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N° 3248

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 juillet 2006.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 146 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

sur les relations agricoles franco-américaines

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Alain Marleix,

Député.

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INTRODUCTION 5

I.- DES NÉGOCIATIONS BLOQUÉES À L'OMC 7

A.- LES PRÉOCCUPATIONS INITIALES DU CYCLE DE DOHA OUBLIÉES 7

1.- Une négociation diluée et enlisée 7

2.- Des gains à relativiser fortement pour les pays les moins avancés 8

B.- DES POSITIONS DE NÉGOCIATION INCOMPATIBLES 9

1.- L'offre agricole américaine du 10 octobre 2005 10

2.- Quelles marges de manœuvre existent encore aujourd'hui ? 12

II.- DES PROBLÈMES SIMILAIRES POUR LES AGRICULTURES DES DEUX PAYS 15

A.- DES DÉFIS COMMUNS POUR LE FUTUR 15

1.- L'évolution du monde agricole et rural 15

2.- Les biocarburants 16

B.- DES AIDES PUBLIQUES QUI ÉVOLUENT PARALLÈLEMENT 20

1.- Le farm bill 2002-2007 20

2.- Les perspectives du prochain farm bill 22

III.- LE CHOC DES INTÉRÊTS DANS LES RELATIONS COMMERCIALES 25

A.- LES DÉTERMINANTS DES ÉCHANGES AGRO-ALIMENTAIRES 25

1.- La balance commerciale agro-alimentaire américaine dans le rouge 25

2.- Les outils de promotion américains sur les marchés extérieurs 26

B.- LEVER LES OBSTACES NON QUANTITATIFS AUX ÉCHANGES 28

1.- Les restrictions sanitaires 28

2.- Les indications géographiques protégées 30

EXAMEN EN COMMISSION 33

LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES  37

INTRODUCTION

« L'Amérique ne serait rien sans ses agriculteurs ;
ils sont la colonne vertébrale de ce pays et tout ce que nous faisons
pour les aider aide notre pays et son avenir.
 »
Président Ronald Reagan, 1985

Le présent rapport d'information tire les enseignements d'une courte mission effectuée aux États-Unis, à New York et Washington ainsi qu'en Virginie, au début du mois de mai 2006. Au cours de cette mission, une série d'entretiens (dont la liste figure en annexe) et de visites de terrain a permis à la fois de prendre le pouls de l'Administration, du Congrès et des farmers américains sur les dossiers agricoles, et de se rendre compte de la nécessité de mieux soutenir nos industries agroalimentaires sur ce marché toujours très porteur, mais très ouvert et donc aussi très concurrentiel.

La France et les États-Unis sont, en effet, à la fois deux grandes puissances agricoles et des partenaires commerciaux très interdépendants. Les contentieux entre l'Europe et les États-Unis, qui ne sont pas nouveaux, ne sont pas étrangers au fait que les négociations commerciales internationales dans le cadre du cycle de Doha à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) bloquent aujourd'hui sur les questions agricoles. Outre Atlantique, la France est fréquemment accusée de protectionnisme et d'interventionnisme en matière agricole, alors que les États-Unis pratiquent le même type de politique car ils sont soumis aux mêmes enjeux : il leur faut, eux aussi, réformer leur politique agricole (le farm bill), comme l'a fait l'Union européenne avec la politique agricole commune (PAC) à Luxembourg en 2003.

L'Administration américaine est enfermée dans sa proposition agricole à l'OMC, qui subordonne la réforme du farm bill à l'ouverture en grand des marchés extérieurs. Elle voudrait un accord sur le cycle de Doha avant 2007, mais ses marges de négociation sont très faibles sur le volet agricole. Ce ne sont ni les farmers, ni les élus du Congrès qui vont lui en donner avant les élections à mi-mandat (mid-term elections) de novembre 2006. Le développement du marché américain des biocarburants complique encore la donne, tandis que la perception d'une multiplication des barrières sanitaires européennes renforce les élus dans leur sentiment de protectionnisme de la « forteresse Europe ».

Le pessimisme ambiant repose donc essentiellement sur une mauvaise compréhension réciproque, alors que la France et les États-Unis sont confrontés aux mêmes problématiques, même si c'est dans des proportions différentes. La levée des trop nombreuses barrières non tarifaires, par une discussion engagée avec un minimum de bonne volonté, faciliterait les échanges agroalimentaires entre les deux pays. Les exportations françaises de produits agricoles vers les États-Unis en seraient confortées.

I.- DES NÉGOCIATIONS BLOQUÉES À L'OMC

De plus en plus de négociateurs et d'observateurs sont pessimistes sur les résultats à attendre d'une négociation commerciale à l'OMC où tous les partenaires se montrent intransigeants. On évoque maintenant ouvertement la possibilité d'un échec du cycle de Doha. En effet, les objectifs initiaux de la négociation ont été perdus de vue et les positions de négociations, entre les États-Unis et l'Union européenne pour ne citer qu'eux, sont assez inconciliables.

A.- LES PRÉOCCUPATIONS INITIALES DU CYCLE DE DOHA OUBLIÉES

À l'issue du cycle de l'Uruguay (Uruguay round) et après la mise en place de l'OMC, un nouveau cycle de négociation a été lancé en novembre 2001, lors de la conférence ministérielle de Doha, afin de répondre aux attentes et aux besoins spécifiques des pays en développement, dans le cadre du « Programme pour le développement de Doha ». En plus des grands piliers traditionnels de la négociation (agriculture, produits industriels, services, accès aux droits de propriété intellectuelle), des thèmes plus particulièrement destinés à la prise en compte de la situation spécifique des pays en développement devaient être abordés, le plus important d'entre eux étant la discussion sur les modalités du traitement spécial et différencié qui doit être réservé à ces pays. Or, on en est loin aujourd'hui.

1.- Une négociation diluée et enlisée

Malgré un important travail effectué au sein des différents groupes de travail, la conférence ministérielle de Cancun, en septembre 2003, n'a pas permis d'aboutir à un consensus et de faire progresser les négociations. En particulier, les positions des différents membres se sont révélées inconciliables en matière agricole. À l'occasion de cette conférence s'est constitué le G20, regroupant derrière le Brésil les pays du Sud pour qu'ils puissent réellement peser sur le déroulement des négociations. En juillet 2004, un accord a permis de relancer les négociations du cycle, l'Union européenne s'étant engagée à éliminer à terme ses subventions à l'exportation de produits agricoles, sous réserve de réciprocité.

La conférence ministérielle de Hong Kong, qui s'est tenue en décembre 2005, s'est conclue par un accord de portée limitée. Des questions sensibles (accès au marché des produits agricoles et industriels, libéralisation du marché des services) n'ont pas progressé. Une date (fin 2013) a été retenue pour la fin des subventions aux exportations agricoles. Quelques mesures seulement ont été décidées en faveur des pays pauvres : ainsi, les pays développés accorderont à partir de 2008 un accès libre de quotas et de droits de douane sur leur marché intérieur à 97 % des produits en provenance des pays les moins avancés. L'Union européenne est pionnière en la matière puisqu'elle applique déjà une telle mesure sur presque 100 % des produits, dans le cadre de l'initiative baptisée « Tout sauf les armes ». Les subventions aux exportations de coton, qui sont principalement le fait des États-Unis, seront quant à elles supprimées dès la fin de l'année 2006. Les États-Unis n'ont en revanche pas pris d'engagements précis de diminution de leurs soutiens à la production de coton, qui sont les dispositifs les plus pénalisants pour les pays d'Afrique occidentale pour lesquels l'exportation de ce produit est une ressource essentielle.

Aujourd'hui, les réunions techniques qui se poursuivent à Genève pour tenter de progresser à l'OMC se concentrent sur les concessions réciproques entre grands blocs, États-Unis, Union européenne et pays en développement comme le Brésil ou l'Inde, plutôt que sur les moyens d'aider par le commerce international les pays les moins avancés. La poursuite de la « guerre commerciale » entre les grands pays exportateurs agricoles, telle qu'organisée à l'OMC, ne répond absolument pas à l'objectif initial du cycle. M. Kofi Annan, Secrétaire général de l'ONU, expliquait ainsi devant le Conseil économique et social de l'organisation, le 24 avril 2006, qu'il craignait que « les difficultés auxquelles se sont heurtées les négociations n'aient amené certains participants à envisager d'accepter que les négociations de Doha n'aient de " cycle de développement " que le nom. Il faut l'éviter à tout prix. »

2.- Des gains à relativiser fortement pour les pays les moins avancés

Quelles seraient les conséquences, pour les pays en développement, d'une libéralisation du commerce international, notamment dans le domaine agricole ? L'érosion des préférences qui résulterait de la baisse des droits de douane au niveau multilatéral diminuera l'avantage conféré par les pays développés aux pays les moins avancés dans leurs dispositifs de préférences commerciales.

Une étude récente de la Banque mondiale revient sur ses premières évaluations de la libéralisation agricole et montre qu'une diminution totale des droits de douane des pays européens induirait une perte de 460 millions de dollars par an pour les pays les moins avancés d'Afrique. Si l'ensemble des pays de l'OCDE éliminait ses droits de douane, les pays africains perdraient 110 millions de dollars et l'ensemble des pays les moins avancés 266 millions de dollars. Le FMI estime de son côté que la diminution de 40 % des tarifs douaniers des pays développés engendrerait une érosion des préférences de 530 millions de dollars pour les seuls pays à revenu intermédiaire (Maurice pour son sucre à destination de l'Union européenne, Sainte Lucie pour ses exportations de bananes, Belize, Saint Kitts et Nevis, Guyana et Fidji).

Les études économétriques revoient aussi à la baisse les gains à attendre de la conclusion du cycle de Doha et démontrent que l'Afrique risque d'être perdante dans ce cycle. L'étude la plus récente de la Banque mondiale montre ainsi une grande incertitude dans l'évaluation des gains de bien-être à attendre du cycle, de 96 milliards de dollars dans le cas d'un scénario crédible de libéralisation partielle à 290 milliards de dollars par an au grand maximum d'ici 2015, dont seulement 30 % pour les pays en développement (et, parmi eux, essentiellement le Brésil, l'Argentine et la Thaïlande). Elle identifie des perdants à court terme : l'Afrique toute entière, mais aussi le Bangladesh, le Vietnam, le Mexique et le Moyen Orient. D'autres études, de la CNUCED et du CEPII notamment, concluent à une perte de bien-être pour les pays en développement, en raison de l'érosion des préférences tarifaires, de la hausse des prix alimentaires (en raison de la baisse des subventions aux exportations agricoles), notamment pour les pays importateurs nets de produits alimentaires, et la faible capacité d'adaptation des pays les plus pauvres.

