N° 3431 - Rapport de MM. Jean Dionis du Séjour et Daniel Raoul, établi au nom de cet office, sur la compatibilité électromagnétique entre téléphonie mobile et dispositifs médicaux (compte rendu de l'audition publique du 5 juillet 2006)




N° 3431

___

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DouziÈme législature

__________________________________

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale

Le 9 novembre 2006

 

N° 65

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SÉNAT

Session ordinaire de 2006 - 2007

________________________________

Annexe au procès-verbal

de la séance du 9 novembre 2006

     

OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

________________________

COMPTE RENDU DE L'AUDITION PUBLIQUE

du 5 juillet 2006

sur

La compatibilité électromagnétique entre téléphonie mobile et dispositifs médicaux

_________

Déposé sur le Bureau
de l'Assemblée nationale

par M. Claude BIRRAUX,

Premier Vice-Président de l'Office

 

_________

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Henri REVOL,

Président de l'Office

     

_______________________________________________________________________

Composition de l'Office parlementaire d'évaluation

des choix scientifiques et technologiques

Président

M. Henri REVOL

Premier Vice-Président

M. Claude BIRRAUX

Vice-Présidents

M. Claude GATIGNOL, Député M. Jean-Claude ÉTIENNE, Sénateur

M. Pierre LASBORDES, Député M. Pierre LAFFITTE, Sénateur

M. Jean-Yves LE DÉAUT, Député M. Claude SAUNIER, Sénateur

Députés

Sénateurs

M. Jean BARDET

M. Christian BATAILLE

M. Claude BIRRAUX

M. Jean-Pierre BRARD

M. Christian CABAL

M. Alain CLAEYS

M. Pierre COHEN

M. Francis DELATTRE

M. Jean-Marie DEMANGE

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR

M. Jean-Pierre DOOR

M. Pierre-Louis FAGNIEZ

M. Claude GATIGNOL

M. Louis GUÉDON

M. Christian KERT

M. Pierre LASBORDES

M. Jean-Yves LE DÉAUT

M. Pierre-André PÉRISSOL

M. Philippe ARNAUD

M. Paul BLANC

Mme Marie-Christine BLANDIN

Mme Brigitte BOUT

M. Marcel-Pierre CLÉACH

M. Roland COURTEAU

M. Jean-Claude ÉTIENNE

M. Christian GAUDIN

M. Pierre LAFFITTE

M. Serge LAGAUCHE

M. Jean-François LE GRAND

Mme Catherine PROCACCIA

M. Daniel RAOUL

M. Ivan RENAR

M. Henri REVOL

M. Claude SAUNIER

M. Bruno SIDO

M. Alain VASSELLE

Office parlementaire d'évaluation des choix

scientifiques et technologiques

(OPECST)

______________

« La compatibilité électromagnétique entre téléphonie mobile et dispositifs médicaux »

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Compte rendu de l'audition publique du

Mercredi 5 juillet 2006

Assemblée nationale - salle Lamartine

Table des matières

Synthèse 1111

Les perturbations électromagnétiques et leur impact sur les matériels de santé 2525

Les normes actuelles 6363

La compatibilité électromagnétique entre téléphonie mobile et dispositifs médicaux

Présidence de

M. Jean Dionis du Séjour, Député du Lot-et-Garonne, et

M. Daniel Raoul, Sénateur du Maine-et-Loire

Synthèse

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, compte tenu des inquiétudes exprimées au sujet des risques liés à « la pollution électromagnétique » générée notamment par les téléphones portables et encourus par des personnes munies de dispositifs médicaux implantables, tels les stimulateurs cardiaques, a organisé, le 5 juillet 2006, une audition publique sur ce thème, présidée par M. Jean Dionis du Séjour, député, et M. Daniel Raoul, sénateur, membres de l'OPECST.

Déjà, en 2002, dans un contexte marqué par l'inquiétude croissante manifestée à propos des effets éventuels sur la santé humaine des téléphones portables, et plus particulièrement des antennes relais, l'OPECST a été saisi d'une étude sur « l'incidence éventuelle de la téléphonie mobile sur la santé » et a adopté un rapport1.

Le débat, sans être épuisé, tend aujourd'hui à se déplacer de l'impact direct des ondes électromagnétiques sur la santé vers la « pollution électromagnétique », accusée de perturber le fonctionnement d'appareils vitaux pour la santé humaine, tels les stimulateurs cardiaques (pacemakers).

L'audition publique n'a pas permis de trancher définitivement le débat scientifique, mais elle a mis en évidence des questions rarement évoquées, comme la difficulté à faire remonter vers les pouvoirs publics l'information sur les incidents dont les causes ont été identifiées et imputées à des perturbations électromagnétiques.

Au-delà de ce constat, l'audition publique a révélé la complexité de la question posée. Cette complexité constitue indiscutablement un obstacle à l'organisation d'une information objective, qui soit accessible au grand public.

Un autre fait marquant réside dans la focalisation des interventions sur le degré d'immunité ou de susceptibilité électromagnétique des dispositifs médicaux eux-mêmes, plus que sur les perturbations créées par les téléphones portables. Par ailleurs, au cours de ces interventions, les perturbations susceptibles d'être causées par les portiques de sécurité, les appareils domestiques ou d'autres équipements médicaux, ont plus souvent été évoquées que celles générées par les téléphones portables.

La compréhension des phénomènes étudiés repose sur trois notions essentielles.

La compatibilité électromagnétique est l'aptitude d'un appareil à fonctionner de manière satisfaisante, sans perturber d'autres appareils.

Tous les appareils mis sur le marché doivent garantir un niveau d'immunité, c'est-à-dire un seuil en deçà duquel une perturbation électromagnétique ne vient pas entraver le bon fonctionnement de l'appareil.

Si tel n'est pas le cas, nous nous trouvons en présence d'une susceptibilité électromagnétique, à savoir l'inaptitude, pour un appareil donné, à fonctionner, en présence d'un signal, sans dégradation de qualité.

La susceptibilité électromagnétique existe mais est difficile à quantifier et à modéliser.

La susceptibilité électromagnétique a donné lieu à l'élaboration d'environ 150 normes européennes harmonisées.

L'audition publique a mis en évidence la difficulté qu'il pouvait y avoir à quantifier, analyser et prévenir les perturbations électromagnétiques.

Les sources d'interférences à distance involontaires peuvent être produites :

- soit par le champ électrique (les circuits électriques, les lignes électriques, les transformateurs),

- soit par le champ magnétique B, produit par les moteurs électriques et d'autres types d'applications,

- soit, enfin, par une composante des deux champs, électrique et magnétique, que l'on peut rencontrer en présence d'appareils de soudure, de presses haute fréquence, ou à proximité de fours micro-ondes ou de radars.

Les interférences sont rares dans l'environnement quotidien ; elles sont plus fréquentes dans l'environnement professionnel, où se trouvent les sources les plus intenses de champs électromagnétiques.

La mesure du phénomène est difficile. De nombreuses recherches pour mesurer les interférences, aux fréquences les plus couramment rencontrées dans l'environnement professionnel et public, ont montré que l'immunité est en général très supérieure à ce qu'exigent les normes de compatibilité électromagnétique.

Mais, en compatibilité électromagnétique, il est difficile d'analyser de manière exhaustive des systèmes complexes. Par exemple, un défibrillateur cardiaque est, au regard des normes, immunisé vis-à-vis des perturbations que peut provoquer une perceuse, mais à condition que cette dernière soit elle-même conforme aux exigences auxquelles elle est soumise. Le principe de compatibilité s'exerce entre plusieurs éléments, et chacun d'eux doit répondre à ses propres exigences. Il ne faut donc pas forcément incriminer tel ou tel élément et, en particulier, le défibrillateur cardiaque. Le problème vient peut-être de l'outil utilisé, qui n'est pas conforme, ou qui ne l'est plus parce qu'il s'est dégradé.

Dans l'impossibilité de pouvoir simuler la totalité des situations susceptibles d'être rencontrées par un appareil, le problème de la compatibilité électromagnétique est examiné à travers une série d'hypothèses qui, bien entendu, ne couvrent pas l'ensemble de la problématique.

La connexion doit également être prise en compte. Le fait qu'un ensemble de câbles soit disposé selon une configuration donnée induira un certain couplage entre les appareils ; un changement de cette configuration provoquera un couplage à une autre fréquence, avec peut-être des polarisations différentes. La problématique est alors différente de celle liée aux équipements. Cette question ne se pose toutefois pas avec les appareils implantés qui, normalement, ne sont pas reliés entre eux. Elle existe, en revanche, pour d'autres appareils médicaux, au sein des hôpitaux, voire dans le cadre des soins à domicile, les équipements, même marqués CE individuellement, pouvant ne pas avoir le même degré d'immunité une fois connectés.

Concernant la modélisation, les travaux en cours doivent être intensifiés, afin de permettre un raisonnement appliqué au niveau d'un ensemble d'appareils et non limité à chaque appareil. Le respect des normes par chaque appareil ne garantit pas, en effet, que l'ensemble est exempt de perturbations électromagnétiques.

Il est pratiquement impossible de prédire, pour une fréquence donnée, quelle intensité de champ électrique ou de champ magnétique va induire une différence de potentiel, source de perturbations. Cette donnée est testable et vérifiable en laboratoire, chez les constructeurs, mais l'expérimentation ne reproduit pas les conditions de fonctionnement réelles. La difficulté ne peut pas se résumer à un problème de niveau de champ, mais réside dans un problème de couplage de systèmes.

Son impact dans le domaine médical semble toutefois limité.

Première constatation : les dispositifs implantables sont mieux immunisés que les dispositifs médicaux externes.

Certaines associations se sont particulièrement intéressées à la question de l'impact des dispositifs électromagnétiques sur la santé humaine, à travers les perturbations pouvant affecter les implants actifs, en particulier les stimulateurs cardiaques, introduits en France depuis 1959.

La Direction générale de la santé, dans une note consacrée à cette question, admet « la faiblesse réglementaire tant en Europe qu'en France et l'impossibilité d'être certain de l'absence totale de risque ».

Toutefois, la résistance aux interférences électromagnétiques des dispositifs médicaux implantables actifs modernes a été considérablement améliorée, pour notamment répondre aux besoins liés à l'usage des téléphones portables.

En outre, les stimulateurs cardiaques sont soumis à des normes, en particulier la norme NF EN 45502-2-1 de mai 2004.

En principe, ces appareils sont équipés de filtre passe-bande leur permettant d'être insensibles aux équipements de téléphonie mobile. En outre, plus la fréquence est élevée, mieux les stimulateurs cardiaques sont protégés.

Un point faible des appareils médicaux non implantables réside dans le câblage car, dans ce cas, l'immunité électromagnétique est plus difficile à garantir, une même salle d'hôpital pouvant, de surcroît, accueillir différents appareils.

Deuxième constatation : aucun problème sanitaire grave n'a été identifié.

Les risques potentiels se situent en milieu industriel et en milieu médical. Mais il n'a pas été rapporté d'accidents qui pousseraient les autorités sanitaires à agir.

Toutefois, l'absence d'accidents graves ne doit pas être interprétée comme l'absence d'incidents liés à des interférences

En dix ou quinze ans, très peu d'incidents ont étés inventoriés par les autorités sanitaires. Néanmoins, constructeurs et cardiologues considèrent qu'il n'y a pas d'incidents anodins et que tous ont des conséquences.

Si nous prenons l'exemple des défibrillateurs cardiaques, les incidents se traduisent de trois manières :

- Dans le meilleur des cas, le défibrillateur enregistre simplement une perturbation.

- Le deuxième cas, un peu plus gênant, est l'effacement des mémoires.

- Le troisième cas, franchement désagréable, est la réception d'un choc inapproprié.

Les cas rapportés ont révélé, en général, des déficiences du matériel utilisé et non pas du défibrillateur lui-même.

Or, il est apparu, au cours de l'audition, que l'identification de la cause de l'incident n'était pas toujours aisée et que, dans bien des cas, les incidents n'étaient pas déclarés aux agences sanitaires, du fait de leur absence de gravité pour la santé du patient et parce que le clinicien isolé est généralement confronté à un unique cas.

Aussi, un enseignement important s'est-il dégagé des débats : l'insuffisante remontée d'informations vers les agences sanitaires lorsqu'il n'existe pas un problème perçu comme un danger grave. A notre sens, une réflexion devrait être engagée sur les mécanismes à mettre en œuvre pour mieux surveiller le fonctionnement des appareils médicaux qui ne font pas l'objet d'une procédure d'autorisation de mise sur le marché.

Les organismes centralisateurs d'incidents, tels que l'AFSSAPS2 ou l'AFSSE3, ne disposent pas de cellules de veille, permettant aux citoyens de signaler les problèmes rencontrés, quel que soit leur degré de gravité.

Si, a priori, aucun accident grave n'a été relevé, que ce soit en France, en Angleterre ou aux Etats-Unis, on ne peut donc pas garantir que le risque n'existe pas.

Les normes sont-elles suffisantes ?

Les normes sont des outils mis à la disposition des industriels pour répondre aux exigences essentielles des directives relatives à la compatibilité électromagnétique.

Ces normes résultent d'un consensus international. Elles sont établies par des acteurs spécialisés dans leur domaine, dans le cadre de commissions techniques qui se réunissent au niveau international, européen ou national. Si l'on prend le cas de l'électromédical, la commission est composée d'experts de la profession médicale, de fabricants de produits médicaux, de laboratoires, d'associations et de représentants des autorités.

Chacune de ces commissions participe à l'élaboration d'une norme acceptée au niveau international par l'ensemble des pays participant au Comité de normalisation en compatibilité électromagnétique. Ces normes internationales sont ensuite reprises au niveau européen par le Comité européen de normalisation électrique (CENELEC). Cet organisme les adopte et les adapte, en fonction des exigences des directives applicables, à savoir la directive sur la compatibilité électromagnétique (89-336) ou les deux directives sur les équipements électromédicaux.

Ce « jeu de normes », dans le domaine électromédical notamment, servira de support pour assurer la présomption de conformité de tel ou tel équipement aux exigences essentielles des directives concernées.

Les normes de base reposent sur trois principes :

- Elles exigent tout d'abord un niveau d'immunité des dispositifs médicaux, tels que les systèmes de respiration artificielle, les mammographes, échographes, seringues sur un environnement typique de 3 V/m, modulés en amplitude pour des dispositifs médicaux ne présentant pas un risque important, et de 10 V/m pour des dispositifs médicaux dits d'assistance vitale, tels les équipements d'anesthésie réanimation. Il s'agit du niveau minimum pour lequel il est possible de démontrer que le produit est immunisé, ce qui ne veut pas dire qu'au-delà le produit sera sujet à un dysfonctionnement.

- Le deuxième principe consiste à imposer des prescriptions d'emploi pour ces équipements afin de garantir leur bonne utilisation dans un environnement typique. Une recommandation très simple, contenue dans les notices d'emploi, est de ne pas empiler les équipements les uns sur les autres, l'empilement pouvant conduire à un dépassement des niveaux de 3 ou 10 V/m. Des distances de protection vis-à-vis des émetteurs sont aussi imposées : il sera demandé de ne pas installer un dispositif médical à une distance minimale déterminée par rapport à un émetteur se trouvant dans l'environnement, cet émetteur pouvant être un téléphone portable, une station de base ou tout autre type d'émetteurs radio. L'utilisation d'un dispositif médical suppose donc que la notice soit lue et ses spécifications respectées par l'utilisateur.

- Le troisième principe est basé sur une analyse de risque par le fabricant : s'il estime que l'utilisation de son dispositif médical ne permet pas de respecter les garanties de base définies, il est de sa responsabilité de vérifier l'immunité de son produit à des niveaux supérieurs. Son analyse de risque portera sur ce qui peut se passer en cas de défaillance de son équipement, pour s'assurer que le risque est minimisé pour le patient. En cas de défaillance d'un respirateur artificiel par exemple, la régulation de l'oxygénation s'arrêtera mais ne sera pas coupée : les vannes s'ouvrent complètement et déclenchent les alarmes pour alerter l'ensemble du personnel médical afin qu'il intervienne immédiatement. L'objectif poursuivi est ainsi de rencontrer des situations où le risque est maîtrisé.

Ces trois principes fondent la norme et doivent être utilisés par le fabricant pour répondre aux exigences essentielles de sécurité.

Mais une critique importante a pu être formulée par les usagers eux-mêmes : les industriels édictent des prescriptions d'emploi très rigoureuses leur permettant d'éviter de voir leur responsabilité engagée, ce qui incommode parfois inutilement ceux qui utilisent l'appareil.

***

**

Au terme de cette audition, plusieurs observations peuvent être formulées.

_ En l'état actuel des incidents relevés, les questions de compatibilité électromagnétique ne doivent pas être considérées comme un problème grave de santé publique.

_ Toutefois, des travaux de recherche importants doivent être conduits pour mieux analyser les perturbations des appareils liées au câblage et à leur environnement.

_ La remontée de l'information, des usagers vers les agences sanitaires, n'est pas satisfaisante et doit être améliorée.

_ Les préconisations d'emploi des appareils ne devraient pas être excessivement restrictives.

Ouverture par

M. Jean Dionis du Séjour, Député

Ouverture par M. Jean Dionis du Séjour, Député

Je vous souhaite la bienvenue à l'Assemblée nationale, ainsi qu'au nom de mon collègue, le Sénateur Daniel RAOUL, et de l'Office Parlementaire d'Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST).

L'audition sera organisée en deux parties : nous ferons le point dans un premier temps sur les perturbations électromagnétiques et sur leur impact sur les matériels de santé, puis nous examinerons, avec un œil critique, les normes régissant actuellement l'émission des champs électromagnétiques.

Vous savez qu'il existe dans notre société une contestation grandissante concernant les effets sur la santé des téléphones portables et les antennes relais. Ce débat classique rappelle celui sur l'impact des faibles doses de radioactivité sur la santé.

Or, il est difficile de démontrer aujourd'hui l'innocuité absolue des ondes électromagnétiques, ce qui pose un problème de fond s'agissant du principe de précaution : doit-il être mis en œuvre en l'absence de démonstration de l'innocuité absolue d'un produit, sur le fondement de la mise en évidence d'un risque si faible soit-il ?

Ce débat a été indirectement suscité par M. Jean-Louis DEBRÉ, Président de l'Assemblée nationale, qui a transmis à l'Office les courriers qu'il avait reçus à ce sujet. Celui-ci a décidé le 31 mai dernier de procéder à l'audition publique qui nous réunit aujourd'hui. Le Sénateur RAOUL et moi-même vous remercions vivement d'avoir pris le temps d'être les acteurs de cette audition.

Ce n'est pas la première fois que l'Office parlementaire s'intéresse à ce sujet. Je voudrais saluer le rapport de référence de Daniel RAOUL sur la téléphonie et la santé. Aujourd'hui, nous examinons un problème connexe : l'impact de la pollution électromagnétique sur un certain nombre de dispositifs de santé tels que les stimulateurs cardiaques.

Trois définitions vont nous permettre de structurer la discussion :

La première est la définition du mot « compatibilité électromagnétique ». Il s'agit de l'aptitude d'un appareil à fonctionner sans perturber les autres appareils de son environnement.

La deuxième notion, celle de niveau d'immunité, est le seuil, en deça duquel, une perturbation électromagnétique ne vient pas entraver le bon fonctionnement d'un appareil. Cette notion est-elle aujourd'hui diffusée, et est-elle suffisamment consensuelle et incontestée pour que tous les acteurs se rejoignent et nous permettent d'arbitrer certaines controverses ?

La dernière définition nous permettant d'organiser la discussion est la susceptibilité électromagnétique, c'est-à-dire l'aptitude d'un appareil à fonctionner sans dégradation de qualité en présence d'un signal dans son environnement.

Ces trois définitions se retrouvent dans la littérature de vulgarisation et nous aimerions vous poser des questions sur chacune d'elles.

Pour conclure cette rapide introduction, il nous semble que la susceptibilité électromagnétique existe et n'est pas contestée : son existence a engendré la production de plus de 150 normes européennes ; elle est à l'origine de comportements ou de recommandations qui marquent notre vie quotidienne, comme par exemple celle d'éteindre notre téléphone portable dans les avions ou les hôpitaux.

