N° 3257 - Rapport d'information déposé en application de l'article 145 du Règlement par la commission des affaires culturelles sur les minima sociaux à Mayotte (M. Mansour Kamardine)




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N° 3257

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 juillet 2006.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,

FAMILIALES ET SOCIALES

sur

les minima sociaux à Mayotte

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Mansour KAMARDINE,

Député.

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INTRODUCTION 5

I. LA « DÉPARTEMENTALISATION », UN ACQUIS IRRÉVERSIBLE 7

A. UN DÉPLOIEMENT ENCORE INCOMPLET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE 8

B. LA POLITIQUE DE L'EMPLOI : DES INSTITUTIONS ENCORE EMBRYONNAIRES 9

C. LA QUASI-ABSENCE DES MINIMA SOCIAUX 12

II. LA PROBLÉMATIQUE DES MINIMA SOCIAUX 15

A. LE SYSTÈME FRANÇAIS DE MINIMA SOCIAUX 15

1. Un système stratifié où le RMI occupe le statut particulier de « filet de sécurité » 15

2. Un point unanimement soulevé : l'ambiguïté des liens entre les minima sociaux, l'emploi et le développement économique et social 16

B. DES ENJEUX SPÉCIFIQUES À MAYOTTE 17

1. L'évolution économique et sociale très rapide de Mayotte 17

2. La prégnance du problème de l'immigration clandestine 18

C. QUELQUES PRINCIPES À RESPECTER DANS LE DÉPLOIEMENT DES MINIMA SOCIAUX 19

1. La simplicité 20

2. Le choix de prestations monétaires plutôt que de prestations en nature et de droits universels 21

3. Le choix de prestations qui, par construction, encouragent le travail et l'insertion dans l'économie 21

III. LES PROPOSITIONS DE LA MISSION 23

A. DES MESURES QUI PEUVENT ÊTRE MISES EN œUVRE TRÈS RAPIDEMENT 24

1. L'urgence immédiate : tenir les engagements et mettre fin à des règles dérogatoires mesquines 24

a) La prestation d'aide à la restauration scolaire : respecter les engagements 24

b) L'allocation de rentrée scolaire : s'aligner sans délai sur la règle nationale 25

2. Une opération facile à engager : relever et lier au salaire minimum les prestations existantes 26

B. DES AMÉLIORATIONS SPÉCIFIQUES À ÉTUDIER 28

1. Une catégorie de personnes qui doivent être soulagées : les mères isolées 28

2. L'allocation logement : un dispositif au fonctionnement manifestement insatisfaisant 30

C. DES MESURES ORIGINALES À IMAGINER POUR FAVORISER L'EMPLOI 30

1. Un dispositif adapté pour développer l'emploi salarié dans le secteur marchand 31

2. La nécessaire transposition des exonérations de charges applicables dans les départements d'outre-mer 32

3. Des formules innovantes pour favoriser la création ou le maintien d'entreprises 33

D. LES MESURES D'INVESTISSEMENT ET D'ACCOMPAGNEMENT 35

1. Les grands chantiers d'infrastructure 35

2. La formation 37

3. L'action sanitaire et sociale 37

E. LA NÉCESSITÉ DE NE PAS OMETTRE LE VOLET INSTITUTIONNEL 38

1. L'évolution statutaire : une dimension européenne à intégrer 38

2. La poursuite du déploiement d'institutions de droit commun 41

a) Les organismes gestionnaires des politiques de l'emploi 41

b) Une caisse d'allocations familiales de plein exercice 43

3. La nécessaire clarification des règles de droit et du positionnement des institutions 43

TRAVAUX DE LA COMMISSION 45

ANNEXE 1 : PROPOSITIONS DE LA MISSION 47

ANNEXE 2 : TRAVAUX DE LA MISSION 51

COMPTE RENDUS DES AUDITIONS 51

DÉPLACEMENT DE LA MISSION 99

CONTRIBUTIONS ÉCRITES 101

INTRODUCTION

Petit archipel de 374 km² densément peuplé et en forte croissance démographique (160 000 habitants en 2002, 240 000 attendus en 2015...), Mayotte a affirmé solennellement son choix d'appartenance à la France il y a trente ans, en 1974 puis en 1976. Pourtant, ce n'est qu'en 2000 qu'elle a pu sortir de l'incertitude sur son statut et son avenir et s'engager dans la voie de la « départementalisation », qui devrait en faire un département d'outre-mer (DOM) de droit commun.

Cette évolution doit s'accompagner, naturellement, du déploiement de tout l'appareil administratif, juridique et social français, auparavant largement absent à Mayotte. Depuis 2002, effectivement, les institutions de la sécurité sociale ont été développées et rapprochées du système de droit commun ; diverses prestations ont été introduites. En 2005, s'est engagé le déploiement des institutions gestionnaires des politiques de l'emploi.

D'un point de vue économique, Mayotte conjugue de grandes potentialités, notamment dans le domaine touristique, et des handicaps lourds en matière d'infrastructures et de niveau de qualification de le population. L'archipel se trouve donc dans une situation intermédiaire bien exprimée devant la mission d'information par M. Philippe Leyssene, directeur des affaires économiques, sociales et culturelles au ministère de l'outre-mer, qui a indiqué que les évaluations effectuées pour évaluer le PIB mahorais par habitant le font apparaître déjà neuf fois plus élevé qu'aux Comores, mais encore trois fois moins qu'à La Réunion (1)...

Dans ce contexte, la question de l'introduction des « minima sociaux », et singulièrement du plus emblématique, le revenu minimum d'insertion ou RMI, se pose inévitablement. Jusqu'à présent, cette introduction a été écartée, principalement pour une raison quelque peu contradictoire, la grande pauvreté d'une majorité de Mahorais : cette situation ne paraît que justifier plus encore un système assurant à tous un minimum vital, mais elle signifie aussi qu'un tel système bénéficierait immédiatement à la grande majorité de la population, qui pourrait en devenir dépendante et être découragée de rechercher un emploi et de contribuer au développement économique.

Une autre question est particulièrement sensible à Mayotte et doit être prise en considération, celle de l'immigration comorienne, attirée par des différences de système social et de niveau de vie qui ne cessent de se creuser. Le recensement de 2002 a permis de dénombrer 55 000 étrangers, soit le tiers de la population, et il est assez naturel de penser que beaucoup de clandestins n'ont pas été pris en compte... Selon un document de 2004 de la préfecture, il y aurait eu alors environ 45 000 étrangers en situation irrégulière.

C'est dans ce contexte que la réflexion sur l'introduction des minima sociaux apparaît urgente. Cette introduction est de toute façon inévitable dans l'optique de la départementalisation, qui ne permettra la conservation, par rapport au droit commun métropolitain, que de règles dérogatoires de portée limitée. Le temps est également compté, pour les mêmes raisons. Et cependant les enjeux et les risques sont importants.

La mission d'information s'est efforcée de dégager quelques pistes plus ou moins urgentes, plus ou moins faciles à mettre en œuvre, plus ou moins originales pour l'évolution du système social en place à Mayotte, en se fixant pour but de réaliser les objectifs que peut poursuivre un dispositif de minima sociaux en essayant d'en éviter les dérives et les complexités.

Partant de l'idée que construire sur un terrain vierge tel que Mayotte peut être plus facile que de réformer un vieux système aux multiples strates, et peut même donner des leçons pour cette réforme, la mission a également placé sa réflexion dans la perspective de celle en cours sur la réforme de l'ensemble du système français de minima sociaux. Mayotte pourrait constituer à cet égard un terrain d'expérimentation pour des minima sociaux rénovés et simplifiés, en quelque sorte un laboratoire d'idées pour la Nation.

I. LA « DÉPARTEMENTALISATION », UN ACQUIS IRRÉVERSIBLE

Les années 2000 à 2003 ont permis à Mayotte de sortir d'une situation d'incertitude juridique qui durait depuis près de trente ans. L'accord du 27 janvier 2000 et la loi statutaire n° 2001-616 du 11 juillet 2001, suivis par l'inscription de Mayotte dans le texte de la Constitution par la loi n° 2003-276 du 28 mars 2003, donnent aux Mahorais les garanties qu'il souhaitaient, notamment que leur appartenance à la République ne saurait être remise en cause sans leur consentement et qu'ils pourront, en 2010, obtenir une révision de leur statut (l'article 2 de la loi de 2001 permet au conseil général qui aura été renouvelé en 2010 d'adopter une résolution demandant une modification statutaire, dont un projet de loi devra découler). La marche vers la « départementalisation », c'est-à-dire l'acquisition d'un statut de département d'outre-mer (DOM) de droit commun, est irreversible dès lors que les Mahorais continueront à vouloir cette évolution et l'échéance est fixée.

Cette évolution comprend nécessairement, parmi d'autres éléments, la mise en place d'un système social répondant complètement aux standards en vigueur ailleurs en France.

Les seules marges de manœuvre qui existent portent sur les modalités de cette mise en place et sur son calendrier ; ces marges sont elles-mêmes limitées par l'échéance de 2010 et la nécessité, dès lors que Mayotte constituerait ensuite un DOM, de s'en tenir en matière de dérogations au droit commun, conformément à l'article 73 de la Constitution, à des « adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières » de l'archipel. Comme l'ont indiqué devant la mission les deux membres du gouvernement qu'elle a entendus, Mme Catherine Vautrin et M. François Baroin, « la question n'est pas tant la poursuite de cette progression vers le droit commun que son calendrier et ses modalités... de savoir s'il faut agir, mais selon quelle méthode ».

Avant d'évoquer les questions de sécurité sociale et de minima sociaux qui sont l'objet du présent rapport, il convient de rappeler que des évolutions fondamentales ont été actées en matière de droit civil, tant la question du statut personnel civil est déterminante pour l'évolution de la société et au regard des valeurs républicaines. La loi statutaire de 2001 modifiée par la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer a fait évoluer le statut civil de droit local en disposant, de manière générale, que ce statut « ne peut, en aucun cas, contrarier ou limiter les droits et libertés attachés à la qualité de citoyen français » et en tirant plusieurs conséquences fondamentales de cette prise de position : prohibition de la polygamie pour les jeunes générations ; introduction du divorce républicain ; égalité successorale pour les enfants nés à partir de 2003 ; affirmation du droit des femmes de gagner leur vie, disposer de leur revenu et de leurs biens.

Pour en venir à la protection sociale, les bases d'un régime adapté au contexte de l'archipel ont été posées par voie d'ordonnances en 2001 et 2002. Toutefois, si beaucoup a été fait, plus encore a été promis et beaucoup reste à faire...

A. UN DÉPLOIEMENT ENCORE INCOMPLET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

De nombreuses avancées ont été réalisées depuis 2001 en matière de sécurité sociale. On signalera en particulier celles en matière de prestations familiales, ces prestations étant celles qui présentent le plus de connexités avec les minima sociaux classiquement entendus (certains minima sociaux sont eux-mêmes également des prestations familiales ou sont gérés pour tout ou partie par les caisses d'allocations familiales).

En matière de prise en charge de la maladie, le dispositif mis en place en 1996 a été amélioré, avec notamment la couverture des soins dans le secteur libéral et, hors de Mayotte, des évacuations sanitaires, ainsi que la création d'indemnités journalières de maladie et de maternité. En revanche, il a été mis fin à la gratuité des soins le 1er avril 2005, parallèlement à la mise en place d'un dispositif de consignation pour les immigrés clandestins, hors urgence.

Pour ce qui est de la vieillesse et du handicap, un régime d'assurance vieillesse de base obligatoire et deux allocations destinées aux personnes âgées et aux personnes handicapées ont été instaurées.

S'agissant des prestations familiales, ont été instaurées - au moins dans leur principe - des allocations familiales, une allocation de rentrée scolaire, une aide à la restauration scolaire, une allocation logement familiale. Cependant, plusieurs prestations de droit commun restent absentes à Mayotte :

- l'allocation de parent isolé (API), qui est considérée comme faisant partie des minima sociaux mais est juridiquement une prestation familiale ;

- la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE) ;

- le complément familial ;

- l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (ou allocation d'éducation spéciale-AES) ;

- l'allocation de soutien familial ;

- l'allocation de présence parentale.

Moins nombreuses, les prestations familiales instaurées à Mayotte obéissant également à des règles dérogatoires le plus souvent moins favorables qu'en métropole ou dans les DOM :

- D'une part, leur montant est nettement plus faible, comme on le voit pour les allocations familiales, à titre d'exemple, dans le tableau suivant.

Montant des allocations familiales en 2005

En euros

1 enfant

2 enfants

3 enfants

4 enfants

Métropole

-

115,07

262,49

409,91

DOM

21,15

115,07

262,49

409,91

Mayotte

40,29

64,50

77,37

77,37

- D'autre part, certaines règles d'attribution sont différentes. S'il a été possible, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, d'obtenir la suppression du plafonnement à trois par famille du nombre d'enfants pris en compte pour le calcul des différentes prestations, d'autres dispositions spécifiques demeurent : ainsi l'allocation de rentrée scolaire reste-t-elle versée après la rentrée à Mayotte et, lorsque les enfants sont inscrits dans l'enseignement secondaire, partiellement allouée aux établissements scolaires (pour être en principe directement affectée à l'achat de fournitures) et non aux familles.

D'autres dispositifs théoriquement établis, comme la prestation d'aide à la restauration scolaire, ont quelque difficulté à se mettre effectivement en place, mais on y reviendra.

Enfin, la diffusion effective de ces prestations apparaît parfois limitée. S'agissant des allocations familiales, les fichiers font ressortir environ 11 500 familles bénéficiaires, représentant environ 31 000 enfants, ce qui peut apparaître peu dans une île dont la population est sans doute maintenant de l'ordre de 180 000 personnes et est très jeune (56 % de moins de vingt ans). Si l'importance de l'immigration illégale, qui ne donne pas droit aux allocations, peut contribuer à expliquer cette situation, d'autres situations sont plus caricaturales : par exemple, on dénombrerait seulement 69 bénéficiaires de l'allocation logement pour environ 36 000 foyers recensés... Comme l'a observé avec Mme Nicole Prud'homme, présidente de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), à ce point là, « quand une prestation ne trouve pas son public, c'est qu'il y a un problème... ».

B. LA POLITIQUE DE L'EMPLOI : DES INSTITUTIONS ENCORE EMBRYONNAIRES

Pendant longtemps, les tâches habituellement assurées par l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) ont été assurées à Mayotte par les services de l'Etat à travers la direction du travail de l'emploi et de la formation professionnelle-DTEFP. Cette direction conduisait également les politiques classiques de l'Etat, notamment d'emplois aidés, dont l'encadré ci-après rend compte.

L'ANPE n'est effectivement présente à Mayotte que depuis décembre 2005 et sa représentation n'a encore que des moyens très réduits (6 agents) ainsi qu'une autonomie restreinte : il s'agit d'un simple agence dépendant de La Réunion et non d'une délégation régionale de droit commun.

Quant à l'assurance chômage, elle est en cours d'établissement : plusieurs accords entre partenaires sociaux conclus à partir du 3 juin 2004 ont mis en place la caisse d'assurance chômage de Mayotte (CACM), qui perçoit des cotisations depuis le 1er janvier 2006 et commencera d'indemniser les chômeurs au 1er août 2006 (ce décalage étant la conséquence de l'obligation d'avoir cotisé sept mois pour être éligible à l'indemnisation).

Ce dispositif se construit en dehors du réseau Unédic-Assédic et est pour l'heure beaucoup plus restrictif en terme d'indemnisation, en contrepartie de quoi les cotisations qui le financent restent minimes :

- A Mayotte, l'indemnisation sera, selon les accords passés, réservée aux personnes qui auront subi un licenciement économique et pourront attester de 1 110 heures au moins de travail durant les douze derniers mois. La durée d'indemnisation sera de 7 mois au plus pour les personnes de moins de cinquante ans (20 mois au-delà de cet âge et 30 à partir de cinquante-sept ans). Le montant des indemnités représentera 75 % du salaire antérieur pendant trois mois, puis 50 %, le salaire pris en compte étant plafonné à 1 000 euros par mois.

- En comparaison, le droit commun français est nettement plus avantageux pour les demandeurs d'emploi : l'indemnisation bénéficie aux salariés involontairement privés d'emploi à la suite non seulement d'un licenciement économique mais aussi d'un licenciement pour cause personnelle, voire d'une démission considérée comme légitime, ainsi qu'à la fin d'un contrat temporaire. La durée d'indemnisation appliquée aux plus grand nombre des chômeurs compte tenu de leur durée d'affiliation est par ailleurs plus longue : 23 mois. Enfin, les indemnités versées peuvent être beaucoup plus généreuses, puisque le salaire de référence mensuel pris en compte est plafonné à un peu plus de 10 000 euros...

- Les cotisations perçues à Mayotte s'élèvent à 0,6 % de la masse salariale pour la part patronale et 0,5 % pour la part ouvrière, contre respectivement 4,04 % et 2,44 % en métropole.

Les programmes d'insertion à Mayotte

Pour les emplois non-marchands

_ Le contrat emploi-solidarité (CES)

Ce dispositif, d'une durée de 3 mois à 24 mois, est réservé aux chômeurs âgés de 50 ans et plus, aux travailleurs handicapés et aux jeunes de 18 à moins de 26 ans, faiblement qualifiés et rencontrant des difficultés particulières d'accès à l'emploi et de réinsertion. Il s'agit d'offrir au public en difficulté d'insertion un emploi à mi-temps, rémunéré au SMIG horaire, pour satisfaire, dans le secteur associatif ou auprès de la collectivité, des besoins d'utilité collective. Les employeurs sont exonérés à 100 % des charges patronales légales et conventionnelles et une aide à la formation est également versée.

_ Le contrat emploi consolidé (CEC)

Les contrats emploi consolidé, réservés au même public que les contrats emploi-solidarité, peuvent prendre la forme de contrats à durée déterminée (de 12 mois renouvelables dans la limite de 60 mois) ou indéterminée. Ils bénéficient d'une prise en charge partielle et dégressive du salaire par l'Etat.

_ Le chantier de développement local (CDL)

Ce dispositif, d'une durée de 3 mois maximum et cofinancé par l'Etat et la collectivité départementale (CDM), est réservé aux chômeurs de longue durée (âgés de plus de 26 ans et de moins de 60 ans). Il s'agit d'offrir aux chômeurs en difficulté d'insertion un emploi rémunéré au SMIG local. Ces derniers sont engagés pour 6 semaines pour des travaux relevant de l'entretien, de l'assainissement et de l'environnement dans les communes ou les services publics.

Pour les emplois marchands

_ Le contrat d'apprentissage (CAP)

Il a pour but de permettre à une jeune de 16 à moins de 26 ans d'acquérir une qualification professionnelle sanctionnée par un diplôme technologique ou professionnel ou un titre homologué. Le salarié est rémunéré par l'entreprise. Les cotisations patronales de sécurité sociale sont prises en charge par la CDM.

_ Le contrat d'insertion adaptation (CIA)

Nouvelle appellation du contrat emploi jeune, il s'adresse aux jeunes de 16 à 25 ans ayant un niveau de formation égal au plus au CAP-BEP. Il a pour but de favoriser l'insertion en entreprise des jeunes peu ou non qualifiés rencontrant des difficultés d'accès à l'emploi. L'employeur est exonéré des cotisations sociales patronales pendant un an et bénéficie d'une prime à l'embauche.

_ Le contrat de retour à l'emploi (CRE)

Le contrat retour à l'emploi s'adresse aux chômeurs de longue durée. L'employeur bénéficie d'une exonération des cotisations sociales patronales pendant un an (ou deux ans pour les demandeurs d'emploi de plus de trois ans) et d'une prime à l'embauche.

Source : rapport de l'IEDOM, « Mayotte en 2004 ».

C. LA QUASI-ABSENCE DES MINIMA SOCIAUX

Les minima sociaux ne constituent pas une catégorie juridique identifiée ; on regroupe généralement sous ce vocable un ensemble de prestations financières de nature non contributive (elles ne sont pas liées à l'existence de cotisations antérieures) visant à assurer un revenu minimum à certaines catégories de personnes et donc versées sous condition de ressources (2). On recense habituellement, dans le droit commun français, neuf minima sociaux créés à des époques différentes pour répondre à des problématiques diverses :

- l'allocation supplémentaire vieillesse, qui est versée aux personnes âgées de plus de soixante-cinq ans disposant de droits très faibles ou nuls à la retraite à concurrence d'un montant de ressources représentant le « minimum vieillesse », institué en 1956 ;

- l'allocation supplémentaire d'invalidité, pour les titulaires d'une pension d'invalidité de très faible montant, remontant à 1957 ;

- l'allocation veuvage ;

- l'allocation aux adultes handicapés (AAH), créée en 1975 ;

- l'allocation de parent isolé (API), qui bénéficie aux personnes isolées assumant seules la charge d'un ou plusieurs jeunes enfants depuis 1976 ;

- l'allocation de solidarité spécifique (ASS), versée depuis 1984 aux chômeurs ayant épuisé leurs droits à l'assurance chômage et justifiant d'au moins cinq années d'activité salariée au cours des dix dernières années ;

- le revenu minimum d'insertion (RMI), institué en 1988 pour garantir des ressources minimales à toute personne de 25 ans et plus qui réside légalement et durablement en France ;

- l'allocation équivalent retraite (AER), sorte d'allocation d'attente créée en 2002 au bénéficie des chômeurs de moins de 60 ans totalisant déjà 160 trimestres de cotisation à l'assurance vieillesse ;

- l'allocation temporaire d'attente (qui a remplacé, en application de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006, l'allocation d'insertion), destinée à des catégories spécifiques de personnes en attente d'insertion : les demandeurs d'asile et réfugiés principalement, mais aussi les détenus libérés ou les personnes rapatriées.

A Mayotte, seules trois de ces neuf prestations sont actuellement prises en charge par la solidarité nationale et existent sous des formes et avec des montants dérogatoires :

- l'allocation veuvage ;

- l'allocation aux adultes handicapés (AAH) ;

- un équivalent du minimum vieillesse, l'allocation spéciale pour personnes âgées (ASPA).

Ces allocations bénéficiaient, au 31 décembre 2005, à 38 personnes pour l'allocation veuvage, 356 pour l'AAH et 3 538 pour l'ASPA.

Les montants de l'AAH et de l'ASPA mahoraises n'atteignent respectivement que 150 et 152,55 euros par mois, contre 610,28 euros pour les prestations équivalentes dans le droit commun national.

Ces prestations sont complétées par des allocations instituées par la collectivité départementale de Mayotte (CDM) :

- l'allocation pour enfant handicapé (64 euros par mois pour 266 bénéficiaires) ;

- l'allocation simple vieillesse (ASV), qui permet à 1 000 personnes âgées de 55 à 60 ans d'attendre l'ASPA (le montant des deux allocations étant le même) ;

- des allocations pour aide constante d'une tierce personne qui viennent s'ajouter aux allocations citées ci-dessus pour les personnes âgées ou handicapées (montant unitaire : 64 à 96 euros par mois).

II. LA PROBLÉMATIQUE DES MINIMA SOCIAUX

Avant d'évoquer les différentes pistes possibles pour déployer à Mayotte un système de minima sociaux pertinent, il convient, d'une part, de rappeler sommairement ce que sont les principales leçons, selon les personnes entendues par la mission, de l'expérience des minima sociaux « à la française » et, d'autre part, d'évoquer quelques spécificités mahoraises déterminantes.

A. LE SYSTÈME FRANÇAIS DE MINIMA SOCIAUX

1. Un système stratifié où le RMI occupe le statut particulier de « filet de sécurité »

Le système français de minima sociaux, tel qu'on l'a présenté supra, s'est constitué de strates successives depuis les années 1950.

A la différence des autres minima sociaux, destinés à des situations parfois très spécifiques, le RMI, créé parmi les derniers, en 1988, a été conçu comme une filet de sécurité généraliste qui intervient en dernier recours : il ne laisse de côté que les moins de vingt-cinq ans et les étrangers en court séjour ou en situation irrégulière ; il s'agit d'une allocation différentielle visant à porter le revenu des personnes concernées à un niveau considéré comme un minimum vital et inférieur à celui de la plupart des autres minima sociaux.

Cette situation particulière constitue un argument fort contre une transposition prématurée du RMI à Mayotte : plusieurs personnes entendues par la mission, notamment des « techniciens » de la sécurité sociale comme M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale au ministère des affaires sociales, ou Mme Michèle André, directrice de la caisse d'allocations familiales de La Réunion, l'ont indiqué à la mission, il serait incohérent d'introduire le RMI, prestation différentielle et subsidiaire, avant que tous les autres dispositifs de protection sociale ne soient en place.

Par ailleurs, les mêmes spécialistes ont fait valoir que l'instauration de prestations fondées sur une condition de ressources, a fortiori de prestations différentielles comme le RMI, ne peut se concevoir sans un niveau acceptable de crédibilité, donc de contrôle effectif, des revenus déclarés.

Une autre difficulté « technique » n'a pas échappé aux interlocuteurs de la mission, en particulier à MM. Henri de Raincourt et Michel Mercier, en leur qualité de sénateurs et présidents de conseil généraux : en métropole, la gestion du RMI est confiée depuis le 1er janvier 2004 aux seuls conseils généraux, qui reçoivent en contrepartie une dotation de compensation déterminée sur une base historique, celle des dépenses antérieures de l'Etat en RMI sur leur territoire.

Si l'on doit instituer une prestation de type RMI à Mayotte, il faudra déterminer qui en assurera la gestion - l'Etat, la collectivité départementale, un tiers inspiré par exemple des agences d'insertion présentes dans les DOM ? - et avec quel financement. Si le choix était de ne pas faire gérer la prestation par l'Etat, il faudrait en effet que les institutions mahoraises (conseil général, caisse de sécurité sociale...) - qui n'ont pas les moyens de financer une telle mesure -puissent soit attribuer « à guichet (financier) ouvert » une allocation que l'Etat prendrait en charge, soit que l'on détermine une enveloppe financière de subvention d'Etat. La première hypothèse comporte des risques de dérive : il n'est pas bon que l'autorité gestionnaire ne soit pas celle qui finance. La seconde est délicate à mettre en œuvre : comment calibrer une enveloppe financière en l'absence de base historique de dépenses ?

2. Un point unanimement soulevé : l'ambiguïté des liens entre les minima sociaux, l'emploi et le développement économique et social

S'il est un constat consensuel parmi les « spécialistes » des minima sociaux entendus par la mission, c'est que le « calibrage » de leur niveau constitue toujours un compromis difficile entre la volonté d'assurer un minimum décent aux personnes qui en bénéficient et celle de ne pas les décourager de rechercher un emploi (et aussi de ne pas donner le sentiment aux travailleurs les plus modestes qu'ils sont en fait moins bien traités que les allocataires sociaux).

Cette préoccupation a d'ailleurs été constamment prise en compte par les décideurs politiques : depuis une décennie, des gouvernements de gauche comme de droite se sont efforcés de lisser les effets de seuil liés aux changements de statut et ont autorisé des formes de cumul entre minima sociaux et revenus d'activité afin d'inciter au retour à l'activité ; les dernières dispositions en la matière sont celles de la loi n° 2006-339 du 23 mars 2006 relative au retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux. Et, comme le montrent les travaux de Mme Valérie Létard, il reste à faire en la matière, en particulier en allant vers l'harmonisation des « droits connexes » liés aux différentes prestations, lesquels seraient plus équitablement liés au niveau des ressources des bénéficiaires, qu'il s'agisse de revenus d'activité ou de revenus sociaux.

Cela dit, si un système développé de minima sociaux peut être perçu comme un frein à l'emploi en désincitant des personnes de rentrer sur le marché du travail, c'est aussi un moyen de diffuser du pouvoir d'achat lequel, même minime par construction, peut doper l'activité économique d'un territoire, donc l'emploi.

En tout état de cause, il faut bien admettre que l'argument générique selon lequel l'existence de minima sociaux découragerait le travail a la même portée que l'on se place en France métropolitaine ou à Mayotte : sauf à remettre en cause le principe des minima sociaux dans le premier cas, on ne voit pas pourquoi ils seraient refusés à Mayotte sur ce fondement. Simplement, il convient de garder à l'esprit cette mise en garde : attention aux effets éventuels sur l'emploi et l'activité.

De manière plus générale, au-delà des questions de développement économique et d'attractivité du travail, les risques d'assistanat et de déstructuration des sociétés quand on introduit brutalement un système de type RMI, c'est-à-dire une allocation plus ou moins universelle et non conditionnelle, ont été soulignés dans pratiquement toutes les interventions, y compris de la part de responsables associatifs tels que ceux du Secours populaire ou de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS). La contribution écrite adressée par la FNARS à la mission exprime bien, à partir de l'exemple réunionnais, la contradiction à laquelle on se trouve confronté : d'un côté les principes républicains conduisent à traiter également les citoyens de tous les territoires, y compris ceux qui sont outre-mer ; de l'autre, l'alignement rapide effectué à La Réunion sur le modèle métropolitain - dont l'introduction du RMI ou de l'API ne sont que des éléments - a eu, selon cette organisation, des « coûts humains, moraux, économiques et sociaux extrêmement lourds », faute sans doute d'un projet de société propre et d'une plus grande attention à l'opposition frontale qui peut exister entre certaines prestations sociales et les valeurs traditionnelles d'une société.

B. DES ENJEUX SPÉCIFIQUES À MAYOTTE

1. L'évolution économique et sociale très rapide de Mayotte

De manière significative, le préfet de Mayotte, M. Jean-Paul Kihl a débuté son intervention devant la mission par une présentation de l'évolution de la société mahoraise, évolution qu'il considère comme la principale justification d'un déploiement rapide d'une forme de minima sociaux : « L'archipel connaît une évolution sociale à marche accélérée. Le système social traditionnel est fondé à Mayotte sur l'entraide et personne n'est jamais mort ni ne meurt aujourd'hui de faim. Mais ce modèle est battu en brèche. Les jeunes, de plus en plus, gagnent leur vie en travaillant et aspirent à vivre sur le modèle occidental. Ils ont dès lors des difficultés à supporter le partage systématique de leur ressources dans le cadre de la famille élargie ; cela crée un véritable risque de rupture. Il convient en outre de prendre en compte l'élévation rapide du niveau de vie : le salaire minimum est régulièrement revalorisé ; d'ici 2011, les traitements de la fonction publique seront alignés sur le niveau métropolitain. Cette évolution ne peut qu'accroître le différentiel de niveau de vie entre ceux qui travaillent et ceux qui n'ont pas de revenus salariés, donc la fracture sociale potentielle (... ) ».

On ne saurait mieux exprimer les risques liés au passage d'une société traditionnelle où existent toutes sortes de formes de solidarité, de partage, y compris par des biais par ailleurs condamnables tels que la polygamie, à une société moderne où le fossé se creuse entre ceux qui peuvent s'insérer dans l'économie moderne via le salariat, et les autres.

2. La prégnance du problème de l'immigration clandestine

Avec probablement plus du quart - au moins - de la population constituée d'étrangers en situation irrégulière, avec un enfant sur cinq scolarisé qui est dans cette situation, avec 70 % de mères comoriennes parmi les naissances enregistrées, Mayotte est confrontée à un degré inégalé, par rapport au reste du territoire français, à la question de l'immigration clandestine.

Cette immigration résulte naturellement de l'attrait que peut exercer dans les îles voisines un système social généreux, et qui fonctionne, et une économie qui se développe. Comme l'a observé le préfet de Mayotte, les 150 à 200 euros mensuels que peut espérer gagner un clandestin à Mayotte sont sans doute misérables par rapport au salaire minimum légal mahorais de plus de 600 euros, mais sont tout de même attractifs quand l'on sait que le chauffeur de l'ambassadeur de France aux Comores - situation pourtant plutôt enviable localement - gagne mensuellement l'équivalent d'environ 50 euros...

