N° 3493 - Rapport d'information de M. Hervé de Charette déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des affaires étrangères sur le suivi des négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne




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N° 3493

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 6 décembre 2006.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

sur le suivi des négociations d'adhésion
de la Turquie
à l'Union européenne

M. HERVÉ DE CHARETTE,

Député

Président du groupe de suivi

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INTRODUCTION 7

I - UN PROCESSUS DE NÉGOCIATIONS SOUS HAUTE SURVEILLANCE 9

A - LE LONG CHEMIN VERS LA CANDIDATURE 9

1) L'accord d'association de 1963 : une promesse ? 9

2) L'union douanière : un lien étroit avec la Communauté européenne 10

3) La Turquie reconnue candidate par l'Union européenne 10

B - LE DÉROULEMENT MINUTIEUX DES NÉGOCIATIONS 14

1) Adhésion ou « lien le plus fort possible » ? 14

2) Les 35 chapitres de négociation 16

3) Un principe de négociation : rien sans l'accord de tous les Etats membres 18

4) S'agit-il bien d'une « négociation » ? 18

5) Un bilan annuel des négociations par la Commission européenne 19

6) Les principales étapes de la négociation 19

a) Le criblage : une étape aujourd'hui achevée 19

b) La proposition d'ouverture du chapitre par la Commission 20

c) L'adoption de critères de référence pour fermer les chapitres 20

d) Les positions communes de négociation pour chaque chapitre 20

e) La clôture d'un chapitre 20

II - LE GROUPE DE SUIVI DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES : UNE NOUVELLE FORME DE CONTRÔLE DE LA POLITIQUE EXTÉRIEURE FRANÇAISE 23

A - LA COMPOSITION DU GROUPE DE SUIVI 23

B - UN MODE ORIGINAL DE CONTRÔLE PARLEMENTAIRE 23

1) Un dialogue constant et satisfaisant avec le pouvoir exécutif 23

2) Un suivi « en direct » des négociations 24

III - LE BILAN D'UNE ANNÉE DE NÉGOCIATIONS : QUELQUES PROGRÈS, UNE IMPASSE 27

A - LA POSITION FRANÇAISE : LE CHOIX DE LA FRANCHISE 28

1) Les effets du référendum du 29 mai 2005 28

2) Une illustration de la position française : l'application des critères politiques 28

B - DES PROGRÈS INSUFFISANTS MIS EN ÉVIDENCE PAR LE RAPPORT DE LA COMMISSION EUROPÉENNE DU 8 NOVEMBRE 2006 30

1) Les critères politiques 30

a) Les relations entre la société civile et l'armée 30

b) Le système judiciaire 31

c) La lutte contre la corruption 32

d) Les droits de l'homme 32

e) La liberté religieuse 34

f) Les droits des femmes 34

g) Les droits des syndicats 35

h) La protection des minorités 35

2) Les critères économiques : un bilan plutôt positif 36

a) Le maintien du cap des réformes économiques 37

b) Une économie en croissance mais qui souffre d'un déséquilibre extérieur 37

c) Poursuivre les réformes structurelles 38

3) Les chapitres de négociations 39

a) Chapitres 1 à 4 : libre circulation des marchandises / libre circulation des travailleurs / droit d'établissement et libre prestation de services / libre circulation des capitaux 40

b) Chapitre 5 : marchés publics 40

c) Chapitres 6 à 9 : droit des sociétés / droit de la propriété intellectuelle / politique de la concurrence / services financiers 41

d) Chapitre 10 : société de l'information et médias 42

e) Chapitres 11 à 13 : agriculture / politiques vétérinaires, phytosanitaires et de la sécurité alimentaire / pêche 43

f) Chapitres 14 et 15 : politique des transports / énergie 43

g) Chapitres 16 à 18 : fiscalité / Union économique et monétaire / statistiques 44

h) Chapitre 19 : emploi et affaires sociales 44

i) Chapitres 20 à 22 : politique d'entreprise et politique industrielle / réseaux transeuropéens / politique régionale et coordination des instruments structurels 45

j) Chapitres 23 et 24 : pouvoir judiciaire et droits fondamentaux / justice, liberté et sécurité 45

k) Chapitres 25 et 26 : science et recherche / éducation et culture 47

l) Chapitres 27 et 28 : environnement / protection des consommateurs et de la santé 48

m) Chapitre 29 : union douanière 49

n) Chapitres 30 et 31 : relations extérieures / politique étrangère, de sécurité et de défense 49

o) Chapitres 32 et 33 : contrôle financier / dispositions financières et budgétaires 52

D - COMMENT LA TURQUIE PEUT-ELLE NÉGOCIER AVEC L'UNION EN REFUSANT DE RECONNAÎTRE L'UN DE SES MEMBRES ? 52

1) Bref rappel sur la question chypriote 53

2) L'affaire du protocole à l'accord d'Ankara 55

3) La reconnaissance de la République de Chypre par la Turquie : une exigence 59

4) Les conséquences naturelles de l'intransigeance turque sur la question chypriote : la suspension de huit chapitres 59

E - LA CAPACITÉ D'ABSORPTION EN DÉBAT 60

1) Une exigence française prise en considération de manière ambivalente par le Conseil et le Président de la Commission européenne 60

2) Une prise en compte encore trop timide par la Commission européenne 62

CONCLUSION : ADRESSER UN MESSAGE EXIGEANT À LA TURQUIE 65

EXAMEN EN COMMISSION 67

ANNEXE : CARTES 77

Mesdames, Messieurs,

La Turquie doit-elle entrer dans l'Union européenne ? L'objet du présent rapport n'est pas de répondre à cette délicate question qui, à bien des égards, aura marqué la présente législature.

Il s'agit ici plus simplement de rendre compte des travaux d'un groupe de travail qui s'est constitué au sein de la Commission des Affaires étrangères, à l'initiative de son Président, M. Edouard Balladur. Comme annoncé, le 13 décembre 2005, par l'ancien Premier ministre, lors du débat organisé avant le Conseil européen, il a été décidé de créer ce que l'on qualifierait dans d'autres Parlements, aux traditions fort anciennes comme celui de Westminster, de sous-comité, c'est-à-dire un groupe restreint de députés chargés plus particulièrement par leurs collègues de suivre une question précise, en l'occurrence les négociations d'adhésion engagées par les pays membres de l'Union européenne avec la Turquie dans la perspective de son adhésion à cet ensemble.

Ce groupe de suivi, dont la vocation est permanente, a débuté ses travaux en mars 2006 alors que les négociations entraient dans leur première phase. Organisant des auditions, des séances de travail avec des représentants du ministère des Affaires étrangères, suivant concrètement les négociations semaine après semaine, ce groupe a entendu renouveler les méthodes de contrôle de l'action de l'exécutif dans un domaine sensible, celui de la diplomatie.

Les travaux ainsi menés ont été très utiles pour les membres du groupe de suivi dans un premier temps et, on l'espèrera, pour tous les autres députés ensuite. La liaison permanente instituée avec les négociateurs français a permis de mesurer la progression, ou l'absence de progression, de ce processus complexe engagé avec la Turquie. Désormais, en cette fin d'année 2006, on peut avoir une vision plus claire des enjeux qui se font jour.

La Turquie a progressé dans de nombreux domaines ; c'est indéniable. Mais ses efforts n'ont pas été suffisants depuis le début des négociations en octobre 2005. Surtout la position de ce candidat vis-à-vis de la République de Chypre, membre à part entière de l'Union européenne qu'il refuse de reconnaître, rend difficile aujourd'hui la poursuite du processus en l'état.

La recommandation que vient de faire la Commission européenne par laquelle elle invite les Etats membres à suspendre les discussions sur plusieurs chapitres en lien avec l'union douanière établie en 1995 entre l'Europe et la Turquie est la conséquence naturelle de l'intransigeance dont ce pays fait montre à l'égard de Chypre.

Le présent rapport de suivi se fixe trois objectifs :

· Présenter un processus de négociations qui, en dépit d'aspects extrêmement techniques voire technocratiques, est par nature éminemment politique, ce qui justifie que les parlements nationaux s'en saisissent.

· Faire état des travaux du groupe de suivi, de sa méthode de travail et des novations qu'il a pu apporter aux modalités de contrôle par le Parlement de l'action de l'exécutif dans le domaine international, et singulièrement européen.

· Tracer un bilan de cette première année de négociations et présenter les conclusions du groupe quant à la suite à donner à ce processus pour l'année 2008.

Finalement, que l'on soit favorable à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne ou que l'on préfère qu'elle en devienne un partenaire privilégié ne nous semble pas déterminant à ce stade du processus de négociations. La procédure est engagée ; elle doit être menée avec rigueur et franchise. La Turquie doit accomplir tous les progrès indispensables pour nouer une relation nouvelle avec l'Union. Ensuite seulement viendra le temps de déterminer quelle sera la nature de cette relation : l'adhésion pure et simple, la conclusion d'un partenariat privilégié, une autre formule ? Qui sait d'ailleurs ce que sera la Turquie dans une génération, ce que seront l'Europe et le monde ? La sagesse veut que l'on affronte les difficultés lorsqu'elles se présentent.

Aujourd'hui il est question des progrès accomplis par la Turquie dans son rapprochement avec les valeurs et les règles européennes. Le sujet n'est pas mince.

I - UN PROCESSUS DE NÉGOCIATIONS SOUS HAUTE SURVEILLANCE

Contrairement à ce que certains ont pu craindre, l'ouverture des négociations avec la Turquie n'a pas été synonyme de blanc-seing donné à ce pays. Le chemin fut long pour que la Turquie accède au statut de candidat. Il ne sera pas moins exigeant pour que cet Etat soit en mesure de rejoindre l'Union européenne.

A - Le long chemin vers la candidature

1) L'accord d'association de 1963 : une promesse ?

Comme aiment à le rappeler les autorités turques, l'intérêt porté par leur pays à la construction européenne est ancien. Dès le 31 juillet 1959, deux ans seulement après la signature du Traité de Rome, six mois après son entrée en vigueur et moins d'un mois après que la Grèce a formulé la même requête, la Turquie demande à être associée à ce qui était alors la Communauté économique européenne (CEE).

L'accord d'association entre la Communauté et la Turquie est signé le 12 septembre 1963 et entre en vigueur le 1er décembre 1964. Il reconnaît dans son préambule que « l'appui apporté par la Communauté économique européenne aux efforts du peuple turc pour améliorer son niveau de vie facilitera ultérieurement l'adhésion de la Turquie à la Communauté ». Cet accord, qualifié « d'accord d'Ankara » depuis, prévoit notamment un renforcement des relations économiques et commerciales, avec l'objectif d'instaurer en phase définitive une union douanière.

L'article 28 de l'accord précise aussi que : « Lorsque le fonctionnement de l'accord aura permis d'envisager l'acceptation intégrale de la part de la Turquie des obligations découlant du traité instituant la Communauté, les parties contractantes examineront la possibilité d'une adhésion de la Turquie à la Communauté ». La Turquie n'a jamais manqué d'évoquer cette formule pour considérer qu'une promesse lui avait été faite.

Il faut cependant souligner que la perspective était, à l'époque, l'adhésion à la Communauté économique dont le contenu était sans commune mesure, en termes d'intégration, avec l'Union européenne d'aujourd'hui.

2) L'union douanière : un lien étroit avec la Communauté européenne

Après des crises intérieures très graves - on pense au coup d'Etat de 1980 notamment - et alors que la Communauté économique européenne est devenue l'Europe des Douze, la Turquie dépose, pour la première fois, en avril 1987, sa demande d'adhésion. 

Le 18 décembre 1989, la Commission européenne rend un avis négatif provisoire sur l'ouverture des négociations d'adhésion avec ce pays, en raison « du contexte économique et politique de la Turquie ». Le collège des Commissaires observe aussi que « la situation des droits de l'homme et le respect de l'identité des minorités, quoi qu'ayant fait l'objet d'une évolution au cours des dernières années, n'ont pas encore atteint le niveau nécessaire pour une démocratie ». Le Conseil des ministres se range, le 5 février 1990, à l'avis de la Commission.

Les institutions communautaires et la Turquie relancent alors le processus d'intégration économique engagé avec l'accord d'Ankara. Le 31 décembre 1995, l'union douanière prévue dans l'accord de 1959 entre en vigueur. Elle comprend : la libre circulation des marchandises ; la politique commerciale et une politique de préférences tarifaires communes ; des dispositions douanières et le rapprochement des législations, y compris dans les domaines de la propriété intellectuelle, industrielle et commerciale, de la concurrence et de la fiscalité. La Turquie est depuis lors le seul pays bénéficiant d'une union douanière avec l'Union européenne.

Les progrès accomplis par la Turquie et la signature de cette union rendent désormais envisageable, pour les autorités européennes, une adhésion de ce pays à l'Union.

Le Conseil européen de Luxembourg de décembre 1997 confirme l'éligibilité de la Turquie à l'adhésion à l'Union européenne. Il est alors décidé de lancer une « stratégie européenne » qui vise à « préparer [la Turquie] en la rapprochant de l'Union dans tous les domaines  ».

3) La Turquie reconnue candidate par l'Union européenne

C'est lors du Conseil européen de décembre 1999 qui se tient à Helsinki que la Turquie obtient le statut de candidat ce qui, au plan du droit européen, a un sens très précis : un processus s'engage, des moyens financiers sont mis en œuvre pour soutenir la candidature du pays ... Dans la déclaration faite à l'issue de ce Conseil européen, il est indiqué que « La Turquie est un pays candidat, qui a vocation à rejoindre l'Union sur la base des mêmes critères que ceux qui s'appliquent aux autres candidats ». Le Conseil précise aussi « qu'une condition préalable à l'ouverture de négociations d'adhésion est le respect des critères politiques de Copenhague ». Il décide le lancement d'une stratégie de préadhésion pour la Turquie.

Le 26 février 2000, le Conseil de l'Union européenne adopte un partenariat pour l'adhésion qui identifie, dans un cadre unique, les domaines d'actions prioritaires relatifs aux progrès que la Turquie doit accomplir sur la voie de l'adhésion à l'Union européenne et mobilise toutes les formes d'assistance de l'Union européenne.

Les 14 et 15 décembre 2001, le Conseil européen de Laeken reconnaît que « la Turquie a accompli des progrès dans la voie du respect des critères politiques fixés pour l'adhésion » et que « la perspective de l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie s'est rapprochée. » 

Six mois plus tard, tout en se félicitant des « réformes qui ont été approuvées récemment en Turquie », le Conseil européen de Séville des 21 et 22 juin 2002 souligne que « la mise en œuvre des réformes politiques et économiques requises améliorera les perspectives d'adhésion de la Turquie, selon les mêmes principes et critères que ceux appliqués aux autres pays candidats. » Il note que « de nouvelles décisions pourraient être prises à Copenhague quant à l'étape suivante de la candidature de la Turquie, compte tenu de l'évolution de la situation entre les Conseils européens de Séville et de Copenhague et sur la base du rapport régulier que la Commission présentera en octobre 2002. »

Le Conseil européen de Copenhague de décembre 2002 fixe une clause de rendez-vous pour la fin de l'année 2004. Cette clause est rédigée dans ces termes : « Si, en décembre 2004, le Conseil européen décide, sur la base d'un rapport et d'une recommandation de la Commission, que la Turquie satisfait aux critères politiques de Copenhague, l'Union européenne ouvrira sans délai des négociations d'adhésion ». Mission est donc confiée à la Commission européenne pour établir un diagnostic sur le degré de préparation de la Turquie et recommander ou non l'ouverture du processus de négociations.

Mais déjà la Turquie trouve une place nouvelle dans les débats européens. Ainsi, en juin 2003, à Thessalonique, ce pays assiste comme observateur à la Convention sur l'avenir de l'Europe et bénéficie du même statut à la conférence intergouvernementale (CIG) sur les institutions.

Le 12 décembre 2003, le Conseil européen souligne que, si les progrès accomplis « ont rapproché la Turquie de l'Union [...], de nouveaux efforts soutenus doivent toutefois être consentis » par les autorités turques, notamment pour respecter les critères politiques de Copenhague. C'est un premier avertissement pour les uns, un encouragement pour les autres. La question du respect des critères de Copenhague, sur lesquels on reviendra, apparaît bien comme l'un des principaux enjeux des négociations avec la Turquie.

Le 6 octobre 2004, la Commission européenne publie le rapport et la recommandation qui lui avaient été demandés par le Conseil européen en décembre 2002. Ce sont ces documents qui susciteront un débat en France entre le Parlement et le pouvoir exécutif.

Dans son rapport, estimant que la Turquie répond suffisamment aux critères politiques de Copenhague, la Commission suggère une ouverture des négociations d'adhésion sous conditions. Elle souligne aussi que l'adhésion ne pourra avoir lieu avant 2014 et qu'elle devra être minutieusement préparée afin que l'intégration puisse se faire « en douceur », sans mettre en danger les acquis de plus de cinquante années d'intégration européenne.

Le 15 décembre 2004, alors que, de son côté, l'Assemblée nationale française a vu opposer à sa demande de vote sur ce sujet une fin de non-recevoir par l'exécutif au terme d'un débat assez vif, le Parlement européen adopte, pour sa part, une résolution soulignant les progrès de la Turquie en matière de respect des critères politiques.

Finalement, le 17 Décembre 2004, le Conseil européen décide que la Turquie remplit suffisamment les critères politiques de Copenhague pour que soient ouvertes des négociations d'adhésion. Il pose cependant, comme condition préalable, l'adoption par la Turquie de six lois (1), invite la Commission à présenter au Conseil une proposition relative à un cadre de négociation avec la Turquie et demande au Conseil de l'Union de parvenir à un accord sur ce cadre en vue de l'ouverture de négociations le 3 octobre 2005.

Conseil européen - 16 et 17 décembre 2004

Conclusions de la Présidence (extrait)

Turquie

17. Le Conseil européen a rappelé ses précédentes conclusions concernant la Turquie, dans lesquelles il avait estimé, à Helsinki, que la Turquie était un pays candidat, qui a vocation à rejoindre l'Union sur la base des mêmes critères que ceux qui s'appliquent aux autres pays candidats, puis déclaré que, s'il décidait, lors de sa réunion de décembre 2004, sur la base d'un rapport et d'une recommandation de la Commission, que la Turquie satisfait aux critères politiques de Copenhague, l'Union européenne ouvrirait sans délai des négociations d'adhésion avec ce pays.

18. Le Conseil européen a salué les progrès décisifs accomplis par la Turquie dans son vaste processus de réforme et s'est déclaré convaincu que la Turquie poursuivrait ce processus. Par ailleurs, il attend de la Turquie qu'elle poursuive activement ses efforts pour mettre en vigueur les six textes législatifs spécifiques mentionnés par la Commission. Il convient de faire en sorte que le processus de réforme politique soit irréversible, qu'il soit pleinement mis en œuvre, de manière effective et dans tous ses aspects, notamment en ce qui concerne les libertés fondamentales et le respect intégral des droits de l'homme. À cet effet, ce processus continuera à être suivi de près par la Commission, qui est invitée à continuer d'en rendre compte régulièrement au Conseil, en abordant tous les sujets de préoccupation recensés dans le rapport et la recommandation présentés par la Commission en 2004, notamment pour ce qui est de la mise en œuvre de la politique de tolérance zéro à l'égard de la torture et des mauvais traitements. L'Union européenne continuera de suivre attentivement les progrès réalisés dans les réformes politiques sur la base d'un partenariat pour l'adhésion énonçant les priorités du processus de réforme.

19. Le Conseil européen a salué la décision de la Turquie de signer le protocole relatif à l'adaptation de l'accord d'Ankara, qui tient compte de l'adhésion des dix nouveaux États membres. En conséquence, il s'est félicité de la déclaration de la Turquie selon laquelle "le gouvernement turc confirme qu'il est prêt à signer le protocole relatif à l'adaptation de l'accord d'Ankara avant l'ouverture effective des négociations d'adhésion et après que les adaptations qui sont nécessaires eu égard à la composition actuelle de l'Union européenne auront fait l'objet d'un accord et auront été finalisées".