Certaines associations, notamment des associations de malades, se sont intéressées à la question de l'impact des dispositifs électromagnétiques sur la santé humaine, à travers les perturbations pouvant affecter les implants actifs, notamment les stimulateurs cardiaques pour lesquels nous disposons d'un certain recul puisque les premières implantations datent de 1959.

La Direction générale de la santé, dans une note sur cette question, admet l'existence « d'une faiblesse réglementaire tant en France qu'en Europe, et l'impossibilité d'être certain de l'absence totale de risque », ce qui constitue une preuve de modestie et d'humilité rare, mais laisse la porte ouverte à de multiples interprétations.

Je ne voudrais pas orienter la discussion, mais il faut aborder sereinement ce débat : il me semble que dans la littérature médicale notamment, il existe un consensus sur la résistance aux interférences électromagnétiques des dispositifs médicaux implantables. Cette résistance a de plus été l'objet d'investissements lourds pour être améliorée, compte tenu de la montée de la diffusion des téléphones portables dans la société.

Les stimulateurs cardiaques obéissent à des normes particulièrement sévères. Ils disposent de filtres leur permettant d'être insensibles aux équipements de téléphonie mobile, mais des questions demeurent en suspens : ces normes existent, mais comment sont-elles appliquées ? Elles s'étoffent progressivement et se pose la question de leur adéquation au parc de dispositifs existants.

Avec Daniel RAOUL, nous vous proposons deux « mi-temps » : l'examen de la réalité de ces perturbations électromagnétiques, ainsi que leur impact sur les matériels de santé à travers une séance de vulgarisation de bon niveau. Nous nous saisirons ensuite du problème de l'état des lieux : où en sont nos normes ? Quels sont les organismes normatifs ? Quelles sont ces normes ? Quels sont les matériels actuellement installés ?

Le Docteur DE SEZE interviendra le premier. Le Docteur FRANCK, qui a des contraintes d'agenda, parlera ensuite, puis nous reviendrons à un ordre plus logique.

Les perturbations électromagnétiques
et leur impact sur les matériels de santé

Explication du phénomène

Docteur René de SEZE, Responsable de l'unité de toxicologie expérimentale à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) : Je vous remercie de m'avoir fait l'honneur de m'inviter à cette réunion et de me donner la parole pour l'introduction. Il me sera d'autant plus facile de ne pas vous « noyer » que je ne suis pas un expert de la compatibilité électromagnétique, même s'il est vrai que je suis confronté à ce problème depuis un certain nombre d'années. Je vais essayer de vous dresser un panorama des problèmes que j'ai rencontrés et de la situation telle que je la perçois.

Je prends l'exemple le plus courant, et le plus sensible aussi, de la compatibilité : les stimulateurs cardiaques. Ils comportent un certain nombre de composants ; les interférences peuvent se produire à deux niveaux : l'interrupteur à lame souple dans les champs magnétiques statiques, et la sonde de stimulation et de détection des stimulateurs cardiaques, qui peut transférer les champs électromagnétiques qu'elle perçoit et perturber l'électronique du boîtier.

Il est intéressant de rappeler que la source la plus fréquente et la plus ancienne d'interférence avec le stimulateur cardiaque est l'activité électrique musculaire : il était recommandé à une époque aux porteurs de stimulateurs de ne pas faire d'efforts trop violents, afin que l'activité électrique générée par leur activité musculaire ne perturbe pas les stimulateurs cardiaques.

Les problèmes les plus graves trouvent leur origine dans les courants induits par contact lorsqu'on touche un conducteur. Nous trouvons un certain nombre d'applications à distance mais volontaires, qui sont paradoxalement des applications médicales comme le bistouri électrique ou la radiothérapie : ces applications créent volontairement des champs très importants pour une application sur les tissus vivants et elles peuvent provoquer des interférences sur les circuits électroniques.

Mais ce qui nous préoccupe davantage aujourd'hui sont les sources d'interférence à distance involontaires, qui peuvent être produites :

▪ soit par le champ électrique (les circuits électriques, les lignes électriques, les transformateurs),

▪ soit par le champ magnétique B produit par les moteurs électriques et d'autres types d'applications,

▪ soit enfin par une composante des deux champs, électrique et magnétique, qu'on peut rencontrer dans la soudure, dans les presses haute fréquence, ou autour des fours micro-ondes ou des radars.

Les interférences sont rares dans l'environnement quotidien ; elles sont plus fréquentes dans l'environnement professionnel puisque c'est là qu'on retrouve les sources les plus intenses de champs électromagnétiques. D'après mes lectures et les témoignages que j'ai pu recueillir, les cas d'interférences ou de perturbations sont graves de manière très exceptionnelle, en particulier dans le milieu de l'industrie et de la médecine.

Ce schéma n'est pas très facile à comprendre mais je vais essayer de vous l'expliquer en deux mots : quand on regarde les normes, elles définissent une différence de potentiel, une différence de tension qu'il ne faut pas dépasser aux bornes du boîtier électronique du stimulateur cardiaque pour ne pas risquer de créer une interférence.

Lorsque les normalisateurs ont essayé de définir quels seraient les niveaux à considérer pour éviter des interférences, ils ont testé un très grand nombre de stimulateurs cardiaques. En fonction de la fréquence (en abscisse), ils ont mesuré ces différences de potentiel entre les boîtiers qui pouvaient risquer de créer des interférences. J'utilise ce transparent essentiellement pour montrer que plus on monte en fréquence, plus la différence de potentiel qu'il faut produire est importante, ce qui semble indiquer que plus on monte en fréquence, mieux les stimulateurs cardiaques sont protégés. Il faut rappeler à ce propos que la fréquence de détection préférentielle du cœur est le rythme cardiaque, autour de 1 Hz. Quand on monte en fréquence, on a l'impression que les stimulateurs sont mieux protégés. Pourtant, une étude assez exhaustive faite par le Laboratoire d'électronique de Nancy montre qu'il y a beaucoup d'interférences à basse fréquence et qu'au bout d'un certain moment, il n'y a presque plus d'interférences au-dessus de 400 MHz. On se rend cependant compte que pour un ou deux modèles, pour une fréquence très supérieure, on retombe sur une interférence : on n'est donc pas capable de garantir qu'il n'y a pas d'interférence et ceci est d'autant plus gênant qu'on a du mal à interpréter les normes : on est incapable de dire, pour une fréquence donnée, quelle intensité de champ électrique ou de champ magnétique va donner telle différence de potentiel. C'est testable et vérifiable en laboratoire chez les constructeurs, mais on est incapable de savoir à quoi on s'expose sur le terrain.

Je vais vous exposer mon expérience et mon vécu à ce propos. Il y a 10 ou 15 ans, j'ai commencé à travailler sur ce sujet avec le Professeur MIRO, au CHU de Nîmes, et nous avons appliqué un principe de précaution : étant donné que nous pouvions difficilement appliquer les normes existantes, nous préconisions l'exclusion des postes de travail. Cela n'a pas duré longtemps : au bout de six mois, nous avons été confrontés aux problèmes psychologiques et sociologiques de personnes qui ne pouvaient pas être déplacées.

Dans les grandes entreprises, il est facile de remplacer et de déplacer les gens, mais on s'aperçoit sur le terrain qu'on rend les gens malades avec des précautions dont on ne sait pas si elles sont utiles. Nous avons donc rédigé un guide avec l'INRS4 et nous avons convenu comme conduite à tenir de mesurer d'abord les expositions et ne pas avoir un principe d'exclusion systématique. En cas de dépassement du seuil d'immunité normatif quel qu'il soit, nous pouvions exercer une surveillance renforcée, c'est-à-dire faire passer les opérateurs aux différents postes de travail sur une journée ou une semaine avec un holter5, et/ou une surveillance médicale si elle était nécessaire, en faisant attention de ne pas les exposer à des intensités très excessives de champs : nous avons rencontré des accidents d'échauffements et de brûlures par les câbles du holter. Il ne faut pas tomber dans l'excès inverse qui est de vouloir protéger les gens et de les brûler juste en faisant des tests. Il s'agit de cas assez extrêmes. Nous avons inventorié en 10 ou 15 ans très peu d'incidents. Cependant, quand on essaie de faire le point avec les constructeurs et les cardiologues, ils disent qu'il n'y a pas d'incident anodin et que tous ont des conséquences.

La modélisation reste très difficile et ne peut pas être standardisée, car l'électronique des boîtiers est très différente d'un appareil et d'un modèle à l'autre : si on veut faire de la modélisation, il en faut une appliquée à chaque modèle. Il existe des entreprises qui sont capables de le faire mais nous ne pouvons pas financer tous ces travaux. Il existe aussi de nombreuses recherches plus empiriques pour mesurer les interférences aux fréquences les plus couramment rencontrées dans l'environnement professionnel et public, qui ont montré que l'immunité est en général très supérieure à ce que demandent les normes de compatibilité électromagnétique.

En pratique, on a pu voir qu'à 50Hz par exemple, il y a peu ou pas de risque d'interférence en dessous de 10 V/m (je ne garantis pas la valeur de 10 V/m) et jusqu'à un champ magnétique de 45 µT. Seuls des modèles très anciens présentaient des interférences jusqu'à 45 µT, mais tous les modèles ont maintenant moins de 10 ou 15 ans. Ils apparaissent donc bien protégés. En radiofréquence, j'ai cru comprendre que les stimulateurs cardiaques résistaient très facilement jusqu'à des niveaux de 10 V/m, mais mon expérience est limitée donc je ne garantis pas du tout les chiffres.

Je vois plusieurs orientations à suivre, mais je ne préconise pas l'une ou l'autre pour le moment, nous verrons cela à la fin de la journée :

- La première serait d'aligner les normes sur une seule : entre les normes de compatibilité électromagnétique et les normes d'exposition humaine. Il serait aussi envisageable de modifier les différentes normes pour prendre en compte la spécificité des implants médicaux actifs, mal prise en compte dans les normes d'exposition humaine et dans les normes de compatibilité électromagnétique qui n'ont pas à l'origine ces implants pour objet.

- Une autre orientation serait de modifier les caractéristiques des implants actifs pour les rendre plus immuns aux champs électromagnétiques. Excusez-moi d'avoir repris cette abréviation avec deux significations différentes. Il serait enfin possible de faire converger les valeurs limites des deux approches CEM/exposition humaine. Quelle que soit l'approche préconisée, une analyse coûts/bénéfices doit être faite, non pas en termes de finances, mais en termes de santé et de gain pour la santé, afin d'estimer quelle approche (ou quel mixte de différentes approches) est la meilleure.

Je vous remercie de votre attention. Je m'arrêterai pour laisser la parole aux spécialistes.

Docteur Robert FRANCK, Cardiologue à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière, Assistance publique - Hôpitaux de Paris - AP-HP : En tant que spécialiste des pacemakers, je vais pouvoir compléter les informations...

Docteur René DE SEZE : Et rectifier si besoin !

Docteur Robert FRANCK : Les pacemakers ont été implantés à partir de 1958. Au début, il s'agissait de quelques transistors soudés à une pile, mais cela n'a actuellement plus rien à voir, puisqu'il s'agit d'un microprocesseur avec des filtres. Le problème est qu'il subsiste toujours dans la pensée publique des ennuis et des précautions qui n'ont plus lieu d'être. En effet, les ennuis qui ont eu lieu, au fur et à mesure de la construction de ces appareils, ont été corrigés par des ingénieurs à travers de nouvelles conceptions.

Je vais vous donner un exemple qui me frappe à chaque fois que je prends l'avion : les porteurs de pacemaker doivent se signaler pour ne pas passer dans les portiques de détection. Cette recommandation concerne un modèle de pacemaker construit en 1970 par General Electric, qui a arrêté de le fabriquer trois ans plus tard. Ce modèle n'existe plus depuis très longtemps, car un pacemaker a une durée de vie moyenne de 7 ans, mais le panneau est encore là et il y a toujours des personnes qui le respectent. En fait, je dis aux passagers de ne surtout pas se signaler quand ils prennent l'avion pour ne pas être retardés ...

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Ma première question concerne les vieux pacemakers : qu'est-ce qui bloque leur mise à jour ?

Docteur Robert FRANCK : Ils sont mis à jour ; chaque année des améliorations sont apportées aux nouveaux modèles. Les vieux pacemakers n'existent plus. Cette pancarte, indiquant aux porteurs de pacemaker de se signaler, ressemble à ce que vous rencontrez dans votre Chambre des Députés : il est facile de faire une loi, mais l'abolir est extrêmement difficile.

Ce que vous avez décrit sur les effets des champs magnétiques est vrai dans la théorie, mais en pratique, les pacemakers en sont protégés : pour rentrer dans le pacemaker, le champ magnétique doit passer par l'antenne qui est la sonde, et par un conducteur allant de l'extérieur à l'intérieur de l'appareil. Ces conducteurs sont munis de filtres créés pour couper les interférences téléphoniques. Un fabricant a même mis un grand logo, « Garanti téléphone portable », après avoir réalisé une étude pour le démontrer. Les autres le faisaient aussi, sans pour autant l'avoir démontré. Cet effet qui était réel il y a plus de 10 ans n'existe plus actuellement, et ceci est vrai pour pratiquement tout ce qui existe. Dans la vie quotidienne, il n'y a pas de risque particulier.

J'ai personnellement effectué un certain nombre d'études, sponsorisées par EDF, parce qu'elles s'intéressaient aux lignes à haute tension. Nous avons démontré qu'il n'y avait aucun risque particulier, à moins d'être vraiment sur la ligne en ayant un pacemaker réglé de manière inappropriée.

Vous avez parlé d'interférence musculaire, ce problème n'existe plus. Il était d'actualité du temps où les sondes stimulaient le cœur avec un pôle au niveau du boîtier sous la peau, et un autre pôle dans le cœur. Maintenant que les deux pôles sont dans le cœur, cette interférence a disparu. Je répète que si beaucoup de difficultés ont émergé dans la vie courante, elles ont aujourd'hui disparu. Nous disons aux patients de vivre normalement.

Un problème s'était posé avec les portiques de détection des vols dans les grands magasins. J'avais fait une étude avec les fabricants de ces portiques : un modèle pouvait éventuellement modifier la stimulation lorsque le pacemaker était mal réglé, sans toutefois entraîner de syncope. La règle générale est de dire : « Lorsque vous êtes devant ces portes, ne restez pas dedans, ne vous appuyez pas dessus, passez simplement et il ne se passera rien ». Dans la vie quotidienne, on considère qu'il n'y a pas de problème. Les problèmes se situent, comme vous l'avez dit, en milieu industriel et en milieu médical.

Dans le milieu médical, deux sources d'interférences peuvent être très ennuyeuses si elles ne sont pas surveillées, avec en premier lieu le bistouri électrique, qui peut interférer par deux mécanismes : le courant sinusoïdal qu'il induit peut être confondu avec un signal d'origine cardiaque et modifier le pacemaker. Il faut dans ce cas que le patient soit dépendant du pacemaker. Ce n'est pas important pour ceux qui ont un pacemaker qui fonctionne 10 secondes par mois, mais cela peut avoir un impact pour des patients dépendants. Le deuxième problème est que ces courants sinusoïdaux, qui sont des courants de haute fréquence, peuvent induire dans la sonde des courants qui sont démodulés et amenés à échauffer l'extrémité du cathéter et éventuellement stimuler le cœur rapidement. Ces cas peuvent engendrer des difficultés mais quand les patients sont opérés, ils sont monitorés, et lorsqu'on détecte un problème, le chirurgien arrive tout de suite.

Le deuxième problème provient de l'IRM, puisqu'il s'agit d'une installation qui a un champ magnétique de 1 à 7 Teslas6. Les pacemakers sont en principe insensibles aux champs inférieurs à 100 µT7 : les interférences peuvent en premier lieu mettre le pacemaker en mode asynchrone, ce qui n'est pas grave pour le malade. De plus, le champ de radio fréquence, un champ de très haute fréquence qui fait vibrer les molécules, peut faire la même chose que le bistouri électrique, c'est-à-dire induire des courants dans la sonde qui peuvent accélérer le cœur et provoquer des troubles du rythme.

Nous savons actuellement ce qui peut arriver mais pendant longtemps, on a dit que les gens pouvaient éventuellement mourir en passant une IRM. On sait maintenant pourquoi il y a eu des accidents et, lorsqu'il n'y a pas d'autre solution que de pratiquer une IRM sur quelqu'un portant un pacemaker, nous réglons l'appareil d'une certaine façon et nous le surveillons lors de l'examen. S'il se passe quelque chose et si nous constatons une accélération anormale du cœur, nous arrêtons tout et les choses rentrent dans l'ordre.

De nouveaux phénomènes apparaissent toujours, que nous corrigons en fabriquant des pacemakers différents. Les dernières générations de sondes de pacemakers, encore expérimentales, vont contenir des filtres qui les rendront insensibles à ces interférences électromagnétiques de très haute fréquence. Elles commencent à être présentées de façon expérimentale dans les congrès et elles seront, je pense, disponibles à partir de l'année prochaine. La technologie suit. Un pacemaker a une vie d'environ 7 ans, à part quelques exceptions qui ont plus de 10 ans, nous ne sommes jamais très loin de la protection maximale des patients.

C'est donc en milieu professionnel et en milieu médical qu'il faut faire attention, mais ce n'est pas parce qu'il existe un risque d'accident qu'on n'utilise pas l'IRM ou le bistouri électrique. Ce n'est pas parce que la voiture provoque 4 000 morts par an sur les routes qu'on dit qu'il ne faut pas circuler. On dit : « Attention », on prend des précautions, et à ce moment-là, tout se passe bien.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : J'aurais une question à vous poser concernant l'interférence électromagnétique : quelles sont les bornes de vos filtres ?

Docteur Robert FRANCK : Un pacemaker est censé détecter des fréquences cardiaques, des impulsions qui vont jusqu'à 120, 130, 140. De plus, la gamme de fréquences, c'est-à-dire la sinusoïde qui correspond à chacune des ondes, est réglée en général entre 10 et 100 Hz. Tout signal plus lent ou plus rapide ne sera pas détecté : cela correspond à peu près à la bande de fréquence du signal cardiaque, et aussi malheureusement au courant du secteur, mais un filtre spécifique 50 Hz coupe ces bandes de fréquence.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : Et 60 Hz à l'étranger.

Docteur Robert FRANCK : 60 Hz aussi, car l'appareil n'est pas si précis. Ce champ se trouve aux Etats-Unis. Pour le tester, une de mes activités a consisté à demander à des volontaires d'être soumis à ces champs pour mesurer comment réagissait le stimulateur cardiaque. En général, le résultat était une absence d'effet : pour obtenir un effet, il fallait régler le pacemaker d'une façon anormale pour arriver éventuellement à avoir un résultat d'interférence.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Je reviens à vos 7 ans de vie d'un pacemaker...

Docteur Robert FRANCK : C'est 7 à 10 ans. En moyenne 7 ans, mais beaucoup ne durent pas plus de 5 ans. C'est un peu comme les réfrigérateurs, cela dure de moins en moins longtemps.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Et si j'ai un pacemaker, qu'est-ce qui m'oblige à le changer ? Comment cela se passe ?

Docteur Robert FRANCK : C'est simple, quand la batterie qui le fait fonctionner est épuisée, vous vous sentez moins bien. Vous vous sentez même vraiment moins bien, le pacemaker sert à quelque chose !

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Si des changements sont à faire, c'est au moment du changement de la batterie...

Docteur Robert FRANCK : Le pacemaker est une petite boite qui contient une batterie au lithium et un circuit électronique. C'est un ensemble monobloc qu'on branche sur le fil placé dans le cœur qui ressort par une petite veine. C'est une intervention toute simple, sous anesthésie locale.

Je vais vous donner un autre exemple, celui du stimulateur isotopique dont nous disposions en France, puissance atomique, à une certaine époque. Le Professeur LAURENS l'avait conçu, et ce stimulateur devait durer 30 ans ou plus. Il a effectivement cette durée de vie, mais le problème est que la plupart ont été enlevés, tout simplement parce qu'ils n'ont pas suivi le progrès technique. Les pacemakers n'avaient pas les fonctions des pacemakers actuels, et les patients voulaient disposer des fonctions actuelles, pour que les pacemakers s'adaptent mieux à l'effort, soient plus petits, etc. La plupart ont finalement été enlevés, dont une grande majorité pour cette raison.