Il est assez aisé de tirer du niveau atteint par l'immigration clandestine un argument « massue » contre toute amélioration nouvelle du système social à Mayotte : ne faudrait-il pas conditionner toute évolution sociale à une maîtrise préalable de l'immigration ?

Cependant, sur cette question, il existe une analyse à contre-courant, développée notamment par le préfet de Mayotte.

Il est clair qu'un système offrant - inévitablement - des prestations sociales en nature généreuses à tous, qu'ils soient ou non en situation régulière, est très fortement attractif pour l'immigration clandestine. Mais peut-on refuser les soins élémentaires de santé à qui que ce soit ? Doit-on refuser la scolarisation des enfants des personnes en situation irrégulière ?

En revanche, quand on passe à des prestations monétaires telles que les prestations familiales ou les minima sociaux, il est admis - et c'est le cas à Mayotte comme ailleurs en France - qu'elles peuvent être subordonnées, pour les étrangers (extracommunautaires), non seulement à une présence légale sur le territoire français, mais même à une présence durable autorisée par un titre de séjour de longue durée. L'effet d'attraction pour l'immigration clandestine est donc beaucoup moins direct.

Or, par ailleurs, le développement encore très limité du système de protection sociale et d'assistance pour les Mahorais a peut-être aussi sa part de responsabilité dans la forme de tolérance dont bénéficient des immigrés clandestins. C'est ce qu'observe M. Jean-Paul Kihl : « Si l'immigration illégale prospère, c'est parce qu'elle trouve à se loger et s'employer chez des Mahorais qui trouvent là le seul revenu leur permettant de vivre. Si les Mahorais en difficulté bénéficiaient de revenus sociaux plus favorables, il seraient moins tentés de profiter de l'immigration illégale. Quant à l'accès direct des immigrants clandestins aux prestations, c'est une crainte mythique : le contrôle des bénéficiaires n'est pas moindre à Mayotte qu'ailleurs. Bref, plus on attendra pour développer les minima sociaux à Mayotte, plus on favorisera l'immigration clandestine ».

On peut ajouter que le déploiement d'un système plus large de prestations sociales peut aussi avoir pour contrepartie celui d'un système de contrôle plus rigoureux quant à l'emploi de clandestins : il est évidemment possible de conditionner le versement d'une prestation au respect vérifié de la loi dans ce domaine, et cela apparaît légitime.

Enfin, l'écart entre la situation mahoraise et celle de la République des Comores et ses effets évidents sur l'immigration n'est pas le seul à prendre en compte. Le maintien d'un écart de système social important entre Mayotte et La Réunion, alignée sur le système métropolitain, l'est aussi. Des estimations -données notamment par M. Philippe Leyssene, directeur des affaires économiques, sociales et culturelles au ministère de l'outre-mer - font état de près de 5 000 familles mahoraises établies à La Réunion pour y bénéficier du système social. Compte tenu du niveau plus élevé des prestations dont elles peuvent bénéficier, ces familles « coûtent » sans doute à la solidarité nationale autant que les 11 500 qui perçoivent des prestations familiales à Mayotte et, cependant, il n'apparaît pas qu'elles soient heureuses : les femmes partent à La Réunion seules avec leurs enfants et se retrouvent donc réellement isolées, l'échec scolaire et la délinquance sont fréquents chez ces derniers...

Au regard de ces différentes réflexions, on peut penser que le déploiement d'un système plus généreux d'allocation sociales à Mayotte pourrait ne pas avoir sur les flux migratoires les effets catastrophiques que certains anticipent, dès lors que ces allocation d'une part seraient effectivement réservées aux citoyens français et étrangers résidents réguliers de longue durée, d'autre part auraient pour contrepartie la mise en place de contrôles renforcés quant à l'accueil et à l'emploi de clandestins.

C. QUELQUES PRINCIPES À RESPECTER DANS LE DÉPLOIEMENT DES MINIMA SOCIAUX

Il ressort des auditions auxquelles a procédé la mission que le déploiement d'un système de minima sociaux à Mayotte est légitime et nécessaire : légitime car Mayotte a choisi la France de manière irréversible et doit rejoindre rapidement le « droit commun », nécessaire au regard de son évolution économique et sociale actuelle. Mais quels principes doit respecter ce déploiement ? Trois sont à souligner :

- la simplicité ;

- le choix de prestations monétaires, plutôt que de prestations en nature et de droits universels ;

- le choix de prestations qui, par construction, encouragent le travail et l'insertion dans l'économie.

1. La simplicité

En l'absence à Mayotte de toutes les strates historiques de minima sociaux propres à notre pays, il n'apparaît évidemment guère nécessaire d'y transposer les neuf minima sociaux recensés en métropole, d'autant que certains sont en cours d'extinction (cas de l'allocation veuvage suite à la réforme des retraites par la loi du 21 août 2003), tandis que d'autres sont clairement conditionnés par l'existence d'autre prestations sociales, absentes ou embryonnaires à Mayotte (cas de l'allocation de solidarité spécifique-ASS, destinée aux demandeurs d'emploi en « fin de droits » aux indemnités d'assurance chômage ; or l'assurance chômage commence juste, de manière très restrictive, à être déployée à Mayotte).

MM. Henri de Raincourt et Michel Mercier, sénateurs, ont vigoureusement prôné, lors de leur audition, la conception d'un dispositif comportant un seul minimum social.

Mme Valérie Létard, sénatrice, a appelé plutôt à raisonner en distinguant deux types de personnes concernées par les minima sociaux : celles qui ont vocation à revenir à l'activité, pour lesquelles la question de l'attractivité comparée des revenus du travail et de l'assistance se pose ; celles qui n'ont pas cette vocation (personnes âgées) ou dont les chances d'obtenir un emploi dans un contexte de très fort chômage sont objectivement très réduites (personnes handicapées). Cette répartition peut amener à concevoir deux ou trois allocations : une d'insertion tournée vers le retour à l'activité, une pour les personnes handicapées, une pour les personnes âgées.

Ces différents intervenants ont, en outre, mis en avant l'intérêt d'avoir un « guichet unique » : pour éviter les dérives, il est important que la collectivité gestionnaire soit aussi celle qui finance ; pour assurer un service de qualité aux personnes, il est utile que les tâches d'insertion, de prescription de formation et d'aide à l'accès à l'emploi ne soient pas éclatées entre diverses institutions (comme on le constate en métropole avec les rôles respectifs des départements, des régions et de l'Agence nationale pour l'emploi et la volonté d'une meilleure coordination que traduit le plan de cohésion sociale).

Les réformes qui seront conduites à Mayotte devront prendre en compte les objectifs de simplification des prestations et de limitation du nombre des « guichets », dans la mesure où cela apparaîtra compatible avec la démarche d'alignement sur le droit commun qui est au cœur du processus de départementalisation (sous réserve d'adaptations et d'expérimentations possibles).

2. Le choix de prestations monétaires plutôt que de prestations en nature et de droits universels

Mme Hélène Périvier, chercheuse à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), a plaidé, lors de son intervention devant la mission, pour le développement de prestations en nature (de santé, de scolarisation, de logement, d'action sociale complémentaire...) et de droits universels (non soumis à condition de ressources) : on éviterait ainsi la désincitation au travail et les effets de seuil qui peuvent caractériser des allocations versées sous condition de ressources.

On peut citer d'autres avantages potentiels de ce type d'options : limitation des problèmes de fraude et de contrôle lorsque les revenus effectifs restent effectivement mal connus ; ciblage des enjeux les plus déterminants (l'éducation, le logement, la santé...) sans que les allocations soient utilisées à des dépenses éventuellement plus futiles...

Cependant, comme on l'a déjà indiqué, les prestations en nature exprimant des droits universels (à la santé, au logement...) présentent, en particulier dans le cas de Mayotte, un risque spécifique : dans la mesure où il est admis qu'elles doivent être accessibles à tous, même aux étrangers en situation irrégulière, leur existence constitue un véritable aimant pour l'immigration sauvage. C'est pourquoi on peut y préférer le déploiement de prestations monétaires qui peuvent être réservées - et le sont effectivement pour celles qui existent déjà - aux seuls résidents réguliers durables et peuvent avoir pour contrepartie légitime un renforcement des contrôles contre le logement ou l'emploi de clandestins.

3. Le choix de prestations qui, par construction, encouragent le travail et l'insertion dans l'économie

L'économie mahoraise se développe rapidement, ce qui entraîne un niveau élevé de créations d'emploi, de l'ordre de 1 300 par an, soit une hausse de 4 % du niveau de l'emploi (3). Bien des régions françaises pourraient envier cette performance.

Mais le fait est aussi que le niveau global de l'emploi recensé reste faible : le recensement de 2002 faisait apparaître 31 500 emplois au total, dont 23 600 salariés. Si l'on considère que la population globale atteignait lors de ce recensement 160 000 habitants et pourrait actuellement voisiner 180 000, cela signifie que 15 à 20 % des résidents à Mayotte (réguliers ou non) occuperaient un emploi (du moins déclaré) quand c'est le cas de 40 % des habitants de la France ; la jeunesse de la population mahoraise ne suffit pas à expliquer cet écart, qui paraît rendre compte d'un véritable déficits d'emplois, du moins « officiels ». En outre le poids du secteur public ou financé sur fonds publics reste très important dans l'emploi mahorais : 10 000 emplois dans l'administration, l'éducation et la santé.

13 000 mahorais sont demandeurs d'emploi : ils représentant donc près du tiers d'une population active d'environ 45 000 personnes.

Ces différents éléments, le dynamisme de l'emploi mais aussi le faible niveau qu'il atteint encore, en particulier dans le secteur marchand, ainsi que l'ampleur de la demande d'emploi, justifient de donner une priorité très forte aux mesures susceptibles de développer l'emploi et de prohiber celles qui peuvent le décourager. La question des risques de désincitation au travail, toujours présente dans la problématique des minima sociaux, est encore plus essentielle à Mayotte.

Les potentialités économiques de Mayotte sont évidentes ; les Mahorais veulent travailler ; beaucoup ne le peuvent pas encore, il faut les y aider.

III. LES PROPOSITIONS DE LA MISSION

La mission d'information tient d'abord à prendre acte des propos très clairs tenus par les deux ministres qu'elle a entendus, M. François Baroin et Mme Catherine Vautrin, sur plusieurs points essentiels :

- le fait que le processus de départementalisation soit considéré comme un acquis, avec pour conséquence une poursuite de l'alignement du modèle juridique, économique et social mahorais sur le modèle national ;

- la nécessité d'établir en conséquence une stratégie et un calendrier ;

- la possibilité de proposer rapidement, sous réserve d'arbitrage, de multiples mesures : augmentation des allocations familiales et des allocations aux personnes âgées et aux personnes handicapées, mise en œuvre effective de la prestation d'aide à la restauration scolaire, réforme de l'allocation logement familiale, création d'une caisse d'allocations familiales de plein exercice.

Les propositions de la mission s'appuient naturellement sur ces engagements. Cependant, avant de les détailler, il convient d'évoquer une question transversale, celle des coûts et de leur prise en charge.

Toute mesure sociale a un coût et, s'agissant des minima sociaux, ce coût est traditionnellement pris en charge pour l'essentiel par l'Etat. Le RMI départementalisé continue à être remboursé aux départements sur la base historique de la dépenses antérieure de l'Etat, tandis que d'autres minima sociaux comme l'AAH et l'API le sont aux organismes gestionnaires sur la base des dépenses effectives.

A Mayotte, l'introduction des minima sociaux de droit commun devrait naturellement être prise en charge par la solidarité nationale, au même titre qu'ailleurs. Cependant, si des choix quelque peu différents devaient être faits, ce qui est la position défendue par le présent rapport, la question de leur financement serait plus complexe : l'équité voudrait alors, comme d'ailleurs cela a pu être fait dans les DOM avec la notion de « créance de proratisation », que l'on calcule ce que serait alors le coût théorique de l'application des minima sociaux de droit commun à Mayotte, puis que l'Etat accepte de consacrer une somme équivalente aux diverses mesures d'adaptation ou de substitution retenues.

Cette question des coûts appelle manifestement un travail d'expertise, car les évaluations que l'on peut faire actuellement de ce que serait le coût du RMI ou de l'API, par exemple, appliqués à Mayotte sont très divergentes, selon que l'on part, notamment, d'extrapolations à partir des fichiers des allocations familiales ou de données statistiques INSEE. L'existence d'écarts considérables n'est pas étonnante compte tenu de phénomènes massifs, tels que l'immigration irrégulière ou le travail au noir, mais ne rend que plus nécessaire un travail très sérieux d'évaluation chiffrée.

A. DES MESURES QUI PEUVENT ÊTRE MISES EN œUVRE TRÈS RAPIDEMENT

Les ministres entendus par la mission ont insisté sur la nécessité d'établir un calendrier de réformes et sur la possibilité, dans ce cadre, d'avancer rapidement sur certains sujets. Partageant pleinement cette manière de voir, la mission souhaite mettre en exergue les mesures qui lui paraissent pouvoir et devoir être mise en œuvre très rapidement. Il s'agit, en particulier, d'avancées en principe acquises, mais qui se heurtent à ce qu'il est convenu d'appeler des « pesanteurs administratives », ou de mesures d'alignement sur le droit commun qui ne coûteraient rien et dont le refus jusqu'à présent est perçu par les Mahorais comme discriminatoire.

1. L'urgence immédiate : tenir les engagements et mettre fin à des règles dérogatoires mesquines

a) La prestation d'aide à la restauration scolaire : respecter les engagements

La prestation d'aide à la restauration scolaire constitue un dispositif propre aux DOM qui devrait aussi, en principe, s'appliquer déjà à Mayotte. Il s'agit d'une aide forfaitaire attribuée pour chaque repas des enfants scolarisés : en pratique les établissements vendent à très bas prix, l'aide publique étant imputée, des tickets-repas aux enfant.

Cependant, dans les faits, seule une expérimentation a pu avoir lieu en 2005 dans un établissement, selon des modalités innovantes puisqu'elle s'est appuyée sur les mères de famille qui vendent traditionnellement des en-cas aux enfants : ces mères ont bénéficié de formation et d'équipements. Malgré la demande de nombreux collèges et communes (pour leurs écoles primaires), cette expérimentation n'a pas été étendue et, pour 2006, rien n'est encore en place.

Les personnes auditionnées par la mission ont avancé diverses analyses de cette situation. M. Jean-Jacques Tregoat, directeur général de l'action sociale (DGAS), a souligné qu'en 2005 la dotation débloquée suite à la parution d'un arrêté financier du 18 juillet 2005 n'a été que faiblement consommée : 342 000 euros étaient prévus, qui devaient permettre de couvrir 5 % des enfants en distribuant 3 000 collations et 800 repas par jour, mais 26 000 euros seulement ont été dépensés. La DGAS souhaite poursuivre le déploiement de cette mesure, pour laquelle l'enveloppe prévisionnelle 2006 est de 1,7 million d'euros, ce qui autoriserait 8 000 collations et un taux de couverture de 15 %. Cependant, le faible taux de consommation relevé en 2005 mérite d'autant plus d'être étudié, selon l'administration, qu'il rend plus difficile l'ouverture ultérieure de crédits.

Mme Michèle André, directrice de la caisse d'allocations familiales de La Réunion, a proposé une explication simple des problèmes de mise en œuvre rencontrés : au moins pour 2006, c'est l'absence de parution à cette heure de l'arrêté financier annuel nécessaire qui empêcherait la caisse, chargée de la gestion de ce dispositif, de le déployer...

Existe-t-il des problèmes d'interprétation des textes ou de régularité comptable qui seraient liés au décalage entre l'année scolaire et l'année budgétaire (l'année civile), problèmes qui empêcheraient d'engager au début d'une année donnée le reliquat des crédits ouverts l'année civile précédente pour l'année scolaire qui chevauche les deux exercices ?

La mission considère que cette question « technique », qui relève de manière évidente des compétences d'administrations centrales telles que la direction générale de l'action sociale (DGAS) ou la direction de la sécurité sociale, doit être expertisée dans les plus brefs délais pour recevoir une solution avant la rentrée 2006. Cette année comme les suivantes, les arrêtés financiers annuels doivent être pris dans des délais qui évitent tout risque de solution de continuité dans la mise en œuvre d'une mesure particulièrement nécessaire lorsque l'on connaît les problèmes de nutrition dont les enfants mahorais peuvent encore souffrir.

La mise en œuvre effective de la prestation d'aide à la restauration scolaire serait d'autant plus utile qu'elle permettrait aussi, si elle s'effectuait dans la continuité de l'expérimentation de 2005, de contribuer très efficacement à l'insertion dans des emplois solvabilisés de nombre des femmes qui essayent de vivre de la vente de produits alimentaires près des écoles.

b) L'allocation de rentrée scolaire : s'aligner sans délai sur la règle nationale

L'allocation de rentrée scolaire (ARS) est un autre exemple de dépense ciblée sur l'éducation, donc sur l'avenir, et à ce titre prioritaire.

On relève deux dérogations spécifiques à Mayotte dans la gestion de cette prestation :

- Son versement est décalé (il intervient à l'automne seulement), cette situation résultant de l'obligation faite aux familles mahoraises de produire préalablement un certificat d'inscription. Partout ailleurs en France, cette formalité n'est plus imposée pour les enfants soumis à l'obligation scolaire, donc jusqu'à seize ans. Cette situation peut être interprétée comme un acte de défiance vis-à-vis des familles mahoraises et elle est à ce titre anormale. En outre, le versement de l'ARS après la rentrée a pour conséquence que, par construction, elle ne peut guère servir à l'achat de fournitures scolaires ou de vêtements pour aller à l'école...

- L'ARS conserve à Mayotte une autre spécificité qui peut s'analyser comme une manifestation de défiance vis-à-vis des familles : une fraction reste versée à l'établissement scolaire (dans le secondaire) et non à ces familles.

De multiples demandes d'évolution de la réglementation ont déjà été présentées, tant pas les élus que par la caisse d'allocations familiales. Il est temps qu'elles soient prises en compte.

La question du montant de l'ARS, enfin, renvoie à celle, plus générale, de l'alignement progressif des montants des prestations familiales versées à Mayotte sur les montants nationaux. La mission considère que cette prestation tournée vers l'avenir mériterait d'être revalorisée en priorité, le cas échéant en modulant son niveau selon l'âge et le type d'études suivies : les coûts ne sont pas les mêmes à l'école primaire et dans le secondaire, dans les filières générales et dans les filières techniques...

2. Une opération facile à engager : relever et lier au salaire minimum les prestations existantes

Au-delà de l'ARS, l'ensemble des prestations financières versées à Mayotte, qu'elles aient ou non le caractère de « prestations familiales » ou s'assimilent ou non à des « minima sociaux », peut assez aisément, du point de vue de la mise en œuvre technique, être relevé. Bien évidemment, la revendication d'alignement sur les montants nationaux est forte, comme elle l'a été en son temps dans les DOM.

Ce type de mesures a naturellement un coût budgétaire. Il a aussi une incidence directe sur l'échelle des revenus et donc l'attractivité comparée des revenus du travail et des revenus sociaux.

Cependant, quand on compare les ratios actuels montant unitaire des prestations sociales/salaire minimum à Mayotte et sur le reste du territoire, on constate, comme le tableau ci-après l'établit, que ces ratios restent beaucoup plus faibles dans l'archipel : les allocations familiales que l'on perçoit avec trois enfants représentent 12 % du salaire minimum à Mayotte, contre 22 % en métropole ; l'AAH (sans majoration) et le minimum vieillesse 23 % de ce salaire, contre 50 % dans le droit commun.

Il existe donc une marge importante d'augmentation du montant des prestations existantes à Mayotte avant que l'on n'y parvienne à une hiérarchie des revenus du travail et de l'assistance comparable à celle qui existe ailleurs en France. Il faudrait au moins doubler le montant des prestations en place dans l'archipel pour qu'elles y représentent la même pourcentage du salaire minimum que dans le droit commun.

En outre, cette question de niveau comparé des différents revenus, si elle est réellement à prendre en considération lorsque l'on relève toutes les prestations, l'est beaucoup moins si le relèvement concerne d'abord des allocations destinées à des personnes qui n'ont pas ou peu vocation à travailler, telles que les personnes âgées ou handicapées.

Salaire minimum et montants de prestations à Mayotte
et dans le droit commun français

En euros

Droit commun (janvier 2006)

Mayotte

(2005)

Extrapolation des ratios nationaux à Mayotte

Salaire minimum brut mensuel

1 218

647

Allocations familiales (3 enfants)

267

77

142

en % du salaire minimum

22 %

12 %

Allocation de soutien familial (par enfant orphelin d'un parent)

82

-

44

en % du salaire minimum

7 %

-

API (un enfant à charge)

736

-

391

en % du salaire minimum

60 %

-

Allocation adulte handicapé (base)

610

150

324

en % du salaire minimum

50 %

23 %

Minimum vieillesse (personne seule)

610

150

324

en % du salaire minimum

50 %

23 %

RMI (personne isolée)

433

-

230

en % du salaire minimum

36 %

-

La mission considère en conséquence qu'il serait souhaitable de s'engager très rapidement dans un processus progressif, programmé sur plusieurs années, de relèvement de l'ensemble des prestations monétaires existantes à Mayotte. L'objectif à court terme serait de les lier au salaire minimum, en atteignant dans un premier temps un niveau déterminé en fonction du ratio national prestation/SMIC pour chaque prestation, puis ensuite de suivre l'évolution du salaire minimum mahorais.

L'effort pourrait concerner de manière prioritaire des prestations telles que les allocations pour les personnes handicapées et les personnes âgées, les éventuels effets sur l'emploi n'étant pas à redouter. Le ministre de l'outre-mer a clairement évoqué devant la mission la possibilité d'arbitrages rapides sur ce point. Au-delà du seul accroissement des montants d'allocation, il est vraisemblable que les conditions d'attribution de ces allocations devront être étudiées, car il apparaît qu'elles ne bénéficient qu'à un nombre assez limité de personnes (au regard de la pauvreté qui existe dans la population mahoraise) : d'après une note transmise par le conseil général de Mayotte, les quelque 4 500 personnes âgées qui perçoivent l'une ou l'autre des deux allocations de minimum vieillesse en place (ASPA et ASV) représentent moins de 30 % de la population âgée de plus de cinquante ans, qui est pourtant très souvent dépourvue de ressources.

Les modalités de relèvement à envisager pour les prestations familiales, à commencer par les allocations familiales, justifient une analyse complémentaire, car certains des interlocuteurs de la mission ont émis à cet égard une proposition que la mission ne partage absolument pas : il s'agirait, selon eux, de faire porter la revalorisation exclusivement ou principalement sur les allocations versées au titre des trois premiers enfants par famille, ce qui reviendrait de fait sur l'une des principales avancées obtenues - difficilement - en 2005, à savoir la suppression du plafonnement à trois des enfants pris en compte pour l'ensemble des prestations familiales.

Ce plafonnement dérogatoire a pu correspondre à une réalité sociale : à l'origine, il avait été justifié par le taux de natalité très élevé qui prévalait à Mayotte et une volonté de cohérence avec une campagne du planning familial invitant justement à s'en tenir à trois enfants. Peut-être aussi s'agissait-il dans l'esprit de certains de ne pas trop favoriser la polygamie.

Mais le fait est que le taux de natalité a rapidement baissé : l'indice synthétique de fécondité s'élevait à Mayotte à 8 enfants par femme en 1978, mais seulement à 4,7 en 2002, ce qui reste élevé (il se maintient difficilement à proximité de 1,8 en métropole), mais couvre de fortes disparités entre les femmes de nationalité française (Mahoraises) - pour qui l'indice serait tombé à moins de 3,5 - et les étrangères. Par ailleurs, la polygamie a été abolie et il a en outre été décidé de verser systématiquement les allocations aux mères et non aux pères. Dès lors, le plafonnement n'a plus aucune justification, sauf à répéter, ce qui n'est pas admissible, qu'il y aurait trop d'enfants à Mayotte.

B. DES AMÉLIORATIONS SPÉCIFIQUES À ÉTUDIER

Les réformes les plus simples à mener sont celles qui consistent dans l'alignement sur le modèle national et le relèvement des prestations existantes, c'est pourquoi la mission les a listées au premier chef.

Cependant, deux aménagements spécifiques, au coût sans doute limité, lui paraissent pouvoir également être envisagés très rapidement, même s'ils sont un peu plus complexes car ils exigent d'élaborer des solutions propres à Mayotte. Le premier concerne la création d'une prestation qui permette de répondre à la situation des mères de famille isolées, le second le développement d'une véritable politique sociale du logement.

1. Une catégorie de personnes qui doivent être soulagées : les mères isolées

L'établissement en 1976 de l'allocation de parent isolé (API), en métropole, a correspondu à une évolution de la société qui rendait plus fréquente la situation de parent isolé.

On comprend bien qu'une société traditionnelle comme celle de Mayotte, confrontée brutalement au monde moderne, est exposée à des évolutions encore plus rapides, et ce d'autant plus que ces évolutions s'inscrivent directement dans le droit avec l'abolition de la polygamie. La polygamie constituait une discrimination inacceptable, non seulement entre les hommes et les femmes, mais aussi entre les Mahoraises et les autres Françaises (ou étrangères résidant en France), seules les premières étant concernées ; il fallait l'abolir ; cela dit, il faut bien voir que cette abolition place des femmes qui pouvaient partager auparavant le revenu d'un seul homme en situation de détresse et d'isolement.

La situation de ces femmes doit être améliorée. Mais la mission a constaté que l'idée d'introduire l'API à Mayotte suscite manifestement de vives réticences administratives que l'on peut prendre en compte, même si elles fondées sur une argumentation implicite discutable : le critère d'isolement qui conditionne l'API étant déjà difficile à appliquer et sujet à contentieux en métropole, comment faire dans une partie de la République où l'état-civil apparaît plus incertain, les contrôles plus aléatoires, le droit civil plus complexe...

Une option alternative a été suggérée.

L'allocation de soutien familial (ASF) est une prestation familiale de droit commun destinée aux orphelins (d'un ou des deux parents) ou aux enfants dont l'un des parents n'exécute pas ses obligations alimentaires. Elle n'existe pas à Mayotte. Evoquée par plusieurs intervenants, tels que M. Philippe Leyssene, directeur des affaires économiques, sociales et culturelles au ministère de l'outre-mer, Mme Nicole Prud'homme, présidente de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), et Mme Michèle André, directrice de la caisse d'allocations familiales de La Réunion, l'introduction d'une prestation inspirée de l'ASF aurait selon ses défenseurs plusieurs avantages :

- Puisque l'on transposerait un dispositif déjà existant ailleurs, on resterait dans la logique d'un alignement progressif de Mayotte sur le droit commun.

- Alors que l'API est réservée aux parents d'enfants de moins de trois ans, l'ASF est versée jusqu'à la limite d'âge de droit commun des prestations familiales (vingt ans en général).

- Même si la condition d'« isolement » du parent en charge de l'enfant existe comme pour l'API, les conditions complémentaires posées permettent un meilleur cadrage de la prestation, puisqu'elle est subordonnée au décès de l'autre parent ou au non-respect de l'obligation d'entretien, c'est-à-dire concrètement le non-paiement d'une pension alimentaire par un parent séparé, attesté par des pièces de justice (décisions prévoyant le versement d'une pension alimentaire, copies d'actes établissant qu'une action a été engagée pour obtenir ce versement s'il n'est pas effectué...).

- Compte tenu du faible niveau des revenus à Mayotte, on pourrait, dans le dispositif adapté qui y serait établi, se dispenser de l'obligation d'engagement d'une action en vue du recouvrement des obligations alimentaires non assumées par les pères ; il s'agirait surtout de cadrer un peu le dispositif en exigeant en amont une décision de justice qui reconnaîtrait leur incapacité à faire face à ces obligations.

D'après une extrapolation des fichiers locaux des allocations familiales, environ 3 300 familles monoparentales pourraient avoir droit à une prestation de cette nature.

2. L'allocation logement : un dispositif au fonctionnement manifestement insatisfaisant

Comme on a déjà pu le signaler, la situation de l'allocation de logement familiale à Mayotte est caricaturale avec 69 bénéficiaire dans une île où l'on compte 36 000 foyers, la plupart pauvres ou très pauvres...  

Cette diffusion insignifiante de la prestation semble due à deux facteurs déterminants : la plupart des Mahorais ne sont pas locataires (selon la direction des affaires sanitaires et sociales, 26 000 familles seraient propriétaires ou logées gratuitement) ; la très grande majorité des logements ne répondent pas aux critères exigés (par exemple, un quart des foyers seulement disposeraient de sanitaires reliés à une fosse septique ; la plupart n'ont que deux pièces bien que les familles soient nombreuses).

La facilité consisterait à alléger très fortement les obligations en vigueur quant à la taille ou à l'équipement des logements. Sans doute faut-il les revoir, mais disposer d'un logement décent est un droit pour tous les Français. En outre, comme on le voit d'ailleurs déjà à Mayotte, l'essor du bâtiment et des travaux immobiliers est un excellent vecteur de développement et d'emploi qu'il convient de favoriser.

C'est pourquoi la mission préconise la recherche de solutions originales : l'allocation ne pourrait-elle, par exemple, est accordée à titre d'avance pour financer des travaux de mise aux normes sanitaires ?

C. DES MESURES ORIGINALES À IMAGINER POUR FAVORISER L'EMPLOI

La mission est convaincue qu'un effort d'imagination particulier doit être fait pour développer des mécanismes qui permettent à la fois une prise en charge des personnes en situation de difficulté et un essor de l'emploi à Mayotte. L'objectif serait d'instituer, sous une forme adaptée, un véritable « revenu minimum d'activité » : garantir un revenu, mais sous condition d'activité. Plusieurs pistes ont été dégagées.

1. Un dispositif adapté pour développer l'emploi salarié dans le secteur marchand

Dans l'ensemble des aides publiques qui existent en France, celles qui ont traditionnellement pour objet de rapprocher une logique d'insertion et une logique d'emploi en favorisant l'insertion professionnelle de personnes en difficulté sont les « contrats aidés » : on accorde pour une certaine durée une aide aux employeurs, du secteur marchand ou non selon les cas, qui acceptent d'embaucher des personnes appartenant à certains « publics » et, le cas échéant, prennent des engagements d'accompagnement ou de formation.

Ces contrats aidés existent outre-mer, comme on l'a déjà dit, sous des formes dérogatoires. Cependant, à Mayotte, si leur diffusion est bonne dans le secteur non-marchand, elle paraît en revanche rester confidentielle s'agissant des formules destinées aux employeurs du secteur marchand : sauf pour l'apprentissage, un peu plus dynamique, on dénombre quelques dizaines de contrats seulement par an, comme il ressort du tableau ci-après.

Mesures en faveur de l'emploi : nombre de contrats signés ou d'aides accordées

2000

2001

2002

2003

2004

Emploi marchand

Contrats d'apprentissage (CAP)

63

151

78

76

125

Contrats d'insertion adaptation (CIA)

7

25

22

23

13

Contrats de retour à l'emploi (CRE)

6

5

21

18

14

Primes pour l'emploi des jeunes (PEJ)

-

-

-

-

5

Emploi non marchand

Contrats emploi-solidarité (CES)

2 501

2 431

2 645

2 758

2 840

Contrats emploi consolidé (CEC)

78

53

117

65

67

Chantiers de développement local (CDL)

3 222

3 468

3 325

3 029

3 950

Soutien et aide à la création d'entreprise

Aides aux chômeurs créateurs-repreneurs d'entreprises (ACCRE)

24

41

32

30

26

Projet initiative jeune

-

-

-

-

21

Source : rapport de l'IEDOM, « Mayotte en 2004 ».