20. Le Conseil européen, tout en soulignant la nécessité d'un engagement sans équivoque en faveur de relations de bon voisinage, a pris note avec satisfaction de l'amélioration des relations de la Turquie avec ses voisins ; il s'est félicité que la Turquie soit disposée à continuer de coopérer avec les États membres concernés en vue du règlement des différends frontaliers non résolus, dans le respect du principe du règlement pacifique des différends énoncé dans la Charte des Nations Unies. Conformément à ses précédentes conclusions, notamment celles qu'il a adoptées à Helsinki sur cette question, le Conseil européen a fait le point de la situation en ce qui concerne les différends qui subsistent et s'est félicité des contacts exploratoires qui ont eu lieu à cette fin. À cet égard, il a rappelé son point de vue selon lequel les différends non résolus qui ont des répercussions sur le processus d'adhésion devraient au besoin être portés devant la Cour internationale de justice en vue de leur règlement. Le Conseil européen sera tenu au courant des progrès réalisés, qu'il examinera selon qu'il conviendra.

21. Le Conseil européen a pris acte de la résolution adoptée par le Parlement européen le 15 décembre 2004.

22. Le Conseil européen s'est félicité de l'adoption des six textes législatifs mentionnés par la Commission. Il a décidé que, à la lumière de ce qui précède et compte tenu du rapport et de la recommandation de la Commission, la Turquie remplit suffisamment les critères politiques de Copenhague pour que soient ouvertes des négociations d'adhésion, à condition que ce pays mette en vigueur ces six textes législatifs spécifiques. Il a invité la Commission à présenter au Conseil une proposition relative à un cadre de négociation avec la Turquie, sur la base des éléments figurant au point 23. Il a demandé au Conseil de parvenir à un accord sur ce cadre en vue de l'ouverture de négociations le 3 octobre 2005.

Le 29 juin 2005, la Commission européenne a proposé un cadre, qu'elle a qualifié de « rigoureux », pour les négociations d'adhésion. Les débats autour de ce cadre entre les Etats membres ont été âpres. L'Autriche, en particulier, a négocié très fermement obtenant in fine, pour prix de son accord, l'ouverture des pourparlers avec la Croatie qu'elle soutenait activement. C'est seulement le 3 octobre 2005, au terme même du délai fixé par le Conseil européen de décembre 2004, que le Conseil a adopté ce document.

B - Le déroulement minutieux des négociations

1) Adhésion ou « lien le plus fort possible » ?

La manière dont les négociations doivent se dérouler découle directement des règles et orientations fixées par le Conseil européen, le 17 décembre 2004.

Avant d'en rappeler le contenu, il faut évoquer le dernier paragraphe des conclusions du Conseil européen de décembre 2004 qui ont nourri bien des commentaires. Le Conseil européen fixe l'objectif qui est l'adhésion. Mais il ajoute aussitôt : « Ces négociations sont un processus ouvert dont l'issue ne peut pas être garantie à l'avance. Tout en tenant compte de l'ensemble des critères de Copenhague, si l'Etat candidat n'est pas en mesure d'assumer intégralement toutes les obligations liées à la qualité de membre, il convient de veiller à ce que l'Etat candidat concerné soit pleinement ancré dans les structures européennes par le lien le plus fort possible ».

Les spéculations ont été nombreuses sur ce dernier membre de phrase qui semble laisser le processus ouvert. S'agit-il d'une référence à un partenariat privilégié faute d'adhésion ? On peut sérieusement le penser. Un tel lien pourrait être noué si la Turquie ne remplissait pas finalement toutes les conditions nécessaires pour entrer dans l'Union mais aussi dans deux autres hypothèses qui ne sont pas évoquées par les conclusions du Conseil européen : si un ou plusieurs Etats membres s'opposaient in fine à l'adhésion de la Turquie ; si la Turquie renonçait, en dernière instance, à cette intégration (2).

Conseil européen - 16 et 17 décembre 2004

Conclusions de la Présidence (extrait)

Cadre de négociation

23. Le Conseil européen est convenu que les négociations d'adhésion avec les différents pays candidats seront fondées sur un cadre de négociation. Chaque cadre, qui sera établi par le Conseil sur proposition de la Commission en tenant compte de l'expérience acquise dans le cadre du cinquième élargissement et de l'évolution de l'acquis, comportera les éléments ci-après, en fonction des mérites propres de chaque État candidat, de sa situation et de ses caractéristiques spécifiques :

· À l'instar des négociations précédentes, ces négociations, qui se dérouleront dans le cadre d'une Conférence intergouvernementale à laquelle participeront tous les États membres, d'une part, et l'État candidat concerné, d'autre part, et où les décisions doivent être prises à l'unanimité, s'articuleront autour d'un certain nombre de chapitres couvrant chacun un domaine spécifique. Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, fixera des critères de référence pour la clôture provisoire et, le cas échéant, l'ouverture de chaque chapitre ; selon le chapitre examiné, ces critères concerneront l'alignement des législations et des résultats satisfaisants obtenus dans la mise en œuvre de l'acquis, ainsi que les obligations découlant des relations contractuelles avec l'Union européenne.

· De longues périodes transitoires, des dérogations, des arrangements spécifiques ou des clauses de sauvegarde permanentes, c'est-à-dire des clauses pouvant être invoquées en permanence comme base pour des mesures de sauvegarde, pourront être envisagés. La Commission inclura de telles dispositions, le cas échéant, dans les propositions qu'elle élaborera pour chaque cadre, dans des domaines tels que la libre circulation des personnes, les politiques structurelles ou l'agriculture. En outre, les différents États membres devraient pouvoir intervenir un maximum dans le processus de décision concernant l'instauration, à terme, de la libre circulation des personnes. Les dispositions transitoires ou les clauses de sauvegarde devraient faire l'objet d'un réexamen sous l'angle de leur incidence sur la concurrence ou sur le fonctionnement du marché intérieur.

· Les aspects financiers de l'adhésion d'un État candidat doivent être pris en compte dans le cadre financier applicable. Par conséquent, les négociations d'adhésion qui doivent encore être ouvertes avec des candidats dont l'adhésion pourrait avoir des conséquences financières importantes ne sauraient être conclues qu'après l'établissement du cadre financier pour la période débutant en 2014 et les réformes financières qui pourraient en découler.

· L'objectif commun des négociations est l'adhésion. Ces négociations sont un processus ouvert dont l'issue ne peut pas être garantie à l'avance. Tout en tenant compte de l'ensemble des critères de Copenhague, si l'État candidat n'est pas en mesure d'assumer intégralement toutes les obligations liées à la qualité de membre, il convient de veiller à ce que l'État candidat concerné soit pleinement ancré dans les structures européennes par le lien le plus fort possible.

2) Les 35 chapitres de négociation

Comme lors des négociations engagées précédemment avec les dix nouveaux Etats membres puis avec la Bulgarie et la Roumanie (3), les pourparlers vont s'opérer en fonction de chapitres précis qui, pour la Turquie, sont au nombre de trente-cinq.

cadre de négociations

1. Libre circulation des marchandises

2. Libre circulation des travailleurs

3. Droit d'établissement et de libre prestation de services

4. Libre circulation des capitaux

5. Marchés publics

6. Droit des sociétés

7. Droit de la propriété intellectuelle

8. Politique de la concurrence

9. Services financiers

10. Société de l'information et médias

11. Agriculture et développement rural

12. Sécurité sanitaire des aliments, politique vétérinaire et phytosanitaire

13. Pêche

14. Politique des transports

15. Énergie

16. Fiscalité

17. Politique économique et monétaire

18. Statistiques

19. Politique sociale et emploi 

20. Politique d'entreprise et politique industrielle

21. Réseaux transeuropéens

22. Politique régionale et coordination des instruments structurels

23. Pouvoir judiciaire et droits fondamentaux

24. Justice, liberté et sécurité

25. Science et recherche

26. Éducation et culture

27. Environnement

28. Protection des consommateurs et de la santé

29. Union douanière

30. Relations extérieures

31. Politique extérieure de sécurité et de défense

32. Contrôle financier

33. Dispositions financières et budgétaires

34. Institutions

35. Questions diverses

3) Un principe de négociation : rien sans l'accord de tous les Etats membres

Le cadre de négociation proposé par la Commission et adopté par le Conseil est très strict. La procédure mise en place est marquée par des étapes successives - le criblage, la position commune des Etats, l'ouverture du chapitre, la négociation, la clôture du chapitre - sur lesquelles nous allons revenir en détail. Le passage de l'une à l'autre de ces étapes suppose une impulsion de la Commission et l'accord de tous les Etats membres. Il faut ici insister sur le fait que, l'unanimité étant la règle, les Etats disposent, en fait, d'un droit de veto pour interrompre ou ralentir le processus de négociation.

La négociation interviendra dans le cadre d'une conférence intergouvernementale (CIG) ce qui signifie qu'elle est bien entre les mains des Etats. Néanmoins la Commission met à disposition ses équipes pour aider les Etats dans leur tâche. Ceux-ci interviennent aussi dans le cadre du groupe de travail « Elargissement » qui se réunit à Bruxelles et prépare les débats du COREPER (niveau diplomatique) et du Conseil des ministres (niveau politique).

Les négociations auront lieu chapitre par chapitre. Les Etats membres fixeront, à l'unanimité, les critères sur lesquels ils se fonderont pour fermer un chapitre après que la négociation aura été jugée satisfaisante. De tels critères pourront également être fixés dans les mêmes conditions pour ouvrir un chapitre à la discussion.

On voit que chaque Etat a, entre ses mains, la possibilité de peser de tout son poids sur les pourparlers. Le cadre de négociations prévoit aussi que la Commission européenne, de sa propre initiative ou à la demande d'un tiers des Etats membres, peut recommander la suspension des négociations en cas de « violation sérieuse et persistante » des principes de liberté, de démocratie, de respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'Etat de droit. Le Conseil des ministres prendrait alors une telle décision à la majorité qualifiée, et non à l'unanimité, ce qui rend plus facile l'adoption d'une telle suspension.

4) S'agit-il bien d'une « négociation » ?

On ne peut pas parler ici de véritables négociations dans la mesure où la Turquie n'a pas à négocier l'acquis communautaire, qui lui est imposé, mais à l'intégrer. Il s'agit là plutôt d'un processus de contrôle de la bonne intégration de cet acquis par le pays candidat ; il s'agit également de l'aider à réussir dans cette voie, en l'alertant sur certaines difficultés, en la conseillant, en la faisant bénéficier de l'expérience communautaire. La perspective est finalement simple : soit la Turquie réussit à intégrer l'acquis ; soit elle n'y parvient pas.

Le seul véritable espace de négociation porte, en fait, sur la mise en place de clauses de sauvegarde - permanentes ou non - par exemple, sur la libre circulation des travailleurs, clauses qui s'appliqueraient après l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne.

Toutefois, par la suite, on utilisera, dans ce rapport, le terme de « négociations » par commodité de langage.

5) Un bilan annuel des négociations par la Commission européenne

Afin de renforcer et soutenir le processus de réformes en Turquie, notamment dans la perspective du respect des critères politiques de Copenhague, la Commission européenne avait proposé, dans sa recommandation d'octobre 2004 que, chaque année, un examen général mette en évidence les progrès accomplis sur le plan des réformes politiques.

C'est dans ce cadre que la Commission a présenté un premier rapport au Conseil européen de décembre 2005, puis un deuxième le 8 novembre 2006 sur le détail duquel on reviendra.

6) Les principales étapes de la négociation

a) Le criblage : une étape aujourd'hui achevée

En 2006, a débuté la période de « criblage » ou « examen analytique de l'acquis »(4). Lors de cette phase aujourd'hui achevée, la Commission explique, chapitre par chapitre, ce qu'est l'acquis communautaire. L'Etat candidat prend connaissance de l'acquis, détermine comment le mettre en œuvre et essaie de détecter les problèmes. C'est le processus qui a été suivi pour chaque élargissement. Ce criblage porte sur l'acquis « communautaire » mais aussi plus largement « européen » puisqu'il comprend également la question de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC). On peut estimer que cette phase de la procédure a un caractère un peu formel ; la Turquie a une idée exacte de l'acquis européen car elle dispose d'équipes compétentes, notamment à Bruxelles, et elle se prépare de longue date à ces négociations.

La Commission doit également, lors de cette étape, se faire une opinion de ce qu'il faut concrètement transposer en droit turc, ce qui l'a déjà été et ce qui risque de poser des difficultés. Lorsque la Commission estime qu'elle a une vision correcte d'un chapitre, elle rend alors au Conseil des ministres un rapport de criblage et propose, si elle estime que les conditions requises sont réunies, l'ouverture de ce chapitre à la négociation.

b) La proposition d'ouverture du chapitre par la Commission

C'est à la Commission qu'il appartient de proposer l'ouverture des négociations pour chaque chapitre, ce que le Conseil accepte à l'unanimité.

c) L'adoption de critères de référence pour fermer les chapitres

La Commission propose des « critères de référence » qui permettront d'apprécier in fine, pour chaque chapitre, si la Turquie remplit ou pas les conditions d'adhésion à l'Union. Ces « critères de références » seront adoptés par le Conseil à l'unanimité.

d) Les positions communes de négociation pour chaque chapitre

La Commission européenne proposera des positions communes de négociation pour chaque chapitre relevant des compétences communautaires. Ces positions seront arrêtées par le Conseil et régies par le principe de l'unanimité.

e) La clôture d'un chapitre

Cette clôture intervient sur proposition de la Commission. Elle est décidée à l'unanimité du Conseil. Un chapitre de négociation peut être fermé provisoirement et rouvert à tout moment.

Les rôles respectifs de la Commission et du Conseil

Étapes des négociations

Rôle de la Commission

Rôle du Conseil

Criblage

Analyse de l'état de l'acquis dans le pays candidat

Aucun

Fixation des critères d'ouverture du chapitre

Proposition

Accord à l'unanimité

Fixation des positions communes de négociations pour chaque chapitre

Proposition

Accord à l'unanimité

Ouverture du chapitre

Proposition

Accord à l'unanimité

Fixation des critères de fermeture du chapitre

Proposition

Accord à l'unanimité

Fermeture du chapitre

Proposition

Accord à l'unanimité

Décision de suspendre les négociations en cas de violation sérieuse et persistante des principes de liberté, de démocratie, de respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'Etat de droit

Proposition

N.B. : cette proposition peut aussi émaner du tiers des Etats membres

Majorité qualifiée

Il faut préciser que pour la PESC, il appartient à la Présidence de l'Union de faire les propositions que la Commission a la charge de présenter pour les autres chapitres.

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*       *

On mesure la responsabilité de chaque Etat dans la conduite de ces négociations. Cela justifie plus encore que le Parlement soit associé à ce processus et non pas mis devant le fait accompli in fine. Les assemblées doivent d'autant plus avoir un rôle actif qu'il est prévu, dans notre Constitution, que le peuple français sera consulté par la voie du référendum sur le traité d'adhésion de tout nouveau candidat après la Croatie. Faute d'intervenir en cours de négociations, par les voies les plus adaptées, le Parlement serait totalement tenu à l'écart de ce sujet d'importance. Ce ne serait pas acceptable.

II - LE GROUPE DE SUIVI DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES : UNE NOUVELLE FORME DE CONTRÔLE
DE LA POLITIQUE EXTÉRIEURE FRANÇAISE

Le groupe de suivi institué au sein de la Commission des Affaires étrangères fait figure de novation dans la manière dont le Parlement peut contrôler la politique étrangère de la France. On voit se développer depuis plusieurs années cette fonction de contrôle ; on ne voit pas ce qui justifierait que le domaine des relations internationales et a fortiori européennes échappe à ce mouvement.

A - La composition du groupe de suivi

Le groupe de suivi est composé de :

- M. Hervé de Charette (U.M.P.), Président,

- M. Jean-Louis Bianco (Soc.),

- M. Roland Blum (U.M.P.),

- Mme Geneviève Colot (U.M.P.),

- M. Guy Lengagne (Soc.),

- M. Christian Philip (U.M.P.),

- M. Paul Quilès (Soc.),

- M. Rudy Salles (U.D.F.).

B - Un mode original de contrôle parlementaire

1) Un dialogue constant et satisfaisant avec le pouvoir exécutif

Ce groupe de suivi n'est pas, à proprement parler, une mission d'information. Il constitue, en fait, un organe de travail de la Commission des Affaires étrangères dont la principale caractéristique devrait être sa permanence jusqu'à ce que les négociations avec la Turquie arrivent à leur terme.

Le Président Edouard Balladur en a décidé la création après avoir fait le constat que l'Union européenne ne pouvait plus s'élargir sans que les peuples ne soient pleinement associés à cette démarche et puissent, en définitive, choisir en tout connaissance de cause. Or le Parlement est, par nature, l'instance la plus appropriée pour apporter au peuple les informations dont il a besoin, de manière raisonnée.

L'objet du groupe de suivi est donc d'informer la Commission des Affaires étrangères ainsi que, de manière plus large, l'Assemblée nationale et les citoyens du processus de négociation en cours avec la Turquie.

Pour mener à bien cette mission, il fallait maintenir une attention constante et des liens permanents avec les responsables de ces négociations au sein de l'exécutif. Cette liaison avec les personnes compétentes au ministère des Affaires étrangères imposait des contacts fréquents et la mise en place d'une sorte de dispositif d'alerte qui permette aux membres du groupe d'être informés « en direct » des évolutions positives ou négatives du dossier au fur et à mesure des négociations.

De ce point de vue, on doit signaler que le ministre des Affaires étrangères, la ministre des Affaires européennes et leurs services ont « joué le jeu ». Alors que la situation avait pu apparaître tendue entre le Parlement et le pouvoir exécutif sur la question turque à la fin de 2004 et au début de 2005, l'échec du référendum de mai 2005 a fait prendre conscience au Gouvernement qu'il n'était plus possible de chercher de tenir à distance les parlementaires, et donc les citoyens, des questions européennes et singulièrement celles relatives à l'élargissement.

2) Un suivi « en direct » des négociations

Le groupe de suivi s'est tout d'abord attaché à obtenir de la part du Gouvernement des informations générales sur le déroulement des négociations, afin de mieux saisir les points de crispations ou, au contraire, les domaines où les pourparlers progressaient de manière satisfaisante. Pour ce faire, le groupe a auditionné à deux reprises (5) le directeur de la coopération européenne au ministère des Affaires étrangères, M. Gilles Briatta, qui, au cours de réunions très riches a livré aux membres du groupe des informations précieuses sur les positions françaises mais aussi celles des différents Etats membres.

Le groupe de suivi a également choisi de s'intéresser à des sujets qui posaient des difficultés particulières dans le cadre des négociations : les droits des minorités ou la question chypriote. C'est pourquoi il a entendu un universitaire spécialiste des minorités - M. Samim Akgönül (6) - ainsi que M. Minas Hadjimichaël, ambassadeur de la République de Chypre en France (7).

Des contacts ont également été pris avec les autorités turques. Il était prévu que l'ambassadeur de Turquie, M. Osman Korütürk, soit entendu en mai 2006 mais la discussion relative à la proposition de loi tendant à réprimer la négation du génocide arménien de 1915 a contraint à annuler cette réunion, l'ambassadeur ayant été rappelé pour consultation dans son pays à la date prévue (8) . Les membres du groupe de suivi ont, en revanche, pu rencontrer le ministre des Affaires étrangères turc, M. Abdullah Gül, lors de sa visite en France, le 14 septembre 2006.

