N° 1424 - Rapport de M. Marc Reymann sur le projet de loi autorisant la ratification de la convention civile sur la corruption (958)




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mis en distribution

le 5 mai 2004

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N° 1424

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 février 2004.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR :

- LE PROJET DE LOI (n° 958), autorisant la ratification de la convention civile sur la corruption,

- LE PROJET DE LOI (n° 959), autorisant la ratification de la convention pénale sur la corruption,

PAR M. MARC REYMANN,

Député

--

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 5

I - UNE NÉGOCIATION LONGUE ET DÉLICATE DANS UNE ENCEINTE
    D'IMPORTANCE
7

A - LE CONSEIL DE L'EUROPE, ENCEINTE APPROPRIÉE
      DE LA NÉGOCIATION
7

B - LE DÉROULEMENT DE LA NÉGOCIATION 8

1) Le rôle des instances chargées d'élaborer les textes 8

2) L'élaboration de la convention pénale 9

3) L'élaboration de la convention civile 9

C - LA FRANCE ET LES CONVENTIONS ANTICORRUPTION 9

1) Un rôle actif pendant la négociation 9

a) La convention pénale 9

b) La convention civile 10

2) Un délai de ratification long 11

a) La volonté de connaître les réserves sur la convention pénale 11

b) La volonté de ne pas dissocier les processus de ratification 12

II - UNE CONVENTION AMBITIEUSE SUR LA CORRUPTION PÉNALE
     S'INSÉRANT DANS DES DISPOSITIFS COMPLEXES
13

A - LES PRINCIPAUX APPORTS DE LA CONVENTION 13

1) Un vaste champ d'application 13

a) La définition de la corruption 13

b) Des incriminations nouvelles 13

c) Les personnes visées 14

2) Un suivi obligatoire des Etats 14

3) La promotion de la coopération internationale et le rôle
    du Groupe d'Etats contre la Corruption (GRECO)
15

a) L'efficacité relative de la coopération internationale 15

b) L'organisation et le rôle du GRECO 15

c) Les liens du GRECO avec les autres organisations internationales
   de lutte contre la corruption
16

B - L'ARTICULATION DES CONVENTIONS PÉNALE ET CIVILE DU CONSEIL
     DE L'EUROPE SUR LA CORRUPTION AVEC LES
     AUTRES INSTRUMENTS INTERNATIONAUX
16

1) De nombreux instruments pénaux internationaux réprimant la corruption 16

2) Des incriminations reflétant des approches différentes 17

a) Des instruments divers 17

b) Des incriminations ciblées 17

C - LA LÉGISLATION FRANÇAISE ET LA CONVENTION PÉNALE DU
     CONSEIL DE L'EUROPE
18

1) Des transpositions nécessaires 18

2) L'interprétation des réserves 19

a) Justification de la réserve sur l'incrimination de la corruption passive d'agents publics
  étrangers et de membres d'assemblées publiques étrangères (articles 5 et 6)
20

b) Justification de la réserve relative à l'incrimination du trafic d'influence en direction
  d'un agent public étranger ou d'un membre d'une assemblée publique étrangère
20

c) Justification de la réserve relative aux critères de compétence territoriale . 21

3) Les modifications nécessaires à l'application de la convention pénale 21

III. UNE CONVENTION CIVILE SUR LA CORRUPTION PLUS CONFORME
     AU DROIT FRANÇAIS
23

A - LES PRINCIPAUX APPORTS DE LA CONVENTION 23

1) Une convention novatrice au plan international 23

2) Les mécanismes d'engagement de la responsabilité 23

3) Les aspects internationaux 24

B - LA CONVENTION CIVILE ET LE DROIT FRANÇAIS 24

CONCLUSION 27

EXAMEN EN COMMISSION 29

ANNEXE 1 : ETAT DES RATIFICATIONS DES CONVENTIONS
                        CIVILE ET PÉNALE SUR LA CORRUPTION
31

ANNEXE 2 : LISTE DES RÉSERVES ET DÉCLARATIONS AFFÉRENTES
                        A LA CONVENTION PÉNALE SUR LA CORRUPTION
35

ANNEXE 3 : CONTRIBUTIONS DES ETATS MEMBRES AU BUDGET DU
                        GROUPE D'ETATS CONTRE LA CORRUPTION (GRECO)
49

ANNEXE 4 : DÉCLARATIONS ET RÉSERVES DE LA FRANCE CONCERNANT
                        LA CONVENTION PENALE SUR LA CORRUPTION
51

ANNEXE 5 : TABLEAU RÉCAPITULATIF DES CONCORDANCES ENTRE LE DROIT PÉNAL
                        FRANÇAIS ET LES DISPOSITIONS DES CONVENTIONS
53

ANNEXE 6 : ETUDE D'IMPACT CONCERNANT LA RATIFICATION DE LA CONVENTION
                        PÉNALE SUR LA CORRUPTIO
N
55

ANNEXE 7 : ETUDE D'IMPACT CONCERNANT LA RATIFICATION DE LA CONVENTION
                        CIVILE SUR LA CORRUPTION
59

Mesdames, Messieurs,

Le début des années 1990 a été marqué par l'irruption du phénomène de la corruption sur la scène médiatique. En effet, bien que la corruption ait toujours existé dans l'histoire de l'humanité, elle n'a cessé depuis une dizaine d'années d'envahir les colonnes des journaux et des ouvrages juridiques dans de nombreux Etats, quel que soit leur régime économique et politique (développement des « affaires » en France ; opération mani pulite en Italie ; mise en cause de députés soupçonnés d'avoir accepté de l'argent pour poser des questions au Parlement au Royaume-Uni ; enquête sur le contrat Agusta en Belgique, etc).

Dès 1994, conscients des dangers du développement d'un tel phénomène pour les économies et les systèmes démocratiques, les ministres de la Justice du Conseil de l'Europe consacraient leur 19ème conférence à l'examen des aspects administratifs, civils et pénaux de la lutte contre la corruption. Les travaux se poursuivirent jusqu'en 1999. La France signait, le 9 janvier 1999, la convention pénale sur la corruption, et le 26 novembre 1999 la convention civile sur la corruption.

Après les 14 ratifications nécessaires, la convention pénale est entrée en vigueur le 1er juillet 2002. Au Conseil de l'Europe, 39 Etats membres et 4 non-membres, dont les Etats-Unis, l'ont d'ores et déjà ratifiée. La plupart des pays membres de l'Union européenne et des pays candidats sont dans ce cas. Plus récemment, le 1er novembre 2003, la convention civile est entrée en vigueur grâce aux 14 ratifications nécessaires. A ce jour, elle a été ratifiée par 17 Etats. La liste des ratifications des deux conventions figure en annexe 1.