Quant aux mesures dédiées au secteur non-marchand, si elles rencontrent un plus grand succès, elles n'en sont pas moins remises en cause en partie, notamment les contrats emploi-solidarité (CES) : ceux-ci existent encore à Mayotte malgré leur disparition en métropole (dans le cadre du plan de cohésion sociale), mais l'enveloppe budgétaire prévue permet d'en financer seulement 1 900 en 2006, contre 2 800 en 2005. Pour ce qui est des chantiers de développement local (CDL), il convient de rappeler que les emplois qu'ils dispensent sont de courte durée (quelques semaines) et ne permettent guère de mettre en place un parcours d'accompagnement et d'insertion ; ils procurent certes un revenu mais ont parfois un effet déstructurant en entraînant l'abandon d'activités traditionnelles telles que l'agriculture.

Evoqué notamment par Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, et M. Jean Gaeremynck, délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), le contrat d'accès à l'emploi (CAE) est un dispositif de contrat aidé dans le secteur marchand spécifique à l'outre-mer. Il ne s'applique pas à Mayotte.

L'étendre ou le transposer dans l'archipel pourrait effectivement constituer une piste intéressante, car il y a clairement un déficit s'agissant de l'emploi salarié marchand aidé et ce contrat, destiné à des personnes éloignées de l'emploi, présente l'intérêt d'être assez orienté vers la formation. M. Patrick Lavergne, chef de la mission insertion professionnelle à la DGEFP, a indiqué qu'un objectif de 1 500 contrats par an pourrait être visé.

Le contrat d'accès à l'emploi

Le contrat d'accès à l'emploi peut être considéré comme la mesure d'adaptation dans les DOM et à Saint-Pierre-et-Miquelon du contrat initiative-emploi (CIE) métropolitain. Il se distingue principalement du CIE par l'insistance sur le volet formation, avec la possibilité d'un financement public de celle-ci.

Destinés à favoriser l'insertion professionnelle dans le secteur marchand de diverses catégories de personnes en difficulté (bénéficiaires du RMI, chômeurs de longue durée, personnes handicapées...), les CAE sont conclus soit à durée indéterminée (CDI), soit à durée déterminée (CDD) de 12 à 24 mois. La durée hebdomadaire du travail doit être d'au moins 16 heures. Des aides publiques à l'employeur y sont associées :

- une prime mensuelle de l'Etat de 152 ou 305 euros selon les catégories de personnes embauchées (et pour un temps plein) ;

- une exonération intégrale de cotisations patronales de sécurité sociale sur la part du salaire n'excédant pas 1,3 fois le SMIC, et ce pour deux ans dans le cas général ;

- une prise en charge par l'Etat des frais de formation associés s'il y a lieu, la formation devant alors représenter au moins 200 heures.

2. La nécessaire transposition des exonérations de charges applicables dans les départements d'outre-mer

Une autre mesure susceptible d'avoir un réel effet sur l'emploi en allégeant son coût consisterait dans l'extension à Mayotte des exonérations spécifiques de cotisations patronales de sécurité sociale en vigueur dans les DOM.

On rappelle que ces exonérations prévues par la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer s'appliquent dans les DOM à l'intégralité du montant des cotisations patronales de sécurité sociale dans la limite d'un montant de rémunération par salarié égal à 1,3 fois le SMIC pour les entreprises occupant dix salariés au plus, avec des aménagements sectoriels : l'exonération s'applique jusqu'à cinquante salariés dans le bâtiment et les travaux publics et quelque soit l'effectif dans les transports (desserte des territoires) ; elle vaut jusqu'à 1,4 fois le SMIC et quel que soit l'effectif dans l'industrie, la restauration, la presse, la production audiovisuelle, les énergies renouvelables, les nouvelles technologies de l'information et de la communication et les activités agricoles, aquacoles et de pêche ; elle s'applique jusqu'à 1,5 fois le SMIC dans le tourisme et l'hôtellerie.

La non-application de ce dispositif à Mayotte trouve peut-être son explication dans le fait que le salaire minimum y est fixé de manière dérogatoire - alors que le dispositif se réfère au SMIC national -, mais cette situation particulière justifie, justement, qu'il y soit rapidement étendu dans des conditions adaptées. Le salaire minimum mahorais connaît actuellement une évolution très rapide, pleinement légitime dans une optique de rattrapage, mais qui pose évidemment des difficultés d'adaptation aux entreprises. Il n'est, dans cette situation, que plus nécessaire de prévoir des mesures d'accompagnement permettant de modérer l'évolution des coûts salariaux. De telles mesures constituent aussi un élément efficace dans la lutte contre le travail non déclaré.

Il est à noter que l'extension à Mayotte du dispositif d'exonérations des DOM a été chiffrée à 7 millions d'euros, montant « raisonnable » au regard des 672 millions d'euros que l'ensemble des exonérations existantes devraient coûter au budget de l'outre-mer en 2006 selon les documents budgétaires.

3. Des formules innovantes pour favoriser la création ou le maintien d'entreprises

Le développement de l'emploi repose sur l'emploi salarié mais aussi sur l'emploi non-salarié : il s'agit de faciliter le maintien, la création, la croissance d'activités non-salariées, d'entreprises individuelles qui à leur tour peuvent générer des emplois salariés.

De ce point de vue, il existe déjà des dispositifs nationaux comme l'aide aux chômeurs créateurs-repreneurs d'entreprises (ACCRE), qui est appliquée à Mayotte, mais avec, comme le montrent les statistiques présentées supra, une diffusion limitée.

Sans doute faut-il envisager et expérimenter des dispositifs originaux.

Une piste a été indiquée par plusieurs des interlocuteurs de la mission, notamment par Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, celle du micro-crédit, que le gouvernement s'efforce de développer sur l'ensemble du territoire national dans le cadre du plan de cohésion sociale, au regard des résultats obtenus par certains opérateurs comme l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE) : 94 % de crédits remboursés, 64 % d'entreprises ainsi créées qui subsistent au bout de deux ans...

Naturellement on peut aussi envisager des dispositifs plus classiques d'aide à l'investissement et de formation.

Enfin, à défaut d'introduire à Mayotte le RMI, on pourrait s'inspirer d'un des usages, minoritaire mais réel, qui est fait de cette prestation : le RMI est le plus souvent le revenu exclusif de personnes en grande difficulté, mais c'est aussi, parfois, un revenu de complément pour des personnes qui se lancent, sans grand succès dans un premier temps, dans une activité non-salariée un peu aléatoire (par exemple artistique), ou pour des personnes qui maintiennent grâce à cela une petite activité peu rentable mais utile à la collectivité, comme un petit commerce en milieu rural. Les conseils généraux disposent d'une certaine marge de manœuvre pour attribuer ou non le RMI aux non salariés justement pour pouvoir prendre en compte, s'ils le jugent opportun, ce type de situations.

On rejoint d'ailleurs là les considérations qui inspirent au moins un dispositif appliqué, celui de la prime pour l'emploi (voir encadré infra), ainsi que certaines des propositions de réforme d'ensemble des minima sociaux qui sont aujourd'hui mises en avant. C'est le cas par exemple du concept de « revenu de solidarité active » qu'a proposé la commission « Famille, vulnérabilité, pauvreté » présidée par M. Martin Hirsch pour dépasser l'opposition des logiques du travail et de l'assistance avec l'objectif suivant : « L'idée est que l'on puisse vivre, avec son travail et par son travail, quelle que soit sa situation familiale, en continuant à pouvoir, dans des conditions justes, bénéficier de la solidarité de la société ».

La prime pour l'emploi

La prime pour l'emploi est attribuée aux personnes déclarant (pour l'impôt sur le revenu) des revenus d'activité compris entre deux seuils correspondant grosso modo à 0,3 et 1,35 fois le SMIC à temps plein ; elle croît d'abord avec le revenu déclaré, pour atteindre son maximum pour un revenu d'activité correspondant à peu près au SMIC, puis devient dégressive quand on dépasse ce montant. Subordonnée aux seuls revenus d'activité, c'est-à-dire les salaires et les revenus professionnels des indépendants et des agriculteurs, elle constitue bien un mécanisme de complément des revenus du travail visant à accroître le pouvoir d'achat des travailleurs modestes et à les encourager, par son effet additionnel, à travailler plus.

Créée par la loi n° 2001-458 du 30 mai 2001 et réformée par la loi de finances pour 2006 dans un sens plus généreux, la prime pour l'emploi dépasse les clivages politiques, même si elle fait l'objet de critiques pour sa complexité, la difficulté que peuvent avoir les contribuables à en prévoir le montant et sa dispersion (près de 9 millions de foyers fiscaux bénéficiaires en 2005 mais pour, en moyenne, moins de 300 euros par an chacun), tous éléments qui limitent son caractère redistributif et incitatif au travail. Ces critiques ont d'ailleurs justifié sa récente réforme.

Si un dispositif inspiré techniquement de la prime pour l'emploi devait être construit pour soutenir l'emploi non-salarié, il reposerait sur l'attribution d'un complément de revenu conditionné à l'existence et à la déclaration de revenus d'activité. Ce complément serait progressif jusqu'à un certain niveau de revenu, puis dégressif pour disparaître, par exemple, pour un revenu d'activité de l'ordre du salaire minimum. On aurait ainsi un soutien effectif aux très faibles revenus du travail, aux entreprises, traditionnelles ou non, à la limite de la survie et du développement.

Aux obligations déclaratives des bénéficiaires, inévitables - et légitimes -, pourraient être associées des obligations complémentaires (de tenue de comptabilité, d'immatriculation...). Ce type d'obligations, qui répond d'abord à un objectif de contrôle, a aussi l'avantage de contribuer à l'insertion dans l'économie moderne. Les chambres consulaires en cours de constitution pourraient utilement être associées à la gestion d'un tel dispositif. De même, sa mise en œuvre pourrait être effectuée en lien avec le déploiement d'autres politiques publiques ayant pour conséquence de solvabiliser des besoins sociaux : par exemple, comme on l'a déjà dit, le déploiement de la prestation d'aide à la restauration scolaire pourrait aussi contribuer à l'insertion dans l'emploi des femmes qui essayent de vivre de la vente de produits alimentaires près des écoles

D. LES MESURES D'INVESTISSEMENT ET D'ACCOMPAGNEMENT

Les mesures d'aides directement orientées vers le développement de l'emploi marchand ne seront efficaces que si, par ailleurs, un effort d'investissement considérable est effectué pour le développement économique de Mayotte.

Ce développement reste en effet obéré par des problèmes considérables d'infrastructures ; le niveau de qualification des actifs, encore faible en moyenne, constitue de même un obstacle. L'accompagnement sanitaire et social de la population est enfin nécessaire.

1. Les grands chantiers d'infrastructure

De nombreux interlocuteurs de la mission tels que Mme Valérie Létard, sénatrice, et M. Serge Castel, président de la caisse d'assurance chômage de Mayotte et ancien responsable patronal, ont souligné la nécessité de gros efforts d'investissement sur les infrastructures, citant :

- la construction d'une seconde piste à l'aéroport, afin d'accueillir des vols directs depuis l'Europe (voir encadré infra) ;

- l'élargissement des capacités portuaires, pour accompagner le développement économique (voir encadré infra) ;

- le développement des réseaux numériques ;

- les équipements et aménagements liés à l'environnement, notamment en matière d'assainissement et d'énergies renouvelables (le développement du tourisme et de l'aquaculture implique que le lagon reste propre). Lors de son déplacement à Mayotte le 19 mai dernier, le Premier ministre a ainsi assuré que l'une des priorités de l'action de l'Etat pour les années à venir sera la généralisation d'un système de ramassage et de traitement des ordures ménagères sur tout le territoire de Mayotte.

Deux grands chantiers d'infrastructure à mener : le port et l'aéroport

Le port de Longoni

La consolidation du tissu industriel, encore limité (les entreprises industrielles représentent aujourd'hui moins de 5% des sociétés immatriculées hors BTP), constitue un véritable enjeu. L'augmentation progressive du pouvoir d'achat des ménages mahorais, conjuguée à l'adoption des modes de consommation occidentaux, a pour conséquence directe l'augmentation du niveau des importations (+ 16% entre 2004 et 2005, pour les seuls biens de consommation courante). Profitant de la forte croissance de l'immobilier social et résidentiel, le secteur du BTP connaît une progression de son chiffre d'affaires annuel de 10 %.

Le port de Longoni, constitué depuis 1993 d'un quai principal de 130 mètres et d'un terre plein de 1,4 hectare (étendu en 1997), est arrivé aujourd'hui à saturation. Il connaît une progression de son activité de près de 7 % par an depuis 2000. L'extension du port et plus précisément la construction d'un second quai (prévu dans le cadre du schéma d'aménagement directeur portuaire de la collectivité) est une nécessité incontournable et permettra d'accueillir des liners de 290 mètres d'une capacité de 4 000 conteneurs.

L'aéroport de Dzaoudzi-Pamandzi

Mayotte a d'évidents atouts touristiques avec le plus vaste lagon de l'Océan indien, cerclé par une double barrière de corail. Cependant, la fréquentation, bien qu'en forte progression (+ 20 % en 2005), reste peu significative en comparaison d'autres îles de l'Océan indien : 40 000 visiteurs en 2005 quand La Réunion en accueille plus de 400 000, Maurice 700 000... Ce tourisme reste très ciblé (plongée) ou lié à des relations, des affinités. La marge de progression est évidente. Près de 90 000 touristes annuels sont attendus avant 2010.

L'un des obstacles évidents au développement touristique réside dans l'infrastructure aéroportuaire : la piste actuelle de l'aéroport, longue de 1 930 mètres et large de 28 mètres, n'autorise pas l'accueil dans le strict respect des normes de sécurité des gros porteurs susceptibles de venir d'Europe sans escale ; la liaison entre l'île et la métropole est aujourd'hui assurée par une seule compagnie, avec escale obligatoire à La Réunion, en outre à un tarif peu attractif. Des projections évaluent à plus de 500 000 passagers avant 2020 le trafic de l'aéroport de Dzaoudzi-Pamandzi. La construction d'une piste longue est une nécessité, mais le coût des travaux, comprenant aussi une nouvelle aérogare, est estimé à plus de 140 millions d'euros.

Source : éléments fournis par la préfecture de Mayotte.

2. La formation

L'éducation et la formation restent deux autres chantiers déterminants pour Mayotte.

Des progrès énormes ont été réalisés en trente ans : Mayotte, qui comptait seulement 2 900 élèves en 1973, en comptait 59 000 en 2003, soit 35 % de la population ; 190 écoles, 14 collèges, 6 lycées fonctionnent... Et l'effort n'est pas fini, le Premier ministre l'a bien indiqué le 19 mai dernier en annonçant qu'un établissement nouveau ouvrira chaque année jusqu'en 2010 ; il a aussi signalé qu'avec 139 postes d'enseignants créés en 2006, Mayotte est la première collectivité française en nombre de créations de postes devant La Réunion et la Guyane.

Cependant, d'après une estimation récente portant sur l'année 2002 (4), la moitié des 4 000 jeunes Mahorais qui sortent annuellement du système scolaire pour entrer sur le marché du travail n'ont aucune qualification, moins de 500 sont bacheliers. Quant à la formation professionnelle, si 2 458 demandeurs d'emplois ont pu, selon la même source, bénéficier en 2003 d'un stage, ce chiffre est à rapprocher des chiffres globaux du chômage : 13 000 Mahorais concernés, dont, en 2003, 84 % avec un niveau de qualification inférieur au brevet des collèges... L'ampleur de l'effort encore à réaliser est claire.

3. L'action sanitaire et sociale

Le déploiement d'un système moderne de santé doit se poursuivre à Mayotte. Le Premier ministre a annoncé deux nouveaux projets, la réhabilitation de l'ancien hôpital de Dzaoudzi qui permettra une offre de soins complète sur Petite-Terre et l'ouverture de lits de psychiatrie à l'hôpital de Mamoudzou.

Dans d'autres domaines, des progrès sont aussi attendus : la mission estime ainsi que, dans le cadre de la priorité qui doit être donnée à l'enfance et à l'éducation, il serait important de veiller à l'essor de la médecine scolaire de prévention. Une meilleure prise en charge des handicaps des enfants doit aussi être mise en place, qui pourrait notamment passer par l'introduction de l'allocation d'éducation spéciale (AES) à la charge de l'Etat (Mayotte est le seul territoire où l'équivalent de cette allocation, avec un montant réduit, relève du conseil général...).

Dans la contribution qu'il a adressée à la mission, M. Bertrand Perrier, directeur de la caisse de sécurité sociale de Mayotte estime que le ticket modérateur mahorais étant très insuffisant et inégalitaire, il serait nécessaire d'appliquer dans l'archipel la couverture maladie universelle (CMU).

Enfin, plus dans le domaine de l'action sociale, l'augmentation rapide des tarifs de l'eau et de l'électricité rend nécessaire la transposition des dispositifs de solidarité qui existent en métropole.

E. LA NÉCESSITÉ DE NE PAS OMETTRE LE VOLET INSTITUTIONNEL

Les investissements considérables dont Mayotte a besoin devant bénéficier de financements extérieurs, la mission a considéré qu'au-delà de la solidarité nationale, il serait utile de solliciter, si possible, la solidarité européenne. Une délégation s'est déplacée à Bruxelles, où elle a entendu, de la part d'interlocuteurs divers de la Commission européenne, de ses services, du Parlement européen et de la représentation permanente de la France, un discours assez unanime sur le caractère déterminant d'une part des initiatives politiques, d'autre part de l'évolution statutaire de l'archipel.

Combler les écarts de développement constitue bien un objectif de l'Union européenne, qui dispose pour cela de moyens financiers considérables ; l'investissement dans les infrastructures et la formation est bien considéré à Bruxelles comme prioritaire ; mais encore faut-il que des concours communautaires soient juridiquement possibles et politiquement prévus dans les prévisions financières, ce qui implique à la fois une réflexion sur l'évolution statutaire et des initiatives politiques fortes du gouvernement français.

L'évolution statutaire est également déterminante quant aux politiques menées localement en matière sociale et en matière d'emploi. Ce qu'on peut faire ne dépend pas seulement des moyens d'intervention que l'on met en place, mais aussi des moyens administratifs chargés de gérer les interventions et de leur organisation. Au plan local, la mission recommande donc la poursuite du déploiement d'institutions administratives (et assimilées) « de droit commun » et dotées de moyens comparables à ceux qui existent ailleurs sur le territoire.

Pour ce qui concerne l'organisation d'ensemble des structures administratives à Mayotte, en particulier les rôles respectifs des trois grandes catégories d'acteurs que sont l'Etat et les organismes qui en dépendant (comme l'ANPE), les collectivités territoriales et les organismes de type sécurité sociale associant les partenaires sociaux, des clarifications sont certainement nécessaires (il convient d'éviter autant que possible la multiplication des « guichets » sociaux), mais il paraît encore prématuré d'adopter des positions définitives, tant nombre de ces institutions sont encore « jeunes ». A titre d'exemple, on peut rappeler que ce n'est qu'en 2004 que le président du conseil général a remplacé le préfet en tant qu'autorité exécutive de la collectivité départementale, vingt ans après le même changement fondamental dans le reste du pays...

1. L'évolution statutaire : une dimension européenne à intégrer

Les investigations conduites à Bruxelles ont établi que l'évolution statutaire de Mayotte en droit interne, son accès ou non, plus ou moins rapide, à la qualité de département d'outre-mer, auront également des conséquences directes sur ses relations avec l'Union européenne et sur les aides communautaires qui lui seront éventuellement ouvertes.

En effet, l'article 299 du traité instituant la Communauté européenne définit deux régimes très différents pour les territoires isolés - et le plus souvent insulaires - que l'histoire a rattachés à une minorité d'Etats membres :

- d'une part, le régime des « régions ultrapériphériques » (RUP) de l'Union, parmi lesquelles il place, sans les nommer un à un, l'ensemble des DOM. Les RUP font partie de l'Union, le traité s'y appliquant sous réserve de « mesures spécifiques » ;

- d'autre part, le régime des « pays et territoires d'outre-mer » (PTOM) dont la liste, comprenant explicitement Mayotte, est donnée par l'annexe II du traité. Les PTOM sont hors Union européenne ; ils bénéficient d'un « régime spécial d'association ».

Un basculement de l'archipel de la catégorie PTOM à la catégorie RUP impliquerait donc une modification du traité avec tout ce que cela comporte (non seulement l'unanimité des Etats membres, mais aussi un formalisme lourd et de longs délais : conférence intergouvernementale, temps de ratification par chaque Etat...). A la limite, l'accession de Mayotte au statut de DOM dispenserait de modifier le traité, puisque les DOM ne sont pas nommément listés, mais il faudrait sans doute, quand même, une procédure sensiblement aussi lourde pour la rayer de l'annexe relative aux PTOM ; cette option et ses conséquences juridiques et procédurales précises méritent toutefois d'être étudiées en détail.

L'entrée en vigueur de la Constitution européenne rendrait plus facile un changement de statut, le basculement PTOM/RUP pouvant faire partie des domaines couverts par des « clauses passerelle » permettant des procédures simplifiées. Mais on sait ce qu'il en est de cette entrée en vigueur. Force est de constater, malheureusement, que le rôle de la France dans le blocage de celle-ci rend doublement plus difficile une évolution sur le statut européen de Mayotte, juridiquement en obligeant à une procédure lourde de modification du traité en vigueur, politiquement parce toute proposition française nouvelle de modification du traité, même minime, risque d'être par principe mal reçue par nos partenaires.

Le statut PTOM ou RUP a naturellement de très importantes conséquences pour l'accès aux fonds communautaires, puisque selon le cas on est hors de l'Union ou dans celle-ci.

Les PTOM reçoivent des aides au développement imputées sur les dotations successives du fonds européen de développement (FED). Le 9ème FED (2000-2007) n'a dégagé pour Mayotte, d'après les informations recueillies à Bruxelles et compte tenu de reliquats antérieurs, que 20,5 millions d'euros, soit environ 110 euros par habitant.

La situation des RUP est très différente. Si on s'intéresse aux années à venir, on peut se fonder sur le compromis interinstitutionnel qui vient d'être acquis sur les perspectives financières de l'Union européenne pour 2007-2013. Il garantit des financements substantiels aux régions les plus pauvres de l'Union, dites « de convergence » : pour ces régions, le montant d'aide communautaire garanti par habitant représenterait (5), lorsqu'elles font partie d'Etats riches de l'Union, comme la France, 2,67 % de la différence entre le PIB local et la moyenne communautaire, ce qui correspondrait sans doute à Mayotte à plusieurs centaines d'euros par habitant, peut-être 500 à 600 pour la période(6). S'y ajoute une dotation additionnelle garantie spécifique aux RUP (et aux régions faiblement peuplées du nord des pays scandinaves), qui s'élèverait à 35 euros par habitant et par an. Tout cela au seul titre de la politique régionale, sans compter les autres politiques communautaires de droit commun dont un territoire européen bénéficie, notamment la politique agricole. L'ordre de grandeur des moyens financiers disponibles n'est donc pas le même entre les PTOM et les RUP.

S'agissant d'un changement de statut et de moyens nouveaux pour Mayotte, les interlocuteurs de la mission à Bruxelles ont souligné les difficultés juridiques abordées supra et y ont ajouté une difficulté technico-politique : le grand marchandage auquel correspondent les perspectives financières (dans le cadre duquel des « enveloppes » ont été effectivement formellement garanties à divers Etats ou régions explicitement nommés) est maintenant terminé ; les choses sont assez largement « bouclées » jusqu'en 2013. Cela dit, outre qu'il a été prévu avant cette date un exercice d'examen des dépenses (obtenu par les adversaires de la politique agricole commune), tout est aussi question de volonté politique : comme une personne entendue l'a rappelé, l'Union a su trouver des moyens financiers au profit de la réunification allemande alors que celle-ci n'avait bien sûr pas été programmée...

S'il est une seule certitude, c'est que l'initiative sur un tel sujet ne peut venir, à Bruxelles, que du gouvernement français. Pour d'évidentes raisons politiques et quelles que soient les règles juridiques, aucune autre instance communautaire ne prendra d'initiative sur Mayotte. C'est pourquoi la mission d'information espère que le gouvernement poursuivra et amplifiera les démarches qu'il a déjà engagées afin d'obtenir pour Mayotte le statut de RUP, éventuellement précédé d'une période transitoire où un statut intermédiaire (de « pré-adhésion ») pourrait être prévu.

On peut aussi penser que ce contexte européen mérite d'être pris en considération dans la réflexion interne sur le statut de Mayotte dans la République ; avancer la date, actuellement fixée à 2010, où les Mahorais pourront demander le statut de DOM constituerait à cet égard un signe fort.

2. La poursuite du déploiement d'institutions de droit commun

a) Les organismes gestionnaires des politiques de l'emploi

L'ANPE et l'assurance chômage, comme il a déjà été indiqué, existent depuis quelques mois seulement à Mayotte, ce qui explique naturellement les insuffisances que l'on peut relever. Sans donc critiquer ces institutions, la mission souhaite plaider pour un renforcement massif des moyens de l'ANPE et l'alignement le plus rapide possible de l'assurance chômage sur le modèle national.

L'ANPE mahoraise reste extraordinairement sous-dotée : on peut considérer qu'on a en moyenne en France un agent ANPE pour un peu plus de 100 demandeurs d'emploi et une agence pour environ 3 000 (7) ; à Mayotte, si on admet qu'il pourrait y avoir environ 13 000 demandeurs d'emploi (d'après le recensement des personnes inscrites à ce titre à la direction du travail et de l'emploi), ce chiffre restant incertain, l'extrapolation du taux d'encadrement précité légitimerait la présence d'environ 120 agents de l'ANPE, répartis dans quatre ou cinq agences. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'avec 6 agents et une seule localisation géographique, on est très loin du compte... En outre ces agents connaissent une difficulté technique et une surcharge de travail du fait de l'absence d'Assédic à Mayotte : ils doivent assurer l'inscription des demandeurs d'emploi, ailleurs gérée par l'assurance chômage, et leur outil informatique, hérité de la direction du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DTEFP), est moins adapté que celui, commun aux réseaux ANPE et Unédic, qui est utilisé ailleurs ; apparemment, la direction de l'Unédic a refusé la mise à disposition de ce logiciel commun.

On ne s'étonnera pas que, selon les déclarations même de son directeur, la jeune agence ne puisse faire face à ses missions élémentaires, qui, au-delà de la gestion de la liste des demandeurs d'emploi, comportent ailleurs sur le territoire le recueil d'offres d'emploi, la mise en relation des demandeurs d'emploi et des employeurs, la proposition de prestations d'accompagnement aux demandeurs d'emploi, des travaux prospectifs sur l'évolution des offres... Le directeur a ainsi regretté, devant la mission, de ne pouvoir satisfaire qu'environ 60 % des offres déposées par les employeurs, faute de moyens, situation d'autant plus regrettable que le nombre de ces offres apparaît en forte augmentation, rendant compte du dynamisme de l'économie.

Ce problème de moyens semble particulièrement net en matière d'offre de formation professionnelle, les éléments disponibles sur le niveau de qualification des chômeurs comme sur les emplois souhaités par eux traduisant de toute évidence des besoins criants en la matière. On constatait, en 2003, que 84 % des demandeurs d'emploi avaient un niveau de formation n'excédant pas le brevet des collèges ; plus d'un tiers des hommes demandeurs d'emploi et plus des deux tiers des femmes déclaraient rechercher des emplois d'agent d'entretien, essentiellement chez des particuliers, ce qui rend compte d'une faiblesse générale de qualifications scolaires et/ou techniques même basiques (8)...

Enfin, du point de vue de l'organisation administrative, le fait que l'ANPE dispose à Mayotte d'une agence dépendant de La Réunion et non d'une délégation pose problème.

Pour ce qui concerne l'assurance chômage, on a dit que les partenaires sociaux mahorais avaient fait le choix d'un régime autonome, hors système Unédic-Assédic, avec des cotisations presque six fois plus faibles, mais en contrepartie des conditions d'indemnisation beaucoup plus restrictives. Une évolution conduisant à l'intégration de ce régime dans le droit commun apparaît souhaitable.

Du strict point de vue administratif - mais cela a aussi une incidence pour l'accueil et le traitement des demandeurs d'emploi -, l'arrivée du système Unédic-Assédic permettrait à l'ANPE de profiter de l'acquis national dans les relations avec l'Unédic, acté dans le cadre du plan de cohésion sociale : outil informatique commun, partage des tâches d'inscription, évolution vers un service intégré aux demandeurs d'emploi...

S'agissant du niveau d'indemnisation, il faut rappeler que l'existence d'une assurance chômage offrant des prestations décentes constitue un élément essentiel (méconnu car allant de soi) de la sécurisation des parcours professionnels aujourd'hui recherchée : il existe actuellement dans les pays européens des débats sur le fait qu'une indemnisation « trop généreuse » du chômage pourrait parfois retarder le retour à l'emploi, mais on oublie parfois que l'existence de cette indemnisation est aussi une incitation à la prise d'emploi, car elle garantit une certaine continuité du revenu en cas de coup dur, dès lors que l'on a travaillé assez longtemps pour être éligible à l'indemnisation. L'assurance chômage peut donc être très efficace dans la décision d'accepter un emploi précaire ou à l'avenir incertain ; c'est un instrument social parfaitement compatible avec le développement de l'emploi.

Au-delà des acteurs principaux, il faut enfin signaler le rôle positif que peuvent jouer de multiples intervenants plus spécialisés : organismes de formation, organismes dédiés à des publics spécifiques de chômeurs (jeunes, personnes handicapées...), entreprises d'insertion, associations intermédiaires, etc. Mayotte a tout à gagner à développer tout ce réseau. A cet égard, la prochaine mise en place des trois chambres consulaires de droit commun doit être saluée, en espérant qu'elles pourront non seulement relayer les actions publiques, mais aussi devenir des forces de proposition.

b) Une caisse d'allocations familiales de plein exercice

Les prestations familiales sont actuellement gérées à Mayotte par un « établissement » qui dépend de la caisse d'allocations familiales de La Réunion.

La rapidité et la fiabilité avec lesquelles cet établissement a mis en place les prestations familiales à Mayotte en quelques années sont incontestables. Le fait est que la technicité des tâches, la nécessité de formations assez longues pour les personnels (13 mois pour former un technicien-conseil chargé d'appliquer les 18 000 règles de droit existantes), obligeaient dans un premier temps à recourir à l'appui d'une caisse et de personnels extérieurs. Mais maintenant, selon les dires mêmes de la directrice de la caisse de La Réunion, 15 Mahorais ont été formés.

Il n'existe donc plus de raison déterminante que Mayotte ne dispose pas d'une caisse de plein exercice.

3. La nécessaire clarification des règles de droit et du positionnement des institutions

Sans vouloir fixer trop rapidement les compétences définitives de l'Etat, du conseil général et des différentes caisse sociales en matière de politiques sociales, ni imposer absolument des démarches de « guichet unique » utiles mais conflictuelles, on ne peut que souligner la complexité et les incertitudes des règles de droit en principe applicables ainsi que les évolutions parfois pas très cohérentes que l'on relève dans certaines domaines d'intervention.

L'audition des représentants de la collectivité départementale de Mayotte et de l'Assemblée des départements de France (ADF), conduits par M. Mistoihi Mari, vice-président du conseil général chargé des affaires sociales, a mis en lumière des demandes légitimes de clarification juridique et d'affichage plus clair et anticipé des évolutions de compétences, des intentions des uns et des autres, notamment de l'Etat.

Du point de vue juridique, le principe de spécialité, c'est-à-dire l'obligation d'une mention expresse pour que les lois de la République s'appliquent à Mayotte, apparaît comme la source essentielle des difficultés : l'absence de ladite mention fait que des réformes de telle ou telle législation restent inappliquées à Mayotte ; des codes sont partiellement applicables, partiellement inapplicables...