Enfin une réunion a été organisée avec les représentants du patronat turc (le TUSIAD) : M. Pekin Baran, vice-président de TUSIAD, M. Haluk Tukel, Secrétaire général de TUSIAD, Mme Hale Hatipoglu, Secrétaire général adjoint de TUSIAD et Mme Serap Atan, Représentante du bureau de TUSIAD à Paris (9).

Chacune des réunions du groupe a été divisée en deux parties : la première étant consacrée à l'audition d'intervenants extérieurs, la seconde était destinée à faire le point sur l'état des négociations au vu des informations délivrées par le ministère des Affaires étrangères.

Le groupe de suivi a pu travailler dans de bonnes conditions en raison de son effectif restreint qui permet plus de souplesse dans l'organisation de ses travaux mais aussi parce que le choix a été fait de privilégier des réunions qui ne soient pas trop solennelles pour que les personnes entendues puissent s'exprimer en toute liberté sur des négociations diplomatiques qui supposent souvent une certaine discrétion.

Enfin, le groupe a rendu compte une première fois de ces travaux, par la voix de son Président, lors de la réunion de la Commission des Affaires étrangères (10) du 20 juin 2006.

Cette structure a vocation à poursuivre ses travaux en 2007. Il faut espérer qu'elle sera maintenue lors de la prochaine législature, les négociations avec la Turquie devant continuer bien au-delà.

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*       *

Cette méthode de travail nous semble fructueuse parce qu'elle permet une information constante des parlementaires mais aussi parce qu'elle montre au pouvoir exécutif qu'il peut compter sur la vigilance des députés.

Elle pourrait être étendue à d'autres questions qui imposent, de la sorte, une attention permanente de la part des parlementaires. On doit signaler, à cet égard, la suggestion de notre collègue Jacques Godfrain d'organiser un groupe de suivi du processus d'annulation de la dette des pays du Sud sur le modèle du groupe consacré aux négociations avec la Turquie (11).

III - LE BILAN D'UNE ANNÉE DE NÉGOCIATIONS :
QUELQUES PROGRÈS, UNE IMPASSE

La Commission européenne vient de recommander au Conseil de geler la négociation de certains chapitres, en raison du refus de la Turquie de permettre l'entrée en vigueur du protocole étendant l'union douanière aux dix nouveaux Etats membres, parmi lesquels la République de Chypre.

Cette recommandation ne surprend personne étant donné l'intransigeance de la Turquie sur cette question sensible. La Commission a pris ses responsabilités ce qui est satisfaisant dans un domaine - l'élargissement - où elle a toujours fait montre d'une grande mansuétude. Il faut bien constater qu'il était difficile de ne pas adopter une telle position au vu également de l'insuffisance des progrès constatée dans les réformes en Turquie, comme l'a montré le rapport de suivi rendu par la Commission le 8 novembre 2006.

Sans doute, la conjoncture politique en Turquie est-elle difficile puisque des élections législatives sont prévues en novembre 2007. Les pressions nationalistes existent qui peuvent expliquer que le gouvernement actuel ne puisse aller de l'avant et répondre favorablement à toutes les demandes de l'Union européenne. Le paradoxe est que les islamistes modérés, au pouvoir, apparaissent comme le meilleur soutien à la « voie européenne » de la Turquie alors que les héritiers du kémalisme présentés comme tournés vers l'Occident, y soient les plus hostiles.

Il n'est pas possible pour l'Union de poursuivre les négociations sans tirer les conclusions des positions affichées par la Turquie, lesquelles conduisent inexorablement au blocage des discussions en cours.

La solution recommandée par la Commission - le gel des négociations pour les chapitres suivants : la libre circulation des biens, les services et les services financiers, l'agriculture, la pêche, les transports, l'union douanière et les relations extérieures - constitue d'évidence une réponse modérée à cette situation de crise.

Du côté français, on se souvient qu'à la fin 2004, le Président de la République avait pris position pour une ouverture sans délai des négociations avec la Turquie, alors même qu'une très grande partie de l'opinion française y était hostile. Aujourd'hui, le pouvoir exécutif a adopté une attitude plus conforme avec ce que souhaite la majorité de nos concitoyens. Le Gouvernement a essayé, depuis l'ouverture des négociations, de tenir un langage de fermeté et de parler avec franchise à notre partenaire turc. C'est une nouvelle orientation qu'il faut souligner.

A - La position française : le choix de la franchise

1) Les effets du référendum du 29 mai 2005

La question de l'élargissement de l'Union a joué un rôle certain dans l'échec du référendum du 29 mai 2005. L'ouverture aux dix nouveaux Etats membres en 2004 n'a pas été réalisée dans de bonnes conditions. Sans doute, un débat de plus grande ampleur aura été utile pour que les Français prennent conscience de la portée et de l'intérêt de cette décision, de ses conséquences sur le fonctionnement et l'avenir de l'Union. L'absence de réforme des institutions de l'Union préalable à l'arrivée de ces nouveaux membres a également constitué une erreur de méthode. En outre, la perspective des élargissements futurs, annoncés quelques mois seulement avant ce scrutin, a alarmé nos concitoyens.

Le rejet par les Français de la Constitution européenne a conduit la diplomatie de notre pays à envisager les négociations avec la Turquie sous un jour nouveau. La position adoptée par la France peut se résumer ainsi : évoquer les questions les plus délicates immédiatement afin de laisser à la négociation le temps de faire son œuvre et de permettre à une Turquie à laquelle on s'adresse avec franchise de trouver les moyens de progresser.

2) Une illustration de la position française : l'application des critères politiques

Au printemps 2006, alors que la procédure de criblage débutait sérieusement, une question de principe s'est posée. La France a souhaité, à juste titre, qu'elle soit réglée, se heurtant à la Commission européenne et à certains membres très favorables à un élargissement rapide, au premier rang desquels le Royaume-Uni.

Le problème était posé par le chapitre 26 « Education et culture ». La Commission considérait que les domaines couverts par ce chapitre étaient « faiblement communautaires », en ce sens que les Etats demeurent largement compétents pour ces matières. Ce n'est pas contestable. Dès lors, adoptant un point de vue technique, la Commission estimait que la Turquie aurait peu d'acquis communautaire à transposer dans son droit interne, l'essentiel consistant en une directive sur l'éducation des enfants de travailleurs immigrés, quelques décisions de la Cour de justice sur la non-discrimination entre les nationaux et les ressortissants communautaires et le processus de Bologne de 1999 dont l'objet est de créer d'ici 2010 un espace européen de l'enseignement supérieur.

Concernant la partie « culture » de ce chapitre, là encore, la Commission estimait que l'Union européenne n'avait qu'une compétence résiduelle et que la Turquie n'aurait que peu d'acquis à transposer, c'est-à-dire essentiellement la question de la promotion de la diversité culturelle et la ratification de la convention de l'Unesco sur ce sujet.

Était-il possible de s'en tenir à cette vision technique développée par la Commission européenne aux termes de laquelle il était certain que l'on exigerait peu de la Turquie dans le cadre de ce chapitre « Education et culture » ?

A la fin mars 2006, plusieurs Etats, au premier rang desquels figuraient la France, ont défendu une acception plus large des questions d'éducation et de culture. Pour eux, se cachaient derrière des problèmes plus lourds comme le droit des minorités - comment le système éducatif assure-t-il le respect de ces droits ? - la question religieuse ou l'égalité hommes-femmes. Dès lors, lorsque la Commission européenne a saisi le Conseil d'une proposition d'ouverture du chapitre, la France et d'autres, comme la Grèce, ont souhaité que, dans le cadre de la négociation de ce chapitre, l'Union exige, comme critères explicites, le respect par la Turquie des critères de Copenhague.

Comme la Commission, le Royaume-Uni s'est particulièrement opposé à cette approche et a souhaité que la question de l'examen des critères politiques demeure cantonné à la discussion du chapitre 23 « Pouvoir judiciaire et droits fondamentaux ».

Le risque que représenterait une telle démarche serait de repousser les problèmes difficiles - démocratie, droits de l'homme, Etat de droit - à la fin du processus de négociation. La plupart des chapitres auraient été alors négociés et toute la difficulté se porterait sur le seul chapitre 23. La tentation ne serait-elle pas alors grande d'être moins rigoureux sur ces points pourtant essentiels parce qu'il ne paraîtrait plus possible de repousser l'échéance de l'adhésion ?

La position française est plus réaliste et prend mieux en compte les préoccupations des peuples européens, leur désir de transparence notamment. Elle mérite le soutien des parlementaires.

Finalement le chapitre « Education et culture » n'a toujours pas été ouvert. Les Etats membres négocient actuellement une position commune, la présidence finlandaise leur ayant demandé de mettre par écrit les différentes interrogations que leur inspirait ce chapitre pour les adresser ensuite à la Turquie. Cette phase est en cours.

Si l'on peut regretter que la Commission n'ait pas adopté la démarche proposée par la France (12), démarche que le groupe de suivi soutient en demandant au Gouvernement de s'y tenir strictement, on peut être satisfait du travail qu'il a accompli tout au long de l'année 2006 pour évaluer les progrès de la Turquie. Le rapport de suivi qu'elle a rendu le 8 novembre 2006 est plutôt sévère et constitue une réelle mise en garde envers le pays candidat.

B - Des progrès insuffisants mis en évidence par le rapport de la Commission européenne du 8 novembre 2006

Le rapport de la Commission européenne sur l'état des négociations avec la Turquie était très attendu. Rendu public le 8 novembre 2006, il a mis en évidence les progrès accomplis du 1er octobre 2005 au 30 septembre 2006 par ce pays dans l'adoption de l'acquis communautaire mais surtout les efforts encore considérables qu'il doit accomplir pour espérer adhérer à l'Union européenne.

Ce rapport est organisé en trois parties. La première est consacrée aux critères politiques ; la deuxième porte sur les critères économiques ; la dernière est l'examen de l'état d'avancement des chapitres du cadre de négociations.

Nous porterons notre attention particulièrement sur les critères politiques qui nous semblent les plus fondamentaux.

1) Les critères politiques

Parmi les nombreuses questions qui ont retenu l'attention de la Commission, on peut en citer quelques unes particulièrement significatives.

a) Les relations entre la société civile et l'armée

On sait que le pouvoir militaire exerce une influence considérable en Turquie. Celle-ci est jugée incompatible avec le fonctionnement démocratique d'un Etat au sein duquel doit régner la primauté du pouvoir civil.

La Commission observe que des progrès ont été accomplis en ce qui concerne la compétence des tribunaux militaires pour juger des civils. Désormais, en application d'une loi voté en juin 2006, modifiant les dispositions du code pénal militaire, aucun civil ne saurait être jugé par de tels tribunaux en temps de paix, sauf en cas de délit impliquant à la fois du personnel militaire et civil.

Elle constate cependant que « les forces armées ont continué d'exercer une influence politique significative », leurs membres les plus éminents donnant leur avis sur des questions de politique nationale et étrangère, notamment sur Chypre, la laïcité, la question kurde. La loi précisant le rôle et les obligations des forces armées turques qui contient des articles donnant aux militaires de larges marges de manœuvre n'a pas été amendée. De même aucune mesure n'a été prise pour renforcer le contrôle exercé par la société civile sur la gendarmerie.

La Commission note également qu'aucun nouveau progrès n'a été observé dans le renforcement du contrôle parlementaire sur le budget de l'armée.

En guise de conclusion, le rapport de la Commission indique que :

« Dans l'ensemble, les progrès accomplis dans l'alignement des relations entre la société civile et l'armée sur les pratiques en vigueur dans l'Union européenne ont été limités. Les déclarations des militaires devraient concerner uniquement les questions militaires, de défense et de sécurité et ne devraient être faites que sous l'autorité du gouvernement, tandis que les autorités civiles devraient exercer pleinement leurs fonctions de contrôle, notamment en ce qui concerne l'élaboration de la stratégie nationale de sécurité et sa mise en œuvre, y compris pour ce qui touche aux relations avec les pays voisins.

b) Le système judiciaire

La question de la justice en Turquie est jugée encore préoccupante par la Commission, point de vue que partagent les membres du groupe de suivi.

Les efforts des autorités turques se sont concentrés sur la mise en œuvre du nouveau code pénal, du code de procédure pénale et de la loi sur l'application des peines ce qui est jugé plutôt satisfaisant. La Commission note que les tribunaux ont continué d'appliquer la Convention européenne des droits de l'homme.

Toutefois des problèmes importants restent à régler et non des moindres. Parmi eux, on trouve la question de l'application du fameux article 301 du code pénal qui sanctionne toute insulte proférée à l'encontre de l'identité turque, de la République et des organes et institutions de l'Etat. Cet article comporte bien une disposition aux termes de laquelle l'expression d'opinions visant à critiquer ne constitue pas un délit. Toutefois, comme l'observe la Commission européenne, il n'a cessé d'être utilisé afin de poursuivre les journalistes, auteurs, éditeurs, universitaires et activistes des droits de l'homme ayant exprimé des opinions non violentes. On peut ainsi évoquer le cas du journaliste Hrant Dink, condamné à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis pour avoir insulté « l'identité turque » dans une série d'articles consacrés à l'identité arménienne.

Selon certains observateurs, cet exemple de l'application drastique de l'article 301 du code pénal illustre les luttes sourdes qui existent entre certaines parties des autorités publiques turques, favorables aux réformes, et une autre frange, conservatrice, présente dans les juridictions qui entend s'y opposer. La réalité turque n'est pas faite d'un seul bloc.

Sur le système judiciaire, la Commission conclut :

« Dans l'ensemble, les progrès se sont poursuivis dans le domaine de la réforme judiciaire. Toutefois, la mise en œuvre de la nouvelle législation par le système judiciaire offre un bilan mitigé à ce jour et l'indépendance de ce système reste à établir ».

c) La lutte contre la corruption

On peut faire état d'éléments positifs dans la lutte contre la corruption. Ainsi les commissions d'enquêtes parlementaires sur le trafic d'essence et les introductions en bourse illégales ont rendu des rapports qui révèlent un vaste éventail d'activités de corruption, mettant en cause des personnalités politiques de premier plan ayant occupé des postes ministériels importants. Ces rapports comportent aussi des recommandations sur les mesures à prendre par les institutions publiques.

Mais, là encore, la Commission constate qu'il reste nombre de problèmes à régler. On ne s'en étonnera guère tant on sait que le fléau de la corruption est difficile à combattre. Selon Bruxelles, elle demeure répandue dans le secteur public et le système judiciaire turcs malgré les efforts de ces dernières années. La Turquie doit aussi améliorer sa législation sur le financement et le contrôle des partis politiques. La Commission constate également que « l'importance de l'immunité parlementaire demeure un problème grave dans le cadre de la corruption en Turquie », ce qui laisse songeur.

Les conclusions du rapport sur ce point sont les suivantes :

« Pour ce qui est de la lutte contre la corruption, quelques progrès, certes limités, ont été accomplis, notamment en rendant la fonction publique plus transparente. La corruption reste, néanmoins, monnaie courante et les instances et politiques de lutte contre la corruption sont encore bien fragiles ».

d) Les droits de l'homme

La Turquie a accompli les actes qu'on attendait d'elle concernant la ratification de textes internationaux et européens relatifs à la protection des droits de l'homme que ce soit le deuxième protocole au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui prévoit l'abolition de la peine de mort, le protocole n° 13 à la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) concernant l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, la convention des Nations unies relative à la lutte contre la corruption ou la Charte sociale européenne. D'autres conventions internationales, signées par la Turquie sont encore en instance de ratification comme le protocole n° 12 à la CEDH sur l'interdiction générale de la discrimination par les autorités publiques ou le protocole facultatif à la Convention des Nations unies contre la torture, signé en septembre 2005.

Entre le 1er septembre 2005 et le 31 août 2006, 2 100 nouvelles requêtes concernant la Turquie ont été introduites auprès de la Cour européenne des droits de l'homme. Plus des deux tiers de ces requêtes concernent le droit à un procès équitable (article 6 de la CEDH) et la protection des droits de propriété (article 1er du protocole n° 1). Le droit à la vie (article 2) et l'interdiction de la torture (article 3) sont respectivement mentionnés dans 78 et 142 affaires.

En ce qui concerne la lutte contre la torture et les mauvais traitements, la Commission européenne constate qu'il existe aujourd'hui un cadre législatif complet et que la tendance à la baisse du nombre de cas de tortures et de mauvais traitements se confirme.

Toutefois, la mise en application des réformes législatives entreprises au cours des années précédentes reste un défi. On continue de faire état de tortures et de mauvais traitements, en particulier à l'extérieur des centres de détention. Ainsi la situation des droits de l'homme dans le Sud-Est suscite des inquiétudes particulières à la suite des violentes perturbations qui ont agité plusieurs villes en mars et avril 2006. Plus de 550 personnes - dont plus de 200 enfants - ont été emprisonnées consécutivement à ces événements, d'après la Commission européenne.

Concernant la liberté d'expression, le ministère de la justice turc a publié une circulaire, en janvier 2006, portant sur les médias et rappelant les procureurs au respect de la législation turque, ce qui semble la moindre des nécessités -, et de la CEDH, qui illustre les tensions qui peuvent exister entre le gouvernement turc et les milieux conservateurs. Cette circulaire a également institué un mécanisme de suivi mensuel des enquêtes criminelles et des procédures judiciaires engagées à l'encontre de la presse et des médias. Cette démarche est satisfaisante.

La liberté de réunion s'exerce plus facilement aujourd'hui. Néanmoins, la Commission européenne signale des cas où les responsables de l'ordre ont eu recours à la force de manière excessive, en particulier lorsque les manifestations s'étaient déroulées sans permission préalable. On se souvient, en particulier, de ces images des incidents survenus lors d'une manifestation de promotion des droits de la femme, en mars 2005. Une enquête a été engagée et des sanctions ont été prises contre les responsables de ces violences.

e) La liberté religieuse

La liberté de culte est généralement respectée, estime la Commission européenne. Elle note cependant que, bien que la mention obligatoire de l'appartenance religieuse dans certains documents tels que les cartes d'identité ait été abolie en avril 2006, ces mêmes documents comportent toujours des renseignements sur la religion, ce qui laisse la porte ouverte à d'éventuelles pratiques discriminatoires. Cette constatation est préoccupante.

En outre, les communautés religieuses non musulmanes n'ont pas accès à la personnalité juridique et continuent de pâtir de restrictions de leurs droits de propriété. Elles se sont ainsi heurtées à des difficultés pour gérer leurs fondations et récupérer leurs biens par les voies judiciaires.

Des restrictions demeurent concernant la formation des membres du clergé. Le séminaire orthodoxe grec de Halki, aujourd'hui Heybeliada, n'est toujours pas ouvert, ce qui suscite des réactions négatives en Grèce. L'utilisation publique du titre ecclésiastique de patriarche œcuménique continue d'être interdite. Des attaques contre le clergé et les lieux de culte de communautés religieuses non musulmanes ont été rapportées, selon la Commission européenne. De même l'assassinat du prêtre catholique Andrea Santoro dans une église de la province de Trabzon, dans la région de la mer Noire, en février 2006, a marqué les esprits. Notons cependant que ce crime a valu une lourde peine à son auteur. Le rapport de la Commission européenne évoque également des attaques contre des Syriaques, chrétiens orthodoxes ou catholiques, qui sont au nombre de 20 000 en Turquie.

La situation de la communauté alevie forte d'au moins quinze millions de personnes demeure inchangée. Les Alevis, musulmans chiites réputés pour leur attitude tolérante et peu dogmatique, connaissent des difficultés pour ouvrir des lieux de culte. Les enfants issus de cette communauté doivent suivre l'instruction religieuse obligatoire dans les écoles, leur spécificité n'étant pas reconnue.

f) Les droits des femmes

Les autorités turques ont engagé des actions concrètes dans la lutte contre ce que l'on appelle les crimes d'honneur. Un rapport de la commission parlementaire sur « les crimes commis au nom de l'honneur et la violence à l'encontre des femmes et des enfants » met en avant des recommandations pratiques, qui ont bénéficié d'une large couverture médiatique. Des campagnes d'information ont été lancées en 2004 et renouvelées depuis. Comme le constate la Commission européenne, si le cadre juridique est globalement satisfaisant, la mise en œuvre reste un défi. Les crimes commis au nom de l'honneur et les suicides perpétrés par des femmes sous la pression de leur famille continuent de se produire, en particulier dans les régions de l'Est et du Sud-Est.