Après avoir évoqué les conditions d'élaboration de ces deux textes, votre Rapporteur en examinera les principaux apports.

I - UNE NÉGOCIATION LONGUE ET DÉLICATE
DANS UNE ENCEINTE D'IMPORTANCE

A - Le Conseil de l'Europe, enceinte appropriée de la négociation

Depuis sa création en 1949, l'action du Conseil de l'Europe, qui compte 45 Etats membres, vise à défendre la démocratie pluraliste, la primauté du droit et à établir les principes directeurs d'une Europe démocratique. Il compte trois instances représentant plus de 800 millions de citoyens : le Comité des ministres, organe décisionnel, l'Assemblée parlementaire et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, organes délibérants.

Son action se concentre notamment sur le développement de la protection des droits de l'Homme et actuellement sur l'intégration des nouveaux Etats membres d'Europe centrale et orientale dans les structures européennes. Grâce à de grands programmes de conseil et d'assistance, pour partie cofinancés par l'Union européenne et mis en œuvre conjointement avec cette dernière et l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), il soutient le processus de démocratisation et la mise à niveau des normes juridiques dans ces pays.

Parallèlement, un contrôle efficace du respect des engagements pris par les Etats membres au moment de leur adhésion a été développé. Des violations graves et répétées des principes du Conseil peuvent entraîner des sanctions allant jusqu'à l'exclusion de l'Etat concerné de l'organisation.

Elaborant les cadres juridiques nécessaires au respect de la démocratie et des droits de l'Homme, le Conseil de l'Europe a adopté 192 conventions, dont, entre autres, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CEDH), la Convention européenne pour la prévention de la torture et des traitements et peines inhumains ou dégradants, la Charte sociale européenne, etc.

Le Conseil de l'Europe est la seule organisation européenne à associer à une appartenance paneuropéenne, d'une part, un cadre juridique contraignant dont le respect peut être imposé par un recours devant une juridiction, et, d'autre part, une gamme complète de programmes spécifiques destinés à soutenir le processus de démocratisation. La possibilité, pour près de 800 millions de citoyens de 45 pays européens, d'introduire une requête devant la Cour européenne des droits de l'Homme est sans équivalent. Ainsi, le Conseil de l'Europe est non seulement un gardien mais aussi le soutien d'une communauté de valeur dépassant le cadre de l'Union européenne. Il joue ainsi un rôle essentiel dans la consolidation des structures démocratiques et de la primauté du droit en Europe.

B - Le déroulement de la négociation

1) Le rôle des instances chargées d'élaborer les textes

La lutte contre la corruption devait avoir un caractère multidisciplinaire et passer par un renforcement de la coopération internationale. En 1994, les ministres de la Justice ont demandé au Comité des ministres du Conseil de l'Europe, à l'issue de la conférence sur la corruption précitée, de constituer un groupe de travail multidisciplinaire chargé de préparer un programme d'action contre ce fléau.

Conformément à cette proposition, le Comité des ministres établissait le 8 septembre 1994 le Groupe multidisciplinaire sur la corruption (GMC), fonctionnant sous la responsabilité conjointe du Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) et du Comité européen de coopération juridique (CDCJ). Aux termes de son mandat, ce Groupe multidisciplinaire devait élaborer une définition légale de la corruption acceptable par tous, examiner une liste de sujets concernant la lutte contre la corruption.

Il était également demandé à cette instance d'examiner la possibilité de rédiger différents types d'instruments juridiques (lois-types, codes de conduite, conventions internationales, etc.), d'élaborer des mécanismes de suivi et d'organiser des programmes de recherche et de formation, ainsi que l'échange d'expériences pratiques concernant la lutte contre la corruption. En outre, elle devait proposer un programme d'action au niveau international contre ce phénomène.

A l'issue de sa réunion des 25-27 septembre 1995, et conformément à la mission qui lui avait été impartie, le Groupe multidisciplinaire présentait un projet de programme d'action contre la corruption, qu'il transmettait pour avis à l'attention des deux Comités directeurs précités, qui se félicitaient du contenu de ce programme. Aussi, en novembre 1996, le Comité des ministres adoptait-il un programme d'action ambitieux qui proposait notamment l'élaboration d'une convention internationale contre la corruption devant comprendre des procédures de contrôle, ainsi qu'un mécanisme permettant de garantir une application réelle et simultanée de ses dispositions dans un certain nombre de pays.

Pour mener les travaux qui allaient conduire à l'élaboration des conventions civile et pénale sur la corruption, le Groupe multidisciplinaire décidait de se scinder en trois sous-groupes : les sous-groupes droit pénal et droit civil, chargés respectivement d'élaborer une convention pénale et une convention sur les actions civiles en indemnisation des dommages résultant des faits de corruption, qui allait conduire à la rédaction de la convention civile sur la corruption ; et enfin, le sous-groupe droit administratif, chargé de l'élaboration de codes de conduites.

Par ailleurs, lors de leur 2ème sommet qui se déroulait à Strasbourg, les 10 et 11 octobre 1997, les Chefs d'Etat et de Gouvernement du Conseil de l'Europe adoptaient un plan d'action tendant à promouvoir la coopération dans la lutte contre la corruption et contre ses liens avec le crime organisé et le blanchiment d'argent. Ils chargeaient le Comité des ministres d'adopter des principes directeurs applicables sur les plans législatif et pratique et de conclure rapidement les travaux d'élaboration des instruments juridiques internationaux. Il établissait un mécanisme de contrôle pour veiller au respect des principes directeurs et à la mise en œuvre des instruments juridiques élaborés.

Le 6 novembre 1997, à sa 101ème réunion, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe adoptait les vingt principes directeurs de la lutte contre la corruption et invitait le Groupe multidisciplinaire à conclure rapidement les travaux d'élaboration des instruments juridiques internationaux et de les lui soumettre sans délai.

2) L'élaboration de la convention pénale

Le Groupe de travail sur le droit pénal a entrepris l'élaboration d'un projet de convention pénale en février 1996. De février 1996 à novembre 1997, il s'est réuni et, en novembre 1997, il transmettait un texte au Groupe multidisciplinaire pour examen. Ce dernier approuvait le texte définitif en septembre 1998 et le soumettait au Comité des ministres, qui après avis de l'assemblée parlementaire, adoptait la convention pénale sur la corruption en novembre 1998 et décidait de l'ouvrir à la signature le 27 janvier 1999.

3) L'élaboration de la convention civile

Le Groupe de travail sur le droit civil, après avoir exploité les résultats d'un questionnaire sur la corruption, avait élaboré une étude relative aux voies offertes par le droit civil en matière de lutte contre la corruption et estimé qu'un certain nombre de thèmes tels que l'indemnisation des dommages, la responsabilité, les délais pour agir, la validité des contrats, etc. devraient être examinés dans le cadre d'un projet d'instrument international.