La libéralisation agricole n'est donc pas une condition sine qua non pour le développement. Elle accroîtra l'instabilité des cours mondiaux, en raison de la rigidité des choix de production d'une année sur l'autre et de l'élasticité-prix très faible des produits agricoles. La volatilité des cours rendra difficiles les choix de politique agricole de long terme dans les pays en développement, ainsi que la rentabilisation des investissements. De plus, l'instabilité des cours se traduira par une instabilité des revenus des producteurs de ces pays, qui sont déjà les plus vulnérables en raison de leur pauvreté. L'effet désastreux sur l'Afrique subsaharienne de la dépression actuelle des cours mondiaux du coton l'atteste suffisamment. C'est pourquoi même des pays émergents comme l'Inde, où des millions de paysans vivent de l'agriculture de subsistance, sont hostiles à la libéralisation tarifaire et réclament le droit à la souveraineté alimentaire.

On ne peut donc que déplorer que les négociations à l'OMC dans le cadre du cycle de Doha ne soient plus aujourd'hui qu'un prétexte pour les « joutes » commerciales, entre l'Union européenne et les États-Unis notamment. La prise en compte d'un objectif de développement a été en grande partie oubliée, alors que les accords commerciaux régionaux, notamment les accords préférentiels bilatéraux comme ceux conclus par l'Union européenne avec les pays ACP, peuvent améliorer les perspectives de réduction rapide de la pauvreté. À ce titre, il faut souligner que les pays les moins avancés représentent 3,2 % des importations agricoles de l'Union européenne, contre seulement 0,7 % des importations américaines, soit cinq fois moins. Il est donc grandement souhaitable de recentrer le cycle sur son objet principal, et de traiter en bilatéral les questions sensibles, notamment agricoles, qui n'ont pas un intérêt multilatéral déterminant, en particulier pour les pays pauvres.

B.- DES POSITIONS DE NÉGOCIATION INCOMPATIBLES

Les négociations à l'OMC concernent 149 pays, et plusieurs groupes de pays ont des intérêts divergents à défendre. Le présent rapport d'information se limitera à étudier en quoi les positions de la France, à travers l'Union européenne, et les États-Unis sont aujourd'hui incompatibles dans cette enceinte, compte tenu notamment du bluff que constitue la dernière proposition agricole américaine sur la table des négociations, à savoir celle d'octobre 2005 qui n'a pas été modifiée depuis, en dépit des fortes pressions des autres États.

1.- L'offre agricole américaine du 10 octobre 2005

Les États-Unis ont proposé, avant la réunion ministérielle de Hong Kong en décembre 2005, une offre conditionnelle sur le dossier agricole.

En ce qui concerne les subventions à l'exportation, les aides directes seraient supprimées en 2010 dans la proposition américaine, alors que l'aide alimentaire en nature serait globalement sanctuarisée (laquelle représente pourtant plus de 2,5 milliards d'euros par an) et que les loan deficiency payments sur les produits américains exportés (qui constituent de fait une subvention à l'exportation) seraient exemptés de toute discipline.

Pour favoriser l'accès au marché, les droits de douane seraient réduits de 55 à 65 % quand ils sont aujourd'hui inférieurs à 20 %, de 65 à 75 % pour les droits compris entre 20 et 40 %, de 75 à 85 % pour ceux situés entre 40 et 60 % et de 85 à 90 % pour ceux supérieurs à 60 %, avec un plafonnement de ces droits à 75 %, soit une baisse moyenne de 66 %. Si les chiffres de la proposition américaine apparaissent ambitieux, c'est parce qu'ils sont établis sur des droits consolidés et non pas sur les droits réellement appliqués.

Sur le pilier des soutiens domestiques, la proposition américaine revient à :

- réduire de 60 % le plafond de sa boîte orange, en acceptant un plafonnement des soutiens par produit à hauteur des références des années 1999-2001 ;

- porter le plafond de la nouvelle boîte bleue à 2,5 % de la valeur totale de la production agricole ;

- réduire à 2,5 % de la valeur de la production les plafonds de la clause de minimis, qu'il s'agisse de soutiens non-spécifiques ou spécifiques par filière ;

- et donc, au total, réduire de 53 % le total de ses soutiens distorsifs (boîte orange, boîte bleue et clause de minimis).

Le système des boîtes à l'OMC

La boîte orange comprend des mesures de soutien interne liées aux prix et aux produits. Elles sont contraires aux règles du marché. Elles entrent dans le calcul de la mesure globale de soutien et doivent donc faire l'objet d'engagements de réduction.

La boîte bleue comprend des aides directes versées aux exploitants dans le cadre de programmes visant à limiter la production. Elles sont protégées par la clause de paix.

La boîte verte comprend toutes les autres mesures qui ont des effets de distorsion minimes, voire nuls, sur la production et les échanges. Pour cela, le soutien doit être fourni dans le cadre d'un programme financé par des fonds publics, ne faisant pas intervenir le consommateur et ne pouvant pas être considéré comme un soutien des prix.

Les clauses de minimis permettent d'échapper à l'obligation de réduction si la valeur du soutien interne (global ou spécifique pour un produit donné) est inférieure à 5 % de la valeur de la production totale.

En ce qui concerne la boîte orange, le plafond américain actuel résultant du cycle de l'Uruguay est de 19,1 milliards de dollars. Les programmes qui entrent actuellement dans ce cadre sont essentiellement les deficiency payments (qui avaient culminé à 8 milliards de dollars sur la période 1999-2001) et les soutiens par les prix domestiques du lait et du sucre (4,5 milliards pour le lait et 1,1 milliard pour le sucre). La proposition américaine de plafonner sa boîte orange à 7,64 milliards de dollars n'entraînerait pas de bouleversement des mécanismes de soutien interne. La référence historique qui serait retenue pour les aides (1999-2001) correspond à la période de versement record des deficiency payments ; il n'y aurait donc aucune réduction, bien au contraire. Cependant, cette proposition conduirait probablement à engager des réformes - de fait déjà inéluctables - pour plusieurs filières (lait et sucre, probablement aussi riz et coton).

Les États-Unis n'utilisent pas l'actuelle boîte bleue résultant de l'Uruguay round, mais ils ont maintenant un véritable intérêt pour la nouvelle boîte bleue dans laquelle ils comptent placer les paiements contra-cycliques internes mis en place en 2002. De surcroît, cette nouvelle boîte permettrait de sécuriser d'éventuels soutiens résultant de la réforme à venir des filières lait et sucre. Selon la période de référence et les moyennes retenues par la proposition américaine, le montant autorisé dans cette boîte pourrait s'établir entre 5 et 6 milliards de dollars, alors que depuis leur création, sur les quatre dernières années, les paiements contra-cycliques américains ont culminé à 4,1 milliards de dollars en 2005. Le plafond proposé permettrait donc de conserver intact le mécanisme des soutiens contra-cycliques ; la contrainte budgétaire pourrait tout au plus engager le Congrès à revoir certains prix d'objectifs par produits (à concurrence desquels s'établissent les paiements contra-cycliques).

Les Américains sont de grands utilisateurs de la règle de minimis, qui permet d'exclure du contingentement des soutiens distorsifs le dispositif fédéral d'aide aux assurances agricoles (de l'ordre de 4 milliards de dollars par an, en augmentation tendancielle), des aides exceptionnelles votées par le Congrès (près de 4,5 milliards de dollars en moyenne annuelle) et d'autres formes de soutiens moins visibles (irrigation, pastoralisme,...). Le nouveau plafond américain serait de 5,5 milliards de dollars pour les soutiens spécifiques par filière, auxquels s'ajouteraient 5,5 milliards de soutiens non-spécifiques. Là encore, la contrainte n'obère pas les mécanismes de soutiens actuels, d'autant plus qu'une notification plus fine des paiements fédéraux au titre des assurances agricoles permettrait d'en réduire très significativement le montant couvert par la règle de minimis, à partir du moment où les contrats d'assurance prévoyant un taux de couverture des risques inférieur à 70 % s'apparentent à un mécanisme de dédommagement des calamités agricoles, et peuvent donc figurer en boîte verte.

Cette proposition agricole, qui permet d'afficher une réduction de 53 % des soutiens distorsifs globaux, est très habile car elle n'impose pratiquement pas de nouvelles contraintes sur les instruments de la politique agricole américaine. De surcroît, les propositions de réduction des aides ne portent que sur des chiffres globaux, sans aucun engagement de plafonnement des soutiens par produits.

La conditionnalité de l'offre américaine à des résultats extrêmement ambitieux sur l'accès au marché est largement mise en avant. Elle permettra éventuellement aux Américains de revenir en arrière en s'étant donné le beau rôle dans la négociation. D'ici là, il s'agit surtout d'une proposition-piège pour l'Union européenne, qui avait conditionné sa propre offre d'accès à son marché intérieur à une réduction des soutiens internes des États-Unis. Elle est donc soumise à une très forte pression pour faire une offre améliorée en matière d'accès au marché, alors qu'elle n'a plus aucune marge de manœuvre.

Notamment, réduire le nombre de produits sensibles pouvant bénéficier d'une protection tarifaire élevée remettrait en cause l'existence même de certaines filières en Europe. Viser au moins 8 % des lignes tarifaires (1) est une condition impérative de survie pour l'agriculture européenne, alors que le Congrès risque de rejeter un accord au-delà de 5 % des produits agricoles.

2.- Quelles marges de manœuvre existent encore aujourd'hui ?

Les agriculteurs américains ne sont pas vraiment motivés par le cycle de Doha. Beaucoup d'entre eux ne souhaitent pas un accord (dans les filières du coton et du sucre, mais aussi dans les autres grandes cultures qui voient dans les bioénergies des débouchés bien plus certains et rémunérateurs que la concurrence avec l'hémisphère sud sur les marchés extérieurs). C'est pourquoi l'Administration explique aux farmers que l'OMC va leur ouvrir les marchés étrangers, sans rien changer pour eux. Pour obtenir un accord à l'OMC acceptable par les Américains, il n'est donc pas question de perdre un peu sur l'agriculture pour gagner dans les biens industriels ou les services. L'agriculture américaine doit bénéficier du cycle de Doha, car le Congrès ne sera pas en mesure d'avaliser un accord commercial sans le soutien des agriculteurs. Le lobby agricole aux États-Unis a donc besoin de résultats tangibles sur l'élimination des subventions européennes à l'exportation et sur l'accès au marché, sans nouvelles concessions sur les soutiens domestiques américains, ni sur l'aide alimentaire ou les indications géographiques protégées.

Le discours est diamétralement opposé en Europe : la Commission tend à expliquer à nos agriculteurs que l'Union européenne doit importer des produits agricoles et qu'ils doivent se « sacrifier » pour d'autres secteurs de l'économie. C'est faire fi de l'importance historique et démographique de l'agriculture en Europe, bien plus forte qu'aux États-Unis. Cette position n'est pas acceptable, car elle nous place en position de dominés par rapport aux Américains, alors que nous avons les moyens, la capacité et la volonté de lutter à armes égales avec eux sur les marchés mondiaux, dans le respect des règles de concurrence. La France soutient cette position, souvent contre la Commission, avec plus d'une dizaine d'États membres qui considèrent, à juste titre, que l'agriculture ne peut pas être passée par pertes et profits dans la négociation actuelle. On peut donc légitimement ne pas souhaiter d'accord à l'OMC, si un accord ne se fait qu'aux dépens de l'agriculture européenne, selon un marché de dupes qui profiterait in fine tant aux Américains qu'aux quelques pays en développement exportateurs nets de produits agricoles, le Brésil notamment.

