N° 1296 - Rapport de M. Christian Philip sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Organisation des Nations Unies concernant l'exécution des peines prononcées par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (1149)




Document

mis en distribution

le 30 décembre 2003

graphique

N° 1296

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 décembre 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI (n° 1149), autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Organisation des Nations unies concernant l'exécution des peines prononcées par le Tribunal pénal international pour le Rwanda,

PAR M. CHRISTIAN PHILIP,

Député

--

Traités et conventions

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 5

I - UNE ACTIVITÉ JUDICIAIRE ACCRUE MALGRÉ DES
     DIFFICULTÉS INITIALES DE FONCTIONNEMENT
7

A - DES DIFFICULTÉS PROGRESSIVEMENT SURMONTÉES GRÂCE À
      LA COOPÉRATION DE CERTAINS ETATS
7

1) Des procédures inadaptées et des difficultés matérielles 7

2) Des problèmes récurrents avec les autorités rwandaises 7

3) Des efforts de coopération de certains Etats 8

B - UN FONCTIONNEMENT PLUS RATIONNEL PERMETTANT
      D'ACCROÎTRE L'ACTIVITÉ JUDICIAIRE
9

1) Un fonctionnement plus rationnel 9

2) Une activité judiciaire plus importante 10

II - UN ACCORD QUI S'INSCRIT DANS UNE DYNAMIQUE DE
     COOPÉRATION DE LA FRANCE AVEC LE TRIBUNAL PÉNAL
     INTERNATIONAL POUR LE RWANDA (TPIR)
12

A - LES DIFFÉRENTS ASPECTS DE LA COOPÉRATION FRANÇAISE
     AVEC LE TPIR
12

1) Une coopération active dans la recherche des éléments de preuves 12

2) Une aide matérielle importante 12

B - UN ACCORD TRADUISANT LA VOLONTÉ DE LA FRANCE D'ACCROÎTRE
     SA COOPÉRATION AVEC LE TPIR
13

1) Un accord traduisant le soutien de la France au TPIR 13

2) Un accord respectueux du droit français 14

3) L'exercice de l'article 17 de la Constitution relatif au droit de grâce 14

CONCLUSION 16

EXAMEN EN COMMISSION 18

ANNEXE I : étude d'impact sur le projet d'accord 19

ANNEXE II : texte de la résolution 955 (1994) des Nations unies 23

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi soumis à votre examen vise à autoriser l'approbation de l'accord entre la France et l'ONU concernant l'exécution des peines prononcées par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) créé par la résolution 955 du Conseil de sécurité du 8 novembre 1994 figurant en annexe du rapport.

Reconnaissant qu'un génocide a été commis au Rwanda et agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies, le Conseil de sécurité des Nations unies a institué, par cette résolution, le TPIR avec pour mandat de « juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda, ainsi que les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d'Etats voisins, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994. » La résolution précitée vise à contribuer au processus de réconciliation nationale au Rwanda et au maintien de la paix dans la région. Elle établit la primauté de juridiction du Tribunal sur les tribunaux internes qui doivent se dessaisir si le TPIR en fait la demande. Au cours du vote, le Rwanda a voté contre et la Chine s'est abstenue.

Après des débuts difficiles, voire chaotiques, dus pour partie au système procédural dont il s'était doté et pour partie au manque de moyens, le TPIR connaît une activité judiciaire accrue d'autant qu'aux termes de la résolution 1503 du Conseil de sécurité des Nations unies en date du 28 août 2002 les procès de première instance devraient s'achever d'ici 2008. Il s'efforce d'enquêter sur les crimes commis, de juger les responsables et d'entendre les victimes. Il est du devoir de la France de coopérer avec cette juridiction, y compris en acceptant éventuellement de recevoir sur son territoire des condamnés, comme le propose le projet de loi.

I - UNE ACTIVITÉ JUDICIAIRE ACCRUE MALGRÉ
DES DIFFICULTÉS INITIALES DE FONCTIONNEMENT

A - Des difficultés progressivement surmontées grâce à la coopération de certains Etats

1) Des procédures inadaptées et des difficultés matérielles

Le TPIR a pâti de problèmes logistiques considérables, la construction des locaux n'étant achevée qu'en 1998. Le recrutement insuffisant des diverses catégories de personnel, le faible professionnalisme, l'éloignement et le remplacement incessant des agents, les vacances de postes constantes ont largement pesé sur ces difficultés.

Le système procédural a accru la lenteur du tribunal : lenteur des procédures d'instruction, défaillance dans la prise en charge de la défense, protection peu sûre des témoins ont fait l'objet de critiques justifiées. En effet, les procès sont longs en raison à la fois de nombreuses exceptions préjudicielles, de la nécessité d'une traduction en plusieurs langues de milliers de pages et des obstacles mis à la comparution des témoins. Dans ce système procédural, l'instruction est conduite à charge par le bureau du procureur, les enquêtes établissant les faits sur lesquels s'appuient les chefs d'inculpation reposent sur la collecte de témoignages accusateurs.

Toutefois, un travail important a été effectué depuis trois ans pour rationaliser le système de l'accusation en établissant une liste des « cibles » classées en fonction de la gravité des crimes reprochés et en fixant un objectif chiffré de quelque 250 jugements à rendre d'ici à 2008, date théorique prévue par les Nations unies pour mettre un terme à l'existence du tribunal.

2) Des problèmes récurrents avec les autorités rwandaises

Les responsables politiques rwandais entretiennent, depuis sa création, une relation ambiguë avec le TPIR et ses représentants. Toutes les faiblesses de cette institution sont systématiquement dénoncées. Kigali suscite une tension permanente vis-à-vis des insuffisances bien réelles ou présumées du TIPR.

Mis en place par les autorités de Kigali depuis le début de l'année, le chantage aux témoins qui, en bloquant les autorisations de voyage et l'octroi des passeports a empêché le déroulement de la plupart des procès, illustre, cette dépendance du tribunal à l'égard des témoins. Or, dans tous les procès, de nombreux contre-interrogatoires de témoins démontrent à l'évidence la faible crédibilité des déclarations et soulignent crûment la faiblesse ou l'absence d'une instruction établissant des faits tangibles.