Les femmes restent vulnérables face aux pratiques discriminatoires, en raison principalement de leur manque d'instruction et d'un taux d'analphabétisme élevé. La campagne en faveur de l'éducation des filles menée par le ministère de l'éducation nationale et l'Unicef a permis, en 2005, l'inscription dans des écoles primaires de 62 000 filles qui, sans cela, n'auraient pas été scolarisées. En 2006, cette campagne a été étendue à l'ensemble des 81 provinces.

g) Les droits des syndicats

Ici le constat de la Commission européenne est sans appel : « Aucun progrès n'a été constaté pour ce qui est des droits des syndicats ».

Les lacunes importantes en matière de droit syndical et de droit de la négociation collective, notamment de droit de grève, n'ont pas été comblées. La Turquie ne respecte toujours pas les normes de l'Organisation internationale du travail (OIT). La Commission européenne cite comme exemple la décision prise par le ministère du travail et de la sécurité sociale, en avril 2006, d'attaquer en justice un syndicat au motif que certains représentants élus de ce syndicat n'avaient pas dix ans d'ancienneté, ce que prévoit la loi sur les syndicats. Le tribunal du travail a décidé d'interdire purement et simplement le syndicat ; même si la Cour de cassation a ensuite annulé ce jugement pour des raisons de forme, ce cas montre la difficulté pour les organisations syndicales d'exercer en tout liberté leur activité.

h) La protection des minorités

Le groupe de suivi de la Commission des Affaires étrangères s'est intéressé, dès le commencement de ses travaux, à la question des minorités en entendant M. Samim Akgönül, historien et politiste, spécialiste de ce sujet au CNRS et à l'Université de Strasbourg. Par son histoire, la Turquie d'aujourd'hui est l'héritière de l'Empire ottoman qui accueillaient tant de populations d'origines différentes et qui, au XIXe siècle, entama un processus de « turcisation », en lien avec un repli sur la péninsule anatolienne, qui fut continué par la république kémaliste. Comme tous les Etats de cette région, si diverse, la Turquie doit assurer son unité tout en respectant le droit des nombreuses minorités, religieuses, ethniques, qui la composent. Trouver cet équilibre est un enjeu majeur du projet d'adhésion de ce pays à l'Union européenne.

Or, comme le constate la Commission européenne, la position de la Turquie à l'égard des droits des minorités n'a pas évolué. Selon les autorités turques, en vertu du traité de Lausanne de 1923, les seules minorités reconnues en Turquie sont celles de religion non musulmane, c'est-à-dire les minorités juive, arménienne et grecque. Cela laisse de côté des communautés comme les Kurdes mais aussi les Alevis.

Des progrès doivent intervenir dans les domaines de l'éducation, des langues, de la participation des minorités à la vie publique et de la diffusion d'émissions dans des langues minoritaires.

La télévision publique turque (TRT) continue de diffuser ses programmes en cinq langues, dont le kurde, mais les programmes d'apprentissage de la langue kurde ne sont pas autorisés. Les enfants dont la langue maternelle n'est pas le turc ne peuvent apprendre leur langue maternelle dans le système scolaire public turc, mais doivent fréquenter pour cela des établissements d'enseignement privé. Or tous les établissements dispensant des enseignements en kurde ont été fermés en 2004. Il n'est donc plus possible aujourd'hui d'apprendre le kurde dans le système scolaire turc, qu'il soit public ou privé. Selon la loi sur les partis politiques, l'emploi d'autres langues que le turc est illégal dans la vie politique. L'action judiciaire engagée contre le Parti des droits et des libertés (HAP-PAR) concernant un discours prononcé en langue kurde se poursuit.

Comme le constate la Commission, la déclaration positive du Premier ministre Erdogan en 2005, qui insistait sur la nécessité de résoudre ce qu'il appelait « la question kurde » par des moyens démocratiques n'a pas été suivie d'effets. Il n'y a pour ainsi dire aucun dialogue entre les autorités nationales et les élus locaux.

On pourrait également évoquer le sort des personnes originaires du Sud-Est déplacées à l'intérieur du pays qui demeure préoccupante. La présence d'une très grande quantité de mines terrestres dans cette région constitue un puissant frein au retour.

La Commission conclut ce constat sévère ainsi :

« Dans l'ensemble, la Turquie a peu progressé pour ce qui est de garantir la diversité culturelle et de promouvoir le respect et la protection des minorités, conformément aux normes internationales ».

Le respect par la Turquie des critères politiques est loin d'être satisfaisant. C'est sur ces questions que les Etats membres doivent se pencher en priorité, comme le propose la France. Car une fois accomplies des réformes profondes en matière politique, il sera plus facile d'engager un dialogue ouvert avec la Turquie et de résoudre des questions importantes comme celle de la reconnaissance du génocide ou de la République de Chypre.

2) Les critères économiques : un bilan plutôt positif

Aux termes des conclusions du Conseil européen de Copenhague en juin 1993, il est clair que, pour espérer adhérer à l'ensemble européen, il faut disposer d'une économie de marché viable et de la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'Union. C'est en fonction de cette exigence, que la Commission européenne a opéré son analyse et émis son diagnostic.

Dans le rapport de suivi de novembre 2006, la question des critères économiques tient une place moindre que celle des critères politiques qui, de toute évidence, pose le plus de difficultés. Globalement le regard porté par la Commission sur la situation économique de la Turquie est plutôt favorable. La situation conjoncturelle est bonne ; les réformes structurelles continuent. Cependant certaines d'entre elles tardent encore : c'est le cas, en particulier, pour les aides d'Etat que l'on sait pourchassées par l'Europe communautaire.

a) Le maintien du cap des réformes économiques

La Commission constate ainsi que le gouvernement turc a réussi à maintenir le cap des réformes économiques notamment grâce au soutien des institutions financières internationales comme le Fonds monétaire international (FMI) avec qui la Turquie a conclu un accord. Elle a également obtenu un prêt en faveur des réformes de la part de la Banque mondiale. D'un point de vue général, le programme économique de préadhésion (PEP) présenté à la Commission européenne à la fin de l'année 2005 fait apparaître des progrès, qualifiés de satisfaisants par Bruxelles, dans le domaine du renforcement des capacités institutionnelles mais aussi des engagements importants concernant l'accomplissement de réformes supplémentaires.

b) Une économie en croissance mais qui souffre d'un déséquilibre extérieur

Comme les membres du groupe de suivi ont pu eux-mêmes le constater en consacrant une séance de leurs travaux aux questions économiques avec les représentants de TUSIAD (13), l'organisation patronale turque, l'économie de ce pays se porte plutôt bien (14). Elle connaît une croissance rapide mais doit cependant faire face à des déséquilibres extérieurs.

Bien que s'étant légèrement tassée ces derniers mois, la croissance annuelle du PIB réel est de 7 % sur le premier semestre 2006, contre 7,4 % en 2005. Le déficit de la balance courante s'est, de son côté, fortement creusé, atteignant 6,3 % du PIB en 2005. Il s'est encore accru au cours du premier semestre de 2006, atteignant 7 % du PIB, sous l'effet d'une forte croissance de la demande intérieure, du renchérissement des prix du pétrole et d'une diminution des recettes touristiques.

La Commission européenne estime que ces déséquilibres sont dus essentiellement à des réformes structurelles trop lentes et à une augmentation non négligeable des dépenses d'investissement. Pour contrer ces effets négatifs, les autorités turques ont réagi avec célérité en imposant une certaine rigueur budgétaire et monétaire.

Le taux de chômage se situe entre 8 et 10 %. Il reste finalement assez élevé et constant. Le taux d'inflation qui, grâce notamment à une politique budgétaire rigoureuse, avait baissé en 2005 pour atteindre 7,7 % en décembre, a connu une nouvelle hausse en raison de l'affaiblissement de la monnaie turque - la livre - et du renchérissement du coût de l'énergie. En août 2006, les prix à la consommation ont connu une hausse sur l'année de 10 %.

L'assainissement des finances publiques s'est poursuivi, observe la Commission européenne. Le déficit budgétaire des administrations publiques a diminué, passant de 5,7 % du PIB en 2004 à 1,2 % en 2005. La dette publique brute a diminué sensiblement, de 76,9 % du PIB à la fin de 2004 à 69,6 % à la fin de 2005. Ces efforts notables ont conduit plusieurs agences de notation à relever la cote de la Turquie.

c) Poursuivre les réformes structurelles

Le libre jeu des forces du marché est fondamental pour espérer intégrer l'Union européenne. Il importe d'ailleurs plus que la conjoncture économique que l'on vient de décrire et qui peut se retourner d'ici dix ou quinze ans lorsque la question de l'entrée de la Turquie dans l'Union se posera réellement.

Ainsi les réformes relatives à l'indépendance des organismes de régulation et de surveillance sont tout à fait essentielles car elles portent sur les structures même du marché. L'accomplissement de telles réformes met en évidence une véritable progression vers une économie de marché conforme au projet européen.

L'appréciation que la Commission européenne porte sur ces réformes est nuancée. Des progrès sont indéniables mais il reste beaucoup à faire.

La Commission constate ainsi que les privilèges spéciaux dont jouissent les banques publiques sont progressivement supprimés. Les entreprises publiques représentent désormais environ 5 % du PIB et moins de 15 % de la valeur ajoutée dans le secteur manufacturier. Les banques publiques, quant à elles, représentent moins d'un tiers de la valeur ajoutée dans le secteur bancaire. Les effectifs de ces entreprises et de ces banques publiques ne représentent que 2,5 % de l'emploi total en Turquie. La libéralisation des prix est également assez avancée même si la Commission observe peu de progrès récents.

Le mouvement important de privatisation s'est poursuivi avec une certaine vigueur. Les privatisations les plus significatives ont concerné la raffinerie de pétrole Tüpras, le producteur sidérurgique Erdemir ou la compagnie téléphonique Turk Telekom. Le secteur bancaire s'est considérablement renforcé et l'intermédiation financière s'est améliorée de manière substantielle.

La mise en place d'une économie de marché libre suppose aussi que le système juridique soit adapté, notamment en matière de droit de propriété. C'est globalement le cas en Turquie. Toutefois la Commission constate des difficultés dans la mise en oeuvre des nouvelles lois, par exemple au sein des juridictions commerciales.

À la suite des réformes structurelles et du processus de stabilisation macroéconomique, le climat des affaires et des investissements s'est progressivement amélioré. Néanmoins certains facteurs qui, du point de vue européen, perturbent le fonctionnement des marchés subsistent. C'est le cas en particulier des aides d'Etat. L'opacité qui règne en ce domaine pose des difficultés que souligne la Commission européenne.

De même, les conditions dans lesquelles sont passés les marchés publics sont encore sujettes à interrogation. Trop de dérogations subsistent qui permettent d'échapper aux rigueurs des modes de passation de marchés.

La Commission conclut que « certaines améliorations ont été apportées à la politique de concurrence mais, dans certains domaines, des insuffisances ont subsisté ou se sont aggravées ».

3) Les chapitres de négociations

Il n'est pas question de reprendre ici, dans le détail, l'ensemble des appréciations fournies par la Commission européenne sur chacun des chapitres de négociations, et ce d'autant plus que bon nombre de questions évoquées précédemment se retrouvent dans cet examen détaillé (15). On mentionnera simplement les conclusions formulées par la Commission en insistant sur quelques uns des chapitres qui posent des difficultés particulières.

a) Chapitres 1 à 4 : libre circulation des marchandises / libre circulation des travailleurs / droit d'établissement et libre prestation de services / libre circulation des capitaux

_ Chapitre 1 - Libre circulation des marchandises

Selon la Commission, les progrès ont été inégaux. Des améliorations ont été constatées notamment sur le plan de l'accréditation, de la normalisation et de l'évaluation de la conformité. Mais l'inventaire et la suppression des dispositions contraires aux principes généraux de la libre circulation des produits et de la reconnaissance mutuelle ne sont pas encore achevés. Des entraves techniques aux échanges subsistent.

_ Chapitre 2 - Libre circulation des travailleurs

Le constat de la Commission est sans ambages : « aucune avancée n'est à signaler en ce qui concerne l'accès au marché du travail ». Plusieurs lois, ainsi que le rôle des organisations professionnelles, limitent encore la libre circulation des travailleurs étrangers. La modernisation des services publics de l'emploi s'est, en revanche, poursuivie. Les quelques progrès limités qui ont été réalisés dans le cadre de ce chapitre portent, pour l'essentiel, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, processus qui n'en est cependant qu'à ses débuts.

_ Chapitre 3 - Droit d'établissement et libre prestation de services

Globalement, l'alignement sur l'acquis est limité. Aucun progrès n'a été réalisé, par exemple, en vue de libéraliser les services postaux et d'établir une autorité réglementaire indépendante. Dans le domaine des professions réglementées, des progrès réduits sont intervenus.

_ Chapitre 4 - Libre circulation des capitaux

Pour la Commission, des progrès « très limités » ont été réalisés. D'importantes restrictions existent concernant la circulation des capitaux, et notamment l'acquisition de biens immobiliers par des étrangers.

L'alignement de la législation en matière de systèmes de paiement est limité. En ce qui concerne la lutte contre le blanchiment de capitaux, cet alignement est incomplet. Les instances chargées de faire respecter la législation n'ont pas de véritables capacités pour engager de poursuites. La coopération entre les services et au plan international demeure insuffisante.

b) Chapitre 5 : marchés publics

Là encore, des progrès très limités ont été constatés dans le cadre de ce chapitre. Comme on l'a dit, le système de passation des marchés publics en Turquie est encore insuffisant notamment parce que certains secteurs économiques sont exclus du champ des mises en concurrence. Les structures administratives chargées d'intervenir dans le domaine des marchés publics sont trop faibles aujourd'hui. Ainsi l'autorité responsable des marchés publics n'est pas en mesure d'assurer une politique cohérente dans ce domaine.

c) Chapitres 6 à 9 : droit des sociétés / droit de la propriété intellectuelle / politique de la concurrence / services financiers

_ Chapitre 6 - Droit des sociétés

Des progrès limités ont été observés dans le cadre de ce chapitre, principalement en matière de comptabilité.

Si des normes comptables internationales ont été adoptées, elles ne sont pas juridiquement contraignantes pour la majorité des sociétés turques ; en outre, leur mise en œuvre n'est pas cohérente, selon le rapport de la Commission.

_ Chapitre 7 - Droit de la propriété intellectuelle

L'alignement de la législation turque dans le cadre de ce chapitre a déjà bien progressé. C'est l'un des domaines, important au regard de la question des contrefaçons, où la Commission européenne donne un certain satisfecit aux autorités turques.

Cependant aucune avancée supplémentaire n'a été réalisée pour augmenter le degré de convergence dans le domaine des droits d'auteur et des droits de propriété industrielle. Les capacités administratives ont été renforcées ; elles demeurent toutefois insuffisantes comme l'application effective de la législation. La coordination et la coopération entre les organes compétents - le ministère de la justice et le pouvoir judiciaire, la police, le ministère des finances, le sous-secrétariat aux douanes, les municipalités et les détenteurs de droits - doivent être davantage renforcées.

_ Chapitre 8 - Politique de concurrence

Les progrès accomplis sur le plan de la politique de concurrence depuis le rapport de 2005 sont mitigés, observe la Commission européenne. On a déjà évoqué ce constat dans la partie consacrée aux critères économiques du présent rapport.

La Commission constate que « le niveau d'alignement dans le domaine de la lutte contre les ententes est élevé » et que « l'autorité de concurrence a continué de jouer un rôle actif dans le contrôle des concentrations ». Cette autorité jouit de l'indépendance administrative et opérationnelle nécessaire pour jouer pleinement son rôle.

Comme on l'a déjà souligné, aucune avancée n'a été observée en ce qui concerne l'adoption de la législation en matière d'aides d'Etat ou la mise en place d'une autorité de contrôle de ces aides opérant en toute indépendance.

_ Chapitre 9 - Services financiers

La Turquie a accompli certains progrès dans ce chapitre. Une nouvelle loi bancaire a été adoptée. Dans le secteur des assurances et des retraites complémentaires, l'adoption de la législation appropriée sur la solvabilité représente également une amélioration. Dans l'ensemble, l'alignement de la législation sur les assurances est néanmoins limité. Les capacités de surveillance ne sont pas encore très étoffées, en particulier dans le secteur des assurances et en ce qui concerne les marchés des valeurs mobilières.

d) Chapitre 10 : société de l'information et médias

La Commission européenne constate que des progrès ont été accomplis dans le domaine des communications électroniques et des technologies de l'information.

Cependant on observe, par exemple, que la législation sur la cybercriminalité n'est pas alignée sur les exigences de l'acquis. Dans le domaine des médias et de la politique audiovisuelle, le niveau d'alignement est assez faible.

Malgré les progrès accomplis sur le plan législatif et l'entrée en vigueur du nouveau code pénal, le cadre juridique actuel ne garantit pas encore la liberté d'expression. La diffamation est une infraction pénale passible de peines d'emprisonnement. Par ailleurs, la nouvelle loi anti-terrorisme récemment adoptée par le Parlement turc élargit la gamme des délits assimilés à des actes de terrorisme et impose des contraintes aux médias d'information.

Comme on pu le souligner, des progrès ont été réalisés dans la diffusion d'émissions dans des langues autres que le turc au niveau local et régional. Cependant, ces émissions de télévision restent limitées à 45 minutes par jour et 4 heures par semaine. Les émissions de radio sont limitées, quant à elles, à 60 minutes par jour et 5 heures par semaine. Le conseil supérieur de la radio et de la télévision (RTÜK) a décidé en mai 2006 de lever ces restrictions à l'égard de la musique et des œuvres cinématographiques. Cependant, cette décision n'ayant pas été officiellement communiquée aux radiodiffuseurs, ces derniers n'ont pas osé dépasser les limites en usage précédemment par crainte de sanctions. Les programmes scolaires enseignant la langue kurde ou destinés aux enfants sont interdits, et les émissions doivent être sous-titrées en turc.

Au plan national, la société publique turque de radio et de télévision (TRT) diffuse des émissions en bosniaque, en arabe, en circassien, en kurmandji et en zaza (16). Ces émissions sont également limitées dans leur durée.

e) Chapitres 11 à 13 : agriculture / politiques vétérinaires, phytosanitaires et de la sécurité alimentaire / pêche

_ Chapitre 11 - Agriculture

L'alignement sur l'acquis reste, là encore, limité. De modestes progrès ont été observés dans le domaine du développement rural, mais des retards sont constatés dans l'adoption de la législation et des structures administratives nécessaires notamment à la mise en œuvre de la Politique agricole commune (PAC). La Commission européenne note aussi une tendance à un soutien accru à la production ce qui va à l'encontre des principes établis dans la réforme de la PAC de 2003. Elle conclut que « d'une manière générale, les travaux préparatoires n'en sont qu'à leurs débuts dans ce chapitre ».

_ Chapitre 12 - Politiques vétérinaire, phytosanitaire et de la sécurité alimentaire

Des progrès limités ont été constatés dans l'alignement des secteurs vétérinaire, phytosanitaire et alimentaire. Le cadre législatif et les structures administratives nécessaires à la mise en œuvre intégrale de l'acquis n'ont pas été mis en place. Les systèmes de contrôle restent faibles. Les principales difficultés se situent dans le secteur vétérinaire, en particulier en ce qui concerne l'éradication et le contrôle des maladies animales.