En termes de calendrier, les Américains mettent aussi la pression sur leurs partenaires, puisque l'échéance de conclusion du cycle actuel ne dépendrait en fait que des échéances internes des États-Unis. C'est en raison de l'équilibre des pouvoirs interne entre le Congrès et l'Administration qu'il faudrait boucler le cycle de Doha fin 2006 ou début 2007 au plus tard, compte tenu des contraintes techniques avant l'expiration, en juillet 2007, de la trade promotion authority (TPA) (2). Le coût politique d'une extension temporaire de la TPA serait tel qu'il ne se justifierait que si un résultat très favorable pour les Américains était à portée de main. Avoir une échéance permet certes de forcer la conclusion d'un accord arrivé à maturité, mais négocier avec un couteau sous la gorge n'a jamais été un moyen de parvenir à un compromis acceptable par tous, dans un cadre toujours régi par l'unanimité.

Dans ce contexte de négociation serrée et contrainte par le temps, les jeux d'alliances entre les pays jouent à plein. Pour les Américains, l'objectif demeure d'isoler la France, tant au sein de l'Union européenne que vis-à-vis des autres partenaires de l'OMC. Votre Rapporteur spécial considère qu'il s'agit d'une politique de mauvaise foi, car les Américains sont parfaitement conscients que les agricultures, des deux côtés de l'Atlantique, doivent relever les mêmes défis demain, et ne peuvent donc pas « désarmer » unilatéralement leurs politiques agricoles. Il s'agit au contraire de se donner les moyens d'adapter nos agricultures aux évolutions à la fois techniques et sociétales.

II.- DES PROBLÈMES SIMILAIRES POUR LES AGRICULTURES DES DEUX PAYS

Même si la France et les États-Unis apparaissent opposés sur les questions agricoles dans le cadre des négociations à l'OMC, il ne faut pas en conclure que chaque pays a des conceptions diamétralement opposées. Bien au contraire, tant en ce qui concerne la situation future de l'agriculture que l'évolution des soutiens publics internes, les continents américain et européen ont des défis communs à relever.

A.- DES DÉFIS COMMUNS POUR LE FUTUR

Les exploitations sont soumises aux mêmes difficultés, même si c'est à des degrés différents, en Europe et aux États-Unis. Le développement des biocarburants, des deux côtés de l'Atlantique, devrait permettre de diversifier les débouchés de la production agricole.

1.- L'évolution du monde agricole et rural

Après une décennie de hausse corrélative à l'accroissement de la superficie des principales cultures, la production agricole américaine s'élevait en 2004 à 240 milliards de dollars (+ 13 % en un an). Ce montant représente moins de 2 % du PIB américain, mais 13 % à 15 % du PIB dépendraient en fait du complexe agroalimentaire. Comparés à l'Union européenne à quinze États membres (avant élargissement), les États-Unis cultivent plus de terre (937 millions d'hectare contre 333 millions), avec moins d'exploitations (2,1 millions contre 7 millions (3)), ce qui permet de se rendre compte de la taille de ces très grandes exploitations.

L'effet cumulé d'un accroissement du produit agricole et de l'augmentation des soutiens publics directs aboutit à un revenu agricole estimé, en 2004, à 73,6 milliards de dollars. Le revenu moyen des ménages agricoles a atteint 70.675 dollars cette même année. Cette moyenne reflète toutefois mal la diversité des exploitations et de leurs revenus, notamment extra-agricoles. Il faut aussi ternir compte de l'importance des aides publiques dans le revenu agricole ; un des objectifs essentiels des politiques agricoles, des deux côtés de l'Atlantique, consiste en effet à stabiliser ces revenus contre les risques de fluctuation des prix agricoles. e ce fait, les interventions publiques en faveur du monde rural sont déterminantes : le soutien moyen par agriculteur atteignait ainsi près de 17.000 dollars par an aux États-Unis en 2003, contre 14.000 dollars dans l'Union européenne à 15. En divisant le budget fédéral de l'agriculture par le nombre de bovins installés aux États-Unis, on aboutit à une subvention de 3,5 dollars par vache et par jour, contre 2 dollars journaliers par bête dans l'Union européenne. De même, on compte aux États-Unis 125.000 fonctionnaires au ministère fédéral de l'agriculture (sans compter les administrations des États fédérés), soit six fois plus qu'à la Commission européenne.

Comme en France et en Europe, l'opinion publique américaine s'interroge de plus en plus sur la générosité des soutiens publics au bénéfice d'une population agricole dont le revenu moyen des ménages. De même, la répartition des aides en faveur des plus grandes exploitations (72 % des aides publiques bénéficiant à seulement 10 % des agriculteurs américains, tout comme 80 % des paiements de la PAC vont aux 20 % d'exploitations européennes les plus importantes) et leur faible impact pour le développement économique des comtés américains qui en bénéficient le plus (en raison d'une capitalisation des aides dans le prix du foncier, sans effet d'entraînement) sont de plus en plus critiqués. Le Washington Post a ainsi publié, le 2 juillet 2006, une enquête sur le fait que « les programmes de soutien à l'agriculture donnent 1,3 milliard de dollars à des gens qui ne sont pas agriculteurs ».

Pour autant, le monde rural français et américain est confronté aux mêmes difficultés, qui nécessitent une évolution des soutiens publics : accès au capital foncier compte tenu du renchérissement du prix des terres, manque d'attrait pour l'installation de jeunes agriculteurs, obligations de traçabilité pour garantir la sécurité alimentaire, développement de la qualité alimentaire contre la « malbouffe », besoins de main-d'œuvre agricole saisonnière pour les récoltes, aménagement du territoire avec égal accès aux services publics.

Les organisations professionnelles sont parfaitement conscientes de ces enjeux et s'en saisissent. Il s'agit d'éléments concrets plus vitaux que la libéralisation du commerce international pour garantir l'avenir du monde agricole et rural, fondement des territoires. Un autre débouché essentiel consiste aujourd'hui dans la valorisation des productions agricoles non alimentaires, au travers essentiellement des biocarburants.

2.- Les biocarburants

Tant en France qu'aux États-Unis, la promotion des biocarburants est devenue une priorité des politiques agricole et industrielle, dans un contexte de tensions à court et long terme sur les marchés de l'énergie fossile. Le défi est mondial : il s'agit de préparer la fin du « tout essence », compte tenu de l'épuisement programmé des réserves de pétrole et de gaz. De chaque côté de l'Atlantique, des politiques volontaristes sont menées en la matière, avec le soutien de plus en plus actif des agriculteurs.

a) Le plan américain en faveur des biocarburants

Sous l'effet du discours du Président George W. Bush sur l'état de l'Union en 2006 et de la loi sur l'énergie d'août 2005, la filière biocarburants, en croissance depuis 2002, connaît une progression accélérée, notamment par l'engouement des investisseurs extérieurs à la sphère agricole. Sur le total de la production américaine de biocarburants, l'éthanol représente 90 % des volumes et le biodiesel à peine 10 %.

Dans un marché mondial dominé par l'éthanol brésilien, les producteurs de biocarburants américains, à la fois soutenus et protégés par une barrière tarifaire, produiront en 2006 environ 3 % des besoins en carburants du pays. Les États-Unis visent un doublement de ce chiffre pour 2012, afin de contribuer à réduire leur dépendance d'importations pétrolières à partir de zones politiquement instables, les pays du Golfe notamment. L'objectif politique est de remplacer 75 % des importations de pétrole en provenance du Moyen Orient d'ici 2025 par des carburants renouvelables (soit 1.700 millions d'hectolitres d'éthanol).

En cours de rattrapage par rapport à l'éthanol produit essentiellement à partir de maïs, le biodiesel, issu du soja, connaît un développement exponentiel. Du fait d'une flotte de véhicules carburant très majoritairement à l'essence, la production de biodiesel est longtemps restée marginale aux États-Unis. Mais la filière opère un rattrapage fulgurant, en multipliant sa production par six depuis deux ans et en se préparant à la doubler encore d'ici 2008, pour atteindre 10 % des biocarburants produits aux États-Unis. 53 usines produisent du biodiesel, majoritairement à partir de soja mais aussi à partir de graisses de cuisson ou de graisses animales. Les investisseurs des 35 nouveaux sites sont très majoritairement d'origine non agricole.

La production d'éthanol aux États-Unis croît quant à elle à un taux de 15 % à 20 % par an depuis 2002. La capacité de production a doublé pour atteindre, en 2006, 170 millions d'hectolitres (4,5 milliards de gallons), produits dans 97 bioraffineries réparties dans 19 États - principalement du Middle West. D'ici la fin de l'année 2008, la construction de 33 usines supplémentaires et l'expansion de 9 sites ajouteront 80 millions d'hectolitres (2,1 milliards de gallons), pour porter la capacité totale de production à 250 millions d'hectolitres (6,6 milliards de gallons), soit 48 % de plus qu'actuellement.

En 2005, la consommation de maïs américain pour la production d'éthanol est estimée entre 35 et 40  millions de tonnes, ce qui représente environ 14 % de la surface plantée. Ceci correspond à une fois et demie la sole française de maïs en 2005 et occuperait l'équivalent de 14 % de la surface agricole utile (SAU) française. L'opportunité de nouveaux débouchés agricoles sur le marché domestique, conjuguée à des prix rémunérateurs, est accueillie très favorablement par les farmers, qui réorientent leur production en faveur des biocarburants. Selon les prévisions du ministère fédéral de l'agriculture, la quantité de maïs utilisée pour la synthèse d'éthanol deviendrait supérieure aux exportations dès 2006. En 2007, la production d'éthanol consommerait 54,6 millions de tonnes, tandis 50,8 millions de tonnes seraient exportées.

En effet, l'éthanol constitue la plus forte valeur ajoutée des productions de grains. Jusqu'à cette année, près des trois quarts des constructions d'usines étaient le fruit d'investissements de la base agricole, qui captait ainsi la majorité des bénéfices de la filière. Ce taux d'investissement s'effondre à 10 % en 2006, alors que Wall Street, rassuré par les dispositions législatives et les récentes déclarations présidentielles, s'enflamme pour ce secteur. Depuis 2004, la Bourse de New York a même instauré un marché à terme pour l'éthanol. L'enthousiasme pour cette filière s'étend aussi à toute la communauté rurale, qui voit en l'éthanol un moyen de redynamiser l'économie locale. Le secteur de l'éthanol aurait ainsi déjà créé 133.000 emplois directs et indirects.

