OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES ________________________ RAPPORT sur la durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteurs par MM. Christian Bataille et Claude Birraux, Députés __________ __________
__________________________________________________________________________________ Énergie et carburants SAISINE « Seul l'imprévoyant creuse un puits quand il a soif ». Proverbe chinois. Première partie du rapport TABLE DES MATIERES Figure 1 : Pyramide des âges du parc électronucléaire mondial au 1/04/03 Figure 2 : Évolution du nombre total de réacteurs électronucléaires couplés au réseau en France, aux Etats-Unis, en Allemagne, au Japon et en Corée du Sud Figure 3 : Pyramide des âges du parc électronucléaire d'EDF, au 1er avril 2003 Figure 4 : Le remplacement des couvercles de cuve dans le parc EDF Figure 5 : Coefficients de production des réacteurs d'EDF comparés aux réacteurs du parc mondial Figure 6 : Coefficient d'utilisation du parc EDF (source : P. Girard - EDF Trading) Figure 7 : La diminution mécanique du parc électronucléaire français (source : OPECST) Figure 8 : Les différentes Générations de réacteurs selon le DOE (Etats-Unis) (source : Argonne National Laboratory) Figure 9 : Les 4 trains d'auxiliaires de sauvegarde et la séparation géographique des bâtiments de l'EPR (source : Framatome) Figure 10 : La sûreté de l'EPR Figure 11 : L'ABWR point d'aboutissement de la simplification des réacteurs bouillants Figure 12 : La simplification et la réduction de taille de l'enceinte de confinement de l'ABWR par rapport aux réacteurs antérieurs (source : General Electric) Figure 13 : Schéma du bâtiment réacteur et du confinement du réacteur ABWR Figure 14 : Principes de sûreté du réacteur SWR 1000 de Framatome ANP (source : Framatome ANP) Figure 15 : Vue d'ensemble du réacteur AP 1000 de Westinghouse (source : Westinghouse) Figure 16 : Les systèmes passifs de refroidissement de l'enceinte de l'AP 1000 Figure 17 : Exemple théorique des décisions réglementaires pour un réacteur du palier 900 MWe, mis en service en 1979 Figure 18 : Principales sources d'émissions de gaz à effet de serre en France Figure 19 : L'influence du prix du gaz sur le coût de production de l'électricité avec un cycle combiné à gaz (source : J. Yelverton, Entergy Nuclear) Figure 20 : Dates importantes pour le renouvellement du parc EDF Figure 21 : Durée des futures opérations administratives liées à la construction du 5ème réacteur Figure 22 : Répartition par filière des réacteurs nucléaires en service dans le monde au 31 décembre 2001 (source : Elecnuc-CEA) Figure 23 : typologies utilisées pour classer les réacteurs en projet Figure 24 : Schéma du combustible du réacteur PBMR Figure 25 : Schéma du réacteur PBMR Figure 26 : Schéma de principe du combustible du GT-MHR Figure 27 : Schéma du réacteur GT-MHR (source : Framatome ANP) Figure 28 : Schéma d'un module d'une centrale à réacteur GT-MHR Figure 29 : Évolution de la température du combustible en cas de perte de réfrigérant (source : General Atomics) Figure 30 : IRIS, un réacteur intégré et simplifié par rapport aux réacteurs PWR classiques Figure 31 : Schéma simplifié du projet de réacteur intégré à eau légère IRIS de Westinghouse (source : Westinghouse) Figure 32 : Le système de refroidissement du réacteur entièrement intégré à la cuve Figure 33 : Schéma de principe du réacteur à eau supercritique Figure 34 : Schéma de principe des réacteurs VHTR orientés vers la production d'hydrogène Figure 35 : Principaux process industriels utilisant de la chaleur (source : GIF, Technical Working Group 2) Figure 36 : Procédé de fabrication de l'hydrogène utilisant l'iode et le soufre Figure 37 : Schéma de principe d'une usine de production d'hydrogène à partir de chaleur produite par un réacteur VHTR (source : Oak Ridge National Laboratory) Figure 38 : Le réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium EBR-II du laboratoire national d'Argonne, implanté dans l'Idaho à l'INEEL Figure 39 : Schéma de principe d'un réacteur à neutrons rapides refroidis au sodium Figure 40 : Schéma de principe d'un réacteur à neutrons rapides refroidi au plomb Figure 41 : Schéma de principe d'un réacteur à neutrons rapides refroidi à l'hélium Figure 42 : Schéma de principe d'un réacteur à sels fondus Figure 43 : Schéma de principe d'un réacteur à sels fondus dits isogénérateur Figure 44 : Radiotoxicités comparées des produits de fission et des transuraniens Figure 45 : Radiotoxicités comparées du plutonium et des actinides mineurs (neptunium, américium, curium) Figure 46 : Schéma simplifié d'un réacteur hybride de type ADS Introduction ChapiTRE 1 : LA Gestion de la durée de vie des centrales, un élément essentiel de l'optimisation du parc, mais un élément non suffisant I.- L'arrivée à maturité des parcs nucléaires, un phénomène mondial analysé avec des références et des méthodes nationales non totalement identiques 1. L'âge des réacteurs et les différentes acceptions du terme suivant le référentiel choisi 2. Le vieillissement des réacteurs, une notion source de sous-entendus 3. Durée de vie de conception et durée de l'autorisation d'exploitation 4. La durée de vie réelle, résultante des paramètres techniques, réglementaires et économiques II.- Une robustesse à 30-40 ans en ligne avec les prévisions 1. Les phénomènes généraux du vieillissement et les priorités 2. La diminution des interrogations sur la cuve grâce à l'amélioration des connaissances 3. Les enceintes de confinement, un problème sous contrôle 4. L'évolution positive du contrôle-commande 5. La gestion optimale des composants remplaçables 6. L'influence du suivi de charge, une question délicate III.- La prolongation de la durée de vie, un paramètre économique capital, indissociable des performances d'exploitation 1. L'importance économique capitale de la prolongation de la durée de vie 2. Le problème global et fondamental des performances d'exploitation IV.- Des réglementations de la durée de vie devant allier rigueur pour la sûreté et visibilité pour l'investisseur 1. L'adéquation de la réglementation française à la structure particulière du parc 2. Les cas particuliers de la Suède, de l'Allemagne et de la Belgique en raison de leurs programmes de sortie du nucléaire 3. La convergence des pratiques étrangères et françaises 4. Les améliorations possibles de la réglementation française vers une visibilité accrue V.- L'exigence d'efforts accrus de R&D, d'investissement et d'organisation pour conforter l'objectif de 40 ans de fonctionnement et envisager l'après 40 ans 1. Une R&D sur le vieillissement à renforcer 2. L'investissement de jouvence, un objectif particulièrement rentable pour l'exploitant et non pas seulement une obligation réglementaire 3. L'organisation et la valorisation du facteur humain, des priorités de l'exploitant à approfondir encore 4. La pérennité du secteur nucléaire, une responsabilité collective VI.- Extension de la durée de vie et solution de remplacement, deux stratégies complémentaires 1. Les inconnues techniques, réglementaires et économiques du prolongement des réacteurs en service 2. Sans solution de remplacement rapidement disponible, l'inévitable obligation de prolonger les réacteurs au-delà du raisonnable 3. Vers une gestion différentielle du parc électronucléaire d'EDF ?
Chapitre 2 : L'EPR et les autres réacteurs pour 2015, un lien entre les parcs d'aujourd'hui et de demain I.- Les nouveaux réacteurs nucléaires : questions de noms et d'horizon 1. Réacteurs évolutionnaires contre réacteurs révolutionnaires, une opposition en contradiction avec l'histoire et la technique 3. Sûreté active et sûreté passive, deux concepts complémentaires et non pas exclusifs 3. La portée marketing de la terminologie Génération III, III+ et IV 4. Génération 2015 et Génération 2035, des nouveaux types de réacteurs bien distincts II.- L'EPR, un projet de réacteur plus sûr et plus performant que ses prédécesseurs 1. Le N4, une série trop tardive ou une série prématurément close ? 2. Un processus de conception de l'EPR intégrant la sûreté et l'exploitation 3. Des conditions d'exploitation et des caractéristiques de sûreté encore améliorées par rapport aux générations actuelles 4. Un coût de production du MWh prévu pour être inférieur à ceux du N4 et du cycle combiné à gaz III.- Les concurrents étrangers de l'EPR, entre classicisme, naturalisation et innovation théorique 1. Les forces en présence sur le marché mondial du nucléaire 2. L'ABWR de General Electric, un réacteur évolué et déjà en service 3. Le SWR 1000, une double diversification de Framatome ANP dans la filière à eau bouillante et dans les systèmes passifs 4. Les VVER russes, des concurrents sérieux du fait de leur bon niveau technique et leur bas niveau de prix 5. L'AP 1000, un concurrent critiqué parce que redoutable IV.- Le démonstrateur-tête de série EPR, une garantie contre les aléas industriels, réglementaires et économiques, permettant de lisser le renouvellement du parc 1. La nécessité de rentabiliser les investissements et de réduire les aléas industriels 2. Une assurance vis-à-vis d'éventuels problèmes de sûreté et d'évolution réglementaire 3. Une sécurité sur le plan économique, même avec une série limitée 4. L'indispensable lissage du renouvellement du parc d'EDF 5. Une décision urgente pour disposer en 2015 de l'expérience requise V.- Les perspectives de marché : des commandes tests pour répondre au marché ensuite 1. Les marchés européens 2. Le marché américain 3. Les marchés asiatiques 4. Les autres marchés 5. La puissance des réacteurs : avantages et inconvénients 6. L'industrie nucléaire française responsable de sa stratégie à l'exportation VI.- Une logique de long terme à rajouter aux mécanismes de marché 1. L'internalisation des coûts externes des énergies fossiles 2. Le soutien actif du Gouvernement américain à la mise en service de nouveaux réacteurs nucléaires en 2010 3. La nécessité de mettre en place une aide des pouvoirs publics pour la prise en compte du long terme Quatrième partie du rapport Chapitre 3 : Un important effort de R&D nécessaire pour réussir, à l'horizon 2035, la mise au point des autres réacteurs en projet I.- Un foisonnement de projets pour 2035, ambitieux et multi usages, pour répondre à des préoccupations actuelles et préparer le grand futur de l'énergie 1. Des projets de réacteurs proposés par vagues successives 2. 2035 : un horizon commun pour des finalités différentes II.- Les projets de réacteurs modulaires PBMR, GT-MHR et IRIS, une première vague d'innovations à finalités spécifiques 1. Les réacteurs modulaires à haute température refroidis à l'hélium, une voie déjà explorée dans les années 1960-1970 2. Le projet de réacteur modulaire de faible puissance PBMR, 3. Le projet GT-MHR, un réacteur à vocation plus stratégique que commerciale pour le moment 4. Le projet de réacteur intégré à eau pressurisée de moyenne puissance IRIS III.- La production d'électricité et d'hydrogène, objectif des réacteurs de Génération IV 1. Les principales caractéristiques des réacteurs de Génération IV 2. Les systèmes à eau supercritique 3. Le réacteur à très haute température refroidi au gaz 4. Les réacteurs à neutrons rapides 5. Les réacteurs à sels fondus et le cycle du thorium 6. La priorité donnée au VHTR par les Etats-Unis IV. Les nouveaux réacteurs et la gestion des déchets radioactifs 1. L'intérêt renouvelé pour la fermeture du cycle du combustible 2. Les réflexions en Suède 3. La R&D aux Etats-Unis pour la fermeture du cycle du combustible, une nouvelle orientation du DOE 4. Le cas de la France V. Des projets pour 2035, en raison des verrous technologiques à lever et des démonstrations à apporter 1. Des verrous technologiques nombreux 2. Des démonstrations de sûreté complexes sur des concepts non éprouvés 3. Des calendriers allongés par d'indispensables démonstrations industrielles VI.- Coopération internationale active et pluralisme en France, deux conditions pour une R&D nucléaire efficace 1. L'important effort des Etats-Unis et le risque de déséquilibre de la recherche mondiale 2. Un modèle de coopération internationale à inventer 3. Un nouveau pluralisme de la recherche sur le nucléaire à conforter en France Conclusion Cinquième partie du rapport RECOMMANDATIONS Examen du rapport par l'Office Composition du groupe de travail Liste des personnes auditionnées Audition publique du jeudi 3 avril 2003 INTRODUCTION PAR M. CLAUDE BIRRAUX, PREMIERE TABLE RONDE : LA REGLEMENTATION FRANÇAISE ET LES CENTRALES D'EDF INTERVENTION DE M. ANDRE-CLAUDE LACOSTE, DEUXIEME TABLE RONDE : L'APPROCHE DES DIFFÉRENTS PAYS DE L'OCDE DANS LE DOMAINE DE LA DURÉE DE VIE DES CENTRALES NUCLÉAIRES ALLOCUTION DE Mme NICOLE FONTAINE, LES REACTEURS DANS LA STRATEGIE DU CEA PAR M. ALAIN BUGAT, ADMINISTRATEUR GENERAL DU CEA TROISIEME TABLE RONDE : LES REACTEURS DES ANNEES 2010 INTERVENTION DU DR. KLAUS PETERSEN, VICE PRÉSIDENT NUCLEAR POWER PLANTS, RWE POWER AG, LUE PAR M. SALHA LE NUCLEAIRE DU FUTUR SELON LE GROUPE AREVA PAR Mme ANNE LAUVERGEON, PRESIDENTE DU DIRECTOIRE QUATRIEME TABLE RONDE : LES REACTEURS DES ANNEES 2030-2040 L'APPROCHE D'EDF POUR LA GESTION DE LA DUREE DE VIE DE SON PARC ELECTRONUCLEAIRE PAR M. FRANÇOIS ROUSSELY, PRESIDENT D'EDF. CONCLUSION PAR M. CHRISTIAN BATAILLE, DEPUTE DU NORD, RAPPORTEUR
C'est le 6 novembre 2002 que la Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire de l'Assemblée nationale a saisi l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques d'une étude portant sur « la durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteurs ». Désignés le 20 novembre 2002, vos Rapporteurs ont, selon la procédure de l'Office, élaboré une étude de faisabilité concluant à la possibilité effective de réaliser un rapport sur cette question dans un délai de quelques mois. Après que cette étude ait été adoptée le 4 décembre par l'Office parlementaire, vos Rapporteurs se sont immédiatement mis au travail. Quelques chiffres pour évaluer quantitativement le travail de préparation du présent rapport : 110 heures d'auditions officielles en France ou à l'étranger, dont une journée d'audition publique, 4 pays étudiés avec de multiples rencontres sur place, Finlande, Suède, Allemagne, Etats-Unis, 180 personnes auditionnées, de nombreuses heures de discussions informelles. Comme c'est la pratique de plus en plus fréquente à l'Office parlementaire, un comité de pilotage, dont les membres sont ici chaleureusement remerciés, mais dont la responsabilité n'est aucunement engagée par le présent texte, a apporté une aide efficace pour sélectionner les personnalités à auditionner, cerner les questions clés et analyser les informations livrées par les interlocuteurs. Le texte de la saisine de la Commission des affaires économiques est clair. En conséquence, le présent rapport n'a ni pour objet de peindre le tableau des avantages et des inconvénients de l'électronucléaire ni d'indiquer si la France aurait intérêt, à l'avenir, à réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité. Le présent rapport a, au contraire, pour objet de répondre à des questions simples mais fondamentales pour la production électrique française. Quels sont les phénomènes pouvant limiter la durée d'exploitation des centrales nucléaires ? Comment peut-on lutter contre leur vieillissement, à quel prix et dans quelles conditions de sûreté ? Par ailleurs, si le choix politique est effectué de renouveler notre parc électronucléaire, à quelle date faudra-t-il commencer à le faire ? Quelles seront les technologies disponibles, en prolongement des technologies actuelles, ou au contraire en rupture avec les filières actuellement en service, et à quelle échéance ? Pour l'exploitant nucléaire national qu'est EDF et pour le service public de l'électricité auquel les Français sont attachés quelle que soit leur appartenance politique, la durée de vie des réacteurs actuellement en service est une question à plusieurs dizaines de milliards d'euros. L'Office parlementaire a été le premier en 1999 à mettre cette question sur la place publique, une question qui a un impact financier non seulement sur les comptes d'EDF, mais sur aussi le coût de l'électricité dont nous autres consommateurs nous disposons. Au delà de la situation d'EDF et des marchés de l'électricité, exploiter des réacteurs déjà amortis sur le plan économique et financier sur une durée de 30, 40 ou 50 ans est en vérité loin d'être indifférent pour la compétitivité de l'économie française toute entière. De même, la France a bâti une industrie nucléaire qui constitue l'un de ses atouts dans la concurrence mondiale, représente une source d'emplois nationaux et sur l'avenir de laquelle nous devons nous pencher afin qu'elle puisse proposer au pays, le moment venu et le cas échéant, des solutions performantes pour notre approvisionnement en énergie. Le choix d'une technologie de production de l'électricité a toujours été d'une importance critique et d'une grande difficulté. On l'a bien vu dans notre pays à la fin des années 1960, où il a fallu opérer une révision déchirante de nos choix et abandonner la filière graphite-gaz au profit des réacteurs à eau pressurisé. Assurément, la question de la durée de vie des centrales nucléaires mérite toute notre attention. La France est engagée depuis le début de l'année dans la préparation du projet de loi d'orientation sur l'énergie, prévu par la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité. S'inscrivant dans le calendrier du débat national organisé par le Gouvernement, le présent rapport de l'Office parlementaire a pour objectif d'apporter une contribution à la réflexion du Parlement et de nos concitoyens sur l'identification des échéances relatives à notre parc électronucléaire et sur le choix des technologies pour son renouvellement. Chapitre 1 : La gestion de la durée de vie des centrales, un élément essentiel de l'optimisation du parc, mais un élément non suffisant I.- L'arrivée à maturité des parcs nucléaires, un phénomène mondial analysé avec des références et des méthodes nationales non totalement identiques L'âge moyen des réacteurs nucléaires dans le monde était de 20 ans au début 2003. Même si, d'une manière générale, les centrales électriques peuvent fonctionner plusieurs dizaines d'années, le vieillissement des parcs électronucléaires devient une question importante dans la plupart des pays concernés. L'âge moyen n'est pas une donnée suffisante pour apprécier la situation réelle de l'électronucléaire mondial. En effet, certains réacteurs se rapprochent de la fin de la durée de vie pour laquelle ils ont été conçus, d'où la question de leur éventuelle aptitude à voir leur fonctionnement prolongé si nécessaire. Bien qu'elle possède l'un des parcs électronucléaires de grande taille les plus jeunes du monde, la France est également concernée par le vieillissement des plus anciens de ses réacteurs et doit préparer les décisions qui s'imposent. En apparence, l'âge d'un réacteur est une donnée simple à définir, permettant des comparaisons internationales sans ambiguïté. On peut donc établir les âges moyens des parcs électronucléaires des différents pays et déterminer lesquels, étant les plus anciens, méritent l'attention la plus soutenue. En réalité, pour établir des comparaisons fines entre pays comparables, par exemple la France et les Etats-Unis, il est nécessaire de vérifier les points de départ des périodes analysées, différentes dates, souvent éloignées les unes des autres, pouvant être prises pour référence. 1.1. Des pyramides des âges ramassées avec des âges moyens dépassant deux décennies pour le parc mondial Au début avril 2003, 441 réacteurs nucléaires de production d'électricité étaient en service dans le monde1, représentant une puissance installée de 359 MWe. Près de la moitié de ces réacteurs étaient des réacteurs à eau pressurisée, les réacteurs à eau bouillante représentant moins du quart du total. On trouvera au tableau suivant les différents types de réacteurs, par filière, en service ou en construction. Tableau 1: Réacteurs nucléaires en service ou en construction début avril 2003 (source : AIEA)
En décembre 1942, Enrico Fermi avait réussi à produire la première réaction en chaîne autoentretenue et contrôlée, dans la pile dite Chicago Pile I, installée sous les gradins du stade de football américain de l'université de Chicago. L'effort de construction des parcs électronucléaires mondiaux a commencé dans sa plus grande partie, à la fin des années 1960. Ainsi, entre la mise au point de la première pile atomique et l'effort massif mondial de réacteurs électrogènes, il s'est écoulé environ 25 ans. Au début avril 2003, l'âge moyen de l'ensemble des réacteurs du parc mondial s'élevait à un peu plus de 20 ans. La pyramide des âges des réacteurs électrogènes en service dans le monde laisse apparaître deux pics relatifs correspondant à un redoublement de l'effort d'équipement après le premier choc pétrolier. En tout état de cause, au début 20032 cinquante réacteurs nucléaires avaient plus de 30 ans et huit avaient plus de 40 ans. Le parc électronucléaire d'EDF est le plus jeune de tous les parcs des grands pays nucléaires, à l'exception de celui de la Chine (voir tableau ci-après). Tableau 2 : Âge moyen des parcs électronucléaires (source : WANO - âge moyen en année calendaire pleine depuis la mise en service industrielle au début avril 2003)3
En Russie, l'âge des 30 tranches en exploitation était au début 2003 de 22 ans en moyenne, avec un noyau important de réacteurs anciennement exploités. Ainsi les deux premières tranches RBMK de la centrale de « Leningrad » ont 29 et 27 ans, les deux premières tranches RBMK de la centrale Koursk ont 26 et 23 ans. Quant aux 4 premiers VVER, qui ont été implantés à Kola et Novo Voronej, leur âge approche ou dépasse 30 années. Les principaux pays nucléaires ont, pour la plupart, réalisé leur effort d'équipement dans une période de temps extrêmement limitée, ce qui a supposé des efforts industriels massifs. Figure 2 : Évolution du nombre total de réacteurs électronucléaires couplés au réseau en France, aux Etats-Unis, en Allemagne, au Japon et en Corée du Sud (source : CEA) Ainsi, en France, l'année 1981 a vu le couplage au réseau de 8 tranches, l'année 1980 de 7 tranches et l'année 1984 de 6 tranches. En proportion, cet effort est plus massif que celui des Etats-Unis, qui en 1974 ont couplé 10 tranches au réseau et ont connu 4 années avec couplage de 8 tranches (1973, 1984, 1985 et 1987). Les autres pays ont, pour leur part, bâti leur parc plus progressivement, en particulier le Japon, l'Allemagne et la Corée du Sud. 1.2. Un âge moyen de 17 ans pour le parc EDF, avec plusieurs réacteurs s'approchant des 30 années de fonctionnement Suite à l'effort intensif et exceptionnel effectué tant par le constructeur national Framatome que par l'architecte industriel et exploitant EDF, la France s'est dotée, entre 1980 et 1990, soit en onze années, de 45 réacteurs couplés au réseau, représentant plus des trois quart de son parc actuellement en fonctionnement. Il n'est donc pas étonnant que la pyramide des âges du parc d'EDF soit ramassée, ainsi que le montre la figure suivante. L'âge moyen du parc électronucléaire d'EDF était de 17 ans 6 mois, au début 20034,5. Pour autant, 23 réacteurs d'EDF ont dépassé l'âge de 20 ans. Les deux réacteurs de Fessenheim et les deux de Bugey égalent ou dépassent les 25 années de fonctionnement. On trouvera au tableau suivant les caractéristiques détaillées des réacteurs d'EDF au regard de leurs principales dates de construction, de mise en service et de visites décennales. Tableau 3 : Caractéristiques du parc électronucléaire d'EDF (source : EDF)
Glossaire: PCN: Puissance Continue Nette (MW) - EHY: Épreuve hydraulique du circuit primaire - MSI: Mise en Service Industriel - VC: Visite complète - VD: Visite Décennale Date prise en compte pour réaliser les visites décennales: Ces visites sont demandées par la réglementation française des appareils à pression (loi de 1926 et décret de 1974 lié aux installations nucléaires. La date qui conditionne une visite décennale est celle de l'épreuve hydraulique du circuit sous pression (EHY). Une EHY n° 0 est faite avant d'installer la première recharge de combustible. A la fin du premier cycle d'usure de ce combustible, une visite compète (VC) est réalisée au cours de laquelle une nouvelle épreuve hydraulique est effectuée (EHY n° 1). La date de cette EHY n° 1 conditionne la visite décennale à venir. Lors de cette VD une nouvelle EHY doit être faite, qui, à son tour, reconditionne la programmation de la VD suivante. Ceci se fait conformément aux réglementations en vigueur sous le contrôle de l'autorité de sûreté et de la DRIRE concernée. 1.3. Des dates de référence souvent différentes Pour calculer l'âge d'un réacteur nucléaire, plusieurs dates peuvent être prises pour référence, avec des conséquences naturellement variables sur le résultat. Pour calculer l'âge des réacteurs d'EDF, l'on peut ainsi utiliser la date du premier couplage au réseau, date qui correspond à la première production d'électricité dans des proportions telles que la puissance doive être évacuée à l'extérieur de la centrale. Dans ces conditions, l'âge moyen du parc électronucléaire d'EDF s'établissait au début 20036 à 18 ans 2 mois. On peut au contraire prendre comme date de référence, la date de mise en service industriel, postérieure au premier couplage, qui correspond alors à une régularité industrielle de fonctionnement après une période de mise au point. L'âge moyen du parc EDF est alors égal à 17 ans 4 mois. Alors que pour les paliers CPY et P4-P'4 la durée de cette période de mise au point a rarement dépassé l'année, cela n'a pas été le cas pour le palier N4, pour lequel il a pu s'écouler entre 2 ans (Civaux 2) et 4 ans (Civaux 1) entre le premier couplage au réseau et la mise en service industriel. Il semble, en tout état de cause, que les deux dates de premier couplage au réseau ou de mise en service industriel correspondent au démarrage de processus de vieillissement des matériaux et des matériels. Toutefois, une autre référence peut également être prise, en particulier la date de démarrage des travaux ou date du premier béton. C'est notamment le cas aux Etats-Unis dans la réglementation relative à la licence d'exploitation. On trouvera au tableau suivant la comparaison des différents âges moyens des principaux selon la date de référence. Tableau 4 : Comparaison des âges moyens des tranches nucléaires opérationnelles en 2002, à la date du 11 avril 2003 (source : AIEA - EDF)
En tout état de cause, la réglementation américaine prévoit l'octroi pour chaque réacteur d'une licence d'exploitation de 40 ans, renouvelable pour 20 ans. Ces durées n'ont pas d'équivalent dans la plupart des autres pays nucléaires. Mais, comme la date de référence pour la réglementation américaine est celle de coulée du premier béton, l'étendue couverte par l'autorisation initiale correspond à une durée de fonctionnement effectif largement inférieure. Appliquée à un équipement industriel, la notion de vieillissement correspond à un changement progressif qui résulte du temps ou de l'utilisation. Il convient de distinguer les phénomènes de leurs conséquences, tant le sous-entendu de la notion de vieillissement est négatif. 2.1. Le vieillissement des réacteurs, un phénomène aux causes multiples Dans le cas d'installations industrielles, le vieillissement résulte le plus souvent de processus physiques ou chimiques. A titre d'exemple, le métal peut fatiguer et voir ses caractéristiques techniques s'altérer, par exemple, par des phénomènes d'usure mécanique, ou bien en raison de l'irradiation par des neutrons, ou encore sous l'action de chocs thermiques ou bien enfin du fait de la corrosion par des impuretés chimiques. Mais le vieillissement peut aussi provenir de causes non physiques. Une installation peut voir ses performances amoindries ou son fonctionnement rendu impossible du fait de l'absence de pièces de rechange qualifiées voire de l'inexistence d'une main d'oeuvre apte à l'entretenir ou à la piloter. On peut également constater le vieillissement d'une installation lorsque la mise en place de nouveaux composants matériels ou logiciels entraîne une incompatibilité avec des composants plus anciens. Le vieillissement d'une installation peut enfin être un phénomène totalement extérieur à l'installation, occasionné par un changement de l'environnement physique ou réglementaire, en l'espèce un changement du référentiel de sûreté. C'est alors la perception de l'installation qui est modifiée et non pas ses performances intrinsèques. En tout état de cause, le vieillissement doit être distingué de l'obsolescence technique, qui a pour effet qu'un équipement ancien est dépassé par un nouvel équipement qui, non seulement, remplit la même fonction avec des performances meilleures, mais fournit le plus souvent d'autres services. 2.2. Le vieillissement, une notion liée à celle de marges de sécurité Le vieillissement est une notion le plus souvent connotée négativement en matière de performance. S'agissant d'installations industrielles, les phénomènes de vieillissement sont le plus souvent considérés comme altérant les résultats d'exploitation du fait d'une dégradation des matériels et de leurs fonctionnalités. Pourtant, il peut arriver que la notion de rodage, si elle s'applique de moins en moins aux composants matériels, compte tenu de la précision de la formulation des matériaux et des usinages, puisse s'appliquer au facteur humain, les équipes de conduite et de maintenance pouvant améliorer leur performance avec le temps. Autre élément devant être pris en considération, chacun des composants d'une centrale nucléaire est conçu avec des marges de sécurité importantes. Si, pendant un cycle d'exploitation, les marges de sécurité ne risquent pas d'être consommées, l'installation peut être considérée comme aussi sûre qu'elle l'était à l'état initial. Une analogie peut être faite avec les équipements de sécurité que constituent les pneus d'un véhicule automobile. Tant que les témoins d'usure excessive n'apparaissent pas à sa surface, on peut supposer qu'un pneu usagé égale en performance et en sécurité un pneu neuf. La condition en est toutefois que le témoin d'usure prenne en compte la totalité des phénomènes en cause, c'est-à-dire non seulement la perte de matière due au roulement, mais aussi la fatigue enregistrée par la carcasse du pneu. En définitive, toute la question est donc d'estimer la cinétique de consommation des marges de sécurité pendant un cycle d'utilisation. Comme les composants d'une centrale nucléaire sont conçus avec des marges de sécurité, il est nécessaire de déterminer dans quelle mesure ces marges sont entamées et à quelle vitesse lors d'une campagne de production. Aussi simples soient-elles, ces notions peuvent en réalité être à la source de nombreux débats entre un exploitant et une autorité de sûreté et son appui technique. Fort de la connaissance de ses installations, l'exploitant a tendance à accorder la plus grande confiance aux marges de sécurité calculées et le plus souvent vérifiées par la mesure. Au contraire, l'autorité de sûreté et son appui technique seront volontiers désireux de se prémunir contre une consommation plus rapide qu'attendu des marges de sécurité qu'une appréciation erronée des cinétiques de dégradation pourrait entraîner. Lorsqu'un composant industriel ou même une installation industrielle est conçu, c'est pour une durée d'utilisation donnée autant qu'on puisse la prévoir, compte tenu de l'état des connaissances. Liée à l'état de l'art, cette durée est dite durée de vie de conception. A titre d'exemple, les centrales électronucléaires d'EDF ont été construites pour une certaine durée de vie de conception, compte tenu des matériels employés et des modes d'utilisation envisagés. La durée de vie de conception des équipements les plus importants des centrales nucléaires actuellement en service est estimée à 40 ans. Grâce à l'expérience acquise avec les réacteurs actuellement en service, grâce aux progrès technologiques effectués depuis lors et au nouveau dimensionnement de certains équipements, le projet de réacteur franco-allemand à eau pressurisée EPR (European Pressurized water Reactor) est conçu pour fonctionner 60 ans au minimum. Constituant une notion théorique ou d'anticipation, la durée de vie de conception ne peut évidemment être prise comme base d'une réglementation de sûreté qui recourt au contraire à la notion de durée d'autorisation de fonctionnement. En France, il n'existe pas de limitation de la durée de vie dans le décret d'autorisation de création d'une installation nucléaire. Le décret n° 63-1228 du 11 décembre 1963 relatif aux installations nucléaires, s'il ne prévoit pas de limite de durée, indique en revanche qu'un réexamen de sûreté peut être demandé par l'autorité de sûreté, ce qu'elle décide en pratique pour chaque réacteur au terme de périodes de 10 années de fonctionnement. Ainsi, des rendez-vous réglementaires périodiques sont fixés sous la forme de visites décennales et de réexamens de sûreté associés. Suivant le pays considéré, l'autorité de sûreté octroie des autorisations de fonctionnement plus ou moins longues, qui ne constituent jamais un « chèque en blanc », puisqu'à l'occasion d'inspections inopinées ou programmées à des échéances plus ou moins longues, le fonctionnement de l'installation peut toujours être interrompu en cas d'écart par rapport aux normes de sûreté. Le tableau suivant présente les différents types d'autorisation de fonctionnement tels qu'ils existent dans les principaux pays nucléaires. Tableau 5 : Durée de vie de conception et durée d'autorisation de fonctionnement selon les pays (source : AEN OCDE)
A l'exception des Etats-Unis qui fixent deux butoirs pour les durées d'exploitation - 40 ans puis 20 ans -, la totalité des pays nucléaires ne se prononcent pas dans leur réglementation sur la durée maximale d'exploitation, mais délivrent au contraire des autorisations pour 10 années renouvelables, sous réserve que les examens de sûreté qui sont réalisés à l'issue de chaque période donnent des résultats satisfaisants. Au-delà des questions réglementaires, il est clair que la durée d'exploitation d'une installation dépend de sa rentabilité, d'où la notion de durée de vie pratique. Dans son acception commune, la durée de vie d'une installation est entendue comme sa période de fonctionnement. Pour désigner cette période de fonctionnement, il conviendrait plutôt de parler de durée d'exploitation, mais l'usage a imposé l'expression « durée de vie ». La durée de vie entendue ainsi est en fait la résultante de trois types de considérations, techniques, réglementaires et économiques. Le vieillissement d'une installation industrielle entraîne le plus souvent des opérations de maintenance ou de rénovation qui ont un coût que l'on peut déterminer avec une marge d'erreur plus ou moins grande. Les exigences de sûreté peuvent également conduire non seulement à restaurer le niveau de sûreté de l'installation par rapport à son niveau initial, mais aussi à l'augmenter par rapport à ce dernier, en réévaluant le référentiel de sûreté. S'il est possible de substituer de nouveaux composants aux anciens, le remplacement se fait avec des délais, des contraintes et finalement un coût qui peut être comparé à celui d'une installation neuve, nucléaire ou non. Dans le cas des réacteurs nucléaires, il faut également que des solutions soient disponibles pour l'entreposage ou le stockage des déchets radioactifs issus du démantèlement qui suivrait l'arrêt de l'exploitation. Une décision peut alors être prise de moderniser ou non l'installation initiale, ce qui détermine finalement la durée de vie. Les Etats-Unis, qui ont mis en place une déréglementation partielle de leurs marchés de l'électricité, fournissent l'exemple type de la prise en compte des paramètres de coûts et de rentabilité dans la durée de vie réelle d'une centrale nucléaire. Avec la libéralisation partielle du marché de l'électricité, les Etats-Unis ont soumis le secteur de la production d'électricité à la concurrence qui s'exerce non seulement entre compagnies, mais aussi entre filières. Simultanément, l'autorité de sûreté nucléaire américaine, la NRC a réformé ses procédures de renouvellement de licence (« licence renewal »), en vue de l'obtention d'une prolongation de 20 ans de la licence initiale de 40 ans. Un exploitant nucléaire souhaitant prolonger l'exploitation d'un réacteur doit faire face à deux types de coûts. Le premier coût correspond à celui de la constitution du dossier en interne et de son instruction par la NRC. Une compagnie de petite taille élabore son dossier en recourant à des cabinets de conseil externes alors qu'une compagnie de taille suffisante le prépare en interne. S'agissant de l'intervention de la NRC, le coût d'instruction de chaque dossier déposé en avril 1998 s'est élevé à 35 millions $ pour les réacteurs de Calvert Cliffs 1 & 2 exploités par la société Baltimore Gas & Electric. Depuis lors, le prix facturé par la NRC s'élève à 10 millions $. A ce coût administratif s'ajoutent des coûts d'investissements, beaucoup plus importants, indispensables tant du point de la sûreté que sur celui de la performance économique requise pour prolonger la durée d'exploitation de 20 ans. En outre, l'exploitant doit faire face aux pertes d'exploitation liées à la non production pendant les interventions lourdes nécessitant l'arrêt du réacteur. Selon la NRC, ces investissements de modernisation réalisés dans la perspective d'une prolongation de licence s'élèvent à 200-300 millions $ par réacteur8. La NEI estime pour sa part l'investissement total pour une compagnie d'électricité à 500 millions $ courants en incluant toutes les dépenses, y compris l'extension de la provision pour démantèlement9. Du fait du niveau de ces dépenses qui nécessitent une capacité d'investissement importante et des perspectives commerciales solides, la NRC estime que, sur les 104 réacteurs en service au début 2003, seuls 95 à 99 d'entre eux feront l'objet de renouvellements de licence. On voit donc que la durée de vie est influencée, non seulement par les conditions techniques, mais aussi par les conditions réglementaires et les facteurs économiques. Le vieillissement d'une installation industrielle comme une centrale nucléaire est le fait de phénomènes physiques à son âge et à son utilisation. Mais le vieillissement peut aussi résulter de phénomènes immatériels liés non seulement à une meilleure connaissance de ses composants au fil des progrès des instruments de mesure, mais aussi à un changement des points de repère définissant l'optimum d'une installation de même type. En tout état de cause, il convient d'identifier avec précision quels sont les différents types de phénomènes, quels sont les composants critiques d'une centrale nucléaire en terme de vieillissement et dans quelle mesure les centrales d'EDF traversent les années conformément aux prévisions d'origine. En dépit des alertes qui ont pu survenir sur tel ou tel composant, alertes auxquelles le constructeur et l'exploitant ont pu remédier, il semble établi que la robustesse à 30-40 ans des centrales nucléaires est en ligne avec les prévisions. Si l'on admet que les centrales nucléaires ne font pas partie des cas rares où le fonctionnement d'une installation industrielle se traduit par sa bonification, le vieillissement d'une centrale nucléaire s'accompagne d'un processus lent de dégradation, dont les causes proviennent essentiellement des conditions d'utilisation mais aussi d'éventuels changements de contexte. 1.1. Les modes de dégradation intrinsèques Les processus de vieillissement sont pour la plupart communs aux différents types de matériaux. Pouvant concerner des composants métalliques de toute taille - de la cuve du réacteur à des composants de petite taille - mais aussi le béton des enceintes ou les polymères de gainage des câbles ou des dispositifs antisismiques, la fragilisation des matériaux peut avoir différents types de causes. Les plus importants dans les centrales nucléaires sont les chocs thermiques entraînés, par exemple, par des arrêts d'urgence ou l'irradiation neutronique dans le cas de la cuve et de ses internes. Autre mode de dégradation, la corrosion peut être fissurante, auquel cas son impact sur la sûreté doit être surveillé de près. La corrosion peut aussi être de type érosion, par exemple sur certaines parties des circuits secondaires lorsque le débit est élevé avec un pH faible. L'utilisation des matériels peut entraîner une fissuration par fatigue ou une usure, par exemple dans le cas des mécanismes des grappes de contrôle de la réactivité. La perte de précontrainte du béton des enceintes est également rangée dans le domaine des mécanismes de dégradation liés au vieillissement des centrales nucléaires. Une question fondamentale sur les phénomènes de vieillissement est leur linéarité ou leur non linéarité. Ainsi dans la décision de remédier aux inconvénients de l'inconel 600 en lui substituant l'inconel 690, des essais ont été faits sur la tenue de ce dernier dans des conditions plus rigoureuses que les conditions d'exploitation, sans toutefois adopter des écarts trop importants de peur de sortir des conditions de linéarité10. Autre exemple de l'importance de la linéarité ou de la non linéarité des phénomènes de vieillissement, on constate souvent que les défauts n'évoluent pas lorsqu'il s'agit d'analyse dans le très long terme. Mais la fragilisation du métal fait qu'à sollicitation égale, les risques de rupture s'accroissent. Comment prévoir les conséquences de tels phénomènes ? Au final, pour pouvoir effectuer des prévisions, une connaissance fine des mécanismes est indispensable, d'où la nécessité de la recherche. 1.2. Une attention particulière portée aux composants non remplaçables Un très grand nombre de composants d'une centrale nucléaire conditionnent sa bonne marche, ce qui a un impact sur la sûreté et sur sa production. Il est donc très difficile d'établir des priorités pour la prévention du vieillissement et le remplacement des composants. Il n'en demeure pas moins qu'une attention particulière doit être accordée aux composants non remplaçables dont la dégradation au-delà d'une limite définie par des considérations de sûreté signifierait l'arrêt. A l'instar de la plupart des exploitants, EDF considère que les deux composants d'une centrale nucléaire qui ne sont pas remplaçables sont la cuve du réacteur et l'enceinte de confinement. C'est pourquoi une attention particulière leur est accordée, bien qu'elle ne soit exclusive d'une surveillance précise du vieillissement de l'ensemble des composants d'une centrale. 1.3. Les changements de contexte Permettant d'avoir une meilleure connaissance de la réalité, le perfectionnement des instruments de mesure et l'approfondissement des modèles de représentation des phénomènes peuvent conduire à changer l'appréciation que l'on a du vieillissement d'une installation. Par ailleurs, au fur et à mesure des développements technologiques, une installation peut sembler vieillir prématurément, que le progrès technologique soit ou non pris en compte par la réglementation. En terme de sûreté, une exigence accrue de la réglementation pourra déclasser l'image ou la réalité d'un équipement industriel. Loin d'être théorique, la question du changement de contexte pour l'appréciation du vieillissement est souvent, quel que soit le pays et même le secteur industriel considéré, au centre des discussions entre un exploitant et le régulateur. S'agissant des centrales nucléaires, il s'agit là d'une question capitale, qui est examinée en détail ci-après. Notons toutefois que la stabilité du référentiel de sûreté ou, au contraire, son évolution vers des exigences accrues différencie fondamentalement l'approche américaine de l'approche française. Sans prétendre exposer l'ensemble des phénomènes de vieillissement dont sont l'objet les composants des centrales nucléaires, il convient de présenter à ce sujet quelques unes des interrogations majeures concernant le parc d'EDF. En tant que principal composant d'un réacteur nucléaire, le vieillissement de la cuve est d'une particulière importance. En effet, le vieillissement peut conduire à un renforcement de la dureté des métaux, ce qui peut présenter dans certains cas un avantage. Mais le phénomène qui l'emporte quasiment toujours est celui de la fragilisation. Il paraît important de trier en terme d'importance pour le long terme les principaux problèmes dont les réacteurs d'EDF sont l'objet. 2.1. Les défauts sous revêtement, un problème de fabrication sans incidence sur la sûreté Certains réacteurs d'EDF ont manifesté un défaut du revêtement intérieur de cuve. Dans quelle mesure ces défauts sont-ils alarmants en terme de durée de vie ? La cuve d'un réacteur nucléaire comporte un revêtement en acier inoxydable. En mars 1999, un contrôle par ultrasons réalisé lors de la 2ème visite décennale a mis en évidence des défauts sous ce revêtement pour la cuve de Tricastin 1, prenant la forme de fissurations d'une profondeur pouvant aller jusqu'à 1 cm pour une épaisseur de la cuve de 20 cm. Un programme d'inspection des cuves du palier 900 MW a donc été mis en place et achevé fin 2000 par EDF. Les 34 cuves 900 MWe ont fait l'objet d'un contrôle total de la zone de coeur en VD1 ou VD2. Par ailleurs, toutes les cuves 1300 MWe ont été contrôlées en VD1, à l'exception de Cattenom 4, de Penly 2 et de Golfech 2 dont les premières visites décennales ont été programmées en 2003 et 200411. Les résultats des inspections ainsi menées sont encourageants. Seules 2 cuves, Tricastin 1 et Fessenheim 2, présentent quelques défauts sous revêtement d'une hauteur supérieure à 10 mm, dont l'explication est établie, qui disposent des marges significatives et ont entraîné des dispositions particulières. Par ailleurs, seules les 5 cuves de Saint Laurent B1 et B2, Fessenheim 1, Gravelines 6 et Belleville 2 présentent un défaut entre 6 et 8 mm de hauteur avec des marges significatives. Quant aux autres cuves, elles n'ont pas de défaut supérieur aux critères liés aux performances des outils de contrôle. L'analyse de ces défauts a montré qu'il s'agit d'une fissuration à froid, survenue lors de la fabrication en raison de mauvaises conditions métallurgiques et d'une imperfection de l'opération de dépôt du revêtement par soudage. En définitive pour EDF, il est raisonnablement établi que ces défauts ne menacent pas de réduire la durée de vie des réacteurs. 2.2. La fragilisation sous irradiation, un problème surveillé de près Au-delà des défauts de revêtement, le mécanisme plus fondamental est celui de la fragilisation sous irradiation de l'acier des cuves, dont on peut penser a priori qu'il limite la durée de vie des réacteurs. La principale cause de dégradation possible pour une cuve de réacteur nucléaire est l'irradiation neutronique, la fragilisation de l'acier de cuve étant fonction de la dose cumulée de neutrons d'une énergie supérieure à 1 MeV qu'il reçoit. C'est la partie de la cuve qui se situe à hauteur du coeur du réacteur qui est soumise à un tel phénomène. Depuis le début des années 1970, il a été mis en évidence le rôle prépondérant des impuretés de cuivre et de phosphore contenues dans l'acier dans sa fragilisation. Ayant été construites postérieurement aux premiers réacteurs américains, les cuves des réacteurs d'EDF ont été fabriquées en tenant compte de ce phénomène. Par ailleurs, l'augmentation de taille de la cuve, du palier 900 MW au palier 1450 MW, liée à l'augmentation du nombre d'assemblages, a permis également d'augmenter l'épaisseur de la lame d'eau entre les internes de cuve et les parois de celle-ci. On sait qu'un métal possède deux états, fragile puis ductile, lorsque la température augmente. La température de transition fragile-ductile doit être la plus basse possible de manière que l'utilisateur bénéficie des propriétés intéressantes sur une large plage de température. L'irradiation entraîne généralement une augmentation de la température de transition fragile-ductile. Lorsque le métal est neuf, cette température est basse. Le vieillissement entraîne généralement une élévation de la température de transition. Lorsque la température de fonctionnement est supérieure à la température de transition, il n'y a pas de risque particulier de rupture de la pièce correspondante. D'où l'importance d'avoir des températures de transition les plus basses possibles. L'augmentation de la taille de la cuve ainsi que la diminution des teneurs en cuivre et en phosphore des aciers de cuve, du palier 900 MW au palier N4, ont permis de réduire de près d'un tiers la dose cumulée reçue sur une période de 40 ans et d'abaisser la température de transition fragile-ductile. Reste le cas des premières cuves, qui n'ont pu bénéficier, par hypothèse, de ces dispositions plus favorables. L'exploitant a pu réduire la dose maximale vue par la cuve en adoptant une gestion du combustible à faible fuite, ce qui permet une diminution de 20 % de la dose reçue. Au demeurant un programme de surveillance des aciers de cuve a été initié avec l'implantation d'éprouvettes ou de capsules témoin subissant un flux neutronique supérieur. En tout état de cause, l'éventuelle fragilisation ne remet pas en cause la résistance de la cuve dans des conditions normales de fonctionnement. Si la température de transition ductile-fragile devait s'élever significativement, alors, dans le cas d'un choc froid correspondant à l'injection de sécurité dans le circuit de refroidissement, la marge de sécurité de la cuve pourrait être insuffisante. La démonstration de la tenue des cuves à 30 ans a été jugée satisfaisante en 1999 par l'autorité de sûreté. Des études complémentaires sont en cours pour lui permettre de statuer sur la tenue des cuves à 40 ans. En l'occurrence, la NRC s'apprêterait à faire paraître, après une revue par les pairs « peer review » les résultats d'une très importante étude qui démontrerait que les rayonnements γ, les chocs de pression et de température sur l'acier des cuves de réacteurs limiteraient certes leur durée de vie, mais dans des proportions plus faibles que ce que l'on pouvait craindre12. De fait, le Laboratoire National d'Oak Ridge a réalisé des études d'irradiation et de chocs thermiques depuis 1972 sur des modèles réduits de cuves de réacteurs en service dont les résultats semblent encourageants13. Par ailleurs, des modèles mathématiques des structures microscopiques des aciers concernés et de leur comportement sous irradiation ont été mis au point, afin d'améliorer les capacités de prévision de la fragilisation des métaux à partir des températures de transition fragile-ductile. En tout état de cause, ces résultats, s'ils sont confirmés, devraient faciliter aux exploitants la démonstration que la cuve de leurs réacteurs remplit les conditions requises pour la prolongation de fonctionnement de 20 ans. 2.3. L'influence des modes de gestion et des types de combustibles Certains experts redoutent que l'utilisation du MOX14 accélère le vieillissement de la cuve d'un réacteur et limite sa durée de vie. Une particularité du parc électronucléaire français est l'utilisation de combustibles MOX sur 20 tranches du palier 900 MW. Selon Framatome ANP, il n'existe aucun signe que le choix du combustible, classique ou MOX, ait un impact quelconque sur la fragilisation de la cuve, ce qui va dans le sens d'une influence déterminante de la dose cumulée de neutrons sur la fragilisation. En revanche, le mode de gestion du combustible, en particulier le plan de chargement du combustible, a une importance déterminante pour réduire la fluence et donc l'endommagement par les neutrons. Pour maximiser la durée de vie de la cuve, il convient en conséquence de mettre en place une gestion à faible fuite, ce qui conduit à placer à l'extérieur du coeur du réacteur les combustibles déjà irradiés, un mode de gestion qui peut être compatible avec une gestion à 18 mois. L'enceinte de confinement est un autre composant réputé non remplaçable qui occupe une place particulière dans les réflexions relatives à l'impact du vieillissement sur la durée de vie d'un réacteur. Ayant une double fonction, l'enceinte d'un réacteur nucléaire joue le rôle de troisième barrière de confinement en cas d'accident ou de protection contre les agressions externes. Les caractéristiques techniques des enceintes ont évolué entre le palier 900 MWe et les paliers 1300 MWe et N4. Les réacteurs du palier 900 MWe disposent d'une enceinte simple en béton précontraint, dotée intérieurement d'un revêtement métallique qui assure l'étanchéité. Les réacteurs des paliers 1300 MWe et N4 sont au contraire dotés d'une enceinte double. L'enceinte interne et l'enceinte externe ne sont ni l'une ni l'autre dotées d'un revêtement à la construction. L'espace entre les deux enceintes, maintenu en dépression, assure la reprise des fuites en totalité. Les paramètres les plus importants dans l'évolution de l'enceinte sont d'une part sa géométrie et, d'autre part, son étanchéité. Les enceintes subissent des phénomènes de déformation lente dus à un relâchement de la précontrainte, tant verticalement que tangentiellement. Le béton des enceintes ayant été préparé avec des granulats de provenance locale, ces phénomènes dépendent de la composition du béton et donc du site de construction. La surveillance des enceintes est assurée par un système dit « EAU » d'auscultation qui permet la mesure des déformations et des déplacements de l'ouvrage tout au long de son exploitation industrielle. D'après les relevés des déformations effectués tous les trois mois - un rapport complet d'auscultation étant effectué tous les deux ans - les déformations obéissent à une cinétique qui s'amortit dans le temps, l'asymptote étant atteinte après 17 années. Les décrets d'autorisation de création des réacteurs15 spécifient le niveau d'étanchéité global des enceintes dans une situation d'accident dite APRP (Accident de perte de réfrigérant primaire). Le taux de fuite dans cette situation, exprimé en pourcentage par jour de la masse de gaz contenue dans l'enceinte, doit être inférieur ou égal à 0,3 % pour les enceintes simples et 1,5 % pour la première enceinte des enceintes doubles. Traduit dans les rapports de sûreté, ce critère en situation d'accident est transposé aux essais périodiques, avec prise en compte d'une marge de sécurité pour tenir compte du vieillissement. Pour les enceintes doubles, la valeur maximale autorisée du taux de fuite du décret d'autorisation, fixé à 1,5 % par jour pour la vapeur, devient successivement 1,5 % par jour pour l'air dans le rapport de sûreté, puis 1,125 % par jour une fois appliqué un coefficient de 0,75 pour le vieillissement et finalement, pour les essais en air, 1,0 % par jour en appliquant une marge de qualité supplémentaire. Pour les enceintes à simple paroi, la valeur maximale autorisée pour le taux de fuite est de 0,3 % pour la vapeur dans le décret d'autorisation de création, mais de 0,162 % seulement pour l'essai en air. L'étanchéité des enceintes simples varie peu dans le temps, la principale préoccupation étant d'éviter que les traversées de l'enceinte n'induisent pas de fuites. S'agissant des enceintes doubles, le béton précontraint n'étant pas étanche, le principe est de collecter les fuites dans l'espace entre les deux enceintes. Le dépassement du critère de fuite à Flamanville a pu faire craindre un fluage16 du béton plus important que prévu, ce qui a conduit l'autorité de sûreté à accorder une attention soutenue à cette question. L'épreuve de mise en pression de l'enceinte du réacteur Flamanville 1, réalisée en octobre 1997, a mis en évidence une évolution significative du taux de fuite global depuis la dernière épreuve réalisée en août 1987. Cette évolution trouve son origine principalement dans l'apparition d'un réseau de fissures au niveau de points singuliers de l'enceinte, en particulier le tampon matériel. De telles fissures ont été constatées, depuis, sur les enceintes des réacteurs Flamanville 2, Cattenom 1, 2 et 3, Saint-Alban 1 et 2, Belleville 1 et 217. En réalité, la responsabilité majeure dans le dépassement des taux de fuite autorisés est à imputer à la zone tampon pour le matériel. En conséquence, un programme de revêtement partiel des enceintes par des matériaux composites a été mis en oeuvre en prévoyant une extension des zones concernées, de manière à qualifier les enceintes à l'échéance d'au moins 40 années. Ayant été réalisés pour les premiers réacteurs du parc d'EDF avec des dispositifs analogiques introuvables semble-t-il sur le marché, les systèmes de contrôle commande sont aussi perçus comme limitant la durée de vie d'un réacteur. Qu'en est-il exactement ? Une grande attention est accordée dans la pratique aux systèmes de contrôle commande. Ainsi, les coûts annuels de maintenance sont de l'ordre de 45 millions € par an en coûts externes pour l'ensemble du parc. Le contrôle commande est un ensemble tellement déterminant pour la sûreté et les performances à long terme d'un réacteur que son remplacement pour cause d'obsolescence peut et doit être envisagé lorsque la durée d'exploitation restant à courir permet de rentabiliser le nouveau système18. C'est ainsi que les contrôles commandes des réacteurs suisses de Beznau ont été intégralement remplacés à la fin des années 1990. Des rénovations partielles ont été effectuées en Suède, en République tchèque, en Hongrie, en Slovaquie et aux Etats-Unis19. Si le remplacement d'un système de contrôle commande présente un intérêt économique, l'exploitant n'a donc aucune hésitation à le faire. Au-delà de ces composants, d'autres sont considérés comme remplaçables couramment et l'ont déjà été. Leur importance pour la durée de vie est donc moindre en apparence. Mais la maintenance prédictive et les coûts des opérations de remplacement revêtent toutefois une très grande importance pour la durée de vie réelle des installations. Dans la chronique des problèmes rencontrés par EDF, deux chapitres ont suscité une attention particulière, d'une part le vieillissement des composants moulés et, d'autre part, les couvercles de cuve. 5.1. Le vieillissement des composants moulés Le circuit primaire principal des réacteurs à eau sous pression comprend des composants moulés dont on s'est aperçu, au début des années 1980, qu'ils subissaient un vieillissement thermique accéléré se traduisant par une diminution de la résilience et de la ténacité de l'acier inoxydable austéno-ferritique. Non pris en compte à la conception, le problème de vieillissement des produits moulés du circuit primaire touche les tuyauteries et les corps de pompes primaires. Les études réalisées par Framatome et EDF, qui ont reposé en particulier sur l'utilisation de sondes atomiques, ont permis de comprendre les causes et les mécanismes de rupture, entraînées par une diminution des caractéristiques de consolidation des matériaux. Une saturation des effets de ces mécanismes se produisant, le dossier transmis par EDF à l'autorité de sûreté établit, de son point de vue, l'aptitude de ces matériels à fonctionner au moins 40 ans. Les centrales nucléaires d'EDF ont fait l'objet d'opérations coûteuses de remplacement de composants lourds, comme les générateurs de vapeur et les couvercles de cuve, en raison de la tenue insuffisante à la corrosion en milieu primaire de l'inconel 600. Cette démarche d'anticipation a prouvé toute sa valeur par comparaison avec la politique de réponse ponctuelle suivie aux Etats-Unis. 5.2. Le remplacement des générateurs de vapeur et des couvercles de cuve en France Les couvercles de cuve des paliers 900 MWe et 1300 MWe ont été remplacés avec une fréquence moyenne de 5 à 7 par an entre 1994 et 1997, puis de 4 par an entre 1999 et 2001 et enfin de 1 à 2 par actuellement, la fin du programme de remplacement étant prévue pour 2008. En définitive, cette opération aura porté sur les 28 tranches du palier 900 MWe et sur 15 tranches du palier 1300 MWe.
Au coût moyen de 2,1 millions euros pour le couvercle et de 2,4 millions euros pour l'intervention, le total de la dépense pour le palier 900 MWe représente 126 millions euros courants. Pour le palier 1300 MWe20, la dépense représente 73,5 millions euros. Le budget total du remplacement des couvercles de cuve atteint donc 200 millions euros. Par ailleurs, les générateurs de vapeur ont été changés dans 11 centrales EDF21. La dépense totale, en matériels neufs et en intervention est estimée à 957 millions euros. Par ailleurs, les pertes d'exploitation entraînées par le remplacement des couvercles de cuve sont estimées par EDF à 0,1 % de l'énergie annuelle disponible entre 1994 et 1997. Pour le remplacement des générateurs de vapeur, la perte annuelle est de l'ordre de 0,15 % de l'énergie disponible entre 1990 et 2002. Démontrant la maîtrise technique de l'exploitant, ces opérations lourdes ont montré également la capacité d'anticipation de l'autorité de sûreté et de son appui technique, qui ont préféré prendre les devants et organiser dans la durée ces remplacements. Les causes des dégradations étant identifiées, il a en effet été jugé plus avantageux pour la sûreté et pour la performance économique du constructeur et de l'exploitant de planifier les remplacements plutôt que de devoir réagir dans l'urgence, au fur et à mesure de l'identification des dégradations. Cette démarche d'anticipation a prouvé toute sa valeur par comparaison avec la politique de l'autorité de sûreté américaine. Celle-ci en effet n'a pas tiré les mêmes conséquences des informations pourtant livrées par l'autorité de sûreté française sur les problèmes des couvercles de cuve dus à la tenue insuffisante à la corrosion de l'inconel 600. Il en est résulté des opérations effectuées non seulement dans l'urgence22 mais également aux limites de sûreté des équipements concernés. 5.3. Le couvercle de cuve de Davis Besse et d'autres centrales nucléaires américaines Lors de l'arrêt pour rechargement commencé le 15 février 2002, l'exploitant du réacteur de la centrale de Davis Besse à Oak Harbor dans l'Ohio réalisa une inspection des tubulures traversantes du couvercle de cuve, en se focalisant sur les tubulures par lesquelles les barres de contrôle pénètrent dans la cuve. Suite à l'apparition fortuite, après cette première inspection, d'une inclinaison dans la pénétration n° 3, une inspection visuelle supplémentaire permit de découvrir le 7 mars 2002 une large cavité dans le couvercle de cuve à proximité de la pénétration n° 3. D'une largeur pouvant atteindre 7 cm, cette cavité se révéla occuper toute l'épaisseur du couvercle, soit environ 10 cm, l'étanchéité n'étant plus assurée que par le revêtement interne du couvercle en acier inoxydable d'une épaisseur de 0,5 cm. Bien que l'analyse des causes de ce phénomène ne soit pas achevée, il semble que des remontées d'eau boriquée dans les pénétrations et leur déversement sur la partie externe du couvercle soient à imputer, l'inconel 600 pouvant être corrodé dans ces conditions. Dans la mesure où cette dégradation du couvercle de cuve aurait pu avoir un impact non négligeable sur la sûreté et la radioprotection, un premier programme d'investigation a été lancé, qui s'est traduit par la découverte de défauts analogues et donc la commande et le remplacement de couvercles de cuve sur d'autres réacteurs23. Le 11 février 2003, la NRC a finalement lancé un programme exhaustif d'investigation de tous les couvercles de cuve de l'ensemble des réacteurs à eau pressurisée en service aux Etats-Unis. La démarche d'anticipation de l'autorité de sûreté française et d'EDF se trouve en tout état de cause confortée. Pour autant, des craintes sont souvent soulevées sur l'influence du suivi de charge sur le vieillissement des réacteurs d'EDF. A l'heure actuelle, selon les informations communiquées à vos Rapporteurs, seules 10 tranches sur les 58 du parc électronucléaire d'EDF fonctionnent en base. Les 48 autres voient leur puissance modulée en fonction des besoins du réseau. Cette situation est totalement originale dans le parc nucléaire mondial. Dans quelle mesure est-elle de nature à réduire la durée de vie des réacteurs d'EDF ? 6.1. L'utilisation particulière du parc d'EDF Dans les quatre pays visités par vos Rapporteurs, Finlande, Suède, Allemagne et Etats-Unis, les exploitants utilisent leurs réacteurs en base, accordant la plus grande importance à la régularité de fonctionnement non seulement pour atteindre leur meilleure efficacité et la meilleure rentabilité des investissements consentis, mais également pour accroître leur longévité. Un décalage important existe donc entre les coefficients de production ou facteur de charge Kp des réacteurs d'EDF et ceux du reste du monde (voir figure suivante). Le coefficient Kp est défini comme le ratio dont le numérateur est égal à l'énergie électrique brute réellement produite et envoyée sur le réseau pendant la période considérée et au dénominateur le produit de la puissance électrique brute du réacteur par la durée de la période considérée, c'est-à-dire l'énergie électrique qui aurait pu être produite si le réacteur avait fonctionné à pleine puissance pendant toute la période. Figure 5 : Coefficients de production des réacteurs d'EDF comparés aux réacteurs du parc mondial (source : P. Girard - EDF Trading, d'après Elecnuc-CEA et Nucleonics Week) Sans équivalent dans le monde, le mode d'exploitation d'EDF pose plusieurs questions cruciales. Le suivi de charge est-il de nature à accélérer le vieillissement des tranches qui y sont soumises ? Si aucune influence directe n'est mesurable à cet égard pour le moment, peut-on s'attendre à ce que, le temps passant, des phénomènes de vieillissement qui plus est non linéaires se révèlent à l'avenir et compromettent la durée de vie ? Est-il envisageable de mettre en application une spécialisation du parc entre d'une part des réacteurs fonctionnant en suivi de charge que l'on s'attendrait à renouveler rapidement, par exemple au bout de 30 ans, et, d'autre part, en réacteurs fonctionnant en base dont on essaierait de pousser la durée de vie au maximum ? L'influence du suivi de charge sur la longévité des réacteurs est une question que vos Rapporteurs ont systématiquement posée à l'ensemble de leurs interlocuteurs. Aucune des personnes auditionnées à l'étranger n'a émis le moindre doute sur le fait que les variations de réactivité, de température et de pression entraînées par le suivi de charge ne peuvent qu'accélérer le vieillissement des composants d'une centrale. A l'inverse, les responsables français ont tous tendance, à des degrés divers toutefois, à considérer que son impact sur le vieillissement est faible. 6.2. Les réponses rassurantes de l'ensemble des parties prenantes du nucléaire français Selon Framatome ANP, « les expériences conduites en laboratoire montrent une dégradation plus importante des composants avec le suivi de charge mais il n'existe actuellement pas d'éléments objectifs montrant que les tranches fonctionnant en suivi de charge seraient plus dégradées que les tranches fonctionnant en base24 ». Au reste, des comparaisons ont été faites entre les réacteurs du palier français 900 MWe avec leurs équivalents en service en Afrique du Sud et en Chine. Le résultat est que « l'on n'arrive pas à mettre en évidence des différences significatives». En réponse à une demande d'approfondissement de la réponse, il a toutefois été répondu que « si l'on n'arrive pas à séparer le suivi de charge et la base, peut-être une fatigue supplémentaire apparaîtra en fin de vie ». Selon l'IRSN, le suivi de charge aurait un impact sur la durée de vie de certains composants, en particulier les mécanismes de commande des grappes de contrôle. Selon EDF, si le suivi de charge n'a pas d'impact sur la cuve, des transitoires peuvent présenter des inconvénients pour certains composants. Les dispositions prises à la conception et pour l'exploitation permettent de pallier ces difficultés. A la conception, les concepteurs des centrales nucléaires connaissent les points de sollicitation et adoptent en conséquence des critères de dimensionnement adaptés. Par exemple, s'il existe des transitoires thermiques ayant une allure spécifique à un endroit donné avec une température maximale de 100 °C, le dimensionnement sera prévu de manière que le composant puisse supporter une température de 150 °C. Deuxième moyen de prévenir les effets éventuels du suivi de charge, l'exploitant surveille les éléments de l'installation qui ont été identifiés comme sensibles et fait une comptabilisation des situations rencontrées, de manière à vérifier que l'installation reste à tout moment dans les limites de conception. Par ailleurs, il existe un retour d'expérience systématique des différentes situations rencontrées. S'il existe des écarts, l'exploitant fait baisser l'occurrence des situations les plus gênantes. C'est ainsi que certaines procédures ont été simplifiées pour cette raison, lors des essais périodiques. L'identification des composants concernés, la comptabilisation des situations rencontrées et la modification éventuelle des méthodes d'exploitation constituent des réponses satisfaisantes. En tout état de cause, les dimensionnements adoptés lors de la conception et les modes d'exploitation permettront d'atteindre et de dépasser les 40 années de fonctionnement. L'exploitation de la cuve étant « chahutée » par les transitoires, on peut toutefois se demander si la prolongation de la durée de vie ne nécessitera pas un mode d'exploitation différent des réacteurs d'EDF. En réalité, en 2002, le mode d'exploitation des réacteurs n'est pas, pour le moment, significativement modifié par l'objectif d'extension de la durée de vie. Toutefois, les dispositions d'exploitation pourront, si nécessaire, être adaptées aux circonstances. Par exemple si une cuve devait être ménagée, les températures de l'eau injectée pourraient être modifiées, d'où des consignes différentes. Pour l'autorité de sûreté25, le suivi de charge est intégré dans la conception des réacteurs d'EDF. Les étapes de mise à l'arrêt et de redémarrage et leurs fréquences sont évidemment prévues par le constructeur, les transitoires liés au suivi de charge étant en outre comptabilisés par l'exploitant. En réalité, selon vos Rapporteurs, il est difficile d'imaginer que le suivi de charge ait été prévu pour les premiers réacteurs du palier 900 MWe, sinon pour la totalité de ce palier. En effet, la part du nucléaire dans la production nationale d'électricité n'a pas atteint immédiatement le pourcentage qu'on lui connaît actuellement. Le pourcentage de l'électricité nucléaire est en effet passé de 8 % en 1973 à 17 % en 1979 et n'a atteint 65 % qu'en 1985 avant d'atteindre les trois quarts en 1990. On peut ainsi penser que le suivi de charge est directement lié à l'arrivée du parc électronucléaire à un niveau de production tel qu'il était indispensable de lier sa production à la demande instantanée. Selon le CEA, le suivi de charge a commencé d'être appliqué en 198326. Au-delà de cette question historique qui a toutefois son importance, toute la question est de savoir quelle est l'ampleur des sollicitations sur les composants entraînées par le suivi de charge. Selon EDF, les procédures de suivi de charge comportent des dispositions pour atténuer les variations de température et de pression. Toutefois, la liste des transitoires à comptabiliser est en cours de révision. L'expérience a montré qu'un vieillissement rapide a pu affecter les circuits de refroidissement du réacteur à l'arrêt du palier N4. EDF conduit par ailleurs des expériences sur cette question avec le palier 1300 MW, le suivi de charge étant concentré sur certaines tranches. En tout état de cause, il semble difficile de démontrer un éventuel effet du suivi de charge sur le vieillissement des réacteurs. Mais il est évident que la plus grande attention devra être accordée à cette question et que la R&D devra y apporter des réponses convaincantes. III.- La prolongation de la durée de vie, un paramètre économique capital, indissociable des performances d'exploitation La longévité d'un équipement industriel a, quelles que soient sa nature et sa fonction, une incidence économique très importante. Prolonger l'utilisation d'un équipement, c'est à l'évidence éviter une dépense en capital correspondant à l'investissement de remplacement. Mais c'est aussi bénéficier de coûts de production réduits dès lors que l'équipement est amorti fiscalement et financièrement. A ce titre, il est donc essentiel d'accorder la plus grande importance à la question de la durée de vie des centrales nucléaires en exploitation en France ou dans les autres pays27. Toutefois, le problème de la durée de vie d'une centrale nucléaire est indissociable d'un autre problème plus global, mais d'une importance comparable, les performances d'exploitation, qui, plus que dans tout autre secteur, ont une double dimension de sûreté et d'efficacité productive. Dans les pays comme les Etats-Unis, la Finlande ou la Suède, où existent à la fois plusieurs producteurs d'électricité et un marché de l'électricité, c'est à une appréciation globale que les centrales nucléaires sont confrontées. La durée de vie y est certes un paramètre fondamental pour la compétitivité du nucléaire, mais les performances d'exploitation, encadrées bien sûr par la réglementation de la sûreté, sont un autre paramètre essentiel. En tout état de cause, la qualité d'exploitation influe à l'évidence sur la longévité de l'installation. Ainsi TVO, l'exploitant de la centrale finlandaise d'Olkiluoto utilise le mot d'ordre suivant pour inciter ses employés à apporter tous leurs soins aux deux réacteurs : « la centrale doit être entretenue d'une manière telle que, chaque jour, sa durée de vie est encore de 40 ans »28, alors que le réacteur 1, connecté au réseau en 1978, a déjà 25 ans d'âge et que le réacteur 2, connecté en 1980, a déjà 23 ans de fonctionnement. Adapté à un contexte économique et réglementaire propre à chaque pays, chaque parc électronucléaire national a ses propres contraintes et ses propres objectifs de fonctionnement. Les comparaisons que l'on peut faire d'un pays à un autre ont donc des limites. Mais l'expérience des autres pays, qui ne peut être ni totalement transposée ni totalement repoussée, montre clairement que durée de vie et qualité d'exploitation sont les deux faces d'une même stratégie. Dans son rapport sur les coûts de production de l'électricité publié en février 199929, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a souligné l'enjeu économique considérable que représente l'éventuelle prolongation de la durée de vie des réacteurs d'EDF, le « cash flow » engendré par l'ensemble du parc étant considérablement accru si la durée de vie des réacteurs atteignait 40 ans. Évaluation ni démentie ni contestée depuis lors, il avait ainsi été indiqué que « dix années de vie supplémentaires du parc représentent un cash flow cumulé compris entre 100 et 150 milliards de francs (entre 15 et 23 milliards €) ». Indiquant que la rente dégagée par un parc électronucléaire en voie d'amortissement appartient en tout état de cause à la collectivité qui l'a financé, l'Office détaillait ensuite les différents types possibles d'utilisation du cash flow engendré par l'augmentation de la durée de vie, à savoir le remboursement de la dette, l'amélioration de la rémunération de l'actionnaire, la couverture de charges futures fatales ou le financement de nouveaux investissements. Deuxième méthode pour chiffrer l'impact d'une prolongation de la durée de vie, on peut apprécier le gain engendré par la prolongation de la durée de vie en calculant la valeur du réacteur nucléaire compte tenu des profits futurs actualisés à 8%. Compte tenu des hypothèses retenues, l'augmentation de la durée de vie du parc actuel d'EDF a un impact significatif sur sa valorisation, environ 7 milliards € si la durée de vie passe de 30 ans à 40 ans et 15 milliards € si la durée de vie passe de 30 à 50 ans30. Troisième méthode d'évaluation, l'avantage procuré par la prolongation de la durée de vie d'un réacteur peut être évalué sur la base du différentiel des coûts de production entre un réacteur nucléaire supposé amorti et un moyen de production de remplacement31. Selon les calculs communiqués à vos Rapporteurs par la DGEMP, sur la base de travaux réalisés par la Direction de la Prévision du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, le coût du MWh nucléaire produit par un réacteur nucléaire après 30 années de fonctionnement, c'est-à-dire après qu'il soit amorti, ressort à 12 € / MWh, en prenant en compte les coûts d'investissement correspondant à la jouvence nécessaire du réacteur pour qu'il soit autorisé à fonctionner de 30 à 40 ans. Le coût de production du MWh par un réacteur nucléaire neuf ou par une centrale combiné à gaz sans taxation ni du CO2 ni des NOx émis, étant de 28 € / MWh, une année de prolongation d'un réacteur nucléaire amorti se traduit par une économie annuelle de coûts de production de 100 millions €. Sur une période de 10 années, le différentiel de coût de production s'élève donc à 1 milliard € par réacteur. Pour la période allant de la 40ème à la 50ème année, le différentiel de coûts de production serait selon toute vraisemblance inférieur, dans la mesure où les coûts de jouvence pour obtenir l'autorisation de franchir la barre des 40 années de fonctionnement s'ajouteraient à ceux de la 30ème année et seraient sans doute plus élevés. En tout état de cause, l'intérêt de prolonger l'exploitation d'un réacteur nucléaire amorti économiquement, est potentiellement supérieur à ce qui vient d'être décrit, si l'on prend en compte les différentes structures des coûts de production, notamment l'importance relative du coût du combustible. A l'inverse du MWh gaz pour lequel le coût du combustible représente environ 70 % du coût total, la part du coût du combustible dans le coût de production total du MWh nucléaire ne représente que 20 % environ32. L'intérêt d'un réacteur nucléaire amorti est donc d'autant plus grand que le coût du combustible est susceptible d'augmenter, ce qui est, au demeurant, beaucoup plus probable pour le gaz que pour le nucléaire. Cette analyse rapide de l'importance économique de la durée de vie pour le parc électronucléaire d'EDF pourrait évidemment être transposée, toutes choses égales par ailleurs, aux autres parcs électronucléaires. Ainsi, aux Etats-Unis, un vaste de mouvement de demandes de prolongation de l'autorisation de fonctionnement est lancé. Début mars 2003, 10 réacteurs avaient déjà obtenu leur prolongation de 40 à 60 ans de leur licence d'exploitation, tandis que la NRC examinait à la même date 26 demandes de prolongation. Les méthodes de gestion d'un parc électronucléaire fonctionnant en situation de concurrence sur un marché dérégulé apportent un autre éclairage, qui fait ressortir le fait que la durée de vie d'un réacteur nucléaire est un aspect qui est certes important mais qui n'est qu'un aspect du problème plus général des performances d'exploitation. Les progrès effectués ces dernières années par EDF dans la gestion de son parc électronucléaire sont incontestables. La production brute d'électricité nucléaire s'est élevée à 437 TWh en 2002, soit une augmentation de 3,7 % par rapport aux 421 TWh de 2001, venant après l'augmentation de 1,4 % de 2001 par rapport à 2000. Cette augmentation de la production résulte d'un double phénomène, l'un exceptionnel et l'autre plus structurel. La mise en service industriel des tranches N4 de Civaux 1 et 2, effectuée respectivement en janvier et avril 2002, a apporté une capacité de production d'autant plus importante que leur puissance nette a pu être révisée à la hausse (1495 MW), comme celle des tranches N4 de Chooz (1500 MW). Par ailleurs, le taux de disponibilité du parc français s'est établi à 82,5 % en 2002 (+1,4 point en 2002 par rapport à 2001). Pour autant l'analyse du fonctionnement des parcs étrangers, soumis à la concurrence sur des marchés dérégulés ou non, montre l'importance des performances économiques d'ensemble. Selon STUK, l'autorité de sûreté finlandaise, la gestion de la durée de vie est constituée de « l'ensemble des mesures assurant une exploitation sûre et fiable d'une centrale nucléaire, aussi longtemps qu'il y a une demande pour l'électricité qu'elle produit »33. En réalité, selon STUK, la durée ultime d'exploitation d'une centrale ne dépend pas que de ses caractéristiques initiales, mais aussi de son mode d'exploitation. Une particulière importance est donc attachée à la prévention des attaques par des impuretés chimiques, à la minimisation de l'impact mécanique et thermique des transitoires, à la régularité des opérations de maintenance, au contrôle des caractéristiques et de la fiabilité des composants ou au remplacement préventif, avant panne ou rupture, des composants vieillis. Les deux centrales nucléaires finlandaises fonctionnant en base, leur régularité de fonctionnement est considérée comme un facteur essentiel de longévité. Plus de la moitié des centrales nucléaires américaines sont actuellement en service sur des marchés locaux dérégulés34. Ceci signifie que leur production est rémunérée lorsqu'elle est appelée, ce qui est pratiquement toujours le cas compte tenu de leur compétitivité. Les moyens de production appelés par les gestionnaires des réseaux ou « dispatchers » sont d'abord les plus performants - hydroélectricité, cogénérations au gaz, cycles combinés à gaz, nucléaire, centrales à charbon -. Puis les moins performants le sont aussi s'ils sont nécessaires pour satisfaire la demande. Contrairement aux marchés régulés où les producteurs d'électricité nucléaire sont rémunérés selon un tarif de base, les prix de l'électricité sur un marché dérégulé varient en fonction de la demande, avec des fluctuations très importantes, le prix de vente étant au moins égal au coût variable de production35 de la dernière unité de production mise en service36. Dans une telle configuration, les centrales nucléaires peuvent engranger des profits énormes. Dans la pratique, on constate toutefois que les exploitants nucléaires se placent dans une situation mixte où leurs ventes à long terme et à prix fixe représentent les deux tiers de leurs revenus et où leurs ventes sur le marché spot constituent un tiers de leur production. En définitive, sur de tels marchés, un exploitant nucléaire a deux objectifs. Le premier est de baisser le plus possible ses coûts de production pour maximiser ses profits, qui peuvent être considérables lorsqu'une forte demande d'électricité pousse le prix de vente à la hausse et oblige à mettre en service des moyens de production peu compétitifs. Le deuxième objectif est de réduire au minimum les périodes d'arrêt de tranche où il ne peut, par hypothèse, profiter des fluctuations de prix. Considérant les perspectives de profit dans les périodes de pointe, les compagnies d'électricité conduisent des opérations de modernisation de leurs centrales très ambitieuses et très coûteuses, qu'elles n'ont aucune difficulté à financer. Ainsi la compagnie Constellation Energy Group a pratiqué des investissements de 800 millions $ pour ses deux réacteurs PWR de Calvert Cliffs. En outre, les opérations de modernisation des centrales comportent le plus souvent une augmentation de puissance des réacteurs. Les exploitants ont réussi à diminuer la durée des arrêts de tranche pour rechargement et à allonger à 24 mois les cycles d'exploitation. Au total, la modernisation des centrales et la réduction de la durée des arrêts de tranche ont conduit à une augmentation très nette des facteurs de charge Kp37. En 2002, le facteur de charge Kp du parc nucléaire américain de 103 réacteurs en service a atteint 91,7 %, contre un peu moins de 70 % en 1997. En terme de capacité de production, l'augmentation du facteur de capacité américain, depuis 1990, équivaut à la construction de 23 réacteurs de 1000 MW supplémentaires. Le Nuclear Energy Institute estime que, dans les prochaines années, l'augmentation de puissance et de facteur de capacité des réacteurs actuellement en service se traduiront par une augmentation de 6000 à 10 000 MWe de la puissance installée38. Considérables aux Etats-Unis dans certaines régions où le marché électrique est dérégulé, des perspectives de profit se trouvent aussi en Europe du Nord sur le Nord Pool. En raison de la sécheresse de l'année 2002 qui a diminué la production hydroélectrique, les prix de l'électricité ont fortement augmenté fin 2002-début 2003. Sur le Nord Pool, le nucléaire est concurrencé par l'hydroélectricité et par la cogénération au gaz. Pour être compétitif en longue période vis-à-vis de l'hydroélectrique dont les coûts de production sont très bas, le nucléaire doit avoir une régularité de fonctionnement maximale et des coûts les plus bas possibles. Ceci justifie l'investissement de 200 millions € pratiqué par Vattenfall pour moderniser le réacteur d'Oskarshamn 1. A l'inverse, faute d'une compétitivité suffisante de ses réacteurs, la compagnie britannique British Energy a pu se retrouver au bord de la faillite en 2002, ses coûts de production étant alors le plus souvent supérieurs aux prix du marché sur le marché électrique dérégulé du Royaume Unis. Certes, on peut estimer qu'une transposition de ces constats à la situation française serait doublement impossible à l'heure actuelle. En effet, le marché français n'est pas encore totalement dérégulé et la concurrence y est encore relativement réduite par rapport aux marchés américain et nordique. Par ailleurs, le parc électronucléaire français fonctionne dans la configuration particulière du suivi de charge, ce qui conduit à évaluer sa performance, non pas en termes de facteur de charge Kp mais en terme de coefficient de disponibilité Kd. Par ailleurs, l'utilisation du combustible MOX sur 20 tranches du palier 900 MWe est relativement contraignante dans la mesure où le MOX n'est pas encore autorisé à avoir les mêmes taux de combustion que le combustible classique. Il n'en demeure pas moins, d'une part, que l'horizon de ce parc est celui d'une ouverture accrue à la concurrence du marché électrique français et européen, et, d'autre part, que la rationalité économique commande que les réacteurs nucléaires d'EDF soient exploités au maximum de leurs possibilités techniques dans le respect de la réglementation de sûreté. L'objectif pour l'économie française doit donc être non seulement de maximiser, autant que faire se peut, la durée de vie de ses réacteurs nucléaires, mais aussi de les valoriser au mieux en maximisant leurs performances d'exploitation. IV.- Des réglementations de la durée de vie devant allier rigueur pour la sûreté et visibilité pour l'investisseur S'agissant de la réglementation de la durée de vie des centrales nucléaires, l'inévitable débat entre les impératifs de sûreté et les impératifs de l'efficacité économique porte non seulement sur la procédure et la durée de l'autorisation d'exploiter, mais aussi sur l'éventuelle obligation faite à l'opérateur de réviser à la hausse le niveau de sûreté de son installation dès lors que le progrès technique le permet. Comparée trop rapidement à ses équivalents étrangers, la réglementation française pourrait paraître, en première analyse, doublement exigeante. Les centrales nucléaires sont en effet autorisées à fonctionner sur des durées limitées à 10 ans mais renouvelables. Par ailleurs, les grands carénages réalisés tous les dix ans, désignés sous le nom de visites décennales, entraînent pour l'exploitant l'obligation de procéder à des actions correctives pour remettre le réacteur à son niveau de sûreté initial et à des actions d'amélioration pour hausser la sûreté globale autant que possible tout en tenant compte des contraintes économiques. L'analyse détaillée de la pratique réglementaire française montre que ses exigences, qui sont réelles, sont néanmoins adaptées à la structure particulière du parc électronucléaire français. Les comparaisons internationales montrent enfin que la méthode française est partagée par de nombreux autres pays, le cas des Etats-Unis faisant au final exception dans le paysage réglementaire internationale. Toutefois, ce même exemple américain et les changements structurels en cours ou à venir sur le marché de l'électricité militent en faveur, non pas d'un bouleversement de la réglementation française, mais de son toilettage afin d'améliorer sa lisibilité et donc la visibilité de l'investisseur. La réglementation française de la durée de vie répond à une préoccupation particulière qui résulte de l'importance et de la structure originale du parc français. En matière de durée de vie, il existe un enjeu français spécifique. En effet, les 58 réacteurs du parc électronucléaire - 34 réacteurs du palier 900 MW, 20 réacteurs du palier 13000 MW et 4 réacteurs N4 - ont été fabriqués par le même constructeur (Framatome) sur une période de temps limitée et sur une base standardisée. Comme on l'a vu plus haut, la pyramide des âges du parc électronucléaire d'EDF est ramassée, avec une forte base de réacteurs mis en service sur une période de 10 ans. En conséquence, le vieillissement peut toucher un nombre important de réacteurs en même temps. L'anticipation d'un problème de sûreté générique, grave et simultané revêt donc une importance critique. Savoir quand fermer une centrale est donc une question fondamentale. Il convient d'avoir, réacteur par réacteur, les éléments permettant de savoir si les dégradations dues au vieillissement sont maîtrisées et si la fermeture d'un réacteur en particulier est nécessaire ou non pour des raisons de sûreté. La standardisation représente l'autre dimension particulière du parc français dont doivent tenir compte à la fois la réglementation et l'action de l'autorité de sûreté. Selon l'autorité de sûreté, la standardisation a des conséquences « à double tranchant » (« mixed blessing »). On peut même dire que le parc électronucléaire français est doublement standardisé puisque il a été construit par un seul fabricant et est mis en oeuvre par un seul exploitant. En tout état de cause, cette standardisation permet un retour d'expérience très important, mais contient la menace potentielle d'un problème générique. D'où l'importance de l'anticipation. A cet égard, le remplacement des couvercles de cuve de même type, demandé à EDF dès la mise en évidence d'un défaut d'étanchéité lors d'un test, avant même que des fuites soient apparues en exploitation et ceci sur l'ensemble des matériels correspondants, en est l'illustration. C'est aussi une bonne décision. Dès lors, « l'obsession » de l'autorité de sûreté est d'anticiper et de prévenir l'apparition d'un défaut générique sur l'ensemble du parc39. 1.2. Les fondements de la stratégie de l'autorité de sûreté : une exigence de sûreté continûment en hausse dans le cadre général d'une défense en profondeur L'augmentation continue, mais raisonnée, des exigences de sûreté constitue une autre caractéristique fondamentale de la pratique réglementaire française. Difficilement contestable dans son principe, la conviction de l'autorité de sûreté est qu'« il est normal de voir le progrès technologique bénéficier à la sûreté ». En conséquence, si le risque des installations les plus anciennes devient inacceptable dans les conditions du moment, leur fermeture s'impose. Quels facteurs poussent les exigences de sûreté à la hausse ? Le retour d'expérience national et international permet une meilleure identification des risques et des moyens de les prévenir. Les accidents et incidents sont également une source d'enseignements. L'évolution des connaissances peut aider à perfectionner les dispositifs de sûreté. De nouvelles normes extérieures au domaine nucléaire proprement dit peuvent s'imposer à toute activité, comme par exemple des normes antisismiques. La comparaison aux exigences retenues pour les réacteurs plus récents est une autre limite de la durée de vie. Dans le domaine de la maîtrise du vieillissement comme dans tous les autres, la stratégie de l'autorité de sûreté nucléaire est celle de la défense en profondeur. Si toutes les installations industrielles sont soumises au vieillissement, il existe toutefois un risque nucléaire spécifique qui impose de mettre en place plusieurs lignes de défense. S'agissant de vieillissement, la première ligne de défense est la prévention. En particulier, les conditions d'exploitation prévues et les modes et cinétiques de dégradation des composants connus ou supposés doivent être pris en compte dès la conception et la fabrication, par exemple en opérant des choix judicieux pour les matériaux. Deuxième ligne de défense, il convient de mettre en place des programmes de surveillance pour vérifier la validité des hypothèses de conception, c'est-à-dire pour vérifier en permanence que le vieillissement se passe comme prévu. Il convient également de mettre en place une maintenance préventive. Enfin, troisième ligne de défense, la réparation, la modification et le remplacement des composants vieillis ou obsolètes doivent intervenir au moment opportun. 1.3. L'absence de limitation de durée, mais l'obligation de rendez-vous réguliers Comme on l'a vu plus haut, il n'existe pas en France de limitation de la durée de vie dans le décret d'autorisation de création d'une installation nucléaire, mais un réexamen de sûreté peut être demandé par l'autorité de sûreté qui, en pratique, en a fixé la périodicité à 10 ans. Ainsi, des rendez-vous réglementaires périodiques sont fixés sous la forme de visites décennales et de réexamens de sûreté associés. Dans la pratique, les réexamens de sûreté sont calés sur les visites décennales (VD1, VD2, VD3 et éventuellement VD4). A ces occasions, sont effectués des tests importants, comme des tests hydrauliques réglementaires du circuit primaire et des tests d'étanchéité de l'enceinte de confinement du bâtiment réacteur. Le réexamen de sûreté a pour premier objectif de vérifier la conformité de l'installation par rapport à ses plans initiaux. L'état du matériel est donc vérifié. De même, l'on contrôle si les dégradations ont bien été corrigées. Deuxième étape de la démarche, la réévaluation de sûreté consiste à augmenter les exigences de sûreté, en fonction de l'état des connaissances, du retour d'expérience et par comparaison avec des réacteurs plus récents. Il en découle la réalisation de modifications pour élever le niveau de sûreté. En 2002, la réévaluation de sûreté a été faite pour le palier 900 MW. A l'avenir, ses conclusions vont être appliquées à l'ensemble des réacteurs du palier et la démarche sera prolongée dans le temps et aux autres paliers. L'autorisation de poursuite de l'exploitation vaut jusqu'à l'échéance suivante, correspondant au prochain réexamen. Les réacteurs du palier 900 MW sont nombreux à avoir subi leur 2ème visite décennale au cours de laquelle ils ont subi un réexamen et une réévaluation de sûreté. Ce qui est à l'étude actuellement, avec notamment la préparation d'un Groupe Permanent Réacteurs40 afférent, c'est la mise au point des objectifs de la réévaluation de sûreté qui sera réalisée à l'occasion de la 3ème visite décennale. La fixation de ces objectifs se fait au terme d'un échange d'idées entre l'autorité de sûreté, le Groupe Permanent Réacteurs et EDF. Les deux sources fondamentales de projets à cet égard sont d'une part la comparaison des niveaux réels de sûreté avec celui des réacteurs les plus récents, et, d'autre part, le retour d'expérience. La fin des 30 premières années de fonctionnement est considérée par l'autorité de sûreté comme une étape fondamentale. Dans la perspective d'une prolongation de l'exploitation au delà de cette période, EDF a présenté un premier dossier sur la tenue à 40 ans de ses installations. Mais la démonstration que l'exploitant a apportée n'est pas considérée en l'état comme acceptable par l'autorité de sûreté. Au plan technique, différentes démonstrations devront être apportées pour obtenir l'autorisation de prolongation de l'exploitation. Par exemple, s'il a été prouvé par EDF que les défauts des cuves ne présentent pas de danger à l'horizon de 30 ans, des compléments de preuve sont attendus pour une durée de 40 ans. Quoi qu'il en soit, différents cas de dégradations n'ont pas été suffisamment pris en compte à la conception ou présentent des cinétiques plus rapides que prévu. Il s'agit de phénomènes de corrosion, de présence de défauts de fonderie dans les composants en acier inoxydable moulé. La question du vieillissement accéléré du béton des enceintes de confinement des réacteurs 1300 MW devra aussi être traitée. Des justifications sont attendues non seulement sur des questions techniques, mais aussi sur des enjeux non techniques, notamment sur les risques de pertes de compétences techniques. L'évolution du tissu industriel conduit déjà l'exploitant à reporter certaines opérations de maintenance faute de composants de rechange ou de prestataires. De même, le risque de pertes de compétences techniques doit être minimisé. Au final, l'autorité de sûreté attend les conclusions des examens approfondis de conformité qui accorderont une place importante aux questions de vieillissement. La réévaluation de sûreté sera effectuée en prenant en compte les exigences de sûreté du projet de réacteur EPR, de manière à rapprocher la sûreté des réacteurs 900 MW de celle de l'EPR. Il s'agit là d'une approche prudente, modeste mais robuste. L'autorité de sûreté prendra position, au cas par cas, à l'issue des 3èmes visites décennales et du réexamen de sûreté associé, sur la poursuite de l'exploitation des réacteurs jusqu'à l'horizon des 40 ans. Deux facteurs auront alors un poids particulièrement important : l'état des matériels et la capacité de l'industriel à poursuivre l'exploitation. Ainsi, pour chacun des réacteurs, l'autorité de sûreté donnera sa vision sur la poursuite de l'exploitation. Il ne s'agira pas de « chèque en blanc », des conditions pouvant notamment être imposées pour remédier au vieillissement de certains composants. Cette prise de position pourra, le cas échéant, conduire à des rendez-vous intermédiaires. En tout état de cause, il faudra dix ans pour intégrer les réévaluations de sûreté décidées pour un palier à l'ensemble des tranches de celui-ci. Afin de l'aider à préparer ces visites, les orientations de l'autorité de sûreté pour la 3ème visite décennale ont été communiquées par celle-ci à EDF en février 2001 et rendues publiques. Pour préparer les visites décennales, différentes conditions à remplir ont été énoncées : l'identification des zones et composants sensibles, l'élaboration de programmes de contrôle justifiés, l'analyse du retour d'expérience, la définition de programmes de R&D sur le vieillissement. L'exploitant devra aussi constituer des dossiers d'aptitude à la poursuite de l'exploitation au-delà des 3èmes visites décennales. L'exploitant devra enfin établir un programme de gestion du vieillissement au-delà des 3èmes visites décennales, comportant des actions de surveillance et de remplacement, des modifications matérielles et une démarche de maintien des compétences. Le programme de travail d'EDF sera examiné en 2003 par le Groupe Permanent Réacteurs. L'autorité de sûreté a enfin rappelé à l'exploitant en mai 2002 les éléments attendus à l'appui de cet examen : l'organisation retenue, l'identification des composants et zones qualifiées de « sensibles », la stratégie de gestion du vieillissement proprement dite, le bilan comparatif des pratiques internationales. L'autorité de sûreté nucléaire veillera à ce que les moyens engagés par EDF pour préparer l'étape des 3èmes visites décennales soient à la hauteur des enjeux. 2. Les cas particuliers de la Suède, de l'Allemagne et de la Belgique en raison de leurs programmes de sortie du nucléaire C'est la Suède qui a donné en Europe le signal de l'abandon progressif du nucléaire par limitation anticipée de la durée d'exploitation de ses réacteurs, suivie 20 ans après par l'Allemagne et 22 ans plus tard par la Belgique41. Lors d'un référendum organisé en 1980 à la suite de l'accident de Three Mile Island, les Suédois se prononcèrent, en effet, en faveur de l'arrêt de tous les réacteurs nucléaires du pays. En 1991, le Parlement fixa à 2010 l'échéance de la fermeture du dernier réacteur. Les difficultés d'application de cette décision apparurent en plusieurs temps. En décembre 1995, la Commission publique sur l'énergie, dans une étude sur la faisabilité de l'abandon, conclut que le délai prévu ne pourrait pas être respecté. En 1997, le Parlement suédois vota la loi « pour un approvisionnement énergétique durable » selon laquelle l'un des deux réacteurs de la centrale de Barsebäck devait être fermé avant le 1er juillet 1998, le second réacteur de la même centrale devait être fermé avant le 1er juillet 2001, à condition toutefois que la perte d'énergie correspondante puisse être compensée et toute échéance fixe pour le démantèlement du parc nucléaire était abandonnée. Bien qu'en retrait par rapport aux décisions prises en 1980 par référendum, les dispositions restrictives de la loi de 1997 ont aussi rencontré des difficultés sérieuses pour entrer en vigueur. Ainsi la fermeture de Barsebäck 1 est intervenue en novembre 1999, au lieu du 1er juillet 1998, en raison de nombreuses procédures intentées par la société privée Skydraft propriétaire de la centrale. La décision de fermeture de Barsebäck 2, qui n'est pas intervenue à la date fixée, soit le 1er juillet 2001, sera réexaminée en mars 2003. Mais la forte hausse des prix de l'électricité intervenue en 2002 et au début 2003, rend peu probable une telle décision. Au demeurant, la Suède se trouve aujourd'hui confrontée à deux inconvénients majeurs de sa politique. Ses importations d'électricité ont augmenté, non seulement en provenance de la Norvège et de la Finlande, mais aussi de Pologne et du Danemark qui exportent de l'électricité produite par des centrales thermiques fonctionnant au charbon. Par ailleurs, du fait du déficit de production suédois et des aléas climatiques, les prix spots de l'électricité sur le marché de l'électricité des pays scandinaves et de la Finlande, intitulé Nord Pool, qui fluctuent normalement autour de 0,016 à 0,027 €/kWh, ont connu une très forte augmentation à la fin 2002, pour atteindre le niveau record de 0,11 € pendant la première semaine de 2003. En outre les consommateurs subissent depuis le 1er janvier 2003, une augmentation de la taxe sur l'énergie qui passe de 0,027 à 0,031 €/kWh, soit une augmentation de près de 15 %. Enfin, la Suède doit respecter d'une part ses engagements du Protocole de Kyoto, qui l'obligent à n'augmenter ses émissions en 2010-2012 que de 4 % par rapport au niveau de 1990, et, d'autre part, la directive européenne fixant des plafonds d'émission de NOx et de SO2 en 2010. La possibilité de développer la biomasse a été étudiée, encore que la faible vitesse de croissance de la végétation dans les pays du Nord n'assure qu'à très longue échéance une équivalence en terme de fixation de CO2 par rapport à la combustion42. Mais les centrales thermiques utilisant la biomasse comme combustibles sont peu nombreuses. Il n'est donc pas étonnant dans ces conditions qu'en Suède, après avoir été majoritaires en 1998, les partisans de l'abandon du nucléaire soient aujourd'hui minoritaires (voir tableau ci-après). Tableau 6 : Sondage sur le nucléaire - janvier 2003 (source : SKI)
