N° 3537
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 décembre 2006.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE (N° 1005 rectifié), portant modification du titre IX de la Constitution,
PAR M. Philippe HOUILLON,
Député.
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A. UN RÉGIME JURIDIQUE INCERTAIN 9
1. Un texte ambigu et elliptique 9
a) Un régime de la responsabilité du chef de l’État instable 9
b) Une procédure devant la Haute Cour de justice inadaptée 13
2. Une jurisprudence qui ne règle pas toutes les questions 14
a) La décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 15
b) L’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2001 16
B. UNE AMBIGUÏTÉ DE MOINS EN MOINS BIEN ACCEPTÉE 19
1. L’exigence de transparence et de justice 19
2. « L’immunité n’est pas l’impunité ! » 22
II. — UNE CLARIFICATION NÉCESSAIRE DU STATUT DU CHEF DE L’ÉTAT 24
A. PROTÉGER LA FONCTION 25
1. Les justifications bien établies de l’immunité du chef de l’État 25
a) La force de l’histoire et les leçons des modèles étrangers 25
b) L’évidence des principes de séparation des pouvoirs et de continuité de l’État 28
2. Les formes de protection de la fonction 29
a) La protection de la fonction contre les tiers : l’irresponsabilité à raison des actes non détachables des fonctions 29
b) La protection de la fonction contre son titulaire : la procédure de destitution 32
B. JUGER LA PERSONNE 38
1. Le caractère temporaire de l’inviolabilité 38
2. La suspension des délais de prescription et de forclusion 41
III. — UN DISPOSITIF À PRÉCISER 42
A. LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE 42
1. Le régime de responsabilité du Président de la République (article 67
de la Constitution) 43
a) Une irresponsabilité politique sous contrôle 43
b) Une inviolabilité étendue dans son champ mais strictement limitée dans sa durée 45
2. La création d’une procédure de destitution (article 68 de la Constitution) 51
a) Le fait générateur et les conséquences de la destitution 51
b) Le déroulement de la procédure et ses implications 54
B. L’EXAMEN EN COMMISSION 59
TABLEAU COMPARATIF 67
ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF 69
ANNEXE 71
PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR 81
MESDAMES, MESSIEURS,
Dans la vie politique, responsabilité politique et responsabilité pénale, bien que juridiquement distinctes, sont de plus en plus souvent utilisées de manière entremêlée. Tandis que l’exigence d’égalité devant la loi et de transparence devient sans doute de plus en plus prégnante, force est de constater que le chef de l’État, par la position centrale qu’il occupe dans notre Constitution, concentre toutes les attentions et… toutes les attaques. La question du régime de responsabilité qui lui est applicable revêt donc une importance particulière.
Or, les dispositions du titre IX de la Constitution relatives à la Haute Cour de justice et au régime de responsabilité du chef de l’État ont pu apparaître lacunaires, ambiguës et difficiles à interpréter pour les juridictions amenées à les appliquer. En la matière, la conduite de débats transparents ne peut que servir la justesse des décisions et leur légitimité. La poursuite de cet objectif nécessite de trouver une rédaction plus précise et clarifiée du titre IX précité.
Il est vrai que l’apparition de la question de la clarification du régime de responsabilité du chef de l’État dans la Constitution est relativement récente. Ainsi, le comité « Vedel » chargé de proposer une révision de la Constitution, en 1993, n’avait suggéré aucune modification du régime de responsabilité du Président de la République. Il avait seulement préconisé une modification de la responsabilité pénale des ministres, préconisation qui fut suivie d’effet la même année (1). Un nouveau titre a été consacré, dans la Constitution, à la responsabilité pénale des membres du Gouvernement. Le titre IX ne comprend désormais plus que des dispositions relatives au Président de la République.
Longtemps confinée dans les frontières des querelles de doctrine, cette question a pris, sous la Ve république, un relief particulier sous l’effet conjugué de deux phénomènes : l’affirmation du Président de la République comme institution centrale de la vie politique d’une part, la mise en équation judiciaire de questions de plus en plus nombreuses d’autre part. La « judiciarisation » à laquelle est soumise la fonction présidentielle n’est pas propre à la France. Les derniers Présidents des États-Unis ont fait eux-mêmes l’objet de campagnes visant, par le déclenchement de la procédure d’impeachment, leur destitution.
La rencontre de ces deux évolutions, affirmation du pouvoir présidentiel d’une part et « judiciarisation » d’autre part, a conduit à multiplier les interrogations.