L'Administration américaine soutient fortement la filière, en élaborant un cadre réglementaire favorable. Dans le sillage du Minnesota, qui avait rendu obligatoire un taux de 10 % d'éthanol dans l'essence dès 2002, d'autres États agricoles du Midwest ont emboîté le pas. Au plan fédéral, la loi-cadre sur l'énergie, votée en août 2005, fixe à 284 millions d'hectolitres (7,5 milliards de gallons) le volume minimum de biocarburants devant être vendu dans le pays en 2012. Si la croissance de la capacité de production se poursuit au rythme actuel, ce volume sera dépassé dès 2009. En 2006, le seuil imposé est de 2,78 % du volume de carburant consommé, soit très légèrement plus que la production nationale d'éthanol. Pour atteindre les volumes requis par la loi fédérale en 2012, une surface américaine équivalente au quart de la SAU française devrait être dédiée à la production de biocarburants.

Par ailleurs, face à la recommandation fédérale d'interdiction (suivie par 30 États fin 2005) du MTBE (Méthyl Ter-Butyl Éther ou oxyde de méthyle et de terbutyle, un additif oxygénant cancérigène ayant pollué des nappes phréatiques du fait de fuites de cuves de stockage), la demande d'éthanol a « explosé » en 2005 du simple fait de la décision de la plupart des mélangeurs de remplacer le MTBE par de l'éthanol, à l'échelle nationale. Ils n'ont en effet pas obtenu les garanties de protection escomptées contre d'éventuelles poursuites judiciaires. Cette substitution subite a accaparé l'équivalent de la moitié de l'éthanol produit en 2005 et créé une forte tension sur le marché.

Enfin, les importations d'éthanol sont soumises à un droit de douane de 2,5 % ad valorem, auquel s'ajoute une taxe spéciale de 54 cents par gallon (soit 14,27 dollars/hl). Cette taxe a été instaurée pour compenser la défiscalisation (à hauteur de 51 cents par gallon) de la production intérieure du mélange E10 (mélange constitué de 90 % d'essence et de 10 % d'éthanol). En 2004 et 2005, de l'éthanol a déjà été importé dans les ports de la côte Est, malgré ce niveau de taxation. En effet, une préférence tarifaire (Caribbean basin initiative) permet à certains pays des Caraïbes d'exporter vers les États-Unis un contingent d'éthanol totalement détaxé, limité à 7 % de la production américaine de l'année précédente. Or le Brésil profite de cette brèche tarifaire pour exporter indirectement une partie de sa production vers le marché américain, via une transformation superficielle de l'éthanol en République Dominicaine ou à Trinité et Tobago.

Le Président George W. Bush a annoncé, en avril 2006, que le bioéthanol cellulosique serait la solution d'avenir pour les États-Unis, compte tenu de sa productivité à l'hectare et du prix de revient du produit final. Ce procédé qui utilise la plante entière, la production d'herbe ou des résidus ligneux (tels que des déchets de bois ou les rafles de maïs) commence à être exploité par une société canadienne. Le principal frein à la compétitivité économique de cette innovation réside dans la recherche d'enzymes de dégradation de la cellulose plus performantes. De ce fait, la maturité de cette filière au potentiel considérable n'est pas espérée avant cinq ans.

b) Les biocarburants dans le monde et en France

Le marché mondial des biocarburants est exclusivement celui de l'éthanol. Le Brésil, premier producteur mondial, a lancé son programme « Proalcohol » après le choc pétrolier de 1973. L'éthanol de canne à sucre, dont la rentabilité est très supérieure à celle du maïs ou de la betterave (4), est en voie d'assurer l'indépendance énergétique de ce pays dans lequel, en 2006, 80 % des voitures (« flex fuel ») vendues pourront fonctionner avec des mélanges d'essence intégrant jusqu'à 85 % d'éthanol (l'E85).

En 2005, le marché mondial des exportations nettes d'éthanol était de 24,7 millions d'hectolitres. 93 % de ce volume étaient fournis par le Brésil, principalement à destination de l'Asie (Japon et Thaïlande surtout), et 1 % par l'Union européenne (0,3 million d'hectolitres). Les États-Unis ont importé 3 millions d'hectolitres, ce qui correspond à 2 % de leur production de biocarburants.

Le plan biocarburants en France, qui vise à atteindre 5,75 % de la consommation de carburants en 2008 (au lieu de 2010 comme l'impose la directive communautaire) et 8 % en 2010, repose sur la production de 22 millions d'hectolitres de biodiesel de colza et de 6 millions d'hectolitres d'éthanol. Une dizaine d'usines ont obtenu les agréments de production pour bénéficier de la défiscalisation attachée aux biocarburants ; l'interprofession agricole participe le plus souvent à ces investissements. En moyenne, la taille des usines d'éthanol aux États-Unis est comparable à celles de la France, mais la disparité est très élevée : il existe aussi outre Atlantique des sites d'une capacité dix fois supérieure.

En France, l'inversion des proportions des deux biocarburants par rapport au reste du monde provient du parc automobile roulant majoritairement au diesel et de la structuration de l'industrie française du raffinage, orientée vers l'essence avant l'essor du diesel (et qui est donc structurellement devenue déficitaire en diesel depuis).

Des protections tarifaires concernant les biocarburants existent aussi en Europe. On rencontre certes de l'éthanol à droits zéro (accord SPG) en provenance, par exemple, du Pakistan, à des prix de l'ordre de 35 €/hl. L'éthanol brésilien, qui cote environ 25 €/hl rendu port européen, doit supporter des droits de près de 20 €/hl s'il s'agit d'alcool non dénaturé et de 10 €/hl s'il s'agit d'alcool dénaturé, ce qui fait au total 45 €/hl dans un cas et 35 €/hl dans l'autre.

Si les revendications du G20 étaient suivies, ces droits de douane pourraient être significativement abaissés dans le cadre d'un contingent proposé pour le volet agricole de l'OMC. Or, les États-Unis et l'Union européenne ont des intérêts communs à défendre en la matière : il faut, des deux côtés de l'Atlantique, soutenir une filière porteuse d'avenir (notamment pour l'agriculture) et essentielle à la garantie de l'indépendance énergétique de chaque pays. Dès lors, faut-il vraiment accepter une baisse des droits de douane sur ce secteur à l'OMC ? Ne faut-il pas davantage se prémunir des importations, sur les marchés américain et européen, en maintenant une barrière tarifaire élevée ?

B.- DES AIDES PUBLIQUES QUI ÉVOLUENT PARALLÈLEMENT

Les soutiens publics à l'agriculture américaine sont décidés, pour l'essentiel, par une loi-cadre fédérale pluriannuelle, le farm bill, équivalent de la politique agricole commune (PAC), auquel s'ajoutent le financement du dispositif fédéral d'assurances agricoles (loi sur les assurances agricoles) et les aides ponctuelles des États à leur agriculture.

Le farm bill actuel, voté en 2002, est censé s'achever fin 2007. Le débat sur le prochain farm bill ne démarrera pas avant le premier trimestre 2007 et il ne peut être exclu que le régime de soutien actuel soit prorogé pour quelque temps. Quoi qu'il arrive à l'OMC, le volume des soutiens agricoles américains et leurs modes d'action ne seront pas très différents d'aujourd'hui. Une réforme plus fondamentale aura probablement lieu pour le farm bill suivant, vers 2012.

L'évolution des soutiens intérieurs américains doit être mise en parallèle avec la réforme de la PAC, décidée par l'Union européenne dès 2003, qui a procédé à un réel découplage des aides d'avec la production agricole. De ce point de vue, on ne peut que constater que les aides agricoles européennes sont de fait beaucoup plus respectueuses des échanges internationaux que les mécanismes mis en œuvre aux États-Unis. Cet aspect des choses, pourtant essentiel, n'est pas assez mis en valeur dans le cadre des négociations agricoles à l'OMC, y compris par le commissaire européen, M. Peter Mandelson.

1.- Le farm bill 2002-2007

Le farm bill actuel (farm security and rural investment act) a été adopté par le Congrès le 15 mai 2002 pour une période de six ans, couvrant les récoltes 2002 à 2007. Il a remplacé la précédente loi-cadre agricole (federal agriculture improvement and reform act) de 1996. D'un avis unanime, il s'agit du farm bill le plus généreux pour les agriculteurs de toute l'histoire des États-Unis.

Le farm bill actuel a défini les financements jusqu'en 2012, avec une augmentation de 78 % par rapport au farm bill de 1996, soit 73,5 milliards de dollars sur dix ans, ce qui porte le budget agricole fédéral à 180 milliards de dollars sur cette période. Cette évolution se décompose de la façon suivante : + 46,7 milliards de dollars pour le soutien à l'agriculture (prix de soutien et aides, assurance récolte par rapport au chiffre d'affaires, soutien aux exportations et aide alimentaire), + 17,1 milliards de dollars pour les mesures agro-environnementales (l'équivalent du deuxième pilier de la PAC) et + 9,7 milliards de dollars pour les autres programmes (crédit, recherche, aide alimentaire intérieure).

10 milliards de dollars ont été notifiés par les États-Unis à l'OMC au titre de la boîte orange, pour un plafond de mesure globale de soutien (MGS) de 19,1 milliards de dollars en 2000, ainsi que 5 milliards de dollars au titre des aides d'urgence relevant de la clause de minimis. Par ailleurs, 6 milliards de dollars relèvent de la boîte verte, essentiellement les aides directes découplées de la production. De ce fait, le farm bill de 2002 a fragilisé la position des États-Unis dans les négociations agricoles internationales. En effet, une forte diminution des prix de marché des produits agricoles se traduirait mécaniquement par une augmentation importante des aides contra-cycliques et, potentiellement, par un dépassement du plafond autorisé.

Les soutiens de marché de l'administration américaine aux agriculteurs ont ainsi atteint 22,35 milliards de dollars en 2004, auxquels s'ajoutaient 1,9 milliard de dollars au titre des programmes agro-environnementaux et 3,5 milliards de dollars de financement des assurances agricoles (réduction du montant des primes d'assurances et prise en charge des mécanismes de réassurance des sociétés). Mais en fait, le ministère fédéral de l'agriculture administre au total près de 95 milliards de dollars de fonds publics au titre de l'agriculture (soutiens directs, assurances agricoles et administration), de l'alimentation (programmes d'aide alimentaire et nutritionnelle, représentant près de 55 % des dépenses budgétaires), du développement rural et des actions environnementales.

Il faut notamment souligner l'importance budgétaire des mécanismes d'aide alimentaire aux États-Unis, alors que l'Union européenne ne recourt quasiment pas à ces mécanismes qui peuvent pourtant s'apparenter à des soutiens indirects à l'agriculture. Ainsi, 30 % des recettes douanières américaines (soit 6 milliards de dollars chaque année) sont affectées à l'achat public de denrées alimentaires, redistribuées dans des programmes de cantines scolaires et des programmes nutritionnels en faveur des populations démunies. Ce volant financier est parfois utilisé à la manière d'une intervention publique sur les marchés, dans l'objectif de stabiliser ou accroître les cours de produits en situation de crise.