Le Groupe de travail sur le droit civil soumettait son projet de convention au Groupe multidisciplinaire qui l'examinait en décembre 1998 et février 1999 et le transmettait pour avis au Comité européen de coopération juridique (CDCJ) puis à l'assemblée parlementaire. Le 24 juin 1999, le Groupe multidisciplinaire approuvait le projet de convention civile sur la corruption et le transmettait au Comité des ministres qui l'adoptait et décidait de l'ouvrir à la signature le 4 novembre 1999.

C - La France et les conventions anticorruption

1) Un rôle actif pendant la négociation

a) La convention pénale

L'avant-projet de convention sur la corruption intéressant le droit pénal a été rédigé en janvier 1996 par le secrétariat du Conseil de l'Europe. Il se définissait déjà comme un instrument de droit pénal, comportant des dispositions d'incrimination comme la corruption active et passive, y compris de la part des agents publics étrangers, le blanchiment, le trafic d'influence passif, étendu par la suite au trafic d'influence actif, la corruption dans le secteur privé, dont la définition a été précisée sur la base d'une proposition française, ainsi que des dispositions d'entraide judiciaire et d'extradition, destinées à renforcer la coopération entre Etats parties dans la lutte contre la corruption et les infractions comptables.

Outre un problème d'articulation avec le projet de convention civile, qui a conduit à l'abandon de l'article relatif au droit des personnes à demander réparation, les négociations de la convention pénale ont été principalement marquées par les approches divergentes des délégations sur la portée des obligations d'incrimination, au regard des possibilités de réserve à l'application de cette convention.

A cet égard, la France s'est efforcée, tout au long des négociations, de rechercher l'adhésion du plus grand nombre possible d'Etats, sur la base d'engagements réciproques traduisant une véritable équivalence des obligations entre Etats parties, indispensable pour assurer l'efficacité de ce texte. C'est pourquoi elle a demandé que l'entrée en vigueur de la Convention soit subordonnée au nombre le plus élevé possible de ratifications, conformément à la position commune de l'Union européenne en date du 13 novembre 1997.

En outre, la France s'est opposée à l'extension de possibilités de réserve, dont la mise en œuvre risquait de vider la Convention de sa signification et d'affaiblir considérablement sa portée contraignante, en introduisant une profonde disparité dans les obligations des Etats parties.

En effet, certains pays souhaitaient pouvoir limiter considérablement les obligations des Etats parties, compte tenu de la spécificité de certaines incriminations, telles que le trafic d'influence, fondé sur des concepts juridiques largement inconnus de leur droit pénal. Un consensus a pu être atteint sur la base d'une proposition déposée par l'Allemagne et soutenue par la France, limitant à cinq le nombre des réserves susceptibles d'être déposées par un même Etat partie.

b) La convention civile

La France, qui a présidé le Groupe de travail sur le droit civil à partir de février 1998, a joué  un rôle très actif dans les négociations, au cours desquelles elle s'est particulièrement attachée à obtenir que le champ de la Convention soit cadré aussi précisément que possible, notamment en veillant à la précision des définitions des termes d'auteur, de victime, de corruption, de perte de chance, de dommages-intérêts.

Les points qui ont principalement fait débat au cours des négociations ont porté sur la validité et l'effet des contrats liés à la corruption, parmi lesquels il a fallu distinguer ceux qui ont pour objet le versement de commissions occultes de ceux conclus au moyen de commissions occultes.

Par ailleurs, ont été également débattus le droit applicable au régime d'indemnisation, l'éventualité de la participation de groupements à la procédure, les limites à fixer au secret professionnel, les délais de prescription pour l'introduction d'une action en réparation des dommages, la définition des formes de réparation non pécuniaires, la possibilité de bénéficier dans le cadre d'une instance civile de moyens de preuve éventuellement rassemblés dans le cadre d'une procédure pénale et la fixation des délais de prescription.

2) Un délai de ratification long

La procédure menant au dépôt du projet de loi de ratification fut longue, le ministère des Affaires étrangères avançant plusieurs raisons pour expliquer ce délai de près de quatre ans.

a) La volonté de connaître les réserves sur la convention pénale

La convention pénale sur la corruption, dans son article 37, offre aux Etats signataires la possibilité d'émettre jusqu'à cinq réserves maximum sur les actes visés aux articles 4 à 8, 10 et 12 de la convention. Celles de même nature portant sur les articles 4, 6 et 10 comptent pour une seule réserve. Dès lors, il est apparu opportun de vérifier, au préalable, quel champ d'application les autres Etats parties entendaient donner à la convention au moment de la ratification. D'ailleurs, comme le montre l'annexe 2, les réserves et déclarations à la convention sont très nombreuses.

En effet, la convention étendant très largement le champ des incriminations et les règles de compétence que les Etats parties devront mettre en œuvre, il fallait garantir une relative homogénéité de son application, et ainsi le maintien d'une concurrence loyale entre les opérateurs économiques, évaluer précisément la portée des mesures préconisées et apprécier les dispositions ayant fait l'objet ou étant susceptibles de faire l'objet de réserves de la part d'autres Etats.

En outre, après l'adoption de la convention pénale, d'autres négociations ont été engagées, au plan européen et international, en matière de lutte contre la corruption. La présidence danoise de l'Union européenne a proposé une décision-cadre relative à la lutte contre la corruption dans le secteur privé, dont la négociation s'est achevée par un accord politique en décembre 2002. Or, lors des négociations de cet instrument, un différend était apparu entre les Etats membres quant à la portée de l'incrimination de corruption dans le secteur privé, dont les conclusions pouvaient conduire la France, selon l'approche qui serait retenue, à exprimer des réserves qu'elle n'envisageait pas de faire initialement.

L'ouverture de négociations dans le cadre des Nations unies en vue de l'élaboration d'une convention globale contre la corruption, comportant de nombreuses incriminations, dont le principe avait été retenu dès la négociation de la convention de Palerme, courant 2000, devait conduire à la plus grande prudence afin de veiller à la cohérence des engagements internationaux à venir de la France.

Aussi est-il est apparu souhaitable de ne pas précipiter la ratification et la mise en œuvre d'un instrument dont il convenait de s'assurer que les dispositions ne devenaient pas incompatibles avec celles des instruments appelés à être adoptés peu après.

b) La volonté de ne pas dissocier les processus de ratification

La France a manifesté par une signature quasi immédiate de la convention civile son intention de ratifier ce texte qui instaure un régime entièrement compatible avec son régime de responsabilité civile. Toutefois, dans un souci de cohérence, il n'a pas été jugé souhaitable de dissocier le processus de ratification de la convention civile de celui concernant la convention pénale.