Quel est le régime de responsabilité applicable aux actes du Président de la République, ceux qui sont accomplis pour l’exercice de ses fonctions mais aussi ceux qui sont accomplis sans lien avec celles-ci, qu’ils soient commis antérieurement ou pendant son mandat ?
Bénéficie-t-il, pour les premiers, d’une irresponsabilité totale ou seulement d’une responsabilité partielle, limitée au seul cas de la haute trahison ? Et, alors, dans ce dernier cas, comment définir la haute trahison, absente de notre code pénal ?
Doit-il répondre des seconds, à savoir les actes détachables de sa fonction, pendant son mandat ou bien doit-il bénéficier d’une inviolabilité temporaire qui interdit tout acte de procédure à son encontre pendant son mandat, mais qui s’achève à l’expiration de celui-ci, le Président redevenant alors un citoyen ordinaire ? Dans ce cas, les prescriptions attachées à ces actes continuent-elles de courir ou sont-elles « gelées » le temps du mandat ? Le régime d’inviolabilité, qui peut concerner les actes susceptibles d’être qualifiés pénalement, est-il extensible au domaine civil et administratif ? Le Président peut-il être requis comme témoin dans une affaire judiciaire, alors même qu’au refus de témoigner peut s’attacher une sanction pénale qui ne saurait s’appliquer pendant son mandat s’il bénéficie, de par sa fonction, d’une inviolabilité temporaire ?
Qui peut juger le chef de l’État pendant son mandat ? Bénéficie-t-il ou non d’un privilège de juridiction ? S’il est soumis à un tel privilège, celui-ci s’applique-t-il à toute forme d’actes, antérieurs ou contemporains, détachables ou non de ses fonctions ? En résumé, le Président de la République est-il un citoyen comme les autres ? Est-il un justiciable protégé en raison de sa fonction, ou, à l’inverse, particulièrement exposé ?
Toutes ces questions ont été posées. Toutes ces questions méritent des réponses claires, juridiquement fondées et politiquement acceptées.
Or, conformément à la mission qui lui est confiée par l’article 5 de la Constitution aux termes duquel « le Président de la République veille au respect de la Constitution », le chef de l’État se trouve placé à la fois dans la position du juge, celui qui interprète la Constitution, et dans celle de la partie, la question posée concernant son propre statut. Dès lors, celle-ci ne pouvait être traitée que de manière extérieure, étudiée par un organe indépendant, impartial, et le Président de la République ne pouvait, pour sa part, que s’engager à suivre les recommandations qui seraient faites.
Le Président de la République s’est dit ainsi « favorable à une modification de la Constitution, à condition que cela se fasse dans la sérénité et le sérieux, non pas dans les couloirs de l’Assemblée nationale ou des partis politiques. Il s’agit des fondements mêmes de la République » et s’est engagé à « réunir les plus grands constitutionnalistes, les meilleurs » à leur donner « deux ou trois mois pour faire des propositions de réformes constitutionnelles, tout de suite, afin que soient adaptées les dispositions de la Constitution qui ont été contestées, ici ou là » (2).
L’engagement pris a été tenu. Dès le début de son quinquennat, le Président la République installa, le 4 juillet 2002, une commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République présidée par M. Pierre Avril (3), dite « commission Avril ». Elle avait pour mission de « résoudre de manière objective » les difficultés d’interprétation des dispositions de la Constitution applicables au statut pénal du Président.
La commission Avril a alors proposé, dans son rapport de décembre 2002, de confirmer l’inviolabilité temporaire du chef de l’État pour les actes n’ayant pas de rapport avec sa fonction. Les procédures à l’encontre du Président pourraient cependant être reprises ou engagées après la fin du mandat présidentiel.
Cette proposition est proche du droit existant, tel que l’ont interprété le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation. Dans une mesure strictement nécessaire à l’objectif assigné, elle tend avant tout à clarifier l’état du droit et à le systématiser, en même temps qu’à institutionnaliser cette contrepartie indispensable de l’inviolabilité temporaire qu’est la suspension des délais de prescription et de forclusion.