Docteur René DE SEZE :Pourrions-nous envisager que le système de batterie des stimulateurs cardiaques soit rechargeable ou est-ce que, justement à cause des progrès techniques, cela n'a pas de sens ?

Docteur Robert FRANCK : Le problème est que les patients échappent au progrès technique et que les batteries ont une durée de vie limitée qui n'est pas plus longue que celle des piles au lithium dont nous disposons actuellement. La formule a existé, mais il fallait que le patient se mette tous les mois ou toutes les semaines une heure dans un fauteuil pour que cela se recharge. C'est une contrainte alors qu'avec la pile, les patients vivent sans y penser.

Mme Michèle RIVASI : Je vais vous poser une question car je trouve que vous n'avez pas tout à fait répondu à celle posée par Monsieur le Député. Est-ce que tous les gens qui ont un pacemaker depuis 10 ans...

Docteur Robert FRANCK : Ils sont très peu nombreux. On pose 50 000 pacemakers par an et l'espérance de vie de ces pacemakers est de 7 ans en moyenne. Au bout de 7 ans, ils ont été changés.

Mme Michèle RIVASI : Est-ce qu'on change la batterie ou l'ensemble du pacemaker ?

Docteur Robert FRANCK : Un pacemaker est un petit boîtier compact qui contient une pile et un circuit électronique. On change le stimulateur cardiaque, qui est l'ensemble de ces deux éléments.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Si des malades vous disent qu'ils sont très bien avec leur pacemaker, comme il arrive que des gens soient bien avec leur voiture et qu'ils n'éprouvent pas le besoin d'en changer, que leur dîtes-vous ?

Docteur Robert FRANCK : Quand on n'a plus d'essence dans la voiture, il faut bien faire le plein !

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Mais s'ils vous disent qu'ils veulent garder le même modèle ?

Docteur Robert FRANCK : Ce n'est pas possible parce qu'il n'existe plus : les pacemakers suivent les progrès de la technologie. L'ordinateur que vous avez ici n'est pas le même que celui d'il y a 10 ans, et si vous voulez garder celui d'il y a 10 ans, on vous dira qu'il n'existe plus. La technologie a évolué, les microprocesseurs ont évolué et les fabricants de microprocesseur, qui fabriquent tous les microprocesseurs, y compris ceux des pacemakers, n'ont plus les mêmes méthodes. C'est un des problèmes que rencontrent les pharmaciens. C'est vraiment une question de technologie qui évolue.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Donc on leur impose...

Docteur Robert FRANCK : Plus aucun fabricant ne fait les processeurs d'il y a 15 ans, et c'est un progrès.

Mme Michèle RIVASI : Les 50 000 personnes sont-elles averties des risques en milieu professionnel et industriel ? Je me dis que si ces personnes ne disposent pas de l'information, elles peuvent courir des risques, par exemple pour la soudure. J'imagine que dans le milieu hospitalier, pour une IRM par exemple, les gens sont un peu plus informés.

Docteur Robert FRANCK : Si vous entrez pour passer une IRM, nous verrons un énorme panneau « Sens interdit », avec un pacemaker barré de rouge.

Mme Michèle RIVASI : Et dans le milieu industriel, est-ce que l'information est bien faite par rapport aux porteurs de pacemaker ? J'ai aussi une question : on parle de pacemaker, mais par exemple pour les pompes à insuline, existe-t-il un blindage ? Est-il à 3 V/m ?

Docteur Robert FRANCK : Je suis désolé, mais pour les pompes à insuline je suis tout à fait incompétent. Pour ce qui est de l'information donnée au patient, elle est individuelle. Dans chaque centre, la pose d'un pacemaker s'accompagne d'explications. Les infirmières expliquent, mais rien n'est parfait. On donne au patient un petit fascicule avec chaque pacemaker lorsqu'il est livré. Cela peut être bien fait ou mal fait, mais je ne peux pas aller plus loin.

M. Joe WIARD : La différence entre un pacemaker et une pompe à insuline est que le pacemaker possède des fils alors que la pompe à insuline est une cabine qui envoie de l'insuline et qui est très blindée.

Mme Michèle RIVASI : Que veut dire « très blindée » ?

M. Joe WIARD : Tous les tests faits sur les pompes à insuline n'ont jamais réussi à les perturber puisque la petite ouverture est inférieure au millimètre et que c'est de cette ouverture que sort l'insuline. Tout le reste est métallique, l'intérieur ressemble un peu à une cage de Faraday. Ce que je vous dis est simplement une information car je travaille pour France Telecom, je ne suis pas constructeur d'équipement. Je vous rapporte simplement les tests qui ont été faits en vous signalant que nous ne sommes pas tout à fait dans la même problématique. Avec les équipements de type pacemakers ou défibrillateurs, nous avons besoin d'avoir un fil conducteur qui arrive jusqu'à l'organe, et dans le cas des pompes à insuline, on injecte de l'insuline. Il faut faire attention car le dosage est fondamental mais les conditions dans lesquelles on le fait sont très différentes.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Je propose que nous reprenions notre feuille de route, pour donner la parole à M. THEVENET, de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, qui parlera de l'état des lieux, puis à M. Raymond KLEIN, qui abordera le milieu professionnel, puisque nous voyons bien que les risques sont surtout liés au milieu médical et au milieu professionnel.

Etat des lieux

M. Nicolas THÉVENET, Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) : Je vous remercie de me donner la parole. Je travaille à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. J'effectuerai d'abord une petite présentation pour positionner les missions et les activités de cet organisme au sein des institutions françaises, ainsi que les travaux menés autour de la problématique qui nous préoccupe.

L'Agence a été créée en 1998 pour faire face à l'accroissement des problématiques de santé publique et répondre aux questions des professionnels de santé et des citoyens. Sous tutelle du ministère de la Santé, elle a pour objectif de travailler sur les produits de santé. Il n'existe pas une définition mais une liste de produits : nous parlons des médicaments, des produits cosmétiques, des produits de tatouage, des dispositifs médicaux et des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro.

Les missions sont multiples : il s'agit de faire de l'évaluation bénéfice/risque, de donner l'autorisation de mise sur le marché des médicaments, mission la plus connue, mais également de réaliser des contrôles de produits et de mener des inspections directement chez les fabricants et non chez les utilisateurs. L'Agence dispose également d'un pouvoir de police sanitaire puisque notre Directeur général a la capacité de prendre, sous sa responsabilité des décisions telles que la suspension, l'interdiction ou la restriction de l'usage d'un produit de santé.

Les pacemakers rentrent dans la grande catégorie des dispositifs médicaux. Ils sont régis par la directive européenne 93-42, mise en place et transposée en France en 1998. Il en est de même pour les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro : la directive date de 1998 et a été mise en œuvre en France en 2003. Dans les dispositifs de diagnostic in vitro susceptibles d'être incommodés par un environnement perturbé, je citerai notamment les lecteurs de glycémie, qui sont des petits appareils pour mesurer la glycémie et suivre les patients diabétiques à domicile. Dans mon explication, je ferai référence à ces deux catégories à chaque fois que je parlerai des dispositifs médicaux, puisque c'est exactement le même principe.

Je vais vous présenter l'arrivée sur le marché de ces produits. Il peut être intéressant de connaître les contraintes imposées aux fabricants et de faire le lien avec les normes qui seront débattues par la suite. La directive 93-42 décrit des exigences essentielles, dont une est plus particulièrement liée à la compatibilité électromagnétique. Ces exigences essentielles sont la bible des fabricants, sachant que ce sont les conditions de mise sur marché de leurs produits médicaux : cette directive s'adresse donc essentiellement à eux. Cette exigence essentielle renvoie à un état de l'art qui, dans le domaine de la médecine, change en permanence en fonction des technologies, de la médecine et des pays car il n'existe pas un ensemble de pratiques internationales. Ces états de l'art renvoient à des normes, harmonisées ou non et considérées comme un vrai référentiel d'appui. La présomption de correspondance vis-à-vis des exigences essentielles permet à l'industriel de constituer son dossier pour la mise sur le marché du produit. À chaque fois, dans son dossier de conception, celui-ci doit faire une analyse de risque. La terminologie « analyse de risque » est décrite dans une norme et consiste à demander à l'industriel de suivre un certain mode de réflexion pour essayer de minimiser au maximum les risques. Nous sommes dans le domaine de la santé et le risque zéro n'existe pas : le but est de toujours mesurer les risques, au regard évidemment des bénéfices que l'on désire voir apparaître pour le patient.

Il existe toute une codification, et plusieurs classes de produits, dans les dispositifs médicaux : classe 1, classe 2A, classe 2B, classe 3. Les dispositifs médicaux implantables actifs, dont font partie les pacemakers, sont une sous-catégorie. En fonction de ces catégories, de ces classes de produits, qui ont des niveaux de risque de plus en plus élevés allant de 1 à 3, les exigences de marquage CE sont plus ou moins approfondies. Pour la plupart de ces produits, le fabricant doit passer par un organisme agréé qui est un organisme public qui effectue des audits auprès des fabricants et délivre les certificats CE. Une fois le certificat CE obtenu, le fabricant peut mettre sur le marché son produit dans l'ensemble de la Communauté européenne. Nous ne sommes pas dans un système d'autorisation de mise sur le marché où les autorisations sont délivrées par le ministère ou ses agences de tutelle : c'est bien le fabricant qui prend la responsabilité de la mise sur le marché de son produit. Les fabricants ne sont pas seuls pour faire ces démarches, et l'Agence est l'autorité compétente en France pour suivre ces dispositifs médicaux.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Le fabricant prend la responsabilité de la mise sur le marché. Par conséquent, un des pouvoirs de l'Agence, notamment par rapport aux médicaments, n'est pas exercé.

M. Nicolas THÉVENET : Pour le médicament, le fabricant dépose un dossier. Dans notre cas, le principe est différent : les fabricants doivent respecter les exigences de la directive, et lorsqu'ils ont suivi l'ensemble du processus, ils peuvent mettre leur produit sur le marché.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Il n'y a donc pas d'autorisation formelle ?

M. Nicolas THÉVENET : Non, elle n'est délivrée par aucune autorité compétente, comme cela est le cas partout.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Considérez-vous que c'est un bon système ?

M. Nicolas THÉVENET : C'est le système adopté par l'Europe.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : C'est le système adopté, mais quel est votre avis en opportunité ?

M. Nicolas THÉVENET : C'est un bon système et je vais vous expliquer pourquoi : il existe à peu près 800 000 à 900 000 dispositifs médicaux en France, ce qui veut dire que si nous fonctionnions sur le principe de l'autorisation de mise sur le marché, il nous faudrait analyser dossier par dossier une quantité considérable d'informations. C'est un des arguments avancés, pas forcément le meilleur. Si je vous renvoie aux formules pharmaceutiques, elles sont de quelques milliers seulement. Ce serait un frein à l'innovation.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Avez-vous quand même le pouvoir de suspendre ?

M. Nicolas THÉVENET : Oui. À l'issue des missions que je vais vous décrire, notre Directeur Général aura ce pouvoir : ce sont des décisions de police sanitaire. Il faut avoir des actions fermes et définitives sur les dispositifs ou les catégories de dispositifs. Ce qui a été mis en place est à la fois un système de vigilance, dit « matériovigilance » pour les dispositifs médicaux et « réactovigilance » pour les dispositifs médicaux diagnostic in vitro, et un système de surveillance du marché. En ce qui concerne la pharmacovigilance, je vous rappelle que c'est un niveau local, dans chaque établissement de soin. Au fur et à mesure du temps, des niveaux de gravité sont répertoriés sur lequel nous agissons. Il y a un contact permanent avec les industriels pour qu'ils améliorent leurs conceptions, pour rappeler des produits et réaliser des alertes. On compte 1 400 incidents de réactovigilance.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Et lorsqu'on fait une analyse 80-20, quel est le cœur de ce chiffre de 1 400 ?

M. Nicolas THÉVENET : Une grande partie des incidents concerne les lecteurs de glycémie et beaucoup les réactifs standards.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Les lecteurs de glycémie connaissent-ils le problème ?

M. Nicolas THÉVENET : Une grande partie des incidents de réactovigilance est due aux lecteurs de glycémie. Le dispositif est un auto-test et il existe un nombre très conséquent de lecteurs en France puisqu'il y a plusieurs types de diabètes. Beaucoup de ces incidents sont rapportés par les industriels, qui sont très bien organisés, pour rendre compte des éléments de risque. En ce qui concerne les dispositifs médicaux, certaines gammes de produits génèrent plus d'incidents...

M. Daniel RAOUL, Sénateur : En ce qui concerne les incidents touchant les lecteurs de glycémie, combien sont dus selon vous à l'environnement électromagnétique ?

M. Nicolas THÉVENET : Je ne dispose pas de pas toute l'information mais d'après l'analyse, je vous dirai aucun. Un certain nombre d'incidents surviennent et nous ne savons toujours pas à la fin de l'évaluation ce qui s'est passé. Le dispositif n'est pas en cause dans tous les incidents qui sont déclarés : l'environnement, l'usage du dispositif et son détournement éventuel par rapport aux recommandations du fabricant génèrent des incidents. Pour certains d'entre eux, il est possible d'imaginer l'existence de perturbations de l'environnement mais il est difficile de les recréer. On ne peut pas affirmer leur existence. Nous avons eu quelques cas, que je vous décrirai plus tard, pour lesquels il y a eu de vraies interférences. Ces incidents ont donné lieu à des actions.

En ce qui concerne le système de surveillance du marché, nous recevons de l'information pour tous les produits qui arrivent sur le marché avec des niveaux de risque élevés et nous les surveillons. Il existe également un enregistrement des produits qui font l'objet de certification, et nous menons des inspections chez les fabricants pour vérifier qu'ils mettent bien en œuvre les conditions fixées par les directives. Nous faisons également des évaluations bénéfice/risque concernant les interactions entre les dispositifs médicaux et les dispositifs médicaux implantables actifs. Je vous en décrirai une tout à l'heure.

La directive pose une exigence essentielle : « les dispositifs doivent être conçus et fabriqués de manière à éliminer ou à réduire dans la mesure du possible les risques liés à des conditions d'environnement raisonnablement prévisibles tels que les champs magnétiques, les influences électriques externes, les décharges électrostatiques. » Je passe sur cet aspect car beaucoup de risques de cette nature sont ensuite cités. C'est cette terminologie qui est proposée aux fabricants et dans la notice d'instruction, qui est un élément essentiel pour informer le patient ou l'utilisateur (on peut penser aux chirurgiens, aux médecins ou aux professionnels de santé), il est rappelé exactement les mêmes choses : les précautions à prendre en ce qui concerne l'exposition dans les conditions d'environnement raisonnablement prévisibles à des champs magnétiques doivent être mentionnées à l'intérieur de la notice d'instruction.

Je vous ai parlé de référentiel, nous parlerons des normes tout à l'heure.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : J'ai un doute... Cela veut dire que n'importe quel charlatan peut mettre sur le marché un appareil qu'il auto certifie. Vous ne vérifiez rien du tout en amont. C'est en aval que vous pouvez le faire retirer du marché.

M. Nicolas THÉVENET : Non, l'auto certification s'applique à la catégorie de dispositifs qui ont les plus faibles risques : je vais vous citer les cannes anglaises, les lits médicaux, certains instruments de chirurgie restérilisables par exemple. Dans les dispositifs médicaux, je ne les ai pas cités mais il y a le scanner, le préservatif, l'endoscope souple, la prothèse de hanche, un stent coronarien, un stimulateur cardiaque : c'est un vaste champ. Les exigences essentielles s'appliquent à toutes les catégories mais tous les produits des catégories 2 et 3 doivent passer par un organisme certifié, lui-même inspecté par les autorités compétentes. Nous inspectons par exemple en France le LNE 8 et nous vérifions qu'il applique bien les règles de certification des dispositifs. Le fabricant fait appel à cet organisme et ne peut pas faire n'importe quoi. Si le mécanisme fonctionne bien, et je pense que c'est le cas, les fabricants mettent sur le marché des produits qui répondent bien aux exigences de la directive.

Il existe des normes, je pense que certaines personnes reviendront dessus. Deux niveaux d'immunité ont été mentionnés, à 10 V/m et 3V/m, qui correspondent à la précaution la plus importante pour les appareils de système de maintien de la vie, pour reprendre les termes de la directive. Il faut rappeler qu'à travers cette définition, on entend les stimulateurs cardiaques déjà mentionnés, les défibrillateurs externes, les ventilateurs de réanimation. Il faut savoir que ces normes font l'objet d'un consensus international et il est mentionné que le fabricant, au regard de son analyse de risque, peut aller au-delà de ces préconisations en fonction de l'usage prévu de son dispositif. Si celui-ci doit fonctionner dans un environnement qui est beaucoup plus perturbé que ce qu'on peut attendre, il doit faire le nécessaire pour que cette immunité soit supérieure. C'est une des possibilités qui lui est offerte et si nous avions à analyser un dossier de cette nature, nous regarderions cela pour être toujours dans le cadre de cette balance bénéfice/risque.

En termes de vigilance, nous avons eu très peu d'incidents, ainsi que je l'ai mentionné. Je peux vous citer deux cas particuliers : un coup de seringue dans un camion de SAMU a été perturbé par le système de communication du camion, qui n'utilise pas de téléphone portable mais qui a une forte puissance, c'est un incident qui date je crois de la fin des années 90. Nous avons également eu le cas d'une personne, équipée d'un neurostimulateur, qui a réagi à un antivol de supermarché. Nous n'avons pas réussi à savoir s'il s'était arrêté ou s'il s'était mis en mode de fonctionnement de sécurité. Ce sont les incidents que nous avons retrouvés.

Un incident beaucoup plus grave est arrivé aux Etats-Unis, dû à une interaction forte, (je sors du domaine des téléphones portables) entre un neurostimulateur et un système de thérapie par diathermie 9 à onde courte : cette interaction a engendré des effets indésirables graves et irréversibles sur les patients. Des ondes sont remontées par les sondes du neurostimulateur implantées au niveau du crâne et ont engendré des nécroses. Il s'agit là d'un incident avec une interaction forte, à l'issue duquel nous avons lancé un groupe de travail dans notre Agence, à la demande de la Commission nationale de pharmacovigilance. L'objectif était de faire un bilan des interactions envisageables et des recommandations à apporter aux professionnels de santé quant à l'usage des dispositifs médicaux avec les dispositifs médicaux implantables actifs.

Nous avons publié un rapport en 2005 qui mentionne les interactions envisageables entre les stimulateurs cardiaques, les défibrillateurs cardiaques et les neurostimulateurs avec les ondes qu'on peut imaginer (les ultrasons, les rayons X, toutes les ondes d'électrochirurgie dont celles des bistouris électriques et les ondes électromagnétiques notamment de l'IRM). Ce rapport reprend chacune de ces catégories, les croise et donne des préconisations d'utilisation. Ce document est disponible sur notre site et nous allons essayer de l'envoyer aux sociétés savantes intéressées par ce type de perturbation. Nous nous intéressons aussi beaucoup à d'autres sujets : nous écrivons et les citoyens nous écrivent également pour disposer d'informations, par exemple sur les plaques à induction, sur les bracelets antivols et sur les bracelets pour maintenir les détenus à domicile dans le cas où ils seraient porteurs de dispositifs médicaux implantés.

Il faut encore mentionner que l'obsolescence des produits pour l'implantable actif est réduite du fait du remplacement total de l'ensemble du dispositif dans des durées de vie courte. Je tiens à mentionner que certaines sondes restent en place et qu'on ne change que le boîtier.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Tout à l'heure nous avions un éclairage cardiologique, alors que votre vision est beaucoup plus globale. Pouvez-vous nous confirmer que sur l'ensemble du spectre des dispositifs médicaux, l'impact fonctionnel venant des ondes électromagnétiques de l'environnement est inexistant ? Il n'y a donc aucun incident enregistré, que ce soit par exemple sur des prothèses auditives ou autres ?