De manière plus traditionnelle, les soutiens dont bénéficient les grandes cultures aux États-Unis sont de trois ordres : aides directes découplées, paiements contra-cycliques et paiements relevant du système des marketing loans, qui assure un prix minimum garanti aux producteurs. Ce système assure aux producteurs une compensation identique quel que soit le prix de marché et les incite donc à continuer à produire et à commercialiser leurs récoltes indifféremment des cours. En maintenant ainsi les cours à des niveaux bas, les productions américaines restent compétitives sur le marché intérieur et à l'exportation. Ce soutien s'apparente donc à des subventions à l'exportation et à l'industrie de transformation, et constitue en particulier un soutien indirect à l'élevage, qui bénéficie d'une alimentation bon marché.

Des prix d'objectif (target price) et des prix garantis (loan rate) sont définis par la loi selon le produit et la région ; il faut souligner que les montants des prix garantis ont été augmentés par le farm bill de 2002 par rapport à la période précédente. Quels que soient les cours, les agriculteurs reçoivent l'aide directe. Lorsque le prix du marché est inférieur au prix d'objectif diminué du montant de l'aide directe, mais supérieur au prix garanti, l'agriculteur américain est alors éligible aux paiements contra-cycliques, variable selon le produit considéré. Lorsque le prix du marché est inférieur au prix garanti, le mécanisme des marketing loans se déclenche. Les producteurs peuvent alors bénéficier d'emprunts d'État. La récolte garantit l'emprunt venant à échéance ; si les cours restent inférieurs au prix garanti avant l'échéance de l'emprunt, l'agriculteur peut rembourser son emprunt au niveau du prix de marché, la différence entre le prix du marché et le prix garanti étant à la charge du budget fédéral : il constitue le marketing loan gain. En général, les agriculteurs demandent le versement de cette différence par simple notification aux autorités (loan deficiency payment, transfert direct de fonds par les pouvoirs publics).

Enfin, le farm bill de 2002 a été marqué par un renforcement important du volet environnemental, avec une augmentation des financements et la définition de nombreux programmes, par exemple pour aider les producteurs, et en particulier les éleveurs, à mettre en œuvre des systèmes de production plus respectueux de l'environnement. D'autres programmes ont été également reconduits et amplifiés, comme le programme de jachère environnementale décennale, le programme consacré aux zones humides et le programme destiné à préserver les terres arables agricoles des usages non agricoles. L'Union européenne a suivi les mêmes orientations lors de la réforme de la PAC de 2003, avec un important renforcement des aides du second pilier. On constate donc, des deux côtés de l'Atlantique, de grandes similitudes dans les évolutions des politiques agricoles menées.

2.- Les perspectives du prochain farm bill

Un nouveau texte quinquennal est censé prendre le relais aux États-Unis à partir de la campagne 2007-2008. Mais, après les mid-term elections de novembre 2006 pour le renouvellement du Congrès, l'élection présidentielle de 2008 se profilera. La question se posera alors aux pouvoirs en place de savoir s'il est préférable de précipiter une réforme du farm bill en 2007, d'attendre l'année électorale 2008, ou même de reporter cela à plus tard.

La contrainte budgétaire est omniprésente dans les politiques publiques américaines, comme en Europe d'ailleurs. Le farm bill de 2002 avait été décidé dans une période d'excédent budgétaire ; le prochain sera confronté à la situation inverse. Pour autant, le Congrès a su montrer sa volonté de ne pas réduire les soutiens agricoles. Ainsi, dans les débats budgétaires actuels sur la contribution du ministère de l'agriculture à la réduction du déficit budgétaire américain, le Congrès a montré qu'il ne suivait pas les propositions du ministère fédéral de l'agriculture, ni sur le volume des « coupes » demandées, ni sur le principe de réduction des soutiens de marché pour préserver les aides agro-environnementales. Il faut aussi relativiser cette contrainte budgétaire : les soutiens agricoles ne coûtent « que » quelques dizaines de milliards de dollars par an et ne pèsent pas dans les causes profondes du déficit public (soins médicaux et retraites se comptent en centaines de milliards de dollars par exemple).

Les priorités du ministère fédéral de l'agriculture pour le prochain farm bill sont de développer davantage les aides agro-environnementales, classées en boîte verte à l'OMC, tout en renforçant les programmes de développement rural (au sens américain du terme, c'est-à-dire faciliter l'accès des populations rurales à des services (eau potable, communications, téléphonie, Internet...) et à des conditions de vie modernes (habitat), de consolider les incitations au développement des biocarburants et de maintenir à leurs niveaux actuels les programmes d'aide alimentaire, de soutien à la recherche et de promotion sur les marchés. Il s'agirait en fait de redistribuer les soutiens publics internes d'une manière compatible avec les engagements pris à l'OMC, sans handicaper l'installation des jeunes agriculteurs et en continuant à favoriser la compétitivité externe de l'agriculture américaine, dont la vocation exportatrice est réaffirmée.

Pour autant, il n'est pas certain - et c'est un euphémisme - que le Congrès soit prêt à suivre l'Administration pour faire évoluer le farm bill. En effet, les conséquences électorales des décisions prises en matière de politique agricole sont redoutées, compte tenu notamment de la surreprésentation des États ruraux au Sénat américain. Les positions exprimées aujourd'hui par les membres les plus influents du Congrès sur la politique agricole peuvent se décliner en deux points :

- il faut garantir un « filet de sécurité » pour continuer de protéger les producteurs contre les risques de marché : à côté des mécanismes classiques de maintien de prix garantis (loan rate) et de prix d'objectif (target price) qui fondent les mécanismes des deficiency payments et des aides contra-cycliques, un système assuranciel, compatible avec les règles de l'OMC permettrait de couvrir à 95 % le chiffre d'affaires des farmers ;

- il est hors de question de désarmer prématurément, ce qui signifie qu'il ne pourrait y avoir d'engagement ferme de réforme des soutiens internes avant la phase finale des négociations du cycle actuel de l'OMC, étant donné que celle-ci ne saurait se conclure sans gains pour l'agriculture américaine.

La pression du lobby agricole est très forte sur le Congrès pour que les soutiens agricoles ne soient pas réformés en profondeur. Tant l'American farm bureau federation, le premier syndicat de producteurs agricoles aux États-Unis que la National farmers union, qui regroupe des exploitations familiales, sont solidaires du farm bill actuel et considèrent que l'avenir devrait être à l'accroissement des soutiens (pour faire face à la hausse des prix de l'énergie et des engrais, notamment), plutôt qu'à leur baisse. À cela s'ajoutent les craintes des agriculteurs face aux impacts croissants des calamités agricoles et aux cours toujours dépréciés de la majorité des produits de base.

Il est donc clair qu'aucune évolution significative des soutiens agricoles américains n'interviendra dans les prochaines années, et ce, qu'il y ait ou non accord à l'OMC. Il est aussi probable que ce débat englobe une révision de la loi fédérale sur les assurances agricoles, tant les deux sujets sont de plus en plus intimement liés. Au bout du compte, les vraies réformes ne seront probablement pas mises en œuvre avant le farm bill suivant, celui discuté en 2012-2014. D'ici là, la piste de réflexion qui s'ouvre aujourd'hui sur un « filet de sécurité » adossé à l'assurance d'une part croissante du chiffre d'affaires des exploitants agricoles aura sans doute eu le temps d'être approfondie.

On ne peut manquer de faire un parallèle avec l'évolution de la PAC en Europe : la prochaine réforme d'ampleur aura lieu en 2013, aux termes des perspectives financières actuelles. Des mécanismes d'assurance-revenu pour les exploitants agricoles sont aussi testés, notamment en France, et pourraient être généralisés en contrepartie de la diminution des aides de marché. Les soutiens internes ont donc vocation à évoluer parallèlement. Pour autant, l'Union européenne doit conserver des marges de manœuvre et, comme les États-Unis, ne pas « désarmer » unilatéralement avant la conclusion des négociations à l'OMC. En effet, s'il fallait aujourd'hui abaisser nos protections tarifaires agricoles de plus de 60 % pour convaincre les États-Unis de réduire leurs soutiens les plus distorsifs de moins de 10 % seulement, combien faudrait-il alors payer demain pour effacer les 90 % restants ?

III.- LE CHOC DES INTÉRÊTS DANS LES RELATIONS COMMERCIALES

La France et les États-Unis sont deux puissances agricoles à vocation exportatrice. Les échanges agroalimentaires entre les deux pays reflètent donc les rapports de force commerciaux, en faveur de la France. Mais les deux pays sont aussi concurrents sur les marchés mondiaux, notamment face à des pays émergents à très forts potentiels comme le Brésil, le Chili, la Chine ou la Nouvelle-Zélande. Dans le commerce agricole mondial, les États-Unis usent de nombreuses armes non tarifaires, sur lesquelles ne portent pas les négociations à l'OMC, alors qu'il s'agit pourtant d'éléments déterminants des échanges.

A.- LES DÉTERMINANTS DES ÉCHANGES AGRO-ALIMENTAIRES

La situation de la balance commerciale agroalimentaire américaine n'est guère florissante, en dépit d'outils puissants mis au service des farmers.

1.- La balance commerciale agro-alimentaire américaine dans le rouge

Les États-Unis sont sur le point de devenir un pays importateur net de produits agricoles et agroalimentaires. L'excédent de la balance commerciale agricole américaine mondiale, traditionnel depuis plus de cinquante ans, est en train de fondre comme neige au soleil : l'excédent qui était encore de 26 milliards de dollars en 1995 n'était plus que de 7,3 milliards en 2004 et pourrait se transformer en déficit dès 2006 ou 2007. La forte tendance baissière observée depuis 2002 résulte principalement d'une augmentation des importations (vins et fruits notamment) : en tendance, les exportations américaines de produits agricoles et alimentaires augmentent de 4 % par an en valeur, tandis que les importations connaissent une hausse de 47 %.

En 2001, 7 % du total des exportations des États-Unis (soit près de 50 milliards de dollars) était assuré par le secteur agricole et alimentaire, contre seulement 4 % des importations (environ 45 milliards de dollars). Les principaux importateurs des produits agricoles américains pour 2006 seraient le Canada (11,4 milliards de dollars), le Mexique (10,4 milliards), le Japon (8 milliards), la Chine (6,8 milliards), puis l'Europe (6,6 milliards), alors que l'Union européenne était jusqu'à cette année le quatrième client des États-Unis.