II - UNE CONVENTION AMBITIEUSE SUR LA CORRUPTION PÉNALE
S'INSÉRANT DANS DES DISPOSITIFS COMPLEXES

La convention pénale sur la corruption est un instrument visant à incriminer de manière coordonnée un large éventail de conduites de corruption et à améliorer la coopération internationale pour accélérer ou permettre la poursuite des corrupteurs et des corrompus. Elle reflète une approche globale du phénomène, ce qui la différencie des autres instruments internationaux de lutte contre ce fléau. Elle est ouverte aux Etats non membres du Conseil de l'Europe et sa mise en œuvre est suivie par le Groupe d'Etats contre la corruption (GRECO) dont l'action a commencé le 1er mai 1999.

A - Les principaux apports de la convention

1) Un vaste champ d'application

La convention couvre un vaste champ d'incrimination de la corruption et complète des instruments juridiques déjà existants. Elle permet de progresser dans la voie du rapprochement des législations pénales en étendant les infractions de corruption active et passive à de nombreuses catégories professionnelles et au secteur privé.

a) La définition de la corruption

Les articles 2 et 3 définissent la corruption active et passive des agents publics. Les rédacteurs de la convention visent l'incrimination d'un acte intentionnel dans le but d'obtenir un avantage indu. Ainsi, l'article 2 définit la corruption active d'agents publics nationaux comme le fait pour toute personne de proposer d'offrir ou de donner directement ou indirectement et intentionnellement tout avantage indu à un agent public pour lui-même ou quelqu'un d'autre afin qu'il accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte dans l'exercice de ses fonctions.

Selon l'article 3 est constitutif de corruption passive le fait pour un agent public de solliciter ou de recevoir intentionnellement directement ou indirectement tout avantage indu, pour lui-même ou quelqu'un d'autre, ou d'en accepter l'offre ou la promesse afin d'accomplir ou de s'abstenir d'accomplir un acte dans l'exercice de ses fonctions. L'avantage indu est interprété comme désignant quelque chose de matériel ou non que le bénéficiaire n'est pas légalement habilité à accepter ou recevoir.

b) Des incriminations nouvelles

Les articles 7 et 8 de la convention constituent une innovation importante, puisqu'ils étendent l'incrimination de la corruption au secteur privé, pour éviter toute lacune dans la stratégie globale de lutte contre la corruption. Toutefois, ces deux articles limitent le champ de la corruption active et passive à l'activité commerciale. Sont ainsi délibérément exclues du champ d'application les activités à but non lucratif menées par des personnes ou des organisations, telles des associations ou des organisations non gouvernementales.

Les articles 12, 13 et 14 sanctionnent respectivement le trafic d'influence, le blanchiment du produit des délits de corruption et les infractions comptables (factures, écritures comptables, etc.) liées à la commission des infractions de corruption.

c) Les personnes visées

L'article 1er de la convention rappelle que l'expression agent public renvoie à la définition de fonctionnaire officier public, maire, ministre ou juge dans le droit national de l'Etat dans lequel la personne en question exerce cette fonction. En cas de poursuite impliquant un agent public de l'autre Etat, celui qui le poursuit ne peut appliquer la définition d'agent public que si cette définition est compatible avec son droit national.

Dans ses articles 4, 5, 6, 9, 10 et 11, la convention étend la définition de la corruption active et passive à plusieurs catégories d'agents publics : agents publics nationaux et étrangers (articles 3 et 5), parlementaires nationaux et étrangers (articles 4 et 6), membres d'assemblées parlementaires internationales, fonctionnaires internationaux (articles 9 et 10), juges nationaux, étrangers et internationaux et agents de cours internationales (article 11).

2) Un suivi obligatoire des Etats

Aux termes des articles 17 à 19, les Etats parties sont tenus d'adopter les mesures législatives nécessaires à l'établissement de leurs compétences pour connaître d'une infraction pénale fondée sur les articles 2 à 14 de la convention. Il s'agit de prévoir des mesures efficaces et dissuasives incluant des sanctions privatives de liberté pouvant donner lieu à l'extradition. Les personnes morales peuvent être, elles aussi, tenues pour responsables des infractions pénales commises à leur profit, et passibles de sanctions, de nature pénale ou non, y compris pécuniaires.

Pour garantir l'efficacité de la lutte contre la corruption, les articles 20 et 21 soulignent la nécessité de recourir à des autorités spécialisées. Ils préconisent l'adoption de mesures pour que toute autorité publique ou agent public coopère dans cette lutte.

La convention prévoit également des dispositions (article 22 et 23) concernant les actes de complicité, l'immunité, les critères pour établir la compétence des Etats, la mise en place d'unités spécialisées dans la lutte contre la corruption, la protection des collaborateurs de justice ainsi que la collecte de preuves et la confiscation des produits de la corruption.

3) La promotion de la coopération internationale et le rôle du Groupe d'Etats contre la Corruption (GRECO)

La convention vise aussi à promouvoir la coopération internationale, l'entraide, l'extradition et l'information dans l'investigation et les poursuites des infractions de corruption.

a) L'efficacité relative de la coopération internationale

La coopération internationale est très variable selon les Etats. Ainsi, si certaines commissions rogatoires internationales sont exécutées de façon efficace dans quelques pays, on déplore généralement un manque de coopération quasi-systématique de certains Etats rendant extrêmement difficile la poursuite des investigations.

b) L'organisation et le rôle du GRECO

Lors de sa 102ème session, le 5 mai 1998, le Comité des ministres a adopté la résolution (98)7 autorisant la mise en place du GRECO, sous forme d'un accord partiel et élargi. Dans cette résolution, le Comité des ministres a invité les Etats membres du Conseil de l'Europe et les Etats non membres ayant participé à son élaboration, à notifier au secrétaire général leur intention d'adopter l'accord établissant ce groupe. Celui-ci serait considéré comme adopté le premier jour du mois suivant la réception par le secrétaire général de la 14ème notification par un Etat membre de sa volonté d'y participer. L'accord instituant le GRECO a pu être établi le 1er mai 1999 par la résolution (99)5.

A ce jour, ce groupe comprend les 37 membres suivants : Albanie, Allemagne, Arménie, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Chypre, République tchèque, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Géorgie, Grèce, Hongrie, Islande, Irlande, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Moldavie, Pays-Bas, Norvège, Pologne, Portugal, Roumanie, Serbie-et-Monténégro, Slovaquie, Slovénie, Suède, Turquie, ex-République Yougoslave de Macédoine, Royaume-Uni et Etats-Unis d'Amérique.