Ladite commission a également proposé d’instaurer une procédure nouvelle de destitution par le Parlement réuni en Haute Cour en lieu et place du jugement pour haute trahison devant l’actuelle Haute Cour de justice, afin d’« éviter de confondre logique judiciaire et logique politique ». Cette procédure serait applicable aux actes accomplis ou révélés pendant le mandat. Ces actes, pour fonder la destitution, devront être d’une telle gravité par rapport aux devoirs de la fonction présidentielle qu’ils seraient incompatibles avec le maintien du titulaire en fonctions. Par ce biais, une nouvelle responsabilité politique du chef de l’État serait susceptible d’être engagée si l’inacceptable se produisait, tandis que la garantie qui s’attache à la procédure – adoption d’une motion par les deux assemblées en termes identiques et décision de destitution prise par le Parlement réuni – permettrait d’assurer la légitimité de la décision finale et d’éviter les initiatives spectaculaires qui ne servent qu’à assurer la promotion individuelle de leurs instigateurs. La mise en mouvement de cette procédure ne préjugerait en rien d’éventuelles poursuites judiciaires à l’issue du mandat.
Dans le cas où la personnalité du chef de l’État est mise en cause et en dehors du cas des scrutins nationaux, la destitution permet de « réinstaurer la responsabilité politique » pour reprendre le titre d’un point de vue émis par M. Guy Carcassonne (4). Il s’agit d’éviter le choix abrupt entre des poursuites pénales, qui ne sont pas toujours sans lien avec le combat politique, et aucune poursuite. Il s’agit d’instituer un véritable choix entre les poursuites pénales, qui pourront être effectuées après la fin du mandat, et la responsabilité politique du Président de la République, qui pourra résulter – hors le cas normal des échéances électorales – d’une procédure nouvelle de destitution.
Dans l’institution d’une telle procédure, il ne faut cependant pas sous-estimer le fait que certains se complaisent à exagérer le caractère sacré de la fonction présidentielle, à souligner sa filiation improbable avec la monarchie, ne serait-ce que pour rendre plus forte la transgression qui consisterait à attaquer le Président de la République. Ils invoquent alors avec nostalgie les deux corps du Roi, comme si 1789 n’avait pas existé. Faire perdurer cette fiction de la continuité historique du chef de l’État qui n’aurait pas changé de nature du fait de la Révolution, c’est remanier l’histoire pour mieux servir des ambitions contemporaines mal placées.
La réforme du régime de responsabilité du Président de la République telle que proposée par le présent projet de loi constitutionnelle exige donc une mise en balance des avantages et des inconvénients d’un pareil changement. La Constitution de la Ve République a rendu à la France une stabilité politique qu’elle avait perdue depuis de nombreuses décennies, parce que le Président de la République, incarnation de la légitimité nationale, est la clé de voûte des institutions. Il ne faut envisager qu’avec prudence toute réforme qui rendrait précaire l’accomplissement de sa mission.
L’exemple de démocraties étrangères où l’on peut aisément, au risque de déconsidérer la fonction et d’affaiblir son titulaire sur la scène internationale, poursuivre le chef de l’État en fonctions à raison de faits qui, pour déplorables ou odieux qu’ils soient, tels un adultère commis dans les locaux de la Présidence ou des faits de harcèlement sexuel, n’affectent ni sa compétence, ni son patriotisme, ni sa loyauté politique, incite à d’autant plus de prudence.
Mais cela ne doit pas non plus servir de prétexte à l’inaction. Il s’agit bien de remédier au défaut de volonté – comme en témoigne la valse-hésitation de 2001 (5) – et à l’inadéquation des moyens – la procédure de la Haute Cour de justice pour haute trahison est obsolète. La vie politique ouvre grand le champ des possibles. Il ne faut parier ni sur l’irénisme le plus absurde, ni sur le machiavélisme le plus achevé. Il faut réviser la Constitution sans rompre l’équilibre subtil que son texte et sa pratique ont permis d’instituer et dont les capacités d’adaptation ont été mises à l’épreuve à de nombreuses reprises.
Aussi, les ambiguïtés les plus dommageables doivent être levées et les dispositions devenues obsolètes doivent être réinterrogées, et ce d’autant plus qu’elles concernent une institution qui est au fondement de notre régime constitutionnel et politique. Il convient ainsi de définir un régime de responsabilité actualisé du chef de l’État qui doit permettre à la fois de protéger la fonction et de ne pas empêcher de juger le titulaire si celui-ci a commis des fautes.
Les dispositions du présent projet de loi constitutionnelle permettent de répondre à ce double impératif. Elles doivent néanmoins être précisées par des garanties, telles que les règles de majorité, qui tiennent compte de la réalité de la vie politique.