C'est pourquoi il paraît peu vraisemblable que l'échéance de 2010 pour la fermeture des réacteurs suédois soit respectée. L'Allemagne constitue un autre exemple d'un pays qui a fixé une durée limite à l'exploitation de ses réacteurs nucléaires. Cette durée n'a pas été fixée en termes de date, mais en terme de durée de vie des réacteurs, à savoir 32 ans, durée qui résulte d'une négociation purement politique. Singulière en Europe, la production électrique allemande était assurée en 1999 à 51 % par des centrales thermiques fonctionnant au charbon et au lignite et à 31 % par l'électronucléaire. C'est dans cette situation qu'est intervenu le 14 juin 2000 le compromis entre le Gouvernement et les exploitants nucléaires sur l'arrêt programmé des 19 réacteurs nucléaires allemands après 32 ans environ de fonctionnement. Un accord politique affiché étant intervenu sur une durée de fonctionnement de 32 ans, des négociations techniques permirent d'intégrer à celui-ci le concept de quantités d'électricité restant à produire à intégrer dans l'accord. Au terme de l'accord final qui est un accord de compromis, la durée nominale de fonctionnement des réacteurs allemands est de 32 ans, mais la production quantitative autorisée correspond à une durée de 34 ans (voir tableau ci-après). Tableau 7 : Volume de production restant au début 2000 selon l'accord de consensus (source : RWE)
Aussi, les perspectives de production des différents réacteurs sont contrastées, entre ceux qui ne peuvent encore produire que peu d'électricité et ceux qui, au contraire, comme Neckar 2 pourront produire jusqu'en 2022. Toutefois, pour donner plus de flexibilité à ce système de quotas de production, les exploitants pourront procéder à des transferts d'autorisations de production d'une centrale à une autre appartenant à un même exploitant. Ce dispositif a un double avantage : le Gouvernement peut mettre en avant les fermetures de réacteurs, tandis que les opérateurs peuvent optimiser le fonctionnement de leur parc. En définitive, l'accord du 14 juin 2000 programme l'effacement théorique progressif du parc allemand entre 2004 et 2025, avec une disparition complète entre 2020 et 2025. Les tensions au niveau fédéral entre le ministère de l'environnement et le ministère de l'économie et du travail, ainsi que le réalisme des exploitants qui estiment le nucléaire toujours compétitif, ne doivent pas pour autant laisser penser qu'un « abandon de l'abandon » et la construction d'un nouveau réacteur sont probables dans la prochaine décennie. Après l'adoption définitive le 16 janvier 2003, du projet de loi visant à l'abandon du nucléaire, la Belgique a décidé de limiter à 40 ans la durée de vie de ses 7 réacteurs nucléaires, ce qui signifie l'arrêt, à partir de 2015, des installations les plus anciennes et, au plus tard en 2025, de ses réacteurs les plus récents. Une clause suspensive a été incluse dans la loi, le Gouvernement pouvant suspendre l'abandon en cas de force majeure. Ainsi qu'il a été rapidement vu plus haut, de nombreux pays réglementent la durée de vie des réacteurs nucléaires d'une manière comparable à la France, même si les Etats-Unis présentent une originalité. Cette question est d'une grande importance dans la mesure où il s'agit de déterminer si des obligations particulièrement lourdes pèsent sur l'exploitant français ou au contraire si celui-ci est placé sur un pied d'égalité par rapport à ses concurrents. Pour répondre à cette question, les organisations internationales AIEA et AEN-OCDE ont été consultées par vos Rapporteurs, ainsi que différentes autorités de sûreté nationales, notamment en Europe du Nord et aux Etats-Unis. Selon l'AEN OCDE, dont les membres représentent 85 % de la capacité nucléaire mondiale installée, la quasi-totalité des pays octroient des autorisations de fonctionnement à durée illimitée, l'exception majeure étant les Etats-Unis43. Autre élément fondamental, tous les pays considèrent comme faisant partie intégrante de l'autorisation donnée à un exploitant, l'obligation pour celui-ci non seulement d'évaluer en permanence la sûreté de ses installations, mais aussi d'y intégrer les progrès de la science et de la technologie dès lors que ceux-ci peuvent permettre d'augmenter la sûreté à des coûts raisonnables. Il y a toutefois une exception majeure, celle des Etats-Unis, où le processus de renouvellement de licence se focalise sur les dommages causés par le vieillissement et ne touche pas aux bases de l'autorisation initiale. En Finlande, les centrales électriques n'ont pas de durée de vie fixe prédéterminée. La durée de l'autorisation est déterminée par le Gouvernement en fonction de l'estimation fournie par l'exploitant sur la période pendant laquelle l'installation pourra fonctionner en respectant les standards de sûreté requis. L'autorisation, qui est limitée dans le temps, fixe son propre terme mais elle est renouvelable. Les deux réacteurs à eau pressurisée de Loviisa fonctionnent dans le cadre d'autorisations de 10 ans44 et ceux d'Olkiluoto de 20 ans. L'autorité de sûreté finlandaise peut exiger des exploitants qu'ils intègrent de nouveaux dispositifs de sûreté pour être en accord avec les règles de sûreté plus rigoureuses qu'elle peut décider. Non seulement le remplacement des composants non fiables est exigé, mais leur modernisation doit être réalisée, telle qu'elle est permise par les technologies avancées. Des évaluations exhaustives de la sûreté45 sont périodiquement effectuées. Ces évaluations font soit partie du processus de renouvellement de l'autorisation d'exploiter, soit programmées spécialement si l'autorisation est supérieure à 10 ans. A cette occasion, sont notamment effectuées une évaluation en profondeur des équipements, une évaluation de sûreté actualisée et une évaluation de la sûreté réelle comparée aux standards du moment. A titre d'exemple, la centrale d'Olkiluoto fera l'objet d'une évaluation de sûreté exhaustive en 2008. Au total, la Finlande applique comme la France le principe de l'élévation continue du niveau de sûreté, mais octroie des autorisations de fonctionnement de 10 ans ou de 20 ans selon les cas. La Suède a, entre 1965 et 1976, octroyé aux exploitants des autorisations d'exploitation pour une durée illimitée en principe, sur la base d'une durée de vie technique estimée à 40 ans. Il existe toutefois un cadre réglementaire définissant les obligations de l'exploitant. Ainsi, celui-ci doit définir et mettre à jour des programmes de maintenance, de surveillance et de contrôle. Un réexamen de sûreté doit être effectué tous les 10 ans. Enfin, des inspections assurent un contrôle continu du niveau de sûreté. Date importante pour le parc suédois, les réacteurs devront subir vers 2010 une « grande visite » dont le programme, correspondant à un réexamen de sûreté par SKI, est en cours d'élaboration46. La Suède a, ainsi, des pratiques proches de celles de la France. Il n'existe pas, en Suède comme en France, de limite réglementaire à la durée d'exploitation. L'exploitation fait l'objet d'un contrôle continu du niveau de sûreté. Comme en France, il est procédé à un réexamen de sûreté, mais celui-ci est inscrit dans la réglementation. En Allemagne, la durée de vie des réacteurs ayant été limitée par un compromis politique à 32 ans, soit une durée inférieure à la durée de vie technique, on pourrait hâtivement considérer que la prévention des effets du vieillissement pourrait être moins cruciale que dans d'autres pays. En réalité, le niveau de sûreté et la régularité de fonctionnement demeurent des variables tout aussi importantes. Quelles sont les exigences réglementaires en matière de gestion du vieillissement et de quelle façon les entreprises parviennent-elles à en proportionner le coût à la durée de vie raccourcie imposée aux réacteurs ? L'autorisation d'exploiter un réacteur nucléaire n'est assortie d'aucun délai, au contraire des autorisations délivrées aux centres d'entreposage de déchets nucléaires. Toutefois, depuis 1996, il a été décidé, sur une base non contraignante, que des évaluations de sûreté seraient effectuées tous les dix ans. Cette disposition a ensuite été intégrée à la nouvelle loi nucléaire de 2002. L'ensemble des aspects liés à la sûreté sont examinés à cette occasion, selon un processus approfondi et précis, afin d'obtenir l'assurance que le réacteur est toujours sûr. Il ne s'agit pas de recréer une nouvelle centrale au niveau technologique du moment car cela ne serait pas possible. La philosophie allemande pour la sûreté est qu'il peut y avoir un différentiel entre des centrales anciennes et des centrales récentes, mais que toute centrale doit être modernisée si un risque est identifié. Les discussions entre les exploitants et le ministère fédéral de l'environnement, qui est en charge de la sûreté nucléaire, portent sur les processus de vieillissement des différents composants, leurs causes et les délais dans lesquels la sûreté de la centrale peut en être affectée. Le RSK, organisme de conseil composé de plusieurs commissions47, donne un avis au ministère avant qu'un programme de gestion du vieillissement soit appliqué. Selon E.ON48, l'ensemble des composants d'une centrale nucléaire étant interchangeables, il n'y a pas d'autre limite à la durée de vie d'une centrale que celle de la cuve, qui est estimée à 60 ans par l'ensemble des techniciens. Pour RWE, cette limite pourrait même sans doute être dépassée49. Au delà de ces critères techniques, l'économie des opérations de modernisation joue un rôle évidemment décisif. Il existe en effet non seulement une évolution des coûts de production de l'électricité pour toutes les filières, mais aussi une évolution des standards techniques et des standards de sûreté nucléaire, ce qui oblige à prévoir des investissements. Il y a donc des limites économiques aux investissements nécessités par la prolongation de l'exploitation. A titre d'exemple, en 1995, E.ON a ainsi décidé, au vu du coût rédhibitoire d'une éventuelle modernisation, d'arrêter le réacteur de petite puissance de Wurgassen. Selon RWE, chacun des réacteurs en service en Allemagne devra subir, dans les prochaines années, non seulement un renouvellement de son contrôle commande, d'où une dépense d'environ 150 millions € par réacteur, mais aussi un renforcement de ses dispositifs anti-sismiques dont le coût est évalué à 100 millions €, d'où une dépense totale d'environ 500 millions € si l'on ajoute les pertes d'exploitation correspondant aux travaux de modernisation. Ce coût total, permettant de prolonger l'exploitation d'un réacteur de 25 ans, doit être mis en parallèle avec le coût d'un nouveau réacteur que l'on situe entre 1,5 et 2 milliards €. Au reste, indépendamment de la durée de vie moyenne de 32 ans, qui n'a de valeur que politique et non pas technique, la durée de vie de conception des réacteurs allemands est de 40 ans. Toutes les commandes passées à Siemens ont fait référence à une durée d'exploitation de 40 ans. Selon le ministère fédéral de l'économie et du travail, les techniciens prévoient une durée de vie de 40 ans assortie d'une rentabilité satisfaisante, mais sont en réalité convaincus que la durée de vie technique proprement dite est supérieure à 40 ans. Selon E.ON, les questions de sûreté nucléaire ont toujours été sujettes en Allemagne à des abus « politiques ». Les opposants au nucléaire se servent de l'argument selon lequel la sûreté d'un réacteur ne peut être considérée comme absolue pour rejeter l'électronucléaire. Dans le processus de négociation sur la sortie du nucléaire, les exploitants ont considéré comme essentielle la question suivante : « quelles garanties le Gouvernement peut-il fournir sur le fait que la fin de l'exploitation des réacteurs allemands ne sera pas entravée par des abus politiques ? ». La loi de 2002 entérinant l'accord du 14 juin 2000 comprend, de fait, plusieurs garanties. En premier lieu, la notion de quantité d'électricité restant à produire ayant été préférée à celle de durée de vie, toute perturbation apportée pour une raison politique au fonctionnement d'un réacteur a pour conséquence la prolongation de son activité. La deuxième garantie est représentée par la mise en place, à la Chancellerie, d'un groupe de surveillance de l'application de l'accord. Ainsi l'industrie peut soumettre au Chancelier tout problème rencontré dans l'exploitation des réacteurs nucléaires, ce dernier ayant pris l'engagement de faire pression sur les Verts pour que les perturbations cessent. La loi elle-même indique que le Gouvernement garantit le fonctionnement sans perturbation des centrales nucléaires pendant la période restant à courir. La loi précise également que « les parties reconnaissent le niveau élevé de la sûreté nucléaire en Allemagne ». En conséquence de quoi, la sûreté ne sera plus remise en question. Dans la même veine, le Gouvernement s'est engagé à ne pas prendre de mesures modifiant les standards de sûreté existant en juin 2000, date de signature de l'accord. Enfin, le Gouvernement a déclaré, lors de la signature de l'accord, que « la philosophie et les pratiques générales en matière de sûreté ne seront pas modifiées dans les années à venir ». En foi de quoi, le ministère fédéral de l'environnement a été invité à ne pas changer de critères d'évaluation de la sûreté, sur toute la période d'exploitation restant à courir. Pour les 20 ans à venir, l'accord de compromis du 14 juin 2000 donne l'assurance aux exploitants que leurs centrales pourront continuer à fonctionner sans perturbation extérieure notable. Le Royaume Uni a autorisé BNFL et Magnox Electric PLC à exploiter leurs réacteurs Magnox sur une durée de 40 années. Les Etats-Unis appliquent un système de licence ou autorisation de fonctionnement sur 40 ans, avec un renouvellement possible pour 20 ans au plus. Le renouvellement de la licence pour 20 ans au plus est accordé si l'exploitant démontre que son installation est conforme à l'autorisation initiale, l'obligation d'augmenter le niveau de sûreté par rapport à celle-ci n'ayant pas cours aux Etats-Unis. Le renouvellement de la licence d'exploitation50 par l'autorité de sûreté nucléaire américaine, la NRC (Nuclear Regulatory Commission), s'établit selon un processus réglementaire bien conçu51. L'exploitant doit démontrer que tous les composants de structure comme la cuve sont conformes aux spécifications. Les composants d'une centrale qui ne sont pas ordinairement contrôlés font par ailleurs l'objet d'investigations poussées, dans la perspective qu'ils devront fonctionner 20 années supplémentaires. L'impact sur l'environnement de la tranche est également examiné. De même, la manière dont l'exploitant s'est acquitté de ses obligations vis-à-vis de la non prolifération, fait l'objet d'une enquête de la commission chargée des garanties. L'instruction des dossiers de prolongation de la licence pour 20 années supplémentaires est conduite en 22 mois et facturée environ 10 millions $ aux exploitants. La NRC prévoit que des demandes de prolongation seront présentées pour la plupart des 104 tranches, les réacteurs les moins puissants faisant sans doute exception, ce qui ramènerait le total à 95-99 réacteurs bénéficiant de prolongations de licence d'exploiter de 20 années supplémentaires, au delà des 40 années initiales. Pour l'autorité de sûreté américaine, l'intérêt majeur de la prolongation de 20 ans de la licence d'exploiter un réacteur nucléaire au-delà des 40 années initiales est d'introduire une certitude dans l'activité future des compagnies d'électricité, au contraire de la pratique française, jugée vertueuse en termes de sûreté, mais réductrice en terme de perspectives. On peut estimer que l'évolution de la réglementation française est nécessaire pour plusieurs types de raisons. La première est liée aux impératifs de l'égalité des contraintes pesant sur des exploitants soumis à la concurrence. On peut relever à cet égard que les obligations faites aux exploitants français ou européens et américains ne sont pas identiques puisque des réévaluations de sûreté, nécessairement coûteuses, s'imposent aux premiers et non pas aux seconds. Mais compte tenu du fait que les réseaux européens et américains ne sont pas interconnectés et que les opérateurs européens se sont pas implantés aux Etats-Unis et vice-versa, l'argument de l'égalité des conditions de concurrence ne s'impose pas avec évidence. Il n'en demeure pas moins que, comme l'estiment les autorités de sûreté de plusieurs pays européens, les producteurs d'électricité, qui se concertent même s'ils sont en concurrence, demanderont à terme à leurs autorités de sûreté respectives de s'harmoniser. A cet égard, une démarche de type « bottom up » a été initialisée par l'association des autorités de sûreté européennes WENRA52 qui a formé un groupe de travail dont la mission est de comparer les réglementations nationales entre elles et avec le niveau de sûreté optimal souhaitable déterminé d'un commun accord. Une autre raison de faire évoluer la réglementation française peut être trouvée dans la nécessité de donner une plus grande lisibilité à la réglementation et davantage de visibilité aux perspectives d'exploitation des réacteurs nucléaires. La lisibilité de la réglementation pourrait être améliorée en particulier dans le processus d'ouverture d'une installation nucléaire de base. Comprenant deux étapes, cette procédure prévoit deux autorisations, la première pour la création de l'INB et la seconde pour sa mise en service. La proposition a été faite à plusieurs reprises par l'Office parlementaire de faire coïncider la procédure de permis de construire avec celle d'autorisation de création. Par ailleurs, certains observateurs estiment que la procédure de mise en service pourrait être simplifiée, l'autorité de sûreté se bornant à constater la conformité de la réalisation avec les spécifications approuvées lors de la création. S'agissant de la durée de vie, à l'issue des visites décennales, l'autorité de sûreté fait connaître une non opposition au redémarrage du réacteur pour une durée de 10 ans, à l'issue de laquelle une autre visite permettra, le cas échéant, d'envisager une nouvelle période d'exploitation de 10 années. On comprend que, dans le souci de respecter le principe de la responsabilité pleine, entière et unique de l'exploitant, la formulation utilisée soit une « non opposition ». Toutefois, cette formulation présente l'inconvénient d'être sans doute exagérément restrictive quant à la confiance accordée à l'exploitant par l'autorité de sûreté. Par ailleurs, s'il s'agit de comparer la visibilité de la réglementation française avec celle d'autres pays, le renouvellement de licence pour 20 ans présente, dans le cas des Etats-Unis, l'avantage de permettre les décisions à long terme qui sont toujours nécessaires dans le domaine du nucléaire, que ce soit au niveau d'une entreprise ou d'un pays. Ce renouvellement pour 20 ans ne constitue en rien un chèque en blanc, la NRC ayant le pouvoir d'interrompre le fonctionnement du réacteur au cas où les prescriptions de sûreté ne sont pas respectées. En tout état de cause, il semble nécessaire d'étudier les moyens de modifier la réglementation française dans le sens d'une meilleure visibilité pour la politique énergétique, compatible avec l'indispensable respect des prérogatives de l'autorité de sûreté. Enfin, se pose la question du contenu des réévaluations de sûreté pratiquées à l'occasion des visites décennales. On a vu plus haut que la philosophie générale des réévaluations de sûreté est de mettre en oeuvre une démarche réaliste de réduction des risques, étant postulé au départ que le progrès technologique doit profiter à la sûreté. L'autorité de sûreté précise d'ailleurs, s'agissant des futures troisièmes visites décennales, que les améliorations de sûreté qui seront décidées pour une première application aux réacteurs de Fessenheim et Bugey vers 2007, continueront d'être appliquées aux autres réacteurs du palier 900 MWe jusqu'en 2027, puisque les obligations qui leur seront imposées seront identiques. L'autorité de sûreté, qui a pour objectif de discuter l'intérêt des améliorations envisageables sur la base d'une approche coût bénéfice, considère qu'il appartient à l'exploitant de produire des évaluations coût bénéfice de type différentiel permettant de répondre à la question suivante : « où vaut-il mieux faire des investissements de sûreté ? ». Cette approche semble en effet la meilleure, à condition toutefois que l'augmentation du niveau de sûreté demandée à l'exploitant soit réaliste. Sans doute pour faire avancer ce débat fondamental entre régulateur et régulé, faut-il revenir à l'évolution récente du secteur nucléaire américain. Selon la NRC, l'amélioration considérable des performances des réacteurs nucléaires américains provient tout autant de l'amélioration de la réglementation que des progrès effectués par l'industrie. Il est incontestable que, sous l'impulsion de son Président, Richard A. MESERVE, la NRC a su réformer ses procédures dans le sens d'une simplification, tout en exigeant des exploitants un haut niveau de sûreté sans leur imposer des obligations inutiles. Réciproquement, un exploitant sait aujourd'hui qu'en cas de découvertes d'anomalies lors d'une inspection de sûreté, il subira des contrôles à répétition, la sanction des manquements étant finalement l'arrêt pur et simple du réacteur en cause. Ainsi, les exploitants de Davis Besse, dont la NRC avait constaté qu'ils rognaient trop sur les coûts, en particulier pour l'inspection des réacteurs, ont finalement payé cette erreur au prix fort, à savoir une amende énorme et l'arrêt de la tranche pour le remplacement du couvercle de cuve. Les exploitants américains savent désormais qu'il est préférable d'assurer par eux-mêmes un contrôle de haut niveau de la sûreté de leurs réacteurs, faute de quoi l'intervention du régulateur pourra leur coûter des centaines de millions de dollars53. Ainsi, la rigueur et le réalisme semblent pouvoir être des sources de progrès, sous réserve, bien entendu, que les prochaines années confirment le bien-fondé de la politique américaine de sûreté nucléaire. V.- L'exigence d'efforts accrus de R&D, d'investissement et d'organisation pour conforter l'objectif de 40 ans de fonctionnement et envisager l'après 40 ans La plupart des pays disposant d'un parc électronucléaire conduisent des recherches sur le vieillissement des composants des centrales nucléaires, avec une priorité semble-t-il donnée aux composants non remplaçables et selon des modes d'organisation de la R&D bien évidemment différents. Un rapide bilan effectué auprès des organisations internationales et dans les pays visités pour la réalisation du présent rapport montre que l'effort global d'étude sur le vieillissement à long terme n'est pas très élevé, quel que soit le pays concerné, au moins sur le plan financier. L'effort fait en France, principalement par EDF, semble en conséquence dans la ligne de ce qui est pratiqué dans les autres pays mais, compte tenu de l'importance de cette question, on peut toutefois se demander s'il n'y a pas lieu de le renforcer. 1.1. Les travaux de l'AIEA et de l'AEN sur le vieillissement Les trois types d'action de l'AIEA (Agence Internationale de l'Énergie Atomique) dans le domaine de la maîtrise du vieillissement des centrales nucléaires sont la mise au point de normes de sûreté, la synthèse de résultats de R&D et la conduite d'actions de conseil sur le terrain54. S'agissant du vieillissement, les principes de gestion des centrales nucléaires eu égard au vieillissement sont énoncés dans les documents de l'AIEA intitulés « Safety Fundamentals » qui précisent le contenu des tâches de vérification de la sûreté, ainsi que dans ceux intitulés « Safety Requirements for Design and Operation » qui détaillent les précautions à prendre en termes de qualification des équipements, de marges de sécurité, de maintenance, de test, de contrôle. En outre, les guides de sûreté « Safety Guide » de l'AIEA recommandent la pratique de revues périodiques de sûreté « Periodic Safety Review » (PSR) tous les dix ans55. Représentant une sorte d'hybridation entre les conceptions et les pratiques nationales, d'une part, et l'optimum théorique que les spécialistes définissent, d'autre part, ces normes de sûreté, qui sont mises au point coopérativement par les États membres, constituent un consensus international. Il est à remarquer que l'intervalle de 10 ans séparant les revues de sûreté périodiques préconisées par l'AIEA est appliqué par différents pays, en particulier la France avec son système de visites décennales de sûreté. L'AIEA a par ailleurs coordonné et assuré l'échange de résultats de programmes de recherche réalisés par les États membres entre 1993 et 1995 sur des questions jugées critiques par ces derniers, comme les piquages du circuit primaire sur la cuve et les vannes motorisées. Des études plus complètes ont été effectuées entre 1993 et 1999 sur les câbles de contrôle-commande, tandis qu'un projet devrait se dérouler en 2004 et 2005 sur les pertes de précontrainte du béton des enceintes de confinement des réacteurs REP et VVER et des cuves béton des réacteurs Magnox. Enfin, l'AIEA a apporté son concours à des examens nationaux ou régionaux de la sûreté de réacteurs en service liés aux questions de vieillissement. L'AIEA assure également l'organisation de missions d'évaluation sur le terrain de la gestion du vieillissement AMAT « Ageing Management Assessment Team » dont ont bénéficié l'Ukraine, l'Arménie et les Pays-Bas. L'AEN OCDE traite pour sa part des questions de vieillissement au sein de son Comité pour la Sûreté des Installations Nucléaires (CSNI), qui comprend un groupe de travail spécialisé intitulé IAGE (« Integrity and Ageing of Components and Structure »)56. Le constat de base que fait l'AEN OCDE est que les programmes de R&D nucléaire dans le monde ont diminué dans les dernières années. Considérée comme essentielle pour traiter le problème capital du vieillissement, une coopération internationale plus développée est appelée de leurs voeux par tous les pays membres. Assurant essentiellement le partage des informations détenues par les pays membres, y compris par la réalisation de banques de données, le groupe de travail IAGE se concentre actuellement sur l'intégrité des structures des réacteurs, sur le comportement à long terme des enceintes et sur la réévaluation sismique sur le vieillissement des systèmes câblés. Sur le plan financier, la principale source de crédits pour les recherches en coopération sur le vieillissement des installations nucléaires a été, ces dernières années, le volet Euratom du 5ème PCRD qui leur avait alloué environ 40 millions € pour la période 1998-2002. Le 6ème PCRD, dans son volet Euratom, a défini des thèmes de recherche très précis pour les recherches sur la fission, à savoir la gestion des déchets radioactifs (90 millions €), la radioprotection (50 millions €) et les autres domaines, c'est-à-dire principalement la sûreté (50 millions €). Les financements de la recherche sur le vieillissement, qui ne devraient pas dépasser 15 millions € sur la période 2002-2006, sont donc réduits à la portion congrue. Les décisions de retrait du nucléaire prises par certains pays ne sont évidemment pas étrangères à cette évolution. On peut toutefois remarquer que la décision de diminuer les crédits alloués aux recherches sur le vieillissement est en contradiction avec le Livre vert de 2000 « Vers une stratégie européenne de sécurité d'approvisionnement énergétique », et qu'elle manifeste un sens contestable des priorités. 1.2. La R&D sur le vieillissement des centrales dans différents pays nucléaires En Finlande, le budget annuel de la R&D sur le nucléaire s'est élevé à environ 27 millions € par an sur la période 1999-2002, financés à parité par l'État et l'industrie, la Finlande exploitant 4 réacteurs nucléaires. Les recherches sur la gestion des déchets mobilisent 50 % du budget annuel, la fusion 10 % et la sûreté des réacteurs 40 %. Doté d'environ 10 millions € par an, la R&D sur la sûreté des réacteurs se partage entre trois thèmes principaux, d'abord les études sur les risques, ensuite les études sur les accidents et enfin les travaux sur le vieillissement. Si l'on s'en tient au programme spécifique sur le vieillissement, l'effort annuel finlandais se limite à 1 million €. Ces recherches bénéficiant à l'évidence des résultats d'autres programmes, on peut considérer que l'effort réel est un peu plus élevé, sans toutefois être massif. Au plan pratique, la R&D nucléaire finlandaise, qui est principalement réalisée par le VTT, organisme indépendant financé principalement par le ministère du commerce et de l'industrie, est particulièrement réputée pour ses travaux et ses réalisations d'appareils de mesure. La Suède, qui comptait 11 réacteurs en service au début 2003, a, comme on l'a vu plus haut, abandonné en 1997 toute échéance fixe pour le démantèlement de son parc pourtant voté par référendum en 1980, y compris semble-t-il pour le réacteur de Barsebäck-2 qui devait être arrêté en 200157. L'autorité de sûreté SKI conduit un programme de R&D entièrement sous-traité, dont le montant annuel représente moins de 7 millions €. Ne faisant pas l'objet de travaux dédiés, la dimension du vieillissement est prise en compte dans différents programmes. En Allemagne, suite à l'accord de compromis signé le 14 juin 2000 entre le Gouvernement et les exploitants, la durée de vie autorisée pour les 19 réacteurs allemands est de 32 ans en moyenne, la possibilité existant toutefois pour un exploitant de transférer des quotas de production d'un réacteur à un autre. L'Allemagne, qui s'est interdit de participer à l'élaboration de nouveaux réacteurs, ne participe à des travaux de R&D nucléaire que s'il s'agit de sûreté nucléaire58. S'agissant du vieillissement, le ministère de l'environnement, en charge du contrôle de la sûreté des réacteurs, et son appui technique, la GRS, semblent limiter leurs efforts à la collecte d'informations sur le comportement des réacteurs en service et à une veille technologique. Le budget annuel de la R&D nucléaire aux Etats-Unis s'élève à environ 100 millions $. L'essentiel des travaux de R&D financés par l'industrie porte sur la résolution de problèmes de court terme et sur l'apport de réponses aux demandes de l'autorité de sûreté. C'est pourquoi le Département de l'Énergie a lancé en 2000 le programme pluriannuel NEPO (Nuclear Energy Plant Optimization), doté de 5 millions $ en 2000 et 2001 et 6,6 millions $ en 2002 de crédits publics, l'industrie devant apporter au financement des programmes un montant égal ou supérieur. L'objectif du NEPO est que les centrales nucléaires américaines puissent produire de l'électricité à des coûts compétitifs, sur toute leur durée de vie, c'est-à-dire jusqu'à 40 ans de fonctionnement et au-delà. Bien qu'il soit loin d'être négligeable, l'effort réalisé par le Gouvernement est toutefois très inférieur aux souhaits du PCAST (President's Committee of Advisors on Science and Technology) qui en avait recommandé en 1997 la création, avec des financements publics de 10 millions $ par an. 1.3. L'impératif d'un développement de la R&D française sur le vieillissement des centrales nucléaires La R&D sur le vieillissement des réacteurs est conduite en France par le constructeur, Framatome ANP, l'exploitant EDF, le CEA et l'IRSN en tant qu'appui technique de l'autorité de sûreté. Doté d'un budget total de 250 millions € environ, l'IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire), dont la mission principale est d'être l'appui technique de l'autorité de sûreté, alloue 52 millions € à ses activités d'expertise et de recherche sur les réacteurs à eau sous pression. Les programmes stricto sensu sur le vieillissement des composants des centrales représentent environ 1,5 million € par an59. En comptabilisant les retombées d'autres recherches sur la sûreté, cet effort est évalué à 4 millions € par an60. On trouvera ci-après une description détaillée de l'effort du CEA effectué en 2002 et prévu en 2003 pour la R&D sur le vieillissement des centrales nucléaires. L'effort du CEA se répartit en recherches faites sur son propre budget et recherches faites pour le compte de tiers. Le total du montant financier a représenté 59,6 millions € en 2002 et devrait représenter 56 millions € en 2003, soit une diminution de 6 %. Par ailleurs, le CEA a, en 2002, alloué 4,2 millions € sur son budget propre à ces recherches et devrait y consacrer 2,1 millions € en 2003, soit une diminution de 50 %. Tableau 8 : Effort de recherche du CEA sur le vieillissement des centrales nucléaires (source : CEA)
En 2001, la subvention civile versée par les différents ministères de tutelle du CEA a représenté 934 millions €64. La recherche propre du CEA sur le vieillissement des réacteurs nucléaires représente donc moins de 0,5 % de la subvention civile. On peut se demander si cette allocation est à la hauteur de l'enjeu. Lors de leur audition du 20 mars 2003, les représentants de la DGEMP ont indiqué que des instructions ont été données au CEA de renforcer en urgence son effort propre de recherche. Ces orientations ne peuvent qu'être approuvées. L'action de Framatome ANP dans le domaine du vieillissement des réacteurs et de leurs composants a deux dimensions, la première étant celle du retour d'expérience et la seconde consistant en une R&D sur ces questions effectuées soit directement, soit en coopération nationale ou internationale. Suite à son internationalisation par l'absorption de la division nucléaire de Siemens et par son développement aux Etats-Unis, Framatome ANP a élargi sa base de connaissances et la gamme de ses outils. Non seulement l'expérience accumulée sur d'autres parcs bénéficie au parc français, par exemple celle accumulée depuis 1990 sur le parc anciennement Babcock-Wilcox. Mais des transferts de technologies s'effectuent entre les différents marchés, français, allemands et américains principalement65. Par ailleurs, Framatome ANP participe à des travaux de R&D coopérative ou concertée mise en place entre le CEA, EDF et Framatome ANP ou au plan international. Les principaux mécanismes de dégradation qui peuvent intervenir dans les centrales nucléaires font l'objet de la part des exploitants nucléaires européens de programmes de R&D concertés, ce qui a permis la constitution d'une base de données de connaissances relatives aux réacteurs à eau pressurisée comme à eau bouillante. On citera les programmes AMES sur le vieillissement des matériaux, NESC sur l'intégrité des structures, ENIQ sur les contrôles non destructifs ou WGSC sur les codes et les normes. Au reste, il apparaît clairement que c'est EDF qui conduit en France l'effort de R&D le plus important en matière de vieillissement avec un budget d'environ 25 millions € par an, dont 10,5 pour le CEA. Les principaux domaines couverts sont la cuve du réacteur, les générateurs de vapeur, l'enceinte de confinement et les câbles. S'agissant de la cuve, l'objectif d'EDF est d'étudier sa ténacité non seulement à 40 ans mais aussi à 50, voire 60 ans. La première tâche que s'assigne EDF est de suivre le capital fluence de chaque cuve dans le cadre de l'optimisation des plans de chargement. En utilisant directement les résultats obtenus sur éprouvette, il s'agit de déterminer la ténacité en fin de vie. Une autre recherche conduite par EDF porte sur l'évaluation non destructive de la fragilisation, un indicateur intéressant semblant être la mesure du pouvoir thermoélectrique PTE, dont le lien avec les caractéristiques mécaniques doit encore être approfondi. Il s'agit là d'un projet européen dont EDF assure le pilotage. Le risque d'instabilité d'un défaut métallurgique fait l'objet d'autres analyses. De même, EDF a mis en place une veille technologique sur le recuit des cuves, une technique controversée, qui fait l'objet de recherches aux Etats-Unis et d'applications concrètes en Russie66. La R&D d'EDF porte également sur l'évaluation de la probabilité de rupture d'un tube de générateur de vapeur et la durée de vie résiduelle de ces matériels complexes, ainsi que sur la justification de l'alliage Inconel 690 comme produit de remplacement à l'inconel 600 initialement utilisé67. Par ailleurs, des études sont nécessaires pour comprendre les pathologies du béton des enceintes de confinement, en particulier les phénomènes de gonflement du matériau, de corrosion des armatures, de carbonatation, d'attaque par les ions chlorures et de lixiviation. S'agissant des enceintes de confinement des tranches 1300 et 1450 MWe, les défauts d'étanchéité de la paroi interne restent à comprendre en détail. De même il est nécessaire d'étudier la tenue dans le temps des revêtements de réparation. Enfin, les phénomènes altérant les câbles, difficiles à comprendre et à modéliser, sont dus au vieillissement physique et chimique des polymères sous l'action de multiples paramètres. Des programmes d'essais accélérés sont donc à réaliser, de concert avec la mise au point de méthodes de contrôle de l'environnement dans lequel ces câbles sont immergés. Mais un autre défi doit être relevé, celui de la R&D sur le vieillissement à très long terme, c'est-à-dire 60 ans. Selon EDF, une approche probabiliste assortie de modèles sera utile pour évaluer les conditions à respecter pour atteindre un tel objectif, sachant que trois types d'éléments doivent être pris en considération : la fragilisation des matériaux, la présence éventuelle de défaut et enfin les sollicitations extérieures. En tout état de cause, il sera nécessaire d'obtenir des résultats probants sur les conséquences des hautes fluences et les mécanismes éventuels de saturation qui pourraient réduire la fragilisation des matériaux au cours du temps. En tout état de cause, l'étude du vieillissement à 60 ans apparaît comme un domaine d'excellence pour la modélisation numérique. Les simulations numériques, qui doivent aboutir à un véritable réacteur virtuel, constitueront une véritable alternative aux réacteurs expérimentaux. Pour réaliser les modèles correspondants, il est nécessaire de connaître les mécanismes en jeu aux différentes échelles atomique, microscopique et macroscopique. La recherche sur la simulation d'un réacteur nucléaire fait l'objet d'un programme international de grande ampleur figurant dans le 6ème PCRD, dont EDF est le leader. D'une manière générale, la R&D portant sur des échéances à très long terme doit être approfondie et imaginative. La tenue des enceintes de confinement en fournit un bon exemple. Il existe dans le monde un effort de R&D très important sur les pathologies classiques des bétons, notamment sur leur gonflement, sur la corrosion des armatures et la lixiviation. De tels problèmes n'ont jamais été observés sur les enceintes des réacteurs d'EDF. Il entre donc dans la responsabilité de la R&D d'EDF de comprendre pourquoi les conditions de démarrage de tels phénomènes ne sont pas réunies pour celles-ci68. En définitive, d'après les indications fournies à vos Rapporteurs, l'exploitant EDF semble avoir engagé les efforts nécessaires pour soumettre ses installations aux interrogations permanentes de la recherche, ce qui pourrait lui permettre de valoriser complètement son parc nucléaire tout en respectant les contraintes de sûreté et de rentabilité. Mais les enjeux du vieillissement du parc nucléaire sont tels que la France doit augmenter ses efforts dans ce domaine. Répondant à ses propres besoins, une recherche dynamisée dans ce secteur aurait par ailleurs comme avantage d'augmenter son rayonnement dans le monde, puisque les efforts de R&D nucléaire ralentissent dans la plupart des pays. De plus, dans le domaine de la R&D comme dans celui de l'expertise, le pluralisme est nécessaire. C'est pourquoi il paraît indispensable que le CEA et l'IRSN augmentent fortement et rapidement, par redéploiement, les budgets et les équipes travaillant sur le vieillissement des réacteurs nucléaires. 2. L'investissement de jouvence, un objectif particulièrement rentable pour l'exploitant et non pas seulement une obligation réglementaire La modernisation des centrales nucléaires en service est une question en apparence difficile, compte tenu de ses conséquences financières. Faut-il se contenter de maintenir les réacteurs en l'état ou, au contraire, faut-il les rénover en permanence ? Par ailleurs, les modifications des installations doivent-elles se limiter à répondre aux exigences de l'autorité de sûreté ou, au contraire, doivent-elles être décidées pour incorporer le progrès technique qui permettra d'améliorer les performances de l'installation ? Dans la pratique, comme on l'a vu plus haut, la totalité des exploitants, qui ont pour objectif la valorisation maximale de leur parc électronucléaire grâce à l'extension de sa durée de vie, ont arbitré en faveur d'une politique de modernisation continue, quitte à engager des investissements considérables. La Finlande est clairement engagée dans une politique d'amélioration continue de son parc de 4 centrales. Les deux réacteurs de la société FORTUM à Loviisa, qui sont des VVER de conception soviétique mais fabriqués spécifiquement69 pour la Finlande, ont été profondément remaniés pour améliorer leur sûreté et continuent de l'être pour élever leurs performances, en tous points remarquables puisque le réacteur de Loviisa-1 a atteint en 2002 un coefficient de capacité de 89,3 %70. La centrale d'Olkiluoto, composée de deux réacteurs BWR identiques de 710 MWe71 a elle aussi fait l'objet d'un programme complet et de longue haleine de gestion de la durée de vie et de modernisation décidé par l'exploitant, la société TVO72, fondée en 1969 par différentes entreprises industrielles pour leur fournir de l'électricité à prix coûtant. Au total, sur la période 1994-1998, les opérations de modernisation de la centrale d'Olkiluoto auront coûté 132 millions €. L'un des traits les plus remarquables de ces opérations est qu'elles ont été accomplies pendant les arrêts de tranche annuels programmés, sans les rallonger puisque le coefficient de capacité73 n'est jamais descendu en dessous de 93 % sur la période, atteignant même 96,4 % en 2001. Il est à noter d'ailleurs que les arrêts de tranche sont extrêmement courts en Finlande puisqu'ils durent 16 jours, contre 24 en Suède et une moyenne de 40 jours en France74. En définitive, TVO estime que ses deux réacteurs d'Olkiluoto pourraient fonctionner jusqu'en 2040, pour une durée totale de 60 ans et une production réelle supérieure d'un facteur 2,5 aux attentes initiales. En Suède, la même politique d'investissement est conduite par les exploitants. Le réacteur d'Oskarshamn 1 a fait l'objet d'une grande rénovation, qui s'est étalée sur 10 ans, a coûté 200 millions €. A son terme, ce réacteur a redémarré début janvier 2003, après un changement complet des pompes primaires et de l'instrumentation de contrôle commande. La modernisation de Ringhals 2 est en cours et sera terminée dans quatre ans. Puis viendra le tour d'Oskarshamn 2. Dans les dix années qui viennent l'ensemble des centrales suédoises sera modernisé. Estimant que ce réacteur ne sera pas fermé en mars 2003, SKI prévoit également une modernisation de Barsebäck 2. Aux Etats-Unis, la rénovation des centrales constitue un marché considérable, en particulier pour le constructeur Framatome-ANP. A titre d'exemple, pour assurer la rénovation et l'augmentation de puissance de 10 % d'un réacteur des trois PWR Babcock-Wilcox de 850 MW de sa centrale d'Oconee, Duke Energy a investi 250 millions $75. Au plan global, alors que les dépenses annuelles en services d'exploitation et de maintenance des opérateurs nucléaires ont représenté environ 1,8 milliard $ entre 1998 et 2001, ces dépenses devraient dépasser 2,6 milliards $ en 2003, et atteindre un total de 15 milliards $ sur les cinq années suivantes. Comme on l'a vu plus haut, la prolongation de 20 années a des effets vertueux sur le parc électronucléaire américain. En effet, la décision d'exploiter deux décennies supplémentaires suppose des investissements importants évalués à 200-300 millions $ par réacteur, ce qui conduit à des réacteurs plus sûrs76. Au reste, un tel investissement, aussi élevé soit-il, présente une rentabilité très élevée pour l'exploitant. De plus, comme les opérations de modernisation en vue de la prolongation de 20 ans peuvent être faites 10 années avant l'expiration de 40 premières années de fonctionnement, l'exploitant a la possibilité de les amortir. Justifiées par leur rentabilité, les opérations de modernisation engagées par les exploitants finlandais, suédois et américains, au demeurant des entreprises privées, sont donc conséquentes. Les montants ci-dessus ne sont sans doute pas directement comparables avec les investissements consentis par EDF, sans doute plus continus et répartis sur toute la durée de vie des tranches. Le tableau suivant indique différents coûts liés à l'exploitation dans la durée des réacteurs, en distinguant les modifications liées aux améliorations de sûreté, à la maintenance ou au programme « durée de vie ». Tableau 9 : Budgets correspondant à différentes opérations liées à l'exploitation (source : EDF)
On trouvera ci-dessus les durées et les coûts globaux des 2èmes visites décennales77. Tableau 10 : Délais et coûts des 2èmes visites décennales des centrales d'EDF (source : EDF)
Par ailleurs, comme on l'a vu précédemment, les visites décennales sont aussi le moment choisi non seulement pour réaliser l'examen de conformité de l'installation par rapport aux normes initiales, mais aussi pour procéder à la réévaluation de la sûreté en fonction de l'évolution technique. Dès lors, on comprend que le coût de la 2ème visite décennale soit plus élevé pour le palier le plus ancien CP0 par rapport au palier CPY. Mais, qu'elles soient exigées par l'autorité de sûreté à l'occasion des visites décennales ou lors des arrêts de tranche pour rechargement, les dépenses en capital engagées par EDF ne semblent pas hors de proportion avec celles consenties dans les pays cités. 3. L'organisation et la valorisation du facteur humain, des priorités de l'exploitant à approfondir encore Une gestion performante de la durée de vie nécessite d'agir dans plusieurs directions, ainsi que le précise une recommandation générale de l'AIEA. L'exploitant doit définir une stratégie, en liaison avec l'autorité de sûreté, mettre en place une organisation spécifique pour la gestion de la durée de vie, allouer des moyens à cet objectif, définir un programme d'actions concrètes, se donner les moyens de les évaluer et implanter une démarche qualité avec des indicateurs de performance. 3.1. Une gestion des arrêts de tranche et du combustible à améliorer encore Les durées d'arrêt programmé des tranches françaises sont supérieures de 13,5 jours à celles des centrales américaines78. En outre, un arrêt de tranche dépasse souvent les délais prévus, quel que soit le pays. Il est également symptomatique de remarquer que les dépassements de délais sont en moyenne plus importants de 4,5 jours en France par rapport aux Etats-Unis. Tableau 11 : Durées moyennes des arrêts de tranche du parc EDF (source : EDF)
Selon les explications données par EDF, la durée supérieure des arrêts de tranche en France s'explique au deux tiers par des règles de sûreté plus contraignantes. Ces règles pourraient toutefois être ajustées en accord avec l'autorité de sûreté sur la base de dossiers étayés et agréés par celle-ci. Le délai pourrait être également comprimé d'un tiers grâce à une meilleure planification et une meilleure maîtrise du déroulement des arrêts. En tout état de cause, les arrêts de tranche constituent un problème de gestion de grande ampleur, encore compliqué par l'importance du recours à la sous-traitance. Selon EDF, la part des activités de maintenance sous-traitées est stable depuis quelques années au niveau de 80 à 85 % du volume total. Le nombre d'entreprises sous-traitantes d'EDF s'élève à 600, représentant environ 12 à 13 000 salariés, l'essentiel travaillant aux tâches de maintenance80. Un autre paramètre de la performance est la longueur des campagnes, dans la mesure où plus les arrêts sont espacés (et courts), et plus la production peut être importante. Au cours du temps, EDF s'est bien entendu efforcé d'allonger les campagnes (voir tableau suivant). Tableau 12 : Caractéristiques du cycle du combustible du parc électronucléaire d'EDF (source : EDF)
Si l'on veut comparer le parc EDF avec les autres parcs, une de ses particularités doit toutefois être prise en compte, à savoir que 20 tranches du palier CP1/CP2 utilisent partiellement du combustible du MOX, dont le taux de combustion autorisé est inférieur à celui du combustible UOx, ce qui limite de facto la durée des campagnes81. Cette réserve étant faite, on constate que de même que pour les durées d'arrêt de tranches, la comparaison des longueurs de campagne avec celles des centrales américaines de même type ne se fait pas à l'avantage d'EDF. En effet, d'après les résultats d'une étude faite sur le fonctionnement des centrales américaines en 2001, les longueurs de campagne sont supérieures, avec une durée moyenne de 18 mois pour 90 % du parc REP et de 24 mois pour quelques tranches REP. On comprend donc qu'EDF se soit fixé comme objectif à moyen terme de passer à 14 mois pour les paliers CP1/CP2 dans le cadre du programme Parité MOX, qui vise à démontrer la capacité des combustibles MOX à atteindre les taux de combustion des combustibles UOX. Pour les paliers CP0 et N4, l'objectif est de passer à 16 mois, le palier 1300 MW devant atteindre 18 mois. 3.2. L'organisation d'EDF pour la gestion de la durée de vie C'est en 1985 qu'EDF a lancé un « projet durée de vie ». Entre 1985 et 1993, des études opérationnelles ont été réalisées dans plusieurs directions. Après une sélection à dire d'experts, 18 composants sensibles ont été analysés. Une synthèse des connaissances a été réalisée sur les mécanismes de vieillissement. Certains composants déposés à Chooz et à Dampierre ont été expertisés afin d'identifier les mécanismes de vieillissement et leur cinétique. Les principales zones d'incertitude ont été identifiées. Enfin, une première approche de préconisations a été définie pour les pratiques d'exploitation, les études et les expertises complémentaires. Le coût total des études liées au « projet durée de vie » sur la période 1985-1993 est estimé à 65 millions €. Entre 1993 et 1996, un approfondissement des conclusions de 1993 a conduit à leur confirmation. Des réflexions complémentaires ont été réalisées pour l'organisation à créer au sein d'EDF, tandis qu'une démarche d'anticipation fondée sur les analyses de risques a été mise en place. La période 1996 à 2001 s'est traduite par une mise en oeuvre des préconisations de 1993. EDF s'est aussi attachée à approfondir ses connaissances du vieillissement, en assurant une veille technologique des 67 réacteurs les plus âgés dans le monde et en capitalisant les résultats du retour d'expérience. Au plan organisationnel, EDF s'est efforcé de mieux intégrer les actions « durée de vie » dans l'exploitation quotidienne et a créé le programme « durée de vie ». Au cours de la période 2001/2002, EDF s'est focalisée sur les dix premiers mécanismes de vieillissement et sur l'élaboration d'une méthode exhaustive, traçable et reconnue au plan international, permettant de justifier la maîtrise du vieillissement pour une durée de vie d'au moins 40 ans. Le coût des projets en cours liés à la maîtrise du vieillissement est évalué par EDF à 29 millions € pour l'année 2003. A la lumière d'exemples étrangers, on peut toutefois remarquer que la sensibilisation des personnels à l'importance de la durée de vie pourrait être encore plus intense, en utilisant d'autres approches. A Olkiluoto, en Finlande, où les opérations de gestion de la durée de vie ont été programmées sur une durée de 10 ans, avec une mise à jour annuelle, des responsables de cette gestion ont été nommés dans chaque unité, dans chaque zone technique et dans chaque groupe de composants, des groupes techniques ayant été également constitués en tant que de besoin. Les buts de la modernisation permanente sont d'augmenter la sûreté et les performances de la centrale, d'étendre sa durée de vie, mais aussi de maintenir et de renforcer la motivation et l'expertise des équipes d'exploitation, ce qui suppose de leur assigner des objectifs ambitieux82. Autre dimension spécifiquement prise en compte en Finlande, la question du transfert de compétences est considérée par FORTUM comme d'une particulière importance pour atteindre l'objectif d'une durée de vie de 50 ans de ses réacteurs de Loviisa. A cet égard, un programme de gestion à long terme des ressources humaines a été mis en place avec, comme priorité, la transmission des compétences d'une génération à une autre, dans la mesure où l'exploitation sur 50 ans fera nécessairement se succéder deux générations différentes de chercheurs, d'ingénieurs et de techniciens de conception et d'exploitation. En réalité, on peut se demander si la qualité de l'organisation interne d'une centrale et la motivation du personnel n'acquièrent pas une importance décisive dans le domaine de la gestion globale de la performance et donc de la durée de vie. 3.3. Le facteur humain, paramètre clé de la durée de vie d'une installation Les différents réacteurs d'un vaste parc électronucléaire comme celui d'EDF présentent des performances très variables. Bien entendu, d'une année sur l'autre, un même réacteur pourra enregistrer un niveau de production différent, du fait qu'il aura ou non subi un arrêt de tranche recharge du combustible, un grand carénage de visite décennale ou des arrêts non programmés pour maintenance ou pour d'autres raisons. Les réacteurs des paliers 900 MW, 1300 MW ou N4 présentent des performances différentes du fait de leur conception, de leurs combustibles ou de leur mode d'utilisation. Au sein d'un même palier, les performances peuvent aussi être très différentes d'une centrale à une autre. A cet égard, on peut même parler de centrales voire de réacteurs mal nés. Dans ce cas, il est fréquent de constater que, plus qu'à des dysfonctionnements d'équipements matériels, les difficultés sont dues à des problèmes récurrents d'organisation ou à un climat social dégradé. Ce fut le cas de la centrale de Dampierre dont l'autorité de sûreté a été proche de suspendre purement et simplement l'exploitation tant les problèmes humains y étaient nombreux et handicapants. Autre domaine où l'organisation joue un rôle important, les arrêts de tranche obéissent, semble-t-il, à des spécificités particulières en France qui ont pour conséquence leur durée inhabituelle, en moyenne 40 jours, contre 16 en Finlande et 24 en Suède. Le suivi de charge, qui est une spécificité du parc électronucléaire français, n'est donc pas le seul facteur tirant vers le bas le coefficient de capacité Kp et diminuant la performance économique des réacteurs d'EDF. Figure 6 : Coefficient d'utilisation83 du parc EDF (source : P. Girard - EDF Trading) L'importance du parc électronucléaire d'EDF, 58 réacteurs, est souvent mise en avant pour expliquer cette longueur inhabituelle. Les intervenants et les entreprises prestataires de services lors d'un arrêt de tranche réalisé par EDF sont multiples, ce qui peut allonger les délais. Mais la situation est pire aux Etats-Unis, avec un parc de 103 réacteurs dispersés sur un vaste territoire et où, du fait des pics de consommation en hiver et en été, les arrêts de tranches se concentrent sur le printemps. Or la durée moyenne des arrêts de tranche y est inférieure de 20 %. Au final, on peut se demander s'il ne conviendrait pas, à la fois pour maximiser la durée de vie des réacteurs et pour augmenter la performance économique globale du parc, qu'EDF s'attache à développer la motivation de ses équipes en restaurant l'impératif économique et en fixant des objectifs de production à court et à long terme. Ces objectifs pourraient être l'augmentation de la disponibilité du réacteur et la diminution de la durée des arrêts de tranche. Que l'on se place sous l'angle des intérêts de l'économie toute entière ou sous celui de l'entreprise elle-même, l'amélioration des performances du parc EDF constitue sans aucun doute une priorité. En termes d'optimum macroéconomique, il est évidemment souhaitable de tirer le meilleur parti du parc installé, en produisant le MWh le moins cher possible. En terme d'optimum microéconomique, il est évidemment capital qu'EDF abaisse encore ses prix de revient afin d'augmenter ses marges ou ses débouchés. Dans ces conditions, le renforcement de la capacité des interconnexions avec les pays limitrophes de la France est sans aucun doute une priorité. Le maintien des compétences et la pérennité du tissu industriel du secteur nucléaire sont deux conditions évidentes et essentielles à une bonne gestion du vieillissement des centrales nucléaires et à la prolongation éventuelle de leur durée de vie. Les organisations internationales du nucléaire que sont l'AIEA et l'AEN OCDE, qui accordent une grande importance à ces questions, émettent la crainte que le secteur nucléaire rencontre des difficultés à pallier les départs en retraite des générations qui ont construit les parcs actuels et à maintenir un volume de commandes suffisant pour garder en activité les constructeurs et les entreprises de service indispensables. Le pessimisme des organisations internationales n'est pas partagé par tous au vu des informations collectées en Finlande, Suède, Allemagne, aux Etats-Unis et même en France, informations qui témoignent d'une grande variété d'opinions sur ce sujet. Pour certains, les menaces sur la pérennité des compétences et du tissu industriel sont telles que seule la perspective de construction de nouveaux réacteurs est de nature à prévenir l'effondrement du secteur. Pour d'autres, au contraire, la prolongation de la durée de vie des réacteurs, en générant des bénéfices considérables, est, en soi, suffisante pour recruter les spécialistes et pérenniser les entreprises, à condition bien sûr que les conditions de rémunération consenties par l'industrie et les exploitants soient suffisamment attractives. En tout état de cause, non seulement les points de vue sont divergents mais l'organisation adoptée pour traiter ces questions n'est pas identique d'un pays à l'autre. S'agissant de la France, si la prise de conscience des nécessités par EDF et Framatome ANP semble dans l'ensemble satisfaisante, l'autorité de sûreté pourrait sans doute donner davantage d'impulsions dans ce domaine. En outre, les formations de tous niveaux aux métiers de la gestion du risque et de la maintenance devraient être reconnues et développées du fait de leur importance pour l'avenir des installations industrielles et des débouchés qu'elles offrent à l'emploi. 4.1. Une préoccupation plus ou moins importante selon les pays Les points de vue sur le maintien des compétences sont extrêmement variables selon les pays. Certains mettent l'accent sur l'organisation interne des exploitants. D'autres sont préoccupés par le maintien des compétences de l'autorité de sûreté elle-même. Pour l'autorité de sûreté de Finlande, STUK, l'un des domaines les plus importants de la gestion de la durée de vie des centrales est celui du maintien des compétences et des savoir-faire des exploitants. Ceci oblige en conséquence à accorder la plus grande importance à l'entraînement des personnels, à l'amélioration des procédures d'exploitation, à l'actualisation permanente de la documentation relative à la centrale et au contrôle de la pérennité des compétences pour les composants critiques. Il est intéressant de constater l'impact de la relance du nucléaire dans ce pays sur l'attractivité des carrières proposées par le secteur. Après la décision du 24 mai 2002 de construire un 5ème réacteur, le nombre d'étudiants s'inscrivant dans les deux cursus de techniques nucléaires proposés en Finlande, qui était auparavant de 40 par an, a brutalement augmenté. Par ailleurs, la compagnie TVO qui a bénéficié de la décision de principe de construire ce nouveau réacteur, a reçu plus de 600 candidatures pour participer à la réalisation de ce projet. En Suède, le projet d'abandon du nucléaire voté en 1980 est parallèle à l'assèchement certain des vocations pour cette industrie, même s'il a été remis en cause en 1997. Originalité considérable par rapport à la situation française, l'autorité de sûreté nucléaire SKI est en charge de la surveillance des formations aux techniques nucléaires. Elle y consacre de nombreux efforts, dans le cadre d'une coopération trilatérale entre l'État, les universités et les centres de recherche et les exploitants84. Actuellement, il est manifeste que les jeunes étudiants suédois sont peu nombreux à vouloir « embarquer » dans le nucléaire, par comparaison avec les années 1980. Différents cours continuent toutefois d'être proposés aux étudiants de KTH, en particulier sur l'ingénierie nucléaire, la sûreté des réacteurs, l'analyse probabiliste de sûreté85. Enfin, une activité de recherche importante sur la sûreté des réacteurs est maintenue au KTH grâce aux subventions de SKI et des exploitants nucléaires. Traitant régulièrement cette question dans son rapport d'activité au Gouvernement, SKI estime que « il est indispensable que le Gouvernement signale clairement qu'il y a un avenir pour le nucléaire ». Privée de commandes depuis 1985, date de mise en service du plus récent réacteur suédois, l'industrie nucléaire suédoise a subi l'absorption d'ASEAN par Brown Boveri pour former le groupe ABB, celle de Combustion Engineering par Westinghouse qui a aussi absorbé quelques années plus tard le département nucléaire d'ABB. Il reste actuellement en Suède une équipe d'ingénieurs de Westinghouse spécialisée dans la rénovation de centrales ainsi qu'une usine de fabrication de combustible. Une des missions de SKI est d'assurer un niveau d'activité suffisant aux consultants. Par ailleurs, SKI s'interroge sur les conditions de sa propre pérennité. Malgré la possibilité qui lui est donnée de fixer librement les rémunérations de ses employés, SKI pourrait en effet à l'avenir ne pas pouvoir suivre la concurrence forte des producteurs d'électricité pour le recrutement de spécialistes du nucléaire. En l'occurrence, il serait dramatique que l'autorité de sûreté ne parvienne plus à recruter les personnels hautement spécialisés et compétents, dont le rôle est critique pour l'avenir du nucléaire. Le gouvernement suédois devra, en conséquence, veiller à ne pas diminuer voire à augmenter la taxe sur le kWh qui alimente son budget. Familiers des politiques de « stop and go », les Etats-Unis bénéficient d'une main d'oeuvre dont la mobilité est importante tant sur le plan géographique que sectoriel. Au début des années 1990, la NRC avait noté un déclin des compétences nucléaires aux Etats-Unis, sans toutefois s'alarmer particulièrement, dans la mesure où les laboratoires nationaux du Département de l'Énergie (DOE) ainsi que la Navy constituent des réservoirs de spécialistes qui peuvent aisément être redéployés vers l'industrie. La NRC considère par ailleurs que la prolongation de licence, en générant un retour sur investissement rapide, a créé un vrai marché du travail et pérennisé le tissu industriel. Il est incontestable à cet égard que les investissements de modernisation ont permis à General Electric et Framatome ANP de conserver une activité nucléaire, alors que ces entreprises auraient été tentées de se retirer du marché. La NRC estime ainsi que les investissements nécessaires pour obtenir une licence de 20 années supplémentaires pour plus de quatre-vingt dix réacteurs représentent un volume de chiffre d'affaires très largement supérieur à celui généré par la construction d'une tranche même de deux ou trois. Autre avantage, le renouvellement de licence rend obligatoire le transfert des compétences d'une génération à une autre. S'attaquant à ce qu'elle considère pour sa part comme le coeur du problème, à savoir les compétences initiales, l'association professionnelle NEI (Nuclear Energy Institute) a lancé avec succès dans les années 1990 une action visant à soutenir les formations technologiques et universitaires relatives aux métiers du nucléaire. 4.2. La vision de l'autorité de sûreté pour la situation française L'autorité de sûreté française considère que le maintien des compétences nucléaires, une question prioritaire pour la sûreté, doit être traitée à plusieurs niveaux. En premier lieu, EDF devra veiller à la transmission de la mémoire de ses installations et à disposer des compétences techniques nécessaires à la réparation de composants qui ne sont plus fabriqués, en particulier lorsque leur technologie est obsolète. Contrairement à son homologue suédois, l'autorité de sûreté française estime qu'il n'entre pas dans ses missions de mettre en place un marché pérenne de sous-traitants pour le nucléaire. En réalité, selon l'autorité de sûreté, l'insuffisance de sous-traitance est toute relative. En effet, il a été possible à EDF d'étaler la charge de travail des arrêts de tranche de manière à disposer de l'aide attendue. Au reste, la nouvelle politique du combustible devait renforcer les possibilités d'étalement, en permettant d'allonger les campagnes et de diminuer la durée des arrêts de tranche. Quoi qu'il en soit, dans le cadre de ses demandes d'autorisation de fonctionnement au delà de 30 ans, EDF devra exposer en détail son organisation. S'agissant des compétences, le vieillissement des effectifs employés dans le parc nucléaire posera des problèmes de recrutement spécifiques à certains métiers et un problème général de gestion des départs en retraite des personnels d'exploitation, sur lequel EDF a heureusement lancé une réflexion au niveau stratégique. Un problème identique se pose pour l'autorité de sûreté et son appui technique. Dans certains pays, notamment au Royaume Uni, il serait actuellement impossible à l'autorité de sûreté d'instruire des demandes d'autorisation de création d'installations nucléaires, du fait d'une perte de compétences. En tout état de cause, la question doit être posée du renforcement et de la pérennité de l'autorité de sûreté nucléaire qui comprend un échelon national et des échelons régionaux avec les divisions nucléaires des DRIRE (Directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement). Décidées après la catastrophe d'AZF à Toulouse, les augmentations des effectifs des DRIRE pour l'inspection des installations classées pour l'environnement ne concernent pas l'autorité de sûreté nucléaire. En revanche, un doublement de ses effectifs a été décidé par le Gouvernement de Lionel Jospin pour lui permettre de prendre en charge ses nouvelles tâches de radioprotection et de contrôle des matériels à usage médical. Sur l'EPR, les travaux de la DSIN puis de la DGSNR et de son appui technique l'IPSN, devenu l'IRSN, ont commencé depuis plus de dix ans, les études ayant commencé en 1991 au niveau français puis en 1993 aux deux niveaux français et allemand. Ce travail a été conduit par la 2ème et la 5ème sous direction de la DGSNR, avec leurs effectifs courants. L'activité relative à la prolongation de la durée de vie est également une activité courante. Le parc électronucléaire comptant 58 réacteurs et subissant par définition une visite décennale tous les 10 ans, l'autorité de sûreté doit gérer environ 6 visites décennales par an avec les réexamens de sûreté. Les tâches correspondantes sont assumées en continu, avec un réexamen étant toujours en cours, précédé et suivi d'un autre. Si un site nucléaire particulier n'est concerné par les visites décennales que tous les dix ans, l'autorité de sûreté nucléaire est en permanence mobilisée sur une visite décennale, dont chacune a d'ailleurs ses spécificités. Dans l'hypothèse où pour la construction d'un nouveau réacteur en France, il serait nécessaire d'ouvrir un appel d'offres, l'autorité de sûreté ferait appel au concours de ses homologues étrangers. 4.3. La question des formations aux métiers utilisés dans le nucléaire D'ici à 2015, 45 % des personnels employés par EDF dans ses centrales nucléaires devront être remplacés du fait de leur départ à la retraite. D'ici à 2010, 1000 à 1200 personnes de l'ingénierie d'EDF partiront à la retraite. La pérennité du parc électronucléaire français à l'horizon de 40 à 60 années de fonctionnement suppose donc un transfert de compétences de la génération des constructeurs du parc à la suivante. L'évolution des effectifs des formations initiales au cours du temps a donc une importance. Mais les capacités de recrutement des entreprises joueront également un rôle clé. S'agissant des formations d'ingénieurs nucléaires proprement dites, le nombre de diplômés en génie atomique de l'Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN) a été divisé par deux entre 1998 et 2002. La désaffection des études scientifiques à l'université ne concerne pas les formations d'ingénieurs, grâce à l'attractivité des écoles d'ingénieurs. Si l'on constate une baisse du nombre des diplômés d'une école prestigieuse comme l'école centrale de Paris s'orientant vers le secteur nucléaire, c'est que les autres industries sont préférées par les jeunes ingénieurs. Les perspectives d'avenir d'une industrie jouent sans aucun doute un rôle dans le choix d'un premier emploi, avec les niveaux de rémunération, les deux facteurs étant liés. Mais l'industrie nucléaire étant une industrie pluridisciplinaire, le recul des effectifs des formations initiales spécialisées dans le nucléaire n'a pas de conséquence grave si la spécialisation peut s'effectuer dans les entreprises, grâce à une formation interne de qualité. Pour la technicité de l'industrie nucléaire, il est capital qu'une activité soutenue continue de se dérouler dans les laboratoires où les jeunes ingénieurs peuvent acquérir une formation de pointe par la recherche. Pour les autres types de formation, on observe de réelles difficultés pour remplir les promotions, difficultés aggravées au final par la faible capacité de nombreuses entreprises petites ou moyennes à former leur personnel. Par exemple, le recrutement d'étudiants en BTS de radioprotection ne s'effectue pas au maximum des possibilités de formation, en dépit des débouchés. La situation est en réalité générale pour un grand nombre de métiers technico-scientifiques dans les qualifications techniques des CAP, BEP, BTS voire DUT. On observe en effet une grande désaffection pour les « métiers du réel »86. Les problèmes de pérennité des compétences pourraient être les plus importants dans les métiers de la maintenance et des spécialités techniques indispensables au fonctionnement des centrales nucléaires En conséquence, une filière de formation spécifique devrait être créée pour la gestion des risques et de la maintenance. Bien entendu, le système éducatif français délivre plus de 50 000 diplômes par an, allant du mastère au BEP, avec des spécialisations maintenance. Mais faute d'une filière « risque et maintenance » qui devrait être reconnue comme discipline de recherche par l'éducation nationale, l'enseignement des risques et de la maintenance est assuré en tant que sous-chapitre d'autres enseignements, ce qui conduit à une insuffisance de la formation. 4.4. Les recrutements dans le nucléaire La plupart des intervenants du nucléaire en France ne rencontrent pas de difficultés particulières de recrutement. Framatome ANP a dans les années récentes rajeuni sans difficulté la pyramide des âges de ses ingénieurs. Dans le même but, entre 1998 et 2001, le CEA a procédé à trois mille recrutements, sans rencontrer d'autre difficulté que celle d'assurer la formation en interne. Pour EDF, le vrai problème n'est pas tant celui des départs en retraite que celui de la gestion des embauches, qui nécessite une vision prospective. Pour certaines qualifications dont les besoins sont constants comme pour les opérateurs de conduite, le problème à résoudre est celui du volume de formation. Pour d'autres qualifications, la difficulté est de garder des compétences sur des technologies obsolètes pour lesquelles il n'existe plus de formation dans le système scolaire et universitaire. Pour assurer la formation interne, qui revêt dans ces conditions la plus haute importance, EDF a notamment mis en place des pépinières et recourt au compagnonnage. Enfin, le plus difficile est d'assurer le maintien de compétences pointues sur l'histoire ancienne ou récente des installations87. Par ailleurs, l'industrie dans son ensemble devrait s'attaquer enfin à l'amélioration des conditions d'emploi des employés de la maintenance. Dans les métiers de la maintenance, plus de 70 % des effectifs sont des ouvriers, les cadres ne représentant que 3 % des effectifs chez les donneurs d'ordre et 1,5 % chez les prestataires de service. Or la maintenance est un secteur où les risques de maladies professionnelles sont 7 à 10 fois plus importants que dans les autres métiers88. Ce sont à la fois la formation de base des exécutants et leur encadrement qui devraient être améliorés, la revalorisation des prestations fournies par les sous-traitants et les rémunérations de leurs employés étant évidemment la clé du problème. 4.5. Les entreprises sous-traitantes et les prestataires de service La pérennité du tissu industriel semble, elle, poser un problème plus difficile. Le groupe intersyndical de l'industrie nucléaire, qui rassemble plus de 200 entreprises employant 35 000 personnes pour un chiffre d'affaires de 3 milliards € environ, estime que le tissu industriel est actuellement fragile et vulnérable, pour deux raisons principales qui sont, d'une part, le manque de rentabilité et, d'autre part, un horizon incertain. Deux problèmes doivent être traités avec attention : la pérennité de fabrications et de matériels et la pérennité des prestataires de service. Ayant considérablement évolué entre le palier 900 MWe et les paliers suivants - 1300 MWe et N4 -, le contrôle-commande fournit un bon exemple des difficultés liées à des durées de vie très étendues. Le contrôle-commande des réacteurs 900 MWe fait largement appel à une technologie fondée sur une logique câblée et des relayages dont les taux de défaillance sont très faibles. Dans la perspective des troisièmes visites décennales, EDF estime ainsi qu'il sera possible d'amener ces systèmes à 40 ans et au-delà. Toutefois, la disponibilité de composants doit être assurée par la constitution de stocks stratégiques et par la mise en place de protocoles à long terme de partenariat avec les fabricants. De même, l'exploitant devrait s'assurer de la pérennité des compétences en interne et en externe. Après la construction du palier 900 MWe, dont l'exemplaire le plus récent a été couplé au réseau en novembre 1987 à Chinon (B4), la numérisation s'est progressivement développée, en s'appliquant aux actuateurs et aux capteurs, puis aux automatismes de sauvegarde, de régulation et de protection et enfin aux dispositifs de commande. La maintenance et donc la maîtrise de millions de lignes de programme, des technologies en apparence plus modernes, posent en réalité le même problème de maintien des compétences en interne et en externe que celui de l'instrumentation analogique. D'une manière générale, stocks stratégiques, maintien de compétences en interne sont des méthodes complétées par la diminution du recours à des technologies propriétaires et l'augmentation de la part de dispositifs standard disponibles sur le marché, quitte à en augmenter la fiabilité et la robustesse. Mais la stratégie sans doute la plus importante devrait consister en la mise en place de contrats de pérennité avec les fournisseurs et avec les prestataires de service. En première approximation, on peut considérer qu'un industriel est intéressé à maintenir une activité voire à la racheter à une autre entreprise, tant qu'il existe un marché. Mais aussi bien le constructeur que l'exploitant doivent être vigilants vis-à-vis de l'évolution de leurs fournisseurs, et être prêts, en cas de besoin, à racheter des technologies pour les faire vivre en interne. La sous-traitance joue un rôle capital dans la maintenance des centrales nucléaires. La sous-traitance lors d'un arrêt de tranche représente un volume de 200 à 300 000 heures de travail. Selon EDF, la répartition entre les travaux réalisés en interne et ceux assumés par des prestataires est à peu près constante dans le temps, aucun transfert significatif n'étant réalisé dans la pratique89. Pour autant, comme on peut le constater en allant sur le terrain, le recours à la sous-traitance varie dans le temps et selon les centrales nucléaires. On estime que les salariés des sous-traitants de maintenance travaillant pour EDF sont au nombre de 25 000 personnes, réparties dans environ 1 000 entreprises. EDF estime qu'elle n'a pas de difficulté à trouver une main d'oeuvre compétente chez ses sous-traitants, à condition d'opérer un lissage de ses besoins sur l'année. Pour une meilleure répartition de la charge de travail sur toute une année, une concertation devrait intervenir entre tous les industriels recourant aux prestations d'entreprise de maintenance sur un même bassin industriel90. Pourtant, nombreux sont les sous-traitants qui ne veulent plus avoir d'activité dans le nucléaire car les prix sont laminés par une concurrence sauvage91. Or, que ce soit pour les fabricants de matériels soumis à l'obsolescence ou pour ses prestataires de service, l'objectif d'EDF de pousser ses centrales au maximum de leur durée de vie ne peut avoir une chance d'être atteint qu'à partir du moment où ses partenaires verront leur activité pérennisée. Les principaux intervenants du nucléaire que sont Framatome ANP et EDF l'ont parfaitement compris en mettant en place différents mécanismes de coopération à long terme. Il reste que pour sécuriser le secteur, les prestations des entreprises de maintenance et les conditions de travail et de rémunération des employés des sous-traitants devraient impérativement être revalorisées. En l'espèce, ceci ne sera possible pour l'exploitant que s'il améliore ses performances économiques, en faisant fonctionner son parc électronucléaire avec une efficacité accrue. Comme on l'a vu précédemment, EDF est confiant dans sa capacité à maîtriser les conséquences du vieillissement de ses réacteurs. Tant pour les composants, que pour la cuve et l'enceinte, une durée de vie de 50 ou 60 ans est envisagée par l'exploitant. Des composants lourds sont remplaçables, comme les couvercles de cuve ou les générateurs de vapeur, qui ont fait l'objet d'opérations longues et coûteuses au cours de la dernière décennie. Les premiers générateurs de vapeur ont été remplacés en 1990 et les premiers couvercles l'ont été en 1994. Au début 2003, 27 réacteurs du palier 900 MWe sur un total de 34, avaient reçu un nouveau couvercle, deux changements supplémentaires ayant été prévus en 2004. 14 réacteurs du palier 1300 MWe sur 20 réacteurs avaient également fait l'objet d'un remplacement, un remplacement étant encore prévu en 200392. Des opérations de ce type occasionnent des coûts directs importants - le prix d'un générateur de vapeur est d'environ 15 millions $ et celui d'un couvercle de cuve de 4-5 millions $-. Mais les coûts d'installation sont du même ordre de grandeur93, à quoi il faut ajouter les pertes d'exploitation entraînées par l'arrêt du réacteur. Il est évident que ces remplacements d'équipements importants ont, par leur poids, empêché le coût de production du MWh de baisser aussi vite que l'aurait permis l'amortissement dégressif de l'investissement initial. Quoi qu'il en soit, il est évidemment impossible de prévoir si, à l'avenir, des opérations lourdes de ces types seront nécessaires ou non et à quel coût. Plus les réacteurs seront anciens, plus la probabilité de réparations importantes sera forte mais, une fois amorti, les fondamentaux d'un réacteur génèrent une marge d'exploitation importante qui permet de faire plus facilement face à des opérations de rénovation lourdes. Mais un autre point clé doit être pris en compte, à savoir le référentiel de sûreté. Les centrales actuellement en fonctionnement seront en effet jugées vers 2015-2020 à l'aune des standards des réacteurs de nouvelle génération. Les Etats-Unis ne font pas peser sur les exploitants d'autre obligation que celle de respecter les normes de sûreté initiales. D'autres pays, au contraire, comme les pays européens, considèrent indispensable d'améliorer continûment la sûreté de l'ensemble du parc, au fur et à mesure des avancées du progrès technique. Pour pallier cette difficulté, la sûreté des centrales est améliorée à chaque visite décennale. Mais il existe des opérations d'amélioration physiquement impossibles à effectuer ou économiquement inenvisageables. L'impact financier de ces améliorations de sûreté ne semble pas pour le moment disproportionné par rapport aux opérations de modernisation auxquelles les exploitants nucléaires consentent dans d'autres pays pour améliorer les performances des réacteurs. On ne peut toutefois exclure qu'à l'avenir, les opérations de remplacement ou d'amélioration de la sûreté, ne s'avèrent onéreuses au point de menacer l'équilibre économique de l'exploitation de certains réacteurs. 2. Sans solution de remplacement rapidement disponible, l'inévitable obligation de prolonger les réacteurs au-delà du raisonnable La durée de vie réelle des réacteurs électronucléaires est une décision qui dépendra au final de l'exploitant, à qu'il reviendra de concilier les exigences réglementaires et les impératifs économiques. Ainsi qu'il a été vu plus haut, il est acquis, au vu des positions de l'autorité de sûreté, que les décisions seront prises au cas par cas. Le fond du problème est bien entendu la pyramide des âges très particulière du parc électronucléaire français (voir figure suivante). La diminution du parc électronucléaire d'EDF pourrait être aussi rapide que l'a été sa montée en puissance de 50 GWe entre 1980 et 1990. Au vu de cette situation très particulière, il est indispensable d'étudier quelles seraient les durées de vie imposées au parc électronucléaire dans son ensemble, si aucune limitation technique, économique ou réglementaire ne pesait sur ce paramètre, dès lors que différents choix de politique énergétique économique seraient effectués. Les différents scénarios de renouvellement du parc étudiés par EDF94 consistent à viser, à l'horizon 2050, un parc électronucléaire d'une taille plus ou moins importante, c'est-à-dire 40, 50 ou 60 GWe 95, 96. Pour fixer les ordres de grandeur, 60 GWe correspondent à 80 % de la consommation d'électricité en base attendue en 2020, 50 GWe correspondent à 66 % et 40 GWe à 55 %. On suppose, par ailleurs, que deux types de réacteurs électronucléaires seront disponibles à l'avenir, les uns prêts à être construits en 2015, intitulés dans la suite réacteurs pour 2015, et les autres prêts à être construits en 2035, dénommés réacteurs pour 2035. L'hypothèse commune aux différents scénarios étudiés est que la puissance disponible en centrales thermiques en base, actuellement de 60 GWe, devrait passer à 75 GWe en 2050. L'hydraulique au fil de l'eau apporte actuellement une contribution de 5 GWe à la production en base, contribution qui se maintiendra sur la période étudiée. Pourquoi avoir choisi, avec trois scénarios de 40, 50 ou 60 GWe de puissance nucléaire installée en 2050, un schéma de poursuite du nucléaire et non pas d'étudier au moins un cas d'abandon pur et simple du nucléaire ?97 D'une part la nécessité de maîtriser la facture énergétique et, d'autre part, les contraintes de la lutte contre l'effet de serre, obligent à conserver au moins une part significative de nucléaire en France. C'est l'électricité nucléaire (113,8 Mtep en 2002) qui a permis à la France de faire passer son taux d'indépendance énergétique de 24 %en 1973 à 50,7 % en 2002, tout en ayant augmenté sa consommation d'énergie primaire de 50 % entre ces deux dates. Par ailleurs, en raison des contraintes de la lutte contre l'effet de serre, il ne serait pas possible de remplacer la totalité des centrales nucléaires en fin de parcours par des centrales thermiques au gaz. Selon ses engagements pris dans le cadre du protocole de Kyoto, la France devra ramener en 2010 l'ensemble de ses émissions de gaz à effet de serre98 (GES) au niveau de 1990. La crainte est réelle que l'essentiel des baisses envisageables aient déjà été obtenues dans l'industrie, l'énergie, l'agriculture et du traitement des déchets et que les baisses envisageables à l'avenir soient insuffisantes pour compenser la poursuite de la croissance des émissions dans les transports et le résidentiel-tertiaire. Avec les hypothèses ainsi soulignées, l'analyse des résultats des scénarios présentés par EDF est pleine d'enseignement. En tout état de cause, le scénario moyen, avec un objectif de 50 GW nucléaire en 2050 avec un recours successif aux réacteurs disponibles en 2015 puis à ceux d'une génération ultérieure disponibles en 2035, permet d'identifier les paramètres critiques de la décision. Dans ce scénario, si le renouvellement commence en 2020, il s'effectue, d'une part, à hauteur de 25 GW par des centrales thermiques à flamme du type cycle combiné à gaz et, d'autre part, à hauteur de 50 GW par des réacteurs nucléaires. Entre 2020 et 2035, les réacteurs nucléaires de remplacement sont ceux de la Génération 2015, qui sont construits et mis en service industriel selon un rythme régulier entre 2020 et 2035, à hauteur de 25 GW. Puis, sur la période 2035-2050, les réacteurs de la génération 2035 peuvent prendre le relais à hauteur de 25 GW. Pour assurer la production d'électricité requise, le bouclage du système doit être assuré par la prolongation de la durée de vie des réacteurs actuellement en service. La durée de vie moyenne du parc actuel est alors poussée à 48 années. Si le renouvellement est décalé de 5 ans et commence en 2025, alors entre 2025 et 2035, il apparaît nécessaire de construire et de mettre en service 15 GW de réacteurs de la génération 2015. La durée de vie des réacteurs en service doit alors être poussée à 52 ans. Enfin, le fait de repousser le renouvellement à 2035 a pour conséquence que la durée de vie des réacteurs actuellement en service doit être poussée à 59 ans99. Le tableau suivant, établi par la DGEMP sur la base de l'analyse d'EDF, synthétise les conséquences en matière de durée de vie. Tableau 13 : Durée de vie moyenne d'un réacteur du parc EDF actuel pour maintenir un niveau de base donné (source : DGEMP)
