendant la vie impossible et produisant les effets d'un divorce aux torts partagés. Cette réorientation suppose une information préalable précise des couples en amont de la procédure, car, une fois le consentement recueilli et accepté, il n'est plus possible de revenir dessus, même en appel. En outre, les garanties de recueil de ce consentement doivent être drastiques.

M. Patrick Delnatte : Le tronc commun des demandes de divorce permet aux couples de disposer de toutes les informations nécessaires avant de s'engouffrer dans telle ou telle procédure.

Mme Annie Guilberteau : Nous sommes très favorables à ce tronc commun.

Mme Muguette Jacquaint : Qui doit donner les informations sur les procédures de divorce ? Les tribunaux sont tellement engorgés que les juges risquent de ne pas avoir le temps et la médiation familiale n'intervient pas à ce stade de la procédure.

Mme Annie Guilberteau : Le CNIDFF a une mission d'intérêt général confiée par l'Etat en matière d'information sur les droits des femmes et des familles et nous sommes localement très connus, les chiffres en témoignent. Nous sommes implantés sur tout le territoire. Ceci étant, nous ne répondons pas à toutes les situations qui en auraient besoin.

Beaucoup d'élus et un certain nombre de magistrats et de policiers réorientent vers nos associations des demandes d'information. Le rôle d'information des avocats n'est pas non plus à négliger. Les notaires ont un rôle important dans l'information sur le droit de la famille, principalement sur les aspects touchant à la liquidation de la communauté. Ils respectent un principe déontologique d'information gratuite et nous avons recours très fréquemment à leurs services. Les structures d'accès au droit et les maisons de la justice et du droit peuvent aussi informer sur le droit de la famille, mais elles ne sont pas implantées sur tout le territoire.

Nous avons la conviction que l'information préalable est une garantie de l'utilisation à bon escient de l'ensemble du dispositif.

Le divorce pour altération définitive du lien conjugal se substitue dans le projet à l'actuel divorce pour rupture de la vie commune. Il implique une cessation de la communauté de vie, tant affective que matérielle durant les deux années précédant la requête initiale en divorce ou pendant une période de deux ans entre l'ordonnance de non-conciliation et l'introduction de l'instance. Notre expérience nous conduit à penser que l'actuel divorce pour rupture de la vie commune, qui ne représente que 1,4% des demandes, est sollicité, essentiellement pour des raisons historiques et sociologiques, par des hommes face à la résistance exprimée par leurs épouses refusant le principe de divorce. Notre pratique nous conduit à entendre de la part de ces femmes des récits de situation matrimoniale vide de sens, ou de recompositions familiales dans lesquelles leurs conjoints sont engagés. La question de fond que pose cette forme de rupture est de savoir si le désamour justifie une rupture. Pour certaines de ces femmes, l'attachement au principe même du mariage est évident et la perspective d'un divorce est excessivement douloureuse. Je pense particulièrement aux femmes assez âgées ayant vécu en couple pendant de très nombreuses années et n'ayant jamais travaillé, car elles ont préféré consacrer, conformément aux normes sociales en vigueur au moment de leur mariage, leur vie à la famille. On ne peut pas nier cette réalité, mais il faut tenir compte de l'évolution des mentalités, tout en reconnaissant que tout le monde n'évolue pas au même rythme. Il nous faut comprendre les raisons pour lesquelles certaines femmes s'accrochent de manière un peu suicidaire à une relation qui n'a plus de sens.

Il faut tenir compte de ces situations particulières, mais elles ne peuvent pas conduire à un principe d'interdiction du divorce. Le projet de loi est, de ce point de vue, globalement équilibré. A condition que la rupture soit accompagnée et qu'un travail de deuil soit accompli, le divorce peut permettre à ces femmes de prendre un nouveau départ. Il faut aussi tenir compte, au plan pécuniaire, des effets directs que le divorce va avoir sur leur vie quotidienne, sur leur vie identitaire et sur leur vie psychologique.

Cette nouvelle disposition est satisfaisante sur bien des points, notamment parce qu'elle offre une véritable alternative entre le divorce purement consensuel et le divorce pour faute et parce qu'elle organise de manière plus équilibrée les conséquences financières de la rupture. Elle ne règlera toutefois pas une partie des problèmes que nous entendons dans nos permanences concernant une frange de la société qui se réduit, mais qui existe. Nous souhaitons donc, mais cela ne rentre pas forcément dans le champ du projet, que des processus d'accompagnement soient mis en place pour permettre à ces femmes de prendre un nouveau départ après la rupture.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Quelle structure devrait accomplir ce travail d'accompagnement ?

Mme Annie Guilberteau : On peut penser à la médiation familiale, aux conseillers conjugaux ou aux services spécialisés de certains CIDF.

Le délai de deux ans prévu dans le projet de loi, alors que celui prévu dans la procédure actuelle de divorce pour rupture de la vie commune est de six ans, permet à nos yeux d'éviter l'enkystement des situations, tout en permettant d'engager un processus de deuil.

M. Patrick Delnatte : Ce délai de deux ans fait actuellement débat. Certains pensent qu'il est trop court.

Mme Annie Guilberteau : Ce délai serait effectivement trop bref s'il courrait entre le moment où le couple vit ensemble et le moment où le divorce est prononcé, mais, tel qu'il est prévu dans le projet, il court à partir du moment où l'ordonnance de non-conciliation est rendue dans la première hypothèse, et, dans la seconde hypothèse, ce délai de deux ans concerne la période sans vie commune. De toute façon, la rupture participe déjà d'un travail qui a amorcé le processus de distanciation et il n'y aura jamais de délai idéal pour les personnes résolument décidées à ne pas divorcer.

M. Patrick Delnatte : Le risque est de voir dans cette procédure une forme de répudiation.

Mme Maryvonne Pasquereau : Le problème est de déterminer le moment à partir duquel le délai va être décompté. Si la séparation de fait est préalable au dépôt de la demande en divorce, on tombe dans le cas déjà prévu par la loi actuelle. En revanche, si le délai peut courir à partir du moment où l'ordonnance de non-conciliation est rendue, comme le prévoit le projet, un problème peut se poser, car les femmes pourraient ressentir une telle procédure comme une répudiation.

Mme Annie Guilberteau : Certaines femmes ressentent déjà le divorce pour rupture de la vie commune comme une répudiation alors que le délai est de six ans.

Mme Muguette Jacquaint : Ce qui pose problème, je le vois dans ma permanence, ce sont les conséquences financières. Tant que le divorce n'a pas été prononcé, les conjoints ne peuvent pas vendre les biens du couple.

Mme Maryvonne Pasquereau : A cet égard, le délai de deux ans pourrait permettre de résoudre l'inconvénient que vous soulevez.

Mme Muguette Jacquaint : Les femmes concernées par la procédure de divorce pour rupture de la vie commune se retrouvent dans une situation difficile, car elles ont consacré leur vie à leur famille. Dans ces conditions, plus la situation dure, plus le travail de deuil sera difficile et j'ai dû conseiller à certaines personnes de consulter un psychologue.

Mme Maryvonne Pasquereau : En effet, si la situation se prolonge, certaines femmes pourront penser que le mariage pourra encore être sauvé, alors qu'il est totalement vide de sens.

Mme Annie Guilberteau : Le délai de deux ans nous semble globalement raisonnable, même s'il fait encore débat chez nous. Certains de nos professionnels se demandent si un tel délai est suffisant pour permettre de se reconstruire. En effet, la plupart des femmes concernées ont un certain âge, ce qui ne facilite pas leur reconversion professionnelle. A mon sens, le délai de six ans ne change pas fondamentalement les choses et accentue les difficultés que pourront rencontrer certaines femmes pour se convaincre qu'elles doivent prendre un nouveau départ.

Mme Maryvonne Pasquereau : L'introduction de la procédure de divorce pour rupture de la vie commune en 1975 était à l'époque une nouveauté, ce qui explique toutes les garanties l'entourant : prise en charge du coût du divorce, maintien de l'obligation de secours et délai de six ans. Or, ce qui était justifié alors l'est certainement moins aujourd'hui du fait de l'évolution de la société.

Mme Annie Guilberteau : Nous sommes héritiers du passé. Pendant longtemps, le divorce n'était pas permis en France. Puis, il a été rendu possible en cas de faute et il a fallu attendre 1975 pour qu'il soit possible de divorcer en dehors de toute faute caractérisée, mais le législateur n'a jamais tranché sur le point de savoir si le « désamour » justifiait en tant que tel la rupture. Dans le cadre d'un divorce par consentement mutuel, les deux parties sont d'accord pour reconnaître qu'il n'y a plus d'amour dans la relation, mais la procédure de divorce pour rupture de la vie commune laisse penser qu'une seule des parties ne trouve plus son compte dans la relation.

L'honnêteté et la transparence m'obligent à dire que, parmi les cas de divorce pour rupture de la vie commune, on voit des femmes qui ne sont plus du tout attachées à leur conjoint sur un plan affectif, mais qui le demeurent pour des raisons financières.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Un de nos rôles est de défendre l'égalité professionnelle des femmes, notamment pour prévenir ce genre de situations. A cet égard, les femmes travaillant à temps partiel se retrouveront dans des situations très difficiles après une rupture.

Mme Muguette Jacquaint : C'est d'autant plus important qu'il n'est pas rare de voir des femmes en situation de rupture ne disposer d'aucun revenu avant que les biens du ménage ne soient divisés.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Donner l'autonomie financière aux femmes est une question de respect.

Mme Annie Guilberteau : Elle est en effet indispensable et leur permet une réelle liberté de choix.

En ce qui concerne la procédure de divorce pour faute, le projet de loi reprend le texte de l'actuel article 242 du code civil, mais le terme « renouvelée », qui caractérise la violation des devoirs et obligations du mariage, n'y figure plus, ce qui laisse entendre que ce divorce se fonde uniquement sur la gravité de la faute et non plus sur sa répétition. C'est une avancée concernant les violences familiales.

Le demandeur devra apporter la preuve des faits invoqués à l'appui de sa démarche. Le texte du projet prévoit l'impossibilité pour un descendant d'être entendu sur les griefs invoqués par les époux, en conformité avec les dispositions du code de procédure civile. Nous comprenons cette disposition, mais, en matière de violence conjugale, la règle est encore aujourd'hui le silence. Il est rare qu'une femme invoque les violences conjugales dès les premières violences qu'elle a subies. Notre expérience nous montre que, dans la plupart des cas, il y a un très lourd passé de violence avant que les femmes, notamment les femmes âgées, osent dire publiquement ce qu'elles vivent et déposer plainte. Par ailleurs, beaucoup de femmes craignent le passage à la retraite de leur conjoint violent et, fréquemment, en cas de violences installées, redoutent la confrontation quotidienne avec celui-ci, d'autant que la retraite du conjoint coïncide généralement avec le départ de la maison des enfants majeurs. Il arrive donc fréquemment que ces femmes se manifestent auprès de nous à ce moment. La plupart de ces femmes n'ayant pas de preuves matérielles du passé de violence, on peut se demander s'il ne serait pas souhaitable, dans des situations de ce type, de permettre à des descendants majeurs qui le souhaitent d'être entendus afin qu'ils puissent témoigner du passé familial.

Mme Muguette Jacquaint : Les violences conjugales font aussi des ravages sur les enfants et, en témoignant, ils pourraient être amenés à revivre ces traumatismes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : N'y a-t-il pas aussi un risque de pression des parents sur leurs enfants ?

Mme Annie Guilberteau : Nous avons conscience qu'une telle disposition ouvrirait une brèche et irait à l'encontre du principe auquel nous souscrivons pleinement, qui consiste à protéger les enfants d'un conflit par nature conjugal. Toutefois, il ne s'agit pas de mettre l'enfant au cœur du conflit, mais l'expérience nous montre que les enfants peuvent aussi souhaiter se situer du côté du droit. Ce n'est pas simple, mais pour les femmes extrêmement exposées, cela peut être un moyen de constituer un faisceau d'indices prouvant la réalité des violences subies pendant des années dans le silence.

M. Patrick Delnatte : Une femme très exposée à la violence pourra sans doute recueillir d'autres témoignages que ceux des enfants. Par ailleurs, l'enfant pourrait faire l'objet de harcèlement s'il devait témoigner.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Si l'enfant souhaite être entendu, peut-il l'être ?

Mme Annie Guilberteau : Le code de procédure civile est très clair : les descendants ne peuvent pas être entendus, alors que nous constatons que certains enfants majeurs sollicitent nos services pour aider le parent violenté et souhaitent être entendus. Il faut bien reconnaître que, dans certaines situations, souvent, seuls les descendants ont connaissance des violences qui s'exercent dans le secret absolu de la famille.

Mme Muguette Jacquaint : Les cas de violence conjugale sont toujours difficiles. J'ai ainsi eu connaissance d'un tel cas où le mari violent a fait pression sur les voisins, qui souhaitaient témoigner.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Le médecin de famille pourrait aussi être entendu.

Mme Maryvonne Pasquereau : Le médecin peut faire un constat de l'état physique de sa patiente et en particulier constater les violences, mais il n'est pas présent lors de ces faits. Il peut aussi recueillir les dires de sa patiente, mais ne peut en aucun cas certifier, sauf à en avoir été témoin direct, de l'auteur des violences.

Mme Annie Guilberteau : On voit donc tout l'intérêt d'ouvrir la possibilité pour les descendants majeurs d'être entendus pour les faits particuliers de violences. Nous sommes conscients des limites de cette proposition, mais le problème de la constitution de la preuve des violences conjugales contre des femmes qui n'ont jamais déposé plainte est réel.

Mme Muguette Jacquaint : Il est prévu que le domicile sera attribué au conjoint qui n'est pas l'auteur des violences. Les mesures fixant le domicile prendront automatiquement fin à l'issue d'une période de trois mois. Que pensez-vous de cette disposition ?

Mme Annie Guilberteau : Cette disposition est demandée depuis longtemps par de très nombreuses associations. La question est de savoir si cette disposition garantira suffisamment la sécurité des personnes.

Toutefois, elle présente une alternative à la situation actuelle et un changement de perspective sur la responsabilisation des auteurs de violences. En effet, dans la grande majorité des cas, c'est la femme qui est contrainte à quitter le domicile. Or, beaucoup de femmes nous disent vouloir rester dans le domicile et ne comprennent pas pourquoi elles doivent partir. Certaines, toutefois, souhaitent partir pour des questions de sécurité.

Nous sommes favorables à cette disposition, à condition qu'elle ne devienne pas une solution systématique, qu'elle soit assortie d'un contrôle judiciaire et qu'elle fasse l'objet d'un accompagnement. Par ailleurs, si au bout du délai de trois mois, aucune procédure de divorce ou de séparation n'est engagée, il faut pouvoir proroger ce délai. Nous considérons en effet que le délai de trois mois prévu par le projet est insuffisant.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est bien sympathique de maintenir la personne battue dans le domicile, mais qui paiera le loyer ?

Mme Annie Guilberteau : Ce sont les ressources du couple.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Des garanties seront nécessaires et il faudra se montrer très vigilant vis-à-vis de la personne qui doit payer le loyer et qui ne peut plus rester dans le domicile conjugal. Comment cette personne pourra-t-elle accepter le fait d'avoir été mise à la porte, de payer le loyer du domicile conjugal ainsi que celui de son nouveau domicile ?

Mme Annie Guilberteau : Le problème se pose de la même manière aujourd'hui.

Mme Maryvonne Pasquereau : Cette contribution aux charges du mariage pourrait être fixée dans la décision prononçant l'éviction du conjoint.

Mme Muguette Jacquaint : Aujourd'hui, il n'est pas rare de voir des femmes battues qui quittent le domicile conjugal aller à l'hôtel, car il n'y a pas assez de foyers pour femmes battues. Bien souvent, c'est nous qui payons l'hôtel.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Cette disposition est très humaine, mais il faut tenir compte de la réalité des faits. Le propriétaire du domicile souhaitera avoir des garanties quand il saura que le conjoint évincé du domicile conjugal doit payer deux loyers.

Mme Muguette Jacquaint : Ce qui doit nous préoccuper avant tout, c'est la situation des femmes battues.

Mme Annie Guilberteau : L'attribution du domicile passe par une décision du juge.

Cette disposition améliore la situation actuelle. C'est une véritable révolution, mais, dans certaines situations, elle ne pourra être appliquée, pour des raisons de sécurité ou parce que certaines femmes ne le souhaiteront pas.

Par ailleurs, il nous semble que le délai de trois mois est trop court, ce n'est même pas le temps qu'un centre d'hébergement offre dans une logique de réinsertion sociale. Ce délai devrait être porté à six mois. Après ce délai, se posera le problème de la propriété du domicile ou de savoir qui devra payer le loyer.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il faut aussi tenir compte de l'état psychologique de la femme battue : exposée à la peur d'être battue à nouveau, elle devra en outre faire face à la peur de ne pouvoir payer le loyer.

Mme Muguette Jacquaint : Et la peur de se retrouver à la rue avec ses enfants...

M. Patrick Delnatte : Cette disposition inverse les mentalités. On était habitué à ce que la femme victime de violences quitte le foyer, ce serait désormais celui qui est violent qui devra partir et qui devra payer.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Cette obligation de payer le loyer devra être accompagnée de garanties.

Mme Maryvonne Pasquereau : Il y a solidarité des époux sur la dette ménagère. Le juge pourra donc, sur demande du conjoint maintenu dans le domicile, fixer une somme au titre de la contribution aux charges du mariage que le conjoint évincé sera tenu de verser à l'autre conjoint afin qu'il puisse payer le loyer. Ce sera certainement une meilleure garantie que de compter sur le paiement spontané du loyer par le conjoint évincé qui détient les ressources du ménage.

Mme Annie Guilberteau : Aujourd'hui, on voit des cas où l'époux, qui reçoit un salaire, est maintenu dans le domicile, alors que la femme et les enfants recherchent un appartement sans disposer d'aucun moyen financier. Cette situation est inacceptable.

Mme Muguette Jacquaint : Et en plus il est très difficile de trouver des places dans les foyers.

Mme Annie Guilberteau : La perspective du suivi judiciaire dans certains cas ne doit pas être mise de côté, car elle représente une sécurité.

Mme Maryvonne Pasquereau : Nous voulons pour finir vous faire part de nos réflexions sur la liquidation de la communauté et sur les conséquences du divorce quant à la prestation compensatoire.

Dans le projet, l'attribution de la prestation compensatoire est déconnectée de l'attribution des torts dans le divorce. C'est un point positif.

En effet, grâce à cette disposition, les époux, dans le cadre d'un divorce pour faute, seront certainement moins acharnés à gagner leur divorce. Elle devrait donc permettre de pacifier les procédures.

De même, cette disposition met les époux à égalité, car il n'y aura ni gagnant ni perdant. L'examen de leur situation financière respective sera fait de manière plus neutre, dans la mesure où il n'y aura plus cette idée de compensation, de réparation ou de revanche.

La prise en considération, dans la détermination des ressources et des besoins des époux, des conséquences des choix professionnels faits pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer est un autre élément intéressant du projet. Le projet prévoit que l'arrêt de l'activité professionnelle de la femme résultant de choix faits en commun par les époux sera pris en considération. L'arrêt de l'activité professionnelle ou le passage au temps partiel n'est pas sans conséquence sur le niveau des revenus, notamment des retraites, et peut aboutir à des situations très difficiles au moment du divorce.

Enfin, nous souhaitons également attirer l'attention de votre Délégation sur le problème des pensions alimentaires impayées, qui se pose, nous le constatons sur le terrain, de façon récurrente, malgré les procédures de recouvrement mises en place par la loi.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je le constate moi-même dans nos régions frontalières, où des personnes devant verser des pensions alimentaires vont travailler au Luxembourg et ne payent plus les pensions, sans être inquiétées.

Mme Maryvonne Pasquereau : Le projet prévoit la possibilité, dès l'ordonnance de non-conciliation, de prendre, au titre des mesures provisoires, certaines mesures qui prépareront la liquidation de la communauté. C'est un point positif.

Le délai pouvant être imparti aux ex-époux pour liquider la communauté est lui aussi positif. En effet, actuellement, la loi ne fixe aucun délai et les notaires peuvent se retrouver face à des époux qui font traîner les opérations de liquidation. De plus, la liquidation de la communauté est souvent le moyen de régler des conflits qui ne l'ont pas été au moment du prononcé du divorce.

Nous constatons dans nos permanences que certaines personnes se trouvent confrontées à des problèmes de dilapidation très organisée du patrimoine commun. La préparation en amont des opérations de liquidation et la fixation d'un délai nous paraissent de nature à protéger les intérêts de chacune des parties et à éviter de tels problèmes.

L'attribution d'une avance sur communauté permet elle aussi de prévenir de telles dilapidations, car, même avec un délai d'un an, un époux, en cas de crispation ou de désaccord, pourra toujours demander de revenir devant le juge qui tranchera le litige, même si on peut penser que de telles situations seront résiduelles car des mesures auront été prises en amont. Par ailleurs, l'attribution d'une avance sur communauté permettra de compenser les inégalités dans les ressources respectives des époux. Ces dispositions existent, mais elles ne sont pas très utilisées. Il faut donc les réhabiliter.

Mme Annie Guilberteau : Si, sur des points précis, vous avez besoin d'une consultation rapide de notre réseau, n'hésitez pas à nous solliciter.

Audition de M. Benoît Bastard, sociologue, directeur de recherche au CNRS

Réunion du mardi 20 janvier 2004

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Dans le cadre de la réflexion menée par la Délégation sur le projet de loi relatif au divorce, qui vient d'être adopté en première lecture au Sénat, nous accueillons ce soir M. Benoît Bastard, sociologue, directeur de recherche au CNRS.

Vos activités de recherche vous ont conduit à étudier déjà, et depuis longtemps, le champ de la famille, à l'occasion notamment des ruptures, la principale étant le divorce, et vous vous êtes penché dans votre dernier ouvrage « Les démarieurs » sur le rôle des professionnels du droit, juges, avocats, médiateurs, vis-à-vis des couples qui s'engagent dans cette démarche.

Saisie du projet de loi relatif au divorce par la commission des lois de l'Assemblée nationale, la Délégation interviendra dans le débat et souhaiterait au préalable vous poser quelques questions générales sur cette réforme.

Les quatre cas de divorce, institués par la loi de 1975, maintenus, mais redéfinis dans le projet de loi, vous paraissent-ils convenir à la diversité des situations familiales ?

Dans quelle mesure, le maintien du divorce pour faute vous paraît-il correspondre à une attente des couples ?

Pensez-vous que les dispositions du projet de loi qui vise à pacifier les conflits, notamment en dissociant les conséquences financières du divorce de la reconnaissance des torts, permettront véritablement d'atteindre cet objectif ?

Les dispositions concernant la prestation compensatoire et l'octroi éventuel de dommages et intérêts vous paraissent-elles suffisantes pour compenser les préjudices subis ?

Quel rôle pourra jouer le recours à la médiation familiale que le juge propose aux époux, avec leur accord ? Quelle peut être l'efficacité d'une injonction du juge à rencontrer un médiateur familial pour une séance d'information ? La médiation ne devrait-elle pas intervenir bien en amont de la procédure de divorce ?

Vous avez travaillé ces dernières années, au plan international, sur les problèmes de régulation des comportements familiaux. Trouvons-nous chez nos voisins des exemples à suivre en ce domaine ?

M. Benoît Bastard : Je me suis attaché à réfléchir au projet de loi en essayant de tenir compte de la question de l'égalité entre les hommes et les femmes, et en me demandant s'il est en phase ou en décalage par rapport aux réalités sociologiques ou pratiques, ce qui recouvre une partie de vos interrogations.