L'activité du TPIR ne jouit pas d'une bonne image au Rwanda. Elle est perçue comme une justice de riches, trop lente et inefficace, trop indulgente. La justice du TPIR ne correspond pas aux attentes de la population qui aurait voulu voir les criminels condamnés sévèrement et promptement.

En 1998, la décision de la chambre de première instance du TPIR de libérer M. Barayagwiza en raison d'un vice de procédure, avait encore terni cette image et porté atteinte aux relations du bureau du Procureur avec les autorités rwandaises qui avaient alors interrompu toute coopération. Le Procureur, Mme Carla Del Ponte, était parvenue, sur la base de faits nouveaux à obtenir la confirmation de l'arrestation. La nomination en octobre 1999 d'un représentant du gouvernement rwandais auprès du Tribunal avait suivi. Les visites en mai 2000 et avril 2001 de Mme Del Ponte à Kigali avaient permis de rétablir pour un temps les relations de coopération mais les difficultés persistent.

Le principal échec du tribunal est de ne pas avoir réussi à servir de référence mobilisatrice à la justice nationale, à intéresser la population rwandaise, à la mobiliser autour des valeurs qu'il incarne, et à faire reconnaître la légitimité officielle qui lui a été accordée.

3) Des efforts de coopération de certains Etats

Les arrestations sont effectuées avec l'aide des autorités judiciaires et policières des Etats où les suspects se trouvent dix-neuf pays, dont la France, et douze Etats africains ont déjà coopéré avec le TPIR pour ces arrestations. Le Cameroun a livré quatre inculpés essentiels dont le Colonel Théoneste Bagosora, considéré comme l'un des principaux organisateurs du génocide après le décès du président Habyarimana, et peut-être l'un des principaux instigateurs de l'assassinat des dix Casques bleus belges. Le Kenya a transféré huit responsables, dont l'ancien premier ministre Jean Kambanda et le Belge Georges Ruggiu, présentateur à la Radio des Mille Collines, la RDC a livré en septembre 2002 l'ancien gouverneur de Kigali, le Colonel Tharcisse Renzaho.

D'autres pays ont collaboré en facilitant le déplacement des témoins, en offrant leurs installations pénitentiaires pour l'exécution des peines d'emprisonnement des personnes condamnées par le tribunal ou en apportant des dons au fonds judiciaire du Tribunal. Pour maintenir en détention les personnes dont les procès sont en instance, un centre de détention a été spécialement bâti par le tribunal dans l'enceinte de la prison tanzanienne à Arusha.

B - Un fonctionnement plus rationnel permettant d'accroître l'activité judiciaire

1) Un fonctionnement plus rationnel

Le TPIR est régi par son statut qui est joint en annexe à la résolution 955 du Conseil de sécurité. Le règlement de procédure et de preuve, que les juges ont adopté conformément à l'article 14 du Statut, définit le cadre nécessaire au fonctionnement du système judiciaire. Il a été maintes fois réformé.

Par sa résolution 977 du 22 février 1995, le Conseil de sécurité a décidé que le siège du tribunal serait à Arusha en République Unie de Tanzanie. Le Tribunal a commencé à fonctionner le 27 novembre 1995.

La Présidence du Tribunal est assurée depuis mai 2003 par le juge Erik Moese (Norvège) après que Mme Navanethem Pillay (Afrique du Sud) a été élue juge à la Cour pénale internationale. Après des polémiques suscitées par la lenteur du TPIR, la résolution 1503 du 28 août 2003 adoptée par le Conseil de sécurité a décidé de scinder en deux postes les fonctions de procureur des tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie.

Le bureau du procureur qui prépare les actes d'accusation est dirigé, depuis le 15 septembre 2003, par M. Hassan Bubar Jallow (Gambie) élu sur proposition du Secrétaire général des Nations unies en remplacement de Mme Carla Del Ponte (Suisse).

Le tribunal est composé de trois principaux rouages : les chambres de première instance et la chambre d'appel, le bureau du procureur chargé des enquêtes et des poursuites et le greffe qui a la charge de fournir un appui général judiciaire et administratif aux chambres et au procureur. Le TPIR est une juridiction indépendante mais elle est liée au Tribunal ad hoc pour l'ex-Yougoslavie : les chambres d'appel sont les mêmes.

Les chambres du TPIR sont composées de 16 juges indépendants, ressortissants d'Etats différents. Après la création d'une troisième chambre de première instance par la résolution du Conseil de sécurité 1165 du 30 avril 1998 pour faciliter et accélérer le travail du TPIR, la résolution 1431 adoptée le 13 août 2002 a créé des postes de juge ad litem pour le tribunal. Dans le courant de l'année 2003, de nouveaux juges ad litem ont été élus pour accroître la capacité judiciaire du tribunal et le mandat de certains juges qui venait à échéance, a été prorogé pour leur permettre d'achever le traitement de certaines affaires en cours.

Pour l'année 2002-2003, l'Assemblée générale des Nations unies a alloué au TPIR un budget de 177 739 400 dollars (la part française s'établit à 6,8 millions de dollars) et, s'agissant des effectifs, un total de 872 postes. Plus de 80 nationalités sont actuellement représentées au tribunal, dont 25 Français, soit près de 3 % des effectifs. Cependant, la France ne compte aucun administrateur de haut rang, alors que l'on constate une très forte présence des anglo-saxons dans ce type de poste.

2) Une activité judiciaire plus importante

Le premier acte d'accusation émis par le Tribunal a été lancé à l'encontre de 8 suspects le 28 novembre 1995. A ce jour, 81 personnes ont été accusées dont 66 arrêtées dans 23 pays différents pour être transférées à Arusha. Un des condamnés, M. Jean Kambanda, Premier ministre du gouvernement rwandais pendant le génocide, a été le premier chef de gouvernement à être accusé puis condamné pour crime de génocide. Onze ministres du gouvernement intérimaire de 1994 au Rwanda sont également en détention au tribunal ainsi que des commandants militaires de haut rang, des hauts fonctionnaires, des responsables religieux, des journalistes, des intellectuels, etc.