M. Nicolas THÉVENET : Pour disposer des remontées d'un incident, il faut qu'il entraîne des conséquences pour le patient. On peut imaginer, ainsi que je l'ai testé, que des sondes d'échographie puissent être perturbées par le démarrage d'un groupe de froid, ce qui ne génère pas de conséquences graves pour le patient : l'image est complètement parasitée et le diagnostic n'est pas possible.

On peut imaginer, et je dis bien imaginer, des perturbations d'une audio-prothèse dans un environnement très perturbé. Ceci peut générer un risque dans la conduite de la vie, mais ce ne sont pas des incidents qui nous ont été rapportés. Ce que nous pouvons dire aujourd'hui en France, c'est qu'à l'exception de l'incident concernant le neuro-stimulateur et la diathermie, il n'y a pas d'incident qui nous pousse à agir, à émettre des recommandations, ou à aller plus de l'avant avec les industriels pour améliorer les choses. Nous n'avons pas de signaux aujourd'hui pour agir.

Nous restons tout de même très vigilants car nous savons que la technologie évolue en termes de communication. Les fréquences et les puissances évoluent, ainsi que l'environnement et nous essayons d'être à l'écoute de ces stimuli.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : J'aurais une question subsidiaire, avant de passer la parole à Monsieur KLEIN. J'aimerais que nous parlions du problème qui fait que vous n'avez aucune remontée d'incidents alors que des élus en ont. Peut-être cela résulte-t-il simplement de l'inquiétude et de l'angoisse, mais c'est aussi un problème qu'il faut traiter.

Docteur René DE SEZE : Il faudrait comprendre pourquoi les gens sont inquiets de cette façon.

Le milieu professionnel

M. Raymond KLEIN, Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) : Dans le milieu professionnel, on rencontre des sources de rayonnement électromagnétique, de perturbations électromagnétiques très intenses et les implants médicaux actifs (il y a de plus en plus de pacemakers et de défibrillateurs) sont soumis à ces perturbations.

L'INRS mais aussi les services de prévention des CRAM10, puisque je parle au nom de ces deux organismes, se sont penchés sur le problème, suite aux questions posées directement par les patients implantés, et par les médecins du travail. Les préoccupations soulevées ont amené l'INRS à faire sur le sujet un bilan des risques qui fait l'objet d'un document que je vais vous résumer.

L'INRS a cherché à savoir combien de personnes implantées étaient réellement exposées à des sources de perturbations électromagnétiques, qui peuvent aller du champ magnétique statique de même nature que celui qu'on rencontre dans l'IRM, jusqu'aux champs de très hautes fréquences utilisés pour les télécommunications.

Suite à ces études, on estime que quelques dizaines de personnes sont exposées à des sources de rayonnement intense dans le milieu industriel, en excluant le milieu tertiaire. À ce jour, très peu de cas nous ont été communiqués. Peut-être le faible nombre de personnes implantées fait-il qu'il y a eu très peu d'incidents.

Les personnes implantées sont suivies par le médecin du travail, qui peut être assisté par un cardiologue, en concertation avec l'employeur. Voilà ce que je pouvais dire du milieu professionnel et des implants médicaux actifs.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : J'ai une question à poser à Monsieur DIXSAUT : votre expérience confirme-t-elle les deux témoignages que nous venons d'entendre concernant le faible bilan de taux d'incidents ?

M. Gilles DIXSAUT, Médecin général de santé publique, Agence française de sécurité sanitaire et de l'environnement (AFSSE) : Je vous répondrai que l'Agence française de sécurité sanitaire, de l'environnement et du travail n'est pas directement compétente dans ce domaine de la compatibilité électromagnétique et que c'est la compétence de l'AFSSAPS, mais il nous remonte la même chose, c'est-à-dire rien.

M. LERUSSE, CRIIREM : Il y a 4 ans, un rapport auquel j'ai participé a été réalisé par l'UTB pour les transports publics, en particulier pour le métro, dans le cadre de l'école de santé des armées. Les militaires ainsi que les civils ont rapporté beaucoup plus d'incidents et je vous conseille de lire ce rapport. Une thèse qui a été publiée récemment rapporte aussi ce type d'incidents décrits dans la littérature, et non pas dans des rapports.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : Par qui a été demandé ce rapport ?

M. LERUSSE, CRIIREM : Ce rapport a été demandé par le ministère des Transports, et en particulier par l'UTB, pour la télébillettique dans le métro.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : De quelle nature sont les incidents relatés dans ce rapport ? Autrement dit, est-ce qu'il s'agit bien d'interférences entre les milieux électromagnétiques et...

M. LERUSSE, CRIIREM : Bien sûr.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : L'origine est-elle électromagnétique et pas seulement liée au dysfonctionnement d'un moteur ou quelque chose comme ça ?

M. LERUSSE, CRIIREM : Non, l'origine est électromagnétique.

M. Eric LEFEVRE, Ingénieur biomédical à l'Agence générale des équipements et produits de santé de l'AP-HP : Je travaille dans les Hôpitaux de Paris, à la centrale d'achat des équipements, mais j'ai aussi été ingénieur médical en établissement. Je peux vous dire sans problème qu'il existe des interférences avec le matériel médical et que nous avons tous connu ce genre de problème. Je vais prendre un exemple : lorsque vous posez votre téléphone à côté de votre ordinateur, vous savez souvent qu'il va sonner parce que les enceintes font un bruit avant que le téléphone ne sonne : il y a une interférence. Elle est gênante parce qu'elle fait du bruit, mais il n'est pas évident qu'elle produise un accident. On a constaté dans nos hôpitaux et même dans les publications que certains appareils, en général anciens, ont eu des perturbations. Le plus gênant est ce qu'on a pu lire dans une publication à propos des générateurs de dialyse : certains appareils ralentissent et ne délivrent pas le débit qu'ils doivent délivrer lorsqu'on colle trois téléphones portables en pleine puissance à la sortie de l'interface informatique. Peut-on en déduire qu'il y a forcément un accident ? Ce n'est pas du tout évident et on a sans doute peu de retours. Je ne connais pas d'accident, mais je connais des interférences. Dire qu'il n'y a pas d'interférence est faux : il y en a. Quant à produire des accidents, c'est là que les données peuvent être discutées.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : Un rapport vient d'être publié sur la sécurité des réseaux d'information. Il y a bien des interférences qui se produisent entre les données et les systèmes de télésurveillance, y compris en USI. Je suis étonné qu'aucun incident n'ait été remonté parce qu'il existe forcément des données numériques perturbées qui devraient conduire à des incidents sur le plan médical. Je ne comprends pas très bien. Les différents ministères, y compris celui de la Défense, devraient s'interroger.

Docteur René DE SEZE : Cela veut-il dire que la discussion d'aujourd'hui est élargie, au-delà des dispositifs médicaux implantés, à tous les équipements médicaux ?

M. Daniel RAOUL, Sénateur : Oui. C'était le sens de notre réunion. Il ne s'agissait pas simplement des implants médicaux.

Docteur René DE SEZE : En principe, lorsqu'on parle de dispositifs médicaux, ce sont les dispositifs médicaux implantables. Mais si on parle de tous les équipements médicaux et de tout ce qui a trait à la sécurité...

M. Daniel RAOUL, Sénateur : Excusez-nous Dr DE SEZE, mais nous ne sommes pas tous aussi spécialistes du milieu médical que vous.

Docteur René DE SEZE : Il s'agit donc de tous les aspects, y compris, si vous permettez, avec des équipements tels que des grues et des engins de chantier qui vont recevoir des interférences électromagnétiques et qui vont tomber sur quelqu'un. Est-ce qu'il faut aller jusque-là ?

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Ce que nous voulons dire par là est que la réflexion est plus large que la notion de dispositif implanté comme peut l'être un stimulateur, et porte sur l'ensemble des dispositifs médicaux.

M. Philippe SISSOKO, Responsable division ingénierie et réglementation, Laboratoire Emitech : Je travaille dans un laboratoire de compatibilité électromagnétique et je pense qu'une explication peut être donnée : il est vrai que beaucoup d'équipements électroniques sont testés, notamment électromédicaux, et il est évident que les équipements sont de mieux en mieux conçus vis-à-vis des perturbations électromagnétiques. On le voit par le nombre de conformités qui augmente. Mais il existe aussi une difficulté d'appréciation du retour : les personnes, lorsqu'elles ont des problèmes de CEM11, ne pensent pas toujours forcément à des problèmes liés à la compatibilité électromagnétique. Nous avons souvent été sollicités pour faire des expertises après élimination d'un certain nombre d'autres problèmes. La CEM n'arrive souvent qu'au dernier moment.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Ce que vous dites est très important. L'usager sent un dysfonctionnement, mais il lui est difficile de l'identifier et de le rattacher à une causalité précise. Une partie de l'écart ressenti entre les organismes centralisateurs d'incidents tels que l'AFSSAPS ou l'AFSSE, qui disent qu'ils n'ont pas d'incidents de compatibilité électromagnétique, et les usagers qui disent que leurs dispositifs ont été perturbés, s'explique par ce que vous venez de dire. Il faut rattacher ces incidents à une causalité précise, ce qui n'est pas très facile à faire.

Nous allons poursuivre en demandant le point de vue du milieu associatif. Notre ancienne collègue Madame RIVASI nous donnera son opinion et Monsieur Jean-Luc HAMELIN, Président de l'Association des porteurs de défibrillateurs cardiaques, nous apportera un point de vue de patient. Votre position est intéressante car elle nous permet d'avoir tout un spectre de points de vue différents.

Les analyses du milieu associatif

Mme Michèle RIVASI, Présidente du Centre de recherche et d'informations indépendantes sur le rayonnement électro-magnétique (CRIIREM) : Je vous félicite d'organiser une audition sur ce sujet, car les inquiétudes par rapport à des dysfonctionnements remontent à plusieurs niveaux, que ce soit dans les hôpitaux ou dans les avions, dans lesquels il peut y avoir un risque irréversible. La téléphonie mobile est aussi une problématique de riverains : il est gênant, lorsqu'on parle d'harmonisation des normes, que la téléphonie mobile, pour les fréquences de 900 MHz, 1800 MHz et 2200 MHz, aille de 41 V à 61 V avec une électro-incompatibilité à 3 V/m. Les gens se disent qu'en passant à proximité du lobe principal d'une antenne, leur pacemaker, pompe à insuline ou autre appareil en implant peut être perturbé, même si les experts affirment qu'il n'y a pas de danger avec les nouveaux appareils, en particulier avec les pacemakers puisqu'on ne parle pas trop des autres. Les gens se posent par exemple la question de savoir si tous les appareils sont blindés au moins sur 10 V. Il y a donc une incompatibilité au niveau des normes.

Le deuxième problème que je voulais souligner est celui-ci : les normes ont été faites jusqu'à 2 GHz, mais qu'en est-il du WiMax qui va au-delà de cette fréquence ? Quelles sont les normes des matériels qui vont être édités ? Il y a là une lacune énorme. Je laisserai tout à l'heure la parole au Docteur LERUSSE, qui est souvent demandé en tant qu'expert par rapport à ces problèmes d'incompatibilité, et qui vous donnera des exemples précis.

J'ai de plus un peu consulté les directives, et je voulais vous mettre en garde sur la notion de pic. Quand vous regardez la directive sur les CEM, vous voyez que ce sont les pics qui peuvent déstabiliser les appareils, et non les moyennes. Ceci remet en question tout ce qui est dit sur les normes ; quand on dit qu'il ne faut pas qu'à Paris par exemple on dépasse la moyenne de 2V/m pour 24 heures, il s'agit d'une moyenne, or ce sont les pics qui peuvent perturber les appareils.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : Les 2V/m ne sont pas une norme.

Mme Michèle RIVASI : C'est une autre discussion. Le sens de mon propos est de souligner qu'on parle souvent de moyenne, alors qu'en regardant attentivement ce que dit la directive sur le problème de CEM d'aujourd'hui, on s'aperçoit que c'est la notion de pic qui perturbe. Lorsque des mesures sont effectuées, il faut donc bien voir la moyenne mais aussi les pics qui peuvent se déclencher.

Ma dernière remarque concerne le marquage CE. Ce que vous avez dit m'intéresse, Monsieur THEVENET. Je suis assez surprise, lorsque je fais des mesures à la demande des collectivités territoriales, de voir que la norme CE ne figure pas sur beaucoup d'antennes. Je considère qu'à partir du moment où les antennes n'ont pas cette norme, elles sont illégales et je peux vous amener visiter de nombreux lieux en France où il n'y a pas la norme CE. Que veut dire le fait de ne pas avoir ce marquage ? J'ai récemment accompagné en Espagne des collectivités pour voir comment s'effectue la vérification : il existe toute une série de tests (le chaud, le froid, le rayonnement électromagnétique etc.) qui garantissent une charte de qualité. Et que se passe-t-il en France ? Comment se fait-il qu'il n'y ait pas de marquage CE sur des antennes sur les toits ou dans les lieux collectifs ? Il y a un déficit.

En ce qui concerne la remontée sociale, je me dis qu'il existe un problème en France. Les citoyens, lorsqu'ils ont une demande à formuler, s'adressent aux associations, mais il existe un déficit au niveau des organismes de contrôle tels que l'AFSSAPS ou l'AFSSE. Ces organismes ne disposent pas de cellules pour s'informer en permettant aux citoyens de faire remonter leurs problèmes. C'est l'image que donnent ces organismes à la population. Nous avons discuté assez longuement avec l'AFSSE de la solution à apporter à ce problème : il faudrait peut-être élargir le partenariat entre les associations et les organismes officiels pour que les remontées sociales soient plus nettes.

Je laisserai la parole à M. LERUSSE, qui a réalisé plusieurs expertises à la demande des hôpitaux ou des organismes.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Vos propos sont très importants. Nous sentons une montée des questionnements des usagers, des patients, alors que les organismes centralisateurs ne nous renvoient pas d'incidents à causalité nette d'interférence électromagnétique. La question qui est posée, et peut-être M. HAMELIN y reviendra-t-il tout à l'heure, est qu'un usager va nous dire « ça marche » ou « ça ne marche pas » ou « j'ai eu un problème ». Je reviens à ce que disait M. SISSOKO parce que nous sommes au cœur du problème : qui va réaliser l'analyse de l'incident et le rattachement causal en disant « ça n'a pas marché à cause de ça » ? Dans notre système de qualité au niveau global, qui relève cette fonction ?

M. Nicolas THEVENET : Si je peux me permettre de répondre, je ferai plusieurs remarques, et en premier lieu sur le marquage CE des dispositifs médicaux que j'ai décrit, à savoir que tout appareil électrique doit être marqué CE : il s'agit d'un autre marquage CE, comme il existe un marquage CE pour les jouets. Le marquage CE dispositif médical ne pourra jamais figurer sur une antenne puisque l'antenne n'est pas un dispositif médical. Je ne sais pas s'il est nécessaire de disposer d'un contrôle.

M. Philippe SISSOKO : Par rapport aux antennes, je vais vous donner quelques précisions. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec certains points que Madame RIVASI a développés. Le marquage CE est global dans les directives européennes « Nouvelle Approche » et il ne doit pas figurer sur n'importe quoi. Chaque directive a un champ d'application ; les antennes sont dans le champ d'application de la directive CEM, qui est une directive horizontale. Le marquage CE n'est pas applicable lorsque les antennes sont passives, mais il est applicable au dispositif auquel cette antenne sera connectée. Pour tester ce dispositif en vue du marquage CE, une antenne sera utilisée.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Pouvez-vous avoir la gentillesse de répondre à ma question ? Quand il y a un incident, qui en fait l'analyse et dit pourquoi il a eu lieu ? J'ai souvent entendu dire qu'il y a eu des incidents ; ceux-ci ne sont pas rapportés et c'est un manque car la loi dit que tout utilisateur ou tiers doit en faire état. J'avoue que ce n'est pas facile car les citoyens n'ont pas forcément connaissance de l'existence de ce système. Il est vrai que ces informations pourraient être rapportées par les associations de patients, qui assurent de plus en plus une communication directe sur des problématiques générales, et également par des citoyens : pour les pompes à insuline par exemple, ceux-ci nous déclarent les incidents directement.

M. Nicolas THEVENET : Lorsqu'un incident arrive, il est traité à la fois en interne, puisque nous avons des dispositifs d'évaluation avec un certain nombre de collègues scientifiques...

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Je me permets de vous interrompre car il faut que je vous demande plus que cela. S'il y a un incident, vous êtes en bout de chaîne. Peut-être devrais-je d'abord écouter Monsieur HAMELIN et revenir sur la remontée et l'analyse de l'incident...

M. Joe WIARD : Je veux simplement apporter un complément d'information : il existe des normes européennes sur la mise sur le marché et la mise en service des stations de base (les normes EN 50383 et 385, et les normes EN 50400 et 401), qui donnent les protocoles à suivre pour vérifier la conformité aux recommandations émises par l'Union européenne vis-à-vis de la protection des personnes. Ce marquage CE existe : on peut effectivement se poser la question de savoir s'il couvre l'ensemble des équipements médicaux, mais il n'est pas juste de dire qu'il n'existe pas.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : M. HAMELIN, avant de revenir à ce débat très important étant donné l'écart entre ce que nous disent les organismes centralisateurs et ce qui nous remonte par ailleurs, je voudrais que vous nous apportiez votre point de vue d'association de patients.

M. Jean-Luc HAMELIN, Président de l'Association de porteurs de défibrillateurs cardiaques : Je tenais à vous remercier d'avoir invité une association de patients à participer au débat. Il est vrai que nous avons parlé des dispositifs implantables vis-à-vis de l'industrie et des médecins, mais jamais vis-à-vis du patient. Je vais déjà vous expliquer un peu ce qu'est un défibrillateur cardiaque, car cela va ensuite jouer sur les conséquences d'interférence.

Un défibrillateur cardiaque, contrairement à un stimulateur cardiaque, est un petit appareil, implanté dans la poitrine, qui va ramener un cœur trop rapide à un rythme normal en déchargeant une quantité électrique importante et douloureuse pour le patient. C'est un « coup-de-poing » reçu dans le plexus dont on se souvient car c'est assez douloureux.

Nous avons eu connaissance de cas d'interférences. Comment cela se traduit-il ? Dans le meilleur des cas, le défibrillateur enregistre simplement une perturbation et le médecin, quand il interroge le défibrillateur, tous les 6 mois en général, va dire « tel jour, telle date et à telle heure, il y a eu quelque chose, pouvez-vous nous décrire ce que vous avez fait à cette heure-là ? » Le deuxième cas, un peu plus gênant, est l'effacement des mémoires ou des réglages du défibrillateur. Le troisième cas, franchement désagréable, est la réception d'un choc inapproprié, qui peut être à répétition. Pour le patient, un choc inapproprié est aussi un choc psychologique, car il ne comprend pas pourquoi il a eu ce choc alors qu'il n'a rien fait de particulier.

Nous ne pouvons pas dire que nous avons eu beaucoup de remontées sur des chocs inappropriés ou sur des effacements de mémoire, mais cela peut s'expliquer par plusieurs raisons, la première étant que les fabricants vous remettent un livret sur le défibrillateur avec des précautions énormes qui gênent en fin de compte la vie courante : ne pas utiliser d'appareil électroportatif, ne pas être au contact de plaques à induction, faire attention à l'utilisation des téléphones portables... À l'exception de quelques médecins comme le Dr FRANCK qui dit qu'on peut tout faire avec un défibrillateur cardiaque, beaucoup de médecins, par prudence, préfèrent indiquer des précautions assez importantes pour que les porteurs de défibrillateurs cardiaques ne subissent pas de chocs inappropriés ou de problème de réglage. Nous voyons aussi sur des forums d'Internet les discussions très alarmistes parce qu'une personne a reçu une décharge lors de l'utilisation d'un appareil défectueux ou hors norme.

Quant à l'utilisation quotidienne, nos porteurs ont en général une vie normale : ils passent sous les portiques des aéroports, dans les magasins, font de la soudure à l'arc, pourtant formellement interdite par les fabricants, sans avoir de perturbation, ou tout du moins de conséquence, pour leur défibrillateur.