Les exportations agroalimentaires annuelles de l'Union européenne vers les Etats-Unis ont doublé en dix ans (de 6,2 à 13,3 milliards de dollars), alors que les exportations américaines vers l'Europe se sont contractées dans le même temps (de 8,7 à 6,8 milliards). En particulier, les échanges agroalimentaires avec la France sont déséquilibrés en faveur de la France. En 2003, les importations agroalimentaires représentaient 9 % de la valeur des produits exportés de France vers les États-Unis (soit environ 2,2  milliards d'euros, dont 1,65 milliard pour les vins et spiritueux), alors que 3 % seulement des exportations américaines en France sont constituées de produits agroalimentaires (pour environ 600 millions d'euros). En 2005, l'excédent s'élève encore à 1,5 milliard d'euros au détriment des États-Unis, soit la somme des soldes positifs des biens de consommation, des produits de l'automobile et des produits énergétiques.

La situation de la France est cependant sur une pente descendante, notamment par rapport aux autres pays européens. Si notre pays demeure le premier fournisseur européen des États-Unis en agroalimentaire, il n'est plus qu'en sixième position hors vins et spiritueux (derrière l'Italie, les Pays-Bas, l'Espagne, le Royaume-Uni et l'Allemagne). Même sur les vins, les positions françaises sont fragilisées (au bénéfice de l'Italie et de l'Australie essentiellement), en raison d'une perception assez dégradée du produit ; les Américains n'aiment que les gagnants, alors que l'image « France » n'est pas très valorisée ; de ce fait, nous avons perdu en volumes en 2003 et 2004 170.000 hectolitres, soit l'équivalent des volumes sur la Suède ou sur la Chine, Singapour et Hong Kong réunis.

M. Bob Goodlatte, Président du Comité de l'agriculture de la Chambre des Représentants, justifie la priorité mise par les États-Unis sur l'ouverture accrue du marché agricole européen dans le cadre des négociations à l'OMC par le déficit commercial agricole des États-Unis par rapport au marché européen, évalué à 12 milliards de dollars par an. Ce déficit s'explique pourtant facilement par le fait que les États-Unis exportent essentiellement des produits agricoles de base, sous une forme brute (peu transformés) et sans grande valeur ajoutée, en Europe comme partout dans le reste du monde, alors que l'Union européenne fait l'inverse (elle exporte surtout des produits alimentaires élaborés, à forte valeur ajoutée, sur le marché américain comme ailleurs).

Le problème américain est donc structurel et interne, sans pouvoir être imputé aux difficultés d'accès au marché. En effet, une tonne de soja vendue à Rotterdam vaut de l'ordre de 240 dollars, soit l'équivalent de 11 kilos de parmesan vendus à New York ou de 16 litres de vin de qualité. Autre exemple, les États-Unis exportent en Chine des bales de coton brut pour ensuite importer des tee-shirts. Cette situation est sans doute durable car l'Union européenne ne cesse d'accroître la part des produits transformés dans ses exportations, tandis que la politique agricole américaine n'incite pas à ce type d'évolution.

2.- Les outils de promotion américains sur les marchés extérieurs

Pour autant, les Américains ne lésinent pas sur les moyens de soutenir leurs agriculteurs à l'exportation.

Les programmes d'aides directes aux exportations agricoles américaines (export enhancement program et dairy export incentive program) sont semblables aux restitutions européennes à l'exportation et s'en voulaient les concurrents directs. Les plafonds d'autorisation budgétaire étaient de l'ordre de 600 millions de dollars par an depuis la campagne 2000-2001. Sur la campagne 2003-2004, les dépenses n'ont été que de 19 millions de dollars. Les États-Unis ne prennent donc guère de risques en proposant, à l'OMC, leur élimination dès 2010.

De la même façon, les marketing loans et les deficiency payments, en garantissant un prix minimum, favorisent l'expansion des surfaces emblavées, y compris sur des terres marginales. La hausse de la production qui en résulte maintient des prix artificiellement bas et accentue la déconnexion entre l'offre et la demande. L'exploitant peut alors commercialiser sa production sur le marché intérieur ou sur le marché mondial, quels que soient les cours. Dans les secteurs où une grande partie de la production est exportée et où les États-Unis déterminent par conséquent le prix directeur mondial (pour les oléagineux, le maïs, le coton ou les arachides), les marketing loans font donc baisser les cours mondiaux et peuvent avoir des effets aussi déstabilisateurs que ceux attribués par les États-Unis aux restitutions européennes à l'exportation. À l'OMC, le panel coton a démontré leur effet de subvention à l'exportation.

De plus, les Américains sont de très loin le premier utilisateur mondial de crédits à l'exportation (90 % du total) : ils s'appuient sur des taux de prêt préférentiels avec de longues périodes de différé de remboursement (5). Si l'équivalent en termes de subvention directe de ce mécanisme est relativement limité, il permet quand même aux Américains de capter des marchés avec une offre financière attrayante au-delà du seul rapport de prix.

Enfin et surtout, les États-Unis sont les premiers pourvoyeurs mondiaux de l'aide alimentaire internationale, bilatérale et multilatérale (par le canal du programme alimentaire mondial). Avec 3,5 millions de tonnes de denrées pour un budget annuel d'environ 1,4 milliard de dollars en 2004, ils devancent l'Union européenne et ses États membres. L'aide alimentaire américaine, exclusivement réservée à la fourniture de produits américains, est très généralement en nature, ce qui permet d'écouler les excédents agricoles lorsque les prix sont bas.

Cette aide constitue une subvention déguisée aux exportations, puisqu'elle permet à des produits de prendre position sur des marchés extérieurs à des conditions préférentielles. Il est ainsi frappant de voir à quel point la générosité américaine se tarit lorsque les cours mondiaux des produits de base sont à la hausse. De même, plus du tiers des pays aidés ne correspondent pas aux critères de pauvreté de la convention sur l'aide alimentaire (les Philippines ou la Jordanie par exemple) et la moitié des produits aidés est destinée à des pays pauvres pourtant exportateurs nets de denrées agricoles.

Or les organisations humanitaires estiment que « le cash est toujours préférable aux vivres » en termes de souplesse, de rapidité d'intervention et d'économies budgétaires. De même, les politiques d'achats locaux servent les économies des pays en développement, alors que l'arrivée d'excédents risque de déstabiliser les marchés. C'est pourquoi l'Union européenne en a fait le principe de son aide alimentaire. À l'inverse, les avantages comparatifs de l'aide en nature sont bien difficiles à démontrer. Ainsi, un rapport rendu en 2003 par le Government accountability Office, la Cour des comptes américaine, sur l'aide alimentaire des États-Unis en Afghanistan, arrivait à la conclusion que les coûts d'assistance avaient été augmentés de 35 millions de dollars et les délais de livraison de 120 jours par rapport à une aide en cash : 685.000 personnes de plus auraient donc pu être nourries à travers une politique d'achat local.

Plus globalement, au moins 50 % des fonds dépensés au titre de l'aide alimentaire américaine le sont pour le transport, l'entreposage et les coûts administratifs. Si elle était livrée en espèces (cash) plutôt qu'en vivres d'origine américaine, un budget fédéral même réduit permettrait de contribuer effectivement aux efforts de développement des productions locales, conformément aux objectifs du cycle de Doha. Cet aspect ne figure pas dans le programme de négociations.

B.- LEVER LES OBSTACES NON QUANTITATIFS AUX ÉCHANGES

Au-delà des aspects tarifaires ou des aides directes, les échanges agroalimentaires restent fortement contrariés par un certain nombre d'obstacles d'ordre sanitaire d'une part, réglementaire d'autre part, qui constituent de fait les contentieux les plus lourds entre les agricultures française et américaine.

1.- Les restrictions sanitaires

Les autorités sanitaires américaines exigent de tous leurs partenaires commerciaux que les ouvertures et fermetures des marchés à leurs exportations agricoles et agroalimentaires ne soient fondées que sur la prise en compte des meilleures connaissances scientifiques. Mais à l'inverse, toute avancée réglementaire facilitant l'entrée des produits étrangers sur le marché américain se heurte à l'opposition des farmers et du Congrès, compte tenu de la situation difficile de la balance commerciale agricole des États-Unis.

a) Les restrictions européennes

L'Union européenne est vilipendée par les États-Unis au motif qu'elle protègerait son marché par des barrières sanitaires injustifiées. Selon M. Bob Goodlatte, Président du Comité de l'agriculture de la Chambre des Représentants, les cinq principaux produits américains (maïs, soja, viandes bovines, porcines et de volailles) ne pourraient pas entrer sur le marché communautaire.

Cette assertion n'est pas totalement exacte. Le soja américain entre librement sur le marché communautaire ; l'Union européenne est d'ailleurs le deuxième client des États-Unis après la Chine et importe environ 4,5 milliards de tonnes par an. De même, les États-Unis ont exporté 450 millions de dollars de maïs vers l'Union européenne (pour l'alimentation animale). Enfin, le contingent d'accès préférentiel pour 11.500 tonnes de viandes bovines américaines sur le marché communautaire est très loin d'être rempli, tout simplement parce que les exportateurs américains ne s'intéressaient pas à ce marché jusqu'à présent.

Si les exportateurs américains rencontrent des difficultés à l'exportation, il faut s'interroger sur les raisons, qui sont effectivement d'ordre sanitaire. Certains produits contiennent des OGM qui n'ont pas encore été évalués par l'Union européenne, ou ont même été contaminés par des produits inconnus, comme cela a été le cas en 2005 avec le maïs transgénique BT 10. Le droit du consommateur européen à être informé systématiquement, par un étiquetage, de la présence ou de l'utilisation d'OGM dans les produits qu'il achète n'est pas toujours respecté par les Américains. Enfin, l'Union européenne refuse l'importation de produits en raison de l'utilisation aux États-Unis d'hormones de croissance en élevage bovin ou de désinfectants (eau javellisée) sur les produits à l'abattoir (pour les poulets principalement).

b) Les limitations américaines

En sens inverse, les Européens rencontrent eux aussi d'énormes difficultés pour exporter des produits agricoles sur les États-Unis. Par exemple, les Européens ne peuvent plus exporter de viande bovine aux États-Unis depuis 1997 à cause de l'ESB. Il faudra encore attendre des années avant d'aboutir, alors que les viandes canadiennes (compte tenu de l'imbrication des filières nord-américaines) ou japonaises (en raison de l'importance des volumes exportés), qui sont pourtant dans une situation sanitaire similaire, ont été autorisées à nouveau.

La France ne peut toujours pas exporter de viandes porcines aux États-Unis, car après avoir attendu pendant plus de dix ans la reconnaissance par les Américains du statut indemne de peste porcine classique que l'Office internationale des épizooties lui accordait pourtant, elle doit désormais attendre que toutes les truies nées avant 2002 aient disparu. La France ne peut pas non plus exporter de produits laitiers, à part les fromages (à condition qu'ils ne soient pas au lait cru), bien que les normes internationales reconnaissent la qualité sanitaire de ces produits.