_ Chapitre 13 - Pêche

Le rapport de la Commission européenne est sans appel : « La Turquie n'a fait aucun progrès dans le secteur de la pêche ».

f) Chapitres 14 et 15 : politique des transports / énergie

_ Chapitre 14 - Politique des transports

Certains progrès ont été accomplis dans le secteur des transports. L'alignement législatif est relativement avancé pour le transport routier ; il demeure inégal dans les autres domaines.

_ Chapitre 15 - Énergie

Des « progrès partiels » ont été réalisés dans le domaine de l'énergie. L'alignement sur l'acquis est globalement inégal. Une loi-cadre sur l'efficacité énergétique doit être élaborée. Dans ce domaine, comme dans la plupart des autres, il importe de renforcer la capacité administrative et l'indépendance des organes de régulation.

g) Chapitres 16 à 18 : fiscalité / Union économique et monétaire / statistiques

_ Chapitre 16 - Fiscalité

Dans le domaine fiscal, les progrès sont modestes. Le régime fiscal turc est en partie aligné sur l'acquis communautaire, mais des efforts supplémentaires sont nécessaires, en particulier en ce qui concerne la portée et les taux de TVA, la structure et les taux des droits d'accise ainsi que la fiscalité directe en général. Tous les aspects discriminatoires de la taxation des produits du tabac et des boissons alcooliques doivent être supprimés rapidement.

_ Chapitre 17 - Union économique et monétaire

La Turquie a réalisé des progrès dans le domaine de l'Union économique et monétaire. Toutefois, l'indépendance de la banque centrale n'est pas totale ; la législation visant à empêcher le financement monétaire du secteur public et celle interdisant l'accès privilégié des autorités publiques aux institutions financières ne sont pas conformes à l'acquis.

_ Chapitre 18 - Statistiques

La Turquie a réalisé quelques progrès dans l'utilisation des nomenclatures et la mise à disposition de statistiques sectorielles. La nouvelle loi statistique constitue un pas important vers l'harmonisation. Un alignement général n'est cependant pas encore atteint.

h) Chapitre 19 : emploi et affaires sociales

La Turquie a peu progressé dans l'alignement de sa législation sur l'acquis dans le chapitre 19. Certains progrès ont, certes, été observés en matière de protection sociale et dans l'application de la nouvelle loi sur les personnes handicapées. Mais, comme on l'a déjà indiqué, la garantie du respect de droits syndicaux pleins et entiers n'est pas assurée et la lutte contre le travail non déclaré est insuffisante.

i) Chapitres 20 à 22 : politique d'entreprise et politique industrielle / réseaux transeuropéens / politique régionale et coordination des instruments structurels

_ Chapitre 20 - Politique d'entreprise et politique industrielle

La Commission européenne souligne que, dans l'ensemble, la Turquie a accompli des progrès satisfaisants dans ce domaine, notamment pour ce qui concerne les démarches juridiques nécessaires à la création d'une agence de soutien et de promotion de l'investissement, ainsi qu'en matière de privatisation, de programmation stratégique et d'alignement de la définition des PME sur l'acquis. Le pays est parvenu à un alignement raisonnable sur l'acquis dans ce chapitre.

_ Chapitre 21 - Réseaux transeuropéens

Des progrès limités ont été enregistrés et l'alignement de la Turquie dans ce domaine n'en est qu'à un stade relativement peu avancé.

_ Chapitre 22 - Politique régionale et coordination des instruments structurels

Des progrès ont été réalisés dans l'alignement du cadre législatif et dans la définition des structures locales chargées de l'application de la politique régionale. Le rôle et le fonctionnement de ces agences doivent toutefois faire l'objet d'une attention particulière, selon la Commission européenne. De manière générale, le niveau d'alignement de la Turquie sur l'acquis est faible dans ce domaine.

j) Chapitres 23 et 24 : pouvoir judiciaire et droits fondamentaux / justice, liberté et sécurité

_ Chapitre 23 - Pouvoir judiciaire et droits fondamentaux

La question de la justice a déjà été évoquée dans la partie relative aux critères politiques de Copenhague. Ajoutons néanmoins que l'examen critique des progrès accomplis ou non par la Turquie dans ce chapitre fondamental est l'un des plus importants développement du rapport de suivi de la Commission européenne.

Cette dernière conclut son analyse très détaillée en observant que la mise en œuvre de la législation déjà adoptée a continué de progresser. Mais des défis restent à relever pour faire en sorte que « le système judiciaire fonctionne d'une façon indépendante, impartiale et efficace ».

La Commission ne manque pas de souligner que des inquiétudes subsistent en ce qui concerne la perception de l'indépendance du pouvoir judiciaire, notamment l'influence exercée par les organismes publics. Elle estime que des efforts s'imposent pour garantir l'égalité des armes entre l'accusation et la défense devant les tribunaux.

Si quelques progrès ont été réalisés en matière de lutte contre la corruption, notamment en faveur du renforcement de la transparence dans l'administration publique, ce fléau reste très répandu, tandis que l'action des instances chargées de la lutte contre la corruption et les mesures prises en la matière restent insatisfaisantes.

En matière de droits fondamentaux, des progrès limités ont été réalisés sur le plan législatif, tandis que la mise en œuvre des réformes décidées les années précédentes s'est poursuivie. Selon la Commission européenne, « la Turquie doit améliorer sensiblement la situation des droits fondamentaux dans plusieurs domaines et s'efforcer de résoudre les problèmes auxquels les minorités sont confrontées ».

_ Chapitre 24 - Justice, liberté et sécurité

Pour ce qui est des frontières extérieures et « l'acquis Schengen », quelques progrès ont été réalisés. Un plan d'action national pour la mise en œuvre de la stratégie turque de gestion intégrée des frontières a été adopté en mars 2006. Il constitue une avancée vers l'alignement sur les normes de l'Union européenne. Un certain nombre d'insuffisances graves subsistent toutefois. La coopération entre les différentes administrations concernées n'en est qu'à un stade très peu avancé ; la délimitation des attributions mériterait d'importantes améliorations.

En ce qui concerne les migrations, seuls des progrès limités ont été observés. Le plan d'action relatif à l'asile et aux migrations est en cours de mise en œuvre. Il ne fournit toutefois aucun détail concernant les délais de transposition de l'acquis ni ne prévoit l'amélioration des capacités administratives, notamment par la création d'une instance spécialisée.

Les négociations relatives à la conclusion d'un accord de réadmission avec la Communauté européenne se sont lentement poursuivies. La Turquie doit sensiblement accroître ses efforts si elle souhaite que ces négociations se clôturent avec succès dans les délais.

Quelques avancées ont été enregistrées en matière de coopération policière ; la lutte contre la criminalité organisée a progressé de manière limitée. La Turquie est partie à l'ensemble des principales conventions internationales relatives à la coopération policière et sa contribution à la coopération policière internationale, notamment avec les Etats membres de l'Union européenne, est jugée globalement satisfaisante.

Les progrès ont continué dans le domaine de la traite des êtres humains. Le gouvernement a maintenu sa coopération dans ce domaine avec l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Des avancées limitées ont été observées en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux. L'alignement sur les instruments internationaux reste lacunaire. La Turquie n'a pas signé la convention du Conseil de l'Europe sur le blanchiment, la recherche, la saisie et la confiscation des produits du crime.

Dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, la Turquie, qui a été souvent touchée par des attentats meurtriers, a signé la convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire et la convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme. Un conseil suprême de lutte contre le terrorisme, composé de toutes les institutions concernées, a été établi. Il est chargé de prendre les mesures nécessaires pour lutter contre le terrorisme et d'élaborer des recommandations qui seront formulées par le conseil des ministres. Une loi relative à la lutte antiterroriste a été adoptée en juillet 2006, qui prévoit une définition bien plus large des notions d'acte de terrorisme et de terroriste. Elle renforce les sanctions applicables aux infractions commises à des fins terroristes et qualifie d'infraction le financement du terrorisme, tout en restreignant les droits de la défense.

En matière de lutte contre la drogue, les progrès enregistrés sont restreints. La Turquie n'a encore adopté aucune stratégie nationale conforme à la stratégie et au plan d'action antidrogue arrêtés par l'Union européenne pour la période 2005-2012. Le trafic de drogue reste un sujet de préoccupation.

Des progrès restreints ont été observés dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale et civile.

Sur ce volet important de l'acquis, la Commission européenne conclut que « globalement, quelques progrès ont été constatés, notamment dans les domaines de l'asile, de la gestion des frontières, de la lutte contre la traite des êtres humains et de la coopération douanière et policière. L'alignement sur l'acquis relatif au présent chapitre est en cours, mais des efforts considérables et durables sont nécessaires en ce qui concerne les migrations, la lutte contre la criminalité organisée, le blanchiment de capitaux et la coopération judiciaire en matière civile et pénale. »

k) Chapitres 25 et 26 : science et recherche / éducation et culture

_ Chapitre 25 - Science et recherche

On sait que ce chapitre est le seul qui a été ouvert à la négociation pour l'heure et clos provisoirement. Il est vrai que l'acquis est peu important en ce domaine. Le rapport de la Commission constate que quelques nouveaux progrès ont été réalisés, notamment en ce qui concerne la participation aux programmes de recherche de l'Union européenne et les crédits budgétaires nationaux. « D'une manière générale, la Turquie est bien préparée à l'adhésion dans le domaine de la science et de la recherche et est assez avancée dans la conception et l'application d'une stratégie de recherche intégrée. »

_ Chapitre 26 - Education et culture

Nous avons évoqué la question de la prise en considération des critères politiques pour la négociation de ce chapitre. Dans son rapport, la Commission européenne est fidèle à sa position, contestée par la France, selon laquelle de tels critères, pourtant essentiels, ne doivent pas être pris en compte.

Elle constate que d'importants progrès ont été accomplis dans le domaine de l'éducation, de la formation et de la jeunesse. La Turquie a participé avec profit aux programmes communautaires Socrates, Leonardo da Vinci, et Youth. Une campagne éducative destinée aux jeunes filles a remporté un certain succès ce dont il faut se réjouir.

La Commission conclut que l'alignement est presque achevé. De manière générale, la Turquie est bien préparée à l'adhésion dans ce domaine. Elle doit néanmoins poursuivre les efforts entamés conformément à la stratégie de Lisbonne, en particulier en matière d'apprentissage tout au long de la vie.

Il est certain que si l'on tenait compte des critères politiques pour ce chapitre, pour lequel l'acquis à intégrer est modeste, l'appréciation serait moins favorable.

l) Chapitres 27 et 28 : environnement / protection des consommateurs et de la santé

_ Chapitre 27 - Environnement

À l'exclusion de la gestion des déchets et du bruit, le niveau général de transposition de l'acquis environnemental reste faible. L'absence de progrès en matière de législation horizontale, notamment sur les questions transfrontalières et les mécanismes de consultation publique, est de plus en plus préoccupante. La transposition de l'acquis communautaire a peu progressé dans le domaine de la qualité de l'air, de la protection de la nature et de la qualité de l'eau. Lorsqu'elle sera appliquée, la nouvelle loi sur l'environnement permettra de renforcer les capacités institutionnelles. Le bilan en matière d'application de la législation reste limité.

_ Chapitre 28 - Protection des consommateurs et de la santé

Aucun nouveau progrès n'a été enregistré dans l'alignement de la législation relative à la sécurité des produits. Des progrès ont, en revanche, été observés en matière de protection des consommateurs. Le niveau d'application reste toutefois faible. La Turquie a réalisé des réformes en matière de santé publique, en particulier grâce à la création d'un réseau de surveillance épidémiologique et de contrôle des maladies transmissibles.

m) Chapitre 29 : union douanière

L'union douanière a préparé la Turquie à un haut degré d'alignement dans le domaine des douanes. Toutefois, sur certaines questions précises, comme les zones de libre échange, les allègements tarifaires, la lutte contre la contrefaçon et le contrôle a posteriori, la législation n'est pas encore conforme. La Turquie doit supprimer les boutiques hors taxe aux points d'entrée sur son territoire. Elle doit aussi faire des efforts supplémentaires pour renforcer sa capacité administrative, notamment en ce qui concerne la préparation et le fonctionnement, dans les temps, de l'interconnexion de ses systèmes informatiques avec ceux de la Communauté.

n) Chapitres 30 et 31 : relations extérieures / politique étrangère, de sécurité et de défense

_ Chapitre 30 - Relations extérieures

La Turquie a fait quelques progrès en ce qui concerne la politique commerciale commune. Elle a modifié son système de préférences généralisées (SPG) comme prévu dans le partenariat pour l'adhésion. La Turquie a fait un usage plus fréquent des mesures de sauvegarde en imposant des mesures sur certains produits qui frappent aussi les exportations de l'Union européenne. Cela n'est pas compatible avec les règles de l'union douanière qui veulent que l'on choisisse les mesures les moins à même de fausser les échanges mutuels.

De manière générale, le rapprochement de la Turquie de la politique commerciale commune de la Communauté européenne est avancé et conforme aux obligations de l'union douanière.

Quelques progrès ont été enregistrés en ce qui concerne les accords bilatéraux avec des pays tiers. La Turquie a conclu un accord de libre-échange avec l'Égypte. Celui conclu avec le Maroc est entré en vigueur. Les négociations avec l'Albanie ont été achevées. La Turquie a poursuivi ses négociations en vue de la conclusion d'un accord de libre-échange avec le Conseil de coopération du Golfe (CCG (17)), la Jordanie et le Liban.

Des progrès ont été réalisés dans le domaine de la politique de développement et de l'aide humanitaire. En 2005, la Turquie a distribué 500 millions d'euros d'aide publique au développement. Les principaux bénéficiaires ont été le Kirghizstan, le Kazakhstan, l'Azerbaïdjan, le Turkménistan et le Kosovo. Ces efforts sont considérés comme allant dans le sens d'un rapprochement avec la politique de l'Union en la matière.

_ Chapitre 31 - Politique étrangère, de sécurité et de défense

La Commission constate que la Turquie a, pour l'essentiel, continué à aligner sa politique étrangère et de sécurité sur celle de l'Union européenne. La Turquie a montré tout son intérêt pour la mise en place de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Elle participe aux missions de police menées sous l'égide de l'Union en Bosnie-et-Herzégovine (MPUE), dans l'ancienne République yougoslave de Macédoine (Proxima) et en République démocratique du Congo (EUROPOL KINSHASA). Elle continue aussi de participer à plusieurs missions de maintien de la paix engagées par les Nations unies et l'OTAN dans les Balkans. Après avoir contribué aux missions de la FORPRONU, de l'IFOR, de la KFOR et de la SFOR, elle prend part, depuis décembre 2004, à la mission EUFOR-ALTHEA.

Certaines difficultés demeurent cependant. La Turquie s'est opposée à ce que la république de Chypre et Malte soient associées à la coopération stratégique entre l'Union européenne et l'OTAN. Ce n'est pas le seul exemple d'opposition de la Turquie à l'adhésion de Chypre à des structures de défense, ce qui n'est pas acceptable.

La Turquie a adhéré à la plupart des régimes internationaux existants visant à la non prolifération des armes de destruction massive, en particulier au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et à son protocole additionnel. Elle a déclaré s'être alignée sur le code de conduite de l'Union européenne en matière d'exportations d'armes, bien qu'elle n'ait adressé aucune notification officielle concernant une décision du gouvernement à cet égard.

Pour ce qui est de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), l'alignement global de la Turquie sur les sanctions, les mesures restrictives, les déclarations et les démarches de l'Union européenne s'est poursuivi. La Turquie soutient le processus de paix au Moyen-Orient. Elle a déclaré, en février 2006, qu'elle souscrivait aux objectifs énoncés dans la position commune de l'Union européenne relative à l'application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme et qu'elle veillerait à ce que ses politiques nationales soient conformes à cette position commune. Le Hamas figure sur la liste présentée dans ce document. La Turquie a indiqué qu'elle souhaitait participer à la mission de police de l'Union européenne pour les territoires palestiniens ainsi qu'à des opérations de police et à d'autres opérations menées dans ces territoires dans le cadre de la PESD.

Selon la Commission européenne, les relations avec la Syrie ont continué à se développer de façon positive. La Turquie s'est efforcée de convaincre les responsables syriens de répondre positivement aux demandes de la communauté internationale, en particulier celles concernant l'enquête de la Commission des Nations unies sur l'assassinat de Rafic Hariri, telles qu'exprimées dans la résolution 1636 des Nations unies. En septembre, le Parlement a adopté la motion gouvernementale sur la participation de troupes turques à la mission FINUL au Liban.

La Turquie a pris des initiatives concrètes pour promouvoir la stabilité en Irak en facilitant le dialogue entre les autorités américaines et les arabes sunnites. Elle a fait valoir qu'il existe un lien direct entre l'escalade récente de la violence dans le sud-est de la Turquie, l'augmentation des affrontements entre les forces armées turques et le PKK, et l'« infiltration de membres du PKK » à partir de la frontière irakienne. Des troupes ont été déployées en nombre le long de la frontière irakienne afin d'empêcher le passage de terroristes venant du nord de l'Irak.

Les responsables turcs ont encouragé l'Iran à se conformer aux exigences de la communauté internationale. La Turquie a soutenu les efforts de l'Union européenne visant à obtenir des garanties à long terme sur le respect, par l'Iran, du traité de non-prolifération nucléaire et de son accord de sauvegardes nucléaires avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

La Turquie continue à soutenir résolument le « processus de Bonn » pour la reconstruction de l'Afghanistan. Elle a assumé, en alternance avec la France et l'Italie, la direction conjointe du commandement régional à Kaboul à compter d'août 2006.

En revanche, et c'est un point moins satisfaisant, depuis l'échange officiel de lettres entre le Premier ministre turc et le Président arménien en avril 2005, il ne s'est pas produit d'évolution significative des relations avec l'Arménie. La Turquie n'a pas ouvert sa frontière avec ce pays. Pour la Commission européenne, cette ouverture marquerait une avancée importante pour l'établissement de relations de bon voisinage et offrirait des avantages pour les deux pays, en particulier du point de vue du commerce.

La Turquie, en revanche, a aligné plus étroitement sa position officielle sur les positions de l'Union européenne concernant le Caucase du sud et l'Asie centrale. Elle a réitéré son soutien à la politique européenne de voisinage. Elle participe à l'initiative régionale GUAM (Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan et Moldova) avec le statut d'observateur. Elle a suivi de près les élections en Azerbaïdjan. Elle s'est alignée sur la déclaration faite par la présidence de l'Union européenne le 10 novembre 2005 au sujet des élections en Azerbaïdjan.

L'examen de ce chapitre est important, car il montre qu'au-delà des difficultés que rencontrent la Turquie et l'Union européenne sur de nombreux sujets, les questions d'intérêt stratégique nous réunissent, que ce soit pour la lutte contre le terrorisme, la recherche d'une solution au Proche-Orient. C'est ce qui milite pour que, malgré les vicissitudes, les liens avec ce pays important qu'est la Turquie ne se distendent pas.

o) Chapitres 32 et 33 : contrôle financier / dispositions financières et budgétaires

_ Chapitre 32 - Contrôle financier

Dans l'ensemble, certains progrès ont été accomplis dans le présent chapitre. Bien que certaines des structures administratives en cause ainsi que les dispositions d'application soient en place, la Turquie doit renforcer ses efforts afin de rendre pleinement opérationnelle la loi sur la gestion et le contrôle des finances publiques. La Turquie doit aussi mettre sur pied les autorités nécessaires pour assurer la coopération avec l'Office européen antifraude ainsi qu'avec les services compétents de la Commission chargés de la protection de l'euro contre les contrefaçons.

_ Chapitre 33 - Dispositions financières et budgétaires

Bien que l'acquis dans ce domaine ne nécessite pas de transposition, la Turquie devra, selon la Commission, mettre sur pied en temps utile les structures de coordination et les règles de mise en œuvre pour assurer le calcul, la collecte, le versement et le contrôle adéquat des ressources propres.