De plus, 13 affaires au total ont été jugées, donnant lieu à 12 condamnations et à un acquittement. La chambre d'appel a confirmé 8 condamnations et 4 appels sont toujours en instance. Huit procès impliquant 20 accusés sont en cours. Certains sont collectifs et concernent quelques-uns des principaux responsables du génocide, notamment celui dit des « militaires » et celui des médias. Le nombre total des affaires jugées et des procès en cours concerne presque la moitié des personnes arrêtées. Parmi les arrestations les plus récentes et les plus marquantes on relève notamment celles du général Augustin Bizimungu, ancien chef d'état-major des forces armées rwandaises (appréhendé en Angola), de l'ancien maire, M. Jean-Baptiste Gatete (arrêté en RDC) ou de Georges Ruggiu, responsable de la Radio des Mille Collines. Le 3 décembre dernier, M. Ferdinand Nahimana, fondateur et responsable de Radio Mille Collines, et deux autres journalistes ont été condamnés à perpétuité.

Les jugements prononcés par les chambres de première instance et la chambre d'appel ne mesurent pas à elles seules les résultats obtenus par le TPIR. Plus de 1300 décisions ont été rendues sur des questions juridiques de compétence, de procédure et de preuve. Le jugement rendu dans l'affaire Akayesu a créé une définition du viol en droit international et a considéré que celui-ci pouvait constituer un crime de génocide.

II - UN ACCORD QUI S'INSCRIT DANS UNE DYNAMIQUE DE
COOPÉRATION DE LA FRANCE AVEC LE TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA (TPIR)

A - Les différents aspects de la coopération française avec le TPIR

1) Une coopération active dans la recherche des éléments de preuves

En vertu de l'article 28 du Statut du TPIR et de la loi n° 96432 du 22 mai 1996 qui transpose les dispositions relatives à la compétence et au dessaisissement des juridictions françaises et à la coopération judiciaire avec le TPIR, la France peut être amenée à répondre aux demandes d'assistance du TPIR concernant l'identification et la recherche de témoins sur le territoire national, la réunion de témoignages et la production de preuves, l'expédition de documents, arrestation et transfert de personnes inculpées. Le gouvernement français assiste donc le TPIR dans sa recherche d'éléments de preuve, soit au cours des enquêtes, soit dans le cadre des procès.

Cette coopération s'illustre à travers l'organisation d'auditions, principalement des forces armées françaises au profit du tribunal. Ainsi, des officiers français ont été entendus sur les massacres dans la région de Kibuye et de Bissessero et sur le rôle des autorités administratives locales. Par ailleurs, la France a répondu à la dizaine de demandes de localisation de personnes transmises par le TPIR depuis sa création, permettant leur audition en tant que témoins. Deux personnes inculpées par le TPIR ont été arrêtées sur le territoire français et transférées à Arusha. Il s'agit de M. Jean-de-Dieu Kamuhanda, qui faisait l'objet d'un mandat d'arrêt et d'une ordonnance de remise du 1er octobre 1999 et de M. François-Xavier Nzuwomeneye qui faisait l'objet d'un mandat d'arrêt et d'une ordonnance de remise du 2 février 2000.

Parallèlement, le juge Bruguière a pu rencontrer sept détenus du centre de détention des Nations unies à Arusha, estimant qu'ils pouvaient disposer d'informations susceptibles de l'aider dans le cadre d'enquête sur l'attentat contre l'avion présidentiel qui a coûté la vie à l'ex-président rwandais Juvénal Habyarimana en 1994 et à l'équipage français.

2) Une aide matérielle importante

Pour l'année 2002-2003, la France a versé 6,8 millions de dollars au TPIR. Auparavant, et au-delà de ses strictes obligations légales, la France a financé dès 1999, pour 1 million d'euros, l'aménagement audiovisuel de plusieurs salles d'audience, contribué à l'équipement de la bibliothèque du Tribunal. Des experts légistes français ont été envoyés et des actions de formation ont été diligentées.

B - Un accord traduisant la volonté de la France d'accroître sa coopération avec le TPIR

L'initiative de cet accord revient au TPIR. Mme Navanethem Pillay, présidente du TPIR, lors de sa visite en France en mai 2000, avait formulé le vœu qu'un accord d'exécution des peines calqué sur celui qui venait alors d'être signé avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) puisse être conclu entre la France et le TPIR.

1) Un accord traduisant le soutien de la France au TPIR

Cet accord s'inscrit dans la dynamique de coopération de la France avec le TPIR qui va au-delà des obligations contenues dans le statut. L'accueil n'est pas en effet une obligation. Il s'agit d'une faculté ouverte à tout Etat, qui doit en informer le Conseil de Sécurité ainsi que le prévoit l'article 26 du statut du TPIR.

L'accord ajoute donc un volet à la coopération avec le tribunal et traduit la solidarité de la France avec la Tanzanie, Etat hôte du tribunal, en partageant avec lui la charge que représente l'incarcération des personnes condamnées par le TPIR.

L'option principale du TPIR est, dans la mesure du possible, de faire exécuter les peines en Afrique et ce pour des raisons socioculturelles. Cette option réfléchie est considérée par les membres du tribunal comme un facteur de dissuasion. En acceptant que les coupables purgent leurs peines en Afrique, les pays du continent manifestent ainsi leur attachement au respect de l'Etat de droit.

Le 12 février 1999, la République du Mali est devenue le premier pays à signer avec le tribunal un accord aux termes duquel ce pays accepte que les personnes condamnées par le TPIR purgent leurs peines dans ses établissements pénitentiaires. Un accord similaire a été signé avec le Bénin et le Swaziland tandis que des négociations avec d'autres pays africains sont en cours.

Ceci dit, certains des condamnés ayant des attaches familiales en Europe, le Tribunal a accepté l'idée que ces personnes pourraient accomplir leur peine hors d'Afrique. Des négociations, pour la plupart encore officieuses à ce stade, ont été ouvertes avec l'Italie, la Norvège, la Suède et la Belgique. L'accord avec la France est le premier et le seul conclu à ce jour.