En fait, si l'on revient en arrière jusqu'à la loi de 1975, on voit que la réforme avait précisément pour objet de prendre en compte la diversité des situations familiales et des conceptions de la famille, notamment en introduisant le consentement mutuel. Elle mettait l'accent sur le changement des manières d'être en famille, sur l'émergence de ce que l'on peut appeler « la démocratie familiale », sur le fait qu'il y a plus d'égalité au sein des couples et des familles, que le divorce peut être vu simplement comme une conséquence du « désamour » et, au fond, qu'il pouvait être géré par des couples, par les hommes et par les femmes, d'une manière responsable et autonome. L'introduction de la prestation compensatoire allait dans le même sens en insistant sur la fin de la dépendance d'un conjoint par rapport à l'autre, encore cette idée d'autonomie.

On vit encore pour l'essentiel avec cette loi, même s'il y a eu des aménagements, notamment par rapport à la question des enfants. On peut s'interroger sur son assise sociologique, sur sa mise en œuvre, et sur les améliorations que le projet de loi peut apporter en ce qui concerne la prise en compte de ces questions d'égalité.

Pour ce qui concerne l'accès au divorce, la pratique judiciaire, à partir de la loi de 1975, a mis l'accent sur un « modèle », si l'on parle en sociologue et non pas en juriste, bien sûr - une manière particulière de concevoir la rupture.

Pour les magistrats, le divorce « bien géré », c'est celui dans lequel les parties parviennent à se parler, à s'entendre, leur présentent des conclusions communes. Tout le travail des juges, d'après les études que nous avons pu faire, vise à essayer de promouvoir des solutions consensuelles ; s'ils se présentent d'accord devant eux, les juges aux affaires familiales « félicitent » les conjoints d'avoir réussi à faire cette séparation correctement et encouragent ceux qui n'arrivent pas à le faire.

Dans les modalités pratiques d'application de cette loi, on a beaucoup insisté sur cet aspect de dédramatisation des ruptures, on a cherché à favoriser les ententes et on a insisté sur la dimension d'autonomie économique, de séparation correcte des conjoints. On en voit le prolongement, en matière de prise en charge des enfants, dans le fait que les lois successives ont fait émerger la notion d'autorité parentale conjointe, puis, plus récemment, celle de coparentalité. On retrouve sur la question des enfants ce « modèle » d'un divorce négocié. La médiation va exactement dans le même sens. La médiation familiale, c'est l'expression paradigmatique d'un divorce dans lequel ce sont les parties elles-mêmes qui sont parvenues à une entente et qui, ensuite, vont présenter cette entente devant une institution pour qu'elle soit légalisée. Ce sont ces principes qui ont été favorisés.

Dans la pratique, on voit que ce divorce dédramatisé est extrêmement difficile à réaliser, que le divorce pour faute, bien sûr, est resté à un niveau élevé, que, beaucoup de divorces, même le divorce sur requête conjointe, connaissent un certain niveau de conflictualité. Les travaux des démographes montrent que sont souhaitées des mesures qui permettent la dédramatisation du divorce et la circulation des enfants entre les parents, mais aussi que cela reste difficile à mettre en œuvre et que l'on a encore un nombre d'enfants assez grand qui sont coupés ou risquent d'être coupés d'un de leur parent, en général le père ; de même, au niveau économique, les pensions, on le sait, restent difficiles à payer pour les débiteurs et sont souvent impayées.

Voilà des réflexions sur un plan général. Si l'on regarde maintenant des points plus particuliers, il y a ce même décalage entre ce qui est promu par la loi et ce qui existe en réalité.

En ce qui concerne la prise en charge des enfants, qui n'est sans doute pas l'objet du texte, puisqu'elle est maintenant réglée par la loi sur l'autorité parentale de 2002, il y a une aspiration très marquée dans la loi qui a été votée pour une prise en charge commune des enfants par les deux parents - la coparentalité -. On fait un peu comme s'il y avait presque déjà une égalité des prestations des hommes et des femmes par rapport aux enfants ; on encourage fortement l'hébergement alterné, par exemple, qui devient presque un modèle alors que, dans la réalité, on sait bien qu'une telle égalité des prestations des hommes et des femmes n'est pas du tout réalisée et qu'en pratique les femmes restent, pour l'essentiel, celles qui prennent en charge les enfants au quotidien. Cela ne veut pas dire que les pères ne s'investissent pas plus aujourd'hui qu'ils ne le faisaient dans le passé par rapport à leur rôle de père, mais il reste un déséquilibre extrêmement fort entre les deux parents, même si l'aspiration qui se fait jour dans la loi est celle d'une prise en charge réellement égalitaire.

On peut relever à cet égard un chiffre important de l'étude de l'INSEE publiée l'été dernier : le nombre des familles monoparentales augmente sensiblement et, en dix ans, de 1990 à 1999, on est passé de 14 % de familles monoparentales à 17 %, ce qui est relativement important. Or, dans la plupart de ces familles monoparentales, c'est une femme qui est en charge des enfants, même si le père est présent d'une certaine manière, peut-être plus aujourd'hui qu'il ne l'était par le passé.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je suis assez sceptique sur ce dernier point.

M. Benoît Bastard : Certes, les études des budgets temps montrent que le temps que passent les pères à s'occuper de leurs enfants a très peu augmenté, de quelques minutes par an. En même temps, on ne peut pas s'empêcher de penser - ces études étant très globalisantes - que, dans la pratique, il y a des attitudes, des comportements qui changent. Il y a certainement des changements dans les représentations, dans les attitudes des pères par rapport à leurs enfants qu'il serait intéressant d'étudier, car on ne peut pas juste s'en tenir à la question du temps. Il faut aussi voir comment le modèle de la paternité est vécu. Mais, comme vous, sur le plan pratique, je pense que cela évolue extrêmement lentement.

Mme Hélène Mignon : Quand je repars de Paris par avion, souvent le vendredi vers 17 heures, je suis très étonnée du nombre d'enfants qui prennent l'avion seuls et qui retrouvent leur père à Toulouse. C'est un phénomène tout à fait nouveau par rapport aux années précédentes.

M. Benoît Bastard : Les démographes disent à ce sujet
- Mme Villeneuve-Gokalp, chercheure à l'INED, a fait une étude très précise sur ce point - que le nombre des enfants, qui ne voient pas leur père, reste relativement constant dans le temps, mais que ceux qui voient régulièrement leur père le voient plus fréquemment qu'il y a dix ans. Autrement dit, les pères qui se sont investis le sont de plus en plus et, en même temps, on a toujours un même nombre d'enfants qui ne voient pas leur père, soit qu'ils ne l'aient jamais vu, soit qu'il y ait une coupure, soit que le père ait par la suite fait défaut et ait disparu.

Je voudrais parler également de la réalité du règlement économique du divorce. Là encore, d'une certaine manière, on voudrait faire comme si l'égalité était présente, comme si les femmes, du fait qu'elles ont plus souvent un emploi rémunéré, sont capables d'avoir une autonomie véritable. Certes, beaucoup d'entre elles ont des emplois, et cette indépendance plus grande se marque dans le fait que le nombre des prestations compensatoires - d'un peu plus de 10 % - est assez faible. C'est donc le signe qu'il y a une autonomie des femmes. Mais, en même temps, on sait bien que cette autonomie se paie cher, que les femmes ont des statuts moins favorables que les hommes sur le plan du travail, que ce sont elles qui sont confrontées aux problèmes de conciliation entre emploi et prise en charge des enfants, puisqu'elles restent les principales personnes à prendre en charge les enfants.

J'ai dit que les pensions sont mal payées. Dans une étude récente de l'INSEE, on relève qu'un nombre croissant de familles monoparentales ont à leur tête une femme jeune et qu'elles sont aujourd'hui particulièrement vulnérables. Là encore, il y a plus d'autonomie des femmes dans un certain sens, mais en même temps il reste des vulnérabilités importantes. Il y a également les situations, dont ont parlé les rapporteurs au Sénat, de femmes plus âgées qui n'ont pas travaillé pendant une certaine période. Aux deux extrêmes, on trouve de grandes vulnérabilités.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Connaissez-vous la répartition entre hommes et femmes du nombre de familles monoparentales ?

M. Benoît Bastard : Il y avait en France 1 495 000 familles monoparentales en 1990. Dans 86 % de ces familles, le parent seul est une femme.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Y a-t-il une progression ou non du nombre d'hommes au sein des familles monoparentales ?

M. Benoît Bastard : Non. La proportion des pères au sein des parents de famille monoparentale s'est stabilisée à 14 %.

Mme Hélène Mignon : Ce sont surtout des veufs et très peu de divorcés. Mais il est vrai que l'on en voit un peu plus qu'il y a quelques années. C'est tout de même très minoritaire.

M. Benoît Bastard : On peut dire qu'il y a un décalage sur tous les plans. On voudrait un divorce pacifié et dédramatisé, mais on voit que le taux du niveau de la conflictualité reste très élevé.

On voudrait que les conjoints soient également présents auprès des enfants et on voit que l'on en est loin.

On voudrait autant d'autonomie chez les femmes que chez les hommes, mais on voit que sur ce plan il y a encore un écart très grand.

Pour finir, je m'intéresserai à la question de savoir en quoi le projet de loi va apporter des modifications. Peut-on notamment penser que ce projet, s'il est adopté en l'état, va, d'une certaine manière, rapprocher les pratiques de la réalité sociale ? Va-t-on avoir une loi plus réaliste ?

Pour répondre à une des questions que vous avez posée, son équilibre général reproduit et réaffirme celui de la loi de 1975, dans le sens de la même reconnaissance de la pluralité des formes d'accès au divorce correspondant à la pluralité des conceptions de l'union ou des pratiques des conjoints. De ce point de vue-là, on ne peut qu'adhérer à ce qui est proposé.

La simplification du consentement mutuel va dans le sens de reconnaître cette capacité qu'ont certains couples de s'organiser par eux-mêmes au moment du divorce. De ce point de vue-là, on peut penser que c'est quelque chose qui va fonctionner. Peut-être ira-t-on plus loin dans une prochaine étape. Je sais que l'idée du divorce sans juge a été abandonnée. Je pense qu'elle reviendra à l'ordre du jour un peu plus tard.

Je n'y suis pas défavorable au vu des observations que j'ai menées sur le travail des juges au cours des audiences, il y a quelques années. En effet, lorsque les parties leur présentent une convention de divorce sur requête conjointe, les juges font très peu d'investigations. Cela peut dépendre des juridictions et la région parisienne diffère de la province. Alors qu'on dit quelquefois que les juges n'ont pas le temps, certains juges disent que, s'ils avaient plus de temps, ils ne feraient pas plus d'investigations dans certaines situations. En effet, si vous avez l'impression que les parties sont d'accord et que les solutions qu'ils préconisent sont correctes et équitables, - à première vue, le juge dispose de peu d'éléments - certains juges ne souhaitent pas entrer dans les détails, car ils pensent qu'ils risquent de raviver des discussions qui n'ont plus lieu d'être.

Mme Geneviève Levy : J'ai une expérience un peu différente. Je vous parle d'une province dont le TGI est particulièrement surchargé et où les demandes de magistrats sont importantes. Ce n'est donc pas un tribunal qui a le temps. Beaucoup de personnes confrontées à ce stade de la procédure m'ont dit : comment se fait-il, alors que l'on pensait que tout serait réglé rapidement, que le juge nous fasse revenir et nous pose des tas de questions ? C'est un phénomène qui n'est pas marginal. Il est très difficile d'avoir un jugement de valeur, mais je pense que les deux extrêmes ne sont pas bons dans ces cas. En fait, on se rend compte très vite que, d'un climat où il n'y a pas de tension, on peut en faire naître. Il y a toujours une petite limite à ne pas dépasser, et on ne sait pas où elle se trouve. Donc, il faut se poser la question de savoir quelle est la juste voie que peut prendre un texte dans ce domaine. Cela me paraît très délicat.

M. Benoît Bastard : Vous avez raison. Certains juges peuvent être insistants aussi, mais je crois que l'on peut aussi faire confiance aux magistrats dont je parlais, qui entrent moins en discussion avec les conjoints, pour poser les bonnes questions ; au moment où un niveau de pension pour un enfant leur apparaît trop bas, ils vont bien dire : pensez-vous, Madame, que c'est raisonnable d'accepter un niveau aussi bas ? Ils vont s'apercevoir à ce moment-là qu'il y a des raisons. Dans l'avenir, s'il s'agit d'un consentement mutuel, ils demanderont une deuxième comparution, puisqu'ils pourront encore le faire.

Je pense qu'on peut faire confiance aux juges pour trouver des adaptations. Je pense que, sur le fond, cette simplification du divorce est attendue par une partie des conjoints. Si vous prenez les sondages à propos de la question du divorce sans juge, sur un taux de réponse extrêmement fort, 81 % de personnes tout public étaient favorables à cette simplification.

Les gens veulent quelque chose, mais peut-être ne sont-ils pas capables de le réaliser non plus. Il y a cette idée qu'ils peuvent le faire eux-mêmes et, en même temps, on sait bien qu'une partie des couples a de grandes difficultés à réussir à mettre fin de façon négociée à un conflit.

Mme Geneviève Levy : En dehors de l'aspect matériel, il y a aussi l'aspect purement psychologique. En effet, peut-être faut-il, à un moment donné, savoir aller un peu plus loin, et, comme on dit savoir faire son deuil au moment de la perte de quelqu'un, faire son deuil d'une vie commune. Peut-être qu'un divorce trop simplifié risque de faire passer sous silence cette phase du vide. De même, trop de recherches du petit détail, risquent de remettre en cause l'accord qui était intervenu. C'est pourquoi je dis que la voie doit être très étroite et qu'elle n'est pas facile à trouver pour le législateur.

M. Benoît Bastard : En ce qui concerne le divorce pour faute, son maintien m'apparaît raisonnable, avec les réserves qui sont incluses dans le projet de loi, à savoir que l'on cherche, d'une certaine façon, à en restreindre l'accès. Certains conjoints considèrent en effet que des torts très caractérisés leur ont été faits et souhaitent pouvoir recourir à ce type de procédure. Aujourd'hui, ceux qui y recourent n'y trouvent pas toujours les réponses qu'ils en attendent et cela ne va pas changer, parce que - je l'ai dit - ce modèle du divorce dédramatisé est tellement prégnant que les magistrats ne souhaitent pas entrer trop vite dans le règlement tranché d'un conflit et préfèrent essayer toutes les voies qui vont permettre d'avoir des accords sur les effets du divorce ou de le pacifier. Ce maintien du divorce pour faute paraît d'autant plus important que l'on insiste en même temps sur la question de la violence des hommes sur les femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : On a trop tendance aujourd'hui à dire que les hommes sont violents. Ce n'est pas que je veuille prendre la défense des hommes, mais il ne faut pas non plus minimiser celle des femmes.

M. Benoît Bastard : Elles exercent sans doute d'autres violences que celles des hommes. L'étude ENVEFF, annexée au rapport du Sénat, montre cependant l'importance de ce phénomène de violence des hommes contre les femmes.

Mme Hélène Mignon : Les hommes qui se font battre ne vont pas le clamer sur tous les toits.

M. Benoît Bastard : Du point de vue de l'équilibre du projet, il est important de rendre « attractif » les autres voies d'accès au divorce, qui sont revivifiées. Cela devrait permettre de mieux recouvrir la diversité des situations. Il reste à voir en pratique l'application de ce nouveau texte, car il faut se souvenir que la loi de 1975 n'a pas été réalisée dans toute son ampleur. Par exemple, en ce qui concerne la prestation compensatoire, je ne peux dire si les transformations de l'attribution des dommages et intérêts simplifieront cette pratique ; il faudra voir. Sur le plan économique, pour moi, les choses restent difficiles à lire. Il y a une hésitation entre le projet initial de 1975 selon lequel la prestation compensatoire règlerait une situation - les Anglais parlent de « clean break » - et la pratique qui a tiré les choses du côté de ce qui ressemblait à nouveau à une pension. On est alors revenu en 2000 à une réaffirmation de l'ancien principe avec des aménagements. Maintenant, on fait encore autre chose. Il semble qu'il y ait une sorte d'opposition entre les partisans du débiteur - qui veulent lui donner la possibilité de refonder une famille - et ceux des créanciers qui souhaitent le maintien du niveau de vie de la première famille.

Il faut cependant souligner un point qui figure à plusieurs reprises dans les travaux préparatoires du texte : cette inégalité, qui reste forte dans les longs mariages, du fait que ne sont pas partagés les avantages accumulés par un conjoint à travers une carrière et ceux des droits à la retraite. En France, ces droits ne font pas l'objet de partage, alors qu'ils le sont en Allemagne, en Suisse, en Californie. C'est quelque chose qui pourra être revu dans l'avenir.

Le dernier point que je voulais évoquer porte sur la question des enfants, qui n'est pas prise en compte au premier chef dans le présent projet.

On se demande, d'un point de vue de sociologie du droit, s'il n'y a pas maintenant un étrange hiatus. D'un côté, avec ce projet de loi, on réaffirme la pluralité des modes d'accès du divorce, on prend bien en compte la diversité des manières d'être en couple et en famille, tandis que, de l'autre côté, avec la loi sur l'autorité parentale de mars 2002, on arrive en fait à un modèle de plus en plus fort d'autorité parentale partagée, d'obligation de s'entendre, de coparentalité. D'un côté, on a la diversité et, de l'autre, on a une modalité de plus en plus affirmée. Je ne suis pas le seul à le souligner ; j'ai entendu Mme Dekeuwer-Défossez le dire récemment. On risque d'avoir des parents qui vont divorcer par consentement mutuel et exercer une coparentalité sans grande difficulté et d'autres parents qui ne parviendront pas à s'entendre, qui seront dans des processus de divorce conflictuel, mais dont on attendra en même temps qu'ils soient capables de coparentalité. Pour ceux-là, ce seront des situations difficiles. Il y a une sorte de tension très forte entre des modèles.

Il faudra regarder comment la pratique pourra gérer ce hiatus.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Certaines personnes auditionnées par la Délégation nous disaient qu'il fallait prévoir un accompagnement des gens qui divorcent. Ce sera très lourd à gérer.

M. Benoît Bastard : Il y aura une contradiction. D'un côté, on considère de plus en plus que ce doit être une affaire privée, que les personnes doivent être capables de se prendre en charge et, de l'autre, on dit que c'est difficile à faire, qu'il faut des capacités que les gens n'ont pas et qu'il faut les accompagner.

Il existe des formes d'accompagnement. La médiation représente la promotion de ce modèle dédramatisé. Les lieux d'accueil pour le maintien des relations enfants/parents sont également intéressants. Ce sont des lieux dans lesquels les parents qui ne vivent pas avec les enfants au quotidien peuvent les rencontrer, sur l'indication d'un juge dans 90 % des cas. Ces associations aident les parents à gérer l'exercice de l'autorité parentale dont ils sont censés être titulaires. Leur action revient à restreindre les possibilités de l'exercice de l'autorité parentale parce que le juge l'a stipulé, alors même que les parents en sont titulaires. Ici, il y a une zone un peu particulière d'accompagnement qui va dans le même sens, celle de promouvoir la circulation des enfants et de permettre à des parents en difficulté, à y accéder.

Mme Hélène Mignon : Par expérience, pour l'avoir vu autour de moi, quand la coparentalité est vraiment assurée par la mère et par le père, c'est vraiment une réussite pour l'enfant. L'enfant se sent aussi bien chez l'un que chez l'autre. Il n'y a jamais eu de phrases déplacées du père ou de la mère à l'encontre de l'autre. J'ai quelques exemples de cas où cela se passe bien, parce qu'il y a cette volonté des deux parents.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Chacun doit s'être reconstruit de son côté.

M. Benoît Bastard : On dit quelquefois que les recompositions d'un côté ou de l'autre rendent plus problématiques le fonctionnement de la circulation des enfants. On peut le voir dans les travaux des démographes sur l'après-divorce. En même temps, la situation que vous décrivez est tout à fait possible.

Mme Hélène Mignon : Je vois aussi le père dire de temps en temps qu'il part seul huit jours avec son fils et pas avec celui de sa compagne. Pour certains cela marche très bien, les enfants sont vraiment épanouis. Mais c'est certainement difficile.

M. Benoît Bastard : Je voudrais encore évoquer la médiation.

On peut penser que la médiation va dans le sens d'un divorce dédramatisé et que les mesures qui ont été prises vont en faire une pratique de plus en plus accessible et banalisée. En même temps, on ne peut pas penser que la médiation va régler tous les problèmes du divorce rapidement et qu'elle puisse être appliquée à toutes les situations. Il y a à la fois intérêt à ce que la médiation se développe et en même temps il faut que l'on sache bien pour quel type de situation elle fonctionne bien et pour quelles autres ce sont des pratiques différentes qui sont indiquées.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je pense que ce texte est très attendu et qu'il sera examiné en séance publique au mois d'avril.

Mme Hélène Mignon : Le nombre de pères qui l'attendent pour régulariser leur droit de visite plus facilement est important.

M. Benoît Bastard : Le projet ne modifie pas fondamentalement l'architecture des choses. Les positions qui sont prises sont mesurées.

Audition de Mme Marie-Cécile Moreau, juriste

Réunion du mardi 3 février 2004

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je suis très heureuse d'accueillir Mme Marie-Cécile Moreau, dont j'ai l'occasion d'apprécier, à l'Observatoire de la parité, non seulement le travail, mais surtout le sens de la mesure et les qualités juridiques. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité qu'elle nous donne son opinion sur le projet de loi relatif au divorce.

D'une manière générale, portez-vous une appréciation positive sur les quatre cas de divorce redéfinis par le projet de loi : le divorce par consentement mutuel, le divorce accepté, le divorce pour altération définitive du lien conjugal et, enfin, le divorce pour faute ?

Que pensez-vous, s'agissant du divorce par consentement mutuel, du prononcé du divorce après une seule audience et de la possibilité pour les parties de n'avoir qu'un seul avocat ? N'y a-t-il pas là un risque de consentement contraint ? C'est l'un des aspects que nous avons évoqué lors de la précédente audition et sur lequel je souhaiterais avoir votre point de vue non seulement de juriste, mais également de femme.

Pour permettre de réserver le divorce par consentement mutuel aux véritables situations d'accord entre les conjoints, ne conviendrait-il pas de recourir plus fréquemment à la procédure du divorce accepté et pensez-vous que cette procédure pourra se développer ?

La période de deux ans de séparation avant l'assignation en divorce exigée des époux qui demandent le divorce pour altération définitive du lien conjugal vous paraît-elle d'une durée suffisante ? Je sais qu'il y a débat sur cette question. Il me paraît important de déterminer quels arguments mettre en avant pour éviter que l'on puisse parler à ce sujet de répudiation.

S'agissant du divorce pour faute, que pensez-vous de la définition retenue de « faute pour violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage », adoptée par le Sénat ? Ne faudrait-il pas préciser que ce divorce doit être limité aux situations les plus graves, en particulier aux cas de violence conjugale ?

Comment faire appliquer la mesure prévue d'éviction de l'époux violent du domicile conjugal ? C'est l'une de nos grandes préoccupations. Faut-il une procédure contradictoire, mais comment faire, dans ce cas, pour ne pas rallonger les délais ? Si on permet à la femme de rester au domicile conjugal, quelles garanties peut-on lui apporter ?

Que pensez-vous des nouvelles dispositions concernant la prestation compensatoire ? Peut-elle répondre aux difficultés des femmes qui ont été mère au foyer ou de celles qui ont interrompu leur carrière pour avoir plusieurs enfants ? Ne faudrait-il pas, dès le jugement de divorce, élargir les possibilités de versement de la prestation compensatoire à la fois sous forme de capital (usage du logement, par exemple) ou de rente ?

Mme Marie-Cécile Moreau : Permettez-moi, avant d'entamer le balayage du projet de loi, de vous faire trois observations.