D - Comment la Turquie peut-elle négocier avec l'Union en refusant de reconnaître l'un de ses membres ?

Comme le rappelle la Commission européenne dans son rapport de suivi, « dans le cadre des négociations (...), il est attendu de la Turquie qu'elle continue à soutenir les efforts déployés en vue d'atteindre une solution globale au problème chypriote dans le cadre des Nations unies et conformément aux principes sur lesquels se fonde l'Union, tout en contribuant à instaurer un climat plus propice à un règlement global. Elle doit aussi mettre pleinement en œuvre le protocole adaptant l'accord d'Ankara à l'adhésion des dix nouveaux Etats membres, dont Chypre, et normaliser les relations bilatérales entre la Turquie et tous les Etats membres de l'Union européenne, dont la République de Chypre, dans les meilleurs délais ».

On sait que la question chypriote est une pierre d'achoppement dans les négociations entre l'Union européenne et la Turquie. Cette dernière n'a pas cherché à l'éviter.

1) Bref rappel sur la question chypriote

Il n'est pas question de revenir ici sur le détail de la question chypriote mais simplement de rappeler quelques éléments de contexte qui permettent de mieux comprendre à la fois la situation de blocage dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui et la décision que le Conseil européen pourrait prendre en décembre 2006 face à l'intransigeance turque sur l'application de l'union douanière à la République de Chypre. (18)

Depuis 1974, date de l'invasion par l'armée turque de la partie nord-est de l'île à la suite du coup d'Etat fomenté par des officiers grecs à Chypre, celle-ci est divisée en deux parties par la « ligne verte » (ou « ligne Attila », selon les Turcs) qui divise également sa capitale, Nicosie. La République de Chypre, dont la souveraineté s'étend, en droit, sur la totalité de l'île est le seul Etat internationalement reconnu. Elle est membre de l'Union européenne depuis 2004.

La partie nord de l'île, occupée militairement par la Turquie, s'est constituée en République turque de Chypre du Nord (RTCN) en 1983. Elle n'est reconnue que par la Turquie.

La question chypriote a été gérée par l'ONU dès l'origine, sans grand succès d'ailleurs, si ce n'est le maintien d'un statu quo grâce à la présence des forces de la FNUCHYP (UNFICYP en anglais) depuis 1964, présence qui a permis d'éviter des affrontements sanglants. C'est à la demande du Conseil de sécurité que le Secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan, s'est engagé en 2003 dans une mission de bons offices pour tenter de trouver une solution à la partition de fait de l'île.

M. Annan a proposé un plan qui n'a pas été avalisé par l'ONU, la France, la Russie et la Chine ayant refusé de l'adopter. Lors du référendum du 24 avril 2004 sur ce plan de réunification de l'île, 65 % des Chypriotes turcs ont voté en faveur de cette solution, les Chypriotes grecs s'y opposant pour 75 % d'entre eux.

On a pu alors avoir le sentiment que la Communauté grecque s'enfermait dans une position intransigeante, refusant finalement de régler la question de la partition de l'île avant l'entrée de la République de Chypre dans l'Union européenne. Les responsables de la Communauté turque et les autorités d'Ankara n'ont pas manqué d'arguer du refus du plan Annan pour montrer leur bonne volonté et rejeter la responsabilité du blocage sur la partie grecque.

La réalité est évidemment plus nuancée. L'ambassadeur de la République de Chypre, que le groupe de suivi a entendu le 15 novembre 2006, a fait état de la position de son pays. Il justifie le rejet de ce plan au motif qu'il n'aurait aucunement permis de réunifier l'île dans les faits. Selon lui, non seulement il laissait l'armée et les colons turcs se maintenir à Chypre mais organisait un système non viable pour un territoire si petit puisqu'il prévoyait la coexistence de deux banques centrales, de deux systèmes économiques. Ce plan prévoyait également la création d'une cour suprême de neuf juges (trois Chypriotes grecs, trois Chypriotes turcs et trois étrangers dont un Britannique) qui aurait pu imposer ses vues aux pouvoirs législatif et exécutif en cas de désaccord. Pour les autorités chypriotes cela ne paraissait pas acceptable.

Comme l'observe M. Christian Philip dans son rapport remis à la Délégation pour l'Union européenne : « Certains soupçonnent même les Etats-Unis et le Royaume-Uni d'avoir pressé l'ONU de présenter un plan déséquilibré en faveur des Chypriotes turcs, pour dédouaner la Turquie de la responsabilité du blocage et faciliter la décision de l'Union européenne d'ouvrir les négociations d'adhésion avec la Turquie ».

La question de la réunification de l'île n'est pas à proprement parler au cœur du processus européen de négociation avec la Turquie. Elle relève toujours du Conseil de sécurité qui intervient sur ce dossier en application du chapitre VI de la Charte des Nations unies relatif au règlement pacifique des différends.

Néanmoins, beaucoup espèrent que les négociations européennes aideront la Turquie et Chypre à ouvrir un dialogue direct qui leur permettra de trouver une solution à cette division de l'île. On peut apprécier cette situation de deux manières :

- soit on considère qu'effectivement la Turquie et Chypre seront contraintes, à plus ou moins long terme, de se parler directement puisque les négociations d'adhésion imposent des pourparlers d'Etats à Etats, même si les institutions communautaires comme la Commission et le Conseil interviennent. Le processus européen serait alors un catalyseur pour qu'une solution puisse ensuite être trouvée dans le cadre de l'ONU ;

- soit on estime, au contraire, que l'entrée de Chypre dans l'Union européenne a été, sinon une erreur, du moins une décision lourde de conséquences, dans la mesure où l'on a transigé avec le principe selon lequel les pays candidats devaient avoir réglé leurs problèmes de frontières avant d'espérer rejoindre l'Union. Dès lors, « importer » dans le processus de négociation avec la Turquie la question chypriote risque de créer des tensions telles qu'il serait impossible d'aborder sereinement la candidature turque.

On doit constater qu'aujourd'hui, le second pan de l'alternative semble l'emporter, pour l'essentiel en raison de l'intransigeance de la Turquie. Mais rien ne dit qu'à plus long terme, cette logique prévale.

2) L'affaire du protocole à l'accord d'Ankara

Lorsque les dix nouveaux Etats membres ont adhéré à l'Union, il a fallu qu'ils deviennent également parties à l'accord d'association qui lie la Communauté européenne à la Turquie depuis 1963 : c'est l'accord dit d'Ankara. Un protocole a donc été négocié et signé par la Turquie le 1er juillet 2005. Celle-ci avait cependant jugé bon de préciser que cette signature ne valait pas reconnaissance de la République de Chypre.

Les pays membres de l'Union européenne ont répondu à cette prise de position paradoxale de la Turquie. Ce fut la déclaration du 21 septembre 2005.

Déclaration du Conseil de l'Union européenne - 21 septembre 2005

"1. La Communauté européenne et ses États membres prennent acte de la signature par la Turquie du protocole additionnel à l'accord établissant une association entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la Turquie, d'autre part, conformément aux conclusions du Conseil européen de décembre 2004. Ils regrettent que la Turquie ait estimé nécessaire de faire une déclaration concernant la République de Chypre au moment de la signature.

2. La Communauté européenne et ses États membres précisent que cette déclaration de la Turquie est unilatérale, ne fait pas partie du protocole et n'a pas d'effet juridique sur les obligations incombant à la Turquie en vertu dudit protocole.

3. La Communauté européenne et ses États membres escomptent une mise en œuvre complète et non discriminatoire du protocole additionnel, ainsi que la suppression de tous les obstacles à la libre circulation des marchandises, y compris la levée des restrictions imposées aux moyens de transport. La Turquie doit appliquer sans réserve le protocole à l'ensemble des États membres de l'Union européenne. Celle-ci suivra attentivement la situation et procédera en 2006 à une évaluation afin d'apprécier si le protocole est mis en œuvre complètement. La Communauté européenne et ses États membres soulignent que l'ouverture de négociations sur les chapitres pertinents dépend du respect par la Turquie de ses obligations contractuelles à l'égard de tous les États membres. Le non-respect par la Turquie de l'ensemble de ses obligations pèsera sur l'avancement général des négociations.

4. La Communauté européenne et ses États membres rappellent que la République de Chypre est devenue un État membre de l'Union européenne le 1er mai 2004. Ils soulignent qu'ils ne reconnaissent que la République de Chypre comme sujet de droit international.

5. La reconnaissance de tous les États membres est une composante nécessaire du processus d'adhésion. En conséquence, l'Union européenne insiste sur l'importance qu'elle attache à une normalisation aussi rapide que possible des relations entre la Turquie et tous les États membres de l'Union européenne.

6. Le Conseil assurera en 2006 un suivi des progrès réalisés sur l'ensemble des sujets précités.

7. Dans le cadre de la présente déclaration, la Communauté européenne et ses États membres sont d'accord pour estimer qu'il importe de soutenir les efforts déployés par le Secrétaire général des Nations unies pour parvenir à un règlement global du problème chypriote conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l'ONU et aux principes sur lesquels est fondée l'Union européenne et qu'un règlement juste et durable contribuera à la paix, à la stabilité et à l'établissement de relations harmonieuses dans la région."

Cette déclaration a été perçue comme une manifestation de fermeté de la part de l'Union européenne vis-à-vis de la Turquie ; c'est effectivement le cas.

La question est en fait double.

D'un point de vue juridique, la Turquie doit ratifier le protocole, ce qui suppose un vote de son Parlement. Il ne semble pas le Gouvernement Erdogan soit en mesure d'obtenir un tel assentiment de la part de la Grande Assemblée nationale de Turquie.

D'un point de vue plus pragmatique, la Turquie pourrait faire un pas en acceptant que ses ports et aéroports soient ouverts non seulement aux navires et avions chypriotes mais aussi à ceux qui se contentent de transiter par Chypre. Cette solution ne serait pas totalement satisfaisante sur le plan des principes mais constituerait une première marque d'ouverture. Or, au moment où s'écrivent ces lignes, la Turquie s'y refuse toujours.

La Présidence finlandaise a cherché assez habilement, mais malheureusement en vain, à faire progresser la situation en proposant une solution provisoire mais avec des conséquences tangibles qui aurait permis une avancée sans qu'aucune des parties ne semble se soumettre à la volonté de l'autre.

Elle suggérait que la Turquie évacue Varosha, cette ville occupée par l'armée turque mais qui n'a jamais à proprement parler été colonisée. La force des Nations unies en aurait pris le contrôle.

En contrepartie, la République de Chypre aurait pu autoriser temporairement - pour deux ans - l'ouverture du port de Famagouste, qui aurait été administré par l'Union européenne, et le passage par celui-ci de marchandises en provenance de la partie Nord de l'île et destinées à l'exportation. Actuellement un tel commerce est impossible faute de l'accord des autorités chypriotes.

De son côté, la Turquie aurait ouvert ses ports et aéroports de manière provisoire.

Les propositions de la Présidence finlandaise conduisaient finalement à lier la question de l'application du protocole sur l'union douanière au problème de l'isolement du nord de Chypre, ce à quoi l'Union européenne s'était toujours refusée jusqu'alors. Au nom d'un certain pragmatisme, les Etats membres étaient prêts à se résoudre à cette solution. La République de Chypre, concernée au premier chef, a adopté une position assez ouverte.

Comme l'indique le rapport précité de M. Christian Philip :

"Le Président Papadopoulos a indiqué la position de la République de Chypre sur la proposition finlandaise en soulignant les points suivants :

- cette proposition établit un lien entre les obligations de la Turquie vis-à-vis de l'Union européenne et la situation à Chypre, mais nul ne peut exiger de la République de Chypre qu'il le soit officiellement, car ce n'est pas à Chypre d'assumer le poids des engagements de la Turquie vis-à-vis de l'Union européenne ;

-  le transfert de Varosha à l'ONU ne présente pas d'intérêt si la restitution de cette ville à ses citoyens n'est pas clairement prévue ;

-  une solution pourrait consister à transférer Varosha à la FNUCHYP et à charger l'ONU de restituer leur propriété aux habitants légitimes, à ne pas autoriser de présence immédiate des habitants durant la période de 18 mois à 2 ans nécessaire à la remise en état des infrastructures et des bâtiments et à prévoir l'application des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme sur la restitution des propriétés à Varosha ;

-  toute tentative d'établir un lien entre la restitution de Varosha et l'ouverture de l'aéroport d'Ercan aux vols directs ne serait pas conformes aux accords Denktash-Kyprianou de 1979 et à la résolution 550 du Conseil de Sécurité des Nations unies qui donnent la priorité à Varosha ;

- toute tentative de renvoyer la question de Varosha à un règlement final dans le cadre de l'ONU, comme le souhaite la Turquie, ne respecterait pas le principe selon lequel l'ouverture des aéroports relève de la souveraineté de Chypre et le contrôle de l'espace aérien ne relève pas de l'ONU.

Chypre serait d'accord avec la proposition finlandaise qui s'inspire largement des propositions qu'avait faites le Président Papadopoulos, à la double condition que :

- d'une part, un lien ne soit pas établi entre le retour de Famagouste à Chypre, lié uniquement au commerce direct, avec les obligations de la Turquie à l'égard de l'Union européenne sur l'application du protocole à l'accord d'Ankara ;

- d'autre part, qu'un retour de Famagouste à ses habitants légaux soit prévu dans un délai fixe. "

Mais la Turquie a opposé, en tout état de cause, une fin de non-recevoir à ces propositions. Les autorités turques ont refusé de se rendre au rendez-vous proposé par la présidence les 5 et 6 novembre 2006. Le Premier ministre Erdogan a même qualifié la proposition finlandaise de rumeur sur laquelle il ne pouvait pas se prononcer.

Le 14 novembre 2006, le Conseil des ministres de l'Union a souhaité laisser à la Turquie un dernier délai de répit, de deux semaines. Faute de voir la Turquie accepter la moindre concession, la Présidence finlandaise, qui s'était beaucoup investie sur ce dossier, a dû renoncer. Le 27 novembre 2006, après deux réunions distinctes du Ministre des Affaires étrangères finlandais et de ses homologues turc et chypriote, la présidence a constaté que les conditions n'étaient pas réunies pour un accord avant le 31 décembre 2006.

3) La reconnaissance de la République de Chypre par la Turquie : une exigence

L'exercice qui consiste à essayer de renouer le dialogue entre Chypre et la Turquie est utile et même nécessaire. Le pragmatisme des propositions finlandaises n'est pas critiquable. Il faut avoir de la question une vision réaliste. Politiquement, aucun gouvernement turc ne peut, en l'état, reconnaître la République de Chypre ex abrupto. Cette décision qui sera lourde à prendre pour Ankara devra être précédée de progrès, de gestes, de concessions mutuelles. C'est dans l'intérêt de Chypre et de la Turquie.

Pourtant, cette situation dans laquelle un pays candidat refuse de reconnaître celui avec qui il négocie néanmoins ne pourra durer très longtemps. Ce qu'on pourrait qualifier de « comédie diplomatique » si la question n'était si sérieuse ne cessera de perturber les relations entre l'Union et la Turquie, au détriment de tous.

C'est pourquoi il faut que les Européens demeurent très fermes sur ce sujet et fidèles à la déclaration du 21 septembre 2005. La reconnaissance de la République de Chypre par la Turquie ne sera pas l'aboutissement des négociations mais bien la condition de cet aboutissement. Elle devra intervenir dans les plus brefs délais.

4) Les conséquences naturelles de l'intransigeance turque sur la question chypriote : la suspension de huit chapitres

Le 29 novembre 2006, la Commission européenne a recommandé le gel des négociations pour huit chapitres en lien avec la question de l'union douanière (19). La France aurait souhaité, semble-t-il, qu'un autre chapitre soit suspendu (droit de la propriété intellectuelle). Le Royaume-Uni aurait voulu que seulement trois d'entre eux le soient. Ce n'est pas l'essentiel.

Même si Chypre a exprimé une forme de déception, estimant que cette proposition n'est pas assez ferme, et que la Turquie a jugé cette recommandation comme inacceptable, par la voix de son Premier ministre, le processus de négociation n'est pas interrompu mais ralenti.

C'est une proposition sage et équilibrée qui correspond à un niveau d'exigence vis-à-vis de la Turquie tout à fait proportionné à l'attitude de ce pays.

Le 11 décembre 2006, le Conseil des ministres examinera cette proposition. A moins que la Turquie ne fasse évoluer sa position d'ici là, on peut supposer que le Conseil suivra la recommandation de la Commission, le Conseil européen des 14 et 15 décembre 2006 n'ayant alors pas à se prononcer sur ce point.

Le Conseil européen examinera, en revanche, la question de la capacité d'absorption.

E - La capacité d'absorption en débat

Si la Turquie réussit à intégrer l'acquis communautaire dans les dix ou quinze ans qui viennent, son entrée dans l'Union n'ira pas de soi. Il faudra prendre également en considération la capacité de l'Union d'accueillir ce nouveau membre qui pourrait compter près de 90 millions d'habitants en 2025.

1) Une exigence française prise en considération de manière ambivalente par le Conseil et le Président de la Commission européenne

Le Conseil européen de Copenhague de 1993 a non seulement fixé les fameux critères que l'on connaît mais il a également fait référence à une notion, qui est, cette fois, de la responsabilité non plus du candidat mais de l'Union elle-même : la capacité de l'Union à assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne. C'est ce qu'on qualifie depuis de « capacité d'absorption ».

Depuis le rejet de la Constitution européenne et le débat important qui l'a précédé, la France n'a cessé d'appeler l'attention de ses partenaires sur la nécessité de ne pas mettre en danger, en raison d'une politique d'élargissement mal maîtrisée, la capacité de l'Union à maintenir la cohérence de son projet. Comme l'indique le ministère des Affaires étrangères, l'élargissement doit procéder d'un double effort :

- les candidats se préparent, en reprenant l'acquis communautaire et en remplissant les diverses conditions politiques et économiques qui leur ont été assignées ;

- de son côté, l'Union européenne doit s'adapter, de façon à pouvoir assimiler ses nouveaux membres tout en maintenant son élan.

Cette nécessaire adaptation doit permettre de s'assurer du soutien des peuples à la poursuite de l'élargissement. Il serait contraire aux intérêts à la fois de l'Union et de ceux qui aspirent à y entrer, de procéder autrement. La reconnaissance de l'importance de la capacité d'absorption est la clé du succès des futurs élargissements, pour le ministère des Affaires étrangères.

C'est bien à l'initiative de la France que le Conseil européen des 15 et 16 juin 2006 a appelé à la prise en considération de la capacité d'absorption lors de tout nouvel élargissement. Il a même donné un contenu à cette notion en évoquant la nécessité de voir l'Union capable de fonctionner politiquement, institutionnellement et financièrement. Selon les conclusions de la présidence du Conseil européen (voir ci-après), « le rythme de l'élargissement doit tenir compte de la capacité d'absorption de l'Union ».

Le Conseil européen a également décidé de se saisir de cette question en décembre 2006 et a demandé à la Commission européenne de lui remettre un rapport sur ce sujet afin d'éclairer ses débats.

Conseil européen de Bruxelles - 15 et 16 juin 2006

Conclusions de la Présidence

« 53. Le Conseil européen a réaffirmé qu'il respecterait les engagements pris et a souligné qu'il convenait de tout mettre en œuvre pour préserver la cohésion et l'efficacité de l'Union. Il importera à l'avenir de veiller à ce que l'Union soit en mesure de fonctionner politiquement, financièrement et institutionnellement lorsqu'elle s'élargit et d'approfondir encore le projet commun européen. En conséquence, le Conseil européen procédera, lors de sa réunion de décembre 2006, à un débat sur tous les aspects d'élargissements ultérieurs, y compris la capacité de l'Union d'absorber de nouveaux membres et les nouveaux moyens d'améliorer la qualité du processus d'élargissement, sur la base des expériences positives acquises jusqu'à présent. Il rappelle, à cet égard, que le rythme de l'élargissement doit tenir compte de la capacité d'absorption de l'Union. La Commission est invitée à fournir, au moment de la présentation de ses rapports annuels sur l'état du processus d'élargissement et de pré-adhésion, un rapport spécial sur tous les aspects qui ont trait à la capacité d'absorption de l'Union. Cette analyse spécifique devrait également porter sur la question de la perception actuelle et future de l'élargissement par les citoyens et tenir compte de la nécessité de bien expliquer le processus d'élargissement à la population de l'Union ».