Cet organisme a été conçu comme un mécanisme souple dont la vocation est de suivre, par le biais d'un processus d'évaluation et de pressions mutuelles, l'application de principes de lutte contre la corruption et la mise en œuvre des instruments juridiques internationaux adoptés en application du programme d'action contre la corruption.

La composition, le fonctionnement et les procédures d'évaluation de ce groupe sont réglementés par son statut et son règlement intérieur adopté lors de sa première réunion en octobre 1999. Des équipes ad hoc d'évaluation sont constituées pour chacun des membres et pour chacun des cycles sur la base d'une liste d'experts. Elles sont amenées à étudier les réponses fournies aux demandes d'information complémentaires, à visiter les pays membres pour rechercher des informations utiles à l'évaluation et à préparer les projets de rapport d'évaluation qui sont examinés en plénière.

Pour l'année 2004, le budget du GRECO devrait s'élever à 1.630.000 euros. La répartition des contributions de chaque Etat partie se fait en fonction d'un barème statutairement pré-établi (voir annexe 3). Celui-ci doit être revu en 2004, en raison de l'arrivée de nouveaux Etats membres, ce qui pourrait d'ailleurs entraîner une diminution du montant de la contribution de la France, qui fait partie actuellement, avec l'Allemagne, le Royaume Uni et les Etats Unis d'Amérique, des quatre plus gros contributeurs.

c) Les liens du GRECO avec les autres organisations internationales de lutte contre la corruption 

L'OCDE est devenue observateur auprès du GRECO en 2002 et a participé à des réunions plénières, en raison du haut degré de complémentarité entre les instruments juridiques anti-corruption du Conseil de l'Europe et de l'OCDE. Le GRECO a été représenté aux sessions de négociation du comité ad hoc des Nations unies chargé d'élaborer un projet de convention globale contre la corruption, et aux réunions organisées par les Nations unies sur la coordination de la lutte contre la corruption. Il est quasi systématiquement représenté lors de diverses conférences internationales sur la lutte contre la corruption.

B - L'articulation des conventions pénale et civile du Conseil de l'Europe sur la corruption avec les autres instruments internationaux

1) De nombreux instruments pénaux internationaux réprimant la corruption

Depuis quelques années, outre la convention pénale du Conseil de l'Europe, plusieurs instruments comportant des dispositions de droit pénal et engageant la France, ont été adoptés en matière de lutte contre la corruption. Ce sont la convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des Etats membres de l'Union européenne (26 mai 1997) ; la convention de l'OCDE sur la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales, faite à Paris, le 17 décembre 1997 ; la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, adoptée le 15 novembre 2000 ; la décision-cadre de l'Union européenne du 22 juillet 2003 relative à la lutte contre la corruption dans le secteur privé. Cet instrument doit être transposé avant le 22 juillet 2005. Ces instruments répriment des actes de corruption spécifique.

L'Assemblée générale des Nations unies a adopté une convention universelle et globale sur la corruption, ouverte à la signature des Etats lors de la conférence de Merida (9-11 décembre 2003) et signée par la France à cette occasion. Cette convention globale comporte des dispositions d'incrimination, de coopération judiciaire, de prévention et de coopération aux fins de restitution des avoirs, ainsi qu'un mécanisme de suivi.

2) Des incriminations reflétant des approches différentes

Les différents instruments de lutte contre la corruption traduisent diverses approches de ce fléau et la multiplicité des besoins de la communauté internationale en matière de lutte contre cette forme de criminalité. De ce fait, ces instruments internationaux peuvent comporter des obligations divergentes.

a) Des instruments divers

La convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des Etats membres de l'Union européenne, élaborée dans le prolongement du premier protocole à la convention sur la protection des intérêts financiers de la Communauté, couvre la corruption active et la corruption passive de fonctionnaires des Etats membres et de fonctionnaires communautaires.

Elle définit la notion de fonctionnaire national par renvoi à la législation des Etats membres et étend le champ d'application de l'instrument à d'autres catégories de personnes : membres du Gouvernement, parlementaires, membres des plus hautes juridictions, membres de la Cour des comptes.

La convention de l'OCDE sur la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales couvre exclusivement la corruption active d'agents publics étrangers, définis au sens large, mais limite son champ d'application aux agissements commis dans le but d'obtenir ou de conserver un avantage indu dans le commerce international.

La convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée oblige simplement les Etats parties à incriminer la corruption active et passive d'un agent public, telle que définie par le droit national de l'Etat dans lequel l'agent exerce ses fonctions. Elle présente l'avantage d'être complétée par des dispositions très précises de coopération judiciaire en matière pénale comme l'entraide, l'extradition, la coopération aux fins de confiscation.

Par ailleurs, la décision-cadre de l'Union européenne du 22 juillet 2003 vise à harmoniser les législations pénales des Etats membres, tant en ce qui concerne la définition des faits de corruption active et passive dans le secteur privé, qu'en ce qui concerne les sanctions pénales encourues. Les éléments constitutifs des infractions sont compatibles avec la convention du Conseil de l'Europe. Les incriminations qui ne sont pas limitées aux entreprises opérant dans le domaine commercial s'étendent aux activités professionnelles conduites au sein des entités à but lucratif ou non lucratif.

b) Des incriminations ciblées

A la différence de la convention pénale du Conseil de l'Europe, les instruments précités comportent des dispositions d'incrimination plus ciblées, limitées pour l'essentiel à la corruption stricto sensu. Dans ces conditions, les risques de distorsion ou d'incompatibilité entre les instruments internationaux sont très limités.

Les instruments internationaux précités ne diffèrent guère quant aux éléments constitutifs des faits de corruption. En revanche, la définition de l'agent public est différente, selon que les instruments internationaux renvoient au droit interne des Etats parties, comme la convention contre la criminalité transnationale organisée, la convention pénale et la convention de l'Union européenne, ou au contraire s'efforcent de consacrer une définition autonome de l'agent public, comme la convention OCDE et celle des Nations unies contre la corruption.

Toutefois, ces différences n'emportent pas d'incompatibilité ou d'incohérence dans la transposition par les Etats membres. L'approche de la convention pénale, renvoyant la définition de l'agent public au droit des Etats parties n'est donc pas incompatible avec la définition autonome de l'agent public consacrée par l'instrument de l'OCDE.

La France a décidé d'intégrer dans son droit positif de nouvelles incriminations expressément prévues par la convention pénale du Conseil de l'Europe.

C - La législation française et la convention pénale du Conseil de l'Europe

1) Des transpositions nécessaires

En l'état, la législation française n'est pas conforme aux exigences de la convention du Conseil de l'Europe sur l'incrimination des faits de corruption et sur les règles de compétence.