Des pans entiers du marché américain sont fermés à la France pour des questions d'ordre sanitaire. On peut estimer que les secteurs totalement ouverts aux produits importés français ne couvrent que 57 % du marché agroalimentaire américain. 16 % du marché sont ouverts mais avec des contraintes fortes (produits laitiers, certains produits carnés, produits de la pêche, moutarde, Roquefort, biscottes, chocolat, truffes, échalotes) : ils représentaient un marché de 11 milliards de dollars en 2004. Enfin, 27 % sont inaccessibles (fruits et légumes, viandes et autres produits carnés), soit 19 milliards d'euros. Les verrous à l'importation sont un des facteurs les plus démotivants pour les exportateurs français, qui se disent troublés par l'apparente facilité avec laquelle des pays concurrents réussiraient à les ouvrir.

Les Européens ne sont pourtant pas isolés dans ce type de difficultés aux États-Unis. Il a par exemple fallu plus de trente ans au Mexique pour obtenir l'autorisation d'exporter des avocats aux États-Unis, en raison de contraintes sanitaires amenant à une estimation du risque d'apparition d'une épidémie à moins d'un par million d'années.

Ces réels obstacles non tarifaires aux échanges sont dus au fait que les autorités sanitaires américaines sont sous la dépendance des organisations professionnelles agricoles et du Congrès dans l'élaboration de leurs priorités réglementaires. Le déséquilibre des échanges agricoles, à l'avantage de l'Union européenne, fait que celle-ci voit ses dossiers traîner en longueur.

Ainsi, tous les efforts et avancées de la Commission européenne en matière de santé animale et végétale ne suffiront jamais pour faire de l'Union européenne un partenaire privilégié aux yeux des autorités sanitaires américaines. Il s'agit au mieux d'un allié à utiliser pour servir ses propres desseins (par exemple pour modifier les règles internationales quand elles ne conviennent plus aux intérêts américains, comme pour l'ESB à l'Organisation internationale des épizooties), au pire d'un concurrent économique menaçant qu'il est possible d'« endormir » assez facilement en lui promettant un avenir réglementaire meilleur.

La base scientifique est donc invoquée avec force quand il s'agit d'une barrière commerciale nuisant aux intérêts américains, mais la balance commerciale est prioritaire quand il s'agit des choix des pays et produits à traiter plus favorablement pour ouvrir les frontières américaines. Il ne s'agit pas là d'un traitement équitable au sens des règles du commerce international. Pour autant, les autorités sanitaires européennes, et notamment françaises, ne sont pas exemptes de tout reproche, car elles font aussi souvent de l'excès de zèle au nom de risques toujours possibles mais à très faible probabilité, sans tenir compte des réalités économiques et des rapports de force. Les services vétérinaires français opposent dans tous les cas des raisons scientifiques, au risque de nous faire perdre des marchés à l'exportation. Leur politique « morale » est diamétralement opposée à la realpolitik des États-Unis en matière sanitaire. Votre Rapporteur spécial estime que cette attitude est irresponsable.

2.- Les indications géographiques protégées

L'autre pomme de discorde réglementaire entre la France et les États-Unis touche aux indications géographiques. Il n'est toujours pas question pour les Américains de développer des signes de qualité des produits agricoles, encore moins de s'intéresser aux indications géographiques ou au bien-être animal (sauf de manière caricaturale comme avec le foie gras), toutes choses qui sont considérées de l'autre côté de l'Atlantique comme relevant du business. L'opposition américaine à la protection internationale des indications géographiques, symbole des produits européens à plus forte valeur ajoutée, montre que la réflexion américaine n'est pas encore aboutie sur les moyens de créer de la valeur ajoutée en agriculture.

a) L'enjeu des négociations à l'OMC

Les indications géographiques sont un des droits de propriété intellectuelle inscrits dans l'accord sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC) de l'OMC, au même titre que les marques, droits d'auteur, brevets, dessins et modèles. L'accord ADPIC offre une protection de principe aux indications géographiques et une protection additionnelle aux vins et spiritueux, mais il reste lacunaire sur les modalités et l'étendue de cette protection.

Trois thèmes relatifs aux indications géographiques sont abordés dans le cadre des négociations du cycle de Doha à l'OMC. Tout d'abord, doit être établi un système multilatéral de notification et d'enregistrement des indications géographiques pour les vins et spiritueux. Ensuite, la protection additionnelle accordée aux vins et spiritueux doit pouvoir être étendue à d'autres produits. Enfin, une protection totale contre toute usurpation est demandée pour une liste restreinte (short list ou claw back list) de 41 indications géographiques, originaires de l'Union européenne mais actuellement couramment utilisées de manière générique dans d'autres pays.

Le sujet des indications géographiques est très important pour la France et l'Union européenne dans les négociations en cours à l'OMC car il est intimement lié aux valeurs que l'Europe cherche à promouvoir dans le cycle de Doha. Il s'agit aussi d'un des rares sujets offensifs de nature à favoriser le passage vers une agriculture européenne donnant une place croissante aux productions de qualité. La négociation est particulièrement difficile en raison des positions défendues par les États-Unis et un certain nombre d'autres pays (Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chili, Nouvelle-Zélande, Taiwan) qui sont radicalement opposés aux propositions européennes. L'Union européenne est soutenue par certains pays en développement (Inde, Jamaïque, Kenya, Sri Lanka en particulier) qui souhaitent protéger leurs propres indications géographiques (bières, thé, riz, artisanat,...).

Si la liste restreinte proposée par l'Union européenne était adoptée à l'OMC, les indications géographiques concernées ne pourraient plus être considérées comme génériques et aucune marque reprenant les dénominations considérées ne pourrait plus être commercialisée. L'objectif est de restituer aux pays concernés l'exclusivité de ces dénominations. La valeur ajoutée qui en résulterait serait un véritable atout dans le commerce international, en donnant aux consommateurs le choix de la qualité.

b) Un très mauvais exemple : l'interdiction du foie gras

Même si une plus grande protection des indications géographiques est obtenue à l'OMC, il faut demeurer très vigilant sur tous les marchés, car des pratiques contraires aux règles du commerce international peuvent vite se développer. La manière dont est aujourd'hui traité aux États-Unis le foie gras, produit très représentatif de la « France agroalimentaire », mérite attention.

Le conseil municipal de Chicago a ainsi voté, le 26 avril 2006, l'interdiction de servir du foie gras dans les restaurants. Cette mesure est entrée en vigueur à la fin du mois de juin 2006. Le promoteur de ce texte, M. Joe Moore, a annoncé que cette interdiction envoyait « un message fort de soutien des valeurs d'une société civilisée ». Le Maire de la ville, M. Richard Daley, a cependant refusé d'apporter son appui au texte, considérant qu'il ne s'agissait pas d'une priorité pour la ville de Chicago.

Après la décision d'interdiction de la commercialisation et de la production de foie gras en Californie en 2012, il s'agit d'une nouvelle menace pour l'avenir des exportations françaises de ce produit. L'effet boule de neige est à redouter : des lois sont en discussion dans les États de New York, de l'Oregon, du Massachussetts, de Washington et de Hawaï. À terme, on peut craindre que le marché américain ne se ferme totalement, avec la multiplication de telles mesures d'interdiction au niveau local. Les autorités locales sont en effet plus sensibles aux pressions des mouvements d'opinions et des activistes (dotés de moyens financiers importants provenant notamment d'Hollywood) qu'elles ne maîtrisent les règles du commerce international.

Les rétorsions commerciales américaines surtaxant l'importation de foies gras français de 100 % suite à l'affaire du bœuf aux hormones jugée à l'OMC, puis l'hécatombe liée aux missions d'inspection des établissements de transformation français par le ministère fédéral de l'agriculture américain, ont déjà coûté très cher aux producteurs français. En 2006, ils ne sont maintenant plus que deux sur le marché américain, l'un d'entre eux se concentrant de plus en plus sur sa production canadienne à travers sa filiale californienne. Nos ventes de l'année 2004 ont été de 36 tonnes, dont 12 tonnes en frais, pour un chiffre d'affaires de 700.000 euros, alors qu'elles étaient en 2000 de 91 tonnes pour un chiffre d'affaires de 3,3 millions d'euros.

Les producteurs locaux cherchent actuellement à se fédérer en association, au Canada et aux États-Unis, afin de créer un lobby plus structuré, pour éventuellement intenter des actions en justice au motif qu'un produit agréé par le ministère fédéral de l'agriculture doit pouvoir être vendu librement dans tous les États-Unis. L'Union européenne pourrait intenter une action à l'OMC, car de telles pratiques, même non soutenues par l'Administration fédérale, remettent en cause le commerce équitable. Ce nouveau contentieux potentiel prouve que les négociations actuelles à l'OMC ne règleront pas, loin de là, tous les problèmes.

EXAMEN EN COMMISSION

Votre commission des Finances a procédé à l'examen du présent rapport d'information au cours de sa première séance du mercredi 5 juillet 2006.

Votre Rapporteur spécial a rappelé que si les négociations commerciales internationales sont aujourd'hui bloquées à l'OMC - les deux dernières réunions, à Genève, ayant échoué - cela est dû, au-delà des difficultés d'une négociation impliquant 149 pays membres, aux positions assez figées des principaux blocs commerciaux. Les États-Unis ne paraissent pas prêts à bouger plus qu'ils ne l'ont, trop modestement, fait jusqu'à maintenant. Au Congrès, comme chez les lobbyistes agricoles les plus au fait de la négociation, on observe une grande convergence de vues. Il ne faut pas croire que la proposition agricole actuelle de l'administration américaine qui date d'octobre 2005, pourrait être améliorée sur les soutiens domestiques, car cela ne peut aboutir en interne avant les mid term élections au Congrès à l'automne, voire avant l'élection présidentielle. Ce qui était sur la table des négociations était déjà loin de pouvoir être adopté sans difficulté au Congrès. Pour débloquer la négociation, les États-Unis estiment que l'Union européenne doit évoluer sur l'accès au marché, car elle disposerait encore de marges de manœuvre en agriculture, et que la France est le principal obstacle en Europe.

Or la France n'est pas seule contre le commissaire européen, M. Peter Mandelson, qui fait peu de cas de la politique agricole commune, déjà réformée à Luxembourg en 2003. Au moins une dizaine d'autres pays agricoles au sein de l'Union soutiennent la position française. Surtout, les Américains doivent comprendre qu'une nouvelle négociation de la PAC aujourd'hui serait in fine assez dangereuse car, depuis 2003, de nouveaux pays sont entrés dans l'Union et ont des exigences, légitimes, assez fortes en matière de soutiens agricoles internes.