La question de la responsabilité du Président de la République est brouillée par le caractère ambigu des termes mêmes de l’article 68 de la Constitution.
En application de cet article, « le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de justice. »
Deux lectures de cet article sont possibles. Comme l’a fait observer M. Guy Carcassonne, il faut souligner les « termes quelque peu incertains de l’article 68 de la Constitution. Il est faussement clair, et contraint à passer par une interprétation. » Il constate également que « l’article 68 comporte deux phrases. Qu’on les lise séparément ou qu’on les lise ensemble, elles prennent un sens radicalement différent. » (6)
Selon une première approche, dite « littérale », les deux phrases de l’article 68 peuvent être lues comme liées entre elles, la seconde devant être lue à l’aune de la première. En conséquence, pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions, le Président de la République n’est responsable qu’en cas de haute trahison et qu’il ne peut, à ce titre, être mis en accusation que par les deux assemblées par un vote à la majorité absolue de leurs membres et jugé par la Haute Cour de justice. En revanche, pour tous les autres actes, c’est-à-dire pour les actes accomplis en dehors de l’exercice de ses fonctions, qu’ils aient été réalisés avant ou pendant son mandat, le chef de l’État relèverait a contrario du droit commun et serait donc susceptible d’être jugé par les juridictions ordinaires.
C’est, par exemple, la lecture qu’en fait M. François Goguel (7). C’est aussi celle qu’en fait M. Jean Foyer, pour lequel, « en tant que personne privée, le Président de la République ne bénéficie d’aucune immunité, ni d’aucun privilège de juridiction. Il est pénalement et civilement responsable comme tout citoyen, des actes commis avant le début de ses fonctions et de ceux commis pendant la durée de ces fonctions dès lors qu’ils en sont détachables. L’affirmation paraît être remise en question par certains de nos jours. Elle est pourtant juridiquement indiscutable. » (8)
C’est aussi l’interprétation qui avait la faveur de notre collègue Bernard Roman, ancien président de la commission des Lois et rapporteur de la proposition de loi modifiant l’article 68 de la Constitution : « A contrario, puisque la Constitution ne contient aucune disposition permettant explicitement au Président de la République d’échapper à des poursuites pénales pour des actes commis en dehors de l’exercice de ses fonctions, on doit conclure que, le principe d’égalité devant la loi ayant une valeur constitutionnelle, le chef de l’État est, comme tout citoyen, passible des tribunaux de droit commun, lorsqu’il commet des actes réprimés par le droit » (9). Pour M. Guy Carcassonne, cette interprétation est « textuellement peu convaincante, historiquement démentie, logiquement absurde, comparativement indéfendable, démocratiquement douteuse » (10).
Selon une seconde approche, que l’on pourrait dire « analytique », les deux phrases de l’article 68 peuvent être lues comme étant autonomes l’une par rapport à l’autre. Dès lors, il faut considérer que la seconde phrase de cet article fonde un privilège général de juridiction en faveur du Président de la République. Il ne peut alors être poursuivi que par décision des deux assemblées statuant à la majorité absolue de ses membres et jugé par la Haute Cour de justice, que ce soit pour les actes accomplis en dehors de l’exercice de ses fonctions ou, en cas de haute trahison, pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions.
Ainsi, celui qui est appelé à appliquer l’article 68 de la Constitution fait face à un exemple archétypique de « compromis dilatoire », tel que défini par Carl Schmitt, c’est-à-dire d’un compromis sur les mots qui masque, sur le fond, des intentions contradictoires, nées en l’espèce de l’histoire.
En outre, la définition même de la haute trahison a fait l’objet de nombreux commentaires sans qu’il soit néanmoins possible de rendre cette notion véritablement opératoire.
La Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 (11), les Constitutions des IIe, IIIe et IVe Républiques avaient expressément prévu que l’immunité conférée aux gouvernants cédât en cas de haute trahison (12). La solution est reprise par l’article 68 de la Constitution actuelle. Toutefois, pas plus que la loi constitutionnelle du 25 février 1875 relative à l’organisation des pouvoirs publics (13) ou que la Constitution du 27 octobre 1946 (14), la loi suprême du 4 octobre 1958 ne donne de définition de la haute trahison et ne permet de cerner cette notion.