Les conclusions de l'étude d'EDF, reprise par la DGEMP, sont donc claires et difficilement contestables. Sauf à prendre des risques considérables sur la durée de vie moyenne des réacteurs en service, il est indispensable que de nouveaux réacteurs entrent en fonctionnement, c'est-à-dire en service industriel, dès 2020. Le compte à rebours est alors clair. Compte tenu d'une durée de construction de 5 ans environ, la construction de ces réacteurs devra donc commencer en 2015 au plus tard. En 2015, une expérience significative, c'est-à-dire de 5 ans au minimum, devra donc avoir été acquise sur un démonstrateur-tête de série, afin que les inévitables défauts de mise au point ou les défauts de jeunesse aient été corrigés. Le démonstrateur-tête de série devra donc entrer en service en 2010 au plus tard. Cette date limite de 2010 pour l'entrée en service du démonstrateur-tête de série est en elle-même optimiste. En effet, elle a pour condition que les réacteurs du parc actuel puissent être prolongés à 48 ans en moyenne, ce qui n'est évidemment pas acquis. Une dernière remarque doit être faite sur la portée des conclusions tirées par EDF et la DGEMP. S'il s'agissait d'un parc industriel autre que nucléaire, les contraintes de la gestion de la durée de vie seraient exactement les mêmes. Quel que soit le secteur considéré, si l'objectif est de ne pas abandonner totalement une filière industrielle donnée, des solutions de remplacement doivent toujours être disponibles en temps utile, sauf à devoir prendre le risque de devoir conduire les anciens équipements au terme ultime de leur possibilité d'exploitation. De même, l'existence de générations successives d'équipements incorporant des technologies de plus en plus évoluées n'est pas spécifique au nucléaire mais générale dans l'industrie. Enfin, quel que soit le secteur considéré, la question est toujours d'optimiser la transition entre des générations successives d'équipements, sur les plans matériels, humains et économiques. Selon Framatome, les réacteurs des paliers 1300 MWe et N4 ont les perspectives les plus favorables en termes de durée de vie. Bénéficiant de l'expérience acquise avec le palier 900 MWe, les matériels ont en effet été améliorés à la conception et au fur et à mesure de leur fonctionnant grâce au retour d'expérience. Cette situation permet d'imaginer, en conséquence, une gestion différentielle du parc électronucléaire. Les réacteurs dont l'espérance de vie est la meilleure pourraient se voir affectés à la production en base. A l'inverse, les réacteurs les plus anciens se verraient affectés au suivi de charge. Une telle option présenterait toutefois plusieurs inconvénients, dont l'importance fait question. Le suivi de charge serait concentré sur les réacteurs dont le vieillissement est par hypothèse le plus avancé, ce qui risquerait de précipiter leur déclassement. Par ailleurs, le réseau de transport pourrait ne pas être adapté à une telle organisation, ce qui obligerait à des investissements complémentaires en lignes à très haute ou haute tension. Ceci étant dit, les déclarations de M. François ROUSSELY, Président d'EDF, lors de l'audition publique organisée par vos Rapporteurs le 3 avril 2003, laissent entrevoir une gestion différenciée des différents types de tranches, qui pourrait se faire sur la base de différents critères desquels on ne peut exclure le suivi de charge. S'exprimant sur le rythme souhaitable de renouvellement du parc électronucléaire d'EDF, M. François ROUSSELY déclarait en effet : « nous pourrons sélectionner les unités les plus robustes pour les conduire au-delà de 40 ans, voire de 50 ans ». Introduction Chapitre 1 : La gestion de la durée de vie des centrales, un élément essentiel de l'optimisation du parc, mais un élément non suffisant Troisième partie du rapport Chapitre 2 : L'EPR et les autres réacteurs pour 2015, un lien entre les parcs d'aujourd'hui et de demain 7 I.- Les nouveaux réacteurs nucléaires : questions de noms et d'horizon 7 1. Réacteurs évolutionnaires contre réacteurs révolutionnaires, une opposition en contradiction avec l'histoire et la technique 7 3. Sûreté active et sûreté passive, deux concepts complémentaires et non pas exclusifs 8 3. La portée marketing de la terminologie Génération III, III+ et IV 9 4. Génération 2015 et Génération 2035, des nouveaux types de réacteurs bien distincts 12 II.- L'EPR, un projet de réacteur plus sûr et plus performant que ses prédécesseurs 13 1. Le N4, une série trop tardive ou une série prématurément close ? 13 2. Un processus de conception de l'EPR intégrant la sûreté et l'exploitation 14 3. Des conditions d'exploitation et des caractéristiques de sûreté encore améliorées par rapport aux générations actuelles 18 4. Un coût de production du MWh prévu pour être inférieur à ceux du N4 et du cycle combiné à gaz 23 III.- Les concurrents étrangers de l'EPR, entre classicisme, naturalisation et innovation théorique 28 1. Les forces en présence sur le marché mondial du nucléaire 28 2. L'ABWR de General Electric, un réacteur évolué et déjà en service 31 3. Le SWR 1000, une double diversification de Framatome ANP dans la filière à eau bouillante et dans les systèmes passifs 35 4. Les VVER russes, des concurrents sérieux du fait de leur bon niveau technique et leur bas niveau de prix 37 5. L'AP 1000, un concurrent critiqué parce que redoutable 38 IV.- Le démonstrateur-tête de série EPR, une garantie contre les aléas industriels, réglementaires et économiques, permettant de lisser le renouvellement du parc 44 1. La nécessité de rentabiliser les investissements et de réduire les aléas industriels 44 2. Une assurance vis-à-vis d'éventuels problèmes de sûreté et d'évolution réglementaire 47 3. Une sécurité sur le plan économique, même avec une série limitée 53 4. L'indispensable lissage du renouvellement du parc d'EDF 57 5. Une décision urgente pour disposer en 2015 de l'expérience requise 60 V.- Les perspectives de marché : des commandes tests pour répondre au marché ensuite 62 1. Les marchés européens 63 2. Le marché américain 71 3. Les marchés asiatiques 73 4. Les autres marchés 74 5. La puissance des réacteurs : avantages et inconvénients 74 6. L'industrie nucléaire française responsable de sa stratégie à l'exportation 75 VI.- Une logique de long terme à rajouter aux mécanismes de marché 77 1. L'internalisation des coûts externes des énergies fossiles 77 2. Le soutien actif du Gouvernement américain à la mise en service de nouveaux réacteurs nucléaires en 2010 78 3. La nécessité de mettre en place une aide des pouvoirs publics pour la prise en compte du long terme 81 Quatrième partie du rapport Chapitre 3 : Un important effort de R&D nécessaire pour réussir, à l'horizon 2035, la mise au point des autres réacteurs en projet Cinquième partie du rapport RECOMMANDATIONS Examen du rapport par l'Office Composition du groupe de travail Liste des personnes auditionnées Audition publique du jeudi 3 avril 2003 Chapitre 2 : L'EPR et les autres réacteurs pour 2015, un lien entre les parcs d'aujourd'hui et de demain Alors que le secteur nucléaire bruisse de propositions pour le court terme et de projets pour le long terme, un foisonnement de vocables est apparu pour les désigner. Comme dans toute situation de concurrence, la terminologie a une importance très grande en raison de ses connotations multiples, chaque appellation étant, en réalité, une arme de marketing industriel. Ainsi pour les nouveaux types de réacteurs, le vocabulaire courant du secteur nucléaire distingue les réacteurs évolutionnaires des réacteurs révolutionnaires, les réacteurs à sûreté passive pour mieux les distinguer des réacteurs classiques ou bien encore les réacteurs de Génération III ou de Génération IV, avec une classe intermédiaire de réacteurs dits de Génération III+. Si chacune de ces terminologies est utilisée dans la pratique, aucune d'entre elle n'a d'autre justification intellectuelle que de porter des préjugés favorables ou défavorables, d'où la nécessité d'utiliser des termes plus simples et, finalement, plus objectifs qui fait référence à des dates probables de mise en service. 1. Réacteurs évolutionnaires contre réacteurs révolutionnaires, une opposition en contradiction avec l'histoire et la technique Les réacteurs évolutionnaires désignent les réacteurs dérivés des réacteurs actuellement en fonctionnement, conçus selon les mêmes principes et capitalisant dans leurs technologies l'expérience acquise pendant plusieurs dizaines d'années sur des nombres de réacteurs importants. Par opposition, on désigne par réacteurs révolutionnaires, ceux qui, tout en continuant de mettre en œuvre des réactions de fission nucléaire, sont supposés en totale rupture par rapport aux réacteurs actuellement en service. La connotation de cette terminologie est évidemment que les réacteurs évolutionnaires sont peu innovants par rapport aux réacteurs dits révolutionnaires. En réalité, il n'en est rien. La plupart des réacteurs dits révolutionnaires, comme par exemple les réacteurs à haute température ou les réacteurs à neutrons rapides, ne sont que la reprise de concepts anciens, déjà expérimentés à l'état de pilote, voire même de démonstrateur, mais qui n'ont pu franchir cette barre pour des raisons économiques, comme les réacteurs à neutrons rapides, et même pour certains, comme les réacteurs à haute température, pour des raisons techniques. En tout état de cause, nombreux sont les experts qui estiment que tous les concepts de réacteurs nucléaires ont été inventés dans les années 1950-1960100. Pour les réacteurs dits révolutionnaires, l'innovation viendra non pas des concepts, mais de la technologie moderne, dont on attend qu'elle puisse faire sauter les verrous techniques et économiques qui ont empêché tous les projets d'aboutir à ce jour. Le marketing des constructeurs de réacteurs nucléaires a beaucoup utilisé, pendant plusieurs années, la terminologie de réacteurs à sûreté passive renforcée101. L'idée à la base des dispositifs de sûreté passive est de faire prendre en charge d'importantes fonctions de sûreté des réacteurs par des dispositifs à la fois automatiques et mis en action par des forces naturelles : gravité, convection, différences de pression par exemple. Ces dispositifs seraient censés constituer un progrès dans la mesure où l'intervention humaine n'étant pas nécessaire, les risques d'erreur seraient réduits, et où des sources externes d'énergie étant inutiles, la sûreté du réacteur serait assurée en toutes circonstances, y compris à la suite d'un incident ou d'un accident. Grâce à leurs dispositifs de sûreté passive, les nouveaux réacteurs y recourrant seraient en large progrès par rapport aux réacteurs actuels et constitueraient une sorte d'optimum ou de référence. Un constructeur comme Westinghouse, qui a fait œuvre de pionnier avec son réacteur AP 600, continue de mettre en avant l'importance du recours qu'il fait aux dispositifs de sûreté passive. Néanmoins, deux types de remarques sont faites à l'égard des réacteurs à sûreté passive. En premier lieu, les points de vue sont divergents sur la possibilité réelle d'établir la fiabilité à long terme des dispositifs de sûreté passive. Les autorités de sûreté de certains pays, dont la France, estiment que les démonstrations de sûreté pour des mécanismes devant fonctionner automatiquement à des échéances très éloignées seraient complexes à réaliser. A l'instar de la NRC américaine, l'autorité de sûreté finlandaise, STUK, considère, au contraire, que les mécanismes de sûreté passive présentent un intérêt certain de par leur simplicité et qu'en tout état de cause, la démonstration de leur fiabilité à long terme ne pose pas plus de difficultés que celle des dispositifs actifs102. En second lieu, l'autosuffisance des dispositifs à sûreté passive fait débat. Un industriel comme Framatome ANP qui propose le réacteur à eau bouillante à sûreté passive renforcée, le SWR 1000, fait remarquer que les dispositifs de sûreté passive ne représentent qu'une part réduite des équipements de sûreté - environ 20 % du coût total103. Par ailleurs, afin d'optimiser la sûreté, il est nécessaire, selon ce constructeur, de doubler les dispositifs de sûreté passive de dispositifs de sûreté active. C'est d'ailleurs pourquoi le réacteur SWR 1000 bénéficie de fonctions passives qui sont « redondées » c'est-à-dire doublées par des dispositifs actifs déclenchés par une intervention humaine. A l'inverse, les partisans de la sûreté passive considèrent que les dispositifs recourant aux forces naturelles - gravité, convection, différences de pression - suffisent pour prendre en charge la totalité des fonctions de sûreté. Les projets de réacteurs à sûreté passive n'étant pas encore opérationnels, il semble difficile d'établir une typologie fondée sur les concepts de sûreté active ou passive. La terminologie générationnelle pour désigner les nouveaux types de réacteurs résulte de l'initiative prise au début 2000 par le Département de l'Énergie (DOE) des Etats-Unis d'engager une réflexion internationale sur les réacteurs du futur à long terme. Dans cette optique, le DOE a considéré que les premiers prototypes de réacteurs électrogènes à usage commercial font partie de la Génération I. Appartiennent à cette première génération, les réacteurs comme le PWR (Pressurized Water Reactor) de Shippinport-1 aux Etats-Unis, d'une puissance de 100 MWe, qui fut couplé au réseau en 1957 et déconnecté en 1974. On trouve également dans cette catégorie les réacteurs Magnox, encore en service au Royaume Uni, réacteurs de type graphite-gaz, utilisant le gaz carbonique CO2 comme caloporteur, l'uranium enrichi comme modérateur et comme combustible. La Génération II désigne les réacteurs actuellement en service pour la production d'électricité. La filière prédominante est celle des réacteurs à eau légère, qui comprennent les réacteurs à eau pressurisée (PWR ou REP ou VVER) ou à eau bouillante (BWR - Boiling Water Reactor), qui utilisent l'eau pressurisée ou bouillante comme caloporteur, l'eau comme modérateur et l'uranium enrichi comme combustible. On trouve également dans cette Génération II les réacteurs à eau lourde de type CANDU, recourant à l'eau lourde pressurisée comme caloporteur et comme modérateur, le combustible pouvant être de l'uranium naturel ou enrichi. On trouve enfin dans cette catégorie les réacteurs eau-graphite de type RBMK, refroidi à l'eau ordinaire bouillante, modérés au graphite et fonctionnant à l'uranium enrichi. Pour le DOE, les réacteurs de la Génération III sont les réacteurs à eau bouillante ABWR de General Electric, le System 80+ et l'AP 600 de Westinghouse encore à l'état de projet, ainsi que l'EPR, un autre projet de réacteur. La Génération III+ désigne les réacteurs de conception évolutionnaire dont les performances économiques offriront un progrès important par rapport aux réacteurs de Génération III. La Génération IV désigne, pour le DOE, les réacteurs qui, mis en service à partir de 2030, se caractériseront par des performances économiques nettement améliorées, une sûreté accrue, des déchets minimisés et une sécurité accrue vis-à-vis de la prolifération. On voit que les jugements de valeur implicites de cette typologie sont nombreux. En premier lieu, le DOE place dans la Génération III deux réacteurs dont l'un est déjà en fonctionnement, l'ABWR, et l'autre en cours de finalisation, l'EPR. En second lieu, la Génération III+, censée se caractériser par des performances économiques en grand progrès, est essentiellement représentée pour le DOE par le réacteur AP 1000 de Westinghouse, dont le stade de développement n'est pas plus avancé que l'EPR et dont les coûts de construction et de production sont très voisins, selon les informations actuelles. Figure 8 : Les différentes Générations de réacteurs selon le DOE (Etats-Unis) En fait, pour de nombreux experts, tant le réacteur ABWR que l'EPR et l'AP 1000 font incontestablement partie des réacteurs de la Génération III+, qui ont encore besoin de voir se construire un démonstrateur-tête de série pour prouver leurs avantages, qu'ils n'auront pas de mal à prouver par rapport à la Génération III, actuellement en service. Enfin, les qualités des réacteurs de la Génération IV sont présupposées telles que les réacteurs actuellement en service seraient dépassés dans tous les compartiments de la performance, que ce soit pour les coûts de production, la sûreté et l'aval du cycle. Finalement, les limites des différentes Générations de réacteurs sont contestables. Si l'on voulait absolument parler de générations de réacteurs, la solution esquissée le 11 février 2003 par le Dr. LAAKSONEN, Directeur général de STUK, l'autorité de sûreté finlandaise, serait préférable104 : Génération I : réacteurs électrogènes prototypes, quelle que soit la filière, construits dans les années 1950-1960 Génération II : premiers réacteurs commerciaux de production d'électricité, construits dans les années 1960 Génération III : réacteurs électrogènes commerciaux actuellement en service, construits entre le début des années 1970 et le milieu de la décennie 1990 Génération III+ : réacteurs avancés, construits à partir des années 1990 ou prêts à être construit dans les dix ans Génération IV : projets de réacteurs nécessitant un effort de R&D d'au moins deux décennies avant la construction d'un démonstrateur vers 2030 En définitive, pour caractériser les nouveaux types de réacteurs, on utilisera la distinction la plus simple possible, qui ne peut être fondée que sur la chronologie. On parlera ainsi de réacteurs de la Génération 2015 pour désigner les réacteurs qui pourront entrer en service commercial à cette date pour renouveler les parcs actuellement en service. De faible ampleur, la R&D à réaliser sur ces réacteurs porte essentiellement sur leur finalisation et sur des aspects liés à la réglementation. Les plus confirmés de ces réacteurs, comme l'ABWR, sont déjà en service. Les plus modernes, comme l'EPR ou l'AP 1000, devront avoir été testés à cette date sous la forme de démonstrateur-tête de série, avant de pouvoir être considérés comme des réacteurs commerciaux. A l'inverse, on parlera de réacteurs de la Génération 2035, qui, reposant sur d'autres concepts ou d'autres systèmes de combustibles que ceux qui sont actuellement opérationnels, pourront, le cas échéant, constituer de nouvelles filières, sous réserve que les verrous technologiques actuellement recensés soient levés et que la démonstration de leur intérêt économique soit apportée. Bien que possédant sur son sol quatre des réacteurs les plus modernes du monde, les réacteurs dits du palier N4 de Chooz B1 et B2 et de Civaux 1 et 2, la France a mis en chantier au début des années 1990 et dans le cadre d'une coopération public privé et franco-allemande exemplaire, un projet de réacteur nucléaire intitulé EPR (European Pressurized Water Reactor), dont l'objectif a été de faire un saut qualitatif et quantitatif dans les performances de sûreté et d'exploitation105. Selon ses créateurs, la conception du réacteur EPR lui garantit des performances améliorées dans tous les domaines, par rapport à tous les réacteurs actuellement en service en France et, disent-ils, aussi dans le monde. La construction du parc électronucléaire actuellement en service en France s'est achevée par la construction de 4 tranches d'un nouveau palier, intitulé N4, qui ont rencontré des difficultés de mise au point et dont l'opportunité a été contestée par plusieurs types d'observateurs. Pour quelles raisons ne peut-on aujourd'hui proposer à l'exportation le modèle de réacteur N4 et ne peut-on envisager le palier N4 comme base pour le renouvellement du parc électronucléaire d'EDF, lorsque les premiers réacteurs de 900 MWe, comme ceux de Fessenheim et de Bugey, atteindront leurs limites de fonctionnement ? Les réacteurs du palier N4 ont été construits à partir de 1984 à Chooz B1, à partir de 1987 à Chooz B2, à partir de 1991 à Civaux 1 et à partir de 1993 à Civaux 2. Si les mises en service industriel ne sont intervenues qu'en 2000 à Chooz B1&2 et en 2002 à Civaux 1&2, c'est que la mise au point de ces réacteurs s'est révélée beaucoup plus longue que prévue. De nombreuses difficultés de mise au point étant survenues sur les grappes de contrôle, sur le circuit de refroidissement du réacteur à l'arrêt, sur le contrôle-commande entièrement numérisé et sur la turbine, les coûts d'investissement des réacteurs N4 ont augmenté d'une manière considérable. En effet, ces coûts comprennent non seulement les coûts d'ingénierie et de construction proprement dits mais aussi les intérêts intercalaires correspondant à la durée de financement supplémentaire des investissements et aux frais d'exploitation continuant de courir lorsque le réacteur ne produit pas. Alors que les 4 réacteurs du palier N4 ont finalement atteint depuis 2002 leur vitesse de croisière, pourquoi ne pas tirer parti des dépenses engagées pour allonger la série de 4 réacteurs à l'exportation et sur le marché français ? La raison essentielle est qu'en 1995, l'autorité de sûreté a signifié qu'au delà des 4 tranches N4 de Chooz et de Civaux, le standard N4 n'était pas acceptable en terme de sûreté pour constituer le réacteur de remplacement du parc électronucléaire français106. Selon la DGSNR, la solution N4 n'est pas acceptable parce que l'on peut faire mieux aujourd'hui. Cette situation est analogue à ce qu'on rencontre dans de nombreux domaines, par exemple dans l'automobile où il est permis de rouler avec les modèles existants sans « airbag », mais où il est interdit de commercialiser de nouveaux modèles « sans airbag ». Autrement dit, l'autorité de sûreté nucléaire considère qu'il ne serait plus acceptable de construire des réacteurs N4, aujourd'hui et a fortiori dans la prochaine décennie dans la mesure où leur conception date du début des années 1980 et que, depuis lors, le référentiel de sûreté a évolué dans le sens d'une exigence accrue107. Caractéristique fondamentale pour son avenir, le projet EPR présente la double originalité de résulter en grande partie d'une coopération franco-allemande et d'avoir été conçu selon une démarche coopérative rassemblant autorité de sûreté, constructeur et compagnies d'électricité. L'EPR (European Pressurized water Reactor) est le fruit d'une coopération entamée au début des années 1990 non seulement par Framatome et Siemens, mais aussi par les autorités de sûreté française et allemande, coopération qui a aussi réuni les électriciens des deux pays : EDF, E.ON, EnBW et RWE Power. Intégrant les enseignements des 1000 années réacteurs d'expérience acquise avec les 58 tranches d'EDF108, l'EPR bénéficie tout particulièrement de l'expérience acquise avec les dernières générations de réacteurs construits en France (N4) et en Allemagne (Konvoi), mais innove par rapport à ces derniers. Les efforts particuliers faits à l'exportation par Framatome pour le marché chinois (réacteurs de Ling Ao-1 & 2) et par Siemens KWU pour le marché brésilien (réacteur d'Angra-2) ont été intégrés, de même que les enseignements tirés des opérations de modernisation, réalisées ou en cours, pour les réacteurs de type VVER implantés en Europe de l'Est, notamment au niveau du contrôle-commande. Enfin, les opérations d'allongement de la durée de vie et d'accroissement de la capacité réalisées sur certains réacteurs en service aux Etats-Unis ont livré des enseignements également pris en compte dans le projet EPR, les exigences de l'autorité de sûreté américaine ayant été également intégrées. Le processus de coopération franco-allemande mérite, du fait de son originalité, d'être rappelé. La coopération franco-allemande dans le domaine du nucléaire remonte aux années 1970, lors de la construction de la centrale de Fessenheim, avec la création de la commission transfrontalière. En 1989, une déclaration commune du ministre de l'industrie français et du ministre de l'environnement allemand (BMU), lors du sommet franco-allemand, a ouvert la voie à un renforcement de la coopération. Ultérieurement, cette coopération s'est notamment traduite par un accord de coopération entre l'IPSN et le GRS (Gesellschaft für Anlagen und Reaktorsicherheit), appuis techniques respectifs des autorités de sûreté nationales. En outre, en 1990, une commission commune fut créée intitulée DFD (Deutsch-Französischer Direktionausschuss). En 1991, l'autorité de sûreté française a fixé les grandes lignes de sûreté pour les réacteurs à eau pressurisée de l'avenir. En 1993, après qu'une proposition commune d'objectifs de sûreté ait été faite par le Groupe Permanent Réacteurs (GPR) français et le RSK (Reaktor SicherheitsKommission) allemand, les autorités de sûreté française et allemande ont fait une « déclaration commune sur une approche de sûreté commune pour les futurs EPR », dont les objectifs ont conditionné la suite du projet. Tableau 14 : Processus d'examen de la sûreté de l'EPR jusqu'en 1998109 (source : DGSNR) Jusqu'à la fin 1998, les appuis techniques français IPSN et allemand GRS ont procédé à un examen commun du dossier EPR, ce qui a conduit à des rapports communs, les groupes d'experts GPR et RSK ayant également émis des avis communs. Enfin, la DFD a émis une position et formulé des demandes communes au constructeur. A la fin 1998, compte tenu de la décision allemande d'abandonner à terme le nucléaire, le ministère de l'environnement allemand s'est retiré de la commission commune DFD. Depuis 1999, le GRS a toutefois continué de participer à des travaux communs avec l'IPSN. En invitant des experts allemands à participer aux travaux du Groupe Permanent Réacteurs, l'autorité de sûreté nucléaire française a également considéré nécessaire de travailler en coopération avec son homologue allemand. Toutefois, les demandes adressées au constructeur Framatome ANP n'ont plus émané que de la seule DGSNR. Pour le projet EPR, la participation allemande continue de s'effectuer, mais au seul niveau d'experts et non pas des électriciens. Si le ministère de l'environnement allemand (BMU) a autorisé des experts allemands à participer au Groupe Permanent Réacteurs, c'est pour faire bénéficier la sûreté des réacteurs actuels des enseignements livrés par la mise au point de l'EPR. En tout état de cause, la coopération franco-allemande sur l'EPR a eu l'avantage considérable de permettre de faire un pas en avant vers l'harmonisation des pratiques de sûreté. Au reste la mise au point de l'EPR s'est faite avec un examen itératif de la conception et des exigences de sûreté formalisées en 1993, au fur et à mesure de leur développement. Cette démarche a notamment permis une identification précoce des choix de conception incompatibles avec les objectifs de sûreté. Tableau 15 : Principales étapes de l'examen du projet EPR Les autorités de sûreté allemande et française ont pris position en 1995 sur l'avant projet conceptuel. La Commission centrale des appareils à pression (CCAP) fit connaître ses règles techniques en octobre 1999. Un an plus tard, en octobre 2000, le Groupe Permanent Réacteurs adopta ses règles techniques, ce qui mit fin à la phase d'examen des options de sûreté. Étape ultérieure, les études de conception détaillées ont débuté en 2001 et leur examen de sûreté était en cours au début 2003. Selon l'autorité de sûreté française, un important travail de recherche et développement ayant présidé à son conception, l'EPR constitue désormais une référence de comparaison pour les prochains réexamens de sûreté des réacteurs existants, l'autorité de sûreté considérant en effet que les options de sûreté présentées pour l'EPR sont globalement conformes aux objectifs édictés en 1993110. Quoi qu'il en soit, la mise au point du projet EPR continue de se poursuivre. Les « Technical guidelines », qui sont une référence en matière de sûreté, ont été adoptées par le Groupe Permanent Réacteurs en octobre 2000. Les études détaillées ont commencé d'être examinées lors d'une réunion du Groupe Permanent Réacteurs à laquelle ont participé des experts allemands en 2002, une nouvelle réunion étant programmée pour la mi-2003. En définitive, si la décision était prise de lancer la construction d'un EPR, l'exploitant devrait présenter une demande d'autorisation assortie d'un rapport préliminaire de sûreté à l'autorité de sûreté, le travail déjà effectué facilitant en tout état de cause la décision de cette dernière. 3. Des conditions d'exploitation et des caractéristiques de sûreté encore améliorées par rapport aux générations actuelles Les caractéristiques techniques, les spécifications de sûreté et les performances économiques de sûreté de l'EPR, comparées à celles du N4, dernier réacteur construit en France, manifestent des avancées décisives. Par rapport au réacteur N4, l'EPR se caractérise par de nombreux progrès permettant d'améliorer ses performances d'exploitation (voir tableau suivant). Tableau 16 : Caractéristiques techniques de l'EPR (source : Framatome-ANP) Pouvant aller de 1500 à 1600 MWe, la puissance de l'EPR est supérieure à celle du N4. L'amélioration du rendement de l'EPR - 36 % - par rapport à celui du N4 - 34 % -, est obtenue grâce à une augmentation de la pression de la vapeur secondaire qui permet de meilleures performances de la turbine et donc un meilleur rendement global du réacteur. Élément fondamental pour les exploitants, toutes dispositions sont prises pour que la disponibilité de l'EPR soit de 91 %, c'est-à-dire supérieure de 13 points au Kd du parc électronucléaire d'EDF depuis la mise en service industriel111. A cette fin, les cycles d'exploitation sont de 18 mois. Sur une dizaine d'années, l'EPR devrait faire l'objet de 5 arrêts de tranches ou visites partielles en 16 jours et d'une visite décennale complète réalisée en 40 jours. Des marges sont prévues dans l'éventualité de prolongation d'arrêts et de travaux lourds comme le remplacement de générateurs de vapeur. Figure 9 : Les 4 trains d'auxiliaires de sauvegarde et la séparation géographique des bâtiments de l'EPR Amélioration considérable par rapport aux réacteurs actuellement en service, des opérations de maintenance préventive pourront être réalisées alors que le réacteur sera en marche, grâce à la présence de 4 trains d'auxiliaires de sauvegarde, de surcroît géographiquement bien séparés. La centrale est également conçue de manière que le bâtiment réacteur soit accessible en marche 7 jours avant l'arrêt et 3 jours après, pour des opérations de maintenance. Favorisant une réduction des arrêts de tranche, ces améliorations sont complétées par d'autres, comme la mise rapide à l'arrêt à froid, le déchargement avancé du combustible grâce à un dimensionnement supérieur du système de refroidissement ou bien encore la réduction des essais physiques de redémarrage. Autre aspect fondamental pour l'exploitant, la gestion du combustible est améliorée par rapport au palier N4. Le cœur de l'EPR comprendra 241 assemblages, contre 205 pour le N4, et sera muni d'un déflecteur lourd pour réduire encore les fuites neutroniques et diminuer la fluence de la cuve. Les types de gestion de cœur pourront en conséquence être de 12, 18 ou 22 pour le combustible UO2 enrichi à 4,95 %. Le taux de combustion pourra passer de 45 GWj/t à 60 GWj/t, ce qui entraînera une économie de combustible de l'ordre de 7 %. Une gestion à 18 mois sera également possible avec des assemblages MOX représentant 30 % du total, la part du MOX actuel ou futur pouvant, le cas échéant, monter à 50 %. La durée de vie de conception de l'EPR est de 60 ans contre 40 ans pour le palier N4, essentiellement grâce à une diminution de la fluence de la cuve et à la pose d'une peau composite partielle voire d'une peau métallique sur l'enceinte intérieure de confinement. En matière de sûreté, les avancées de l'EPR sont déterminantes. La première avancée de l'EPR en matière de sûreté est de mettre en oeuvre une prévention renforcée des accidents de fusion du coeur. Différentes dispositions techniques prises à cet effet permettent une réduction de la probabilité des événements initiateurs d'origine interne. Une augmentation de l'inventaire en eau du circuit primaire est une garantie de pouvoir maintenir plus sûrement le réacteur dans ses limites de fonctionnement. La fiabilité des systèmes de sauvegarde est accrue, en faisant appel à davantage de systèmes redondants - 4 trains de systèmes de sauvegarde112 -, de technologies diversifiées dans toute la mesure du possible, et séparés - les différents trains, situés dans des bâtiments différents, sont séparés géographiquement -. En particulier, les bâtiments 1 et 4 des auxiliaires de sauvegarde sont séparés géographiquement, tandis que les bâtiments 2 et 3 des auxiliaires de sauvegarde sont protégés par une coque en béton armé. Par ailleurs, le bâtiment du turboalternateur est situé radialement par rapport au bâtiment réacteur, ce qui protège celui-ci de tout accident de type perte d'ailette survenant sur la turbine. Ainsi des causes internes ou externes, par exemple l'incendie, l'inondation, un choc extérieur, ne peuvent entraîner une défaillance de mode commun des systèmes de sauvegarde. Autre sécurité, le bâtiment des combustibles est lui aussi protégé par une coque en béton armé. Une autre importante caractéristique technique de l'EPR est d'être une installation très massive, ce qui garantit sa stabilité aux séismes et aux chocs de toute nature. L'ensemble des bâtiments de la centrale ont une tenue au séisme renforcée. Autre avancée, le bâtiment réacteur de l'EPR, très massif, possède une très forte inertie intrinsèque, inertie encore accrue par sa liaison avec les quatre autres bâtiments qui forment quatre véritables pieds, ce qui supprime la possibilité d'un basculement du bâtiment réacteur en cas de choc externe. Enfin un effort particulier est fait pour prévenir les risques d'erreur humaine, grâce à une simplification de la conduite, une automatisation de nombreuses fonctions et une qualité accrue de l'interface homme machine. Au final, la probabilité de fusion du cœur est ainsi de 3,6.10-7 /réacteur.an, hors agressions, soit un progrès d'un facteur 15 par rapport au palier N4. Toutes agressions internes prises en compte, elle est égale à 10-6 / réacteur.an et à 10-5 / réacteur.an en incluant les agressions externes. Figure 10 : La sûreté de l'EPR (source : Framatome ANP) Autre ligne de défense, la protection contre les conséquences d'un accident grave, s'il s'en produisait malgré les mesures de prévention renforcées, est elle aussi améliorée. Un dispositif spécifique dit « core catcher » permet la récupération du coeur en cas de fusion dans un dispositif spécial, de manière à protéger le béton. Enfin, les risques d'explosion de l'hydrogène qui serait formé en raison des très hautes températures correspondant à la fusion, sont évités grâce à l'implantation de recombineurs. Par ailleurs, la double enceinte est calculée de manière à être plus résistante que celles de la génération précédente. Le confinement qu'elle permet est amélioré, de même que la ventilation et la filtration. En outre, un nouveau système d'évacuation de la chaleur de l'enceinte est mis en place, ainsi qu'un réservoir d'eau intérieur à l'enceinte. En définitive, tout en faisant en sorte que la probabilité de fusion du coeur soit plus faible, des dispositions sont prises pour qu'aucune fuite, aucun rejet, aucune émission de radioéléments ne se produise en dehors de la centrale dans n'importe quelle circonstance, y compris celle d'un accident grave. La protection contre les agressions externes est prise en compte d'une manière approfondie par Framatome ANP et par EDF. Le niveau de séisme étant calé à 0,25 g, un radier unique devrait permettre de mieux faire face à ce type d'événement. La chute d'un avion militaire a été prise en compte dans le dimensionnement de l'enceinte et dans la bunkerisation du bâtiment réacteur, du bâtiment combustible et de deux bâtiments des auxiliaires de sauvegarde. Afin de prendre en compte le cas de la chute d'un avion de ligne sur la centrale, EDF, qui souligne la séparation géographique des différents bâtiments, renforcera dans une certaine mesure les bâtiments à double enceinte et prendra des dispositions pour éviter la propagation de feux de grande ampleur à l'intérieur des bâtiments restants de l'îlot nucléaire. Sur le plan environnemental, les performances de l'EPR sont également améliorées. Le confinement est mieux assuré, de même que la ventilation et la filtration. Les ressources en uranium sont mieux utilisées, dans la mesure où la consommation est abaissée de 17 % par MWh produit. La teneur de combustibles usés en actinides est également diminuée de 15 % par MWh, ce qui a pour conséquence de réduire le volume des déchets de haute activité et à vie longue. L'augmentation du taux de combustion permet de réduire le volume des déchets, dans la mesure où les quantités de déchets liées aux combustibles et aux opérations de chargement/déchargement sont diminuées d'autant. De même la durée de vie de conception étant fixée à 60 ans contre 40 ans pour le N4, on peut anticiper une réduction des déchets correspondant aux composants contaminés et remplacés pour pouvoir prolonger l'exploitation, comme par exemple les générateurs de vapeur. La conception de l'EPR permet enfin une réduction de l'irradiation du personnel, la dose collective du personnel étant réduite d'un facteur 2,5 (0,5 homme x sievert par réacteur et par an contre 1 homme x sievert observé actuellement en moyenne dans les pays occidentaux). Plusieurs études, provenant de différentes sources, permettent d'évaluer la compétitivité de l'EPR. Framatome ANP a présenté à vos Rapporteurs deux comparaisons, l'une avec le N4 et l'autre avec le cycle combiné à gaz, reposant pour la première sur les données de la DGEMP et la seconde sur une comparaison faite par la Finlande113. Explicitant mieux certaines données fondamentales du problème, comme le nombre de réacteurs construits, EDF produit ses propres évaluations, dont les résultats sont convergents avec ceux de Framatome ANP114. Pour Framatome ANP, les nouveaux dispositifs de sûreté de l'EPR ont évidemment un coût, en particulier le récupérateur de corium. Mais l'alourdissement des coûts correspondant à une sûreté renforcée sera, selon le constructeur et EDF, plus que compensé par l'amélioration des performances, qui est assurée par la hausse du rendement, l'augmentation des taux de combustion, la réduction de la durée des arrêts pour rechargement, la simplification de la maintenance. Un facteur déterminant est la durée de construction réduite à 57 mois115. Enfin, la durée de vie de conception est de 60 ans contre 40 ans pour le N4. Au total, selon Framatome ANP, le coût de production du MWh de l'EPR devrait être inférieur de 10 % à celui du N4. L'analyse de compétitivité de l'EPR par rapport au cycle combiné à gaz, effectuée par AREVA, retient comme base le questionnaire DGEMP du ministère de l'industrie de 2002116. Les résultats de la comparaison sont indiqués dans le tableau suivant. Tableau 17 : Comparaison des coûts économiques de production du MWh de l'EPR et d'un cycle combiné à gaz en économie publique (source : AREVA)
Le coût de l'électricité produite avec l'EPR est inférieur d'environ 20 % à celui de l'électricité produite avec un cycle combiné à gaz, tout en comprenant les coûts externes relatifs au cycle du combustible et au démantèlement, alors que, dans le cas du gaz, le coût externe des émissions de gaz carbonique n'est pas pris en compte117. Autre élément jouant en faveur de l'EPR, selon Framatome ANP, le coût de l'électricité qu'il produira est peu sensible à la variation du prix du combustible, dans la mesure où celui-ci représente une faible part du coût total (15 %), au contraire du gaz pour le cycle combiné (74 %). Ainsi, une variation de 10 % du prix de l'uranium naturel induit une variation de moins de 0,5 % du coût du MWh, alors qu'une variation de 10 % du prix du gaz induit une variation de plus de 6 % du même indicateur. Autrement dit, la sensibilité du MWh nucléaire au coût du combustible est 12 fois plus faible que celle du MWh gaz. Les résultats de l'étude de Framatome ANP sont corroborés par les comparaisons réalisées en Finlande en 2001 et réactualisées en avril 2002 entre le coût de production d'une centrale nucléaire de 1250 MW et d'un cycle combiné à gaz (CCG) d'un rendement de 57 %, au prix de novembre 2001 (voir tableau ci-après). Tableau 18 : Principaux résultats d'une étude finlandaise comparant les coûts de production du MWh d'une centrale de 1200 MW et d'un cycle combiné à gaz (source : Framatome ANP)
Selon l'étude finlandaise, avec un taux d'intérêt de 5 %, le coût du MWh nucléaire est inférieur de 21 % à celui du MWh gaz, de 14 % avec un taux d'intérêt de 6,5 % et de 6,5 % avec un taux d'intérêt de 8 %. L'étude présentée par EDF à vos Rapporteurs présente l'intérêt de détailler les différentes notions de coûts d'investissement, avant d'aboutir à un coût de production du MWh118. Différentes notions de coûts d'investissement pouvant exister, il est important de préciser en détail quels sont les coûts pris en compte (voir tableau ci-après). Correspondant au coût de la centrale si sa construction était réalisée « dans la nuit » du réacteur, le coût « overnight » efface aussi bien les frais de R&D que l'impact de la durée de construction sur les frais financiers, ce qui veut dire que les seuls coûts pris en compte sont ceux de la maîtrise d'œuvre, de construction et les frais de pré exploitation. Dans le cadre des hypothèses adoptées, le coût « overnight » d'une tranche moyenne EPR sur la base de 10 exemplaires (1 démonstrateur-tête de série et 9 tranches), devrait atteindre 2 milliards €, soit 1300 € / kW. Dans la réalité, la construction d'un réacteur s'étale sur plusieurs années (4 ans et 8 mois), avec des aléas inévitables, d'où la nécessité de financer les matériels et la construction. A ceci s'ajoute la nécessité de constituer une provision pour démantèlement. Dans ces conditions, le coût moyen d'investissement d'un EPR s'élève à 2,6 milliards €, soit un coût de 1 600 € / kW, sur la base de 10 exemplaires, démonstrateur-tête de série compris. Tableau 19 : Coûts d'investissement de l'EPR sur la base de 10 tranches (source : EDF)
Enfin, il est nécessaire pour apprécier le coût réel d'une tranche de prendre en compte les frais de développement. Ces frais de développement sont estimés à 800 millions € par EDF, en coûts « overnight » mesurés par rapport à la tranche moyenne119. En prenant en compte les coûts d'investissement, mais aussi les frais d'exploitation et le coût du combustible, EDF aboutit au coût de production de l'électricité sur les bases ci-dessus égal à 30,9 € / MWh120. De son côté, le coût de production du MWh avec un cycle combiné à gaz varie de 28,3 € à 38,5 €, avec une valeur médiane de 35,1 € pour un prix du gaz de 3,3 $/MBtu121. Le coût de production du MWh avec l'EPR (30,9 € / MWh) est donc compétitif par rapport au cycle combiné à gaz (35,1 €) avec une hypothèse médiane sur le prix du gaz. Fait plus remarquable, selon EDF, même dans le cas d'une série de 4 tranches, le coût de production du MWh de l'EPR - 33 € - reste compétitif avec celui du cycle combiné à gaz. Au cours de la dernière décennie, l'industrie nucléaire mondiale a connu un important mouvement de concentration, à l'issue duquel subsistent quatre principaux acteurs industriels dans les pays de l'OCDE, dont trois sur la filière des réacteurs à eau légère et un pour la filière des réacteurs à eau lourde. Compte tenu du fort ralentissement de la construction de réacteurs depuis deux décennies, l'activité des constructeurs s'est concentrée sur la modernisation des centrales et les services nucléaires, mais chacun d'entre eux dispose de projets de nouveaux réacteurs. Spécialisée dans les réacteurs à eau bouillante et travaillant en partenariat avec Hitachi et Toshiba, General Electric possède une base installée de 91 réacteurs à eau bouillante, en fonctionnement au début 2003 dans 11 pays différents122. Selon les commentaires des experts, l'activité nucléaire de General Electric, qui a représenté 15 % du marché mondial des réacteurs et des services en 2002123, serait menacée de cession dans la mesure où elle ne représenterait plus une part suffisante du chiffre d'affaires global du conglomérat que les dirigeants essaient actuellement de recentrer. General Electric qui propose actuellement le réacteur ABWR, bénéfice toutefois d'un avantage important dans la compétition mondiale, dans la mesure où son offre présente l'avantage d'avoir déjà été construit à deux exemplaires au Japon, deux autres unités étant en cours de réalisation à Taiwan. Mais le scandale de la dissimulation de rapports d'inspection par TEPCO, principale compagnie d'électricité japonaise qui exploite des BWR de General Electric, a rejailli sur cette dernière, dont le carnet de commande pourrait souffrir évidemment de l'éventuel abandon par TEPCO de son projet de construction de deux ABWR supplémentaires. Le deuxième acteur est l'entreprise américano-anglaise Westinghouse-BNFL, impliquée dans une alliance avec Mitsubishi Heavy Industries. Westinghouse a été absorbée par BNFL, après avoir elle-même racheté, dans les années récentes, Combustion Engineering (CE) ainsi que le département nucléaire d'ABB. Après ces opérations, qui lui ont permis d'élargir considérablement son portefeuille de produits, Westinghouse peut faire valoir qu'il a fourni aux compagnies d'électricité 11 réacteurs à eau bouillante et 1 réacteur à eau pressurisée ABB, les 20 réacteurs à eau pressurisée de CE, qui s'ajoutent aux 87 réacteurs à eau pressurisée qu'il a lui-même fabriqué124. La part de Westinghouse dans le marché mondial des réacteurs et services nucléaires s'est élevée à environ 20 % en 2002. L'offre de Westinghouse pour la Génération 2015 comprend trois volets. Pour la Corée du Sud, Westinghouse propose les réacteurs CE System 80 et 80+, ce dernier ayant été certifié pour le marché américain par la NRC en mai 1997. Le rythme de construction de ces nouveaux réacteurs en Corée du Sud devrait être d'une tranche tous les ans pendant les dix prochaines années. Pour le Japon, Westinghouse propose en partenariat avec Mitsubishi Heavy Industry le réacteur APWR (Advanced Pressurized Water Reactor) de 1500 MWe, qui devrait être construit à deux exemplaires sur le site de la centrale de Tsuruga (Units 3 & 4)125. Mais le produit phare de Westinghouse pour la prochaine génération de réacteurs est le réacteur à eau pressurisée à sûreté passive AP 1000. La société Framatome-ANP (Advanced Nuclear Power), filiale du Groupe AREVA, correspond au regroupement effectué en décembre 1999 du constructeur français Framatome et de la division nucléaire de Siemens. Depuis la réorganisation du secteur nucléaire français de décembre 2000, le Groupe AREVA en détient 66 % et Siemens 34 %. La part du marché mondial des réacteurs et services nucléaires détenue par le Groupe AREVA est estimée à 20 %. L'une des évolutions les plus remarquables du Groupe AREVA est sa progression aux Etats-Unis, où son chiffre d'affaires a doublé entre 2000 (610 millions €) et 2002 (1208 millions €). En particulier, Framatome ANP a fait une percée remarquable sur le marché du remplacement des grands composants, avec 13 contrats de remplacement de couvercles de cuve remportés en 2002 sur un total de 22 et 6 contrats de remplacement de générateurs de vapeur gagnés en 2002 sur un total de 11. S'agissant de son offre de nouveaux réacteurs, Framatome ANP propose actuellement non seulement le réacteur à eau pressurisée EPR déjà décrit, mais aussi le réacteur à eau bouillante à sûreté passive renforcée SWR 1000. L'entreprise publique fédérale canadienne AECL (Atomic Energy of Canada Limited), spécialisée dans la filière à eau lourde, ne doit pas être sous-estimée, compte tenu des débouchés qu'elle a acquis dans les pays émergents. 34 réacteurs CANDU à eau lourde pressurisée étaient en fonctionnement ou en construction dans le monde au début 2003. Les modèles en fonctionnement sont les réacteurs CANDU 6 de 700 MWe et CANDU 9 de 900 MWe, tandis qu'en 2003 AECL propose les réacteurs ACR 700 et ACR-1000 (Advanced Candu Reactor). Selon le Nuclear Energy Institute126, le Gouvernement canadien proposerait aux acquéreurs de réacteurs Candu 700 d'en financer la construction. Le Groupe russe du Minatom (ministère de l'énergie atomique) est un autre acteur très important, avec environ 15 % du marché mondial des réacteurs et services nucléaires en 2002. L'image de l'industrie nucléaire russe est décriée lorsque l'on se réfère à ses réacteurs RBMK de sinistre mémoire puisque c'est un réacteur RBMK - le n° 4 de la centrale de Tchernobyl - qui a provoqué, le 26 avril 1986, la plus grande catastrophe nucléaire de tous les temps127. Mais il convient de ne pas oublier que l'industrie soviétique, puis russe, a également construit des réacteurs à eau pressurisée VVER, dont 51 exemplaires sont actuellement opérationnels et 10 en construction et dont les plus modernes, les VVER 1000, ont des performances économiques et un niveau de sûreté satisfaisants. Partenaire direct de différents pays, au nombre desquels la France pour le projet VVER 640, ou la Chine pour un projet de réacteur à neutrons rapides128, la Russie propose à la commercialisation deux réacteurs évolutionnaires modernes, les VVER AES 91 et AES 92. Au reste, on peut aussi s'attendre à ce que de nouveaux pays nucléaires comme la Chine129 ou l'Inde130 soient actifs à l'avenir sur les marchés nucléaires mondiaux. Les transferts de technologies nucléaires sont déjà effectifs avec ces pays, qui, à des degrés divers, les ont « nationalisées » ou sont en train de le faire. Après avoir assimilées ces technologies et les avoir utilisées pour satisfaire leurs besoins nationaux, il y a fort à parier que la Chine et l'Inde se porteront sur les marchés internationaux, avec de nouvelles offres. On peut donc s'attendre, dans les années à venir, à l'apparition de nouveaux acteurs sur le marché mondial et donc, à plus ou moins long terme, à celle de nouveaux modèles de réacteurs nucléaires. Ainsi, l'EPR est loin d'être seul sur le marché des réacteurs de la Génération 2015. L'année 2003 qui verra la Finlande choisir son 5ème réacteur apportera, à cet égard, des enseignements très importants sur la compétitivité de l'offre de Framatome ANP. L'ABWR (Advanced Boiling Water Reactor) est un réacteur avancé de 1350 MWe de la filière des réacteurs à eau bouillante, dont l'originalité principale provient de la simplification apportée à différents systèmes et à l'enceinte de confinement. Datant des années 1980, le développement de l'ABWR a été réalisé par General Electric, avec le soutien de Toshiba et Hitachi dans le domaine de l'ingénierie, et de TEPCO (Tokyo Electric Power Company) pour la définition des exigences des exploitants et le financement des études. Le coût de développement de l'ABWR, qui a duré au total une décennie, est estimé à 500 millions $. L'originalité essentielle de l'ABWR est d'utiliser des pompes internes, ce qui a permis d'éliminer des dispositifs de recirculation externe à la cuve (voir schéma ci-après). Figure 11 : L'ABWR point d'aboutissement de la simplification des réacteurs bouillants (source : General Electric) Par ailleurs, l'enceinte de confinement de l'ABWR a des dimensions réduites et se trouve plus aisée à construire. Figure 12 : La simplification et la réduction de taille de l'enceinte de confinement de l'ABWR par rapport aux réacteurs antérieurs Par rapport aux réacteurs à eau bouillante antérieurs de General Electric, l'ABWR présente une réduction d'un ordre de grandeur de la probabilité de fusion de cœur. Ce résultat est atteint principalement grâce à l'adoption de pompes internes à la cuve, qui ont également permis de réduire les dimensions du système de refroidissement d'urgence du réacteur (ECCS - Emergency Core Cooling System) qui existe en trois trains indépendants. L'enceinte de confinement est, comme on l'a vu, compacte et inertée. Le bâtiment réacteur offre un second confinement. Le contrôle-commande est numérique et multiplexé sur la base de fibres optiques. Figure 13 : Schéma du bâtiment réacteur et du confinement du réacteur ABWR (source : General Electric) Après avoir été mis en service industriel au Japon, l'ABWR a été certifié comme design standard par la NRC en mai 1997, selon une version améliorée pour la maîtrise des accidents graves. Par rapport à tous ses concurrents, l'ABWR possède l'avantage certain d'être un modèle éprouvé. Deux réacteurs ABWR sont en effet en fonctionnement au Japon sur le site de TEPCO à Kashiwazaki-Kariwa, à 160 Km au nord de Tokyo, sur la mer du Japon. Le premier réacteur ABWR de Kashiwazaki-Kariwa (Unit 6) a été mis en service industriel en novembre 1996 et le second (Unit 7) en juillet 1997131. Par ailleurs, deux ABWR supplémentaires sont en construction à Taiwan, avec des mises en service industriel prévues en mai 2004 pour le premier et en mai 2005 pour le second. Les performances de l'ABWR sont donc établies à partir des résultats concrets obtenus par TEPCO, contrairement à celles attendues des autres réacteurs dont les chiffres résultent essentiellement de prévisions. Le rendement thermique de l'ABWR est de 35 % et le facteur de capacité de près de 90 %. L'ABWR peut être proposé avec des niveaux de puissance thermique allant de 3926 à 4300 MWth. La durée de construction entre le premier béton et le chargement du combustible a été de 36,5 mois pour le réacteur 6 et de 38,3 mois pour le réacteur 7 de Kashiwazaki-Kariwa. Le coût « overnight » des deux réacteurs ABWR japonais est de 1600 $ / kW. Ce coût serait le même si deux réacteurs ABWR étaient construits aux Etats-Unis. Tableau 20 : Coût moyen d'investissement « overnight » de deux nouveaux réacteurs ABWR s'ils étaient construits aux Etats-Unis (source : General Electric)
Les concurrents de General Electric estiment généralement que l'ABWR constitue un réacteur avancé compétitif, bien que, pour respecter les standards européens, ses protections physiques devraient vraisemblablement être accrues, ce qui le renchérirait d'autant. On notera par ailleurs que General Electric continuait début 2003 l'ingénierie du réacteur ESBWR (European Simplified Boiling Water Reactor), un réacteur à eau bouillante à sûreté passive de 1380 MWe destiné aux marchés européens. Le dossier de pré candidature à la certification de ce réacteur a été déposé à la NRC en février 2002. 3. Le SWR 1000, une double diversification de Framatome ANP dans la filière à eau bouillante et dans les systèmes passifs Réacteur à eau bouillante proposé aux exploitants par Framatome ANP au même titre que l'EPR, le SWR 1000 est le résultat de l'histoire industrielle allemande, AEG, KWU et Siemens ayant construit en Allemagne un ensemble de réacteurs à eau bouillante, dont certains sont encore en fonctionnement. Le SWR 1000 est un réacteur passif avancé à eau bouillante d'une puissance modérée, étudié depuis les années 1980 par Siemens, en coopération avec les électriciens allemands et finlandais, en particulier TVO. D'une puissance thermique de 3370 MW, sa puissance électrique peut être de 1250 MWe ou de 1000 MWe. La durée de vie technique de conception du SWR 1000 est de 60 ans. Son coeur comporte un nombre d'assemblages combustibles moins élevé que les réacteurs à eau bouillante actuellement en service ou que même que l'EPR. Bien que la durée de vie technique de conception du SWR 1000 soit de 60 ans, les technologies auxquelles il fait appel, sont des technologies existantes à 80-85 %. Son taux de disponibilité devrait être supérieur à 90 %, la durée des opérations de maintenance étant réduite par rapport aux réacteurs comparables actuels. En matière de gestion du combustible, son objectif est de permettre une grande flexibilité dans la durée des cycles, ceux-ci pouvant aller de 12 à 24 mois, tout en autorisant des taux de combustion élevés, supérieurs à 60 GWj/t, tous facteurs conduisant à des volumes de déchets minimisés. En tout état de cause, ces objectifs sont voisins de ceux de l'EPR, en ce qu'ils sont largement inspirés des prescriptions des compagnies d'électricité EUR (European Utilities Requirements). Sur le plan de la sûreté, le SWR 1000 combine des systèmes actifs et passifs, avec comme principe de base une réduction de la complexité. Les concepts de sûreté du SWR 1000 reposent sur une combinaison de systèmes de sûreté actifs ou passifs, ce qui permet d'optimiser la conception d'ensemble en réduisant le recours à des sources d'énergie externes et à des systèmes de contrôle complexes, tout en diminuant le facteur de risque humain. Ainsi, en cas d'accident grave, un délai de 3 jours peut être observé avant l'intervention des opérateurs. Les systèmes de sûreté actifs sont relayés, en cas de défaillance, par des systèmes passifs qui satisfont eux-mêmes à tous les critères de sûreté, ce qui constitue un élément de défense en profondeur. Figure 14 : Principes de sûreté du réacteur SWR 1000 de Framatome ANP S'agissant de la prévention des conséquences d'un accident grave comme la fusion du coeur, le principe est de maintenir le corium dans la cuve, celle-ci étant refroidie de l'extérieur, de façon à éviter la sollicitation énergétique de l'enceinte ainsi que toute interaction du corium avec le béton. Par ailleurs, inertée à l'azote lorsque le réacteur est en fonctionnement, l'enceinte est dimensionnée pour résister à une surpression résultant de l'hydrogène produit par l'interaction entre le zirconium du coeur et la vapeur d'eau du réacteur en situation accidentelle. Le SWR 1000 prend en compte les mêmes contraintes de tenue au séisme et à la chute d'avion que l'EPR, les mêmes équipes ayant fait les choix techniques correspondants. Dans la pratique, le bâtiment réacteur du SWR 1000, qui n'émerge du sol que de 40 mètres, culmine à une hauteur de 57 mètres contre 65 mètres pour l'EPR. Grâce à la simplification de ses systèmes et de ses composants, le coût de production du MWh du SWR 1000 devrait être inférieur à celui des réacteurs à eau bouillante en service. Ce coût de production devrait être voisin de celui de l'EPR, dans sa version de puissance maximale. En valeur absolue, l'investissement dans le SWR 1000 devrait être inférieur à l'investissement dans l'EPR, en raison du moindre coût des technologies des réacteurs bouillants et des systèmes passifs. Cet effet favorable au SWR 1000 est toutefois compensé par sa puissance, plus limitée. Au total, les coûts d'investissement rapportés au MW de deux machines seraient voisins132. Une véritable compétition existe entre le SWR 1000 et l'ABWR, ce dernier bénéficiant d'un retour d'expérience non négligeable, d'une expérience industrielle et même d'un effet de série. Le SWR 1000 (3300 MWth), moins puissant que l'ABWR (4300 MWth), bénéficie de l'avantage de mettre en oeuvre des dispositifs de sûreté passive, ce que ne peut faire l'ABWR en raison de sa puissance. Chacun des deux types de réacteurs ayant des points forts et des points faibles, l'appel d'offres de la Finlande qui voit l'ABWR entrer en concurrence directe avec le SWR 1000, constitue un véritable test de compétitivité pour ce dernier. Sur un plan général, le changement de filière pour un exploitant génère des coûts supplémentaires et oblige à reconstruire les montages industriels avec les fournisseurs et les filières de formation, ce qui limite la probabilité du passage aux réacteurs à eau bouillante d'un exploitant spécialisé dans les réacteurs à eau pressurisée. 4. Les VVER russes, des concurrents sérieux du fait de leur bon niveau technique et leur bas niveau de prix Que l'industrie russe ait des projets de réacteurs nucléaires pour les années à venir ne fait pas de doute. Pour produire son électricité, la Russie recourt certes modestement au nucléaire, qui, avec 30 réacteurs électrogènes, ne contribue qu'à hauteur de 15 % de son approvisionnement. Mais pour sauvegarder ses exportations de gaz et de pétrole qui lui procurent 50 % du budget de l'État, la Russie devra, dans les années à venir, d'abord prolonger la durée de vie de ses centrales nucléaires, ensuite achever les 13 tranches dont la construction a été arrêtée à la suite de la catastrophe de Tchernobyl et à la disparition de l'Union soviétique, et, enfin, construire de nouvelles centrales pour faire face à l'augmentation de la consommation d'électricité qui reprendra immanquablement avec la croissance économique. S'agissant de la durée de vie du parc, dont l'âge moyen est de 22 ans, l'objectif est de la prolonger de 10 à 15 ans, afin d'éviter une chute de production133. S'agissant de l'achèvement de tranches en cours de construction, la Russie a déjà réussi à terminer en février 2001 le réacteur VVER 1000 de la centrale de Rostov 1, réalisée à 95 % lorsque le chantier a été arrêté en 1991. Le réacteur VVER 1000 de Kalinine 3 devrait être achevé fin 2003 début 2004. On prévoit, par ailleurs, pour 2005, la mise en service du réacteur RBMK de la centrale de Koursk 5. Quant au réacteur VVER 1000 de Rostov 2, il pourrait être mis en service en 2006. Les autres chantiers, dont l'avancement n'était que de 5 % avant leur arrêt, ont peu de chances d'aboutir. Quant aux projets de construction de nouvelles centrales, il en existe, notamment pour une tranche VVER-640 à Sosnovy Bor et à Kola, une tranche VVER 1000 de nouvelle génération à Novo Voronej 2, et plusieurs réacteurs de faible puissance sur barge pour les régions de Sibérie et du Pacifique. Si, en mai 2000, la Russie a établi, sous le nom d' « initiative Poutine », un plan de développement de l'énergie nucléaire pour le XXIème siècle, les perspectives réelles de construction pour le marché local sont subordonnées à la disponibilité de financements, qui semble problématique. En revanche, la Russie entend être présente sur les différents marchés occidentaux ou autres. Le Minatom propose actuellement deux réacteurs à eau pressurisée VVER modernisés. Dérivé du VVER 1000, le VVER AES 91 1000/1100 MWe est un réacteur à eau pressurisée de type évolutionnaire, adapté aux standards occidentaux en droite ligne de ce qui a été réalisé sur les réacteurs exploités à Loviisa par Fortum. Le VVER AES 92 de 1100/1200 MWe, dérivé également du VVER 1000, comporte des systèmes passifs pour le refroidissement du cœur et l'évaluation de la puissance résiduelle par le secondaire des générateurs de vapeur. Compte tenu du fait que les performances techniques et économiques de la filière VVER sont considérées de bon niveau, en particulier les modèles reconditionnés et modernisés par la Finlande, la concurrence des réacteurs russes ne peut être tenue pour négligeable, d'autant que les offres correspondantes pourraient ignorer toute contrainte de marge bénéficiaire. Proposé par Westinghouse, le réacteur AP 1000 est un projet de réacteur à eau pressurisé à sûreté passive renforcée de 1000 MWe. L'AP 1000 n'est pas le seul réacteur proposé par Westinghouse, qui a déjà obtenu la certification par la NRC du réacteur CE 80+ en mai 1997, puis du réacteur AP 600 en décembre 1999. Mais, faisant l'objet à la fois de commentaires élogieux et de critiques sévères à la hauteur des craintes que son originalité suscite chez les autres constructeurs, l'AP 1000 est bien le réacteur phare de Westinghouse par les innovations qu'il propose. L'AP 1000 reprend les principales caractéristiques de conception et de sûreté de l'AP 600 dont la certification par la NRC a été obtenue en décembre 1999, mais avec une puissance supérieure de manière à parvenir à une équation économique favorable, contrairement à l'AP 600 (600 MWe) trop limité à cet égard. Si la définition du projet AP 1000 n'est pas achevée et nécessite encore des investissements d'ingénierie importants, l'objectif de Westinghouse est de déposer un dossier auprès de la NRC à la fin de l'année 2004 en vue d'obtenir la certification, au plus tard, fin 2005. Sur le plan technique et sur celui de la sûreté, l'AP 1000 possède de nombreuses originalités, tendant pour la plupart à une simplification. On ne doit pas oublier à cet égard que Westinghouse est le fournisseur des réacteurs nucléaires embarqués de propulsion pour les sous-marins et les navires de guerre américains, notamment les porte-avions. L'AP 1000 est ainsi un réacteur à deux boucles, contre 4 pour les réacteurs à eau pressurisée. Ces mêmes boucles primaires sont elles aussi simplifiées, avec des pompes primaires à rotor noyé, de même que les systèmes non classés « sûreté ». L'une des qualités de base de ce réacteur selon Westinghouse, l'AP 1000 possède un nombre réduit de composants par rapport à un réacteur à eau pressurisée de 1000 MW classiques. La réduction atteint 50 % pour le nombre de vannes, 35 % pour le nombre de pompes, 80 % pour la longueur des tuyauteries, 85 % pour le métrage des câbles et 45 % pour le volume des bâtiments antisismiques. A ce sujet, les zélateurs de l'AP 1000 raillent les réacteurs à eau pressurisée classique pour leur complexité. En outre, Westinghouse a choisi d'utiliser des technologies éprouvées et des composants déjà utilisés dans des centrales nucléaires en fonctionnement ou dans l'US Navy. Figure 15 : Vue d'ensemble du réacteur AP 1000 de Westinghouse Le recours à des systèmes passifs constitue une autre spécificité fondamentale de l'AP 1000. Plusieurs fonctions de sûreté particulièrement importantes sont prises en compte par ce type de systèmes. L'évacuation de la chaleur résiduelle est assurée par une circulation naturelle dans un échangeur connecté au circuit primaire. L'injection de sécurité est assurée par une circulation naturelle, des réservoirs d'appoint, par des accumulateurs sous pression d'azote et par des vannes automatiques. De même, l'AP 1000 comprend un système passif de refroidissement de l'enceinte, avec circulation naturelle de l'air et évaporation de l'eau sur la surface externe de l'enceinte métallique. Figure 16 : Les systèmes passifs de refroidissement de l'enceinte de l'AP 1000 (source : Westinghouse) La sûreté de l'AP 1000 est contestée par ses concurrents à plusieurs niveaux134. Sur le plan de la philosophie de sûreté, l'AP 1000 ressortirait davantage d'une approche probabiliste que de l'approche déterministe de l'EPR. Ainsi, l'AP 1000 se distingue de l'EPR par l'absence de récupérateur de corium, parce que le constructeur estime impossible le percement de la cuve même en cas de fusion du cœur, en raison des mesures prises pour refroidir cette dernière. Dans le cas de l'EPR, l'objectif est de réduire la probabilité de fusion du cœur autant que faire se peut, et de prévoir, malgré tout, un récupérateur de corium au cas où la cuve serait endommagée. Sur le plan de l'efficacité des dispositifs de sûreté passive, des doutes sont également exprimés sur la possibilité réelle de refroidir l'enceinte avec des mécanismes naturels d'évaporation d'eau et de convection d'air. Par ailleurs, s'agissant de la tenue du bâtiment réacteur au séisme et aux chutes d'avions, l'AP 1000135 est jugé plus élancé et moins massif que l'EPR, qui a une assise plus large. Au surplus la présence d'une masse d'eau au sommet du bâtiment réacteur pourrait rendre problématique sa stabilité. En outre, l'enceinte métallique intérieure au bâtiment lui-même est jugée comme seule jouant le rôle de barrière de confinement. Si ces remarques semblent fondées, en revanche, il serait sans doute possible d'y remédier en augmentant les dimensions de l'AP 1000, ce qui renchérirait inévitablement ses coûts. Sur le plan de l'exploitation, l'AP 1000 se caractérise par une puissance électrique de 1090 MWe, avec une puissance de cœur de 3415 MWth. Les doses d'irradiation devraient être inférieures à 0,7 Homme.Sv/an. Avec des arrêts pour rechargement du combustible tous les 18 mois, la disponibilité serait supérieure à 93 %, la durée de vie de conception étant fixée à 60 ans. Sur le plan économique, l'objectif de Westinghouse est de raccourcir la durée de construction de l'AP 1000 par rapport aux réacteurs à eau pressurisée classique. La réduction du nombre de composants et des volumes de matières va dans ce sens. En outre, la conception de l'AP 1000 est modulaire, en particulier pour les dispositifs de sûreté passive qui pourront être fabriqués en parallèle à la structure principale. De fait, Westinghouse prévoit un délai de 60 mois entre la commande et la mise en service industrielle, dont 36 mois de construction seulement entre le premier béton et le chargement et 6 mois de mise en service. La puissance de 1090 MWe de l'AP 1000 semble correspondre aux besoins des réseaux électriques nord-américains. Toutefois, la construction de deux réacteurs sur un même site semble plus prometteuse sur le plan des prix de revient et pour répondre aux besoins d'autres pays pour lesquels la puissance de 1090 MWe serait insuffisante. En réalité, Westinghouse présente l'AP 1000 comme devant être construit par paire, afin de minimiser les coûts d'infrastructure. Détaillant d'entrée de jeu l'importance de l'effet de série sur la réduction des coûts d'investissements, Westinghouse indique que les coûts « overnight » pour la troisième paire devraient être de 1150 $ / kW. Le coût de production de l'électricité pour une telle installation serait de 36 $ / MWh. Aux Etats-Unis, l'AP 1000 est le réacteur de référence pour la politique de « Near Term Deployment » du DOE qui vise à créer les conditions de la construction d'un ou plusieurs réacteurs nucléaires en 2010. Avec une certification obtenue en 2004 et une décision de construction en 2005, le premier exemplaire de l'AP 1000 pourrait entrer en fonctionnement en 2010, soit en même temps que l'EPR. En tout état de cause, l'AP 1000 semble combiner le retour d'expérience des réacteurs à eau pressurisée avec une volonté d'innovation dans des proportions qui suscitent l'intérêt de nombreuses parties prenantes, exploitants et responsables de la politique énergétique. A ce titre, l'AP 1000 pourrait se révéler un concurrent redoutable de l'EPR. IV.- Le démonstrateur-tête de série EPR, une garantie contre les aléas industriels, réglementaires et économiques, permettant de lisser le renouvellement du parc La conception de l'EPR a commencé, comme on l'a vu plus haut, au début des années 1990, avec une implication importante d'un ensemble de partenaires, français et allemands, autorités de sûreté, constructeurs et exploitants. Il s'agit là d'un investissement important déjà effectué qui ne saurait toutefois conserver de valeur au-delà de quelques années, que ce soit au regard de la réglementation ou de la capacité de l'industrie à la mettre en œuvre. Ainsi que l'autorité de sûreté l'a indiqué clairement à vos Rapporteurs le 14 janvier 2003, un report supplémentaire et significatif de la construction de l'EPR entraînerait de facto un réexamen des objectifs de sûreté. Ainsi, les objectifs de sûreté définis en 1993 ne peuvent pas être valables indéfiniment. En fait, dans sa lettre de 1991 fixant les objectifs de sûreté de l'EPR, l'autorité de sûreté indiquait que le réacteur devrait être construit peu après 2000. En conséquence, si la décision de construction était reportée même de quelques années, les objectifs fixés en 1993 devraient être réexaminés. A cet égard, la situation française pourrait sembler différer, en première analyse, de la pratique américaine. En effet, aux Etats-Unis, un projet de réacteur, une fois certifié par la NRC, il peut théoriquement être construit à n'importe quelle date ultérieure. En réalité, il semble bien qu'en cas de redémarrage du nucléaire, seuls les derniers réacteurs certifiés seront en compétition136. La conception de l'EPR a donné lieu à une important travail de recherche et développement. A ce titre, l'autorité de sûreté considère que l'EPR constitue désormais une référence de comparaison pour les prochains réexamens de sûreté des réacteurs existants, les options de sûreté présentées pour l'EPR étant globalement conformes aux objectifs édictés en 1993. De même, les règles techniques prises ultérieurement, par exemple les circuits primaires et secondaires, représentent un acquis auquel il sera possible de se référer, lorsque les examens en cours par le Groupe Permanent Réacteurs seront achevés. Du point de vue de la sûreté, la mise au point du projet EPR continue de se poursuivre, mais est pratiquement achevée. Les « Technical guidelines », qui sont une référence en matière de sûreté, ont été adoptées par le Groupe Permanent Réacteurs en octobre 2000. Les études détaillées ont commencé d'être examinées lors d'une réunion du Groupe Permanent Réacteurs et des experts allemands en 2002, une nouvelle réunion étant programmée pour la mi-2003. En définitive, si la décision est prise de lancer la construction d'un EPR, l'exploitant devra présenter à l'autorité de sûreté, une demande d'autorisation assortie d'un rapport préliminaire de sûreté. Le travail déjà fait sur l'EPR facilitera en tout état de cause la décision de l'autorité de sûreté. L'acquis réglementaire n'est évidemment pas le seul résultat du processus actuel de mise au point de l'EPR. L'industrie française a également réalisé un investissement d'ingénierie qui lui permet de disposer des plans quasiment finalisés. L'investissement réalisé par Framatome ANP pour la conception de l'EPR représente 2,6 millions d'heures de travail, soit l'équivalent de 400 personnes à temps plein pendant 4 ans. Un effort important a également été fourni par EDF, ainsi que par l'autorité de sûreté. EDF évalue ses frais de développement137 à 105 millions € de contrats externes et à 1,8 million heures d'ingénierie EDF. Il s'agit là non seulement d'un actif qui ne saurait être dilapidé sans d'excellentes raisons, mais aussi d'un atout par rapport à la concurrence mondiale, dans la mesure où les concepteurs de l'EPR ont une avance importante sur les autres compétiteurs. A l'exception de General Electric qui dispose avec l'ABWR d'un réacteur à la fois certifié et en fonctionnement au Japon, plusieurs des concurrents de Framatome ANP auront en effet un travail complémentaire important à fournir pour finaliser leurs projets de réacteurs. C'est notamment le cas pour le Minatom avec ses réacteurs VVER AES 91 et 92. Westinghouse, pour sa part, prévoit d'achever la conception détaillée de son réacteur AP 1000 à la fin 2003, en vue de déposer à la NRC un dossier de demande de certification à la fin 2004. Au-delà de la rentabilisation des lourds investissements déjà consentis, il convient de rappeler que, d'une manière générale, le renouvellement d'un parc industriel en proie à un inéluctable vieillissement nécessite toujours que des équipements de remplacement fiables soient disponibles au moment opportun. Or 13 réacteurs 900 MWe sur 58 du parc électronucléaire d'EDF vont atteindre 40 années de fonctionnement avant 2020. Puis 24 réacteurs 900 MWe supplémentaires atteindront cette barre avant 2025. Compte tenu des marges probables de durée de vie, certains experts ont, dans les années récentes, estimé qu'il serait possible de pousser au maximum de leur durée de vie les réacteurs existants, de manière à atteindre les années 2030-2035 à partir desquelles les réacteurs de la Génération 2035 seraient disponibles. Ainsi, selon cette thèse, il serait possible de faire l'impasse sur l'EPR. En réalité, une telle solution aurait pour conséquence que la durée de vie moyenne du parc existant devrait alors être au minimum de 56 ans et au maximum de 59 ans, d'après les projections effectuées par EDF et validées par la DGEMP138. Une telle option serait en réalité un pari sur la durée de vie que l'on peut estimer totalement hasardeux dans l'état actuel des connaissances sur les phénomènes de vieillissement des composants des centrales nucléaires. Cette option présenterait en outre trois graves inconvénients supplémentaires. Pour que le renouvellement puisse véritablement s'effectuer, il faudrait être sûr que les réacteurs de la Génération 2035 soient disponibles à cette date avec le faisceau de qualités et de performances que l'on attend d'eux, ce qui constitue en réalité un pari impossible à tenir compte tenu des verrous technologiques à lever pour réussir leur mise au point. Par ailleurs, si le renouvellement du parc était repoussé à la date de 2035, le rythme de construction de nouveaux réacteurs serait de 2 réacteurs par an, ce qui obligerait à des investissements énormes dans des filières et des systèmes de combustibles probablement différents de ceux actuellement en service. Enfin, une attente aussi longue pour des projets nouveaux ne conforterait pas l'industrie nucléaire dont le redémarrage serait certainement coûteux. A l'inverse, la construction d'un réacteur tel que l'EPR présenterait de multiples avantages industriels, l'industrie étant sans nul doute consolidée et la palette des choix étant de fait plus ouverte et ceux-ci étant plus sûrs. La finalisation et la concrétisation des efforts entrepris sont à l'évidence souhaitables. Même si la construction d'une nouvelle tranche nucléaire représente un volume de travail inférieur à celui de la rénovation d'un parc électronucléaire tout entier, il est clair que les plans de charge de l'industrie nucléaire seraient améliorés et sécurisés à moyen terme. A ce titre, la construction d'un démonstrateur-tête de série EPR représenterait, pour les 5 prochaines années, environ 30 % de la charge de travail de l'établissement de Framatome ANP à Saint Marcel près de Chalon-sur-Saône, pour la cuve et les générateurs de vapeur. Sur la même période, la charge de travail de Jeumont, autre entreprise du groupe AREVA, serait augmentée de 20 %, pour la fabrication des matériels électriques139. Enfin, la construction de l'EPR offrirait l'avantage de permettre d'attendre, en toute sécurité, à l'horizon de 2035, la mise au point des réacteurs de nouvelle génération. L'exploitant pourrait alors diversifier son parc électronucléaire en toute connaissance de cause, en panachant les différentes filières de réacteurs, voire même en testant le passage à d'autres systèmes de combustibles nucléaires que l'uranium et le MOX. Dans la décision de lancer ou non la construction de l'EPR à brève échéance, il convient sans aucun doute aussi de considérer d'autres risques - réglementaires au plan national ou international - qui seraient encourus si la France ne disposait pas d'une solution de remplacement pour son parc électronucléaire dans les toutes prochaines années. Au niveau réglementaire national, le premier risque à éviter correspond à une fermeture rapide de plusieurs tranches que l'autorité de sûreté pourrait être obligée de décider en cas de problème de sûreté. Or ce risque ne peut être exclu dès le début de la décennie 2010. C'est en 2002 que l'autorité de sûreté a pris la décision de principe que la durée de fonctionnement des réacteurs 900 MWe pourrait, sous réserve de résultats probants lors de leur 3ème visite décennale (VD3), être prolongée, au cas par cas, au-delà de 30 ans. Le tableau suivant indique les dates probables des 3èmes visites décennales des réacteurs d'EDF les plus anciens. Tableau 21 : La période critique des années 2009, 2010 et 2011 pour la prolongation de l'exploitation des réacteurs les plus anciens d'EDF (source : EDF)
Les 3èmes visites décennales (VD3) interviendront ainsi en 2009 et 2010 pour les réacteurs de Fessenheim 1 et 2, et en 2009, 2010 et 2011 pour les réacteurs de Tricastin 1,2 et 3 et de 2010 à 2012 pour ceux de Bugey. Au total, entre la fin 2009 et la fin 2011, c'est-à-dire sur une période de 2 ans, ce sont 8 975 MWe de puissance continue nette, soit environ 15 % du parc électronucléaire d'EDF, qui subiront leur 3ème visite décennale, à l'issue de laquelle la prolongation de leur exploitation pour dix années supplémentaires sera ou non autorisée. Par ailleurs, s'agissant de la prolongation de la durée de vie pour 10 années supplémentaires, le processus de décision de l'autorité de sûreté comprend deux étapes, la première étant une décision de principe pour l'ensemble des réacteurs d'un palier et la deuxième étant liée aux visites décennales (voir figure suivante). Figure 17 : Exemple théorique des décisions réglementaires pour un réacteur du palier 900 MWe, mis en service en 1979 Ainsi, une décision de principe a été prise en 2002 de lancer le processus d'élaboration des conditions de la prolongation de l'exploitation au-delà de la 30ème année pour le palier 900 MW, les 3èmes visites décennales devant commencer en 2009. De même, ainsi que l'autorité de sûreté l'a indiqué à vos Rapporteurs, la décision de principe d'autoriser le fonctionnement au-delà de 40 ans pour dix années supplémentaires serait prise vers 2010, le contenu des VD4 commençant à être précisé vers 2015 pour le palier 900 MW143. Or, à cette date, les enseignements des 3èmes visites décennales qui serviront de support à la décision de principe, commenceront d'être connus. Rien ne garantit que cette décision de principe sera positive. Les deux années 2010 et 2011 seront donc celles de toutes les incertitudes. Première incertitude : à l'issue de leur 3ème visite décennale, les premiers réacteurs 900 MWe pourront-ils continuer leur exploitation au-delà de 30 ans ? Deuxième incertitude : la décision de principe de pousser ou non l'exploitation au-delà de 40 ans pourra-t-elle être prise et selon quelles modalités les autorisations pourront-elles être accordées ? Mais des évolutions réglementaires pourraient aussi intervenir au niveau international. Au début de la décennie 2010, la disponibilité d'un démonstrateur-tête de série sera d'autant plus indispensable que les résultats de la lutte contre le changement climatique feront l'objet d'un premier bilan et que les contraintes afférentes pourront être renforcées. S'agissant de la maîtrise de ses émissions de gaz à effet de serre, la France n'a pas les moyens de réduire la taille de son parc électronucléaire. Il en est de même pour ses émissions d'oxydes d'azote NOx de SO2 qui font l'objet d'engagements internationaux. Si la France devait et pouvait remplacer en une simple année sa production d'électricité nucléaire par des moyens de production classique, même avec les plus modernes des centrales comme les centrales à cycle combiné au gaz, ses émissions de gaz à effet de serre augmenteraient d'un coup de 40 millions de tonnes équivalent carbone. La production électronucléaire représente donc l'équivalent de 40 millions tonnes équivalent carbone non émises. On sait qu'en France, les émissions de gaz à effet de serre liées aux utilisations de l'énergie représentent annuellement 100 millions tonnes équivalent carbone, pour 144 millions d'émissions totales. Or les engagements de la France vis-à-vis de la lutte contre l'effet de serre, tels qu'ils résultent du Protocole de Kyoto et sont traduits dans le Plan National de Lutte contre le Changement Climatique (PNLCC) sont qu'en 2010, les émissions de gaz à effet de serre liées à la production électrique ne dépassent pas leur niveau de 1990, c'est-à-dire 9,1 millions de tonnes équivalent carbone, soit 33 millions tonnes équivalent CO2144, provenant essentiellement de la production des centrales thermiques à charbon pour les heures de pointe. Figure 18 : Principales sources d'émissions de gaz à effet de serre en France (métropole, DOM-TOM et collectivités territoriales) (source : CITEPA - inventaire UNFCC décembre 2002- Mission interministérielle de l'effet de serre) Or en 2000, les émissions des centrales thermiques utilisées en pointe se sont révélées au même niveau145 qu'en 1990. On voit donc qu'au regard de la lutte contre l'effet de serre, la production d'électricité ne pourra augmenter ses émissions en remplaçant des réacteurs nucléaires par des centrales thermiques utilisant des combustibles fossiles, même les plus modernes comme des cycles combinés à gaz146. Par ailleurs, la date de 2010 correspondra aussi à un bilan des mesures prises en application du Protocole de Kyoto. En effet, ainsi que le prévoit ce Protocole, la réduction globale d'au moins 5 % pour l'ensemble des pays concernés et de 8% pour l'Union européenne par rapport à 1990, doit être réalisée entre 2008 et 2012. Si le changement climatique se confirmait et a fortiori s'accentuait, il est probable que les contraintes de la réduction des émissions pourraient alors être renforcées. S'ajoutant aux contraintes de la stabilisation en France des émissions de gaz à effet de serre, la Directive européenne sur les Plafonds nationaux d'émission oblige la France à réduire ses émissions d'oxydes d'azote NOx de 1,43 million de tonnes en 2000 à 0,81 million de tonnes en 2010. Là encore, le remplacement de réacteurs nucléaires par des cycles combinés à gaz empêcherait d'atteindre les objectifs fixés par la directive européenne. On trouvera au tableau suivant le total annuel des rejets dans l'atmosphère d'un cycle combiné à gaz de 520 MWe fonctionnant réellement aux Etats-Unis 147. Tableau 22 : Rejets annuels dans l'atmosphère d'un cycle combiné à gaz (source : Duke Energy)
Ainsi non seulement les émissions de CO2 d'un cycle combiné à gaz sont très importantes, près de 2 millions de tonnes par an pour une centrale de 520 MW seulement, mais les émissions d'autres polluants dépassent les 700 tonnes par an. En outre, un site comprenant un cycle combiné à gaz doit stocker des quantités importantes de produits chimiques, tels que l'ammoniaque pour le traitement des NOx, de l'acide sulfurique pour la déminéralisation, de la soude, du chlore, de l'hydrazine et des amines, ainsi que du phosphate de sodium. Ainsi, l'image positive des cycles combinés à gaz en termes d'environnement est très largement usurpée. S'agissant des contraintes de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et de NOx, certains experts font valoir qu'un dérapage dû à la production électrique du fait d'un renouvellement du parc électronucléaire par des cycles combinés à gaz pourrait être compensé par les progrès effectués par les autres secteurs. Autre manière de poser le problème, l'avantage que lui donne son parc électronucléaire n'a-t-il pas pour conséquence que la France n'est pas assez déterminée pour lutter contre les émissions des secteurs des transports et du résidentiel-tertiaire ? En réalité, il n'en est rien. On voit bien que le dérapage des émissions de gaz à effet de serre est considérable dans les transports et le résidentiel-tertiaire. Les émissions de GES des transports ont en effet augmenté de 21 % entre 1990 et 2001, celles du résidentiel-tertiaire de 17 %, tandis que celles de l'industrie diminuaient de 14 %, celle de l'énergie148 de 17 %, de l'agriculture149 de 6 % et du traitement des déchets150 de 4 %. Il n'y a donc aucune place pour un dérapage des émissions de gaz à effet de serre qui proviendrait d'un changement de structure du parc de production électrique. Les risques économiques qui pourraient être conjurés grâce à la disponibilité d'un EPR au début des années 2010 sont multiples, macroéconomiques pour l'économie française et microéconomiques pour l'exploitant. La recherche d'une amélioration de l'indépendance énergétique est, à juste titre, une constante de la politique énergétique française. Si la diversification des sources d'approvisionnement peut être une solution partielle, la limitation et, mieux encore, la réduction des importations sont des solutions bien préférables. Pour remplacer la production des centrales nucléaires du parc d'EDF, il serait nécessaire d'importer 100 millions de tonnes équivalent pétrole. L'impact sur la facture énergétique serait d'environ 20 milliards €, entraînant une augmentation de 80 % de celle-ci. Or, en 2002, la facture énergétique s'est élevée à 21, 8 milliards €, en baisse de 5,5 % par rapport à 2001, grâce à la baisse du dollar et à celle du prix des énergies importées. Outre son montant élevé, la facture énergétique présente un autre inconvénient, celui d'être extrêmement sensible aux évolutions du dollar et du prix des hydrocarbures (voir figure suivante). Tableau 23 : La facture pétrolière, une charge permanente (source : DGEMP) Un passage massif et obligé du nucléaire au gaz du fait de l'absence de réacteur de remplacement, non seulement augmenterait la facture énergétique, mais introduirait également un risque important. En effet, l'évolution du marché du gaz est telle qu'il existe aujourd'hui un véritable « risque gaz ». La demande de gaz augmente en effet fortement dans tous les pays, poussée essentiellement par la production d'électricité. Ainsi aux Etats-Unis, sur les deux années 2000 et 2001, ont été construites 400 centrales électriques thermiques, toutes fonctionnant au gaz, à tel point qu'en 2002, la production d'électricité a représenté 70 % de la consommation totale de gaz naturel. Le prix du gaz sur un « hub » gazier américain, le « Henry hub » est passé de 2,5 à 5,25 $ / MBtu en douze mois. En conséquence, selon les prévisions faites par Conoco Phillips Gas & Power, le prix du gaz ne devrait plus jamais être inférieur à 6 $ /MBtu sur le marché américain151. Pour les autres marchés, les prévisions sont à la hausse, même si celle-ci devrait être inférieure à celle observée aux Etats-Unis. La production mondiale de gaz ainsi que les réserves prouvées sont mieux réparties géographiquement que celle de pétrole152. Mais des investissements gigantesques sont nécessaires dans les infrastructures de transport, usines de compression ou de liquéfaction, gazoducs, méthaniers. On peut craindre, en conséquence, que les prix soient poussés à la hausse sur tous les marchés. Par ailleurs, les marchés du gaz voient la part des contrats à long terme à prix fixés diminuer tandis que les marchés spots prennent de l'importance, ce qui peut conduire à des situations de tensions sur les prix. A cet égard, si la France a su diversifier ses approvisionnements en gaz153, la part des livraisons spot par rapport aux contrats à long terme tend à diminuer du fait de la recherche de profits maximum par les producteurs. Au total, la hausse des prix du gaz s'est déjà enclenchée en France154. Or les structures des coûts de production de l'électricité avec le nucléaire et le gaz sont en effet inverses l'une de l'autre155. Les coûts fixes pour le nucléaire représentent 85 % du total contre 20 % pour le gaz (voir figure suivante)156. Tableau 24 : Parts respectives des coûts fixes et des coûts variables dans la production d'électricité (source : General Electric) Le graphique ci-après, établi par le producteur distributeur d'électricité américain Entergy, montre concrètement la sensibilité du coût de production du MWh avec un cycle combiné à gaz, avec comme référence un réacteur nucléaire « papier » d'un coût d'investissement de 1000$ / kW. Figure 19 : L'influence du prix du gaz sur le coût de production de l'électricité avec un cycle combiné à gaz (source : J. Yelverton, Entergy Nuclear) L'adoption du gaz naturel pour la production d'électricité entraîne un risque important pour l'exploitant. En conséquence, un exploitant comme EDF peut légitimement considérer que l'EPR est « une option de couverture vis-à-vis de l'évolution du prix du gaz »157. Autre raison majeure d'opter pour la mise au point de l'EPR au travers de la construction d'un démonstrateur-tête de série, ses coûts de production sont, selon les calculs effectués par la DGEMP, plus compétitifs que ceux des autres filières, que les coûts externes soient ou non internalisés158. Le coût de production du MWh par le parc électronucléaire d'EDF actuellement en service s'établit à 25-26 € / MWh. Tableau 25 : Coûts de production de nouvelles centrales électriques159 (source : DGEMP160)
Ainsi, selon la DGEMP164, pour de nouvelles centrales électriques, la compétitivité de l'EPR est assurée par rapport au cycle combiné à gaz, lorsque l'on prend comme hypothèse la construction d'une série de 9 tranches après celle d'un démonstrateur-tête de série. Pour une série de 4 exemplaires, démonstrateur-tête de série inclus, les coûts de production de l'EPR sont équivalents à ceux d'un cycle combiné à gaz. L'intérêt de la construction de l'EPR est à l'évidence tellement important en tant qu'assurance tous risques pour l'exploitant que celui-ci précise avec franchise qu' « il n'y a pas de besoin de consommation pour le moment »165. Un faisceau de raisons industrielles, financières et stratégiques commande par ailleurs de lisser le renouvellement du parc. Si cela était nécessaire, il faut encore rappeler que, du fait de l'effet de falaise de la construction du parc électronucléaire d'EDF, 13 réacteurs seraient arrêtés avant 2020 dans l'hypothèse où leur durée de vie serait limitée à 40 ans. Sur les cinq années suivantes, une accélération importante du rythme d'arrêt se produirait, puisque 24 réacteurs supplémentaires seraient arrêtés avant 2025. Comme on l'a vu plus haut, un prolongement raisonnable de la durée de vie est indispensable pour étaler le renouvellement du parc, ce qui ne pourra être réussi que si les centrales d'EDF sont gérées d'une manière optimale et si une R&D plus active permet de mieux anticiper et de mieux corriger les effets du vieillissement. Mais l'étalement de la construction de nouveaux réacteurs est également indispensable pour des raisons industrielles et économiques. Il est impératif de ne pas rééditer le « sprint » de 10 à 15 ans qui a été effectué par l'industrie nucléaire française dans les années 1980166. Un rythme trop élevé de construction oblige à des investissements massifs dont les coûts pèsent sur les coûts de fabrication. Il peut aussi conduire à quelques défauts de conformité de composants dus à la précipitation, qui auraient été découverts avec des délais habituels. Par ailleurs, une telle situation conduit ensuite à une longue période sans construction, ce qui nuit à une bonne utilisation des compétences et des équipements, tant pour le constructeur que pour l'exploitant. Mais une autre raison essentielle est qu'un remplacement lissé permettrait de diversifier les réacteurs de remplacement, au fur et à mesure de l'apparition de nouvelles solutions techniques, en combinant l'innovation et des concepts éprouvés. Enfin, le changement de contexte du marché de l'électricité modifie pour l'exploitant les conditions financières de l'investissement de construction de nouveaux réacteurs. L'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité devrait avoir pour conséquence que les prix de vente de l'électricité soient moins stables que dans le passé et les augmentations de prix de vente moins facilement absorbables par la base de clientèle. Ainsi, une décision de construire l'EPR est fondée au plan macroéconomique et microéconomique. Cette orientation correspond en outre à la volonté de l'exploitant, ainsi que l'a déclaré M. François ROUSSELY, Président d'EDF lors de l'audition publique du 3 avril 2003. Déclaration de M. François ROUSSELY, Président d'EDF, audition publique du 3 avril 2003 « Dans l'hypothèse d'une durée de vie de 40 ans, l'arrêt des centrales actuelles commencerait avant 2020. Ce qui suggère la construction de nouvelles capacités de puissance équivalente. Si nous ne disposons pas d'une nouvelle filière nucléaire déjà éprouvée industriellement à cette époque, le risque est celui d'un passage contraint et en totalité au gaz et au charbon. La seule nouvelle filière disponible alors sera ce qu'on appelle la génération 3+, à laquelle appartient l'EPR. Cette étape apparaît ainsi comme une condition essentielle d'une gestion souple et responsable de la durée de vie des centrales actuelles. « Ce sera pour nous une sécurité : Elle permet de garantir le maintien et le renouvellement des compétences industrielles et d'ingénierie dont nous avons besoin pour assurer le fonctionnement optimal de nos centrales actuelles, dans des conditions parfaites de sûreté. Si je puis dire, nous devons faire en sorte d'amener nos centrales à mourir en excellente santé. Le développement de l'EPR en parallèle ne peut que nous y aider. « Il est évident que nous avons tout intérêt, sur le plan financier et sur le plan industriel, à étaler le plus possible, la construction du parc futur, qui sera en service pendant l'essentiel du 21ème siècle. L'idéal serait donc d'étaler sur 30 ans, entre 2020 et 2050, la fin de vie des centrales actuelles. S'agissant d'un parc construit pour l'essentiel en 10 ans, cet étalement permet une grande flexibilité et un grand pragmatisme dans la gestion de la durée de vie de chaque centrale, ce qui est plutôt un point positif, puisque nous pourrons sélectionner les unités les plus robustes pour les conduire au-delà de 40 ans, voire de 50 ans. « Nous pourrons aussi mieux moduler nos arbitrages entre nucléaire et autres moyens thermiques, entre solutions nucléaires aussi. « Le renouvellement commencera par le recours à la génération 3+, vers 2020, puis à la génération 4, après 2035, si celle-ci a tenu ses promesses et se révèle opérationnelle. « Il est donc important que l'on dispose avant 2015 d'un réacteur de génération 3+, déjà éprouvé, afin d'en commencer la construction industrielle pour une mise en service vers 2020. Au vu de ce que nous avons vécu avec la mise en place de chacun de nos paliers, nous savons que nous avons intérêt à disposer d'un retour d'expérience de quelques années sur le réacteur tête de série, avant le lancement de la série industrielle. « Il faudrait donc pouvoir mettre en service un "démonstrateur" EPR à l'horizon 2010, ce qui veut dire, compte tenu d'un temps de construction de 6 ans, pouvoir en engager la construction à court terme. » Cette décision de l'exploitant doit donc être autorisée sans tarder afin d'assurer un renouvellement progressif « lissé » qui permettra d'éviter les difficultés rencontrées dans les années 1980 lorsque le parc électronucléaire d'EDF était construit à un rythme sans équivalent dans le monde. En cas de décision rapide de construire un EPR, un site devrait rapidement être choisi. EDF serait en mesure de déposer sa demande d'autorisation de création à la fin 2003-début 2004, accompagnée du rapport préliminaire de sûreté, de l'étude d'impact, de l'étude de dangers, du dossier présentant les prélèvements et les rejets, ainsi que le dossier d'occupation du domaine maritime. Simultanément, avant la fin 2003, les études de la chaudière et du contrôle commande pourraient être achevés. Si l'on retient le début 2004 comme date de référence pour le dépôt du dossier d'autorisation de création, le délai d'instruction et d'adoption du décret d'autorisation serait de 2 ans, à quoi s'ajoute le délai supplémentaire difficilement évaluable correspondant au débat public, ce qui conduit probablement à la publication du décret d'autorisation de création fin 2006, début 2007. En parallèle à cette instruction administrative du dossier, se déroulerait la préparation technique de la phase de construction. Un appel d'offres international serait-il nécessaire compte tenu de la législation européenne ? La Finlande a opté pour cette procédure. Sous réserve de confirmation, EDF pourrait procéder à un contrat de gré à gré pour la chaudière et à une série d'appel d'offres pour le contrôle commande, les études et les travaux de génie civil, les tuyauteries et les ventilations. En conséquence, la date du premier béton sur le site pourrait être le début 2007, ce qui conduirait à une mise en service industriel en 2012167. Selon ce schéma, lorsque les premiers réacteurs du palier 900 MWe atteindraient les parages de leur 4ème visite décennale vers 2019, la France disposerait avec l'EPR de l'expérience nécessaire pour lancer en toute sécurité la construction du nombre de réacteurs correspondant à ses besoins de remplacement. Mais en réalité, ce calendrier est extrêmement tendu. En effet, l'arrêt d'une ou plusieurs tranches en 2019 devraient être immédiatement compensé par l'entrée en service d'un ou de plusieurs nouveaux réacteurs. Compte tenu de la durée de construction de 5 ans, cela signifie que la construction du ou des réacteurs de série devrait être décidée en 2015. A cette date, l'expérience acquise avec le démonstrateur-tête de série EPR ne serait que de 3 ans, ce qui semble tout juste suffisant pour en corriger les éventuels défauts de jeunesse et en stabiliser la conception définitive. Figure 20 : Dates importantes pour le renouvellement du parc EDF En faisant clairement connaître ses intentions, EDF a pris ses responsabilités d'industriel et d'exploitant. L'État actionnaire devrait d'autant moins s'y opposer que les raisons de l'exploitant sont convaincantes et qu'à l'inverse aucun argument consistant n'a été avancé pour les réfuter. En tout état de cause, la décision de construire rapidement un démonstrateur-tête de série EPR est d'autant plus importante que la France disposera d'un avantage concurrentiel important avec un EPR en fonctionnement jouant le rôle vitrine technologique lorsque les marchés du nucléaire redémarreront dans les pays nucléaires. La vision que l'on peut avoir dans l'Union européenne du marché des réacteurs nucléaires n'est pas conforme à la réalité. Si le marché s'est incontestablement ralenti dans les pays industrialisés par rapport aux années 1980, il demeure actif dans les pays émergents, principalement en Asie (voir tableau suivant). Tableau 26 : Réacteurs nucléaires en construction - novembre 2002 (source : AIEA)
L'Agence internationale de l'énergie prévoit pour 2020 deux tendances apparemment contradictoires : l'arrivée en fin de vie des centrales actuellement en fonctionnement, et, d'autre part, la construction de nouveaux réacteurs pour remplacer les anciennes installations ou pour accroître les capacités de production. L'AIE-OCDE (Agence internationale de l'énergie) prévoit pour sa part que, sur la période 2000-2020, près de quarante pour cent du parc mondial en service à la fin des années 1990, devraient être arrêtés pour différentes raisons - programmes d'abandon ou arrivée en limite de durée de fonctionnement -. Compte tenu des programmes d'abandon de certains pays membres et de l'attractivité des centrales à cycle combiné au gaz, les pays de l'OCDE, qui, en 1997, comprenaient 81 % du parc mondial de réacteurs nucléaires en termes de puissance installée avec 286 MW, verraient leur importance relative dans le nucléaire mondial décroître, passant à 232 MW, soit 71 % du total mondial en 2020. A ce titre, la construction de nouveaux réacteurs, - certaine en Finlande dont le Parlement a voté en mai 2002 la construction d'un cinquième réacteur et hypothétique dans d'autres pays comme la France -, pourrait ne pas compenser les fermetures décidées par d'autres pays. Les anciens pays de l'URSS enregistreraient aussi un déclin de leur parc électronucléaire qui ne s'élèverait plus qu'à 28 MW en 2020, contre 42 MW en 1997. Quant aux pays émergents ou en développement, ils connaîtraient au contraire une croissance forte de leur équipement en centrales nucléaires, leur parc électronucléaire devant être multiplié par 2,6 en 2002 par rapport à son niveau de 1997. En termes de puissances installées, la Chine multiplierait son parc par 10, l'Asie de l'Est avec la Corée, Taipei, Singapour, Malaisie, par 2, l'Asie du Sud avec l'Inde par 3,5. Au total, les pays en développement compteraient 62 MW installés en 2020, contre 24 MW en 1997168. Selon l'AIE-OCDE, l'essor du nucléaire dans les pays émergents ne devrait pas compenser le déclin en valeurs absolue et relative du parc nucléaire mondial qui devrait passer en définitive de 357 GW en 2002 à 323 GW en 2020. Vos Rapporteurs ont rencontré sur place les autorités de sûreté, constructeurs et exploitants, de différents pays, afin d'affiner ces prévisions globales. L'Union européenne est le siège d'évolutions en apparence contrastées concernant les perspectives du nucléaire. La Finlande a étonné le monde de l'énergie en prenant, le 24 mai 2002, la décision de principe de construire un nouveau réacteur. A l'inverse, deux pays, la Suède et l'Allemagne, ont engagé une démarche de retrait du nucléaire, suivies, depuis le 16 janvier 2003, par la Belgique. Quelles sont les perspectives réelles du marché européen pour le nucléaire ? L'étude de faisabilité relative au projet de construction d'un 5ème réacteur, présentée par TVO en novembre 2000, a été acceptée par le Parlement le 24 mai 2002. Fondée par les industriels de plusieurs secteurs pour leur fournir de l'électricité à prix coûtant, TVO, qui a soumis une demande et obtenu une autorisation de construire un nouveau réacteur, est détenue en partie par des entreprises publiques169. Le tableau suivant indique les principales dates du processus d'autorisation170. Tableau 27 : Principales dates du processus d'autorisation du 5ème réacteur finlandais (source : ministère de l'industrie et du commerce)
* MTI : ministère de l'industrie et du commerce Avant de présenter sa demande d'autorisation de construction d'un nouveau réacteur nucléaire, la société TVO avait élaboré sur la période 1998-2000, une étude de faisabilité sur les modèles proposés par les constructeurs - ABWR, BWR 90+, SWR 1000 pour la filière à eau bouillante, AP-1000, EPR, et VVER 1000 91/99 pour la filière à eau pressurisée -. La conclusion en fut claire : les coûts de l'électricité produite par un nouveau réacteur nucléaire seraient compétitifs par rapport à ceux des autres techniques de production. Au plan macroéconomique, TVO avait mis en avant la nécessité pour la Finlande de couvrir l'augmentation de la demande d'électricité, de remplacer les centrales électriques les plus anciennes, de contribuer au respect des engagements de Kyoto, de garantir des prix stables et prévisibles pour l'électricité et de réduire la dépendance finlandaise vis-à-vis des importations d'électricité. En conséquence, l'objectif de la demande d'autorisation de TVO est de construire un réacteur à eau bouillante ou à eau pressurisée d'une puissance thermique maximale de 4300 MWth et d'une puissance électrique comprise entre 1000 et 1600 MWe171. On trouvera ci-dessous un calendrier simplifié de mise en service du 5ème réacteur finlandais. Figure 21 : Durée des futures opérations administratives liées à la construction du 5ème réacteur (source : STUK) fin de l'appel d'offres 2005 4 ans 2010 Tableau 28 : Les principales dates du processus de mise en service pour l'exploitant (source : MTI et TVO)
En définitive, TVO, qui aura seule la responsabilité du choix de la machine, est supposée ne faire intervenir que des considérations techniques et économiques172. De façon à pouvoir choisir aussi bien un modèle à eau pressurisée qu'un modèle à eau bouillante, TVO, qui n'exploite pour le moment que des réacteurs à eau bouillante, implique dans le processus de sélection des offres des responsables de Fortum qui ont l'expérience des réacteurs à eau pressurisée VVER de Loviisa. Alors qu'elle prévoit une hausse importante de sa consommation d'électricité dans les prochaines décennies, on peut se demander si la Finlande n'aurait pas intérêt à se doter du réacteur le plus puissant possible ou, au contraire, si la voie n'est pas tracée pour la construction du 6ème ou 7ème réacteur. On a vu précédemment les difficultés de la Suède à appliquer son projet de sortie du nucléaire adopté par référendum en 1980. Peut-on inférer de ces difficultés que la Suède pourrait au contraire construire de nouveaux réacteurs dans les années à venir, même si pour le moment, la priorité est à la modernisation des tranches existantes ? Bien que n'ayant pas pris de décision sur les opérations de modernisation permettant d'atteindre 40 ans de durée de vie, un exploitant nucléaire comme Vattenfall, qui détient directement ou indirectement 8 des 11 réacteurs en service, s'attend à ce que ces opérations soient rentables dans la mesure où elles sont nécessaires à l'approvisionnement du pays en électricité. Qu'en est-il des perspectives ultérieures ? Si la durée de vie des réacteurs suédois devait être plafonnée à 40 ans par l'autorité de sûreté, le dernier réacteur serait arrêté en 2023-2026. Pour le moment, la loi interdit la construction de tout nouveau réacteur en Suède. Aujourd'hui, les coûts de production du nucléaire sont suffisamment bas pour dégager un profit non négligeable pour la société Vattenfall. Tableau 29 : Coût de production de l'électricité nucléaire (centimes €/kWh) (source : Vattenfall)
En l'occurrence, les prix de l'électricité sur le Nord Pool ont été inférieurs au coût de production de l'électricité nucléaire entre 1997 et 2001, en partie en raison de l'existence d'une taxe spécifique sur le kWh nucléaire. Au contraire d'un exploitant comme British Energy, l'exploitant nucléaire Vattenfall a réussi à baisser ses coûts de production pour rétablir la situation et profiter de la flambée des prix spots sur le Nord Pool fin 2002-début 2003. Depuis 1996, le marché de l'électricité est en effet totalement dérégulé en Suède173. En outre la Suède fait partie du marché de l'électricité des pays scandinaves et de la Finlande, intitulé Nord Pool174. Vattenfall considère que le prix d'équilibre à long terme sur le Nord Pool est de l'ordre de 22 € / MWh. Si le nucléaire est pour le moment compétitif, en revanche il n'est pas suffisant pour permettre de construire de nouvelles centrales nucléaires. Quelles sont les filières de production d'électricité qui seront choisies dans les 10 ans qui viennent pour couvrir l'augmentation de la consommation ? Le démarrage du 5ème réacteur finlandais étant mis à part175, les prévisions de Vattenfall pour les quatre pays du Nord Pool mettent en lumière le rôle déterminant, actif ou passif, des pouvoirs publics. Tableau 30 : Prévisions d'extensions de capacité de production sur le Nord Pool (source : Vattenfall)