2) Un accord respectueux du droit français

Les conditions d'exécution des peines relèveront des juridictions françaises compétentes. Ce sont les autorités françaises qui décideront du lieu d'exécution de la peine (article 3). Toutefois l'article 6 de l'accord prévoit des dispositions relatives à une procédure d'inspection périodique et impromptue des conditions de détention et du traitement des détenus par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

Le principe de telles inspections a déjà été accepté dans plusieurs accords précédemment signés par la France, comme celui conclu avec le TPIY, la Convention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction, signée à Paris le 13 janvier 1993, le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires du 10 septembre 1996, la Convention sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction, signée à Ottawa le 3 décembre 1997 et surtout la Convention relative au traitement des prisonniers de guerre signée le 12 août 1949 à Genève dont l'article 126 prévoit des modalités de visites des prisonniers très larges. L'Etat sur le territoire duquel se trouvent les prisonniers ne peut s'opposer à une telle visite : « Toute liberté sera laissée aux représentants et aux délégués des puissances protectrices quant au choix des endroits qu'ils désirent visiter ; la durée et la fréquence de ces visites ne seront pas limitée ». Les délégués du CICR bénéficient des mêmes prérogatives. Seules des raisons « d'impérieuses nécessités militaires et seulement à titre exceptionnel et temporaire » peuvent conduire à l'interdiction de ces visites.

3) L'exercice de l'article 17 de la Constitution relatif au droit de grâce

Les articles 27 et 28 sur la grâce et commutation de peine du statut du TPIR prévoient que si tout condamné peut bénéficier d'une grâce ou d'une commutation de peine en vertu des lois de l'Etat dans lequel il est emprisonné, il appartient néanmoins au Président du TPIR de trancher en dernier ressort.

Une difficulté similaire s'était posée dans le cadre du texte initial du statut de la Cour pénale internationale (CPI) qui prévoyait que les Etats Parties auraient l'obligation d'accueillir sur leur territoire les prisonniers condamnés par la Cour si celle-ci le demandait. Toutefois, la Cour a la faculté de retirer un prisonnier de l'Etat d'accueil en cas de désaccord sur l'application des conditions de détention. Cette dernière disposition permet au Président de la Cour de ne pas refuser une mesure de grâce décidée par l'autorité compétente d'un Etat. Il ne se prononce pas sur la mesure elle-même. Il se borne à retirer le prisonnier du territoire de cet Etat. La mesure de grâce devient alors sans objet.

Dans sa décision du 22 janvier 1999 relative au traité portant Statut de la CPI, le Conseil constitutionnel a estimé que les stipulations dudit Traité relatives à l'exécution des peines prononcées par la Cour sur le territoire d'Etat tiers ne portent atteinte ni aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, ni à l'article 17 de la Constitution.

Aussi l'accord soumis à examen reprend-il les dispositions proches de celles du Statut de la CPI. L'accord de la France est sollicité au cas par cas, à la suite de consultations avec le Tribunal portant sur un condamné déterminé (article 2). La France appliquera aux prisonniers les dispositions de son droit interne en matière carcérale, y compris les dispositions ayant pour effet de modifier la durée de la peine (articles 3 et 8). Si l'application de mesures n'est pas acceptable par la présidence du TPIR, le prisonnier est transféré hors du territoire français (article 10).

D'après l'étude d'impact transmise et annexée au présent rapport, ces mesures devraient avoir une incidence financière liée à l'accueil et au suivi médical du condamné. Aux termes de l'article 11 de l'accord, les frais encourus pour l'exécution de la peine sont pris en charge, sauf convention contraire, par l'Etat d'accueil et ceux relatifs aux transferts vers ou en provenance de cet Etat par le TPIR. Cette incidence financière devrait cependant être limitée en raison du nombre restreint de personnes susceptibles d'être accueillies, une dizaine si l'on en croit le ministère des Affaires étrangères. Les problèmes liés à la surpopulation carcérale en France et à l'état sanitaire des condamnés sont des données qui seront prises en compte.

Si l'on s'en réfère aux effets de l'accord concernant l'exécution des peines prononcé par le TPIY entre la France et l'ONU, on constate qu'il n'existe aucun détenu en France purgeant une peine en vertu de cet accord. Toutefois en septembre 2003 le TPIY a demandé à la France d'accueillir trois condamnés ; cette demande est actuellement en cours d'examen.

CONCLUSION

Ce projet de loi qui permet l'exécution en France des peines prononcées par le TPIR doit être approuvé car il renforce la coopération entre la France et cette juridiction.

En acceptant d'accueillir sur son sol des détenus jugés par le TPIR, la France participe à la lutte contre l'impunité des coupables d'un génocide parmi les plus graves commis ces dernières années.

Elle manifeste sa solidarité et sa confiance en la justice pénale internationale à un moment où son développement est malheureusement toujours contesté aux Etats-Unis. Toute initiative qui permet de renforcer les juridictions pénales internationales est utile.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du 16 décembre 2003.

Après l'exposé du Rapporteur, le Président Edouard Balladur s'est déclaré surpris sur le plan juridique par les dispositions de l'accord concernant le droit de grâce, qui est inconditionnel, absolu et d'application immédiate. Il s'est étonné que l'accord confère au TPIR la possibilité de limiter les effets du droit de grâce en transférant le prisonnier hors de France. Il s'est demandé ce qu'il adviendrait de l'exercice de ce droit pour un prisonnier condamné à perpétuité alors que le TPIR n'existerait plus.

M. Christian Philip a confirmé que le TPIR n'existerait vraisemblablement plus après 2010, une résolution du Conseil de sécurité devant vraisemblablement prévoir l'hypothèse évoquée par le Président Edouard Balladur au moment de la dissolution du TPIR.

S'agissant du droit de grâce, il a expliqué qu'une concertation aurait lieu entre la France et le TPIR avant que ne soit prise une telle mesure. En cas de désaccord, le TPIR retirerait le prisonnier avant l'exercice du droit de grâce.

Le Président Edouard Balladur a observé que, dans cette hypothèse, le TPIR fonctionnerait comme un juge d'application des peines

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (no 1149).