La première, c'est qu'il n'existe pas de bonne loi pour cette question très délicate, humainement, qu'est le divorce. Il n'existe que des lois moins mauvaises que d'autres. Les enfants vont souffrir et souffrent, le mari et la femme vont subir des dommages qui sont autant affectifs que matériels et les femmes, en l'état de notre civilisation et de notre culture, vont subir des dommages plus sévères que les hommes. Je n'insiste pas sur ce point. Je crois qu'il est partagé par une majorité de personnes, même si je n'ignore pas que certains lobbys peuvent plaider en sens inverse. En tout cas, je ne m'étonne pas que votre Délégation s'intéresse à cette question du divorce, qui touche les femmes lourdement.

Ma deuxième observation, c'est que nous ne vivons pas dans une culture paritaire. Toutes les discriminations que nous dénonçons par ailleurs au détriment des femmes, aussi bien dans leur vie personnelle et familiale que professionnelle, sont cumulées sur la femme mariée, mère de famille. Le divorce va faire exploser cette situation et aggraver sa vie après le divorce, d'autant plus qu'une partie des inégalités ne peut pas être compensée par des mesures imposées aux maris, par la procédure.

Troisième observation préliminaire : lorsqu'il s'agit de toucher à l'humain et à la civilisation, je suis de celles et ceux qui ne croient pas que la loi soit suffisante. Elle provoque parfois même un choc en retour, et ce qui me paraît important, ce sont les actions latérales, peut-être même d'autres lois, mais sur des sujets annexes, qui sont de meilleurs moyens de réduire les inégalités qui tiennent à des attitudes, des comportements et des structures de la société.

Sous ces réserves - parce que ce sont tout de même des réserves - j'en viens à vos questions qui me paraissent observer la chronologie du projet de loi. Les juristes (c'est aussi le cas du législateur) savent bien qu'en matière de divorce, il y a en général trois chapitres, trois volets bien distincts : les causes, la procédure et les conséquences, et, lorsqu'il s'agit du législateur, il ajoute assez volontiers des dispositions diverses, parmi lesquelles figure, précisément, la disposition sur l'éviction du conjoint violent.

Le premier volet concerne les causes. Je pense que les quatre causes de divorce qui sont énumérées dans le projet de loi peuvent être réunies deux par deux.

Les deux premières causes ont en commun de correspondre à une volonté et à un consentement partagé de chacun des deux conjoints pour divorcer. Je n'en parlerai pas ici et, si vous le voulez bien, je les aborderai dans le deuxième volet : celui de la procédure.

Quant aux deux autres causes, c'est-à-dire l'altération définitive du lien conjugal et le divorce pour faute, elles ont aussi en commun, ce qui les distingue des deux précédentes, d'être un divorce « contentieux » ; l'un des conjoints est demandeur au divorce, alors que l'autre ne le souhaite pas.

Je m'arrête sur le troisième cas, selon la nouvelle rédaction de l'article 229 du code civil : le divorce pour altération définitive du lien conjugal.

Pour faire comprendre mon propos, il est peut-être nécessaire que je rappelle ce qu'est aujourd'hui, en droit positif, le divorce pour rupture de la vie commune, introduit par la loi de 1975 et qui comporte au moins quatre garde-fous destinés à exclure une répudiation.

Premièrement, il faut une séparation de six ans pour que celui qui le souhaite introduise ce divorce.

Deuxièmement, celui qui le demande va devoir assumer tous les frais de la procédure, ce qui n'est pas nul même au cas d'aide juridictionnelle.

Troisièmement, le juge peut rejeter la demande si la femme (statistiquement, c'est la femme qui est la défenderesse dans un divorce de cette espèce) peut faire la démonstration qu'une exceptionnelle dureté s'attache pour elle et pour les enfants à ce divorce.

Quatrièmement (j'insiste sur ce point parce que la plupart des commentaires ne le soulignent pas), le conjoint qui obtient le divorce pour rupture reste débiteur du devoir de secours, c'est-à-dire qu'il n'y a plus de mariage, mais que l'ex-mari va devoir payer à la femme une pension alimentaire durant toute la vie de celle-ci.

Or, que nous propose à la place le troisième cas de divorce, celui de l'altération définitive du lien conjugal ? Il nous propose d'attendre deux ans, il ne met pas à la charge du demandeur la totalité des frais, il ne permet pas à la défenderesse de soulever de difficultés particulières, notamment la fameuse clause de dureté, et il a pour seule conséquence, pour le demandeur, non plus le devoir de secours, qui est supprimé, mais, comme pour le divorce pour faute, la prestation compensatoire en capital.

Cela n'est pas, de ma part, un simple plaidoyer à l'encontre de cette nouvelle forme de divorce, mais une introduction au quatrième cas : le divorce pour faute. En effet, dans l'Etude où j'exerce mon activité professionnelle, je sais qu'on pourra me dire, sachant que ce délai de deux ans est assez court : « Pourquoi recourir à un divorce pour faute qui va contraindre à constituer un dossier et à obtenir des témoignages pour prouver les griefs reprochés au conjoint, pourquoi tant d'efforts alors que, d'ici deux ans, le divorce sera obtenu par le simple écoulement du temps ?

Dans votre première question, vous m'avez demandé si je portais une appréciation positive sur ces quatre cas de divorce. Mon appréciation n'est pas positive, parce que je crois pouvoir dire que nos concitoyens ne savent pas ce qui les attend. En effet, alors qu'il a été proclamé qu'on maintenait le divorce pour faute, peut-on en être aussi sûr ? Les parties ne vont-elles pas choisir, par facilité, le si facile divorce pour altération définitive du lien conjugal ?

Par ailleurs, même si la loi est votée en l'état, le mot « altération définitive » ne me paraît pas très transparent.

C'est la doctrine allemande qui a inspiré ce cas que nous avons appelé « rupture » en 1975 et que nous appelons aujourd'hui « altération définitive », la traduction exacte de l'allemand étant « désunion irrémédiable ». Je sais que le mot « désunion » fait un peu peur, comme je l'ai déjà expérimenté, mais le mot "altération" me paraît peu convaincant. Quant à « définitive », je n'aime pas ce terme qui n'est pas dans l'esprit général de la loi, qui prétend, par ailleurs, essayer de réparer les choses par des mesures de médiation. Ne disons donc pas tout de suite « définitive » ; disons « irrémédiable », par exemple, ou « irréparable ».

C'est en tout cas une terminologie qui ne supprime en rien les observations que je viens de faire ni le regard troublé que je porte sur les quatre cas de divorce, et en particulier sur le troisième. Le troisième cas (altération définitive) se rapproche d'une répudiation et de surcroît, risque de devenir celui qui sera le plus utilisé, en raison de sa facilité. Et pourtant, dans les procédures de droit international privé, le droit français écarte la répudiation lorsqu'elle est pratiquée à l'étranger, au motif qu'elle est contraire à l'ordre public. Voilà une vraie contradiction au cœur de notre droit !

J'en viens au deuxième volet : la procédure.

Je pense que, lorsqu'il existe un consentement commun au divorce (je vous parle là des deux premiers cas), il faut bien voir que c'est un consentement dans un désaccord : on ne cherche pas à divorcer lorsqu'on s'entend bien au préalable. Par conséquent, les divorçants sont des gens qui sont tout à fait respectables, mais qui, par définition, sont en contentieux ou en tout cas en discussion et, plus encore, dans un rapport parfois très inégalitaire entre l'homme et la femme, au détriment de la femme.

Je pense donc, mais cela n'a rien de très original, que, pour cette raison, un accord dans le désaccord justifie que chacun des conjoints ait son avocat. Ce n'est pas une mesure de défense professionnelle - je ne suis pas avocat -, mais de respect pour le consentement libre et éclairé qui est au centre de notre droit.

Pour les mêmes raisons, toujours pour le divorce par consentement mutuel, je pense que deux comparutions sont préférables à une seule.

Je suggèrerais donc que, sur le terrain de la procédure, il y ait, par respect pour le consentement et aussi pour les femmes, la possibilité que chacun des conjoints ait son avocat et la nécessité de deux comparutions.

Pour le troisième cas (altération définitive), la durée de la séparation fixée à deux ans, touche autant la procédure que le fond (surtout avec le système des passerelles possibles d'un cas de divorce à un autre).

Mais ce délai de deux ans, finalement semble ne sortir de nulle part. Je pense que six ans, c'était trop long. Des personnes qui ont vécu cette expérience me l'ont confirmé, mais pourquoi descendre à deux ans ? Un délai de trois ans aurait pour lui un argument a pari tiré du code civil. Le délai de trois ans (article 306 du code civil) est celui qui figure dans le code pour la conversion de la séparation de corps en divorce. Il est prévu que la séparation de corps peut être convertie en divorce trois ans après le jugement qui a prononcé cette séparation de corps. Il y aurait donc peut être là une argumentation de texte qui aurait un certain fondement, même si cette durée de trois ans est aussi discutable que celle de deux ans.

Vous m'avez demandé, s'agissant du divorce pour faute (quatrième cas), si la définition retenue par le Sénat était pertinente ? Ma réponse est affirmative. Elle est la reprise de la formulation de l'article 242 du code civil toujours en vigueur. Les violences conjugales sont, déjà, dans la pratique quotidienne des tribunaux, la violation grave par excellence des obligations nées du mariage.

J'en viens aux conséquences, c'est-à-dire au troisième volet que constitue la prestation compensatoire, qui est un autre point difficile à traiter, à la fois dans son évaluation, sa forme et sa transmission.

La difficulté pour le praticien d'abord et le juge ensuite, est de savoir, dans la réalité et dans le concret (vous dites l'humain), comment les choses se présentent pour chacun des conjoints. Il n'est pas du tout facile d'obtenir les justifications des charges et des revenus de chacun. Certaines situations sont claires, mais d'autres sont beaucoup plus complexes.

On a donc eu recours à ce qu'on appelle la déclaration sur l'honneur. Chacun des conjoints, engagé dans une procédure où il est question d'une prestation compensatoire, doit fournir au juge une attestation sur l'honneur, dans laquelle il indique quelles sont ses ressources et ses charges. Il s'agit d'une déclaration sur l'honneur. La jurisprudence a dit que c'était une condition sine qua non et que la demande était irrecevable s'il n'y avait pas cette déclaration sur l'honneur.

Mais les mouvements de jurisprudence entre les cours du fond ont été assez nombreux. La Cour de cassation semblait donner parfois raison à celui qui faisait état de l'irrecevabilité, mais, le dernier arrêt que j'ai pu consulter, est référencé sous un intitulé de la doctrine qui me paraît assez révélateur ; il est indiqué : « Feue l'attestation sur l'honneur ».

Nous allons nous retrouver encore, dans ces questions d'appréciation avant fixation de la prestation, dans les difficultés tenant au système des preuves et même aux preuves elles-mêmes, d'autant plus que la fixation est effectuée par le juge à un moment où la liquidation n'est pas encore intervenue, puisqu'elle ne le sera parfois que longtemps après. Le fait de rapprocher les deux choses est d'ailleurs peut-être l'un des bons points de la loi actuelle. En effet, dans le cadre de la liquidation qui se fait ultérieurement, il arrive relativement fréquemment que l'on ait des surprises, les parties n'étant pas toujours informées de ce que seront, dans le cadre d'une liquidation de communauté, les récompenses et toutes sortes de dettes des parties elles-mêmes ou de la communauté ; finalement, cette situation finit, a posteriori, par peser sur la clarté de la prestation compensatoire.

Cependant, il ne se pose pas seulement cette question. Ce qui fait problème aussi, c'est, depuis la loi de juin 2000, le fait qu'elle doit être attribuée en capital. Cette question du capital est délicate, car tous les débiteurs n'ont pas un capital et que, par ailleurs, la prestation sous la forme d'une rente viagère n'est admise que si le conjoint créancier (la femme, le plus souvent) est âgé et malade, et dans des circonstances exceptionnelles.

Autrement dit, la prestation compensatoire, même depuis la loi de 2000 et parfois à cause de celle-ci, est une des dispositions concernant le divorce qui est très mal ressentie par les parties en raison de son caractère forfaitaire, et des difficultés extrêmes pour la réviser.

L'autre question est celle de la transmission aux héritiers. C'est une vaste question que le projet de loi règle d'une manière qui provoque l'ire des femmes, mais aussi la satisfaction - je vous disais tout à l'heure que tout le monde n'était pas à l'unisson - de certains lobbys. Ces lobbys me semblent avoir de la force et une certaine audience.

Qu'y a-t-il dans ces lobbys ? Pour les avoir entendus dans des colloques contradictoires, mais courtois, il y a certainement les maris payeurs, mais aussi les secondes épouses, qui ne sont pas toujours dans les liens d'un autre mariage, qui sont parfois des compagnes - c'est leur droit le plus strict - et qui sont assez féroces quand leur mari ou leur compagnon doit verser une prestation à la précédente épouse ; je pense qu'elles sont assez écoutées.

J'ai aussi dans mes relations amicales des féministes qui ont le mérite d'être extrêmement logiques avec elles-mêmes et qui disent ceci : « Puisque nous sommes égales et que nous voulons être égales avec les hommes, pourquoi leur demander encore l'aumône d'une prestation ? »

La transmission de l'obligation s'effectuera, selon le projet, de la manière suivante : après le décès du débiteur d'une prestation, ce qui peut rester dû du capital, duquel le de cujus reste débiteur n'aura plus comme assiette que l'actif successoral de ce de cujus. Si des legs ont été faits, on les réduira pour permettre le paiement de ce qui reste dû du capital, mais s'il n'y a pas ces possibilités, il n'y aura plus de versement de prestation compensatoire. C'est pourquoi je vous disais tout à l'heure que, dans le cas des divorces contentieux, c'est-à-dire les troisième et quatrième cas de divorce, où le conjoint n'a pas donné son accord au divorce et se le voit imposer, on peut comprendre qu'il y ait des protestations.

Cette situation sera, particulièrement redoutable, dans le cas du divorce pour altération définitive, où, je le redis à dessein, le devoir de secours sera supprimé. Cette suppression venant s'ajouter à la suppression des trois autres garde-fous que j'ai cités au début, pourrait alimenter la renaissance d'un débat autour de la répudiation.

Il n'est peut-être pas trop tard pour suggérer que le futur article 276 du code civil, qui permet « à titre exceptionnel » que la prestation compensatoire soit fixée sous la forme d'une rente viagère, autorise le juge, au même titre exceptionnel et en cas de divorce pour altération définitive du lien, de fixer une rente qui au reste, pourrait dans ce seul cas, être à durée déterminée ou viagère. Un troisième alinéa, à cet article, pourrait être ajouté ayant ce contenu.

En ce qui concerne l'article 220-1 et l'éviction du conjoint violent, cette disposition était déjà prévue dans la proposition de loi de M. François Colcombet.

L'actuelle proposition a été préparée avec brio par Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle. La toute première fois que je l'ai entendue en parler, elle l'avait présentée sous la forme d'une disposition contribuant au respect de la personne : on évince le conjoint violent parce que la violence porte gravement atteinte au principe du respect dû à la personne.

Le nouvel article 220-1 ne figurera pas dans le chapitre du divorce, mais dans celui du mariage. Et puisqu'on va toucher au chapitre du mariage, je suggérerais volontiers de modifier d'abord l'article 212. En effet, ce projet de loi voulant moderniser les textes, l'article 212 selon lequel « les époux se doivent mutuellement fidélité, secours et assistance » pourrait être actualisé de la façon suivante : « Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance et respect ».

Le mot « respect » est à la mode, avec un contenu intéressant et compréhensible pour beaucoup de nos concitoyens, y compris des jeunes. L'article 212 ainsi modifié deviendrait un chapeau qui serait ensuite développé à l'article 220-1 en matière d'éviction du conjoint violent.

Mais l'éviction du conjoint n'est pas simple et dans beaucoup de cas, la femme n'ira pas se plaindre. Peut-être veut-on justement la contraindre à agir et à demander que le mari soit évincé, mais si jamais elle le fait (et c'est peut-être pourquoi elle ne le fait pas), sa vie, si elle obtient l'éviction, risque d'être terriblement désorganisée, surtout s'il y a des enfants, au plan matériel (loyer ? emprunts à rembourser, entretien quotidien...).

De toute façon, il est extrêmement rare de voir, dans le cadre d'une ordonnance de non-conciliation, la femme envoyer l'huissier si le mari, condamné à partir par décision de justice, ne part pas spontanément. C'est vraiment très rare, surtout s'il y a des enfants. C'est donc une chose assez difficile.

Cette difficulté psychologique doit être prise en considération et être ajoutée à la difficulté non seulement d'expulser et de payer le loyer, mais aussi de payer le pain quotidien. Il n'est pas prévu dans le texte que le juge puisse décider à l'avance d'une contribution aux charges du mariage, de sorte que cet article 220-1, auquel on peut accéder de manière assez abstraite, reste difficile à mettre en œuvre dans la réalité concrète. Où ira le mari, le père des enfants, si on n'a pas pris de dispositions, alors que lorsque la femme part...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : ...elle peut se rendre dans un foyer pour femmes battues. C'est tout à fait vrai.

Mme Marie-Cécile Moreau : C'est pourquoi je dis que la chose est difficile sur le plan concret. Je souhaiterais que les choses puissent se passer ainsi, mais je ne pense pas que le mari, même expulsé, soit si satisfait de son nouveau sort qu'il ne tente pas de revenir. Il faudrait donc aussi changer les clefs. Ce sont de très nombreuses petites situations que je cite, non pas par œuvre d'imagination, mais simplement du fait des difficultés de la vie quotidienne que connaissent les praticiens du droit. Tous ces petits à-côtés, finalement, viennent ralentir l'élan que l'on pourrait avoir envers des dispositions qui, certes, sont satisfaisantes sur le plan symbolique, mais qui pourraient être plus utiles, une fois qu'on aura organisé un dispositif pour recueillir le conjoint violent.

Il est prévu que l'éviction ne sera pas reconduite au bout de trois mois et qu'elle deviendra caduque si une procédure de divorce n'était pas engagée.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je vous remercie beaucoup de votre intervention, qui est perturbante...

Mme Geneviève Levy : ...et iconoclaste.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Elle replace certaines bonnes intentions dans la réalité. Sur l'éviction du conjoint violent, notamment, il y a de très bonnes intentions dans le projet de loi, mais, en pratique, leur réalisation s'avère difficile.

Mme Claude Greff : Il faudra bien protéger les femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Mme Geneviève Levy nous a donné un exemple tout à fait significatif la semaine dernière.

Mme Geneviève Levy : Oui, effectivement, pour illustrer le fait d'une part que les violences conjugales sont insuffisamment prises en considération et d'autre part qu'elles se manifestent quels que soient le niveau social, culturel...

J'ai eu l'occasion d'être saisie par des épouses d'officiers de marine qui se plaignaient que leur conjoint violent, même convoqué par leur supérieur hiérarchique, n'était finalement l'objet d'aucune sanction...

Cela donne une idée des grandes difficultés que nous avons à répondre à toutes les attentes de nombreuses femmes qui sont souvent de passage à Toulon et que l'on perd un peu de vue ensuite, même si on a essayé de s'y intéresser à un moment de leur vie.

Cela dit, en vous entendant, il m'apparaît que cette mesure nous satisfait intellectuellement, mais qu'elle nous frustre, parce que nous sommes bien conscients que cela ne va pas suffisamment loin. J'ai repensé à ce que disait l'autre jour le Premier ministre lorsqu'il parlait de la laïcité et aux deux aspects de la loi, quelle qu'elle soit : la loi a aussi une valeur de symbole. C'est pourquoi j'estime que, sur des points comme celui-ci (même s'il faut que ce soit marginal et ponctuel), le symbole de l'écrit dans une loi est déjà une avancée.

Certes, je partage votre avis sur le fait que c'est insatisfaisant. Pour autant, il faut le conserver, car cela va peut-être donner matière à réflexion et aboutir à la mise en place d'éléments permettant d'être plus contraignant et d'assurer un suivi.

Mme Marie-Cécile Moreau : Nous venons de parler d'une loi civile qui concerne les conjoints, mais vous savez aussi qu'il y a une loi pénale qui a l'avantage de concerner non seulement les couples mariés, mais aussi les couples de concubins, car il y a aussi des violences chez les concubins.

L'entraînement et le symbole dont vous me parlez sont certains.

La politique pénale des parquets est, paraît-il, je le tiens de magistrats eux-mêmes, extrêmement empreinte de régionalisme, sinon de différences de tribunal à tribunal, de sorte que l'inscription dans la loi civile de l'éviction d'un mari ou un père violent peut finalement conduire à une plus grande cohérence.

Les femmes sont mal instruites de leurs droits. Il est très fréquent qu'une femme qui est allée déposer une main courante revienne et demande si sa plainte progresse. La main-courante n'est pas un dépôt de plainte. Il y a donc toute une éducation qui me paraît nécessaire, ne serait-ce que pour mettre en œuvre la future disposition civile, mais je pense que nous en sommes encore assez loin.

M. Patrick Delnatte : Sur ce point, il est vrai que l'application n'est pas facile, mais il n'est pas incompatible d'avoir cette procédure civile plus une procédure pénale.

Mme Marie-Cécile Moreau : Nous sommes tout à fait d'accord et je ne crois pas avoir dit le contraire.

M. Patrick Delnatte : Sur le problème que vous avez soulevé, notamment celui des charges, nous ne sommes pas encore dans une procédure de divorce et ce sont donc les charges du mariage qui continuent. Il n'y a aucun problème juridique, sauf peut-être quant à l'application.

Mme Marie-Cécile Moreau : Et si le mari ne s'exécute pas ?

M. Patrick Delnatte : Les créanciers savent à qui ils doivent s'adresser parce que la situation n'a pas changé : nous sommes dans le cadre des charges du mariage.

Mme Marie-Cécile Moreau : Ils vont s'adresser à la femme.

M. Patrick Delnatte : Deuxièmement, ce qui manque, c'est le côté contradictoire de cette procédure. En effet, là aussi, je ne dirai pas qu'il faut éviter les manipulations, mais ce côté contradictoire me paraît nécessaire compte tenu de la gravité des décisions.

Mme Marie-Cécile Moreau : Je peux répondre tout de suite sur ce point. La Chancellerie a dit que la procédure devra être contradictoire.

M. Patrick Delnatte : D'accord. Le problème est alors de savoir si cela relève d'un décret dans le cadre de la procédure ou si on peut sécuriser le principe posé en introduisant dans le texte le respect du contradictoire. Les juges tiennent beaucoup à avoir dans le texte le respect du contradictoire.

Mme Marie-Cécile Moreau : Je crois qu'ils y tiennent aussi par une sorte de crainte révérencielle devant l'article 6 de la Convention européenne. C'est là que réside la difficulté. Néanmoins, s'il faut une assignation pour appeler à comparaître le mari violent et qu'il ne comparait pas, il n'y a pas de difficulté puisque l'assignation a été faite. Je pense que nous ne pourrons pas remonter la pente et que ce sera donc une procédure contradictoire, imposée dans le texte, même si l'efficacité et la rapidité nécessaire, en cas d'urgence, en pâtiront.

M. Patrick Delnatte : Nous sommes ici dans le cadre d'une procédure de référé : ce n'est pas une assignation. Le JAF peut donc très bien décider rapidement.

Mme Marie-Cécile Moreau : Oui, parce que le JAF a les pouvoirs du juge des référés, mais il faut bien interpeller ce monsieur. Cela ne se fera donc que par un document, une assignation ou quelque chose d'équivalent. A cet égard, nous entrons dans un très vaste problème : celui du nombre de nos juges. Comme nous en manquons déjà, comment fera-t-on ?