Sur la corruption active et passive d'agents publics étrangers (article 5 de la convention), le droit interne prévoit seulement : l'incrimination de la corruption active de fonctionnaires nationaux d'un autre Etat membre de l'Union européenne (article 435-2 du code pénal) ; l'incrimination des faits de corruption active de toute personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public, dans un Etat étranger, commis dans le commerce international (article 435-3 du code pénal) ; l'incrimination de la corruption passive de fonctionnaires nationaux d'un autre Etat membre de l'Union européenne (article 435-1 du code pénal).

Sur la corruption active et passive de membres d'assemblées publiques étrangères (article 6 de la convention), le droit interne minimise les faits de corruption active de toute personne titulaire d'un mandat électif public dans un Etat étranger commis dans le commerce international (article 435-3 du code pénal) ; et aucune incrimination n'existe en droit interne s'agissant de la corruption passive de membres d'assemblées publiques étrangères.

Sur la corruption active et passive dans le secteur privé (article 7 et article 8 de la convention), le droit français n'incrimine que les faits de corruption active et passive commis par un directeur ou un salarié, à l'insu et sans l'approbation de l'employeur, à l'exclusion notamment des faits de corruption de membres des organes de direction titulaires d'un mandat social (article L.152-6 du code du travail).

Sur la corruption active et passive de fonctionnaires internationaux (article 9 de la convention), le droit français se limite à l'incrimination des faits de corruption active de fonctionnaires communautaires ou des membres de la Commission européenne (article 435-2 du code pénal) ; de toute personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public au sein d'une organisation internationale publique, commis dans le cadre du commerce international (article 435-3 du code pénal) et à l'incrimination de la corruption passive des fonctionnaires communautaires ou des membres de la Commission européenne (article 435-1 du code pénal).

Quant à la corruption active et passive de membres d'assemblées parlementaires internationales (article 10 de la convention), le droit interne l'applique seulement aux membres du Parlement européen (article 435-1 et 435-2 du code pénal) et aux titulaires d'un mandat électif public au sein d'une organisation internationale publique, dans le cadre du commerce international (article 435-3 du code pénal).

En ce qui concerne la corruption active et passive de juges et d'agents de cours internationales (article 11), le droit interne s'applique aux membres de la cour de justice et de la cour des comptes des Communautés européennes (article 435-1 et 435-2 du code pénal), ainsi qu'aux magistrats, jurés ou à toute autre personne siégeant dans une formation juridictionnelle au sein d'une organisation internationale publique, dans le cadre du commerce international (article 435-4 du code pénal).

Pour le trafic d'influence en direction d'agents publics étrangers, de membres d'assemblées publiques étrangères, de fonctionnaires internationaux, de membres d'assemblées parlementaires internationales, de juges et d'agents de cours internationales (article 12 de la convention), le droit français incrimine seulement le trafic d'influence actif et passif en direction d'une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public en France.

Par ailleurs, les règles françaises de compétence sont plus restrictives que celles exigées par l'article 17 de la convention. Aussi, le Gouvernement français se propose de déposer des réserves.

2) L'interprétation des réserves

D'après le ministère des Affaires étrangères, le Gouvernement n'entend pas faire d'autres réserves que celles figurant en annexe 4. Elles concernent d'une part l'incrimination de la corruption passive d'agents publics étrangers et de membres d'assemblées publiques étrangères (articles 5 et 6 de la convention), d'autre part l'incrimination de trafic d'influence auprès d'un agent public étranger ou d'un membre d'une assemblée publique étrangère (article 12 de la convention) ; elles concernent enfin les critères d'application de la législation française.

a) Justification de la réserve sur l'incrimination de la corruption passive

La France a indiqué qu'elle n'érigerait pas en infraction pénale les faits de corruption passive d'agents publics étrangers et de membres d'assemblées publiques étrangères visés aux articles 5 et 6 de la convention.

Il est apparu inopportun d'incriminer la corruption passive d'un agent public étranger ou d'un membre d'assemblée publique étrangère, dans le cadre d'une convention à vocation universelle conclue entre des Etats sans liens économiques, juridiques et politiques étroits. On risquerait en effet d'être critiqué pour ingérence dans les affaires intérieures d'Etats étrangers, auxquels il appartient en premier lieu d'assurer la lutte contre la corruption de leurs propres agents publics.

Par ailleurs, la convention de l'OCDE relative à la lutte contre la corruption d'agent public étranger dans les transactions commerciales internationales ne prévoit pas une telle incrimination. Seule la convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Etats membres de l'Union européenne, en date du 26 mai 1997, prévoit l'incrimination de la corruption passive d'agents publics étrangers, en raison précisément de l'intégration politique et juridique existant au sein de l'Union européenne.

Enfin, l'incrimination de faits de corruption passive d'agents publics étrangers ou de membres d'assemblées publiques étrangère se heurterait à de réelles difficultés, tenant notamment à la mise en évidence, à la dénonciation et à la preuve de ces faits, qui risquent de s'être déroulés en grande partie, voire exclusivement, à l'étranger.

b) Justification de la réserve relative à l'incrimination du trafic d'influence

La France indique qu'elle se réserve le droit de ne pas ériger en infraction pénale les actes de trafic d'influence - définis à l'article 12 de la convention - en vue d'influencer la prise de décision d'un agent public étranger ou d'un membre d'une assemblée publique étrangère. Cette incrimination de trafic d'influence d'un agent public national ou étranger n'est en effet pas reconnue par le droit des Etats membres du Conseil de l'Europe.

Comme la convention du Conseil de l'Europe offre peu de garanties au regard de la réciprocité des incriminations, puisqu'elle ouvre aux Etats signataires la possibilité d'émettre des réserves pour un nombre important d'incriminations, il a été jugé préférable de ne pas exposer les entreprises françaises à des distorsions de concurrence face à des entreprises ressortissantes de pays n'appliquant pas les mêmes règles du jeu. L'adaptation de la législation française a déjà été réalisée lorsqu'a été transposée la convention OCDE, sans créer de rupture d'égalité entre les opérateurs économiques.

c) Justification de la réserve relative aux critères de compétence territoriale

La réserve déposée par la France à l'article 17 de la convention pénale vise à restreindre l'application de la loi pénale française pour connaître des infractions définies dans les articles 2 à 14 de cette même convention.

La France souhaite maintenir l'application des articles 113-6 et 113-7 du code pénal qui prévoient notamment que la loi française est applicable « aux délits commis par des Français hors du territoire de la République si les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis » (art. 113-6 du code pénal) ainsi qu'à tout crime ou délit puni d'emprisonnement « commis par un Français ou par un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment de l'infraction » (art. 113-7 du code pénal).