En Suède, Vattenfall prévoit que l'augmentation de production la plus importante - + 4,9 TWh par an - viendra de l'augmentation de puissance des réacteurs nucléaires en service, qui sera réalisée à l'occasion des grands carénages ouvrant la voie à une durée d'exploitation de 40 ans. A l'inverse, l'arrêt de Barsebäck 2, qui n'est pas du tout certain, retrancherait 4,3 TWh. L'autre contribution déterminante sera celle de l'éolien dans l'hypothèse où le Gouvernement suédois rendra obligatoire l'achat de certificats verts par les consommateurs. Selon Vattenfall, le prix de l'électricité serait stabilisé dans les dix prochaines années moyennant les développements de capacité de production présentés ci-dessus. La mise en service du 5ème réacteur finlandais en 2010 permettrait même une diminution du prix de l'électricité en fin de période. Dans les dix prochaines années, la construction d'un nouveau réacteur nucléaire sur le Nord Pool est donc très peu probable, selon Vattenfall. Quelles conditions permettraient toutefois d'infirmer ce pronostic ? Si on se limite au cas de la Suède, il faudrait en premier lieu que le Gouvernement renonce à mettre en place des certificats verts, ce qui compromettrait le développement de l'éolien, d'où un déficit de 4,7 TWh par an. A l'inverse, une taxe sur le CO2 appliquée à l'électricité produite à partir de combustibles fossiles plaiderait en faveur du nucléaire. Enfin, la taxe spécifique sur le kWh nucléaire, qui s'élève à 15 % de son coût de production, devrait être supprimée par rendre l'option nucléaire attractive pour un opérateur international multi énergies comme Vattenfall. Il s'agit là de conditions qui ont une dimension politique évidente et qui semblent difficiles à réunir. D'ici à 2015, la disparition du nucléaire déséquilibrerait complètement le fonctionnement du Nord Pool et pourrait même mettre en cause son existence. Ainsi, l'ouverture et l'interconnexion des marchés au sein du Nord Pool jouent pour le moment un rôle de frein évident au développement du nucléaire. Mais le terme des 40 années de fonctionnement des réacteurs suédois se profilant à l'horizon de 2015, de nouvelles opportunités pourraient apparaître à cette date. On voit donc l'importance pour un pays constructeur comme la France d'être prêt à fournir à cette échéance des réacteurs nucléaires adaptés aux besoins des pays du Nord de l'Europe. Malgré l'objectif politique d'une sortie du nucléaire posé le 14 juin 2000, on peut se demander si l'Allemagne ne devra pas moduler son projet à la manière suédoise. Peut-on donner un rendez-vous à 10 ans pour le redémarrage du nucléaire en Allemagne ? Pour un grand groupe énergétique, d'origine allemande mais largement internationalisé comme E.ON, la nécessité de construire à long terme de nouvelles centrales nucléaires en Allemagne est incontestable179. C'est essentiellement pour cette raison qu'E.ON participe à la mise au point du projet EPR. A quel moment un exploitant comme E.ON s'engagera-t-il d'une manière déterminée dans la voie d'un redémarrage des activités nucléaires ? Selon un de ses dirigeants, ce moment dépend moins de la situation politique que de la situation économique et de l'économie de l'énergie, dans la mesure où les options politiques ne peuvent ignorer les contraintes économiques. Pour E.ON, la politique nucléaire du Gouvernement de M. Schröder n'est possible qu'en raison de circonstances tout à fait particulières. Des surcapacités de production d'électricité existent actuellement en Europe, ce qui permet à l'Allemagne d'envisager sans trop de difficulté la réduction du nombre des réacteurs nucléaires. Grâce à l'interconnexion des réseaux nationaux et à l'internationalisation des producteurs d'électricité allemands, une certaine délocalisation de la production d'électricité est envisageable. Ces évolutions ne sont pas sans influence sur l'avenir du nucléaire. Mais d'autres facteurs agissent également pour retarder le redémarrage du nucléaire. L'un des plus importants est sans doute celui de la libéralisation des marchés de l'électricité qui a changé la donne pour les investisseurs. Pour tirer tous les avantages d'un réacteur nucléaire, il faut l'exploiter pendant 40 ans au moins. Or une telle durée dépasse les capacités d'une entreprise privée dans un système libéralisé. L'évolution du prix des combustibles fossiles est un autre facteur susceptible de retarder le redémarrage du nucléaire dans tous les pays, mais en particulier en Allemagne, le rôle du charbon et du lignite produits localement compliquant encore la situation180. Indépendamment des ressources nationales, les combustibles fossiles d'importation constituent également d'importants concurrents pour le nucléaire. Au début 2003, compte tenu du prix du charbon sur le marché international, le coût du kWh produit par une centrale thermique installée sur la côte et brûlant du charbon importé était compétitif avec celui du nucléaire. De même, le prix peu élevé du gaz naturel avantage les centrales à cycle combiné au gaz, qui présentent également l'intérêt essentiel d'être amorties en dix ans. En conséquence, si elle devait décider dans les prochains mois d'augmenter ses capacités de production d'électricité, la société E.ON ferait sans aucun doute le choix d'un cycle combiné à gaz. A moyen terme, le choix du gaz lui apparaît toutefois plus contestable181. S'agissant des énergies renouvelables, les producteurs d'électricité estiment que leur apport est limité en volume et qu'elles sont d'un coût rédhibitoire. Selon E.ON, le véritable coût de production du kWh éolien est quatre fois supérieur à celui du kWh produit dans une centrale à charbon moderne. E.ON estime que les subventions octroyées à l'éolien sont « indéfendables » et pourraient être dépensées plus utilement, mais il existe à l'heure actuelle un consensus dans la société allemande pour les maintenir. Ces incertitudes à moyen terme sur le prix des combustibles fossiles renforcent sans aucun doute l'intérêt du nucléaire à la même échéance. Un autre facteur est favorable au redémarrage du nucléaire à moyen terme. Le volume des capacités de production d'électricité va diminuer d'ici 10 ans, du simple fait du vieillissement des centrales nucléaires actuellement en service et de l'arrêt de certaines d'entre elles, même si on peut s'attendre à la prolongation de la durée de vie de plusieurs autres. Des investissements seront donc nécessaires dans plusieurs pays européens. L'existence d'un butoir évident à 10 ans prouve, selon E.ON, la nécessité de maintenir ouverte l'option nucléaire. Pour RWE182, un grand nombre de centrales devront être remplacées à partir des années 2010, dans toute l'Europe. Si la lutte contre le changement climatique devait se renforcer, la pénalisation des émissions de CO2 serait indispensable, ce qui renforcerait encore l'intérêt de l'électronucléaire. D'où l'importance pour les constructeurs de réacteurs nucléaires d'être prêts à répondre aux besoins du marché avec des modèles nouveaux mais éprouvés. Les perspectives du nucléaire aux Etats-Unis sont également réelles à l'horizon du début des années 2020. Selon l'EIA (Energy Information Administration)183, l'application du programme énergétique « National Energy Policy » élaboré par la task force du Vice-président Dick CHENEY, se déroule correctement. Certes, le projet de loi sur l'énergie de 2002 n'a pas permis d'atteindre tous les objectifs, mais un nouveau projet est en cours d'examen. Mais s'agissant du nucléaire, le problème essentiel est un problème de coûts184. Au début des années 1990, l'EIA prévoyait un déclin graduel des capacités nucléaires installées aux Etats-Unis. En 2003, selon l'EIA, le mouvement est inversé. Les premiers renouvellements de licences d'exploitation ayant été accordés sans difficulté, la plupart des centrales devraient l'obtenir. Deux autres facteurs devraient contribuer à l'accroissement des capacités : l'augmentation de la puissance de certains réacteurs et celle des coefficients de capacité. Par comparaison avec la construction de nouvelles centrales, la prolongation de la durée de vie représente un investissement beaucoup moins élevé. Comprenant tous les investissements nécessaires sur la période 40 à 60 ans et estimé en « net present value », le coût moyen de la prolongation de 20 ans de la licence est en effet estimé à 250 $/kW. Au delà de la maximisation du potentiel productif du parc installé, la construction de nouvelles centrales ne se produira, selon l'EIA, que si les coûts d'investissement dans le nucléaire baissent. Les constructeurs annoncent un coût d'investissement de 1100 $/kW, mais l'EIA estime que ce niveau est irréaliste. Au contraire, l'EIA prend comme hypothèse un montant de 2000 $/kW pour le premier exemplaire d'un nouveau modèle de réacteur (« first-of-a-kind cost »), ce coût incluant les frais financiers correspondant à la période de construction (« financing costs during construction ») et le coût des aléas (« contingencies ») - soit 17 % du total. Selon l'EIA, le coût « overnight », correspondant aux dépenses à acquitter si le réacteur était construit en un jour, s'élève à 1800 $/kW185. Dans ces conditions, l'EIA démontre qu'aucun nouveau réacteur ne sera construit avant 2025186. A l'inverse, l'EIA avance qu'une baisse significative des coûts d'investissement pourrait entraîner des commandes nouvelles. Si une série de 6 réacteurs était construite, les coûts d'investissement pourraient baisser jusqu'à 1200 $/kW. Le montant de nouvelles capacités nucléaires atteindrait alors 14 000 MW en 2025, soit entre 10 et 14 nouveaux réacteurs mis en service industriel à cette date. S'agissant des modèles des réacteurs qui pourraient entrer en service à cette date, il ne fait aucun doute qu'il s'agira de réacteurs de la Génération 2015. La NEI n'attend pas de besoin de production en base avant 2010-2020. Pour le Nuclear Energy Institute, qui ne prévoit pas de besoin de production d'électricité en base avant 2010-2020, les capacités nouvelles mises en service devraient s'élever à 10 000-15 000 MWe en fin de période, si plusieurs conditions sont remplies. Pour atteindre cet objectif, il faudra que le démonstrateur du nouveau réacteur soit un succès. Il faudra également que les 5 à 6 premiers réacteurs de la série bénéficient d'une aide financière, car les coûts de développement, répartis sur ces 5 à 6 réacteurs, alourdiront la facture. Une fois ce cap franchi, il n'y aura plus d'obstacle à la construction de 10 à 15 000 MWe. Certains experts estiment que les compagnies d'électricité trouveront avantage à s'entendre entre elles pour choisir un modèle unique, de manière à faire baisser les coûts et à éviter les inconvénients de la non standardisation187. Dans ces conditions, le premier réacteur construit, jouant le rôle de standard de fait, pourrait ensuite être édifié à plusieurs exemplaires, d'où l'importance pour les industriels d'emporter le premier contrat188. Selon le Groupe AREVA, la croissance du nucléaire en Asie devrait être forte dans les années à venir. Ainsi, entre 2002 et 2017, la capacité nucléaire installée devrait passer de 45 à 64 GWe au Japon, de 5 à 11 GWe en Chine et de 20 à 23 GWe en Corée du Sud189. Le marché chinois a déjà été pénétré par Framatome ANP avec son modèle CPY de 1000 MW à 3 boucles de refroidissement. Ainsi, Framatome a fourni pour Lingao-1 & 2 des réacteurs standard. En revanche pour Qinshan II-2, la Chine a acheté la centrale par grands types de composants pour en faire elle-même l'assemblage. Framatome ANP a pour but de convaincre ses partenaires chinois de définir leur propre modèle de centrale en retenant l'approche française. En tout état de cause, la Chine a défini une politique nucléaire nationale qui pourrait permettre à Framatome ANP de proposer la « sinisation » ou une évolution locale de parties plus ou moins importantes de l'EPR. L'accord de transfert de technologies devrait intervenir dans la phase de préparation du 12ème Plan qui débutera en 2011. Depuis longtemps, Framatome ANP a des relations étroites avec les entreprises chinoises impliquées dans le nucléaire qui redéfinissent actuellement leurs méthodes d'ingénierie, ce qui devrait placer Framatome en bonne position. A moyen terme, le Vietnam pourrait représenter à son tour un nouveau marché. Proches des Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud n'offrent pas de perspectives pour Framatome, sauf peut-être au terme d'une évolution qui sera longue à construire. N'ayant pas signé les accords internationaux sur les technologies atomiques, l'Inde, après avoir de surcroît choisi la filière Candu proliférante, s'est récemment rapprochée de la Russie. Les barrières à l'entrée de Framatome ANP sur ce marché sont donc nombreuses, même si l'Inde est intéressée par les concepts occidentaux, tout en étant très attachée à son autonomie. Il est toutefois certain que l'Inde devra construire un jour des centrales et, pour ce faire, signer les accords de non prolifération. Une fois que ce marché de très grande ampleur sera ouvert, avec des transferts de technologies à la clé, la concurrence entre constructeurs occidentaux sera acharnée. Grâce à Siemens KWU qui a construit le réacteur PWR de 1300 MWe d'Angra-2 et fourni différents équipements pour l'hydroélectricité et les centrales à gaz, Framatome ANP est déjà présent au Brésil. Mais le développement du nucléaire au Brésil se heurte à des difficultés de financement. L'Allemagne ayant promis de financer le réacteur d'Angra-3, le Brésil met la priorité sur l'achèvement de ce réacteur, même si le Gouvernement SPD-Verts de M. Schröder n'a pas confirmé l'engagement du pays. Compte tenu des différents types de réacteurs en concurrence sur les prochains marchés, un débat s'est engagé, opposant les partisans des réacteurs de moyenne puissance et ceux favorables aux réacteurs de forte puissance. Quels réacteurs correspondent le mieux aux besoins des exploitants ? En réalité, en matière de production d'électricité, la taille est toujours synonyme d'économies, quelle que soit la filière. Si la forte puissance de l'EPR a pu être critiquée, il convient toutefois de signaler qu'un pays comme la Malaisie envisage de construire une centrale à charbon de 2400 MW. Quant à la Finlande, son appel d'offres porte sur un réacteur d'une puissance d'au moins 1000 MWe. Dans la réalité les producteurs d'électricité sont contraints de privilégier les solutions efficaces et donc d'acheter des réacteurs nucléaires de forte puissance. Ainsi la Chine porte son choix sur les réacteurs de 1000 MWe, le Japon sur des réacteurs de 1700 à 1800 MWe et les Etats-Unis sélectionneront, le moment venu, des réacteurs de 1000 à 1500 MWe. La compétitivité n'est pas le seul argument en faveur des réacteurs de forte puissance. Deux autres arguments fondamentaux plaident en leur faveur. Il existe une limite à la densité des réseaux, qui ne peuvent être développés indéfiniment dans les pays industriels, d'où la nécessité de ne pas multiplier les lieux de production. Par ailleurs, compte tenu des facteurs géographiques et des contraintes d'acceptabilité par les populations, le nombre de sites pour les centrales est limité. A ce titre, on peut penser que les nouveaux réacteurs seront construits à proximité des réacteurs déjà en fonctionnement. Selon Framatome ANP190, le réseau électrique français ne serait pas perturbé par l'introduction d'un EPR. En réalité, un réseau de transport de pointe comme le réseau français peut aussi bien écouler la production de quatre réacteurs de 1000 MWe que de trois réacteurs EPR de 1500 MWe. Quoi qu'il en soit, il est évidemment préférable, en termes d'environnement et d'acceptation par la population, de disposer de 19 centrales au lieu de 40 centrales deux fois plus petites. Au reste, si les réacteurs de petite taille ont pu susciter un intérêt pendant un moment, ils semblent avoir disparu de la compétition, ainsi pour l'AP 600 de Westinghouse. A fortiori, les réacteurs de 300 MW avec les technologies actuelles des réacteurs à eau légère n'auraient pas de marché, car leurs coûts d'investissement et de production seraient trop élevés. Dès lors, on peut penser qu'à l'avenir, un partage du marché pourrait s'opérer entre le nucléaire et le gaz, en fonction de la puissance requise. Les centrales électriques de moyenne puissance, c'est-à-dire de 600 MWe, pourraient être des cycles combinés à gaz, fonctionnant en semi base ou en pointe. Au contraire, les centrales de forte puissance, assurant la base de la fourniture d'électricité, seront des réacteurs nucléaires de 1000 à 1500 MWe. De même qu'il apparaît souhaitable que l'État actionnaire prenne en compte la décision de l'exploitant de construire l'EPR, de même il apparaît souhaitable que le groupe AREVA, libre de sa stratégie concernant les réacteurs, prenne ses responsabilités tant pour le marché français que pour les marchés internationaux. Selon les propos de Mme Lauvergeon191, tous les scénarios énergétiques à long terme montrent une reprise quasi-certaine de l'énergie nucléaire à l'horizon 2050, en raison de l'épuisement des réserves d'énergie fossiles, de la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre et grâce à la disponibilité de technologies nucléaires améliorées en termes de rendements et de sûreté. A court moyen terme, Framatome ANP devra toutefois s'efforcer de remporter des commandes-tests qui auront valeur d'exemple. En réponse à l'appel d'offres de TVO sur le 5ème réacteur finlandais, Framatome ANP a proposé à la fois l'EPR et son réacteur à eau bouillante SWR 1000. Pour le marché américain, Framatome ANP fait sa propre analyse des débouchés, qui semble plus optimiste que celle du Gouvernement américain192. Les responsables de Framatome ANP Inc. jugent peu probables des commandes rapides sur le marché nord-américain. Une condition nécessaire pour qu'un EPR soit commandé aux Etats-Unis, serait qu'il soit d'abord construit en France. Une commande aux Etats-Unis pourrait alors intervenir vers 2012. Mais la question est posée de savoir si l'EPR conviendrait aux besoins du marché nord-américain. Selon Framatome ANP193, les producteurs d'électricité américains jugent optimal un parc de production où le nucléaire, les centrales à charbon, les centrales à gaz représentent chacun environ 25 % du total. A l'instar des réacteurs nucléaires, mais dans une moindre mesure toutefois, les centrales thermiques, en particulier à charbon, ont une très grande longévité. Une caractéristique importante du parc de centrales électriques américaines est d'être constitué d'un nombre important de centrales de petite taille. Les centrales d'une puissance comprise entre 100 et 499 MW étaient en effet au nombre de 1686 au début 2003. Or les trois quarts de ces centrales de petite puissance sont âgés. Les responsables de Framatome ANP Inc. sont donc enclins à penser que les compagnies d'électricité dont le parc nucléaire est d'une taille insuffisante pourraient choisir de remplacer de 5 à 6 centrales à charbon de petite taille fonctionnant sur un même site par un réacteur nucléaire de forte puissance comme l'EPR. Pour d'autres connaisseurs du marché américain194, une telle solution est très improbable, pour plusieurs raisons. Assurant aujourd'hui 50 % de la production d'électricité américaine, le charbon joue un rôle économique structurant qui n'est pas prêt de se réduire dans ce pays. Par ailleurs, le parc de production électrique étant relativement dispersé actuellement, le réseau électrique ne serait pas nécessairement capable d'absorber la production d'un EPR de 1500 MWe. En tout état de cause, il appartient au Groupe AREVA et à lui seul de déterminer sa stratégie et de vérifier si sa gamme de réacteurs nucléaires pour le futur est adaptée aux besoins du marché tels qu'ils s'exprimeront par un nombre limité de commandes tests dans les toutes prochaines années. La capacité des marchés à prendre en compte les impératifs du long terme est une question certes débattue par les économistes, mais à laquelle la réponse donnée dans la pratique est clairement négative. On a vu, dans le cas des marchés dérégulés des Etats-Unis, à quel point les compagnies d'électricité mettent au premier rang de leurs priorités l'abaissement de leur prix de revient et la maximisation de leurs profits dans les heures de pointe où des équipements à faibles coûts variables peuvent se révéler de véritables « cash machines ». Dans ces conditions, en situation de concurrence sur des marchés dérégulés, la priorité est bien pour des compagnies d'électricité cotée en Bourse à la maximisation du profit et non pas l'investissement à long terme. Parfaitement conscient du fait que, dans ce cas, le nucléaire en place peut repousser les commandes de nouvelles tranches au-delà du raisonnable et des capacités de survie de l'industrie, le Département de l'Énergie a mis en place, dans le cadre de son programme NPI 2010 (Nuclear Power Initiative), une politique globale à plusieurs dimensions, qui porte aussi bien sur les procédures réglementaires d'autorisation, que sur le soutien financier aux investissements et même sur la mise en place de crédits environnementaux. Les Etats-Unis prennent ainsi acte du fait que l'intervention de l'État est indispensable en complément aux marchés. L'Union européenne serait bien inspirée de tempérer ses inclinations libérales d'un peu de pragmatisme américain. Quant à la France, elle ne doit pas hésiter à continuer de pratiquer un sain interventionnisme de l'État en imaginant des mécanismes de soutien aboutissant au moins à la prise en charge des frais de développement, désignés sous le vocable « first-of-a-kind costs », c'est-à-dire coûts de la première fois. L'électronucléaire est la seule filière de production de l'électricité qui intègre se coûts externes, en incluant dans ses coûts de production, les coûts de démantèlement et de gestion des déchets radioactifs. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques195 a, dès 1999, souligné l'importance de l'étude ExternE réalisée par la Commission européenne qui chiffre les coûts externes sur la santé publique et l'environnement des différentes filières de production, centrales thermiques au charbon, au gaz, au fuel, éoliennes, centrales nucléaires. Les outils de politique économique permettant de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre ont, pour leur part, été étudiés en détail par l'Office parlementaire dans son rapport sur les énergies renouvelables196. Dans l'Union européenne, l'accent est pour le moment mis sur la seule production d'électricité par les énergies renouvelables, avec la directive 2000/77/CE du 27 septembre 2001 qui demande à tous les États membres de fixer des objectifs de consommation d'électricité renouvelable de façon que l'Union européenne atteigne en 2010 l'objectif de 12 % de consommation intérieure brute d'énergie provenant des renouvelables et l'objectif de 22,1 % d'électricité renouvelable. En conséquence, la France devra passer de 15 % du total en 1997 à 21 % en 2010. Dans ce domaine, les États se voient fixer pour le moment des objectifs indicatifs, à charge pour eux de mettre en place les politiques idoines. De la même façon, les États sont libres d'adopter les mesures de politique énergétique interne leur permettant d'atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre s'imposant aux signataires du Protocole de Kyoto197. Si la lutte contre le changement climatique requiert des mesures plus déterminées et donc une implication plus grande des États, on peut s'attendre à ce qu'il soit impératif de mettre en place des instruments d'internalisation des coûts externes des énergies fossiles afin de parvenir à réduire les émissions de CO2, comme la taxation des émissions de CO2. L'introduction d'une telle taxe, qui ne doit pas être exclue, changerait complètement la compétitivité relative du nucléaire. Il en serait de même pour des taxes sur les émissions de NOx et de SOx. La politique suivi par les Etats locaux pourrait, à cet égard, jouer un rôle important. Le New Hampshire taxe ainsi les émissions de SO2, ce qui ne peut que renforcer la compétitivité du nucléaire au détriment du gaz et du charbon. Le Massachusetts en étudie la possibilité. Mais au-delà des ces évolutions nécessairement de longue durée, d'autres mesures de soutien à la construction de nouveaux réacteurs nucléaires doivent être envisagées, dont les Etats-Unis donnent un exemple intéressant. 2. Le soutien actif du Gouvernement américain à la mise en service de nouveaux réacteurs nucléaires en 2010 En février 2002, le Secrétaire à l'Énergie Spencer Abrahams a annoncé le lancement du programme Nuclear Power Initiative 2010, dont l'objectif est la mise en service industriel d'un nouveau réacteur nucléaire à cette date. Ceci signifie que le DOE a pour objectif de créer les conditions pour qu'une compagnie d'électricité au moins prenne la décision de construire un nouveau réacteur au plus tard à la fin 2005. En conséquence, le DOE a prévu un programme d'action très complet. Ce programme est activement soutenu par le sénateur républicain du Nouveau Mexique, M. Pete Domenici, Président de la Commission de l'énergie et des ressources naturelles du Sénat, qui s'apprêtait à la mi-mars 2003 à lancer dans la procédure parlementaire une nouvelle proposition de loi sur l'énergie. Constatant que la prolongation des centrales actuellement en fonctionnement, indispensable sur un plan économique, diminue l'opportunité de construire de nouveaux réacteurs, le DOE travaille à atténuer les préoccupations des exploitants concernant le financement et les autres difficultés relatives à la construction d'un nouveau réacteur198. Concrètement, l'objectif du DOE est qu'une compagnie d'électricité prenne, au plus tard en décembre 2005, la décision de construire un nouveau réacteur et commence à l'exploiter en 2010 La NRC ayant modifié dans le sens de la simplification ses procédures d'autorisation de construction, le programme du DOE vise à démontrer que cette nouvelle procédure fonctionne correctement. Cette démonstration doit être faite pour l'obtention d'un permis de site avancé « Early Site Permit ». En mars 2003, trois permis avaient déjà été accordés, à trois compagnies d'électricité différentes199. Par ailleurs, le DOE travaille à la publication d'une procédure refondue de certification de nouveaux réacteurs « Reactor Design Certification (DC) and Technology Development », qui devait être publiée en avril 2003. Enfin, la NRC devrait mettre en vigueur une nouvelle procédure d'autorisation combinée « Combined Operating License (COL) », à la fin de l'année 2003. Des aides seront données pour le test de ces procédures. Le Nuclear Energy Institute attend beaucoup de la nouvelle procédure à trois volets « Early Site Permit », « Certified Design » et « Combined Construction & Operating License »200. Pour le DOE, il ne fait aucun doute que les réacteurs concernés par le NPI 2010 sont ceux dits de la Génération 2015 dans le présent rapport201. En tout état de cause, il en va de la survie de l'industrie nucléaire : « Si des réacteurs de la Génération 2015 ne sont pas construits, les compétences intellectuelles et les infrastructures industrielles ne survivront pas jusqu'en 2020 »202. Le principal mécanisme envisagé par le DOE pour amorcer le processus de construction de réacteurs de la Génération 2015 est celui de prêts du Gouvernement. En effet, des recherches de base ne sont pas nécessaires pour ce type de réacteurs. Le principal obstacle est celui du financement des coûts de développement. Des prêts accordés par le Gouvernement devraient contribuer à lever des barrières importantes et à améliorer les perspectives d'un projet de construction de réacteur. Le Nuclear Energy Institute, organisme professionnel du nucléaire aux Etats-Unis, démontre qu'un prêt à long terme remboursable octroyé par le Gouvernement aurait un effet de levier important sur le plan financier. Si ce prêt représentait 50 % de l'investissement, la compagnie d'électricité financerait 25 % du total avec des capitaux propres et le dernier 25 % par un emprunt auprès d'une banque commerciale, qui serait remboursé avant le prêt gouvernemental. Dans cette hypothèse, les besoins en capitaux propres seraient divisés par deux et le taux interne de rendement serait multiplié par deux, ce qui serait une motivation supplémentaire pour les exploitants à se lancer dans la construction d'un nouveau réacteur. Des mécanismes de ce type devraient donc, selon le NEI, être impérativement mis en place pour permettre l'investissement à long terme de sociétés cotées sur les marchés financiers. D'autres mesures sont proposées par le Nuclear Energy Institute pour accélérer le retour sur investissement et le ramener à 5-7 ans. Au lieu de porter sur 15 ans, la durée d'amortissement devrait passer à 7 ans. Sur la même ligne que le DOE et que l'industrie, le Sénateur république du Nouveau Mexique, M. Pete Domenici, accordait, début mars 2003, une place prioritaire à la question de l'incitation à construire de nouveaux réacteurs nucléaires203. Aucune compagnie d'électricité n'ayant pour le moment l'intention de construire un nouveau réacteur, que faire pour qu'en 2005-2006-2007, il y ait des projets significatifs dans ce domaine ? Pour M. Domenici, un ensemble de mesures doivent être prises pour réduire les risques financiers des compagnies souhaitant s'y lancer. Les coûts de développement204 d'un nouveau réacteur constituent un obstacle financier important à toute initiative, du fait de leur montant élevé et du fait de l'incertitude régnant sur la responsabilité de leur prise en charge. Début mars 2003, le sénateur Domenici entendait donc proposer en conséquence que, pour les 6 premiers réacteurs, une aide particulière soit apportée aux entreprises ou aux consortiums d'entreprises passant une commande. Une série de 6 réacteurs est, en effet, suffisante pour couvrir les coûts de développement, les coûts diminuant ensuite fortement. Selon la même proposition, le secrétaire à l'Énergie devrait être autorisé à négocier des prêts, à garantir des prêts ou à ouvrir des lignes de crédits au profit des candidats, à hauteur de 750 millions $ par réacteur. Il devait également être autorisé à rentrer dans des négociations visant à l'achat d'avance d'électricité pour 10 ans. Selon cette proposition, le remboursement des prêts serait également prévu à partir de la 10ème année d'exploitation, c'est-à-dire 10 ans après la fin de la construction du réacteur. Au cas où, au cours de cette première période d'exploitation de 10 ans, des interruptions d'exploitation seraient survenues du fait de la réglementation et non pas du réacteur ou des exploitants eux-mêmes, la date de remboursement du prêt aurait été retardée d'autant205. L'intention de M. Domenici était que ces dispositions entrent en vigueur dès la promulgation de la loi, pour un délai de 10 ans se terminant au plus tard dix ans après 2010, année de référence de la Nuclear Power Initiative, soit 2020. Tout projet sera éligible, à condition d'appartenir à la série des 6 premiers réacteurs. La discussion de ces propositions devait intervenir à la mi mai 2003 au Sénat. La Chambre des représentants ayant pour sa part adopté son propre texte sur l'énergie, l'adoption d'un texte définitif n'était pas attendue avant la fin de l'année 2003, le texte final pouvant comporter des modifications sensibles. Quel que soit la suite réservée à ces propositions, il est important de noter que le président de la commission de l'énergie et des ressources naturelles du Sénat des Etats-Unis, pourtant républicain, n'hésite pas, faisant fi de tout libéralisme, à préconiser des aides de l'État pour la construction d'une série de nouveaux réacteurs nucléaires. Confrontée au même problème, il serait étonnant que la France lui apporte une solution différente. 3. La nécessité de mettre en place une aide des pouvoirs publics pour la prise en compte du long terme L'équation économique du nucléaire est actuellement très simple. Les prix de vente sur les marchés spots de l'électricité sont actuellement en Europe de 20 à 25 € / MWh. Or les coûts de production pour le charbon et le gaz sont en moyenne de 35 € / MWh, et pour le nucléaire de 30 € / MWh pour une série de 10 réacteurs. A supposer que les marchés soient totalement dérégulés et que les marchés spots traitent la totalité des fournitures d'électricité, aucun investissement de production de masse d'électricité pour le remplacement du parc électronucléaire ne serait finançable dans les conditions de marché actuelles. Par ailleurs, le nucléaire se caractérise par un temps de retour sur investissement très long, ce qui complique son financement sur des marchés qui préfèrent les temps courts. Ainsi que l'écrit P. Girard206, « les marchés électriques contrairement aux marchés pétroliers n'offrent pas pour l'instant des produits financiers ou « derivatives » sur des durées suffisamment longues qui permettraient à une compagnie électrique de garantir une partie de ses ventes à un certain prix, et aussi aux banques de gérer le risque client associés aux prêts consentis ». Toute la question est donc de réintroduire l'impératif de la longue durée dans les choix énergétiques de la France. Répondant à cette préoccupation, les solutions envisagées aux Etats-Unis, avec l'encouragement à la passation de contrats de fourniture à long terme et des prêts à remboursables à taux réduits octroyés à l'exploitant, constituent des pistes qu'il conviendra d'étudier dans la perspective de la préparation du projet de loi d'orientation sur l'énergie. Introduction Chapitre 1 : La gestion de la durée de vie des centrales, un élément essentiel de l'optimisation du parc, mais un élément non suffisant Troisième partie du rapport Chapitre 2 : L'EPR et les autres réacteurs pour 2015, un lien entre les parcs d'aujourd'hui et de demain Quatrième partie du rapport Chapitre 3 : Un important effort de R&D nécessaire pour réussir, à l'horizon 2035, la mise au point des autres réacteurs en projet I.- Un foisonnement de projets pour 2035, ambitieux et multi usages, pour répondre à des préoccupations actuelles et préparer le grand futur de l'énergie 9 1. Des projets de réacteurs proposés par vagues successives 10 2. 2035 : un horizon commun pour des finalités différentes 12 II.- Les projets de réacteurs modulaires PBMR, GT-MHR et IRIS, une première vague d'innovations à finalités spécifiques 14 1. Les réacteurs modulaires à haute température refroidis à l'hélium, une voie déjà explorée dans les années 1960-1970 14 2. Le projet de réacteur modulaire de faible puissance PBMR, 16 3. Le projet GT-MHR, un réacteur à vocation plus stratégique que commerciale pour le moment 19 4. Le projet de réacteur intégré à eau pressurisée de moyenne puissance IRIS 25 III.- La production d'électricité et d'hydrogène, objectif des réacteurs de Génération IV 29 1. Les principales caractéristiques des réacteurs de Génération IV 29 2. Les systèmes à eau supercritique 32 3. Le réacteur à très haute température refroidi au gaz 33 4. Les réacteurs à neutrons rapides 38 5. Les réacteurs à sels fondus et le cycle du thorium 45 6. La priorité donnée au VHTR par les Etats-Unis 51 IV. Les nouveaux réacteurs et la gestion des déchets radioactifs 53 1. L'intérêt renouvelé pour la fermeture du cycle du combustible 53 2. Les réflexions en Suède 54 3. La R&D aux Etats-Unis pour la fermeture du cycle du combustible, une nouvelle orientation du DOE 57 4. Le cas de la France 58 V. Des projets pour 2035, en raison des verrous technologiques à lever et des démonstrations à apporter 61 1. Des verrous technologiques nombreux 61 2. Des démonstrations de sûreté complexes sur des concepts non éprouvés 62 3. Des calendriers allongés par d'indispensables démonstrations industrielles 63 VI.- Coopération internationale active et pluralisme en France, deux conditions pour une R&D nucléaire efficace 65 1. L'important effort des Etats-Unis et le risque de déséquilibre de la recherche mondiale 65 2. Un modèle de coopération internationale à inventer 67 3. Un nouveau pluralisme de la recherche sur le nucléaire à conforter en France 68 Conclusion 71 Cinquième partie du rapport RECOMMANDATIONS Examen du rapport par l'Office Composition du groupe de travail Liste des personnes auditionnées Audition publique du jeudi 3 avril 2003 Chapitre 3 : Un important effort de R&D nécessaire pour réussir, à l'horizon 2035, la mise au point des autres réacteurs en projet I.- Un foisonnement de projets pour 2035, ambitieux et multi usages, pour répondre à des préoccupations actuelles et préparer le grand futur de l'énergie La filière des réacteurs à eau légère, bouillante ou pressurisée, a connu depuis le début des années 1970 un succès extraordinaire, au point de représenter l'essentiel des capacités installées dans le monde. Figure 22 : Répartition par filière des réacteurs nucléaires en service dans le monde au 31 décembre 2001207 (source : Elecnuc-CEA) Ainsi, fin 2001, les réacteurs à eau légère en service dans le monde représentaient 87 % des capacités totales installées, contre 13 % pour l'ensemble des autres filières. Au sein des réacteurs à eau légère, les réacteurs à eau pressurisée, avec 65 % de la capacité mondiale installée, représentent l'écrasante majorité. Autre élément fondamental pour l'avenir des différentes filières nucléaires, l'expérience acquise avec les réacteurs à eau légère est tout simplement extraordinaire. Depuis le début de leur mise en service, au début des années 1970, ces réacteurs ont, en effet, produit plus de 32 000 milliards de kWh et accumulé 6300 années-réacteurs de fonctionnement, et 7250 années-réacteurs de fonctionnement, si l'on y ajoute les VVER russes. Si les réacteurs à eau légère bénéficient ainsi d'une position sans partage, c'est après avoir supplanté, par leurs performances technico-économiques, d'autres filières recourant pour les unes à l'uranium naturel au lieu de l'uranium enrichi, pour les autres à d'autres formats de réacteurs, à d'autres réfrigérants ou d'autres modérateurs. Pour autant, convaincus qu'un redémarrage des commandes est probable dans un futur proche, les organismes de recherche et certains constructeurs de réacteurs nucléaires s'attachent aujourd'hui à proposer un ensemble de filières nucléaires diversifiées. Les projets se plaçant dans la continuité des réacteurs à eau légère et s'efforçant d'améliorer encore leurs performances sont relativement peu nombreux. Au contraire, dans leur grande majorité, les projets de réacteurs nucléaires du futur s'attachent à revisiter des concepts étudiés quelquefois dans le détail dans les années 1960-1970, souvent abandonnés en raison de difficultés de mise au point ou de performances économiques décevantes et rarement réalisés. L'espoir des nouveaux concepteurs est, tout à la fois, que les verrous technologiques pourront à l'avenir être levés et que les performances techniques et économiques seront cette fois au rendez-vous. Les concepteurs de nouveaux réacteurs visent de nombreux objectifs, nécessitant de réaliser de véritables sauts technologiques. Pour les concepteurs de ces réacteurs, le premier saut qualitatif à opérer concerne la sûreté. Il conviendrait, à cet égard, de mettre au point des réacteurs intrinsèquement sûrs, c'est-à-dire pour les quels il n'existe aucune possibilité de fusion du cœur suite à une perte de contrôle de la réaction en chaîne. Le deuxième saut qualitatif, indispensable, devrait permettre que ces réacteurs ne produisent pas de déchets radioactifs à haute activité et à longue période ou n'en produisent qu'une quantité limitée par rapport aux réacteurs actuellement en service, de manière à réduire, voire à supprimer, les problèmes de l'aval du cycle. Une variante de cet objectif serait la mise au point de réacteurs consommateurs des déchets issus des autres filières. Troisième saut qualitatif visé, les réacteurs réellement innovants devraient pourvoir être, si nécessaire, d'une puissance d'une centaine de MWe, afin de pouvoir s'adapter à tous types de réseau. Une conception modulaire serait alors idéale. Une centrale électronucléaire de faible puissance pourrait en effet être construite avec un seul module pour des pays à infrastructures de réseau réduites. Quatrième saut qualitatif, les réacteurs révolutionnaires devraient pouvoir s'adapter à différents types d'application. En premier lieu, ces réacteurs devraient permettre la cogénération d'électricité et de chaleur à température moyenne ou élevée. Ils devraient aussi se prêter d'une part à la désalinisation de l'eau de mer et, d'autre part, à la production d'hydrogène à partir de l'eau, contribuant ainsi à l'avènement de l'économie de l'hydrogène, considérée par certains experts comme la seule solution à long terme pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Dans la pratique, depuis le début des années 1990, différents types de projets ont vu le jour par vagues successives, prenant en compte à des degrés divers les objectifs résumés précédemment. Les premiers projets à avoir marqué l'actualité du nucléaire sont d'une part le projet de réacteur hybride dit Rubbiatron qui date de la fin 1993208 et, d'autre part, les projets de réacteurs à haute température refroidis au gaz, intitulés PBMR (Pebble Bed Modular Reactor) et GT-MHR (Gas Turbine-Modular Helium cooled Reactor). Une seconde vague de projets a été lancée par l'initiative de 2001 du Département de l'Énergie (DOE) des Etats-Unis, intitulée Generation IV Nuclear Energy Systems Initiative, qui a réussi à fédérer autour de lui un ensemble d'organismes de recherche nucléaire de 10 pays dans une structure de coopération informelle appelée le GIF (Generation IV International Forum). Après avoir recensé toutes les pistes possibles pour des réacteurs nucléaires en rupture avec les réacteurs actuellement exploités, le GIF a sélectionné, en septembre 2002, six concepts sur lesquels convergeront les efforts de tous ses membres. Ces concepts sont les réacteurs à eau supercritique, les réacteurs à très haute température, les réacteurs à neutrons rapides refroidis au gaz, les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium, les réacteurs à neutrons rapides refroidis au plomb, les réacteurs à sels fondus209. Dans cette même vague, mais n'appartenant pas à l'ensemble des 6 concepts du GIF, figure aussi le réacteur IRIS de Westinghouse dont le développement suit d'autres voies. Simultanément, les réflexions sur les réacteurs hybrides ont repris au début des années 2000, débouchant sur le concept d'ADS (Accelerator Driven Systems), dans le cadre des recherches sur l'aval du cycle du combustible nucléaire et sur les méthodes de transmutation des déchets radioactifs de haute activité et à vie longue. Pour tenter d'ordonner les résultats de cette nouvelle créativité du secteur nucléaire, plusieurs types de critères sont souvent utilisés (voir figure ci-après). Figure 23 : typologies utilisées pour classer les réacteurs en projet Le premier critère peut être celui de l'objectif recherché : production d'électricité, de vapeur ou d'hydrogène, recyclage de déchets. Une deuxième distinction peut être faite à partir des combustibles utilisés ou acceptés par le réacteur considéré : uranium naturel ou enrichi, uranium pur ou mélange d'uranium et de plutonium, actinides. On peut aussi différencier les réacteurs selon leur réfrigérant ou leur modérateur. On peut enfin faire appel à la physique neutronique et distinguer les réacteurs à neutrons thermiques des réacteurs à neutrons rapides. Tous ces réacteurs ont en commun de ne pas être opérationnels et de devoir faire l'objet de travaux importants de recherche et développement et de tests, à une échelle réduite ou à une échelle industrielle. Trois stades seront donc nécessaires pour leur développement210. En premier lieu, après avoir levé les verrous technologiques qui les ont, dans le passé, empêchés de percer, il conviendra de réaliser un pilote technologique pour chacun d'entre eux. Puis devra être franchie l'étape du démonstrateur industriel, destinée à vérifier l'adéquation de la filière étudiée à une exploitation économique. Enfin pourra débuter la construction en série de ces réacteurs. Bien entendu les dates de mise en service industriel des ces futurs réacteurs ne sont pas strictement identiques selon les filières. On peut d'ailleurs remarquer que quatre réacteurs de la filière à neutrons rapides refroidis au sodium étaient opérationnels au début 2003211. Pour les réacteurs à très haute température, les estimations de mise en service d'un démonstrateur peuvent varier de dix ans selon les experts. Toutefois, en l'état actuel des connaissances technologiques, la mise en service industriel d'aucun de ces réacteurs n'est réellement attendue avant 2035. C'est pourquoi l'on désignera dans la suite l'ensemble de ces projets sous le nom de réacteurs pour 2035. II.- Les projets de réacteurs modulaires PBMR, GT-MHR et IRIS, une première vague d'innovations à finalités spécifiques Les réacteurs à haute température - environ 800 °C - fonctionnant avec de nouveaux types de combustible - boulets, galets ou billes d'uranium -, et refroidis au gaz, constituent une voie, à laquelle l'industrie mondiale a accordé une réelle attention dans les années 1990. En réalité, il s'est agi de la réactivation de concepts étudiés dans le passé, et dont l'intérêt semble être en partie retombé. 1. Les réacteurs modulaires à haute température refroidis à l'hélium, une voie déjà explorée dans les années 1960-1970 La piste des hautes températures a déjà été étudiée dans les années 1960-1970. Première caractéristique, le combustible était conditionné sous forme de noyaux d'oxyde ou de carbure d'uranium, de plutonium ou de thorium, enrobés de pyrocarbone et de carbure de silicium censés empêcher les produits de fission de s'échapper des sphères de combustible. Deuxième caractéristique, le gaz caloporteur envisagé était l'hélium, afin d'atteindre des températures de l'ordre de 800 °C qui permettent un rendement thermique élevé de 40 %. Ces options technologiques ont été étudiées d'une manière approfondie en Allemagne et aux Etats-Unis, avec la construction successive de réacteurs expérimentaux de faible puissance, puis de démonstrateurs technologiques (voir tableau ci-après). Tableau 31 : Les réacteurs à haute température des années 1960-1970 (source : Oak Ridge National Laboratory, US DOE - Elecnuc, Edition 2002, CEA)
L'Allemagne a réalisé d'importants travaux de recherche sur les réacteurs à haute température. Ses investissements de R&D dans ce domaine ont atteint au total 3,5 milliards d'euros212, sur la période 1960-1990. Les enseignements tirés du réacteur expérimental AVR de 13 MWe de Julich ont été assez convaincants pour justifier la construction du THTR de Uentrop, un réacteur refroidi au gaz de 296 MWe, utilisant du combustible uranium-thorium sous forme de galets. Quant aux Etats-Unis, si leur réacteur expérimental de 40 MWe de Peach Bottom a donné toute satisfaction, en revanche le réacteur de Fort Saint Vrain de 330 MWe a rencontré de nombreux problèmes, en particulier des entrées d'eau dans les circuits du caloporteur obligeant à des arrêts fréquents213. Les épigones de cette première génération de réacteurs à haute température au relatif succès, sont aujourd'hui le projet PBMR conçu pour les nouveaux marchés de pays à infrastructures de réseau électrique limitées et le projet GT-MHR qui a pris une actualité soudaine mais semble-t-il réduites dans le temps en tant que réacteur destiné à consommer le plutonium provenant de la démilitarisation des ogives nucléaires. Le réacteur PBMR (Pebble Bed Modular Reactor) est un projet de réacteur à haute température d'une puissance unitaire de 100 MWe utilisant comme combustible des galets d'uranium faiblement enrichi enrobé dans du carbone et recourant à l'hélium comme fluide caloporteur, qui a été lancé au début des années 1990 et abandonné en 2002. Le PBMR est une tentative de réacteur de petite taille, supposé intrinsèquement sûr et fonctionnant en continu sur une longue période. Dans ce projet, le combustible était conditionné sous forme de billes millimétriques recouvertes de matériaux réfractaires et agglomérées ensuite en galets ayant un diamètre de 6 cm, soit environ celui d'une balle de tennis. Figure 24 : Schéma du combustible du réacteur PBMR (source : ESKOM) Il s'agissait, en fait, de la reprise du concept de combustible TRISO, développé depuis 1970 ans en Russie, en Chine, au Japon, avec la formulation établie en Allemagne. Dans le schéma TRISO, le revêtement des billes millimétriques de combustible comprend une couche de carbure de silicium dont la fonction est de piéger les produits issus de la réaction en chaîne, en particulier les produits de fission gazeux. Ce type de conditionnement devrait permettre d'atteindre des taux de combustion élevés, tout en garantissant une flexibilité quant aux matières fissiles ou fertiles à utiliser comme combustible. La cuve du réacteur PBMR, de 20 mètres de haut et de 6 mètres de diamètre, devait comprendre environ 460 000 galets, dont trois quarts de galets de combustibles et un quart de sphères de graphite de mêmes dimensions. Le combustible devait être en permanence ajouté par le haut de la cuve, soutiré par le bas et réinjecté jusqu'à ce que l'on parvienne à de hauts taux de combustion, selon un système qui devait permettre d'éviter les arrêts pour rechargement et de limiter les arrêts du réacteur à des révisions générales tous les 6 ans. Refroidi à l'hélium, qui devait ensuite actionner directement une turbine selon un cycle direct à gaz, la température dans le réacteur devait atteindre 900 °C, à une pression de 69 bars. Figure 25 : Schéma du réacteur PBMR (source : Framatome ANP) Le réacteur PBMR qui n'a fait l'objet que d'études préliminaires, a été lancé par la compagnie d'électricité ESKOM, une entreprise publique sud-africaine qui fournit près de 95 % de l'électricité du pays. Ayant déjà une activité nucléaire, ESKOM exploite les deux réacteurs PWR 922 MW construits par Framatome à Koeberg, à une vingtaine de kilomètres au nord du Cap. Ce réacteur avait pour but de répondre aux besoins d'électricité de nouveaux marchés comme ceux des grandes agglomérations de pays émergents. Le PBMR a rencontré un large écho en 2000 dans le monde du nucléaire, lorsqu'un producteur distributeur d'électricité américain, EXELON, s'est associé au projet, poussé par l'enthousiasme de son président pour le PBMR214. Ayant commencé en décembre 2000 un pré examen de certification du PBMR auprès de la NRC, EXELON a ensuite, de sa propre initiative, clos le dossier en septembre 2002. En dépit du fait que BNFL ait pris une participation dans le consortium d'études de ce réacteur, le développement du PBMR semble reposer à présent dans les seules mains d'ESKOM. En conséquence, ce réacteur semble aujourd'hui en perte de vitesse, d'autant que son manque d'intérêt économique serait avéré215. C'est en 1993 que General Atomics et le ministère russe de l'énergie atomique MINATOM ont commencé leur coopération pour définir le GT-MHR, sur la base de l'expérience accumulée dans les années 1960-1970 sur les réacteurs à haute température216. S'il s'agissait essentiellement au départ d'un soutien à l'industrie nucléaire russe pour la pérenniser sur place après l'écroulement de l'Union soviétique, le projet GT-MHR a été, en 1994, réorienté vers la consommation du plutonium provenant du démantèlement des ogives nucléaires russes, à la suite de la signature, le 3 janvier 1993, du traité START II par les Présidents George H. Bush et Boris Eltsine217. La conception du GT-MHR a donc pris rapidement en compte l'utilisation d'un combustible constitué d'un mélange d'uranium et de plutonium 239. Ayant acquis une légitimité politique et stratégique, la conception du GT-MHR a été financée par le DOE218. Après que Framatome se fut joint au programme en 1996 et Fuji Electric en 1997, l'ingénierie de conception « conceptual design » du GT-MHR a été bouclée en 1997. Étudié en définitive par un groupement international dirigé par General Atomics (Etats-Unis), le réacteur GT-MHR (Gas Turbine Modular Helium cooled Reactor) est un réacteur modulaire (unités de 300 MW) refroidi à l'hélium, fonctionnant à haute température et pouvant utiliser des combustibles divers (plutonium, uranium naturel ou enrichi, thorium) conditionnés dans des billes de carbure de silicium. Les différences du GT-MHR par rapport au PBMR sont nombreuses, bien qu'ils soient tous deux des réacteurs à haute température refroidis à l'hélium. Lancé par General Atomics, rejoint ensuite par Framatome, Fuji Electric et bénéficiant du soutien du DOE et du Minatom russe, le GT-MHR a pu faire l'objet d'études beaucoup plus approfondies que le PBMR. Par ailleurs, le GT-MHR a d'emblée visé une puissance unitaire de 300 MW, qui a semblé aux concepteurs un compromis satisfaisant entre l'exigence de sûreté intrinsèque, qui suppose une puissance réduite, et la compétitivité économique qui nécessite des économies d'échelle. En tant que combustibles, le GT-MHR utilise le même principe de billes millimétriques de combustibles recouvertes de matériaux réfractaires selon le procédé TRISO. Toutefois, au lieu d'être agglomérées sous forme de galets, les billes le sont sous la forme de petites cylindres de quelques centimètres de hauteur, les cylindres étant eux-mêmes glissés dans les alvéoles des éléments combustibles en graphite de forme prismatique (voir figure ci-après). Ce procédé permet, en effet, une meilleure connaissance de la localisation du combustible et autorise une puissance unitaire plus élevée que pour le PBMR219. Figure 26 : Schéma de principe du combustible du GT-MHR (source : General Atomics) Pour contrôler la réaction en chaîne, le GT-MHR dispose de barres de contrôle pouvant être supplées par un système d'injection par gravité de particules de bore. Figure 27 : Schéma du réacteur GT-MHR (source : Framatome ANP) Par ailleurs, en cas d'avaries sur ces deux systèmes actifs, les concepteurs prévoient que le réacteur pourra se refroidir par lui-même, grâce à un transfert de chaleur par conduction aux parois de la cuve, elles-mêmes supportant une circulation d'eau. Enfin, la structure en béton est censée absorber la chaleur et la transmettre par conduction au sous-sol environnant, le réacteur étant enterré. Figure 28 : Schéma d'un module d'une centrale à réacteur GT-MHR (source : General Atomics) En toute hypothèse, les concepteurs du GT-MHR assurent que la température du combustible restera inférieure à 1600 °C, température limite pour la stabilité des matériaux utilisés pour la fabrication des billes millimétriques, y compris en cas de dépressurisation du réacteur. Figure 29 : Évolution de la température du combustible en cas de perte de réfrigérant (source : General Atomics) Afin de concilier les impératifs de sûreté intrinsèque et les impératifs économiques, la puissance du GT-MHR est limitée à 285 MW. Son rendement thermique est prévu pour atteindre 48 %. Les arrêts pour rechargement sont programmés tous les 18 mois, avec un remplacement de la moitié des éléments combustibles220. Par rapport aux réacteurs à eau légère, le GT-MHR devrait livrer moins de déchets de haute activité. Selon les prévisions, un module de GT-MHR aurait la possibilité de consommer 250 kg de plutonium par an. Selon General Atomics, le GT-MHR aurait la capacité de brûler 95 % du plutonium 239 et 60 % du plutonium total. Ces performances en feraient un meilleur brûleur de plutonium que les réacteurs à eau légère utilisant du combustible MOX221. On peut toutefois relever que l'utilisation du plutonium dans ces combustibles présente l'avantage d'être une solution opérationnelle, qui pourra sans doute monter en puissance plus rapidement que la construction d'un ou plusieurs GT-MHR. L'objectif est de construire un premier exemplaire du GT-MHR en Russie à Seversk, précédemment Tomsk-7, pour consommer du plutonium militaire tout en produisant de l'électricité. La Russie considère, en effet, le plutonium comme une matière première énergétique et non comme un déchet, ce qui supprime la voie de l'immobilisation un moment envisagée dans le cadre des accords de réduction des armes nucléaires déployées. Si les résultats de ce premier exemplaire, qui devrait être opérationnel en 2009, sont satisfaisants, alors une usine comprenant 4 modules GT-MHR devrait être entrer en service à l'horizon 2012-2015. Bien qu'ayant des perspectives de réalisation dans le cadre d'accords interétatiques, il était naturel que General Atomics s'attache à trouver d'autres débouchés pour son réacteur GT-MHR. C'est ainsi que General Atomics a soumis à la NRC un dossier de pré candidature pour sa certification en février 2002. Le dossier est en cours de constitution. Selon les prévisions économiques faites par General Atomics, le coût d'investissement « overnight » du GT-MHR devrait être de 1,29 milliard $, soit 1120 $/ kW, ce qui, sous réserve d'une étude plus approfondie, ne le place pas en dehors des « clous ». Quoi qu'il en soit, plusieurs des interlocuteurs de vos Rapporteurs ont estimé qu'un réacteur comme le GT-MHR ne devrait pas être compétitif par rapport aux réacteurs à eau légère. Selon le Dr. Petersen de RWE222, le projet GT-MHR, dont la fiabilité est grande, est techniquement prêt à être mis en service, des prototypes ayant démontré la faisabilité du procédé. L'avantage essentiel de ce réacteur serait d'être modulaire et de ne nécessiter que des constructions légères, ce qui lui permettrait d'être installé dans des pays sans infrastructure électrique ou nucléaire. Par ailleurs, la chaleur à haute température qu'ils produiraient pourrait servir dans plusieurs types d'utilisations industrielles. En revanche, les coûts de production du kWh du GT-MHR seront loin d'être compétitifs. E.ON estime que sa modularité et sa capacité à brûler tous types de matières fissiles pourrait toutefois lui assurer un avenir sur le marché de l'énergie223. En tout état de cause, si le GT-MHR était construit sur fonds publics en un nombre important d'exemplaires qui permettrait d'en amortir les coûts de développement, il pourrait à l'évidence devenir compétitif pour certains types d'application. Pour certains experts, le réacteur GT-MHR pourrait entrer en service en 2010. Pour d'autres, au contraire, la seule date envisageable est 2015-2016224. Le projet de réacteur modulaire IRIS (International Reactor Innovative and Secure) de Westinghouse-BNFL représente une autre voie pour la mise au point d'un réacteur de moyenne puissance - 330 MWe - pouvant s'adresser aux marchés électriques de petite taille. Le projet IRIS est original à de multiples points de vue. Réacteur à eau légère pressurisée, IRIS se situe dans le prolongement des réacteurs actuellement en service, contrairement aux réacteurs à gaz modulaires PBMR et GT-MHR. Par ailleurs, sa conception s'effectue en coopération par de multiples intervenants : le chef de file est le constructeur Westinghouse qui apporte au projet son expérience de constructeurs de 108 réacteurs en service et de concepteur de réacteurs innovants comme l'AP 600 et l'AP 1000 et deux compagnies d'électricité, TVA (Etats-Unis) et Electronuclear (Brésil) leur connaissance des besoins des producteurs ; plusieurs universités américaines et internationales font bénéficier l'équipe de conception de leur créativité 225. Figure 30 : IRIS, un réacteur intégré et simplifié par rapport aux réacteurs PWR classiques Le principe à la base du projet IRIS est la très grande simplification de sa conception. L'ensemble du réacteur tient, en effet, dans une cuve au demeurant de dimension très réduite par rapport à une enceinte de confinement d'un réacteur PWR classique. La cuve d'IRIS comprend non seulement le cœur du réacteur, mais aussi les 8 pompes noyées de recirculation de l'eau de refroidissement, les 8 générateurs de vapeur hélicoïdaux ainsi que le pressuriseur. Figure 31 : Schéma simplifié du projet de réacteur intégré à eau légère IRIS de Westinghouse (source : Westinghouse) La circulation de l'eau s'effectue entièrement dans la cuve (voir figure ci-après). Figure 32 : Le système de refroidissement du réacteur entièrement intégré à la cuve (source : Westinghouse) Le projet IRIS fait appel à de nombreuses technologies éprouvées du nucléaire et dans d'autres industries. Le combustible UO2 est celui des réacteurs à eau légère actuellement en service, avec un objectif de taux de combustion de 60 GWj/t. Les générateurs de vapeur hélicoïdaux sont repris de Superphénix. Les pompes noyées ont été développées pour la marine et pour la chimie. Les arrêts pour rechargement seraient espacés de 3 à 4 ans. La puissance thermique est prévue pour être égale à 1000 MWth et la puissance électrique de 330 MWe. Classiques dans leur conception, les barres de commande traversent le pressuriseur. La cuve est elle-même dans une enceinte de confinement en acier dans laquelle la pression est de 12 bars. L'ingénierie du projet IRIS est en cours, le constructeur prenant le soin, comme Framatome ANP et EDF dans le cas de l'EPR, de soumettre ses développements à la NRC au fur et à mesure. L'objectif est d'obtenir la certification du réacteur en 2008, pour un déploiement industriel vers 2012. L'ensemble des concepts doivent encore être validés, en particulier pour la sûreté et la compétitivité. Sur le plan de la sûreté, les accidents par perte de réfrigérant semblent difficiles à traiter. Les dispositifs de sûreté, notamment 4 trains de refroidissement d'urgence, deux réservoirs d'injection d'eau borée, ne semblent pas faire l'objet d'une simplification aussi drastique que la boucle primaire. Par ailleurs, aucune estimation de coût n'est encore disponible. Bien qu'il soit encore peu avancé, la NRC manifeste un réel enthousiasme pour le projet IRIS. Nommé Président de la NRC le 1er avril 2003, le Commissaire Nils Diaz déclarait à vos Rapporteurs, le 11 mars 2003, qu'IRIS a un grand potentiel, notamment du fait de sa parenté étroite avec les réacteurs embarqués de l'US Navy226, de son absence quasi-totale de circuits, de sa possibilité de fonctionner 5 à 7 ans sans rechargement227. La mise en service de réacteurs IRIS n'est toutefois pas attendue par la NRC avant 2015-2020. Quelles sont, au final, les perspectives des réacteurs modulaires ? Un organisme professionnel du nucléaire américain comme le Nuclear Energy Institute estime qu'aux réacteurs modulaires de 300 MWe correspond un modèle financier intéressant. En effet, leur puissance réduite devrait leur permettre d'être installés en tous points des réseaux. Leur volume de production réduit garantirait par ailleurs que les prix de l'électricité ne s'effondrent pas. Enfin, l'investissement d'un premier exemplaire pourrait être aisément financé, et aurait un temps de retour suffisamment courte pour permettre le financement du deuxième et ainsi de suite. Un grand exploitant comme EDF envisage, pour sa part, le problème d'une manière toute différente. Pour EDF, en effet, le renouvellement du parc électronucléaire est un problème qui se pose en terme de quelques dizaines de milliers de MWe de puissance installée et non pas d'un ou plusieurs réacteurs de puissance moyenne. Dans l'hypothèse de la construction d'un total de 25 GW de capacité nucléaire installée, le choix de réacteurs modulaires du type du GT-MHR, se traduirait par la nécessité d'installer près de 100 réacteurs, contre 17 réacteurs de type EPR d'une puissance de 1500 MWe. D'où des difficultés multipliées pour le choix des sites, qui devraient être plus nombreux, pour le transport des équipements et l'exploitation des réacteurs228. Les réacteurs modulaires de petite puissance, même juxtaposés sur un même site, ne correspondent pas aux besoins d'EDF. C'est bien évidemment le marché qui tranchera. Le 23 juillet 2001, le Secrétaire à l'Énergie des Etats-Unis, M. Spencer Abraham, annonçait la formation du GIF (Generation IV International Forum), groupe international de coopération sur la prochaine génération de réacteurs nucléaires et les nouvelles technologies de cycles de combustibles nucléaires. Le GIF est une instance de coopération informelle rassemblant les organismes de recherche nucléaire appartenant à 10 pays, qui se sont cooptés229. La réflexion du GIF a porté pendant plus d'un an sur les systèmes qui pourraient constituer la quatrième génération de réacteurs, postérieure aux réacteurs actuellement en service, et déployables d'ici à 2030. Dès le départ, les Etats-Unis ont clairement exclu que cette coopération internationale vienne concurrencer les réacteurs de type ABWR ou AP 1000. La mission du GIF est donc de promouvoir une coopération pour la longue durée. L'importance donnée par les Etats-Unis à ce processus ne doit pas pour autant être surestimée. Les différentes pièces du DOE pour dynamiser le nucléaire - NEPO pour valoriser au maximum le parc actuellement en fonctionnement, NPI 2010 pour la mise en service d'un nouveau réacteur en 2010 et Generation IV pour 2020 - sont toutes considérées en effet comme indispensables230. Considérant que la satisfaction des besoins mondiaux en énergie imposera de recourir au nucléaire231, les objectifs assignés par le GIF à la Génération IV sont multiples232. Les nouveaux réacteurs devront ainsi s'inscrire dans une perspective de développement durable, c'est-à-dire consommer moins de ressources énergétiques que les réacteurs actuels, produire moins de déchets et être moins proliférants. Pour assurer leur succès, les réacteurs devront s'ouvrir de nouveaux marchés, grâce à de nouvelles applications comme la production d'hydrogène ou le dessalement d'eau de mer pour de grandes agglomérations urbaines. Au total, la réflexion au sein du GIF ne porte pas seulement sur les réacteurs, mais sur leurs applications et sur le cycle du combustible associé, ainsi que la définition des systèmes de Génération IV en atteste. « Les systèmes de Génération IV correspondent à un système de production d'énergie pris dans sa globalité, en incluant le cycle du combustible depuis l'amont jusqu'à l'aval, les équipements de conversion d'énergie et de connexion aux réseaux de distribution d'électricité, d'hydrogène, de chaleur industrielle ou d'eau potable, ainsi que les infrastructures de fabrication et d'installation du système de production »233. Après avoir examiné en détail plus de 100 concepts de réacteurs, le GIF a finalement sélectionné, en septembre 2002, 6 systèmes de Génération IV, la notion de système ajoutant au type de réacteur le cycle du combustible associé. Si l'on retient comme critère la nature de neutrons mis en jeu, les 6 réacteurs se répartissent en trois concepts à neutrons rapides (SFR, LFR et GFR), un concept à neutrons thermiques (VHTR), un concept à neutrons thermiques ou rapides (SCWR) et un concept à neutrons épithermiques (MSR). Si l'on utilise le type de réfrigérant, on trouve un système à eau (SCWR), deux systèmes à gaz (VHTR, GFR), deux systèmes à métaux liquides (SFR, LFR) et un système à sels fondus (MSR). Si l'on se réfère enfin au cycle du combustible, les 6 systèmes se classent en quatre systèmes à cycle fermés (GFR, SFR, LFR, MSR), un système à cycle ouvert ou fermé (SCWR) et un système particulier (VHTR) à propos duquel les opinions semblent partagées. Le tableau ci-après résume les principales caractéristiques des 6 concepts de Génération IV. Tableau 32 : Les 6 concepts sélectionnés par le GIF
Si, à première vue, les six différents concepts sont encore placés sur un pied d'égalité, les membres du GIF semblent accorder un intérêt prioritaire aux systèmes refroidis par gaz, qu'il s'agisse du système à très haute température VHTR ou du réacteur à neutrons rapides refroidis au gaz234. Au reste, les réacteurs de la Génération IV ne pourront être effectivement développés que si le nucléaire lui-même connaît une phase d'expansion235. L'idée à la base des réacteurs à eau légère supercritique est de tirer parti de l'expérience accumulée avec les réacteurs actuellement en fonctionnement, tout en augmentant radicalement leurs rendements. L'eau supercritique désigne l'état de l'eau qui, portée à des températures supérieures à 374 °C sous une pression supérieure à 218 bars, c'est-à-dire au-delà du point critique, acquiert des propriétés physico-chimiques spécifiques, en particulier une masse volumique réduite par rapport à celle de l'eau sous conditions normales, les états liquides et gazeux ne pouvant au surplus être distingués. Dans le schéma sélectionné par le GIF, la température de l'eau supercritique en sortie de cuve devrait atteindre 550 °C, ce qui confèrerait au SCWR un rendement de 45 %. Autre avantage, l'eau supercritique attaquerait directement une turbine, les échangeurs de vapeur et le circuit secondaire étant donc éliminés. Figure 33 : Schéma de principe du réacteur à eau supercritique (source : Idaho National Engineering and Environment Laboratory (INEEL), DOE) Le SCWR serait un réacteur de forte puissance, le niveau de 1700 MWe étant fixé comme objectif. En conséquence, l'accent est mis avec ce type de machine sur la production d'électricité, l'objectif de minimisation des déchets n'étant atteint qu'à travers l'augmentation du rendement du combustible. Les avis sur la faisabilité réelle de ce réacteur sont très partagés. Certains experts considèrent qu'il s'agirait d'une voie d'avenir, compte tenu de coûts d'investissements réduits par rapport aux réacteurs à eau légère classique. Framatome ANP considère, pour sa part, cette voie comme difficile, en raison des caractéristiques particulières, encore mal connue et difficilement exploitables dans l'état actuel des connaissances, des fluides supercritiques236. Le réacteur à très haute température VHTR se situe dans la ligne du réacteur modulaire du type GT-MHR. Il s'en distingue par une température largement supérieure, puisque la température du gaz caloporteur devrait atteindre 1000 à 1100 °C. Le VHTR constitue, sans aucun doute, une des premières priorités pour la recherche. 3.1. Les caractéristiques techniques de VHTR Le combustible des réacteurs VHTR est conçu selon les mêmes principes que celui des réacteurs à haute température, avec un conditionnement sous la forme de billes millimétriques agglomérées sous la forme de cylindres insérés ensuite dans les éléments combustibles. Les billes millimétriques de 0,5 mm de diamètre présentent en effet plusieurs avantages encore plus précieux avec les très hautes températures. Chaque particule contient une quantité très réduite de combustible. Leur revêtement comprend une couche pour absorber les gaz des produits de fission, mais aussi une barrière résistante assurant leur confinement ainsi que celui des actinides mineurs. Toutefois le revêtement de carbure de silicium utilisé pour le GT-MHR ne pourra convenir dans la mesure où il ne peut retenir les produits de fission au-delà de 1600 °C. La dégradation des actinides mineurs produit, en outre, du palladium et de l'argent qui attaquent le carbure de silicium. Il sera en conséquence nécessaire de trouver un substitut à ce dernier, qui devrait probablement être le carbure de zirconium et le carbure de titane. Figure 34 : Schéma de principe des réacteurs VHTR orientés vers la production d'hydrogène (source : Idaho National Engineering and Environment Laboratory (INEEL), DOE) D'après ses concepteurs, le VHTR devrait avoir un coefficient de température négatif, ce qui le conduirait à devenir spontanément sous critique en cas d'arrêt. Le coeur du réacteur VHTR devrait être sensiblement le même que celui du GT-MHR, avec une capacité identique à baisser spontanément en température en cas de perte du réfrigérant. Au total, ces différentes propriétés confèreraient au VHTR, dans une certaine mesure, la qualité d'être « intrinsèquement sûr ». Le VHTR devrait utiliser l'hélium comme réfrigérant, la température du gaz en sortie de cuve du réacteur atteignant 1000 °C. Un objectif prioritaire du VHTR est qu'il puisse brûler son combustible avec une efficacité beaucoup plus élevée que les réacteurs actuels. Dans la pratique, il semble possible de dépasser le seuil de 80 GWj/t avec des combustibles uranium-thorium, le but étant d'aller jusqu'à 200 GWj/t. D'un rendement thermique élevé, le VHTR aurait une puissance unitaire de 600 MWe. Le VHTR devait au départ brûler essentiellement un mélange d'uranium hautement enrichi et de thorium. L'objectif, aujourd'hui, est explicitement que ce réacteur puisse non seulement brûler de l'uranium faiblement enrichi, mais aussi incinérer du plutonium et des mélanges de plutonium avec certains actinides mineurs237. Contestée par certains experts, cette capacité permettrait une reprise des déchets issus des réacteurs REP238. Dans cette hypothèse, le VHTR pourrait permettre de produire de l'électricité et de l'hydrogène, tout en reprenant les déchets des réacteurs à eau légère, ce qui lui assurerait alors la suprématie sur tous les autres concepts de la Génération IV. La date prévue pour la mise en service du démonstrateur VHTR est 2017239. 3.2. Des débouchés multiples qui en font une priorité pour de nombreux experts L'ambition des promoteurs des réacteurs à très haute température est non seulement de couvrir les besoins de production d'électricité, mais aussi de faire progresser la technologie des matériaux réfractaires, ce qui sera utile pour le développement d'autres filières et enfin d'ouvrir de nouveaux marchés au nucléaire. Pour la production d'électricité, les rendements atteints avec des températures de fonctionnement seraient supérieurs à 50 %, donc très supérieurs au 33 % des réacteurs REP actuels, ce qui devrait conduire à des coûts de production compétitifs. Par ailleurs, pour réussir à les faire fonctionner, de multiples problèmes technologiques devront avoir été résolus, en particulier la mise au point de matériaux capables de résister à de très hautes températures. Les savoir-faire acquis pour la mise au point des réacteurs à très haute température seraient alors utiles à celle des réacteurs à neutrons rapides refroidis au gaz GFR. Les nouveaux marchés ouverts par le VHTR devraient être nombreux. De nombreux process industriels s'effectuent en effet à haute température : la fabrication du ciment, du verre, de l'acier, la gazéification du charbon et la thermochimie (voir figure suivante). Figure 35 : Principaux process industriels utilisant de la chaleur (source : GIF, Technical Working Group 2) En tout état de cause, compte tenu de l'inertie des processus industriels et des espoirs placés dans le développement de combustibles pour les transports, l'application principale du VHTR serait la production d'hydrogène. 3.3. Le VHTR pour la production d'hydrogène Le VHTR est considéré comme un maillon essentiel d'une future économie de l'hydrogène. Il existe certes des méthodes de production d'hydrogène à basse température240. Mais les trois procédés les plus en pointe pour la production d'hydrogène sont actuellement le reformage à la vapeur du méthane, l'électrolyse à haute température et la thermochimie241. La thermochimie est considérée comme la plus prometteuse, avec plusieurs procédés de fabrication, dont le procédé recourant à l'iode et le soufre comme intermédiaires de réaction242 (voir figure suivante). Figure 36 : Procédé de fabrication de l'hydrogène utilisant l'iode et le soufre (source : GIF, Technical Working Group 1) La production d'hydrogène serait compétitive avec la vapeur à 1000 °C fournie par un VHTR, alors qu'elle ne le serait pas à 850 °C en aval d'un réacteur GT-MHR. Les partisans du VHTR imaginent en conséquence des usines globales, comprenant un ou plusieurs réacteurs de ce type, d'où partiraient des canalisations acheminant par sels fondus la chaleur à très haute température vers une usine dédiée à la production d'hydrogène. Figure 37 : Schéma de principe d'une usine de production d'hydrogène à partir de chaleur produite par un réacteur VHTR (source : Oak Ridge National Laboratory) En tout état de cause, il conviendra d'écarter les deux installations, de manière à réduire les risques industriels. Partisan depuis la fin des années 1960 de la filière des réacteurs à neutrons rapides, le CEA remarque, à juste titre, que ces réacteurs constituent la majorité des 6 systèmes sélectionnés par le GIF, avec le GFR, réacteur à neutrons rapides refroidi au gaz, le SFR, refroidi au sodium, le LFR refroidi au plomb ou au plomb-bismuth et le SCWR dans sa version à spectre rapide. 4.1. Les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium La sélection des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium parmi les concepts d'avenir ne doit pas étonner. La France a toujours accordé un grand intérêt à cette filière qui permet de valoriser les ressources en uranium beaucoup mieux que ne le font les réacteurs à eau légère243. Le réacteur à neutrons rapides Phénix, d'une puissance électrique de 233 MWe, mis en service industriel en 1974, a obtenu les résultats escomptés, au point qu'en se fondant sur ce succès, la France a ensuite décidé la construction de Superphénix, d'une puissance de 1 200 MWe, couplé au réseau en 1986 et définitivement arrêté en 1998. Décision essentiellement politique prise en 1997, l'arrêt de Superphénix n'est apparu techniquement justifié qu'en raison de ses difficultés de fonctionnement et de sa relative inadéquation aux besoins de test et d'expérimentation pour lesquels cette machine avait été reconvertie. A cet égard, le rapport de 1998 de la commission d'enquête sur Superphénix et la filière des réacteurs à neutrons rapides souligna que cette filière gardait son intérêt pour le XXIème siècle et indiquait que « c'est dans les années 2020-2030 qu'il faudra reprendre les études sur les réacteurs à neutrons rapides, en vue de la construction d'éventuels réacteurs de ce type vers 2050 »244. Au regard de cette recommandation, l'histoire semble donc s'accélérer. Après une phase d'arrêt de plusieurs années, le réacteur Phénix a été récemment autorisé à redémarrer par l'autorité de sûreté pour 722 jours équivalents pleine puissance, soit 6 cycles de fonctionnement245. Le bon fonctionnement de Phénix pour les 6 cycles qui lui restent, revêt une importance capitale pour la conduite des expériences de transmutation. L'intérêt porté aux réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium est aujourd'hui important dans plusieurs pays, en France bien entendu malgré l'arrêt de Superphénix, mais aussi au Japon qui continue la mise au point de son réacteur Monju, d'une puissance de 260 MWe, et, enfin, aux Etats-Unis au laboratoire national d'Argonne. Aux Etats-Unis, les performances du réacteur EBR-II de 17 MWe installé dans l'Idaho, qui a fonctionné de 1964 à 1994, sont jugées satisfaisantes. Ce réacteur a en effet permis de tester de nombreux combustibles et même des scénarios d'accidents246. Figure 38 : Le réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium EBR-II du laboratoire national d'Argonne, implanté dans l'Idaho à l'INEEL (source : Idaho National Engineering and Environmental Laboratory (INEEL), DOE) En tout état de cause, le réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium retenu parmi les concepts de Génération IV reprend les principaux concepts des réacteurs EBR-II (Etats-Unis), Phénix et Superphénix (France), Monju (Japon) et BN 600 (Russie). La température du sodium en sortie de cuve est de 550 °C. La puissance du SFR pourrait être calibrée entre 150 et 500 MWe. Figure 39 : Schéma de principe d'un réacteur à neutrons rapides refroidis au sodium (source : Idaho National Engineering and Environment Laboratory (INEEL), DOE) Le combustible du SFR pourrait être métallique, préparé par pyroprocessing, ou bien être du type MOX, après retraitement en voie aqueuse. Pièce essentielle d'un cycle du combustible dit fermé, le SFR aurait comme principal objectif l'incinération du plutonium et des actinides mineurs provenant du retraitement des combustibles usés des réacteurs à eau légère. 4.2. Les réacteurs à neutrons rapides refroidis au plomb Les réacteurs à neutrons rapides refroidis au plomb sont inspirés des réacteurs de sous-marins russes. S'agissant du réfrigérant, en réalité ce sont non seulement le plomb liquide, mais aussi l'eutectique247 plomb-bismuth qui sont envisagés248. La température du réfrigérant en sortie de cuve pourrait varier entre 550 et 800 °C et la puissance du LFR s'étager entre 120 et 400 MWe. On doit noter, en tout état de cause, que le réacteur à neutrons rapides russe BN 600 (600 MWe) de Beloyarsk dans la région de Sverdlovsk en Oural, a été mis en service industriel en 1981 et qu'il fonctionne depuis lors avec une grande régularité et de bonnes performances249. Figure 40 : Schéma de principe d'un réacteur à neutrons rapides refroidi au plomb (source : Idaho National Engineering and Environment Laboratory (INEEL), DOE) Le réacteur à neutrons rapides refroidi au plomb est décrit par ses concepteurs comme ayant un haut degré de sûreté passive, supérieur en tout état de cause aux autres réacteurs à neutrons rapides, refroidis au sodium ou a fortiori à l'hélium. Le réacteur LFR pourrait être conçu avec un coeur sous forme de cartouche scellée remplaçable après 15 à 30 ans de fonctionnement. En prolongement de son utilisation comme réacteur embarqué, l'objectif du LFR est donc la production décentralisée d'énergie, non seulement sous la forme d'électricité, mais aussi de chaleur utilisée dans différents process industriels, en particulier la production d'eau potable. 4.3. Les réacteurs à neutrons rapides refroidis au gaz Les réacteurs à neutrons rapides refroidi au gaz devraient utiliser en priorité l'hélium comme réfrigérant, le gaz carbonique supercritique représentant toutefois une voie à explorer. Avec une température en sortie de cuve de 850 °C, le gaz attaquerait directement une turbine à gaz, le rendement global du réacteur étant de 48 %. Pour le moment, le GFR est conçu pour être un réacteur de faible puissance, avec une puissance thermique de 600 MWth et une puissance électrique de 288 MWe. L'intérêt essentiel du GFR serait, comme tout réacteur à neutrons rapides, de valoriser au mieux les réserves en uranium et de minimiser les déchets. On considère, en outre, que le GFR offrirait de meilleures performances que le VHTR pour l'incinération des actinides mineurs 250. L'une des difficultés les plus importantes à résoudre pour le réacteur à neutrons rapides refroidi au gaz pourrait être l'évacuation de la chaleur en cas de perte du réfrigérant dans l'hypothèse d'un coeur plat en forme de « pancake »251. Il faudra en conséquence étudier l'intérêt d'autres formes de coeur, cylindre creux ou plein. En outre, le GFR exigera la mise au point de matériaux de remplacement spécifiques pour la structure du coeur, le graphite, qui ralentit les neutrons, ne pouvant être utilisé252. De même, il sera nécessaire de développer de nouveaux types de combustibles, avec des conditionnements permettant une rétention élevée des produits de fission253. Figure 41 : Schéma de principe d'un réacteur à neutrons rapides refroidi à l'hélium (source : Idaho National Engineering and Environment Laboratory (INEEL), DOE) Au total, le problème essentiel du GFR pourrait être celui de sa sûreté254. En tout état de cause, les experts d'Oak Ride estiment que les difficultés à résoudre sont très nombreuses pour ce système dont le principal partisan est le CEA. La date prévue pour la mise en service du démonstrateur GFR est 2030255. Les réacteurs à sels fondus ne sont pas une priorité pour les organismes de recherche nucléaire du GIF (Generation IV International Forum), bien qu'ils aient, selon certains experts, le potentiel le plus important à très long terme. 5.1. L'enthousiasme limité du GIF pour les réacteurs à sels fondus Les réacteurs à sels fondus présentent la particularité d'avoir un coeur homogène et une circulation du combustible dans le circuit de refroidissement, ce qui permet son recyclage. L'un des problèmes les plus difficiles à résoudre est celui de la corrosion dans le circuit du combustible. La résolution de ce problème permettrait de trouver des applications dans d'autres domaines, en particulier pour le retraitement pyrolytique des combustibles nucléaires irradiés. Le combustible d'un réacteur à sels fondus pourrait être un mélange de fluorures d'uranium et de plutonium dans des sels fondus de sodium et de zirconium circulant en continu dans le coeur du réacteur et dans un échangeur de chaleur. Figure 42 : Schéma de principe d'un réacteur à sels fondus (source : Idaho National Engineering and Environment Laboratory (INEEL), DOE) La température en sortie de cuve étant de 700 à 800 °C, la puissance du réacteur pourrait atteindre 1000 MWe. Les principaux avantages des réacteurs à sels fondus devraient être de simplifier la mise au point des combustibles une fois les problèmes de corrosion résolus, de minimiser les déchets radioactifs et d'offrir peu de prise à la prolifération. En raison de leur difficulté probable de mise au point, les réacteurs à sels fondus sont considérés par certains experts comme un « rêve »256. Néanmoins, il s'agit plutôt d'une solution à très long terme, qui, moyennant un effort de R&D certes important, devrait offrir des perspectives importantes. 5.2. Le potentiel des réacteurs à sels fondus et du cycle du thorium Selon le CNRS, les solutions offertes par les réacteurs à sels fondus s'inscrivent dans une réflexion sur les perspectives à long terme de l'énergie, où cette filière prend tout son intérêt. A l'horizon du demi-siècle, la technologie des réacteurs garde son importance, mais le choix des systèmes de combustibles devient déterminant pour l'avenir du nucléaire lui-même. Si l'on considère les besoins mondiaux en énergie à l'horizon 2050, où l'on s'attend à un doublement de la consommation d'énergie primaire et si l'on suppose qu'aucun incident ou qu'aucune décision politique n'exclura d'office le nucléaire de la panoplie des sources d'énergie, alors il apparaît rapidement que les réacteurs nucléaires dans leur fonctionnement actuel et avec leurs combustibles actuels, ne peuvent fournir une contribution sur la longue durée. En effet, les réacteurs à eau légère, qui font l'écrasante majorité du parc mondial, consomment un part ridicule de l'uranium extrait du sous-sol, ce qui conduit à extraire des quantités de minerais importantes pour finalement n'en consommer qu'une très faible part. Composé de deux isotopes, le minerai d'uranium contient 0,7 % d'uranium fissile 235, le seul utilisé dans la réaction de fission nucléaire par les réacteurs actuellement en service et 99,3 % d'uranium fertile 238, dont les réacteurs actuels ne tirent pas parti directement. D'où l'accumulation de stocks d'uranium dit appauvri qui n'ont pas d'utilité. Certes, à l'heure actuelle les réserves d'uranium sont telles qu'on n'entrevoit aucun problème d'approvisionnement à l'horizon du demi-siècle. De nouveaux gisements d'une teneur inhabituelle en uranium ont même été découverts au Canada et en Australie, dont l'exploitation devra être automatisée, tant le niveau de radioactivité y est élevé. Par ailleurs, la commercialisation des réserves militaires russes d'uranium hautement enrichi constitue une source d'approvisionnement sur les marchés mondiaux pour encore quelques années ou dizaines d'années. Toutefois, si le parc électronucléaire devait s'accroître parce que les besoins en énergie ne pourraient être satisfaits à meilleur coût que par le nucléaire, alors il deviendrait contre-productif de continuer sur la voie actuelle, car il s'agirait alors d'investissements menacés dans leur pérennité, faute de réserves suffisantes de combustibles. La réflexion sur un nucléaire à très long terme doit donc nécessairement s'efforcer d'imaginer des filières qui ne connaîtraient pas de pénurie en combustible. Une réflexion à très long terme doit également se pencher, dans la ligne d'un développement durable, sur la réduction des déchets produits. A cet égard, la filière des réacteurs à eau légère pourra sans aucun doute voire son fonctionnement global amélioré par la mise en place, en aval du cycle du combustible, d'un parc de réacteurs « nettoyeurs » spécialisés, que ce soit des réacteurs hybrides pilotés par accélérateurs ou des réacteurs à neutrons rapides dédiés. Toutefois, la longue durée ouvre peut-être le champ à la conception de concepts totalement nouveaux. Lorsqu'il s'agit d'imaginer le nucléaire à l'horizon d'un siècle, c'est incontestablement la filière des réacteurs à neutrons rapides qui constitue la référence de comparaison257, les réflexions ayant d'ailleurs été prolongées par des réalisations concrètes avec des réacteurs comme EBR-II, Phénix, Superphénix ou Monju, sans parler des réacteurs d'études et des réacteurs russes. Le système de combustible est alors le système uranium 238 -plutonium 239. Selon le CEA, l'ensemble des ressources découvertes et spéculatives d'uranium s'élève 17 millions de tonnes. Ces réserves représenteraient l'équivalent de 167 Gtep si elles étaient utilisées dans des réacteurs à neutrons thermiques et 8 400 Gtep en faisant appel aux réacteurs à neutrons rapides. Or un autre système de combustible peut être envisagé pour la fission nucléaire contrôlée, le combustible thorium 232-uranium 233. Le thorium présente l'avantage d'être trois à quatre fois plus abondant que l'uranium sur la croûte terrestre, avec une bonne répartition géographique sur l'ensemble des continents. Par ailleurs, les réacteurs fondés sur ce système nécessitent pour leur fonctionnement une quantité beaucoup plus faible de matière fissile que les réacteurs à neutrons rapides pour produire la même quantité d'électricité. En outre, les combustibles et donc les pertes au retraitement contiennent beaucoup moins d'américium et de curium, deux actinides mineurs particulièrement pénalisants pour la gestion du combustible et des déchets258. Première différence de base, au lieu d'être isolé dans des assemblages refroidis par un caloporteur, le combustible se présente sous la forme d'un mélange de fluorure de thorium ThF4 et d'uranium UF4, à la concentration de 12,5 %, dissout dans un sel de fluorure de lithium (70 %) et de fluorure de béryllium (17,5 %). Le combustible circule en continu dans le coeur du réacteur, puis dans un échangeur, où la chaleur est extraite en vue de produire de l'électricité, dans un dispositif d'extraction des produits de fission. Le circuit comprend également un dispositif de sous tirage du mélange aux fins de retraitement et de réalimentation en thorium en ligne. On trouvera au tableau suivant une comparaison simplifiée entre les deux systèmes de combustible uranium 238-plutonium 239 et thorium 232-uranium 233, en termes de quantités de matière fissile immobilisée259, d'actinides mineurs présents dans le combustible et de capacité de surgénération. Tableau 33 : Comparaison des systèmes MSR-RSF260 / thorium 232-uranium 233 et des systèmes RNR / uranium 238-plutonium 239 (source : Pr. Jean-Marie LOISEAUX, IN2P3-CNRS)