Parfois aussi, considérant que des mesures d'adaptation sont nécessaires, le législateur habilite le gouvernement à transposer par voie d'ordonnances telle ou telle grande réforme à Mayotte : cela a été le cas, par exemple, de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, dont l'article 92 prévoyait un délai de douze mois pour cette transposition. Ce délai est passé sans que les ordonnances soient prises ; au demeurant, le champ limité de l'habilitation (les dispositions de la loi « relevant du domaine de compétence de l'Etat ») aurait sans doute posé problème, les créations institutionnelles de la réforme, comme la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées et la maison départementale des personnes handicapées, associant justement tous les acteurs bien au-delà de l'Etat. Or la mise en place de telles institutions est nécessaire à Mayotte comme préalable à l'instauration d'une prestation telle que la prestation de compensation aux personnes handicapées. S'agissant des personnes âgées, la problématique est la même pour l'allocation personnalisée d'autonomie : si l'on veut mettre en place ce type de prestations individualisées, complexes, il faut les équipes et les instances de décision aptes à les gérer.

L'effort d'aggiornamento juridique et institutionnel est donc loin d'être achevé. L'importance du travail déjà effectué en moins de cinq ans mérite au demeurant d'être saluée. Mais, pour l'avenir, avant son abandon lorsque la départementalisation sera acquise, il apparaît opportun d'aller vers une limitation du principe de spécialité législative que la loi statutaire de 2001 a déjà écorné en l'écartant dans un certain nombre de matières législatives.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné le présent rapport d'information au cours de sa réunion du mercredi 5 juillet 2006.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Mme Juliana Rimane s'est interrogée sur le devenir des mesures proposées par la mission d'information lorsque Mayotte deviendra un département d'outre-mer.

M. Mansour Kamardine, rapporteur, a insisté pour que dans l'immédiat la meilleure chance soit donnée au développement de l'emploi. Toutes les personnes auditionnées ont insisté sur l'impératif de ne pas proposer des mesures d'assistanat mais des dispositions favorisant l'emploi et le développement économique et social.

Le président Jean-Michel Dubernard a remercié les membres de la mission pour leur travail. C'est au cours d'une visite de Mayotte en janvier 2006 que les membres du bureau de la commission ont constaté l'importance des problèmes sociaux auxquels est confrontée Mayotte mais également la chance que constitue pour ce territoire sa transformation en département en 2010.

Des débats parlementaires est née l'idée d'un regroupement des neuf minima sociaux existants en métropole. Des sénateurs ont travaillé sur cette question. Certains ont même proposé d'instituer un minimum social unique.

Concernant les minima sociaux à Mayotte, la mission d'information a opté pour un ensemble de propositions cohérentes permettant de traiter simultanément l'évolution des institutions, l'accompagnement économique, sanitaire et social, l'insertion dans l'emploi par la mise en place d'un revenu minimum d'activité et l'amélioration des prestations sociales. Ses propositions ne sont peut-être pas allées assez loin mais son travail est incontestablement très utile pour le territoire de Mayotte dans la perspective de l'échéance de 2010 mais également pour les départements métropolitains.

*

En application de l'article 145 du Règlement, la commission a décidé à l'unanimité le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

ANNEXE 1

PROPOSITIONS DE LA MISSION

En premier lieu, il convient de rappeler que la mise en œuvre des propositions de la mission exige des moyens financiers. A ce titre, il serait utile que le gouvernement confie à une mission d'expertise le soin de déterminer ce que serait le coût théorique de l'application des minima sociaux de droit commun à Mayotte, conformément à l'égalité républicaine. Dans une logique comparable à celle qui a conduit dans les DOM à la notion de « créance de proratisation », l'Etat pourrait s'engager, à défaut de transposition à l'identique du système national de minima sociaux, à consacrer une somme équivalente à diverses mesures d'adaptation, de substitution ou d'accompagnement.

L'accès au statut de département d'outre-mer devrait également, à terme, permettre à Mayotte de bénéficier des fonds communautaires accessibles aux régions ultrapériphériques de l'Union européenne, ce qui constitue un enjeu très important.

Le préalable du financement étant rappelé, les propositions de la mission sont les suivantes.

· Des mesures dépourvues de coût budgétaire et sur lesquelles des engagements ont déjà été pris :

1 - Après avoir analysé et levé les obstacles administratifs qui semblent exister, mettre en œuvre effectivement et généraliser, dès la rentrée scolaire 2006, la prestation d'aide à la restauration scolaire en l'utilisant aussi comme moyen d'insertion dans l'activité économique pour les femmes qui contribuent à la restauration des enfants.

2 -  Réformer très rapidement - si possible avant la rentrée 2006 - l'allocation de rentrée scolaire afin qu'elle soit versée à Mayotte, comme ailleurs en France, en intégralité aux familles et avant la rentrée (au mois d'août).

· Des mesures d'amélioration des prestations sociales :

3 - Engager sans délai un processus, programmé sur plusieurs années, de relèvement de l'ensemble des prestations sociales - notamment les prestations familiales - qui existent déjà à Mayotte. La meilleure méthode consisterait à lier le montant de ces prestations au salaire minimum mahorais, en atteignant dans un premier temps un niveau déterminé en fonction du ratio national prestation/SMIC pour chaque prestation, puis en suivant l'évolution du salaire minimum mahorais. En aucun cas, ce processus de revalorisation ne doit conduire à rétablir un traitement discriminatoire au détriment des familles de plus de trois enfants.

4 - Afin d'accompagner les mères isolées dans le contexte actuel d'évolution de la société mahoraise, mettre en place une allocation adaptée qui pourrait être inspirée de l'allocation de soutien familial (ASF) nationale dédiée aux orphelins et aux enfants dont l'un des parents n'assume pas la charge financière.

5 - Réformer l'allocation logement familiale, afin qu'elle « trouve son public », mais sans céder à la facilité qui consisterait seulement à alléger très fortement les obligations en vigueur quant à la taille ou à l'équipement des logements. Il s'agirait d'expérimenter des options alternatives, par exemple accorder l'allocation à titre d'avance pour le financement de travaux de mise aux normes.

· Des mesures ciblées sur l'insertion dans l'emploi, garantissant un véritable « revenu minimum d'activité » :

6 - Mettre en place un dispositif adapté pour développer l'emploi salarié dans le secteur marchand, qui pourrait prendre la forme d'un contrat aidé comportant un volet formation financé par l'Etat et inspiré du contrat d'accès à l'emploi (CAE) qui existe dans les DOM.

7 - Etendre à Mayotte le dispositif d'exonération de charges sociales patronales en vigueur dans les DOM, mesure au coût limité qui accompagnerait efficacement le relèvement rapide du salaire minimum mahorais.

8 - Imaginer et expérimenter des formules innovantes pour favoriser la création ou le maintien d'entreprises : micro-crédit ; aides à l'investissement et à la formation ; soutien structurel aux faibles revenus du travail, par l'attribution d'un revenu complémentaire lié aux revenus d'activité non-salariée déclarés et contrôlés...

· Des mesures d'accompagnement pour le développement économique, sanitaire et social :

9 - Financer et conduire les grands chantiers d'infrastructure absolument nécessaires au développement économique : construction de la piste longue d'atterrissage, afin d'accueillir des vols directs depuis l'Europe ; élargissement des capacités portuaires ; développement des réseaux numériques ; équipements et aménagements liés à l'environnement, notamment en matière d'assainissement et d'énergies renouvelables.

10 - Poursuivre et accentuer l'effort considérable d'investissement engagé en matière d'éducation et de formation professionnelle.

11 - Déployer une médecine scolaire de prévention et une meilleure prise en charge des handicaps des enfants.

12 - Instaurer la couverture maladie universelle.

13 - Transposer les dispositifs de solidarité qui existent en métropole pour l'accès aux services publics (eau, électricité), dont les tarifs sont en forte augmentation.

· Des évolutions institutionnelles nécessaires à l'application efficace des politiques publiques :

14 - Prendre des initiatives fortes en matière statutaire, visant notamment à une accélération du processus de départementalisation et à une prise en compte du dossier mahorais à Bruxelles.

15 - Instituer une délégation régionale de l'ANPE (au lieu d'une simple agence locale).

16 - Doter l'ANPE de moyens comparables à ceux disponibles ailleurs pour le même nombre de demandeurs d'emploi, ce qui signifierait plus d'une centaine d'agents répartis dans quatre ou cinq agences.

17 - Aller vers l'intégration du régime autonome d'assurance chômage dans le dispositif national Unédic-Assédic, afin de profiter de l'acquis national en matière de synergies avec l'ANPE et de mieux indemniser les demandeurs d'emploi.

18 - Déployer l'ensemble des organismes associés aux politiques de l'emploi : organismes de formation, organismes dédiés à des publics spécifiques de chômeurs (jeunes, personnes handicapées...), entreprises d'insertion, associations intermédiaires, etc.

19 - Instituer une caisse d'allocations familiales de plein exercice.

20 - Dans la perspective d'une clarification des règles de droit et du positionnement des institutions, limiter encore le champ d'application du principe de spécialité législative, souvent mal compris et qui sert de prétexte pour retarder la pleine intégration de Mayotte à la République.

21 - En particulier, rendre possible l'application à Mayotte de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

ANNEXE 2

TRAVAUX DE LA MISSION

COMPTE RENDUS DES AUDITIONS

(par ordre chronologique)

page

¬ Mme Valérie Létard, sénatrice

53

¬ M. Mistoihi Mari, vice-président du conseil général de Mayotte chargé des affaires sociales, accompagné de M. Mohamed El Amine, directeur des affaires sociales de la collectivité de Mayotte, M. Jean-Michel Rapinat, directeur du service société de l'Assemblée des départements de France (ADF), accompagné de Mme Marylène Jouvien, chargée des relations avec le Parlement à l'ADF






55

¬ M. Serge Castel, président de la caisse d'assurance chômage de Mayotte


57

¬ M. Marc Castille, responsable DOM-TOM au Secours populaire

59

¬ Mme Hélène Périvier, chargée d'études à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)


60

¬ Mme Nicole Prud'homme, présidente de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), accompagnée de M.  Frédéric Marinacce, directeur des prestations familiales légales, M. Arnaud Rozan, sous-directeur des prestations familiales légales, et Mme Vera Levy, chargée des relations avec le Parlement





62

¬ M. François Baroin, ministre de l'outre-mer

67

¬ M. Pierre Barrière, directeur de l'agence pour l'emploi de Mayotte

71

¬ M. Jean-Paul Kihl, préfet de Mayotte

74

¬ M. Philippe Leyssene, directeur des affaires économiques, sociales et culturelles au ministère de l'outre-mer


76

¬ Mme Michèle André, directrice générale de la caisse d'allocations familiales de La Réunion


79

¬ M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale, accompagné de M. François Landais, chargé de mission


82

¬ Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité


86

¬ M. Henri de Raincourt et M. Michel Mercier, sénateurs

90

¬ M. Jean Gaeremynck, délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle, accompagné de M. Patrick Lavergne, chef de la mission insertion professionnelle



92

¬ M. Jean-Jacques Tregoat, directeur général de l'action sociale, accompagné de M. François Delalande, sous-directeur des affaires juridiques et financières, M. Bernard Pernet, chargé de mission, et M. Laurent Cytermann, chef du bureau des minima sociaux




94

COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 3 MAI 2006

Audition de Mme Valérie Létard, sénatrice

Invitée par le président Mansour Kamardine à s'exprimer sur l'élaboration d'un nouveau « modèle » du système des minima sociaux, qui pourrait être expérimenté notamment à Mayotte, Mme Valérie Létard a présenté les observations suivantes :

Le groupe de travail qu'elle préside ne donne pas la priorité à la rationalisation, voire le regroupement des neuf minima sociaux existants en métropole, qui représentent autant de réponses successives données à des problèmes apparus, de strates historiques, et sont donc régis par des réglementations différentes. Dans la mesure où les « droits connexes » attachés à son statut représentent 60 % du revenu effectif d'un allocataire du RMI, contre 30 % pour l'allocation elle-même, la priorité est là : harmoniser ces droits connexes entre bénéficiaires des différents minima et avec les salariés pauvres. C'est une question d'égalité, c'est aussi une question de fluidité des parcours de retour à l'emploi : chacun doit pouvoir savoir ce que seront ses revenus et droits effectifs et les droits connexes ne doivent pas être interrompus brutalement. D'autres propositions consistent à supprimer les délais de carence et à neutraliser immédiatement les ressources devenues inexistantes, afin, là aussi, de faciliter les parcours d'insertion en prenant en compte la précarité des contrats de travail offerts (contrats à durée déterminée de courte durée).

Les minima sociaux n'existant pas à Mayotte, ce qu'on peut y faire est différent et on peut dès le départ raisonner par « familles » de personnes concernées :

- Pour les personnes aptes au travail, il peut ne pas être utile de prévoir une distinction RMI/allocation de parent isolé (API), sous réserve de bien prévoir l'obligation de traiter des modes de garde en cas de présence de jeunes enfants. De même, la distinction RMI/allocation de solidarité spécifique (ASS) peut être évitée, en étant conscient qu'en métropole elle entraîne une différence forte de perception (stigmatisation des « rmistes »), mais il importe alors de bien associer accompagnement social et accompagnement vers l'emploi et de bien travailler avec le service public de l'emploi (en métropole, l'un des enjeux est de dépasser, par des partenariats, le triptyque départements gérant le RMI/régions maîtresses de la formation/Agence nationale pour l'emploi chargée du retour à l'emploi).

- Pour les personnes handicapées, il faut éviter la distinction allocation adulte handicapé (AAH)/pension d'invalidité, qui conduit aujourd'hui, contradictoirement, à ce que l'AAH apparaisse, avec les améliorations récentes et droits connexes, plus favorable que la pension d'invalidité.

Mayotte a opté pour le modèle français et le système administratif est déjà bien structuré (sous réserve du problème de l'état-civil). De même, les progrès sont rapides en matière d'infrastructures de service public - eau, électricité, assainissement -, qui entraîneront cependant des impôts supplémentaires. Mais il n'y a pas d'équivalent en matière d'infrastructures économiques. Or, on ne peut pas améliorer le système social s'il n'y a pas de développement économique, étant entendu que le niveau des prestations sociales doit toujours tenir compte de celui des salaires. Les infrastructures prioritaires justifiant un effort public massif et ciblé sont : l'aéroport ; le port ; le désenclavement numérique (cf. le succès des call centers à Maurice) et peut-être l'assainissement. Les fonds structurels européens pourraient sans doute être sollicités car leurs deux objets prioritaires, les infrastructures pour le développement économique et la formation en vue de l'emploi, correspondent bien aux besoins de Mayotte. Mais, a estimé M. Ghislain Bray, il est difficile, à cette fin, de rogner sur les fonds attribués à d'autres et il n'est pas évident de dégager de nouveaux moyens.

Dernier enjeu essentiel selon Mme Valérie Létard, l'éducation. Il est nécessaire que les enfants puissent apprendre le français avant six ans, ce qui implique de créer des écoles maternelles. C'est aussi très important pour l'accompagnement social, voire alimentaire, des enfants.

Enfin, le problème de l'immigration n'a de solution que dans les politiques de coopération avec les pays d'origine, pas dans la modification des règles de nationalité.

Le président Mansour Kamardine a rappelé sa position de prudence quant à l'introduction du RMI à Mayotte, qui n'a pas empêché sa victoire aux dernières élections législatives contre des adversaires qui étaient tous partisans d'une introduction rapide. Mais il faut créer de l'emploi, de l'activité. Une option consiste à favoriser l'activité traditionnelle qui est notamment celle des femmes en la rendant plus rémunératrice. Il s'agit de créer un « RMA » qui compléterait les revenus du travail, idée que Mme Valérie Létard a rapproché du « revenu de solidarité active » proposé par M. Martin Hirsch, président d'Emmaüs.

S'agissant des prestations familiales, leur versement à la femme et non à l'homme est un progrès qui n'allait pas de soi et que revendique le président Mansour Kamardine, mais des problèmes subsistent : le versement direct d'une partie des allocations aux établissements scolaires, le versement de l'allocation de rentrée scolaire à la fin de l'année et non à la rentrée.

_

Audition de M. Mistoihi Mari, vice-président du conseil général de Mayotte chargé des affaires sociales, M.  Mohamed El Amine, directeur des affaires sociales de la collectivité de Mayotte, M. Jean-Michel Rapinat, directeur du service société de l'Assemblée des départements de France (ADF), et Mme Marylène Jouvien, chargée des relations avec le Parlement à l'ADF

Après avoir excusé l'absence du président du conseil général, M. Mistoihi Mari a observé que le développement économique accéléré de Mayotte accroît les inégalités, rendant urgent qu'y soient étendus les minima sociaux, tout en prenant acte de la réflexion nationale sur leur réforme. Il a rappelé les quelques prestations mises en place par le conseil général en matière de vieillesse et de handicap, l'intervention de la collectivité étant cependant accessoire et peu efficace : une clarification des missions avec l'Etat et la sécurité sociale est nécessaire.

M. Mohamed El Amine a relevé un certain nombre d'incertitudes sur les compétences de la collectivité départementale de Mayotte (CDM). Des compétences qui lui avaient été attribuées en 1992 ont été reprises par l'Etat en 2002, des articles du code de l'action sociale et des familles sont applicables, d'autres non ; par exemple, la base légale du service départemental d'action sociale est fragile en l'absence d'application de l'article qui en prévoit l'existence de manière générale. D'autres articles entraînent en revanche des contraintes lourdes comme celui obligeant à la prise en charge des mineurs en danger (y compris en situation irrégulière). Les lois de 1975 et 2002 sur le handicap ne sont pas applicables à Mayotte et celle de 2005 renvoyait, à son article 92, à une ordonnance d'adaptation, mais seulement pour les mesures dépendant de l'Etat, donc pas, par exemple, pour la mise en place d'une maison départementale des personnes handicapées par le conseil général.

Il existe toutefois une faculté dans la loi, qui devrait être plus utilisée car elle permet de dépasser les questions de compétences : l'article L. 545-4 du code de l'action sociale et des familles permet à l'Etat d'apporter son concours financier au développement de la protection sociale à Mayotte en conventionnant avec le conseil général.

Le président Mansour Kamardine a rappelé sa position de prudence quant à un basculement prématuré de trop de compétences vers le conseil général, ne serait-ce que parce que le principe de la décentralisation est la compensation sur la base des dépenses existantes : en présence de dispositifs totalement neufs, il n'y a pas de droit à compensation financière...

Enfin, en réponse à des questions de M. Ghislain Bray sur l'existence d'établissements médico-sociaux et d'un schéma départemental du handicap, M. Mohamed El Amine a indiqué qu'en matière d'enfance handicapée, il n'existe pas d'établissements du département, mais seulement des conventions avec des associations. Il a ajouté que le conseil général, volontairement, avait retardé le développement d'une action en matière de personnes âgées et de personne handicapées, préférant faire procéder préalablement à des audits. S'agissant des personnes âgées, on doit cependant observer que la caisse de sécurité sociale de Mayotte a commencé à développer une action spécifique (convention avec une association) avant de l'abandonner sur ordre de sa tutelle, obligeant le conseil général à prendre le relais. En conclusion, on doit donc souligner deux difficultés :

- les vides juridiques ;

- l'absence d'affichage clair et préalable de leurs intentions par l'Etat et la sécurité sociale.

M. Mistoihi Mari est revenu sur la situation générale de Mayotte : 30 à 40 % de chômage (chiffre incertain en l'absence d'agence pour l'emploi jusqu'à présent) ; 60 % de Mahorais de moins de 25 ans.

L'attrait du RMI et de l'API entretiennent un courant migratoire vers La Réunion et il convient donc d'étendre ce type de dispositifs à Mayotte. Il faudrait un socle d'environ 200 euros garantis à chacun (minimum vital), plus 300 liés au travail.

Un plan pluriannuel de revalorisation de toutes les allocations, pour se rapprocher du niveau métropolitain, la mise en place d'allocations chômage, la pris en charge de la petite enfance, actuellement absente, sont également nécessaires.

M. Mohamed El Amine a insisté aussi sur la situation des femmes de 45 ans et plus, qui le plus souvent n'ont pas de droit à retraite faute d'avoir occupé des emplois formels : la prise en charge de leurs vieux jours est l'un des enjeux les plus urgents.

M. Mistoihi Mari a observé que l'allocation spéciale pour personnes âgées (ASPA) est au contraire en régression aujourd'hui avec le report de 60 à 65 ans de l'âge d'entrée entre 2005 et 2010 (et parallèlement, celui de 55 à 60 ans de l'âge d'entrée dans l'ASV versée par le conseil général).

Le président Mansour Kamardine a rappelé qu'il s'agit d'un alignement sur le minimum vieillesse national. En matière de petite enfance, la caisse d'allocations familiales développe des actions et, de même, la restauration scolaire (au-delà des lycées où elle existait déjà) fait l'objet d'une expérimentation : plutôt que de faire appel à une grande entreprise spécialisée, il s'agit d'aider et de former les femmes qui traditionnellement vendent des en-cas.

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COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 4 MAI 2006

Audition de M. Serge Castel, président de la caisse d'assurance chômage de Mayotte

A l'invitation du président Mansour Kamardine et suite à des demandes de précisions exprimées par Mme Hélène Mignon, M. Serge Castel a décrit les conditions de l'implantation en cours de la caisse d'assurance chômage à Mayotte :

- Prévue par un accord interprofessionnel de 2005, cette caisse perçoit des cotisations depuis le 1er janvier 2006, le taux de cotisation (sur le salaire) étant de 0,6 % pour la part patronale et de 0,5 % pour la part salariale.

- L'indemnisation, étant réservée aux personnes licenciées pour motif économique pouvant alléguer de 7 mois de cotisations, commencera le 1er août prochain. Les personnes seront indemnisées 7 mois : 4 mois à 75 % de leur salaire antérieur, 3 mois à 50 %. On doit admettre que cette durée ne permettra sans doute pas à toutes les personnes concernées de retrouver un emploi, notamment quand elles ne sont pas qualifiées. Le marché du travail est étroit à Mayotte : 12 500 emplois dans le secteur privé et environ 10 000 dans le secteur public seulement pour 160 000 habitants. Le chômage n'est pas encore bien mesuré mais peut être estimé à 40 % au moins.

- Actuellement, près de 500 entreprises cotisent, en l'absence d'un système de recouvrement pas encore en place, sur 3 000 référencées (dont certaines n'emploient sans doute pas de salariés et ne sont donc pas assujettissables, mais d'autres emploient des personnes en situation irrégulière). Les particuliers employeurs devraient aussi cotiser, mais cela reste quasi théorique à cette heure...

- La caisse n'a pas de relation avec celle de sécurité sociale, sinon qu'elle en a obtenu le fichier, et n'appartient pas au système Unédic (son directeur faisant toutefois un stage à l'Assédic de La Réunion) : une telle décision, relevant du gouvernement, n'est pas souhaitable si elle doit impliquer des cotisations relevées aux taux nationaux, qui seraient inutilement élevées et grèveraient les entreprises.

- Même aux taux actuels de cotisations, la caisse va sans doute avoir les moyens, ce qu'elle étudie, d'étendre l'indemnisation à d'autres catégories que les licenciés économiques.

- L'accord interprofessionnel prévoit que le droit à l'indemnisation sera lié à l'inscription à l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE). Des relations seront donc établies.

Le président Mansour Kamardine et Mme Hélène Mignon ayant posé des questions sur les liens avec le monde économique et le développement de l'emploi, M. Serge Castel, rappelant son expérience de président du MEDEF local, a fait état de plusieurs « niches » à développer : l'aquaculture (et la transformation du poisson) ; le tourisme, qui implique un gros effort de formation des futurs personnels hôteliers et amène à s'interroger sur le monopole de desserte aérienne que s'efforce de conserver une compagnie. En matière de développement économique, la « chambre professionnelle » unique va être remplacée par 3 chambres consulaires classiques, les élections étant prévues le 18 juillet prochain. Il est à espérer qu'elles seront moins « politiques » et plus « économiques ».

Le président Mansour Kamardine l'ayant interrogé sur l'opportunité d'introduire à Mayotte le RMI, M. Serge Castel a marqué sa préférence pour un système de RMA, dont il a convenu, à la demande de Mme Hélène Mignon, qu'il devrait comporter une large part de formation, notamment au regard de l'illettrisme. Plus généralement, l'introduction des revenus sociaux à la française - pour compléter des revenus qui ont longtemps été exclusivement salariaux - est souhaitable à Mayotte, car elle contribuera à l'activité économique.

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COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 10 MAI 2006

Audition de M. Marc Castille, responsable DOM-TOM au Secours populaire

M. Marc Castille, après avoir excusé l'absence du président du Secours populaire, a expliqué que son organisation n'est quasiment pas présente à Mayotte et même plus généralement outre-mer pour des raisons qui tiennent à l'histoire (passé colonial) : outre-mer, comme dans les pays étrangers, le Secours populaire préfère traditionnellement travailler avec des partenaires. Toutefois il existe actuellement une volonté de relancer les activités de solidarité de l'organisation outre-mer. Pour ce qui concerne Mayotte, un contact a été pris avec l'association « Solidarité Mayotte », apparemment créée par des personnes de la Croix-Rouge, qui a demandé de l'aide sur la question du chikungunya.

Pour ce qui est des minima sociaux la position de principe du Secours populaire est qu'il ne faut pas encourager l'assistanat. C'est pourquoi, de manière générale, les personnes qui sont accueillies doivent devenir des « partenaires » participant à l'activité de l'association.

La priorité est également l'accès à l'emploi. Dans un département d'outre-mer comme La Réunion, on doit bien constater que l'introduction des minima sociaux a favorisé l'assistanat et le travail au noir. Le fait est que des travailleurs pauvres réguliers peuvent y disposer de revenus inférieurs à ce que peut donner le cumul d'un RMI et d'une activité non déclarée. Le RMI ne permettant pas de vivre décemment, il ne s'agit pas de condamner les personnes qui le complètent par un peu de travail au noir, mais cette situation est effectivement gênante. Plus généralement, il convient de rappeler que la difficulté, avec les minima sociaux, est d'en fixer le niveau pour assurer un minimum vital sans décourager le travail.

En métropole, lorsque le RMI a été créé, il y avait effectivement beaucoup de personnes en très grande difficulté dont les revenus étaient nuls : le RMI constituait un ballon d'oxygène qui a également permis à des organisations comme le Secours populaire de prendre contact avec des SDF, donc d'entrer dans une démarche de socialisation.

Qu'en est-il à Mayotte ? Il faudrait mieux connaître les catégories de personnes auxquelles une telle démarche pourrait s'appliquer. D'après quelques contacts pris, les personnes les plus en difficulté à Mayotte semblent être les personnes âgées et les personnes handicapées.

En ce qui concerne l'allocation de parent isolé (API), c'est une mesure importante pour la dignité des femmes, d'autant que l'on constate outre-mer des situations souvent très difficiles : par exemple, on a à La Réunion un niveau particulièrement élevé de violences familiales.

Le président Mansour Kamardine a remercié M. Castille pour son témoignage, soulignant que si les situations sont différentes, il y a des « misères » partout.

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Audition de Mme Hélène Périvier, chargée d'étude à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)

Mme Hélène Périvier, après avoir indiqué que son intervention porterait surtout sur la métropole car elle ne connaît pas la situation de l'outre-mer, a rappelé quelques grands principes relatifs aux minima sociaux :

- la première chose à prendre en compte est évidemment la situation économique et celle du marché du travail ;

- l'objectif d'un minimum social est de garantir un minimum vital dans un contexte où l'insuffisance d'emplois offerts ne permet pas aux personnes de disposer d'un revenu garanti à travers le travail et les assurances sociales assises sur lui.

Les neuf minima sociaux existant en métropole se sont constitués par strates successives pour répondre à des situations particulières. Le RMI, dernier créé, peut être perçu comme un filet de sécurité après l'extinction des droits aux allocations chômage.

La principale critique développée vis-à-vis des minima sociaux porte sur le risque de désincitation à l'emploi, ce qui amène à distinguer deux types de prestations : celles qui sont destinées à des personnes dont on n'attend pas qu'elles travaillent, comme l'allocation aux adultes handicapés (AAH) ou le minimum vieillesse - la question de la désincitation ne se pose alors pas -, et les autres.

A cet égard, on peut relever l'ambiguïté du statut de l'allocation de parent isolé (API) dont on n'a jamais clarifié l'objet : s'agit-il d'un revenu de substitution permettant aux femmes isolées d'élever leur jeune enfant sans avoir à travailler ou doit-on garder en ligne de mire l'insertion dans l'emploi ? S'agissant des résultats, le fait est que plus de la moitié des personnes qui sortent de l'API lorsque leur enfant atteint 3 ans deviennent bénéficiaires du RMI et que la plupart des autres sortent du dispositif non parce qu'elle retrouvent un travail, mais un conjoint : le bilan en matière d'insertion dans l'emploi est donc mauvais, ce qui explique que l'on veuille fusionner RMI et API en appliquant à la seconde le volet insertion du premier. Mais si cette mesure devait être adoptée, il faudrait prendre en compte l'inégalité de traitement actuelle entre les bénéficiaires des deux prestations, le supplément mensuel pour un enfant représentant 180 euros dans le système API et seulement 127 dans le système RMI.

Pour ce qui concerne la question de la désincitation à l'emploi, des réformes menées à la fin des années 1990 et au début des années 2000 ont mis fin aux effets pervers, telles que la réforme de l'aide personnalisée au logement (APL) ou la création de la prime pour l'emploi. Désormais, occuper un emploi est toujours rémunérateur hors quelques cas de figure (notamment celui d'un emploi à mi-temps après la fin de la première année de reprise d'activité, mais est-il souhaitable de se « stabiliser » dans une telle situation qui ne permet pas de vivre décemment ?). S'agissant des effets de désincitation, il faut également être conscient que les bénéficiaires du RMI savent évaluer leur situation dans une optique de parcours et pas seulement à court terme : ils savent que retourner à l'emploi, c'est aussi acquérir des droits à la retraite, avoir des perspectives d'évolution, etc. De même, au-delà des aspects strictement monétaires, les conditions de travail constituent un élément important d'attractivité.

On sait que les bénéficiaires du RMI constituent une population hétérogène où l'on peut distinguer un « noyau dur », représentant le tiers ou la moitié, de personnes très éloignées de l'emploi, souvent isolées, plutôt plus âgées, désocialisées, et un autre groupe de personnes qui peuvent accéder plus facilement à l'emploi et font des aller-retour avec le RMI. Les emplois aidés, en pratique, ne sont guère accessible à la première catégorie - l'absence de « décollage » des contrats d'avenir, malgré leur coût très faible pour l'employeur, étant significative -, mais nécessaires pour la seconde en période de difficultés économiques faute d'emplois marchands en nombre suffisant. Pour la première catégorie, un relèvement du niveau d'allocation, qui atteindrait celui de l'AAH, se justifierait puisqu'aucune perspective réelle autre ne peut leur être offerte.

Le président Mansour Kamardine a demandé si le public le plus éloigné de l'emploi et désocialisé l'est déjà avant l'accès au RMI et le reste après.

Mme Hélène Périvier a indiqué que ce public est constitué largement de personnes qui ont été l'objet d'un licenciement économique dans un secteur économique sinistré : lorsqu'elles ont plus de 40 ans les perspectives de ces personnes sont sombres, d'autant que leur situation familiale n'est pas neutre (elles ont des charges ou ont connu des ruptures). S'agissant du second public, il est plutôt caractérisé par l'emploi précaire et s'il connaît des périodes de RMI, c'est notamment du fait de la rigidité des filières d'indemnisation de l'Unédic, qui fait que certaines personnes, pour n'avoir pas atteint le minimum de temps d'affiliation, n'ont aucun droit contributif.

Le président Mansour Kamardine a posé une question sur la formation des bénéficiaires du RMI.

Mme Hélène Périvier a fait état du faible taux de signature des contrats d'insertion prévus par la loi.

Mme Marie-Renée Oget a souligné que nombre de bénéficiaires du RMI souffrent de handicap sociaux et ne sont pas mentalement dans une démarche de retour à l'emploi. L'insertion sociale précède souvent l'insertion professionnelle et permet le retour à l'estime de soi qui est un élément très important pour le retour à l'emploi ultérieur.