En conséquence, en cas d'infraction pénale visée au titre de la présente convention pénale et dont l'auteur est un ressortissant français, la France se réserve le droit de n'établir sa compétence que si, de surcroît, les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis.

La France se réserve également le droit de ne pas établir sa compétence dans les situations prévues au paragraphe 1 c de l'article 17 de la convention. La loi française pourrait donc ne pas s'appliquer lorsque « l'infraction implique l'un de ses agents publics ou membre de ses assemblées publiques nationales ou toute personne visée aux articles 9 à 11 » (fonctionnaires internationaux, membres d'assemblées parlementaires internationales, juges) qui serait en même temps un de ses ressortissants.

3) Les modifications nécessaires à l'application de la convention pénale

Compte tenu des réserves, la France devra modifier sa législation sur les points suivants :

- incrimination de la corruption active d'agents publics étrangers, au sens de l'article 5 de la convention ;

- incrimination de la corruption active et passive de fonctionnaires internationaux, au sens de l'article 9 de la convention ;

- incrimination de la corruption active et passive de juges et d'agents de cours internationales, au sens de l'article 11 de la convention ;

- incrimination de la corruption active de membres d'assemblées publiques étrangères, au sens de l'article 6 de la convention ;

- incrimination de la corruption active et passive dans le secteur privé, au sens des articles 7 et 8 de la convention ;

- incrimination de la corruption active et passive de membres d'assemblées parlementaires internationales, au sens de l'article 10 de la convention ;

- incrimination du trafic d'influence actif et passif en vue d'exercer une influence sur la prise de décision de fonctionnaires internationaux, de membres d'assemblées parlementaires internationales, de juges et d'agents de cours internationales, au sens de l'article 12 de la convention.

Un tableau récapitulatif des problèmes posés par la transposition de cette convention dans le droit pénal français figure en annexe 5. D'après le ministère des Affaires étrangères, la loi de transposition est en cours d'élaboration à la Chancellerie.

III. UNE CONVENTION CIVILE SUR LA CORRUPTION
PLUS CONFORME AU DROIT FRANÇAIS

La convention civile sur la corruption constitue l'unique texte visant à l'utilisation du droit civil pour lutter contre la corruption. Elle définit, dans son article 2, la corruption comme « le fait de solliciter, d'offrir, de donner ou d'accepter directement ou indirectement une commission illicite ou un autre avantage indu, ou la promesse d'un tel avantage indu, qui affecte l'exercice normal d'une fonction ou le comportement requis du bénéficiaire de la commission illicite ou de l'avantage indu ou de la promesse d'un tel avantage indu ». Cette définition large de la corruption insiste sur le caractère indu de l'avantage obtenu par ce moyen illicite.

A - Les principaux apports de la convention

1) Une convention novatrice au plan international

La convention définit pour la première fois des règles communes au niveau international dans le domaine du droit civil et de la corruption. Elle ne soulève donc a priori aucun problème d'articulation avec les autres instruments internationaux.

Les Etats contractants devront prévoir dans leur droit interne « des recours efficaces en faveur des personnes qui ont subi un dommage résultant d'un acte de corruption afin de leur permettre de défendre leurs droits et intérêts, y compris la possibilité d'obtenir des dommages-intérêts » (article 1). Chaque pays est tenu d'adapter sa législation.

D'ambition modeste, ce texte se limite à poser des principes généraux sous une forme acceptable par l'ensemble des Etats membres du Conseil de l'Europe, selon un mécanisme qui reproduit ceux du droit français en matière d'engagement de la responsabilité civile (une faute, un dommage, un lien de causalité).

2) Les mécanismes d'engagement de la responsabilité

La convention prévoit un mécanisme d'engagement de la responsabilité de celui qui commet ou autorise un acte de corruption. Les conditions de la mise en jeu de la responsabilité civile sont définies aux articles 4 à 7 de la convention. Le demandeur doit prouver le dommage subi, le caractère délibéré de l'action du défendeur et surtout, le lien de causalité entre l'acte de corruption et le dommage, qui doit être suffisamment caractérisé.

L'article 5 de la convention exige des Etats parties qu'ils prévoient des procédures permettant aux victimes de demander réparation à l'Etat quand la corruption est commise par un agent public. L'article 6 précise l'incidence du comportement de la victime du dommage sur son droit à réparation. Il définit la faute concurrente, entraînant une réduction ou une suppression de l'indemnisation selon les circonstances.

Par ailleurs, l'article 8 de la convention précise qu'est entaché de nullité tout contrat ou toute clause de contrat dont l'objet est un acte de corruption. L'article 10 exige que bilans et vérifications des comptes soient le reflet fidèle et clair de la situation de la société. Des mesures de protection des employés qui dénoncent des faits de corruption aux autorités responsables doivent être prévues par chaque Partie à la convention.

En outre, chaque Partie est tenue d'insérer dans son droit interne des procédures efficaces pour le recueil des preuves constitutives d'un acte de corruption et de prendre des mesures conservatoires. Les articles 4 à 6 traitent de l'indemnisation des dommages et de la responsabilité, y compris celle de l'Etat dans les cas d'actes de corruption commis par des agents publics.

3) Les aspects internationaux

Le Groupe d'Etats contre la corruption (GRECO) veillera au respect des engagements pris aux termes de la convention par les Etats parties, conformément aux articles 13 et 14.

En matière de coopération internationale, les rédacteurs de la convention se sont en définitive sciemment abstenus de fixer des règles d'obtention de preuves, de reconnaissance et d'exécution des jugements, en raison des difficultés que pourrait entraîner la coexistence de ces règles avec d'autres instruments internationaux. Ils ont laissé aux parties le soin de les déterminer pour appliquer les dispositions de la convention.

Quant aux règles concernant la compétence, la reconnaissance et l'exécution, elles sont celles du règlement (44/2000 Bruxelles I) et celles de la convention de Lugano quand se trouve concerné au moins un Etat non membre de l'Union et membre de l'ex-AELE, ce qui ne touche plus en pratique que la Suisse, l'Islande, la Norvège et le Liechtenstein.

En ratifiant la convention, les Etats s'engagent à transposer ces principes et ces règles dans leur droit interne en tenant compte de leur situation nationale particulière.

B - La convention civile et le droit français

Sur deux points, les dispositions de l'article 7 de la convention diffèrent du droit français en ce qu'elles prévoient un double délai pour la prescription, selon que l'on prend pour point de départ la date de la connaissance de l'acte de corruption ou du dommage qui en résulte (3 ans), ou la date de l'acte lui-même (10 ans).

L'article 2270-1 du code civil ne prévoit quant à lui, pour les actions en responsabilité civile extra-contractuelle, qu'un seul délai (10 ans) et qu'un seul point de départ : la manifestation du dommage ou de son aggravation.