Premier avantage du système MSR-RSF/thorium 232-uranium 233, la matière fissile nécessaire à un réacteur d'une puissance de 1 GW fonctionnant pendant 1 an, soit pour produire environ 9 TWh, ne représente que 1,2 à 1,5 tonne d'uranium 233, soit dix fois moins que pour un RNR. On peut considérer cette filière comme économe en matière fissile nécessaire pour son démarrage. Bien entendu, ce système nécessite que l'on dispose d'uranium 233, un isotope de l'uranium que l'on ne trouve pas dans la nature. Mais les experts font valoir que l'on sait fabriquer de l'uranium 233 sans difficulté, d'une part avec des réacteurs à neutrons rapides, et, d'autre part, avec des réacteurs à eau pressurisée en remplaçant des combustibles MOX par des combustibles comportant un mélange d'oxydes de thorium et de plutonium. Deuxième avantage capital au regard de la minimisation des déchets, les réacteurs MSR-RSF thorium 232-uranium 233 ne contiennent que 20 kg d'américium et de curium contre 750 kg pour un réacteur à neutrons rapides produisant la même quantité d'électricité, soit un ratio 1 pour 37,5. Enfin, le système MSR-RSF/ thorium 232-uranium 233 présente aussi la capacité de pouvoir être surgénérateur, un atout intéressant dans une perspective à très long terme. L'exemple le plus connu de la surgénération est celui du réacteur à neutrons rapides utilisant un combustible formé d'uranium 238 et de plutonium 239. Si la réaction de fission consomme du plutonium 239, il est possible d'en régénérer davantage par la transformation d'uranium 238 en plutonium 239261. Cette surgénération, qui a pu être démontrée expérimentalement dans le cas des RNR, existe aussi pour un système MSR-RSF/thorium 232-uranium 233262. Considérant les différents avantages des systèmes à sels fondus et au thorium, comment pourrait-on organiser l'insertion d'un certain nombre de ces réacteurs dans un parc électronucléaire constitué comme actuellement de réacteurs à eau pressurisée ? Les calculs effectués par le CNRS montrent que l'avantage des systèmes à sels fondus et à thorium de ne mobiliser pour leur démarrage que peu de matière fissile par unité de puissance, permet de les installer plus facilement dans un parc électronucléaire que les réacteurs à neutrons rapides. En effet, si le fonctionnement d'un réacteur à eau pressurisée pendant 40 ans produit assez de plutonium pour permettre de démarrer un réacteur à neutrons rapides, il en produit assez, moyennant une transformation du plutonium en uranium 233, pour démarrer de 5 à 10 MSR-RSF/thorium-uranium 233. Ainsi, la montée en puissance de ces systèmes pourrait être beaucoup plus rapide que celle des réacteurs à neutrons, ce qui pourrait être un avantage en cas de situation d'urgence énergétique. Face à ces perspectives intéressantes, les réacteurs à sels fondus imaginés dans les années 1970 présentaient un inconvénient majeur, celui d'être conçus pour une surgénération maximale. En conséquence, il était obligatoire de procéder à un retraitement des sels fondus tous les dix jours pour évacuer l'uranium 233 formé, ce qui aurait conduit à associer une unité de retraitement à chaque réacteur. La solution imaginée aujourd'hui consiste à concevoir un réacteur isogénérateur, ce qui conduit à une périodicité de 2 à 3 ans pour le retraitement. Figure 43 : Schéma de principe d'un réacteur à sels fondus dits isogénérateur (source : Pr. Jean-Marie LOISEAUX, IN2P3-CNRS) Autre avantage d'un concept de ce type, le retraitement des sels fondus peut être effectué hors ligne, dans des installations spécialisées servant à un groupe de réacteurs. Bien qu'un réacteur de faible puissance ait fonctionné à Oak Ridge pendant plusieurs années et que des concepts de réacteurs de puissance aient été étudiés en détail, les réacteurs à sels fondus fondés sur le thorium 232-uranium 233 nécessitent encore d'importants travaux de recherche et développement. Compte tenu de l'importance qui, en principe, est donnée au cycle du combustible dans les travaux du GIF (Generation IV International Forum), on peut s'étonner du fait que les réacteurs à sels fondus et le système thorium 232-uranium 233 n'aient un meilleur rang de priorité. En revanche, l'intérêt soutenu manifesté par EDF pour ces systèmes innovants laisse augurer qu'une recherche active, dotées des moyens nécessaires pourra prendre place dans notre pays, dans un partenariat nouveau et fécond entre R&D à long terme et industrie. En février 2003, dans son discours sur l'état de l'Union, le Président George W, Bush a annoncé le lancement de son initiative sur le combustible hydrogène « Hydrogen Fuel Initiative » pour un montant budgétaire total de 1,2 milliard $ sur les cinq prochaines années263. Sur ce montant budgétaire, 720 millions $ de subventions seraient alloués aux technologies de production, de stockage et de distribution de l'hydrogène. L'objectif est la mise sur le marché en 2020 d'automobiles utilisant l'hydrogène comme carburant264. Ce plan ambitieux ne peut naturellement pas être considéré comme opérationnel tant que le Congrès n'aura pas inscrit les crédits correspondants dans les lois de finances des prochaines années. Mais, en tout état de cause, à la fin 2003, les Etats-Unis devraient choisir leur priorité dans le développement des réacteurs de la Génération IV265. Pour de nombreux organismes américains, que ce soit le Département de l'énergie (DOE), les experts du laboratoire national d'Oak Ridge ou l'organisme professionnel du nucléaire, le Nuclear Energy Institute (NEI), la priorité de l'administration Bush sera sans aucun doute le VHTR, en raison de son potentiel pour la production d'électricité, mais aussi pour la production d'hydrogène. Comme on l'a vu précédemment à propos de la présentation des réacteurs modulaires ou des réacteurs de Génération IV, la définition d'un réacteur nucléaire et plus tard son choix éventuel aux dépends d'un autre réacteur voire même d'une autre filière énergétique, sont aujourd'hui indissociables du type de cycle du combustible nucléaire auquel celui-ci est associé. La R&D sur les nouveaux réacteurs doit, en conséquence, porter dans les années à venir non seulement sur la production d'électricité, mais également sur la minimisation, le traitement et la reprise des déchets produits par les réacteurs nucléaires. Confirmant la double dimension réacteur-combustible du nucléaire, certains experts estiment que le début de la décennie 2000 coïnciderait avec un renversement des idées sur les intérêts respectifs du cycle ouvert et du cycle fermé. Pour simplifier, le cycle ouvert du combustible correspond au fait qu'une fois usé, le combustible irradié déchargé du réacteur est entreposé ou stocké en l'état en surface, sub-surface ou en profondeur après avoir été conditionné. Au contraire, le cycle fermé se traduit par le retraitement du combustible qui consiste en la séparation de ses différents composants, matières fissiles recyclables - plutonium, uranium appauvri -, déchets de moyenne activité, déchets de haute activité à vie longue - produits de fission et actinides mineurs - en vue de leur réutilisation ou de leur stockage éventuels. Deux avantages sont attendus de la fermeture du cycle du combustible, d'une part la récupération des matières énergétiques non brûlées encore contenues par le combustible déchargé, et, d'autre part, la rationalisation du stockage des déchets ultimes dans la mesure où leurs caractéristiques étant différentes, ils ressortissent de précautions elles aussi différentes266. Ayant investi dans la construction d'installations de retraitement des combustibles irradiés déchargés de leurs centrales nucléaires, la France, le Royaume Uni et le Japon sont actuellement les trois pays nucléaires qui ont fait le choix concret et à long terme du cycle fermé. Certes d'autres pays comme l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et la Suisse, peuvent être clients de la Cogema ou de BNFL, mais leur choix du cycle fermé ne peut être tenu pour aussi pérenne. Les Etats-Unis267, la Finlande268, la Suède269 ayant opté pour le cycle ouvert avec un stockage direct de leurs combustibles usés, on a pu considérer un moment que ce choix était le bon. En effet, l'un des avantages du retraitement, à savoir la récupération des matières énergétiques, a perdu de son intérêt du fait des bas prix de l'uranium sur les marchés mondiaux270. Par ailleurs, le retraitement concentrait les attaques des opposants au nucléaire du fait qu'il aboutit à la séparation de plutonium, élément proliférant s'il en est. Or le stockage direct des combustibles irradiés laisse entrevoir en 2003 ses limites, car, en générant des volumes importants, il risque de saturer rapidement des centres d'entreposage ou de stockage dont le choix d'implantation et la réalisation ne sont pas sans poser de difficiles questions. Ainsi les projections actuelles établissent que les quantités de combustibles usés dans le monde devraient atteindre le million de tonnes en 2040 et qu'alors, pour stocker en l'état ces combustibles, il faudrait tous les deux ans mettre en service un centre de stockage de la capacité du centre américain de Yucca Mountain271. Selon de nombreux experts, on assisterait donc à un revirement d'un nombre important de responsables de la politique énergétique américaine vis-à-vis du retraitement-recyclage272. Si la stratégie de gestion des déchets et des combustibles usés est clairement tracée en Suède sur la base du stockage en profondeur des combustibles non retraités, il n'en demeure pas moins qu'un projet de recherche est actuellement élaboré au KTH, Institut Royal de Technologie de Stockholm, principale université scientifique du pays, sous la responsabilité du Pr. Waclaw Gudowski, en vue de diminuer la durée de vie des déchets radioactifs 273. Le projet du Pr. Gudowski est de proposer une voie complémentaire à la voie officielle du stockage direct en profondeur des combustibles usés. Cette approche complémentaire se justifie d'autant plus que les collectivités locales de Forsmark et d'Oskarshamn n'acceptent pas que le futur dépôt souterrain de ces combustibles usés soit irréversible. Le projet officiel est, en effet, de placer les combustibles usés dans des conteneurs d'acier, eux-mêmes insérés dans des conteneurs de cuivre, ces conteneurs étant à leur tour empilés dans des trous creusés dans les galeries souterraines à -500 mètres274, 275. Mais un tel stockage irréversible des combustibles irradiés est rejeté par les populations. Dès lors, que peut-on proposer pour diminuer la radiotoxicité à long terme des combustibles usés ? Le KTH reprend l'idée de la séparation-transmutation afin de diminuer la durée de l'entreposage276. Le problème essentiel des combustibles usés est, en effet, constitué par le plutonium et les actinides mineurs277, dont la durée de vie peut atteindre un million d'années. Figure 44 : Radiotoxicités comparées des produits de fission et des transuraniens (source : Pr. Gudowski, KTH) Le cas du plutonium peut être en partie réglé par l'utilisation de combustibles MOX. L'idée est donc de convertir les actinides mineurs en produits de fission d'une durée de vie d'une centaine d'années, tout en produisant de l'énergie. Figure 45 : Radiotoxicités comparées du plutonium et des actinides mineurs (neptunium, américium, curium) (source : Pr. Gudowski, KTH) Pour régler simultanément le problème du plutonium, de l'américium et du curium, il faudra, selon le Pr. Gudowski, recourir à la technologie des ADS (Accelerator Driven System), ou réacteur sous critiques pilotés par accélérateur. Ces réacteurs, qui sont sûrs dans la mesure où ils fonctionnent en dessous du seuil critique, devraient permettre de transmuter les transuraniens. Leur utilisation n'aurait pas pour but d'abandonner le nucléaire - la transmutation des déchets issus du démantèlement serait beaucoup trop onéreuse - mais de lui permettre de continuer. Selon les calculs effectués par le Pr. Gudowski, pour transmuter les transuraniens contenus dans les combustibles usés, il serait nécessaire de disposer d'un ADS pour 4 à 5 réacteurs à eau légère. Le coût de l'électricité en serait renchéri de 40 à 50 %, comparé à l'option actuelle du stockage direct. Mais cette augmentation du coût doit être mise en balance avec l'augmentation du début 2003, due à l'insuffisance de volume de l'hydroélectricité. D'ores et déjà, le KTH278 conduit, d'une part, des recherches sur différentes technologies indispensables au fonctionnement d'un ADS refroidi par l'eutectique plomb-bismuth279 et, d'autre part, des études préliminaires de conception sur un réacteur piloté par un accélérateur (PDS-XADS - Preliminary Design Study of an Experimental Accelerator Driven System)280. Le Nuclear Waste Policy Act de 1982, amendé en 1987, a fait obligation au Département de l'Énergie de construire et d'exploiter un site de stockage souterrain pour les déchets de haute activité et les combustibles usés. En février 2002, le Président George W. Bush a approuvé la construction du site de Yucca Mountain et le Congrès des Etats-Unis a confirmé cette décision en juillet 2002, passant outre à l'objection de l'État du Nevada votée en avril 2002. Le DOE est ainsi en charge depuis cette date de la construction effective de ce centre de stockage. Or le site de Yucca Mountain devrait être saturé en 2010281. Le coût de construction du site de Yucca Mountain est estimé à 50 milliards $, un deuxième site devant revenir à 35 milliards $. Il est donc fondamental de réduire les volumes de déchets radioactifs et donc d'envisager la fermeture du cycle du combustible nucléaire, ce qui suppose le retraitement des combustibles usés. C'est dans ce but que les directeurs des 6 laboratoires nationaux du DOE ont officiellement recommandé au Secrétaire à l'Énergie de mettre à l'étude la fermeture du cycle du combustible282. Dans la pratique, l'objectif est de retarder au maximum la réalisation d'un 2ème site de stockage, compte tenu des difficultés rencontrées pour Yucca Mountain283. Les Laboratoires nationaux d'Oak Ridge et d'Argonne travaillent en conséquence sur la mise au point de deux procédés de retraitement des combustibles usés, l'un en phase aqueuse et l'autre par pyroprocessing. Pour parvenir à maximiser l'utilisation d'un centre de stockage comme Yucca Mountain, il faudra réduire la radiotoxicité des déchets, mais aussi la charge thermique des colis de déchets. Les technologies de traitement des déchets devront permettre de passer de durée de vie de 300 000 ans pour certains radioéléments à des niveaux inférieurs, dans tous les cas, à 1000 ans. Le retraitement permettra de séparer d'un côté le bloc plutonium-neptunium et de l'autre les actinides mineurs et les produits de fission, afin de les brûler ou de les incinérer. Cette opération permettra de diminuer la charge thermique des colis de déchets et donc d'utiliser au mieux les installations de Yucca Mountain. Les experts américains rencontrés par vos Rapporteurs ne semblent pas accorder aux réacteurs hybrides de type ADS le même intérêt que leurs homologues suédois. Pour certains experts284, les réacteurs hybrides de type ADS (Accelerator Driven Systems) ne constitueront qu'une solution trop coûteuse pour la reprise des déchets radioactifs issus des combustibles usés des réacteurs à eau légère285. En outre, les ADS ne présenteraient pas les performances de sûreté qu'on leur prête. On ne connaît pas encore, en effet, de moyens d'arrêter automatiquement l'accélérateur en fonction de l'état du réacteur sous critique. La solution serait au contraire à rechercher du côté des réacteurs à neutrons rapides qui brûleraient les actinides tout aussi rapidement qu'un ADS. Les réacteurs à neutrons rapides de nouvelle génération, selon les spécialistes du laboratoire national d'Argonne, constitueront une solution pour la transmutation des déchets. Le nombre de réacteurs à neutrons rapides spécialisés dans la transmutation des déchets serait alors d'une unité pour 4 à 5 réacteurs à eau légère traditionnels. A l'évidence, le choix à l'horizon 2030 de nouveaux réacteurs doit accorder la plus grande importance à la minimisation des déchets de haute activité à vie longue. Mais un tel choix ne suffira pas à résoudre le problème des déchets générés par les réacteurs actuellement en fonctionnement. Il conviendra donc de disposer de réacteurs spécialisés dans la transmutation des déchets. Quelle devra être la technologie utilisée pour transmuter les déchets ? S'agissant de la faisabilité de la transmutation elle-même, le CEA estime qu'on saura en 2006 répondre à la question « la transmutation est-elle possible ? », car « s'il y a un problème, on l'aura vu »286. Pour M. Jean-Paul Schapira287, la France disposera en 2006 de résultats intéressants sur la tenue à l'irradiation des matériaux de conditionnement des déchets de haute activité, ainsi que sur les taux de transmutation. Mais ces résultats ne seront pas exhaustifs. Une fois la faisabilité de la transmutation acquise, il conviendra de choisir la filière de réacteurs la plus performante, réacteur hybride de type ADS (Accelerator Drive Systems) ou réacteurs à neutrons rapides, tout en trouvant le moyen d'utiliser le parc électronucléaire actuel dans ce même objectif288. Les réacteurs hybrides sont composés essentiellement d'un accélérateur de protons qui viennent frapper une cible, celle-ci, par le phénomène de spallation, expulsant des neutrons qui sont, à leur tour, envoyés dans un réacteur nucléaire sous critique où ils entretiennent la réaction en chaîne. Figure 46 : Schéma simplifié d'un réacteur hybride de type ADS (source : Pr. Jean-Marie Loiseaux, IN2P3-CNRS) Leur sûreté est réputée intrinsèque, dans la mesure où la réaction en chaîne s'arrête si l'on coupe l'accélérateur. Mais certains experts estiment que tout n'est pas aussi simple, d'autres classes d'accidents pouvant survenir289. La filière des réacteurs hybrides de type ADS est considérée comme importante pour la résolution du problème des déchets, par différents organismes de recherche, le CNRS en France, mais aussi par d'autres équipes de recherche, en particulier en Allemagne, en Belgique, en Suède, comme on l'a vu, et aux Etats-Unis au laboratoire national de Los Alamos. D'autres experts indiquent que les ADS n'apporteraient qu'une solution partielle à la résolution du problème de l'aval du cycle, dans la mesure où ils ne pourraient pas brûler du plutonium, au contraire des réacteurs à neutrons rapides. A l'évidence, il existe donc un débat dans la communauté scientifique au sujet de la priorité à accorder au développement, respectivement des réacteurs hybrides de type ADS et des réacteurs à neutrons rapides. Le débat sur cette question mérite d'être rapidement approfondi. V. Des projets pour 2035, en raison des verrous technologiques à lever et des démonstrations à apporter Les verrous technologiques à lever afin de mettre au point les réacteurs pour 2035 sont multiples. En premier lieu, la plupart des matériaux susceptibles de supporter des températures d'environ 1000 °C n'existent pas encore. En outre, les réacteurs modulaires à gaz mettront en oeuvre des cycles directs, ce qui pose d'évidents problèmes de turbines. Avec le PMBR, l'hélium se réchauffe au contact des galets, avec le GT-MHR au contact des blocs d'éléments combustibles, puis se détend dans une turbine à attaque directe, sans passage par un échangeur de chaleur intermédiaire290, ce qui pose le problème de la fiabilité à long terme de turbines fonctionnant à cette température. En réalité les turbines pouvant fonctionner à 800-900 °C pendant une année complète et en continu n'existent, semble-t-il, pas encore291. Les experts finlandais estiment d'ailleurs que les difficultés les plus importantes à résoudre pour les réacteurs de Génération IV concernent les turbines292. Par ailleurs, pour certains réacteurs comme les réacteurs à sels fondus, il sera nécessaire de développer des échangeurs thermiques à 1000 °C, ce que l'on ne sait pas encore réaliser. Un problème identique se posera avec le VHTR pour la fabrication d'hydrogène. S'agissant du fonctionnement des réacteurs eux-mêmes, de nouveaux modèles informatiques ou codes de calcul devront être mis au point. Les combustibles à utiliser devront pouvoir être enrichis à des teneurs supérieures aux 5 % d'uranium 235 qui sont la règle dans les réacteurs à eau pressurisée actuellement en service. Enfin, les nouveaux types de combustibles, de même que les éléments de graphite, nécessiteront des chaînes de retraitement et de stockage entièrement nouvelles. La mise au point des réacteurs à sels fondus nécessitera également des travaux de recherche et développement importants. Les technologies des sels fondus ne font pas l'objet d'un suivi régulier depuis la fin des années 1960. Les problèmes de corrosion étant particulièrement aigus, les matériaux envisageables pour l'échangeur de chaleur devront être qualifiés. Par ailleurs, différents procédés doivent être mis au point, en particulier l'extraction en ligne des produits de fission, ainsi que les procédés de retraitement, c'est-à-dire essentiellement d'extraction de l'uranium 233. Enfin, tout le cycle du combustible devra être mis au point, d'abord au plan de pilotes technologiques et ensuite à l'échelle industrielle. Le budget de recherche qu'il semble indispensable d'allouer aux travaux sur les matériaux utilisés pour les réacteurs de Génération IV est évalué à 175 millions $ pour les 5 prochaines années par le directeur national du programme correspondant aux Etats-Unis293. Au total, ce sont des milliards € qui devront être investis dans la R&D relative aux réacteurs pour 2035. Les objectifs de sûreté qu'il pourrait être souhaitable d'atteindre avec les réacteurs pour 2035 sont multiples, selon l'autorité de sûreté294. Un premier objectif pourrait être que le cœur de ces réacteurs ne soit jamais dégradé et que le fonctionnement de ceux-ci tolère l'erreur humaine au cours de leur exploitation, produisent moins de déchets, permettent l'incinération de déchets, soient plus résistants à la prolifération, consomment moins de ressources naturelles et permettent de viser non seulement la production d'électricité, mais également la satisfaction d'autres besoins industriels. Or les approches de sûreté des réacteurs pour 2035 sont encore en gestation et sont différentes selon les filières. Pour l'autorité de sûreté, beaucoup de projets sont éthérés et appartiennent au domaine de la recherche fondamentale. La problématique de sûreté de ces réacteurs peut s'illustrer sur le cas des réacteurs à haute température PBMR, GT-MHR voire VHTR. Si ces projets sont intéressants sur le papier, il reste que de nombreuses questions de sûreté se posent à leur sujet, selon l'autorité de sûreté française. L'une des caractéristiques les plus importantes et les plus intéressantes de ces réacteurs est, on l'a vu plus haut, d'utiliser un combustible conditionné sous forme de billes millimétriques, qui possèdent une capacité de rétention des radioéléments, la possibilité d'atteindre de hauts taux de combustion et ont une flexibilité sur la composition du combustible en matières fissiles ou fertiles. Or l'un des arguments des promoteurs des réacteurs à haute température est qu'il existe un refroidissement passif du coeur sans détérioration du combustible. Dans quelle mesure ces objectifs fondamentaux de sûreté pourront-ils être véritablement atteints et démontrés ? Les effets d'entrée d'air et d'eau dans le coeur doivent également être examinés en détail en raison de la présence de graphite et des possibilités de réaction avec ce dernier. De même on doit s'interroger sur la tenue à très haute température des matériaux utilisés. Les codes de calcul doivent par ailleurs être qualifiés. Des garanties de fabrication des combustibles doivent également être définies et mises en place, la qualité des combustibles étant un élément clé pour la sûreté. Enfin, il est nécessaire de préciser le niveau de pression auquel l'enceinte devra être résistante. Aucun travail approfondi, comparable à celui effectué pour l'EPR, n'est réalisé sur ces sujets. En tout état de cause, il n'existe pas de dossier de sûreté pour le projet GT-MHR295. En définitive, il est difficile de se prononcer, en l'état actuel des choses, sur la sûreté des projets de réacteurs pour 2035. Les experts du laboratoire national d'Oak Ridge (ORNL) espèrent qu'un réacteur de la Génération IV sera connecté au réseau électrique en 2020296. Mais en réalité, pour estimer les dates probables, il convient d'analyser les différentes étapes d'un processus de qualification. Au moins deux étapes seront en effet nécessaires avant leur mise en service industriel. La première étape devra être celle d'un pilote technologique. La deuxième correspondra à la construction et à l'exploitation d'un démonstrateur industriel. Le pilote technologique aura pour objectif la mise au point du process lui-même en permettant de lever les verrous technologiques. Avec un engagement en 2005, ce pilote technologique devrait pouvoir être mis en service en 2010-2012. Quant au démonstrateur industriel, avec un engagement quelques années plus tard, sa mise en service devrait pouvoir intervenir vers 2020/2025, avec comme horizon 2025 pour l'engagement d'une série et la mise en service industriel des premières unités en 2035. Ces dates peuvent être discutées, mais l'ordre de grandeur correspond à une estimation plutôt optimiste. En tout état de cause, la mise en place de ces nouvelles filières exigera une volonté forte des industriels. Elle conduira également les producteurs d'électricité à réfléchir à deux fois avant de sortir de la filière des réacteurs à eau légère sur lesquels ils ont accumulé une très longue expérience. Au demeurant, il n'est pas non plus acquis que les coûts de production de l'électricité des réacteurs pour 2035 soient compétitifs ni par rapport à celui des réacteurs pour 2015 ni même par rapport à celui des réacteurs actuellement en service297. VI.- Coopération internationale active et pluralisme en France, deux conditions pour une R&D nucléaire efficace Les Etats-Unis ont entamé leur marche en avant pour faire changer d'échelle leur effort de recherche nucléaire. Le Congrès des Etats-Unis a alloué 4 millions $ au projet Generation IV pour l'année fiscale 2002. Les demandes du DOE ont été de 7,8 millions $ pour 2003 et de 9,7 millions $ pour 2004298. En parallèle, le DOE compte allouer, en 2004, 60 millions $ au programme AFCI (Advanced Fuel Cycle Initiative) et 4 millions $ au programme hydrogène299. Enfin, la production d'hydrogène à des coûts compétitifs revêtant une importance croissante aux Etats-Unis, le programme sur l'hydrogène a bénéficié d'une subvention de 2 millions $ en 2003 et recevra 4 millions $ en 2004, avec une nette accélération ultérieure compte tenu du programme annoncé par le Président Bush, en février 2003, à l'occasion de son discours sur l'État de l'Union. D'ici à la fin 2003, les Etats-Unis choisiront un réacteur prioritaire parmi les 6 concepts retenus par le GIF. Le sénateur Domenici proposera le versement en 2004 par le DOE d'une subvention de 150 millions $ par an pour les travaux de R&D et de conception de ce réacteur. La construction de ce réacteur pourrait être ensuite subventionnée à hauteur de 500 millions $300. Face à cet effort massif, que font les trois autres pays visités par vos Rapporteurs et que fait la France ? Le ministère de l'environnement en Allemagne a décidé que les organismes de recherche et l'industrie doivent se tenir à l'écart de tous les travaux sur les réacteurs pour 2030. La Suède, pour sa part, continue ses recherches, en ayant eu la sagesse de développer des départements universitaires performants même si les budgets sont relativement réduits301. La Finlande ne rejoindra pour sa part, le GIF qu'à la fin 2003. En France, le CEA a consacré, en 2002, un budget de 24 millions € aux réacteurs du futur (voir tableau suivant). Tableau 34 : Moyens consacrés par le CEA aux réacteurs du futur en 2002 (source : CEA, Direction de l'énergie nucléaire, Direction du développement et de l'innovation nucléaires)
Comme on peut le constater, le budget de 24,4 millions € alloué en 2002 aux réacteurs du futur est supérieur aux 10 millions $ alloués par le DOE au programme Generation IV. Toutefois, la subvention du DOE pour ce programme spécifique est complétée par les efforts propres des différents laboratoires nationaux. A titre d'exemple, le budget du seul laboratoire national d'Oak Ridge s'est élevé en 2002 à environ 900 millions $. Le montant des dépenses par ce même laboratoire sur les technologies nucléaires est en forte croissance, puisqu'il est passé de 77 millions $ en 2001 à 163 millions $ en 2002. On a vu plus haut que la subvention civile du CEA s'est élevée à 934 millions € en 2001. La part de la subvention civile du CEA que celui-ci alloue aux réacteurs du futur est, en tendance, d'environ 3 %. On notera toutefois une augmentation, entre 2002 et 2003, des sommes allouées aux systèmes de génération 2035 à caloporteur gaz (voir tableau suivant). Tableau 35 : Effort du CEA en 2003 sur les réacteurs de Génération IV (source : CEA)
Il appartient aux autorités de tutelle d'indiquer si l'effort réalisé est conforme à la mission du Commissariat à l'énergie atomique. Les différents programmes de R&D sur les réacteurs pour 2035 sont actuellement conduits aux Etats-Unis dans le cadre de coopérations bilatérales en particulier avec le CEA. Par ailleurs, la coopération entre organismes de recherche nucléaire telle qu'elle existe au sein du Generation IV International Forum ne s'est pas encore traduite dans les faits. Une coopération internationale peut-elle réellement exister si les questions de propriété intellectuelle et de brevets ne sont pas réglées ? Pour résoudre ce difficile problème, un bon modèle pourrait être, selon le DOE, celui d'Airbus302. En tout état de cause, l'accord régissant la commercialisation devra reposer sur un partage des profits, les industriels devant accepter un tel schéma. Le marché du nucléaire dans l'avenir n'étant pas considérable, la place pour différentes technologies et pour différents constructeurs n'est pas grande, ce qui oblige à une consolidation303. De fait, pour de nombreux responsables du nucléaire, la prochaine technologie de réacteurs ne connaîtra la réussite que si elle bénéficie du marché le plus vaste possible dans le plus grand nombre de pays possible. Seule la construction de centrales standardisées dans des régions différentes permettra la baisse des coûts et assurera la compétitivité du nucléaire. Des investissements énormes de plusieurs milliards $ devront être engagés pour apporter des solutions aux problèmes technologiques des différentes filières, ainsi que pour démontrer la sûreté des réacteurs et parvenir à des systèmes exploitables commercialement. Le retour sur de tels investissements sera très long, cette difficulté majeure s'ajoutant à celle des incertitudes réglementaires et à celles des marchés de l'électricité, d'où l'absolue nécessité d'une coopération internationale pouvant aller jusqu'à la fabrication et à la commercialisation. Pour autant, la coopération internationale telle que celle développée autour du GIF est encore fragile, pour plusieurs raisons. En premier lieu, selon M. Peter Lyons304, si les Républicains perdaient les élections présidentielles américaines de 2004, tous les projets de soutien au nucléaire seraient à confirmer. Par ailleurs, la redéfinition en profondeur de la politique énergétique américaine, en particulier sur la question du retraitement, ne pourra être effectuée avant 2004, cette question étant trop sensible sur un plan politique. En second lieu, l'instance informelle de coopération intitulée GIF n'a pas encore de base juridique305. Tôt ou tard, les intentions de coopération exprimées par les organismes de recherche, qui se sont au demeurant cooptées, devront être relayées par les Gouvernements. Lors de leurs visites et de leurs entretiens aux Etats-Unis, vos Rapporteurs ont constaté un pluralisme d'opinion manifeste sur différents dossiers, en particulier sur la priorité à donner aux deux plus importants concepts de systèmes-réacteurs de Génération IV. Ainsi, la direction du laboratoire national d'Oak Ridge estime qu'une priorité doit être donnée au développement du réacteur à très haute température VHTR. A l'inverse, les équipes du laboratoire national d'Argonne estiment, au contraire, que le développement des réacteurs à neutrons rapides de type GFR doit s'effectuer en premier, compte tenu de l'importance qu'il y a à mettre en place un cycle du combustible fermé, de manière à minimiser les volumes de déchets radioactifs à vie longue et à réduire leur radiotoxicité à long terme306. Pour ces experts, s'agissant de la transmutation, le VHTR, qui permettrait sans aucun doute de consommer du plutonium avec efficacité, ne serait pas performant pour incinérer simultanément du plutonium et des actinides. Fondées sur deux programmes de recherche fédéraux importants, à savoir l'initiative sur l'hydrogène du Président Bush et le programme AFCI (Advanced Fuel Cycle Initiative), ces appréciations sont formulées dans une transparence totale, dans le cadre d'une concurrence intellectuelle saine et utile. Les opinions sur les avantages et les inconvénients de deux types de réacteurs VHTR et GFR sont donc relativement tranchées. On doit remarquer par ailleurs qu'en dépit de leur puissance financière, les Etats-Unis n'auront pas la capacité financière de mener à bien le développement des deux filières. Il est donc probable que le réacteur qui sera choisi sera celui qui permettra d'atteindre au mieux les deux objectifs. Il est donc vraisemblable que la France doive donc aussi faire un choix. Le CEA, pour sa part, semble enclin à privilégier la filière des réacteurs à neutrons rapides. Framatome ANP, en tant qu'industriel, accorde une priorité aux réacteurs à haute ou très haute température, du fait des possibilités de nouveaux marchés qu'ils pourraient ouvrir à l'énergie nucléaire. Il n'entre pas dans la responsabilité de vos Rapporteurs et de l'Office parlementaire de faire une recommandation à cet égard. Constatation de bon sens, on peut toutefois remarquer qu'il pourrait être difficile pour la France d'avancer seule sur un chemin déserté par le puissant appareil de R&D américain. En tout état de cause, il appartient à une recherche pluraliste de discuter ces questions et de proposer une décision au Gouvernement. Force est donc d'élargir cette question à l'organisation française de la recherche nucléaire. A l'instar de ce qui est fait dans d'autres pays comme la Suède et les Etats-Unis, il convient en premier lieu, de tirer parti du dynamisme apporté par les projets de réacteurs pour 2035 pour placer la recherche universitaire dans le jeu de la recherche sur les énergies du futur et, en particulier, sur le nucléaire. Les formations et donc la recherche universitaires devraient couvrir toutes les disciplines indispensables à la recherche307. Par ailleurs, grâce à la loi du 30 décembre 1991 sur la gestion des déchets nucléaires, un nouveau pluralisme de la recherche nucléaire a commencé de se mettre en place, avec une participation croissante du CNRS à l'effort national de recherche dans ce domaine. En vérité, les recherches sur les réacteurs pour 2035 sont d'une importance capitale, car elles sont étroitement liées à la gestion des déchets nucléaires, à une éventuelle politique de développement des usages de l'hydrogène et à la politique énergétique de notre pays dans son ensemble. Toutes les forces de la recherche française doivent donc être mobilisées pour atteindre un niveau suffisant dans la compétition internationale et pour qu'enfin s'instaure un véritable pluralisme de la recherche nucléaire, pluralisme facteur de transparence et d'efficacité. Ceci impose à l'évidence que le CNRS accorde une priorité à ce domaine de travail et lui alloue, par redéploiement, une proportion nettement accrue de ses moyens humains et matériels. Les débats sur les énergies, leurs parts actuelles et leur rôle souhaitable à l'avenir sont, quels que soient les cercles où ils se déroulent et les participants, marqués par la passion, et l'anathème y remplace souvent la raison. Ainsi, en France, la maîtrise de la consommation d'énergie a reçu, ces dernières années, une priorité telle que les questions d'augmentation ou simplement de maintien de l'offre d'énergie ont été reléguées dans l'ombre. Ainsi, les énergies renouvelables ont été présentées par leurs partisans comme des alternatives aux moyens de production de masse, supposées reléguer ces derniers au magasin des techniques condamnées par la nouvelle exigence d'un développement durable. Le monde du nucléaire a également eu son lot d'exclusives. Ainsi, la priorité a longtemps été considérée comme devant aller à la prolongation de la durée de vie des centrales existantes et non à la construction de démonstrateurs susceptibles de les remplacer le cas échéant et le moment venu. Dans le domaine des réacteurs du futur, la filière des réacteurs à eau légère a souvent été condamnée, la bonne décision étant supposée être celle d'un saut direct à l'étape de réacteurs en rupture totale avec les machines actuelles. En réalité, si l'on veut bien considérer les contraintes d'approvisionnement du monde et d'un pays spécifique comme la France, dont les ressources énergétiques nationales sont très insuffisantes, il faut recourir à toutes les énergies disponibles car elles sont complémentaires et en choisir leurs applications en fonction de critères de sûreté et d'efficacité économique La complémentarité est en définitive le maître mot de l'énergie et tout spécialement de l'énergie nucléaire. S'agissant du parc électronucléaire d'EDF, le présent rapport conclut à la complémentarité de l'objectif d'extension de la durée de vie des centrales en service et de la préparation d'une solution de remplacement. Pour tirer tout le parti possible des réacteurs actuels, il est indispensable d'avoir la garantie de pouvoir les remplacer si cela s'avère nécessaire, tout en continuant de respecter les impératifs de sécurité d'approvisionnement et des engagements internationaux de la France. L'avenir du nucléaire est également fait de systèmes réacteurs-combustibles complémentaires et non pas de systèmes en opposition les uns avec les autres. Le monde a accumulé une expérience de plusieurs milliers d'années-réacteurs avec les réacteurs à eau légère et la France en a une part importante. A l'évidence, pour les réacteurs des prochaines décennies, il faut encore capitaliser sur cette expérience. La construction d'un démonstrateur de réacteur avancé à eau légère s'impose en conséquence pour garder ouverte l'option nucléaire. La France a investi sur l'EPR, qui, bien qu'étant encore à l'état de projet, représente une solution compétitive. Les premiers réacteurs du parc EDF devront, à partir de 2009, être autorisés à fonctionner 10 ans de plus pour atteindre 40 ans en 2020. Compte tenu des délais de construction, EDF a pris ses responsabilités en souhaitant construire le démonstrateur EPR le plus rapidement possible, afin de disposer d'une garantie technique et économique de renouvellement de son parc. On ne voit pas sous quel motif l'électricien national pourrait se voir interdire cette possibilité. Quoi qu'il en soit, la filière actuelle des réacteurs à eau légère ne saurait être considérée comme la seule pouvant servir à l'avenir. La question est de savoir comment et jusqu'à quand elle dominera par sa compétitivité la production d'électricité. Mais les applications industrielles de l'énergie nucléaire ne pourront se limiter à ces réacteurs et au système de combustible associé. Au contraire, il faut aussi lancer avec hardiesse la recherche sur les pistes de l'avenir à trente à quarante ans, afin de mettre au point les réacteurs qui permettront de transmuter les déchets radioactifs produits par notre parc électronucléaire actuel et qui fourniront de nouvelles solutions compétitives pour la production d'électricité et d'hydrogène, un carburant peut-être promis à un grand avenir dans les transports. Les technologies modernes - matériaux, concepts, combustibles - ouvrent incontestablement de nouveaux horizons à l'énergie nucléaire. Il appartient aux organismes de recherche et aux États de mettre en place la coopération ouverte et pluraliste qui, seule, permettra de progresser dans cette direction. Il appartient au Gouvernement de faire connaître ses choix pour permettre à EDF de mettre en œuvre sa stratégie industrielle. Cinquième partie du rapport RECOMMANDATIONS 11 Examen du rapport par l'Office 13 Composition du groupe de travail 17 Liste des personnes auditionnées 19 Audition publique du jeudi 3 avril 2003 29 INTRODUCTION PAR M. CLAUDE BIRRAUX, 29 PREMIERE TABLE RONDE : LA REGLEMENTATION FRANÇAISE ET LES CENTRALES D'EDF 31 INTERVENTION DE M. ANDRE-CLAUDE LACOSTE, 53 DEUXIEME TABLE RONDE : L'APPROCHE DES DIFFÉRENTS PAYS DE L'OCDE DANS LE DOMAINE DE LA DURÉE DE VIE DES CENTRALES NUCLÉAIRES 58 ALLOCUTION DE Mme NICOLE FONTAINE, 70 LES REACTEURS DANS LA STRATEGIE DU CEA PAR M. ALAIN BUGAT, ADMINISTRATEUR GENERAL DU CEA 76 TROISIEME TABLE RONDE : LES REACTEURS DES ANNEES 2010 80 INTERVENTION DU DR. KLAUS PETERSEN, VICE PRÉSIDENT NUCLEAR POWER PLANTS, RWE POWER AG, LUE PAR M. SALHA 90 LE NUCLEAIRE DU FUTUR SELON LE GROUPE AREVA PAR Mme ANNE LAUVERGEON, PRESIDENTE DU DIRECTOIRE 92 QUATRIEME TABLE RONDE : LES REACTEURS DES ANNEES 2030-2040 97 L'APPROCHE D'EDF POUR LA GESTION DE LA DUREE DE VIE DE SON PARC ELECTRONUCLEAIRE PAR M. FRANÇOIS ROUSSELY, PRESIDENT D'EDF. 115 CONCLUSION PAR M. CHRISTIAN BATAILLE, DEPUTE DU NORD, RAPPORTEUR 121 1. L'échelle de temps de la politique énergétique étant la longue durée, et tout spécialement la politique nucléaire, il semble nécessaire de remédier au fait que la durée de 10 ans des attestations de non opposition au fonctionnement actuellement accordées aux réacteurs d'EDF ne permet pas une visibilité suffisante. Tout en réaffirmant le droit de regard permanent de l'autorité de sûreté et son droit de suspendre l'exploitation à tout moment, il serait avantageux - d'étudier la possibilité de transformer la notion actuelle de non opposition au fonctionnement en autorisation de fonctionnement de principe - de fixer la durée des autorisations de fonctionnement à 20 ans, sous réserve des inspections inopinées et d'examens de sûreté programmés. 2. Afin de permettre la diminution des coûts de production et des prix de vente de l'électricité ainsi que l'amélioration de son compte d'exploitation, l'amélioration des performances d'exploitation de ses réacteurs, en particulier par une réduction de la durée des arrêts de tranche, doit constituer pour EDF une priorité encore plus affirmée, au moment où ses perspectives à l'exportation pourraient s'améliorer encore du fait de tensions probables sur les capacités de production dans l'Union européenne. 3. Même si son parc électronucléaire est homogène du fait de sa standardisation, EDF devra pouvoir à l'avenir mettre en oeuvre dans le domaine de la durée de vie une gestion différentielle de ses réacteurs, l'autorité de sûreté étant appelée à jouer tout son rôle pour contribuer à sélectionner les tranches dont l'exploitation sera étendue au maximum dans le temps et celles qu'il conviendra d'arrêter plus rapidement. 4. Afin de disposer d'une garantie pour sa production d'électricité à l'horizon 2010-2015, la France doit engager sans délai la construction d'un démonstrateur-tête de série EPR, dans la perspective de disposer, au moment de l'arrêt des premiers réacteurs REP du palier 900 MW, d'un réacteur testé, prêt à être construit en série. Il appartiendra alors à l'industrie de prouver l'avenir et la compétitivité à long terme de l'EPR. 5. Prenant acte du fait que des pays comme les Etats-Unis étudient la mise en place d'aides de l'État fédéral à la construction d'un premier réacteur de nouvelle génération, la puissance publique ne doit pas craindre en France de soutenir concrètement la préparation de l'avenir à long terme de la production électrique française que constitue la construction d'un démonstrateur-tête de série EPR. 6. En dépit du fait que la vision d'un cycle du combustible fermé et autosuffisant n'ait plus d'actualité du fait du bas prix de l'uranium, le retraitement conserve un rôle essentiel dans la politique des déchets grâce à la réduction des volumes de stockage qu'il permet pour les déchets radioactifs de haute activité à vie longue. 7. Le secteur nucléaire français, qui bénéficie d'une haute réputation dans le monde entier, y compris aux Etats-Unis, trouvera intérêt à participer avec détermination aux partenariats internationaux de R&D qui seuls permettront la mise au point d'une éventuelle quatrième génération de réacteurs pour 2035. 8. Pour la mise au point de solutions pour le grand futur de l'énergie, aucune filière ne devra être écartée a priori, ni la filière des réacteurs à très haute température ni celle des réacteurs à neutrons rapides. En tout état de cause, la France ne saurait faire cavalier seul et trouverait au contraire un avantage à participer au courant principal de la recherche. 9. Le pluralisme de l'expertise et de la recherche étant, quel que soit le secteur considéré, synonyme d'efficacité, le CNRS et les universités doivent être encouragés à accroître significativement leur participation à l'effort national de recherche sur les systèmes nucléaires du futur et l'aval du cycle du combustible. * Examen du rapport par l'Office L'Office a procédé, dans sa réunion du mardi 13 mai 2003, à l'examen du rapport sur la durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteurs de M. Christian Bataille et de M. Claude Birraux, députés. Prenant la parole alternativement, les rapporteurs ont tout d'abord rappelé que la France a construit son parc électronucléaire de 58 réacteurs en un temps très court, d'où résulte un « effet de falaise », qui a pour conséquence que, si la durée d'exploitation effective de ces réacteurs ne dépassait pas la durée de vie de conception initiale, soit 40 ans, 13 réacteurs seraient arrêtés d'ici à 2020 et 24 réacteurs supplémentaires entre 2020 et 2025. Il n'existe pas, en France, de limitation de la durée de vie dans le décret d'autorisation de création d'une installation nucléaire, mais un réexamen de sûreté peut être demandé par l'autorité de sûreté qui, en pratique, en a fixé la périodicité à 10 ans. Ainsi, des rendez-vous réglementaires périodiques sont fixés sous la forme de visites décennales et de réexamens de sûreté associés. La fin des 30 premières années de fonctionnement étant considérée par l'autorité de sûreté comme une étape fondamentale, les décisions de non opposition à la prolongation d'exploitation seront prises au cas par cas. S'il est indispensable de privilégier la sûreté et de respecter les prérogatives de l'autorité de sûreté, il semble nécessaire, toutefois, d'étudier les moyens de modifier la réglementation française dans le sens d'une meilleure visibilité pour la conduite de la politique énergétique. D'une manière générale, la robustesse à 30 ans des réacteurs d'EDF est en ligne avec les prévisions. L'objectif des 40 années de fonctionnement, voire davantage, ne semble pas impossible à atteindre pour la majorité des réacteurs d'EDF. Toutefois, sur les 58 réacteurs du parc EDF, il n'est pas exclu que certains réacteurs ne puissent pas raisonnablement, c'est-à-dire à un coût économique acceptable, être prolongés au-delà de 40 ans. L'extension de la durée de vie des réacteurs est un enjeu majeur, l'économie de coûts de production de l'électricité avec un réacteur amorti économiquement s'élevant à 100 millions € par an. Mais il ne s'agit pas du seul enjeu, dans la mesure où, compte tenu de l'ouverture à la concurrence des marchés européens de l'électricité, il est impératif pour EDF d'améliorer encore ses performances. En tout état de cause, la prolongation de la durée de vie et la préparation d'une solution de remplacement sont deux stratégies complémentaires, de manière à disposer d'une garantie par rapport aux aléas techniques, réglementaires et économiques. Pour ne pas être obligé de rééditer le « sprint » de 10 à 15 ans qui a été effectué par l'industrie nucléaire française dans les années 1980, il est indispensable que de nouveaux réacteurs puissent entrer en fonctionnement, c'est-à-dire en service industriel, dès 2020. Ceci suppose que la France dispose, dès 2015, d'un réacteur ayant déjà fonctionné pendant quelques années. EDF a pris ses responsabilités d'industriel en indiquant son souhait de lancer le plus rapidement possible la construction du démonstrateur EPR, le projet de réacteur proposé par Framatome ANP, dont la sûreté et la compétitivité sont encore améliorées par rapport aux réacteurs actuels. On ne voit pas sous quel motif EDF pourrait se voir interdire la possibilité de bénéficier d'une garantie industrielle et de lisser le renouvellement de son parc électronucléaire. Au demeurant, la construction du démonstrateur EPR, qui serait compétitif par rapport au cycle combiné à gaz même avec une série de 4 tranches, favoriserait son succès sur les marchés étrangers, en particulier en Finlande qui prépare la construction de son 5ème réacteur et sur les autres marchés européens ou américain, dont on prévoit le redémarrage en 2015. Pour autant, il convient aussi de préparer, par un effort de R&D important, les réacteurs nucléaires de la génération suivante. Plusieurs sauts technologiques devront être réussis pour cette nouvelle génération, de façon à encore améliorer la sûreté d'exploitation, à réduire la quantité de déchets radioactifs produits ou recycler les déchets issus des autres filières, à confirmer la possibilité d'une conception éventuellement modulaire afin de pouvoir s'adapter à tous types de réseau et à élargir les débouchés de l'énergie nucléaire à la cogénération de chaleur et d'électricité, à la désalinisation de l'eau de mer et à la production d'hydrogène à partir de l'eau. A l'évidence, le choix à l'horizon 2030 de nouveaux réacteurs doit accorder la plus grande importance à la minimisation des déchets de haute activité à vie longue. Mais un tel choix ne suffira pas à résoudre le problème des déchets générés par les réacteurs actuellement en fonctionnement. Il conviendra donc aussi de disposer de réacteurs pour la transmutation des déchets à haute activité et à vie longue. A ce sujet, il existe un débat dans la communauté scientifique au sujet de la priorité à accorder au développement, respectivement des réacteurs hybrides de type ADS (Accelerator Driven System) et des réacteurs à neutrons rapides, débat qui mérite d'être rapidement approfondi. Le marché du nucléaire dans l'avenir n'étant pas considérable, la place pour différentes technologies et pour différents constructeurs ne sera pas grande, ce qui obligera à une consolidation et à une coopération internationale, d'autant que des investissements énormes de plusieurs milliards $ devront être engagés pour apporter des solutions aux problèmes technologiques des différentes filières, ainsi que pour démontrer la sûreté des réacteurs et parvenir à des systèmes exploitables commercialement. Pour résoudre ce difficile problème, il conviendra de mettre en place un nouveau type de coopération, dont le modèle d'Airbus pourrait fournir un exemple. Par ailleurs, s'agissant du choix de systèmes réacteurs / cycle du combustible pour le très long terme, des priorités devront être fixées, à l'issue d'une discussion ouverte à l'appui de laquelle une recherche pluraliste devra apporter sa contribution pour proposer, dans les meilleures conditions, une décision au Gouvernement. Toutes les forces de la recherche française doivent donc être mobilisées pour atteindre un niveau suffisant dans la compétition internationale et pour qu'enfin s'instaure un véritable pluralisme de la recherche nucléaire, pluralisme facteur de transparence et d'efficacité. Ceci impose à l'évidence que le CNRS accorde une priorité à ce domaine de travail et lui alloue une proportion nettement accrue de ses moyens humains et matériels. Dans la discussion qui a suivi, M. Claude Gatignol, député, a estimé que le rapport, dense, complet et bien construit, dans la ligne des rapports de référence de l'Office, permet de cerner, dans la durée, la notion de remplacement du parc électronucléaire. Il s'est demandé si, compte tenu de la standardisation du parc d'EDF, les décisions sur la durée de vie pourront être homogènes pour les réacteurs d'un même palier. M. Claude Birraux, député, rapporteur, a indiqué que la standardisation du parc, qui est réelle, est tempérée par d'inévitables différences à la marge dans la fabrication de certains matériaux comme les aciers de cuve. Une gestion différenciée de la durée de vie sera en conséquence inévitable pour chaque réacteur. M. Christian Bataille, député, rapporteur, a remarqué que le principe de décisions au cas par cas pour le prolongement de la durée de vie des réacteurs nucléaires, est commun à tous les pays. M. Claude Birraux, député, rapporteur, a souligné qu'EDF devra en conséquence mettre en oeuvre une gestion différenciée de son parc. Pour accélérer la mise en place, sur une série de réacteurs, des modifications requises pour leur jouvence, il peut être conseillé à EDF de développer son organisation en réseau, voire de renforcer ses échelons régionaux. En réponse à M. Claude Gatignol, député, qui s'était interrogé sur la possibilité de lier la durée de l'autorisation avec la qualité de l'exploitation, M. Christian Bataille, député, rapporteur, a remarqué que la gestion performante d'une centrale nucléaire est incontestablement un facteur de longévité. Ce paramètre intervient dans la décision de l'autorité de sûreté française, même si les systèmes réglementaires de certains autres pays sont moins normatifs et plus pédagogiques. M. Jean-Yves Le Déaut, député, s'est interrogé sur la possibilité réelle d'attendre la mise au point des réacteurs de Génération IV pour procéder au renouvellement du parc actuellement en service. M. Claude Birraux, député, rapporteur, a rappelé les incertitudes très grandes concernant les dates de mise au point des réacteurs pour 2035, en raison des nombreux verrous technologiques à lever. Or il est indispensable de disposer dès 2015 d'une solution éprouvée pour faire face à tout aléas économique, réglementaire ou technique. M. Christian Cabal, député, a souligné que, même s'il est possible de prolonger la durée de vie des réacteurs à 40 ans voire à 50 ans, il sera avantageux de lisser le renouvellement du parc. Au contraire, si l'extension ne s'avère pas possible, il sera nécessaire de disposer d'un réacteur de remplacement. L'EPR doit donc être disponible. Par ailleurs, l'implication du CNRS et des universités permettra de dynamiser et de pérenniser la recherche sur l'énergie nucléaire. M. Claude Birraux, député, rapporteur, a souligné l'importance de voir le CNRS s'impliquer encore davantage dans ce domaine pour renforcer l'émulation, pérenniser les formations aux techniques nucléaires du fait des liens entre ses laboratoires et l'université et apporter le pluralisme de l'expertise nécessaire à la décision. M. Christian Bataille, député, rapporteur, a indiqué que les missions effectuées à l'étranger pour la préparation du rapport ont permis de vérifier la grande réputation de la recherche française sur le nucléaire, en particulier aux Etats-Unis qui attirent nombre de ses spécialistes. A l'issue de la discussion, le rapport a été adopté à l'unanimité des présents. Composition du groupe de travail La Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire de l'Assemblée nationale a, le 6 novembre 2002, saisi l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques d'une étude portant sur « la durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteurs ». M. Christian BATAILLE, Député du Nord, et M. Claude BIRRAUX, Député de Haute-Savoie, Président de l'Office, désignés Rapporteurs de cette étude le 20 novembre, ont conclu à la faisabilité d'un rapport sur cette question, dans une étude qui a été adoptée le 4 décembre par l'Office parlementaire. Pour les assister dans leur travail, les Rapporteurs ont formé le comité de pilotage ainsi constitué : · M. Pierre BACHER, ancien Directeur technique d'EDF · Mme Mathilde BOURRIER, Maître de Conférences, Université technologique de Compiègne · M. Thierry DUJARDIN, Directeur adjoint Science et Développement, AEN-OCDE · M. Philippe GARDERET, Directeur des technologies émergentes, Groupe AREVA · M. Philippe GIRARD, EDF Trading · M. Jean-Claude LE SCORNET, Ingénieur de recherche, CNRS · M. Christian NGÔ, Directeur de la prospective, Direction de la recherche technologique du CEA · M. Jean-Christophe NIEL, Chef du département d'évaluation de sûreté, IRSN · M. Jean-François RAFFOUX, Directeur scientifique de l'INERIS · M. Jean-Paul SCHAPIRA, Directeur de recherche, CNRS · M. Alain SCHMITT, Directeur général adjoint, DGSNR · M. Georges SERVIERE, Adjoint au directeur de la division de l'ingénierie nucléaire, EDF
Audition publique du jeudi 3 avril 2003 La séance est ouverte à 9 h 30 INTRODUCTION PAR M. CLAUDE BIRRAUX, Député de Haute-Savoie, rapporteur, Président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques Mesdames, Messieurs, chers Collègues, merci d'être présents malgré les difficultés de circulation de la journée, qui ont contraint un certain nombre de nos invités à ne pas pouvoir nous rejoindre, en particulier M. Jean-Jacques Van BINNEBEEK, Directeur Général d'AVN, l'appui technique de l'autorité de sûreté belge et le Dr. Klaus PETERSEN, Vice-Président Nuclear Power Plants, RWE Power AG qui a envoyé deux communications qui seront lues cet après-midi. Compte tenu de l'ampleur du programme que nous nous sommes fixé, nous allons commencer tout de suite cette journée d'audition publique ouverte à la presse, que Christian BATAILLE et moi-même vous proposons sur la durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types réacteurs, dans le cadre du rapport que nous préparons sur ce sujet pour l'Office Parlementaire d'Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques. Avant d'ouvrir la première table ronde, je voudrais brièvement vous donner quelques indications sur le contexte de cette audition, tant au plan institutionnel qu'au plan politique avant de présenter le programme de la journée. Au plan institutionnel, c'est le 6 novembre 2002 que la Commission des Affaires Économiques de l'Environnement et du Territoire de l'Assemblée Nationale a saisi l'Office Parlementaire d'Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques d'une étude portant sur la durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteurs. Christian BATAILLE, Député du Nord, et moi-même Député de Haute-Savoie et Président de l'Office, avons été désignés Rapporteurs de cette étude le 20 novembre. Selon la procédure de l'Office, nous avons élaboré une étude de faisabilité concluant à la possibilité effective de réaliser un rapport sur cette question dans un délai de quelques mois. Après que cette étude a été adoptée le 4 décembre par l'Office Parlementaire, nous nous sommes immédiatement mis au travail. Comme c'est la pratique de plus en plus fréquente à l'Office Parlementaire, nous avons constitué un Comité de Pilotage, constitué d'experts des questions nucléaires ou non nucléaires, appartenant à toutes les parties prenantes. Ce Comité de Pilotage nous a assistés tout au long de nos investigations, en nous aidant à sélectionner les personnalités à auditionner, à poser les questions clefs, à analyser les informations livrées par nos interlocuteurs. Je voudrais remercier publiquement les membres de ce Comité de Pilotage pour le travail considérable qu'ils ont fourni à nos côtés. Depuis 1990, Christian BATAILLE a consacré sept rapports aux questions de l'aval du cycle nucléaire, dont le rapport qui a inspiré très largement la loi qui porte son nom. J'ai publié moi-même depuis 1990 au nom de l'Office, onze rapports sur la sûreté nucléaire. Mais sans aucun doute, sans l'assistance du Comité de Pilotage, nous n'aurions pas pu analyser aussi vite et profondément les questions qui nous sont posées. Les membres du Comité de Pilotage auront assuré auprès de nous un important rôle d'assistance technique. Mais leur responsabilité ne sera en aucune façon engagée par les conclusions que nous tirerons dans les jours qui viennent. Leur responsabilité ne sera pas davantage engagée par les recommandations que nous ferons dans le rapport que nous soumettrons à l'Office Parlementaire à la mi-mai et qui sera publié quelques jours plus tard si l'Office décide de l'adopter. Ceci étant précisé quelle est la finalité politique du rapport de l'Office ? Comme vous le savez, le Gouvernement conduit à l'heure actuelle un débat national sur les énergies, qui a débuté le 18 mars et se terminera le 24 mai à Paris après cinq rencontres régionales. Parallèlement à ce débat national, le travail que nous conduisons en toute indépendance au nom de l'Office sur la question du parc électronucléaire français, se place dans le cadre de la préparation du futur projet de loi d'orientation sur les énergies qui sera soumis au Parlement dans les prochains mois. L'objectif que nous avons, Christian BATAILLE et moi-même, est de mettre à la disposition du Parlement et de nos concitoyens, les paramètres des choix possibles en matière de durée de vie des centrales nucléaires et de nouveaux types de réacteurs. A cet égard, je souhaite insister sur le fait que notre mission a été clairement définie par la saisine de la Commission des Affaires Économiques. Il n'entre pas dans notre responsabilité de discuter les avantages et les inconvénients de l'énergie nucléaire ni de présenter des réflexions sur l'opportunité de confirmer ou d'infirmer le choix de l'électricité nucléaire fait par notre pays au début des années 1970. Notre mission est d'éclairer la représentation nationale et nos concitoyens sur la pérennité des parcs électronucléaires actuellement en service en France et dans le monde. Quels sont les phénomènes pouvant limiter la durée d'exploitation des centrales nucléaires ? Comment peut-on lutter contre leur vieillissement, à quel prix et dans quelles conditions de sûreté ? Par ailleurs, si le choix politique est effectué de renouveler notre parc électronucléaire, à quelle date faudra-t-il commencer à le faire ? Quelles seront les technologies disponibles : évolutionnaires, c'est-à-dire en prolongement des technologies actuelles ou au contraire révolutionnaires, c'est-à-dire en rupture avec les filières actuellement en service ? Telles sont quelques-unes des questions sur lesquelles nous avons déjà enquêté et auxquelles nous allons consacrer nos débats aujourd'hui. S'agissant de l'organisation de la présente journée d'audition publique, la question de la durée de vie des centrales nucléaires fera l'objet des deux tables rondes de la matinée. La première sera consacrée aux centrales d'EDF et à la réglementation française relative à leur durée de vie. La deuxième sera consacrée à l'approche des différents pays de l'OCDE dans ce domaine. Entre ces deux tables rondes, M. André-Claude LACOSTE, Directeur Général de la sûreté et de la Radioprotection, nous dira quelles sont, de son point de vue, les grandes problématiques du contrôle de la sûreté nucléaire dans les prochaines années, problématiques dont il considère à juste titre, qu'elles concernent non seulement la technologie, mais aussi le facteur humain. Notre session de cet après-midi sera ouverte par Mme Nicole FONTAINE, Ministre déléguée à l'industrie, qui replacera le rôle du Parlement dans l'élaboration de la politique énergétique de notre pays. Nous entendrons également Monsieur Alain BUGAT, Administrateur Général du CEA sur la stratégie du CEA et les réacteurs nucléaires. La troisième table ronde portera sur les réacteurs des années 2010. Mme Anne LAUVERGEON, Présidente du Directoire d'AREVA, nous dira ensuite quelle est la vision de son Groupe AREVA sur le nucléaire du futur. Au cours de la quatrième et dernière table ronde, nous traiterons des réacteurs des années 2030-2040 avant que M. François ROUSSELY, Président d'EDF, ne nous expose l'approche d'EDF pour la gestion de la durée de vie de son parc électronucléaire. Au terme de cette journée de travail qui nous aura permis, je n'en doute pas, de progresser dans la connaissance du problème qui nous est posé, Christian BATAILLE tirera les conclusions de nos discussions. M. Bernard DUPRAZ - Je voudrais centrer cette intervention sur l'état des réflexions effectuées aujourd'hui par EDF sur le lien entre la durée de vie des centrales actuelles et la stratégie de renouvellement des centrales de ce parc. Les centrales actuelles sont jeunes - dix-huit ans en moyenne -, et compétitives. Comme nous n'avons pas de besoins de production en base dans les prochaines années, vis-à-vis de la production en base la question essentielle est bien celle du renouvellement des centrales actuelles. Une des caractéristiques essentielles du parc actuel, est que pour l'essentiel, 80 %, il a été mis en service dans une période extrêmement courte, dix ans, entre 1980 et 1990 pour 50 000 des 63 000 MW de ce parc. Sa durée de vie de conception est de quarante ans. Le retour d'expérience français et international - américain, européen, japonais - ainsi que le programme de durée de vie conduit par EDF et que Jean-Pierre HUTIN développera tout à l'heure, nous permettent aujourd'hui de confirmer un objectif de quarante ans comme réaliste pour l'ensemble du parc et de viser un objectif plus ambitieux pour au moins une partie du parc. Par définition et quelle que soit sa composition en termes de moyens de production, le parc de renouvellement sera en service pendant l'essentiel du XXIe siècle. Il n'est pas nécessaire de dire que, compte tenu des incertitudes à cet horizon en matière de prix des énergies et des contraintes d'environnement, un très grand nombre de raisons militent pour lisser, pour étaler sur une période suffisamment importante - vingt, trente ans - le renouvellement d'un parc qui a été construit en une dizaine d'années. Ce sont des raisons industrielles, des raisons économiques et financières et des raisons stratégiques au sens de robustesse et flexibilité dans les choix successifs de façon à garder à chaque instant les options ouvertes vis-à-vis de ces choix successifs. Quelles possibilités avons-nous pour le renouvellement de ce parc s'agissant du renouvellement par des centrales nucléaires ? En anticipant sur les tables rondes de cet après-midi, nous distinguons deux horizons temporels. Le premier horizon temporel est l'horizon 2020 des centrales que nous appelons parfois de Génération III+. Ces centrales comprennent des réacteurs comme - sans être exhaustif - EPR, l'AP 1000 développé par Westinghouse. Les principales caractéristiques de ces réacteurs de l'horizon 2020 sont qu'il s'agit de réacteurs déjà certifiés comme l'EPR ou en cours de certification par les autorités de sûreté comme l'AP 1000. Ces réacteurs présentent des progrès très importants en matière de sûreté, en particulier s'agissant des conséquences sanitaires des accidents graves, et sont compétitifs vis-à-vis des cycles combinés gaz. Le second horizon temporel est celui des réacteurs de génération IV. A quel horizon temporel peut-on envisager des mises en service industrielles pour cet horizon ? Compte tenu du retour d'expérience, les filières auxquelles il pourra être fait appel seront soit celles qui ont connu un développement industriel et commercial extrêmement rapide comme les réacteurs à eau, à eau pressurisée ou à eau bouillante, soit celles qui ont connu un succès plus mitigé comme les réacteurs à neutrons rapides sodium, soit celles qui ont connu des échecs technologiques en leur temps comme les réacteurs à haute température dans les années 1970 et 1980. Notre analyse aujourd'hui est que deux étapes préalables sont nécessaires à la mise en service d'une série commerciale de réacteurs de Génération IV. Une première étape sera celle que j'appellerai du pilote technologique. Il s'agit de démontrer la faisabilité des concepts, de démontrer aussi qu'un certain nombre de verrous, en particulier technologiques, ont été levés. Nous pouvons imaginer pour cette première étape, des mises en service de pilotes à l'horizon 2012- 2015. Si cette étape est positive, l'étape suivante sera celle du démonstrateur industriel. Il s'agit là d'une centrale de production d'électricité, qui apporte cette démonstration de faisabilité industrielle et commerciale à tout point de vue aussi bien en matière de sûreté que de compétitivité. Pour cette étape, nous pouvons imaginer un horizon de mise en service de 2025 ce qui, en faisant l'hypothèse que tout s'est bien passé, permettrait une mise en service d'une série commerciale à l'horizon 2035. Sur cette base d'hypothèses pour les réacteurs de Génération III+ ou de Génération IV, je vais présenter quelques scénarios qui sont simplement des outils d'aide à la réflexion. Il ne s'agit bien sûr pas d'une quelconque prévision ou de planification, mais simplement d'une illustration des deux paramètres qui nous semblent essentiels. Le premier est celui de la capacité de production nucléaire à l'horizon 2040. Nous évaluons la production en base à cet horizon à environ 70 GW. Le scénario que je vais présenter dans quelques instants est fondé sur une hypothèse de 50 GW pour la production nucléaire, c'est-à-dire 70 % de la base. Le second paramètre important est bien sûr le calendrier de renouvellement et, de ce point de vue, je vais présenter trois scénarios : un scénario de renouvellement lissé sur trente ans entre 2020 et 2050 ; un scénario de lissage sur vingt ans entre 2020 et 2041 ; un scénario où par hypothèse, par construction, le renouvellement s'effectue directement par des réacteurs de Génération IV, donc compte tenu de l'hypothèse que j'ai présentée tout à l'heure, à partir de l'horizon 2035. Dans le premier scénario qui est un scénario de renouvellement du parc nucléaire à hauteur de 50 000 MW, étalé sur trente ans entre 2020 et 2050, l'appel à la prolongation de la durée de vie conduit à une durée de vie moyenne de quarante-huit ans avec une dispersion entre un peu plus de quarante, quarante-deux ans et un peu plus de cinquante ans pour les réacteurs les plus anciens, à un parc de renouvellement nucléaire réparti pour moitié entre des réacteurs de Génération III+ et des réacteurs de Génération IV. Second scénario, un renouvellement plus rapide sur une période de vingt ans seulement se traduit par un appel moins important à la durée de vie, par une durée de vie moyenne de quarante-quatre ans avec une dispersion entre un peu plus de quarante et autour de cinquante ans, par un remplacement assez important par des réacteurs de Génération III+ et par l'appel malgré tout à des réacteurs de Génération IV. Troisième scénario, que j'ai présenté par hypothèse comme celui d'apparition de réacteurs éprouvés industriellement de Génération IV, un appel massif est fait à la prolongation de la durée de vie pour ne commencer le renouvellement du parc actuel qu'à l'horizon 2035. Ce scénario conduit à une durée de vie importante de cinquante-six ans en moyenne, relativement peu dispersée. Cela veut dire que, dans ce scénario, l'essentiel du parc actuel doit atteindre entre cinquante-quatre et soixante ans pour permettre le lien avec les réacteurs de Génération IV. Quelles conclusions en tirons-nous ? S'agissant du scénario de type 3, donc Génération IV directement, nous faisons deux paris. Un premier pari consiste à reposer sur un allongement important de cinquante-cinq à soixante ans, de la durée de vie sur la quasi-totalité du parc actuel. Ce pari nous paraît risqué. Un second pari est fait sur la disponibilité vers 2035 de modèles industriels éprouvés de Génération IV. C'est un objectif hautement souhaitable, mais pouvons-nous baser une stratégie industrielle sur la réussite assurée de ce pari ? Cela nous paraîtrait bien sûr tout à fait imprudent. Inversement les scénarios de type renouvellement étalé sur vingt à trente ans à partir d'un horizon 2020, nous semblent présenter l'avantage d'une robustesse certaine en ayant un socle de réacteurs avancés de Génération III+, donc de la robustesse. Sur cette robustesse et en fonction de la progression des connaissances, en particulier industrielles et technologiques sur la durée de vie du parc existant, sur les réacteurs du futur et en fonction du contexte économique et de l'ensemble du contexte politique ou environnemental, nous pourrions adapter de façon plus souple la stratégie de renouvellement. Ces scénarios correspondent à une durée de vie entre quarante-cinq et cinquante ans avec une dispersion certaine, permettant d'adapter cette durée de vie à la réalité technique et industrielle de chaque centrale, donc concrètement de faire vivre plus longtemps les centrales les plus robustes. J'en terminerai là en précisant simplement - et Jean-Pierre HUTIN le développera plus largement tout à l'heure - que, compte tenu de ces éléments d'analyse, EDF a pour objectif une durée de vie de quarante ans au moins sur l'ensemble du parc actuel et un objectif supérieur pour une partie au moins de ses centrales. Nous nous en donnons les moyens par la politique d'exploitation et de maintenance du parc actuel, par des réexamens décennaux de sûreté des centrales et des programmes de modernisation des centrales, par un programme de recherche et développement, notamment sur la maîtrise du vieillissement, par un souci et des actions sur la pérennité du tissu industriel nucléaire et par la réalisation des actions qui conviennent sur le renouvellement des compétences que ce soit les compétences internes à l'entreprise EDF ou celles de l'ensemble de la chaîne de l'industrie nucléaire, constructeurs ou prestataires de services. M. Jean-Pierre HUTIN, Directeur de Programmes Production, EDF R & D Je vais rappeler la problématique générale du vieillissement, puis j'expliquerai la manière dont EDF la prend en compte. La durée de vie peut être affectée par trois choses : le vieillissement des composants, le niveau de sûreté, la compétitivité. Le choix qui est fait, est de ne pas traiter ces problématiques dans des organisations parallèles, mais de les intégrer dans la gestion et l'exploitation au quotidien. Un autre point important est que le vieillissement, les modes d'exploitation, les règles de sûreté, les performances, tous ces aspects interagissent, évoluent en même temps. Autrement dit le problème n'est pas l'atteinte fatale de limites absolues - trente, quarante, cinquante ans -, mais plutôt une gestion optimisée des marges présentes et futures sans oublier le fait qu'il y a des menaces qui sont non techniques. Nous cherchons à gérer la durée de vie à tous les horizons de temps et dans les différents niveaux de la gestion du parc, et d'abord au quotidien avec une recherche d'excellence en ce qui concerne la sûreté, la compétitivité, la transparence, une préoccupation de durée de vie qui est intégrée dans toutes les activités (on peut parler d'une sorte de culture de durée de vie comme il y a une culture sûreté), des démarches d'améliorations permanentes basées sur le retour d'expérience qui est particulièrement riche dans la mesure où nous avons un grand nombre de tranches standardisées, des actions spécifiques au quotidien pour minimiser et maîtriser le vieillissement avec, par exemple, des optimisations des modes d'exploitation pour ralentir telle ou telle maladie, des programmes de maintenance pour suivre ces modes de vieillissement, des modifications éventuelles. Nous faisons ceci sans oublier aussi au quotidien la collecte des données puisque dès les premiers jours, il faut collecter les données sur la fatigue, la fiabilité de façon à pouvoir, au fur et à mesure que la vie de la tranche avance, faire les analyses sur son potentiel de durée de vie restant. Les matériels remplaçables ou réparables ne devraient pas poser de problème sauf si nous sommes amenés à devoir tous les remplacer ou les réparer en même temps auquel cas nous risquerions d'être « plantés ». La seule façon d'éviter ce problème est d'anticiper suffisamment. Pour ce faire, nous avons une démarche dite de maintenance exceptionnelle, dans laquelle nous analysons tous les composants, les maladies qui peuvent leur arriver, certaines probabilités. Nous faisons ensuite des analyses technico-économiques pour savoir quel degré d'anticipation nous allons adopter. Cela peut aller de faire simplement à l'avance certaines études de faisabilité jusqu'à acheter des pièces de rechange de façon anticipée, voire faire des rénovations ou des remplacements préventifs. Nous consacrons environ 200 M€ par an à cette maintenance exceptionnelle. Au-dessus de cela, tous les dix ans ont lieu une visite et un réexamen de sûreté. Avant chaque visite décennale, nous faisons un examen de conformité de l'installation, puis nous définissons un nouveau référentiel de sûreté avec des standards plus élevés. Nous repérons ensuite les écarts entre la situation actuelle et le nouveau référentiel de sûreté et nous proposons des modifications. Pendant la visite décennale, nous mettons en œuvre ces modifications. Cela peut représenter jusqu'à 30 M€ pour une visite décennale d'une tranche 900 MW. Nous avons des travaux de maintenance lourde et de très nombreuses inspections, des essais, des investigations très étendues, orientées en particulier vers la préoccupation vieillissement. Au-dessus de tout ceci, il y a un programme durée de vie qui est une sorte de niveau supplémentaire de vérification, dans lequel nous faisons des revues périodiques des mécanismes de vieillissement, des composants, avec la réalisation de dossiers d'aptitude et des programmes de R&D en support. Nous consacrons environ 42 M€ par an au sujet de la durée de vie et de l'anticipation, en particulier sur la compréhension et la modélisation des mécanismes de vieillissement. Dans ce programme durée de vie, il y a également une comparaison permanente avec les pratiques et les résultats étrangers et un observatoire durée de vie qui est au-dessus de tout ceci, vérifie que tout le monde prend bien en compte la dimension vieillissement. Je vous montre, pour mémoire, la liste des mécanismes de vieillissement qui sont sous surveillance, je ne vais pas tous les passer en revue. Dans chaque cas, nous cherchons à comprendre les mécanismes, les critères d'initiation et les vitesses de propagation de façon à pouvoir faire des prévisions et optimiser les décisions. Les résultats de tout ceci sont les suivants. D'abord si nous regardons les indicateurs globaux de l'état d'une tranche - la disponibilité, la sûreté, les coûts d'exploitation, le nombre d'arrêts d'urgence, etc. -, nous observons sur vingt ans des variations qui reflètent les changements de contexte, les démarches de progrès d'exploitant, mais aucun signe d'un vieillissement global des installations. Le retour d'expérience après plus de mille années réacteurs, est qu'il n'y a pas de maladie fatale identifiée. Là encore, le fait d'avoir un parc standardisé nous fournit une base de données extrêmement riche. En maintenance exceptionnelle, vous avez des programmes très robustes sur le plan industriel et suffisamment anticipateurs pour tolérer des aléas importants. Ils pèsent un peu sur les coûts et la disponibilité à un moment donné, mais peuvent être absorbés comme par exemple les couvercles de cuve. Ce ne serait pas le cas si nous n'anticipions pas ce genre de choses. En visite décennale, nous n'avons pas fait de découvertes remettant en cause l'espérance de vie. Au-dessus et comme je l'ai dit, vous avez les réexamens de sûreté avec leurs lots de modifications tous les ans si bien que non seulement le niveau de sûreté ne se dégrade pas avec l'âge, mais qu'il s'améliore. La conclusion est que pour les tranches françaises avec une température de transition - c'est en quelque sorte la mesure du vieillissement de la cuve - qui, à quarante ans, est inférieure à 80°, et par ailleurs une connaissance très précise de tous les défauts préexistants dans ces cuves grâce à un contrôle par ultrasons dans la zone à risques - et nous sommes les seuls au monde à le faire -, nous considérons que les cuves françaises présentent des marges suffisantes pour au moins quarante ans et très probablement soixante ans. Nous considérons ceci tout en reconnaissant que les études doivent se poursuivre pour affiner le pronostic à soixante ans. Bernard DUPRAZ a également mentionné la nécessité de ne pas se soucier simplement des problèmes techniques, mais aussi des problèmes par exemple industriels. La maintenance du parc et ses évolutions nécessitent un support industriel, c'est évident, moins que pour la construction, mais important quand même. Il faut nous assurer de la pérennité de ce support. Pour ce faire, il y a un socle de partenaires solides dont nous nous assurons en quelque sorte la fidélité par une charte de partenariat. Nous avons par ailleurs un observatoire permanent des capacités de l'industrie nucléaire, dans lequel nous cherchons en permanence à identifier les produits ou les fournisseurs qui seraient fragiles d'un point de vue financier ou commercial et sensibles pour EDF, c'est-à-dire dont la disparition nous poserait des problèmes, de façon à pouvoir prendre avec ces industriels, des mesures anticipatoires et éviter que leur disparition ne soit un problème fatal pour nous. En ce qui concerne la situation à l'étranger, il y a des approches politiques différentes selon les pays, c'est vrai, mais quand nous analysons de près, nous voyons que les problématiques et les programmes techniques mis en œuvre sont à peu près de même nature. La différence est que par exemple aux Etats-Unis, après analyse, cela donne lieu à un renouvellement de licence qui peut aller jusqu'à soixante ans alors qu'en France, nous sommes plutôt sur un système d'autorisation au coup par coup tous les dix ans. Bien sûr en termes de visibilité, en particulier pour les investissements, nous avons une situation quand même assez différente. Je signale en passant qu'à côté d'EDF, nous avons une veille technologique dite durée de vie, qui est réalisée par la Division Recherche et Développement. Nous y observons les tranches étrangères les plus anciennes de façon à analyser ce qui leur arrive, comprendre du coup ce qui pourrait nous arriver et éventuellement prendre des mesures. En conclusion, au vu des études spécialisées et de l'état constaté des installations, les tranches EDF pourront atteindre une durée de vie d'au moins quarante ans telle que prévue à la conception, pour autant qu'elles soient exploitées au quotidien de façon sure, propre et compétitive et que les menaces qui existent continuent à être gérées avec suffisamment d'anticipation. Là encore le message fort est que la durée de vie se gagne au quotidien et dès le premier jour. Il n'est pas identifié d'obstacle à ce que cette durée soit portée à cinquante ou soixante ans, en revanche il est vrai que des études et des investigations complémentaires devront en apporter démonstration et répondre aux questions qui, de notre point de vue, sont non bloquantes et tout à fait légitimes, qui sont posées et qui peuvent nous être posées. Pour terminer, je vais faire le lien avec la présentation de Bernard DUPRAZ, toutes les centrales n'auront pas forcément exactement la même durée de vie, du coup la gestion de la fin de vie des tranches devra faire l'objet d'études d'optimisation technico-économiques. Ces études devront prendre en compte la nécessité de préparer le déploiement des nouveaux moyens de production, qu'ils soient nucléaires ou non et ce, avec suffisamment d'anticipation. M. Yves MEYZAUD, Chef du Département Matériaux et Technologies, Framatome ANP Il est bien évident que le constructeur est en phase avec l'exploitant sur de nombreux sujets. Je vais donc raccourcir ma présentation compte tenu de tout ce qui a été présenté jusqu'à maintenant par Jean-Pierre HUTIN. Je voulais simplement apporter un éclairage sur le rôle et l'apport du constructeur dans les problèmes de vieillissement et de durée de vie des centrales et peut-être d'abord préciser que, vu du constructeur, c'est le vieillissement qui est important. Il est clair que si le constructeur peut jouer sur le vieillissement des installations, ce n'est pas son rôle de parler de durée de vie sauf peut-être au moment de la conception de l'installation. Pour revenir aux installations, le vieillissement tel que vu chez nous, c'est la dégradation physique des composants et des structures. C'est un phénomène essentiellement lié au temps, mais qui sera également lié à la façon d'exploiter les chaudières nucléaires, donc à la façon dont l'exploitant va solliciter plus ou moins ses matériels. Nous avons vu tout à l'heure qu'EDF avait ce souci. Une étude européenne récente a rassemblé tous les experts en matière de vieillissement de composants et a permis de faire un inventaire assez exhaustif des modes possibles de dégradation des centrales à eau pressurisée et à eau bouillante. Je vais vous épargner la liste des dégradations possibles sachant que nous pouvons quand même avancer un certain nombre de catégories de dégradations, dont la fragilisation des matériaux par irradiation ou vieillissement thermique, la corrosion fissurante, la fissuration par fatigue. Ce sont les dégradations les plus importantes que nous pouvons attendre. Le rôle du constructeur se situe tout en amont, c'est-à-dire que nous commençons par prévenir le vieillissement en amont quand nous faisons la conception et la construction des centrales. Quand nous faisons un retour en arrière sur ce qui a été fait, nous pouvons considérer que ce qui a été fait est satisfaisant. La conception et la fabrication des composants, c'est au départ l'utilisation de matériaux éprouvés. Depuis le début des programmes nucléaires de réacteurs à eau pressurisée, nous utilisons des matériaux qui sont dérivés de la marine américaine, donc de ses premiers réacteurs. L'innovation dans ce domaine est à faire avec une prudence extrême. Les composants sont largement dimensionnés, ce sont des composants robustes au départ. Nous imaginons un scénario d'exploitation sur quarante ans et nous vérifions qu'un scénario d'exploitation enveloppe très largement de ce qui peut se passer, que nous n'aurons pas de dégradations significatives par exemple par fatigue, déformation progressive ou encore par fissuration. Enfin, au fil des paliers, le constructeur a intégré toute l'expérience d'exploitation et a amélioré ses produits si bien qu'aujourd'hui les dernières centrales construites ont un potentiel de durée de vie ou une résistance au vieillissement supérieur aux premières centrales. Je ne parle pas de la cuve. Comme l'a dit Jean-Pierre HUTIN, le vieillissement se gère au quotidien. Le constructeur a bien sûr son rôle à jouer parce que c'est lui qui connaît le mieux la conception et la construction de son produit. L'exploitant fait d'ailleurs largement appel au constructeur pour l'aider soit à diagnostiquer tout signe de défaillance, soit à préparer un certain nombre de dossiers pour l'autorité de sûreté. Par ailleurs le constructeur a développé des outils et ce, au plan international puisque le constructeur Framatome ANP a aujourd'hui une assise internationale tout à fait importante avec une filiale aux Etats-Unis et une filiale en Allemagne. Nous pouvons donc utiliser au bénéfice du parc français, des outils d'inspection qui ont été développés dans les autres pays ainsi que des outils de réparation ou des technologies de remplacement de composants. Nous pouvons aussi utiliser tout ce qui a été fait du point de vue rénovation ou remplacement des systèmes de contrôle commandes, en particulier par nos collègues allemands. Tout ceci fait qu'aujourd'hui, le constructeur est plus que jamais à même d'aider l'exploitant EDF à gérer de la meilleure façon possible, la durée de vie du produit qu'il a fourni. En guise de conclusion, je voudrais donner quelques éclairages complémentaires et d'abord sur la connaissance du vieillissement. Cela fait plus de vingt ans qu'en France et au plan international, des travaux extrêmement importants sont menés. Je pense à la R&D coopérative franco-française, à la R&D internationale sur le vieillissement des centrales nucléaires. Ceci fait qu'aujourd'hui nous avons une bonne connaissance des modes de vieillissement. Les composants sensibles ont été identifiés par les exploitants sur cette base. Nous avons développé toutes les techniques et les outils nécessaires pour inspecter, réparer et remplacer. Je dirai également que les centrales les plus récentes ont un potentiel de durée de vie un peu supérieur aux centrales anciennes, au moins pour les centrales françaises. Ceci dit, il est clair que la durée de vie n'est pas uniquement le potentiel de résistance au vieillissement que le constructeur a conféré au départ, mais bien sûr ce que va faire l'exploitant ensuite avec l'outil qui lui a été remis par le constructeur. Vue du constructeur Framatome, la durée de vie est une affaire de cas par cas et nous ne pouvons pas annoncer à l'avance des durées de vie qui seront exclusivement l'affaire de l'exploitation et de l'autorité de sûreté. M. Jean-Christophe NIEL, chef du département des études de sûreté, Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire L'IRSN est un établissement public, industriel et commercial qui a été créé il y a un an en février 2002. Il rassemble 1 500 personnes qui font des expertises et des recherches dans l'ensemble du champ de la maîtrise du risque radioactif. Il y a la sûreté, la radioprotection pour les installations industrielles, les installations médicales et les transports. C'est ce double aspect recherche et expertise qui fait que l'IRSN est concerné par les effets du vieillissement sur les installations en général et en particulier sur les centrales REP d'EDF. L'âge moyen est de 20 ans pour les réacteurs de 900 MW, 15 ans pour les réacteurs de 1 300 MW. Les matériaux qui composent ces installations sont soumis au cours du temps à des sollicitations diverses qui peuvent être la température, la pression, l'irradiation, l'humidité. Ces sollicitations vont modifier éventuellement le comportement de ces matériels, leurs propriétés physiques, mécaniques. Les centrales ont été conçues pour tenir compte des effets possibles du vieillissement soit en prenant des produits qui se dégradent peu ou pas, soit en dimensionnant les matériels et les systèmes pour faire face à ces situations de vieillissement. Pour une bonne partie des matériels, le dimensionnement a été prévu pour les centrales d'EDF pour une quarantaine d'années. Ceci étant, en dépit de toutes ces prévisions et précautions, la prévision des effets du vieillissement peut présenter des lacunes ou des incertitudes. Je rappellerai quelques exemples tout à l'heure. C'est dû au fait que cette prévision de vieillissement s'appuie sur un certain nombre de méthodes. La première est le retour d'expérience qui n'est pas forcément complètement représentatif parce qu'il est en particulier limité dans le temps. Anticiper ce qui se passe à quarante ans quand nous n'avons que quelques années de retour d'expérience, peut conduire à découvrir des choses qui n'avaient pas été complètement vues. Il y a tout un processus d'extrapolation qui permet d'anticiper ces effets du vieillissement. Pour prendre en compte cette durée de quarante ans, on peut faire des essais. Mais quand vous faites ceci, il faut vous assurer que la manière accélérée dont vous vous êtes servi pour procéder aux essais, reste représentative de ce qui se passe effectivement. C'est un sujet sur lequel l'IRSN a travaillé, en particulier sur les câbles électriques. Ces quelques considérations montrent que l'industriel - EDF, Framatome - doit s'assurer de la maîtrise du vieillissement en s'appuyant en partie sur les actions de R&D pour répondre à toutes ces interrogations que peut soulever le problème du vieillissement. Par ailleurs, il est vrai que le parc français a quelques caractéristiques comme par exemple les doubles enceintes en béton des réacteurs 900 MW, des composants en alliages austéno-ferritiques. Il y a un certain nombre de caractéristiques qui impliquent de regarder un certain nombre de sujets de près. A côté de ces actions d'ampleur qui doivent être menées par l'exploitant qui reste le premier responsable de sa sûreté, en appui des évaluations qu'il mène pour les autorités de sûreté, l'IRSN a également un programme de R&D sur le vieillissement. L'ordre de grandeur représente environ 10 % de l'effort d'EDF. Cela me semble tout à fait raisonnable puisque - et je le répète - le premier à devoir s'impliquer sur ces sujets est bien sûr l'industriel. Pourquoi faisons-nous cette R&D ? Je vois quatre objectifs. Le premier qui est vraisemblablement le plus évident, est de permettre d'évaluer les actions des industriels. Le deuxième est d'explorer des domaines peu connus ou des voies nouvelles. Le troisième est que les experts doivent être compétents et pour avoir cette compétence, il est important qu'ils soient au plus près des meilleures connaissances disponibles du moment. Il y a donc un contact fort avec les activités de recherche. Le quatrième qui est également important, est de développer les outils qui peuvent être nécessaires à l'évaluation de la sûreté. J'essayerai de donner des exemples de chacune de ces catégories. Pour nous - et je crois que cette préoccupation est partagée par les industriels -, en ce qui concerne le phénomène de vieillissement, il y a plusieurs domaines qu'il nous semble important d'explorer et dont il faut avoir une maîtrise. Le premier est la connaissance des mécanismes de dégradation des matériels, de leur cinétique et évidemment des conséquences que cela implique sur l'installation puisque c'est le point fondamental. Le deuxième point est le développement de méthodes de contrôle adaptées à la surveillance des phénomènes. Les installations existent, il faut être capable d'identifier, d'aller voir ce qui se passe, de vérifier l'évolution des phénomènes. Si des dégradations sont observées qui nécessitent une intervention, il faut que des procédés de réparation et de remplacement soient mis au point. Après ces généralités, je vais vous donner quelques exemples de sujets sur lesquels nous travaillons. En ce qui concerne les mécanismes de dégradation, nous sommes par exemple impliqués dans le programme international, SIRE, sur les interactions entre la corrosion et l'irradiation. Pour quelles raisons sommes-nous intégrés dans ce programme international auquel participent la NRC et l'autorité de sûreté suédoise ? La raison est que ce sont des programmes lourds, en particulier il faut examiner des internes de cuves et donc faire des prélèvements. En franco-français, nous avons un programme sur la fatigue thermique. Vous vous souvenez bien sûr tous de l'incident de Civaux en mai 1998. Il était lié à une sollicitation de tuyauterie du circuit RRA, qui avait conduit à une fissuration et à une fuite importante. Cela a conduit à une exploration des raisons, un besoin de compréhension plus fine de ce problème de fatigue thermique. Nous avons engagé cette action depuis 1999 et nous la poursuivons. En ce moment en particulier, a lieu un benchmark avec les pays de l'OCDE sur ce sujet. Nous avons pratiqué, nous, des calculs de thermo hydraulique pour comprendre la manière dont la température se répartissait dans la tuyauterie. Nous allons engager des essais de contraintes sur des échantillons. En ce qui concerne les méthodes de contrôle, c'est un pas qui nous semble vraiment très important s'il faut être en mesure de contrôler de manière non destructive les installations. A l'IRSN, nous avons beaucoup travaillé sur le contrôle par illustration et nous avons en particulier développé des méthodes permettant de faire des contrôles sur des surfaces qui, jusqu'à présent, étaient inaccessibles parce que soit elles correspondaient à une déformation locale, soit il y avait un obstacle. C'est important parce que cela permet de montrer qu'il est possible de développer des nouvelles méthodes. Suite aux affaires sur le vieillissement des enceintes en béton, qui a été observé sur des réacteurs de 1 300 MW, nous travaillons actuellement sur des méthodes de contrôle en destructif de la qualité de ces ouvrages en béton. Par ailleurs, nous avons exploré un certain nombre de matériaux et structures pour lesquels nous avons des programmes en cours. Ce sont par exemple les batteries, les pots d'étanchéité des piscines de stockage de combustible où il peut y avoir des fluctuations thermiques importantes en fonction du chargement, déchargement. Nous avons également travaillé sur la compréhension du niveau d'étanchéité du béton des enceintes de confinement, avec des modélisations, donc des calculs théoriques que nous avons validés sur des échantillons. Dans le cadre d'une action menée par EDF sur la maquette d'enceinte de confinement dite MAEVA - c'est une maquette importante -, nous avons été partie prenante des manipulations faites dans cette installation. Nous avons en particulier procédé à des mesures de début de fuite, chacun restant évidemment responsable de l'utilisation des résultats issus de cette méthode dans son domaine de responsabilité, EDF d'un côté et l'IRSN de l'autre. Nous avons également réalisé des travaux sur les câbles électriques. C'est un exemple de matériel qui a subi des qualifications sur la représentativité desquelles nous pouvions nous interroger. C'était des câbles qui étaient mis à une température relativement élevée, irradiés de manière relativement forte pour représenter une durée de vie de quarante ans et nous nous étions interrogés sur la représentativité de ceci. Nous avons mené un certain nombre d'études et de recherches sur le sujet et nous avons conclu qu'effectivement, même si les phénomènes n'étaient pas complètement ce qui se passait, le comportement de ces câbles restait acceptable. Il y a un autre sujet sur lequel je voudrais conclure. Il s'agit de tout ce qui est lié aux logiciels. C'est du vieillissement au sens où un certain nombre de technologies qui deviennent obsolètes, sont remplacées dans l'exploitation par des technologies plus récentes. C'est clairement le cas des logiciels de sûreté. C'est vrai que, pour nous, c'est un enjeu important d'être en mesure d'évaluer ces logiciels. Une des caractéristiques en effet du problème de sûreté est que, quel que soit le nombre de tests que vous faites, vous n'explorerez jamais toutes les situations possibles. Ce sont aussi des systèmes qui peuvent avoir des pannes brutales. Il n'y a pas forcément le côté progressif que l'on peut avoir sur un matériel. Cela nécessite donc une approche particulière. L'IRSN a développé un certain nombre d'outils qui nous ont aidés assez directement dans l'évaluation de sûreté, dans la mise en place des contrôles des paliers 1 300 et 1 450, mais aussi plus récemment, dans le remplacement du contrôle de commande des réacteurs du CP0, en particulier Fessenheim. Pour conclure, à côté des programmes d'ampleur que doivent mener les industriels, il est fondamental que l'IRSN ait ses propres actions de R&D pour conforter ces évaluations. Notre objectif est d'avoir un spectre qui soit le plus large possible en fonction des préoccupations qui sont soulevées, en particulier à partir des retours d'expérience. La largeur du spectre et les coûts associés nous conduisent à essayer de favoriser autant que faire ce peut, des collaborations en particulier internationales. M. Claude BIRRAUX - Avant de donner la parole à Monsieur SCHMITT, je ne ferai qu'un commentaire pour relever votre élégance d'expression concernant le problème RRA de Civaux. M. SCHMITT, je n'ose pas dire que vous parlez sous le contrôle de votre patron..., mais vous n'allez pas dire la même chose parce que vous n'allez pas parler du même sujet ! M. Alain SCHMITT, Directeur général adjoint, DGSNR L'autorité de sûreté nucléaire assure au nom de l'État, le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France afin de protéger la population, les travailleurs et l'environnement des risques liés aux activités nucléaires. A ce titre, la problématique de la durée de vie et du vieillissement des installations nucléaires et plus particulièrement des centrales nucléaires productrices d'électricité, fait l'objet d'une attention particulière de sa part. Mon intervention développera brièvement trois points. Je reviendrai du point de vue de l'autorité de sûreté sur les principaux facteurs qui conditionnent au plan de la sûreté, la durée de vie d'une centrale nucléaire, les enjeux qui, de notre point de vue, sont liés à la maîtrise du vieillissement, et la politique de l'autorité de sûreté et notamment les aspects réglementaires. Pour les principaux facteurs qui, de notre point de vue, limitent ou conditionnent la durée de vie d'une centrale nucléaire, il y a bien sûr des facteurs techniques qui ont été assez largement évoqués dans les interventions qui ont précédé. Il s'agit du vieillissement des composants de l'installation avec deux types de composants qui font l'objet d'un traitement différent : les composants non remplaçables qui, pour une centrale nucléaire, sont essentiellement la cuve et l'enceinte ; les composants remplaçables, c'est-à-dire les autres composants qui se dégradent, pour lesquels l'enjeu pour l'exploitation est d'effectuer une surveillance et une maintenance avec éventuellement un remplacement adéquat. Les deuxièmes facteurs qui, pour nous sont très importants sont les facteurs liés au tissu industriel et aux compétences. Les centrales nucléaires ont été construites à partir des années 1970, au tournant des années 1980. Des problèmes tels que la disparition de fabricants de composants, l'obsolescence de certains composants, la perte de compétences au niveau du personnel chez les fabricants et chez l'exploitant, sont des facteurs qui, très clairement, conditionnent la durée de vie et le vieillissement des installations. Troisième type de facteurs, c'est l'évolution des exigences de sûreté, c'est un point important. L'augmentation des exigences de sûreté au fil du temps, peut rendre le risque lié au fonctionnement d'une installation inacceptable et peut donc conduire à sa fermeture ou à limiter sa durée de vie. Je distinguerai deux enjeux essentiels du vieillissement. Le parc des réacteurs français est un parc très standardisé qui a été construit sur une durée assez courte, donc avec une pyramide des âges ramassée. Le premier enjeu de la maîtrise du vieillissement est d'anticiper un problème de sûreté générique sur l'ensemble du parc qui serait grave et simultané et qui poserait effectivement un gros problème. Le deuxième enjeu est de savoir quand fermer une centrale. Réacteur par réacteur, il faut disposer des éléments permettant de savoir si les dégradations dues au vieillissement sont maîtrisées ou si l'arrêt est nécessaire pour des raisons de sûreté et également comparer le niveau de sûreté de l'installation aux exigences de sûreté les plus récentes et en tirer un jugement. Ce cadre étant planté, je passerai quelques minutes sur la politique de l'autorité de sûreté et les aspects réglementaires. Un point très important, un point de principe est qu'en matière de sûreté, nous appliquons le principe de la défense en profondeur. Toutes les installations industrielles sont soumises au vieillissement, mais le risque nucléaire est spécifique et nous avons développé un certain nombre de principes en matière de sûreté dont ce principe de défense en profondeur. Nous allons prévenir les effets néfastes liés au vieillissement en dressant un certain nombre de lignes de défense qui vont permettre d'éviter des effets négatifs non prévus. La première ligne de défense est la prévention. L'autorité de sûreté exige qu'au niveau de la conception et de la fabrication des composants, il soit tenu compte des conditions d'exploitation prévues, des modes et cinétiques de dégradation connus ou supposés. La deuxième ligne est constituée par la surveillance et l'anticipation. L'autorité de sûreté exige la mise en place de programmes de surveillance pour vérifier la validité des hypothèses de conception, et demande la mise en place de programmes de maintenance préventive. La troisième ligne est la réparation, la modification ou le remplacement des composants. Je dirai maintenant quelques mots sur le cadre réglementaire. En France la réglementation ne fixe a priori aucune limite à la durée de vie des centrales. Les autorisations des centrales, les décrets d'autorisation de création des centrales nucléaires ne contiennent pas de date limite pour le fonctionnement de ces installations. La réglementation a néanmoins institué des rendez-vous réglementaires périodiques qu'on appelle les visites décennales et les réexamens de sûreté qui y sont associés. Comme leur nom l'indique, leur périodicité est tous les dix ans. Il se trouve que ces rendez-vous, ces réexamens de sûreté sont calés sur deux opérations qui doivent être faites tous les dix ans au titre de la réglementation, à savoir les épreuves hydrauliques réglementaires du circuit primaire principal, le test d'étanchéité de l'enceinte de confinement. Ces réexamens de sûreté contiennent deux grands volets. Premier volet, l'examen de conformité consiste à examiner de façon approfondie l'état des matériels des centrales et à corriger les dégradations dues au vieillissement pour garantir la conformité de ces installations avec les hypothèses de conception. Deuxième volet, la réévaluation de sûreté lors de laquelle nous allons modifier, rendre plus sévère, augmenter les exigences de sûreté de l'installation et demander la réalisation de modifications de l'installation pour la porter à un niveau supérieur d'exigence de sûreté. Au terme du réexamen de sûreté qui a lieu tous les dix ans pour chaque palier, l'autorité de sûreté nucléaire prend position logiquement sur la poursuite de l'exploitation de l'installation pendant les dix années qui suivent. Dans ce cadre, les réexamens de sûreté correspondant à trente d'exploitation, c'est-à-dire les réexamens de sûreté VD3, ont une importance particulière. C'est une étape fondamentale, pourquoi ? EDF mentionnait tout à l'heure l'objectif d'une durée de vie de quarante ans ou plus. Aujourd'hui, cet objectif n'est pas validé par l'autorité de sûreté. Dans les études de sûreté, dans la démonstration de sûreté actuellement acceptée par l'autorité de sûreté, il n'y a pas les éléments nécessaires pour accepter une durée de quarante ans. Il y a encore du travail à faire et notamment apporter des justifications d'ordre technique. Je ne détaillerai pas, mais je prendrai un composant emblématique, la cuve, composant non remplaçable. Aujourd'hui, nous avons accepté les démonstrations montrant la non nocivité des défauts existants dans ces cuves pour une durée de vie de trente ans, mais nous n'avons pas encore validé de démonstration pour une durée de vie supérieure. Il y a également des justifications d'ordre non technique à apporter, notamment des justifications tenant à la capacité pour l'exploitation de gérer les problèmes d'évolution du tissu industriel, d'obsolescence des composants, de maintien des compétences que je mentionnais parmi les facteurs importants qui conditionnent la durée de vie. Dans ce réexamen de sûreté des trente ans, il va y avoir un examen de conformité - c'est le premier volet - particulièrement approfondi sur l'aspect vieillissement. A cet égard, nous avons exprimé nos exigences vis-à-vis de l'exploitant, vis-à-vis d'EDF, par un courrier du mois de février 2001 qui est publié sur notre site Internet. Ce courrier concerne la préparation des troisièmes visites décennales du point de vue de vieillissement ainsi que l'établissement d'un programme de gestion de vieillissement après les trente ans. Le vieillissement est en effet quelque chose qu'il va falloir gérer dans la durée et de notre point de vue, il y a un programme de gestion du vieillissement à établir et à faire valider au-delà des trente ans. Lors de ce réexamen de sûreté des trente ans, il va également y avoir une réévaluation de sûreté et lors de cette dernière, nous allons devoir prendre