Les cas rapportés ont révélé en fait des déficiences du matériel utilisé et non pas du défibrillateur en général. Aujourd'hui, les champs électromagnétiques en passant à côté de la motrice du TGV sont importants, et ce n'est pas pour autant que le défibrillateur cardiaque enregistre une défaillance ou un mauvais fonctionnement. Cela existe mais il est vrai que les précautions données par les fabricants sont tellement restrictives qu'elles faussent un peu le débat sur les effets des interférences électromagnétiques sur les défibrillateurs implantables.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Mon collègue RAOUL et moi-même en discutions et nous vous proposons de rester un moment sur ce débat, avant d'aborder les normes, pour nous attarder sur l'écart entre l'inquiétude, l'alerte remontée aux élus, et l'expertise scientifique assez rassurante qui est développée par les experts. Vous dites que les chocs existent. Que faites-vous, en tant qu'association, quand vous disposez d'un témoignage, sur un forum Internet par exemple, d'un de vos malades qui dit « je viens d'avoir un choc imprévisible, je n'ai rien fait d'anormal » ?

M. Jean-Luc HAMELIN: Notre démarche est de lui dire d'aller voir son médecin qui, en interrogeant l'appareil, va pouvoir déterminer si ce choc était réellement inapproprié ou dû à un mauvais fonctionnement du cœur. L'analyse du défibrillateur se fait sans ouvrir la poitrine : le médecin met une sorte de souris d'ordinateur sur la poitrine et il peut lire sur son moniteur le fonctionnement du cœur, mais aussi de l'appareil.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Ma question suivante est de savoir ce que font les médecins en cas de déclenchement du défibrillateur non justifié par un problème cardiaque ? Est-on organisé, du point de vue de la chaîne de remontée de l'information, pour remonter jusqu'à M. THEVENET ? Votre organisme, M. THEVENET, est-il branché sur le réseau des médecins traitants ?

M. Nicolas THEVENET : Pas pleinement en tout cas. Dans le cas décrit par exemple, et pour revenir à votre question initiale de l'évaluation d'un événement de cette nature, nous avons remis un diagramme aux professionnels de santé, puisque ce sont eux qui nous rapportent une grosse partie des incidents. Beaucoup d'événements ne sont pas déclarés car nous demandons de ne pas le faire lorsque quelque chose casse, tombe en panne, arrive en fin de vie ou a été mal utilisé.

En cas d'incident, si j'étais médecin, je poserais un certain nombre de questions et je ferais une déclaration si j'avais une présomption claire que le produit a dysfonctionné, que ce n'était pas prévu par l'industriel et que cela a eu des conséquences graves pour le patient parce qu'il s'est retrouvé dans une situation difficile. En revanche, si j'ai un terrain clinique un peu particulier, ou que cet appareil se situe davantage dans une problématique de panne, j'aurais tendance à aller vers le fabricant et à proposer une alternative. Le choix est fait par le praticien, c'est la raison pour laquelle nous n'avons pas forcément toute l'information.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Votre réponse est très intéressante. Le médecin traitant, une fois que le patient lui a signalé l'incident, lit les données et voit s'il y a eu incident, c'est-à-dire déclenchement intempestif du défibrillateur. Vous êtes en train de dire, et cela semble logique, qu'il va d'abord se tourner vers le fabricant. Le fabricant est-il obligé de saisir l'AFSSAPS ou y trouve-t-il quelque intérêt ? N'a-t-il pas plus intérêt à corriger le matériel et à se taire ?

M. Nicolas THEVENET : Non, le fabricant a des obligations réglementaires. Il faut savoir que nous sommes dans l'implantable actif : ces produits sont actifs et implantés dans des personnes. Nous ne pouvons pas les sortir, les analyser puis les remettre, contrairement à d'autres types d'équipements, des matériels ou du consommable, analysables plus facilement après usage. L'exercice est ici beaucoup plus complexe, puisque l'appareil est à l'intérieur du patient et il faut trouver la meilleure porte de sortie par rapport à ce dysfonctionnement. Ce que nous pourrions proposer dans une telle situation serait de voir si l'événement se renouvelle pour, le cas échéant, se poser un certain nombre de questions. Il ne faut pas oublier qu'explanter un produit de cette nature engendre des risques non négligeables. Nous ne pouvons pas prendre cette décision, qui doit se faire au niveau du rapport que le clinicien entretient avec son patient. Je ne sais pas si je peux faire des analogies avec d'autres types de prothèses qui ont vraiment posé de grosses problématiques, je pourrais vous les conter pour vous faire voir le mode de réflexion. Il est difficile, dans le cas des produits implantables, d'avoir une décision générale. Nous sommes là pour accompagner le processus. Un produit peut générer un incident qui à la première lecture ne nous apprend pas grand-chose, mais si nous prenons connaissance 15 jours plus tard d'un autre incident sur le même lot de produits, et d'un autre 3 semaines après, toujours sur le même lot, nous commençons à nous inquiéter, à aller voir le fabricant et à nous poser un certain nombre de questions. Nous seuls pouvons centraliser l'information et construire des actions, car le clinicien dans son coin ne va avoir qu'un seul patient. Toutes les données sont évidemment informatisées et nous essayons de les recouper au maximum et d'avoir des éléments statistiques.

M. Jean-Luc HAMELIN : Nous ne pouvons nous retourner vers personne, car le fabricant de défibrillateurs fait état de tant de précautions à prendre qu'il s'isole de toute plainte.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Si un médecin traitant l'interroge, il va répondre.

M. Jean-Luc HAMELIN : Sur le livret que vous remet le fabricant, il est précisé que l'utilisation d'un appareil électroportatif, une perceuse par exemple, est déconseillée. Le patient ressort de chez le médecin en disant qu'il ne va plus faire de bricolage.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Dans la chaîne de remontée à l'organisme de centralisation, il n'y a rien de systématique. Il y a vraiment une rupture. Le patient va voir son médecin traitant, et il n'existe pas entre le médecin traitant et vous de mécanisme de remontée systématique des incidents.

M. Nicolas THEVENET : Le médecin traitant doit connaître l'existence d'un système de matériovigilance. C'est son travail ; des correspondants et des cellules de gestion des risques sont présents dans les établissements de soins. La plupart des professionnels de santé en sont actuellement informés, mais ce n'est peut-être pas le cas dans le secteur libéral. C'est la réalité de la répartition de la médecine en France.

Le clinicien, à partir du moment où il a un doute, nous déclare l'incident, et c'est à nous de l'évaluer. Il est évident qu'il faut qu'il ait le désir de le faire, mais c'est un désir réglementaire car il n'a pas la connaissance suffisante pour soigner son patient. S'il estime que le produit peut être mis en cause (je vous rappelle que notre Agence travaille sur les produits de santé), il nous remonte et transmet l'information.

Un nombre assez conséquent d'incidents, je ne peux pas vous en donner le pourcentage, aboutit à un traitement sans suite faute de pouvoir en retrouver les causes. Je rejoins ici ce qui a été dit tout à l'heure : au bout d'un moment, la question de la compatibilité électromagnétique ou de l'environnement se pose parce que toutes les autres causes ont été écartées. On se dit qu'on aimerait bien savoir pourquoi et comment l'incident s'est déroulé, et on n'arrive pas à le reproduire dans l'établissement parce que les conditions d'environnement ne sont plus les mêmes. Je suis d'accord que cette question peut se poser. Ceci étant dit, je tiens à préciser qu'un choc inapproprié n'est pas lié à chaque fois à un problème de compatibilité électromagnétique.

M. Gilles DIXSAUT : Pour revenir à une considération générale, la compatibilité électromagnétique est un concept qui met en jeu un système coupable, un système victime et un mode de couplage entre les deux qui a un caractère probabiliste. Nous en avons un ensemble d'exemples extraordinaires avec les automobiles actuelles et la multiplication des systèmes électroniques et des pannes qui y sont liées. On ne peut pas dire qu'il existe un lien entre niveau de champ et probabilité d'incompatibilité électromagnétique, puisque vous avez des matériels testés dans les automobiles jusqu'à des niveaux de 100 V/m qui vont tomber en panne pour des problèmes de compatibilité électromagnétique à des niveaux de champs extrêmement faibles, parce que le couplage se fait. Nous ne parlons pas ici de niveaux de champs mais de couplages.

J'ai rencontré récemment un problème avec une voiture qui est tombée en panne à cause d'une incompatibilité liée au système de surveillance de la pression des pneus. Ce système était présent sur ce véhicule seulement, et non pas sur l'ensemble des véhicules de la série. Ce problème n'a pu être réglé qu'en supprimant le système car il s'agissait d'un problème de compatibilité entre les différents systèmes du véhicule. La multiplication des systèmes électroniques dans les véhicules fait qu'on n'en a pas deux identiques : aucun n'a le même câblage ni le même équipement.

Les éléments sont testés un par un pour des niveaux de champs pouvant aller jusqu'à 500 V/m, mais c'est la configuration d'ensemble qui, pour des raisons purement probabilistes, va donner lieu à une incompatibilité, et celle-ci peut survenir de façon imprévisible. La voiture va très bien rouler jusqu'à l'intervention d'un mécanisme de couplage, pour une raison qu'on ignore et qui peut être générée par un élément extérieur. Le problème est actuellement bien connu dans l'industrie automobile ainsi que dans l'aviation puisqu'il y a plusieurs centaines de kilomètres de câbles dans un avion. La difficulté ne peut pas se résumer à un problème de niveau de champ, il s'agit vraiment d'un problème de couplage de systèmes.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : Toutes les nouvelles technologies, et en particulier le multiplexage dans les réseaux dans les automobiles, conduisent à des gags, dans la mesure où tout se passe bien. Je vais vous donner un autre exemple qui n'a rien à voir avec les pneus : j'avais un collègue garé à Saint-Malo sur les remparts, qui était incapable de faire redémarrer sa voiture. Il a téléphoné au service d'assistance qui lui a demandé où il était exactement et qui lui a dit de déplacer son véhicule de 10 mètres, tout simplement parce qu'il était dans l'axe de la radiobalise de l'entrée du port de Saint-Malo. Il a alors redémarré : il y avait une interférence, un couplage entre son réseau et la radiobalise.

M. Gilles DIXSAUT : Un autre exemple bien connu est celui des antennes de Radio France International à Saint Aoustril : lorsque les voitures, équipées des premières générations d'ABS, passaient devant, leurs freins se serraient et il fallait les déplacer avec un plateau. Les systèmes ont ensuite changé et le problème a disparu. Ceci fait partie des gags d'incompatibilité que l'on observe...

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Il faudra évoquer la chaîne de remontée des incidents car il n'est pas évident qu'elle soit efficace. Pour plaisanter un peu, la notion de désir réglementaire est un concept un peu bizarre. Est-ce qu'il y a une obligation réglementaire ? Peut-il y avoir une motivation quelconque pour un fabricant ou un praticien à remonter un incident ? C'est un point sur lequel nous allons pouvoir insister.

En second lieu, vous venez d'avoir un débat très intéressant. Finalement, d'un point de vue de la modélisation de l'interférence, le couplage des deux systèmes, victime et coupable, n'est pas évident. Cela veut dire que même la modélisation de l'interférence n'est pas évidente car elle n'est pas un système reproductible identifiable. Est-ce que vous confirmez ces paroles, Messieurs de France Telecom et des laboratoires ? Confirmez-vous cette notion de reproductibilité compliquée de l'interférence telle que vient de la décrire M. DIXSAUT, ou est-ce que vous savez parfaitement créer une interférence ?

M. Philippe SISSOKO : Pour revenir au problème de la remontée de l'information, il est vrai qu'aujourd'hui, elle est très difficile. Lorsque la personne qui utilise l'appareil est vraiment embêtée, vers la fin, quand elle a exploré un certain nombre de pistes, elle se tourne vers la CEM. Nous avons eu aussi dans de rares cas à faire des expertises judiciaires, parce qu'il y avait vraisemblablement identification d'un problème de perturbation électromagnétique.

Pour revenir à votre question, la modélisation se fait de plus en plus. Aujourd'hui, des logiciels relativement puissants existent. Ils ont démarré dans l'aéronautique puisqu'il y a eu un certain nombre de problèmes dans les avions et que ceux-ci transportent tout de même beaucoup de personnes. Dans l'automobile, la modélisation arrive en force.

Pour aller dans le sens de M. DIXSAUT, je dirai que la difficulté réside aujourd'hui dans les modes de couplage qu'on peut avoir dans un véhicule ou dans une configuration et qui ne sont pas évidents. Prenez l'exemple d'un appareil de mammographie : il s'agit d'un ensemble qui va remplir la salle de câblages et il n'existera pas deux installations identiques. Il n'est pas évident qu'un système testé dans un site à 3 V/m fonctionnera à 3 V/m dans un autre site. C'est pour cette raison qu'une réponse à votre question est aujourd'hui une standardisation beaucoup plus poussée. Par exemple dans l'automobile, le niveau de champ est de 200 V/m dans la bande de fréquence allant de 1 Méga à 3 Gigas. On applique des champs de 200 V/m, tout en sachant qu'il est très difficile d'avoir cette intensité dans la vie de tous les jours. On sait cependant grosso modo que pour 200 V/m expérimentés en laboratoire, le produit une fois installé dans le véhicule descendra à des niveaux d'immunité de 10, 20, 30 ou 40 V/m, du fait de la dégradation apportée par le câblage dans l'automobile. Le câblage a aujourd'hui un impact relativement important dans les problèmes de CEM.

M. Lionel DREUX, Directeur adjoint du Laboratoire national d'essais et de métrologie (LNE) : J'appartiens au Laboratoire national d'essais et de métrologie qui a été désigné comme organisme certificateur français dans le cadre de l'application des trois directives sur les dispositifs médicaux. Je n'interviens pas en tant que membre d'un organisme certificateur mais en tant qu'expert de laboratoire en compatibilité électromagnétique.

En compatibilité électromagnétique, il est difficile de traiter une situation exhaustive avec des systèmes complexes. Si je reprends l'exemple du défibrillateur cardiaque en présence de la perceuse, le champ normatif impose des exigences au défibrillateur cardiaque pour qu'il soit immunisé vis-à-vis des perturbations que peuvent provoquer une perceuse, principalement des courants de fuite, mais à condition que cette perceuse soit elle-même conforme aux exigences auxquelles elle est soumise. On parle bien de compatibilité entre des éléments, et tous les éléments portent leurs exigences, il ne faut donc pas forcément mettre en défaut, dans ce cas précis, le défibrillateur cardiaque. Le problème vient peut-être de l'outil utilisé qui n'est pas conforme ou qui ne respecte plus sa conformité parce qu'il s'est dégradé. Cette exhaustivité de situation est absolument impossible à traiter : le problème de la compatibilité électromagnétique est examiné en posant des hypothèses qui, bien entendu, ne couvrent pas l'ensemble de la problématique.

Le choix du côté des transports est d'appliquer des niveaux de champs très élevés, ce qui, en imposant une contrainte économique très forte sur les produits, fait augmenter leurs coûts. Il arrive même qu'on doive se passer de certaines évolutions technologiques qui ne permettront peut-être pas d'être conforme à ces niveaux de champs. Du côté des dispositifs médicaux, d'autres choix ont été faits. Nous pourrons y revenir lorsque nous parlerons de la construction des normes.

M. Joe WIARD : En ce qui concerne votre question relative à la modélisation, je pense qu'on voit à travers l'exemple de l'automobile que le problème est double. Il y a d'un côté les équipements implantés, relativement autonomes, tels que les pacemakers et les défibrillateurs : nous avons vu que le pacemaker était un appareil compact sans connexion avec d'autres appareils. L'analyse d'immunité de l'appareil est faite selon sa conception et les conditions dans lesquelles il peut y avoir une perturbation, mais je pense qu'il est important de prendre en compte que tous ces appareils implantés ne sont pas en espace libre : quand on parle de 3 ou de 10 volts, il s'agit de niveaux de protection de l'appareil qui se trouve à l'intérieur de la personne. Il existe un effet d'écran puisqu'il va par exemple y avoir une réflexion de l'énergie sur la peau et que les tissus vont en absorber une partie. L'immunité du système implanté est donc a priori plus élevée que l'immunité de l'appareil à l'extérieur. Ceci est le premier élément.

Le deuxième élément, puisque notre débat va au-delà des systèmes implantés, est la question posée sur la connexion et sur le fait qu'un ensemble de câbles disposés selon une certaine configuration va donner un certain couplage, mais qu'un changement de cette configuration va coupler à une autre fréquence avec peut-être des polarisations différentes. Nous nous retrouvons alors dans une problématique qui n'est pas celle des équipements. Peu d'équipements à l'intérieur de la personne sont connectés entre eux de manière autonome. Nous sommes plutôt dans une problématique liée aux hôpitaux ou à la limite aux soins à domicile avec des équipements qui, même s'ils sont marqués CE individuellement, peuvent ne pas avoir le même degré d'immunité une fois connectés. Je pense qu'il est important de ne pas mélanger les deux, au risque de ne pas avoir une analyse propre permettant de décaler les choses.

Concernant la modélisation, et je vais terminer par là, je pense que des travaux sont en cours et qu'ils doivent être intensifiés en ce qui concerne la fonction de transfert de l'être humain, pour pouvoir passer d'une immunité donnée en espace libre à une immunité qui prendrait en considération la présence de la personne. Ces travaux à mener expliquent aussi la résistance plus importante qu'attendue des appareils. Pour les pacemakers, la recommandation faite par les cardiologues est de dire : « Ne mettez pas votre pacemaker à moins de 20 cm, moins de 10 cm pour les derniers modèles ». Ces recommandations prennent en considération que le pacemaker est à l'intérieur et que le signal est de mieux en mieux traité. M. HAMELIN nous a rapporté que le défibrillateur constatait une interférence, détectait le bruit et, en adaptant son traitement du signal, décidait de ne pas choquer alors qu'il y avait bien une perturbation. Je pense qu'il faut prendre en considération cet ensemble.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Nous avons quand même avancé et deux sujets ont émergé : la chaîne de remontée d'information d'un incident qui doit irriguer jusqu'à nos organismes de certification d'analyse, et les difficultés théoriques pour modéliser ces interférences, étant entendu qu'elles sont très variables en fonction de la configuration.

J'ai une question pour revenir au début de notre sujet. Daniel RAOUL m'a fait remarquer gentiment que nous étions partis de la téléphonie mobile et que nous nous en étions éloignés. Nous allons vers des téléphones qui n'ont plus rien à voir avec ce qu'ils étaient. Il s'agira bientôt de petites télévisions portatives. Est-ce que quelqu'un a réfléchi à cette question ? Physiquement, c'est en train de bouger considérablement et on va vers des terminaux tout à fait différents. Comment anticipez-vous ce qui arrive dans la téléphonie mobile ? Vous allez me dire que vous n'êtes pas SFR ou une autre compagnie. Il y a France Telecom bien sûr, mais ce n'est pas Orange. M. WIARD va assumer, il s'agit du même groupe. Nous travaillons, à l'Assemblée et à la Commission des affaires économiques, à l'arrivée imminente de la télévision mobile. Comment anticipe-t-on le problème de perturbation ? C'est un changement majeur qui se profile car on sait que des millions de personnes vont changer de télévision. Comment cela a-t-il été balisé ?

M. Joe WIARD : En ce qui concerne la télévision, la question est assez simple : deux aspects caractérisent aujourd'hui les terminaux de type téléphones mobiles qui intègrent la télévision. La télévision peut tout d'abord passer par le réseau UMTS 12 et les problématiques sont alors les mêmes qu'en téléphonant avec l'UMTS. On peut aussi se retrouver avec les télévisions mobiles type TNT13sur les portables : dans ce cas, la télévision n'est rien car les interférences à la maison liées à la télévision sont ni plus ni moins liées à de l'électronique comme un MP3. C'est pour cette raison que je vous dis que c'est à la fois simple et compliqué, dans le sens où pour la télévision mobile en réception de type TNT voie descendante, le portable n'émet rien et reçoit la télévision, avec un niveau de risque type duMP3 ou baladeur.

Quand on élargit cette question, qui est tout à fait justifiée, ainsi que j'y reviendrai tout à l'heure, nous avons réalisé pas mal de tests à l'hôpital pour examiner les possibles interférences avec le matériel. Nous avons aussi aidé des équipes à réaliser des études sur les pacemakers. En regardant un peu la puissance et les fréquences, nous avons constaté que plus on montait en fréquence, plus l'épaisseur de peau était petite et l'absorption des ondes électromagnétiques se faisait de manière superficielle. Ceci ne règle pas tout mais une partie du problème des équipements implantés. La peau réfléchit une partie de l'énergie et en absorbe.