Mais comme toujours lorsqu'il s'agit d'Europe, des nuances et une certaine prudence s'imposent. Les Vingt-cinq n'ont pas retenu, à proprement parler, la capacité d'absorption comme un nouveau critère d'adhésion à l'Union, afin de ne pas décourager les pays candidats. Le président de la Commission européenne José Manuel Barroso a ainsi déclaré à l'occasion de ce Conseil européen : « Nous avons conscience que l'élargissement préoccupe l'opinion publique européenne mais la capacité d'absorption ne sera pas un nouveau critère pour les pays candidats ». Le Président de la République a déclaré, pour sa part : « Nous ne voulions pas ajouter de nouvelles obligations aux pays candidats. Nous tenions juste à rappeler que l'Union est un contrat à deux partenaires. »

A l'évidence, il a fallu trouver un point d'équilibre entre les tenants d'une Europe sans cesse plus large : sous l'égide du Royaume-Uni (20), on trouve dans ce camp la plupart des dix nouveaux Etats membres mais aussi la Belgique, l'Irlande, la Suède et la Finlande. De l'autre côté, on trouve un petit groupe avec la France, l'Autriche, la Grèce, Chypre, plus réservé sur un processus d'élargissement non maîtrisé. L'Allemagne est ouverte à un élargissement de l'Union européenne aux Balkans mais plus prudente à propos de la Turquie, Mme Angela Merkel ayant rappelé encore récemment sa préférence pour la création d'un partenariat privilégié.

2) Une prise en compte encore trop timide par la Commission européenne

Le jour même de la remise du rapport de suivi sur la Turquie, la Commission a rendu publique une communication (21) sur la stratégie d'élargissement et les principaux défis pour 2006-2007. Ce document est en soi décevant car il n'apporte rien de très nouveau sur la question de l'élargissement. Il y est dit que l'Union a pris au sérieux les préoccupations concernant le rythme de l'élargissement, ce qui semble la moindre des choses. A ce sujet, il est plaisant de lire que « la Commission est prête à améliorer le flux d'informations objectives sous forme conviviale (sic) et à œuvrer avec les Etats membres et le Parlement européen à une communication plus efficace avec le public au sujet du processus d'élargissement » (22). On ne peut pas négliger la question de l'information du public et de la transparence du processus d'élargissement. La création du groupe de suivi de la Commission des Affaires étrangères répond aussi à une telle exigence. Pour autant, penser que la réussite du processus d'élargissement est conditionnée à la capacité de l'expliquer et de communiquer sur l'intérêt de cette démarche nous parait non seulement empreinte d'une forme de candeur mais plus encore révélatrice de la manière dont la Commission européenne envisage le débat démocratique. Les citoyens ne se contentent pas de répondre plus ou moins favorablement à un projet en fonction de la qualité du plan de communication qui l'accompagne. On peut supposer qu'ils se déterminent également en fonction des questions de fond : quelle est l'Europe qu'ils appellent de leurs vœux ? Avec quelles frontières ? Quelles politiques ? Quels partenaires ?

Cette communication de la Commission européenne était également attendue en raison de sa partie consacrée au critère d'absorption qui avait été demandé en juin 2006 par le Conseil européen. L'annexe 1 de la communication est intitulée Rapport spécial sur la capacité de l'Union européenne à intégrer de nouveaux membres. Le moins que l'on puisse observer, là encore, c'est que ce document ne contient rien de très original et n'apporte que peu d'éclairages sur cette notion.

La presse avait observé, en juin 2006, que la teneur de ce rapport inquiétait les nouveaux Etats membres et les pays candidats. « Faites-nous confiance », leur avait répondu M. José Manuel Barroso. « Le fait que ce soit la Commission qui rédige ce rapport est, en soi, une garantie pour vous. » (23) On peut affirmer, à la lecture de ce document, que cette promesse a été respectée.

*

*       *

Le bilan des négociations est assez simple à établir. La phase relative à l'examen analytique de l'acquis (« criblage » ou « screening ») a été achevée en octobre 2006. Un seul chapitre - celui consacré à la science et à la recherche - a été ouvert et provisoirement clôturé en juin 2006.

Les efforts engagés par la Turquie sont soutenus financièrement par l'Union européenne. En 2006, l'aide de préadhésion s'élèvera à 500 millions d'euros. Le montant total des prêts de la Banque européenne d'investissement (BEI) en Turquie s'élève aujourd'hui à plus de 4 milliards d'euros. Le commerce entre l'Union européenne et la Turquie a continué de progresser dans le cadre de l'union douanière pour atteindre 75 milliards d'euros en 2005.

Les difficultés que peuvent connaître les négociations entre les membres de l'Union et la Turquie ne sont pas synonymes de prise de distance entre ce pays et ses partenaires européens. Les liens économiques, financiers sont puissants et donnent une structure sous-jacente, un substrat, très solides aux relations politiques entre l'Union et la Turquie. Cela doit nous renforcer dans l'idée que le dialogue engagé avec ce pays doit être fondé sur la clarté et l'esprit de responsabilité.

Si des concessions sont toujours nécessaires dans ce genre d'exercice, elles ne peuvent porter sur l'essentiel : le respect des droits de l'homme, des minorités, la démocratie, l'Etat de droit mais aussi la reconnaissance de tous les Etats membres de l'Union comme interlocuteurs et partenaires.

CONCLUSION : ADRESSER UN MESSAGE EXIGEANT À LA TURQUIE

Le rapport de suivi remis par la Commission européenne a mis en évidence les réformes considérables que la Turquie doit encore accomplir. Que des progrès importants demeurent nécessaires n'est pas en soi une surprise. On sait que le processus d'adaptation de la Turquie sera long et on ne peut exiger de ce pays qu'en une année seulement il ait surmonté toutes ses difficultés.

En revanche, il est plus inquiétant de constater, comme le fait la Commission européenne, confirmant d'ailleurs les informations que les membres du groupe de suivi ont pu obtenir auprès de leurs différents interlocuteurs, que le processus de réforme en Turquie marque le pas. Ce ralentissement n'est pas en soi préoccupant ; la Turquie doit trouver son rythme. Mais il laisse présager que la voie européenne dans laquelle la Turquie s'est engagé sera sans doute plus longue encore que prévu.

Surtout, cet état de fait met les Etats européens devant leurs responsabilités vis-à-vis de leur population, de l'Union et de la Turquie. Il importe ici d'être cohérent. Les négociations entre les Etats membres de l'Union et la Turquie doivent reposer sur une dynamique. L'ouverture des chapitres de négociations, les pourparlers, la clôture de ces chapitres, doivent correspondre à des efforts réels de la part des autorités et de la société turques. On ne peut, dans l'intérêt bien compris de chacun, accepter de poursuivre ce processus avec légèreté, sans tenir compte des progrès mais aussi des retards pris par la Turquie dans des domaines fondamentaux comme la démocratie, les droits de l'homme, des minorités ...

Les négociations avec la Turquie doivent reposer en fait sur un triptyque :

- la clarté : chacun doit exprimer avec franchise son point de vue ; la France s'y est employée depuis un an en indiquant à la Turquie, aux Etats membres et à la Commission que repousser l'examen des questions, difficiles mais fondamentales, comme celles du respect des critères politiques n'était pas une bonne solution ;

- la responsabilité : si des progrès sont accomplis, il faut en prendre acte avec satisfaction ; si des réformes ne sont pas engagées ou des régressions observées, il faut le constater avec tout autant d'objectivité et ne pas poursuivre à tout prix les négociations dans les domaines concernés au prétexte que, dans le cas contraire, des tensions surgiraient avec le pays candidat mais aussi entre les Etats membres de l'Union ;

- la démocratie : les peuples se prononceront in fine sur l'opportunité de voir la Turquie intégrer l'Union européenne ; ce sera particulièrement le cas en France puisque notre Constitution prévoit, depuis sa révision en 2005, un référendum ; dès lors, plus le processus sera transparent, plus les négociateurs rendront des comptes aux parlementaires, aux citoyens par les canaux les plus nombreux possibles, plus on peut espérer que ce choix important sera opéré, dans dix, quinze ou vingt ans, dans les meilleures conditions ; l'ère de la diplomatie du secret est révolue pour ce qui concerne l'élargissement de l'Union. Le travail, que le groupe de suivi a accompli et entend poursuivre, participe de cette exigence démocratique.

Nous entrons aujourd'hui dans une période délicate. La Turquie va connaître des élections législatives en novembre 2007. L'Union européenne va, de son côté, consacrer une bonne part de son énergie à sa réforme comme on peut l'espérer avec la présidence allemande au premier semestre 2007. On peut craindre que, dans les mois qui viennent, les négociations politiques progressent peu. Mais cela n'empêche pas que les contacts, le travail en commun se poursuivent au plan technique, entre experts, afin de préparer les dossiers. Au moment où le contexte politique sera plus favorable, de nouveaux progrès seront alors possibles parce que le fil du dialogue n'aura pas été rompu.

L'Union européenne en montrant qu'elle ne peut accepter l'intransigeance turque sur la question chypriote a agi comme il le fallait. La diplomatie française a fait le choix de la sincérité, véritable socle, en dépit des vicissitudes, pour maintenir une amitié durable avec ce grand pays qu'est la Turquie.

Dans les mois qui viennent, chacun continuera à être attentif aux progrès accomplis par la Turquie. Les parlementaires français seront les premiers à les encourager.

La France, pour sa part, devra demeurer fidèle aux principes qu'elle a faits siens depuis l'ouverture des négociations : fermeté sans hostilité. Cette position exigeante et équilibrée doit prévaloir parmi les négociateurs européens. Elle devra être rappelée très clairement lors du Conseil des Ministres du 11 décembre prochain. Il est tout aussi essentiel de rappeler que les orientations adoptées dans les semaines à venir ne préjugeront pas de celles qui pourraient s'imposer après les élections qui se tiendront dans notre pays au printemps 2007. Sur cette question aussi, les Français auront à se prononcer.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent rapport au cours de sa première séance du mercredi 6 décembre 2006.

Rappelant que le groupe présidé par M. Hervé de Charette avait pour objet de suivre le déroulement des négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, le Président Edouard Balladur a jugé cette nouvelle méthode de travail très prometteuse parce qu'elle donne au Parlement un rôle plus effectif dans le contrôle de la politique extérieure de la France. Il a jugé que le rapport du groupe de suivi constituerait un élément important dans le débat qui précédera le Conseil européen des 14 et 15 décembre 2006.

Constitué à l'initiative du Président de la Commission des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, Président du groupe de suivi, a rappelé que ce groupe était composé, outre son Président, de sept autres membres qui représentent différentes sensibilités politiques : M. Jean-Louis Bianco, M. Roland Blum, Mme Geneviève Colot, M. Guy Lengagne, M. Christian Philip, M. Paul Quilès et M. Rudy Salles.

Il a paru utile aux membres du groupe de suivi de procéder à un premier bilan des négociations avec la Turquie à la fin de l'année 2006 avant que le Conseil européen se réunisse à Bruxelles. Les travaux du groupe se poursuivront cependant début 2007, avant que s'ouvre une nouvelle législature.

M. Hervé de Charette a souligné que la création de ce groupe constituait une novation extrêmement intéressante dans les méthodes de travail de l'Assemblée nationale. L'absence d'un tel dispositif de suivi lors des négociations engagées avec les dix nouveaux Etats membres ainsi qu'avec la Bulgarie et la Roumanie a été préjudiciable à la qualité du contrôle auquel l'Assemblée nationale a pu procéder avant les précédents élargissements. Grâce à cet outil nouveau, les parlementaires se trouvent informés de manière constante et directe de l'état des négociations.

A cet égard, il faut insister sur la qualité du dialogue qui s'est instauré avec le Gouvernement. Les contacts fréquents avec les négociateurs français, les deux réunions tenues avec le Directeur de la coopération européenne au ministère des Affaires étrangères, M. Gilles Briatta, ainsi qu'avec des membres du cabinet des ministres concernés - M. Philippe Douste-Blazy et Mme Catherine Colonna - ont permis de suivre les négociations dans leur détail. Le dialogue avec la Turquie s'est avéré, quant à lui, plus compliqué, en raison notamment de la question de la répression de la négation du génocide arménien qui a fait l'objet de débats à l'Assemblée nationale ; pour ce motif, l'ambassadeur de Turquie en France a dû se rendre, pour consultation, dans son pays au moment même où il devait être entendu par le groupe de suivi. Néanmoins, les membres du groupe ont pu rencontrer le Ministre des Affaires étrangères turc, M. Abdullah Gül, lors d'un déjeuner qui s'est tenu à l'ambassade de Turquie en septembre 2006.

Le groupe de suivi s'est intéressé plus particulièrement à certains aspects des négociations comme la question du respect des minorités, à l'occasion notamment de l'audition de l'historien et politiste Samim Akgönül, de l'Université de Strasbourg. La question chypriote a également été examinée lors de la réunion à l'occasion de laquelle l'ambassadeur de la République de Chypre en France a été entendu.

Quel bilan peut-on tirer des négociations engagées depuis un an ? La méthode est la même que celle qui a été suivie lors du cinquième élargissement. Toutefois l'état d'esprit dans lequel s'opère cette négociation est un peu différent de ce que l'on a connu précédemment. Trente-cinq chapitres doivent être discutés selon une procédure complexe qui passe d'abord par une phase de « criblage », c'est-à-dire l'examen par la Commission européenne, chapitre par chapitre, de la situation dans laquelle la Turquie se trouve au regard de l'acquis communautaire. L'utilisation du terme « négociations » est d'ailleurs impropre dans la mesure où le candidat doit adopter cet acquis tel qu'il existe et sans le remettre en cause. C'est au pays qui entend adhérer à l'Union qu'il appartient de s'adapter et non l'inverse. Quelques éléments de négociation existent néanmoins. Ils portent sur certains délais qui pourraient être accordés à la Turquie pour appliquer l'acquis communautaire ou certaines clauses transitoires justifiées par des circonstances particulières. Après la phase de « criblage », doivent être adoptés par les Etats membres à l'unanimité : une position commune de négociation, les critères d'ouverture puis de clôture de chaque chapitre. Ce dispositif de négociation est complexe et l'on pourrait, d'ailleurs, le raffiner à volonté. Il faut souligner que les Etats membres de l'Union contrôlent totalement le processus puisque l'unanimité est requise à chacune de ses étapes.

A ce jour, seul le chapitre 26 consacré à la science et à la recherche a été ouvert et provisoirement clos. C'est celui pour lequel le moins de difficultés se posaient. En revanche, pour le chapitre 25 portant sur l'éducation et la culture, on a pu constater des divergences de vues, notamment entre la France et la Commission européenne. Cette dernière estimait que ce chapitre pouvait être ouvert et fermé dans les meilleurs délais car l'acquis communautaire est très limité dans les domaines éducatif et culturel. La France ne partageait pas ce point de vue, considérant qu'à l'occasion des négociations sur ce chapitre devaient être débattues des questions plus substantielles comme le respect du droit des minorités dans l'enseignement. On sait qu'en Turquie, la situation n'est pas encore satisfaisante de ce point de vue. Le débat n'est toujours pas clos au plan européen, la France étant soutenue par certains Etats membres comme l'Autriche, d'autres se ralliant à la position de la Commission, comme le Royaume-Uni. Devant ce désaccord important, la présidence finlandaise de l'Union européenne a proposé aux pays membres de faire état de leurs interrogations sur ce chapitre afin d'obtenir ensuite des éclaircissements de la part de la Turquie. Cette phase de la procédure est toujours pendante.

M. Hervé de Charette a tiré deux enseignements de cette situation. Tout d'abord, si le rythme observé depuis l'ouverture des pourparlers demeure en l'état, les négociations dureront de très longues années. En second lieu, la position française peut paraître paradoxale dans la mesure où, alors que notre pays s'est engagé intensément en 2004 pour que les négociations s'ouvrent, il apparaît aujourd'hui comme l'un des moins favorables à la progression rapide des discussions. Cette position, qui peut sembler contradictoire, présente le risque de cumuler les inconvénients pour notre pays, dont l'audience n'est pas très bonne en Turquie après le vote de la proposition de loi relative à la répression de la négation du génocide arménien.

Le rapport de suivi rendu par la Commission européenne le 8 novembre 2006 met en évidence l'insuffisance des progrès accomplis par la Turquie dans le domaine politique alors qu'elle lui confère plutôt un satisfecit en matière économique. Le rôle de l'armée demeure trop prépondérant dans ce pays. La situation de la justice a connu peu d'évolutions favorables. La corruption reste encore importante. On doit toujours déplorer des restrictions dans les droits reconnus aux minorités religieuses non musulmanes ; la situation faite aux Alevis, minorité chiite, n'est pas satisfaisante. Quelques progrès ont été cependant observés, par exemple, concernant les droits des femmes.

Mais la principale difficulté est le refus de la Turquie d'appliquer le protocole à l'accord d'association conclu en 1963 entre la Communauté européenne et ce pays, dit « Accord d'Ankara », et qui a été prolongé par un accord d'union douanière en 1995. Ce protocole, signé par la Turquie mais non ratifié par elle, prévoit l'extension de l'accord de 1963 aux dix nouveaux Etats membres, dont la République de Chypre. La Turquie ne veut pas ratifier et appliquer ce protocole à la République de Chypre, pays membre de l'Union qu'elle refuse de reconnaître alors qu'elle est censée négocier avec elle pour son adhésion. La Turquie a refusé de transiger, en dépit des efforts de la Commission européenne puis de la présidence finlandaise pour trouver des solutions intermédiaires qui n'impliqueraient pas une ratification immédiate du protocole par la Turquie, à savoir la levée de l'interdiction faite par les autorités d'Ankara aux navires ou avions transitant par Chypre de pénétrer dans les ports et aéroports turcs, le retour à terme de la ville chypriote de Varosha occupée par l'armée turque dans le giron de la partie grecque de l'île, l'ouverture du port de Famagouste au commerce en provenance de la partie turque de Chypre. En conséquence, la Commission européenne a recommandé de geler la négociation de huit chapitres qui ont tous un lien avec l'union douanière entre la Communauté européenne et la Turquie (libre circulation des marchandises, droit d'établissement et libres prestations de services, services financiers, agriculture, pêche, transports, union douanière, relations extérieures). Les Etats membres souhaiteraient que cette recommandation soit examinée lors du Conseil des ministres de l'Union du 11 décembre 2006 pour que le Conseil européen ne voit pas ses travaux obérés par cette question les 14 et 15 décembre prochain. L'Allemagne et la France ont proposé, lors d'une rencontre qui s'est tenue le 5 décembre 2006, qu'un point soit fait sur la situation en 2008. En tout état de cause, même si une telle clause de rendez-vous n'est pas formellement adoptée par les Etats membres, ceux-ci devront s'accorder, à terme, sur la réouverture des négociations pour les chapitres que la Commission propose de geler.

En conclusion, M. Hervé de Charette a constaté que la France avait fait preuve de fermeté ; dès lors, le groupe de suivi n'a pas eu à rappeler au Gouvernement la nécessité de s'en tenir à une telle position. La Commission européenne a également été assez rigoureuse comme en témoigne son rapport de suivi du 8 novembre 2006. La Turquie demeure un partenaire difficile, exigeant, rude même, qui ne souhaite pas faire de concessions à quelques mois d'élections législatives importantes. Ce que l'on peut qualifier de « suspension-continuation » des négociations semble, en fait, satisfaire le plus grand nombre aussi bien en Turquie qu'en Europe.