M. Ghislain Bray a mis en avant la difficulté de la situation de Mayotte au regard des observations de Mme Périvier sur le lien à établir entre le niveau des minima sociaux et l'activité économique.

Mme Hélène Périvier, après avoir rappelé sa philosophie générale, qui n'est pas favorable à la fusion des minima sociaux mais plutôt à leur différenciation, a réfléchi aux conditions de leur éventuelle introduction à Mayotte.

L'objectif des minima sociaux est de lutter contre la pauvreté et, plus généralement, de garantir à tous l'accès aux droits fondamentaux. Dans l'optique d'éviter la désincitation au travail, on peut observer que l'accès à ces droits peut s'effectuer en partie à travers des prestations en nature et non monétaires (par exemple en matière de santé) et qu'il convient également de privilégier les droits universels car, par définition, s'appliquant à tous, ils ne créent pas d'effets de seuil. Ces droits doivent comporter :

- l'accès gratuit et égal à la santé ;

- la prise en charge des enfants ;

- le logement décent ;

- le minimum permettant la vie courante.

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Audition de Mme Nicole Prud'homme, présidente de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), M. Frédéric Marinacce, directeur des prestations familiales légales, M. Arnaud Rozan, sous-directeur des prestations familiales légales, et Mme Vera Levy, chargée des relations avec le Parlement

Invitée par le président Mansour Kamardine à faire le point de la mise en place des prestations familiales à Mayotte, le contexte institutionnel (leur gestion par une antenne de la caisse d'allocations familiales de La Réunion) et les perspectives d'introduction des minima sociaux, Mme Nicole Prud'homme a rappelé, en propos liminaire, qu'elle avait eu l'occasion de se rendre à Mayotte pour quelques heures et de visiter l'antenne de la caisse d'allocations familiales. Elle a également précisé qu'il n'appartient pas à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) de régler les questions politiques - c'est l'affaire des élus de la Nation - mais d'apporter des éclairages techniques.

Elle a ensuite souhaité éclairer le contexte économique et social propre à Mayotte :

- Mayotte se trouve dans une situation tout à fait particulière dans la République avec son statut spécifique de « collectivité départementale ». Ce point est évidemment essentiel lorsque l'on réfléchit à l'alignement sur le modèle métropolitain. Va-t-on vers la départementalisation ? Avec une date butoir ? Si oui, la question est simple : il suffit d'appliquer le droit commun métropolitain. Mais on ne sait pas trop : l'échéance semble repoussée de 2007 à 2010.

- Les expériences propre à Mayotte comme aux départements d'outre-mer (DOM) conduisent à la prudence. Il y a déjà à Mayotte une importante immigration subie, que l'on peut comprendre : comment ne pas être sensible à la dignité des femmes d'Anjouan qui souhaitent améliorer le sort de leurs enfants en venant accoucher à Mayotte ? Le problème d'immigration est également massif aux Antilles et il est clair que l'introduction des minima sociaux y a sa part de responsabilité ; cela entraîne des rejets. Dans les DOM, le fait est que l'on a constaté un fort phénomène de retrait du marché du travail, qui a été compensé par un recours accru aux immigrés clandestins. L'emploi évolue favorablement à Mayotte - plus 4 % par an -, mais, avec 30 % de chômage, il convient de ne pas concurrencer le marché du travail.

M. Frédéric Marinacce a rappelé les conditions de construction du système de prestations familiales depuis 2002. Quatre types de prestations sont délivrées à Mayotte : les allocations familiales ; l'allocation de logement familiale (ALF) ; l'allocation de rentrée scolaire (ARS) ; l'allocation aux adultes handicapés (AAH). La caisse d'allocations familiales (CAF) de La Réunion, à travers son antenne, rend d'excellents services compte tenu des circonstances locales.

Mme Nicole Prud'homme a toutefois fait état de son étonnement quant au nombre, qui lui paraît faible, des bénéficiaires des allocations familiales : seulement 11 562 familles, représentant environ 31 000 enfants, dans un archipel dont la population est sans doute maintenant de l'ordre de 180 000 personnes et est très jeune.

Le président Mansour Kamardine, après avoir rappelé qu'il n'était pas favorable à ce que la gestion des prestations familiales soit confiée à la CAF de La Réunion, a toutefois signalé que l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) a considéré que cette caisse fonctionne normalement et que son fichier est exhaustif. Le petit nombre de familles bénéficiaires des allocations est la conséquence des choix tardifs et restrictifs qui ont été opérés, lesquels ont entraîné une importante émigration à La Réunion. Dans cette dernière île, plus de 3 millions d'euros de prestations sont versés tous les mois à des personnes originaires de Mayotte qui s'y sont installées, faute d'avoir accepté à temps le déplafonnement du nombre d'enfants pour le bénéfice des allocations, qui n'aurait coûté cette somme que par an. Si l'on ajoute le critère de résidence légale pendant plusieurs années à Mayotte, effectivement nécessaire face à l'immigration clandestine, on comprend le faible nombre de familles éligibles aux allocations.

Mme Nicole Prud'homme est revenue sur l'organisation institutionnelle. Elle a estimé que, compte tenu du fonctionnement de la CNAF, le choix de ne pas créer de caisse de plein exercice à Mayotte ne pouvait relever que des pouvoirs publics. L'idée était d'avoir à Mayotte un établissement géré par des Mahorais, ce qui pouvait paraître problématique quand on voit par exemple les difficultés à recruter des instituteurs mahorais. Il ne faut pas oublier qu'en métropole il faut 13 mois pour former un technicien-conseil de CAF chargé d'appliquer les 18 000 règles de droit existantes. Créer d'entrée de jeu une caisse autonome à Mayotte aurait impliqué le recours important à des personnels extérieurs ; à Mayotte, la caisse de La Réunion agit de manière exemplaire.

Le président Mansour Kamardine a souligné qu'il ne met pas en cause la qualité du travail de la caisse de La Réunion, mais que, quatre ans après la création de son antenne à Mayotte, la question de l'autonomie se repose, notamment au regard de ce qui a été indiqué sur le temps de formation des agents. Et il ne s'agit pas d'une posture sur l'emploi exclusif de « Mahorais », d'ailleurs il n'y a à Mayotte que des « Français » et des étrangers.

Mme Nicole Prud'homme a présenté les évaluations financières relatives à l'éventuelle mise en œuvre à Mayotte du RMI et de l'API, après avoir rappelé le caractère subsidiaire de ces prestations par rapport aux autres ressources et allocations, ce qui signifie que leur introduction éventuelle avant, par exemple, l'alignement des autres prestations familiales entraînerait de toute évidence des transferts de charges financières entre les différents financeurs publics : sur la base du fichier de la CAF, il pourrait y avoir 6 634 bénéficiaires du RMI, pour un coût de 62,05 millions d'euros, et 761 bénéficiaires de l'API, pour un coût de 6,71 millions d'euros par an.

La priorité ne paraît pas devoir être donnée à l'introduction de ces prestations au regard des risques pour l'emploi et, s'agissant de l'API, du problème - qui n'est évidemment pas propre à Mayotte - de la qualification de l'« isolement ». Un dispositif de revenu minimum d'activité (RMA) serait préférable.

Mme Marie-Renée Oget ayant demandé ce qu'il en est des mesures d'insertion (le « I » de RMI) dans les DOM, Mme Nicole Prud'homme a insisté sur les conséquences dramatiques de l'introduction du RMI sur l'économie de certains de ces territoires, rendant par là ce volet « I » illusoire. M. Frédéric Marinacce a ajouté que, dès les débuts du RMI, le nombre d'allocataires a été très important dans les DOM et le reste : cet « effet paquebot » rend inévitablement la mise en œuvre du volet « I » plus difficile.

Mme Marie-Renée Oget l'ayant interrogée sur la catégorisation que l'on peut faire des bénéficiaires du RMI, Mme Nicole Prud'homme a distingué trois catégories représentant plus ou moins, chacune, le tiers de l'effectif : ceux qui n'en bénéficient que transitoirement, par exemple entre la fin des études et l'emploi ; ceux qui y restent deux ou trois ans ; le « noyau dur ».

Revenant sur les mesure qui pourraient être prises pour Mayotte, Mme Nicole Prud'homme a estimé que, plutôt que l'API, l'allocation de soutien familial (ASF) pourrait être étendue à l'archipel, sous réserve d'être « non recouvrable », donc conditionnée à une décision de justice dispensant le père de son obligation alimentaire, afin de prendre en compte la polygamie. 3 305 familles monoparentales pourraient y avoir droit.

L'allocation logement familiale (ALF) mériterait également d'évoluer. Le fait qu'elle ne bénéficie à Mayotte qu'à 69 foyers conduit à s'interroger sur les prescriptions appliquées quant aux caractéristiques des logements : quand une prestation ne trouve pas son public, c'est qu'il y a un problème...

Le président Mansour Kamardine a rappelé la réalité mahoraise : la plupart des habitations ont seulement deux pièces - quelle que soit la taille de la famille - et sont la propriété de leurs occupants, le statut locatif étant vécu comme dévalorisant. Après que Mme Nicole Prud'homme a observé que la CAF de La Réunion avait imaginé un dispositif d'amélioration de l'habitat dans cette île, le président Mansour Kamardine a plaidé pour la mise en place d'une aide à la mise aux normes des habitations mahoraises, la perception de l'ALF qui deviendrait alors possible permettant de rembourser ensuite cette aide.

M. Frédéric Marinacce a indiqué que la question des aides au logement fait ou va faire l'objet d'une mission diligentée par le ministère de l'équipement.

Mme Nicole Prud'homme a enfin évoqué les allocations familiales : se félicitant qu'elles soient à Mayotte toujours versées aux mères, elle a envisagé un plan de relèvement progressif de leur montant, afin d'accompagner l'inflation, mais en ne faisant d'abord porter ce relèvement que sur les parts afférentes aux trois premiers enfants par famille - pour tenir compte des risques de renchérissement massif du coût de la vie que l'alignement trop rapide de prestations sociales peut impliquer.

Le président Mansour Kamardine a rappelé pourquoi le plafonnement du nombre d'enfants pris en compte pour les allocations familiales est devenu inacceptable : ce plafonnement visait en fait à sanctionner la polygamie, mais celle-ci a enfin été abolie à Mayotte et, en outre, il a été décidé de verser les allocations aux mères et non aux pères. Dès lors, ce plafonnement n'a plus aucune justification, sauf à répéter, ce qui n'est pas admissible, qu'il y aurait trop d'enfants à Mayotte. Il convient aussi de voir que l'abolition de la polygamie - mesure nécessaire car c'était une discrimination humiliante non seulement pour les femmes, mais pour les Mahoraises en particulier, puisqu'elles étaient les seules concernées - place des femmes mahoraises en situation de difficulté, ce qui justifie qu'on les aide.

A la demande du président Mansour Kamardine, Mme Nicole Prud'homme a précisé que l'AAH bénéficie à Mayotte à 368 personnes ; elle est versée dans des conditions proches de celles de la France métropolitaine, sous réserve d'un montant dérogatoire beaucoup plus faible. Elle s'est également interrogée sur la parution des textes réglementaires sur la prestation d'aide à la restauration scolaire (propre à l'outre-mer).

Le président Mansour Kamardine a enfin regretté que l'allocation de rentrée scolaire reste régie à Mayotte par des règles dérogatoires : un versement tardif car conditionné à la vérification de l'inscription effective à l'école, obligation qui n'est plus appliquée ailleurs ; la retenue d'une fraction attribuée à l'établissement scolaire et non à la famille.

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COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 11 MAI 2006

Audition de M. François Baroin, ministre de l'outre-mer

Le président Mansour Kamardine, après avoir remercié le ministre de sa présence et observé que c'est la première fois que le législateur s'intéresse dans le détail au système social à Mayotte, jusqu'à présent traité par voie d'ordonnances, a fait état des principales interrogations de la mission :

- Depuis 2002, le Gouvernement a engagé d'importantes réformes pour développer les minima sociaux à Mayotte, mais on a l'impression qu'elles n'interviennent qu'au coup par coup. Existe-t-il une vision d'ensemble de la réforme, avec des objectifs clairs ? Faut-il copier exactement le modèle métropolitain ou d'autres voies seraient-elles préférables ?

- L'alignement du système social de Mayotte sur celui de la métropole ne peut se concevoir sans développement économique. Quels sont les projets du gouvernement ? Quels moyens est-il prêt à engager ?

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, a débuté son propos par le rappel des évolutions récentes à Mayotte :

- La loi statutaire du 11 juillet 2001 consacre implicitement la marche vers la départementalisation pour la « collectivité départementale » de Mayotte. Le gouvernement actuel, comme les gouvernements précédents, quelle que soit leur sensibilité, s'inscrit dans la poursuite de ce processus. La question n'est pas tant la poursuite de cette progression vers le droit commun que son calendrier et ses modalités.

- Dans le domaine de la protection sociale, les conséquences d'une telle évolution n'ont jamais été explicitées, même si les bases d'un régime de protection sociale adapté au contexte de l'archipel ont été posées dans le cadre des ordonnances de 2002. S'agissant des prestations familiales, ont été instaurées des allocations familiales, une allocation de rentrée scolaire, une aide à la restauration scolaire, une allocation logement familiale. Pour ce qui est de la maladie, le dispositif de 1996 a été amélioré, notamment par la prise en charge des soins dans le secteur libéral et, hors de Mayotte, des évacuations sanitaires, et par la création des indemnités journalières de maladie et de maternité. Par ailleurs, il a été mis fin à la gratuité des soins le 1er avril 2005, parallèlement à la mise en place d'un dispositif de consignation pour les immigrés clandestins, hors cas humanitaires avérés. S'agissant de la vieillesse et du handicap, un régime d'assurance vieillesse de base obligatoire et deux allocations destinées aux personnes âgées et aux personnes handicapées ont été instaurées.

- En revanche, les différents minima sociaux n'ont pas été mis en place à Mayotte, essentiellement parce que près de 80 % de la population en auraient aussitôt bénéficié de façon quasi automatique. Au-delà du coût, certes très élevé, il fallait éviter de briser net le développement économique de Mayotte, et limiter l'attractivité de la collectivité pour les candidats à l'immigration.

La perspective du rapprochement de Mayotte du modèle juridique, économique et social métropolitain oblige à préciser aujourd'hui les prochaines évolutions indispensables en matière de protection sociale. L'ampleur des réformes à opérer, l'ampleur de leur financement et de leurs conséquences sur la société et les institutions mahoraises implique que l'Etat se dote d'une stratégie explicite, laquelle doit reposer sur quatre principes : définir l'ordre dans lequel les changements devront intervenir et leurs impacts sur la société mahoraise comme sur les comptes de la Nation ; établir un calendrier ; expliquer les priorités et ce calendrier aux élus mahorais ; réaliser rapidement les premiers changements afin de répondre à l'impatience locale.

Compte tenu de l'importance des transformations à opérer, il est proposé de lancer au plus tôt une mission des inspections générales des affaires sociales et de l'administration (IGAS et IGA) pour disposer à l'automne prochain d'un rapport de définition de cette stratégie pour le moyen terme. Parallèlement, une série d'améliorations rapides, voire immédiates, pourraient faire l'objet d'une demande d'arbitrage au Premier ministre dans les toutes prochaines semaines. Cette démarche serait conforme au rapport rendu par l'IGAS en 2004, qui préconisait de remettre en chantier en 2007 l'ordonnance de 2002 relative aux prestations familiales.

Mme Marie-Renée Oget a demandé comment l'on pourrait introduire les minima sociaux à Mayotte en évitant le piège de l'assistanat et en relançant l'emploi.

Le ministre a observé que la question vaut pour l'ensemble de l'outre-mer. En 2002, le Président de la République a pris des engagements et établi une feuille de route pour un rattrapage économique. On ne gère pas une dynamique de développement sur une île comme sur une partie du territoire métropolitain, du fait du coût de la vie, qui y est plus élevé, du coût des transports, des contraintes qui y sont plus nombreuses, sans parler, en l'espèce, d'un taux de chômage deux à trois fois supérieur à la moyenne nationale, d'une démographie très dynamique et du nombre d'attributaires de prestations sociales. Il faut faire attention : La Réunion, qui est le grand voisin de Mayotte, connaît paradoxalement un taux de croissance annuelle de près de 5 % - avant le chikungunya - mais un taux de chômage très élevé et une population dont près de la moitié dépend du RMI.

Le rattrapage économique impose de prendre des mesures dérogatoires au droit commun. Plutôt que d'assistanat, mieux vaut parler d'accompagnement. Une période de transition et d'adaptation est absolument nécessaire, comme le débat sur la défiscalisation dans les DOM lors du vote de la loi de finances l'a illustré. Sans défiscalisation, la croissance n'est pas possible. Sans exonération de charges sociales, les entreprises n'investiront pas dans cette région. Et sans une politique sociale très soutenue, la désespérance est prévisible.

Le chemin de Mayotte vers la départementalisation est naturel et légitime, mais il faut régler le problème de l'immigration clandestine. Par ailleurs, s'il convient de respecter le droit local et les pratiques coutumières, leur évolution est nécessaire pour permettre cet alignement ; en particulier, un état civil sincère constitue un impératif.

Pour ce qui est du RMI, une très grande partie de la population de Mayotte aurait vocation à le percevoir. On ne peut l'étendre sans l'adapter car il risquerait de devenir la source de revenu principale et d'avoir un effet démobilisateur en matière de recherche d'emploi. Un système de revenu minimum d'activité (RMA) pourrait représenter une alternative intéressante et le Parlement devrait travailler cette piste. Ce dispositif permettrait de diminuer le coût du travail déclaré, mais devrait également être adapté à la situation de l'emploi locale et du droit du travail mahorais.

M. Ghislain Bray a souligné la nécessité de créer les conditions d'un véritable développement économique à Mayotte : développement aéroportuaire ; développement portuaire ; désenclavement numérique.

Le ministre a assuré que le gouvernement a le projet d'un développement économique, avec une économie endogène qui s'appuie sur le marché local mais qui est également susceptible de s'ouvrir sur l'extérieur. Mayotte étant une île, son développement passe prioritairement par l'amélioration de ses conditions d'accès. Le potentiel est énorme, notamment dans le domaine du tourisme. L'île de La Réunion accueille 400 000 touristes par an, pour une population de 800 000 habitants ; à Mayotte, la marge de progression est considérable.

Le président Mansour Kamardine a demandé quelles seraient les pistes pour adapter le RMA, rappelant que sa mise en œuvre à Mayotte a été refusée en 2003 au motif que c'est un contrat en sortie de RMI par construction inapplicable en l'état à un territoire où cette allocation n'existe pas. Le conseil général de Mayotte, après avoir décidé en 1989 de ne pas demander le RMI afin de privilégier l'emploi salarié, a suggéré en 1996 l'idée d'une « créance » sur cette prestation : on calculerait le montant total du RMI qui serait versé en cas d'extension, mais plutôt que de l'attribuer aux personnes, on le transformerait en aides à l'emploi ou au développement économique. Cette idée rejoint l'interrogation sur les contrats de plan.

Le ministre a déclaré attendre les propositions que fera l'IGAS. De toutes manières, il faudra régler le problème du travail clandestin. On ne peut verser des prestations d'un côté et rester au statu quo de l'autre, mais les choses doivent se faire avec pragmatisme en évaluant les politiques publiques. Si l'on doit durcir les mesures, on le fera. Le fait que les inspecteurs du travail effectuent des visites à domicile pour contrôler les personnes employées permettra d'avancer. Les petites entreprises qui veulent respecter la règle du jeu ne sont pas en mesure aujourd'hui d'être compétitives.

Le président Mansour Kamardine s'est interrogé sur l'échéance de la mission IGAS annoncée : des missions précédentes ont été fort lentes. On envisage seulement aujourd'hui de tirer les premières conséquences du rapport rendu par l'IGAS en 2004, suite à un mandat de mission délivré en 2002. L'empilement de rapports successifs est à craindre...

Le ministre a rappelé qu'il n'occupe sa fonction que depuis 2005 et a fait état de sa réaction rapide quand la question de l'immigration clandestine à Mayotte a été soulevée : saisine du président de l'Assemblée nationale, envoi d'une mission parlementaire, traduction de ses propositions dans un texte législatif, le tout en quatre mois. S'agissant des minima sociaux, l'idée serait de saisir tout de suite le ministère de la santé, pour que la mission puisse travailler dans les meilleurs délais une fois les inspecteurs désignés, l'échéance pouvant être fixée à la fin de l'année. L'automne serait une bonne période pour lancer les premières inspections, rendre le rapport et en débattre. Par ailleurs, on peut déjà demander un arbitrage pour 2007 pour augmenter les allocations familiales, aligner l'allocation de rentrée scolaire, mettre effectivement en œuvre l'aide à la restauration scolaire, améliorer l'allocation logement, augmenter les allocations aux personnes âgées et aux personnes handicapées et créer une caisse d'allocations familiales de plein exercice.

Le président Mansour Kamardine et M. Ghislain Bray ont indiqué que le problème de la plénitude de l'autonomie de la caisse a été débattu lors de l'audition de la présidente de la Caisse nationale des allocations familiales. Il en est ressorti que la question n'est pas simple, du fait de la nécessaire formation des personnels ; il faut treize mois pour former un agent, et cinq agents l'ont été, la caisse fonctionnant depuis 2002. Une caisse autonome devrait recruter un directeur et certains veulent un Mahorais, ce à quoi on peut répliquer que le critère essentiel à prendre en compte est surtout la compétence.

Le ministre a répondu que le prochain départ à la retraite de la directrice de la caisse d'allocations familiales de La Réunion permettrait de créer un poste de directeur à Mayotte à côté de celui de La Réunion.

M. Ghislain Bray a évoqué deux autres points importants : la scolarisation en maternelle et la restauration scolaire.

Le ministre a estimé que les problèmes sont identifiés. Il convient également d'aborder l'allocation de rentrée scolaire (ARS) : cette prestation pourrait être simplifiée avec le paiement intégral à l'allocataire (en supprimant la part versée à l'établissement scolaire dans le secondaire).

M. Ghislain Bray a souligné un autre problème posé par l'ARS : sa date de versement fin octobre, soit deux mois après la rentrée scolaire. Le président Mansour Kamardine a déploré que la promesse faite l'an passé d'un versement en août n'ait pas été tenue. Cette aide doit intervenir une semaine avant la rentrée, afin que les parents puissent acheter les baskets, les stylos, les cahiers... Plus elle est tardive, plus il y a de risques qu'elle finance le ramadan plutôt que la rentrée.

Le ministre a convenu que l'ARS perd de son intérêt si elle versée en retard et a souhaité un alignement dès la rentrée prochaine.

Mme Marie-Renée Oget a enfin évoqué l'allocation logement familiale (ALF), qui ne compte 69 bénéficiaires à Mayotte, en particulier faute de logements salubres éligibles à cette aide. Ne conviendrait-il pas de mener une politique de logement spécifique, comme à La Réunion ?

M. Ghislain Bray a ajouté que c'est la définition même du « logement décent » qui pose problème. Quand une aide ne trouve pas son public, il faut s'interroger.

Le ministre a reconnu que le nombre de bénéficiaires de cette allocation est dérisoire par rapport à la population, ce qui tient à l'application stricte des critères d'attribution par l'administration. Il faut s'être rendu sur place pour comprendre la situation : nombre de constructions, en particulier dans les quartiers difficiles, ne répondent à aucun des critères traditionnels de la politique de l'habitat. Si l'élargissement de l'aide au logement paraît indispensable et a en conséquence été prévu dans les arbitrages, cet exemple confirme que, sur le chemin vers la départementalisation, il est nécessaire à chaque étape de procéder avec des spécialistes à une analyse et à une évaluation.

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Audition de M. Pierre Barrière, directeur de l'agence pour l'emploi de Mayotte

Le président Mansour Kamardine a invité M. Barrière à présenter les conditions de mise en place de l'agence pour l'emploi de Mayotte.

M. Pierre Barrière a indiqué que l'agence pour l'emploi fonctionne depuis décembre 2005 et est en train de construire une offre de services s'approchant du modèle national. La principale difficulté réside dans le système informatique, qui a été repris de la direction du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DTEFP) ; en effet, en l'absence d'Assédic à Mayotte, il n'est pas permis d'y utiliser le logiciel commun à l'Unédic et à l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE). Les démarches effectuées en ce sens ont échoué et cela pose des problèmes pour la comptabilisation des demandeurs d'emploi, la gestion de la liste, le rapprochement entre l'offre et la demande d'emploi. En outre, en l'absence d'Assédic, l'agence pour l'emploi doit gérer l'inscription des demandeurs d'emploi.

S'agissant des relations avec la caisse d'assurance chômage, elles sont au niveau de la réflexion puisque l'indemnisation des demandeurs d'emploi n'a pas encore commencé. À un peu plus long terme c'est une question importante car l'agence pour l'emploi devra attester de la recherche d'emploi active pour justifier l'indemnisation.

Le président Mansour Kamardine a demandé pourquoi, puisque ni l'assurance chômage, ni l'ANPE n'étaient jusque récemment présents à Mayotte, on n'avait pas réfléchi à une solution institutionnelle originale telle qu'un organisme unique.

M. Pierre Barrière s'est déclaré favorable au principe du guichet unique, au système des maisons de l'emploi, qui serait particulièrement pertinent à Mayotte où les moyens sont faibles. L'agence qu'il dirige emploie seulement six personnes (lui-même, un adjoint et quatre conseillers) pour 13 000 demandeurs d'emploi, ce qui est infime.

Le président Mansour Kamardine a demandé des précisions sur le taux de chômage et la situation du marché du travail.

M. Pierre Barrière a regretté de ne pas disposer d'éléments statistiques lui permettant de répondre de manière satisfaisante sur le taux de chômage. S'agissant du marché du travail, l'agence a déjà reçu plus de 600 offres d'emploi dans le secteur marchand et estime en recueillir 1 300 pour l'année entière ; il y a donc un dynamisme, une véritable offre marchande d'emploi. Cependant, l'agence ne peut satisfaire qu'environ 60 % de ces offres faute de moyens pour travailler sur le rapprochement entre l'offre et la demande d'emploi ainsi que sur le parcours d'insertion des demandeurs d'emploi. Le problème est que l'offre de travail est jeune et peu expérimentée : l'urgence est à la mise en place d'un dispositif de qualification et d'apprentissage.

Il faudrait également créer un observatoire emploi/formation afin d'anticiper les besoins des entreprises. On peut déjà identifier quelques métiers en tension : les transports (conducteurs poids lourd, super poids lourd, voire véhicule léger), le bâtiment (pour le second oeuvre), la couture, la mécanique et la carrosserie, l'hôtellerie (il manque en particulier des cuisiniers).

Le président Mansour Kamardine a demandé ce qu'il en est de la mise en œuvre éventuelle de contrats aidés.

M. Pierre Barrière a indiqué que 70 % des chômeurs sont fortement éloignés de l'emploi. Cela implique la mise en place de dispositifs tels que les contrats emploi-solidarité (CES) ou les chantiers de développement local (CDL), accompagnés de structures de tutorat, ce qui implique de travailler avec les collectivités locales. D'autres dispositifs comme le CI-RMA (contrat insertion-revenu minimum d'activité) pourraient constituer des solutions mais n'existent pas pour le moment.

M. Ghislain Bray a demandé quelles sont les relations de l'agence pour l'emploi avec l'éducation nationale et l'enseignement professionnel et s'il existe une mission locale.

M. Pierre Barrière a déclaré qu'il existe une mission locale assez ancienne dont le fonctionnement pourrait être amélioré. Cette mission a pour principale activité d'envoyer les jeunes en formation, en fonction des stages disponibles, sans jouer un rôle d'orientation suffisant. Sans doute ces jeunes qui ont quitté l'école très tôt ont-ils besoin d'une remise à niveau mais, justement, s'ils ont quitté l'école ce n'est peut-être pas pour y retourner ; il serait plus opportun de mettre en place des dispositifs de découverte des métiers, d'évaluation des compétences, de reconnaissance des habiletés, proposition qu'il a faites à sa hiérarchie.

Quant aux relations de l'agence pour l'emploi avec la mission locale, cette dernière attend surtout de l'agence qu'elle procède à l'inscription administrative des chômeurs, formalité nécessaires pour qu'ils soient pris en charge.

S'agissant de l'organisation administrative, le fait que l'ANPE dispose à Mayotte d'une agence et non d'une délégation pose problème. Cette agence dépend de La Réunion et, si le directeur dispose d'une lettre de mission lui permettant de prendre de nombreux contacts, il n'a pas de liberté d'action suffisante.

Enfin, il n'y a pas de relations avec l'éducation nationale pour le moment.

Mme Marie-Renée Oget a demandé quels sont les partenaires et les outils d'insertion en place.

M. Pierre Barrière a répondu qu'une seule association d'insertion, intervenant dans le secteur de l'emploi domestique, est en place. Il faudrait certainement créer des entreprises d'insertion (EI) et des entreprises de travail temporaire d'insertion (ETTI), éventuellement un plan local pour l'insertion et l'emploi (PLIE).

S'agissant de l'agence pour l'emploi elle-même, elle n'est présente qu'à Mamoudzou. La capitale concentre certes 45 % de l'activité économique, mais il conviendrait de créer les antennes locales car les gens ont de faibles revenus et ne peuvent se déplacer aisément.

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COMPTE RENDU DES RÉUNIONS DU 31 MAI 2006

Audition de M. Jean-Paul Kihl, préfet de Mayotte

Le président Mansour Kamardine, après avoir rappelé l'objet de la mission, a interrogé le préfet de Mayotte sur les conditions dans lesquelles l'on pourrait instaurer un système de minima sociaux à Mayotte en évitant les erreurs qui ont pu être commises ailleurs.

M. Jean-Paul Kihl a souligné en premier lieu qu'il est absolument opportun de se poser la question de l'instauration des minima sociaux, ainsi que d'avancer rapidement sur cette question. L'archipel connaît en effet une évolution sociale à marche accélérée. Le système social traditionnel est fondé à Mayotte sur l'entraide et personne n'est jamais mort ni ne meurt aujourd'hui de faim. Mais ce modèle est battu en brèche. Les jeunes, de plus en plus, gagnent leur vie en travaillant et aspirent à vivre sur le modèle occidental. Ils ont dès lors des difficultés à supporter le partage systématique de leur ressources dans le cadre de la famille élargie ; cela crée un véritable risque de rupture. Il convient en outre de prendre en compte l'élévation rapide du niveau de vie : le salaire minimum est régulièrement revalorisé ; d'ici 2011, les traitements de la fonction publique seront alignés sur le niveau métropolitain. Cette évolution ne peut qu'accroître le différentiel de niveau de vie entre ceux qui travaillent et ceux qui n'ont pas de revenus salariés, donc la fracture sociale potentielle. Pour ces raisons il est urgent de mettre en place des minima sociaux adaptés, notamment pour l'ancienne génération qui ne s'intégrera pas à la nouvelle société de salariat.

Mais quel système retenir ? Il serait préférable, plutôt que de créer ou d'introduire de nouveaux dispositifs, de se pencher d'abord sur ceux qui sont déjà en place, mais avec un niveau dévalorisé par rapport à la métropole : les allocations familiales, l'allocation de rentrée scolaire, celle de restauration scolaire, l'allocation logement, les allocations aux adultes handicapés et aux personnes âgées. Il s'agirait d'actualiser les barèmes en instituant un dispositif d'indexation. Par ailleurs, si l'on prend par exemple l'allocation logement, on constate que certains dispositifs bénéficient effectivement à très peu de personnes ; il convient sans doute de réfléchir aux exigences posées pour accéder à une telle prestation avec, là aussi, un système évolutif.