*

* *

La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de l'accord figure en annexe au projet de loi (n° 1149).

ANNEXE I

Etude d'impact

ANNEXE II

Texte de la résolution 955 (1994) des Nations unies

Adoptée par le Conseil de sécurité à sa 3453séance,

le 8 novembre 1994

Le Conseil de sécurité,

Réaffirmant toutes ses résolutions antérieures sur la situation au Rwanda,

Ayant examiné les rapports que le Secrétaire général lui a présentés conformément au paragraphe 3 de sa résolution 935 (1994) du 1er juillet 1994 (S/1994/879 et S/1994/906), et ayant pris acte des rapports du Rapporteur spécial pour le Rwanda de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies (S/1994/1157, annexe I et annexe II),

Saluant le travail accompli par la Commission d'experts créée en vertu de sa résolution 935 (1994), en particulier son rapport préliminaire sur les violations du droit international humanitaire au Rwanda que le Secrétaire général lui a transmis dans sa lettre du 1er octobre 1994 (S/1994/1125),

Se déclarant de nouveau gravement alarmé par les informations selon lesquelles des actes de génocide et d'autres violations flagrantes, généralisées et systématiques du droit international humanitaire ont été commises au Rwanda,

Constatant que cette situation continue de faire peser une menace sur la paix et la sécurité internationales,

Résolu à mettre fin à de tels crimes et à prendre des mesures efficaces pour que les personnes qui en sont responsables soient traduites en justice,

Convaincu que, dans les circonstances particulières qui règnent au Rwanda, des poursuites contre les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire permettraient d'atteindre cet objectif et contribueraient au processus de réconciliation nationale ainsi qu'au rétablissement et au maintien de la paix,

Estimant que la création d'un tribunal international pour juger les personnes présumées responsables de tels actes ou violations contribuera à les faire cesser et à en réparer dûment les effets,

Soulignant qu'une coopération internationale est nécessaire pour renforcer les tribunaux et l'appareil judiciaire rwandais, notamment en raison du grand nombre de suspects qui seront déférés devant ces tribunaux,

Considérant que la Commission d'experts créée en vertu de la résolution 935 (1994) devrait continuer à rassembler de toute urgence des informations tendant à prouver que des violations graves du droit international humanitaire ont été commises sur le territoire du Rwanda, et qu'elle devrait présenter son rapport final au Secrétaire général le 30 novembre 1994 au plus tard,

Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,

1. Décide par la présente résolution, comme suite à la demande qu'il a reçue du Gouvernement rwandais (S/1994/1115), de créer un tribunal international chargé uniquement de juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d'États voisins, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994, et d'adopter à cette fin le Statut du Tribunal criminel international pour le Rwanda annexé à la présente résolution;

2. Décide que tous les États apporteront leur pleine coopération au Tribunal international et à ses organes, conformément à la présente résolution et au Statut du Tribunal international, et qu'ils prendront toutes mesures nécessaires en vertu de leur droit interne pour mettre en application les dispositions de la présente résolution et du Statut, y compris l'obligation faite aux États de donner suite aux demandes d'assistance ou aux ordonnances émanant d'une Chambre de première instance, conformément à l'article 28 du Statut, et prie les États de tenir le Secrétaire général informé des mesures qu'ils prendront;

3. Considère qu'une notification devrait être adressée au Gouvernement rwandais avant que des décisions ne soient prises en vertu des articles 26 et 27 du Statut;

4. Prie instamment les États ainsi que les organisations intergouvernementales et non gouvernementales d'apporter au Tribunal international des contributions sous forme de ressources financières, d'équipements et de services, y compris des services d'experts;

5. Prie le Secrétaire général de mettre en oeuvre d'urgence la présente résolution et de prendre en particulier des dispositions pratiques pour que le Tribunal international puisse fonctionner effectivement le plus tôt possible, notamment de lui soumettre des recommandations quant aux lieux où le siège du Tribunal international pourrait être établi, et de lui présenter des rapports périodiques;

6. Décide qu'il choisira le siège du Tribunal international en fonction de critères de justice et d'équité ainsi que d'économie et d'efficacité administrative, notamment des possibilités d'accès aux témoins, sous réserve que l'Organisation des Nations Unies et l'État où le Tribunal aura son siège concluent des arrangements appropriés qui soient acceptables pour le Conseil de sécurité, étant entendu que le Tribunal international pourra se réunir ailleurs quand il le jugera nécessaire pour l'exercice efficace de ses fonctions; et décide d'établir un bureau au Rwanda et d'y conduire des procédures, si cela est possible et approprié, sous réserve de la conclusion d'arrangements adéquats analogues;

7. Décide d'envisager d'augmenter le nombre de juges et de chambres de première instance du Tribunal international si cela s'avère nécessaire;

8. Décide de rester activement saisi de la question.

ANNEXE

Statut du Tribunal international pour le Rwanda

Créé par le Conseil de sécurité agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, le Tribunal criminel international chargé de juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d'États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 (ci-après dénommé "Tribunal international pour le Rwanda") exercera ses fonctions conformément aux dispositions du présent statut.

Article premier

Compétence du Tribunal international pour le Rwanda

Le Tribunal international pour le Rwanda est habilité à juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de telles violations commises sur le territoire d'États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994, conformément aux dispositions du présent statut.

Article 2

Génocide

1. Le Tribunal international pour le Rwanda est compétent pour poursuivre les personnes ayant commis un génocide, tel que ce crime est défini au paragraphe 2 du présent article, ou l'un quelconque des actes énumérés au paragraphe 3 du présent article.

2. Le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe;

b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;

e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.

3. Seront punis les actes suivants :

a) Le génocide;

b) L'entente en vue de commettre le génocide;

c) L'incitation directe et publique à commettre le génocide;

d) La tentative de génocide;

e) La complicité dans le génocide.