Il est vrai que la notion de puissance moyenne telle qu'on peut l'utiliser en termes d'absorption moyennée sur tant de minutes n'est pas forcément très adaptée à la CEM. Quand on se penche sur les questions de puissance, on voit qu'on est passé de terminaux de type radiocom 2000 qui émettaient des puissances importantes à des terminaux cellulaires qui ont des puissances de plus en plus faibles. On passe de terminaux de type GSM de puissance théorique de 2 watts (la réalité est plutôt du côté de 1,5 W) sans avoir l'ensemble des contrôles de puissance.

Nous pourrons revenir aussi sur toute l'action du réseau, qui a en permanence pour objectif de réduire les interférences et donc de diminuer les puissances. Il est effectivement possible d'avoir 2 W quand on met en route le portable ou quand il se met à sonner, avec des terminaux 1800 qui fonctionnent avec une puissance crête de 1 W, des DET (les DET sont les terminaux sans fils que nous avons à la maison) qui fonctionnent avec une puissance crête de 0,25 W et un système UMTS qui fonctionne avec une puissance crête de 125 mW. Dans ces domaines les puissances diminuent donc.

M. Lionel DREUX : Il ne faut pas non plus se focaliser sur la montée en fréquence de ces perturbateurs, mais se poser la question des victimes dans l'équipement que sont les composants électroniques. Il a été démontré qu'il n'était pas nécessaire pour les composants utilisés aujourd'hui dans les dispositifs médicaux de faire des essais au-delà de 3 GHz parce qu'il n'existait pas de susceptibilité. Il est clair que le jour où on intègrera dans tous les systèmes électroniques, que ce soit l'implantable actif ou les dispositifs médicaux, des composants électroniques qui présenteront des risques de susceptibilité à des fréquences plus élevées, le champ réglementaire et la norme évolueront pour réaliser des tests dans ces fréquences.

M. LERUSSE, CRIIREM : J'aurai deux remarques à faire, la première étant à propos du couplage. Il y a des couplages à éviter, comme mettre des transformateurs sous les trésoreries générales et sous les salles d'opérations médicales. Je ne dis pas que c'est classique mais il nous est arrivé assez souvent de rencontrer ce type de problème. Quand les ordinateurs des impôts ne fonctionnent plus, le problème est vite réglé, mais on a du mal à faire comprendre qu'il ne faut jamais mettre de gros transformateurs sous les salles d'opérations en raison des équipements, ce qui arrive malheureusement. Nous essayons d'expliquer cela pour que ça ne se reproduise pas mais ce n'est pas facile.

Ma deuxième remarque concerne la remontée des problèmes. L'Assistance publique des hôpitaux de Paris a fait remonter un certain nombre de problèmes liés au Wifi, au point que ceci a déclenché une étude des mesures à envisager et une étude de l'état des lieux avec des solutions appropriées. Il s'agissait de problèmes qui touchaient les pacemakers et d'autres appareils, et en particulier le matériel électronique embarqué sur les lits et ce qu'on appelle l'agenda électronique : il est un peu ennuyeux de devoir faire une distribution de médicaments avec un agenda électronique qui ne fonctionne pas.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : Votre remarque rejoint exactement le rapport au Gouvernement sur la sécurité des systèmes d'information, présenté récemment par notre collègue Député M. Pierre Lasbordes devant l'Office parlementaire. Je suis très étonné qu'aucun incident ne remonte de ces domaines-là. On a parlé des pacemakers etc., mais je suis plus inquiet en ce qui concerne la commande des distributeurs d'oxygène, d'insuline ou d'autres appareils. Je suis étonné qu'il n'y ait pas de remontée.

J'aurais aussi une question à poser à M. HAMELIN. Deux propositions de loi ont été déposées, une à l'Assemblée nationale et une au Sénat, concernent les actions de groupe, l'équivalent des « class actions ». J'ai en particulier souhaité dans la proposition de loi du Sénat que le domaine de la santé soit associé au domaine de la consommation pour que l'action de groupe ne se limite pas simplement au domaine de la consommation. Les domaines de la santé et de l'environnement devraient relever de ce champ, ce qui permettrait peut-être de retrouver le lien entre les incidents de base et la remontée aux organismes adéquats. Un individu seul a beaucoup de difficultés à faire remonter ce genre d'incidents, tout comme le médecin généraliste de base dans son coin, dont je ne suis pas sûr qu'il ait les compétences pour analyser la chose et dire « peut-être que c'est une interférence de type électromagnétique ». Je suis persuadé que les associations pourraient être plus larges que celles qui sont agréées au sens du droit de la consommation à l'heure actuelle. Santé et environnement pourraient être associés.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Vous voyez qu'aux yeux de mon collègue Daniel RAOUL, vous êtes plus compétents pour ce problème particulier que le médecin traitant, ce qui ouvre des polémiques... Je ne suis pas loin de penser comme lui.

Nous avons bien identifié deux thématiques majeures : la remontée des incidents, analysée en termes de système et pour laquelle des propositions peuvent être faites. Daniel vient d'ailleurs d'en faire une. La deuxième thématique concerne l'interférence qui est non seulement, pour reprendre votre construction conceptuelle, un système coupable et un système victime, mais aussi l'environnement qui est autour et qu'il va falloir intégrer.

M. Raymond KLEIN : Je voudrais simplement apporter une information concernant la remontée des incidents en milieu industriel : le salarié victime d'un incident de pacemaker n'a pas forcément envie de le faire savoir autour de lui, ce qui fait que la remontée est coupée à la base. Cet élément peut aussi expliquer la faible remontée dont on dispose dans ce domaine à l'INRS.

Mme Michèle RIVASI : J'ai eu connaissance de remontées par rapport à des salariés qui installaient des antennes qui ont été victimes de leucémies. Ils se posent des questions : ils sont allés faire des contrôles et ont vu que l'antenne qu'ils devaient changer était débranchée, mais les autres opérateurs ne l'avaient pas coupée. Nous avons certaines remontées là-dessus. S'il y avait cette proposition de « class action », ce serait « un plus » pour la demande citoyenne, car nous nous battons depuis longtemps pour que les gens puissent se regrouper et qu'il y ait une véritable expertise sur ce sujet.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Je vous propose une petite pause de cinq minutes.

Les normes actuelles

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Maintenant que nous avons posé les problèmes, il va falloir analyser leurs conséquences, définir des seuils d'immunité et des points de repère pour l'industrie et les praticiens, car nous nous situons dans un système de normes.

Nous avons identifié trois points : comment réalise-t-on ces normes ? Nous entendrons Monsieur DREUX, Monsieur LAINÉ et Monsieur POUPET. Nous verrons ensuite nos deux autres questions : ces normes sont-elles opérationnelles en milieu hospitalier ? Qu'en pensent vraiment ceux qui sont censés les garantir et les appliquer, à savoir les fabricants de matériel médical ?

Nous allons donc commencer par la conception des normes. Monsieur DREUX, vous avez la parole.

La conception des normes

M. Lionel DREUX, Directeur adjoint du Laboratoire national d'essais et de métrologie (LNE) : Les normes ne sont que des outils à disposition des industriels pour répondre aux exigences essentielles des directives. Ceci est un point très important. Les industriels ont l'obligation de répondre aux exigences essentielles, comme cela a été rappelé tout à l'heure.

Nous sommes face à deux directives distinctes : une directive « dispositifs médicaux » (la 93-42) et une directive « implantables actifs » (90-385). Aujourd'hui, les normes de base en compatibilité électromagnétique qui s'appliquent aux dispositifs médicaux autres que les implantables actifs sont les normes de 2001 de la série EN 60-601-1-2.

Cette norme a trois principes de base : elle exige tout d'abord un niveau d'immunité des dispositifs médicaux tels que les systèmes de respiration artificielle, les mammographes, échographes, seringues (je ne parle pas des implantables actifs) sur un environnement typique de 3 V/m modulés en amplitude pour des dispositifs médicaux ne présentant pas un risque important, et de 10 V/m pour des dispositifs médicaux dits d'assistance vitale, par exemple les équipements d'anesthésie réanimation. Il s'agit du niveau minimum pour lequel nous sommes capables de démontrer que le produit est immunisé, ce qui ne veut pas dire que le produit va dysfonctionner au-delà. Nous savons pertinemment qu'on ne passe pas dans notre domaine d'une situation de complète immunité à une situation de dysfonctionnement.

Pour compléter ce principe, le deuxième consiste à imposer des dispositions d'emploi de ces équipements pour garantir leur utilisation dans l'environnement typique. On rejoint la problématique évoquée tout à l'heure d'emploi correct et d'association correcte des systèmes les uns avec les autres. Une recommandation très simple, écrite dans les notices d'emploi, est de ne pas empiler les équipements les uns sur les autres, car on ne garantit pas qu'en les empilant, on n'ait pas des situations où les niveaux de 3 ou 10 V/m soient dépassés. Des distances de protection vis-à-vis des émetteurs vont aussi être imposées : on va demander de ne pas installer un dispositif médical à une distance inférieure à tant de mètres d'un émetteur qui peut être dans l'environnement, cet émetteur pouvant être un téléphone portable, une station de base ou tout autre type d'émetteurs radio. Ceci veut dire que lorsqu'on utilise un dispositif médical, il faut bien lire la notice et l'employer dans les conditions spécifiées.

Le troisième principe est basé sur une analyse de risque du fabricant : s'il anticipe que l'utilisation de son dispositif médical ne permet pas de respecter des règles de base d'utilisation, il est de sa responsabilité d'aller vérifier l'immunité de son produit à des niveaux supérieurs et son analyse de risque va porter sur ce qui peut se passer en cas de défaillance de son équipement, pour s'assurer que le risque est minimisé pour le patient. En cas de défaillance du respirateur artificiel par exemple, la régulation de l'oxygénation s'arrête mais n'est pas coupée : les vannes s'ouvrent complètement et déclenchent les alarmes pour alerter l'ensemble du personnel médical afin qu'il intervienne immédiatement. On va toujours se retrouver dans des situations de risque maîtrisé.

Ces trois principes fondent la norme et sont à utiliser par le fabricant pour répondre aux exigences essentielles de sécurité, pour les dispositifs médicaux par exemple. Dans le cas des implantables actifs, tous les implantables actifs (la pompe à insuline, le pacemaker, le défibrillateur cardiaque etc.) sont soumis à la norme EN 45502-1. Pour les pacemakers, des exigences spécifiques sont déclinées dans une norme complémentaire (EN 45502-2-1). L'ensemble de ces produits est soumis aux mêmes exigences normatives. On ne parle pas alors de champ électromagnétique mais de perturbation conduite sur ce produit, puisque les phénomènes de perturbation ne sont pas directement la présence des champs électromagnétique mais leur transformation en courant dans le corps. On parle de l'induction, ainsi que de chemins de couplage, donc nous avons été un peu plus loin dans l'approche physique.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : Puis-je vous interrompre ? Vous êtes en train de décrire les normes actuelles. Nous serions intéressés de connaître leur genèse. Qui les élabore ? En fonction de quoi ? Je ne comprends pas pourquoi on parle de 3 V/m pour certains appareils et de 10 V/m pour d'autres. Je me doute qu'il existe des raisons liées à la diversité des matériels.

M. Lionel DREUX : Ces normes vivent et évoluent avec les progrès technologiques et les remontées d'incidents et d'accidents éventuels. Ce sont des produits vivants, qui ne sont pas gravés dans le marbre ad vitam aeternam. Vous voyez que nous sommes aujourd'hui sur l'édition 2001, nous sommes passés par des phases d'évolution normative et nous avons tenu compte des progrès technologiques. L'ensemble des industriels, des laboratoires et des autorités ont la charge d'assurer que les produits, lorsqu'ils seront mis sur le marché, seront sûrs pour l'utilisateur. Ce sont des comités de normalisation ouverts à des industriels, des autorités, des associations, des laboratoires, qui vont concevoir ces normes pour répondre aux exigences essentielles. Il faut bien voir que nous sommes dans une problématique internationale et que ces normes sont construites par le Comité électrotechnique international. Elles sont ensuite reprises en tant que normes européennes avec d'éventuelles spécificités dues aux exigences des directives qui ne sont pas forcément complètement intégrées par les normes internationales. Nous sommes dans un schéma de construction des normes sur la base du consensus entre tous les acteurs qui ont un intérêt à ce que ces normes soient mises sur le marché et fonctionnent.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : Pourquoi parle-t-on par exemple au Parlement européen de 6V/m pour la téléphonie mobile ? Vous parlez aussi de 3 V/m pour les appareils, de 10 V/m etc. ? S'il y a un effet sanitaire, je ne parviens pas à comprendre que ce soit si différent.

M. Lionel DREUX : Il ne faut surtout pas confondre la problématique de champ électromagnétique maximum pour les humains et celle de compatibilité électromagnétique pour les appareils. Je vous ai bien dit que le deuxième principe fondamental des normes actuellement applicables aux dispositifs médicaux était d'utiliser ces dispositifs médicaux dans un environnement maîtrisé.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : On peut en arriver à une absurdité. Monsieur HAMELIN évoquait la liste des préconisations selon lesquelles un pacemaker devait être employé. Le constructeur « se blinde » tellement qu'on ne trouvera jamais un défaut dans le système, puisqu'il faut pratiquement être dans une cage de Faraday pour que tout fonctionne bien. J'exagère, mais...

M. Lionel DREUX : Je pense que c'est exagéré. Aujourd'hui, pour que tout fonctionne bien, on doit se trouver dans un environnement maîtrisé, ce qui veut dire que tous les éléments de cet environnement répondent à des exigences. Il est possible de se retrouver dans la situation où un des éléments de cet environnement ne respecte pas l'exigence, d'où les limitations des industriels, mais aujourd'hui, si vous respectez les conditions d'utilisation décrites dans les notices d'emploi des dispositifs médicaux, à condition que vous sachiez les respecter mais c'est un autre débat, l'industriel vous garantit que votre équipement sera utilisé de façon sûre. Ceci n'empêchera pas peut-être des dysfonctionnements, mais s'ils n'ont aucun impact sur la sécurité du patient, on restera dans un environnement sûr.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Nous allons écouter Monsieur LAINE avant de poser des questions sur la façon dont naissent les normes.

M. Thierry LAINÉ, Union technique de l'électricité et de la communication (UTE) : Je vais brièvement vous expliquer comment sont réalisées les normes, et notamment celles du domaine de la compatibilité électromagnétique. Ces normes résultent en fait d'un consensus international et elles sont établies par des acteurs spécialisés dans leur domaine dans le cadre de commissions techniques qui se réunissent aux niveaux international, européen ou national. Si l'on prend par exemple le cas de l'électromédical, la commission est composée des experts de la profession médicale, des fabricants de produits médicaux, des laboratoires, des associations et des représentants des autorités. Chacune de ces commissions participe à l'élaboration d'une norme acceptée au niveau international par l'ensemble des pays participant au Comité de normalisation en compatibilité électromagnétique. Ces normes internationales sont ensuite reprises au niveau européen. Je parle ici des filières électrique et électrotechnique (en mettant volontairement à part la filière « télécommunications ») qui sont reprises par le Comité européen de normalisation électrique (CENELEC). Cet organisme adopte ces normes et les adapte en fonction des exigences des directives concernées, que ce soit la directive sur la compatibilité électromagnétique (89-336) ou les deux directives sur les équipements électromédicaux. Ce jeu de normes dans le domaine électromédical par exemple va servir de support pour assurer la présomption de conformité de tel ou tel équipement aux exigences essentielles des directives concernées.

Je voudrais ajouter un point. Nous avons beaucoup parlé dans ce débat d'immunité des appareils et des perturbations électromagnétiques. Je pense qu'il faut replacer ceci dans un contexte beaucoup plus large : il existe également dans le domaine de la compatibilité électromagnétique des normes qui spécifient pour chaque domaine des limites d'émission. Si l'on reprend l'exemple de la perceuse électrique, il y a bien sûr des normes d'immunité du dispositif médical et du défibrillateur qui s'appliquent, mais aussi des normes de limite d'émission de l'équipement électrodomestique.

J'ajouterai une troisième notion plus générale d'environnement : le CISPR, Comité international sur les perturbations électromagnétiques, a défini trois types d'environnement en fonction des usages présumés des équipements qui sont les environnements résidentiels et commerciaux, médicaux, industrie légère et scientifique, et les environnements de l'industrie lourde. Différents critères s'appliquent alors en termes de limite d'émission et en termes d'immunité pour favoriser le fonctionnement de l'équipement dans l'environnement considéré.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : J'ai plusieurs questions, et d'abord une question générale car vous faites tout en géométrie plane : tout le monde se retrouve, travaille en consensus. Je ne peux pas imaginer que cela se passe ainsi. Si c'est le cas, il faut effectuer une étude de sociologie et d'ethnologie auprès des personnes qui conçoivent les normes. Il y a des intérêts, des gens qui ont le pouvoir : est-ce bien équilibré ? Y a-t-il des contre-pouvoirs ou est-ce que le système doit bouger ?

En premier lieu, ma vision reflète-t-elle la réalité ou s'agit-il du produit de mon imagination ? J'ai commencé ma carrière chez Schneider dans les normes électriques, et c'était un peu plus en trois dimensions que ce que vous dites. Ce que je retrouve par rapport à ma carrière d'ingénieur, c'est que ces instances normatives sont le lieu « législatif » originel puisqu'elles fournissent les directives que nous transposons laborieusement. Est-ce que le fonctionnement des sociétés de normes est aussi harmonieux que cela ou y a-t-il des choses à changer ?

M. Lionel DREUX : Il faut toujours revenir à l'outil législatif : la loi est la transposition des directives en droit français. Les industriels, quel que soit le pouvoir qu'ils ont, ont la responsabilité de répondre à ces exigences essentielles de sécurité. Leur intérêt n'est pas non plus de minimiser les normes à leur plus simple expression, car s'il est ensuite démontré qu'ils sont en défaut par rapport aux exigences de sécurité auxquelles ils sont soumis, ils seront potentiellement attaqués.

D'autre part, les normes sont harmonisées au niveau de la Commission européenne : si celle-ci estime que la norme, dans sa définition, est insuffisante, elle peut refuser de l'harmoniser et exiger qu'elle évolue pour répondre complètement aux exigences essentielles de sécurité de la directive.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Lors de mon mandat, nous avons par exemple beaucoup travaillé sur les télécoms, et il y a eu beaucoup de lois télécoms. Je vois très bien ce qui se passe : les normes sont une des briques centrales des directives européennes, et je demande à voir le travail d'harmonisation fait par Bruxelles. C'est bien au niveau des sociétés de normalisation qu'a lieu le vrai débat, parce qu'ensuite, on enchaîne sur la directive.

Mme Michèle RIVASI : J'ai une expérience en matière de normes sur la radioactivité dans la CIPR, la CIPR14 sur le rayonnement électromagnétique. Il s'agit d'un véritable rapport de force. Une norme n'est pas un seuil d'innocuité : il faut faire bien attention car les gens pensent qu'en dessous il n'y a pas de risque, et qu'au dessus il y en a un, alors qu'une norme est un risque acceptable.

Les normes évoluent en fonction de la technologie, de ce fait l'élaboration des normes est faite, d'après mon expérience, par les industriels : en fonction de la technologie, les normes diminuent. Il est évident que les fabricants vont respecter les normes, mais ce qui est intéressant, c'est de savoir qui les élabore en amont. L'élaboration des normes est un débat, un combat, et il y a tout un problème avec l'acceptabilité sociale des normes. On en a une preuve terrible avec la télécommunication : les directives viennent de la Commission et il y a une anomalie très forte entre la Commission, qui a élaboré une directive sur par exemple les 41, 58 et 61 volts, et le Parlement, qui a fait remonter toute une série d'expertises par des experts indépendants. Leur conclusion était que la norme élaborée des 41 volts était beaucoup trop haute et qu'ils étaient pour 1 V.