S'agissant du RMI, l'instituer à Mayotte serait la pire des choses. En effet il n'y a pas de véritable problème d'insertion sociale à Mayotte : les gens continuent à être bien insérés dans leur communauté. Le problème qui existe est celui du rapport au travail, de l'habitude d'échanger un travail contre un revenu. On a développé à Mayotte des systèmes comme les contrats emploi solidarité (CES) qui permettent, assortis d'une obligation de formation, d'instituer ce rapport au travail tout en jouant de fait le rôle d'un revenu minimum. Dégager des possibilité de travail à Mayotte n'est pas un problème : en matière d'environnement, notamment, il y a beaucoup à faire, mais les moyens des communes et des associations sont insuffisants.

M. Ghislain Bray a observé que cette proposition est à rapprocher de la notion de « revenu minimum d'activité » (RMA).

M. Jean-Paul Kihl en a convenu, puis a évoqué la question de l'immigration, réfutant l'argument qui lie l'amélioration des prestations sociales à une attractivité accrue pour les immigrants clandestins : bien au contraire, si l'immigration illégale prospère, c'est parce qu'elle trouve à se loger et s'employer chez des Mahorais qui trouvent là le seul revenu leur permettant de vivre. Si les Mahorais en difficulté bénéficiaient de revenus sociaux plus favorables, il seraient moins tentés de profiter de l'immigration illégale. Quant à l'accès direct des immigrants clandestins aux prestations, c'est une crainte mythique : le contrôle des bénéficiaires n'est pas moindre à Mayotte qu'ailleurs. Bref, plus on attendra pour développer les minima sociaux à Mayotte, plus on favorisera l'immigration clandestine.

Le président Mansour Kamardine ayant fait état de la difficulté à obtenir des administrations centrales l'adhésion à des dispositifs originaux, dérogatoires, M. Jean-Paul Kihl a admis qu'il faut effectivement rechercher des solutions adaptées à la situation mahoraise.

En réponse à une question de M. Ghislain Bray, M. Jean-Paul Kihl a précisé le timing des réformes à engager : il faudrait définir et mettre en place les solutions adaptées évoquées dans les deux années à venir.

M. Dominique Tian s'est déclaré étonné par l'analyse développée sur le lien entre immigration illégale et générosité du système social, qui va à l'encontre des représentations habituelles et de ce que l'on constate par exemple aux Antilles. Si l'on peut raisonner dans les deux sens, est-il au fond pertinent de s'interroger sur le rapport immigration/minima sociaux ?

M. Jean-Paul Kihl a mis en avant le caractère économique de l'immigration des Comores à Mayotte, compte tenu des différentiels de revenus : le chauffeur de l'ambassadeur de France aux Comores - situation pourtant plutôt enviable localement - gagne mensuellement l'équivalent d'environ 50 euros quand un clandestin à Mayotte peut obtenir 150 à 200 euros...

Le président Mansour Kamardine a ajouté que l'accès aux prestations sociales existantes, à Mayotte, suppose non seulement une situation régulière, mais en outre plusieurs années de résidence. Il n'en est pas de même en matière de scolarisation : 12 000 des 60 000 élèves de Mayotte ne sont pas en situation régulière.

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Audition de M. Philippe Leyssene, directeur des affaires économiques, sociales et culturelles au ministère de l'outre-mer

Le président Mansour Kamardine, après avoir rappelé l'objet de la mission, a demandé dans quelles conditions l'on pourrait instaurer un système de minima sociaux à Mayotte en évitant les erreurs qui ont pu être commises ailleurs.

M. Philippe Leyssene a rappelé en premier lieu que les minima sociaux sont des prestations non contributives visant à garantir un revenu aux personnes en difficulté. Le RMI se distingue des autres minima sociaux en ce sens que ces derniers sont des prestations spécialisées, ciblées sur des publics particuliers, tandis que le RMI a une vocation générale. À Mayotte seules deux formes de minima sociaux existent, sous des formes dérogatoires, l'allocation aux adultes handicapés et le minimum vieillesse.

La réflexion sur les minima sociaux implique de prendre en compte trois thématiques :

- Premièrement il convient de toujours garder à l'esprit la question de la compatibilité entre ces prestations et le développement économique, d'éviter que l'instauration de minima sociaux ne porte atteinte à l'attractivité du travail. Cette problématique est particulièrement importante dans un contexte de développement économique et de marché du travail en cours de structuration. Au-delà des enjeux pour l'emploi, il ne faut pas méconnaître d'autres aspects structurants de la mise en place d'un système de prestations sociales, comme on le voit à Mayotte avec l'introduction de prestations familiales : effets sur la consommation et donc l'économie ; progrès de la bancarisation (ouverture de comptes bancaires permettant de recevoir les allocations par virement) ; simplement, adressage (il faut une adresse pour percevoir des prestations...).

- Deuxièmement, il convient de se rappeler que le dispositif en place en métropole résulte de l'histoire, s'est stratifié progressivement. Il serait absurde d'appliquer brutalement ce modèle à la société mahoraise.

- Enfin, il existe des facteurs locaux à prendre en compte : la croissance démographique très vive à Mayotte ; le problème de l'immigration clandestine ; celui de l'émigration de Mahorais à La Réunion (4 500 à 5 000 familles sont concernées) pour y bénéficier du système social ; la fin de la polygamie... Les différences de niveau de vie restent considérables : les évaluations effectuées pour le PIB per capita mahorais le font apparaître trois fois plus faible qu'à La Réunion, mais neuf fois plus élevé qu'aux Comores. On a actuellement une situation structurellement déséquilibrée qui ne peut de toute façon rester en l'état.

Les évolutions sont également imposées par les choix politiques : compte tenu de la marche vers la départementalisation, il est clair que la question n'est plus de savoir si l'on mettra en place des minima sociaux à Mayotte, mais quand et comment. Les questionnements portent donc sur : les priorités ; le calendrier ; les modalités concrètes de l'introduction des minima sociaux ; la politique de communication l'accompagnant. Il faut bâtir un plan stratégique qui distingue ce qui peut être mis en œuvre rapidement, de manière simple et avec des effets immédiats sur le terrain, et ce qui exige des études complémentaires.

L'amélioration de l'existant - l'allocation de rentrée scolaire, la prestation de restauration scolaire, les allocations aux personnes âgées et aux personnes handicapées - peut être engagée rapidement. Des réunions interministérielles sont en cours sur ces points. En ce qui concerne le déplafonnement du nombre d'enfants pris en compte pour les allocations familiales, 3 806 familles viennent de bénéficier d'un versement à ce titre, avec effet rétroactif au 1er janvier de cette année.

La question de la création ou non d'une caisse d'allocations familiales de plein exercice est déjà moins urgente.

Sur les autres points en débat, une lettre de mission aux inspections générales compétentes est en cours de finalisation. Il convient d'observer qu'un travail d'investigation est nécessaire, notamment sur le coût des mesures envisagées, dont les estimations actuelles sont très variables.

Bref, il s'agit d'avancer avec une détermination prudente.

Le président Mansour Kamardine a observé que l'inspection générale des affaires sociales a déjà été envoyée à Mayotte et a rendu un rapport en 2004, sans que l'on ait ensuite pris la peine de tirer les leçons de ce rapport entre parties intéressées. La Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), qui a une compétence sur ces problèmes, sera-t-elle associée aux nouvelles missions envisagées ?

Des prestations sociales ont été introduites en 2002 à Mayotte, mais leur montant n'a pas été revalorisé depuis, alors que le coût de la vie, le salaire minimum, les autres revenus augmentaient : la situation relative des personnes concernées s'est dégradée. Pourrait-on instaurer un mécanisme automatique de revalorisation ? De même, on doit constater que l'évolution du nombre de contrats emploi solidarité (CES) et en chantier de développement local (CDL) offerts est décevante : il serait temps de mettre en cohérence la réalité avec le discours sur le développement économique.

M. Philippe Leyssene, après avoir indiqué que la CNAF serait naturellement associée aux travaux en cours, a estimé qu'il est effectivement opportun d'éviter les à-coups et les effets de palier dans la revalorisation des prestations, d'où l'intérêt d'un plan de rattrapage progressif.

Pour ce qui est des mesures pour le développement économique, Mayotte bénéficie, en application de la loi de programme pour l'outre-mer (loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003), de la défiscalisation des investissements - ce qui est particulièrement important au regard de la fragilité financière des entreprises de l'archipel -, mais pas de l'exonération de cotisations patronales prévue pour les départements d'outre-mer. Il est à noter que cette loi est en cours d'évaluation par l'administration et le Conseil économique et social. D'autres dispositions peuvent aussi contribuer au développement économique : le micro-crédit, le service militaire adapté...

M. Olivier Jardé ayant demandé des précisions sur l'économie mahoraise, M. Philippe Leyssene a déclaré que cette économie est peu industrialisée ; l'agriculture reste importante et les services sont également développés. La taille moyenne des entreprises est très faible et l'on ne compte qu'environ 25 000 salariés. Les secteurs de la pêche, de l'aquaculture, du tourisme - qu'il s'efforce de promouvoir en tant que membre du « club outre-mer » de « Maison de la France » - restent modestes : le tourisme est essentiellement affinitaire (familles, relations...) ou ciblé (plongée sous-marine).

Le président Mansour Kamardine a souligné que Mayotte dispose d'un des plus grands et plus beaux lagons fermés du monde, qui offre des potentialités exceptionnelles pour l'aquaculture et pour le tourisme.

Le problème qui empêche la valorisation de ces potentialités est celui des transports : du fait de la longueur de la piste d'atterrissage existante, Mayotte ne peut être reliée directement à l'Europe ; il faut passer par La Réunion et le billet entre les deux îles coûte aussi cher qu'un billet entre La Réunion et la métropole. L'affaire de la piste peut être comparée à un serpent qui se mord la queue : sans piste longue, pas de touristes, mais sans touristes, comment justifier et financer des travaux considérables ? Des arbitrages politiques favorables ont pourtant été obtenus mais se heurtent à l'hostilité de la direction générale de l'aviation civile (DGAC). Quant à la pêche, il existe bien des accords avec des pêcheurs espagnols pour l'exploitation des eaux de Mayotte, mais le poisson n'y est pas débarqué et il n'y a pas de retombées économiques.

M. Dominique Tian a demandé si le statut particulier de Mayotte n'entrave pas son développement, en l'absence d'une collectivité régionale - les régions étant en charge du développement économique dans le reste du pays.

M. Philippe Leyssene a répondu que le statut spécifique de la Polynésie ou de la Nouvelle-Calédonie n'entraîne pas de difficulté à cet égard.

Le président Mansour Kamardine a rappelé que les problèmes statutaires de Mayotte trouvent leur origine dans la contestation internationale qui subsiste quant à l'appartenance de l'archipel à la France. Cette contestation explique trente années d'attentisme quant au statut et au développement de Mayotte : d'aucuns voulaient laisser ouverte la porte d'une intégration à la république des Comores. Mais l'inscription explicite de Mayotte dans la Constitution a permis, enfin, de changer de regard : le fait français est irrévocable à Mayotte. Encore l'administration doit-elle le comprendre...

Puis, il a posé une question sur les perspectives de mise en œuvre à Mayotte du revenu minimum d'activité (RMA), de l'allocation de parent isolé (API) et d'une assurance chômage de droit commun (Assédic).

M. Philippe Leyssene a estimé que l'objectif d'une aide aux parents isolés est pleinement légitime, mais que, plutôt que de l'API, il serait peut-être pertinent de s'inspirer de l'allocation de soutien familial (ASF), notamment parce que le bénéfice de cette dernière n'est pas conditionné aussi rigoureusement par l'âge des enfants à charge. Le problème de la condition d'isolement, déjà délicat en métropole, mérite aussi une analyse.

En tout état de cause, il faut au préalable clarifier les questions de coûts : l'introduction de l'API à Mayotte est parfois chiffrée à 6,7 millions d'euros, parfois à 20 millions, parfois à 100 millions... Tout dépend notamment si l'on extrapole à partir du fichier des prestations familiales existantes ou de données de l'INSEE sur la démographie et les revenus.

En ce qui concerne un dispositif de type « RMA », il pourrait effectivement trouver sa place en lien avec la lutte contre le travail non déclaré. Suite à une question du président Mansour Kamardine, M. Philippe Leyssene a considéré que cette question pourrait utilement figurer dans la lettre de mission qui va être adressée aux corps d'inspection compétents.

Il a conclu en appelant à cadencer les évolutions et à ne jamais oublier les impératifs du développement économique et de l'emploi.

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Audition de Mme Michèle André, directrice générale de la caisse d'allocations familiales de La Réunion

Le président Mansour Kamardine, après avoir rappelé l'objet de la mission, a interrogé l'intervenant sur les conditions dans lesquelles l'on pourrait instaurer un système de minima sociaux à Mayotte en évitant les erreurs qui ont pu être commises ailleurs.

Mme Michèle André a tout d'abord indiqué qu'elle ne connaît Mayotte que depuis 2002. A cette date, elle a fait partie de la mission préparatoire chargée d'introduire dans l'archipel les prestations sociales. Le principal souci a alors été de ne pas déséquilibrer l'emploi par un niveau de transferts sociaux inadapté. Effectivement, à La Réunion, on crée des emplois mais on doit souvent aller chercher ailleurs les compétences pour les occuper. De ce point de vue, on peut penser que la situation est encore pire à Mayotte, le retard moyen dans les cursus scolaires étant de deux à trois ans. Comment pourrait-il en être autrement lorsque, faute de locaux, certains enfants doivent aller à l'école seulement le matin et d'autres l'après-midi, sans compter les problèmes de malnutrition et de déficience visuelle ?

Ces différents éléments avaient conduit, en 2002, à préconiser de donner la priorité à l'action sociale et, en particulier, vus les problèmes de malnutrition, au développement de la restauration scolaire.

La mise en place des prestations familiales a été accompagnée d'un plafonnement du nombre d'enfants pris en compte, car il y avait alors une campagne du planning familial recommandant de s'arrêter à trois enfants. Par ailleurs, le fait est que ces prestations restent faibles - un tiers du niveau métropolitain - alors que la vie est aussi chère.

Pour ce qui concerne le RMI, il convient, fondamentalement, de rappeler son caractère de prestation subsidiaire : il ne pourra être raisonnablement introduit que lorsque l'ensemble des autres prestations sociales l'aura été au taux de droit commun, sauf à entraîner d'importants transferts de charge.

La question de l'allocation de parent isolé (API) renvoie d'abord au problème de la définition de l'« isolement ». Comment définir l'isolement dans une terre de polygamie, alors même qu'en métropole, ce critère est difficile à apprécier et que souvent on cherche à y faire valoir la notion contestable d'isolement économique ?

Le président Mansour Kamardine a précisé que, si les femmes polygames de Mayotte vivent seules dans leur maison - le mari allant de l'une à l'autre -, elles n'en sont pas moins mariées. Il faut également être conscient d'une des conséquences de la fin de la polygamie : celle-ci représentait une forme de « sécurité sociale » permettant à plusieurs femmes de vivre avec le revenu d'un même homme ; sa suppression justifie donc que l'on prenne en charge ces femmes. Enfin, il ne faut pas surestimer ce problème : la polygamie concerne moins de 10 % des couples à Mayotte.

Mme Michèle André, après avoir confirmé que les femmes mahoraises n'approuvent pas la polygamie, est revenue sur la problématique de l'introduction de l'API. Elle a considéré qu'introduire plutôt une prestation inspirée de l'allocation de soutien familial (ASF) constituerait un bon compromis évitant les difficultés inhérentes à une transposition de l'API et du RMI ; cette option aurait aussi le mérite de ne pas aller à l'encontre de la logique d'alignement sur le modèle national, puisqu'il ne s'agirait pas de créer quelque chose ex nihilo, mais d'adapter une prestation existante. Cette ASF spécifique devrait être exclusivement non recouvrable, le niveau des revenus à Mayotte ne justifiant pas un dispositif complexe de récupération sur les pères.

La question des allocations familiales doit aussi être abordée. A cet égard, il apparaît que la natalité est désormais maîtrisée chez les Mahoraises : la plupart des familles ayant bénéficié du déplafonnement du nombre d'enfants pris en compte seraient d'origine non mahoraise. Au regard de cette situation, on peut plaider pour un système où l'effort de revalorisation des allocations porterait d'abord sur celles afférentes aux trois premiers enfants. Cet effort pourrait être programmé sur plusieurs années, comme cela a été le cas pour l'alignement sur les taux métropolitains à La Réunion entre 1991 et 1993 ; il devrait également couvrir l'allocation de rentrée scolaire. Un bénéfice collatéral d'un relèvement des prestations serait de donner tout son effet à la campagne en cours sur l'hygiène nutritionnelle : quand on promeut de nouveaux comportements, encore faut-il que les personnes aient les moyens de les adopter.

Le président Mansour Kamardine a confirmé la maîtrise de la natalité chez les Mahorais et même les résidents étrangers en situation régulière : en une décennie, l'indice de fécondité est passé de 5,4 à 3,4 enfants par femme.

Mme Michèle André a évoqué une autre conséquence du faible niveau des prestations familiales - et plus généralement du système social - à Mayotte : de nombreuses femmes partent à La Réunion avec leurs enfants pour y bénéficier d'un régime plus généreux. Pour 13 500 foyers bénéficiaires de prestations enregistrés à Mayotte, on aurait près de 5 000 familles mahoraises installées à La Réunion ! Cette émigration a des effets désastreux : ces femmes se retrouvent effectivement isolées, les repères familiaux sont perdus, la délinquance est élevée chez leurs enfants...

Le président Mansour Kamardine a ajouté que pour économiser les 3 millions d'euros annuels que coûtera le déplafonnement des allocations familiales à Mayotte, on a accepté de verser le même somme, mais par mois, en allocations aux familles installées à La Réunion, qui ne profitent même pas réellement de la qualité supérieure du système social et éducatif réunionnais : l'échec scolaire est plus élevé parmi leurs enfants qu'il ne l'est à Mayotte.

Mme Michèle André a ensuite abordé un autre problème : la prestation d'aide à la restauration scolaire. Cette prestation, spécifique à l'outre-mer, était à l'origine financée à partir d'un prélèvement qui était opéré avant versement des prestations familiales dans les départements d'outre-mer ; elle consiste dans un versement forfaitaire aux restaurants scolaires en fonction du nombre d'élèves. Elle a été expérimentée en 2005 à Mayotte, mais en 2006, on ne peut rien verser faute de publication du texte réglementaire définissant la dotation. Ce texte doit paraître.

L'allocation de rentrée scolaire (ARS) constitue un autre sujet conflictuel : son versement décalé résulte de l'obligation faite aux familles, à Mayotte exclusivement, de produire un certificat d'inscription. Une demande de modification de cette règle a été faite au nom de la caisse d'allocations familiales dès 2005 et rien n'a été fait avant la rentrée 2005, ni jusqu'à présent.

Pour ce qui concerne le RMI, le plus grande prudence s'impose : c'est une question qui se pose à terme seulement ; il ne faut pas décourager l'accès à l'emploi. La priorité doit donc être donnée au relèvement des prestations familiales et à l'action sociale. Des mesures d'action sociale comme la mise en place d'une restauration scolaire peuvent être très favorables au développement économique : non seulement on améliore la situation des enfants, on leur permet d'étudier, mais en plus, à La Réunion, cela a permis de développer des filières locales pour la fourniture des produits alimentaires.

L'important est d'éviter tout comportement « colonisateur ». C'est le sens de la démarche menée à Mayotte pour la gestion des allocations familiales : des Mahorais ont été engagés, 15 techniciens-conseil formés.

Le président Mansour Kamardine ayant demandé si ces agents allaient être intégrés à l'ensemble des personnels des caisses d'allocations familiales (CAF), Mme Michèle André a indiqué que l'« établissement » de Mayotte a certes un statut spécifique, mais aligné sur le droit commun et la convention collective commune aux CAF, sous réserve de salaires tenant compte du niveau du SMIC mahorais ; en cas de départementalisation, l'intégration ne posera pas de problème.

Le président Mansour Kamardine a appelé à cesser de lier systématiquement l'évolution des statuts professionnels à celle du statut politique de Mayotte.

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Audition de M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale, et de M. François Landais, chargé de mission

M. Dominique Libault a indiqué à titre liminaire que son point de vue ne peut être que général et limité en l'absence d'une connaissance personnelle du dossier de Mayotte.

Toute réflexion sur la question des minima sociaux doit être articulée avec celles sur la protection sociale dans son ensemble et sur le développement économique. Il convient de rappeler que, si les minima sociaux répondent à l'objectif d'assurer un minimum vital à tous au titre de la solidarité nationale, leur mise en œuvre doit prendre en compte leurs effets sur l'attractivité de l'emploi et, le cas échéant, intégrer une conditionnalité. Dans le cas particulier d'un territoire exposé à des flux migratoires importants, cette dimension est également à prendre en considération.

Le président Mansour Kamardine a demandé à l'intervenant ce qui, de son point de vue, pourrait être mis en place à Mayotte.

M. Dominique Libault a estimé ne pas être en mesure d'apporter une réponse précise sur un sujet complexe. Il convient d'abord de s'interroger sur les priorités : est-ce par exemple le logement ? Dans ce cas de figure, il faudra prendre en compte les effets induits imprévus de la création ou de l'amélioration des prestations ; par exemple, l'attribution générale de l'allocation de logement sociale aux étudiants paraît surtout enrichir les loueurs de « chambres de bonne »... Bref, le plus sage est d'attendre les résultats des missions d'inspection envoyées ou envisagées à Mayotte.

Le président Mansour Kamardine ayant observé que de précédentes missions de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) n'avaient guère eu de conséquences, M. François Landais a répondu que la mise en place en cours de la prestation d'aide à la restauration scolaire et le déplafonnement du nombre d'enfants éligibles aux allocations familiales - mesure dont le décret d'application est en cours de signature - constituent des suites de la mission de 2004.

M. Dominique Libault a ajouté que la priorité donnée aux progrès sur les questions de la restauration scolaire et de l'allocation de rentrée scolaire (ARS) lui paraît fondée : il s'agit de dépenses ciblées sur l'éducation, donc sur l'avenir.

Le président Mansour Kamardine a regretté que sur ces questions « prioritaires », on ne constate pas, malgré des demandes réitérées, de progrès réel des dossiers.

Mme Hélène Mignon a considéré qu'il est effectivement capital de bien prendre en charge les enfants, notamment au plan nutritionnel, question qui ne se pose d'ailleurs pas qu'à Mayotte : dans le département de la Haute-Garonne, la restauration scolaire de 10 000 enfants défavorisés est couverte par le conseil général. Mais il y a un autre enjeu important à prendre en compte : la prévention au plan de la santé.

M. Dominique Libault a souligné que le système de santé mahorais est en progrès, même si des problèmes subsistent, en particulier pour attirer à Mayotte des professionnels. Il reste des actions à mener avec les autres directions du ministère de santé et sur place avec le conseil général.

Mme Hélène Mignon ayant demandé si la caisse de sécurité sociale de Mayotte (CSSM) dispose d'un fonds social, M. François Landais a apporté les précisions suivantes :

- La CSSM a longtemps eu des moyens très faibles, mais sa situation s'améliore grâce à son intégration aux mécanismes généraux de solidarité de la sécurité sociale. Cette intégration concerne depuis début 2006 également l'action sociale, la CSSM recevant donc des dotations des caisses nationales chargées de l'assurance maladie et de l'assurance vieillesse (CNAM et CNAV). La CSSM dispose donc d'un service social de qualité, comme une mission l'a montré.

- En matière de programmation sanitaire, des instruments se sont mis en place.

- Les minima sociaux constituant un « filet de sécurité » après les autres prestations, cela n'a pas de sens de les développer sur un territoire avant d'y avoir mis en place l'ensemble de la protection sociale classique.

A une question du président Mansour Kamardine portant sur le déploiement à Mayotte d'une assurance chômage de droit commun, annoncé en 2002, M. Dominique Libault a répondu que là encore, c'est l'ensemble du dispositif de protection sociale qui doit être considéré : l'expérience montre qu'il peut exister des effets de transfert entre les systèmes de prise en charge du chômage et ceux de prise en charge de l'invalidité.

Mme Hélène Mignon a appelé à éviter certains faux débats : Mayotte n'est pas dans la situation de la France métropolitaine ou d'autres pays européens, c'est-à-dire de pays riches qui se sont retrouvés confrontés à la montée d'un chômage de masse. La situation actuelle de Mayotte, c'est tout simplement qu'un grand nombre de personnes n'y ont aucun revenu ; la question qui se pose c'est de parvenir à la fois à développer l'activité et à accompagner ceux qui, alors, resteront au bord du chemin.

M. Dominique Libault a estimé que dans cette optique, plutôt que les minima sociaux, ce sont les dispositifs d'emplois aidés qu'il faudrait développer, ainsi que l'éducation. S'agissant du développement économique, il s'agirait d'identifier des secteurs prioritaires.

A cet égard, M. Ghislain Bray a cité le tourisme et les infrastructures de transports et de réseaux numériques.

Mme Marie-Renée Oget a ajouté que l'emploi et l'insertion ne peuvent être envisagés seulement dans leur dimension marchande. Des prestataires spécialisés dans les activités d'insertion sont très utiles.

Elle a également demandé si la CSSM est désormais gérée et dirigée par des personnes d'origine mahoraise.

M. François Landais a précisé que la CSSM emploie environ 180 agents à 90 % mahorais. Leur intégration aux corps nationaux des personnels de la sécurité sociale est en cours ; en particulier, la question de l'accès des cadres locaux à la liste d'aptitude nationale est en cours de résolution.

Le président Mansour Kamardine a signalé, à titre d'information complémentaire, que si la question de l'origine mahoraise ou non de tel ou tel responsable - en l'espèce, un problème récent porte sur le recrutement d'une personne originaire d'Anjouan - peut être très sensible, c'est compte tenu de la position du gouvernement de la République des Comores et de certains Français d'origine comorienne : les mêmes contestent l'appartenance de Mayotte à la France et, venant dans l'archipel, y excipent de leur nationalité française pour revendiquer des droits et des emplois réservés aux nationaux !

M. François Landais a souhaité évoquer un autre problème grave, celui du travail au noir, qui n'est évidemment pas sans incidence sur les cotisations perçues par la CSSM. A cet égard, a complété M. Dominique Libault, la mise en place d'un système de minima sociaux, liés à des revenus insuffisants, n'est pas concevable si les revenus déclarés n'ont pas un minimum de crédibilité.

Le président Mansour Kamardine a considéré sur ce point que l'instauration d'un droit de visite domiciliaire de l'inspection du travail, pour traquer l'emploi domestique de clandestins, aura une incidence. Il pourrait exister à Mayotte environ 5 000 emplois domestiques au noir chez des fonctionnaires... Comme l'a indiqué le préfet de Mayotte lors de son audition par la mission, le développement de revenus de solidarité au bénéfice des plus pauvres est aussi un moyen de lutter contre l'accueil des clandestins, parfois vus comme la seule source de revenus par certains Mahorais très pauvres.

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COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 7 JUIN 2006

Audition de Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité

Le président Mansour Kamardine a rappelé que depuis la loi du 11 juillet 2001 Mayotte a commencé de rapprocher son système de prestations sociales du modèle métropolitain, mais que reste posée la question des minima sociaux. La mission a pour objet de d'y réfléchir. Il s'agit notamment d'imaginer un dispositif qui doperait l'activité et l'emploi dans le secteur marchand tout en apportant un complément de revenu, un revenu minimum d'activité (RMA) adapté.

Il a ajouté que, dans la perspective de la départementalisation prévue en 2010, les choix qui seront faits pour Mayotte ne pourront s'écarter durablement des solutions nationales. Comment, alors, intégrer ce qui sera fait dans l'archipel aux réformes et expérimentations en cours en métropole, notamment celles confiées à M. Martin Hirsch ? Ne peut-on envisager de mettre au point à Mayotte le dispositif imaginé par Mme Valérie Létard ? Sinon, quelles solutions trouver pour réduire une fracture sociale béante ?

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, a indiqué que le gouvernement inscrit son action dans le cadre de la loi du 11 juillet 2001. Dans le domaine de la protection sociale, l'évolution n'est pas encore totale. Certes, les bases d'un régime de protection sociale adapté à l'archipel ont été posées dans le cadre des ordonnances de 2002, mais il est vrai qu'excepté l'allocation aux adultes handicapés, les minima sociaux n'ont pas été institués. A cela, il y a trois raisons : l'activité ne faisant pas toujours l'objet d'une déclaration, le nombre de personnes susceptibles de bénéficier de ces minima est très élevé ; le gouvernement souhaite éviter de porter atteinte au développement économique de l'archipel ; il veut limiter l'attractivité de la collectivité pour les candidats à l'immigration clandestine, problème majeur de Mayotte.

Mais la perspective du rapprochement de Mayotte du modèle juridique, économique et social métropolitain, amène à envisager, ensemble, les évolutions indispensables en matière de protection sociale. La question n'est plus de savoir s'il faut agir, mais selon quelle méthode. L'Etat doit se doter d'une stratégie explicite dont le ministre de l'outre-mer a précisé les principes lors de son audition par la mission d'information ; il convient de déterminer l'ordre des changements, leur calendrier, comment ils seront présentés aux Mahorais.

Compte tenu de l'importance et de l'impact des transformations à opérer, il a été décidé de constituer une mission conjointe des inspections générales des affaires sociales et de l'administration (IGAS et IGA). L'IGAS étudiera les volets sociaux et sanitaires de la réforme, l'IGA les questions de sécurisation, d'état-civil et le risque d'effets collatéraux sur l'immigration clandestine. La mission rendra son rapport d'ici la fin de l'année. Dans l'intervalle, une série d'améliorations pourrait être apportée, conformément à la feuille de route tracée par le Premier ministre, qui a annoncé, lors de son déplacement à Mayotte, le 19 mai dernier, qu'il engageait le processus d'alignement des allocations familiales. D'autres mesures sont à l'étude, concernant la date de versement de l'allocation de rentrée scolaire, la prestation d'aide à la restauration scolaire, l'allocation logement familiale, les allocations destinées aux personnes âgées et aux personnes handicapées.

L'instauration de minima sociaux pourrait intervenir dès 2007, mais, auparavant, il faut régulariser le travail et lutter contre le travail illégal. Les priorités sont, d'une part, d'assurer le développement économique de Mayotte et de renforcer les compétences de la population active, d'autre part de renforcer la lutte contre l'immigration clandestine, préoccupation majeure pour l'archipel.

A ce jour, la proposition de loi portant réforme des minima sociaux de Mme Valérie Létard n'a pas encore été discutée. On ne peut donc envisager pour l'instant de transposer à Mayotte le dispositif qu'elle suggère et, si cela était, il faudrait veiller à éviter bien des difficultés. Comment faire, par exemple, pour qu'une femme allocataire de l'allocation de parent isolé (API) bénéficie aussi d'une formation qualifiante ? Dans le département de la Marne, les filles de la moitié des femmes qui touchent l'API la perçoivent à leur tour. Le dispositif doit conduire à un emploi, et non faire se reproduire un modèle. La mission IGAS-IGA œuvrera dans cet esprit, pour éviter que le système n'explose sous la pression de ceux qui ne déclarent pas leur activité.

Le président Mansour Kamardine a souligné que la plupart des Mahoraises ne sont pas allées à l'école, et que très peu nombreuses sont celles qui ont suivi des études au-delà du CM2. Il a rappelé son rôle dans l'abolition de la polygamie à Mayotte, en observant toutefois que cette tradition constituait pour les Mahoraises une forme de « sécurité sociale ». Le droit local a été révolutionné et c'est très bien ainsi, mais si les femmes auxquelles on impose un divorce ne parviennent pas à trouver un emploi, elles s'enfonceront dans la précarité. Il faut impérativement trouver une solution, en sachant que les Mahorais n'ont aucune envie d'être assistés. Ce qu'ils veulent, c'est du travail, mais force est de constater que le travail manque.