Article 3

Crimes contre l'humanité

Le Tribunal international pour le Rwanda est habilité à juger les personnes présumées responsables des crimes suivants lorsqu'ils ont été commis dans le cadre d'une attaque généralisée et systématique dirigée contre une population civile quelle qu'elle soit, en raison de son appartenance nationale, politique, ethnique, raciale ou religieuse :

a) Assassinat;

b) Extermination;

c) Réduction en esclavage;

d) Expulsion;

e) Emprisonnement;

f) Torture;

g) Viol;

h) Persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses;

i) Autres actes inhumains.

Article 4

Violations de l'article 3 commun aux Conventions de Genève

et du Protocole additionnel II

Le Tribunal international pour le Rwanda est habilité à poursuivre les personnes qui commettent ou donnent l'ordre de commettre des violations graves de l'article 3 commun aux Conventions de Genève du 12 août 1949 pour la protection des victimes en temps de guerre, et du Protocole additionnel II auxdites Conventions du 8 juin 1977. Ces violations comprennent, sans s'y limiter :

a) Les atteintes portées à la vie, à la santé et au bien-être physique ou mental des personnes, en particulier le meurtre, de même que les traitements cruels tels que la torture, les mutilations ou toutes formes de peines corporelles;

b) Les punitions collectives;

c) La prise d'otages;

d) Les actes de terrorisme;

e) Les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants, le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à la pudeur;

f) Le pillage;

g) Les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés;

h) La menace de commettre les actes précités.

Article 5

Compétence ratione personae

Le Tribunal international pour le Rwanda a compétence à l'égard des personnes physiques conformément aux dispositions du présent statut.

Article 6

Responsabilité pénale individuelle

1. Quiconque a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter un crime visé aux articles 2 à 4 du présent statut est individuellement responsable dudit crime.

2. La qualité officielle d'un accusé, soit comme chef d'État ou de gouvernement, soit comme haut fonctionnaire, ne l'exonère pas de sa responsabilité pénale et n'est pas un motif de diminution de la peine.

3. Le fait que l'un quelconque des actes visés aux articles 2 à 4 du présent statut a été commis par un subordonné ne dégage pas son supérieur de sa responsabilité pénale s'il savait ou avait des raisons de savoir que le subordonné s'apprêtait à commettre cet acte ou l'avait fait et que le supérieur n'a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ledit acte ne soit commis ou en punir les auteurs.

4. Le fait qu'un accusé a agi en exécution d'un ordre d'un gouvernement ou d'un supérieur ne l'exonère pas de sa responsabilité pénale mais peut être considéré comme un motif de diminution de la peine si le Tribunal international pour le Rwanda l'estime conforme à la justice.

Article 7

Compétence ratione loci et compétence ratione temporis

La compétence ratione loci du Tribunal international pour le Rwanda s'étend au territoire du Rwanda, y compris son espace terrestre et son espace aérien, et au territoire d'États voisins en cas de violations graves du droit international humanitaire commises par des citoyens rwandais. La compétence ratione temporis du Tribunal international s'étend à la période commençant le 1er janvier 1994 et se terminant le 31 décembre 1994.

Article 8

Compétences concurrentes

1. Le Tribunal international pour le Rwanda et les juridictions nationales sont concurremment compétents pour juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de telles violations commises sur le territoire d'États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994.

2. Le Tribunal international pour le Rwanda a la primauté sur les juridictions nationales de tous les États. À tout stade de la procédure, il peut demander officiellement aux juridictions nationales de se dessaisir en sa faveur conformément au présent statut et à son règlement.

Article 9

Non bis in idem

1. Nul ne peut être traduit devant une juridiction nationale pour des faits constituant de graves violations du droit international humanitaire au sens du présent statut s'il a déjà été jugé pour les mêmes faits par le Tribunal international pour le Rwanda.

2. Quiconque a été traduit devant une juridiction nationale pour des faits constituant de graves violations du droit international humanitaire ne peut subséquemment être traduit devant le Tribunal international pour le Rwanda que si :

a) Le fait pour lequel il a été jugé était qualifié crime de droit commun; ou

b) La juridiction nationale n'a pas statué de façon impartiale ou indépendante, la procédure engagée devant elle visait à soustraire l'accusé à sa responsabilité pénale internationale, ou la poursuite n'a pas été exercée avec diligence.

3. Pour décider de la peine à infliger à une personne condamnée pour un crime visé par le présent statut, le Tribunal international pour le Rwanda tient compte de la mesure dans laquelle cette personne a déjà purgé toute peine qui pourrait lui avoir été infligée par une juridiction nationale pour le même fait.

Article 10

Organisation du Tribunal international pour le Rwanda

Le Tribunal international comprend les organes suivants :

a) Les Chambres, soit deux Chambres de première instance et une Chambre d'appel;

b) Le Procureur; et

c) Un Greffe.

Article 11

Composition des Chambres

Les Chambres sont composées de 11 juges indépendants, ressortissants d'États différents et dont :

a) Trois siègent dans chacune des Chambres de première instance; et

b) Cinq siègent à la Chambre d'appel.

Article 12

Qualifications et élection des juges

1. Les juges doivent être des personnes de haute moralité, impartialité et intégrité possédant les qualifications requises, dans leurs pays respectifs, pour être nommés aux plus hautes fonctions judiciaires. Il est dûment tenu compte, dans la composition globale des Chambres, de l'expérience des juges en matière de droit pénal et de droit international, notamment de droit international humanitaire et des droits de l'homme.

2. Les juges siégeant à la Chambre d'appel du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 (ci-après dénommé "le Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie") siègent également à la Chambre d'appel du Tribunal international pour le Rwanda.