M. Patrick Delnatte : Les juges n'ont pas tellement de difficultés à gérer cette situation, mais je reconnais que l'on inverse la logique en se mettant du côté de la victime. Auparavant, c'était la victime qui devait partir, on inverse maintenant la logique et il faut absolument tenir et aller au fond des choses. Même si ce n'est pas facile et s'il faudra du temps, je pense que les mentalités doivent changer à partir de cette affirmation.

Si on dit que c'est difficile à mettre en œuvre et si, à partir de là, on ne fait plus rien, on va rester dans une situation totalement condamnable.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il y a un aspect que l'on ne pourra pas négliger : c'est l'aspect pécuniaire, qu'il faudra bien régler. Pour prendre un exemple, si c'est le mari violent qui doit quitter le domicile conjugal, il faudra changer la serrure. Qui va le payer ? C'est bien le mari.

Mme Claude Greff : Pourquoi pas la femme ?

Mme Marie-Cécile Moreau : C'est justement ce que nous ne souhaitons pas.

Mme Claude Greff : Il faut faire payer le mari, je suis d'accord avec vous, mais pour cela, il faut peut-être prévoir des dispositions en amont. Par ailleurs, la femme, a peut-être envie aussi de se libérer. Elle est capable de payer une serrure pour sa protection.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est le mari qui doit la payer.

M. Patrick Delnatte : On en revient à la charge du mariage.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ce petit exemple met en évidence la difficulté des situations. Symboliquement, cette décision est très bonne et personne ne peut la contester, mais, sur le plan concret, j'ai du mal à l'imaginer. Il ne faut pas que ce soit un gadget.

Mme Marie-Cécile Moreau : Pour ma part, je n'emploierai pas ce mot.

Mme Bérengère Poletti : Il ne faut pas que ce soit un leurre.

Mme Marie-Cécile Moreau : Exactement. Les difficultés que j'énonce n'ont pas pour but de faire rejeter cette mesure. C'est dans le souci de ne pas faire du droit qui laisserait un espoir aux femmes battues sans suite. Vu du côté du praticien où je me situe, je vous assure que, si j'avais la possibilité de vivre dans un monde plus abstrait que le mien, je m'évaderais certains jours. Pour autant, si l'application du texte bute sur ces points, je me sentirais assez mal, en conscience, puisque vous m'avez invitée en ma qualité de praticien, de ne pas vous l'avoir dit. Peut-être peut-on améliorer tout cela dans la mesure où il est prévu évidemment des décrets d'application qui, quoi qu'il en soit du texte, auront beaucoup de points à trancher, notamment celui de l'exécution sur minute de la décision.

Cela dit, il faut toujours regarder les choses dans le concret. Mme Claude Greff disait que la femme peut payer le serrurier, mais il y a quand même des ménages qui sont vraiment financièrement à court.

Mme Claude Greff : Il y en a énormément et je suis d'accord avec vous. Cela étant, on côtoie des couples qui sont dans des situations financières précaires, qui sont divorcés, dont le mari doit payer, mais ne le fait pas et qui vient agresser la femme au sortir de son domicile, la harceler, etc. Pour sa liberté et, surtout, pour sa tranquillité, elle est prête aussi à dépenser certaines sommes, voire à s'expatrier dans une autre ville.

Mme Marie-Cécile Moreau : Vous avez raison de dire que les violences ne sont pas propres à un milieu. Il y a en effet des violences dans des milieux où le coût d'un serrurier n'est rien, mais il y a aussi des violences chez des ménages où le coût d'un serrurier est très important et je pense que la loi est faite pour tous.

Mme Bérengère Poletti : Il me semble que la question du serrurier n'est pas la plus grave et que, pour le loyer, on doit pouvoir trouver des solutions de saisie sur salaire. En revanche, le fait de nourrir la famille et d'assurer l'entretien de la maison est un vrai blocage pour la femme, car c'est ce qui fait qu'elle peut renoncer si on ne lui donne pas des solutions. C'est là qu'il faut à mon avis faire porter nos efforts.

Mme Marie-Cécile Moreau : Il faut donner le pouvoir, à ce juge qui va évincer, de condamner a priori à la contribution aux charges du mariage, sans devoir attendre la carence du mari. Il est certain que le texte de l'article 214 existe, mais ce n'est pas pour autant qu'il sera exécuté. Il y a de nombreux contentieux entre époux à ce sujet, hors même des cas de violences.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est un aspect que la Délégation pourrait soulever. Je pense que c'est notre rôle.

Mme Bérengère Poletti : Vous souleviez tout à l'heure le problème de l'expulsion du mari pendant l'hiver. Je ne suis pas convaincue...

M. Patrick Delnatte : Cela ne rentre pas dans ce type de procédure.

Mme Marie-Cécile Moreau : Tout à fait. L'objectif est de séparer les combattants. On peut donc le faire en plein hiver comme en plein été.

C'est ce que nous appliquons en matière d'ordonnance de non-conciliation. Même si c'est avant la procédure de divorce, le but est de séparer les combattants et cela ne relève pas d'une procédure d'expulsion ordinaire.

Audition de Mme Chantal Lebatard, administratrice de l'Union nationale
des associations familiales (UNAF)

Réunion du mardi 3 février 2004

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous accueillons maintenant Mme Chantal Lebatard, administratrice de l'UNAF, qui m'a prié d'excuser Mme Monique Sassier, directrice générale de l'UNAF et présidente du Conseil consultatif national de la médiation familiale, qui devait initialement participer à cette audition.

Nous souhaitons connaître votre appréciation d'ensemble du projet de loi relatif au divorce et, tout d'abord, votre opinion sur les quatre cas de divorce, tels qu'ils sont redéfinis par la loi.

Je vous poserai ensuite quelques questions plus précises :

Premièrement, pour ce qui est du divorce par consentement mutuel, pensez-vous que la procédure retenue permet d'éviter les consentements contraints ?

Mme Chantal Lebatard : Non.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Vous avez vite répondu...

Deuxièmement, quel est votre sentiment sur la période de séparation de deux ans exigée en cas de divorce pour altération définitive du lien conjugal ?

Mme Chantal Lebatard : Nous avions demandé au moins trois ans.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Troisièmement, êtes-vous satisfaite du maintien du divorce pour faute tel qu'il est prévu dans le texte ? Ne faudrait-il pas préciser qu'il doit être limité aux situations les plus graves, notamment aux cas de violences conjugales ?

Quatrièmement, que pensez-vous de la mesure prévoyant l'éviction de l'époux violent du domicile conjugal et, surtout, comment en assurer l'efficacité ? C'est l'un de nos gros soucis.

Cinquièmement, nous souhaiterions connaître votre appréciation sur l'introduction de la médiation dans la procédure. Je sais que vous faites un travail important dans ce domaine et que vous êtes l'organisme qui pourra le mieux répondre sur ce point. Comment concevez-vous le médiateur familial ? Les dispositions prévues par le texte sont-elles suffisantes ?

Mme Chantal Lebatard : Je commencerai par vous remercier de votre invitation et par vous dire combien ce sujet est au cœur des préoccupations de l'UNAF. Nous avons déjà été entendus et auditionnés, nous avons travaillé dans les groupes de travail et c'est un sujet qui nous a beaucoup occupés.

Vous me demandez une appréciation globale sur le texte. Nous avons suivi ses différentes étapes et nous avons proposé un certain nombre de modifications. Nous pouvons dire qu'il y a eu des avancées très significatives et que ce texte satisfait globalement nos attentes. Il nous reste bien sûr à exprimer des réserves sur certains points, des inquiétudes et des points d'interrogation. Je pense qu'il pourrait être amendé et amélioré pour remplir pleinement ses objectifs.

En préambule, j'exprimerai le regret majeur de l'UNAF qui s'exprime sur deux points.

Le premier est la dissociation qui a été faite dans l'examen des textes entre les conséquences du divorce sur la séparation familiale, - et donc l'autorité parentale en cas de séparation, qui correspond à la loi votée en 2002 -, et ce projet de loi, comme si les liens entre conjugalité et parentalité ne pouvaient pas être pensés ensemble. Nous regrettons que le texte ne fasse pas un lien qui permette de remettre les textes en cohérence. La question de l'autorité parentale, dans la loi de 2002, n'a été abordée que sous l'angle de la séparation, et donc de la crise conjugale, sans dire que l'autorité parentale conjointe était d'abord l'une des conséquences du mariage ou de la reconnaissance des enfants par les deux parents et qu'elle perdurait quelles que soient les vicissitudes de l'union. Il y a eu une sorte de désordre qui fait perdre un peu la cohérence du droit.

On le retrouve encore dans ce texte, ce qui fait que l'on saucissonne le droit. Il n'y a pas de fil conducteur ou de cohérence entre les textes, et je dois dire qu'en cette année du bicentenaire du code civil, c'est un peu dommage.

M. Patrick Delnatte : C'est l'héritage.

Mme Chantal Lebatard : Le deuxième point, qui me paraît manquer de cohérence, alors qu'il aurait été tout simple d'y remédier, porte sur la nécessité de préciser dans un article préalable la pleine signification de la place du juge dans le divorce ; nous y sommes très sensibles.

On aurait pu soit réécrire l'article 227, soit faire précéder l'article 229 d'un article expliquant que, si des règles préexistantes fixent la constitution de l'union dans le mariage et les effets de cette union à un très haut degré d'exigence, en assurant en retour à l'union ainsi constituée la protection particulière de la loi, c'est en corollaire à la même hauteur d'exigence de protection que doit se situer la dissolution de l'union et donc que la présence du juge s'impose naturellement.

Je pense que cela apporterait du sens et de la cohérence et, en même temps, que cela aurait une résonance particulière, en lien avec l'attente très forte de nos concitoyens quant à la revalorisation du mariage civil. Il est difficile de penser le divorce in abstracto sans penser tout d'abord à ses effets retour sur le mariage. Cette attente à l'égard du mariage civil est tellement forte qu'elle a été entendue par le Gouvernement, puisqu'un groupe de travail a été constitué pour créer un site internet sur la valorisation du mariage civil et que la Chancellerie, le ministère de l'intérieur et l'association des maires de France ont commencé d'y travailler.

Je trouve qu'il est un peu dommage, encore une fois, de manquer les passerelles et les éléments de cohérence entre tous ces textes qui font évoluer le Droit en matière de vie familiale.

M. Patrick Delnatte : Je tiens à préciser que la renumérotation des articles du projet de loi fait passer l'article 247 relatif au juge du divorce avant l'article 229 relatif aux cas de divorce. Il y a donc là une réponse à ce que vous demandez.

Mme Chantal Lebatard : Certes, mais cela ne donne pas la clef de lecture. On sait que c'est le juge qui prononce le divorce, mais on ne dit pas pourquoi, ni quelle peut en être la signification pour le divorçant. Vous vous rappelez tous les débats qu'il y a eu en ce qui concerne le divorce administratif ou judiciaire. Il est donc important de comprendre que le juge n'est pas là pour restreindre le droit ou la liberté des individus, mais pour assurer la protection à hauteur des engagements qui ont été pris dans le mariage.

Il y a une espère de balance qui pourrait être une clef de lecture, qui apporterait une cohérence au texte et qui irait dans le sens des aspirations des familles.

Cela étant, de façon globale, nous sommes satisfaits du texte, des orientations qui ont été prises et de la façon dont elles se sont traduites. Simplification, apaisement et responsabilisation : tout cela va dans le sens de la dignité, du respect des volontés et de l'engagement des personnes à hauteur de ce qu'on peut attendre.

La simplification du divorce par consentement mutuel et la possibilité de revenir à une seule comparution me paraissent tout à fait satisfaisantes, de même que l'accent mis, dans ce cas, sur les conventions entre époux et la place qui leur est faite, à une réserve près.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La présence d'un seul avocat ?

Mme Chantal Lebatard : Je remarque surtout qu'il n'est fait aucune mention du délai, comme si on tablait finalement sur l'encombrement des tribunaux et la charge de travail du juge pour assurer un délai de réflexion entre le moment où on dépose la demande et le moment où on comparaît devant le juge. Je pense que l'on pourrait au moins fixer un délai minimal, qui préserverait la réalité du consentement et sa maturation. En effet, à un moment donné, dans une espèce d'euphorie qui ne permet pas vraiment de prendre ses distances, on peut se laisser aller dans l'accord parfait, puis cheminer ensuite. Or les rythmes de cheminement de l'un ou l'autre des conjoints peuvent être légèrement décalés dans le temps et il me semble nécessaire de leur donner un temps de maturation, un délai de réflexion inscrit dans la loi au cas où, par hasard, miraculeusement, les juridictions seraient tout à coup dégagées de charges et pourraient assurer immédiatement la réalisation des audiences, dès le dépôt des demandes.

M. Patrick Delnatte : Cela relève plutôt du code de procédure ; c'est donc du domaine du règlement.

Mme Chantal Lebatard : Certes, mais il serait bon de le prévoir, en tout cas. Le détail du délai et l'endroit où il sera mis nous importent peu ; c'est le délai lui-même qui est important.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Quel devrait être la durée de ce délai selon vous ?

Mme Chantal Lebatard : Il s'agit de simplifier les choses, ce n'est donc pas la peine de restituer une longueur procédurale qui serait malsaine. Un délai de trois mois serait le minimum et me semblerait tout à fait raisonnable.

C'est aussi une question de respect des divorçants et des procédures. Le divorce doit s'aborder avec une certaine réflexion. Même si les avocats sont là pour être des conseils et aider à la construction des conventions, je pense qu'il est plus prudent d'inscrire un tel délai.

M. Patrick Delnatte : Je me permets d'ajouter que, dans cette nouvelle logique du divorce, tout doit être réglé avant la comparution unique et que tout un travail en amont doit être fait. Tout le monde va travailler dans l'optique un peu différente d'une seule comparution.

Mme Chantal Lebatard : Il ne s'agit pas de revenir sur la comparution unique, qui nous paraît une avancée raisonnable, allant dans le sens de l'apaisement, de la simplification et du respect des gens responsables. Simplement, il conviendrait de mettre un tout petit garde-fou permettant de prendre ses distances par rapport à l'acte que l'on pose et de bien réfléchir quand on est engagé dans l'action.

J'ajoute que les temps de maturation des décisions dans un couple ne sont pas toujours en phase. On peut éprouver une sorte d'euphorie dans l'idée qu'on va se construire « un bon divorce ».

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La notion d'euphorie me choque un peu. C'est le mariage qui rend euphorique, mais le divorce ne me semble pas du même ordre...

Mme Chantal Lebatard : Vous pouvez rencontrer des gens qui occultent l'aspect de la douleur, de la déception, de l'échec ou du deuil de l'union et qui veulent, dans une espèce de parti pris euphorique, construire un bon divorce. Ils se mettent alors dans un état qui ressemble à une certaine euphorie. Le mot vous paraît bizarre et cela a été aussi mon cas, quand je l'ai entendu pour la première fois, mais j'ai compris l'idée que cela représentait et j'ai préféré vous restituer le choc que d'ignorer la perception de ce sentiment.

Un autre point nous a paru important : le tronc commun initial avec les passerelles multipliées et l'idée qu'aucune des voies choisies n'enferme les divorçants dans une voie sans issue qui les obligerait à revenir à la case départ et qu'à tout moment, ils peuvent aller vers des voies de moindre contentieux, d'accord partiel ou d'accord total. Tout ce qui va dans le sens de l'apaisement et du cheminement recueille notre accord.

Il en est de même pour la place prioritaire accordée à tout moment aux accords, même partiels. C'est aussi une question de respect de la volonté et de la dignité des personnes et c'est là que la médiation familiale prend toute sa place ; nous ne pouvons que nous réjouir de la voir entrer dans le droit par la grande porte du code civil.

Je ne vous rappelle pas ce qu'a fait l'UNAF pour la médiation. Je vous précise simplement que Madame Monique Sassier, que vous attendiez à cette audition, est présidente du Conseil consultatif national de la médiation familiale et qu'elle aurait été évidemment mieux placée que moi pour en parler, mais j'ai personnellement beaucoup incité les UDAF, dans nos départements, à créer des services de médiation et à en favoriser l'implantation. C'est donc un sujet qui nous tient vraiment à cœur.

La façon dont la médiation a été introduite dans le texte et dont elle est proposée et non pas imposée, sachant qu'il peut y avoir cette réunion d'information, est une très bonne chose en théorie. Evidemment, nous reviendrons ensuite sur les moyens et la mise en application, mais il est certain que, dans le principe et la théorie, on accorde ici une place toute nouvelle à la médiation familiale, c'est-à-dire à cet outil de construction et d'élaboration des conventions dans le respect de ce que sont chacun des époux, de ce qu'a été leur histoire individuelle, de ce qu'est leur histoire commune actuelle et de ce qu'ils vont construire ensuite. Il y a dans cette notion l'idée de plus grande responsabilisation et la possibilité qui est donnée aux conjoints de dépasser en permanence la souffrance et le deuil pour regarder ensemble les enfants dont ils sont parents et construire ensemble, le plus pacifiquement possible, des modes d'existence des enfants, qui les préserveront au maximum des survivances du conflit ou des conséquences du deuil.

Je pense que ce sont là des voies tout à fait intéressantes. Il faudra veiller à ce que cela puisse s'inscrire dans les faits et à ce que les moyens financiers soient obtenus, pour qu'il n'y ait pas des vitesses ou des possibilités différentes ouvertes selon les conditions sociales, c'est-à-dire qu'il y ait vraiment la possibilité d'une prise en charge ouverte à tous et sans restriction aucune. C'est très important.

J'en viens à un autre point qui nous a paru tout à fait positif : le maintien du divorce pour faute. Une fois qu'il est dépouillé d'une attractivité perverse qui nourrissait la souffrance et le conflit et qu'au fur et à mesure du cheminement dans le deuil, on peut revenir en arrière sans se retrouver enfermé dans une voie en étant obligé de recommencer toute la procédure, je pense que le divorce pour faute devrait se maintenir seulement dans les cas où il est vraiment nécessaire : les manquements et les violations graves et renouvelées des obligations du mariage. Simplement, mon interrogation porte sur le « et » : s'agit-il de causes cumulatives ou alternatives ? En tant que grammairienne, je sais que le « et » a les deux valeurs et on peut donc s'interroger...

M. Patrick Delnatte : Dans le texte adopté par le Sénat, il est indiqué « ou ».

Mme Chantal Lebatard : Je suis donc rassurée. En tout cas, cette idée de la reconnaissance, par le jugement, de la responsabilité de l'un et de la place de victime de l'autre, nous paraît un gain de justice et non pas une source de malheur. Je pense que c'est une chose tout à fait rassurante, sous réserve, bien sûr, que les aménagements aient bien été faits, mais je pense que le texte marche dans ce sens, ce qui est pour nous tout à fait positif.

Je relève aussi l'effort qui est fait - c'est une avancée significative - pour lier, dans la mesure du possible, les effets patrimoniaux du divorce au prononcé du divorce. A cet égard, la modification du texte lors du vote du Sénat, qui a encore mieux borné les difficultés et qui a ajouté dès le départ la possibilité, pour le notaire, d'envisager la formation de lots, devrait aussi contribuer à l'apaisement. On sait combien les contentieux post-divorce, les divorces mal gérés et les souffrances larvées vont s'accrocher à des problèmes patrimoniaux, ce qui empoisonne la possibilité de reconstruire, de refaire ou de regarder sa vie autrement : on est alors prisonnier des choses. C'est pourquoi je pense que plus on va vers cette restriction dans le temps, en respectant évidemment la justice et le raisonnable, plus on va dans le sens de l'apaisement.

Enfin, on ne peut que se féliciter du souci de faciliter les procédures en les limitant à un délai le plus raisonnable possible. Tout ce qui est fait pour faciliter les conventions et rendre les arrangements plus faciles ou pour circonscrire les délais nous paraît aller dans le sens de l'apaisement.

Ce sont les points les plus importants de nos remarques sur le texte.

Ensuite, il reste des points tout aussi satisfaisants, mais d'importance moindre, comme la possibilité de l'intervention du notaire et du droit dans l'évaluation du patrimoine et des biens ou le caractère irrévocable des donations entre époux durant le temps du mariage, qui rentrent dans le régime ordinaire des révocations. Cela doit apaiser Mme Jacqueline Rubellin Devichi, qui était un grand chantre de la dénonciation du caractère particulier des donations dans le mariage. Tout cela va dans le sens du raisonnable.

Nos réserves initiales portent sur le divorce pour altération définitive du lien conjugal.

Premièrement, le délai de deux ans, même en tenant compte des modifications apportées par le Sénat, lorsqu'il y a volonté unilatérale de l'un imposée à l'autre, peut paraître court et difficile. Il n'y a pas de délai idéal, bien sûr, mais nous sommes un peu étonnés de constater qu'au fil du temps, l'approche de cette question a été modifiée.

Certes, on partait d'un délai de six ans qui était très long, mais quand Mme Dekeuwer-Défossez, par exemple, ou les premiers commentateurs ou initiateurs des réformes avaient abordé le délai, ils l'avaient divisé par deux. Le débat avait alors porté sur trois et quatre ans. Ensuite, le débat a été circonscrit à deux et trois ans et nous en sommes maintenant à deux ans. Si vous mettez encore un peu de temps à débattre, j'ai peur que l'on passe de deux à un an...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Au Sénat, M. Patrice Gélard, rapporteur du texte, était favorable à un délai de dix-huit mois.

Mme Chantal Lebatard : Tout à fait. L'idée qui est consacrée par cet article
- c'est pourquoi le délai est symboliquement très fort - est celle d'un droit au divorce que l'on peut imposer à l'autre, qu'il en veuille ou non, et contre lequel le juge ne peut rien faire. Dans le texte, la possibilité qu'avait initialement le juge de rejeter la demande, s'il y avait des raisons particulières, disparaît complètement. L'idée est donc de pouvoir se dire : « à partir du moment où j'ai envie de divorcer, je sais que je serai gagnant et libéré ».

Evidemment, il ne faudrait pas que cette liberté gagnée se fasse au détriment de la protection assurée à l'autre conjoint. A cet égard, je relisais dans les introductions du Dalloz cette phrase terrible : « Il n'est plus possible aujourd'hui à un époux, quelle que soit sa conduite exemplaire, de croire que cette conduite le mettra à l'abri du divorce. »

Cela dit, il apparaît que l'intérêt personnel de l'un peut prévaloir sur la solidarité familiale et les engagements pris et en imposer les conséquences non seulement à l'époux, mais également au reste de la famille. Il s'agit bien d'une personne contre le reste de la famille et cela mérite donc un peu de réflexion et de délai. C'est pourquoi ce délai de trois ans nous avait paru, de façon un peu arbitraire, plus respectueux de ce qu'on voulait dire, mais je reconnais qu'il ne se justifie pas beaucoup plus que les deux ans ou les quatre ans, sachant qu'il n'y a pas de valeur symbolique attachée au chiffre trois.

Deuxièmement, dans ce cas de divorce, la protection accordée par la loi au conjoint qui ne voulait pas divorcer se révèle finalement très faible et l'on peut vraiment s'en inquiéter. Il n'a aucun autre moyen de défense que d'attaquer son conjoint en introduisant un divorce pour faute, une procédure et un comportement qui ne sont pas à la portée ou dans l'esprit de tout le monde, même sous l'empire de la souffrance. Au risque de l'apaiser, on risque de conflictualiser la souffrance, de la rendre plus dramatique et de créer un climat qui va à l'encontre des objectifs de la loi. Je considère donc que ce n'est pas forcément une solution bien aménagée, même si elle peut exister.

Il n'est pas prévu, pour le juge, de rejeter cette demande, mais seulement d'y répondre par des dommages et intérêts, c'est-à-dire par une indemnisation monétaire, ce qui est une tendance générale que l'on retrouve dans un certain nombre de textes. Cela rappelle les comportements de certains parents un peu trop absents, qui imaginent compenser le manque pour leur enfant en le gâtant ou en le comblant de cadeaux. La société a tendance à s'inscrire dans cette logique.