En matière de droit social, la difficulté tient à ce que, lorsqu'une collectivité n'entre pas dans le droit commun, on ne sait plus quoi faire. Ainsi, les élus de Mayotte espéraient beaucoup du RMA, mais, paradoxalement, ce dispositif ne peut être appliqué dans l'archipel faute de RMI. Or, puisqu'à Mayotte tout le monde ou presque est un « rmiste » potentiel, mieux vaudrait passer directement au RMA, ce qui permettrait de proposer aux allocataires des revenus tirés du travail. On ne peut repousser indéfiniment le problème ; il faut encourager l'emploi et singulièrement l'emploi des femmes, qui veulent vivre dignement.

La ministre a considéré qu'en effet le RMA ne peut en effet être dissocié du RMI, car il repose sur le versement du RMI à l'employeur. On peut en revanche envisager un développement du micro-crédit, par exemple pour que les femmes puissent créer leur propre emploi : ce mécanisme permet de lever trois euros pour une mise d'un ; souvent les entreprises ainsi créées génèrent ensuite un ou deux emplois salariés. Les exemples relatés lors de l'assemblée générale de l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE) sont très éloquents, et le FGIF, le fonds de garantie pour la création, la reprise ou le développement d'entreprises à l'initiative des femmes, offre de grandes possibilités à cet égard dans le cadre du plan de cohésion sociale. Ce fonds pourrait intervenir à Mayotte, ou du moins pourrait-on envisager d'y expérimenter l'attribution de micro-crédits au cas par cas.

Le président Mansour Kamardine a estimé que cette proposition est d'autant plus susceptible d'être mise en œuvre que l'ADIE a une antenne à Mayotte. Depuis 1996, le conseil général plaide pour que, quel que soit le dispositif retenu, un financement soit débloqué, non afin de verser le RMI à des gens qui resteraient chez eux pour regarder la télévision, mais afin d'aider les femmes qui pratiquent des formes d'artisanat traditionnel à maintenir ces activités grâce à un complément de revenus, à une formation leur permettant d'améliorer leurs productions, à l'acquisition de matériel plus moderne, et pour leur permettre de vivre dignement en favorisant leur insertion par le logement. Malheureusement, depuis dix ans, le conseil général n'a pas été entendu. Il reste donc à espérer que la mission IGAS-IGA entendra ces arguments, car lors des dernières élections législatives, quinze candidats sur seize avaient promis d'instaurer le RMI s'ils étaient élus... Il n'y a aucun doute : l'Etat est condamné à trouver des solutions, sans quoi le RMI sera de toute façon instauré, avec des conséquences redoutables. Pendant longtemps, l'économie mahoraise a été une économie de survie, mais Mayotte est entrée dans l'ère de la consommation et l'on ne supporte plus de n'avoir rien pendant que d'autres sortent des supermarchés avec des chariots pleins. La société mahoraise est en crise, on ne peut l'ignorer.

La ministre a évoqué un autre dispositif à tester éventuellement, le contrat d'accès à l'emploi (CAE), tel qu'il est mis en place à Saint-Pierre-et-Miquelon et dans les DOM, qui comporte un volet de formation.

Le président Mansour Kamardine a reconnu l'intérêt d'un volet formation vu le faible niveau de qualification à Mayotte. Cela dit, s'agissant des emplois aidés, un dispositif figure dans la loi de programme pour l'outre-mer de 2003, mais il est malheureusement resté une construction de papier et n'a pas produit d'effets tangibles. Le sujet est grave. L'État doit absolument parvenir à proposer un dispositif efficace en matière de création d'emplois. Pourquoi avoir refusé d'appliquer à Mayotte l'exonération de charges sociales qui a été décidée pour les DOM ? Le coût n'aurait été que de 7 millions d'euros, mais l'on n'a pas été capable de le faire, alors que le taux de chômage est de 40 % dans l'archipel.

La ministre a déclaré retenir trois pistes d'action : dans le cadre de la mission IGAS-IGA, explorer l'application du CAE à Mayotte ; expérimenter le micro-crédit ; rénover les allocations logement, car structurer l'offre créera des emplois dans le secteur.

Le président Mansour Kamardine est revenu sur l'exonération de charges sociales consentie dans les DOM, souhaitant qu'elle s'applique aussi à Mayotte, pour soulager les entreprises. La réévaluation progressive du SMIC local, à raison de 10 % par an, pèse sur leurs comptes et cependant est trop lente pour les salariés ; la pression syndicale est forte et la violence affleure dans les conflits sociaux car les choses sont restées trop longtemps en l'état.

La ministre a indiqué qu'alors que les travaux de la mission IGAS-IGA démarrent, son cabinet se penchera sur la question du micro-crédit et, avec celui de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, sur celle des allocations logement.

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COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 14 JUIN 2006

Audition de M. Henri de Raincourt et de M. Michel Mercier, sénateurs

Le président Mansour Kamardine a rappelé l'objet de la mission d'information, observant notamment qu'il ne s'agit pas, à Mayotte, de réformer les minima sociaux, sujet abordé dans le rapport confié aux intervenants par le gouvernement, mais de créer tout un dispositif.

M. Henri de Raincourt, après avoir indiqué qu'il ne connaît pas Mayotte, a estimé que quelques principes simples devraient être retenus dans l'optique de la construction d'un système de minima sociaux : s'efforcer de n'en instituer qu'un seul (au lieu des neuf que l'on a en métropole) ; imposer la signature d'un contrat d'insertion préalable à l'accès à cette prestation, afin de privilégier l'activité plutôt que l'oisiveté ; confier la gestion du dispositif au président de l'assemblée locale.

M. Michel Mercier, déclarant partager les propos de M. Henri de Raincourt, a également souligné les problèmes migratoires propres à Mayotte. Revenant sur le dispositif qui serait souhaitable, il a mis en avant la nécessité d'exiger des contreparties de la part des bénéficiaires ainsi que l'importance de la formation des personnes chargées de leur suivi. Il convient aussi de développer un outil de contrôle efficace afin d'éviter de créer un « guichet ouvert ». Enfin, la collectivité qui gère le dispositif doit être celle qui le finance.

M. Henri de Raincourt a confirmé l'importance du suivi des bénéficiaires. Chacun doit avoir un « référent » et être titulaire d'un contrat d'insertion. Les départements ont consenti de gros efforts pour cela. Disposer d'un minimum social ne doit pas être le préalable mais la conclusion d'une démarche d'insertion.

M. Michel Mercier a ajouté que chacun des 34 000 bénéficiaires du RMI dans son département a maintenant un référent. Ils sont convoqués deux fois par mois ; 9 000 ont été radiés l'an dernier.

Le président Mansour Kamardine a mis en lumière une contradiction : l'Etat délivre les titres de séjour, maîtrise en principe la politique d'immigration ; dès lors, comment peut-il, dans le même temps, arguer de l'immigration pour refuser l'amélioration des dispositifs sociaux ? Ce refus, d'ailleurs, entraîne la migration massive des Mahorais à La Réunion.

Mayotte est certainement l'un des endroits du territoire français où les problèmes de l'immigration sont les plus tangibles. L'archipel dispose de la plus grande maternité de France : sur 7 500 naissances annuelles, 70 % sont le fait de personnes issues des îles voisines. Dans les écoles primaires, 20 % des enfants sont en situation irrégulière. 8 000 clandestins ont été reconduits à la frontière l'an dernier, le chiffre pourrait approcher le double cette année.

Si l'on ne veut pas étendre le RMI à Mayotte, il est urgent de trouver une solution alternative. Les Mahorais demandent à travailler, il faut le leur permettre. Une forme de revenu minimum d'activité (RMA) serait donc la meilleure, mais quel RMA, alors que le RMI n'existe pas à Mayotte et constitue ailleurs un préalable nécessaire au RMA ?

M. Michel Mercier a observé que le RMA rencontre quelques difficultés pour se développer, car il faut trouver des employeurs : son département ne peut en offrir qu'environ 800.

Il a suggéré de constituer à Mayotte des entreprises et associations d'insertion : ainsi l'aide publique va-t-elle à ces structures et non directement aux personnes qu'elles salarient en contrepartie d'une activité. Il existe certainement à Mayotte de nombreux champs d'activité, notamment en matière d'aménagement de l'espace et de protection de l'environnement, où des entreprises d'insertion pourraient intervenir.

La question de la collectivité qui devrait gérer le dispositif qui sera créé mérite d'être posée : faut-il que ce soit le conseil général ou l'Etat ? En tout état de cause, cela ne doit pas être la caisse d'allocations familiales : l'inscription des bénéficiaires, le contrôle, le suivi par un référent, le financement doivent relever de la même autorité.

Enfin, il faut garder à l'esprit qu'un minimum social ne doit pas seulement être conçu comme donnant un minimum vital, mais aussi comme un outil de développement.

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COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 15 JUIN 2006

Audition de M. Jean Gaeremynck, délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle, et M. Patrick Lavergne, chef de la mission insertion professionnelle

Après que le président Mansour Kamardine a présenté l'objet de la mission d'information, M. Jean Gaeremynck a rappelé que parmi les missions de la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle figure le pilotage des emplois aidés mis en place par le plan de cohésion sociale, emplois dont il a précisé l'architecture : il existe quatre types de contrats selon qu'ils s'adressent au secteur marchand ou non-marchand et selon qu'ils comportent ou non l'activation d'un minimum social.

Ces mesures peuvent-elles être transposées à Mayotte ? Les contrats aidés comportant l'activation d'un minimum social, contrat d'avenir et contrat insertion-revenu minimum d'activité (CI-RMA), ne le peuvent pas, faute de la présence de prestations à activer, mais, pour le reste, la mise en œuvre de contrats aidés y est naturellement possible. Une expérience intéressante qui pourrait être adaptée à Mayotte est celle du contrat d'accès à l'emploi (CAE) en vigueur dans les départements d'outre-mer (DOM) et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Ce contrat, prenant la forme d'un contrat de travail à durée déterminée ou indéterminée avec une durée hebdomadaire du travail d'au moins 16 heures, est accompagné par une convention, conclue pour deux ans au plus, avec un employeur du secteur marchand ; il est destiné à diverses catégories tels que les demandeurs d'emploi de longue durée ; il emporte une exonération de charges patronales et une aide de l'Etat, financées sur le budget de l'outre-mer, de 152 à 305 euros par mois.

Ce type de mesures permet d'alléger le coût du travail. Il convient, en contrepartie, de veiller à l'engagement des employeurs sur des actions d'accompagnement et de formation. Il est également utile, comme c'est désormais le cas dans le cadre du plan de cohésion sociale, de pouvoir moduler l'aide publique selon les bénéficiaires, afin d'affiner le ciblage des mesures, et d'en fixer les montants par rapport au SMIC.

S'agissant de la gestion opérationnelle des mesures du plan de cohésion sociale, elle est confiée en métropole à l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE). A Mayotte, l'ANPE n'est présente que depuis peu et il faudra choisir une solution adaptée.

Le président Mansour Kamardine a demandé pourquoi le CAE, le CI-RMA et les exonérations de charges propres aux DOM ne s'appliquent pas à Mayotte. M. Patrick Lavergne ayant évoqué l'hypothèse de problèmes statutaires, le président Mansour Kamardine a regretté l'invocation permanente de cet argument, le statut ou non départemental n'empêchant évidemment pas qu'un certain type de contrat de travail, par exemple, soit applicable à Mayotte.

M. Jean Gaeremynck a estimé que les exonérations de charges sociales constituent un puissant outil d'allègement du coût du travail. Il a évoqué une autre innovation du plan de cohésion sociale : l'enveloppe régionale unique, qui offre aux préfets de région de larges facultés de modulation et d'adaptation des contrats aidés aux publics. Il est important de bien cibler les publics bénéficiaires afin d'éviter les effets d'aubaine.

M. Patrick Lavergne a indiqué que des contacts ont été pris avec le directeur départemental du travail à Mayotte afin de réfléchir aux conditions de mise en œuvre, par son service, d'un contrat inspiré du CAE. Un objectif de 1 500 contrats par an pourrait être visé. Faire baisser le coût du travail par ce type de mesure permet aussi de lutter contre le travail au noir.

Le président Mansour Kamardine a mis en lumière la contradiction qu'il y a, pour l'Etat, à refuser d'étendre le RMI à Mayotte tout en déclarant ensuite qu'en l'absence de RMI, il ne sait pas inventer des mesures d'activation compensant l'absence de ce minimum social ! Il a estimé que l'emploi dans le secteur public et parapublic doit également être soutenu.

M. Patrick Lavergne a précisé que les contrats emploi-solidarité existent encore à Mayotte : l'enveloppe budgétaire prévue permet d'en financer 1 900 en 2006, contre 2 800 en 2005.

M. Jean Gaeremynck a observé que la priorité à l'insertion dans le secteur marchand se justifie par la meilleure insertion dans l'emploi que l'on obtient ainsi.

S'agissant du choix de l'opérateur, en métropole, l'ANPE n'a pas de difficultés pour diffuser les contrats aidés, les employeurs sont demandeurs. Le fait est cependant que la diffusion de la connaissance des dispositifs constitue un enjeu important.

Le président Mansour Kamardine a estimé qu'en contrepartie de l'absence de RMI à Mayotte, l'Etat pourrait accepter de consacrer une somme équivalente à ce que coûterait cette prestation à diverses actions visant notamment à soutenir le revenu des actifs non-salariés, à les aider à investir et à se former. En effet, ce que l'on constate malheureusement aujourd'hui, c'est que les personnes que les activités traditionnelles, notamment agricoles, ne nourrissent plus viennent demander des emplois parapublics subventionnés, laissant leurs exploitations à l'abandon. Les Mahorais ne demandent qu'à travailler ; il est souhaitable qu'ils bénéficient d'un accompagnement global couvrant les différents volets tels que l'investissement et la formation.

Pour ce qui concerne l'ANPE, il est anormal que malgré la loi son implantation à Mayotte soit seulement une agence dépendant de la délégation installée à La Réunion et dépourvue d'autonomie. L'ANPE doit bénéficier à Mayotte des moyens et de l'autonomie de droit commun, afin de gérer les mêmes politiques publiques qu'ailleurs : ce n'est pas à l'Etat, à travers la direction du travail et de l'emploi, de tout faire.

M. Patrick Lavergne a déclaré que l'une des conditions de la réussite d'un dispositif d'insertion dans l'emploi réside dans la capacité à mobiliser les divers acteurs et à les faire travailler ensemble. Un « guichet unique » apparaît très utile pour qu'un tel système fonctionne vertueusement, calibre ses interventions et assure le suivi des personnes afin de déboucher sur une insertion durable.

M. Jean Gaeremynck a jugé intéressante l'idée d'assurer un complément de revenu pour certaines activités. Elle pourrait être étudiée par la future mission des inspections générales des affaires sociales et de l'administration (IGAS et IGA).

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Audition de M. Jean-Jacques Tregoat, directeur général de l'action sociale, M. François Delalande, sous-directeur des affaires juridiques et financières, M. Bernard Pernet, chargé de mission, et M. Laurent Cytermann, chef du bureau des minima sociaux

Le président Mansour Kamardine, après avoir rappelé l'objet de la mission d'information, a regretté que Mayotte, qui se bat depuis soixante ans pour être un département français, se heurte toujours aux mêmes difficultés pour obtenir des améliorations. Le retard pris dans la mise en œuvre de la prestation d'aide à la restauration scolaire en est l'illustration.

M. Jean-Jacques Tregoat a considéré qu'il y a cependant des avancées récentes ou en cours, par exemple en matière d'allocations familiales et d'allocation logement.

Pour ce qui concerne la restauration scolaire, l'outil est en place, mais les crédits n'ont été que très faiblement consommés en 2005 suite à l'arrêté du 18 juillet 2005 : 26 000 euros sur 342 000 prévus, qui devaient permettre de couvrir 5 % des enfants en distribuant 3 000 collations et 800 repas par jour. Pour 2006, l'enveloppe prévisionnelle est de 1,7 million d'euros, ce qui autoriserait 8 000 collations et un taux de couverture de 15 % ; l'arrêté de financement, interministériel, n'est pas encore paru, et il est vrai que la procédure devrait être accélérée. Pour 2007, l'objectif serait de poursuivre cette montée en puissance.

Le problème qui se pose dans cette optique, c'est de justifier vis-à-vis du ministère des finances le déploiement de ces crédits alors que leur taux de consommation en 2005 a été si faible. L'identification des causes de cette sous-consommation est nécessaire : est-elle liée à des problèmes logistiques, de déplacement des enfants, de reste à charge trop élevé pour les familles ?

Le président Mansour Kamardine s'est étonné que l'arrêté nécessaire pour engager les dépenses en 2006 ne soit pas encore paru. C'est le fond du problème : la directrice générale de la caisse d'allocations familiales de La Réunion, délégataire des crédits, le dit bien, elle ne peut signer de conventions avec les établissements et communes volontaires en l'absence de ces crédits. Vue la date tardive de signature de l'arrêté en 2005, la sous-consommation cette année-là n'est pas non plus surprenante. Imputer cette situation au niveau du reste à charge pour les familles paraît en revanche infondé quand on sait qu'il n'est que de 10 centimes pour les collations (avec 1 euro de prise en charge publique). Au moins peut-on prendre acte de l'engagement d'accélérer la publication des arrêtés financiers à l'avenir.

M. Jean-Jacques Tregoat a observé que les arrêtés de financement couvrent les années scolaires : s'ils sont pris en juillet, c'est certes tard, mais pas trop pour que les moyens soient en place à la rentrée des classes.

Peut-être existe-t-il un problème juridique quant au passage de l'année budgétaire civile à l'année scolaire, quant aux reports entre exercices. Ce point doit être examiné.

Il convient aussi de vérifier qu'après l'expérimentation menée, plusieurs collèges et écoles étaient effectivement en mesure de déployer le dispositif.

Mme Hélène Mignon a demandé si le problème ne serait pas lié à une inadaptation des produits offerts aux habitudes alimentaires des enfants mahorais.

Le président Mansour Kamardine a répondu que non, expliquant qu'une expérimentation dans un collège avait permis de s'appuyer sur l'existant : on a consolidé l'activité des femmes qui vendent traditionnellement des brochettes aux enfants - sauf dans quelques établissements, surtout des lycées, où la restauration scolaire classique est en place - en les formant et en les dotant d'une installation ; les enfants venaient leur acheter leur collation à l'aide de tickets distribués par l'établissement.

Mais ensuite, l'expérimentation n'a pas été étendue, malgré de nombreuses demandes de collèges et de communes pour leurs écoles primaires. 13 communes souhaitaient passer une convention, aucune n'a pu le faire.

M. Jean-Jacques Tregoat a estimé que la question de la prestation d'aide à la restauration scolaire pourrait utilement être traitée par la mission commune aux inspections générales des affaires sociales et de l'administration (IGAS et IGA) qui va être lancée.

Le président Mansour Kamardine a déclaré qu'à force d'étendre le champ d'investigation de cette mission des inspections, elle risque de ne jamais rendre son rapport...

Mme Hélène Mignon a jugé que c'est à la direction générale de l'action sociale elle-même de régler ce problème.

M. Jean-Jacques Tregoat a conclu sur ce point en s'engageant à obtenir rapidement la signature de l'arrêté de financement pour 2006, à anticiper pour celui de 2007 et à examiner concrètement les problèmes comptables qui peuvent se poser avec la caisse d'allocations familiales.

Il a ensuite abordé la question de l'aide médicale d'Etat (AME) : au regard des difficultés de gestion de cette aide en métropole, où les dépenses continuent à augmenter, avec 170 000 bénéficiaires, il n'est vraiment pas souhaitable de l'étendre à Mayotte, car cela entraînerait un afflux d'immigrants illégaux. C'est à travers le déploiement de la sécurité sociale et la gratuité des soins d'urgence que les Mahorais doivent accéder à la santé.

Pour ce qui concerne plus généralement les minima sociaux, cette question a été moins labourée que d'autres dans les précédents rapports produits sur Mayotte. Elle doit donc être expertisée par la mission IGAS-IGA. L'objectif est d'éviter la dérive vers l'assistanat, d'analyser soigneusement les liens ambigus entre développement et assistance.

Mme Hélène Mignon a jugé souhaitable une analyse plus poussée des dépenses d'AME, qui porterait sur les pathologies : à force d'annoncer des restrictions, ne décourage-t-on pas les personnes de consulter quand il est temps, générant ainsi des pathologies traitées avec retard, plus graves, plus coûteuses, voire des problèmes de santé publique si elles sont transmissibles ?

M. Laurent Cytermann a rappelé que l'ordonnance du 12 juillet 2004 a supprimé la gratuité des soins à Mayotte pour les étrangers en situation irrégulière en instituant, sauf pour les affections graves et durables, une obligation de consignation. Deux enquêtes ont montré que ce système fonctionne. Etendre l'AME, ce serait revenir sur cette réforme.

Le président Mansour Kamardine a demandé comment les Mahorais sans emploi, donc non affiliés à la sécurité sociale, peuvent se faire soigner dans ce système.

M. Laurent Cytermann a indiqué qu'ils sont alors soumis au dispositif de consignation, mais le déploiement de la sécurité sociale devrait réduire le nombre des personnes concernées.

Mme Hélène Mignon a demandé des précisions sur le déploiement de la couverture maladie universelle et la médecine scolaire préventive.

Le président Mansour Kamardine a souligné le retard du système sanitaire. Les trois quarts des Mahorais atteints du chikungunya n'ont pas consulté de médecin, mais ont recouru aux méthodes traditionnelles.

M. Jean-Jacques Tregoat a évoqué les questions de l'allocation adulte handicapé (AAH) et de l'allocation spéciale pour personnes âgées (ASPA). Il s'est félicité que le principe d'une dynamisation de leur revalorisation, qui dépasserait 3 % par an, apparaisse acquis. Pour le reste, l'alignement de toutes les règles concernant l'AAH sur le modèle métropolitain suppose la mise en place de l'ensemble des instruments prévus par la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, tels que les maisons départementales des personnes handicapées. Le délai d'habilitation que prévoyait cette loi pour son application par voie d'ordonnances à Mayotte étant dépassé, une nouvelle mesure législative sera nécessaire.

Mme Hélène Mignon a estimé que la mise en place d'une maison des personnes handicapées à Mayotte constitue un beau projet, qui serait peut-être moins difficile à conduire à bien que dans certains départements métropolitains du fait que l'on construira du neuf, sans structures préexistantes.

M. Jean-Jacques Tregoat a ensuite indiqué que l'application du RMI à Mayotte ne lui paraît pas souhaitable. Pour éviter le développement de l'assistanat, mieux vaudrait miser sur les emplois aidés et le micro-crédit. La mise en place du RMI impliquerait en outre des moyens puissants de contrôle. De même se poserait la question de la collectivité gestionnaire : Etat ou collectivité départementale ?

Mme Hélène Mignon, approuvant le principe d'une expérience de micro-crédit, a toutefois considéré que son succès implique des études préalables. Comment seront-elles conduites et financées ?

M. Jean-Jacques Tregoat a précisé que, dans le cadre du plan de cohésion sociale, deux types de micro-crédits sont en cours de développement, l'un à vocation professionnelle, qui peut s'appuyer sur des opérateurs déjà présents, l'autre à vocation sociale (pour des personnes que le système bancaire refuse), plus difficile à lancer. On pourrait s'inspirer à Mayotte de ces expériences.

Le président Mansour Kamardine a conclu en saluant l'œuvre de législation déjà conduite et envisagée à l'avenir pour Mayotte. Mais cela ne suffit pas : les Mahorais veulent des actes, des progrès sociaux ; ils veulent pouvoir travailler.

DÉPLACEMENT DE LA MISSION

Une délégation de la mission s'est rendue le 27 juin 2006 à Bruxelles, où elle a rencontré :

M. Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne en charge des transports ;

M. Sérgio Marques, député européen (Portugal, Madère), rapporteur en 2005 de la commission du développement régional « sur un partenariat renforcé pour les régions ultrapériphériques » ;

M. Joost Korte, chef de cabinet de Mme Danuta Hübner, commissaire en charge de la politique régionale, accompagné de M. Eric Von Breska, conseiller technique, de M. Bernard Lange, chef de l'unité France à la direction générale pour la politique régionale, et de Mme Pascale Wolfcarius, chef de l'unité régions ultrapériphériques à la même direction ;

M. John Caloghirou, chef de l'unité des pays et territoires d'outre-mer à la direction générale du développement, M. Stéphane Verwilghen, administrateur chargé de Mayotte à la même direction, M. Dominique David, conseiller à l'office de coopération de l'Union européenne, et M. Pierre Dirlewanger, administrateur à la direction générale pour la politique régionale ;

M. Marc-Etienne Pinauldt, conseiller à la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, en charge des affaires régionales.

CONTRIBUTIONS ÉCRITES

page

¬  M. Jean-Claude Cargnelutti, directeur de l'action sanitaire et sociale à Mayotte


102

¬  M. Bertrand Perrier, directeur de la caisse de sécurité sociale de Mayotte


109

¬  M. José Macarty, président de l'association Océan indien de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS)



117

Note transmise(9) par M. Jean-Claude Cargnelutti,

directeur de l'action sanitaire et sociale à Mayotte

1. Préambule

Les minima sociaux à Mayotte : sur la Métropole et dans les DOM, il existe au moins 9 minima sociaux plus le dispositif du Revenu de solidarité qui est un dispositif spécifique aux DOM. Mayotte dispose actuellement de 3 de ceux-ci :

- L'allocation veuvage, mise en place en 1982 par arrêté préfectoral en référence à la loi n° 76-1212 du 24 décembre 1976. Actuellement, elle concerne 38 personnes (instruction et versement par la Caisse de Sécurité sociale de Mayotte). Montant dégressif de 2/3 du SMIG à 1/3 (base Mayotte) proratisé entre les épouses en cas de mariage multiple.

- L'allocation aux adultes handicapés (mesure adaptée), instituée par l'ordonnance n° 2002-411 du 27 mars 2002 et mise en place en janvier 2003 (processus d'instruction, avis de la commission et fixation du taux d'incapacité au niveau DASS ; détermination du montant de l'allocation et versement par la CAF). Son montant est de 150 € par mois à taux plein.

- L'allocation spéciale pour personnes âgées issue de l'ordonnance du 27 mars 2002 est un revenu minimum pour les personnes âgées de 60 et plus. Son montant est de 152.55 € par mois à taux plein pour une personne seule et de 274,59 € pour un couple marié.

En conséquence, l'allocation d'insertion, l'allocation supplémentaire d'invalidité, l'allocation de parent isolé, le revenu minimum d'insertion, l'allocation de solidarité... ne sont pas servies à Mayotte.

Il convient également de rappeler ici que sur neuf prestations familiales, seules les allocations familiales avec leur déplafonnement récent, l'allocation logement qui concerne à peine une cinquantaine d'allocataires, l'allocation de rentrée scolaire et la prestation de restauration sont en vigueur à Mayotte.

2. Les avancées

Des progrès considérables ont été faits depuis 2002 :

- généralisation des allocations familiales et déplafonnement du nombre d'enfants ;

- l'allocation aux adultes handicapés ;

- l'allocation spéciale pour personnes âgées ;

- l'allocation logement ;

- puis, très récemment, l'assurance maladie-maternité.

Il n'en demeure pas moins que dans certains cas, le niveau du montant et les modalités de sa progression restent un problème.

3. Contexte

- Une démographie très soutenue : la projection faite par l'INSEE pour cette année donne environ 180 000 habitants dont 55 000 à 60 000 étrangers. En trente ans, la population de Mayotte a été multipliée par 5. La population mahoraise est très jeune : plus de la moitié de la population a moins de 20 ans (0-19 ans = 55 % de la population). Cette forte croissance s'explique d'une part, par une natalité élevée (indice de fécondité 4,7 enfants par femme) et d'autre part, par une forte immigration.

- Une natalité élevée mais les mères sont majoritairement d'origine étrangère. En 1958, on enregistrait à peine 1 800 naissances, on en comptait près de 4 000 en 1992 et aux alentours de 7 700 en 2004. La tendance vers les 8 000 naissances en 2005 était également attendue. Parmi les femmes qui accouchent, on estime à 65 % celles qui sont d'origine étrangères, majoritairement comoriennes et plus particulièrement anjouanaises.

Les femmes mahoraises semblent intégrer lentement le modèle français en reculant l'âge de la première naissance et en limitant le nombre de leurs enfants tandis que les comoriennes restent sur le concept d'une descendance plus importante.

- Une immigration importante. Entre 1997 et 2002, plus de 20 000 personnes, dont plus de la moitié sont des femmes arrivées à Mayotte. 66 % des nouveaux arrivants sont originaires des Comores et 22 % de la France métropolitaine. Toutefois, la population française à Mayotte aurait tendance à stagner. Ceci s'explique par une émigration importante d'une partie de la population mahoraise, essentiellement des jeunes et des femmes, en direction de la Réunion où ils peuvent bénéficier et percevoir un certain nombre d'aides sociales telle que l'API et le RMI (les familles mahoraises, plus souvent monoparentales, sont les plus dépendantes des aides sociales = 93 % perçoivent les allocations familiales et 72 % le RMI ou le RSO).

- Une configuration familiale spécifique. Même si les choses évoluent, cette configuration familiale liée au statut civil de droit local = la problématique de la polygamie. La réalité de la situation est difficile à évaluer. Dans la plupart des cas, les femmes vivent seules et ont en charge leurs enfants.

L'article 75 de la Constitution prévoit que les citoyens français de Mayotte « conservent leur statut personnel tant qu'il n'y ont pas renoncé ». Ce statut, dérogatoire du droit commun, permet le maintien du statut civil de droit local. Cependant la loi d'orientation pour l'Outremer de 2003 met fin progressivement à certaines dispositions contenues dans ce statut. Ainsi, l'article 68 de la loi prévoit l'extinction progressive de la polygamie en interdisant depuis le 1er janvier 2005 les personnes en âge de se marier d'y recourir. Alors même que cette loi ne concerne pas les familles en situation de polygamie, de nombreuses femmes ont été répudiées par leur mari et se sont retrouvées isolées avec de nombreux enfants à charge sans disposer de ressources suffisantes.

- Une forte proportion de familles nombreuses. L'INSEE au recensement de 2002 comptabilisait plus de 26 000 familles avec enfants (familles ayant à leur tête une personne célibataire, une personne ou un couple marié - monogame ou polygame, veuf ou veuve, ou personne séparée légalement).

- Il est également constaté une fragilisation des solidarités.

- Il convient également d'ajouter qu'il n'existe pas beaucoup de structures de gardes d'enfants et aucune prestation d'accueil.

- Il est également important de signaler le faible niveau de vie et de précarité des familles.

4. Contraintes ou risques

Compte tenu de ces différents éléments et auxquels on peut rajouter un chômage important, des références à la culture du travail encore très différentes, mettre en place des revenus issus de transferts sociaux engendre de facto un risque d'un assistanat généralisé. Il suffit de se référer à ce qui s'est passé à la Réunion...Il est encore possible de ne pas répéter l'histoire et de mieux tirer partie des politiques favorisant l'emploi en priorisant les revenus tirés de l'activité afin de permettre à chacun d'assumer au mieux leurs charges de famille.

5. Propositions

Elles s'établissent en deux temps :

- Il nous semble que le niveau de certaines prestations qui, dans certains cas constituent des minima sociaux (allocations aux enfants handicapées et adultes handicapés ainsi que le niveau de la tierce personne et qui doivent être revues dans le cadre du projet d'ordonnance sur le handicap à la suite de l'extension des dispositions de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005), doit être consolidé par une revalorisation de leur montant. En effet, le niveau de ces allocations reste bas mais dans la plupart des cas il est très en deçà de la proportion des références comparatives salariales et prestations Mayotte-Métropole. ; d'autant qu'il convient de prendre en considération la volonté des partenaires sociaux locaux de rattraper d'ici quelques années le SMIG métropolitain (en juillet 2005, le SMIG horaire a été augmenté de 10 % au 1er juillet - il sera augmenté de 9.1 % à compter du 1er juillet 2006).

Le logement est également une priorité car les problèmes de l'habitat se posent en terme de précarité et d'insalubrité. L'actuelle allocation logement n'est guère en mesure de structurer et de susciter l'offre dans ce domaine.