3. Les juges des Chambres de première instance du Tribunal international pour le Rwanda sont élus par l'Assemblée générale sur une liste présentée par le Conseil de sécurité, selon les modalités ci-après :

a) Le Secrétaire général invite les États Membres de l'Organisation des Nations Unies et les États non membres ayant une mission d'observation permanente au Siège de l'Organisation à présenter des candidatures;

b) Dans un délai de 30 jours à compter de la date de l'invitation du Secrétaire général, chaque État peut présenter la candidature d'au maximum deux personnes réunissant les conditions indiquées au paragraphe 1 ci-dessus et n'ayant pas la même nationalité et dont aucune n'a la même nationalité que l'un quelconque des juges de la Chambre d'appel;

c) Le Secrétaire général transmet les candidatures au Conseil de sécurité. Sur la base de ces candidatures, le Conseil dresse une liste de 12 candidats au minimum et 18 candidats au maximum en tenant dûment compte de la nécessité d'assurer au Tribunal international pour le Rwanda une représentation adéquate des principaux systèmes juridiques du monde;

d) Le Président du Conseil de sécurité transmet la liste de candidats au Président de l'Assemblée générale. L'Assemblée élit sur cette liste les six juges des Chambres de première instance. Sont élus les candidats qui ont obtenu la majorité absolue des voix des États Membres de l'Organisation des Nations Unies et des États non membres ayant une mission d'observation permanente au Siège de l'Organisation. Si deux candidats de la même nationalité obtiennent la majorité requise, est élu celui sur lequel se sont portées le plus grand nombre de voix.

4. Si un siège à l'une des Chambres de première instance devient vacant, le Secrétaire général, après avoir consulté les Présidents du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale, nomme une personne réunissant les conditions indiquées au paragraphe 1 ci-dessus pour siéger jusqu'à l'expiration du mandat de son prédécesseur.

5. Les juges des Chambres de première instance sont élus pour un mandat de quatre ans. Leurs conditions d'emploi sont celles des juges du Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie. Ils sont rééligibles.

Article 13

Constitution du bureau et des Chambres

1. Les juges du Tribunal international pour le Rwanda élisent un président.

2. Après les avoir consultés, le Président nomme les juges du Tribunal international pour le Rwanda à l'une des Chambres de première instance. Les juges ne siègent qu'à la Chambre à laquelle ils ont été nommés.

3. Les juges de chaque Chambre de première instance choisissent un président qui conduit toutes les procédures devant cette Chambre.

Article 14

Règlement du Tribunal

Les juges du Tribunal international pour le Rwanda adopteront, aux fins de la procédure du Tribunal international pour le Rwanda, le règlement du Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie régissant la mise en accusation, les procès en première instance et les recours, la recevabilité des preuves, la protection des victimes et des témoins et d'autres questions appropriées, en y apportant les modifications qu'ils jugeront nécessaires.

Article 15

Le Procureur

1. Le Procureur est responsable de l'instruction des dossiers et de l'exercice de la poursuite contre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumées responsables de telles violations commises sur le territoire d'États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994.

2. Le Procureur, qui est un organe distinct au sein du Tribunal international pour le Rwanda, agit en toute indépendance. Il ne sollicite ni ne reçoit d'instructions d'aucun gouvernement ni d'aucune autre source.

3. Le Procureur du Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie exerce également les fonctions de procureur du Tribunal international pour le Rwanda. Il dispose, pour le seconder devant le Tribunal international pour le Rwanda, de personnel supplémentaire, dont un procureur adjoint supplémentaire. Ce personnel est nommé par le Secrétaire général sur recommandation du Procureur.

Article 16

Le Greffe

1. Le Greffe est chargé d'assurer l'administration et les services du Tribunal international pour le Rwanda.

2. Le Greffe se compose d'un greffier et des autres fonctionnaires nécessaires.

3. Le Greffier est désigné par le Secrétaire général après consultation du Président du Tribunal international pour le Rwanda pour un mandat de quatre ans renouvelable. Les conditions d'emploi du Greffier sont celles d'un sous-secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies.

4. Le personnel du Greffe est nommé par le Secrétaire général sur recommandation du Greffier.

Article 17

Information et établissement de l'acte d'accusation

1. Le Procureur ouvre une information d'office ou sur la foi des renseignements obtenus de toutes sources, notamment des gouvernements, des organes de l'Organisation des Nations Unies, des organisations intergouvernementales et non gouvernementales. Il évalue les renseignements reçus ou obtenus et décide s'il y a lieu de poursuivre.

2. Le Procureur est habilité à interroger les suspects, les victimes et les témoins, à réunir des preuves et à procéder sur place à des mesures d'instruction. Dans l'exécution de ces tâches, le Procureur peut, selon que de besoin, solliciter le concours des autorités de l'État concerné.

3. Tout suspect interrogé a le droit d'être assisté d'un conseil de son choix, y compris celui de se voir attribuer d'office un défenseur, sans frais, s'il n'a pas les moyens de le rémunérer et de bénéficier, si nécessaire, de services de traduction dans une langue qu'il parle et comprend et à partir de cette langue.

4. S'il décide qu'au vu des présomptions, il y a lieu d'engager des poursuites, le Procureur établit un acte d'accusation dans lequel il expose succinctement les faits et le crime ou les crimes qui sont reprochés à l'accusé en vertu du statut. L'acte d'accusation est transmis à un juge de la Chambre de première instance.

Article 18

Examen de l'acte d'accusation

1. Le juge de la Chambre de première instance saisi de l'acte d'accusation examine celui-ci. S'il estime que le Procureur a établi qu'au vu des présomptions il y a lieu d'engager des poursuites, il confirme l'acte d'accusation. À défaut, il le rejette.

2. S'il confirme l'acte d'accusation, le juge saisi décerne, sur réquisition du Procureur, les ordonnances et mandats d'arrêt, de dépôt, d'amener ou de remise et toutes autres ordonnances nécessaires pour la conduite du procès.

Article 19

Ouverture et conduite du procès

1. La Chambre de première instance veille à ce que le procès soit équitable et rapide et à ce que l'instance se déroule conformément au règlement de procédure et de preuve, les droits de l'accusé étant pleinement respectés et la protection des victimes et des témoins dûment assurée.

2. Toute personne contre laquelle un acte d'accusation a été confirmé est, conformément à une ordonnance ou un mandat d'arrêt décerné par le Tribunal international pour le Rwanda, placée en état d'arrestation, immédiatement informée des chefs d'accusation portés contre elle et déférée au Tribunal international pour le Rwanda.

3. La Chambre de première instance donne lecture de l'acte d'accusation, s'assure que les droits de l'accusé sont respectés, confirme que l'accusé a compris le contenu de l'acte d'accusation et l'invite à faire valoir ses moyens de défense. La Chambre de première instance fixe alors la date du procès.