Le Président Edouard Balladur s'est interrogé sur la portée réelle de la suspension des huit chapitres telle que proposée par la Commission européenne.

M. Hervé de Charette a fait observer qu'une autre solution consistait à discuter indéfiniment avec la Turquie sans jamais conclure. Le fait de suspendre les discussions sur un certain nombre de chapitres constitue en réalité un signal donné à la Turquie. Par ailleurs, rien n'empêcherait que, alors que la négociation serait suspendue, l'examen technique des chapitres par les experts européens se prolonge.

Le Président Edouard Balladur a fait observer que cette dernière remarque dessinait les lignes d'un compromis éventuel au prochain Conseil européen.

Mme Martine Aurillac s'est interrogée sur la méthode pratiquée pour l'ouverture et de clôture des chapitres de négociation. Plusieurs chapitres sont-ils discutés simultanément ?

M. Hervé de Charette a répondu que si les 35 chapitres ne pouvaient, à l'évidence, être ouverts simultanément, plusieurs d'entre eux pouvaient être examinés en même temps. Il faut toutefois garder à l'esprit que l'ouverture d'un chapitre suppose que tous les Etats membres soient d'accord sur la proposition de la Commission d'ouvrir ce chapitre et sur les positions communes de négociation.

Après avoir souligné qu'il était globalement d'accord avec les propos tenus par le Président du groupe de suivi, M. Christian Philip a souhaité faire deux observations, l'une portant sur la République de Chypre et l'autre sur la capacité d'intégration de l'Union européenne.

Au moment de l'ouverture des négociations, la Turquie s'était engagée à ouvrir l'union douanière aux dix Etats membres, dont la République de Chypre, sans que cela vaille, à ses yeux, reconnaissance de celle-ci. Or la Turquie n'a pas tenu compte de cet engagement et a même refusé le compromis finlandais qui s'apparentait à un recul de l'Union européenne puisqu'il consistait à demander à la Turquie d'ouvrir ses ports et ses aéroports aux marins et avions en provenance de Chypre sans qu'un vote du Parlement turc ne soit nécessaire. Par ailleurs, les huit chapitres que la Commission propose de geler sont des chapitres difficiles dont elle n'avait nullement l'intention de demander l'ouverture à court terme, mais plutôt d'ici trois à quatre années. Dans ces conditions, la portée de la décision de geler des huit chapitres doit être relativisée. Par ailleurs, lors du prochain Conseil des ministres, un compromis sera nécessaire, en particulier avec le Royaume-Uni et l'Espagne qui sont, pour leur part, favorables à l'adhésion de la Turquie. Le débat qui sera organisé à l'Assemblée nationale le 12 décembre 2006 à la suite de la déclaration du Gouvernement préalable au Conseil européen devra donc être l'occasion de demander à l'exécutif de garder une position ferme sur l'ouverture des chapitres de négociations avec la Turquie en l'absence d'une évolution favorable de la position de ce pays sur la question chypriote.

Par ailleurs, au-delà de l'acquis communautaire, il apparaît que l'Union européenne n'a pas voulu réellement se poser la question de savoir comment elle pourrait fonctionner si un accord était trouvé sur l'adhésion de la Turquie. Or ce pays, s'il intègre l'Union, sera le plus grand en superficie et le plus peuplé, alors que son économie demeurera très en retard par rapport au reste de l'Union. Comment, dans ces conditions, peut-on l'intégrer sans procéder à une refonte totale du budget européen ? L'Union européenne ne se pose toujours pas les vraies questions.

M. Hervé de Charette s'est interrogé sur l'intérêt qu'il y aurait à afficher une fermeté plus grande encore dans cette négociation avec la Turquie. En premier lieu, le bilan qui peut en être dressé en cette fin d'année 2006 - un chapitre sans difficulté, relatif à la science et à la recherche, ouvert et fermé ; un deuxième sur les conditions d'ouverture duquel les vingt-cinq membres de l'Union n'en finissent pas de débattre ; une proposition de la Commission européenne de geler huit chapitres - témoigne à lui seul de la fermeté dont font preuve d'ores et déjà les négociateurs européens. En deuxième lieu, c'est à la Commission et à elle seule qu'appartiendrait une telle initiative. Enfin, il n'est pas certain que les vingt-cinq Etats membres parviendraient à l'unanimité pour adopter une position plus dure encore à l'égard de la Turquie. M. Hervé de Charette a estimé que la position actuelle, ferme mais laissant ouvertes les voies du dialogue, était raisonnable, comme le montrait d'ailleurs le fait qu'au sein même du groupe de suivi, l'unanimité s'était faite parmi les membres sur les conclusions présentées aujourd'hui et ce, bien que le groupe rassemble des parlementaires d'opinions diverses sur l'élargissement de l'Union à la Turquie.

S'agissant du débat sur la capacité d'absorption de l'Union européenne, dont il a souligné qu'il s'agissait d'un autre sujet, plus global, posant la question de l'élargissement continu de l'Union au-delà de la seule négociation avec la Turquie, M. Hervé de Charette a rappelé que la Commission européenne avait remis un rapport sur le sujet le 8 novembre 2006. Il l'a qualifié de décevant, déplorant que la Commission n'ait pas du tout pris la mesure du débat, se contentant de le poser en termes de communication et de « convivialité » du message européen, ce qui était évidemment hors sujet. La vraie question de la capacité d'adapter l'Union pour lui permettre de fonctionner avec un nombre important de membres n'est pas posée, la Commission se situant toujours dans la perspective d'un élargissement indéfini et permanent de l'Union. La déclaration qui a suivi la réunion des pays du triangle de Weimar - la France, l'Allemagne et la Pologne -, le 5 décembre 2006, témoigne d'ailleurs de la prégnance de cette logique puisque, sur l'insistance de la Pologne notamment, y est reconnue « la vocation européenne de l'Ukraine », reconnaissance qui, dans le passé, a toujours marqué la première étape d'une adhésion.

Le Président Edouard Balladur a considéré que l'adhésion de la Turquie posait beaucoup plus de problèmes que l'Union européenne n'en avait jamais connus depuis cinquante ans : pour ardue qu'elle fût, même la négociation en vue de l'adhésion du Royaume-Uni, qui dura dix ans, fut beaucoup moins difficile.

Il a jugé peu sérieuse la conception que se faisait la Commission européenne de la capacité d'absorption de l'Union : il ne s'agit pas d'un problème de communication, ni même d'un débat de nature financière. Le Président Edouard Balladur a expliqué qu'était en cause l'absence de réforme d'institutions qui avaient été conçues pour une Europe composée de six Etats membres. Il a affirmé que la véritable question posée dans le débat sur l'élargissement était institutionnelle et qu'en ce domaine, la réforme supposait que la plupart des décisions fussent adoptées à la majorité des Etats membres, aux dépens du principe de l'unanimité qui demeure trop prévalent aujourd'hui. Il a fait valoir qu'une telle réforme n'était possible qu'à condition que fût pris en compte le poids économique, démographique et territorial des Etats, ce qui posait évidemment une difficulté majeure pour une Union qui avait d'ores et déjà intégré nombre d'Etats de taille modeste.

Observant qu'il ressortait des propos du Président du groupe de suivi que nul n'était en définitive pressé de voir les négociations avancer, pas même la Turquie, M. Bernard Schreiner a demandé si ce pays avait fait des progrès en matière de droits de l'homme : qu'en est-il notamment de la place de la femme dans la société turque et de la persistance de pratiques telles que les crimes d'honneur ? En matière religieuse, peut-on parler d'une poussée de l'islamisme en Turquie ?

M. Hervé de Charette a répondu que peu de progrès avaient été faits par la Turquie en matière de droits fondamentaux en 2006, qu'il s'agisse des pratiques en cours contre les femmes ou de la tolérance religieuse à l'égard des confessions minoritaires.

M. Axel Poniatowski a indiqué qu'il n'était pas surprenant que la situation des négociations entre l'Europe et la Turquie soit confuse et difficile. C'est en effet l'éventualité de l'adhésion turque qui est la cause principale de la crise traversée actuellement par l'Union européenne. Une réforme institutionnelle ne suffirait certainement pas à résoudre cette crise qui durera aussi longtemps qu'une solution, positive ou négative, n'aura pas été trouvée à propos de la Turquie. Quel rôle exactement le groupe de suivi a-t-il joué dans les discussions avec la Turquie ? Etait-il observateur ? Ce groupe a-t-il constaté, dans le cadre de ces négociations, l'absence de tout leadership, notamment franco-allemand, en Europe ?

M. Hervé de Charette a précisé que le groupe de suivi n'avait pas participé aux négociations entre l'Union européenne et la Turquie mais que les négociateurs français lui avaient rendu régulièrement compte du déroulement de ces pourparlers. Les positions françaises ont été très fermes et exigeantes, conformément au souhait du groupe de suivi, qui n'a donc pas eu à exercer de pression en ce sens. La question d'un leadership au sein de l'Union européenne dépasse largement le champ d'investigation du groupe de suivi. L'Union a d'autant plus besoin d'un leadership que le nombre des Etats membres s'accroît, mais il ne peut être que pluriel. Au cours des négociations avec la Turquie, aucun pays n'a imposé ses vues. Les Européens sont apparus divisés et le groupe de suivi n'a pas constaté que les autorités françaises et allemandes se concertaient avant de négocier. Il faut souligner que les décisions en matière d'adhésion se prenant à l'unanimité, un seul Etat, même petit, peut bloquer tout accord.

Après avoir fait état de sa satisfaction concernant le déroulement des travaux du groupe de suivi dont il est membre, M. Paul Quilès a approuvé le diagnostic sur l'état actuel de l'Europe et l'appréciation négative de la conception de l'élargissement que défend la Commission européenne. Il a en revanche contesté le passage du projet de rapport qualifiant de seul « effet heureux » du vote du 29 mai 2005 l'amélioration de la collaboration entre le Parlement et le pouvoir exécutif sur le dossier turc. Dans la mesure où les adversaires du projet de constitution européenne considèrent que l'échec du référendum a pu avoir bien d'autres effets positifs, il serait souhaitable de supprimer cette expression. Il est incontestable que plusieurs des points débattus ce jour par la Commission n'auraient pas pu l'être si le projet de constitution avait été adopté.

M. François Guillaume a fait siens les propos du Président Edouard Balladur relatifs à la dimension institutionnelle du blocage de l'Union européenne, tout en soulignant que l'évolution de l'équilibre institutionnel s'était fait au détriment du Conseil des ministres. Etant donné les perspectives électorales turques, il ne faut pas espérer de concessions de la part de la Turquie avant plusieurs mois. Mieux vaut donc attendre pendant cette période. Le groupe de suivi a-t-il pris l'avis de nos partenaires européens ? Le Président du groupe de suivi a évoqué les positions britanniques, allemandes et autrichiennes ; qu'en est-il de celles des autres Etats membres ? Ne serait-il pas utile de prendre contact avec le Saint-Siège, la récente visite du Pape en Turquie ayant mis en lumière les limites de la liberté religieuse dans un pays où les chrétiens apparaissent opprimés et où, malgré une laïcité officielle, un conseil religieux doté d'un rôle consultatif exerce une pression croissante sur le Gouvernement ?

Le Président Edouard Balladur a estimé que la visite pontificale en Turquie pouvait s'analyser comme une traduction de la volonté du Saint-Siège de se tenir à l'écart des négociations d'adhésion appelant la Turquie à être un pont entre l'Europe et l'islam.

Après avoir reconnu que le groupe de suivi n'avait pas interrogé le Saint-Siège, M. Hervé de Charette a indiqué qu'il s'était informé des positions des autres membres de l'Union auprès du Directeur de la coopération européenne du ministère des Affaires étrangères. Jusqu'ici, il n'a pas jugé utile d'effectuer de déplacement à l'étranger mais cette possibilité demeure. En particulier, il pourrait être intéressant de se rendre en Turquie après le prochain Conseil européen afin d'observer comment sont perçues les décisions qui y auront été prises.

La conclusion du rapport préparé par le groupe de suivi souligne que celui-ci ne préjuge pas des orientations qui pourraient être définies à la suite des prochaines élections présidentielles en France. Le groupe de suivi était chargé d'une mission de contrôle du déroulement des négociations et n'avait à se prononcer ni en faveur ni contre l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Il n'en demeure pas moins que l'opportunité de cette adhésion pourra être discutée pendant la campagne électorale.

Ayant mis l'accent sur l'utilité du travail réalisé, le Président Edouard Balladur a souhaité que le groupe de suivi poursuive ses travaux et fasse connaître ses observations au cours des prochains débats sur l'élargissement de l'Union, même si celui qui est organisé à l'Assemblée le 12 décembre 2006 ne sera, pas plus que les précédents, suivi d'un vote.

Pour ce qui est des perspectives de plus long terme, un prochain gouvernement peut certes revenir sur ce qu'un autre a décidé, mais les négociations ayant été ouvertes par l'Union européenne, il ne serait pas aisé d'obtenir un retour en arrière. Cela n'empêche pas de poursuivre une réflexion sur la nature des liens qui pourraient être établis entre l'Union et la Turquie dans le cas où les négociations ne conduiraient pas à son adhésion, et plus globalement de travailler à la mise en place de partenariats renforcés avec les Etats voisins de l'Union, au premier rang desquels les pays des Balkans et ceux du pourtour méditerranéen.

La Commission a émis un avis favorable à la publication du présent rapport.

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1 () Il s'agissait de la loi sur les associations, le nouveau code pénal, la loi sur les cours d'appel intermédiaires, le code de procédure pénale, la législation portant création de la police judiciaire et la loi sur l'exécution des peines. Ces six textes ont été adoptés ou sont entrés en vigueur au 1er juin 2005.

2 () Notons que le processus de négociation aboutirait à un projet de traité d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne que tous les Etats membres de l'Union auraient à ratifier, ce qui multiplie, dans une Europe de près de trente membres, les risques d'insuccès. Le Parlement européen approuvera également la conclusion de la négociation, en rendant un avis conforme. Il pourra également voter des résolutions et publier des rapports sur la question dans l'intervalle.

3 () Sur ce sujet, voir le rapport n° 1241 sur l'élargissement aux dix nouveaux membres (http://www.assemblee-nationale.fr/12/rapports/r1241.asp ) et n° 3171 sur l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie (http://www.assemblee-nationale.fr/12/rapports/r3171.asp ).

4 () Cette dernière expression est celle employée dans le rapport de suivi de la Commission européenne du 8 novembre 2006. Dans les milieux bruxellois, on parle également de « screening ».

5 () Auditions des 15 mars et 18 octobre 2006. Lors de la première réunion, M. Briatta était accompagné de M. Jean-Christophe Menet,  conseiller au cabinet de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des Affaires étrangères ; lors de la réunion du 18 octobre 2006, était également présent M. Philippe Huberdeau, conseiller de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux Affaires européennes.

6 () Audition du 12 avril 2006.

7 () Audition du 15 novembre 2006. A cette occasion, M. Christian Philip a pu présenter les enseignements qu'il tirait de sa mission effectuée du 24 au 27 octobre 2006 à Chypre au nom de la Délégation pour l'Union européenne.

8 () Pour mémoire, on rappellera que M. Didier Migaud (Soc.) et plusieurs de ses collègues du groupe socialiste ont déposé une proposition de loi n° 3030, le 12 avril 2006, tendant à la répression de la négation du génocide arménien. D'autres parlementaires déposèrent des propositions allant dans le même sens (M. Eric Raoult (UMP) proposition n° 3054 ; MM. Richard Mallié et Roland Blum (UMP), proposition n° 3053) qui avaient, elles-mêmes, été précédées d'autres initiatives en début de législature (voir rapport de M. Christophe Masse, au nom de la Commission des Lois de l'Assemblée nationale, 10 mai 2006, n° 3074). Discutée au cours de la séance du 18 mai 2006, dans le cadre de l'ordre du jour réservé aux initiatives parlementaires (article 48, 3e alinéa de la Constitution), cette proposition ne recueillit pas l'accord du Gouvernement. L'examen de ce texte ne fut pas achevé à l'issue de cette séance et fut reporté à une séance ultérieure. Finalement cette proposition a été adoptée lors de la séance du 12 octobre 2006.

9 () Audition du 14 juin 2006.

10 () http://www.assemblee-nationale.fr/12/cr-cafe/05-06/c0506048.asp#P36_203

11 () Jacques Godfrain, rapport pour avis au nom de la Commission des Affaires étrangères sur la mission budgétaire « Aide publique au développement », projet de loi de finances pour 2007, n° 3366-IV, 12 octobre 2006, p. 54, http://www.assemblee-nationale.fr/12/budget/plf2007/a3366-tIV.asp.

12 () On doit observer que pour le chapitre n° 19 « Politique sociale et emploi » la question des critères politiques a ressurgi par le biais du respect des droits syndicaux. Il convient d'observer que la Commission européenne a accepté l'idée de suivre dans le cadre de ce chapitre sectoriel la question des droits syndicaux, dont elle a proposé de faire l'un des deux critères d'ouverture des négociations sur ce chapitre. Cela constitue un précédent notable qui va dans le sens de la position française.

13 () Audition du 14 juin 2006.

14 () Pour l'ensemble des chiffres détaillés de l'économie turque, on renverra au chapitre correspondant du rapport de suivi de la Commission européenne, p. 28. On pourra également consulter le dernier rapport de l'OCDE sur l'économie turque : http://www.oecd.org/dataoecd/50/52/37529839.pdf ou les notes de conjoncture du Tusiad : http://www.tusiad.org/tusiadFR.htm.

15 () On se reportera à ce document publié sur le site de la Commission européenne : http://ec.europa.eu/enlargement/pdf/key_documents/2006/Nov/tr_sec_1390_fr.pdf. On notera que les chapitres 34 (Institutions) et 35 (Questions diverses) n'ont pas fait l'objet d'un examen par la Commission.

16 () Le kurmandji est parlé par les Kurdes de Turquie, de Syrie, du nord de l'Irak et de l'Iran. Le zaza est également parlé par certains Kurdes, notamment de confession alevie. Le circassien est parlé dans le Caucase.

17 () Le CCG comprend les Émirats arabes unis, Bahreïn, l'Arabie saoudite, Oman, le Qatar et le Koweït.

18 () Pour plus de détails sur la question chypriote, on renverra au rapport de M. Christian Philip, au nom de la Délégation pour l'Union européenne, sur l'évolution de la République de Chypre
depuis son adhésion à l'Union européenne, n° 3458, 22 novembre 2006,
http://www.assemblee-nationale.fr/12/europe/rap-info/i3458.asp.

19 () Ces chapitres sont : libre circulation des marchandises, droit d'établissement et libres prestations de services, services financiers, agriculture, pêche, transports, union douanière, relations extérieures.

20 () Sur la position du Royaume-Uni très favorable à un élargissement massif de l'Union européenne, on se reportera au rapport intéressant, mais édifiant à cet égard, remis par le Comité de l'Union européenne de la Chambre des Lords le 23 novembre 2006 : The Further Enlargement of the EU : threat or opportunity ?, 210 p. (http://www.publications.parliament.uk/pa/ld200506/ldselect/ldeucom/273/273.pdf).

21 () Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, Stratégie d'élargissement et principaux défis 2006-2007, COM (2006) 649, 8 novembre 2006, http://ec.europa.eu/enlargement/pdf/key_documents/2006/Nov/com_649_strategy_paper_fr.pdf.

22 () Ibid, p. 3.

23 () Alexandrine Bouilhet, « L'Europe s'interroge sur ses capacités d'élargissement », Le Figaro, 17 juin 2006.