Troisièmement, toujours dans ce même cas de divorce, j'attire votre attention sur le cas particulier de l'altération irrémédiable des facultés mentales. Là aussi, la protection laisse à désirer. En l'état actuel du texte, la suppression du devoir de secours et le renvoi vers le régime général de la prestation compensatoire avec ses limites (borné dans le temps, capital, etc.) fait que le conjoint se décharge sur la société ou la solidarité nationale du devoir de secours et d'assistance qui était le sien.

Je comprends bien la difficulté de la persistance des unions dans ces cas, mais on pourrait peut-être au moins faire une exception pour ces cas particuliers et prévoir, dans ce cas spécifique, ce qui était prévu initialement, c'est-à-dire le maintien du devoir de secours.

Il nous semble que le juge devrait avoir la possibilité, soit de rejeter la demande dans les cas les plus graves, si les conséquences psychologiques pouvaient entraîner des conséquences gravissimes pour le conjoint malade (c'est une possibilité qu'il ne faudrait pas exclure complètement), soit, à tout le moins, prescrire le maintien du devoir de secours, selon les modalités de l'ancien article 239 du code civil et peut-être aller jusqu'à réintroduire ce cas spécifique avant l'article 5 du projet de loi.

Quatrièmement, j'en viens à la prestation compensatoire, qui a été notre plus grand souci. Nous y avions beaucoup travaillé au moment de l'adoption de la loi de juin 2000.

Nous avons toujours dit et nous le maintenons : il faut repenser la prestation compensatoire dans son principe. Le texte retenu constitue des avancées significatives dans le sens que nous souhaitons, mais ce n'est pas encore complètement acquis. Pour nous, la prestation compensatoire doit permettre de compenser, comme son nom semblerait l'indiquer, non pas le décalage des niveaux de vie à l'issue de l'union, mais le décalage qui résulterait des choix faits en commun pendant l'union.

Du coup, il faut la repenser, non pas comme un droit de la compensation pour combler un manque, mais comme un droit actif qui permet la construction de l'un et de l'autre. A l'issue de l'union, ils seraient remis à la singularité de leur patrimoine respectif et de leur existence respective avec, pour celui qui a fait un certain nombre de choix, la compensation qui lui est due pour qu'il y ait une vraie communauté établie en toute équité avant la dissolution de l'union.

Nous n'y sommes pas encore complètement arrivés et c'est assez difficile à construire.

Evidemment, il y a eu des avancées significatives, en particulier la transformation de l'alinéa sur les conséquences professionnelles du temps qui était consacré aux enfants. Cet article a été largement modifié (nous avons beaucoup travaillé avec M. Patrice Gélard sur ce point) dans un sens intéressant, mais il me semble que l'on pourrait encore en améliorer la rédaction. En effet, si vous le lisez bien, les seuls points qui sont examinés sont le temps consacré aux enfants et ses conséquences sur la vie ou la carrière professionnelle ou bien le temps passé par l'un au service de la carrière de l'autre, ou au détriment de la sienne, mais uniquement en termes de vie professionnelle.

Autrement dit, il n'est pas prévu du tout qu'un conjoint puisse, dans un choix de vie conjugale ou d'harmonie de vie familiale, et non pas pour aider à la carrière de l'autre, choisir de ne pas exercer de vie professionnelle ou de limiter la sienne, sans introduire cette idée de manquement au devoir de réussite professionnelle, dont on rétablirait l'équilibre, parce que la vie conjugale doit permettre la réussite professionnelle et que si l'un n'y parvient pas, on va le compenser. Cette obligation de ne voir cela que sous l'angle professionnel me paraît limitée.

On pourrait donc probablement réécrire cet article en parlant simplement de « choix faits en faveur de l'autre » et non pas de « choix professionnels ». Je pense qu'il ne faut pas réduire la vie conjugale à ces deux dimensions : éducation des enfants et vie professionnelle.

J'évoque un autre point d'interrogation concernant la prestation compensatoire. Dans la liste des éléments que le juge doit prendre en compte, il y a un élément qui manque et des éléments sur lesquels nous nous interrogeons.

L'élément qui manque, c'est la façon dont le patrimoine et la communauté ont été constitués, la détermination des régimes matrimoniaux de départ. Je m'en suis entretenue, à chaque fois, en particulier lors des auditions organisées par M. Patrice Gélard avec d'éminents spécialistes ; on m'a dit que, lorsqu'on est marié sous le régime de la séparation de biens, il est important de savoir si les biens sont issus de biens propres ou s'ils sont des biens que l'on a voulu mettre en commun au départ de l'union, car cela ne relève pas tout à fait de la même logique. Le regard ou le droit potentiel du conjoint à ce partage du bien n'est pas de même nature. Or, l'origine des biens et la distinction qui doit en découler ne semblent pas avoir été retenues pour la modification de l'article 271.

Quant aux éléments sur lesquels nous nous interrogeons, ils portent sur la notion de « patrimoine prévisible » et de « droits prévisibles ». S'il s'agit simplement des droits acquis, des droits sociaux, des rentes d'assurance vie et de tout ce qu'on peut constituer pour l'avenir, on peut le comprendre, mais j'ai entendu l'explication de certains collègues et en particulier d'un spécialiste du barreau qui participait à un débat télévisé avec M. Patrice Gélard et moi-même et qui m'expliquait qu'il était très important de savoir que le conjoint n'avait pas de bien, mais qu'il était, par exemple, l'héritier direct de sa mère qui, vu son âge, pourrait décéder et qu'il aurait ainsi une belle succession ouverte pour lui du fait qu'il était réservataire.

Cette « spéculation sur les espérances », comme on le disait autrefois, me paraît dangereuse et je n'ai pas l'impression que le texte clarifie suffisamment le mot « prévisible ». On a voulu y inclure un certain nombre d'éléments, et même si ce qui concerne la pension de retraite, les droits à retraite et les droits acquis est raisonnable, on voit apparaître cette notion de patrimoine prévisible, comme si une sorte de post-communauté survivait à la communauté et ferait que l'on devrait avoir droit finalement à la bonne ou la mauvaise fortune du conjoint après la dissolution de la communauté, ce qui n'a pas de sens. Il me semble qu'on peut largement améliorer le texte à ce sujet.

J'exprimerai un regret : le caractère un peu technique de la conséquence des choix sur la vie professionnelle, mais j'en ai déjà parlé.

Il reste un point sur lequel on pourrait s'interroger : le fait de vérifier si, dans les cas de divorce, en particulier dans le divorce pour altération définitive du lien conjugal, le conjoint impécunieux et un peu âgé pour le monde professionnel, celui qui n'a pas de patrimoine et dont on exclut évidemment de spéculer sur les espérances, est suffisamment pris en compte par l'application pure et simple du mécanisme de la prestation compensatoire conçue comme un capital, même si son versement est échelonné dans un temps borné d'ailleurs par la loi. J'ai l'impression que l'on risque de laisser des gens dans la difficulté.

De même, il reste un point sur lequel on pourrait obtenir une avancée : pour peu que le mariage se soit inscrit dans la durée, c'est-à-dire pour les longues unions, on pourrait imaginer un droit au maintien dans le logement familial, même si c'est l'autre époux qui en est propriétaire, comme on le prévoit dans le texte lorsque le conjoint assure la charge des enfants, auquel cas le juge pourrait lui concéder un bail pour le logement familial, même si c'est l'autre qui en est propriétaire. On pourrait probablement introduire une même concession de bail, dans ces cas-là, qui permettrait à certains conjoints, qui ont vécu longtemps dans un cadre, d'y rester, un peu comme on le fait pour le conjoint survivant qui bénéficie d'aménagements lui donnant le droit au maintien dans les lieux. Je pense qu'il n'y aurait pas là injustice, mais exercice du devoir de secours, lorsqu'il risque d'y avoir un déséquilibre entre les deux époux que ne pourrait pas compenser la prestation compensatoire.

Au-delà de ces deux réserves, il nous reste une interrogation majeure qui, peut-être, ne trouvera pas sa place dans le texte, mais sur laquelle je souhaite attirer votre attention : le fait que tout repose sur le juge, auquel on confie finalement un pouvoir d'appréciation considérable. Il n'est pas beaucoup fait mention de lui en dehors des articles où il est écrit : « le juge décide, le juge tranche », etc. On sait qu'il n'a pas beaucoup de pouvoir de s'opposer au droit au divorce lorsque l'un des époux désire divorcer et qu'il sera obligé d'équilibrer simplement les conventions ou les accords qui sont préparés et sera le garant de l'équité et de la protection du plus vulnérable.

C'est pourquoi il nous semblerait utile qu'un article, qui n'a pas besoin de trouver sa place dans le code civil, parle du juge aux affaires familiales et de sa place. On pourrait peut-être glisser aussi quelques mots de soutien au budget du ministère de la justice... ; cela ne manquerait pas d'intérêt. Il est certain que la loi telle qu'elle est prévue n'aura de sens que si les raisons, qui ont été à l'origine de la plus grande partie des dysfonctionnements des lois successives sur le divorce et qui sont bien des questions de moyens, sont réglées.

On pourra faire tous les beaux textes que l'on voudra, quand le juge recevra les gens dans un petit cabinet encombré de dossiers pour leur dire d'aller voir un médiateur sans pouvoir mettre la main sur sa fiche parce qu'il ne dispose pas d'assez de place et lorsque les parties auront patienté dans un couloir sordide avec un certain nombre d'autres couples, échangeant, comme à la Sécurité sociale, leurs malheurs et leurs déboires, il est certain qu'on ne respectera pas la dignité des justiciables, l'équilibre entre la hauteur des enjeux en termes de vie humaine, le devenir des personnes qui se construisent et le devenir des enfants qui seront confrontés à la séparation de leurs parents.

Ce n'est pas tout à fait à la hauteur des ambitions de notre justice et c'est un point sur lequel nous avons dit bien des fois que, s'il y avait un juge aux affaires familiales, il fallait que ce soit la première des magistratures, qu'elle avait un rôle essentiel et qu'il fallait revaloriser cette fonction. Nous aurions aimé que ce soit dans l'exposé des motifs, mais si cela pouvait être mentionné quelque part dans le texte, vous combleriez nos souhaits.

M. Patrick Delnatte : Je tiens à rappeler qu'on ne retrouve plus d'exposé des motifs, parce que le texte a d'abord été voté au Sénat.

Mme Chantal Lebatard : Nous avions examiné l'exposé des motifs et émis ce vœu avant l'adoption du texte.

M. Patrick Delnatte : Je tiens à préciser que la rente viagère est maintenue à titre exceptionnel. Quand on examine l'explication du terme exceptionnel, il s'agit notamment de santé, et les personnes qui ont des difficultés mentales, sont manifestement dans ce cas.

Mme Chantal Lebatard : Effectivement, il y a une petite ouverture, mais comme il faut que la décision, exceptionnelle, soit motivée, je ne trouve pas que ce soit très clair.

M. Patrick Delnatte : Pour moi, c'est la situation la plus évidente. La prestation compensatoire comporte désormais beaucoup d'éléments qui faisaient partie de ce qu'on appelle le devoir de secours.

Pour ce qui est des choix professionnels, par exemple, quand on parle des « conséquences résultant des choix professionnels faits pendant la vie commune », il s'avère que le fait de ne pas exercer une profession est un choix professionnel. Pour moi, cela en fait donc partie.

Mme Chantal Lebatard : Je relève simplement le fait que ce non-choix doit être fait en faveur de la carrière de l'autre et non pas en faveur de la vie familiale.

M. Patrick Delnatte : Il y a deux choses : « Les conséquences résultant des choix professionnels faits pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer et des choix professionnels faits par un époux en faveur de la carrière de l'autre» On pourrait écrire "ou" plutôt que "et", mais les deux hypothèses sont valables.

Mme Chantal Lebatard : Il n'y a que deux hypothèses : celle du temps consacré aux enfants ou celle du temps consacré à servir la profession de l'autre au détriment de la sienne. Il peut y avoir des cas où, en dehors du fait de servir la carrière de l'autre, on sert simplement le bonheur de l'autre. C'est le service de la vie familiale.

M. Patrick Delnatte : L'épanouissement de l'un dans sa carrière fait son bonheur aussi.

Mme Chantal Lebatard : Le fait de servir la carrière de l'autre peut être d'être secrétaire médicale assurant l'accueil pour son mari. La femme aura servi la carrière de l'autre, alors que ce n'est peut-être pas cela qu'elle voudrait faire.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est un choix professionnel.

Mme Chantal Lebatard : Il n'y a pas que des choix en matière de profession. Il peut y avoir des choix en faveur de l'équilibre et de l'harmonie de la vie familiale.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Tout à fait, et ce n'est pas pris en compte.

M. Patrick Delnatte : Je le comprends, mais je pense que, dans les couples que l'on rencontre, c'est très intimement lié.

Mme Chantal Lebatard : Pour ma part, j'aurais écrit : « Les choix professionnels faits pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et la vie familiale ».

M. Patrick Delnatte : Il est quand même indiqué « au détriment de la sienne ».

Mme Chantal Lebatard : C'est une remarque que nous faisons. Nous avons quand même senti qu'il y avait une amélioration du texte et que l'on avait pris en compte certaines demandes que nous avions formulées. C'est pourquoi j'ai dit que l'on pourrait encore améliorer la rédaction, si on n'oubliait pas cet aspect.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Très bien. Nous vous remercions beaucoup. Votre exposé était très complet.

Audition de Mme Marguerite Delvolvé,
présidente de l'Association pour la promotion de la famille (APPF)
et de Me Ghislaine Jacques-Hureaux, avocate

Réunion du mardi 10 février 2004

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous accueillons aujourd'hui Mme Marguerite Delvolvé, présidente de l'Association pour la promotion de la famille et membre de l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes. Elle est accompagnée de Me Ghislaine Jacques-Hureaux, avocate, membre de l'association.

Dès l'annonce de la réforme du divorce, vous aviez souhaité que nous nous rencontrions pour informer les membres de la Délégation de votre point de vue sur le projet de loi.

Dès le mois de juin 2003, vous avez fait connaître votre appréciation sur ce projet qui, vingt-cinq ans après la réforme de 1975, s'efforce d'améliorer les procédures de divorce dans le souci de faciliter le recours au consentement mutuel, d'apaiser les conflits et d'éviter les trop nombreux contentieux du divorce pour faute.

Vous distinguiez des aspects positifs à cette réforme, mais vous aviez aussi émis des réserves.

La procédure du consentement mutuel accéléré, puisqu'il n'y aura plus qu'une seule audience, vous paraît-elle protéger suffisamment l'expression du libre consentement de l'un et l'autre époux ? L'intervention de deux avocats est-elle nécessaire ?

S'agissant du divorce pour faute, que pensez-vous de la dissociation des effets pécuniaires du divorce et de l'attribution des torts ?

Les nouvelles modalités d'attribution de la prestation compensatoire vous paraissent-elles apporter une protection suffisante au conjoint divorcé, en particulier à certaines épouses qui se retrouvent divorcées après de longues années de mariage, ayant consacré leur vie à leur famille et lui ayant tout sacrifié ? Nous avons tendance à protéger les premières épouses, surtout quand elles n'ont pas de situation. Mais se pose également le problème des deuxièmes épouses : elles disent que leurs époux n'arrivent plus à assumer les prestations compensatoires en même temps que les frais domestiques de la deuxième épouse qui, la plupart du temps, a de jeunes enfants à élever, et que ces situations dramatiques ont pu conduire certains au suicide.

Enfin, que pensez-vous de la nouvelle disposition du projet de loi permettant au juge, en cas de violences, de prononcer l'éviction du conjoint violent du domicile conjugal ? Quelles mesures suggéreriez-vous pour que cette éviction se passe le mieux possible à la fois pour la femme, mais aussi pour le conjoint ?

Mme Marguerite Delvolvé : Nous vous remercions de bien vouloir auditionner l'Association pour la promotion de la famille au sujet du projet de loi de réforme du divorce. L'association agit pour la reconnaissance du fait familial, de son apport à la société et du rôle essentiel qu'il joue dans le maintien du lien social, l'épanouissement des personnes et les solidarités entre générations. Il nous a paru nécessaire de réagir devant la contradiction entre la volonté affichée du Gouvernement de récréer du lien social et ce projet de réforme qui manifeste une volonté non moins délibérée de dénouer le lien familial.

Le projet qui va être soumis au vote du législateur risque de passer en catimini
- c'est sans doute notre première objection - sans que son contenu et ses conséquences n'aient été compris des Français. On nous a assuré que le divorce allait être pacifié, rendu indolore et, sur ce point, tout le monde était d'accord, en omettant de préciser que cela se ferait aux dépens des femmes, qui risqueront d'être désormais abandonnées sans qu'aucune obligation de secours ne pèse sur leur ancien conjoint.

On a assuré que le mariage républicain serait revalorisé. On a oublié de préciser qu'il aura, entre-temps, été vidé de son contenu par la suppression dans les faits de l'engagement de fidélité, secours et assistance.

Enfin, comme pour la rupture d'un pacs, les grands oubliés de la loi sont les enfants. Les conséquences prévisibles de la réforme pour les divorcés, les enfants, et la société tout entière doivent être considérées avec responsabilité. Les femmes que vous représentez avec leur double sphère d'activité familiale et professionnelle sont particulièrement concernées par le projet de loi et sont les mieux à même d'en pressentir les conséquences dramatiques.

Je laisse maintenant la parole à Me Ghislaine Jacques-Hureaux, avocate, qui traitera plus particulièrement des aspects juridiques du projet de loi.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : Je vais tenter de répondre sur « les vices cachés de la loi ».

Vous nous avez posé quatre questions.

La première concerne le divorce par consentement mutuel, donc le divorce par requête conjointe, qui, en l'état actuel de la législation, prévoit une première comparution des époux, un délai de réflexion au minimum de trois mois, au maximum de neuf mois, puis une seconde comparution des deux époux avec leur avocat.

Un ou deux avocats ? J'ai toujours été hostile, surtout lorsqu'il y a des biens et des enfants, à assurer la défense des deux époux, car j'ai toujours l'impression que j'aurais tendance, sans trahir le secret professionnel, à ne pas bien défendre de la même façon le mari et la femme. C'est pourquoi je pense utile que la loi précise une fois pour toutes que chacun des époux doit être défendu par son conseil. Cela évitera des conflits d'intérêts en cas de difficultés postérieures devant M. le Bâtonnier.

Qu'en est-il de la suppression de la seconde comparution ? Le consentement ne peut-il être vicié ? Nous nous sommes documentées : nous avons pris connaissance du rapport du professeur Hauser, qui est à l'origine de la réforme et qui, lui-même, émet les plus grandes réserves quant à la nature et à la qualité du consentement qui peut être donné, lorsque l'un des époux est plus ou moins amené par l'autre à signer une requête en divorce par consentement mutuel, étant rappelé que l'époux signe également la convention qui fixe la liste des conséquences du prononcé du divorce. Ce sont les époux qui prévoient eux-mêmes les conséquences sur les plans patrimonial et de garde des enfants. Ce délai de réflexion est souvent critiqué. On pourrait peut-être le réduire de neuf à six mois, mais le supprimer me paraît dangereux.

Voilà les deux réflexions que je voulais présenter sur le divorce sur requête conjointe.

Nous sommes satisfaites que le divorce pour faute soit maintenu. Aux termes de la proposition de loi de M. François Colcombet, il était prévu, au nom de la pacification, de le supprimer des procédures. Un divorce ne peut jamais être pacifique. Dans la plupart des cas, c'est un échec. Nous qui recevons les personnes, surtout au début de la procédure, nous savons que c'est très dur. Parfois, les familles passent du cabinet de l'avocat au cabinet du psychiatre et du pédopsychiatre. C'est un échec pour toute la famille. Mme Marguerite Delvolvé évoquera plus avant les conséquences en termes de coûts social et financier du divorce.

Le maintien de la faute est donc une bonne chose. En revanche, la déconnexion du prononcé du divorce aux torts exclusifs, de l'attribution ou non d'une prestation compensatoire me paraît choquante. C'est dire qu'un époux fautif, aux torts exclusifs duquel le divorce sera prononcé, pourra prétendre à une prestation compensatoire comme si de rien n'était. Qui dit « faute » dit « sanction », «responsabilité », « culpabilité ». Notre association ne peut accepter cette déconnexion.

Vous nous avez interrogées sur les modalités de paiement de la prestation compensatoire. La réforme du 30 juin 2000 a prévu comme règle le versement en capital. Les cabinets des juges aux affaires familiales sont encombrés de ce qu'ils appellent eux-mêmes « des queues de divorce », c'est-à-dire des difficultés de paiement de prestations compensatoires. Si le paiement en capital avait été effectué une fois pour toutes, il n'y aurait plus cette difficulté de paiement des prestations compensatoires.

Mais qui, aujourd'hui, au prononcé du divorce est en mesure de signer un chèque de 50 000, voire de 100 000 euros ? La plupart des gens sont salariés et nos dossiers font apparaître plus de dettes que de capital ou de patrimoine à partager. Ne serait-ce pas un projet de réforme de divorce pour des riches, pour des personnes qui pourraient dire : « Je te laisse la maison de campagne, tu gardes l'appartement parisien » ? Cela me semble irréalisable pour les dossiers où les deux époux sont salariés et, pire, où seul le mari est salarié, la femme restant à la maison pour élever trois enfants. Dans ce cas de figure, on emprunte, on liquide un bien propre, on construit une maison. Finalement, madame reste au domicile conjugal, monsieur paye les crédits et, le jour où intervient la séparation, monsieur est dans l'incapacité absolue de régler la prestation compensatoire. Cette idée force de retenir le capital me semble très dangereuse. Vous me direz que le délai de huit ans vient en atténuation : exceptionnellement, on permettra à l'époux de verser la prestation compensatoire sous forme de rente dans un délai fixé à huit ans. Quand on est abandonné à cinquante ans et que le paiement de la rente s'interrompt à cinquante-huit ans, que fait-on ? C'est le minimum vieillesse, le RMI...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Même avant cinquante-huit ans.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : Oui, ce peut être beaucoup plus jeune. On ne peut reconstruire une carrière professionnelle à quarante ans. Des jeunes femmes diplômées ont décidé et ont fait le choix de ne pas travailler. Peut-être est-ce là leur erreur. Mais la société est là pour les assumer. Ces jeunes femmes se tourneront vers les organismes sociaux, vers les CAF, d'où un coût social. La limitation à huit ans me paraît irréaliste et dangereuse pour la plupart des femmes.

Le dernier point a trait à la possibilité d'éviction du conjoint violent. Il n'y a pas de solution miracle. J'ai trouvé que c'était une excellente idée. J'ai sur mon bureau quelques dossiers extrêmement contentieux. Même si le domicile conjugal a été accordé à la femme, on n'arrive à rien, parce que la police ne prend pas les plaintes en compte. Elle a tendance à considérer que ce sont là des problèmes intimes. On a du mal à évincer, à faire partir concrètement le mari violent, le mari alcoolique, le mari joueur, le mari qui élève des pitbulls au domicile conjugal. Nous n'avons pas de solution miracle, mais c'est une bonne chose que de prévoir cette possibilité.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Qui va payer le loyer ?

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : Où va-t-il aller dormir ce mari ?

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ce n'est pas mon problème, il n'avait pas besoin de frapper sa femme ! Je m'interroge sur les problèmes financiers.

Lors de notre dernière audition, un détail a retenu mon attention : le coût de la serrure. Le domicile peut appartenir au mari, mais imaginons qu'il s'agit d'un domicile de fonction, que le mari est violent, et qu'il est évincé de ce domicile.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : Sa femme ne peut y demeurer.