4. Les audiences sont publiques à moins que la Chambre de première instance décide de les tenir à huis clos conformément à son règlement de procédure et de preuve.

Article 20

Les droits de l'accusé

1. Tous sont égaux devant le Tribunal international pour le Rwanda.

2. Toute personne contre laquelle des accusations sont portées a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement, sous réserve des dispositions de l'article 21 du statut.

3. Toute personne accusée est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été établie conformément aux dispositions du présent statut.

4. Toute personne contre laquelle une accusation est portée en vertu du présent statut a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes :

a) À être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu'elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l'accusation portée contre elle;

b) À disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix;

c) À être jugée sans retard excessif;

d) À être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l'assistance d'un défenseur de son choix; si elle n'a pas de défenseur, à être informée de son droit d'en avoir un, et, chaque fois que l'intérêt de la justice l'exige, à se voir attribuer d'office un défenseur, sans frais, si elle n'a pas les moyens de le rémunérer;

e) À interroger ou faire interroger les témoins à charge et à obtenir la comparution et l'interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;

f) À se faire assister gratuitement d'un interprète si elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience;

g) À ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable.

Article 21

Protection des victimes et des témoins

Le Tribunal international pour le Rwanda prévoit dans son règlement de procédure et de preuve des mesures de protection des victimes et des témoins. Les mesures de protection comprennent, sans y être limitées, la tenue d'audiences à huis clos et la protection de l'identité des victimes.

Article 22

Sentence

1. La Chambre de première instance prononce des sentences et impose des peines et sanctions à l'encontre des personnes convaincues de violations graves du droit international humanitaire.

2. La sentence est rendue en audience publique à la majorité des juges de la Chambre de première instance. Elle est établie par écrit et motivée, des opinions individuelles ou dissidentes pouvant y être jointes.

Article 23

Peines

1. La Chambre de première instance n'impose que des peines d'emprisonnement. Pour fixer les conditions de l'emprisonnement, la Chambre de première instance a recours à la grille générale des peines d'emprisonnement appliquée par les tribunaux du Rwanda.

2. En imposant toute peine, la Chambre de première instance tient compte de facteurs tels que la gravité de l'infraction et la situation personnelle du condamné.

3. Outre l'emprisonnement du condamné, la Chambre de première instance peut ordonner la restitution à leurs propriétaires légitimes de tous biens et ressources acquis par des moyens illicites, y compris par la contrainte.

Article 24

Appel

1. La Chambre d'appel connaît des recours introduits soit par les personnes condamnées par les Chambres de première instance, soit par le Procureur, pour les motifs suivants :

a) Erreur sur un point de droit qui invalide la décision; ou

b) Erreur de fait qui a entraîné un déni de justice.

2. La Chambre d'appel peut confirmer, annuler ou réviser les décisions des Chambres de première instance.

Article 25

Révision

S'il est découvert un fait nouveau qui n'était pas connu au moment du procès en première instance ou en appel et qui aurait pu être un élément décisif de la décision, le condamné ou le Procureur peut saisir le Tribunal international pour le Rwanda d'une demande en révision de la sentence.

Article 26

Exécution des peines

Les peines d'emprisonnement sont exécutées au Rwanda ou dans un État désigné par le Tribunal international pour le Rwanda sur la liste des États qui ont fait savoir au Conseil de sécurité qu'ils étaient disposés à recevoir des condamnés. Elles sont exécutées conformément aux lois en vigueur de l'État concerné, sous la supervision du Tribunal.

Article 27

Grâce et commutation de peine

Si le condamné peut bénéficier d'une grâce ou d'une commutation de peine en vertu des lois de l'État dans lequel il est emprisonné, cet État en avise le Tribunal international pour le Rwanda. Une grâce ou une commutation de peine n'est accordée que si le Président du Tribunal international pour le Rwanda, en consultation avec les juges, en décide ainsi dans l'intérêt de la justice et sur la base des principes généraux du droit.

Article 28

Coopération et entraide judiciaire

1. Les États collaborent avec le Tribunal international pour le Rwanda à la recherche et au jugement des personnes accusées d'avoir commis des violations graves du droit international humanitaire.

2. Les États répondent sans retard à toute demande d'assistance ou à toute ordonnance émanant d'une Chambre de première instance et concernant, sans s'y limiter :

a) L'identification et la recherche des personnes;

b) La réunion des témoignages et la production des preuves;

c) L'expédition des documents;

d) L'arrestation ou la détention des personnes;

e) Le transfert ou la traduction de l'accusé devant le Tribunal international pour le Rwanda.

Article 29

Statut, privilèges et immunités du Tribunal international

pour le Rwanda

1. La Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies en date du 13 février 1946 s'applique au Tribunal international pour le Rwanda, aux juges, au Procureur et à son personnel ainsi qu'au Greffier et à son personnel.

2. Les juges, le Procureur et le Greffier jouissent des privilèges et immunités, des exemptions et des facilités accordés aux agents diplomatiques, conformément au droit international.

3. Le personnel du Procureur et du Greffier jouit des privilèges et immunités accordés aux fonctionnaires des Nations Unies en vertu des articles V et VII de la Convention visée au paragraphe 1 du présent article.

4. Les autres personnes, y compris les accusés, dont la présence est requise au siège ou au lieu de réunion du Tribunal international pour le Rwanda bénéficient du traitement nécessaire pour assurer le bon fonctionnement du Tribunal.

Article 30

Dépenses du Tribunal international pour le Rwanda

Les dépenses du Tribunal international pour le Rwanda sont imputées sur le budget ordinaire de l'Organisation des Nations Unies conformément à l'Article 17 de la Charte des Nations Unies.

Article 31

Langues de travail

Les langues de travail du Tribunal international sont l'anglais et le français.

Article 32

Rapport annuel

Le Président du Tribunal international pour le Rwanda présente chaque année un rapport du Tribunal international pour le Rwanda au Conseil de sécurité et à l'Assemblée générale.

N° 1296 - Rapport  sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sur l'exécution des peines prononcées par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (M. Christian Philip)


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