À défaut de l'admettre publiquement, les Américains sont à même de comprendre cette situation, car ils doivent aussi réformer leur propre politique agricole, comme l'a déjà fait l'Europe en 2003, sans doute un peu trop tôt par rapport aux échéances des négociations internationales. L'administration voudrait faire évoluer les soutiens agricoles américains dans un sens moins « distorsif » des échanges, dès le prochain farm bill qui serait débattu en 2007. Pour autant, les lobbies agricoles et agroalimentaires, très puissants au Congrès, pensent que si le prochain farm bill donnera, sur le papier au moins, davantage de gages aux mesures agro-environnementales afin de répondre aux pressions réformatrices du monde non-agricole - comme en Europe avec la conditionnalité des aides -, la structure réelle des soutiens de marché ne sera probablement pas fondamentalement bouleversée, qu'il s'agisse des aides contra-cycliques, de l'aide alimentaire ou des paiements directs.

On peut penser que le Congrès, tant côté républicain que démocrate, a intérêt à prolonger le farm bill actuel, au motif qu'il ne faut pas « désarmer » les soutiens agricoles internes avant d'avoir bouclé la négociation à l'OMC. Le sentiment dominant est que la politique agricole américaine n'évoluera pas sans un accord contraignant à l'OMC mais que, comparativement, les aides européennes devront alors être plus sévèrement réduites.

Alors que les discussions internationales semblent caler sur des aspects purement quantitatifs, comme le montant des droits de douane ou des subventions internes, les problèmes les plus concrets qui se posent en termes d'accès aux marchés sont en fait d'ordre qualitatif, des deux côtés de l'Atlantique.

En effet, compte tenu de l'évolution du marché américain vers des produits alimentaires plus sophistiqués, la montée en gamme des productions peut être perçue comme une opportunité commerciale : les importations agroalimentaires américaines ont encore progressé de plus de 10 % en 2005 et sont la référence dans de nombreux secteurs comme celui des vins.

Les exportateurs français comprennent tout l'intérêt de ce grand marché lucratif, dynamique, solvable et loin d'être arrivé à maturité. Pourtant, la progression des exportations françaises est moins forte que celle du marché, induisant de facto une baisse des parts de marché, notamment par rapport à nos autres concurrents européens (Italie, Allemagne et Espagne notamment). Les handicaps sont connus : fort déséquilibre de nos ventes très majoritairement orientées sur les vins et spiritueux et faible visibilité des autres produits agroalimentaires, faiblesse de la communication générique « France », parité euro/dollar désavantageuse,... Des pans entiers du marché américain nous sont fermés pour des questions d'ordre réglementaire : les secteurs totalement ouverts aux produits importés français ne couvrent que 57 % du marché agroalimentaire américain ; 16 % du marché sont ouverts, mais avec des contraintes fortes, comme pour les produits laitiers, et 27 % sont inaccessibles dont la viande et les autres produits carnés. Les verrous à l'importation sont un des facteurs les plus démotivants pour les exportateurs français.

À Washington, il est frappant de constater que la question des entraves européennes au commerce bilatéral des produits agroalimentaires américains est tout autant un thème récurrent des entretiens. La lourdeur des procédures et la pesanteur des échanges entre techniciens, notamment vétérinaires, fait que le temps s'écoule sans jamais voir aboutir les dossiers. Aux différends agricoles bilatéraux traditionnels, qui ne sont pas résolus, s'ajoutent maintenant de nouveaux éléments comme les règles d'étiquetage des produits. Côté américain, on estime que les cinq premiers produits d'exportation de l'agriculture américaine dans le monde seraient privés de marché en Europe pour des raisons sanitaires ou phytosanitaires. Le sentiment bien ancré est que les Européens jouent de protectionnisme déguisé. La protection des indications géographiques est ainsi perçue comme une nouvelle entrave européenne.

Le discours américain développe l'idée que les États-Unis sont le marché le plus ouvert du monde, ce qui est largement faux. Il ignore les difficultés, pourtant réelles et croissantes, que connaissent les exportateurs européens de produits agricoles et alimentaires. Malgré les réformes de la PAC et le fait que l'Union européenne soit le premier importateur mondial de produits agricoles et alimentaires, cette image négative d'une forteresse européenne, où règnent les soutiens aux producteurs agricoles et le protectionnisme commercial, a la peau dure. Et l'inverse est également vrai, tant les Européens ont des États-Unis l'image d'une puissance agricole qui n'a rien à leur envier en matière de soutiens, ni de barrières commerciales. Le manque de progrès tangibles dans la résolution technique des questions sanitaires et phytosanitaires n'est sans doute pas étranger à cette situation, dans la mesure où il donne, de part et d'autre, des exemples précis de ce que les entreprises apparentent à de la mauvaise volonté.

Il semble donc qu'il faut aujourd'hui sortir par le haut de l'ornière, tant à l'OMC que dans les relations agricoles bilatérales entre la France et les États-Unis. L'Uruguay round, du temps du GATT, a bien duré huit ans ; le cycle de Doha, qui n'en est qu'à sa cinquième année, ne doit donc pas être conclu à la va vite, avant les échéances électorales américaines, en s'éloignant de ses perspectives initiales, à savoir favoriser les pays en développement. La France et les États-Unis devront parallèlement régler les problèmes réels, c'est-à-dire les barrières non quantitatives, directement en bilatéral avec les Américains, dans une logique toute classique d'intérêts partagés. Cela débloquera sûrement plus facilement les négociations à l'OMC.

Le Président Pierre Méhaignerie a souligné le désavantage compétitif de l'Europe compte tenu des prix comparés des matières premières entre l'Union européenne et les États-Unis. En particulier, la filière bovine européenne doit être protégée face aux risques pesant sur des régions entières de notre pays, à commencer par l'Auvergne et le Limousin. Le rapport mériterait que des données chiffrées sur les exportations et les prix de la viande y figurent. Les secteurs du porc et de la volaille sont tout aussi sensibles. Les conditions actuelles de compétitivité sont tellement mauvaises qu'il est difficile d'admettre que les frontières soient totalement ouvertes : une suppression des droits de douane aboutirait à une mort de ces filières. Aujourd'hui, déjà, les cantines de nos écoles utilisent des produits transformés qui sont souvent importés.

M. Gérard Bapt a évoqué la situation des marchés africains où l'on vend des poulets congelés par crainte de la grippe aviaire, à des prix inférieurs à ceux de la production locale. Une telle situation accroît l'exode rural dans des pays où il faudrait au contraire soutenir le secteur agricole.

M. Louis Giscard d'Estaing a souhaité savoir si l'outil que constitue Food & Wines from France fonctionne bien et si les missions économiques s'occupent suffisamment des problèmes agricoles, en faveur des exportateurs français aux États-Unis. La comparaison avec des pays comme l'Allemagne et l'Italie est parfois peu flatteuse pour la France, notamment quand on constate que les exportations de vins allemands sont comparables, en volume, à celles des vins français. Or l'outil commercial de valorisation des produits allemands a été confié au secteur privé.

Votre Rapporteur spécial a estimé que la France saisit moins bien que les autres pays de l'Union européenne l'enjeu des importations de produits à forte valeur ajoutée (vins, fromages, charcuterie, etc.), pour lesquels peu de barrières existent alors que la consommation s'accroît fortement aux États-Unis. Or, la France est moins présente que les autres pays européens sur le marché américain. Les faiblesses de l'organisation française aux États-Unis sont liées tant au contexte de moindre rayonnement de notre pays à l'étranger qu'à la difficulté de régler certains contentieux bilatéraux, notamment dans le domaine vétérinaire. Les jambons italiens et espagnols sont bien mieux représentés sur le territoire américain que les salaisons françaises, essentiellement pour cause d'obstacles de nature réglementaire et sanitaire peu pertinents sur le fond.

Il y a encore un trop grand éclatement des personnels des missions économiques sur le territoire américain et une certaine dispersion des moyens humains, parfois même entre New-York et Washington. Cela nuit à l'efficacité de la promotion des produits français, mais une réorganisation des services concernés, qui disposent de personnels motivés et compétents, est en cours.

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La Commission a autorisé, en application de l'article 146 du Règlement, la publication du présent rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES (6)

- S.E. M. Duclos (Représentant permanent adjoint de la France auprès des Nations Unies à New York) ;

- M. Melkert (Administrateur associé du Programme des Nations Unies pour le développement - PNUD) ;

- MM. Ochsenbein et Duchêne (mission économique à New York) ;

- S.E. M. Levitte (Ambassadeur de France aux États-Unis) ;

- M. Berger (Conseiller agricole à l'ambassade de France aux États-Unis) ;

- M. Holmberg (Président du biomass coordinating council) ;

- M. Shea (Coordinateur de projet à l'energy future coalition) ;

- M. Weber (Conseiller économique du national biodiesel board) ;

- M. Schafer (Vice-Président de la renewable fuels association) ;

- Mme Thatcher et M. Salmonsen (lobbyists de l'american farm bureau federation) ;

- M. Conner (Vice-Ministre fédéral de l'agriculture) ;

- M. Murphy (Directeur au ministère fédéral du commerce extérieur) ;

- M. Dooley (Président de la food products association, ancien membre de la Chambre des Représentants) ;

- M. Buis (Vice-Président de la national farmers union) ;

- M. Ichter (Président d'Euroconsultants) ;

- M. Trarieux (délégation de l'Union européenne à Washington) ;

- M. Boittin (Ministre-Conseiller pour les affaires économiques) ;

- M. Block (Consultant, ancien ministre fédéral de l'agriculture) ;

- M. Stenholm (Consultant, ancien membre de la Chambre des Représentants) ;

- M. Grueff (Consultant, ancien négociateur agricole du ministère fédéral de l'agriculture) ;

- M. Goodlatte (Président du Comité de l'agriculture de la Chambre des Représentants) ;

- M. Peterson (Leader de la minorité démocrate au Comité de l'agriculture de la Chambre des Représentants).

1 () Il s'agit de la teneur de l'offre conditionnelle communautaire du 28 octobre 2005.

2 () Cette autorisation pour la promotion commerciale, aussi appelée fast track (voie rapide), permet au président américain de négocier sans consulter formellement le Congrès, qui doit seulement approuver (ou rejeter) en bloc l'accord signé sans pouvoir l'amender. Sans cette procédure, aucune négociation commerciale internationale n'est possible.

3 () 14 millions d'agriculteurs dans l'Union européenne à 27 (y compris la Bulgarie et la Roumanie).

4 () De ce fait, le coût de production moyen de l'éthanol au Brésil est de 15 centimes d'euros par litre, contre 25 c/l aux États-Unis et 42 c/l dans l'Union européenne (voir rapport d'information n° 2098 (XIIe législature) sur les négociations agricoles entre le Brésil et l'Union européenne).

5 () Dans le cadre de leur offre agricole du 10 octobre 2005 à l'OMC, les États-Unis se sont engagés à limiter à 180 jours la durée de remboursement de ces crédits à l'exportation.

6 () dans l'ordre des rendez-vous.

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N° 3248 - Rapport d'information déposé en application de l'article 146 du Règlement par la commission des finances sur les relations agricoles franco-américaines (M. Alain Marleix)