Mme Madeleine Delvolvé : Elle ne peut y rester en effet. Et s'il s'agit d'un bien propre à ce monsieur, si on le met à la porte, qui est-ce qui paye ?

Mme Geneviève Levy : Si c'est un bien propre, c'est moins grave.

Mme Brigitte Barèges : C'est celui qui occupe le logement qui paye.

Mme Geneviève Levy : D'où la difficulté.

Mme Brigitte Barèges : Le cas du loyer est le moins compliqué : les femmes qui n'ont pas de revenus et qui ont des enfants à charge touchent un maximum d'allocations logement. A la limite, parfois, c'est une solution pour le couple avec enfants d'emprunter lorsqu'il veut acheter. Souvent, après calcul, on constate qu'il est préférable que ce soit la femme, même sans ressources qui reste au domicile, parce qu'elle touche une APL plus forte que le mari qui a les enfants à charge, ce qui permet de rembourser le crédit. C'est un calcul d'apothicaire, mais il se fait au moment de la conciliation pour savoir qui des deux époux reste. Ce n'est pas le cas le plus complexe.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : En effet, le plus compliqué est celui du domicile de fonction. Nous avons eu à connaître du cas d'un secrétaire général de préfecture, d'un directeur d'hôpital violent. Le juge ne sait pas quoi faire. Dans les faits, juridiquement, il ne peut attribuer la jouissance du domicile à la femme. Finalement, c'est elle, qui est battue, qui doit partir.

Mme Brigitte Barèges : On pourrait penser que celui qui bat son conjoint doit s'en aller. Or, concrètement, c'est la force qui s'impose.  C'est le mari qui, bien souvent, met sa femme à la porte.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Oui, mais à partir du moment où cela figurera dans la loi ?

Mme Brigitte Barèges : Comment faites-vous exécuter cette mesure ? Les huissiers ne veulent pas s'en charger, les gendarmes non plus.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Et pourquoi s'y refusent-ils ? Peut-être suis-je optimiste, mais j'aurais tendance à penser qu'à partir du moment où cela figurera dans la loi, il sera plus facile de les mettre à la porte.

Mme Brigitte Barèges : C'est toute la difficulté de l'exécution des décisions de justice. Il faut espérer.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : En tout cas, il faut que l'éviction figure dans la loi.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Tout à fait.

Mme Geneviève Levy : Vous avez balayé rapidement et de manière synthétique et complète les questions que nous nous posions et sur lesquels nous aurons l'occasion d'insister, tout particulièrement, dans le cadre du rapport de la Délégation.

Mme Brigitte Barèges : Le propos de Mme Ghislaine Jacques-Hureaux est très important : un seul avocat par partie. Dans la loi précédente sur le consentement mutuel, cette disposition avait été proposée par souci d'économie. Mais, bien souvent, lorsque l'on reçoit deux époux, des problèmes surgissent, surtout liés aux enfants. Si l'avocat entreprend des négociations et qu'au dernier moment, faute d'aboutir à un accord, l'un des deux époux refuse de signer des conventions, il est obligé de se déporter, car il n'a pas le droit de rester l'avocat de l'un ou de l'autre. Vous ne pouvez imaginer les conflits. Des confrères peu scrupuleux continuent de défendre l'un des deux clients, alors qu'ils devraient normalement saisir le bâtonnier. Avec l'obligation de deux avocats, chaque époux aura son avocat, y compris dans le cas d'un divorce par consentement mutuel, Si le consentement mutuel achoppe, chaque partie restera avec son avocat, ce qui évitera les conflits de confraternité et garantira la déontologie, comme la défense du client.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Peut-on souhaiter dans la loi l'inscription de la présence de deux avocats ?

Mme Geneviève Levy : Nous en avons parlé ce matin ; des débats très complets ont déjà eu lieu sur le sujet au Sénat.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Cela poserait-il des problèmes financiers, notamment une augmentation des frais d'aide juridictionnelle ?

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : Ces dossiers sont très peu payés, bien que réévalués dernièrement.

Mme Brigitte Barèges : L'argument économique n'est pas un bon argument.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Le Gouvernement considère également que 90 % des couples qui divorcent par consentement mutuel choisissent un seul avocat.

Mme Brigitte Barèges : Oui, mais des clients sont lésés. C'est malheureux à dire, mais il y a des avocats qui font leur métier, d'autres non, ils font de l'abattage. Même par consentement mutuel, il y a toujours une victime dans un divorce : un des époux est décidé à divorcer, l'autre moyennement.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Le Gouvernement est donc défavorable au principe des deux avocats.

Mme Brigitte Barèges : Le texte proposé conserve le dispositif qui figurait dans la loi de 1975 et qui donnait le choix aux parties d'un seul ou de deux avocats. Mais, dans la pratique, ce n'est pas une bonne chose.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La Délégation pourrait-elle recommander la présence de deux avocats pour mieux protéger la femme ?

Mme Brigitte Barèges : Une telle mesure serait utile, ne serait-ce que pour débattre du montant de la pension alimentaire. 

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : La situation se résume en ces termes : « Monsieur, faites un effort, madame, soyez moins gourmande. » C'est impossible. C'est le grand écart. Les avocats n'y arrivent pas.

Mme Brigitte Barèges : Nous ne sommes pas à l'aise. Notre métier consiste à défendre, non à jouer les juges et arbitres. Nous ne sommes pas des juges.

Mme Geneviève Levy : Nous sommes dans le cadre d'un texte qui trouve sa source dans un esprit de simplification. Peut-être existe-t-il des cas où la présence d'un avocat n'est pas indispensable, notamment lorsqu'il y a ni enfants, ni patrimoine, ni biens à partager.

Mme Brigitte Barèges : Les magistrats ont exprimé leur refus sur ce point, au moment où il avait été proposé de divorcer devant les maires. Là non plus, la présence des avocats n'était pas requise. La tendance est à la déjudiciarisation. Cela dit, chacun a refusé la formule, les magistrats les premiers.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Plus nous auditionnons, plus je m'interroge.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : Une dernière observation, à propos de l'instauration d'une nouvelle procédure de divorce, le divorce pour altération définitive du lien conjugal. C'est la grande nouveauté de ce texte, qui suscite des critiques et qui fait dire à notre confrère Jean Villacèque, avocat au barreau de Perpignan, qu'il s'agit « des habits neufs de la répudiation », dans la mesure où, désormais, au bout de dix-huit mois ou deux années de séparation, un époux pourra présenter une requête en divorce s'il existe une altération du lien conjugal, ce qui permettra aux magistrats de prononcer le divorce. Quelle est la possibilité de défense de l'autre partie, c'est-à-dire du conjoint abandonné ? Je ne la vois pas dans l'article 229 du projet. Autrefois, il s'agissait d'un divorce pour rupture de la vie commune qui prévoyait une séparation de six années et qui impliquait le maintien du devoir du secours.

Mme Brigitte Barèges : Celui qui demandait le divorce avait la charge du divorce, des frais de procédure.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : Le devoir de secours courait durant toute la vie du conjoint dont il envisageait de se séparer. Le conjoint abandonné pouvait invoquer l'exceptionnelle dureté du divorce qu'on cherchait à lui imposer. Or, avec cette nouvelle forme de divorce, au bout de dix-huit mois ou deux ans, le mari peut demander le divorce. Le juge ne peut même pas sanctionner ce monsieur qui, unilatéralement, a pris cette décision.

Mme Geneviève Levy : Est-ce le délai qui vous gêne ?

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : Tout à la fois le délai et le fait que l'on ne puisse plus invoquer l'exceptionnelle dureté. Dès lors, quelles sont les possibilités de l'époux abandonné : former une demande reconventionnelle, demander le prononcé d'un divorce aux torts ?

Mme Brigitte Barèges : Le but de la loi est bien de faciliter le divorce.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : On instaure - telle est notre conclusion - une forme d'automatisme : il ne s'agit plus d'un droit au divorce, mais d'un droit automatique au divorce. Devant la cour d'appel de Paris, nous sommes confrontés à des décisions de déboutés de plus en plus nombreuses. On refuse de prononcer le divorce au motif que l'époux n'a pas suffisamment de griefs à l'encontre de sa femme et que cette dernière n'a pas suffisamment de torts.

Mme Brigitte Barèges : Aujourd'hui, on peut divorcer, soit par consentement mutuel, soit pour faute. Une troisième forme vient s'y ajouter : la séparation des époux depuis au moins deux ans, sans possibilité de conciliation.

Cela peut paraître choquant. Il n'en reste pas moins que, dans la pratique, j'ai rencontré beaucoup de cas pour lesquels débouter ne règle rien, car les époux ne reprennent pas la vie commune pour autant. Rien n'est réglé : ils demeurent mariés, le patrimoine reste en commun ; c'est compliqué à l'extrême.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : On les condamne à représenter une requête conjointe.

Mme Geneviève Levy : En plus, on les entretient dans un climat où la haine ne fait que croître.

Mme Brigitte Barèges : Est-on condamné à rester mariés ? Il ne faut pas se voiler la face : le but de la loi est de faciliter le divorce. On est pour, on est contre. En tout cas, c'est la grande nouveauté.

Mme Marguerite Delvolvé : On ne l'a pas dit, on aurait pu l'exprimer plus fortement. Les promoteurs du projet ont parlé de pacifier, non de faciliter. On n'a pas parlé d'ouvrir grand la porte en disant : c'est votre droit ! C'est hypocrite.

Mme Geneviève Levy : Je vous laisse le droit de le penser.

Mme Brigitte Barèges : Appartient-il à la loi de s'adapter à la société ou d'être garante de certains principes ? C'est un problème d'éthique.

Mme Geneviève Levy : On peut se placer sur une voie médiane.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La protection de la femme n'est pas suffisamment assurée, j'en suis maintenant convaincue.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : Vous en serez d'autant plus convaincue, lorsque vous aurez entendu Mme Marguerite Delvolvé qui va vous brosser le coût d'une telle réforme.

Mme Brigitte Barèges : Auparavant, permettez-moi une observation : vous dites qu'il y a déconnexion entre la notion de faute et la prestation compensatoire. Dans l'ancien texte, la prestation compensatoire était fonction des conditions de ressources, de disparités, etc. En matière de procédure, le cas était double : soit dans le cas du divorce prononcé contre l'époux qui devait payer la prestation compensatoire, soit dans le cas d'un tort partagé. En revanche, la loi prévoyait que l'époux fautif, celui contre lequel le divorce est prononcé, n'y avait pas droit. C'était une sanction. Vous parlez d'une déconnexion entre la faute et la prestation compensatoire ; or le texte du projet de loi précise : « Toutefois, le juge peut refuser d'accorder une telle prestation si l'équité le commande, soit en considération des critères prévus à l'article 271, notamment lorsque la demande est fondée sur l'altération définitive du lien conjugal, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l'époux qui demande le bénéfice de cette prestation, au regard des circonstances particulières de la rupture. » La situation est identique. En fait, le juge a la faculté de refuser cette prestation compensatoire, mais ce n'est pas automatique.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : Le juge a la faculté de le déconnecter, alors que ce n'était pas permis auparavant.

Mme Brigitte Barèges : Auparavant, le lien était automatique, dès lors que l'on était fautif.

Mme Marguerite Delvolvé : Nous arrivons aux conséquences pécuniaires de la réforme. Qui va payer ? La société tout entière. Dès lors que l'on augmente les droits individuels, on arrive à une contradiction, car ce sont finalement les époux qui tentent de se réconcilier et de durer qui paieront. Quantité de causes potentielles de divorce existent. Qui raccrochent les wagons ? Les générations précédentes, les amis qui encouragent l'un ou l'autre membre du couple à ne pas lâcher, le temps permettant aux choses de s'apaiser et de s'arranger. Finalement, ce sont ceux qui se comportent bien, qui seront obligés de payer la note de ceux qui lâchent trop vite la corde. C'est pour cela que je défends la famille. La famille n'est pas une petite affaire personnelle, c'est une affaire de société. Si la famille n'assume plus ses responsabilités, si elle n'est plus encouragée par l'Etat à la stabilité, à la fécondité, à l'éducation, c'est la collectivité tout entière qui devra supporter les conséquences néfastes et souvent irrémédiables de la rupture familiale.

Notre association participe, à la conférence de la famille, à l'atelier « Santé des adolescents ». Nous étudions la première génération d'adolescents de parents divorcés. Nous constatons un tabou ; la société se ferme les yeux, se refuse à voir les conséquences. A l'issue de la conférence de la famille, des maisons d'adolescents seront créées pour essayer de récupérer les 45 000 jeunes qui tombent dans l'errance, dans la désocialisation, la déscolarisation chaque année. Le divorce est la première cause de suicide des adolescents. On peut s'interroger.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Vous le direz ?

Mme Marguerite Delvolvé : Oui, nous le disons et le répétons. C'est ce qui a provoqué la conférence de la famille, car la séparation des parents pose un problème de santé publique. Nous sommes inquiets. Les adolescents n'arrivent pas à construire leur identité. On leur dit que la famille doit donner des repères. Mais des parents qui n'assument pas leurs responsabilités, c'est un repère qui tombe ; un mariage qui ne dure pas est un repère qui tombe. Toutes les enquêtes réalisées auprès d'adolescents font ressortir qu'ils souhaitent le mariage, qu'ils veulent y croire, mais ont du mal. Que doivent leur donner les adultes si ce n'est un signal dans le sens positif, vers l'avenir, une espérance. Or, en l'occurrence, vous donnez un signe inverse. Cela me fait mal ! Car ce signal signifie : chacun pour soi !

Nous collaborons beaucoup avec le ministère. Notre association réfléchit, enquête, mène des études pour que tous les ministères concernés prennent en compte cette réalité familiale, car chaque Français a une famille. Le problème de la stabilité familiale touche à tous les aspects de la vie en société, y compris l'entreprise. Un employé heureux n'est-il pas plus efficace qu'un autre qui connaît des problèmes familiaux ? Il faut plutôt étudier les causes de divorce. C'est de cela dont notre société a besoin.

Il faut savoir que l'augmentation du travail de la femme a été concomitante de l'augmentation des divorces. Vous allez me rétorquer que je suis contre le travail de la femme. Mais non, je ne suis pas contre ! Je trouve que les femmes qui arrivent à gérer tout au long de leur vie au même rythme vie professionnelle et vie familiale sont de petits héros. Mais il faut se rendre compte que toutes les femmes n'ont pas la carrure de le mener tout au long de leur vie ; elles ont besoin de petits entractes pour souffler et précisément consolider la vie de famille, la faire fonctionner. Agrandir une famille, ce n'est pas un petit enfant que l'on met en garde. Après cela, il y a toutes sortes de problèmes, d'aménagement d'horaires, tous ces problèmes de conciliation auxquels vous êtes fortement intéressés et au titre desquels vous faites fortement progresser les choses.

Parallèlement aux problèmes de conciliation, la femme doit toujours garder cette vaillance pour défendre sa famille. Elle le fait. Si l'esprit de la réforme considère que l'on a le droit au divorce, parce que l'on n'arrive pas à gérer, parce que c'est trop dur et que l'on en a par-dessus la tête, c'est là un très mauvais message à délivrer à la jeunesse, qui souffre. On a parlé de malaise psychologique.

La conférence a fait ressortir un autre malaise : les filles vont plus mal que les garçons, les filles connaissant une difficulté à construire leur identité dans la durée sur cette double identité d'épouse et de mère. Notre société nie cette dimension. Ce sont les limites du féminisme, pourrait-on dire. Vous vous êtes bien battues, vous n'avez pas toutes les places que vous devriez avoir dans le monde politique, mais notre apport au monde politique est notre identité de femmes, qui portons le souci de la famille ; c'est nous, pour l'essentiel, qui portons la cohésion familiale.

Fondamentalement, une loi qui libéralise le divorce va à l'encontre de l'identité féminine, car les femmes veulent que cela tienne.

Mme Geneviève Levy : Je ne peux vous laisser dire que le message de ce projet de loi est celui-ci : vous avez le droit au divorce, on vous ouvre toutes les portes pour divorcer sans que vous ayez ni soucis ni problèmes - ne serait-ce parce que c'est utopique. Je ne pense pas que l'esprit du texte soit tel, ni même les conséquences. La loi - et c'est d'ailleurs son rôle - précise que l'on est dans une situation telle que la vie de couple, la vie familiale n'est plus envisageable sereinement, qu'il est par conséquent inutile de traumatiser plus encore les conjoints et les enfants par des procédures longues qui fragilisent ce qui peut encore rester. Telle est mon approche de la loi. Mais je conçois que vous ayez des craintes. Ce que vous dites est très juste et trouve racine dans les faits : les conséquences du divorce sur les jeunes, sur le travail et d'autres domaines. A ce titre, je suis tout à fait d'accord avec vous. Toutefois, vous me permettrez de ne pas l'être sur le message envoyé par le projet de loi. Je ne pense pas que votre description corresponde au message que veut faire passer le législateur.

Mme Marguerite Delvolvé : En tout cas, ce qui nous choque, c'est le divorce imposé sans devoir de secours.

Le divorce proposé est une attaque frontale portée au mariage républicain. Tout ce qui touche au divorce, symboliquement, touche au mariage, au sérieux de l'engagement du mariage. Et les Français restent très attachés au mariage républicain. A la petite homélie, à la lecture de l'article 202 du code civil, un moment d'émotion saisit l'officier de l'état civil et les époux. On se marie souvent aujourd'hui après la naissance du premier enfant. Cela veut dire beaucoup : que l'enfant porte le même nom, qu'il a un père et une mère pour la vie, cela signifie beaucoup de choses dans l'esprit des gens. En l'occurrence, vous lui donnez un coup, en gommant la responsabilité liée à l'engagement de fidélité, d'assistance et de communauté de vie. Je pense qu'il y a une contradiction interne à la loi.

J'en viens aux femmes maghrébines, sujet sur lequel nous travaillons depuis longtemps au sein de l'association. Les femmes maghrébines arrivent en France de pays où se pratique la répudiation. Elles sont très heureuses d'arriver dans un pays, la France, où elles auront la liberté de choix de leur époux, où il n'y aura pas de mariage forcé possible. S'y ajoutent l'égalité des droits, le partage de l'autorité parentale. C'est une promotion de la femme, ce mariage républicain. Insidieusement, subrepticement, vous ajouteriez la répudiation, la menace qu'elles pourront être « jetées », parce que monsieur aura abandonné le domicile conjugal pendant deux ans ? A ce moment-là, la répudiation sera quasi automatique, faute de moyens de défense. C'est ainsi : le mari veut divorcer, on ne peut le retenir. Mais il a promis ! Eh bien, tant pis !

C'est une passerelle d'intégration que l'on est en train de faire sauter, ce qui est très dommage.

Je me suis entretenue avec de jeunes femmes musulmanes. Ce qu'elles m'ont dit vient en écho de mon analyse. Peut-être une telle affirmation n'est-elle pas fréquente, mais elles m'ont dit que les valeurs familiales étaient immuables dans les pays musulmans et que l'on n'y touchait pas. On parle beaucoup de la répudiation, mais l'essentiel est une institution qui ne bouge pas. En règle générale, les enfants au Maroc, en Tunisie, s'élèvent bien, parce que les relations familiales ne bougent pas. Sur ce qui s'est passé cet été en France - les morts de la canicule - ces jeunes femmes musulmanes m'ont dit que cela ne se serait jamais produit dans leur pays. On a honte lorsque l'on entend cela. Nous sommes en train de courir après nos droits, alors que ces cultures ont conscience de former une famille. Peut-être est-elle oppressive, sans doute le père ou le frère aîné détient-il trop de pouvoir. Précisément ! Elles arrivent en France avec cet amour de la famille, qui est leur vie, toute leur vie. Et vous allez tenter l'homme de la laisser. Il aura un enfant avec une autre, touchera des prestations sociales, une seconde allocation logement, l'allocation de parent isolé. La société française est très généreuse pour rattraper tous les dégâts. On ne laisse pas les gens mourir de faim, mais, encore une fois, qui paiera ?

On manque là quelque chose. La famille stable, monogamique, serait une liberté pour la femme et on crée une injustice, ce qui est dangereux dans la durée. Prenez des renseignements auprès des familles installées en France. La famille se dégrade assez facilement en l'absence de cohésion du tissu social. Et cela sans évoquer le sort de la femme de la première génération, qui a cinquante ans, qui n'a pas de formation, et qui n'a été qu'épouse et mère. Nous œuvrons pour qu'elle accède au contrat d'intégration, à des travaux pour lesquels elle serait adaptée, celui du travail au sein de la famille. Les femmes musulmanes viendront s'occuper de la famille, de la femme française, qui travaille, parce que, précisément, elles sont porteuses de cette culture de l'éducation, de la tenue de la maison. Ce sont des femmes sûres. Nous avons donc ce moyen d'intégration.

Si ces femmes sont abandonnées, elles n'auront pas le droit à la retraite, car elles n'ont jamais cotisé. Elles auront droit aux minima sociaux. Elles ont de l'honneur. Il n'y a aucune raison pour qu'elles se retrouvent à la mendicité. Il faut les intégrer de façon honnête et noble.

Voilà le point sur lequel je tenais à insister fortement, car il me touche profondément.

Mme Geneviève Levy : Je vous remercie de susciter notre réflexion - tel est, au reste, l'objet de nos auditions - et de nous ouvrir des cercles de plus en plus larges dans le cadre de l'élaboration de la réflexion. Nous allons en tirer partie.

Audition de Mme Marie-Dominique de Suremain,
déléguée nationale de la Fédération nationale Solidarité-Femmes

Réunion du mercredi 11 février 2004

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous poursuivons nos auditions sur le projet de loi relatif au divorce en recevant aujourd'hui Mme Marie-Dominique de Suremain, déléguée nationale de la Fédération nationale Solidarité-Femmes, et Me Maryvonne Boulet-Ansquer, avocate et membre de la commission Justice de cette Fédération.

Votre Fédération est à la tête d'un vaste réseau d'écoute téléphonique : « Violence conjugale, Femmes-Info service », à la disposition des victimes de violences conjugales. Votre réseau d'écoute téléphonique offre à ses interlocuteurs orientation, conseil et information. Il s'est vu confier en 1992 une mission de service public et reçoit environ 40 000 appels par an. Vous avez près de quinze ans d'existence, ce qui vous donne une expérience précieuse.

Pourriez-vous nous exposer brièvement l'organisation de votre fédération ? Comment vous faites-vous connaître auprès des intéressées ? Quelles sont vos interventions concrètes auprès des femmes victimes de violences conjugales ?

Dans les situations d'urgence, quelle aide leur apportez-vous pour les accompagner dans leurs démarches, notamment auprès de la police, porter plainte, rassembler des preuves et leur apporter assistance psychologique et juridique ?

Par ailleurs, les mesures de contrôle judiciaire à l'encontre du conjoint violent interviennent-elles fréquemment ? Sont-elles efficaces ? C'est un des aspects du projet de loi qui nous préoccupe beaucoup.

Le projet de loi prévoit la possibilité pour le conjoint victime d'obtenir du juge l'éviction du conjoint violent du domicile conjugal. Cette disposition, qui permettrait d'assurer une meilleure protection à la femme et aux enfants, soulève cependant de nombreux problèmes d'application. J'aimerais avoir votre avis sur cette question.

La procédure contradictoire dans cette situation est-elle nécessaire ? Les délais de procédure permettront-ils de protéger rapidement la victime ? Quelles preuves pourra apporter le conjoint victime ?

Comment articuler cette procédure avec une procédure au pénal ? Quelles seront les modalités de la prise en charge du loyer, de la contribution de l'époux expulsé aux charges du ménage ? Le délai de trois mois au terme duquel les mesures deviennent caduques, sauf requête en divorce, n'est-il pas trop court ?