en compte, tenir compte, avoir dans notre champ d'investigation, les exigences de sûreté du projet de réacteur EPR qui est le projet le plus récent. Il n'est pas encore réalisé, mais c'est le projet le plus récent et, de notre point de vue, il est caractérisé par les exigences de sûreté les plus récentes. A l'issue de ces troisièmes visites décennales, l'autorité de sûreté prendra position, a priori au cas par cas, sur la poursuite de l'exploitation des réacteurs pour dix ans de plus jusqu'à l'horizon des quarante ans. Elle le fera au vu des matériels, mais également au vu de la capacité de l'industriel à poursuivre l'exploitation et à maîtriser le vieillissement. Je voudrais faire remarquer que, le cas échéant, cette prise de position pourra être assortie de conditions sur le vieillissement des composants ainsi que de conditions sur des rendez-vous intermédiaires. Tout dépendra de la manière dont les démonstrations auront pu être apportées sur la bonne prise en compte des phénomènes de vieillissement. M. Claude BIRRAUX - J'ai quelques questions pour commencer notre débat. La première des choses à dire est, je crois, la différence de comptabilité sur le vieillissement entre l'approche française et l'approche américaine. Il a été rappelé que les Américains parlent de durée de vie d'une centrale à partir du moment où ils ont coulé le premier béton. Or entre le moment où on coule le béton et le moment où on est couplé au réseau, il peut s'écouler une dizaine d'années. Quand les Américains disent soixante ans, il faut donc traduire par environ cinquante ans de vie effective de production d'électricité par la centrale nucléaire. Je crois que c'est un point de clarification important. Je voudrais d'abord poser une question à M. SCHMITT. Il a rappelé quelle était la position de l'autorité de sûreté. La position de l'autorité de sûreté française apparaît conservatrice par rapport à l'autorité de sûreté américaine qui avait donné des licences pour quarante ans dans un premier temps et qui a été prolongé à soixante ans. L'amortissement financier de la centrale était calculé sur trente ans en France. Y aurait-il un obstacle majeur à ce que, au moment de l'autorisation de mise en fonctionnement d'une centrale nucléaire, on envisage de lui donner une autorisation de vie de quarante ou cinquante ans, quitte à ce que - comme chacun d'entre nous qui espérons vivre le plus longtemps possible - elle soit soumise à des check-up tous les dix ans ? N'y aurait-il pas là de quoi rassurer un peu l'exploitant, aujourd'hui établissement public, demain peut-être un statut de société anonyme avec une ouverture du capital, de manière à lever aussi un peu l'incertitude pour l'exploitant qui aurait une vision à plus long terme et qui serait en quelque sorte motivé pour exploiter sa machine le plus longtemps possible ? Pouvez-vous nous répondre en quelques mots ? M. Alain SCHMITT - Monsieur le Président, je pense que tout est envisageable dans l'absolu. Ceci dit, je ferai plusieurs remarques. La première est que, dans ce débat, il faut bien distinguer la durée de vie qui est fixée dans les autorisations réglementaires de l'installation et les aspects techniques. Je constate qu'en France, il n'y a pas de limite de durée de vie dans les décrets d'autorisation de création. C'est un premier point. De ce point de vue strictement juridique, nous pourrions considérer que, pour l'exploitant, la situation est plus favorable en France qu'aux Etats-Unis. Le deuxième point est que quel que soit l'affichage qui serait fait dans les autorisations ou les demandes d'autorisations réglementaires, dans l'environnement réglementaire de la centrale, je pense que l'autorité de sûreté sera de toute façon conduite à réexaminer périodiquement la sûreté de l'installation. Et ce réexamen de sûreté comportera de toute façon les deux volets que j'ai mentionnés, l'examen de conformité, mais également la réévaluation de sûreté avec un changement des exigences de sûreté. De toute façon, si nous trouvons un problème lors d'un de ces réexamens de sûreté, nous devrons le traiter. Ensuite, nous pouvons jouer sur les mots, mais à l'issue d'un réexamen de sûreté, l'autorité de sûreté est de toute façon conduite à se prononcer sur la capacité de l'exploitant à exploiter sa centrale pendant une certaine période qui suivra ce réexamen de sûreté. De ce point de vue, je note qu'il y a une pratique américaine qui est effectivement très particulière et qui ne comporte pas de réexamen de sûreté. Les Américains ne font pas de réexamens de sûreté. A l'inverse, la plupart des autres pays, et notamment les pays européens - la Suède, la Belgique - font des réexamens de sûreté tous les dix ans. Je crois qu'il faut bien distinguer ces deux aspects. Je pense que quelle que soit la position ou la solution donnée sur les aspects réglementaires, il y aura de toute façon des réexamens de sûreté et une prise de position de l'autorité de sûreté sur la capacité de l'exploitant à continuer son exploitation en toute sûreté pendant la période qui séparera les deux réexamens de sûreté. M. Claude BIRRAUX - C'est vrai, mais d'un point de vue psychologique si on dit à un petit enfant qu'il va vivre jusqu'à 75 ans et que peut-être grâce aux progrès de la médecine, des soins, il pourra vivre jusqu'à 95 ans, ce n'est pas la même chose que si on lui dit qu'il est né pour vivre vraiment très longtemps, peut-être 100 ans, mais qu'à 10 ans il va passer un examen pour savoir si on le laisse vivre jusqu'à 20 et de nouveau à 20 pour savoir si on le laisse vivre jusqu'à 30, etc. Je crois que d'un point de vue psychologique, ce n'est pas tout à fait la même chose. Il y a donc peut-être quelque chose à voir. Avant d'ouvrir le débat avec la salle, j'ai encore une question pour Framatome : Vous ne nous avez pas parlé de l'influence du molybdène dans l'acier de la cuve sur les problèmes de vieillissement. Pouvez-vous nous en dire un peu plus en deux mots ? M. Yves MEYZAUD - La cuve a évolué entre les premières tranches américaines qui étaient des tranches pour les sous-marins militaires et les tranches civiles. C'est vrai qu'en France nous avons développé une nuance un peu particulière avec l'addition de molybdène. Cette nuance française a ensuite été reprise par les Américains et réintroduite dans le code ASME. Ceci dit, même si cette nuance se comporte bien, l'essentiel pour la durée de vie de la cuve, n'est pas tant la nuance que les teneurs en impuretés qui peuvent être présentes et plus spécifiquement les teneurs en cuivre et phosphore qui sont des impuretés dans le métal de la cuve. Il a été montré depuis le début des années 1970 et de plus en plus précisément ensuite, le rôle nocif sur la fragilisation de la cuve par irradiation. En France j'ajouterai simplement que même quand nous avons construit Fessenheim, nous avons bénéficié d'une première expérience américaine et des premiers résultats américains sur ces phénomènes de fragilisation des cuves. Nous les avons intégrés si bien que, de ce point de vue, même les premières tranches françaises ont déjà une propreté des matériaux telle que la fragilisation par irradiation des cuves - y compris les premières de Fessenheim et Bugey - est très modérée par rapport à ce que nous pouvons trouver dans d'autres pays avec des tranches anciennes comme en particulier aux Etats-Unis. M. Claude BIRRAUX -L'effet du suivi de charge sur le vieillissement et la fatigue des têtes de grappe n'a pas été longuement évoqué. M. Jean-Pierre HUTIN - En ce qui concerne l'effet du suivi de charge sur la fatigue, je rappelle que pour la fatigue du circuit primaire, il est prévu à la conception, un certain nombre de transitoires de pressions et de températures, à partir duquel sont faites les analyses. Ensuite en fonctionnement, de façon absolument permanente, nous détectons et enregistrons toutes ces variations de pressions et de températures et nous les comparons à ce qui était prévu au départ. Nous considérons que les études faites au départ sur le risque de fatigue restent valables et si les transitoires de pressions et de températures que nous rencontrons, que ce soit à cause du suivi de charge ou autre chose, sont ou plus sévères ou plus nombreux, nous reprenons les études de fatigue qui étaient faites à plusieurs reprises. Ceci fait que nous avons en permanence une connaissance réelle et par le simple enregistrement de toutes ces sollicitations, nous avons en quelque sorte une connaissance du capital de résistance à la fatigue qui reste aux différents points du circuit primaire. Nous pouvons dire que jusqu'à maintenant, il n'y a pas de mauvaises surprises et qu'en particulier, il n'y a pas d'effet notablement négatif venant du suivi de charge sur la fatigue. Je mentionne que, par ailleurs, s'il y a eu des problèmes de fatigue comme par exemple sur le RRA, c'est un problème tout à fait différent et ce n'est pas sur le circuit primaire. En ce qui concerne les grappes, elles ont effectivement eu parfois des problèmes d'usure. Ceci dit, les grappes sont des composants remplaçables, cela fait partie des stratégies de maintenance exceptionnelle dont j'ai parlé. Pour autant que nous le prenions avec suffisamment d'anticipation et un programme industriel robuste, ce sont des problèmes qu'il est tout à fait possible de gérer. Cela fait partie, je ne dirai pas de la maintenance courante, mais de la maintenance normale que nous faisons sur ce genre d'installation. Remplacer les grappes, le générateur de vapeur, certains piquages, fait partie de ce que nous appelons la maintenance lourde. Pour autant que ce soit géré industriellement avec suffisamment d'anticipation, cela ne peut en aucun cas peser sur le véritable potentiel de durée de vie des installations. M. Claude BIRRAUX - Encore fallait-il le dire ! J'ouvre le débat avec la salle. Débat avec la salle Mme Ann MACLACHLAN Quelque chose m'intrigue beaucoup dans le monde du nucléaire à l'international. Nous entendons beaucoup parler de l'augmentation de puissance des tranches nucléaires. Or quelqu'un - je crois que c'était Bernard DUPRAZ - a parlé des marges de sûreté. Est-ce que ces augmentations de puissance grignotent les marges de sûreté, mais aussi de vieillissement ou est-ce qu'il n'en est rien ? Nous n'entendons pas parler en France d'augmentation de la puissance, c'est peut-être parce qu'il y en a déjà trop. Est-ce qu'à la limite EDF est intéressée par l'augmentation de puissance des tranches nucléaires ? Y a-t-il ou non une influence sur le vieillissement des composants ? M. Bernard DUPRAZ - Du point de vue d'EDF, il y a deux aspects à cette question de la puissance : la puissance thermique, c'est-à-dire la puissance de la chaudière ; la puissance électrique, c'est-à-dire le rendement. S'agissant d'améliorer le rendement, nous sommes bien sûr intéressés. Compte tenu cependant de l'état actuel du marché européen de l'électricité, la question ne se pose peut-être pas à très court terme. Pour autant des opérations comme des remplacements de rotors par des rotors plus performants telles qu'effectuées par bon nombre d'électriciens européens, sont quelque chose que nous examinons. S'agissant de la puissance thermique, donc celle dégagée par le cœur du réacteur et l'ensemble de la chaudière, nous avons à effectuer un arbitrage entre les objectifs auxquels affecter ces marges de sûreté. Pour être schématique, nous pouvons avoir deux objectifs : - Augmenter la puissance de la chaudière, - Ne pas augmenter la puissance et affecter ces marges sur le cœur à l'augmentation des taux de combustion du combustible. Compte tenu de la structure du parc français, du marché électrique français et européen, nous estimons qu'il est plus intéressant pour nous dans les dix, quinze ans à venir, d'affecter ces marges de cœur à l'augmentation des taux de combustion. Ce sont les programmes que nous conduisons actuellement qui ont pour objectif de porter les taux de combustion qui, pour les valeurs réalisées, sont aujourd'hui d'environ 45 à 50 000 MW/jour/tonne à des valeurs d'environ 55 000. C'est un choix tout à fait délibéré et pesé qui a été effectué et confirmé par EDF. M. Claude BIRRAUX - Si vous n'avez pas de questions, je vais prendre le relais et ce, toujours dans les questions sympathiques que j'ai à poser. Lors des révisions décennales, si j'ai bien compris, on passe par un upgrading qui permet d'améliorer la centrale du palier CP0 au palier CP1 en tenant compte des améliorations qui ont pu être apportées. Au moment d'une révision décennale, comment joue l'application du retour d'expérience pour le reste du palier qui, lui, a été mis en route plus tard ? Et s'il y a des problèmes importants d'amélioration de sûreté, combien de temps cela met-il dans les circuits pour atteindre la dernière centrale de ce même palier ? M. Bernard DUPRAZ - Il faut distinguer deux cas de figure. Il peut s'agir de faire face à un problème de sûreté important auquel cas nous dissocions l'apport des modifications des installations du rythme des visites décennales. Vous citiez tout à l'heure Monsieur le Président, l'exemple de la fatigue thermique qui a affecté les tuyauteries du circuit de refroidissement à l'arrêt de Civaux. Il est bien clair que sans attendre quelque révision décennale que ce soit, les vérifications - et le cas échéant les modifications - ont été effectuées sur l'ensemble des cinquante-huit réacteurs. S'il s'agit en revanche d'améliorations générales du niveau de sûreté, mais qui ne correspondent pas au même degré d'urgence, nous souhaitons continuer à maintenir la politique de lotissement des modifications que nous avons adoptée au début des années 1990. Cette politique consiste à regrouper l'ensemble des modifications dans des lots cohérents à tout point de vue, et notamment fonctionnel, permettant en particulier à l'exploitant d'avoir une documentation cohérente et à jour. C'est un point particulièrement important pendant les années 1980, c'est-à-dire pas forcément anormal ou en tout cas inexplicable pendant le démarrage des installations. Mais apporter des modifications au fil de l'eau pose des problèmes de cohérence de documentation et tout simplement, le cas échéant, de connaissance de l'état précis et réel des installations par les opérateurs. In fine, le gain potentiel que nous pouvons attribuer à chaque modification prise isolément peut être en fait dégradé par le fait que ces modifications ne sont pas intégrées dans des lots fonctionnels cohérents. Il y a donc un arbitrage à trouver entre avoir le plus possible des lots cohérents tous les dix ans et le fait de prendre les mesures urgentes qui s'imposent, mais des cas judicieusement choisis et pesés. M. Claude BIRRAUX - Je ferai juste cette analyse sur la fatigue du circuit RRA de Civaux, disons qu'il a été vite fatigué. M. FLUCHER - Nous faisons un postulat disant que la cuve n'est pas remplaçable. Est-ce que quelque part on a conduit une étude ou est-ce qu'on réfléchit sur ce que serait un remplacement de cuve ? M. Jean-Pierre HUTIN - En ce qui concerne le remplacement proprement dit, je n'ai pas de réponse pour l'instant. En revanche je peux dire que sur une cuve qui serait fragilisée de façon excessive, une première réparation pourrait être faite. Mais encore une fois, pour nous, ce n'est absolument pas nécessaire sur nos cuves, en tout cas c'est notre conviction. Maintenant si quelqu'un dit qu'il faut absolument faire quelque chose vis-à-vis de cette fragilisation, il est possible de faire ce qu'on appelle un traitement thermique in situ. Des expérimentations ont été faites sur un réacteur expérimental en Belgique, à Mol et je crois que les Russes ont également fait une expérience. Elles consistent à faire un traitement thermique, c'est-à-dire par élévation de la température de la cuve pendant un certain temps pour reconstituer en quelque sorte la structure métallurgique - je ne dirai pas d'origine -, mais revenir un peu en arrière par rapport à ce phénomène qui est partiellement réversible. Des études de faisabilité ont été faites à ce sujet à EDF. Par ailleurs, nous nous sommes associés en partenariat avec ceux qui ont tenté ce genre d'expérience, que ce soit en Belgique, en Russie ou aux Etats-Unis, de façon à être au courant des problèmes technologiques que cela représente et du gain que l'on obtient effectivement. Quant au remplacement effectif de la cuve, il me semble que de nombreuses personnes s'accordent à penser qu'il n'y a sans doute pas d'impossibilité technologique. Après c'est sans doute une question d'optimisation technico-économique. Cela dépendrait du contexte économique qu'il y aurait à l'instant où la question se poserait. M. Waclaw GUDOWSKI - Monsieur le Président, je ne sais pas si je suis censé poser des questions ni si je suis autorisé à les poser en anglais, je voudrais cependant poser une question un peu générale à Monsieur DUPRAZ. Vous nous avez dit que vous aviez l'ambition de baisser la capacité nucléaire d'environ 60 %, donc 50 MW plutôt que 60 ; c'était un peu là votre objectif. Comment allez-vous compenser la perte d'alimentation en énergie en France dans le contexte bien sûr de Kyoto ? Est-ce que cela correspond à votre stratégie globale en matière de politique française énergétique ? M. Bernard DUPRAZ - Le scénario que j'ai présenté tout à l'heure était centré sur la question qui nous occupe ce matin, à savoir la durée de vie, en particulier de façon à tester la robustesse de stratégie de remplacement du parc actuel selon le niveau de nucléaire. Les courbes que j'ai présentées étaient avec 50 000 MW. Avec des chiffres plus faibles, 40 000 MW - c'est un peu plus de 50 % de la base pour du nucléaire, donc un chiffre relativement faible - cela ne change pas les conclusions que j'ai présentées tout à l'heure sur le risque très important qu'il y aurait à faire l'impasse en quelque sorte sur des réacteurs de Génération III+. C'est seulement si nous remplacions clairement le nucléaire par du cycle combiné à gaz et/ou charbon de façon massive que cela pourrait changer les conclusions. Cette précision étant apportée, j'en reviens à votre question. En ce qui concerne les objectifs globaux, il y a une politique énergétique qui est définie - et c'est l'objet du débat national sur l'énergie - par le Gouvernement. Quel que soit son statut - établissement public ou société anonyme -, la politique d'EDF s'établit dans le cadre de cette politique nationale aujourd'hui et européenne probablement de plus en plus. Il nous semble clair que nous devons être flexibles de façon à pouvoir adapter notre mix au contexte de demain, en particulier aux objectifs de Kyoto. Nous avons la conviction que compte tenu de la compétitivité du nucléaire actuel et de demain, des contraintes environnementales, c'est une part importante. Ne me demandez pas de chiffres, la question ne se pose pas ainsi. Nous devons être capables de garder les options et s'agissant de la production de base, pour être un exploitant performant demain, nous devons être en mesure d'avoir une proportion importante de la production en base assurée par du nucléaire. Mme Ann MACLACHLAN - Il a été fait rapidement mention des câbles électriques dans les centrales nucléaires. Ai-je bien compris, car j'ai le souvenir qu'à un moment donné on disait que ces câbles ne pourraient pas vivre plus de vingt-cinq ans, or certaines centrales y sont presque. Est-ce que maintenant on pense que les câbles électriques existants peuvent durer plus longtemps ? Qu'est-ce qui a changé entre-temps ? Pense-t-on qu'il sera nécessaire de les remplacer ? Et dans l'affirmative, comment le fera-t-on ? Quelle est la problématique du numérique pour le contrôle commande et la liaison avec ce problème de câble ? M. Claude BIRRAUX - Je vais compléter votre question, si vous le permettez, ce qui permettra d'avoir une réponse globale avant de donner la parole à Monsieur LACOSTE. Vous l'avez abordé et nous l'avons aussi abordé dans nos auditions privées, il s'agit du problème du maintien des compétences et de la fiabilité des matériaux de remplacement que l'on doit utiliser pour la maintenance. Il y a une douzaine d'années, EDF était entrée dans une réforme de la maintenance dite la réforme NOC où nous étions passés de « faire » à « faire faire et contrôler ». Compte tenu de ces problèmes de compétences chez les sous-traitants, de fiabilité à trouver des matériaux, est-ce que cela remet totalement ou partiellement en cause cette réforme de la maintenance ? Est-ce qu'EDF envisage de faire davantage de maintenance en « home made » qu'elle ne l'a fait jusqu'à présent ? M. Bernard DUPRAZ - En ce qui concerne cette question de maintien des compétences, Monsieur le Président, effectivement le curseur entre ce que nous faisons en interne et ce que nous sous-traitons, a été défini il y a une dizaine d'années, au moment où l'ensemble du parc entrait massivement en exploitation. Au vu du retour d'expérience des dix dernières années, nous n'envisageons pas de modifications significatives de cette politique en ce qui concerne les métiers principaux et en particulier en ce qui concerne les métiers de maintenance qui sont au cœur des questions de la durée de vie. La question du maintien des compétences se pose dans des termes assez analogues chez les sous-traitants ou chez EDF et il n'est pas forcément beaucoup plus facile d'apporter une réponse à cette question du renouvellement des compétences si elles sont logées à l'intérieur d'EDF que si elles le sont à l'extérieur. L'important est de donner à ceux qui dans le cas de la sous-traitance, font de la visibilité sur le long terme, cinq, dix ans leur permettant de garder des personnels compétents. C'est la raison pour laquelle, nous avons en particulier avec les constructeurs et dans les domaines pointus - je pense en particulier au contrôle commandes -, des contrats de pérennité à dix ans qui nous engagent nous, EDF, en tant que donneur d'ordre vis-à-vis des sous-traitants constructeurs et qui engagent inversement ces constructeurs à maintenir un volume de compétences contractuellement spécifié. Ceci peut aller jusqu'à un droit de regard d'EDF lors d'opérations de cession de filiales de certains groupes. Ce n'est pas un cas d'école, car les restructurations industrielles auxquelles nous assistons depuis un certain nombre d'années dans des domaines concernant le nucléaire, nous conduisent significativement à faire face à ce genre de questions. Elles nous y conduisent dans le cadre de la restructuration de ce paysage dans le domaine électrique, dans le domaine du contrôle des commandes voire encore dans le domaine mécanique. M. Jean-Pierre HUTIN - En ce qui concerne les câbles, je ne sais pas à quelle information vous avez fait allusion. Je rappelle qu'il y a plusieurs catégories de câbles qui sont caractéristiques, en particulier par le fait qu'ils sont qualifiés pour fonctionner encore en situation accidentelle, nous parlons de qualification K1, K2, K3. Des essais de vieillissement ont été faits, nous avons des vieillissements physiques, chimiques des isolants. Cela a donné lieu à des essais, des programmes de R&D, il y en a d'ailleurs eu également du côté de l'autorité de sûreté, un peu partout dans le monde. Ils sont très fréquemment échangés au sein de l'AIEA qui a une activité importante sur le thème des câbles. A ma connaissance, à ce jour il n'y a pas d'alerte particulière qui nécessiterait d'envisager des remplacements massifs de câbles. Le seul problème qui me vient à l'esprit suite à votre question, est un problème un peu différent qui est quand même assez intéressant à noter parce qu'il illustre ce qui a été dit à plusieurs reprises ce matin. Il y a un problème d'arrêt de fabrication de certains câbles K1 chez les fournisseurs. Cela n'a rien de dramatique, mais cela nécessite d'être traité, c'est-à-dire de discuter avec les autres fournisseurs, de réexaminer nos spécifications d'approvisionnement de façon à trouver des produits de remplacement et de développer éventuellement ou faire développer de nouveaux produits. Nous sommes typiquement dans un cas où notre veille sur le tissu industriel est tout à fait essentielle pour ne pas nous trouver pris au dépourvu si nous en avions besoin. A ma connaissance, il n'y a pas d'alerte particulière qui pourrait impacter la durée d'une installation du côté des câbles, même si la surveillance et la maintenance conditionnelles restent la règle pour ces composants comme pour les autres. Directeur général de la Sûreté Nucléaire et de la Radioprotection Je ferai quatre remarques liminaires avant d'aborder trois points de fond. Première remarque liminaire : il faut qu'il soit clair que nous parlons de sûreté nucléaire au sens large du terme, c'est-à-dire la sûreté nucléaire classique, la radioprotection, les problèmes d'environnement, les problèmes de rejets, les problèmes de déchets. Cela me paraît vraiment correspondre à la vision actuelle, à la vision moderne de la sûreté nucléaire. Deuxième remarque liminaire : quand nous parlons de sûreté nucléaire, il faut également être clair, nous ne parlons pas uniquement de technique, mais également de facteurs humains. Nous ne parlons pas uniquement de technique ou de technique de construction, de tuyaux, de soupapes, mais nous devons prendre en compte l'ensemble de ce que j'appelle les facteurs humains c'est-à-dire, les organisations, les managements et les comportements individuels et collectifs. Il faut vraiment insister sur ce deuxième point qui se posera toujours pour une autorité de sûreté. Le problème est de savoir si elle préfère avoir en face d'elle une centrale éventuellement ancienne, mais extrêmement bien conduite avec des opérateurs extrêmement pertinents ou une centrale supposée plus moderne, mais avec une main d'œuvre moins adéquate. Je crois qu'il ne faut jamais perdre de vue cet aspect facteur humain, au sens positif du terme encore une fois. Troisième remarque liminaire : il faut insister sur le caractère particulier de la situation française et du parc nucléaire français et il ne faut jamais le perdre de vue. Quand nous comparons la France aux autres grands pays nucléaires il y a deux caractéristiques. La première caractéristique est que le pourcentage d'électricité français venant du nucléaire est de 80 % alors que dans les pays comparables - USA, Japon, Grande-Bretagne, Russie - il est compris entre 20 et 40 %. Deuxième caractéristique extraordinairement singulière, la France à cinquante-huit réacteurs qui ne sont pas identiques, mais qui appartiennent à la même famille : même constructeur d'îlots nucléaires : Framatome, même architecte d'ensemble : EDF, même opérateur : EDF. Il y a donc une standardisation dont nous ne trouvons l'équivalent nulle part au monde, je dis bien nulle part. Cette standardisation a beaucoup d'avantages en termes de retour d'expérience pour la sûreté, de bilan commun de moyens, en terme économique. Mais si vous cumulez ces deux points : 80 % d'électricité de l'énergie nucléaire, 58 réacteurs de la même famille, cela nous conduit, nous, autorité de sûreté nucléaire à quelque chose qui est une véritable obsession, et je prends le terme obsession au sens fort du terme : cela nous obsède. L'obsession est l'apparition d'un problème de sûreté qui soit en même temps générique et grave. Pour illustrer mon propos, en cas de problème de sûreté générique et grave, je serais conduit à aller voir le Premier Ministre et à lui dire : « Monsieur le Premier Ministre, vous avez le choix entre deux décisions possibles : première version, on coupe l'électricité ; deuxième version, on continue à faire fonctionner le parc nucléaire d'EDF dans un mode dégradé. ». Ce n'est vraiment pas le genre de circonstances dans lesquelles je souhaite que moi-même ou mon successeur, nous nous trouvions. Je pense que cela explique beaucoup de choses dans notre comportement à nous, autorité de sûreté. Cela explique en particulier que dès qu'un incident survient quelque part, nous posons la question à EDF : est-ce un incident générique ou est-ce un incident potentiellement générique ? Cela explique également l'importance que nous mettons dans les réexamens périodiques de sûreté. C'est l'occasion de faire le point tous les dix ans et d'essayer d'anticiper l'apparition de ce genre de problème générique grave. Nous pouvons dire que c'est spécifique à la France et nous pouvons dire également que ce genre de souci est typiquement la contrepartie aux avantages offerts par la standardisation. C'est un des prix à payer pour la standardisation. J'insiste vraiment sur ces deux points. Nous posons systématiquement la question de savoir si l'incident est potentiellement générique. Nous attachons une grande importance aux réexamens périodiques de sûreté. Quatrième remarque liminaire qui vient en contrepoint de la précédente : j'ai bien insisté sur la standardisation du parc, ses avantages, les risques potentiels. Il n'en reste pas moins qu'en ce qui concerne la durée de vie des réacteurs, nous prendrons parti au cas par cas et réacteur par réacteur. Pour nous, il n'y a pas une durée de vie fixée pour un palier, mais des durées de vie fixées pour des réacteurs en tenant compte des circonstances particulières. Je prends simplement une circonstance qui, à l'évidence, est particulière. Les enceintes de confinement sont en béton, les bétons sont constitués à partir d'un certain nombre de matériaux dont un certain nombre locaux. Il n'y a aucune raison pour que les enceintes de confinement vieillissent de la même façon, ici et là, l'expérience le montre. Voilà donc ces quatre points liminaires : vision élargie de la sûreté nucléaire ; tenir radicalement compte de l'ensemble des faits renvoyant à la conduite des réacteurs ; la standardisation ; la variabilité des durées de vie. J'en viens à mes trois points de fond. Mon premier point porte sur l'augmentation des exigences de sûreté et, encore une fois, sûreté au sens large. C'est une caractéristique des autorités de sûreté nucléaires en France : nous avons une vision des choses dans lesquelles nous souhaitons améliorer la sûreté au fil du temps. L'autre idée est que les risques ou les inconvénients doivent être réduits autant qu'il est possible, et que le progrès technologique doit y contribuer. J'insiste là-dessus parce que ce n'est pas une politique uniformément partagée dans le monde. Par exemple nos collègues américains de la NRC affichent comme un de leurs quatre objectifs : « to maintain safety » ! Nous pouvons expliquer ensuite que « to maintain » est un mot très positif en anglais ou en américain, qu'il a un côté de dérivée positive. Il n'en reste pas moins que « to maintain » n'est pas « to improve ». Il y a là vraiment, me semble-t-il, une politique différente. Cette augmentation des exigences de sûreté est valable pour les réacteurs existants. Je ne reviens pas sur ce qu'a dit Alain SCHMITT. Dans les réexamens périodiques de sûreté, il y a un examen de conformité et une réévaluation de sûreté peut conduire à demander l'amélioration d'un certain nombre de points. Nous pouvons bien sûr accepter que des générations différentes de réacteurs aient des durées de vie différentes. J'insiste sur un dernier point, dans la mesure où nous avons une vision de progrès de la sûreté pour améliorer la sûreté des réacteurs actuels, il est tout à fait important de réfléchir et de mener des recherches sur les réacteurs du futur. C'est la façon d'avoir une référence auprès de laquelle caler ce que nous pouvons exiger. C'est pour les réacteurs existants et je parlerai simplement de deux points pour les réacteurs du futur parce qu'ils sont en ligne avec cette idée d'augmentation d'exigences de sûreté au fil du temps. Il est évident que nous avons demandé davantage en exigences de sûreté pour le réacteur EPR que pour les réacteurs précédents. Je peux le traduire de façon plus abrupte : nous n'autoriserions pas actuellement, la construction d'un réacteur N4. Le deuxième élément est que les exigences de sûreté pour l'EPR seront à revoir si un premier réacteur EPR n'est pas rapidement lancé. La deuxième idée que je voudrais développer est l'harmonisation et la coopération internationale en matière de sûreté. Je crois que coopération et harmonisation sont en même temps nécessaires et difficiles. Je prendrais trois exemples de coopérations que nous avons menées et que nous menons. Il y a d'abord la coopération avec l'Allemagne. Elle a été très loin à propos du projet EPR puisque nous avons décidé d'avoir une approche commune, de ne pas empiler les deux réglementations. C'est difficile car, pour un certain nombre de points, les deux réglementations étaient contradictoires. Nous avons fait un pas tout à fait important dans la voie de l'harmonisation. Il se trouve qu'actuellement l'EPR n'est plus un sujet en Allemagne. Après les élections de l'automne 1998, après l'accord du consensus, il y a eu une décision consistant, pour le parc nucléaire allemand, à bénéficier d'une relative tranquillité en matière de sûreté en échange de l'affichage d'une date d'arrêt. Officiellement nous ne travaillons plus avec nos collègues du BMU sur l'EPR. Je m'attache quand même à maintenir une forme de coopération avec l'Allemagne. Un certain nombre d'experts du GRS, travaillent pour fournir des expertises en liaison avec l'IRSN et j'invite des experts allemands aux réunions du groupe permanent compétent pour les réacteurs. Nous sommes cependant très loin de la situation que nous avons connue où in fine des études et examens, je cosignais une lettre unique en anglais avec mon collègue allemand. Le deuxième exemple, ce sont les Etats-Unis qui, à l'évidence, sont un partenaire important. Ce qui me frappe c'est que si avec nos collègues américains de la NRC, nous avons un dialogue technique extrêmement riche et ouvert, où nous parlons explicitement de nos difficultés, j'ai cependant trois difficultés devant moi. Premièrement, je regrette tout à fait que malgré tous les échanges que nous avons eus avec nos collègues américains sur les problèmes que pouvaient connaître les couvercles de cuves, il ait pu se produire aux Etats-Unis le phénomène qui a été rencontré à Davis Besse. Deuxièmement, nous n'arrivons pas réellement à échanger au fond avec nos collègues américains sur le problème de la durée de vie. Il est clair qu'avec les étapes intermédiaires dans la gestion de la durée de vie, nous avons une vision différente de nos collègues américains. Pour prendre un souvenir personnel, je me souviens avoir visité l'un des premiers réacteurs américains à bénéficier d'une prolongation de durée de vie de vingt ans. Au cours de l'entretien avec le dirigeant de la centrale, j'avais été très frappé de voir que, pour lui, le dossier qu'il avait fourni pour obtenir vingt ans de plus de durée de vie, était un épisode au fil de l'eau qui ne lui avait pas vraiment laissé de souvenirs particuliers. Il n'avait pas de souvenir d'un investissement ni intellectuel, ni technique, ni financier considérable et cela m'avait beaucoup frappé. Troisième difficulté dans nos discussions avec nos collègues américains, c'est à propos des réacteurs du futur. Nous avons bien le sentiment que ce que nos collègues américains demandent aux réacteurs du futur, au moins aux réacteurs de ce que nous appelions tout à l'heure la Génération III+, est assez voisin de ce que nous demandons pour l'EPR. Nous avons ce sentiment global, mais nous ne sommes pas capables de l'articuler de façon très précise et nous sommes tout à fait sûrs que si nous avions à donner une autorisation pour construire un réacteur d'origine américaine en France, nous serions amenés à demander des choses complémentaires. Et nous sommes tout aussi sûrs que si nos collègues américains avaient à licencier un réacteur EPR, ils demanderaient également des choses complémentaires. C'est quelque chose qui ne me satisfait pas ! Pour terminer sur une note plus positive à propos de l'international, je dirai un mot sur l'harmonisation progressive des exigences de sûreté en Europe. C'est un souhait des politiques, c'est un souhait du public, c'est un souhait des industriels, c'est un souhait des autorités de sûreté. Et de toute façon l'ouverture du marché va rendre nécessaire cette harmonisation des exigences et des pratiques de sûreté. Je considère que, là, il y a des progrès qui se font largement à travers une association de responsables d'autorités de sûreté, WENRA - Western European Nuclear Regulators Association - que j'ai présidée. Ce sont les dix responsables d'autorités de sûreté des pays nucléaires d'Europe de l'Ouest. Au terme de plusieurs années de travail, nous avons rédigé un rapport que nous avons rendu public tout dernièrement, vous pouvez le trouver sur le site de l'autorité de sûreté nucléaire. C'est la première étape d'un travail et sur six thèmes de sûreté, nous avons ébauché ce que pourraient être des règles communes à l'ensemble des dix pays. C'est diffusé dans le public pour commentaire. Pour le moment, ce n'est pas du tout l'ébauche d'une réglementation, mais cela peut en être les prémices. Cela me paraît important parce que cela peut être une étape importante vers l'harmonisation de nos exigences de sûreté. Je trouve que c'est d'autant plus important que WENRA vient d'accueillir en son sein les sept autorités de sûreté des sept pays nucléaires d'Europe de l'Est qui vont entrer dans l'Union Européenne ; nous sommes donc désormais dix-sept. J'ajoute que toute remarque sur ces textes que vous pouvez consulter sur notre site, peut m'être adressée ou être adressées à la nouvelle Présidente de WENRA, ma collègue suédoise, le Docteur Judith MELIN. Après avoir déploré ce qu'était actuellement la coopération avec l'Allemagne, noté certaines limites dans notre dialogue avec nos collègues américains, un point qui me paraît positif, est l'avancée vers une harmonisation en Europe. Je terminerai, troisième point, par des questions qui portent à la fois sur la politique industrielle et énergétique et sur la sûreté nucléaire, j'ai trois questions. Première question : le maintien des compétences et de la capacité industrielle. C'est une question que je n'aborderai pas longtemps, mais qui se pose pour les réacteurs du futur. Il s'agit d'être encore capable de construire si nous avons à le faire. J'ajoute que cette question se pose également aux autorités de sûreté, à savoir être encore capables d'examiner un projet de nouveau réacteur. Pour prendre un exemple, mon collègue britannique me disait récemment que si chez lui un électricien déposait une demande d'autorisation pour un réacteur, il aurait entièrement à reformer des équipes dans la mesure où, depuis très longtemps, il n'a plus rien eu à autoriser. Le maintien des compétences se pose également pour les réacteurs existants. Cela a déjà été abordé et vous avez : le renouvellement des compétences, l'obsolescence des composants, etc. Deuxième question : la vitesse de renouvellement du parc nucléaire. Si le parc nucléaire français est renouvelé par un nouveau parc nucléaire, il ne faut pas le renouveler en allant trop vite. Je considère qu'une partie des non-conformités que nous décelons actuellement sur le parc existant, c'est-à-dire une partie de ce que nous considérons être anormaux, à savoir que les réacteurs n'ont pas été construits conformément à leurs plans, me paraît tout à fait renvoyer au rythme élevé de construction du parc nucléaire que nous avons connu dans les années 1980. Si nous reconstruisons un parc nucléaire, je ne souhaite pas que nous le fassions aussi rapidement. Troisième question : date de renouvellement du parc nucléaire. Ce que je vais dire à ce sujet est vrai quel que soit le mode de remplacement du parc nucléaire, que ce soit par du nucléaire ou non. Il faut être conscient du fait que si nous décidons de renouveler le parc nucléaire d'EDF tard, encore une fois quel que soit le mode de renouvellement, il est fait un pari consistant à dire que les réacteurs actuels vieilliront bien et qu'il n'y aura pas de problèmes génériques graves. Il faut savoir que c'est un pari et que le moment venu à l'évidence et suivant la façon dont les choses se passeront, l'autorité de sûreté nucléaire aura à se manifester sur ce point. DEUXIEME TABLE RONDE : M. Claude BIRRAUX - Le premier intervenant sera M. AURELA qui est Conseiller principal, responsable de la sûreté des centrales nucléaires au Ministère de l'Industrie et du Commerce de Finlande. La Finlande, qui exploite un parc composé de deux réacteurs à eau bouillante et de deux réacteurs à eau pressurisée, réalise des performances absolument remarquables dans la gestion de ce parc. M. Jorma AURELA, Conseiller principal, ministère du commerce et de l'industrie de Finlande Nous sommes venus de Finlande pour vous présenter une étude de cas. Je travaille au ministère, en matière de sûreté en Finlande et le travail est effectué par l'organisme de réglementation. Vous allez également entendre une intervention de M. RAUMOLIN qui vient du secteur de l'industrie. Vous allez entendre parler de notre programme nucléaire qui est modeste bien sûr par rapport à celui de la France, mais de toute façon nous avons quatre tranches : deux réacteurs à eau pressurisée de type soviétique ; deux réacteurs à eau bouillante de type suédois. Ces quatre tranches ont commencé à fonctionner entre 1977 et 1981. Ces réacteurs ont donc tous plus de vingt ans. Nous avons en outre un cinquième réacteur en phase de planification. En Finlande actuellement, nous n'avons pas de cycle de vie prédéterminé. Nous comparons parfois la situation à la possession d'une voiture. Savoir quelle est la durée de vie de votre voiture, dépend un peu de la manière dont vous conduisez une voiture, de ce que vous en faites. C'est un peu la même chose que ce que nous pensons de nos réacteurs. Je pense que la durée de vie de nos réacteurs est comparable à la durée de vie des réacteurs français. Initialement nous avions prévu trente ans de durée de vie de conception et cette conception initiale va prendre fin en 2007. La licence de fonctionnement va expirer en 2007. M. RAUMOLIN va parler des objectifs, des projets de son entreprise et je pense qu'il va vous parler d'un objectif à cinquante ans. Je vais vous parler d'une société privée dont les réacteurs ont une philosophie assez intéressante. Pratiquement tous les jours les réacteurs seront en état de fonctionnement et ce, pendant quarante ans. A partir du début du fonctionnement, si vous le calculez, cela fera soixante-cinq ans de vie. Je crois que c'est une philosophie assez intéressante. Il reste cependant bien sûr à le prouver. Je viens du secteur qui s'occupe des licences de fonctionnement et des procédures de contrôle pour cette centrale nucléaire. Nous avons une législation qui fixe nos responsabilités au sein de notre ministère. Nous avons également la législation en matière d'énergie nucléaire qui prescrit les durées de licences de fonctionnement pour les installations nucléaires. Ces licences sont délivrées pour une période déterminée par le Conseil d'État. D'une part, selon la législation, il faut s'assurer que la sûreté est l'objectif toujours primordial. D'autre part il faut faire des estimations sur la durée de vie tout entière de la centrale nucléaire. Ce sont là deux objectifs qui sont extrêmement importants pour nous. Dans la pratique, dans le cadre de cette procédure en Finlande, la déclaration de l'autorité en matière de sûreté nucléaire, est la plus importante. C'est le rapport qui est le plus important. Trois cents personnes travaillent dans cet organisme. Actuellement les licences de fonctionnement sont sur une durée de vingt ou trente ans. En fait ces licences de fonctionnement ont été délivrées suivant les demandes qui nous parvenaient. Par le passé, nous n'avions qu'une période de dix ans pour la durée de ces licences, mais nous avons eu des demandes pour une durée de vingt ans et cette durée a été accordée. Je ne parle pas des autres installations, nous avons également des dépôts pour les déchets à moyen et long terme jusqu'en 2050. En général, nous prenons un an avant de délivrer la licence de fonctionnement. Ce n'est pas une durée législative. Nous avons constaté que cela nous prenait environ un an avant de délivrer ces licences. En ce qui concerne les contrôles réglementaires pour la gestion de la durée de vie, c'est un sujet relativement nouveau qui est apparu au cours de la dernière décennie. Cela fait partie actuellement du programme que doivent respecter les organismes de réglementation. Chaque année, nous envoyons des inspecteurs dans les sites et ce sujet est inclus dans les inspections. Nous avons également des révisions de sûreté globale périodique comme d'ailleurs dans tous les autres pays. Il y a donc ces visites décennales que vous avez également en France et dont vous avez parlé. Voilà la partie du processus du renouvellement des licences. Cela peut aussi se faire séparément. Comme je vous l'ai dit, la centrale d'Olkiluoto possède une licence de vingt ans et nous avons des inspections décennales. Une inspection décennale sera effectuée au cours de l'année qui vient. Nous avons également une évaluation de la situation en matière de vieillissement qui est une évaluation tout à fait primordiale pour nous. Nous contrôlons les analyses de sûreté pour voir si elles sont bien mises à jour, correctes et exactes. Nous pratiquons également une évaluation du niveau de sûreté sur la base des étalons et normes actuelles. Notre philosophie est que l'objectif doit être de plus en plus ambitieux. C'est la première fois que nous avons pratiqué de cette manière il y a cinq ans pour les deux centrales et nous avons fait ceci sur la base des normes de l'Agence de Vienne. M. Thierry DUJARDIN, Directeur adjoint, AEN OCDE Je parlerai de l'AEN non pas sur les aspects institutionnels, mais dans la perspective du sujet qui nous préoccupe aujourd'hui. L'AEN est avant tout un forum, et je dirai un forum non politique qui arrive à travailler dans un climat de confiance mutuelle ce qui est probablement une de ses valeurs essentielles. C'est un forum pour partager des expériences nationales et aussi un catalyseur pour rechercher des consensus. La vraie force de l'AEN est son réseau d'experts. Vous savez que globalement les pays de l'OCDE ont 85 % de la puissance nucléaire installée dans le monde, aussi lorsque nous regroupons des experts autour de la table, nous avons vraisemblablement les meilleurs experts au monde sur les sujets que nous traitons. Nous cherchons bien sûr à mettre les choses en commun à la demande des États membres. Ce sont les experts, les États membres qui définissent le programme de travail, ce sont eux qui le mettent en forme et le Secrétariat est là pour les aider. Une autre caractéristique de l'AEN est sa capacité à coordonner des projets de recherche multilatéraux, mais décidés par les États membres et non pas nous-mêmes. Les méthodes de travail sont tout à fait classiques. Il y a des comités permanents, des revues par les pairs qui sont un des points très forts. Je crois qu'il faut aussi insister sur le fait que nous n'avons pas vocation à tout couvrir, mais que nous cherchons à avoir des objectifs limités, très précis ce qui nous permet de faire un travail technique et scientifique en profondeur. Notre chance est peut-être de ne pas avoir beaucoup ou en tout cas beaucoup moins de négociations politiques multilatérales au sein de l'AEN, ce qui nous permet de faire ce travail technique en profondeur. En ce qui concerne le sujet qui nous préoccupe ce matin, à savoir la durée de vie et les activités de l'AEN, celles-ci sont structurées essentiellement autour de trois comités. Le Comité pour les Activités nucléaires réglementaires est un forum d'échanges entre les autorités de sûreté et j'insiste beaucoup sur le fait qu'il n'y a aucun rôle prescriptif, c'est un échange de meilleures pratiques. Un des principaux sujets évoqués aujourd'hui, est la prise en compte des études probabilistes dans les réglementations de sûreté qui est une initiative américaine, le « Risk Informed Regulation ». Nous pourrions dire brutalement qu'au travers de ce forum, les autres cherchent à comprendre où veulent aller les Américains avec ce type d'approche. Le Comité de sûreté des Installations nucléaires s'occupe de façon plus technique d'activités de R&D et il a un groupe de travail sur le vieillissement des structures, des composants et leur intégrité. Ce groupe de travail est lui-même divisé en un sous-groupe béton, un sous-groupe CIS, un sous-groupe composants. De nombreux projets de R&D cherchent à capitaliser de l'expertise ou à aller chercher de nouvelles données sur les questions soulevées dans le cadre de la recherche. Le Comité permanent pour le développement essaye de dire que si le vieillissement des centrales, c'est bien - jusqu'à maintenant les seules centrales arrêtées l'ont été pour des questions d'obsolescence -, et se demande où sont les optimums économiques et quels sont les outils. Dans ce sens, l'impact des régulations, les marchés de l'électricité pourraient apporter une nouvelle perspective sur les questions économiques et peut-être qu'un jour ce seront des critères économiques qui avant des critères d'obsolescence, décideront - et nous l'avons entendu ce matin pour partie - de la durée de vie d'une centrale. Nous avons déjà beaucoup parlé des aspects réglementaires que je ne reviendrai pas très longtemps dessus. La grande majorité des pays de l'OCDE ont une licence sans limitation de durée. La plupart de ces pays pratique une revue périodique de sûreté tous les dix ans. Les principales exceptions - je laisse de côté la Suisse où deux réacteurs ont une licence avec une durée limitée, mais ce sont davantage des raisons historiques - sont le Canada et les USA, et dans une moindre mesure le Japon. Le Canada a actuellement des licences de trois à cinq ans, mais ils pensent beaucoup à trouver des procédures pour les augmenter. Ainsi que l'a dit ce matin M. Birraux, les Etats-Unis ont une licence initiale de quarante ans. Mais surtout aucun de ces deux pays ne demande de revue périodique de sûreté. La situation du Japon est un peu différente. Ils ont des revues périodiques de sûreté et tous les treize mois, ils ont une analyse des composants principaux pour la sûreté. Le grand débat - et je crois que M. LACOSTE l'a également souligné - est de savoir s'il s'agit de maintenir le niveau de sûreté ou de l'améliorer, avec un examen de conformité pour la première étape et une réévaluation des objectifs de sûreté pour seconde. Bien évidemment le débat dont vous avez entendu parler ce matin en long et en large, est largement présent sur la scène internationale. Mon dernier point portera sur quelques aspects techniques. Ce n'est pas pour rentrer dans des détails techniques - ils ont déjà largement été évoqués -, mais pour montrer ce qui peut être réalisé dans le cadre d'une organisation internationale, des comparaisons de calculs. De nombreuses questions ont été évoquées autour de réévaluations sismiques. Il y a aujourd'hui un certain doute sur la compatibilité ou disons quelques incohérences entre des codes sismiques appliqués aux installations nucléaires et ceux appliqués à d'autres installations industrielles traditionnelles. Il y a donc des benchmarks pour essayer de comprendre quelles sont ces petites divergences et un travail technique en profondeur. Il n'y a pas de difficultés majeures, mais la mise en évidence de quelques divergences. En ce qui concerne les matériaux, vous avez toutes les techniques de contrôle non destructif pour analyser les structures, etc. Nous avons beaucoup parlé des câbles, je vous donne un exemple qui est mis en évidence au sein de l'AEN : comment démontrer qu'un câble vieilli résiste à un accident de perte de réfrigérant ? Si nous avons encore des appareillages qui fonctionnent et sont capables d'apporter la sûreté nécessaire, sommes-nous sûrs que les informations iront jusque-là ? Comme c'est assez difficile à démontrer, il y a un certain nombre de considérations au sein de groupes de travail pour essayer de faire progresser cette idée. La perte de connaissances et de compétences a déjà été évoquée. Que peut faire l'AEN ? Aider à construire des bases de données sur les retours d'expérience, sur les incendies dans les installations, sur les ruptures de tuyauterie, sur les matériaux. Pour donner une tonalité un peu plus neutre, nous entendons beaucoup dire que tout le monde est intéressé, c'est essentiel, il faut le faire, etc. Comme cela n'a cependant pas de retour immédiat à court terme, c'est très bien de le faire dans un cadre international, mais la mise en œuvre opérationnelle - ressources, moyens, disponibilités des experts - est parfois un peu moins positive que l'intervention initiale. Enfin la fermeture de moyens d'essais est un vrai problème dans un certain nombre de pays - et je m'interdirai de parler de la France ici -, et certainement dans beaucoup de pays de l'OCDE. Ces moyens d'essais sont utiles pour le maintien et les progrès en matière de sûreté. Une des réponses apportée par l'AEN est autour d'installations qui sont en voie de fermeture ou qui risquent d'être fermées parce que les programmes nationaux ne sont pas suffisants, d'essayer de créer des projets internationaux et de regrouper un certain nombre d'acteurs - organismes de recherche, industriels, exploitants, autorités de sûreté - intéressés d'une part par le fait de maintenir en vie ces installations, mais surtout par un programme technique qui permettra de les maintenir en vie. Il y a de nombreux exemples de ce type de projet. Il y a une installation même en Russie, dans un pays non-OCDE, qui travaille sur l'interaction du corium et du béton, etc. Je n'irai pas beaucoup plus loin, mais cela donne un tableau de ce que peut faire une organisation internationale modeste, toute petite, sur un certain nombre de problèmes techniques en travaillant en profondeur à la demande de ses États membres. M. Pierre LABBE, Chef de l'unité ingénierie, Responsable du programme sur la prolongation de la durée de vie Au même titre que ses inspections, l'AIEA a aussi dans ses missions de faire des normes de sûreté nucléaire. C'est une autre organisation internationale. Les membres de l'OCDE sont membres de l'AIEA mais il y en a aussi d'autres. S'il est vrai qu'une grande majorité de la puissance nucléaire installée est en ce moment dans les pays de l'OCDE, de nombreuses centrales en construction ne sont pas dans les pays de l'OCDE. Les pays dans lesquels nous nous rendons le plus souvent pour faire des évaluations de sûreté dans le domaine de la conception ou de la construction, sont des pays tels que l'Iran - je m'y rends assez souvent - et la Chine. Il n'y a pas l'Inde ; comme elle n'a pas signé le traité de non-prolifération nucléaire, elle n'a pas vraiment droit aux aides de l'AIEA. Les centrales en construction sont dans des pays qui, aujourd'hui, ne sont pas membres de l'OCDE et dont je pense qu'il faut tenir compte de plus en plus. Pour en revenir à l'AIEA et aux normes de sûreté liées aux questions de durée de vie, disons que la doctrine de l'AIEA en matière de durée de vie, s'exprime par des normes de sûreté qui sont des documents de différents niveaux. Il y a des documents qu'on appelle fondement de la sûreté, des documents d'un niveau inférieur qui sont des exigences de sûreté, des documents d'un niveau encore inférieur qui sont des guides de sûreté. L'ensemble constitue des normes de sûreté. Je crois important de noter que ces normes de sûreté ne sont pas faites par l'AIEA sous sa propre autorité, mais qu'elles sont approuvées par les États membres avec tout un système de comités d'approbation. M. LACOSTE représente par exemple la France dans ces comités d'approbation. Les gens qui travaillent dans mon équipe et moi-même, planchons de temps en temps devant M. LACOSTE et ses collègues pour faire approuver nos normes de sûreté. Il y a d'autres documents qui ne sont pas des normes de sûreté, mais des documents à caractère plus technique, ce sont des rapports de sûreté. Ce type de documents - rapports de sûreté - est émis sur des sujets dont nous considérons qu'ils n'ont pas encore suffisamment de maturité pour faire l'objet d'une norme. Et il y a des documents techniques qui permettent de comparer les pratiques des différents États membres et de donner des exemples de bonne pratique. Dans le domaine qui nous intéresse, à savoir celui du vieillissement, vous avez une liste de documents techniques émis par l'AIEA. Nous avons une série de documents sur l'évaluation et la gestion du vieillissement des principaux composants d'installations nucléaires. C'est une série de documents qui ont été émis à la fin des années 1990. Nous avons commencé à travailler sur ces sujets à l'AIEA dans les années 1980. Les normes de sûreté sont traduites dans les six langues officielles de l'agence. Les documents techniques, eux, n'existent qu'en anglais qui est notre langue de travail. Les documents de plus haut niveau sont les fondements de la sûreté. Il est important de voir que dans ces documents de plus haut niveau, des principes sont énoncés selon lesquels des réévaluations systématiques de sûreté doivent être effectuées tout au long de la durée de vie de l'installation. Nous avons déjà insisté aujourd'hui sur le fait qu'il y a des États membres de l'OCDE - puisque cette table ronde est consacrée aux États membres de l'OCDE - qui ne respectent pas cette pratique. C'est le cas des Etats-Unis dans la mesure où ils n'utilisent pas le concept d'évaluation périodique de sûreté. Ceci dit, j'ai constaté des évolutions de la NRC dans ce domaine, qui souhaiterait se rapprocher un peu de la pratique européenne. Il n'y a pas très longtemps, les personnes de la NRC ont dit que, compte tenu du nombre de centrales nucléaires qu'ils ont chez eux et de leurs ressources humaines, un de leurs problèmes était plutôt leur capacité à mettre en œuvre des évaluations périodiques de sûreté de l'ampleur de ce que nous faisons en France. Comme ils n'ont jamais que deux fois plus de centrales nucléaires qu'en France, je pense que cela devrait être gérable ! Ce principe de l'AIEA n'est pas non plus respecté dans un pays comme la Russie qui donne des durées de vie de trente ans à ses installations, avec des prolongations de cinq ans renouvelables un certain nombre de fois. Pour l'instant les Russes ont simplement autorisé la prolongation d'exploitation de la centrale de Novo Voronej, mais l'AIEA n'a pas eu la possibilité d'évaluer le travail qui a été fait à cette occasion. J'en profite pour dire que dans le domaine de la sûreté des installations nucléaires, contrairement aux inspections dont vous parliez tout à l'heure, nous ne sommes pas dans un régime d'inspection, l'AIEA ne peut venir que sur invitation des États membres. Il n'y a pas de caractère intrusif de l'activité de l'AIEA dans les États membres en matière de sûreté nucléaire, il n'y a pas de traité qui permettrait de le faire. Lorsque nous sommes face à un contexte dans lequel les États membres nous parlent de prolongation de durée de vie, un principe que nous avons établi et sur lequel nous basons notre action, est qu'avant de parler de prolongation de durée de vie, il faudrait que tous les problèmes de sûreté préalablement identifiés soient résolus. Nous craignons un peu que certains pays n'aient fait l'impasse sur le upgrading dont vous parliez tout à l'heure et commencent à parler de durée de vie avant d'avoir réglé tous ces problèmes d'amélioration et de mise à niveau de la sûreté. Nous avons donc posé comme principe dans notre doctrine que tous ces problèmes de sûreté devraient être résolus avant de parler de prolongation de durée de vie. Bien sûr la situation est un peu variable d'un pays à l'autre et je pourrais l'illustrer si vous avez des questions à ce sujet. Nous avons un guide de sûreté sur les évaluations périodiques de sûreté. Je vous ai dit tout à l'heure que les documents existaient en français, mais, là, je vous donne la version anglaise. Comme ces documents sont en cours de révision, je vous donne la dernière version qui n'est pas encore traduite en français. Elle a été approuvée il n'y a pas très longtemps par le comité auquel participe M. LACOSTE. La période de dix ans est signalée dans le document. Lorsque nous regardons l'activité des États membres depuis l'AIEA, nous constatons que maintenant cette période de dix ans est utilisée à peu près partout en Europe. Elle est utilisée en France depuis le début du programme nucléaire. En Grande-Bretagne cela a mis un peu de temps à se mettre en place et maintenant ils en sont à la réévaluation périodique de sûreté tous les dix ans. Comme ils ont commencé à faire du nucléaire avant les Français, il est normal qu'ils aient mis un peu plus de temps à mettre tout ceci en place. En Europe de l'Est, certains pays qui n'avaient pas cette pratique d'évaluation périodique de sûreté, s'y sont mis maintenant. Ils doivent parfois jouer avec les deux aspects : renouvellement de licence et réévaluation périodique de sûreté comme la Hongrie par exemple où j'étais le mois dernier. Nous constatons que les premières évaluations périodiques de sûreté conduisent à des améliorations du type protection incendie, réévaluation de sûreté, de telles choses. A la deuxième et plutôt troisième réévaluation périodique de sûreté quand on a commencé depuis le début, c'est-à-dire vers les trente ans d'exploitation, ou à la deuxième lorsque les États membres n'ont pas commencé tout de suite, nous abordons bien sûr les questions de vieillissement des installations et aussi beaucoup celles de vieillissement des compétences. Dans les pays qui ont pris des décisions de sortie du nucléaire, ces questions de vieillissement des compétences sont vraiment très aiguës. Nous constatons aussi qu'à cette période de la troisième visite décennale, ou parfois avant, des questions se posent sur la reconstitution des données de conception. En particulier en Europe de l'Est, des données de conception ont disparu, ne sont plus à la disposition des exploitants. Dans nos documents de doctrine, nous insistons beaucoup sur le fait que les questions de vieillissement, de qualification des équipements sont des choses qui doivent être prises en considération tout au long de l'installation, c'est-à-dire dès la conception, la mise en service de l'installation. D'après la doctrine de l'AIEA, on doit mettre en place des programmes de gestion du vieillissement dès la mise en service de l'installation comme cela se pratique, je pense, en France. Mais de nombreux États membres ont pris conscience de ce point un peu tard. Si je synthétise un peu notre impression à l'AIEA, je dois dire qu'il y a sans doute en ce moment un certain manque de maturité dans de nombreux États membres, qui se traduit par les services qu'ils nous demandent. En gros nous pouvons fournir trois types de services à nos États membres : des services de formation ; des échanges d'informations de benchmarking, des échanges d'informations entre États membres ; des bilans de sûreté. Nous sommes invités par l'État membre à venir faire une évaluation de sûreté d'une installation au niveau du choix du site, de la conception, de l'exploitation. Dans le domaine du vieillissement, de la durée de vie, on nous demande très peu de services de ce troisième type. Nous sommes très peu invités à venir faire une évaluation de la façon dont l'État membre gère les questions de durée de vie. En revanche on nous demande beaucoup de services dans le domaine de la formation ou de l'échange d'informations entre États membres. Pour nous cela reflète un manque de maturité encore dans la façon dont ces questions sont abordées par la majorité de nos États membres. Pour synthétiser un peu notre point de vue, nous pensons que parler de prolongation de durée de vie ou de telles choses, n'est sans doute pas la bonne terminologie. L'important est la façon de tenir compte, d'évaluer les problèmes de sûreté d'une installation ancienne. Et si elle a une durée de vie officielle de quarante ans, il ne faut pas attendre quarante ans pour s'en occuper. Il faut s'occuper des problèmes de sûreté des installations anciennes plutôt que dire qu'on va s'occuper des problèmes de sûreté liés à une augmentation de durée de vie d'une installation. M. Claude BIRRAUX - Avec l'expérience nationale, les expériences internationales, nous finissons par cerner en quelque sorte les bonnes pratiques, les bonnes approches. Bonnes pratiques est un mot tout à fait qualifié pour accueillir maintenant M. RAUMOLIN, Vice-Président du contrôle des opérations nucléaires à FORTUM. Nous nous connaissons depuis assez longtemps puisque j'ai visité la centrale de Loviisa il y a cinq ou six ans sous votre conduite, M. RAUMOLIN. FORTUM est donc l'exploitant de la centrale de Loviisa, centrale VVER, que vous avez relookée en quelque sorte à la finlandaise. Elle a des capacités tout à fait remarquables puisqu'il me semble qu'en 2002 le facteur de capacités a été supérieur à 91 %. M. Heikki RAUMOLIN, Vice-Président, chargé du contrôle des opérations nucléaires, FORTUM. Je voudrais commencer par vous indiquer ce qu'est FORTUM et son environnement de travail aujourd'hui. Le premier point est que FORTUM est une compagnie scandinave détenue majoritairement, à 60 %, par le Gouvernement Finlandais. Elle est cotée en bourse et vous pouvez acheter tous les jours des actions à la Bourse d'Helsinki. Le deuxième point est que nous opérons tout le temps dans le Pool Électrique Nordique. Cela signifie que la Norvège, la Suède, le Danemark et la Finlande sont une aire de marché totalement dérégulée. Ainsi nous vendons et achetons la puissance pour chaque heure avec un prix spécial pour cette heure. C'est un marché totalement concurrentiel pour l'électricité en Europe du Nord. Troisième point, FORTUM fournit des services aux clients en Scandinavie pour la puissance qu'il produit. FORTUM n'est pas seulement une société comme EDF. Les opérations nucléaires ne représentent qu'une petite proportion des opérations de FORTUM. Nous sommes bien sûr l'exploitant de Loviisa et nous avons aussi une petite participation à Olkiluoto et dans quelques centrales suédoises. Je vais surtout vous parler de la situation de Loviisa étant donné qu'il s'agit de la seule centrale dont nous sommes l'exploitant responsable. Pour ce qui est de la gestion de la durée de vie de la centrale, la chose la plus importante est qu'il y ait une stratégie, un objectif. Et pour Loviisa, l'objectif est une opération commerciale pour cinquante ans. Nous avons commencé par une exploitation pour trente ans, puis quarante-cinq ans il y a dix ans. Et maintenant nous avons décidé que l'objectif était d'avoir une durée de cinquante ans pour les opérations commerciales. Les problèmes stratégiques restent les mêmes, ce sont d'abord la sûreté et les autorisations d'exploitation. La Direction de l'entreprise a décidé que la sûreté était bien sûr l'objectif suprême dans nos opérations. Bien entendu, nous devons nous en tenir à toute la réglementation en matière d'autorisation d'exploitation et nous devons être prêts à délivrer une autorisation d'exploitation pour cinquante ans alors que maintenant nous ne l'avons que pour trente ans et qu'elle arrive à terme en 2007. Mais, ce qui est très important, c'est la production et ses résultats économiques. Ceci veut dire qu'aujourd'hui nous ne pourrions plus exploiter la centrale de Loviisa si nous ne pouvions pas dire que la centrale de Loviisa est suffisamment productive en termes économiques. Il faut bien sûr pouvoir tirer des bénéfices pour nos actionnaires et pouvoir en apporter la preuve à tout moment. Mais nous avons bien entendu besoin d'une bonne gestion des ressources humaines ; c'est très important pour nous en Finlande. La Finlande est un petit pays et nous ne pouvons pas nous attendre à y avoir beaucoup d'experts, leur nombre est limité. Ceci signifie que nous devons veiller à avoir suffisamment de connaissances, d'expertises et de ressources humaines pour une exploitation sur le long terme. Pour l'exploitation, nous avons besoin de la gestion de la durée de vie des systèmes critiques. Il faut déjà savoir quels sont ces systèmes critiques ce qui n'est pas simple. Par exemple pour le réacteur Loviisa I, nous avons modifié certains câblages au sein du confinement car nous nous sommes rendu compte que les températures étaient trop élevées pour les câbles et que cela ne leur permettrait pas d'avoir une durée d'exploitation suffisamment longue. Nous avons donc procédé à des changements de câblage. Par ailleurs, il faut aussi et constamment une mise à jour des critères de sûreté. Ce n'est pas suffisant de le faire tous les dix ans. Nous essayons donc d'améliorer constamment les opérations de la centrale. Il nous semble nécessaire pour tout le monde d'avoir effectivement une centrale qui soit en bon état. Ensuite nous avons besoin d'un plan d'investissements à long terme. En fait, pour les centrales de la première génération, ce n'était pas possible, mais maintenant lorsque nous envisageons une durée d'exploitation de cinquante ans, nous nous rendons compte que cela correspond à deux générations déjà. La plupart des personnes qui travaillent dans ce domaine, viennent de l'université, d'écoles spécialisées, mais nous allons bientôt partir et une nouvelle génération prendra notre place. Il faut maintenant veiller à toujours avoir des personnes qui aient les meilleures connaissances en la matière. J'en reviens maintenant à mon plan d'investissements à long terme. A plusieurs reprises nous avons parlé de la situation économique et pour une société cotée en bourse, il est très important de maintenir un contrôle sur les aspects économiques à tout moment. Nous devons donc pouvoir évaluer, prévoir les choses en termes économiques les investissements, les amortissements. Je dois dire que l'amortissement n'est pas le plus grand problème pour l'investissement initial, mais plutôt pour les investissements qui sont faits pendant les opérations. Là, la question de l'amortissement est plus importante. Nous avons des mises à jour, des améliorations constantes. Des investissements seront par exemple faits en fin d'opération et ceux-là sont plus difficiles à amortir. C'est la raison pour laquelle la planification des investissements doit être très précise et qu'il nous faut bien planifier la fin des opérations de manière à gérer également les problèmes économiques qui en découlent. Nous ne sommes pas encore prêts, mais je crois qu'il faut aussi envisager les choses déjà à long terme et commencer très tôt. Voyons maintenant des aspects plus pratiques dans un avenir plus proche ! D'abord - et je vous l'ai dit - il faut continuer à avoir une situation économique compétitive et nous devons toujours avoir une production compétitive. Il nous faut également une bonne expérience de ce que j'appelle les systèmes critiques afin de mieux pouvoir gérer la durée de vie de l'installation. Nous avons besoin aussi de bons plans d'investissements pour parvenir à une durée d'exploitation de cinquante ans et d'une planification à long terme de façon générale. Nous devons rester compétitifs à tout moment puisque nous sommes cotés en bourse. Il y a également tous les processus d'automatisation, d'abord une première unité à Loviisa, puis une seconde unité. Il nous a fallu un certain temps pour que tout fonctionne. Comme je vous l'ai dit, nous avons un plan détaillé pour ce qui est de la relève. Il nous faut mieux planifier nos opérations, par exemple au-delà de 2006, notre objectif étant d'arriver à renouveler l'autorisation d'exploitation avant la fin de l'année 2006. Le problème de renouvellement de l'autorisation d'exploitation en Finlande n'est pas seulement un problème technique, mais aussi une question politique. Il faut une décision prise par le Gouvernement qui doit bien sûr avoir la preuve que nous pouvons continuer nos opérations nucléaires tout en assurant la sûreté des installations et des opérations. En guise de conclusion, je souhaiterais parler des enseignements que nous pouvons tirer. Je crois qu'ici nous avons appris trois choses. La première leçon est que les organisations et les personnes responsables doivent pouvoir bien gérer la durée de vie de l'installation. Il ne s'agit pas seulement de l'affaire de la maintenance et que chaque service technique s'occupe de sa responsabilité particulière. Il y a une responsabilité globale pour une unité, pour un réacteur. Cela ne fonctionne ici que s'il y a un véritable travail d'équipe et qu'une responsabilité globale est assumée de toute part. Il faut par ailleurs à tout moment pouvoir procéder à des mises à jour, à des améliorations. Il faut toujours pouvoir améliorer la qualité des opérations de nos installations. Ce point doit être clair à tous les niveaux d'organisation. La troisième leçon est le transfert de connaissances, de savoir-faire. Il faut donc que nous veillions à avoir un système qui nous permette effectivement ce transfert à tout niveau - vers les ingénieurs, la recherche, le développement - ainsi qu'un transfert à l'échelle européenne, internationale. C'est certainement l'une des choses les plus difficiles. Ce sont trois leçons qui semblent simples à tirer, mais souvent ce qui semble le plus simple en théorie est ce qui est le plus difficile à réaliser dans la pratique. M. Claude BIRRAUX - Très belle conclusion, M. RAUMOLIN ! J'ai une petite question tout de suite. Dans la maintenance que vous effectuez lors des arrêts de tranche qui sont relativement courts puisqu'il me semble que vous arrivez à les faire en seize jours, est-ce que vous utilisez du personnel de FORTUM ou est-ce que vous faites appel à des sous-traitants ? Dans l'affirmative, quel type de relation avez-vous avec les sous-traitants pour maintenir les capacités techniques des matériaux et celles de ces sous-traitants ? M. Heikki RAUMOLIN - Oui, nous travaillons avec des sous-traitants. En général il y a environ un millier de personnes en dehors de notre organisation qui travaille pour nous. Nous avons donc beaucoup de sous-traitants, nous organisons de la supervision et c'est nous-mêmes qui nous occupons de la planification. Ensuite, selon les tâches à réaliser, nous avons des qualifications spécifiques. La situation en la matière est assez bonne en Finlande dans le sens où la plupart des personnes avec lesquelles nous sous-traitons ont à un moment ou à un autre, travaillé directement sur la centrale. Ce sont donc des personnes très expérimentées qui connaissent bien les lieux. Nous essayons cependant toujours d'avoir au moins deux entreprises sous-traitantes en concurrence. M. Jorma AURELA - Oui, et je voudrais ajouter que c'est la même chose pour les centrales suédoises. Il y a effectivement de nombreuses entreprises qui sont en concurrence pour les centrales comme Loviisa, Olkiluoto ou autres. Débat avec la salle Mme Ann MACLACHLAN - Je voudrais demander une précision à M. LABBE. Si j'ai bien compris ce que vous avez dit, à un moment donné vous avez dit que l'AIEA estimait qu'il fallait résoudre les problèmes de sûreté existants avant de parler de prolongation de durée de vie d'une centrale. J'aimerais que vous expliquiez davantage ce point. Je me demande en effet s'il n'y a pas quelque piège, à savoir que vous résolvez les problèmes que vous avez aujourd'hui. Vous commencez ensuite à parler de prolongation de vie et comme vous trouvez un autre problème, vous devez arrêter. Je pense que ce n'est pas cela, mais peut-être pouvez-vous l'expliquer. Pensez-vous à un pays en particulier qui aurait trop tendance à parler de prolongation de durée de vie sans avoir résolu ses problèmes de sûreté ? M. Pierre LABBE - Cette préoccupation est liée aux questions de sûreté qui se sont posées en Europe de l'Est. A la fin des années 1980, l'AIEA a fait une évaluation de l'ensemble des problèmes de sûreté posés par les centrales nucléaires qui étaient exploitées en Europe de l'Est. Pour chaque type de centrale nucléaire, nous avons fait un catalogue des problèmes de sûreté et lorsque les États membres nous invitaient à le faire, nous avons fait des bilans de sûreté de ces installations. En général, nous sommes allés plusieurs fois dans chaque installation et nous avons évalué dans quelle mesure les problèmes de sûreté qui avaient été identifiés, étaient résolus. L'AIEA ne souhaite pas qu'un État membre nous demande de venir l'assister dans le domaine de l'extension de la durée de vie, si les questions de sûreté soulevées à ce moment-là ne sont pas résolues. C'est ce que j'ai voulu dire. Maintenant vous donner un nom d'État qui serait un mauvais sujet, je ne le ferai pas. Vous lisez les journaux aussi bien que moi et vous n'avez pas besoin que je vous donne cette information. M. Claude BIRRAUX - J'ai une question complémentaire. Rassurez-moi M. LABBE, lorsque vous dites que les Russes ont des licences pour trente ans qu'ils renouvellent de cinq ans en cinq ans, l'appliquent-ils aussi aux RBMK ? M. Pierre LABBE - En principe c'est aussi la pratique pour les RBMK. M. Claude BIRRAUX - Nous ne pouvons pas dire que c'est une réponse rassurante, mais vous n'y êtes pour rien. (La séance, suspendue à 12 h 15, est reprise à 14 h 06) ALLOCUTION DE Mme NICOLE FONTAINE, Ministre déléguée à l'Industrie M. Claude BIRRAUX - Nous allons donc reprendre notre session de l'après-midi. Je remercie Mme Nicole FONTAINE, Ministre Déléguée à l'Industrie, d'avoir bien voulu accepter d'ouvrir notre session de l'après-midi dans une journée doublement difficile. La première parce qu'elle ouvrait le premier débat en région sur le débat national portant sur l'énergie à Strasbourg ce matin. La seconde est que se déplacer aujourd'hui dans Paris lorsqu'on n'a pas d'hélicoptère, relève quand même d'une certaine prouesse. Merci Madame la Ministre d'être venue ! Vous savez que l'Office Parlementaire a été saisi par la Commission des Affaires Économiques d'un rapport concernant la durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteurs. Il nous a paru particulièrement opportun de l'insérer dans le cadre du débat national sur les énergies, que le Gouvernement a lancé puisque dans les sept rapports qu'a produits Christian BATAILLE sur la gestion des déchets nucléaires et les onze rapports que j'ai produits sur le contrôle de la sûreté nucléaire, il y avait un maillon manquant qui était celui de la durée de vie des centrales. La durée de vie des centrales peut en effet conditionner largement la problématique d'un éventuel renouvellement du parc si renouvellement du parc il doit y avoir. Notre objectif est de donner les paramètres de choix et l'état le plus actualisé de l'information sur ce sujet. Le 13 mai puisque la date a été fixée, nous rendrons notre rapport à l'Office Parlementaire et il sera rendu public à la presse le 14 mai. Nous serons donc dans les temps pour donner ces paramètres de choix au Parlement, au Gouvernement et par-delà à l'ensemble des citoyens sur ce que l'on peut faire en ce qui concerne la durée de vie des centrales d'une part et les nouveaux types de réacteurs d'autre part. Ainsi le choix qui sera effectué par le Gouvernement, pourra aussi s'appuyer sur ces paramètres de manière qu'il puisse, dans la transparence, dire quel est son choix et pourquoi il a fait ce choix en fonction des paramètres venant de l'Office Parlementaire et plus largement du débat qui se sera déroulé en France. Voilà nos objectifs ! Avec Christian BATAILLE nous avons travaillé à une assez forte dose pour ne pas dire à très haute dose, avec un Comité de Pilotage qui a été extrêmement précieux et présent à toutes nos auditions, pour réussir à produire ce rapport dans les temps que nous nous sommes fixés et qui doivent être compatibles avec l'échéancier fixé par le Gouvernement pour le débat d'abord et la préparation de sa loi de programmation de l'énergie ensuite. Madame la Ministre, je vous prête volontiers à la parole. Mme Nicole FONTAINE - Merci Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames et Messieurs, Tout d'abord je voudrais tout d'abord remercier Claude BIRRAUX et Christian BATAILLE de leur invitation. La question que vous abordez aujourd'hui, à savoir la durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteurs est bien évidemment, comme vous pouvez l'imaginer, au centre des préoccupations de la Ministre Déléguée à l'Industrie. Je voudrais surtout vous remercier d'avoir accepté une mission sur ce sujet qui est tout à fait capital pour l'avenir de notre politique énergétique. Comme vous le savez le Gouvernement proposera cette année au Parlement, à l'issue du débat que vous avez mentionné, une loi d'orientation sur l'énergie et bien évidemment votre rapport sera extrêmement utile à la préparation de ce débat. Nous attendons beaucoup de cette étude parce qu'au-delà bien sûr de la qualité des personnalités concernées, la réputation de clairvoyance et de rigueur de votre institution n'est plus à faire. J'ai pu notamment l'apprécier à travers des travaux récents, je pense au rapport de Claude BIRRAUX en 1998 sur l'EPR, à celui de Claude BIRRAUX et de M. LE DEAUT sur les énergies renouvelables ou bien encore à celui de M. GALLEY et de Claude GATIGNOL sur la pile à combustible. Je voudrais souligner trois caractéristiques fondamentales de ces travaux qui, pour nous, Gouvernement en font l'intérêt et la richesse : la très grande rigueur scientifique de vos analyses, la prise en compte systématique par vos études de l'ensemble des enjeux technologiques, sociaux, environnementaux et géostratégiques, l'absence totale d'esprit partisan qui anime vos discussions propres à créer le consensus au-delà de vos sensibilités politiques. Je ne doute pas que ce nouveau rapport sera à la hauteur des précédents. Les très nombreuses auditions auxquelles vous avez procédé depuis le mois de décembre, des experts du CEA, d'EDF, d'AREVA, de l'administration, mais également des experts indépendants - des économistes, des syndicalistes, des associations d'environnement - ainsi que les expériences étrangères que vous avez recueillies notamment je crois en Finlande, en Suède, en Allemagne et aux Etats-Unis en sont d'ailleurs le garant. Comme je l'ai indiqué, le Gouvernement a décidé de refonder la politique énergétique de la France en 2003. Il a souhaité le faire de manière démocratique en commençant par un grand débat national sur les énergies. C'est ce débat que j'ai ouvert officiellement le 18 mars dernier à Paris, qui a connu ce matin, son premier Forum régional à Strasbourg et qui à l'issue de six rencontres en région, s'achèvera le 24 mai à Paris. Pourquoi vouloir refonder la politique énergétique aujourd'hui ? La croissance continue de nos consommations nous met en face d'une impasse du point de vue de l'environnement d'abord, une diminution drastique de nos émissions de gaz à effet de sphère est indispensable, nous en sommes tous convaincus et je crois que nul ne le conteste ; du point de vue économique et géopolitique ensuite. La concentration progressive des réserves dans un nombre restreint de pays, laisse présager à moyen terme des tensions autour de l'accès à l'énergie. Il est donc temps d'agir, car les décisions dans ce domaine, ne font bien sûr pas ressentir leurs effets du jour au lendemain ; ce sont toujours des décisions à long terme. Pourquoi un débat ? Pour sortir l'énergie du cercle des sphères d'initiés, de partisans au sein duquel il a été trop longtemps enfermé. J'en veux pour preuve la relative méconnaissance des Français sur le sujet. C'est ainsi que le sondage que nous avions commandé au début du débat en décembre dernier, faisait apparaître que trois quarts des Français pensent que le gaz que nous consommons est produit en France. La même proportion croit que l'industrie est le premier secteur responsable de l'augmentation de la consommation. Enfin et surtout deux tiers des Français pensent que l'énergie nucléaire émet des gaz à effet de serre. Mais je dirai que dans ce même sondage, les Français s'estiment eux-mêmes très mal informés et émettent le souhait en très large majorité de pouvoir, à l'avenir, avoir une meilleure connaissance de ces sujets qui, aujourd'hui, sont un débat de société. Ce n'est pas un débat technique, mais un véritable débat de société. Parce qu'il n'est pas de politique énergétique durable sans adhésion des citoyens, parce qu'il n'est pas d'adhésion sans connaissance des enjeux, il était donc urgent que l'État renoue le dialogue avec les Français. C'est donc dans cet esprit que, sous l'impulsion du Premier Ministre Jean-Pierre RAFFARIN, nous avons initié ce débat. Son objectif est triple : d'abord répondre aux questions des Français en leur permettant d'accéder préalablement à une information précise et diversifiée - j'espère que certains d'entre vous ont eu la disponibilité de surfer sur notre site Internet et qu'ils l'ont apprécié, mais s'ils ont des remarques à faire, elles seront accueillies non seulement avec intérêt, mais feront même l'objet des corrections nécessaires si besoin est ; ensuite recueillir les avis et les propositions des citoyens et enfin les rendre plus sensibles à la portée de leurs comportements en tant que consommateurs. Ce matin par exemple le thème du Forum de Strasbourg portait sur la manière de consommer moins, de faire des économies de consommation d'énergie, d'avoir une véritable politique dans ce domaine. C'était donc le thème très concret du Forum de Strasbourg. Le Gouvernement - et je dois être bien claire - ne souhaite naturellement pas anticiper sur les enseignements du débat en exprimant des positions définitives, notamment en ce qui concerne les différentes questions relatives au nucléaire, vous le comprenez bien. Certains voudraient nous enfermer dans un débat qu'ils qualifient de « débat bidon » ou « débat truqué » prétendant que tout est joué à l'avance. Ce n'est pas dans du tout dans cet état d'esprit que nous sommes. Bien évidemment la réussite de ce débat suppose une très grande qualité de transparence, de pluralisme et bien évidemment que le Gouvernement montre qu'il n'a pas de choix arrêtés à ce moment. C'est à l'issue du débat que le Gouvernement prendra ses responsabilités devant la représentation nationale. Je résume ainsi les questions qui doivent être abordées sans tabou. La France peut-elle et doit-elle envisager de sortir du nucléaire comme le fait l'Allemagne ou poursuivre résolument dans la voie du nucléaire comme la Finlande, le Japon ou les Etats-Unis ? Si la France confirme son choix en faveur du nucléaire, quel devra en être le poids dans le bouquet énergétique de 2020 et de 2050 ? Pour préparer cet avenir, est-il souhaitable que nos industriels nationaux que sont EDF et AREVA, construisent un EPR dès maintenant ou dans cinq ans ? Est-il au contraire préférable de consacrer l'ensemble de nos efforts à la Génération IV des nouveaux réacteurs qui ne seront toutefois disponibles au mieux qu'après 2035 ? Encore une fois, n'attendez pas de moi une réponse à ces questions ! La conviction du Gouvernement sur ces sujets doit encore mûrir à la lumière de votre rapport et, comme je viens de le dire, à la lumière du débat national. Je souhaiterais néanmoins dès aujourd'hui, livrer quelques constats à la réflexion. Tout d'abord un premier constat est que les scénarios d'évolution de la demande électrique montrent qu'à l'horizon 2020, le respect de nos engagements en matière de lutte contre l'effet de serre sera l'élément déterminant pour définir le bouquet énergétique optima. En effet si nous tablons sur une durée de vie des réacteurs limitée à quarante ans, les premières fermetures de centrales nucléaires devraient intervenir à l'horizon 2015, 2020. A cette échéance les différents scénarios de demande électrique prévoient, selon leur degré de volontarisme, une demande nationale située entre 490 et 600 TWh contre 450 en 2002. Parallèlement les objectifs affichés dans le plan national de lutte contre le changement climatique, fixent à 9 MT par an l'émission maximale de carbone pour la production électrique d'ici à 2010. Un tel niveau maintenu en 2020 serait compatible avec un développement de cycles combinés fonctionnant au gaz naturel à hauteur de 85 TWh. Dans ces conditions, c'est donc au minimum 400 qui devraient être fournis par d'autres sources d'énergie non émettrices bien sûr en gaz à effet de serre. Ces quelques chiffres font fort bien comprendre les contraintes que font peser les objectifs de Kyoto sur le bouquet énergétique. N'oublions pas non plus dans l'examen de la situation, les différences qui existent entre la France et l'Allemagne. Je rappelle que ce pays produit aujourd'hui encore 50 % de son électricité grâce au charbon et dispose donc de formidables masses de réduction de ses émissions de CO², supérieures de 60 % à celle de la France. Renoncer au nucléaire en Allemagne n'a donc pas du tout les mêmes conséquences qu'en France. Ces éléments d'appréciation devront bien évidemment être versés au débat. Deuxième constat, l'allongement de la durée de vie des réacteurs nucléaires est un enjeu financier majeur, mais aujourd'hui, aucune certitude n'existe sur la durée de vie du parc en exploitation. L'allongement de la durée de vie des centrales électronucléaires constitue bien sûr un enjeu majeur pour EDF. Une étude récente menée par la Direction de la Prévision du MINEFI a ainsi chiffré à 12 €/MWh le coût d'exploitation d'un réacteur dont la durée de vie serait supérieure à trente ans, date de fin de son amortissement économique. Ce chiffre doit être comparé au coût de revient d'un réacteur neuf ou d'un cycle combiné à gaz, 30 €. Ainsi dans le cas d'un réacteur d'une puissance moyenne, un gain d'environ 100 M€ par an serait obtenu. La durée de vie des centrales est donc un enjeu économique tout à fait capital. Nous devons nous y consacrer ensemble par un programme ambitieux en matière de recherche et de développement, qui nous permettra de comprendre et de prévenir les phénomènes de vieillissement. C'est, vous le savez, un des objectifs du CEA. Je tiens toutefois à souligner qu'il n'existe aujourd'hui aucune certitude sur la durée de vie des réacteurs nucléaires actuellement en exploitation. Nous ne disposons que de fortes probabilités et nous ne saurons pas avant 2010, 2015 si l'autorité de sûreté nucléaire autorisera l'ensemble des centrales à fonctionner jusqu'à quarante ans, et logiquement pas avant 2020, 2025 pour un fonctionnement jusqu'à cinquante ans voire soixante. En clair, nous ne pouvons pas totalement écarter le risque que nos centrales ne puissent être utilisées que jusqu'à trente, trente-cinq ou quarante ans. Il convient, me semble-t-il, d'en tenir compte dans notre stratégie de renouvellement du parc nucléaire. Votre rapport sera également d'un grand intérêt au regard des expériences européennes et aussi, bien évidemment, au-delà de l'Europe. Troisième constat, le fait que la France ait construit la plupart de ses centrales au même moment dans les années 1980, nous expose à une chute rapide de l'offre électrique lorsqu'elles arriveront simultanément en fin de vie à l'horizon 2020, 2025. Une décroissance massive de nos capacités de production pourrait se produire. Ce phénomène sera d'autant plus fort que, dans un marché concurrentiel, les électriciens de demain n'auront sans doute pas la capacité financière de remplacer ces capacités au rythme de leur disparition. Pour assurer notre sécurité d'approvisionnement, il importe donc d'être conscient de cette étroitesse de la pyramide des âges des centrales nucléaires et nous devrons sans doute favoriser un étalement de leur renouvellement. Enfin quatrième constat, dans le cas où la construction de nouveaux réacteurs nucléaires serait décidée pour remplacer les anciens, il conviendrait d'analyser la nature de l'offre envisageable à cette échéance qui, je le rappelle, pourrait être 2017, 2027 voire 2037 si nos centrales duraient soixante ans. En ce qui concerne ce point, nous pouvons envisager trois scénarios. Le recours à la Génération III+, c'est-à-dire à l'EPR qui serait déployé de manière industrielle aux environs de 2020, la question étant posée de savoir si cette série industrielle devra ou non être précédée de la réalisation d'un pilote. Le recours à une technologie étrangère, sans doute américaine, qui serait jugée plus compétitive que l'EPR en 2020. Le recours au gaz entre 2020 et 2035 si la durée de vie de nos centrales n'est que de quarante ans, avant de recourir à la Génération IV à partir de 2035 ou 2040. Il reviendra à votre rapport et au débat d'éclairer les avantages et les inconvénients de chacune de ces hypothèses, du point de vue de la compétitivité, de l'indépendance, de la croissance économique. J'insiste notamment sur la nécessité d'appréhender correctement les risques pour comparer les diverses solutions. Nous voyons bien en effet que la troisième solution est la plus séduisante, mais également la plus risquée. Il s'agit en effet de parier à la fois sur la durée de vie des réacteurs actuels et sur la maturité industrielle de réacteurs qui ne sont, à ce jour, qu'au stade de la conception. Cinquième constat, à la différence de ce qui se passait dans les années 1970, les choix énergétiques de demain seront réalisés au sein d'un marché européen intégré. Ils seront donc aussi entre les mains des industriels. L'État conserve assurément la possibilité d'orienter la composition du bouquet énergétique grâce à la programmation pluriannuelle des investissements. Il lui incombe donc de déterminer si le nucléaire restera une composante importante ou non de la production. Il revient en revanche aux industriels d'optimiser leurs stratégies dans le cadre de ces orientations. Ceci veut également dire que les nouveaux moyens de production seront financés par les industriels et leurs actionnaires et non par le consommateur. Ce dernier quant à lui, bénéficiera de l'électricité au prix correspondant au moyen de production le plus efficace. Enfin, et ce sera le dernier constat, les décisions devront également tenir compte de l'indépendance nationale et de la cohésion sociale. Il y a trente ans en effet, notre pays a fait le pari de développer une industrie nationale à partir d'une technologie américaine. Pari gagné qui permet à la France de disposer aujourd'hui, avec AREVA, d'un des leaders mondiaux du nucléaire et, avec EDF, du premier exploitant nucléaire du monde. Le savoir-faire des quarante mille employés de ces deux entreprises est assurément un très grand atout dont nous devons tenir compte dans la réflexion. En conclusion, je dirai que tels sont les six constats et les questions que je souhaite livrer à votre réflexion et qui démontrent, s'il en était besoin, l'intérêt de votre étude tant les sujets sont complexes et l'avenir incertain. Encore une fois, votre rapport contribuera à enrichir le débat qui se tiendra à Rennes le 6 mai sur le nucléaire, je m'en félicite. C'est sur la base des différents éléments argumentés et contradictoires, qui auront été apportés au cours de ces discussions, que le Gouvernement prendra très vraisemblablement au second semestre, ses décisions et les proposera au Parlement dans le cadre de la loi d'orientation sur l'énergie. M. Claude BIRRAUX - Merci Madame la Ministre d'avoir ainsi recadré les enjeux, les problématiques et de poser les questions auxquelles le Gouvernement attend des réponses, bien sûr à l'issue de ce débat et partiellement avec le rapport que nous allons produire. Vous avez articulé un certain nombre de dates, je préviens déjà les services de l'Assemblée que pour les dates que vous avez données, il faudra peut-être qu'ils comptent sur d'autres rapporteurs que Christian BATAILLE et Claude BIRRAUX. Au-delà de 2035, nous ne sommes plus tout à fait sûrs d'assurer le service. En tout cas je retiendrai le 6 mai en ce qui concerne le débat sur le nucléaire. Merci beaucoup pour cette présentation, Madame la Ministre, qui nous redéfinit d'une manière très claire le cadre dans lequel s'inscrit la réflexion du Gouvernement et nous espérons avec Christian BATAILLE, modestement, apporter notre petite pierre à cette réflexion. L'hypothèse de départ est que nous nous plaçons dans un contexte de croissance de consommation énergétique mondiale et pour ce qui concerne un pays comme la France, l'énergie renouvelable et l'économie d'énergie modifieront probablement le bouquet énergétique. En valeur absolue cependant, c'est une hypothèse de développement du nucléaire que nous considérons. Les conclusions seraient bien évidemment différentes, si nous étions en hypothèse de non développement. Pour continuer d'améliorer la viabilité économique et l'exploitation sûre de ce nucléaire, donc développer des solutions techniques répondant aux préoccupations du public, grâce notamment aux réacteurs de recherche, nous menons des études suivant les trois grands axes stratégiques de la maison actuellement, les déchets nucléaires, le soutien aux industriels du nucléaire, les systèmes du futur. Ce sont les trois points que je vais développer rapidement. Mon premier point portera sur les déchets radioactifs, axe principal dans la stratégie globale du CEA. L'énergie nucléaire suscite effectivement des interrogations notamment quant à « l'avenir » des déchets radioactifs. Dans le cadre de la loi de 1991, nous nous sommes vu confier deux axes de travail : l'axe 1 : séparation poussée et transmutation - il s'agit de la recherche de solutions permettant la séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue présents dans les déchets ; l'axe 3 : conditionnement et entreposage de longue durée - il consiste notamment à trouver quel sera le meilleur matériau capable de confiner ces déchets pendant des centaines voire des milliers d'années et quelle est la configuration au plan ingénierie pour les entreposer. Je passe rapidement sur la transmutation pour dire simplement à ceux pour qui ces termes ne sont pas familiers, qu'elle consiste à transformer des isotopes, des atomes radioactifs à vie longue en atomes radioactifs à vie plus courte. Cette transmutation nécessite une phase préalable de séparation sélective des éléments à transmuter. Nous pouvons dire aujourd'hui - et c'est un élément important qui est trop peu su - que la faisabilité scientifique de la séparation poussée est prouvée depuis 2001. Ceci veut dire qu'à peine un millième des éléments à séparer nous échappe. Nous travaillons actuellement à la démonstration de sa faisabilité technique, c'est-à-dire susceptible d'un passage à la phase industrielle. Les programmes de recherche sur la transmutation nécessitent une validation expérimentale. Et pour mener à bien ces recherches de validation, nous disposons aujourd'hui du réacteur Phénix, réacteur de la famille à neutrons rapides. Vous vous souvenez que Super Phénix a été arrêté en 1998. Après les travaux effectués ces derniers temps, Phénix est à ce jour le seul outil expérimental européen offrant des capacités d'irradiation des combustibles entiers ainsi qu'un large spectre de neutrons qui permettent ces expériences. Suite à l'accord de l'autorité de sûreté en début d'année, la reprise du fonctionnement de la centrale Phénix est prévue dans les jours qui viennent pour effectuer onze programmes d'irradiation de transmutation dans les beaux jours qui lui restent à vivre, soit d'ici la fin 2008. Les résultats disponibles s'ajouteront aux résultats déjà acquis et nous voyons tout de suite que le rendez-vous de 2006 ne sera pas un rendez-vous final, car nous n'aurons pas tous les résultats. Nous en aurons cependant déjà une bonne partie ce qui nous permettra d'envisager les modes de gestion les plus favorables. Phénix n'est pas qu'un outil français, il s'intègre dans un ensemble d'équipements européens qui sont cohérents et complémentaires. Les équipes du CEA participent à des programmes d'EURATOM aux côtés des équipes