Certains ont été tentés d’y voir le signe clair d’une responsabilité du chef de l’État dans l’exercice de ses fonctions, mais qui se limiterait à un acte qui se rapprocherait de la définition de la trahison telle que donnée par le code pénal, dans ses articles 411-1 et suivants, pour ce qui concerne les diverses atteintes à la sûreté ou à la sécurité de l’État.
D’autres, plus nombreux, ont estimé que la haute trahison serait d’abord une notion politique et pourrait être certes constituée par des faits incriminés par la loi pénale, mais pas nécessairement. La doctrine la définit alors parfois comme tout manquement grave ou manifeste du chef de l’État aux obligations de sa charge. Dans les débats de la révision constitutionnelle de 1993, dans un amendement au deuxième alinéa de l’article 68 de la Constitution, M. Étienne Dailly, sénateur et rapporteur au nom de la commission des Lois, s’était essayé à une définition. Selon lui, la haute trahison serait constituée lorsque le chef de l’État « trahit sciemment les intérêts de la France au profit d’une puissance étrangère, lorsqu’il s’abstient sciemment d’accomplir les actes auxquels il est tenu en vertu de la Constitution, lorsqu’il s’arroge un pouvoir qu’il ne tient pas de la Constitution ou lorsqu’il fait un usage anticonstitutionnel des pouvoirs que la Constitution lui confère » (15).
Pour d’autres encore, tels M. Jean-Louis Quermonne, « aucun des caractères d’une telle responsabilité, telle qu’elle s’exerce dans un régime d’État de droit, ne peut être décelé : en tant qu’" infraction " la haute trahison n’est nulle part définie et la peine qui viendrait la sanctionner n’est pas davantage formulée. En l’espèce, l’adage " nullum crimen, nulla poena, sine lege " ne s’applique pas. » (16) Le professeur Jean Gicquel, pour sa part, estime que « la haute trahison s’analyserait en un délit politique à contenu variable » (17). La source serait alors à rechercher dans le détournement de pouvoir ou le détournement de procédure plutôt que dans la « trahison » proprement dite.
L’histoire républicaine ne permet guère de trancher. Louis XVI a été poursuivi et condamné par la Convention pour conspiration contre la liberté et attentat contre la sûreté générale de l’État. Philippe Pétain, en vertu de l’ordonnance du 18 novembre 1944 instituant une Haute Cour (18), a été jugé pour les crimes et délits de droit commun commis dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions. Le seul précédent de mise en accusation pour haute trahison concerne Louis-Napoléon Bonaparte qui, après le coup d’État du 2 décembre 1851, fit l’objet d’un décret de l’Assemblée nationale, prononçant sa déchéance et le renvoyant devant la Haute Cour, sans qu’aucun procès ne suive (19).
C’est en tout état de cause à la Haute Cour de justice qu’il appartiendrait d’apprécier si les faits retenus dans l’acte de mise en accusation sont constitutifs de haute trahison, définie non par son contenu mais par ses effets (20).
En résumé, cette notion a toujours fluctué entre deux pôles extrêmes, entre lesquels on peut trouver tous les niveaux d’analyse. Selon une interprétation restrictive, elle se limite au cas de trahison au profit d’une puissance étrangère. Selon une interprétation extensive, elle englobe tout acte qui peut être considéré comme contraire au fonctionnement des institutions et comme non conforme à la Constitution, voire comme non conforme à la loi pénale. C’est à la fois trop peu et trop pour pouvoir rendre la notion pertinente. On retrouve ces deux extrêmes dans le traitement de la trahison à l’étranger entre la définition étroite inscrite dans la Constitution américaine en soutien de la procédure d’impeachment (21) et la façon d’utiliser ce chef d’accusation en Angleterre aux XVIIe et XVIIIe siècles dans l’exercice d’une justice purement politique.
Par ailleurs, l’actuel article 68 ne résout pas le problème de procédures qui pourraient être menées devant d’autres juridictions que les juridictions répressives, mais qui pourraient tout autant qu’une procédure pénale interférer avec le bon exercice par le Président de la République de son mandat.
Le caractère incomplet du régime défini par l’article 68 est renforcé par les défauts de la procédure devant la Haute Cour de justice.
Depuis la révision constitutionnelle de 1993 (22), seul le Président de la République, à l’exclusion des membres du Gouvernement, est justiciable de la Haute Cour de justice.