Enfin, ces nouvelles mesures ne devraient-elles pas s'appliquer également aux concubins et aux pacsés ? Je pense, en effet, que les appels téléphoniques que vous recevez ne viennent pas forcément de personnes mariées.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Exactement.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous vous écoutons.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Je remercie la Délégation de cette occasion de nous rencontrer et de nous connaître un peu plus. Nous avons apporté quelques matériels de présentation de la Fédération. Un petit dépliant montre nos missions et la couverture de nos activités.

La Fédération a une double mission :

- animer un réseau national de 58 structures, et probablement quelques-unes de plus dans les prochaines années. Des associations autonomes se sont réunies depuis une quinzaine d'années pour former la Fédération. Une partie de nos activités est représentée par le travail de ces associations dans les différentes régions françaises ;

- gérer un service d'écoute téléphonique qui reçoit à peu près 15 000 appels par an, dont 12 000 concernent des situations de violences conjugales, que nous pouvons statistiquement étudier, mettre en fiches et analyser. Sur les 12 000, 8 000 proviennent des victimes elles-mêmes et 4 000 de l'entourage, de la famille ou de professionnels, ce qui montre que la société aussi est en train de réagir. Il n'y a pas que les victimes elles-mêmes qui appellent. Souvent, même, des professionnels chargés d'intervenir sur le sujet ont besoin d'informations complémentaires.

Les victimes qui nous appellent, pour la moitié d'entre elles le font pour la première fois, pour l'autre moitié le font après avoir rencontré des difficultés dans leurs démarches : par exemple, des plaintes non prises en compte, des médecins qui n'ont pas fait de certificats médicaux ou qui n'ont pas donné d'interruption totale de travail (ITT) permettant de mesurer la gravité des violences ou des plaintes classées sans suite.

Ces chiffres illustrent bien que, si la loi existe, elle est encore appliquée partiellement. Les dix premières années ont été consacrées davantage au slogan « briser le silence », c'est-à-dire à faire réagir les femmes.

Aujourd'hui, l'accent doit être mis plutôt sur l'application de la loi et la prise de conscience de tous les acteurs, qu'il s'agisse des médecins - les premiers à être en contact avec les victimes - qu'il s'agisse de la police sur le thème des plaintes, qu'il s'agisse de la Justice - c'est probablement, dans les quatre ou cinq dernières années, le secteur qui a le moins évolué dans sa sensibilité et sa compréhension des violences conjugales - ou qu'il s'agisse des travailleurs sociaux en général et de tous les réseaux d'aide.

Nos associations offrent ce service téléphonique national, mais travaillent aussi sur le terrain, reçoivent les femmes. A travers le réseau, indépendamment du service téléphonique, nous avons à traiter 36 000 situations de violences conjugales par an et nous recevons en hébergement - ce sont les chiffres 2002 - 2 500 femmes et 2 700 enfants. Notre travail ne concerne pas seulement l'hébergement. Souvent, quand on parle des violences conjugales, on centre le problème sur « partir dans l'urgence et trouver un hébergement tout de suite ». Ce n'est pas seulement cela. Un départ se prépare. C'est le travail que font souvent les écoutantes au service téléphonique. Il faut s'organiser, penser, souvent prendre des précautions, réunir des documents et ne pas partir, comme cela, dans la rue, avec les enfants, à toute vitesse.

L'évolution du projet de loi, en particulier cette mesure contre les violences, nous semble aller globalement dans le bon sens. Il ne nous paraît pas souhaitable que les femmes partent en urgence avec les enfants. Non seulement c'est injuste et coûteux, mais c'est contraire, même, à leur mouvement.

On demande toujours aux femmes pourquoi elles ne partent pas, comme si, face à la première claque, c'est ce qu'elles devraient faire. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles elles ne le font pas. D'abord, elles ont le sentiment que c'est injuste : pourquoi elles, qui sont victimes, devraient-elles partir avec les enfants ? Ensuite, c'est compliqué. Porter plainte et prendre des décisions radicales contre le père de ses enfants, c'est difficile.

Souvent, il y a une banalisation des agressions. Surtout, le mécanisme principal est un retournement permanent de la situation : la victime elle-même se culpabilise : « C'est moi qui n'ai pas bien fait ce qu'il fallait » ; le mari a tendance à toujours minimiser sa propre responsabilité, à retourner la situation et à accuser la victime d'être coupable des faits.

Donc, ces mécanismes d'emprise sont complexes ; s'en défaire n'est pas facile.

Et puis, il y a les situations de dépendance qui ont duré. Souvent, les femmes qui nous appellent le font au bout d'un long moment, quand la situation devient insupportable, quand les enfants sont touchés, par exemple, quand elles se rendent compte de l'impact de la violence sur eux, quand ils disent quelque chose. Ce sont le plus souvent des situations qui se sont installées. Une personne qui est sous une emprise de longue date a perdu une capacité d'autonomie, a perdu aussi une lucidité et une vision de la situation. Elle se rend coupable elle-même des agressions dont elle est victime.

Rompre cette dépendance, non seulement est long, mais donne lieu très souvent à des allers-retours. On parle du cycle de la violence. Monsieur s'excuse, monsieur promet qu'il ne va pas recommencer. L'entourage en général ne s'en rend pas compte. Les violences qui se passent dans la vie privée sont difficiles à prouver. Très souvent, l'agresseur a une double attitude : il est une certaine personne dans l'espace public et une autre dans l'espace privé.

Réunir des témoignages, des preuves de violence dans l'espace privé est particulièrement difficile. Tout cela est très important pour ce que nous aurons ensuite à étudier au pénal et au civil.

Historiquement, on a parlé des « femmes battues », c'est-à-dire que l'on a mis l'accent sur les violences physiques, évidemment les plus faciles à prouver ; grâce aux médecins, on arrive à démontrer qu'il y a des lésions et à en décrire plus ou moins la gravité.

L'enquête ENVEFF, publiée l'année dernière, mais dont les premiers résultats ont été présentés en l'an 2001, a parlé du continuum des violences, a montré qu'elles ne sont pas seulement physiques, mais aussi morales et psychologiques et également sexuelles.

D'après le témoignage des femmes, ces violences morales sont des atteintes très profondes à l'estime de soi, à la capacité d'entreprendre, de développer son autonomie.

Il y a aussi les violences économiques, dont on parle assez peu, le harcèlement juridique, les violences autour de toutes ces procédures : souvent, les maris violents développent des stratégies multiples d'agression juridique, c'est-à-dire portent plainte pour un certain nombre de faits souvent irréels pour contre-attaquer dans le domaine juridique.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Quelles sont les violences économiques ?

Mme Marie-Dominique de Suremain : Le fait de priver quelqu'un de ses ressources, par exemple, dépenser tout l'argent du compte commun, le retirer, empêcher madame de travailler - c'est un des mécanismes les plus courants - pour qu'elle n'ait pas d'autonomie, pour qu'elle ne puisse pas partir, pour qu'elle ne puisse pas prendre de décisions ; l'autonomie au sens le plus large, non seulement l'autonomie économique, mais un projet propre, des idées propres, etc.

L'interdiction aussi est une forme de violence. Cela commence très jeune. Ce sont probablement les signes que l'on doit signaler le plus à la nouvelle génération : quelqu'un qui vous interdit de vous habiller comme ci ou comme ça, qui vous interdit de voir tels et tels amis, qui vous interdit de voir votre famille. Les femmes victimes de violences sont souvent isolées. Le mari violent tisse une toile d'araignée autour d'elle pour l'empêcher, justement, d'avoir recours à la famille.

Cela dit, un certain nombre d'entre elles aussi peuvent nier auprès de la famille ou de l'entourage les violences subies, parce que subir des violences est humiliant. Elles se sentent coupables de ne pas être dignes d'être aimées, coupables de ne pas avoir fait ce qu'il fallait. Elles se font de plus en plus petites pour que monsieur ne se mette pas en colère. C'est difficile. On est à une époque moderne où les femmes ont du succès, les femmes sont partout, les femmes assurent, assument leur vie publique et leur vie privée. C'est un discours très fort dans les médias qui fait que des femmes modernes, qui travaillent, qui sont autonomes dans un de leurs espaces, peuvent aussi subir dans la vie privée le pire et ne pas vouloir ou oser le dire publiquement.

Les violences se développent pratiquement de la même façon, avec très peu de différences ou de toutes petites variations, dans toutes les classes sociales.

L'enquête ENVEFF a pu le démontrer scientifiquement et statistiquement. Dans tous les milieux sociaux, par exemple, on remarque que les jeunes femmes le signalent un peu plus. C'est dû à deux éléments : probablement, au fait qu'elles parlent un peu plus, qu'elles sont un peu plus conscientes, qu'elles ont au téléphone identifié plus facilement les violences dont elles étaient victimes, mais aussi parce que les rapports de force s'établissent au début de la vie conjugale - donc quand les personnes sont plus jeunes - et autour de la maternité.

Il est assez frappant et choquant de voir que les femmes enceintes qui sont dans une relation agressive et violente sont plus souvent victimes de violences. On se demande pourquoi. Alors que le mari qui attend un enfant avec cette femme devrait avoir envie de la protéger, eh bien non : c'est le moment où il se sent probablement écarté, où il sent que quelque chose se développe en elle qui lui échappe, et c'est particulièrement un moment de développement des agressions.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je ne le savais pas.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Statistiquement, oui. C'est un phénomène sur lequel il faut encore s'interroger. On n'a pas vraiment analysé au fond cette situation.

Selon moi, quelque chose se développe qui échappe au mari. La femme enceinte est l'objet d'attentions de la part de tout le monde. Elle est sur la sellette, d'une certaine façon. Elle commence à trouver du plaisir à ce qui se passe en elle. C'est insupportable, non pas pour un homme, mais pour un mari violent. 10 % des maris tous les ans exercent des violences dans la vie privée sur leur conjointe, soit 1,5 million de personnes, ce qui n'est pas négligeable en termes statistiques et en termes de santé publique et de conséquences pour la société.

D'autres aspects sont importants, comme l'impact sur les enfants. Probablement, culturellement, c'est encore un des aspects où le sens commun inverse la réalité. Souvent, les juges ou la société pensent que signaler chez un père son comportement violent et le sanctionner, ce serait le déconsidérer aux yeux des enfants, d'où une hésitation. La mère entendrait le père dire : « Tu m'as envoyé en prison » ou l'enfant entendrait : « C'est ta mère qui m'a envoyé en prison », alors que c'est la société qui impose la loi et qui essaie de faire régner la paix dans les ménages.

Cette inversion de la réalité est assez commune, aussi bien dans l'entourage que chez les juges eux-mêmes, qui pourtant sont chargés de faire respecter la loi.

Or, laisser dans l'impunité des violences conjugales, même légères, c'est éduquer les enfants dans la loi du plus fort, dans l'impunité. Ce n'est pas construire la loi, même celle du père, au sens psychanalytique du terme. Dans la psychanalyse - encore que l'on pourrait revoir un peu ces conceptions - un des rôles principaux du père est de marquer des limites et d'inscrire les enfants dans la société, dans la loi des hommes, au sens large du terme.

L'homme violent rompt essentiellement cette loi et, comme le secret est maintenu sur son comportement et qu'il jouit de l'impunité dans la vie privée, c'est une marque indélébile qui reste aux enfants : celle de la loi du plus fort. Pas pris, pas puni. Du moment que personne ne sait, c'est le plus fort qui s'impose.

C'est extrêmement dommageable du point de vue psychologique et éducatif. Probablement, le non-respect de la loi pourrait être lié à un non-respect des limites et de l'intégrité des personnes dans la vie quotidienne depuis l'enfance.

C'est difficile encore à analyser et à faire passer. Le rapport de M. Roger Henrion, professeur de médecine qui, il y a deux ans, a organisé un groupe de travail pour étudier l'impact des violences conjugales sur la santé des femmes, a montré cet impact sur les enfants.

Ceci a des répercussions importantes sur notre conception de l'autorité parentale. Nous avons beaucoup bataillé en 2002 autour de la nécessité de mentionner dans la loi les violences conjugales, comme une exception, dans la résidence alternée, par exemple. Nous ne l'avons pas obtenu.

Le sentiment de la société que les pères sont mis à l'écart et qu'il faut leur donner des moyens supplémentaires, voire coercitifs, pour obtenir plus facilement la garde des enfants, va bien dans le sens général, puisque nous, les féministes, réclamons un meilleur partage des tâches et une plus grande participation des hommes dans les soins aux enfants ; mais, dans le cas des violences conjugales, c'est complètement contradictoire.

Considérer qu'un homme violent peut être un bon père, alors qu'il a imprimé dans la psychologie de ses enfants le non-respect de la loi, c'est complètement contradictoire. C'est lui permettre le harcèlement. Or, nous savons que les crimes et les situations les plus graves - malheureusement, nous avons eu un exemple il y a deux jours - arrivent dans les moments de séparation et les moments post-divorce.

Il y a deux insuffisances dans le projet de loi :

Dans la loi sur la résidence alternée ou l'autorité parentale, l'exception pour violences conjugales n'a pas été mentionnée. Nous avions demandé que cela soit introduit dans le projet de loi sur le divorce, et il n'a pas été jugé opportun de remettre le thème de l'autorité parentale dans les décisions post-divorce ;

En ce qui concerne les circonstances aggravantes, qui permettent de réprimer les atteintes aux personnes, les ex-conjoints ne sont pas pris en compte. Or, c'est après le divorce, très souvent, que les crimes arrivent, lors des séparations. Les atteintes les plus graves sont fréquemment liées à ce moment où madame échappe à l'emprise de monsieur, ce qui lui est insupportable.

Quand le divorce arrive à terme ou quand il a abouti et que la femme a repris de l'autonomie, de la joie de vivre, cela est souvent insupportable à son ex-conjoint ; les faits les plus graves se situent donc très souvent dans ces circonstances.

Nous en avons malheureusement - nous en parlions ce matin - un exemple absolument tragique : monsieur tue sa femme et ses enfants, ou tue sa femme ou ses enfants et se suicide. Nous avons un dossier sur ces soi-disant faits divers ou crimes passionnels, ainsi nommés dans l'usage courant, qui étaient l'objet d'ailleurs de circonstances atténuantes par le passé.

Cela continue, dans la culture ou dans l'esprit des personnes, et même parfois des juges, à fonctionner comme des circonstances atténuantes, alors que ce sont des circonstances aggravantes. Mais cette loi est en application depuis à peine dix ans et les mentalités sont plus lentes à évoluer.

Voilà le panorama de notre activité.

Les associations reçoivent les personnes en urgence ou en séjour plus long. Elles ont cependant du mal à fonctionner. Les années de campagne « briser le silence » ont fait leur effet. La demande d'hébergement dépasse largement les capacités d'intervention. Souvent, les rendez-vous sont donnés à dix ou quinze jours, et les associations essaient de trouver des moyens, par exemple en s'associant, pour recevoir les femmes le plus vite possible.

L'urgence ne touche qu'une partie de cet hébergement. Elle est toujours relative, car recevoir une personne pour une ou deux semaines, un mois voire deux, souvent, c'est déjà la préparer à repartir et à trouver une solution. C'est un travail très intense pour régler des problèmes pratiques immédiats et la remettre dans la dynamique de chercher des solutions, faire le virage entre subir, subir, subir, patienter et se faire de plus en plus petite et reprendre sa vie en main. C'est ce déclic que les associations travaillent le plus avec les femmes en situation d'urgence.

Ensuite, dans les CHRS, les lieux d'hébergement et de réinsertion sociale, des séjours sont prévus pour trois ou six mois. La moyenne est plutôt d'un an actuellement, voire deux, non pas que les femmes ne se remettent pas relativement rapidement par rapport à d'autres situations précaires ou d'autres types de populations accueillies, plutôt touchées par la précarité ou la pauvreté (les femmes n'ont pas forcément tous les problèmes en même temps : elles sont victimes de violences, mais ont des capacités qu'elles remettent en jeu, elles trouvent du travail, un logement, résolvent les problèmes des enfants), mais la crise du logement social actuelle maintient dans les CHRS beaucoup de femmes qui sont déjà en conditions personnelles de pouvoir assumer un logement indépendant.

C'est la crise de tous les CHRS, le problème du droit d'asile. Il existe un engorgement des lieux d'hébergement d'urgence à moyen terme, à cause de la crise du logement social. Il faudrait travailler toute cette filière pour trouver des solutions plus efficaces.

Quand il n'y a pas hébergement, de toute façon, il y a un accompagnement juridique et psychologique pour reprendre sa vie en main et prendre des décisions : accompagnement dans les divorces, au pénal et au civil.

Nous souhaitons cette meilleure articulation entre le pénal et le civil. Nous avons apporté quelques documents pour illustrer notre propos : une présentation de la Fédération, d'autres exemplaires de la présentation du service téléphonique, expliquant comment se passe l'écoute.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Qui répond aux appels : des psychologues ou des bénévoles ?

Mme Marie-Dominique de Suremain : Ce sont différentes professions. Il ne s'agit pas de faire des thérapies ; donc, si nous avons des psychologues, elles n'interviennent pas en tant que telles, mais pour écouter les personnes. Souvent, ces dernières ne savent pas si ce qu'elles vivent est ou non de la violence.

C'est l'une des questions les plus fréquemment posées : « Est-ce de la violence ? Voilà ce qui m'arrive : est-ce normal ? ». Elles veulent entendre quelqu'un leur dire : « Non, ce n'est pas normal. Non, il n'a pas le droit. Même si la soupe n'est pas chaude, il n'a pas le droit de vous frapper ».

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Tout de même !

Mme Marie-Dominique de Suremain : Je le dis de façon caricaturale. « Même si vous l'énervez, il n'a qu'à partir. Il n'a pas le droit de vous frapper, quelles que soient les circonstances, quel que soit le conflit ». Il faut bien faire la différence entre conflit et violence. Il faut faire passer ce message.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est-à-dire ?

Mme Marie-Dominique de Suremain : Dans un conflit conjugal, les deux personnes sont à égalité. Deux êtres ne sont pas d'accord. Ils peuvent connaître des moments difficiles, mais ils se respectent fondamentalement.

La violence, c'est quand une personne écrase l'autre systématiquement et peu à peu cherche à la détruire. Ce sont deux processus tout à fait différents. La violence conjugale est un processus de destruction de l'autre personne : tout faire systématiquement pour saper son autonomie, son indépendance, pour la dénigrer de façon permanente.

C'est pourquoi les violences psychologiques accompagnent toujours les violences physiques, même si l'on ne réagit que quand il y a des coups ou des atteintes physiques trop visibles. Les violences psychologiques, c'est le dénigrement systématique, dire à la personne qu'elle ne vaut rien, qu'elle ne fait rien de bien, qu'elle est moche... Je ne vous fais pas la liste de toutes les insultes et de toutes les horreurs que l'on peut entendre au service téléphonique.

Par exemple, une femme de 70 ans téléphone pour dire que son mari appelle ses amis et la soumet à des sévices sexuels avec tous ses copains. Cela n'existe pas que dans les banlieues. On entend qu'un monsieur agriculteur, dans la France profonde, pratique aussi ce genre de chose pour son amusement, son divertissement. Souvent, c'est difficile à écouter.

Les écoutantes sont de différentes professions : enseignantes, etc.

M. Patrick Delnatte : Dans le domaine de la violence physique, il peut y avoir un problème de constat, mais il n'y en a pas sur la nature de la violence.

Dans le domaine psychologique, vous nous avez fait des descriptions de l'enfer, si je puis dire. Or, nous recevons aussi des associations de pères, qui nous décrivent des situations, relevant plus du psychologique que de la violence physique, qui ne sont pas faciles à vivre.

Dans ce domaine psychologique, ce n'est pas uniquement la femme qui est victime : l'homme peut l'être aussi. Je ne connais pas les statistiques, mais, d'après les témoignages, il existe des situations extrêmement difficiles.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La violence physique est visible, mais la violence psychologique est plus difficile à percevoir.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Une petite remarque sur cette observation : il faudrait arriver à ne pas faire le parallèle entre les associations de pères et les associations de femmes.

Les pères ne sont pas forcément des hommes violents. Nous ne parlons pas des pères en général, mais des hommes violents. Nous savons que parmi les pères éventuellement entrés dans une association pour défendre leurs droits, il peut y avoir des hommes violents ; ils n'ont pas intérêt à montrer qu'ils ne sont pas tout à fait clairs dans leurs actions.

Mais il ne faut pas opposer les associations de femmes, qui défendent les femmes en général, mères ou pas, conjointes dans ce cas-là, aux associations de pères.

En revanche, les associations de pères ont exercé une forte pression pour la résidence alternée. On pourrait faire quelque objection à ce que la résidence alternée puisse être imposée. Elle demande tellement d'habileté et d'accord dans la vie quotidienne qu'entre deux personnes qui ne s'entendent pas du tout, c'est probablement la pire des solutions pour l'enfant.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : C'est contraire à l'intérêt de l'enfant.

M. Patrick Delnatte : Dans le texte du projet de loi, on ne revient pas sur l'autorité parentale. Ce n'est pas le problème aujourd'hui.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Nous ne pouvons pas nier qu'il puisse y avoir quelques situations inversées de violences exercées par une femme sur un homme. Cependant, il faudrait bien les analyser.

Dans quels cas toutes les conditions sociales (avoir davantage de revenus, contrôler ceux de l'autre, contrôler sa vie personnelle, contrôler son estime de soi, le contrôler psychologiquement et par rapport aux enfants, le frapper physiquement) peuvent-elles être réunies pour qu'une femme exerce ces violences ?

Ce dont certaines associations masculines se plaignent, c'est du discours insupportable de certaines femmes : elles les embobinent, se plaignent, etc. Face à une relation insatisfaisante, désagréable, il faut rompre probablement. C'est un des cas où il faut arrêter ce cercle vicieux, et les nouvelles formes de divorce sont prévues pour ces cas où la vie est insupportable.

Il faut sanctionner aussi la femme qui passe son temps à épuiser l'autre, ses ressources, etc., mais l'on en rencontre assez peu statistiquement.

En tout cas, il n'y a pas de symétrie du tout : c'est à 95 % dans un sens. Mais il peut exister des cas de femmes, qui ont à la fois un pouvoir économique, un pouvoir psychologique, une emprise sur un homme et qui tissent une toile d'araignée autour de lui.

Nous avons parfois aussi quelques appels d'hommes violents qui souhaitent parler de leur situation : 20 à 30 appels par an, soit 2 %.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Quelles explications donnent-ils de leur violence ?

Mme Marie-Dominique de Suremain : Ils expliquent qu'ils perdent le contrôle d'eux-mêmes. Quelques-uns souhaitent avoir une aide psychologique pour sortir de la spirale. Ils aiment leur femme, mais, chaque fois qu'ils sont exaspérés, qu'ils ont des problèmes à l'extérieur, ils les résolvent dans la vie privée.

De même, une mère peut se sentir exaspérée, taper sur ses enfants et se dire : « Ce n'est pas bien, je ne veux pas continuer, chaque fois que je suis exaspérée, je tape sur mon enfant, donc je veux changer ». Des hommes aussi en prennent conscience.

Nous nous intéressons, depuis peu, en tant que Fédération, à toutes les initiatives pour aider les hommes violents. Historiquement, les associations de femmes se disaient : « Est-ce à nous de les prendre en charge ? Ils se présentent comme des victimes, ils se disent malheureux, etc. ». C'était un peu difficile, mais la situation a évolué et des associations de notre réseau sont en lien avec des associations - il y en a très peu en France - qui font de l'intervention.

Cela peut se faire aussi par des accords avec le procureur qui, au moment où il prend des sanctions, propose un appui et une forme d'intervention ou de réflexion aux hommes violents.

Des expériences ont lieu actuellement à Cergy, à Saint-Etienne, à Marseille, à Paris, à Belfort, à Limoges. Nous participons à un projet européen d'évaluation de ces formes d'intervention, pour savoir si les hommes évoluent, si cela fonctionne, si c'est efficace et quelle est la relation entre la sanction et l'appui personnel psychologique.