de l'Institut des Transuraniens de Karlsruhe, de l'Institut suisse Paul SCHERRER et du Centre néerlandais ECN. Au-delà des études européennes, Phénix est largement associé à des programmes internationaux, en particulier avec le Japon, la Russie et les Etats-Unis. C'est le premier point : un réacteur de recherche qui est fondamental pour les études sur les déchets nucléaires dans les années à venir. Au-delà de 2008, la question n'est pas totalement résolue de savoir où nous poursuivrons les études, mais il y a d'autres solutions. Mon deuxième point sera le soutien aux industriels français Mme la Ministre a mentionné l'enjeu pour le parc français, qui est le maintien opérationnel des réacteurs sur une durée plus longue avec un niveau de sûreté au moins équivalent. Je ne m'attarde pas dessus, ce n'est pas du ressort de l'établissement public, c'est simplement en soutien technologique et scientifique aux industriels et cela vous sera plus largement détaillé tout à l'heure. Sachez simplement que les programmes de recherche développés, font l'objet d'un accord de coopération tripartie - EDF, Framatome, CEA - qui comporte deux volets. Un premier volet porte sur les programmes relatifs à la chaudière nucléaire puisque la prolongation de la durée de vie des réacteurs au-delà de la durée de vie de conception de trente ans, est un élément essentiel pour l'amélioration de la compétitivité. Sur ce thème, les recherches visent essentiellement à maintenir la compétitivité de Framatome ANP aussi bien sur ses propositions françaises ultérieures qu'à l'étranger, ou pour le remplacement des grands composants des réacteurs tels que les générateurs de vapeur. L'augmentation de la durée de vie est essentiellement conditionnée par la capacité de la cuve du réacteur à résister à des sollicitations thermiques et mécaniques et par le maintien de l'étanchéité de l'enceinte de confinement en conditions normales et accidentelles. Nous utilisons, depuis de nombreuses années, un réacteur de recherche qui est à Saclay, qui s'appelle Osiris. C'est un réacteur de type ancien, de type piscine à eau légère, qui permet de mener ces études. Les matériaux sont irradiés, nous accélérons l'irradiation des matériaux, si je puis dire nous accélérons la simulation des dommages créés aux centrales en accélérant par une dose intégrée équivalente à quarante ou soixante ans passés dans une centrale nucléaire. Le deuxième volet de cet accord tripartite - EDF, Framatome, CEA - ce sont les programmes relatifs aux combustibles nucléaires. Il s'agit là d'accroître les performances et les taux de combustion et donc de permettre une meilleure gestion du système de production. Les principaux objectifs aujourd'hui sont l'amélioration de ces taux de combustion sur les combustibles à base d'oxyde d'uranium, mais pour les nouveaux combustibles à base d'oxyde d'uranium et de plutonium, les MOX, l'enjeu est d'obtenir des performances équivalentes à celles actuellement autorisées pour l'oxyde. Les études sont faites dans le réacteur Cabri à Cadarache et elles ont montré aujourd'hui un bon comportement de ces nouveaux combustibles. Dernier point sur les combustibles, la qualification des nouveaux assemblages. Nous avons là, une illustration presque parfaite, un cas d'école, du soutien à l'industriel puisque nous avons complété les études de nouvelles gaines de combustible en alliage de zirconium développé par Framatome, ce qui a permis de déterminer leur comportement mécanique après irradiation. Enfin, pour ce qui concerne les assemblages de combustibles complets, donc les cœurs de réacteurs, ce sont des maquettes critiques à Cadarache - Éole, Minerve et Mazurka - qui permettent de réunir les données expérimentales, de valider les codes de calcul, de fournir les données nucléaires de base. Nous ne nous contentons pas - ce serait contraire à notre vocation - de faire ce qui nous est demandé. Il y a donc des projets à vocation d'innovation à visées moins immédiates et je citerai simplement les recherches menées dans l'installation Vulcano à Cadarache, qui portent sur les accidents graves, l'étalement du corium et les moyens de le contenir. Ces résultats sont utilisés par les constructeurs et exploitants des réacteurs nucléaires et servent essentiellement à améliorer la sûreté des réacteurs, en particulier de type EPR. Dans le cadre d'un projet commun CEA AREVA, dans le cadre des préoccupations mondiales sur le plan énergétique où les besoins en eau se couplent à des besoins en énergie, je mentionne que nous soutenons pour l'instant une étude - elle en est au stade d'avant-projet simplifié - pour le développement d'une gamme d'installation de petits et moyens réacteurs - leur puissance est entre 100 et 300 MW électriques. Cette gamme développée par Technicatom à partir de réacteurs de propulsion nucléaire navals, sera capable conjointement de dessaler l'eau de mer et de fournir de l'électricité. C'est un vieux sujet qui traîne depuis très longtemps dans de nombreuses instances internationales et je considère qu'il est temps de passer à l'acte. Si ce projet dit NP300, passe les différents stades qu'il a à franchir, il visera en gros à satisfaire les besoins électriques et en eau d'une région d'un million d'habitants dans un pays à réseau relativement peu structuré. C'est donc à l'international et non en France. Ceci m'amène à mentionner - et c'est peu connu - que, depuis longtemps et presque par construction historique, le CEA a le souci de soutenir les industriels français à l'international dans ce domaine. Il y a plus d'une vingtaine d'années que nous nous sommes fortement investis dans la formation, l'accueil d'experts, le transfert de technologies et en particulier vis-à-vis de la Chine. Ceci s'est traduit par l'adoption par les Chinois du procédé de fabrication du combustible Framatome. Les Chinois ont d'ailleurs précisé que cet engagement global de la France avec un terrain préparé par l'établissement public de recherche et une force de frappe constituée des industriels, avait été déterminant dans le choix du procédé français qui était en concurrence avec le projet américain. Cette coopération globale, recherche et développement industriel, devrait continuer à porter ses fruits. Et personnellement puisque nous évoquions l'échéance de 2020, je ne serais pas surpris de voir - mais c'est un peu une boutade - des réacteurs de technologie française revenir en France à cette époque, pourquoi pas ? Mon troisième point portera sur les systèmes du futur. L'Europe a besoin de sites expérimentaux innovants dans le domaine du comportement des matériaux et des combustibles sous irradiation nucléaire. A l'horizon 2010, toutes les installations de recherche européenne auront plus de quarante ans. Je citais Osiris à Saclay, c'est l'exemple. Aujourd'hui, dans le contexte de nos pays voisins, des autres partenaires, nous ne voyons pas de projet européen. C'est pour cette raison que le CEA et ses partenaires proposent d'implanter un réacteur d'irradiation dénommé RJH - Réacteur Jules HOROWITZ - dont l'étude de définition est en cours - l'engagement de réalisation devrait être à la fin 2004, début 2005 -, pour lequel des partenariats avec EDF, la Commission Européenne et d'autres sont en cours. Aujourd'hui, les études de définition sont donc en cours. Il faut finaliser le projet de partenariat pour la réalisation. Ce réacteur qui devrait être pratiquement seul en Europe, devrait permettre dans les cinquante ans à venir de mener toutes les expériences nécessaires, qu'il s'agisse de qualification pour les réacteurs électronucléaires actuels, d'études de sûreté, de validation de matériaux, de combustibles, etc. Pour les systèmes énergétiques futurs, Génération III+ tel l'EPR, il faut être très clair et préciser que ce n'est pas le CEA. L'EPR c'est AREVA, Framatome, EDF, mais pas le CEA. Nous participons cependant aux études sur l'EPR et en particulier dans le développement de combustibles avancés APA et Corail qui sont nécessaires pour faciliter le recyclage du plutonium qui est un des gros avantages de l'EPR vu par le CEA. Les objectifs fixés pour les systèmes du futur de même que le choix des technologies clefs pour les atteindre, font l'objet d'échanges actifs à l'international - vous en aurez tout à l'heure une présentation, je pense - notamment dans le cadre du Forum Génération IV qui, à l'origine, a été initié par le Département américain de l'Énergie, mais qui est maintenant une affaire multinationale. Ce Forum doit aboutir à une sélection et à une proposition de plan de développement international des technologies nucléaires les plus porteuses. Dans le cadre de ce Forum, nous participons aux côtés des industriels, notamment AREVA, au développement d'une nouvelle génération de systèmes dit de quatrième génération avec des avancées dans quatre directions : la compétitivité économique, une sûreté et une sécurité encore accrues, un impact réduit sur l'environnement, une réduction - et c'est ce dernier point qui est le plus important par rapport à ce que j'ai mentionné au début - considérable des éléments radioactifs à vie longue dans les déchets produits. Autrement dit, ce sont des réacteurs avec une production considérablement réduite de déchets nocifs, voire dans certains cas une incinération totale de leurs propres déchets. Je pousse à l'extrême, mais c'est pour bien typer l'enjeu. Enfin, un autre exemple de réacteurs du futur - le but que je m'étais donné était de balayer ceux que vous ne verriez pas au cours des exposés dans les deux tables rondes - sont les systèmes nucléaires pour les missions spatiales. Dans ce domaine, nous sommes engagés dans une collaboration avec le CNES et la NASA. Les études sur les réacteurs du futur constituent un enseignement pertinent pour la conception de ces mini réacteurs qui doivent posséder une masse et un encombrement minimum pour un maximum d'énergie. Pour fixer les idées, il s'agit de générateurs électriques dans la gamme de 100 KW électriques à l'horizon 2015 qui permettraient d'étendre l'éventail des missions planétaires possibles. Leur poids indicatif est de 3 tonnes. En conclusion - et là je pense avoir rattrapé une partie du temps perdu -, je résumerai notre stratégie nucléaire de la manière suivante. La priorité porte sur les études sur les déchets radioactifs. L'activité récurrente, le point d'ancrage est le soutien aux industriels et nous entendons répondre à leurs appels, à tous leurs appels. Le futur, les systèmes du futur sont en croissance ; c'est une croissance régulière, maîtrisée, il faut tenir la distance pendant de nombreuses années. Le réacteur reste au cœur de ces thèmes, il était au cœur de la création du CEA et il reste au cœur de ses thèmes en 2003. M. Patrice BERNARD, Directeur du développement et de l'innovation nucléaire au CEA. Je voudrais d'abord resituer très brièvement les différentes générations de réacteurs - c'est en effet bien ce dont nous parlons et c'est bien ainsi que les tables rondes sont organisées - depuis le développement du nucléaire civil dans les années 1950. Nous pouvons dire que la première génération de réacteurs a été en fait fortement influencée par les contraintes du cycle du combustible, notamment à l'époque des années 1950-1960 en l'absence de technologies industrielles d'enrichissement de l'uranium. Dans ce contexte ce sont des réacteurs qui devaient pouvoir fonctionner à l'uranium naturel, c'est-à-dire finalement à l'uranium non enrichi ce qui nécessitait l'utilisation de modérateurs tel le graphite ou l'eau lourde. C'est ainsi que nous avons vu en France, se développer la filière dite uranium naturel graphite gaz dans les années 1950 et 1960. Ensuite, c'est bien la seconde génération de réacteurs qui a été déployée dans les années 1970 à 1990 et qui correspond à la majorité du parc mondial aujourd'hui en exploitation. C'est né dans un contexte de rendre l'énergie nucléaire plus compétitive avec une volonté marquée de diminution du taux de dépendance énergétique dans certains pays au moment où des tensions importantes sur le marché des énergies fossiles se faisaient sentir. Et nous avons tous en tête les chocs pétroliers du début des années 1970. Cette époque fut celle du déploiement des réacteurs à eau pressurisée et des réacteurs à eau bouillante, respectivement les REP et les REB, qui constituent aujourd'hui plus de 85 % du parc électronucléaire mondial, qui représente lui-même environ 450 réacteurs. Il faut souligner le retour d'expérience industrielle de ces dernières décennies, de l'ensemble de ces réacteurs de seconde génération qui a notamment permis de démontrer les performances de la production d'énergie nucléaire avec un coût du kilowatt/heure très compétitif par rapport à celui des énergies fossiles. Nous capitalisons aujourd'hui un fonctionnement cumulé de ces types de réacteurs de dix milles années réacteurs. Typiquement nous prenons un réacteur, nous multiplions par le nombre d'années où il fonctionne et nous en faisons le bilan à l'échelle mondiale. Nous capitalisons aujourd'hui plus de dix milles années réacteurs, des réacteurs de seconde génération qui, comme nous l'avons vu, sont très majoritairement des réacteurs à eau pressurisée ou bouillante. Globalement cette forte maturité industrielle, cette bonne compétitivité, ce bon retour d'expérience, a fortement contribué à renouveler la confiance des électriciens américains dans l'énergie nucléaire avec une forte disponibilité de leurs centrales et la possibilité, pour certaines d'entre elles, de voir leur durée de vie étendue jusqu'à soixante ans. Je tiens à souligner que ceci a fortement contribué à renouer la confiance des électriciens américains dans l'énergie nucléaire et au processus de redémarrage de l'énergie nucléaire que nous observons aujourd'hui aux Etats-Unis. Le parc de cinquante-huit réacteurs dont nous disposons aujourd'hui en France appartient à cette deuxième génération. La troisième génération représente l'état de l'art industriel constructible le plus avancé aujourd'hui. Il s'agit de réacteurs dit évolutionnaires qui bénéficient du retour d'expérience et de la maturité industrielle des réacteurs à eau de seconde génération que j'ai tenue à souligner, tout en intégrant des spécifications plus avancées en matière de sûreté et en sachant que la seconde génération témoigne déjà dans les faits d'un très haut niveau de sûreté. L'EPR est le réacteur développé par Framatome qui a bénéficié de la recherche du CEA dans le cadre des dix dernières années. Enfin - et ce sera le thème de la prochaine table ronde - le développement de la quatrième génération est engagé dès à présent et ce, dans un cadre international avec l'objectif de mener ces nouveaux systèmes à maturité technique dans la perspective d'un déploiement industriel à l'horizon 2030. Ces systèmes ont clairement pour but de répondre aux enjeux d'une production d'énergie durable et ce, dans une vision à long terme afin notamment, de minimiser les déchets radioactifs - et l'Administrateur Général Alain BUGAT a tenu à souligner ce point important -d'utiliser au mieux les ressources naturelles en combustible, de répondre à de nouveaux besoins en énergie, non seulement la production d'électricité, mais aussi l'hydrogène pour les transports et la possibilité de produire de l'eau potable par dessalement de l'eau de mer avec une source d'énergie à très faible coût. Ce système présente clairement des évolutions et des innovations technologiques importantes et, à ce titre, nous pouvons les appeler révolutionnaires par rapport au système évolutionnaire de troisième génération. Ils nécessitent clairement une vingtaine à une trentaine d'années de développement. Nous pouvons donc dire que les réacteurs des années 2010 sont les réacteurs de troisième génération pour la production d'électricité et que ce sont des réacteurs à eau. Il n'y a pas d'équivoque à nos yeux là-dessus. A l'international, ce sont des réacteurs à eau qui se construisent, notamment en Asie. En Corée du Sud par exemple, il y a seize réacteurs en exploitation, quatre en construction, ce sont des réacteurs à eau pressurisée. En Chine nous aurons en 2003, neuf réacteurs en exploitation, deux en construction. La Chine devrait engager très prochainement la construction de nouvelles tranches et a en perspective de lancer quinze à vingt réacteurs de troisième génération à partir de 2010. Enfin en Europe, le cinquième réacteur que la Finlande va bientôt construire sera un réacteur à eau de troisième génération. Globalement les réacteurs de troisième génération, tel que l'EPR permettent de répondre à un besoin d'approvisionnement énergétique stable, compétitif et sans émettre de gaz à effet de serre, de bénéficier du retour d'expérience important et de la maturité industrielle de la deuxième génération et ce, tout en marquant les avancées notables en termes de sûreté et de disponibilité, d'économie et de durée de vie (un modèle tel que l'EPR mais aussi les autres systèmes de troisième génération ont une perspective d'une durée de vie de typiquement soixante ans) et d'utilisation du combustible et de l'aval du cycle. Sur ce dernier point en effet, les caractéristiques du cœur et du combustible de ces réacteurs, notamment d'EPR, permettent d'une part de mieux utiliser l'uranium - globalement 17 % de mieux qu'aujourd'hui avec nos réacteurs les plus récents - et d'autre part d'avoir une aptitude à mieux consommer le plutonium avec notamment la possibilité de charger le cœur à 100 % en MOX et de considérer plusieurs recyclages. En conclusion, il me paraît important de souligner deux points. D'une part en une cinquantaine d'années, nous avons développé industriellement trois générations de réacteurs et nous préparons la quatrième. Ceci montre que nous progressons continuellement et en même temps reflète, à mes yeux, le dynamisme technique et industriel de l'énergie nucléaire. D'autre part, ces réacteurs ont une durée de vie importante - de quarante à soixante ans - et nous verrons donc cohabiter au cours du XXIe siècle, des réacteurs de deuxième, troisième et quatrième générations. Enfin sur un sujet important, celui de l'aval du cycle et des déchets, il est possible de bénéficier des synergies et des complémentarités entre ces générations de réacteurs, les installations industrielles du cycle du combustible et les résultats des développements sur le traitement poussé des combustibles usés, notamment obtenus dans le cadre des recherches et de la loi de 1991. Ainsi en perspective et dès à présent les réacteurs du parc permettent déjà de recycler le plutonium après le traitement des combustibles usés. C'est une réalité, aujourd'hui vingt réacteurs en France recyclent le plutonium sous forme de combustible MOX. Les réacteurs de troisième génération, tel l'EPR, ont des performances encore accrues pour consommer le plutonium et optionnellement d'autres actinides à vie longue. Enfin les réacteurs de quatrième génération pourront permettre de consommer et de détruire in fine l'ensemble des actinides - uranium, plutonium et actinides mineurs. Je voudrais souligner que ceci ouvre des perspectives importantes et peut permettre d'une part de maîtriser l'inventaire en plutonium et d'éviter que des quantités significatives puissent aller finalement en stockage géologique, d'autre part pouvoir à terme réduire considérablement la nocivité potentielle des déchets radioactifs de haute activité afin qu'au bout de quelques centaines d'années, ils puissent revenir à un niveau comparable à celui du minerai d'uranium naturel initial utilisé. M. Didier HOUSSIN, Directeur de la DIREM - Direction des Ressources énergétiques et minérales -, DGEMP au Ministère de l'Industrie. Je ferai d'abord quelques observations de cadrage. Comme vous venez de le dire en ce qui concerne les années 2010, l'essentiel du parc - c'est vrai en France comme dans l'ensemble de l'OCDE - restera un parc de deuxième génération. La question de la durée de vie des centrales qui a longuement été évoquée ce matin dans les deux tables rondes est centrale et les efforts qui sont déployés par les électriciens pour optimiser la durée de vie des installations sont très importants. L'importance des gains financiers qui sont liés à la durée de vie de centrales amorties fait que dans un marché de plus en plus concurrentiel, cette question restera clef. Je rappelle les chiffres cités tout à l'heure émanant d'une étude de la Direction de la Prévision. Ils comparent le coût d'un réacteur nucléaire prolongé au-delà de trente ans, 12 €/MWh, à celui d'un réacteur neuf, environ 28 €/MWh, ou encore à un cycle combiné au gaz, avec une fourchette de 28 à 38 €/MWh en fonction du prix du gaz naturel et sans tenir compte d'une éventuelle fiscalité environnementale. Nous avons une certitude, à savoir que nous ne connaissons pas le nombre de réacteurs qui bénéficieront effectivement d'une extension de leur durée de vie au-delà de trente ans. Je ne reviens pas sur les propos de Monsieur LACOSTE sur le sujet. Puisque nous parlons des années 2010, il me paraît important que la visibilité même que nous aurons sur les possibilités d'extension à quarante ans sera encore assez faible avant 2010 puisque, pour une très grande partie du parc, la troisième visite décennale se passera aux alentours des années 2010. Ceci rend le calendrier de la prise de décision particulièrement difficile. En ce qui concerne les réacteurs dits de la quatrième génération, je crois qu'il faut être clair et dire qu'en 2010 et même 2020, il sera beaucoup trop tôt pour envisager une mise en service de filière industrielle qui ne sera déployable pas en série avant l'horizon 2035, 2040. Ceci veut dire que pour la période 2020-2040, il y a un trou à combler. En revanche en ce qui concerne les réacteurs à haute température de faible puissance, nous pouvons tabler au niveau mondial sur un aboutissement industriel peut-être à partir de l'horizon 2015, 2020. Les études qui ont été menées en utilisant les connaissances acquises en matière de matériaux résistant à de hautes températures et aux cycles directs, du type PBMR, pourraient trouver des débouchés industriels. Ceci étant, du point de vue des besoins français ou des grandes métropoles européennes, ces systèmes ne semblent pas correspondre à nos besoins dans la mesure où le maillage des réseaux, la faiblesse des espaces constructibles ou la volonté d'utiliser les sites existants, devraient continuer à favoriser les installations de grosses unités dans un nombre limité d'implantations. A l'échelle mondiale toutefois, ce type d'offres pourrait être adapté à des marchés énergétiques nouveaux, des pays émergents dans le domaine du nucléaire ou des pays pour lesquels des petits opérateurs électriques pourraient trouver un intérêt dans la plus grande modularité des investissements induits par cette filière. J'ajoute que la mise en service industrielle de ce type de réacteur permettrait de valider un certain nombre d'acquis technologiques qui seront ensuite utilisables dans les travaux de R&D relatifs aux réacteurs de quatrième génération à spectre thermique. Il y a donc là un pont vers la quatrième génération. Comme cela a été dit, en ce qui concerne les nouveaux réacteurs, l'essentiel pour la décennie 2010-2020 devrait être lié à la troisième génération ou Génération III+. Je voudrais juste dire que nous sommes déjà en 2003 et que la plupart des modèles qui sont présentés restent des projets qui n'ont pas encore donné lieu à des réalisations concrètes en dehors du cadre de l'ABWR de General Electric au Japon ou du VVER russe construit en Chine. Ceci étant, les perspectives positives de développement du nucléaire, que ce soit avec le plan énergétique américain adopté en mai 2001 ou la décision du Parlement Finlandais par exemple, laissent penser que l'année 2010 devrait effectivement voir l'émergence concrète de la Génération III+ au niveau international. Je voudrais terminer avec quelques remarques sur la situation française, d'abord pour insister sur la situation très singulière de la France pour les années 2010-2020. Nous l'avons parfois appelé l'effet de falaise, à savoir que le rythme très accéléré de construction de notre parc entre 1980 et 1990 fait que nous pourrions assister à un déclin rapide de la production nucléaire à partir de 2017, 2020 en supposant une durée de vie moyenne de quarante ans de nos réacteurs les plus anciens. Si nous ne renouvelions pas le parc, treize de ces réacteurs seraient arrêtés d'ici la fin 2020, vingt-quatre supplémentaires d'ici la fin 2025. C'est donc une chute très forte et très rapide, soit 30 % de notre capacité électrique, si nous partons d'une hypothèse, théorique naturellement, d'un arrêt brutal du parc le plus ancien à partir de quarante années de fonctionnement. La question de la date et celle du rythme de renouvellement du parc, en essayant d'avoir comme objectif un plus grand étalement de ce renouvellement, seront des questions centrales. Je voudrais insister sur cette question de l'importance de trouver une solution concernant le parc nucléaire français permettant un plus grand étalement de son renouvellement. Deuxième point, l'articulation des nouveaux outils de politique énergétique que sont la programmation pluriannuelle des investissements, la loi d'orientation sur les énergies, le contexte d'un marché de l'électricité libéralisé qui peut changer le cadre d'intervention des opérateurs électriques. Enfin je voudrais insister également sur la question du maintien du renouvellement des compétences qui est un enjeu non seulement industriel et social, mais aussi sur la bonne maintenance du parc de la deuxième génération qui sera encore majoritaire pendant la période considérée. M. Bernard ESTEVE, Directeur Général délégué de Framatome ANP Lundi dernier, le 31 mars 2003, Framatome ANP a remis à Helsinki deux offres en réponse à l'appel d'offres de TVO, compagnie d'électricité finlandaise. Ces deux offres étaient portées par nos collègues allemands. Je le dis ici parce que nous avons trop souvent tendance à oublier que Framatome ANP a encore plusieurs milliers de spécialistes en Allemagne, même si le Gouvernement allemand a décidé de sortir graduellement du nucléaire. Les deux offres que nous avons proposées sont sur la base du SWR 1000 qui, comme son nom ne l'indique pas est de 1 250 MW électriques, et de l'EPR de 1 600 MW électriques en Finlande, compte tenu notamment des conditions de site. A notre connaissance les produits concurrents sont l'ABWR de General Electric et le VVRR de MINATOM actuellement en construction en Chine ou en commande en Inde. Les deux produits de Framatome répondent au cahier des charges finlandais qui demandait un modèle avancé et éprouvé. Nous, mais également je crois, les Finlandais aussi, nous considérons que les modèles SWR 1000 et EPR répondent à ces deux exigences. Il faut noter aussi que Westinghouse a annoncé qu'il ne répondrait pas à l'appel d'offres avec son produit AP 1000, version dérivée de l'AP 600 du fait des coûts d'un réacteur unique et de préparation d'une offre. Selon notre analyse cette position de Westinghouse pourrait ne pas être seulement due à un problème de coût. En effet les Finlandais de TVO ont demandé que les offres prennent en compte la chute d'un avion commercial et, de ce point de vue, l'EPR moins passif, mais sûrement plus massif que les réacteurs comme le sont les réacteurs en fonctionnement en France aujourd'hui, a été conçu dès l'origine pour résister à l'impact d'un avion militaire. Il est donc normal qu'il soit plus facile à adapter pour répondre à un cas de charge, en assurant le maintien de l'étanchéité du confinement, la résistance à l'ébranlement induit, la résistance à l'incendie concomitant. Pour ce qui est du premier point, la double enceinte EPR assure une résistance beaucoup plus importante que par exemple le confinement AP 1000 pour lequel l'enceinte primaire métallique mince constitue la seule véritable troisième barrière. Le compromis entre la robustesse du confinement des produits de fission et la facilité de transfert d'énergie vers l'extérieur en situation accidentelle, retenue par la conception de l'AP 1000 rend problématique sa tenue vis-à-vis de ce cas de charge. De même la résistance à l'ébranlement est rendue critique par l'élancement des structures. Elle l'est d'autant plus que l'AP 1000 comporte des masses d'eau importantes au sommet de l'enceinte. Or même passifs, les systèmes de sauvegarde nécessitent un contrôle commande qui doit rester fonctionnel après l'ébranlement pour activer ces systèmes passifs par exemple au travers de mouvements de vannes. Enfin, pour ce qui est de l'incendie, dans le cas de l'EPR, les quatre trains de sauvegarde associés à la bunkerisation et à la séparation géographique apportent une réponse satisfaisante. Pour revenir aux caractéristiques éprouvées et avancées de l'EPR, je dirai que, comme vous le savez, l'EPR a été conçu pour répondre aux exigences des électriciens européens et des autorités de sûreté françaises et allemandes. Par rapport au palier précédent, il intègre à la conception de nombreuses avancées, donc des marges supplémentaires. Ceci - et c'est fondamental - sans revenir sur le concept de défense en profondeur contrairement au concept passif. A titre d'exemple, dans l'hypothèse d'un accident avec fusion du cœur, le réacteur AP 1000 suppose que le flux critique en paroi externe de la cuve est suffisamment faible du fait du refroidissement externe pour ne pas conduire au percement de la cuve. De ce fait, à la conception aucune disposition n'est prise pour protéger le radier du bâtiment réacteur d'une agression par le corium en fusion. C'est non seulement en contradiction avec le principe de défense en profondeur qui, comme vous le savez, additionne les lignes de défense, mais qui de plausible pour les 600 MW de l'AP 600 devient plus problématique pour les 1 100 MW de l'AP 1000. Les avancées et robustesses d'EPR portent sur de nombreux points - bien sûr l'ordre dans lequel ils sont présentés ne traduit pas un quelconque ordre de priorité -. Le premier point est la radioprotection avec une dose collective de 0,4 homme.sievert par an pour un réacteur ; c'est en tout cas l'objectif que Framatome ANP s'est fixé pour ce produit. Le deuxième point concerne les gestions du combustible car d'ici dix ans de nouveaux progrès auront été accomplis pour le produit combustible et les marges supplémentaires apportées par la conception EPR permettent de donner à l'exploitant toute la flexibilité souhaitée pour accommoder de nouvelles gestions et en tirer tout le bénéfice. Le troisième concerne la sûreté avec un renforcement du confinement, un risque global de fusion du cœur diminué encore d'un facteur quinze par rapport au palier N4 précédent, une tenue aux séismes renforcée, 0,25 G au lieu de 0,15 G pour les paliers précédents, une durée de vie à la conception des composants non remplaçables de soixante ans ; j'insiste sur le fait que c'est à la conception, cela veut dire qu'il existe encore des marges derrière ces soixante ans, une prise en compte à la conception des accidents graves (non rupture de la cuve à haute pression, protection vis-à-vis du problème hydrogène, robustesse de l'enceinte, protection du radier permettant de garantir que, même avec fusion du cœur, un accident n'affecte pas durablement le voisinage de la centrale). Le quatrième point concerne l'économie enfin dont la disponibilité à la conception par des mesures de conception qui permettent d'ores et déjà d'envisager une augmentation significative de la disponibilité. Environ moins 10 % sûrement, peut-être moins 20 % en coût du mégawatt produit par rapport aux centrales à gaz ainsi combinées les plus performantes qui seront contemporaines de l'EPR. Vue de Framatome, la décision prochaine de construire un démonstrateur EPR en France, aurait pour intérêt d'afficher la détermination de conserver au nucléaire son rôle de composante de base du mix énergétique de notre pays pour la production d'électricité, de permettre à Framatome ANP, à travers la capitalisation des compétences existantes et des savoir-faire industriels, de se préparer à un nécessaire renouvellement du parc dans des conditions optimales du point de vue industriel (ainsi nous ne nous verrions pas confronter à un renouvellement dans la précipitation à marches forcées qui ferait courir des risques à l'atteinte des objectifs de renouvellement), de passer d'une problématique de maintien des compétences à un réel renouvellement des compétences qui garantirait sur la durée l'exploitation du parc actuel (le véritable débat - et j'insiste sur ce point - est, je crois, le renouvellement des compétences plus que leur maintien), de renforcer l'attrait pour notre offre EPR en Finlande, d'être un signe fort vis-à-vis des autorités chinoises en faveur de la technologie française, d'abord pour les quatre tranches qu'ils viennent de décider, qui sont les précurseurs de la poursuite d'un programme nucléaire chinois important à l'occasion du XIIe Plan. En conclusion, l'EPR est un produit éprouvé et avancé qui répond plus que tout autre aux exigences actuelles des autorités de sûreté françaises et allemandes et aux orientations internationales les plus récentes en matière de sûreté nucléaire, sans rupture avec le concept de défense en profondeur. Parce qu'il a été conçu en étroite collaboration avec plusieurs d'entre eux, il répond aux attentes de nos clients. Pour en revenir à la France, Framatome est prêt à lancer la réalisation d'un démonstrateur dès que cela lui sera demandé par son client Électricité de France. M. Christian BATAILLE - Merci M. ESTEVE d'avoir ainsi contribué à vendre deux EPR : un aux Finlandais et un aux Français. Nous, pauvres rapporteurs que nous sommes, n'avons pas le pouvoir de décider, mais nous situons simplement bien l'EPR dans ce créneau des années 2010. M. Bernard SALHA, Directeur Adjoint de la Division de l'ingénierie nucléaire à EDF Ma présentation comportera deux volets, un premier volet sur les performances telles que vues par les électriciens pour les réacteurs à l'horizon 2010, un deuxième volet sur les réacteurs que nous voyons aujourd'hui répondre à ces performances et susceptibles d'être construits à cet horizon. Le premier volet est relatif à la sûreté et à la radioprotection. Un certain nombre d'exigences et de spécification ont d'ores et déjà été rédigées dans le cadre de ce qui s'appelle les EUR en Europe ou les URD dans les années 1990, qui précisaient l'ensemble des performances qui sont attendues pour ces réacteurs. La plus marquante en matière de sûreté est l'absence de conséquences significatives au-delà du site où est installé le réacteur ou de sa proximité immédiate, donc en cas d'accident, y compris de fusion du cœur. C'est une avancée extrêmement forte par rapport au réacteur actuel. Il existe aussi un certain nombre de recommandations en matière de radioprotection ou de rejets liquides, qui sont aussi significativement plus basses que ce que nous pouvons trouver sur les réacteurs aujourd'hui en exploitation. Enfin, s'ajoute à notre avis, une dernière spécification pour la conception de ces nouveaux réacteurs, qui est malheureusement apparue récemment, à savoir la nécessité d'examiner le cas de la chute d'avions commerciaux. Pour avoir une chance d'être construits, ces réacteurs doivent également avoir des performances économiques acceptables et compatibles avec le marché de l'énergie. Cela peut se traduire par trois points : une disponibilité de ces réacteurs que nous évaluons autour de 90 % (les disponibilités américaines ERD sont d'un ordre de grandeur de 87 %, donc très homogènes), une durée de vie technique de dimensionnement des composants qui est de l'ordre de soixante ans, une compatibilité par rapport aux moyens de production qui pourraient être en concurrence avec le nucléaire à ces horizons, dont principalement les cycles combinés à gaz. Pour une fourchette de prix de gaz comprise entre 2,4 et 3,6 $, le prix de l'électricité produite par un cycle combiné en gaz, varie entre un peu moins de 30 €/MWh et environ 40 €/MWh. Notre sentiment est que les valeurs de l'ordre de 2,4 $ ne sont probablement pas durablement accessibles dans le temps et que le prix du gaz sera plutôt dans cette fourchette, entre 3,3, 3,6 $ voire au-delà à ces horizons temporels. Ceci nous amène à penser que pour être compétitifs, un réacteur à développer à l'horizon 2010, doit présenter un coût de production de l'ordre de 30 €/MWh. Quels sont les réacteurs susceptibles de répondre à ces cahiers des charges ? J'évoquerai là uniquement non pas les réacteurs papiers, mais les réacteurs qui ont éventuellement une chance d'être construits. Ce sont des réacteurs de Génération III+, donc à eau. Nous en citons six : l'AP 1000 EP 1000, l'ABWR, l'EPR, l'AR, le SWR et le VVR 1000. Je vais essayer de vous les présenter extrêmement succinctement en commençant par les trois derniers. Ces trois modèles ont une probabilité d'être construits d'ici 2010 ou en 2010. L'APWR est un réacteur conçu par Mitsubishi et Westinghouse. C'est un réacteur à eau de 1 500 MW environ de puissance électrique, dont une construction pourrait être envisagée au Japon à Tsuruga, donc avec un point d'interrogation. Bernard ESTEVE a présenté tout à l'heure le SWR 1000 de 1 200 MW. C'est un réacteur aujourd'hui candidat dans l'appel d'offres finlandais. Je citerai également le réacteur russe AES 91 99, c'est un VVER plus connu sous le nom de VVER 1000. C'est un réacteur aujourd'hui en construction en Chine, qui est aussi candidat dans l'appel d'offres finlandais. Comme EDF ne connaît pas forcément très bien l'ensemble de ces trois types de réacteurs, j'en parlerai relativement peu pour revenir plutôt aux trois premiers modèles. Le premier AP 1000 est un modèle développé par Westinghouse constructeur américain, d'une puissance de l'ordre de 1 100, 1 200 MW électriques. C'est un réacteur dérivé de l'AP 100, qui n'est pas encore tout à fait licencié aux Etats-Unis par la NRC. Cette licence devrait être obtenue en 2004. Sa particularité repose sur la conception de ces nouveaux systèmes de sauvegarde. C'est un réacteur passif. Il permet d'avoir ce que nous appelons dans le jargon nucléaire, un temps de latence opérateur important avant accident. Il faut cependant noter que pour éviter qu'un petit problème, qu'un incident ne dégénère en accident, il y a des systèmes actifs comme des pompes, un contrôle commandes, des éléments mécaniques. Il a une enceinte en béton ouverte sur l'extérieur par la conception même du réacteur de façon à permettre le refroidissement du confinement interne qui est métallique. EDF connaît ce modèle pour participer aux études du projet aujourd'hui. Nous avons des ingénieurs à Pittsburgh qui participent aux études de ce projet. Tel qu'annoncé par Westinghouse, le coût d'exploitation pour une série de dix est de l'ordre de 30 à 40 $US/MWh. Ce sont des chiffres que nous trouvons dans les publications pour large public de Westinghouse. Un deuxième réacteur, auquel EDF s'est intéressé, est le réacteur dit ABWR. C'est un réacteur à eau bouillante de 1 300 MW électriques nets de puissance. Il a été conçu par General Electric en collaboration avec Hitachi et Toshiba. Le réacteur est déjà construit. Il y a deux réacteurs en service au Japon dans les sites de Kashiwazaki-Kariwa.Il est en construction également à Taiwan, à Longmen. Il a donc un bon retour d'expérience d'exploitation. Du côté d'EDF, nous avons fait un certain nombre d'évaluations de ce réacteur dont la compétitivité est avérée. Il s'avère cependant que c'est une filière différente de celle que nous maîtrisons aujourd'hui en France tant en termes d'exploitation qu'en termes de contexte industriel. Cette évaluation de la compétitivité est donc à prendre avec beaucoup de précautions. Je conclurai par l'EPR modèle bien connu de 1 540 MW électriques nets de puissance qui, pour nous, a deux avantages principaux. Le premier est d'être le fruit d'un partenariat franco-allemand, européen de plus de dix ans. Ce partenariat a été construit entre les électriciens, les autorités de sûreté, leurs appuis techniques et les industriels. Son énorme avantage est qu'il tire profit de l'ensemble du retour d'expérience des réacteurs du parc nucléaire français et du parc nucléaire allemand, ce qui cumule de l'ordre de mille trois cents années réacteurs. Aujourd'hui en termes d'évaluation économique, sur la base d'une série de dix tranches, nous estimons que l'ordre de grandeur du coût moyen du kilowatt/heure produit par un EPR est d'environ 31 €/MWh. INTERVENTION DU DR. KLAUS PETERSEN, « Pour ce qui concerne les réacteurs de Generation III+, nous devons prendre en considération des aspects techniques, économiques et stratégiques, à savoir en particulier : 1. La sûreté nucléaire à la conception des installations doit suffire aux exigences les plus modernes par rapport à celles applicables aux réacteurs de la génération actuelle. Ceci conduit à tenir compte d'accidents hypothétiques telle la fusion du cœur et à évaluer la robustesse des bâtiments en cas de chute d'avion. 2. La rentabilité par rapport aux concurrents conventionnels doit être démontrée. Ici se pose la question des coûts d'investissement, d'exploitation, d'entretien et du combustible. Le coût du combustible nucléaire dans le temps est relativement stable grâce à la diversification de l'approvisionnement, de l'enrichissement et de la fabrication des éléments combustibles. Il s'établit actuellement entre 0,4 et 0,5 cts/KWh. En revanche le coût du gaz ou du charbon peut varier assez fortement. En plus la pénalisation des combustibles fossiles par exemple par une taxe sur le CO² n'est pas à exclure. 3. La question stratégique à poser concerne la construction hors de France d'une installation nucléaire répondant à une réglementation standardisée visant à sortir des solutions purement nationales au profit d'une base européenne. Deux candidats suffisent ou répondent à ces trois aspects - l'EPR et le SWR 1000 1200 - car ces deux types de réacteurs ont été bâtis sur les bases du savoir-faire de Framatome ANP qui devrait être poursuivi. Nous trouvons ici les meilleurs éléments des développements français et allemands réunis. Cela vaut à la fois pour l'aspect économique de l'exploitation et de la maintenance où nous rangeons ces réacteurs parmi les plus performants en termes de comparaison internationale. D'un point de vue stratégique, le renforcement et le maintien du rôle prépondérant de l'industrie nucléaire franco-allemande, à condition d'être économiquement concurrentiel vont aboutir en saisissant d'une part la chance de la continuité du développement technologique couronné de succès, d'autre part, le rôle de chef de file lors de la réalisation d'une réglementation technique et de sûreté nucléaire. » Débat avec la salle M. Pierre LABBE - M. ESTEVE nous a fait un plaidoyer sur les caractéristiques techniques de l'EPR comparées à celles de la concurrence, mais il est resté totalement silencieux sur la question des coûts. J'imagine que le client potentiel, lui, regarde les coûts, c'est ce qu'a fait M. SALHA peu de temps après. Est-ce que vous confirmez cette appréciation de coût de l'AP 1000 par rapport à l'EPR ? Dans ce cas qu'est-ce qui fait que ce réacteur serait aussi coûteux que ce qu'a expliqué Monsieur SALHA ? M. Bernard ESTEVE - Je ne vais pas vous trahir de secrets commerciaux ! Je crois que la question posée par M. LABBE est fondée sur la comparaison des coûts entre système passif et système actif. Je ne vais pas rentrer dans le débat des coûts qu'aurait pu proposer Westinghouse en Finlande, mais je vais vous donner quand même quelques ordres de grandeur. Dans la partie globale d'une centrale nucléaire, un îlot nucléaire représente environ 60 % du coût global de la centrale, dont 20 %, soit le tiers de ces 60 %, pour la chaudière proprement dite. Pour l'AP 1000 par exemple - et c'est notre estimation -, les circuits de sauvegarde passifs, l'injection de sécurité, l'évacuation de la chaleur résiduelle, sont des circuits à haute pression, 155 bars, en prise directe sur le circuit primaire principal. Ceci nous fait dire que tant l'accroissement du volume et de la surface que le nombre de soudures du circuit primaire principal, jouent sans doute à l'encontre de la sûreté, mais sûrement contre l'économie du projet. Si nous considérons que ces 20 % sont à coût identique par rapport à l'EPR, reste donc un peu moins de 30 % du coût global sur lequel jouent les simplifications liées au concept passif. Je vous ai dit tout à l'heure que si nous devons ajouter d'autres dispositifs - et nous estimons nous, Framatome ANP, qu'il faudrait en ajouter d'autres qui sont indispensables pour faire de l'AP 1000 un produit répondant aux agressions externes -, soit l'ajout d'une enceinte et s'il faut aussi répondre au concept de défense en profondeur, c'est-à-dire ajouter une structure de confinement, d'étalement et de refroidissement du corium, nous estimons que le coût sera du même ordre de grandeur que celui des produits de la Génération III+. C'est bien ce qu'a présenté M. SALHA. Pour conclure, à défaut de le citer, je serais tenté de paraphraser l'amiral Rickover, qui, comme vous le savez, est l'un des pères du PWR américain. Il disait que les réacteurs simples, peu chers et rapides à construire, étaient les réacteurs papiers qui restaient définitivement simples et peu chers car jamais construits. Cette citation aura cinquante ans au mois de juin prochain. Et puisqu'il est aujourd'hui question de durée de vie, je crois qu'elle a encore de belles décennies devant elle. M. Pierre BACHER - Dans les réacteurs Génération III+, vous n'avez pas cité les réacteurs canadiens. Est-ce un oubli ou est-ce volontaire ? M. Bernard SALHA - Je me suis limité uniquement aux réacteurs à eau légère. M. Christian BATAILLE - Si vous n'avez plus d'autres questions, je repasse la Présidence à Claude BIRRAUX. C'est un grand honneur pour moi d'intervenir maintenant. Je vais essayer de ne pas faire trop de redites par rapport à ce que vous avez déjà entendu et je vous prie de bien vouloir m'excuser à l'avance de ce que vous entendrez peut-être à nouveau dire quoique de manière différente. Je crois qu'il me revient de présenter la vision du groupe AREVA, qui est une vision industrielle sur le nucléaire de demain. C'est bien sûr un thème qu'il convient de replacer aujourd'hui dans une problématique générale d'un mix énergétique à trouver non seulement pour la France, mais aussi pour les différents pays européens et le monde. Je dirai qu'en tant qu'entreprise, je me réjouis beaucoup du débat qui a été engagé en France sur les énergies. Je pense que c'est un débat tout à fait nécessaire. Bien sûr, il ne faut pas que cela reste un débat franco-français, mais je crois qu'il est intéressant d'avoir un débat très large sur ces sujets. Je crois que c'est une façon de sortir de visions binaires ou manichéennes et je dirai des effets un peu de tribune ou encore d'idées préconçues anciennes pour en venir aux fondamentaux que nous pouvons rappeler très brièvement. Nous sommes six milliards d'individus sur cette terre - deux milliards n'ont pas accès à l'électricité - et nous serons trois milliards supplémentaires dans les cinquante ans à venir. Les scénarios les plus moyens prévoient un doublement de la consommation d'énergie d'ici 2050. Nous avons donc un énorme besoin d'énergie qui arrive. Nous avons une deuxième problématique à savoir que nous devons produire cette énergie de manière économique, c'est-à-dire au coût le moins cher. Il faut également que nous puissions produire cette énergie de façon que nous ne soyons pas trop impactés par les évolutions géopolitiques. Le changement climatique qui était une incertitude scientifique, devient une certitude scientifique avec comme seule inconnue, l'ampleur du changement qui va se produire. Cela veut dire que nous devons produire cette énergie supplémentaire avec le minimum de CO² et de gaz à effet de serre. Nous le savons, quatre énergies ne font pas de CO². Aucune d'entre elle n'a été inventée pour ne pas faire de CO², mais elles n'en font pas. C'est l'hydraulique, le nucléaire, l'éolien et le solaire. Les deux premières sont des énergies de base, c'est-à-dire fonctionnant quelles que soient les conditions. L'hydraulique fonctionne avec les limitations que nous connaissons bien et que le Brésil a connues dans les deux années de sécheresse qu'ils ont traversées en 2000 et 2001. Il faut de l'eau et il peut y avoir des années où il n'y en a pas. L'éolien et le solaire ne fonctionnent que lorsqu'il y a du vent et du soleil. Ce sont donc des énergies d'appoint tout à fait nécessaires, mais qui ne peuvent pas être comparées avec une énergie de base et qui n'ont d'ailleurs pas les mêmes coûts de réalisation aujourd'hui. Loin de moi l'idée de dire quoi que ce soit contre les éoliennes, je rappelle que nous sommes le premier fabricant d'éoliennes français. Aujourd'hui, je crois que le temps est venu d'un débat sur des sujets qui sont effectivement peu connus du grand public, connus de certains grands spécialistes et seulement d'eux. Je crois que c'est un débat trop important pour qu'il reste aux mains de ces seuls spécialistes. Je crois qu'effectivement, les années passant, nous devrons de plus en plus non seulement rendre compte de tout ce que nous faisons dans ce domaine, mais il faudra aussi que les décisions puissent être prises avec une base citoyenne la plus large possible. Je dirai que nous sommes aujourd'hui dans une situation européenne extrêmement confuse puisque vous avez des pays qui vont faire plus de nucléaire, des pays qui ont annoncé leur intention de sortir du nucléaire comme l'Allemagne même si c'est dans les vingt ans qui viennent. Quand l'Allemagne a décidé de sortir du nucléaire, on n'a jamais expliqué ce qui serait fait à la place, quel type d'énergie serait développé et quelles seraient les conséquences à la fois sur le plan économique et sur le plan environnemental. La France a fait des choix dans les années 1970 qui sont des choix lourds d'équipement nucléaire et aujourd'hui une large part de notre électricité est faite à base de nucléaire. Nous redécouvrons ce qui est bien connu dans toute l'industrie, que toutes les installations ont une durée de vie limitée. Et, comme le reste, même si effectivement elles ont une robustesse tout à fait remarquable, nos centrales nucléaires ont par définition une durée de vie limitée. Nous allons donc devoir regarder la suite de cet investissement nucléaire très prochainement. En prenant une durée de vie moyenne de quarante ans pour les réacteurs, nous avons 14 réacteurs dont le remplacement devra être envisagé en 2020 et 34 réacteurs en 2025, soit la moitié de la capacité actuelle. C'est cela l'horizon de temps. Aujourd'hui et en particulier à travers sa filiale Framatome ANP qui est le spécialiste des réacteurs et des services associés, le groupe AREVA est prêt à saisir les opportunités du marché des réacteurs qu'il soit national ou international. Nous avons développé au service de nos différents clients, des technologies qui, aujourd'hui, lui permettent d'être au meilleur niveau et ce, dans des domaines extrêmement différents. D'abord dans le domaine des services puisque nous avons développé beaucoup de services nous permettant effectivement d'accompagner les exploitants nucléaires dans la vie quotidienne de leurs réacteurs, mais également de les aider à permettre une meilleure utilisation des capacités existantes et d'allonger la durée de vie des réacteurs existants. C'est ce que nous faisons par exemple aujourd'hui aux Etats-Unis. Nous le faisons avec non seulement un allongement de la durée de vie prévue, mais aussi un accroissement des capacités des réacteurs que nous dopons à leur demande. Beaucoup de choses ont été déjà dites sur les réacteurs de troisième génération, de troisième génération +, de quatrième génération. Je ne reviendrai donc pas en détail sur ces différentes générations pour lesquelles, - je le rappelle et je pense que c'est tout à fait indispensable -, nous avons un calendrier. C'est vrai qu'en ce qui concerne cette quatrième génération qui nous fait rêver, les premiers prototypes ne devraient être disponibles qu'en 2035 voire plus tard. Cela veut dire qu'un déploiement industriel ne peut être envisagé à ce stade qu'aux alentours des années 2040 et après. La réalité du renouvellement du parc électronucléaire d'EDF - et je parle bien sûr sous le contrôle d'EDF - se fera avec la Génération III+, c'est-à-dire la génération de l'EPR, du SWR 1000 et des différents réacteurs de la gamme que nous développons. Je pense que M. Bernard ESTEVE et un certain nombre d'autres intervenants ont expliqué en détail ce qu'était aujourd'hui l'EPR et ses capacités. Il permettait d'avoir un kilowatt/heure moins cher et, dans sa conception de sûreté, il était intrinsèquement extrêmement sûr. Il est équipé de systèmes de sauvegarde redondants et indépendants. En termes de sécurité, il est aussi très renforcé pour la prise en compte du risque terroriste et il était plus économique en termes de combustible et de production de déchets finaux ce qui est effectivement un élément extrêmement important. Je crois que vous avez parlé du SWR 1000, je ne vais pas non plus y revenir en détail. Cette génération est aujourd'hui prête. La recherche et le développement qui ont eu lieu pendant ces dix dernières années sont aujourd'hui achevés. Nous en sommes donc au stade de la commercialisation. Comme il a été dit par M. ESTEVE, nous avons effectivement une offre qui est partie au début de cette semaine vers la Finlande. Et nous avons fait une offre du même type depuis déjà plusieurs mois à EDF. Je ne vais pas revenir non plus à Génération IV parce que je pense que la présentation du CEA a été assez exhaustive, je voudrais juste revenir sur un élément qui me paraît important, sur lequel il y a parfois une certaine confusion. Il s'agit des réacteurs dits à très haute température, des réacteurs à caloporteur gaz sur lesquels nous investissons très fortement nous-mêmes en recherche et pensons qu'il y a une voie très prometteuse. Nous en sommes aujourd'hui, je ne dirai pas au début de cette recherche, mais au début de ses développements. Nous pensons que ces réacteurs ont un très bel avenir devant eux, mais que leur énergie ne sera pas forcément le mode le plus économique pour produire de l'électricité. Nous pensons que les réacteurs à eau classiques resteront effectivement les réacteurs les plus rentables pour faire de l'électricité en grande quantité, mais que ces nouveaux réacteurs pourraient être extrêmement intéressants pour produire de l'hydrogène à travers l'électrolyse de l'eau et de la chaleur. C'est toute la base d'une possible économie de l'hydrogène dont l'intérêt, je pense aujourd'hui, est de plus en plus grand des deux côtés de l'Atlantique. Je vois beaucoup de gens en parler du côté européen. Il y avait un article de Romano PRODI il y a quarante-huit heures sur le sujet. Je vois aussi de l'autre côté de l'Atlantique, non seulement des articles, mais surtout la réalité d'un programme hydrogène extrêmement construit, décidé par l'administration américaine et à la base duquel, la production de l'énergie nécessaire à fabriquer cet hydrogène serait faite à partir de réacteurs à très haute température qui seraient spécifiquement développés pour ce faire. C'est un sujet qui nous intéresse énormément, qui est très différent, je le rappelle, de celui de la problématique du renouvellement du parc de fabrication d'électricité, mais qui est très prometteur si nous voulons lutter très efficacement contre le changement climatique. On rappelle que le changement climatique est dû aux gaz à effet de serre qui ont trois origines principales : l'énergie, les transports, l'industrie. L'industrie a fait d'énormes progrès. Finalement c'est la production, la consommation d'énergies fossiles d'un côté et les transports de l'autre, qui sont aujourd'hui les principaux vecteurs d'augmentation de l'effet de serre. Voilà ce qu'il en est ! Nous voyons également comme utilisation future des réacteurs, tous les problèmes d'eau. Nous voyons bien que les problématiques d'évolution de la quantité d'eau potable disponible deviennent un sujet extrêmement difficile dans un certain nombre de pays. Il y a donc le dessalement de l'eau de mer et l'amélioration de la potabilité de l'eau. Là aussi nous pensons qu'un certain nombre de marchés, peut-être pas en France d'abord, mais à l'international, devraient évoluer. Et à ce moment-là, les réacteurs que nous connaissons aujourd'hui comme ceux à très hautes températures, pourront être en concurrence sur ces sujets. Pour résumer ma très brève intervention sans vouloir faire trop de redites, je crois que le nucléaire se trouve aujourd'hui dans une situation de relance objective dans un certain nombre de pays. Il se trouve dans cette situation pour des raisons économiques : le nucléaire a un coût du MWh/heure qui est extrêmement concurrentiel même pour de nouvelles capacités. On répète souvent que le nucléaire est uniquement concurrentiel s'il est déjà installé. Or l'étude faite en Finlande par TVO montre bien qu'aujourd'hui, coût du capital compris, - cela a été étudié en détail dans le contexte finlandais -, coût de la maintenance et coût du combustible intégrant l'ensemble aussi du combustible, c'est le système nucléaire qui est le moins cher. L'aspect économique est donc tout à fait primordial. Deuxième aspect tout à fait primordial également, l'indépendance énergétique. Un électricien qui fait du nucléaire a des coûts extrêmement prévisibles sur trente ou quarante ans, ce qui n'est pas le cas d'autres types de combustibles d'autres types d'énergie. Troisième aspect, le nucléaire ne fait pas de CO² et si nous allons vers une taxation du CO² ce qui semble être au centre de possibles évolutions du comportement collectif sur la réduction des gaz à effet de serre, cet élément va devenir un élément supplémentaire qui serait à l'avantage de l'énergie nucléaire. En France, nous sommes aujourd'hui dans une situation très spécifique. Nous sommes le pays de l'OCDE qui fait le moins de CO² par habitant grâce à l'investissement nucléaire qui a été fait historiquement. Je crois que nous ne devons pas nous endormir car si nous nous endormons, nous perdrons cet avantage acquis. Nous avons un modèle technologique qui est prêt et, si nous choisissons de le construire maintenant, il devrait nous permettre d'avoir un retour d'expérience suffisant en 2020 pour pouvoir choisir de rebâtir ou non un parc électronucléaire au fil du temps, d'un dimensionnement à définir par l'électricien ou les électriciens, en fonction de leurs souhaits. Cela ne veut pas du tout dire que nous repartons sur le même pourcentage d'électricité faite à base de nucléaire en France. Faire un EPR aujourd'hui, c'est le bon moment pour avoir le retour d'expérience, mais cela ne signifie rien sur la quantité d'électricité nucléaire du futur parc nucléaire. Il faut prendre la décision maintenant quand nous regardons le calendrier. J'ajoute effectivement en tant qu'industriel, que cet élément est aussi complètement significatif pour nos développements internationaux. Pour beaucoup d'électriciens un peu partout dans le monde, le fait que la France et EDF fassent cet EPR, sera interprété comme un signe de confiance dans cette technologie et nous permettra effectivement de développer un certain nombre d'exportations. Il est parfaitement clair que la décision qui sera prise en France sera extrêmement regardée, analysée et qu'elle aura des conséquences extrêmement directes sur la Finlande, la Chine ainsi que sur un certain nombre d'autres pays dans un avenir proche. Puisque nous parlions des Etats-Unis il y a un moment, il est clair que notre décision de licencier tel ou tel modèle aux Etats-Unis est étroitement liée à la décision qui sera finalement prise en France. Voilà très rapidement exprimée, la vision industrielle que nous avons de ce sujet. M. Claude BIRRAUX - Merci beaucoup, Madame la Présidente, de ces précisions qui cadrent la vue du groupe industriel AREVA. En vous écoutant et en regardant le public, il me revenait à l'esprit que les associations dites de protection de l'environnement, ont bien sûr été invitées comme d'habitude aux auditions de l'Office. Nous les avons auditionnées avec Christian BATAILLE en auditions privées, elles savaient qu'il y avait l'audition et je ne crois pas qu'elles ont répondu positivement. Mais chez nous, c'est comme au Club Med, tout est proposé, rien n'est imposé ! Comme je l'ai dit ce matin en propos introductif, nous essayons de faire sortir les paramètres de choix permettant de confronter les points de vue. Le 13 mai, devant l'Office Parlementaire et le 14 mai devant la presse, nous livrerons nos conclusions si conclusions il y a, pour au moins les paramètres tels qu'ils nous apparaîtront au vu de nos auditions et du débat de ce jour. M. Waclaw GUDOWSKI, Professeur à l'Institut Royal de Technologie de Stockholm. Je fais partie de l'Institut de Haute Technologie en Suède et avant de passer directement à mon intervention, d'entrée de jeu et en exergue, je voudrais vous dire que dans l'un de mes rares discours devant le Parlement Suédois, j'ai précisé qu'aucun Parlement ne pouvait avoir de pouvoir sur les lois de la nature. Permettez-moi de parler de quelque chose qui est extrêmement pertinent pour la discussion qui nous occupe aujourd'hui. Est-ce que nous pouvons trouver une stratégie optimale pour l'énergie nucléaire actuellement ? Nous devons probablement répondre par la négative. En matière de politique énergétique, la stratégie à long terme a toujours échoué. Même si nous suivions les préceptes du Club de Rome, ce sont quand même les pays et les gouvernements qui assument un maximum de responsabilités afin d'assurer l'approvisionnement en énergie pour la société du pays. Un autre problème également important est que la durée de vie nucléaire est assez longue et il faut également prendre en considération la dynamique du marché qui, elle, est à très court terme. Il y a donc une contradiction entre le long terme du nucléaire et le court terme de la dynamique du marché. Enfin - mais ce n'est pas le moins important - actuellement la technologie nucléaire est extrêmement consommatrice de capitaux et le retour d'investissement est assez long. Il faut donc prendre ceci en considération sur le marché. Les marchés financiers veulent avoir un retour sur investissement très rapide et le marché de l'énergie réglementé n'est pas très compatible avec ces choix des marchés financiers. Avant de prendre les décisions, il faut bien voir qu'il faut ménager une certaine souplesse dans le système. Ceci dit, que peuvent faire les politiques ? A quoi peuvent aboutir les politiques dont discute le Parlement ? Nous devrions tout d'abord dépolitiser l'énergie nucléaire dans la mesure du possible. Cela veut dire qu'il faut entretenir des mécanismes de marché clairs et transparents pour l'énergie nucléaire. Si nous n'avons pas de règles stables et claires, pour le marché, nous aurons de gros problèmes pour réintroduire l'énergie nucléaire. Je ne parle pas de l'opinion publique, j'en parlerai plus tard, mais en ce qui concerne l'énergie nucléaire, il faut bien voir qu'elle comporte des aspects politiques importants. Il y a d'abord une obligation de non-prolifération que nous ne pouvons pas ignorer, mais, là, le système fonctionne dans la plupart des pays. Ensuite il y a la gestion des déchets radioactifs qui représentent un problème extrêmement brûlant surtout en ce qui concerne la communication avec l'opinion publique. Quelle voie pouvons-nous emprunter ? Il ne s'agit pas là d'une position suédoise officielle, mais de la position adoptée par l'environnement scientifique, pas seulement suédois d'ailleurs, ce n'est pas la position officielle du Gouvernement suédois actuellement. Que pouvons-nous faire sur le plan économique actuellement ? Il faut engager une coopération avec les milieux industriels, faire fonctionner les réacteurs existants aussi longtemps que possible tout en évitant de mettre en danger la sûreté. Incitation économique, il s'agit d'avoir le meilleur retour sur investissement possible. En ce qui concerne l'EPR, je crois qu'il faut également choisir le bon moment pour le développer. Enfin, il y a le problème des déchets nucléaires qui est un problème très important pour la manière dont l'opinion publique perçoit le nucléaire. Je parlerai là de dépôts souterrains, mais pas nécessairement de dépôts géologiques. Il faut garder à l'esprit le fait que cette question doit être réglée et ne pas être laissée en suspens. En Suède, nous avons un programme de dépôt géologique très solide et d'ici à 2012, l'ensemble des sites envisageables pour le stockage auront fait l'objet d'investigations poussées et nous aurons encore dix à vingt ans pour poursuivre nos expériences en la matière. Voilà ce que nous faisons actuellement en Suède. Ensuite, qu'allons-nous faire ? Je vais laisser de côté la description de cette génération de réacteurs pour passer au point de vue scientifique et économique. En ce qui concerne l'aspect économique, dans dix ou quinze ans, il s'agira de promouvoir l'énergie nucléaire harmonisée avec d'autres types d'énergie. Pour l'instant, le réacteur à graphite est la technologie la plus prometteuse. Vous avez également des avantages complémentaires. Si vous concevez les choses correctement, il semblerait que ce type de réacteur à graphite peut aboutir à des résultats bien meilleurs que ceux avec le plutonium. Puis, dans quinze à vingt ans, il y aura la transmutation en synergie avec le développement de nouveaux réacteurs. A mon avis, la technologie la plus prometteuse est une association de transmutation et de technologie de réacteurs sur la base de plomb ou plomb-bismuth. Et nous pouvons faire du bon travail avec les réacteurs eux-mêmes. Pour les réacteurs à haute température, nous avons une solution actuellement. Nous avons argué du fait que par le passé il y a eu des échecs. Nous n'avons cependant pas constaté les échecs de la technologie, mais des échecs du fait que le système était conçu de manière tout à fait stupide. Il y avait des erreurs de conception dans le bloc graphite si bien que les fuites d'eau, au demeurant limitées, n'ont pas pu être gérées. Ce n'était pas un échec de la technologie, mais de l'ingénierie. Et ce type de réacteur a perdu face à la concurrence aux réacteurs à eau légère. Ce type de réacteur peut être construit en dix ans. Il est très compatible avec la technologie du gaz naturel et de l'hydrogène. Avant que le réacteur ne soit prêt, nous pouvons faire fonctionner la turbine avec du gaz naturel, si nous le souhaitons. Il est donc possible d'avoir une combinaison des deux et ainsi de raccourcir le temps d'investissement. Il y a de bons résultats en matière d'incinération du plutonium, il faut cependant bien voir qu'il y a incompatibilité avec les réacteurs à eau légère étant donné la technologie de retraitement que nous avons actuellement à notre disposition. Les fabricants et les constructeurs pensent que les combustibles conditionnés en petites particules avec la technologie Triso sont une voie à suivre, mais c'est un sujet qui doit faire l'objet d'un débat par les experts scientifiques. En ce qui concerne le grand futur, c'est ce que nous appelons la voie de la Génération IV, qui est un peu la panacée qu'on nous promet pour l'avenir, mais dont on ne saisit pas encore toutes les difficultés. Cette autre génération de réacteurs a été conçue il y a déjà un certain nombre d'années, par le Département de l'énergie des Etats-Unis comme un exercice intellectuel. Puis une nouvelle administration est venue au pouvoir et les temps ont changé. Il s'agit cependant quand même d'un exercice purement intellectuel, avec des difficultés techniques. Mais il y a également des avantages dans cette voie. Du point de vue européen, la Génération IV permet une coopération totale entre la France et les Etats-Unis. Au début des années 1990, nous avons essuyé beaucoup de critiques sur l'attitude des Français vis-à-vis du cycle nucléaire. Ces critiques ont disparu dès qu'une coopération s'est mise en place. Pour un spectateur objectif, il s'agit donc d'un gros avantage puisque cela permet une nouvelle compréhension en matière nucléaire entre la France et les Etats-Unis. Ces deux pays étant les pays qui sont à l'avant-garde en matière de nucléaire, il est important qu'ils puissent s'entendre sur ce point. Un avantage est que, comme je l'ai dit, c'est un exercice intellectuel. C'est attrayant pour les instituts de recherche, pour les nouveaux experts qui arrivent dans ce secteur. Cela donne une nouvelle perspective, un nouveau point de vue. Ce ne sont pas seulement les technologies existantes, mais les technologies pour l'avenir et pour la France. C'est une plate-forme parfaite pour une éventuelle coopération entre les Etats-Unis et le CNRS. Mais par ailleurs, pourquoi devrions-nous pratiquer la transmutation ? Si vous retirez les transuraniens, il n'y a plus de problèmes en ce qui concerne les déchets nucléaires parce que toutes les échelles temporelles pour leur radiotoxicité deviennent des échelles d'ingénierie, peut-être dans une centaine d'années, en tout cas pas dans des milliers d'année. Les déchets radioactifs ne peuvent pas être mis tout simplement à la poubelle. Il y a trois éléments qui constituent un problème de radiotoxicité : le plutonium, l'américium et le curium. En fait le curium ne pose pas de vraie difficulté, parce que sa période est de mille ans, ce qui ne pose donc pas de problème en terme de gestion des déchets radioactifs. En revanche, le plutonium et l'américium sont les deux vraies questions à résoudre. En effet, si vous enlevez ou détruisez le plutonium et l'américium, vous pouvez raccourcir le temps de décomposition à quelques centaines d'années. Il n'y aura donc plus de problèmes de déchets nucléaires. Les Etats-Unis parlent en outre du neptunium, mais vous voyez que le neptunium est bien en dessous du niveau des autres substances. Le plutonium peut donc être géré avec le réacteur, mais cela prendra du temps, beaucoup de temps. En revanche en ce qui concerne l'américium, il est plus ou moins impossible de charger le cœur avec de l'américium car vous aurez un réacteur ingérable. Je ne vais pas entrer dans les détails. De nombreuses études ont été réalisées au CNRS. Si vous voulez gérer les problèmes posés à la fois par le plutonium et l'américium, vous devez avoir recours à des systèmes sous critiques dits ADS. Vous avez donc besoin d'un accélérateur. Un réacteur et un accélérateur posent beaucoup moins de problèmes que n'importe quel réacteur à fission et cela ne coûtera pas trop cher. Le calcul a été fait par mes étudiants. Pour un réacteur nucléaire à eau légère, le coût de production de l'électricité est d'environ 25 € / MWh. Si vous voulez combiner un parc d'ADS avec le parc électronucléaire, vous aurez un prix de l'électricité qui sera de 40 % plus élevé. Le recours au MOX serait un peu moins cher - j'ai bien dit un peu moins cher -, mais pas vraiment beaucoup moins. Lorsque j'ai exposé ces résultats il y a un an à l'industrie, on m'a dit que j'étais fou ! Ils vivaient sur une marge de 10 % et je venais leur présenter un système qui représentait un coût supplémentaire de 40 % ! Mais l'an dernier, nous avons eu une crise dans le domaine de l'électricité avec une augmentation de 300 % du prix de l'électricité et personne n'a protesté. En réalité, la solution de réacteurs nucléaires à eau légère complétés par des ADS est tout à fait comparable à d'autres systèmes de génération d'électricité, par exemple les éoliennes ou autres. Pourquoi, en dehors des arguments techniques qui la justifient, avons-nous besoin de la transmutation ? En tant qu'alibi, je dirai que je participe aux réunions avec les personnes qui vivent autour d'un site potentiel de dépôt géologique. La Suède joue un rôle important pour décider des sites de dépôt géologique. Ici, il n'y a pas trop de problèmes d'acceptation. Trois ou quatre communes sont disposées à participer aux projets, mais de nombreuses personnes posent une question. Elles disent qu'elles peuvent accepter ces déchets pour mille, deux mille ans, mais il ne faut pas leur dire que c'est pour toujours, pour l'éternité. Elles comprennent que mille ans c'est nécessaire, mais il ne faut pas leur dire que c'est pour toujours. Si la transmutation permet de réduire cette durée de quelques centaines d'années, on nous dit que c'est d'accord, qu'il n'y a pas de problèmes et qu'elles l'acceptent. C'est la perception générale que nous rencontrons. Les personnes veulent en fait que ce soit limité dans le temps et donc ne pas avoir une durée dans le temps qui aille au-delà de notre perception humaine. Si la transmutation peut permettre de réduire ces quelques milliers d'années à quelques centaines d'années, c'est plus acceptable. En dehors des arguments techniques, voilà ce que l'opinion publique retient des possibilités liées à la transmutation. M. Claude BIRRAUX - Professeur GUDOWSKI, merci pour cette présentation ! Vous êtes un expert indépendant, merci pour cette présentation très intéressante que vous nous avez faite, pour promouvoir surtout la coopération entre le CEA et le CNRS ! Comme le Professeur GUDOWSKI va nous quitter rapidement, avez-vous des questions à lui poser ? M. Jean-Paul SCHAPIRA - C'est une intervention extrêmement passionnante, qui permet de promouvoir la coopération entre le CNRS et le CEA. C'est important d'avoir cette discussion entre universitaires. Au début de votre intervention, vous avez fait remarquer que les contraintes qui pèsent sur le marché en ce qui concerne le développement de l'énergie nucléaire, existaient. Au cours de cette table ronde, j'aimerais bien entendre la voix de certains représentants de l'industrie pour qu'ils nous en disent un peu plus sur l'interaction entre la libéralisation du marché de l'électricité d'une part et la politique en matière de durée de vie des réacteurs et des combustibles d'autre part. Nous parlons là un peu dans le vide. C'est de la théorie, mais il faudrait peut-être revenir sur terre. Ce que vous avez dit est tout à fait exact, mais quelles sont les conséquences de cette intervention ? Vous avez parlé en faveur de la transmutation, de ce surcroît de prix de 40 % et vous avez un peu oublié les contraintes économiques que vous avez mentionnées en exergue de votre intervention. Il est vrai que 30 ou 40 % de plus pour une compagnie d'électricité, une société productrice d'électricité, est très difficile à gérer dans un marché très concurrentiel. Vous avez dit que les prix avaient augmenté de 300 % pour le consommateur, mais c'est toujours un problème pour les producteurs d'électricité. Je pense que, là, vous devriez être un peu plus cohérent. Il nous faudrait un peu mieux comprendre dans quel contexte la transmutation et d'autres problèmes peuvent être résolus dans le cadre de ce marché nouvellement libéralisé. C'est là un des enjeux principaux pour la France, par exemple lors de tous ces débats sur l'énergie. A quoi bon présenter une approche purement technologique sans nous expliquer les relations avec le marché, l'économie. Enfin, en ce qui concerne les risques, je crois qu'il ne suffit pas de mettre le doigt sur certains risques potentiels. Par exemple ce problème d'efficacité des produits à long terme pourrait devenir très important, notamment en ce qui concerne l'évacuation des déchets. Vous savez que bien que la radiotoxicité du neptunium soit assez basse, cette substance est devenue une véritable préoccupation voire même une des préoccupations majeures. Dans ce débat sur la transmutation, il faut donc prendre en considération non seulement les risques potentiels, mais aussi les risques résiduels que l'on appellerait les risques réels. M. Waclaw GUDOWSKI - Je vais répondre, mais auparavant, Jean-Paul, n'oubliez pas que comme je n'ai eu que dix minutes pour mon intervention, je n'ai pas pu parler de tout ! Le neptunium dépend beaucoup de la biochimie et bien sûr c'est très important. Il ne faut pas oublier la chimie, les aspects chimiques, surtout la chimie au cours du transport qui fait partie des risques. J'ai essayé de vous donner un point de vue éventuel sur les perspectives à venir. J'aurais bien sûr pu m'appesantir davantage sur les risques résiduels, mais pour ce faire, j'aurais eu besoin d'un peu plus de dix minutes ! Si vous voulez parler de système durable à long terme, il faut parler du cycle à combustible thorium ainsi que de certains réacteurs qui représentent la seule solution pour avoir accès au thorium comme étant le combustible unique. Il me semble qu'il y a actuellement de nombreuses évolutions dans le secteur nucléaire, mais le problème qui se pose est que nous ne comprenons pas suffisamment les tenants et les aboutissants du devenir des déchets nucléaires. C'est un point important pour l'opinion publique et il faut bien montrer ce que nous pouvons faire en ce qui concerne le traitement de ces déchets et la manière dont nous pouvons les enfouir dans le sous-sol. M. Claude BIRRAUX - Votre dernière réponse nous ramène au sujet dont est familier Christian BATAILLE et, dans le cadre de l'évaluation de la loi qui porte son nom, de rapports ultérieurs et peut-être même anticipés. J'annonce tout de suite la couleur pour que ceux qui pensent qu'ils auraient jusqu'à 2006 voire même au-delà pour produire des résultats parce que ce sera la veille d'échéances électorales. Qu'ils ne se sentent pas l'âme tranquille en imaginant que les délais sont extensibles à l'infini ! M. Jacques BOUCHARD, Directeur de l'Énergie nucléaire, CEA. Les travaux qui débutent sur les systèmes nucléaires dits de quatrième génération sont le résultat d'analyses conduites récemment dans un certain nombre de pays sur l'évolution de la politique énergétique, et le débat en cours en France sur ce sujet est bien dans la même problématique. C'est aussi un début logique de travaux de recherche sur des perspectives à plus long terme. Dans ce domaine comme dans d'autres, nous ne progressons que si nous allons de l'avant. Il y a donc effectivement la volonté de regarder un peu plus loin que ce qui est industriellement constructible aujourd'hui, vous l'avez bien compris. La situation énergétique globale qui a été rappelée, a fait en particulier l'objet il y a deux ans, de deux rapports intéressants dans leurs conclusions. Vous avez d'une part celui qui a été rappelé sur la politique énergétique américaine, remis au Président des Etats-Unis en mai 2001, qui parmi d'autres problèmes et compte tenu de la vulnérabilité des approvisionnements, des contraintes environnementales et autres, concluait à la nécessité de reprendre un développement du nucléaire aux Etats-Unis. Il y a d'autre part le rapport de la Commission Européenne, le Livre Vert, qui concluait également en termes très prudents bien sûr, à la nécessité de reconsidérer l'option nucléaire pour faire face aux problèmes et, notamment, aux respects des engagements de Kyoto. Anticipant un peu sur ces constats, je dirai qu'assez curieusement c'est le Congrès américain qui, dès le début de l'année 2000, avait demandé au Département de l'Énergie, de préparer un programme dit de Génération IV. Il s'agissait de mettre en place une structure chargée d'initier et de piloter la recherche et le développement nécessaires au développement de nouveaux systèmes nucléaires aux Etats-Unis. Cette initiative a été très rapidement ouverte au plan international, parce que les personnes qui s'en occupaient au Département de l'Énergie, l'ont souhaité, avaient une volonté claire, mais également parce que la situation internationale s'y est bien prêtée. Tout le monde était en effet mûr pour participer à ce genre de réflexion. Cela a conduit assez rapidement à la création du Forum Génération 4, forum international qui, je le rappelle, regroupe dix pays. En dehors des Etats-Unis, nous y trouvons la France, le Japon, la Corée, le Royaume-Uni, le Canada, la Suisse, l'Afrique du Sud, l'Argentine et le Brésil. Et la liste n'est pas close aujourd'hui. Le principe fondateur de ce Forum est la reconnaissance par les pays membres, par ceux qui adhèrent à la Charte, des atouts de l'énergie nucléaire pour satisfaire des besoins croissants en énergie dans le monde et ce, dans une perspective de développement durable et de prévention des risques et notamment des risques de changement climatique. Le but est de créer un cadre de recherche pour la recherche et le développement au plan international de façon à faciliter plus qu'à réaliser le développement et la mise au point de ces systèmes nucléaires de quatrième génération. Il n'est pas question d'anticiper trente ans avant sur le dessin de réacteur ou de faire des choses très précises en la matière. En revanche l'objectif est bien d'apporter les développements technologiques, de franchir les gaps ou les verrous nécessaires pour pouvoir permettre effectivement le développement de ces systèmes au plan industriel le jour venu. La première étape a été de définir les grands objectifs. A partir du moment où nous voulions mettre au point un plan de recherche et de développement sur le long terme, il fallait d'abord se fixer clairement des objectifs. Une première réflexion a porté sur les objectifs et les critères. Assez curieusement, elle a abouti très vite à un consensus entre tous les pays concernés. Je reviendrai un peu plus tard à d'autres pays. Finalement nous retrouvons ce consensus y compris dans des pays qui n'ont pas directement participé à la réflexion dans le cadre du Forum Génération IV. Dans ce consensus, nous retrouvons bien sûr les priorités à l'économie et à la sûreté et ce ne sont pas de vains mots. Du côté de la sûreté, c'est très clairement la prise en compte des progrès réalisés dans la troisième génération. Pour l'économie, c'est vraiment la prise en compte de la difficulté non plus d'atteindre une compétitivité avec les autres sources d'énergie, mais d'avoir une capacité de pénétration, c'est-à-dire d'avoir une capacité d'investissement dans des pays qui n'ont pas forcément une économie très développée ou très riche. Cette économie et sûreté sont les premières priorités. La nouveauté est que les critères dits de développement durable prennent de l'importance dans la conception de ces systèmes. Ces critères de développement durable sont essentiellement l'économie de ressources, la minimisation des conséquences environnementales et notamment des déchets, la protection physique, la sécurité depuis la non-prolifération jusqu'aux risques terroristes ou autres, les agressions externes d'une manière générale. En plus dès le départ, la réflexion a été orientée sur la relation entre la production d'énergie et son utilisation et elle a très vite conduit à dire qu'il fallait également envisager pour ce système de quatrième génération, d'autres voies d'utilisation de l'énergie que l'électricité. Il s'agit de la possibilité de mettre en valeur directement la chaleur ou de passer par un vecteur comme le vecteur hydrogène. Comme Mme LAUVERGEON vient de le rappeler c'est un des objectifs qui apparaît aujourd'hui tout à fait important pour le programme américain. Il y a deux ans, quand le Forum s'est penché sur la question, il est apparu que c'était une nécessité de le mettre en tête des préoccupations. Sur la base de ces grands objectifs qui ont été répertoriés en critères, un travail d'expert a été réalisé. Des experts de tous les pays concernés du monde de la recherche et du monde industriel se sont penchés sur les différentes solutions possibles, sur les modèles proposés. Il y a eu énormément de propositions de systèmes et je rappelle que par système on entend un réacteur et son cycle de combustible. Une centaine d'experts de tous les pays, dont une douzaine d'experts français, ont participé pendant deux ans à un travail de fond pour essayer de dégager des orientations. C'est à partir de là qu'il y a eu une sélection de six systèmes dont je dirai que c'est d'une certaine manière une auberge espagnole et en même temps sans garantie du Gouvernement. Je veux dire par-là que nous mettons six systèmes, mais qu'en fait ce sont des orientations de recherche. Je vais revenir sur les grandes orientations. Personne ne prend l'engagement que les six iront au développement industriel, ni même qu'il n'y en aura pas un septième qui passera devant. Le problème est que pour piloter, tirer la recherche technologique, il fallait avoir des orientations suffisamment claires en termes de conception pour pouvoir effectivement y voir clair. Nous pouvons souligner que dans les concepts retenus, il ressort un poids assez important des critères dont je rappelais qu'ils étaient des critères de développement durable. Ceci conduit en particulier à ce que nous retrouvions dans cinq de six concepts présentés - si ce n'est pas dans le sixième, c'est uniquement pour une question de délai - nous y retrouvons le cycle fermé avec traitement et recyclage. Ne nous faisons pas d'illusions, de toute façon, nous allons dans cette voie. Dans quatre systèmes, nous retrouvons des réacteurs à neutrons rapides. Là aussi c'est la conséquence directe de la volonté de détruire les actinides. Tout à l'heure, le Professeur Gudowski a rappelé les grandes orientations dans ce domaine. Nous savons également que pour détruire correctement des actinides, il faut passer en spectre de neutrons rapides et que nous soyons en réacteur ou en système hybride, la situation est la même. En revanche deux des six concepts font appel au caloporteur gaz qui n'était plus tellement à la mode dans les systèmes nucléaires depuis quelques années. Nous le voyons revenir en force, essentiellement à cause de l'hydrogène dont nous avons déjà parlé et de la nécessité de pouvoir travailler avec de la chaleur haute température si nous voulons atteindre des rendements importants de production hydrogène. Nous le voyons également revenir en force parce que dans la notation des critères de développement durable, nous avons quand même vu ressortir aussi le problème du rendement thermodynamique. C'est un peu inévitable. Si nous voulons faire des progrès, il faut regarder où nous avons encore une marge de progrès. Il est clair que dans les systèmes nucléaires actuels, il y a une marge de progrès sur le rendement thermodynamique. Nous voyons donc réapparaître les réacteurs à gaz. Des raisons techniques expliquent qu'en fin de compte, nous pouvons avoir l'espoir de développements importants et nouveaux dans ce domaine. Je ne veux pas insister davantage sur ce sujet, mais simplement dire qu'avoir une perspective de réacteurs à très haute température pour la production d'hydrogène qui va effectivement porter toute la recherche sur les processus de production et sur l'association entre un système nucléaire et un système de production d'hydrogène, n'est pas du tout une évidence. C'est quand même un peu plus compliqué que la station entre la chaudière nucléaire et le système de production d'électricité. Il s'agit d'avoir d'une part ceci avec les nécessités d'améliorer le comportement des matériaux à haute température etc. et, d'autre part, la perspective d'aller jusque vers un réacteur rapide ce qui n'est pas totalement nouveau. Des études ont déjà été faites dans le passé, mais pour avoir une perspective réelle d'aller jusqu'à un réacteur rapide avec ce type de caloporteur, vous imaginez bien que ces porteurs de pratiquement toutes les idées nouvelles - ce ne sera peut-être pas la quatrième génération, mais la quatrième plus ou la cinquième moins ou je ne sais quoi - vont essayer à terme de regrouper les deux dans un système unique. Je crois que l'idée générale est bien que mettre suffisamment d'efforts de recherche et développement dans le caloporteur à gaz, est un moyen d'avancer clairement pour le futur. J'insisterai simplement sur le fait que la recherche et développement va s'organiser au plan international. C'est en cours de montage, c'est l'idée générale. Il est bien clair que le but n'était pas uniquement de dire qu'au fond nous sommes d'accord sur les systèmes, mais de mettre en place la coopération internationale pour au moins la première étape de cette recherche et développement, celle qui doit conduire à lever les verrous technologiques ou à combler les gaps lorsqu'il y a en a. Et il y en a quand même un certain nombre dans les concepts qui ont été retenus. Pour terminer, je dirai également que les échanges ne se sont pas limités aux pays du Forum et qu'aujourd'hui a fortiori, ils ne doivent pas s'y limiter. Nous avons en particulier maintenu le contact avec le principal acteur du nucléaire qui est absent dans cette affaire actuellement, la Russie, ainsi qu'avec le groupe INPRO qui avait été créé à son initiative au sein de l'Agence Internationale de Vienne. Les dernières discussions entre le Forum de Génération IV et le groupe INPRO conduisent à un partage des rôles qui devrait régler définitivement la question, le Forum Génération 4 faisant en gros le travail de projet et le groupe INPRO davantage la liaison avec les futurs utilisateurs ou l'ensemble des réflexions sur la problématique et les normes. En conclusion, je crois que si le recours à l'énergie nucléaire paraît aujourd'hui inéluctable, il faut que son développement à plus long terme puisse reposer sur des systèmes qui évolueront assez considérablement par rapport aux systèmes actuels. En ce qui concerne les évolutions les plus significatives que nous voyons à travers le travail réalisé depuis deux ans, il y a clairement l'élargissement du domaine d'application de l'électricité à l'ensemble des problèmes énergétiques, du moins l'utilisation d'énergie, une véritable prise en compte de la préoccupation des déchets dans des applications systématiques de la doctrine tri recyclage qui doit permettre d'assurer cet aspect du développement durable, une harmonisation des positions internationales qui devrait permettre de traiter au fond les spécifications de problèmes, qui ont toujours été un peu délicates et notamment la manière de considérer les risques liés à la prolifération ou à d'autres aspects de sécurité dans tout ce qui concerne le cycle. M. Claude BIRRAUX - Puis-je ajouter un qualificatif aux derniers mots de Monsieur BOUCHARD : tri, recyclage, burn up ce qui permettrait de le réconcilier avec le Professeur GUDOWSKI. Professeur Jean-Marie LOISEAUX, Directeur du programme de gestion des déchets au CNRS de production d'énergie par des options nouvelles à l'IN2P3 - CNRS. D'abord je voudrais remercier Monsieur le Président de l'Office Parlementaire d'avoir invité le CNRS à donner son point de vue dans ce grand débat de l'énergie et de l'énergie nucléaire en particulier. J'ai intitulé mon exposé Production d'énergie future, gestion des déchets car je pense qu'il s'agit finalement d'un problème très couplé et je parle aussi d'engagement du CNRS. Je voudrais tout d'abord dire que si le CNRS est souvent perçu comme un organisme de recherche fondamentale, attaché à la progression des connaissances, il a su par lui-même développer de grands équipements de recherche fondamentale pour ses besoins propres, mais aussi dans certains cas, pour lever des verrous technologiques ou même résoudre des problèmes de société. Je crois que le CNRS n'est pas confiné dans un état de recherche papier, mais qu'il a su faire des réalisations importantes. La première chose que je voudrais dire est que le CNRS est entré dans l'énergie nucléaire par le biais de la loi Bataille qui était liée à la transmutation des déchets nucléaires. A ce sujet, je dirai qu'une recherche programmée en collaboration avec le CEA, EDF et Framatome, a abouti récemment à un document commun entre le CEA et le CNRS. Ce document fait le point sur cette affaire en particulier sur la viabilité et la faisabilité d'un réacteur piloté par accélérateur, son rôle, son importance, etc. Je ne vais pas entrer dans le détail parce que ce n'est pas tout à fait le sujet de la table ronde. Il s'agit de la production d'énergie nucléaire et de ses options nouvelles. Une caractéristique de l'approche du CNRS - c'est notre manière habituelle de travailler, nous changeons difficilement d'habitudes et c'est une sorte de déontologie typique de la recherche fondamentale -, une caractéristique est donc d'abord d'éclairer scientifiquement les choix qui engagent l'avenir en dehors des contraintes économiques trop prégnantes parfois. Elle est d'autre part d'éclairer leur complémentarité par une comparaison systématique des options possibles même quand elles ne sont pas forcément à la mode. Nous attachons toujours beaucoup d'importance à la justification des choix. Enfin je voudrais dire que nous travaillons dans un cadre européen, mais c'est presque une banalité de le dire aujourd'hui. Le point suivant illustre la manière dont le CNRS est préoccupé par la place de l'énergie nucléaire dans ses options nouvelles, c'est-à-dire à l'échéance 2030-2040, etc. La première chose que nous nous sommes demandé était de savoir quel était l'avenir du nucléaire au niveau mondial. Nous avons posé une sorte de réflexion de bon sens consistant à dire que si le nucléaire n'était pas une énergie significative à l'échelle 2030-2050, est-ce que cela valait vraiment la peine d'en faire ? Nous nous rendons compte que si nous posons cette question, nous voyons immédiatement que si, au plan mondial, le nucléaire représente 20 % à l'échelle mondiale de l'énergie en 2050, ce sont des facteurs de multiplication de la production actuelle très importants par rapport à maintenant, c'est presque dix. Si nous regardons l'Europe c'est cinq. Si nous le rapportons à la France, c'est un. Je dis ceci parce que lorsque nous raisonnons de façon franco-française, nous avons en quelque sorte ce coefficient un de multiplication alors qu'au niveau de l'Europe il n'est pas tout à fait à un, c'est plutôt cinq et qu'au niveau mondial c'est plutôt dix. Bien sûr tout ceci est soumis à de larges incertitudes, mais il faut quand même dire que c'est un peu arithmétique. La deuxième chose d'importance qui se pose, c'est la minimisation des déchets ultimes et des matières radiotoxiques. Tout le monde est d'accord à ce sujet, je passe rapidement ainsi que sur la sûreté. Un des points sur lesquels nous nous sommes récemment penchés, c'est la capacité de déploiement. Dire que nous allons multiplier l'énergie nucléaire par un facteur cinq pour être un peu au milieu de la fourchette, n'est pas aussi évident que cela et nous le verrons tout à l'heure. Cela a bien sûr des impacts sur la gestion du plutonium des réacteurs actuels et d'une certaine façon sur la fermeture du cycle par les nouveaux réacteurs. Au fond nous ne voyons pas très bien que l'énergie nucléaire peut valablement être défendue comme étant une énergie nouvelle au niveau que j'ai indiqué, sans que nous n'ayons terminé proprement le cycle actuel. Encore une fois je parle pour 2030-2040. En fait si nous regardons bien le problème d'un point de vue scientifique, nous voyons qu'il y a seulement deux options durables qui sont liées aux propriétés neutroniques des éléments naturels : le cycle uranium plutonium et le cycle thorium uranium 233. Le premier est obligé d'être en neutrons rapides et le deuxième est nettement plus intéressant en spectre thermique. En fait en ce qui concerne les filières à la disposition pour un développement significatif du nucléaire, il y en a deux basiques, puis existent plusieurs concepts liés à la nature du caloporteur, le type de haute ou de moyenne température visée. Pour illustrer le propos de la démarche que nous avons faite largement avec les partenaires naturels - le CEA, Framatome et EDF -, je dirai que nous avons essayé de comparer les filières qui sont basées sur les réacteurs à neutrons rapides de la filière uranium plutonium, les réacteurs à neutrons thermiques de la filière thorium uranium qui, pour des raisons un peu techniques, sont des réacteurs à sels fondus car ils nécessitent un traitement du combustible un peu plus fréquent. Je passe très rapidement sur la comparaison des déchets. Je dirai que ce n'est peut-être pas exactement le problème le plus important pour l'instant surtout que cela dépend des performances de séparation. Au fond, ces courbes changent d'un facteur dix suivant les performances de séparation, donc je passe rapidement. Je reviens un peu sur la comparaison des deux filières de base qui existent pour faire de l'énergie nucléaire, il ne s'agit pas de concept de réacteurs, mais des deux filières de base concernant les combustibles. La première chose est qu'un réacteur à neutrons rapides (RNR) qui marche dans la filière uranium plutonium a un inventaire de matières fissiles, c'est-à-dire de plutonium de 12 à 15 t/GWh. L'inventaire de matières fissiles en neutrons thermiques dans la filière thorium est un facteur dix en moins. Je passe rapidement sur l'américium et le curium parce que ce n'est pas forcément le sujet aujourd'hui. La surgénération de matières fissiles est une donnée très importante pour savoir si un parc de réacteurs peut se développer. Vous voyez que nous pourrions surgénérer environ 3 à 400 kg de matières fissiles dans le cycle uranium plutonium alors que ce sont seulement 50 kg par réacteur et par an pour un réacteur à neutrons thermiques. Nous pouvons donc montrer très facilement que si vous prenez un seul parc de réacteurs il est impossible de multiplier d'ici 2050 la production par un facteur cinq. Ce n'est en quelque sorte qu'en mariant les deux que vous pouvez arriver à ce facteur cinq ou dix. La philosophie générale est de dire que le réacteur à neutrons rapides optimise l'utilisation du plutonium direct. C'est incontestable et cela ne changera pas avec la mode, c'est lié aux sections efficaces. La deuxième chose est qu'il permet la clôture du cycle actuel REP, certes un peu de façon différée et la production de matières fissiles. Si nous regardons ce que produit pendant quarante ans un REP comme matières fissiles, nous voyons qu'il produit exactement le plutonium nécessaire pour démarrer un réacteur à neutrons rapides de même puissance. Nous nous rendons compte très rapidement qu'effectivement si nous voyons une transition du nucléaire actuel vers un nucléaire avec des réacteurs du futur qui est un pour un, cela marche. Mais si c'est pour aller avec un facteur de multiplication important, cela ne marche pas. Si au contraire, je regarde la filière thorium uranium 233, je vois que la production de matières fissiles pendant quarante ans, permet de démarrer - j'ai une grande fourchette - entre quatre et dix réacteurs au thorium. Il y a une condition importante là-dessous pour les spécialistes. Nous devons transformer la matière fissile plutonium en matière uranium 233, mais je dirai qu'il y a des mécanismes pour le faire. Au fond le réacteur à sel fondu au thorium permet, lui, un accroissement rapide du parc de par son faible inventaire de matières fissiles. Cette filière de thorium en réacteur à sel fondu et spectre thermique est un programme que nous avons entrepris il y a plus de quatre ans dans une collaboration très serrée avec le département R&D d'EDF. Avec de nouveaux outils de simulation, nous avons revisité les concepts parce que ce concept avait déjà été étudié dans les années 1970, il faut le savoir, et avait été en quelque sorte abandonné ; nous allons peut-être voir pourquoi. Nous avons développé une connaissance renouvelée du concept alors proposé de même que nous avons pu étudier de façon très convaincante des simplifications de l'unité de retraitement. Et pour illustrer ce propos, je vais vous montrer le concept des années 1970. Le réacteur à sel