Il faut que vous vous rendiez compte que la Commission n'est pas pour nous représentative. Elle exprime un rapport de force entre les lobbies. Pour qu'elle soit plus représentative, les hommes politiques, députés et sénateurs doivent intervenir. On nous dit : « ce n'est pas un risque » ou « il n'y a pas de problème sanitaire », « c'est un risque acceptable pour l'instant ». Il s'agit pour le moment d'un rapport de force technologique, et c'est ce qui explique que d'autres pays, en fonction de la demande sociale, élaborent des normes plus basses.

M. Joël HAMELIN, Conseil scientifique de la Fondation santé et radiofréquences : Il ne faut pas confondre directive et norme. La directive ne procède pas de la norme, c'est le contraire. L'obligation de résultat est définie par la directive et c'est à partir de là que s'élabore une norme. C'est la loi et les décrets d'application, si je puis dire.

M. Joe WIARD : Pour la clarté de la discussion, je pense qu'il faut différencier les organismes qui définissent les limites des instances de normalisation, qui vont décider des méthodes pour vérifier la conformité à ces lois. Le débat ne porte pas aujourd'hui sur les ondes électromagnétiques et la santé des personnes, mais d'une manière générale, en reprenant l'exemple que vous donniez sur 41 V, les normes définies au CENELEC15sont là pour donner une méthodologie harmonisée de vérification. Une autre question est de savoir qui élabore les limites et comment. Dans le cas de la protection des personnes, il s'agit de l'IMIR, du Comité scientifique toxicologique, et l'on sort du débat actuel sur l'établissement des normes.

Je vous rejoins sur le fait que dans un domaine qui n'est pas la santé, certaines normes peuvent ne pas se référer à des limites, à des directives, qui sont d'application volontaire et pour lesquelles il existe des enjeux d'harmonisation technique. Dans le domaine de la santé, je dirige une partie de la normalisation européenne relative à la vérification des niveaux induits par les portables et les stations de base. Ce n'est pas au CENELEC de déterminer quel est le niveau de protection, ce n'est pas lui qui détermine la limite de 2 W/kg sur 10 grammes, 10 V/m. Ce sont des organismes différents qui vont donner les limites, et ensuite le CENELEC ou la CEI doit développer l'ensemble des méthodes adaptées. Il est important de voir que dans le cas où les limites sont fixées par l'extérieur, il n'y a pas d'enjeu de pouvoir mais des discussions parfois tendues sur les méthodes.

M. Philippe SISSOKO : Il faut reconnaître que les normes comportent des éléments intéressants. Il y a quelques années, en 1989, quand la Commission européenne a publié la première directive sur la CEM, il n'existait pratiquement pas de normes en matière de CEM civil : la plupart des normes existaient dans les domaines militaire et aéronautique. Globalement, les normes ne sont pas parfaites mais se rapprochent le plus possible de certains phénomènes. On ne pourra pas bien sûr prendre en compte tous les phénomènes physiques. Aujourd'hui on parle de normes harmonisées applicables dans le cadre de la directive, mais pour vous donner une idée de l'état des normes, je peux vous dire qu'en matière de CEM, en commençant depuis le continu jusqu'à 300 gigas, il existe des normes qui prennent en compte un certain nombre de phénomènes. Aujourd'hui, quand on prend la directive CEM ou la directive médicale, on prend grosso modo en compte les émissions et 9 ou 10 phénomènes dans le domaine de l'immunité.

Pour répondre à la question de Monsieur le Sénateur, qui définit les niveaux ? Pourquoi 3 ou 10 V/m ? Il fallait bien établir ces niveaux au départ, d'après des expérimentations. Nous avons aujourd'hui des exemples dans certains domaines où on est en train de créer des normes, notamment dans les PLC 16, les modems par courant porteur qui transportent l'énergie sur les réseaux électriques et qui posent beaucoup de problèmes de perturbations. Il a fallu faire des expérimentations à La Défense, à Courbevoie et dans d'autres pays, pour avoir des niveaux moyens de perturbations. Il y a également des expérimentations faites par TDF, le CSA, parce qu'on voit de plus en plus de kits qui utilisent la bande FM, interdits mais que certains fabricants arrivent encore à vendre.

Il ne sera bien sûr jamais possible d'arriver à la norme parfaite qui définira qu'il y a 10 V/m à l'Assemblée nationale parce qu'on a 10 V/m en permanence. On essaie de se rapprocher le plus possible de la réalité mais il est évident qu'on trouvera toujours des cas extrêmes où le produit aura passé 10 V/m pour sa certification, mais se retrouvera à 300 V/m sur un site particulier.

M. Pascal POUPET, Responsable du département transport, énergie et communication à l'Association française de normalisation (AFNOR) : Pour que le paysage soit clair, il faut essayer de bien situer l'articulation entre le domaine réglementaire et le domaine volontaire. Quand on parle de normalisation, ce sont des normes volontaires établies par des organismes non-gouvernementaux qui ne s'imposent que par le fait que les constructeurs s'engagent unilatéralement.

Par ailleurs, la puissance publique établit des seuils réglementaires, et c'est là que se retrouve la complémentarité entre norme et réglementation : la norme va fournir la méthode qui permet d'établir si on est en conformité avec le seuil qui est réglementaire. On peut avoir deux univers qui cohabitent sans interagir, avec l'un qui se met au service de l'autre.

L'organisation a un peu changé avec les directives européennes et l'approche nouvelle du marquage CE, grâce à l'adoption d'un principe de complémentarité d'une organisation qui va avec. Les principes n'ont pas changé : l'autorité publique fixe les seuils de sécurité, de santé et de respect de l'environnement, mais elle prévoit qu'il peut y avoir présomption de conformité à ces exigences réglementaires si on respecte les normes européennes qu'elle aura agréées. Ces normes auront certes été élaborées par des organismes non gouvernementaux, mais auront fait l'objet d'un regard de l'autorité publique qui décide si cette norme permet bien d'attester la conformité. Nous ne sommes plus dans la situation où deux univers cohabitent et où l'un fournit des outils à l'autre. Nous sommes dans un univers organisé où l'Union européenne passe commande aux organismes de normalisation d'une norme avec un cahier des charges. Elle vérifie ensuite que le produit de l'organisation répond bien au cahier des charges et le cite dans le Journal Officiel. Nous sommes ici dans un dispositif où la norme n'est pas obligatoire, puisqu'une précaution juridique autorise les producteurs à prouver autrement que par le respect de la norme qu'ils se conforment aux exigences essentielles, mais dans la pratique ce n'est pas facile. Il est donc important de bien voir quand dans certains cas, les deux univers sont distincts, et que dans d'autres ils ont travaillé ensemble et que les produits de l'un ont été validés par l'autre.

Docteur René DE SEZE : La confusion est facilitée car on utilise souvent le mot de norme pour dire valeur limite réglementaire d'un pays à l'autre. C'est une dénomination complètement galvaudée et qui a plusieurs sens : il faut faire bien attention de définir de quoi on parle quand on évoque des normes.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Compte tenu de la difficulté théorique pour modéliser les interférences entre les systèmes émetteurs et les systèmes récepteurs, est-ce qu'on n'a pas un système clairement inflationniste, au niveau des seuils minimum ? Est-ce qu'on ne se couvre pas une fois, deux fois, trois fois ?

M. Lionel DREUX : Dans certains domaines, celui de l'automobile par exemple, on va effectivement trouver ce seuil inflationniste : pour garantir un risque minimum, on va mettre des marges de sécurité importantes. Le choix fait pour les dispositifs médicaux est un équilibre entre un risque maîtrisé dans un environnement maîtrisé. Il est évident que cela repose aujourd'hui sur une connaissance de l'environnement d'utilisation du dispositif médical, celle-ci est peut-être plus facile en milieu hospitalier ou en milieu professionnel médical, mais qui est peut-être difficile lorsque le dispositif médical est à destination du grand public : tout le monde sait qu'on ne lit jamais les notices d'utilisation des équipements qu'on achète. Mais c'est une autre problématique.

M. Joël HAMELIN : Je fais partie du Conseil scientifique de la Fondation santé et radiofréquences et je suis venu ici aujourd'hui essentiellement pour écouter. Cette préoccupation est une des préoccupations de la Fondation. Ce problème de caractérisation de l'environnement électromagnétique et des normes qui vont en découler, mais d'abord des exigences essentielles et l'obligation de résultat imposée par les directives, fait partie de la problématique de nos travaux.

J'ai un long passé en compatibilité électromagnétique. J'ai étudié certains ouvrages il y a très longtemps dans le domaine spatial. Je suis parfois un peu étonné de l'à-peu-près qui est utilisé dans le domaine médical et paramédical ; dans le domaine spatial, les satellites n'auraient pas fonctionné si l'on avait utilisé cet à-peu-près.

Je voudrais dire aussi que la compatibilité électromagnétique est une science exacte et qu'il faut faire la différence entre normes de compatibilité électromagnétique et modélisation. Cela demande des moyens de modélisation très lourds mais on est capable d'aller très loin dans la compréhension des phénomènes.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : Vous dites que c'est une science exacte, mais nous avons bien entendu les bugs évoqués...

M. Joël HAMELIN : Les bugs évoqués sont tout à fait réels mais on peut les expliquer.

M. Lionel DREUX : Les expliquer est une chose mais comment peut-on les éviter en amont ? Peut-on modéliser ou définir la probabilité qu'ils arrivent ?

M. Joël HAMELIN : On peut définir leur probabilité, on peut les modéliser, mais cela demande des moyens très lourds.

Docteur René DE SEZE : En ce qui concerne les stimulateurs cardiaques, je ne sais pas si tous les fabricants le font, mais il existe un centre de recherche universitaire aux États-Unis qui les teste à toutes les fréquences. On ne dispose pas de ces valeurs mais on sait que c'est réalisé, vérifié, et on connaît le niveau de champ auquel leurs appareils peuvent résister.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : Il faut modéliser le couplage.

M. Jean-Luc HAMELIN : Ce qu'on fait en laboratoire et dans la modélisation, c'est un couplage entre un champ et un dispositif.

M. Joe WIARD : Il faut noter que les systèmes évoluent. Nous avons la capacité de décrire cet équipement en minimisant fortement la variabilité des différents composants, sachant par exemple qu'un chemin de câble passé d'une certaine manière ne changera pas.

Les systèmes plus près de la vie courante donnent lieu à des reconfigurations. Lorsqu'ils sont testés et modélisés, la réponse est le résultat d'un tirage aléatoire : c'est une représentation à un moment donné de la réalité qui, suite à une réparation ou à un choc, va se retrouver autre. C'est la raison pour laquelle nous travaillons aujourd'hui avec les statistiques pour modéliser ces systèmes complexes.

Lorsqu'on parle d'approche statistique et de santé, se pose toujours le problème de savoir jusqu'à quel niveau peut-on accepter une prise de risque. Ici réside toute la difficulté, qui n'est pas de mon domaine mais davantage de celui du régulateur.

Les règles applicables en milieu hospitalier sont-elles adaptées ?

M. Eric LEFÈVRE, Ingénieur biomédical à l'Agence générale des équipements et produits de santé de l'AP-HP : Il m'a été demandé de prendre part à cette réunion car j'ai participé à une étude pour essayer de régler un problème se posant à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris. Depuis quelque temps en effet, une circulaire était distribuée pour demander d'apposer une affiche interdisant l'utilisation des téléphones portables dans les hôpitaux. Ceci était gênant car dans les faits, cela n'empêchait pas un grand nombre de personnes d'utiliser leur téléphone portable dans l'hôpital. Le plus gênant est que c'étaient souvent les professionnels qui les utilisaient, ce qui ne donnait pas un bon exemple aux visiteurs qui ne voyaient pas pourquoi arrêter leurs portables quand les professionnels qui travaillaient dans l'environnement ne le faisaient pas.

Je vous disais tout à l'heure que les interférences sont une chose certaine. Nous disposons de beaucoup d'éléments documentés en ce sens, souvent par des laboratoires. Il existe quelques interférences documentées, généralement dans des conditions un peu extrêmes et sur des matériels particulièrement sensibles.

Nous avons essayé d'examiner comment assouplir cette interdiction pour la réserver aux endroits vraiment utiles, puisqu'il n'était pas possible de convaincre tout le monde qu'interdire le téléphone portable à la cafétéria avait la même portée que de l'interdire dans le service de réanimation. Nous voulions définir les endroits où il fallait vraiment l'interdire et être très stricts là-dessus, tout en étant un peu plus souples ailleurs.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Je me permets de vous interrompre car l'explication est tout de même très sordide : une réglementation est fixée pour interdire les portables à l'hôpital, mais le phénomène de société est tel que l'on ne parvient pas à faire respecter l'interdiction et que tout le monde laisse son portable allumé. La solution est de supprimer cette réglementation pour en refaire une qui soit appliquée. Il s'agit quand même d'un problème de fond !

M. Eric LEFÈVRE : Ce n'est pas une réglementation. C'est une circulaire, un document qui dit : « On nous a rapporté des interférences entre matériel médical et téléphones portables. Nous vous rappelons que s'il devait y avoir un incident dans votre hôpital, le directeur serait responsable des problèmes qui pourraient intervenir. À toutes fins utiles, vous trouverez en annexe une affiche que vous pourrez apposer à l'entrée de votre établissement. » L'affiche en question est celle que l'on rencontre dans les hôpitaux et qui dit que les téléphones portables doivent être maintenus arrêtés dans l'hôpital.

L'interdiction est de l'initiative du directeur de l'hôpital, ce n'est pas une loi votée, ni même une circulaire nous demandant d'interdire le téléphone. Il est suggéré qu'il serait bien qu'il n'y ait pas d'incident dans l'hôpital et on nous propose d'interdire le téléphone portable, mais on ne nous oblige pas à le faire.

Docteur René DE SEZE : Je voudrais corriger le fait que la difficulté d'application n'est pas liée au phénomène social, mais plutôt au mode de fonctionnement des hôpitaux : ce ne sont pas les chefs de services qui utilisent leur téléphone mobile, parce qu'ils sont occupés avec leurs patients, mais ce sont les brancardiers, pour pouvoir gérer les malades et les conduire au bon endroit. Ce sont eux qui ont les talkies-walkies ou les systèmes de radio qui ont les plus fortes puissances et les plus forts risques d'interférence.

M. Eric LEFÈVRE : L'important est de voir par quel processus nous nous sommes construits une opinion sur le sujet. Au début, nous étions bien contents d'avoir cette norme de compatibilité électromagnétique pour dire que finalement, à part les appareils très anciens, il n'y avait aucun problème. Cela nous permettait de penser qu'on était allé un peu trop loin en demandant d'interdire le téléphone. Mais nous avons été un peu déçus car en regardant comment était faite la norme, nous avons constaté que les conditions de vérification n'étaient pas forcément adaptées au fonctionnement du téléphone portable. D'autre part, dans certaines conditions qui ne sont pas forcément inhabituelles, les téléphones portables émettent à des puissances plus élevées que celles citées dans la norme. Nous pensions que la norme était bonne, mais le téléphone portable à proximité du dispositif médical peut dans certains cas sortir de la norme : celle-ci était donc inadaptée au fonctionnement particulier du portable avec ses modulations un peu particulières.

Le deuxième élément qui nous a tout d'abord semblé rassurant était l'absence d'accident rapporté. Nous avons aussi « déchanté » : ce n'est pas parce qu'il n'y a pas d'accident rapporté qu'il n'en existe pas. Il peut ne pas être rapporté parce qu'il n'y a pas de risque, ou parce que la cause d'un incident est très souvent diffuse : il peut aussi bien être dû à l'utilisation d'un téléphone portable dans les parages qu'à un effet du hasard, une onde cosmique qui tout à coup déclenche une interférence avec un élément du dispositif. Les causes peuvent être nombreuses : la multitude de câbles, ou encore l'association d'un certain nombre d'appareils qui provoque l'accident. Nous ne sommes donc pas vraiment rassurés vis-à-vis du téléphone portable : ce n'est pas parce qu'il n'y a pas d'accident qu'il ne peut pas y en avoir.

Ce qui nous rassure enfin, c'est le fait qu'il existe peu d'appareils dont la vie du patient dépend : le pacemaker peut l'être, le cœur artificiel l'est assurément, un respirateur qui ventile un peu moins fait courir un risque, mais ce risque n'est pas toujours synonyme d'accident et de problème important.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : On voit bien que vous essayez de recentrer l'interdiction là où le danger est avéré, et cela semble être du bon sens. Considérez-vous finalement qu'il est bon de laisser l'autonomie au directeur de l'établissement, ou faudrait-il une réglementation nationale ?

M. Eric LEFÈVRE : C'est un peu le sens de notre étude : en tant que groupe d'hôpitaux, l'intérêt était de permettre aux directeurs de nos 50 établissements de prendre une décision éclairée.

Je disais que certaines perturbations ne provoquent pas forcément une erreur manifeste. Je vous parlais tout à l'heure de l'interférence du téléphone avec l'ordinateur, qui est par exemple visible avec le matériel de Dopler dans lequel on entend les flux par un système audio : on y entend le téléphone, mais on sait bien que ce n'est pas le flux sanguin qui fait ce bruit et que c'est une interférence. Un professionnel sait quand même faire la différence entre les parasites et un signal vital. Le téléphone n'est pas le seul appareil à engendrer des parasites : il arrive qu'une électrode mal branchée conduise à un signal pauvre mais on ne prend pas de décision à partir d'une action qui n'est manifestement pas la bonne manœuvre.

La dernière chose qui nous rassurait était le fait que même si le téléphone portable est un émetteur pouvant dépasser la norme en termes de protection électromagnétique, sa portée, son rayon de nuisance est quand même relativement faible : pour les appareils les plus sensibles en réanimation, il est rare que la chambre de réanimation soit à proximité du hall d'accueil. La probabilité qu'il y ait beaucoup de gens qui téléphonent dans une chambre de réanimation est relativement faible.

Nous étions arrivés à la conclusion d'autoriser le téléphone portable dans tout l'hôpital à l'exception des zones très sensibles. Au moment où nous avons présenté ces conclusions au Conseil scientifique du CEDIC, le Comité d'évaluation des innovations technologiques, les réanimateurs se sont levés d'un seul homme pour dire : « Ne nous privez pas de notre téléphone portable. Nous pouvons vous garantir que compte tenu de notre compétence sur le fonctionnement de tout le matériel et du fait qu'on ne prend jamais une décision par rapport à un seul résultat, nous n'avons jamais tué personne avec notre portable. Par contre, nous pouvons vous donner de nombreux exemples où nous avons sauvé des vies parce que nous avons pu être joints. » Il faut tenir compte d'un côté du principe de précaution (et il ne faut pas faire n'importe quoi) et de l'autre du principe bénéfice/risque.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Le temps passe, et je vous repose ma question : faut-il laisser l'autonomie aux établissements ou mettre en place une réglementation nationale ?

M. Eric LEFÈVRE : Les établissements avaient leur autonomie, ils pouvaient ne pas apposer l'affiche, mais les directeurs ont pris la circulaire pour une obligation.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : Mais quel est votre avis ?

M. Eric LEFÈVRE : En ce qui me concerne, je ne peux pas vous garantir qu'il n'y ait pas d'interférence. Je crois réellement que le directeur d'hôpital peut définir ses zones de la même façon qu'il définit ses zones de radioprotection avec les rayonnements ionisants. Il sait comment est conçu son hôpital et quelles sont les zones à risque. Lui donner des « guidelines » serait tout de même positif.

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR, Député : C'est une position très centriste mais c'est bien.

M. Eric LEFÈVRE : Je ne sais pas si c'est bien ! Il faut voir que tout cela passe bien au-dessus du directeur d'hôpital. Si on lui dit qu'il faut prendre des précautions, il en prend.

M. Lionel DREUX : Aujourd'hui, la norme qui s'applique aux dispositifs médicaux impose aux fabricants de donner les « guidelines » aux utilisateurs. Je conçois que ce soit peut-être encore un peu trop technique et complexe pour être correctement utilisé par tout un chacun, mais finalement, il est clairement posé comme principe que l'industriel transfère la responsabilité de la bonne utilisation du produit à l'utilisateur final. Ceci est d'ailleurs écrit en préambule de la norme : la responsabilité du fabricant est transférée vers l'utilisateur sur la bonne utilisation du produit, pour garantir son bon fonctionnement sans risque majeur ou avec des risques résiduels acceptables. Nous sommes dans cette logique. Je pense que cela peut aujourd'hui poser un problème aux utilisateurs.