Nous avons défini quelques prérequis. Les mêmes associations n'interviennent jamais auprès de la femme et auprès de l'homme. Les femmes ne comprendraient pas de croiser des hommes dans les mêmes lieux ; aussitôt, elles projetteraient leur propre histoire sur la situation vécue. Donc, il faut vraiment des acteurs différents.

Par ailleurs, nous ne participons à des groupes de réflexion que quand il y a respect de la loi, c'est-à-dire sanction, et non médiation pénale.

C'est un des sujets sur lesquels nous pourrons revenir. Nous pensons que la médiation familiale dans le cas du divorce, la médiation pénale s'il y a plainte est inappropriée en cas de violences. Elle met les personnes de nouveau sur un pied d'égalité. Elle ne reconnaît pas qu'il y a violence, donc délit. Elle ne rétablit pas la loi. Elle fait grandir un sentiment d'impunité chez l'agresseur et elle conduit tout droit à la récidive.

M. Patrick Delnatte : Nous avons auditionné les médiateurs. Ils sont d'accord : la violence ne doit pas entrer dans le jeu de la médiation au début, mais, après, il peut y avoir des processus de médiation ; ils ne sont pas incompatibles avec des comportements violents dans le passé.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Nous sommes d'accord.

M. Patrick Delnatte : Exclure totalement la médiation en cas de violences conjugales... Cela dépend à quel moment.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Dans la première étape.

M. Patrick Delnatte : Mais, après, il ne faut pas l'exclure. Le mettre dans le texte serait même assez dangereux.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Evacuer le problème et le renvoyer tout de suite en médiation familiale dans le cas du divorce est une pratique courante. Il faudrait donc la faire évoluer. Si on ne le signale pas dans le projet de loi, elle est pratiquée dès le départ et conduit à des dénis de justice fréquents.

M. Patrick Delnatte : Je parle de la médiation familiale du divorce, qui n'est pas imposée, mais proposée, à la différence de la médiation en matière d'autorité parentale, qui peut être imposée par le juge. Dans le projet de loi relatif au divorce, elle n'est pas imposée, mais proposée. Il y a une information sur la médiation et, après, si le couple l'accepte, il fait une médiation.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Dans l'article 255 du code civil, dans un premier temps, le juge peut proposer, mais, dans l'actuel projet de loi, il y a une deuxième possibilité : le juge peut enjoindre.

M. Patrick Delnatte : Il peut enjoindre une information. On est toujours dans le domaine de l'information. Par manque de moyens, souvent, dans les tribunaux, c'est une information collective. On en a eu l'expérience à Lille. Je pense qu'il faudrait aller plus loin, parce que le financement de l'Etat sera assuré pour cette information. Il y a deux hypothèses : proposer ou enjoindre, mais c'est toujours une information, et non une médiation obligatoire.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : C'est gênant dans le cas évoqué précédemment de rapports de domination, quand l'un est sous la coupe de l'autre.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Le juge peut enjoindre aux époux de rencontrer un médiateur, qui les informera sur l'objet et le déroulement de la médiation.

M. Patrick Delnatte : Les juges que l'on a rencontrés n'imposeront jamais une médiation ou une information quand il y a des situations de violences. Avez-vous des exemples actuellement ?

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : On donne une importance énorme au juge seul, qui va prendre une décision à l'écoute du couple. Or, quand la personne vient en tentative de conciliation et qu'il existe véritablement une situation de violences conjugales - nous faisons la différence avec le conflit - quand l'un a l'emprise sur l'autre, avec une déstructuration complète de la personnalité de la femme, elle a tendance, devant celui auquel elle prête tous les pouvoirs et qui sait en jouer, à s'effacer et à ne plus dire ce qu'elle veut, donc à accepter tout.

Là, le juge a une grande responsabilité. Il rencontre les personnes très rapidement. Devant quelqu'un qui dira oui, il aura tendance à prendre une décision rapide ne reflétant pas la situation. Proposer ou même enjoindre une information, cela peut, à ce stade, avoir des conséquences sur tout le reste de la procédure, quand il y a des violences conjugales et notamment psychiques.

M. Patrick Delnatte : Dans notre hypothèse, on est dans le cadre de violences reconnues, donc du divorce pour faute, celle-ci étant beaucoup plus orientée vers la violence. Je ne vois pas un juge qui imposerait une information sur la médiation dans le cadre de divorce pour faute en raison de violences. Je me permets de rappeler que 80 % des divorces sont demandés par les femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je suis beaucoup plus nuancée. Je crois que l'on n'a pas la perception exacte de ces violences. C'est un monde que l'on cache. Même le juge ne vit pas cette situation. Donc, il va essayer de calmer le jeu.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Dans la pratique, quand la médiation a commencé à être instaurée - et c'est une bonne solution dans bien des cas, fort heureusement - on a eu des cas où le juge aux affaires familiales disait : « On va régler la situation par la médiation d'entrée de jeu » ; on a perdu du temps et les situations pourrissaient. Maintenant, on a déjà un petit recul par rapport à certaines de ces décisions.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ce n'est pas de la mauvaise volonté de la part du juge, au contraire.

M. Patrick Delnatte : Là, le juge imposait une médiation. Ici, il peut enjoindre une information.

Tous les médiateurs que l'on a rencontrés nous ont dit : « On ne peut pas traiter lorsque la violence conjugale existe, ou seulement dans un deuxième temps ». En l'introduisant dans le texte, on risque de faire perdre à une information qui n'est pas une médiation des possibilités, parce que, si la violence physique est très nettement caractérisée, la violence psychologique est plus difficile à percevoir.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : C'est le mot « enjoindre » dans la loi qui me gêne. On peut proposer, mais enjoindre a un caractère péremptoire.

Enjoindre veut dire : « Vous n'avez pas le choix : vous passez à l'information ». Dans le projet de loi, on a le tronc commun. A part le consentement mutuel, on ne connaît pas quel sera le choix de la procédure ultérieure. Or enjoindre, dans des situations de violences, même une information, c'est terrible, parce que la personne dira amen.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : On est dans le rapport dominé/dominant. En présence du dominant, le dominé dira oui.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Je voudrais revenir sur la perception des violences par le juge. Je crois qu'il y a une sous-estimation même des violences physiques. Quelles sont les preuves dans ce cas ? Le certificat médical. Les médecins hésitent énormément à donner des ITT, qui pourraient permettre au pénal de mesurer la gravité et éventuellement de sanctionner.

Pour l'illustrer, j'ai ici deux certificats médicaux.

L'un dit : « Une femme porteuse d'un hématome au front. Ecchymose à l'œil droit avec hémorragie conjonctivale. La vue est conservée. Egratignures à la tempe droite, ecchymose sur le cuir chevelu. Enceinte de six mois. Le fœtus bouge bien. ITT : 0 ».

L'autre concerne également une femme : « Traumatisme crânien avec perte de connaissance, hématomes, etc. Violences sexuelles avérées. Contusions, etc. Les lésions entraînent, sauf complication, une incapacité totale de travail de deux jours et un arrêt de travail de quinze jours ».

La conception de l'ITT est complètement variable selon les médecins. C'est un problème qui se discute dans des commissions entre juristes et médecins ; c'est très compliqué. Pour certains médecins, l'incapacité totale de travail, c'est être grabataire. Pour certains, c'est ne pas pouvoir bouger physiquement. Cette personne peut encore bouger ; donc, on ne lui donne que deux jours d'ITT. En revanche, elle n'est pas en capacité de travailler.

Dans ce cas concret où un médecin a donné deux jours d'ITT, cela ne va pas être sanctionné pénalement, mais peut-être classé sans suite. Or, les circonstances sont assez graves.

Ce lien entre le pénal et le civil n'est pas fait. Quand on a la conception qu'au pénal ce sera bien sanctionné, au civil, on va pacifier les choses et régler la vie conjugale, le problème des enfants, etc. Quant au pénal, ce n'est presque pas sanctionné, il n'y a pas cet équilibre au civil et, donc, les violences ne sont pas reconnues non plus. C'est tellement évident qu'on ne le dit pas ; or, il vaudrait mieux quand même le dire. Il y a des choses tellement évidentes qu'on ne les dit jamais, et on retombe un peu dans le cercle vicieux.

Il faudrait mentionner les violences conjugales dans certains cas, par exemple pour signifier que la médiation pénale est alors inappropriée ; sinon, on n'arrive pas à avancer dans les perceptions des juges. Pourquoi, quand quelque chose est tellement évident et que tout le monde est d'accord, ne pas le dire ?

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Le travail du juge est vraiment très délicat.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Souvent, il n'a pas les éléments suffisants.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : J'ai été enseignante. Quand on a en face de soi un enfant battu, s'il a des traces, on le voit, mais, s'il s'agit d'une maltraitance psychologique, il faut un certain temps pour le sentir. Il en est de même de la violence conjugale.

Mme Marie-Dominique de Suremain : C'est dans la durée.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Oui, et il faut dire que le juge, avec toutes les affaires qu'il doit traiter, n'a pas le temps de s'attarder sur le cas de la femme battue. Si elle n'a pas des ecchymoses et autres, allez le prouver !

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : On bute chaque fois sur le problème du système de la preuve. On voit des décisions de justice, avec des certificats médicaux, conduire à un débouté de la demande en divorce pour cause de violences, parce que le médecin n'écrit pas que le mari est l'auteur de ces violences ; sinon, le certificat médical justifierait une sanction. D'où le problème de la corrélation entre le certificat médical et l'auteur, même au niveau de la preuve.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Souvent, le médecin ne mentionne pas qui est l'auteur du fait.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il ne peut pas.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Si. Il peut relever les paroles de madame. Il peut dire : « Madame se présente et me dit que... ». C'est un témoignage, qui a une réalité très concrète. Dans les modèles de certificats médicaux que nous essayons de promouvoir, que le Professeur Henrion promeut et que les associations de médecins qui travaillent sur le sujet proposent, le médecin doit relever toutes les paroles de la victime. Cela donne un élément de base.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ces situations s'amplifient-elles ?

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Les violences psychologiques, oui. On en voit beaucoup plus aujourd'hui qu'autrefois.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Les femmes parlent plus. C'est peut-être une réaction à leur changement, certains hommes n'acceptant pas l'évolution des mentalités.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : On avancera au civil quand au pénal on réussira à utiliser pour les femmes les lois qui existent. La violence physique sur conjoint ou concubin est tout de même un délit aggravé.

Or, la jurisprudence des tribunaux et des cours a tendance à moins sanctionner l'auteur des violences physiques du conjoint ou du concubin parce que, justement, c'est le conjoint ou le concubin. Les sanctions seront des peines d'emprisonnement avec sursis généralement.

Je connais un cas : monsieur est à peine sorti du tribunal correctionnel. Les réquisitions ont été sévères. Il a interjeté appel et, deux jours après, il a recommencé sur sa femme et, pour l'instant, rien ne se passe.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Je vous ai apporté quelques exemples de certificats médicaux sans ITT, de plaintes classées sans suite, de droits de visite normaux et d'hébergement pour les hommes violents, de résidences alternées imposées en contexte de violences, - alors que, logiquement, si tout est si évident, cela devrait être évité - de résidences principales des enfants attribuées à des hommes violents et de femmes victimes divorcées aux torts exclusifs ; quelques exemples qu'a relevés notre association de Grenoble pour illustrer notre propos.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : J'ai eu une décision hier. Il a été fait droit à la demande de l'épouse, qui avait des certificats médicaux multiples et circonstanciés, et droit à la demande reconventionnelle du mari, qui disait que son épouse était fragile psychologiquement, et la motivation du bien-fondé de sa demande reconventionnelle était qu'il devenait violent à cause de cette « fragilité psychologique » de son épouse !

M. Patrick Delnatte : Cela ne pourra plus se passer ainsi, parce que le juge sera obligé d'examiner d'abord la demande de divorce pour faute et, au cas où celui-ci ne sera pas accepté, il passera à la demande reconventionnelle, mais il devra examiner en premier le divorce pour faute.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : A partir du moment où il dit qu'il est violent parce qu'elle est fragile, ce n'est pas une faute. Comment voir la faute ?

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : La demande reconventionnelle du mari était fondée sur la fragilité psychologique de l'épouse. Donc, le juge - et l'article est maintenu - pour faire droit à la demande reconventionnelle du mari, tire argument d'un comportement de l'épouse considéré comme fautif. Il écrit que la fragilité psychologique de l'épouse est une faute !

Mme Marie-Dominique de Suremain : Sur le domicile, nous avons quelques propositions à faire. Nous vous avons apporté un document. L'article 22 du projet sur l'éviction du conjoint violent nous paraît constituer une avancée, mais il faut probablement le rendre plus concret.

M. Patrick Delnatte : Il ne faut pas tomber dans le droit commun de l'expulsion. On y travaille.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Avec tous les aspects financiers que l'on avait mentionnés.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : On avait pensé à l'astreinte civile.

M. Patrick Delnatte : Faites des propositions. On se situe avant la procédure de divorce, donc, dans le droit commun du mariage.

Mme Marie-Dominique de Suremain : On demande que la mesure soit prise de façon contradictoire.

M. Patrick Delnatte : Ce sera - cela a été dit au Sénat et le Gouvernement y tient - dans le code de procédure civile. On ne peut pas le mettre dans le texte de la loi. Le ministre l'a annoncé. Cela ne relève pas de la loi, mais du règlement et du code de procédure.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Vous nous avez demandé si nous pourrions craindre que l'emprise ne se reproduise dans l'audience contradictoire ? Non. Nous pensons qu'il faudrait, dans tous ces cas, avoir l'aide juridictionnelle automatique pour les femmes victimes de violences.

Appuyée par un avocat, nous ne craignons pas une procédure contradictoire, et elle nous paraît une garantie que des décisions soient prises, parce que l'effet pourrait être inverse : s'il n'y avait pas de procédure contradictoire, les juges seraient moins enclins à utiliser cette mesure, puisqu'elle paraîtrait relativement inéquitable ou pourrait être ressentie comme injuste. Donc, il nous paraît bien que les recommandations soient faites pour le code de procédure civile, pour qu'elle soit contradictoire et appuyée sur une aide juridictionnelle automatique sans délai, ce qui éviterait d'être en prise directe et permettrait d'avoir l'aide d'un avocat.

Ensuite, l'astreinte financière.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Nous proposons une astreinte par jour de maintien dans les lieux. Elle sera liquidée ensuite par le juge du divorce. Si on donne l'autorisation de résidence séparée avec maintien dans les lieux à l'épouse, le mari ne partira pas. On le voit quand on donne un délai. Actuellement, il y a attribution du domicile conjugal, au niveau de la tentative de conciliation, à l'épouse, avec délai au mari pour partir d'un à trois mois. S'il se maintient à l'issue des trois mois, c'est l'expulsion. On n'y arrive pas et, souvent, de guerre lasse, c'est elle qui s'en va.

M. Patrick Delnatte : Que comprend l'astreinte financièrement ?

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Le juge l'évaluera à partir des éléments qu'il aura. S'il y a une procédure contradictoire au moment de la demande de résidence séparée, les deux parties pourront être entendues. On saura quelles sont les facultés contributives de celui qui peut la payer, pour éviter des impossibilités d'exécuter. En matière civile, en droit commun, si quelqu'un n'exerce pas son obligation, le juge peut l'y contraindre par cette sanction civile qui est une menace : l'astreinte.

M. Patrick Delnatte : Est-ce pour subvenir aux frais du ménage ?

Mme Marie-Dominique de Suremain : Non. C'est une sanction.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : C'est pour l'obliger à partir. Si le juge dit : « J'attribue à l'épouse, parce qu'elle a subi des violences, le domicile conjugal. Je vous donne l'autorisation... », en rappelant le délai de trois mois, etc., il va dire : « Monsieur, vous avez compris, puisque c'est une audience contradictoire, que vous devez maintenant vous organiser et partir. Si vous ne partez pas tout de suite, par jour de maintien dans les lieux, vous paierez telle somme », par exemple 50 € ou moins, peu importe !

M. Patrick Delnatte : Cela ne le désengage pas de la charge du loyer, etc. ?

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Non, cela n'a rien à voir. C'est pour le faire partir physiquement, pour qu'il respecte cette obligation qu'on lui donne. C'est un outil que l'on a en droit commun : autant l'utiliser.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je crois que M. Patrick Delnatte étudie ce problème avec la Chancellerie.

M. Patrick Delnatte : On cherche à ce que la procédure d'expulsion classique ne s'applique pas dans ce cas. Le problème des astreintes n'a pas été évoqué.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : C'est intéressant juridiquement. A qui sera opposable cette astreinte ? Le juge la fixera comme une menace, mais elle sera opposable seulement à l'autre époux, pas aux tiers. Cet instrument existe dans le code. Il est simple et efficace. Cela nous évitera d'aller au pénal.

Mme Geneviève Levy : Dans l'objectif de simplification, cette astreinte, sanction civile, n'est pas inintéressante.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ce peut être une proposition de la Délégation.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Est-ce qu'on peut la faire figurer dans le texte de la loi ou est-ce que cela relève de la procédure ? Je crois que c'est un élément fondamental qui doit figurer dans le texte de la loi, et non dans la procédure. Ce n'est pas simplement procédural. C'est quelque chose qu'au moment du débat contradictoire pour l'attribution du logement les deux parties vont pouvoir connaître. On ne peut pas appliquer une astreinte à quelqu'un qui ne connaît pas cette menace et qui ne connaît pas son droit.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : L'astreinte est une excellente idée.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Dans les pays où cette mesure est appliquée, elle est encore plus efficace : elle est policière. C'est le cas en Autriche, par exemple, où elle a déjà deux ou trois ans. En France, ce n'est pas le mécanisme proposé.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Cette annonce de l'éviction du conjoint violent m'a toujours beaucoup souciée, parce que, si elle n'est pas suivie d'effets, c'est que le texte n'est pas suffisant.

La Délégation peut proposer cette astreinte financière.

M. Patrick Delnatte : Il faut voir si cela relève de la loi ou du code de procédure, mais, en soi, l'idée paraît intéressante.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Une autre proposition de notre commission : la recommandation que ce soit le même juge qui prenne les premières décisions et qui ait ensuite à s'occuper du divorce, pour assurer une cohérence et une continuité entre les deux procédures. Je ne sais pas si cela peut être spécifié dans la loi.

Déjà, la situation est difficile avec trois juges : le juge pour enfants, le JAF et le juge au pénal, qui souvent ont à voir la même situation et prennent des décisions dans des sens différents. Avec le texte actuel, ce ne seront plus trois, mais quatre juges qui seront concernés par l'affaire.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Ce serait plus simple.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Mais ce sera difficile à gérer parce qu'on touche au fonctionnement d'un tribunal.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : C'est une attribution du JAF.

M. Patrick Delnatte : Il est variable d'un tribunal à un autre. De même pour la liquidation du régime matrimonial : un juge peut s'occuper de la procédure, un autre de la liquidation.

Mme Marie-Dominique de Suremain : C'est une recommandation. Il est vrai que cela est assez compliqué à gérer et aboutit souvent à des incohérences.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : On peut l'introduire dans les recommandations.

M. Patrick Delnatte : On ne peut pas imposer. Les juges dans les tribunaux sont de plus en plus mobiles.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : En fonction des dossiers, les juges changent, mais, au moins, il s'agit des mêmes cabinets, avec les mêmes antériorités. Avec l'informatique, c'est facile.

Par exemple, actuellement, dans le cadre de la loi de 1975, un conjoint initie une procédure selon l'article 233 du code civil. Si l'autre époux ne reconnaît pas les faits, il y a caducité de la demande en divorce. Quelques mois plus tard, cette même personne se décide, parce que c'est le seul outil dont elle dispose, à initier une procédure selon l'article 242 du code civil. Grâce au système informatique, le service de l'enrôlement va confier l'affaire au même cabinet de JAF, et l'ancien dossier sera alors ressorti.

Il serait également pratique de préciser que le juge aux affaires familiales va connaître de l'autorisation de résidence, mais c'est peut-être plus procédural.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Une autre proposition : que cette mesure puisse être prise éventuellement à différentes étapes du divorce, c'est-à-dire que, si elle n'a pas été prise avant le divorce, elle puisse intervenir à un autre moment, cela pour tenir compte des allers-retours et des difficultés des femmes, sachant que certaines reviennent au domicile. On ne doit pas leur faire grief à un moment donné d'être revenues, mais comprendre qu'elles ont pu croire que la situation s'améliorait et que ce n'est pas le cas. Si à un moment donné la femme a renoncé ou est partie d'elle-même et revient, cette procédure doit pouvoir intervenir à différents moments, quand le juge en est saisi. Elle ne doit pas être pénalisée d'un retour au domicile.

M. Patrick Delnatte : Dans le cadre des mesures provisoires, qu'est-ce qui interdit à un juge de le faire ?

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Actuellement, le juge ne peut modifier une mesure provisoire qu'il a prise en cours de procédure par la voie de ce que l'on appelle l'incident que si l'on apporte la preuve d'un élément nouveau ; sinon, il ne fait pas droit à la demande.

Or, là, s'il en est de même avec les allers-retours, ce n'est pas véritablement un élément nouveau. Actuellement, on peut à tout moment saisir le juge en cours de procédure, mais il ne fera pas droit à la demande s'il n'y a pas d'élément nouveau. C'est une règle globale.

M. Patrick Delnatte : Et la violence ?

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Si elle existait au départ et existe après, on va dire que ce n'est pas un élément nouveau. Le problème est celui des allers-retours, de la difficulté d'expression par celle qui subit des violences. L'interlocuteur s'interroge. Par moment, c'est énervant. Il faut dépasser cela et essayer de comprendre. Il peut penser qu'elle est versatile s'il n'y a pas véritablement d'élément nouveau.

Il faudrait pouvoir permettre cela sans cette notion d'élément nouveau.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Voilà nos propositions. Nous vous laissons quelques documents sur la situation des femmes immigrées, les mariages forcés, la médiation pénale, l'articulation entre le code pénal et le code civil.

Nous n'avons pas abordé la situation des concubins, mais nous sommes dans le cadre du divorce.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est un problème qu'il faudra aborder un jour.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Celui des concubins et des ex. Une auditrice de justice en stage chez nous a élaboré une proposition de loi pour élargir aux ex-conjoints le concept du caractère aggravant des violences. Actuellement, les concubins et les conjoints sont concernés, mais pas les ex-conjoints.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Dans le code, il y a la loi sur l'exercice de l'autorité parentale, la loi sur le divorce, mais rien sur les ex.

Mme Marie-Dominique de Suremain : L'ex-conjoint est une personne quelconque par rapport à une violence.

M. Patrick Delnatte : On est là dans un cadre pénal. On ne va pas recréer des liens une fois le divorce prononcé. Au contraire, on cherche plutôt à éviter les contentieux post-divorce.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Nous vous signalons des sujets de réflexion futurs.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous aurons l'occasion de vous entendre de nouveau. Votre audition a été très instructive.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Nous sommes heureuses d'avoir eu l'occasion de nous exprimer. Merci beaucoup de cette invitation.

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N° 1486 - Rapport d'information au nom de la délégation aux droits des femmes sur le projet de loi relatif au divorce (Sénat, 1ère lecture) (Mme Geneviève Lévy)

1 () Cf. Mme Françoise Dekeuwer-Défossez. « Droit des personnes et de la famille : de 1804 au pacs (et au-delà...). Revue Pouvoirs n° 107 Le code civil.

2 () Le taux de divorcialité augmente régulièrement : il était de 30,5 pour 100 mariages en 1985 ; il est en 2001 de 37,9 pour 100 mariages.

3 () Centre national d'Information et de Documentation des Femmes et des Familles