fondu, le réacteur à cycle thorium et neutrons thermiques exige un retraitement fréquent. Il s'agit d'un sel liquide - ce sont des fluorures - qui contient le combustible puisqu'il y a le thorium et l'uranium dans ce combustible avec d'autres composants. Ce combustible sert essentiellement de caloporteur. Et il y a une extraction presque « naturelle » des produits de fission gazeux qui peut se faire en ligne. Cela se fait au niveau de l'échangeur dans des conditions techniques qu'il faut sans doute optimiser. L'idée de départ était que ce réacteur voulait avoir une surgénération maximale puisqu'il se posait en quelque sorte en concurrent des REP par rapport à l'utilisation de l'uranium enrichi. Ceci amenait à un concept qui exigeait un retraitement tous les dix jours. Or 50 m3 ou 80 tonnes de combustible à recycler tous les dix jours représentent quand même un challenge assez important. Nous avons pu montrer que si nous ne demandions pas la surgénération, mais simplement la régénération, le retraitement en ligne fait tous les dix jours, pouvait être fait avec des temps caractéristiques de l'ordre peut-être de trois ans, ce qui est une capacité de retraitement nettement plus confortable. J'en viens à la conclusion et je voudrais qu'on ne considère pas que c'est une sorte de promotion des réacteurs à sel fondu au thorium, mais une illustration de ce qu'une recherche un peu dégagée des contingences peut apporter en quelques années. Je crois que la filière thorium devient une option réaliste pour le nucléaire du futur, qui est peut-être à mettre dans la quatrième génération. Et je crois qu'au fond, la souplesse de la filière thorium pour un développement rapide si le besoin s'en faisait sentir, doit être considérée avec intérêt. Le CNRS a été aujourd'hui un acteur à part entière dans la recherche sur le nucléaire du futur ou sur les déchets nucléaires. Je crois que les déchets nucléaires, leur incinération et la fermeture en quelque sorte du cycle des REP actuels fait toujours partie des préoccupations du CNRS. En particulier le CNRS milite beaucoup en faveur d'une solution européenne pour un démonstrateur de réacteur piloté par accélérateurs. Enfin, plus récemment, le fait que le CNRS se soit intéressé aux options nouvelles pour le nucléaire du futur, lui a permis d'obtenir une certaine expertise dans le domaine des études de scénarios, notamment en regardant de façon très large et ouverte, l'ensemble des solutions possibles. Je terminerai en disant que le CNRS se voit comme étant un partenaire tout à fait original dans le secteur de la recherche sur le nucléaire et certainement très complémentaire des acteurs traditionnels avec qui nous avons d'ailleurs des contacts très étroits. Je pense que le CNRS et l'université ont un rôle de responsabilité particulière, notamment dans le domaine de l'enseignement. Puisque nous avons beaucoup parlé aujourd'hui de garder des compétences, il faut que l'énergie nucléaire, la physique associée, reste du domaine des enseignements dans les universités ce qui n'est pas tout à fait acquis d'avance. Par ailleurs, il est de tradition dans le secteur universitaire que les enseignements soient toujours supportés par un programme de recherche plutôt actif, qui ne se réduit pas à des études papiers. Enfin, en tant qu'acteur public du débat scientifique, je crois que le CNRS a aussi son mot à dire. M. Alain VALLEE, Directeur de la recherche et du développement, Framatome ANP La prévision est un art difficile. Nous pouvons le voir tous les soirs à la télévision avec des experts qui viennent parler de ce qui se passera dans les quarante-huit heures et qui sont contredits par les faits. Au moins avec une demande de parler de la période 2030-2040, je prends peu de risques aujourd'hui. M. Claude BIRRAUX - Je vous rappelle que Niels BOHR disait que la prévision était difficile surtout quand elle concernait le futur. M. Alain VALLEE - J'ai intitulé ma présentation Une ébauche de scénario rationnel pour la période 2030-2040. Rationnel est pour clairement indiquer que ce scénario est forcément faux, puisque tous les développements historiques présentent peu de rationalité, de continuité et de logique, il y a de nombreux à-coups et que la situation que je vais vous décrire n'est pas forcément la bonne. C'est néanmoins un moyen de présenter un certain nombre de forces qui, à mon avis, seront déterminantes pour établir ce qui se passera dans le nucléaire dans le futur. La première assertion est que dans cette période 2030-2040, le marché de l'énergie sera devenu un marché global dont chaque secteur internalisera l'ensemble des coûts. Dans cette phrase il y a trois points. Le premier point est que le marché sera mondial et que ce sera un marché comme celui aujourd'hui de l'aéronautique. Il sera sous forme d'une mosaïque diversifiée selon l'état de développement de chaque pays et des ressources accessibles. Le marché sera mondial, mais relativement hétérogène. Deuxièmement, le marché sera fortement compétitif entre les différentes sources d'énergie, entre les sources d'énergies fossiles - charbon, gaz, nucléaire - et les énergies renouvelables. Il y aura aussi de fortes compétitions à l'intérieur de chaque source puisque, comme j'ai parlé de marché mosaïque, il y aura une certaine diversification des besoins. Le troisième point dans cette phrase est l'internalisation des coûts. Nous voyons dès maintenant, une montée de l'encadrement des marchés au niveau international et cette tendance va probablement continuer. Nous verrons l'OMC qui organisera et structurera de plus en plus les échanges et les ventes au niveau mondial et dans le domaine du nucléaire, il est clair qu'une évolution vers une approche homogène de sûreté au niveau international est tout à fait nécessaire et devrait apparaître dans le futur. Il y aura ensuite une prise en compte dans le cadre de ce marché qui commencera à s'encadrer au niveau mondial dans le secteur de l'énergie, des conséquences sur l'environnement et la sûreté. Actuellement, dans beaucoup de secteurs - le gaz, le pétrole -, il y a un certain nombre de coûts induits qui ne sont pas pris en compte. Les exemples sont le CO², les effets sur la santé qui ne sont pas impliqués. Des études ont été menées à Bruxelles sur ces coûts externes. Ces études ont montré que les coûts externes étaient quasiment nuls pour le nucléaire, entre 30 et 50 % pour le gaz et la multiplication par un facteur compris entre deux et trois des prix actuels pour le charbon. Cette internationalisation va avoir de fortes conséquences. Le nucléaire qui a déjà internalisé une bonne partie de ces coûts, conservera des coûts de production d'électricité à des niveaux relativement stables alors qu'à l'opposé, les énergies fossiles seront dans une dérive vers le haut. Ceci restaurera une certaine marge de compétitivité au nucléaire et lui accordera des développements de parts de marché relativement significatives au niveau mondial pour la production d'électricité en base. Cette production d'électricité sera naturellement en remplacement des parcs existants qu'ils soient de nature nucléaire ou thermique. Au niveau mondial, il y a actuellement beaucoup de moyens de production d'électricité au charbon extrêmement polluants et vieillissants. C'est donc un marché potentiel extrêmement important pour l'énergie nucléaire. Ensuite, il y aura des pays à forte croissance qui auront besoin d'électricité en base et le nucléaire permettra d'assurer une partie de cette croissance. La Chine en est un exemple important. Ce marché sera assuré par les réacteurs actuellement de troisième génération qui auront été définis aujourd'hui. FRAMATOME ANP et AREVA sont prêts à faire face à cette situation avec deux produits : l'EPR et le SWR 1000. Il faut penser que ces deux produits ne sont pas figés pour toujours, ce sont des lignes de produits qui progresseront en termes d'économie, de coûts, de sûreté, de propreté et de sobriété, mais de façon relativement continue. En ce qui concerne les réacteurs à eau, depuis vingt ou trente ans, nous avons eu des progrès dans tous ces domaines de façon progressive qui se traduisent dans la réalité au bout d'un certain nombre d'années avec des bénéfices assez substantiels, mais de façon tout à fait continue. Les grandes ruptures technologiques arriveront plus tard, mais entre deux, nous voyons une arrivée des réacteurs à haute température qui commenceront à se développer commercialement dans des niches particulières. Il s'agit particulièrement des petits réseaux, de la production combinée eau électricité et de la production d'hydrogène en accompagnement du développement de cette filière hydrogène. C'est bien sûr extrêmement intéressant pour l'industrie nucléaire puisque le transport ouvrirait implicitement un nouveau marché pour cette industrie. Les grandes ruptures technologiques qui seront développées dans le cadre de Génération IV seront prises en main dans cette période par les industriels. Elles permettront de développer des réacteurs beaucoup plus économes en matières premières et qui réduiront de façon significative le volume et la nocivité des déchets finaux. Nous verrons dans cette période de première réalisation industrielle le niveau prototype ou démonstrateur. AREVA sera toujours à ce moment-là numéro 1 mondial du nucléaire et il aura un portefeuille de produits entièrement équilibré avec des réacteurs de quatrième génération, des réacteurs à haute température en forte croissance, et une vache à lait qui sera assurée par les réacteurs de troisième génération type EPR évolué et SWR 1000. Tout ceci montre que malgré la longueur de son cycle de développement, le nucléaire et son industrie peuvent être une industrie normale. Intervention du Dr Klaus PETERSEN, Vice-Président Nuclear Power Plants, RWE Power AG, lue par M. SERVIERE « La conception technique du HTR basée sur les expériences des prototypes tels l'AVR et le THTR ainsi que diverses installations américaines, a continué d'être développé et est considéré aujourd'hui disponible. Cela vaut aussi pour le combustible. Cependant, les qualités particulières du HTR vis-à-vis des aspects sûreté, ne sont réellement efficaces que lorsqu'il s'agit de petites unités. De ce fait la flexibilité technique d'un HTR est soumise à des restrictions très importantes. Il est primordial qu'une entrée de fluide - que ce soit de l'eau, de la vapeur ou de l'air - dans les composants graphitiques du cœur soit exclue. Par ailleurs, la capacité particulière de produits à des hautes températures jusqu'à 850, 950° n'est d'un point de vue économique que secondaire pour la production d'électricité. En d'autres termes, ce n'est pas l'aspect production électrique qui valorise le HTR. C'est seulement à partir de la mise en œuvre de hautes températures, plus hautes que celles citées, que l'on peut valoriser des combustibles fossiles ou l'hydrogène ce qui peut absolument jouer un rôle à partir et au-delà de 2030, sans doute en combinaison avec la production d'électricité. C'est à ce titre que le potentiel économique des HTR pourrait être exploité. Dans ce contexte, il aura une possibilité, une chance de réalisation et il est primordial de conserver le savoir-faire dont nous disposons aujourd'hui dans le domaine de la technologie et du combustible, et de faire vivre cet acquis de connaissance. » M. Claude BIRRAUX - Je vais ajouter un petit commentaire sur le HTR. Nous l'associons à la production d'hydrogène, nous n'en sommes pas là, il faut dire les choses clairement. Il y a peut-être des processus - nous le dirons dans le rapport - susceptibles d'accélérer la maturation, mais, demeurent des problèmes techniques, technologiques parce qu'avec les très hautes températures, il y a des problèmes de matériaux. Pour l'instant, il y a de la recherche à conduire, mais il n'y a pas les résultats. C'est le premier élément technique. Deuxième élément technique, produire en même temps avec de la vapeur haute température de l'hydrogène à partir d'iode et de soufre, je veux bien en laboratoire, mais à une échelle industrielle voire semi industrielle, cela me paraît être un peu plus compliqué que ce qu'on veut bien nous expliquer par les équations. On peut toujours écrire les équations, mais en ce qui concerne la faisabilité à un stade industriel, c'est quelque chose qui me semble être un peu plus compliqué. L'hydrogène a en outre une propension : quand il est dans des mesures stœchiométriques avec l'oxygène, ça fait BOUM ! Il y aura donc sûrement quelques mesures de sûreté et de précautions à prendre pour que dans l'environnement d'une centrale avec de la production d'hydrogène, cela ne fasse pas BOUM ! M. Georges SERVIERE, Directeur Adjoint de la Division de l'ingénierie nucléaire, EDF. Étant en fin de session, je vais essayer d'assumer l'aval du processus ou du cycle que nous suivons, et donc de concentrer et de limiter ma présentation à l'horizon dont nous parlons 2030-2040 voire au-delà. Je vais parler de la manière dont se présentent nos besoins et ces besoins pour un électricien tel qu'EDF. Et face à cela, quel est le panorama auquel nous sommes confrontés et que pouvons-nous en dire vis-à-vis de nos besoins ? A cet horizon, une partie du parc aura été renouvelée, peu importe comment et par quoi pour mon raisonnement. Dans tous les cas, nous parlerons des besoins d'un électricien avec une capacité importante et donc d'une dizaine de milliers de mégawatt, que ce soit en une ou plusieurs séries, peu importe, cela ne change pas fondamentalement le raisonnement. Et c'est étalé sur des périodes de l'ordre de vingt, trente ans voire plus. Dans ce contexte général, nous aurons nécessairement un mix de production de différentes sources d'énergie dont le nucléaire. Notre besoin et notre objectif sont de faire en sorte que sur le moyen long terme que nous visons, cette option soit possible. Cela se traduit par deux contraintes ou deux objectifs principaux pour nous. Il s'agit d'une part de taille de réacteurs qui sont plutôt dans la gamme élevée. Juste pour mémoire, si nous devions renouveler 30 000 MW avec des réacteurs de 100 MW électriques comme le PBMR, cela ferait trois cents tranches. Vous imaginez les problèmes que cela poserait en matière de sites et de transports sachant que parfois les composants sont aussi gros que pour des grands réacteurs. Si nous envisageons des conceptions modulaires, par exemple de type personnel d'exploitation, cela pose également des problèmes sur la manière dont nous concevons les salles de commandes. Toute l'approche et l'analyse sûreté autour de ces concepts restent totalement à faire. Cela ouvre également un deuxième besoin ou une deuxième contrainte, à savoir que nous avons besoin de fiabilité. Quand nous engageons des dizaines de milliers de mégawatt, il faut parier sur quelque chose de tout à fait fiable. Cela veut dire des modèles éprouvés industriellement à tous les sens du terme, aussi bien sous l'aspect construction réalisation, que sous l'aspect agrément, licensing pour utiliser un mauvais mot en français, et en exploitation ultérieurement. Ce n'est pas seulement une fiabilité vis-à-vis du produit, le réacteur lui-même, mais également une fiabilité industrielle de tout le cycle associé, notamment en matière de combustible, mais aussi pour la partie secondaire. Pour certains types de réacteurs, c'est important parce qu'elle n'existe pas réellement à ce jour. Quels sont les réacteurs de la quatrième génération à cet horizon ? Dans le panorama qui s'offre à nous, il y a évidemment toutes les sélections qui ont été rappelées au titre du Forum Génération IV. Elles sont mentionnées ici, mais je ne reviens pas dessus, puisqu'elles ont été abondamment citées. Il y a le HTR que d'aucuns placent en dehors de la Génération IV, à la frontière entre la troisième, la troisième + voire la quatrième génération. Je crois qu'il ne faut peut-être pas l'éliminer trop vite, il faut qu'il puisse y avoir des successeurs à la troisième génération plus des réacteurs à eau. Et il peut encore émerger d'autres concepts. Nous pouvons noter que pratiquement tous les concepts de Génération IV visent à répondre à la problématique soulignée tout à l'heure de développement durable et donc d'aller soit vers des spectres rapides, soit dans le cas du sel fondu, vers des cycles du thorium. Le HTR est le caloporteur gaz, mais le HTR lui-même n'est qu'un moyen au sens production électrique d'aller vers autre chose et vers les concepts de très haute température voire de rapide à gaz. Pour illustrer ce point, je dirai qu'une des caractéristiques du HTR est d'essayer de faire des avancées en matière de sûreté en éliminant le risque d'accidents graves grâce à la nature du combustible. C'est une caractéristique qui est quand même liée à la faible densité de puissance de ces réacteurs, donc à leur petite taille. Si nous voulons passer au cycle rapide, il faut au contraire avoir des densités de puissance plus importantes et, d'une certaine façon, nous pouvons perdre l'avantage intrinsèque des réacteurs gaz haute température. Il y a donc encore des challenges importants en matière de sûreté à régler avant de pouvoir considérer ces filières comme industriellement sûres et licenciables d'un point de vue sûreté. Compte tenu de ce que je disais tout à l'heure, avant de pouvoir envisager un développement, un déploiement industriel massif, il faut a minima ajouter une dizaine d'années pour passer les caps que j'ai indiqués, y compris dans un certain nombre de cas, passer à la taille supérieure en matière de puissance électrique. C'est bien l'horizon 2030-2040 voire plus loin qu'il faut considérer pour cette génération. Le fait de dire que c'est cela l'horizon, n'est pas du tout contradictoire avec le fait que d'ici là, il faut passer par des étapes intermédiaires de développement, de construction, de réalisation, de pilote technologique ou de démonstrateurs qui coexisteront donc avec les générations précédentes. Dans ce cadre-là, le maintien de cette option ouverte à long terme tout en préservant la bonne utilisation de la ressource énergétique - et cela a déjà été dit - au travers de filières soit à spectre rapide soit de type thorium, nécessite de solides programmes de R&D étant donné les verrous technologiques qui restent à lever et le nombre d'étapes qui restent à franchir. L'exemple que j'ai utilisé sur le HTR nous montre que d'une certaine façon, il n'y a pas de concept qui, pour l'instant, émerge comme présentant des avancées significatives simultanément dans tous les domaines. Ceci fait que vraisemblablement plusieurs types coexisteront à cet horizon dans un mix de long terme et que pour rendre ces options possibles, c'est ce qui est important de façon à pouvoir faire des choix dans le futur, sans que nous ne puissions préjuger aujourd'hui de ce qu'ils seront à l'horizon dont nous parlons. M. Christian BATAILLE - Nous avons donc eu au fond la dernière vision sur un avenir que nous n'entrevoyons qu'à peine. Au cours de cette journée, nous avons vu toute la problématique qui va être celle de notre rapport, l'allongement possible de la durée de vie des centrales nucléaires et dans quelles conditions, les réacteurs de troisième génération, c'est-à-dire de terme rapproché, les réacteurs de quatrième génération, cette fois du moyen ou du long terme à travers tout ce parcours. Nous sommes allés jusqu'à la deuxième moitié de ce XXIe siècle, c'est-à-dire que nous nous sommes projetés très largement dans le futur. Claude BIRRAUX disait jusqu'à une date où nous ne présiderions plus des réunions Salle Lamartine, mais tout ceci reste à vérifier. M. Claude BIRRAUX - Si je suis bien Christian BATAILLE, nous avons encore quelques mandats à faire dans cette Assemblée avant d'aller au Sénat. Merci Christian ! Merci à tous ceux qui sont intervenus dans ces différentes tables rondes ! Nous avons maintenant le plaisir d'accueillir Monsieur François ROUSSELY, Président d'EDF qui vient nous présenter ès qualité l'approche d'EDF sur la durée de vie de son parc, sur sa vision du futur de la maison et vraisemblablement des modes de production électrique qui sont étudiés au sein de cette grande maison qu'est EDF. L'APPROCHE D'EDF POUR LA GESTION DE LA DUREE DE VIE DE SON PARC ELECTRONUCLEAIRE PAR M. FRANÇOIS ROUSSELY, PRESIDENT D'EDF. M. François ROUSSELY, Président d'EDF- Je ne manquerai pas de vous la rendre dans des horaires compatibles avec les contraintes de temps de chacun, qui sont d'ailleurs sur des périodes bien plus brèves que celles dont nous parlons aujourd'hui ! Merci en tout cas de me donner l'occasion de clore cette audition publique en venant vous exposer la façon dont EDF voit la question de la gestion de la durée de vie de son parc électronucléaire. C'était rappelé, il y a un instant : je ne le vois pas comme expert du nucléaire, mais comme responsable d'une entreprise dans laquelle la production en nucléaire est bien sûr un levier considérable de sa compétitivité. Ce n'est pas un produit en soi, mais un outil et un outil considérable. Chacun a bien sûr en tête que pour produire l'électricité, les choix sont vastes et qu'ils se poseront dans les années 2010-2020 à un moment où d'ailleurs dans le reste de l'Europe, le parc de production est plus ancien et où ces questions se seront déjà posées. Les orientations stratégiques concernant cette filière de production découlent d'ailleurs directement des hypothèses sur la durée de vie de nos centrales. Si vous me le permettez, je voudrais rappeler l'intérêt que présente pour nous l'option nucléaire, venir à la gestion de la durée de vie de notre parc et terminer par quelques questions d'ordre financier. L'intérêt de l'option nucléaire Dès lors que cette audition de l'Office se situe pendant le débat ouvert sur les choix énergétiques, il ne me paraît pas complètement déplacé de vous dire pourquoi, en tant qu'industriel de l'électricité, il me paraît important de conserver le nucléaire pour une part significative de notre production couvrant les besoins en base et en semi base et pourquoi il s'agit d'un choix responsable et ce, à plusieurs titres. Tout d'abord, il me semble que c'est un choix responsable à l'égard de nos clients puisque l'électricité que nous vendons est la moins chère d'Europe alors que ses coûts intègrent tous les coûts de la filière - il faut toujours le rappeler - y compris le traitement et le stockage des déchets nucléaires ainsi que les provisions pour la déconstruction des centrales en fin de vie. Nous avons traversé des périodes où l'électricité à base de gaz et cycle combiné gaz, présentait des coûts approchants, voire parfois inférieurs à ceux du nucléaire. La seule considération que nous puissions développer est que ces périodes n'ont jamais duré. Au contraire, avec nos modes de production, essentiellement nucléaires et hydrauliques, nous mettons nos clients à l'abri des fluctuations des prix tant du cours du pétrole et du gaz que des effets de change avec le dollar et bien entendu parfois les deux se combinent. Même si vous l'avez bien en tête, je rappellerai que le prix de la matière première uranium acheté sur les marchés internationaux, représente moins de 5 % de nos coûts dans cette filière, les 95 % correspondant à la fois à la préparation du combustible, à l'exploitation, à la maintenance des centrales et surtout à l'amortissement de nos investissements. C'est dire que toutes ces activités correspondent à des activités en France et que leurs coûts sont à l'abri des fluctuations dont je vous parlais il y a un instant. J'ajoute d'ailleurs puisque nous voyons de temps en temps des débats sur l'indépendance énergétique liée au nucléaire et à son approvisionnement, que la provenance de cet uranium qui est très diversifiée, met nos clients à l'abri de toute dépendance à l'égard d'un producteur. Et si nous en voulions un signe, nos exportations record en Europe de plus de 93 TWh en 2002, montrent bien que nos clients européens ne s'y trompent pas et qu'en général, aujourd'hui seule la question des interconnexions nous pénalisent. Je crois que le choix du nucléaire est aussi un choix responsable vis-à-vis des générations futures. Vous savez à quel point EDF est engagée dans le développement durable. La question des déchets nucléaires peut être considérée comme réglée pour 95 % d'entre eux et celle des 5 % de déchets à vie longue, à haute activité, nous mobilise totalement. Des solutions techniques existent, il reste bien sûr à les valider avec la rigueur et les exigences propres à l'industrie nucléaire ce que d'ailleurs, la loi de 1991 encadre parfaitement. C'est donc ici même devant le Parlement que les choix importants seront effectués le moment venu et je ne doute pas que les travaux de l'Office y contribueront largement. En revanche, nous sommes en face d'une catastrophe annoncée, celle quasi irréversible du moins à l'échelle humaine, de la déstabilisation de l'équilibre climatique et donc de l'écologie de la planète par émission de CO². Les études du GIEC nous annoncent une hausse des températures moyennes de 2 à 6°C en un siècle. Je crois que la conscience en a été prise à Rio en 1992. Des engagements même relativement modestes au regard de ces besoins, ont été signés à Kyoto. Depuis, que s'est-il passé ? Si nous en croyons les travaux du Conseil Mondial de l'Énergie, la consommation énergétique mondiale, essentiellement à base d'énergies fossiles va augmenter de 50 % entre 1990 et 2020. Et au sein de celle-ci, la consommation électrique mondiale, augmente deux fois plus vite au rythme d'un doublement sur la même période entre 1990 et 2020. La part des fossiles déjà massive augmente sensiblement en même temps. En 2000 ces énergies contribuaient pour 64 % de l'électricité produite dans le monde contre 17 % pour le nucléaire et moins de 18 % pour l'hydraulique, le reste étant marginal. Ceci veut dire qu'utiliser l'énergie nucléaire dans les pays techniquement avancés, c'est reculer un peu l'échéance de l'épuisement des hydrocarbures dont l'horizon de réserve connu est de l'ordre du demi-siècle et celui des réserves probables, si nous l'élargissons, est d'environ un siècle au rythme actuel. Enfin, je crois que nous pouvons dire que le choix du nucléaire est un choix responsable à l'égard de la communauté humaine, que ce soit au niveau national, européen ou mondial. En France l'utilisation des centrales nucléaires économise l'importation de 75 millions de tep par an, l'équivalent de notre consommation actuelle de pétrole. Nous avons déjà vu que 95 % de la valeur ajoutée dans ce secteur, était produite en France ce qui représentait des dizaines de milliers d'emplois. Pour l'Europe, je renvoie au Livre Vert de la Commission Européenne. L'Europe des vingt-cinq consomme plus de 1 700 millions de tep d'énergie primaire et n'en produit que 910 au prix d'un effort qui la conduit d'ailleurs à épuiser ses hydrocarbures dix fois plus vite que ne le fait l'Arabie Saoudite. Enfin, si nous nous situons au niveau du monde, les pays émergents ont besoin d'énergies fossiles bon marché et je crois que moins nous tirons sur ces énergies, plus nous leur en facilitons l'accès. Il me semble donc que nous voyons combien la filière nucléaire est une filière qui s'inscrit dans l'avenir et je pense d'ailleurs que les tables rondes qui se sont déroulées ici même, l'ont abondamment évoqué et démontré. A l'horizon des années 2030-2040, dont nous parlions il y a un instant, se profilent de nouvelles filières prometteuses, je pense bien sûr à la Génération IV. Il reste que nous avons à gérer une transition et c'est bien l'enjeu même de la question de la durée de vie des centrales actuelles. Gestion de la durée de vie des centrales actuelles A ce titre, il semble que plusieurs questions se posent et j'en identifierai trois principales. Quel est le profil du futur parc de production d'EDF ? Quelle est la durée de vie du parc actuel ? Comment passer en toute sécurité du parc actuel au parc futur ? Le profil du futur parc de production est bien sûr lié au fait que dans le parc actuel, nous avons une puissance de 60 000 MW électriques et que ce parc du futur qui le remplacera, sera en service pratiquement jusqu'à la fin du XXIe siècle. A cet horizon de temps et vu les conditions économiques, environnementales ainsi que les enjeux d'approvisionnement énergétique, il me semble raisonnable de remplacer une grande partie du parc nucléaire actuel par du nucléaire. Sans préjuger de la part toujours croissante des énergies renouvelables dans notre mix énergétique, nous aurons également besoin de ressources thermiques, de cycles combinés gaz et charbon propre. Mais dans quelles proportions ? Il me semble qu'aujourd'hui personne ne peut prédire ces proportions. Il me semble que l'un des axes raisonnables d'évolution sera justement de garder suffisamment de souplesse face aux aléas sur les prix des combustibles, le coût des investissements et les conditions d'environnement et de marché. Ceci renvoie à la durée de vie du parc électronucléaire actuel d'EDF. Une des caractéristiques essentielles de notre parc est que ces cinquante-huit unités nucléaires, ont pour l'essentiel été mises en service sur une période très brève d'une dizaine d'années, pour faire simple, entre 1980 et 1990. Sur le plan réglementaire, la pratique française est décennale, la prolongation de l'autorisation de fonctionnement de chaque installation est liée au réexamen de sa sûreté tous les dix ans. C'est d'ailleurs à partir de 1997, dans le cadre de leur deuxième visite décennale que les premières tranches du palier 900 ont été autorisées à fonctionner jusqu'à trente ans. C'est dans le cadre des troisièmes visites décennales, donc après 2005, que sera examiné leur fonctionnement jusqu'à quarante ans. C'est donc vers 2015 qu'il sera décidé d'aller ou non au-delà. Ainsi je crois qu'une durée de vie de quarante ans est envisageable et que notre objectif est de rechercher une durée de vie moyenne de notre parc allant au-delà de cet objectif. Nous devons cependant avoir bien présent en tête que cette question de la durée de vie - je le rappellerai tout à fait en fin d'exposé dans les éléments financiers -, implique pour l'exploitant des niveaux d'investissement conduisant à souhaiter une amélioration de la visibilité que nous devons avoir dans cette période. Cette amélioration de visibilité doit être une préoccupation que nous devons partager et sur laquelle il me semble que les uns et les autres nous pouvons progresser. Comment passer en toute sécurité du parc actuel ou parc futur ? Dans l'hypothèse d'une durée de vie de quarante ans, l'arrêt des centrales actuelles commencerait avant 2020 ce qui suggère la création de nouvelles capacités de puissance équivalentes. Et si nous ne disposons pas d'une nouvelle filière nucléaire déjà éprouvée, industriellement testée à cette époque, le risque serait grand d'un passage contraint en tout ou partie vers le gaz ou le charbon. La seule nouvelle filière disponible alors, sera ce que nous appelons la Génération III+ à laquelle appartient l'EPR. Cette étape apparaît ainsi comme une condition essentielle d'une gestion souple et responsable de la durée de vie des centrales actuelles. Ce sera aussi, pour nous, une sécurité puisqu'elle permettra de garantir le maintien et le renouvellement des compétences industrielles et d'ingénierie dont nous avons besoin pour assurer le fonctionnement optimal de nos centrales actuelles dans des conditions parfaites de sûreté. Se pose la question du rythme du passage de relais. Il est évident que sur le plan financier comme sur le plan industriel, nous avons tout intérêt à étaler le plus possible la construction du parc futur. L'idéal serait donc d'étaler sur trente ans, entre 2020 et 2050, la fin de vie des centrales actuelles. S'agissant d'un parc construit pour l'essentiel en une dizaine d'années, cet étalement permettrait également une grande flexibilité et un grand pragmatisme dans la gestion de la durée de vie de chaque centrale. C'est plutôt un point positif puisque nous pourrons sélectionner les unités les plus robustes pour les conduire au-delà de quarante ans, voire de cinquante ans. Nous pourrons aussi mieux moduler nos arbitrages entre nucléaire et autres moyens thermiques ou entre différentes solutions nucléaires. Je pense que le renouvellement commencera par le recours à la Génération III+ vers les années 2020 puis à la Génération IV après 2035, si celle-ci tient bien sûr ses promesses et se révèle opérationnelle. Il est donc important que nous disposions avant 2015 d'un réacteur de Génération III+ déjà éprouvé afin d'en commencer la construction industrielle pour une mise en service vers 2020. Au vu de ce que nous avons vécu avec la mise en place de chacun de nos paliers, nous savons que nous avons intérêt à disposer d'un retour d'expérience de quelques années sur le réacteur tête de série avant le lancement de la série industrielle. Il faudrait donc pouvoir mettre en service un démonstrateur EPR à horizon de 2010. Ceci veut dire que compte tenu d'un temps de construction qui n'est pas inférieur à six ans, il faudrait pouvoir en engager la construction à court terme. En résumé, les conditions idéales d'évolution du parc d'EDF voudraient un étalement de la durée de vie. C'est favorable à une gestion pragmatique et à la mise en place d'une génération de transition de type EPR faisant le relais avec la Génération IV. Quelques questions d'ordre financier Je crois que l'intérêt de cet étalement est aussi un intérêt financier. Quels sont les éléments à court terme ? Chacun se souvient ici, je pense, que le programme nucléaire d'EDF a été financé au prix d'un endettement massif de l'entreprise, qui n'était possible que dans le cadre d'un établissement public jouissant d'un monopole et de la garantie de l'État. Toutes situations qui, aujourd'hui, se présentent sous un jour légèrement différent, il suffit d'ouvrir la presse pour s'en rendre compte. Certains peuvent alors se demander si EDF, devenue entre-temps, à un moment ou à un autre, une société anonyme, trouvera des actionnaires privés pour financer un nouveau programme nucléaire alors que les cycles combinés gaz offrent en sens inverse, des temps de retour beaucoup plus rapides même si ensuite leur exploitation est soumise aux aléas du prix du gaz. Il est vrai qu'une centrale nucléaire demande environ six ans entre la première mise de fonds et les premiers kilowatts/heure livrés au réseau, soit huit à dix ans de temps de retour ce qui, dans la myopie du marché actuel, peut paraître rédhibitoire. Le nucléaire semble donc partir dans la course sur un marché ouvert avec une forme de handicap. Je crois qu'au contraire, il bénéficie d'un avantage dans la durée puisque le nucléaire a, pour lui, d'offrir au contraire des coûts stables, prévisibles, incomparablement bas pendant plusieurs dizaines d'années. A ce titre, il constitue un formidable générateur de cash dans la durée et même de rente. Je vois d'ailleurs que nos collègues allemands ont financé en partie Fessenheim en échanges de capacités de tirage. De même Chooz a été cofinancé par Electrabel. Vous voyez comme moi, tous les jours dans la presse, nos collègues d'ENEL manifester beaucoup d'intérêt pour des droits de tirage. Parfois ils prennent sur les capacités nucléaires en France. Je note aussi que ce sont des papetiers cotés à Wall Street qui engagent le cinquième réacteur finlandais. Nous voyons donc que des investisseurs, dans une économie ouverte, dans une économie de marché, s'intéressent au nucléaire. Leur intérêt est de rechercher des revenus sûrs à long terme. Une des voies envisageables pourrait être d'imaginer des montages financiers qui, en mixant le parc existant et celui en construction, permettraient de dégager pour les investisseurs, des revenus bien avant les dix ans fatidiques de temps de retour. Alors comment envisager le coût d'investissement accessible ? Il est vrai que l'investissement initial est élevé, mais il n'est pas hors de portée, surtout si on lisse le programme de renouvellement comme prévu. A raison de 3 000 à 4 000 MW par an, il faudrait mobiliser environ 5 Md€ chaque année. Pour donner quelques proportions, je dirai que c'est la moitié du cash-flow opérationnel d'EDF, un peu moins de la moitié de nos investissements totaux. En conclusion, Monsieur le Président, je voudrais souligner que nous passons à un cas de figure radicalement différent de celui que nous avons connu dans les années 1970. Au lieu de construire un maximum de tranches dans la durée la plus courte, nous allons au contraire, rechercher à étaler au maximum la période de déclassement et de construction de nouvelles unités, modulant ainsi la gestion de la durée de vie des centrales actuelles. Nous disposerons ainsi de toute la souplesse voulue pour adapter notre parc aux évolutions techniques et économiques en alliant les énergies renouvelables thermiques classiques et nucléaires, y compris en combinant au besoin plusieurs filières nucléaires, comme nous l'avons vu à l'instant. Je crois que nos choix iront bien sûr toujours au souci de servir nos clients dans le respect de nos engagements de service public et de développement durable, et en veillant à préserver au mieux les conditions de vie des générations futures. Il me semble que nous avons là, la définition permanente de ce que sont les priorités d'EDF. M. Claude BIRRAUX - Merci Monsieur le Président ROUSSELY pour cet exposé qui a le mérite de présenter une vision extrêmement claire de l'opérateur historique. Jusqu'à présent, nous n'avions pas eu d'une manière publique et claire, la vision d'EDF pour le futur de ses sources d'approvisionnement énergétiques. Il ne m'appartient pas de juger sur le fond de ce que vous avez présenté, mais je vous remercie de l'avoir fait devant l'Office Parlementaire, c'est-à-dire devant le Parlement, d'avoir présenté la vision stratégique de votre maison. Encore une fois, sans m'exprimer sur le fond, je dirai que je me réjouis que le Président ait une vision stratégique et que cette maison ait une vision stratégique à long terme. Ensuite nous pouvons discuter des modalités, mais il y au moins une base de discussion qui est extrêmement claire. Avant de céder la parole à Christian BATAILLE pour les conclusions de cette journée, je voudrais remercier l'ensemble des participants, les interprètes et la régie. J'ai quelques scrupules à en revenir aux généralités d'ordre parlementaire après l'exposé précis et très remarquable du Président ROUSSELY. Je veux quand même, Mesdames et Messieurs, conclure cette journée de travail. Je ne vous proposerai pas une synthèse des propos qui ont été échangés tout au long de la journée, Claude BIRRAUX et moi-même, nous réservons cette tâche pour le rapport que nous présenterons à l'Office le 13 mai et le lendemain matin à la presse. Je voudrais simplement revenir sur deux points, d'une part le rôle du Parlement sur le sujet qui nous a intéressés aujourd'hui, à savoir La durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteurs, et, d'autre part souligner l'importance décisive de cette question de la durée de vie des centrales et des nouveaux types de réacteurs en apparence - et en apparence seulement - exclusivement technique, mais en réalité aux implications nombreuses et importantes. Premier point de cette rapide conclusion à nos débats : le Parlement joue et jouera dans les prochains mois un rôle fondamental dans la politique énergétique de notre pays. Sur la question nucléaire, l'arrivée du Parlement aux responsabilités date de 1990, il y a treize ans déjà, avec deux rapports de l'Office Parlementaire, celui de Claude BIRRAUX sur la sûreté nucléaire, et le mien sur la gestion des déchets nucléaires. Ce dernier rapport a été très rapidement été suivi par l'adoption à l'unanimité du Parlement de l'époque de la loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs dont j'avais été le rapporteur à l'Assemblée Nationale. Pourquoi rappeler ces deux dates ? Simplement pour signifier qu'à partir du début de la décennie 1990, la France est entrée dans une nouvelle ère de la politique énergétique, une ère où le Parlement - ce n'était pas le cas avant -, assumant de lourdes responsabilités participe non seulement au contrôle de la politique énergétique et a un rôle restreint au niveau de l'élaboration du budget, mais aussi à l'élaboration de la politique énergétique. A partir de la loi de 1991 qui introduit un processus de décision démocratique pour le choix des méthodes de gestion des déchets, le mouvement est lancé. Les questions énergétiques ne font plus l'objet de débats sans vote comme auparavant et comme c'est encore parfois le cas aujourd'hui, mais le Parlement pèse d'un poids nouveau dans la définition législative de la politique énergétique nationale. Nous l'avons fin 1999, début 2000 lorsque les amendements parlementaires ont permis de finaliser la loi du 10 février 2000 sur le développement et la modernisation du service public de l'électricité. Cette année encore, en décembre 2002, l'apport du Parlement a été considérable dans la mise au point de la loi relative au marché énergétique et au service public de l'énergie. De son côté l'Office Parlementaire a continué d'apporter les contributions importantes avec ses rapports sur l'évolution des recherches relatives à la gestion des déchets, le contrôle de la sûreté nucléaire, les coûts de production de l'électricité, les piles à combustibles, les énergies renouvelables. Précisément la loi du 10 février 2000 déjà évoquée sur le développement et la modernisation du service public de l'électricité, votée par la précédente majorité, nous a fixé un rendez-vous que l'alternance politique n'a pas effacé de nos agendas fort heureusement. Ce rendez-vous est celui de l'examen de la loi d'orientation sur les énergies qui fixera le cadre d'ensemble de notre politique pour plusieurs années. C'est à la préparation de ce débat pour son volet électronucléaire que Claude BIRRAUX et moi-même avons consacré nos efforts depuis le début de l'année et d'une manière fort intense. Quelques chiffres vous permettront d'évaluer quantitativement, en volume, le travail de préparation de notre rapport qui se conclut par d'audition publique d'aujourd'hui : 110 heures d'auditions officielles en France ou à l'étranger ; 4 pays que nous avons choisis d'étudier avec de multiples rencontres sur place : en Finlande, en Suède, en Allemagne et aux Etats-Unis ; 183 personnes auditionnées ; de nombreuses heures, vous l'imaginez, de discussions informelles. Ces chiffres n'ont d'autre vertu que celles de souligner que le rapport que nous proposerons dans quelques semaines à l'Office sera fondé sur un travail approfondi. Comme l'a dit Claude BIRRAUX, les paramètres des choix seront à disposition de tous et nous n'entendons en fixer aucun. Enfin si la question des déchets nucléaires est traitée dans notre pays selon un processus démocratique grâce à la loi de 1991, en sera-t-il de même pour notre parc électronucléaire grâce à la loi de 2000 ? Nous osons l'imaginer et nous osons imaginer que le Parlement aura son mot à dire. Le deuxième point de mon propos s'adresse à tous nos concitoyens et tout spécialement aux responsables du secteur nucléaire - exploitants, industriels, organismes de recherche, autorités de sûreté. Je voudrais répéter encore une fois combien la question de la durée de vie des centrales nucléaires et des nouveaux types de réacteurs, est d'une importance déterminante pour un secteur vital pour l'économie de notre pays et ce, quel que soit le point de vue où l'on se place. Conformément à la saisine de l'Office, je resterai bien entendu dans le cadre imparti à notre réflexion, c'est-à-dire le paradigme nucléaire où la situation de notre pays tire 75 à 80 % - les chiffres varient selon les années - de son électricité de ses centrales nucléaires. Pour l'exploitant nucléaire national qu'est EDF et pour le service public de l'électricité auquel nous sommes particulièrement attachés en France, quelle que soit notre appartenance politique, la durée de vie des réacteurs actuellement en service, est une question à plusieurs dizaines de milliard d'euros. Les chiffres des émissions télévisées sont archi battus. L'Office Parlementaire a été le premier en 1999 à mettre cette question sur la place publique. C'est une question qui a un impact financier non seulement sur les comptes d'EDF, mais aussi sur le coût de l'électricité dont nous autres citoyens, disposons. Au-delà de la situation d'EDF et des marchés de l'électricité, exploiter des réacteurs déjà amortis sur le plan économique et financier sur une durée de trente, quarante et cinquante ans, est en vérité loin d'être indifférent pour la compétitivité de l'économie française tout entière. De même la France a bâti une industrie nucléaire qui constitue l'un de ses atouts dans la concurrence mondiale, représente une source d'emplois nationaux et sur l'avenir de laquelle nous devons nous pencher afin qu'elle puisse proposer au pays, le moment venu et le cas échéant, des solutions performantes pour notre approvisionnement en énergie. Rappellerai-je à cet égard que Claude BIRRAUX et moi-même, étions aux Etats-Unis dans une période névralgique, du 9 au 14 mars dernier, et que malgré l'affrontement d'alors entre la France et le monde anglo-saxon au Conseil de Sécurité, nous avons été reçus avec une attention et une cordialité extrême, à la hauteur de la réputation française dans ce secteur. Assurément, la question de la durée de vie des centrales nucléaires, méritait l'examen approfondi que nous lui avons consacré depuis quatre mois et le débat de synthèse qui nous a rassemblés toute cette journée. Je terminerai cette conclusion en évoquant le sujet des réacteurs des années futures, nous leur avons consacré deux tables rondes, l'une sur les réacteurs des années 2010, l'autre sur les réacteurs des années 2030-2040. Le choix d'une technologie de production de l'électricité a toujours été d'une importance critique. Ce n'est absolument pas une tâche facile, nous l'avons bien vu dans notre pays à la fin des années 1960 où il a fallu opérer une révision de nos choix, abandonner la filière UNGG au profit des réacteurs à eau pressurisée. Aujourd'hui, nous avons accumulé une expérience de plusieurs milliers d'années réacteurs avec les réacteurs à eau légère. Il nous faut à l'évidence capitaliser sur cette expérience. La question est de savoir comment et jusqu'à quand. Mais il nous faut aussi lancer avec hardiesse la recherche sur les pistes de l'avenir à trente, quarante ans, au-delà peut-être, afin de mettre au point les réacteurs qui permettront de transmuter les déchets radioactifs produits par notre parc électronucléaire actuel et qui fourniront de nouvelles solutions compétitives pour la production d'électricité et d'hydrogène, un carburant promis sans doute à un grand avenir avec cependant toutes les réserves que nous devons exprimer scientifiquement aujourd'hui. En réalité, la mission qui est la nôtre est tout simplement de ne pas nous tromper d'échéances aujourd'hui et de faire toute la recherche nécessaire pour, demain, ne pas nous tromper de technologie. Mesdames et Messieurs, nos discussions tout au long de la journée, auront sans doute contribué à la formation de notre opinion et à la finalisation de nos recommandations. Claude BIRRAUX et moi-même, vous remercions chaleureusement pour votre précieux concours. Selon la formule consacrée, nous vous donnons rendez-vous le 13 mai pour la présentation de notre rapport. La séance est levée à 17 h 50. ----------- N°0832 - Rapport de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur la durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteurs (MM. Christian Bataille et Claude Birraux) 1 Source : AIEA, 7 avril 2003. 2 au 01/04/03. 3 Pour la Russie, source : service nucléaire, ambassade de France à Moscou. 4 11/04/03. 5 Âge à partir de la mise en service industriel. 6 au 01/04/03. 7 EDF + CEA (Phénix) 8 Commissioner Nils DIAZ, NRC, Rockville, MA, 11 mars 2003. 9 Nuclear Energy Institute, Washington DC, 11 mars 2003. 10 Les inconvénients de l'inconel 600 un acier à haute teneur en nickel, sont apparus dès les années 1980 pour les générateurs de vapeur, les pressuriseurs, les pénétrations de fond de cuve et à partir des années 1990 pour les couvercles de cuve avec la mise en évidence de fuites à Bugey. En définitive, l'inconel 690 a été introduit avec succès en 1985. 11 Pour réaliser ses inspections en service de la zone de coeur de toutes les cuves des paliers 900 et 1300 MW, l'exploitant a utilisé successivement l'outil TPM de première génération de contrôle par ultrasons, puis l'outil VPM de seconde génération. 12 Commissioner Nils DIAZ, audition du 11 mars 2003 à Rockville, MA. 13 Randy K. NANDSTAD, Nuclear Materials Science and Technology Group, Metals and Ceramics Division, et B. Richard BASS, Modeling and Simulation Group, Computational Sciences and Engineering Division, audition du 13 mars 2003, Oak Ridge National Laboratory, TN. 14 MOX : Mixed Oxide Fuel. Le MOX est un mélange d'oxydes d'uranium et de plutonium. Des variantes existent tant pour le ratio uranium 235 fissile / uranium 238 fertile de l'oxyde d'uranium que pour la teneur globale de l'oxyde de plutonium et sa composition isotopique. On considère généralement que le pourcentage maximal admissible de plutonium par rapport à l'uranium est d'environ 12 %. 15 DAC : décret d'autorisation de création. 16 Déformation sous l'action de la pression. 17 Source : DGSNR. 18 Les matériels et logiciels correspondant au contrôle commande représentent un investissement considérable, évalué à 1,71 milliard €, dont 0,92 milliard pour le palier 900 MW, 0,62 milliard pour le palier 1300 MW et 0,17 milliard pour le palier 1450 MW. 19 Suède : commande des barres de contrôle du réacteur BWR de Forsmark 3 (1998). République tchèque : systèmes de protection, limitation et contrôle des 4 réacteurs VVER (2000). Hongrie : systèmes de protection, limitation et contrôle des deux réacteurs VVER de Paks (1998). Slovaquie : systèmes de protection, limitation et contrôle des 2 premiers VVER de Bohunice (1999). Etats-Unis : système de traitement d'eau du condenseur du réacteur REP de Callaway (2001) ; rénovation complète du contrôle-commande des deux réacteurs REP de Commanche Peak (2001) ; système de protection des trois réacteurs REP d'Oconee (2001). 20 Le coût d'un couvercle de cuve d'un réacteur 1300 MWe s'élève à 2,2 millions euros et le coût de l'intervention à 2,7 millions euros. 21 1990 : Dampierre 1. 1993 : Bugey 5. 1994 : Gravelines 1. 1995 : Saint Laurent B1, Dampierre 3. 1996 : Gravelines 2. 1997 : Tricastin 2. 1998 : Tricastin 1. 2000 : Gravelines 4. Tricastin 3. 2002 : Fessenheim 1. 22 Framatome ANP possède une part de marché très importante du remplacement des couvercles de cuve aux Etats-Unis. L'impact financier de l'immobilisation d'une tranche concernée est tel pour l'exploitant que des pénalités de 2 millions $ par jour de retard sont appliquées au constructeur pour le remplacement, avec une prime d'1 million $ par jour d'avance. 23 Début mars 2003, le chiffre d'affaires réalisé par Framatome ANP Inc. en 2002 pour les couvercles de cuve s'est élevé à 17,5 millions $. 24 Audition du 22 janvier 2003. 25 Audition du 14 janvier 2003. 26 Elecnuc, les centrales nucléaires dans le monde, édition 2002, CEA. 27 L'ordre de grandeur de l'investissement dans le parc électronucléaire d'EDF est estimé à environ 70 milliards €. 28 Audition du 10 février 2003, Helsinki. 29 L'aval du cycle nucléaire, tome II : les coûts de production de l'électricité, Christian BATAILLE et Robert GALLEY, Députés, Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, Assemblée nationale n° 1359, Sénat n° 195, Paris, février 1999. 30 Note aux Rapporteurs, Philippe GIRARD, Membre du Comité de pilotage, 15 janvier 2003. 31 Au-delà de la durée d'amortissement une baisse de la taxe professionnelle et de la provision pour démantèlement peut également intervenir. 32 La part du coût du combustible dans le MWh produit par une centrale thermique au charbon est d'environ 45 %. 33 Audition de Dr. Laaksonen, Directeur général de STUK, Helsinki, 11 février 2003. 34 Au début 2003, les États dérégulés étaient les suivants : à l'Est : Maine, Vermont, New Hampshire, Massachusetts, Rhode Island, Connecticut, New Jersey, Delaware, Maryland, District of Columbia, Pennsylvanie, West Virginia, Virginia ; au Centre : Ohio, Michigan, Illinois ; au Sud : Arkansas, Texas, Oklahoma, New Mexico, Arizona ; à l'Ouest : Montana, Oregon. Les législations de réglementation ont été annulées en Californie et au Nevada. 35 Les seuls coûts pris en considération sont les coûts du combustible. Les frais de personnel font partie des coûts fixes. 36 Les prix spots ne reflètent pas tout le marché mais seulement les transactions effectuées la veille pour le lendemain. 37 Le facteur de charge est un ratio dont le numérateur est égal à la production effective envoyée sur le réseau et le dénominateur égale le produit de la puissance maximale du réacteur multiplié par 365 jours et par 24 heures. 38 Angelina S. HOWARD, Executive Vice President, Nuclear Energy Institute, audition du 11 mars 2003, Washington DC. 39 André-Claude LACOSTE, Directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, audition du 14 janvier 2003. 40 Le Groupe Permanent Réacteurs est l'un des quatre groupes d'experts placés auprès de la DGSNR pour étudier les problèmes techniques posés en matière de sûreté par la création, la mise en service, le fonctionnement et l'arrêt des installations nucléaires et de leurs annexes. 41 La Suède compte 12 réacteurs, dont 9 réacteurs à eau bouillante de conception et fabrication suédoises, et 3 réacteurs PWR d'origine Westinghouse. Pour le moment, malgré la décision prise en 1980 par référendum d'abandonner le nucléaire, 11 de ces réacteurs sont encore en service. 42 Claude BIRRAUX, audition du 12 février 2003. 43 Regulatory Aspects of Life Extension and Upgrading of NPPs, CNRA Special Issue's Meeting 2000 Report, AEN-OCDE, janvier 2001. 44 Le réacteur de Loviisa-1 est autorisé jusqu'en 2007, et celui de Loviisa-2 jusqu'en 2010, dates auxquelles les durées de fonctionnement auront atteint 31 ans. Les deux réacteurs d'Olkiluoto opèrent actuellement dans le cadre d'une autorisation de 20 ans, qui expirera en 2018, au terme d'une période de 40 ans et 4 mois d'exploitation. 45 Comprehensive Periodic Safety Review. 46 Audition de M. Christer Viktorsson, Chef du département Sécurité des réacteurs, SKI, Stockholm, 12 février 2003. 47 Au 1er janvier 2003, les commissions du RSK étaient les suivantes : ingénierie des centrales et systèmes nucléaires (groupes de travail : tenue aux chutes d'avion, tenue aux séismes); appareils à pression ; installations électriques ; conduite des réacteurs (groupe de travail sur les hauts taux de combustion) ; enjeux fondamentaux du nucléaire ; gestion des déchets. 48 Audition du Dr. Gerald HENNEHÖFER, membre du directoire d'E.ON Énergie, Berlin, 13 février 2003. 49 Audition du Dr. Klaus PETERSEN, Vice-President Nuclear Power Plants of RWE Power AG, Berlin, 13 février 2003. 50 « License renewal ». 51 Audition des Commissioners Nils DIAZ et Edward McGAFFIGAN, Jr, US Nuclear Regulatory Commission, Rockville, MA, 11 mars 2003. 52 Western European Nuclear Regulators' Association. 53 Commissioner Edward McGAFFIGAN, Jr, US Nuclear Regulatory Commission, Rockville, MA, 11 mars 2003. 54 Audition de M. Aybars GÜRPINAR, chef de la section Sûreté de conception et de M. Pierre LABBE, Chef de l'unité ingénierie, responsable du programme sur la prolongation de la durée de vie, AIEA, 30 janvier 2003. 55 La recommandation de l'AIEA est la suivante : « the first PSR should be undertaken about ten years after the start of operation and subsequent PSRs every ten years until the end of operation ». 56 Audition de M. Thierry DUJARDIN, Directeur adjoint Science et Développement et M. Eric MATHET, Administrateur, division de la sûreté nucléaire, AEN-OCDE, 30 janvier 2003. 57 Le réacteur de Barsebäck-1 a été arrêté en novembre 1999. 58 Audition de représentants du BMU et de la GRS, Cologne, 25 mars 2003. 59 Audition de MM. QUENIART, NIEL, JOREL, ROY et VOUILLOUX, IRSN, 19 mars 2003. 60 Jean-Christophe NIEL, IRSN, audition publique, 3 avril 2003. 61 AECL - Canada 62 IRSN (0,4), Communauté Européenne (0,1) 63 AECL - Canada 64 Source : Rapport annuel du CEA pour 2001. 65 Ainsi, l'ensemble des outils développés en France pour l'inspection, la réparation et le remplacement des générateurs de vapeur sont-ils utilisés en Allemagne et aux Etats-Unis, de même que les robots d'inspection des couvercles de cuve. Inversement, la filiale américaine a fourni des sondes de contrôle des tubes de GV et la filiale américaine des robots pour les tuyauteries de petit diamètre. 66 Le recuit est réputé rajeunir le métal de 4 à 5 ans. Mais certaines expériences montrent que la fragilisation peut reprendre et s'accélérer rapidement après le recuit. Pour EDF, il ne s'agit donc pas là d'une option de référence pour garantir une durée de vie à 40 ou 60 ans. Si la température de transition fragile-ductile atteignait 150 ou 200 °C, la question du recuit pourrait se poser mais d'autres méthodes sont plus efficaces, pour le moment, pour prévenir une telle évolution. 67 Les endommagements des générateurs de vapeur peuvent revêtir des formes très diverses et provenir de causes multiples : corrosion interne, corrosion externe, vibrations, usure. Des travaux considérables ont permis de progresser sur la compréhension du phénomène de corrosion sous contrainte côté primaire de l'alliage Inconel 600 et sur sa maîtrise. Il reste des études importantes à mener sur la corrosion côté secondaire, la chimie locale étant difficile à maîtriser et les débits de fuite à travers des défauts traversants étant difficiles à comprendre et à prévoir. 68 De même, si l'on obtient le résultat d'un probabilité de rupture de cuve de 10-8 par an avec une température de transition RTNDT de 100 °C, la R&D doit s'interroger sur l'intervalle de confiance d'un tel résultat, en évaluant la part du hasard ou l'importance d'éventuels biais dans l'expérience et l'analyse. 69 « Tailor made systems for Finland » selon l'expression d'un représentant de Fortum. 70 Le réacteur de Loviisa-2 a enregistré un facteur de capacité de 82,2 % en raison d'un arrêt prolongé pour une revue programmée de sûreté approfondie. 71 Le réacteur d'Olkiluoto 1 a été autorisé en 1979 et celui d'Olkiluoto 2 en 1981. 72 Teollisuuden Voima Oy. 73 Capacity Factor. 74 Au terme du programme 1994-1998 de modernisation, la probabilité d'endommagement du coeur a été réduite d'un facteur 5 et la puissance de chaque réacteur est passée de 710 à 840 MWe. Les principales opérations à venir correspondent à la modernisation de l'îlot de la turbine sur la période 2003-2006 et à celle du contrôle commande en 2013-2014. 75 Audition de M. Tom CHRISTOPHER, President & CEO, Framatome ANP Inc., Lynchburg VA, 12 mars 2003. 76 Cet investissement d'environ 200 $/kW est à comparer au coût de construction d'un cycle combiné à gaz (500 $/kW) et à celui d'un réacteur nucléaire neuf (1500-1800 $/kW). 77 Une visite décennale dure environ 2 fois plus longtemps qu'une visite partielle. En effet, au cours de ces visites, des tests spécifiques effectués tous les dix ans sont en effet obligatoires, comme l'épreuve hydraulique des circuits primaires et secondaires principaux et le test d'étanchéité de l'enceinte de confinement. 78 Selon les résultats d'une analyse comparative effectuée en 2001 sur environ 40 arrêts de tranche de centrales françaises et environ 30 arrêts de tranches de centrales américaines parmi les plus performantes. 79 Les arrêts à simple rechargement et les visites partielles ont lieu en alternance. 80 Les nombres de salariés impliqués dans les tâches de maintenance est estimé à 10 000 - 10 500 et le nombre de ceux impliqués dans les travaux de modification est de 2 000 à 2 500. 81 Le taux de combustion maximal autorisé du combustible UO2 est de 52 GWj/t. Le mode de gestion actuel du MOX limite dans les faits son taux de combustion à 42 GWj/t. 82 Audition de M. RASTAS, Directeur de la centrale d'Olkiluoto, Helsinki, 11 février 2003. 83 Coefficient d'utilisation Ku : ratio dont le numérateur est égal à la durée réelle de production pendant une période donnée et le dénominateur à la durée totale de la période considérée où le réacteur est disponible. Ku est donc égal au rapport Kp/Kd. 84 SKI assume la charge financière de deux chaires professorales sur le nucléaire, à KTH, l'école polytechnique royale de Stockholm et à l'université de Stockholm. 85 KTH étudie également la possibilité de créer un Master international d'ingénierie nucléaire. 86 Claude PICHOT, Président de l'AFIM (association nationale des ingénieurs de maintenance), audition du 2 avril 2003. 87 Georges SERVIERE, EDF, audition du 14 janvier 2003. 88 Claude PICHOT, op. cit. 89 Georges SERVIERE, EDF, op. cit. 90 Une étude réalisée par l'AFIM en 1999 sur les départements de Gironde et des Landes montre une fluctuation considérable des travaux de maintenance au cours d'une même année. 91 Mathilde BOURRIER, audition du 14 janvier 2003. 92 EDF Énergie, Audition du 22 janvier 2003. 93 M. Joël PIJSELMANN, Directeur général délégué, Framatome ANP, audition du 2 avril 2003. 94 Audition des représentants d'EDF, 19 décembre 2002. 95 La capacité installée nette s'élève à 63 GW en 2002. 96 Le scénario de 60 GW correspond à une perpétuation des exportations d'électricité. Mais, selon EDF, l'interconnexion des réseaux nationaux restera relativement limitée à l'avenir dans l'Union européenne, l'électricité devant être produite et consommée dans un cercle relativement restreint. En conséquence, l'exportation qui représente aujourd'hui 15 % de la production française peut difficilement aller beaucoup au-delà. 97 Réciproquement, on peut se demander pourquoi un scénario à 80 GW mettant l'accent sur l'exportation n'a pas été étudié. 98 Les parts des différents gaz à effet de serre, calculées en millions de tonnes équivalent CO2, c'est-à-dire en tenant compte de pouvoirs radiatifs différents, étaient les suivantes en 2001 : CO2 : 69 % ; N2O : 16 % ; CH4 : 13 % ; HFC : 1,7 % ; SF6 : 0,4 % ; PFC : 0,3 %. 99 Autre constat important des scénarios étudiés par EDF, si l'on voulait parvenir à une puissance nucléaire installée de 60 GW en 2050, il serait nécessaire de pousser la durée de vie du parc existant à 60-63 ans. 100 Notamment Jean-Paul SCHAPIRA, Comité de pilotage, audition du 20 mars 2003. 101 Le contrôle de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires : le fonctionnement des autorités chargées du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection - Les réacteurs nucléaires du futur, par Claude BIRRAUX, Député, Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, Assemblée nationale n° 2417, Sénat n°155 (1991-1992), décembre 1991. 102 « Passive devices do not give STUK more headache than active devices ». Dr LAAKSONEN, Directeur général de STUK, audition du 11 février 2003, Helsinki. 103 Vincent MAUREL, Président de Framatome ANP, audition du 29 janvier 2003. 104 Audition du 11 février 2003, Helsinki. 105 Contrôle de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires : 1ère Partie : le projet de réacteur nucléaire franco-allemand, par M. Claude BIRRAUX, Député, Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, Assemblée nationale n° 971, Sénat n° 484, Paris, juin 1998. 106 Audition de la DGSNR, 14 janvier 2003. 107 Bernard DUPRAZ, Directeur délégué de la Branche Energie d'EDF, audition du 19 décembre 2002. 108 Bernard DUPRAZ, op.cit. 109 NPI : Nuclear Power International, entreprise commune créée en avril 1989 par Framatome et Siemens. 110 De même, les règles techniques prises ultérieurement, par exemple les circuits primaires et secondaires, représentent un acquis auquel il sera possible de se référer, lorsque les examens en cours par le Groupe Permanent Réacteurs seront achevés. Un travail d'examen était en cours au début 2003 sur l'intérêt et la possibilité de transposer certaines améliorations de sûreté prévues sur l'EPR aux réacteurs existants. 111 Kd ensemble des REP en 2001 : 81,1%. Kd ensemble des REP depuis MSI : 78,1 %. Source : Elecnuc - les centrales nucléaires dans le monde, CEA, édition 2002. 112 Les auxiliaires de sauvegarde placés dans les bâtiments du même nom (BA) permettent de maintenir en toutes circonstances le refroidissement du cœur. Les auxiliaires comprennent notamment l'alimentation de secours des générateurs de vapeur (ASG), le circuit d'injection de sécurité d'eau fortement dosée en acide borique dans le circuit primaire (RIS), le circuit d'aspersion de sécurité de l'enceinte (EAS). 113 Auditions des 29 janvier et 27 mars 2003. 114 Audition du 27 mars 2003. 115 La durée de réalisation de l'EPR était de 66 mois à compter du premier béton, dans la version précédente. Les études faites par Framatome ANP, constructeur de la chaudière, mais aussi par EDF, montrent aujourd'hui qu'il est possible de réaliser la construction en moins de 57 mois. 116 Les hypothèses retenues pour établir cette comparaison sont, d'une manière générale, défavorables à l'EPR et favorables au cycle combiné à gaz. Le prix du gaz est pris égal à 3,3 US$/MBTu, soit la valeur centrale des études du Plan ; par comparaison, les études faites aux Etats-Unis prennent généralement comme hypothèse un prix de 5 US$/MBTu. Le taux d'actualisation adopté est de 8 %, ce qui est nettement défavorable au nucléaire ; la Finlande a adopté un taux d'actualisation de 5 % pour les études qui ont conduit à la décision de construire un 5ème réacteur. La parité euro-dollar adoptée est de 1 US$ = 1 euro. La référence pour le cycle combiné à gaz est celle de la meilleure centrale disponible sur le marché, soit un cycle combiné d'un rendement de 58,5 %. Le facteur de charge pour l'EPR est au contraire pris égal à 90,5 %, un niveau qui sera probablement dépassé dans la pratique. 117 Par ailleurs, le coût de démantèlement de la centrale nucléaire, de l'ordre de 15 % de l'investissement, est intégré au coût du MWh nucléaire, alors qu'il ne l'est pas pour une centrale à gaz. 118 Les hypothèses sont alors les suivantes : les calculs sont effectués en € de 2001 actualisés à 9 %. Les résultats indiqués sont ceux de la tranche moyenne de l'ensemble constitué d'un démonstrateur-tête de série et de 9 tranches (mer/rivière), soit un total de 10 tranches. La disponibilité nette est de 91 % avec des cycles de 18 mois. La durée de construction est de 67 mois pour le démonstrateur-tête de série et de 57 mois pour une tranche moyenne. La puissance nette moyenne des tranches est de 1590 MWe. 119 Les frais de développement du démonstrateur correspondent à 3,5 millions d'heures d'étude des installations, à 1,5 million d'heures d'ingénierie de maîtrise d'œuvre et aux dépenses de développement d'outillage et d'essais de validation. 120 Il s'agit d'un coût économique de production en économie publique. 121 Les différents scénarios de prix du gaz sont les suivants : scénario bas : 2,4 $/MBtu ; scénario médian : 3,3 $/MBtu ; scénario haut : 3,6 $/MBtu. 122 Au sein du conglomérat américain General Electric, c'est sa filiale Electric Power Systems qui a la responsabilité de l'énergie nucléaire par l'intermédiaire de la division nucléaire intitulée GE Nuclear Energy. 123 Anne LAUVERGEON, Président du directoire du Groupe AREVA, présentation à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, mars 2003. 124 Audition de Stephen R. TRITCH, President and Chief Executive Officer, Westinghouse Electric Company, Washington, 11 février 2003. 125 En septembre 2002, suite au scandale TEPCO, la Préfecture de Fukui a annulé le permis de construire des deux APWR délivrés à JAPC (Japan Atomic Power Co) pour sa centrale de Tsuruga. 126 Audition du 11 mars 2003, Washington DC. 127 La dénomination anglo-saxonne des réacteurs RBMK est LWGR (« Light-water-Cooled Graphite-moderated Reactor »). 128 La Russie est notamment déjà impliquée dans la construction d'un réacteur en Iran, projet qui préoccupe fortement les Etats-Unis en raison des risques de prolifération. 129 En novembre 2002, la Chine comptait 5 réacteurs opérationnels (puissance installée : 3715 MWe) et 6 réacteurs en construction (puissance correspondante : 4878 MWe). 130 En novembre 2002, l'Inde comptait 14 réacteurs opérationnels (puissance installée : 2503 MWe) et 8 réacteurs en construction (puissance correspondante : 2693 MWe). L'Inde compte ainsi un grand nombre de réacteurs d'étude et construit désormais des réacteurs électrogènes. 131 En août 2002, le ministère de l'économie, du commerce et de l'industrie (METI) du Japon a révélé qu'une enquête était ouverte sur la dissimulation par TEPCO de 29 rapports d'inspections relatives à 13 de ses réacteurs BWR, les deux ABWR n'étant pas en cause. En septembre 2002, TEPCO a toutefois fait part à l'autorité de sûreté japonaise de la mise en évidence d'un problème de corrosion sur un composant fixe de l'ABWR de Kashiwazaki-Kariwa 6. 132 Il reste que le coût du combustible des réacteurs à eau bouillante est supérieur à celui des réacteurs à eau pressurisée. 133 Le secteur nucléaire russe, note d'information du service nucléaire de l'ambassade de France à Moscou, janvier 2003. 134 En particulier par Bernard ESTEVE, Directeur général délégué, Framatome ANP, audition publique du 3 avril 2003. 135 La hauteur du bâtiment réacteur de l'AP 1000 est de 83 m, pour un diamètre de 45 m. Le bâtiment réacteur de l'EPR a une hauteur de 60 m et un diamètre de 47 m. 136 L'ABWR de General Electric a été certifié par la NRC le 2 mai 1997, le CE 80+ de Westinghouse le 9 mai 1997 et l'AP 600 le 16 décembre 1999. Quant à l'AP 1000, il devrait être certifié en 2005. 137 comptés à partir du Basic Design. 138 Audition du 20 mars 2003. 139 Joël PIJSELMAN, Directeur général délégué, Framatome ANP, audition du 2 avril 2003. 140 EHY : épreuve hydraulique du circuit sous pression. VC : visite complète. Pour la signification complète de ces données, voir le tableau du parc électronucléaire d'EDF au chapitre I. 141 Convention prise ici : date VD1 = date de l'épreuve hydraulique n° 2. 142 Convention prise ici : date VD2 = date de l'épreuve hydraulique n° 3. 143 Alain SCHMITT, Directeur général adjoint, DGSNR, audition de la DGEMP, 20 mars 2003. 144 Cette quantité de 33 millions de tonnes équivalent CO2 équivaut aux émissions d'un parc de cycles combinés à gaz produisant 87 TWh par an, soit 19 % de la consommation interne d'électricité de 2002. 145 À 4 % près, d'après les chiffres de l'Observatoire de l'énergie-DGEMP. 146 Ceci va donc conduire à fermer progressivement les centrales à charbon fonctionnant en pointe les plus anciennes Dans ses prévisions de consommation d'électricité, RTE (Réseau de Transport de l'Électricité) fait l'hypothèse d'une fermeture d'ici à 2006 d'un 1/3 du parc des centrales thermiques à charbon de moins de 250 MW, entre 2008 et 2010 d'un autre tiers et entre 2010 et 2015 du dernier tiers. Dans ce même exercice de prévision, le parc des centrales thermiques à charbon de plus de 250 MW est conservé en l'état. 147 Cycle combiné à gaz équipé de deux turbines à gaz de 170 MW chacune et d'une turbine à vapeur de 185 MW, équipé des meilleurs dispositifs de réduction d'émissions : brûleur NOx, réduction catalytique des NOx, oxydation catalytique des composés organiques volatils. Cycle combiné fonctionnant 8760 heures par an à 520 MW avec du gaz naturel. 148 Les émissions de gaz à effet de serre dans l'industrie de l'énergie ont été en 2000 dues aux activités suivantes : production d'électricité (61 %), raffinage (21 %), fuites de combustibles (12 %). 149 Les émissions de gaz à effet de serre dans l'agriculture-sylviculture ont été dues en 2000 aux causes suivantes : consommation d'énergie (9 %) ; sols agricoles (48 %) ; fermentation entérique (27 %), déjections animales (16 %). 150 Les émissions de gaz à effet de serre dans le traitement des déchets ont été dues en 2000 aux causes suivantes : mise en décharge (71 %) ; incinération (14 %) ; eaux usées (15 %). 151 Cité par Tom CHRISTOPHER, President & CEO, Framatome ANP, Lynchburg, VA, 12 mars 2003. 152 En 2001, l'Amérique du Nord a produit 30,9 %, les pays de l'ex URSS 27,5 %, l'Europe 11,9 %, l'Asie Pacifique 11,4 %, le Moyen Orient 9,3 %, l'Afrique 5,0 % et l'Amérique latine 4,1 %. Les réserves prouvées de gaz naturel se trouvent pour les trois quarts en Russie et au Moyen-Orient. 153 En 2002, les importations françaises de gaz naturel provenaient de Norvège (28 %), de Russie (24 %), d'Algérie (24 %), des Pays-Bas (12 %) et d'autres pays (12 %). 154 Le prix du gaz domestique a subi les hausses suivantes en France : + 6,5 % mai 2000, + 13 % en novembre 2000, + 9,5 % en mai 2001. En mai 2002, le prix du gaz a certes baissé de 4,5 %. Mais la hausse a ensuite repris : + 3 % en novembre 2002. Fin avril 2003, GDF demandait au Gouvernement l'autorisation d'augmenter de + 4 % le prix du gaz domestique. 155 Pour le nucléaire, les coûts en capital ou coûts d'investissements représentent en moyenne 70 % du coût de production total. Les coûts d'exploitation et de maintenance sont pratiquement stables depuis quelques années de sorte qu'on peut les assimiler à des coûts fixes. Les coûts du combustible sont également stables pour le nucléaire, tandis qu'ils sont volatils et orientés à la hausse pour le gaz. 156 Dans le cadre d'une analyse de coûts d'entreprise. 157 Bernard SALHA, EDF, audition du 27 mars 2003. 158 Les principales hypothèses sont les suivantes : taux d'actualisation : 8 %. Coût des émissions de CO2 : 20 dollars / tonne CO2. Série de 10 réacteurs, démonstrateur-tête de série compris. 159 Analyse faite dans un cadre d'économie publique. 160 Audition du 20 mars 2003. 161 Selon le coût du combustible et la technologie utilisée, le coût de production varie de 32 à 38 € / MWh. 162 Selon le coût du gaz naturel, le coût de production varie entre 30 et 44 € / MWh. 163 Le coût du MWh en renouvellement avec l'un des réacteurs du parc actuel serait de 28 à 34 € / MWh. Le coût de production du MWh avec le parc actuel est de 25 à 26 € / MWh, soit un niveau inférieur qui s'explique par l'amortissement partiel de ce parc. 164 Stéphane GRIT, chargé de la sous direction nucléaire, DIREM (Direction des ressources énergétiques et minérales), DGEMP, ministère de l'industrie, audition du 20 mars 2003. 165 Bernard SALHA, EDF, audition du 27 mars 2003. 166 DGEMP, audition du 20 mars 2003. 167 Georges SERVIERE, EDF, audition du 14 janvier 2003. 168 On peut noter à cet égard qu'en 2002, deux nouveaux réacteurs ont été mis en service commercial en Chine et deux autres en Corée du Sud. Par ailleurs, au cours de la même année 2002, 6 nouveaux réacteurs ont été mis en chantier en 2002 en Inde. 169 Début 2003, l'actionnariat de TVO était public à hauteur de 43,1 % et privé à hauteur de 56,9 %. Actionnaires publics : Fortum (énergie) 26,6 % ; Oy Mankala AB (hydroélectricité) : 8,5 % ; Etela Pohjanmaan Voima Oy (distributeur d'électricité) : 6,5 % ; Kemira (chimie) : 1,9 %. Actionnaires privés : PVO (énergie) 56,8 % ; Graninge Energia Oy (énergie) : 0,1 %. 170 Audition de M. Jorma AURELA, Senior Advisor, Ministère du Commerce et de l'Industrie, Helsinki, 10 février 2003, op.cit. 171 Pour établir son cahier des charges, TVO s'est appuyée d'une part sur les spécifications définies par les compagnies d'électricité européennes, dans le document intitulé EUR (European Utilities Requirements) et, d'autre part, sur le document préparé en 1992 en vue d'un appel d'offres par la société PVO, actionnaire majoritaire de TVO. 172 Parmi la multiplicité de spécifications, on peut retenir par exemple une durée de vie de 60 ans pour les composants difficiles à remplacer, une résistance de l'enceinte au crash d'avions de ligne, aux missiles et aux explosions, le refroidissement par l'eau de mer, de larges plages de température pour l'eau de refroidissement et l'air ambiant, un fonctionnement en base avec la possibilité de fonctionner en suivi de charge, un laps de temps de 30 minutes avant toute intervention humaine en cas d'accident et une durée d'utilisation des combustibles pouvant être portée à 2 ans. 173 La vente en gros d'électricité se fait directement par contrats passés par les consommateurs avec les producteurs ou les négociants, généralement des contrats à long terme de 5 à 7 ans. Les gros consommateurs peuvent également s'approvisionner sur le marché du Nord Pool, dans le cadre du marché spot (engagements d'achat et de vente de deux heures à un jour à l'avance) ou dans celui du marché à terme (contrats d'une semaine à trois ans avec imputation des différences entre le prix spot et le prix à terme). La vente au détail, qui se fait par l'intermédiaire de compagnies d'électricité intégrées avec des structures de distribution, concerne environ 5,2 millions de foyers abonnés. 174 Nord Pool : the Nordic Power Exchange. 175 La production annuelle d'un 5ème réacteur finlandais est estimée, par Vattenfall, à 10 TWh par an, ce qui en supposant sa durée de fonctionnement égale à 8 300 heures, sur la base d'un coefficient de disponibilité de 94 %, fixe sa puissance à 1200 MW. 176 En Finlande, la contribution du nucléaire étant mise à part, le développement de la cogénération, déjà très développée en Finlande pour l'industrie et les réseaux de chaleur, fournirait l'apport principal, suivie des centrales à charbon. 177 Pour satisfaire ses besoins croissants en électricité, le Danemark compterait d'une part sur le charbon, avec des centrales thermiques rénovées, et d'autre part sur les importations. 178 C'est la Norvège qui fournirait la production additionnelle la plus importante, grâce au gaz. Sur le réseau interconnecté de l'Europe du Nord, l'électricité devrait ainsi être produite à proximité des gisements de gaz, puis exportée vers les pays déficitaires. 179 Audition du Dr. HENNENHÖFER, membre du directoire d'E.ON Énergie, Berlin, 13 février 2003. 180 Extrait en quasi-totalité dans les Lander de l'Est, le lignite est encore appelé à jouer un grand rôle dans la production d'électricité dans la mesure où son exploitation assure une activité économique dans ces régions. Au reste, il s'agit là d'un combustible dont l'utilisation a un sens économique, même si son extraction pose des problèmes environnementaux et si sa combustion s'accompagne non seulement d'émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de polluants divers malgré l'amélioration récente des techniques de combustion et de filtration. En revanche, l'exploitation du charbon de la Ruhr ne se justifie plus que socialement. Nécessitant des subventions annuelles de 5 milliards €, les mines de charbon doivent être restructurées, mais le terme de leur activité est inconnu. 181 Le prix du gaz pourrait augmenter fortement si tous les producteurs d'électricité privilégiaient cette solution. La lutte contre le changement climatique pourrait imposer de taxer les émissions de gaz à effet de serre, ce qui réduirait l'intérêt du gaz. Enfin, l'instabilité politique de nombreux pays fournisseurs fait peser des menaces sur l'approvisionnement. 182 Dr. Klaus PETERSEN, Senior Vice President Nuclear Power Plants, RWE Power AG, audition du 13 février 2003, Berlin. 183 Organe indépendant du DOE, l'EIA (Energy Information Administration) a pour mission de collecter des statistiques sur l'énergie aux Etats-Unis et dans le monde, et de produire des analyses sur les évolutions futures. Financée par le DOE, l'EIA peut toutefois réaliser des travaux pour le Congrès sans avoir à y être autorisée par la Maison Blanche. L'un de ses exercices les plus importants est constitué par ses prévisions à 20-25 ans. 184 Audition de M. Guy F. CARUSO, Administrator et de M. Scott SITZER, Director Coal, Electric Power Division, EIA, Washington DC, 10 mars 2003. 185 Si Westinghouse a retiré son concept de réacteur AP 600, c'est parce que son coût d'investissement était encore plus élevé que ce niveau. 186 Ultérieurement, l'arrivée en fin de vie d'un nombre important de centrales nucléaires et des tensions sur les prix du gaz conduiraient à la construction de nouveaux réacteurs. 187 Catherine GAUJACQ, Présidente, EDF International North America, audition du 10 mars 2003, Washington DC. 188 Marvin S. FERTEL, Senior Vice President, Nuclear Energy Institute, audition du 11 mars 2003, Washington DC. 189 Anne LAUVERGEON, Présidente du directoire du Groupe AREVA, op.cit. 190 Vincent MAUREL, Président, Framatome ANP, audition du 29 janvier 2003. 191 Audition du 25 mars 2003 par l'Office parlementaire. 192 Audition de M. Tom CHRISTOPHER, Framatome ANP Inc., Lynchburg, VA, 12 mars 2003. 193 Audition de M. Tom CHRISTOPHER, op. cit. 194 Dr Herman GRUNDER, Director, Argonne National Laboratory, Argonne, IL, 14 mars 2003. 195 L'aval du cycle nucléaire, tome II : les coûts de production de l'électricité, rapport de M. Christian BATAILLE et de M. Robert GALLEY, Députés, Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, Assemblée nationale n° 1359, Sénat n° 195, Paris, février 1999. 196 L'état actuel et les perspectives techniques des énergies renouvelables, rapport de MM. Claude BIRRAUX et Jean-Yves LE DEAUT, Députés, Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, Assemblée nationale n° 3415, Sénat n° 94, Paris, novembre 2001. 197 Objectif du Protocole de Kyoto pour les pays de l'Annexe I : -5 % en 2008-2012 par rapport à 1990 avec la déclinaison suivante : Japon : - 6% ; Union européenne : - 8 %. France et Finlande : 0. Suède : +4 %. Allemagne : -21 %. Royaume Uni : - 12,5 %. 198 Audition de M. Bill MAGWOOD, Department of Energy, Director of Office of Nuclear Energy, Science and Technology, 10 mars 2003, Washington. 199 Dominion, Entergy et Exelon; les permis ont été obtenus pour des sites situés sur des centrales déjà en service. 200 Auparavant, élément de complication, une licence devait être accordée en premier lieu pour la construction et ensuite pour l'exploitation. 201 Les réacteurs concernés sont donc l'AP 1000 de Westinghouse, l'ABWR de General Electric, l'EPR et le SWR 1000 de Framatome ANP et le Candu 700 d'AECL. 202 « Intellectual and industrial infrastructure won't last to 2020 if no Generation III reactor is built ». 203 Audition de M. Pete LYONS, Professional Staff Member, United State Senate, Committee on Energy and Natural Resources, 10 mars 2003, Washington. 204 « First-of-a-kind Costs». 205 Début mars 2003, l'équipe du Sénateur DOMENECI relevait que le projet de loi énergétique de 2003 avait soulevé de nombreuses critiques en raison de l'accent mis sur l'offre. En conséquence, les prêts ont été prévus remboursables, afin de ne pas rencontrer de critiques. 206 P. GIRARD, EDF Trading, membre du Comité de pilotage, note aux Rapporteurs, 15 janvier 2003. 207 PWR : réacteurs à eau pressurise de conception occidentale. VVER : réacteurs à eau pressurisée de conception russe. BWR : réacteurs à eau bouillante. Autres réacteurs : AGR (Advanced Gas Reactor), MGUNGG (Magnox Uranium Naturel Gas Graphite), UNGG (Uranium Naturel Gas Graphite), PHWR (Pressurized Heavy Water Reactor), Rapide-FBR (Fast Breeder Reactor), RBMK (Reaktor Bolchoi Mochtchnosti Kanalni), GLWR (Graphite Light Water Reactor, ATR (Advanced Thermal Reactor). 208 Le contrôle de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires : la réforme de la maintenance à EDF, la protection radiologique des travailleurs extérieurs du nucléaire, le projet de réacteur hybride du Pr. Carlo RUBBIA, par M. Claude BIRRAUX, Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, Assemblée nationale n° 3491, Sénat n° 300, avril 1997. 209 Les noms et les sigles américains sont les suivants : SWCR (Supercritical Water Cooled Reactor), VHTR (Very High Temperature Reactor), GFR (Gas cooled Fast Reactor), SFR (Sodium Cooled Fast Reactor), LFR (Lead cooled Fast Reactor), MSR (Molten Salt Reactor). 210 Stéphane GRIT, DGEMP, audition du 20 mars 2003. 211 Après l'abandon de Superphénix en 1998, quatre réacteurs à neutrons rapides étaient opérationnels à la fin 2002 : le réacteur indien d'étude FBTR de Kalpakkam d'une puissance de 13 MW ; le réacteur japonais de Monju, d'une puissance de 260 MW en service industriel depuis la fin 2001 mais actuellement à l'arrêt ; le réacteur Phénix de Marcoule d'une puissance de 233 MW en fonctionnement depuis 1974 et sur le point de redémarrer au début 2003 ; le réacteur russe BN-600 d'une puissance de 600 MW en fonctionnement à Beloyarsk dans l'Oural depuis 1980. 212 Dr. Klaus PETERSEN, Senior Vice President Nuclear Power Plants, RWE Power AG, audition du 13 février 2003, Berlin. 213 David L. MOSES, Nuclear Technology Programs, Oak Ridge National Laboratory, audition du 13 mars 2003. 214 André-Claude LACOSTE, DGSNR, audition du 14 janvier 2003. 215 Dr. Klaus PETERSEN, op. cit. 216 Le contrôle de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires - 2ème partie : La reconversion des stocks de plutonium militaire. L'utilisation des aides accordées aux pays d'Europe centrale et orientale et aux Nouveaux Etats Indépendants, par M. Claude BIRRAUX, Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, Assemblée nationale n° 2974, Sénat n° 264, avril 2001. 217 Ratifié par le Sénat américain en janvier 1996 et par la Douma en avril 2000, le traité START II prévoit, après un report des dates initialement prévues, qu'après une réduction des deux tiers, l'arsenal d'ogives nucléaires de chacun des signataires sera limité à 3800-4250 exemplaires opérationnels à l'horizon 2007, contre 6000 aux Etats-Unis et 5500 en Russie, avant START II. Un nouveau traité signé en mai 2002 par les Président George W. BUSH et Vladimir POUTINE va au-delà des limites prévues par START II, avec un plafond de 1700 à 2200 ogives déployées. 218 En particulier au cours de l'année fiscale 1999. 219 Vincent MAUREL, Président de Framatome ANP, audition du 29 janvier 2003. 220 Le coeur du GT-MHR est constitué au centre de 61 colonnes de blocs de réflecteur de graphite, entourées de 102 colonnes de colonnes prismatiques de combustible et d'un anneau extérieur de blocs de graphite. 221 Selon EDF, dans un combustible MOX, le total des isotopes du plutonium passe de 238 kg/TWh à 170 kg/TWh après un taux de combustion de 43,5 GWj/t et un refroidissement de 4 ans, soit une diminution de 30 %. Le plutonium 239 passe de 126 kg/TWh à 63,5 kg/TWh, soit une diminution de 50 %. Cité dans L'aval du cycle nucléaire, tome I : Etude générale, par MM. Christian BATAILLE et Robert GALLEY, Députés, Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, Assemblée nationale n° 978, Sénat n° 492, juin 1998. 222 Dr. Klaus PETERSEN, op. cit. 223 Audition du Dr. HENNENHÖFER, membre du directoire d'E.ON Energie, Berlin, 13 février 2003. 224 David L. MOSES, Oak Ridge National Laboratory, audition du 13 mars 2003, Oak Ridge, TN. 225 Les universités américaines sont le MIT, l'université de Californie à Berkeley, l'université du Tennessee, Ohio State University, Iowa State University et l'université du Michigan. Les autres universités sont le Polytechnique de Milan, l'université de Pise, l'université de Zagreb et l'Institut de Technologie de Tokyo. 226 En outre, ayant navigué pendant 10 ans sans rencontrer de difficulté technique, un navire allemand de recherche et de service, le Otto Hahn, était propulsé par un réacteur intégré était propulsé par un réacteur intégré d'une conception proche de celle du réacteur IRIS. 227 Commissioner Nils DIAZ, audition du 11 mars 2003, Rockville, MA. 228 Georges SERVIERE, EDF, audition du 29 janvier 2003. 229 Etats-Unis, France, Canada, Royaume Uni, Suisse, Japon, Corée du Sud, Afrique du Sud, Argentine et Brésil. 230 Bill MAGWOOD, DOE, audition du 10 mars 2003. 231 Les projections des besoins mondiaux en énergie d'ici à 2050 adoptées par le GIF sont celles du Conseil mondial de l'énergie. 232 Jacques BOUCHARD, Directeur de l'énergie nucléaire, CEA, audition du 29 janvier 2003. 233 "Gen IV System : an entire energy production system, including the nuclear fuel cycle front and back end, the reactor, the power conversion equipment and its connection to the distribution system for electricity, hydrogen, process heat or fresh water, and the infrastructure for manufacture and deployment of the plant". In the Generation IV Roadmap Project, novembre 2001. 234 Vincent MAUREL, Président, Framatome ANP, audition du 29 janvier 2003. 235 Vincent MAUREL, Président, Framatome ANP, audition du 29 janvier 2003. 236 Vincent MAUREL, Président, Framatome ANP, audition du 29 janvier 2003. 237 David L. MOSES, Senior Program Manager, Nuclear Technology Programs, Oak Ridge National Laboratory, audition du 13 mars 2003, Oak Ridge, TN. 238 Vincent MAUREL, Président, Framatome ANP, audition du 29 janvier 2003. 239 William R. CORVIN, National Director, Generation IV Materials Program, Metals and Ceramics Division, Oak Ridge National Laboratory, audition du 13 mars 2003, Oak Ridge, TN. 240 William J. MADIA, Director, Oak Ridge National Laboratory, audition du 13 mars 2003, Oak Ridge, TN. 241 Si des techniques efficaces et sûres de piégeage et de séquestration du CO2 étaient mises au point, la production d'hydrogène à partir de centrales thermiques fonctionnant au charbon serait sans doute la plus économique. 242 On peut également utiliser le calcium et le brome. 243 Le CEA estime que les réserves mondiales d'uranium représenteraient l'équivalent de 167 000 Mtep si elles étaient utilisées avec les réacteurs à neutrons thermiques actuellement en service dans le monde et l'équivalent de 8 400 000 Mtep, si elles étaient utilisées dans des réacteurs à neutrons rapides. 244 Rapport fait au nom de la commission d'enquête sur Superphénix et la filière des réacteurs à neutrons rapides, Robert GALLEY, Président, Christian BATAILLE, Rapporteur, Assemblée nationale, n° 1018, juin 1998. 245 Ainsi que l'a indiqué l'autorité de sûreté lors de l'audition du 14 janvier 2003, l'interprétation des incidents de réactivité reste la même qu'avant les opérations de jouvence de l'installation. L'ensemble des causes possibles ayant été identifiées, il a été démontré qu'aucune d'entre elles n'est rédhibitoire pour la sûreté. L'importante cure de jouvence à laquelle il a été procédé a permis d'améliorer la résistance au séisme de Phénix et de remettre en état ses circuits de refroidissement. L'exploitation de Phénix se fera avec deux circuits de refroidissement sur trois. En l'espèce, l'autorité de sûreté n'a pas eu « d'état d'âme » à laisser Phénix redémarrer, tout en considérant que le fonctionnement de Phénix ne peut être autorisé pour une durée importante. 246 En particulier, EBR-II s'est arrêté de lui-même dans un scénario de perte totale des alimentations électriques avec échec des procédures d'arrêt classiques. 247 Un eutectique est un alliage binaire dont la température de fusion est fixe. 248 Les experts du CEA considèrent pour leur part que cet eutectique n'est pas un bon caloporteur et que sa manipulation est difficile, compliquant encore les procédures d'accès au réacteur. 249 La Russie a d'ailleurs le projet, souvent présenté sous le nom de projet BREST, de reprendre la construction du réacteur BN 800 (800 MWe), commencée à Beloyarsk en 1987 puis arrêtée en 1988. Il s'agit d'un RNR refroidi au plomb. 250 David F. WILLIAMS, Nuclear Science and Technology Division, Oak Ridge National Laboratory, audition du 13 mars 2003, Oak Ridge, TN. 251 David L. MOSES, Senior Program Manager, Nuclear Technology Programs, Oak Ridge National Laboratory, audition du 13 mars 2003, Oak Ridge, TN. 252 Selon General Electric, le tungstène offrirait peut-être des possibilités intéressantes. La céramique ou le carbure de silicium sont d'autres solutions. 253 Le nitrure de titane pourrait convenir pour des combustibles métalliques. Des revêtements particuliers devront être mis au point si le combustible est sous forme de particules. 254 John SACKETT, Associate Laboratory Director for Engineering Research, Argonne National Laboratory, audition du 14 mars 2003, Argonne, IL. 255 William R. CORVIN, National Director, Generation IV Materials Program, Metals and Ceramics Division, Oak Ridge National Laboratory, audition du 13 mars 2003, Oak Ridge, TN. 256 Vincent MAUREL, op. cit. 257 Le principal intérêt des réacteurs à neutrons rapides (RNR) est qu'ils permettent de valoriser l'uranium 238 qui constitue l'essentiel du minerai d'uranium. Le combustible des RNR peut être, en effet, constitué d'un mélange d'uranium 238, qui représente la plus grande part, et de plutonium 239, que l'on récupère du combustible usé des réacteurs à eau légère. 258 Pr. Jean-Marie LOISEAUX, IN2P3-CNRS, audition du 26 mars 2003. 259 Inventaire dans le cycle. 260 MSR : Molten Salt Reactor - réacteur à sels fondus RSF dans la suite. 261 En captant un neutron, l'uranium 238 devient de l'uranium 239, mais un de ses neutrons se transforme en proton par désintégration ß, ce qui le transforme en neptunium 239. Ce dernier subit une même désintégration ß qui le transforme à son tour en plutonium 239. 262 Le thorium 232 est un atome dit fertile : en absorbant un neutron, il devient le thorium 233, qui conduit ensuite par deux émissions ß- au protactinium puis à l'uranium fissile 233. 263 L'autre volet de la politique de l'administration Bush est l'initiative FreedomCAR (Cooperative Automotive Research) de 720 millions $. 264 Via une pile à combustible, la technique la plus prometteuse. 265 Dr. Herman GRUNDER, Directeur de l'Argonne National Laboratory, audition du 13 mars 2003 à Argonne, ILL. 266 L'aval du cycle nucléaire : tome I : Etude générale, par Christian BATAILLE et Robert GALLEY, Députés, Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, Assemblée nationale n° 978, Sénat n° 492, Paris, juin 1998. 267 La décision de construire un site de stockage à Yucca Mountain a été définitivement prise en 2002. 268 Le Parlement a pris en juin 2001 la décision de principe de construire un site de stockage souterrain des combustibles dans la zone d'Olkiluoto (commune d'Eurajoki). 269 La Suède n'a pas encore décidé la localisation de son site de stockage profond entre Forsmark et Oskarshamn. La campagne de forage, d'une durée de 2 ans, s'achèvera en 2005. La construction proprement dite du site de stockage devrait commencer en 2010. 270 Trois facteurs principaux expliquent le faible niveau des prix de l'uranium enrichi sur le marché mondial : d'abord, les découvertes de nombreux gisements d'uranium à haute teneur au Canada et en Australie notamment, ensuite la surcapacité en installations d'enrichissement apparue du fait du ralentissement des programmes de construction de centrales nucléaires dans le monde et, enfin, l'influence dépressive sur les prix des importants stocks russes d'uranium hautement enrichi. 271 La capacité du centre d'entreposage en subsurface de Yucca Mountain est de l'ordre de 70 000 tonnes. 272 Vincent MAUREL, Président, Framatome ANP, audition du 29 janvier 2003. 273 Communication du 12 février 2003. 274 Un nouveau procédé de scellement du couvercle par friction du conteneur extérieur est actuellement étudié pour remplacer la technique initialement prévue du faisceau d'électrons qui ne donne pas satisfaction. 275 La galerie une fois remplie serait obturée avec de la bentonite, une argile qui présente la propriété de prendre 12 fois son volume initial. 276 De telles recherches pourraient être financées par les seuls intérêts du fonds de démantèlement géré par le SKB. 277 Le cas des deux radioéléments américium et curium est le plus important à régler. 278 Division de la sûreté de l'énergie nucléaire, département de la technologie. 279 La boucle TECLA permet d'étudier les propriétés thermiques et hydrauliques du mélange métallique liquide plomb-bismuth, à la fois en régime permanent et lors de transitoires. Une évaluation des causes d'accident et des conditions de sûreté est en cours, de même que la mise au point d'échangeurs de chaleur. Ces travaux sont réalisés en coordination avec des équipes travaillant également sur ces questions à Karlsruhe et en Italie. 280 Les objectifs sont les suivants : choisir le concept technique le plus prometteur, évaluer les problèmes critiques du système global, concevoir les programmes de R&D permettant de les résoudre, identifier les points clés en matière de sûreté et d'autorisation, développer une méthodologie complète et valide d'analyse de sûreté et, enfin, faire la démonstration des performances de l'ADS ainsi défini pour la transmutation des déchets. 281 Emory D. COLLINS, Senior Technical Advisor, Manager, ORNL Defense Program, Oak Ridge National Laboratory, 13 mars 2003. 282 Les six laboratoires nationaux des Etats-Unis sont les suivants : Argonne National Laboratory, Idaho Engineering and Environmental Laboratory, Oak Ridge National Laboratory, Lawrence Livermore National Laboratory, Los Alamos National Laboratory, Sandia National Laboratory. 283 D'après le Nuclear Waste Policy Act, la construction du 2ème site de stockage géologique devrait avoir lieu à l'Est du Mississipi. 284 En particulier Emory D. COLLINS, op. cit. 285 Les travaux de conception du système ADTF ont semble-t-il montré que le coût d'un ADS pourrait s'élever à près de 3 milliards $. 286 Audition du 29 janvier 2003. 287 Jean-Paul SCHAPIRA, membre du comité de pilotage, audition du 29 janvier 2003. 288 D'où la nécessité d'impliquer EDF et les autres électriciens européens dans un projet global. Jean-Paul SCHAPIRA, op.cit. 289 Phillip J. FINCK, Program Manager, Advanced Fuel Cycle Initiative, Argonne National Laboratory, audition du 14 mars 2002, Argonne, IL. 290 Vincent MAUREL, Président, Framatome ANP, audition du 29 janvier 2003. 291 Les turbines aéronautiques nécessitent une révision toutes les centaines d'heures. Georges SERVIERE, EDF, audition du 29 janvier 2003. 292 Dr. LAAKSONEN, audition du 11 février 2003, Helsinki. 293 William R. CORVIN, National Director, Generation IV Materials Program, op. cit. 294 Audition de M. André-Claude LACOSTE, Directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, et de ses collaborateurs, 14 janvier 2003. 295 Afin toutefois de progresser sur ces questions fondamentales, l'autorité de sûreté française a lancé une réflexion commune avec le CEA sur les options de sûreté fondamentales des réacteurs pour 2035. 296 Dr. William J. MADIA, Director, Oak Ridge National Laboratory, 13 mars 2003. 297 Christian NGÔ, membre du comité de pilotage, audition du 19 décembre 2002. 298 Office of Nuclear Energy, Science and Technology, DOE, US Department of Energy, janvier 2003. 299 M. William D. MAGWOOD, IV, DOE, audition du 10 mars 2003. 300 Peter LYONS, Professional Staff Member, United States Senate Committee on Energy and Natural Resources, audition du 10 mars 2003, Washington DC. 301 Les recherches universitaires conduites en Suède représentent un montant annuel de 1,8 million €, l'industrie assurant la moitié du financement. 302 William D. MAGWOOD, IV, Director, Office of Nuclear Energy, Science and Technology, US Department of Energy, audition du 10 mars 2003, Washington DC. 303 « There is no many room for different technologies and vendors. There is no huge market » 304 « If Republicans lose the 2004 elections, all these plans are gone ». Audition du 11 mars 2003, Washington DC. 305 Thierry DUJARDIN, Directeur adjoint Science et Développement, AEN OCDE, audition du 26 mars 2003. 306 Une compétition existe à Argonne entre les tenants des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium et les partisans des réacteurs refroidis au gaz. 307 A titre d'exemple, les enseignements relatifs aux sels fondus devront être réinscrits dans les écoles doctorales. Jean-Claude LE SCORNET, membre du comité de pilotage, audition du 5 mars 2003. |