M. Eric LEFÈVRE : L'ingénieur biomédical dans l'établissement est effectivement normalement chargé de rappeler les précautions si les gens ne les ont pas lues. J'avoue que la position des industriels qui ont tendance à dire de ne pas faire telle chose ou telle chose relève de ce qu'on voit dans les notices de médicaments : « Ne prenez pas le médicament si vous y êtes allergique. » Mais on ne le sait pas encore au moment où on le prend ! Effectivement, on arrête de l'utiliser s'il y a un problème.

De la salle

Vous exagérez un peu.

M. Eric LEFÈVRE : Je caricature mais très franchement, c'est un peu cela. Les fournisseurs nous disent de ne pas agir. À chaque fois qu'il y a un incident, on nous dit : « Il ne fallait pas le faire. »

Docteur René DE SEZE : Il est possible de mettre une signalisation à l'entrée des salles d'anesthésie ou de réanimation.

Le point de vue d'un fabricant de matériel

M. Joe WIARD, France Telecom : Je précise que je ne suis pas constructeur médical. Je vais vous expliquer la démarche suivie par le centre de recherche de France Telecom vis-à-vis de ces questions.

Nous connaissons effectivement l'existence des interférences car gérer des systèmes de télécommunication mène à gérer des interférences. C'est donc de manière assez naturelle que dès 1994-1995, nous nous sommes préoccupés des interférences des ondes électromagnétiques émises par les portables avec les équipements médicaux. Nous avons commencé par les pacemakers, puisqu'il s'agit du problème le plus important, et nous avons travaillé avec le CHU de Marseille et le Docteur TRIGANO, qui a fait des études sur les interactions potentielles des émissions des portables avec les pacemakers.

Une autre problématique est celle de la cohabitation des portables avec les équipements médicaux à la maison ou dans les hôpitaux. Nous avons beaucoup parlé des pacemakers donc je ne vais pas forcément revenir là-dessus. Je vais vous expliquer nos démarches et les études menées sur la cohabitation des téléphones portables avec les équipements hospitaliers.

Le premier constat est qu'il existe en Europe un grand nombre de recommandations et qu'elles ne sont pas harmonisées. En France, cet avis d'octobre 1995 recommande d'utiliser la petite plaquette et laisse une liberté totale, tout en recommandant d'interdiction totale. En Hollande, c'est 1,5 mètre ; pour le MDA, l'agence des équipements hospitaliers en Angleterre, c'est 2 mètres avec la remarque qu'il n'y a pas de risque avec le DET ; pour l'Association médicale américaine, 1 mètre ; pour le Centre américain des armées, 3 pieds. Nous retrouvons la problématique exposée par Monsieur LEFEVRE, à savoir que le risque, s'il existe, est faible.

Nous nous sommes donc attachés à voir quel était le risque réel, et à partir de quand il pouvait y avoir interférence. Nous avons mené des études dans les hôpitaux de Paris en 1997 et 1998, et nous les avons complétées avec des études à Nice et Grenoble en 2001. Nous avons testé en tout environ 160 équipements, du respirateur au pousse-seringue. En 2004 j'ai présenté un petit document de synthèse à la demande de Bernard MERET : le MDA a testé 178 équipements et ses conclusions indiquent que les interférences, intervenues dans 0,1 % des cas, venaient des talkies-walkies plus que des téléphones cellulaires. Pour étudier les interférences existantes, nous avions un protocole de provocation, nous cherchions la faute : nous avons été jusqu'à mettre des portables près des pousses seringues, à l'endroit où l'on met normalement la seringue, pour voir comment réagissait le système dans des cas extrêmes.

La conclusion de ces études est que le seul problème constaté intervenait avec un appareil de dialyse très ancien avec une coque en plastique et un respirateur très ancien lui aussi et déjà connu pour avoir des problèmes de compatibilité. La pire des situations était d'avoir un appareil qui dérive sans le dire : le pire n'est pas forcément la panne, que l'hôpital est capable de gérer, mais une dérive sans nom.

Voilà ce que je pouvais dire pour contribuer à la réflexion.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : Je voudrais avoir une précision : lorsque vous parlez de dérive lente, cela veut-il dire qu'il y a non pas une interférence électromagnétique mais une perturbation des données ?

M. Joe WIARD : Pas forcément, il peut y avoir une petite perturbation qui fait qu'au lieu d'avoir une rétroaction sur la pression, il y a une légère dérive. Ce n'est pas simplement une mauvaise interprétation, ce peut être le système qui se dérègle petit à petit. C'est un peu arrivé en 1997 avec un respirateur de très vieille génération qui n'est plus du tout en circulation : l'appareil commençait à sortir de ses objectifs sans forcément envoyer une alarme. Une fois l'alarme envoyée, le problème est géré.

En conclusion, lorsqu'on refait le bilan de cette analyse, on constate qu'entre les premiers essais faits dans les années 97-98 et les autres tests en 2002-2003, les équipements ont été améliorés : les vieux appareils n'ont plus été rencontrés et pour vous faire une synthèse des résultats, il faut s'approcher à moins de 20 cm pour pouvoir avoir une interférence qui n'est pas forcément grave et qui peut tout simplement perturber la visualisation des données.

M. Jean-Luc HAMELIN : À la lecture de ces résultats, considérez-vous que les niveaux d'immunité actuels sont adaptés ou non ? Il s'agit d'une des questions majeures posées en permanence.

M. Joe WIARD : J'aurais tendance à poser la problématique comme Monsieur LEFEVRE : au regard des perturbations actuelles, je ne vois pas de raison d'interdire un outil utile dans l'hôpital. En même temps, l'émission d'un radiotéléphone peut être de 10V/m jusqu'à 50 cm, ce qui veut dire qu'il pourrait y avoir une interférence si un appareil est simplement conforme aux 10 V/m, je ne peux pas dire dans quelle configuration. C'est possible mais on ne retrouve pas cette réalité car les équipements sont mieux intégrés, mieux protégés, et les constructeurs d'équipements médicaux ont pris en charge ces questions. Je me retrouve dans la même situation : a priori il n'y a aucun risque relevé, que ce soit en France, en Angleterre ou aux Etats-Unis, mais le garantir est compliqué.

M. Philippe SISSOKO : Je peux apporter l'expérience de mon laboratoire, dans lequel on teste des produits dans tous les domaines, notamment médical. Les vérifications de conformité nous permettent de voir les tenues des équipements vis-à-vis des perturbations électromagnétiques. Nous avons beaucoup parlé de 3 V/m, de 10 V/m, de champ électromagnétique. Je voulais également signaler qu'il existe dans les normes d'autres phénomènes testés et pris en compte pour démontrer la conformité des équipements.

Je peux vous faire part de mon expérience d'expertise dans le cas de sites pollués. Il existe des équipements de diagnostic échographie ou mammographie qui peuvent présenter des perturbations, qui se sont avérées être dans beaucoup de cas transitoires, c'est-à-dire qu'elles arrivaient par les câbles d'alimentation, de donnée, d'entrée et de sortie. Ainsi que l'a dit Joe MIARD tout à l'heure, on a souvent des perturbations liées aux émetteurs type téléphonie ou talkie-walkie lorsqu'on est relativement proches pour des raisons de concentration de champs.

Aujourd'hui, dans le cadre des équipements électro-médicaux, l'application de la norme 60-601 permet de donner une présomption de conformité. Cette norme est divisée en deux parties, avec des exigences d'émission pour s'assurer que les équipements ne vont pas dépasser un certain niveau de perturbation. L'origine est le CISPER, qui existe depuis les années 30 me semble-t-il, qui prend en compte les émissions radioélectriques. L'un des problèmes majeurs des émissions aujourd'hui est qu'elles sont faites de 150 kg à 30 Mégas par conduction dans les câbles pour s'assurer de tout ce qui peut se propager au niveau câblage, et de 30 Mégas jusqu'à 1 Giga par rayonnement. Aujourd'hui, les ordinateurs portables, les pentiums, les Wifis, vont bien au-delà. Des discussions sont en cours, et pour revenir un peu en arrière sur le débat sur les normes, ce sont des outils qui n'évoluent pas facilement. Depuis 5 ans, un débat a eu lieu sur l'évolution de la bande de fréquence à 6 Gigas et la norme n'a toujours pas vu le jour, en raison des oppositions entre certains défenseurs des spectres en matière de limitation et les utilisateurs de matériel informatique.

Pour finir, je dirai qu'en matière d'immunité, nous prenons en compte un certain nombre de phénomènes. Pour en citer un assez répandu, nous sommes de gros générateurs de décharges électrostatiques, et ce phénomène pose des problèmes dans le domaine de la CEM et peut conduire à la destruction d'équipements : j'ai vu des équipements cassés suite à des problèmes de décharges électrostatiques.

On a largement parlé des champs rayonnés. Il existe également des perturbations induites qui sont dues à des champs électriques basse fréquence : nous avons tout à l'heure parlé de RFI par exemple. Il s'agit souvent de bande de fréquence (on est dans le domaine des ondes courtes) où la plupart des phénomènes de couplage se font par des câbles : la dimension câble est très importante pour les CEM. Il y a également les essais de transitoire rapide en salle, qui sont des essais qui simulent toutes les perturbations, commutations rapides sur des charges inductives. Il y en a dans tous les bâtiments : dès que vous allumez une lampe, vous avez des commutations, un di/dt ou un dv/dt sur une charge inductive.

Vous avez également les ondes de choc : dans certaines régions françaises, il y a des niveaux de foudre relativement importants et certaines personnes, je ne dis pas que cela arrive à tous les jours, vont retrouver le téléviseur ou la machine à laver brûlés. Ces phénomènes sont aujourd'hui pris en compte dans la normalisation : nous n'allons pas reproduire le niveau de foudre tombé à Clermont-Ferrand, mais essayer de faire en sorte que l'appareil résiste le plus possible à ce genre de perturbations. Pour finir, nous faisons des essais de champ magnétique à la fréquence du réseau. La plupart des équipements sont soumis à des niveaux faibles mais représentatifs de ceux de l'environnement, et l'on parle également de plus en plus de microcoupures et de variation de tension, un phénomène assez rare de nos jours, compte tenu surtout de la qualité du réseau français, pour s'assurer du fonctionnement de l'équipement.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : Vous parlez des essais qui concernent la téléphonie mobile etc., mais avez-vous testé l'environnement Wifi et WiMax ? Ce niveau de champ et la perturbation que ça peut générer dans le milieu médical en particulier commencent à m'inquiéter. Je sais que c'est une technologie qui se développe et qui pose non seulement un problème au niveau des champs mais aussi un piratage de données, ce qui est encore un autre problème de sécurité de l'information et de sa transmission.

La question technique que j'aurais à vous poser est que vous parlez toujours de câblages, mais pourquoi dans un milieu sensible comme le milieu médical, n'utiliserait-on pas au lieu du câblage un multiplexage par la fibre optique, qui serait insensible à l'environnement électromagnétique ?

M. Philippe SISSOKO : Il s'agit essentiellement d'un problème de coût.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : La fibre noire coûte moins cher qu'un fil de cuivre.

M. Joe WIARD : En ce qui concerne le Wifi, quelques tests ont été faits et n'ont pas montré d'interférence. J'ai bien entendu les remarques qui ont été faites et je reste étonné puisque le niveau d'émission du Wifi est relativement faible et qu'on se trouve avec des champs de crête inférieurs aux DET qui sont couramment utilisés à l'hôpital et pour lesquels on n'a pas de relevé d'incident.

M. Lionel DREUX : J'ajouterai qu'aujourd'hui, les essais sur les dispositifs médicaux sont conduits jusqu'à 2,5 Go : la partie de l'application Wifi à 2,49 est donc couverte.

La deuxième problématique est de savoir s'il existe des victimes dans les composants de nos dispositifs médicaux à ces fréquences-là. La réponse est plutôt négative aujourd'hui. Il faut savoir si des composants utilisés aujourd'hui pourraient potentiellement être victimes à ces fréquences-là et cela explique que le point normatif va évoluer. Aujourd'hui, les essais jusqu'à 2,5 GHz sont courants et dans le cas des dispositifs médicaux, on parle de 6 GHz pour la prochaine édition de la norme. Ils vont donc être couverts. L'évolution normative est plus rapide.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : Quelle est la durée de gestation d'une norme ?

M. Lionel DREUX : Aujourd'hui, les éditions d'amendement sont établies tous les deux ans à peu près. Cela va très vite. On amende la norme et on la complète en exigeant d'aller plus loin en fréquence. Entre 2,5 et 6 Gigas, ce sont les mêmes méthodes.

M. Philippe SISSOKO : Les équipements sont tout de même moins sensibles, par contre, on a de plus en plus de phénomènes de détection d'enveloppe. C'est le petit « tatac tatac » qu'on entend quand on a un téléphone GSM.

M. Joe WIARD : C'est tout le problème de la non-linéarité. Beaucoup des interférences constatées ne sont pas forcément liées à des détections directes. Il y a parfois des non-linéarités parce que les filtres à l'entrée de ces équipements ne sont pas forcément bien adaptés.

Cependant, je suis d'accord sur le fait qu'on commence à avoir un peu de diffusion à 6 Gigas. Les phénomènes physiques ne sont pas absolument les mêmes mais en ce qui concerne le CEM, la diffusion ne va pas induire des niveaux de champ importants. Ça a plutôt tendance à éclater l'onde dans toutes les directions.

M. Philippe SISSOKO : Je vais vous donner l'exemple d'un radar à 26 Gigas en modulation pulsée qui arrivait à perturber un dispositif audio.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : Monsieur HAMELIN, j'ai bien compris que vous étiez là en auditeur libre, touriste ou je ne sais pas comment le dire, mais ce que je vous dis n'est pas tout à fait neutre. J'ai bien compris que vous étiez membre du Conseil scientifique de la Fondation santé et radiofréquences, et j'aimerais bien que ce signal arrive jusqu'à ce Conseil car je pense que l'arrivée du Wifi, du WiMax, de la TNT me perturbe. J'aimerais bien que cette Fondation, que j'ai contribué à mettre au départ sur les fonds baptismaux, se préoccupe de ce problème.

M. Joe WIARD : Il faut que l'effort de la Fondation contribue à l'effort général de la recherche publique dans le domaine. Les efforts de la Fondation étant limités, je pense donc qu'il est important que l'ANR et le RNRT dans le domaine des radiofréquences continuent l'effort fait depuis très longtemps dans ce domaine. C'est aussi un signal que j'aimerais lancer.

M. Joël HAMELIN : Je peux rajouter ceci : la dosimétrie permet de documenter les nouveaux modes d'utilisation des systèmes de radiofréquence et doit prendre en compte les contraintes liées au développement des nouveaux usages de la communication tels que RFID, Wifi et WiMax, qui posent problème, mais aussi particulièrement dans les milieux contraints tels que les voitures, trains et milieux confinés car le problème est réel dans ces milieux. Cela fait partie des axes d'étude de la Fondation.

M. Eric LEFEVRE : La remarque que je voulais faire tout à l'heure était de dire que la durée de vie d'un appareil biomédical se situe tout de même aux alentours de 10 ans. On élimine effectivement petit à petit les vieux appareils mais le processus est lent.

M. Daniel RAOUL, Sénateur : Je vous remercie d'avoir participé au débat. J'ai retenu de cette discussion enrichissante un paradoxe entre les remontées d'incidents qui nous arrivent et ce qui parvient à l'AFSSAPS, l'AFSSE ou Emitech : on constate une distorsion, une perte de signal quelque part. Cela vient-il du fait que les individus ne sont pas capables de faire remonter seuls les problèmes ? Dans ce cas, je vous disais que nous avions une proposition de loi pour permettre des actions de groupe dans le domaine de la santé et de l'environnement. Je suis persuadé qu'il est possible de faire quelque chose.

Je vous fais confiance lorsque vous me dites, les uns et les autres, qu'il n'y a pas ou peu d'interférences, mais je reste sur mes gardes. Je me demande si c'est bien ce que vous avez fait avec le nouvel environnement électromagnétique qui se propage. Vous avez à la fois la TNT, le Wifi, le téléphone portable : ce foisonnement d'ondes électromagnétiques engendre des questions, non pas simplement sur l'interférence d'appareil à appareil, mais sur l'ensemble et sur ce que ça peut créer.

Que sort-il de là et que pourrions-nous découvrir avec un nouvel environnement électromagnétique ? Je suis persuadé qu'il reste du travail à faire. Une étude linéaire, balayage en fréquence en fonction des amplitudes est une chose, mais c'est l'ensemble du spectre électromagnétique du milieu dans lequel on vit et dans lequel les appareils vivent qui me pose un problème. Je ne sais pas comment on peut le mettre en équation.

Docteur René DE SEZE : Est-ce qu'on vous remonte des incidents ou des questionnements ? S'il s'agit d'incidents, il faut que vous les communiquiez aux autorités compétentes.

Conclusion par M. Daniel RAOUL, Sénateur

J'ai bien compris, mais n'ayez pas de réflexe corporatiste. Un patient qui a ressenti un « coup-de-poing » en raison d'un dysfonctionnement de son défibrillateur est incapable d'en analyser les causes ; il ne peut non plus faire remonter cette information. Une pédagogie doit être mise en place vis-à-vis de la population.

Concernant les antennes relais, rien n'a été prouvé sur leurs dangers. Une étude suédoise nous a quelque peu troublés mais elle a été contestée car elle portait sur le domaine de l'analogique qui n'est plus d'actualité.

Une recommandation n'a en revanche pas été mise en œuvre, à savoir l'obligation d'utiliser une oreillette : le risque concernant la BHE (Barrière hémato-encéphalique), existe bien. Un doute subsiste en tous les cas puisqu'une certaine porosité a été démontrée. Je ne sais pas quel est le niveau, ni quelle est la taille des molécules oncogènes17 qui pourraient passer mais il existe un problème.

Je souhaiterais que tous vos organismes participent à une action pédagogique globale. Les élus locaux en ont besoin pour informer les citoyens. Quand ils tentent d'expliquer les données du problème, ils ne sont jamais crus. Il faut donc que des organismes spécifiques communiquent également. Or la communication fait partie des missions de la Fondation qui a été créée.

Certains lobbies fonctionnent par ailleurs en circuit clos.

Je suis sûr que l'ensemble de la population, pour parvenir à une acceptabilité et éviter un climat de suspicion permanent, a besoin que les organismes compétents, les élus et les associations participent à cette information.

Merci à tous.

1 Rapport n° 346 (Assemblée nationale), n° 52 (Sénat) de MM. Jean-Louis Lorrain et Daniel Raoul, sénateurs.

2 AFSSAPS : Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé

3 AFSSE : Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement

4 INRS : Institut National de Recherche et de Sécurité pour la Prévention des accidents du travail et des mmdies profesionnelles

5 Holter : Electrocardiogramme enregistré sur une durée de 24 heures ou plus à l'aide d'un appareil miniaturisé porté par le malade (Electrocardiogramme ambulatoire ) - Nom donné à l'appareil

6 Teslas : Le tesla (symbole: T), tiré du nom du physicien Nikola Tesla, est l'unité dérivée d'induction magnétique (ou densité de flux magnétique) du système international (SI).

7 µT : microtesla (10-6 T)

8 LNE :Laboratoire national de métrologie et d'essais

9 Diathermie : Procédé d'échauffement du corps par voie interne en le faisant traverser par des courants électriques alternatifs de haute fréquence

10 CRAM : Caisse Régionale d'Assurance Maladie

11 CEM : compatibilité électromagnétique

12 UMTS : Universal Mobile Telecommunications System (Système universel de télécommunications mobiles)

13 TNT : Télévision Numérique Terrestre

14 CIPR : Commission internationale de protection radiologique

15 CENELEC : Comité européen de normalisation électrotechnique (European Committee for Electrotechnical Standardization)

16 PLC : Courants porteurs en ligne (Power Line Communication)

17 Oncogène : qui favorise le développement des tumeurs, notamment des tumeurs malignes.

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