Préalablement, il nous semble nécessaire de développer les dispositifs d'aide à la garde d'enfants (créateurs d'emploi et facilitateurs de l'accès à l'emploi des mères). Créer également des structures de restauration scolaire. La politique adoptée à notre sens par le biais de la prestation de restauration n'est pas suffisamment corrélée avec les besoins de la jeunesse. Ne doit-on pas s'inspirer de ce qui avait été fait à la Réunion avec le FASO ? Puisque les prestations en général sont inférieures à Mayotte par rapport à la Métropole, ne peut-on pas s'inspirer du système de la créance de proratisation (RMI) qui permet de dégager des fonds collectifs qui seraient prioritairement affectés à des équipements et fonctionnement de services prioritaires (la restauration scolaire en fait partie).

- Il convient de soutenir encore la politique de régulation des naissances de même qu'il faut mettre l'accent sur le soutien à la parentalité et qu'en préalable à l'allocation de parent isolé, il est nécessaire de promouvoir l'allocation de soutien familial.

Tout dispositif d'aide à l'emploi nous semble également devoir être prioritaire (en s'inspirant des CAE ou du RMA).

6. Questionnaire

1) Si l'on créait de toutes pièces aujourd'hui un système de minima sociaux, quelles erreurs devraient être évitées ? Faudrait-il les mêmes allocations ? Le choix de verser le RMI et l'API au foyer, selon sa composition et en faisant jouer les obligations alimentaires devrait-il être repris ? Quels poids à donner au critère d'éloignement de l'emploi dans le niveau des prestations ? Quel cumul possible avec des revenus d'activité ? Quelles contreparties à demander aux bénéficiaires ?

Compte tenu des différents éléments ci-dessus, il nous semble qu'il faille éviter d'aller vers l'assistanat généralisé. Nous avons pu observer, à l'occasion de l'épidémie « chikungunya » la capacité à mobiliser massivement (plus de 500 emplois) des CDL (contrat de développement local), des CES ainsi que des vacataires horaires (pour 35 heures par semaine). Beaucoup de ces personnes embauchées temporairement souhaitaient fortement une reconduction de leur contrat afin de faire face aux charges familiales et autres qui étaient les leurs. Ces dispositifs constituent d'une certaine manière un type de minimum social.

Faire un copier-coller de toutes les allocations existantes en Métropole ou dans les DOM n'est pas forcément la bonne solution. L'émigration vers la Réunion et la Métropole montre bien que les Mahorais recherchent à la fois des sources de revenus mais également la qualité de service qu'actuellement Mayotte ne peut pas satisfaire totalement (niveau scolaire, qualité et diversité des soins, prises en charges pour les enfants handicapés...). Ce qui engendre une analyse des allocations existantes de leur niveau d'une part et de l'autre comment répondre à ceux qui disposent de faibles revenus ? Il convient donc également de distinguer les types de population (personnes âgées, personnes handicapées) et de reconsidérer le niveau des allocations et pour la population en âge d'activité de trouver un dispositif qui permet de tirer des revenus d'une activité tant dans le secteur marchand que dans le secteur non marchand.

Le principe de l'obligation alimentaire reste à notre sens un excellent principe, d'autant qu'à Mayotte on se plait à rappeler le principe de solidarité familiale (la musada)... il ne faudrait pas qu'il ne joue que dans certains sens ou à certaines occasions.

La configuration familiale spécifique à Mayotte ainsi que l'environnement de la politique familiale doivent être pris en compte si l'API devait être étendue à Mayotte. La mise en place de l'API pourrait concerner un nombre important de personnes. L'API peut être un frein à la maîtrise de l'évolution démographique et la question du retour des Mahorais qui sont allés sur la Réunion doit être posée ainsi que les conséquences qui en découlent. Le contrôle de cette allocation est telle en Métropole que l'on est en droit de se poser la question sur Mayotte.

Dans tous les cas, il convient de privilégier les revenus d'activité et d'inciter au cumul de ce qui peut être considéré comme un minimum social et une contre partie d'activité quelque soit le secteur concerné. Toutefois, pour les femmes cela suppose que la garde des enfants soit facilitée.

2) Comment imaginer un dispositif qui doperait l'activité, l'emploi dans le secteur marchand, tout en apportant un complément de revenu du genre « revenu minimum d'activité » (RMA) ? Quelles conditions de réussite pour un tel dispositif ?

Cette question sera utilement traitée par la DTEFP. Néanmoins, nous pensons que le système de la « créance de proratisation) (différentiel entre les prestations du niveau national et celles versées à Mayotte) pourrait être un facteur de développement d'activités qui devrait être couplé avec des contrats de type « insertion » pour les personnes dont les revenus sont bas.

3) S'agissant plus précisément de votre secteur de compétence, pouvez-vous décrire l'action de votre service, ses moyens humains et financiers, ses spécificités par rapport à un DDASS « classique » ?

La DASS actuelle (Etat) est issue de différents mouvements :

- le rattachement des dispensaires, du centre d'appareillage, du centre de formation (aide-soignante et auxiliaire de puériculture), de transports sanitaires et transports de corps... au Centre Hospitalier de Mayotte au cours de l'année 2004 ;

- du premier mouvement de décentralisation à compter du 1er avril 2004 et convention de partition des compétences et des moyens en décembre 2005.

Cette direction dispose de 120 agents dont plus d'une centaine sont des agents de la Collectivité Départementale de Mayotte mis à disposition de l'Etat. Une dizaine d'agents sont des fonctionnaires de l'Etat. La DASS est actuellement organisée en trois pôles : un en santé publique, un concernant le secteur social, médico-social et la protection sociale (tutelle sur les organismes de protection sociale) et un en ce qui concerne la logistique. Le pôle santé publique englobe le service de lutte anti-vectorielle qui comprend environ 80 agents dont la totalité de ceux-ci relèvent du statut d'agents territoriaux mis à disposition.

Comme partout en Métropole et par convention, un certain nombre de moyens sont affectés pour assurer les compétences locales pour le compte de l'Agence Régionale de l'Hospitalisation « Réunion-Mayotte ».

Ses moyens de fonctionnement sont assurés depuis le 1er janvier 2005 par l'Etat (environ 1,2 M€) auxquels il convient de rajouter les 900 000 € de la masse salariale consacrée aux rémunérations des fonctionnaires de l'Etat ainsi que les 1,6 ME que celui-ci reverse à la CDM au titre des agents mis à disposition avant l'intégration progressive des ces agents dans la fonction publique d'Etat.

En terme de crédits d'intervention, il convient également de tenir compte, dans nos domaines d'intervention, de ceux inscrits dans le contrat de plan ainsi que dans la convention de développement.

La qualification actuelle des agents du statut de la CDM est très éloignée de ce connaît une DDASS de Métropole ou un DSDS des Antilles-Guyane. Il n'y a pratiquement pas de cadre B et une quasi majorité de cadres E si celui-ci était encore d'actualité. Par ailleurs, dans ses crédits d'intervention, l'Administration Centrale est loin d'avoir intégré que Mayotte peut aussi dispenser des moyens appropriés aux problématiques rencontrées. Dans le cadre de la LOLF, les crédits d'intervention qui sont mis à notre disposition sont nettement plus conséquents que ceux de nos ministères de rattachement. C'est une des spécificités. Compte tenu de la spécialité législative qui demeure dans notre domaine, des pans entiers de la législation et de la réglementation ne sont pas applicables (exemple : le secteur des personnes handicapées et des personnes âgées - planification et tarification). Pour autant, nous participons à soutenir un certain nombre d'associations et partenaires dans les différents domaines de la santé et du secteur social et médico-social (conventions et subventions).

4) Où en est-on de la mise en place de l'aide à la restauration scolaire ?

Cette question ne relève pas de notre compétence propre mais pour autant, nous croyons que la réponse qui a été apportée par l'allocation de restauration, compte tenu des problèmes nutritionnels que rencontre la population scolaire, n'est pas en rapport avec les enjeux concernés. Nous avons déjà exprimé notre point de vue à maintes reprises en prônant le système qui existait à La Réunion : le FASO. Même si ce système doit être limité dans le temps, il correspond mieux aux problématiques du moment et reste aussi créateur d'activités (développement des produits locaux, transformation, confection de repas...). cf. question n° 2.

5) Décrire les autres actions prioritaires menées par vous à Mayotte, ainsi que les politiques spécifiques à l'île.

Au-delà de la stabilisation de l'organisation de la DASS et de l'amélioration des compétences, les priorités affichées relève du domaine sanitaire et plus particulièrement de mettre en place un système de veille sanitaire car Mayotte est totalement démuni dans ce domaine. Dans le secteur médico-social, le projet d'extension par ordonnance de la loi du 11 février 2005 implique de « devancer » celle-ci afin d'être le plus prêt possible avec les différents partenaires pour sa mise en œuvre (guichet unique, planification des services et des activités par rapport à l'existant...). Ce domaine est aussi un facteur de développement local important.

6) L'organisation institutionnelle de la sécurité sociale (caisse de sécurité sociale de Mayotte + « établissement » de la CAF de La Réunion) est-elle satisfaisante, est-elle appelée à évoluer ?

Au-delà de dysfonctionnements constatés au sein de la caisse de sécurité sociale que l'on peut considérer comme une caisse générale de sécurité sociale en charge des différentes branches techniques que sont : le recouvrement, la vieillesse, les accidents du travail, l'assurance maladie-maternité, le paysage institutionnel est encore loin de ce qu'il peut être en métropole où l'on assiste à des regroupements (Mutualité sociale agricole, «indépendants »). Cette organisation institutionnelle actuelle est complétée d'une « antenne CAF » pour la branche famille. Cette dernière devra probablement être institutionnalisée un jour au fur et à mesure de la montée en charge de ses activités et par conséquent au regard des prestations qui seront mises en place (liquidation, contrôle paiement, gestion administrative, action sociale...).

Note transmise(1) par M. Bertrand Perrier,
directeur de la caisse de sécurité sociale de Mayotte

NOTE D'ORIENTATION SUR LES MINIMA SOCIAUX

L'un des premiers constats qui doit être posé comme un préalable à l'analyse de la situation de Mayotte à propos des minima sociaux est la différence notable qui la place très en arrière de la Métropole quant aux prestations légales maladie, maternité, vieillesse et allocations familiales, qui s'accroît de l'absence pure et simple de statut social pour certaines catégories de la population mahoraise, tels les agriculteurs ou encore les pêcheurs.

Les minima sociaux n'ont pas vocation à se substituer aux droits légaux ni pallier des insuffisances législatives et, par conséquent, le développement d'un niveau de prestations légales raisonnablement proche de ce qui est offert en Métropole serait une première réponse à la question posée.

Si l'on prend l'exemple d'une personne atteinte d'un cancer, deux situations très différentes vont se présenter selon qu'elle sera à Mayotte ou en métropole.

Dans le premier cas, elle devra ouvrir un dossier de RMI à l'issue de ses trois mois d'indemnités journalières.

Dans le second cas, elle pourra bénéficier d'un an d'IJ (360 jours) puis d'une mise en invalidité (1ère, 2ème ou 3ème catégorie) avant de se retourner in fine et si nécessaire (selon niveau de ressources) vers un RMI.

Cet exemple montre qu'au fond, le problème est posé à l'envers. En effet, avant de faire supporter aux fonds de secours et aux allocations de solidarité - qui constituent le panel des minima sociaux français - les difficultés financières des citoyens mahorais, il serait judicieux de les rendre bénéficiaires de la protection sociale de base dans son intégralité.

A partir de ce constat, il serait évidemment pertinent de travailler à la mise en place des droits légaux de protection sociale globale avant de « réfléchir aux conditions dans lesquelles des prestations répondant aux mêmes objectifs que les minima sociaux pourraient être introduites à Mayotte ». D'autant plus que cette méthode comporte le risque de produire des adaptations inégalitaires, voire discriminatoires au regard d'un territoire précis (cf. par exemple les allocations familiales).

Par ailleurs, quels que soient les prestations ou minima sociaux à créer, les montants seront à ajuster au regard du SMIG Mahorais. Il n'est pas concevable en effet qu'une allocation de solidarité soit plus importante que le salaire minimum local car cela comporte le risque de désintérêt au travail.

1. Inventaire des besoins mahorais :

· Chômage

La mission se doit d'envisager déjà les modalités pratiques pour une effectivité de l'assurance chômage dans son ensemble (dispositif ANPE/ASSEDIC/UNEDIC). En outre, il y a lieu de prévoir des allocations de solidarité au même titre que celles versées par les ASSEDIC en métropole (et dans les mêmes proportions).

Indépendamment des droits ouverts à l'assurance chômage suite à un licenciement, à une fin de contrat (type allocation unique dégressive ou aide au retour à l'emploi) ou à un départ en formation (type allocation de formation reclassement), il serait opportun de prévoir également, et en priorité, les minima sociaux suivants :

- l'allocation d'insertion (versée notamment à des prisonniers libérés ou à des réfugiés), d'un montant de 903,60 € pour une personne seule et 1 807,20 € pour un ménage,

- l'allocation de solidarité spécifique payée à des chômeurs en fin de droits d'un montant de 427,50 € par mois ou 613,8 € pour les chômeurs âgés qui ont peu de chance de retrouver une activité,

- l'allocation équivalent/retraite dont le revenu minimum garanti est de 936 € par mois.

· Retraite -Vieillesse 

Hormis les pensions de vieillesse classiques, nous devons soutenir les personnes âgées qui n'ont pas suffisamment cotisé. Dans cette optique, il serait nécessaire de créer l'allocation supplémentaire (AS, anciennement Fonds National de Solidarité) qui vient compléter l'allocation spéciale de vieillesse, l'allocation aux vieux travailleurs salariés et l'allocation vieillesse aux mères de famille ou des pensions de vieillesse trop faibles, afin d'atteindre le seuil du minimum vieillesse, dont le montant est actuellement de 610,29 € par mois pour une personne seule et 1 094,80 € pour un ménage.

Cette AS viendrait soit remplacer l'ASPA, soit la compléter.

La première option, visant le remplacement de l'ASPA par l'AS offre deux avantages : elle est plus élevée (359,50 € par mois pour une personne seule et 593,23 € pour un ménage ou deux allocataires) et ses conditions d'attribution sont plus souples (il n'est pas exigé 15 ans de présence permanente et régulière sur le territoire..., condition qui a été à l'origine d'une polémique récente à Mayotte).

La seconde option, visant l'intégration de l'AS dans le dispositif existant lui confère une fonction compensatoire qui préserve les autres prestations tout en prévoyant un seuil adapté à la situation économique particulière de Mayotte. Il y aura lieu, en effet, de veiller à ne pas accorder de droits supérieurs à ceux des personnes ayant cotisé à taux plein.

· Handicap

Outre la revalorisation urgente des montants - actuellement dérisoires - de l'allocation d'éducation spéciale (nommée AEH à Mayotte) et qui varient de 64 € à 88 € contre 117,72 € à 1 099,87 € en métropole, il faut créer une majoration spécifique pour parent isolé élevant un enfant handicapé. En effet à Mayotte, la pratique de la polygamie favorise le départ de certains pères dès lors qu'ils constatent le handicap lourd d'un enfant.

Par ailleurs l'allocation aux adultes handicapés doit être remodelée et augmentée (à ce jour 150 € par mois) pour tenir compte de l'incapacité de se procurer un emploi soit en milieu ordinaire, soit en secteur protégé puisqu'à Mayotte il n'y a ni atelier protégé ni centre d'aide par le travail (dont la création pourrait toutefois être envisagée, sous l'égide de la CSSM). Ainsi on pourrait prévoir un alignement sur le SMIG Mahorais à 610,28 € par mois auquel s'ajouteraient, le versement d'une majoration pour la vie autonome de 101,80 € et le complément de ressources de 166,51 €.

Par ailleurs, la personne handicapée qui ne peut prétendre à une activité reçoit une AAH en métropole dès que son handicap s'élève à 50 %. Cet avantage n'est attribué à l'handicapé mahorais qu'à compter d'un handicap de 80 %. Il serait en conséquence nécessaire de moduler le montant de l'allocation en fonction du taux d'incapacité à l'instar de ce existe actuellement pour les enfants avec l'allocation d'éducation spéciale.

Afin de tenir compte du surcoût lié à l'incapacité ou aux déficiences, une prestation de compensation (prévue par la loi du 11/02/2005 non applicable à Mayotte) serait à mettre en place afin de favoriser en priorité l'aide d'une tierce personne, employée soit dans le cadre d'un service mandataire ou prestataire, soit encore de gré à gré. Cette allocation de tierce personne viendrait en complément de l'AAH et correspondrait, là aussi, à un pourcentage du SMIG. En effet, il s'agit de déclarer une aide au maximum 8h par jour pour assumer la personne handicapée. Ainsi, si le besoin d'aide est de 90h00 par mois soit 3 heures par jour, la somme devrait être de 410,37 € par mois pour permettre à la personne handicapée de payer les cotisations salariales et patronales. Il est effectivement important de développer les services à la personne en solvabilisant la déclaration des aidants familiaux ou des personnes recrutées par des allocations, afin de diminuer le recours au travail illégal.

Toute allocation servant à rémunérer une tierce personne ne devrait être versée qu'après avoir constaté la réalité de la dépense (déclaration à l'appui ou prestataire de service). A ce titre, le développement du tiers payant directement auprès de prestataires intervenant à domicile devrait être envisagé, de même que la mise en place de titres de paiement particuliers du type chèque emploi service.

La prise en charge des aides techniques non remboursables en prestations légales, les aides à l'aménagement du logement, du véhicule, du surcoût transport, aides animalières...devraient également être intégrées dans cette prestation de compensation de la perte d'autonomie.

· Maladie

Sur le principe, le droit à indemnisation et son montant ne sauraient être déterminés par le lieu d'habitation car ils sont liés à une pathologie, validée par le médecin conseil. Le droit aux indemnités journalières, le salaire de référence, le délai de carence doivent être réexaminés à l'aune de ce principe, valable sur l'ensemble du sol français...

L'invalidité, qu'elle soit temporaire ou permanente, doit pouvoir être reconnue et indemnisée de manière identique sur la totalité du territoire. Ainsi, il y aurait lieu de revoir la réglementation pour appliquer à Mayotte, comme en métropole, les pensions de 1ère, 2ème et 3ème catégories. Le minimum mensuel pour une première catégorie est de 30% du salaire de base avec un minimum de 250,78 € et un maximum de 776,70 € alors qu'en deuxième catégorie il représente 50% du salaire de base avec un minimum de 250,78 € et un maximum de 2 276,65 € mensuels. Pour la troisième catégorie, il existe une majoration pour l'embauche d'une tierce personne d'un montant de 982,15 €.

La couverture maladie universelle (CMU) devrait remplacer un ticket modérateur mahorais très insuffisant et inégalitaire. Il est en effet choquant, et contraire au concept même de solidarité nationale, d'obliger les plus démunis à supporter 50 % du Ticket Modérateur. A l'heure actuelle, l'affiliation gratuite est plafonnée à un revenu fiscal annuel de 6 965 €.

La convention de Genève (Schengen) ratifiée par la France doit s'appliquer à Mayotte pour les réfugiés. Il n'y a aucune raison de faire appel à la générosité d'associations alors que ces personnes doivent bénéficier de l'aide médicale de l'Etat et d'une CMU.

· Allocations versées par la CAF

En premier lieu, il serait judicieux d'envisager la suppression de l'exclusivité du versement des allocations à la mère pour permettre un versement au père si celle-ci est en situation irrégulière car les enfants n'ont pas à pâtir du statut de leur maman.

Il semblerait également efficace de favoriser les procédures judiciaires de garde. En effet, beaucoup d'enfants, souvent pour des raisons culturelles, familiales ou financières ne sont pas élevés par leurs parents (géniteurs) mais par la famille élargie qui, sans procédure de tutelle (souvent longue et coûteuse), ne peuvent ouvrir droit aux prestations familiales alors que dans les faits c'est bien cette famille élargie (oncle, grand-mère...) qui assume l'éducation et le coût financier de cet enfant.

Les majorations pour âge (plus de 11ans et plus de 16 ans) ainsi que toutes les prestations CAF doivent être applicables. Parmi celles-ci, deux minima sociaux devraient être envisagés, à savoir l'allocation de parent isolé (API) et le revenu minimum d'activité (RMA). Le RMI ne doit pas être appliqué en l'état à Mayotte car il ne ferait que créer un « assistanat » là où personne n'est jamais complètement démuni. Par exemple, et contrairement à la métropole où un toit en dur est indispensable compte tenu des intempéries, chacun peut ici s'ériger un banga sur un morceau de terrain sans être importuné. De plus, les personnes sans revenu que le Pôle Social de la CSSM rencontre fréquemment n'expriment que rarement des difficultés pour se nourrir : elles cueillent dans les champs bananes, manioc et mataba, ou proposent un service en échange d'une assiette de riz... C'est ainsi qu'une entraide de voisinage perdure.

Si l'on regarde les chiffres INSEE de l'inactivité et le nombre de personnes qui se déclarent sans emploi à Mayotte, le nombre de bénéficiaires du RMI pourrait exploser. Par contre, le RMA est une prestation différentielle qui tient théoriquement compte de revenus annexes non salariés. A Mayotte, les revenus parallèles sont composés de gains liés à des activités commerciales (petites épiceries ou échoppes non officielles, revenus des champs) ou de savoir faire (massage, vente de produits à base de plantes médicinales...). L'exactitude des revenus est particulièrement difficile à appréhender en raison de la solidarité naturelle pratiquée entre les enfants salariés et leurs parents souvent titulaires d'ASPA, voire vis-à-vis de frère ou soeur sans revenu.

Il est donc déconseillé d'appliquer le RMI à l'identique de la métropole, sauf à prendre le risque de détruire ces authentiques valeurs mahoraises que sont la solidarité et la notion de devoir d'assistance envers un parent.

Dès lors, un RMA serait plus adapté car il développerait une responsabilité sociale à travers le travail et donnerait une activité en échange d'une allocation. Ainsi, de nombreuses actions de défrichage ou de nettoyage par le biais de chantiers d'insertion pourraient servir de supports à ces activités.

En ce qui concerne l'API, il est certes difficile d'envisager la réelle solitude d'une femme mariée à un polygame et qui ne voit parfois son mari qu'un à deux jours par mois, voire pas du tout lorsque celui-ci partage sa vie entre plusieurs îles. La pratique de la pension alimentaire ou du soutien financier à l'éducation de l'enfant n'étant pas développée, même en cas de séparation, il serait nécessaire d'adapter les conditions requises pour l'allocation de soutien familial (ASF). Le fait de travailler pour subvenir aux besoins des enfants ne semble pas être aujourd'hui une réalité au sein de la population féminine mahoraise, d'une part et d'autre part, l'API ne ferait que créer des situations de dépendance et d'attente. En revanche, cette allocation aurait sans doute un sens pour des femmes âgées de plus de 50 ans qui élèvent seules des enfants. En effet, compte tenu de la différence d'âge observée dans les couples (notamment parmi les retraités CSSM) ces jeunes femmes auront encore des enfants à charge à 50 ans, sans pouvoir prétendre à une allocation de réversion ou de veuvage compte tenu (conditions d'âge non remplie, papiers non régularisés...).

· Des régimes à créer

Alors que chacun déplore la disparition ou l'affaiblissement de secteurs d'activité traditionnels à Mayotte, comme la culture de l'ylang, de la vanille ou encore de la canne à sucre, il y a lieu de s'interroger sur l'influence que pourrait avoir l'existence d'un statut social de l'agriculteur (patron et salarié) sur un territoire où il est évident que la filière agricole, pourtant naturellement généreuse, ne fonctionne pas autant qu'il serait possible et souhaitable(par exemple, comment expliquer autrement le prix d'un kilo de tomates à 10 ou 12 € ?).

Sans doute est-il aujourd'hui compréhensible que, en dépit d'un taux de chômage record, les jeunes mahorais hésitent à se lancer dans un métier où ils n'auront pas d'autres protection sociale que celle du travailleur indépendant, soit une quasi-absence de retraite et une faible protection maladie-maternité, pour des cotisations élevées.

Cette remarque est également applicable au secteur de la pêche.

2. Acteurs et moyens à envisager :

La nécessité dans laquelle Mayotte se trouve aujourd'hui de créer en partie sa protection sociale est une chance indéniable.

Mais elle implique la responsabilité de ne pas reproduire une situation métropolitaine source de dysfonctionnements et de lourdeurs administratives : la complexité.

Dès lors, il apparaît que la condition de la réussite du changement à entreprendre est d'appréhender le projet social dans sa globalité et d'en confier la gestion à une entité homogène, qui se rapprocherait de l'idée actuellement promue en métropole - mais très difficile à réaliser en raison des rigidités administratives autant que syndicales ou politiques -, de « maison de la protection sociale ».

La CSSM est évidemment prête à assumer cette mission, puisque c'est sa vocation initiale. Il est en outre important de rappeler que les premiers changements intervenus dans le statut de la Caisse n'interdisent aucunement de s'orienter vers la création d'un « guichet unique », puisque nous traversons une phase de transition où tout est à construire, y compris le siège social de la CSSM, des antennes de proximité et, le cas échéant, des structures d'accueil dont l'absence a été notée supra comme autant de déficits sociaux en face d'une problématique complexe et exigeante (accueil pour handicapés, soins postérieurs à une opération, maison de retraite, accueil pour enfants en court séjour, etc.).

Cela implique concrètement que soient confiée à une seule et même entité la gestion de l'ensemble des risques sociaux « classiques » : le risque maladie - maternité - décès, les prestations familiales et vieillesse, l'ensemble des allocations de soutien et d'accompagnement, les prestations de chômage, les actions sociales associées à l'ensemble des risques et, bien évidemment, le recouvrement des cotisations finançant les risques gérés et la gestion des données sociales y afférentes.

Par ailleurs, une telle démarche requiert de nombreux partenariats pour le montage de dossiers d'attribution des minima sociaux parmi lesquels on peut citer :

- les mairies avec leur CCAS ;

- le conseil général en tant qu'instructeur de demandes par son service social mais aussi dans le cadre du suivi et de l'accompagnement des personnes en situation de précarité ;

- la CAF de la Réunion tant qu'elle sera l'organisme habilité à verser les allocations mahoraises (mais il est préconisé de confier cette mission, comme par le passé, à la CSSM) ;

- des associations caritatives comme Solidarité Mayotte, la Croix rouge, le secours catholique, qui rencontrent les plus démunis ou des associations s'adressant à des publics précaires ciblés comme TAMA (sortants de prison), TIFAKI HAZI (chômeurs), APREDEMA (prévention de la délinquance auprès des jeunes) ;

- les services sociaux spécialisés qui ont connaissance à travers leur clientèle de situation de fragilité sociale pouvant ouvrir droit à des minima sociaux (service social du vice rectorat, de la DDE, du CHM, de la DTEFP, de la CSSM).

Les moyens à envisager sont liés au nombre de bénéficiaires potentiels de chaque nouveau minimum ou prestation. Seule une étude affinée de la population permettra d'avoir une approche précise des sommes à engager et des moyens humains et techniques nécessaires à la réussite d'un projet social global et cohérent.

En matière de financement, il y aura lieu d'envisager une croissance probablement sensible des cotisations sociales, tout en les maintenant dans une limite raisonnable afin de ne pas alourdir exagérément le coût du travail. A cet égard, il sera sans doute nécessaire d'introduire des aides à l'emploi pour susciter de nouvelles dynamiques économiques (pêche, agriculture, artisanat) et accompagner des secteurs en croissance (commerce et bâtiment). Des partenariats seront à mettre en place avec les organisations professionnelles et les chambres consulaires, autant sur le terrain de la gestion des charges sociales et des aides à l'emploi, que de la formation des créateurs d'entreprises. La CSSM est en effet prête à apporter sa compétence à toute initiative qui favoriserait une amélioration des méthodes de gestion des entrepreneurs, artisans et commerçants, ne serait-ce que dans le but de diminuer les litiges, incompréhensions et contentieux trop souvent consécutifs à une méconnaissance des textes et des pratiques quant aux obligations sociales du chef d'entreprise, autant dans le domaine des charges qu'en matière d'hygiène et de conditions de travail.

Encore une fois, il est évident qu'une mutualisation des services techniques est dans le même temps opérationnelle, efficiente et surtout lisible pour la population, qui n'a pas à subir les effets dévastateurs de la complexité administrative. Il est au demeurant très utile qu'un même organisme puisse centraliser le paiement de toutes les prestations, allocations et subventions afin de faire les recoupements indispensables à une limitation des abus et des fraudes.

Ainsi pourront être évitées les trois problématiques aujourd'hui constatées dans l'administration française : l'insuffisante qualité du service (à l'accueil notamment), la dérive budgétaire et l'inefficience de structures trop complexes et trop parcellaires.

Quant à la gestion interne de la CSSM, il y a lieu de franchir rapidement une étape importante, à savoir l'entrée de son personnel dans la convention collective des personnels des organismes de sécurité sociale. L'actuelle direction va s'y employer mais l'enjeu budgétaire reste trop important pour que ce projet soit rapidement réalisé... Il est pourtant totalement légitime depuis que la CSSM a entrepris sa marche vers le régime général de sécurité sociale, en passant notamment sous l'autorité des caisses nationales. Dès lors, on ne voit sur quel fondement les agents de la CSSM, remplissant les mêmes missions sur les mêmes emplois que leurs collègues des caisses générales de sécurité sociale, ne pourraient bénéficier des avantages de leur branche professionnelle.

Enfin, il est nécessaire de rappeler que la gestion de comptes sociaux s'appuie essentiellement sur la qualité des fichiers des populations concernées (cotisants, assurés sociaux, allocataires, retraités, chômeurs, etc.). Or, la situation très particulière de l'état-civil mahorais constitue aujourd'hui un obstacle majeur à l'amélioration de la gestion sociale des intéressés.

La stabilisation des patronymes et la fiabilisation des adresses constituent des préalables incontournables à la réussite d'un projet de protection sociale à Mayotte.

Note transmise par M. José Macarty,
président de l'association Océan indien de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS)

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N° 3257 - Rapport d'information déposé en application de l'article 145 du Règlement par la commission des affaires culturelles sur les minima sociaux à Mayotte (M. Mansour Kamardine)

1 () Il est sans doute fait référence à un document de travail du CEROM de mai 2005 intitulé « Evaluation du PIB à Mayotte », qui estime rétroactivement à 3 960 euros le PIB per capita mahorais en 2001, contre 10 000 à 14 000 euros dans chacun des quatre DOM et 24 000 pour la France dans son ensemble.

2 () Pour être plus précis, on distingue deux catégories de prestations :

- les unes versées sous condition que les ressources des bénéficiaires soient inférieures à un certain montant ;

- les autres, de nature différentielle, qui seront égales à la différence entre ces ressources et un plafond.

3 () Source : rapport de l'IEDOM, « Mayotte en 2004 ».

4 () Source : diagnostics territoriaux « emploi » et « travail », juin 2005.

5 () D'après une note de la présidence du Conseil européen sur les perspectives financières 2007-2013, en date du 19 décembre 2005, présentant le compromis final proposé.

6 () Si l'on part de l'évaluation faite par le CEROM d'un PIB per capita mahorais de l'ordre de 4 000 euros (pour être précis, 3 960 euros en 2001) et qu'on la rapporte à un PIB communautaire de l'ordre de 25 000 euros, on peut calculer : 25 000 - 4 000 = 21 000 x 2,67 % = 560 euros.

7 () D'après les statistiques nationales, on comptait, en avril 2006, environ 2,5 millions de chômeurs en France (au sens dit du Bureau international du travail), tandis que l'ANPE emploie plus de 23 000 agents répartis dans environ 800 agences.

8 () Source : Diagnostics territoriaux « emploi » et « travail » 2005.

9 (1) En réponse à un questionnaire établi par le mission d'information.

(1) En réponse à un questionnaire établi par la mission d'information.