Le risque de distorsion qui aurait pu résulter de ces différences a disparu au cours des négociations du fait de la décision de considérer les délais prévus par la convention comme des délai minima, chaque pays étant libre de prévoir un délai plus important.

Il n'existe donc aucun risque de contradiction entre la convention et les règles nationales en matière de prescription des actions qu'elle concerne.

CONCLUSION

La ratification des conventions pénale et civile du Conseil de l'Europe sur la corruption est très opportune. En effet, les instruments internationaux mis à disposition des praticiens pour combattre ce fléau se caractérisent par une approche parcellaire du phénomène.

Les deux conventions soumises à ratification cernent la globalité du phénomène et organisent la coopération internationale, seul moyen de lutter avec efficacité contre ce fléau.

Comme le montrent les études d'impact sur ces deux conventions, figurant en annexe 6 et 7, celles-ci visent a améliorer la prévention et la répression de la corruption dans ses formes les plus diverses. A ce titre, elles contribuent au maintien de l'ordre et de la sécurité publique.

Votre Rapporteur est favorable à l'adoption de ces conventions et souhaite une adaptation rapide de la législation française à leurs dispositions.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du 11 février 2004.

Après l'exposé du Rapporteur, M. Serge Janquin a souhaité obtenir des précisions sur les réserves émises par la France et dictées, selon les mots du Rapporteur, par un souci d'efficacité.

Après avoir rappelé la teneur des réserves de la France, M. Marc Reymann a souligné qu'elles visaient, pour la première, à éviter d'incriminer la corruption passive d'agents publics étrangers, qui se heurte à de réelles difficultés de preuves, pour la deuxième, à éviter d'exposer des entreprises françaises à des distorsions de concurrence dans des pays n'appliquant pas les mêmes règles du jeu s'agissant du trafic d'influence, pour la troisième, à appliquer les règles de compétence de la loi pénale française par souci d'homogénéité.

M. Serge Janquin a demandé si ce souci d'homogénéité s'appliquait également à la législation d'autres Etats.

Le Président Edouard Balladur a fait observer que la recherche d'une plus grande homogénéité contribuait souvent à améliorer l'efficacité d'une mesure.

M. Jean-Claude Guibal a demandé pourquoi le champ d'application écartait les organismes à but non lucratif et quels étaient les signataires de ce texte, craignant que des entreprises étrangères versent en toute impunité des commissions pour obtenir des marchés et que les entreprises françaises ne puissent introduire de recours.

M. Marc Reymann a expliqué que le Conseil de l'Europe avait délibérément écarté les organismes à but non lucratif, à savoir les associations et les ONG, du champ d'application du texte car dans le contexte de l'époque ces organismes étaient rarement mis en cause pour des faits de corruption. Il a indiqué que 39 Etats du Conseil de l'Europe dont la plupart des pays membres de l'Union européenne et les nouveaux entrants avaient ratifié la Convention pénale sur la corruption et que 4 Etats observateurs, dont les Etats-Unis, avaient fait de même, ce qui limitait les distorsions de concurrence que pourraient subir les entreprises françaises.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté les projets de loi (nos 958 et 959).

* *

La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte des conventions figure en annexe aux projets de loi (nos 958 et 959).

ANNEXE 1 : ETAT DES RATIFICATIONS DES CONVENTIONS
CIVILE ET PÉNALE SUR LA CORRUPTION

ANNEXE 2 : LISTE DES RÉSERVES ET DÉCLARATIONS AFFÉRENTES A LA CONVENTION PÉNALE SUR LA CORRUPTION

ANNEXE 3 : CONTRIBUTIONS DES ETATS MEMBRES AU BUDGET DU GROUPE D'ETATS CONTRE LA CORRUPTION (GRECO)

ANNEXE 4 : DÉCLARATIONS ET RÉSERVES DE LA FRANCE CONCERNANT LA CONVENTION PÉNALE SUR LA CORRUPTION

ANNEXE 5

Tableau récapitulatif des concordances entre le

droit pénal français et les dispositions des conventions

Articles de la convention

Incrimination

Possibilité de réserve

Perspectives d'une loi de transposition

Article 2

Corruption active d'agents publics nationaux

non

Pas de transposition nécessaire (existe en droit interne : art.433-1 du code pénal)

Article 3

Corruption passive d'agents publics nationaux

non

Pas de transposition nécessaire (existe en droit interne : art.432-11 du code pénal)

Article 4

Corruption active et passive de membres d'assemblées publiques nationales

oui

Pas de transposition nécessaire (existe en droit interne : art.433-1 et 432-11 du code pénal)

Article 5

Corruption active d'agents publics étrangers

non

Transposition nécessaire

Corruption passive d'agents publics étrangers

oui

Pas de transposition (réserve faite par la France)

Article 6

Corruption active de membres d'assemblées publiques étrangères

oui

Transposition nécessaire

Corruption passive de membres d'assemblées publiques étrangères

oui

Pas de transposition

(réserve faite par la France)

Articles 7 et 8

Corruption active et passive dans le secteur privé

oui

Transposition nécessaire

Article 9

Corruption active et passive de fonctionnaires internationaux

non

Transposition nécessaire

Article 10

Corruption active et passive de membres d'assemblées parlementaires internationales

oui

Transposition nécessaire

Article 11

Corruption active et passive de juges et d'agents de cours internationales

non

Transposition nécessaire

Article 12

Trafic d'influence en direction d'un agent public national

oui

Transposition non nécessaire (existe en droit interne : art.432-11 et 433-1 du code pénal)

Trafic d'influence en direction d'agent public étranger et de membre d'assemblées publiques étrangères

oui

Pas de transposition

(réserve faite par la France)

Trafic d'influence en direction de membres d'assemblées parlementaires internationales, de fonctionnaires internationaux et juges et d'agents de cours internationales

oui

Transposition nécessaire

Article 13

Blanchiment

non

Transposition non nécessaire (existe en droit interne : art.324-1 du code pénal)

Article 14

Infractions comptables

non

Transposition non nécessaire (existe en droit interne ; art.441-1 du code pénal)

Article 15

Actes de participation

non

Transposition non nécessaire (existe en droit interne : art.121-7 du code pénal)

Article 17

compétence

oui

Pas de transposition (réserve faite)

ANNEXE 6 : Etude d'impact concernant la ratification de la convention pénale sur la corruption

ANNEXE 7 : Etude d'impact concernant la ratification de la
convention civile sur la corruption

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N° 1424 - Rapport sur les projets de loi autorisant la ratification des conventions civile et pénales sur la corruption (M. Marc Reymann)


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