La procédure de la haute trahison – dont on a vu que la définition même posait de lourds problèmes – devant cette instance n’a jamais été mise en œuvre sous la Ve République et on ne peut que s’en féliciter. Il faut cependant mentionner, dans la période récente, le cas – qui n’est pas sans lien avec le vote par l’Assemblée nationale, le 19 juin 2001, d’une proposition de loi constitutionnelle modifiant l’article 68 de la Constitution déposée à l’initiative de notre collègue Jean-Marc Ayrault au nom du Groupe Socialiste – , de la tentative de mise en accusation du chef de l’État par notre collègue Arnaud Montebourg, initiative intervenue entre la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 (23) et l’arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 10 octobre 2001 (24).
L’existence de cette tentative ne doit pas masquer le fait que la procédure de la Haute Cour de justice est, à bien des égards, insatisfaisante.
La Haute Cour de justice, en application de l’article 67 de la Constitution est composée, à parité, de sénateurs et de députés. L’ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de justice (25) prévoit qu’au début de chaque législature, ou au lendemain de chaque renouvellement triennal, l’Assemblée nationale et le Sénat élisent, respectivement, douze députés et douze sénateurs comme juges titulaires, ainsi que six députés et six sénateurs comme juges suppléants.
Jusqu’en 1994, un député ne pouvait être élu qu’en réunissant la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale. Cette exigence n’a pas toujours pu être satisfaite. C’est pourquoi le Règlement de l’Assemblée nationale prévoit désormais que les juges seraient désormais désignés à la majorité des suffrages exprimés (26).
L’ordonnance du 2 janvier 1959 précitée définit les moyens grâce auxquels la Haute Cour de justice peut effectuer sa mission. Elle prévoit ainsi que le ministère public auprès d’elle est assuré par le procureur général près la Cour de cassation, assisté du Premier avocat général et de deux avocats généraux, tandis que l’instruction est confiée à une commission composée de cinq magistrats du siège à la Cour de cassation, désignés chaque année par le bureau de celle-ci.
La mise en accusation du Président devant la Haute Cour de justice ne peut être provoquée que par une mise en accusation identique, votée par les deux assemblées, à la majorité absolue des membres composant chacune d’elles. Afin de n’être pas dans la position d’être à la fois juge et partie, sont exclus à la fois de ce vote et du débat ceux qui sont juges, titulaires ou suppléants.
Ces éléments confèrent indéniablement à la procédure suivie devant la Haute Cour de justice un caractère juridictionnel qui entretient le flou de la frontière entre responsabilité pénale et responsabilité politique du chef de l’État, de la même façon que le caractère proche d’une procédure judiciaire de la procédure utilisée dans l’impeachment aux États-Unis donne une coloration pénale à un processus pourtant admis par toute la doctrine (27) comme un processus éminemment politique.
La procédure passe également sous silence le statut du Président de la République pendant toute sa durée. La Constitution ne prévoit pas explicitement que le chef de l’État est empêché.
De la même façon, il est n’est pas indiqué quelle sanction pourrait être prononcée par la Haute Cour de justice. Si la destitution n’est pas exclue, elle n’est pas certaine. En effet, ni la Constitution ni la loi organique de 1959 ne définissent les effets institutionnels d’une condamnation. La loi organique prévoit le prononcé de la peine, mais il n’est fait nulle mention de la destitution du Président de la République.
Hésitante quant à ses fins, hybride dans son fonctionnement, la Haute Cour de justice, par son manque d’effectivité, entretient un doute renforcé par l’ambiguïté de l’article 68, qui, si elle a longtemps été négligée, a été mise en lumière dans la jurisprudence récente.
Les discussions se sont concentrées sur une question : qu’en est-il des actes répréhensibles commis par le Président de la République avant ou pendant son mandat et ne relevant pas de la haute trahison ?
Les plus hautes juridictions de notre pays se sont prononcées sur cette question. Une décision du Conseil constitutionnel et un arrêt de la Cour de cassation ont ainsi, avec un certain succès, clarifié les choses. Mais, si le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation aboutissent à un même résultat – le Président de la République n’est pas un justiciable comme les autres –, c’est par la voie d’interprétations distinctes de l’article 68 qui ne sont pas sans soulever de questions.
Saisi sur le fondement de l’article 54 de la Constitution sur la compatibilité avec la Constitution des stipulations du traité portant statut de la Cour pénale internationale signé à Rome le 18 juillet 1998, le Conseil constitutionnel a retenu la thèse du privilège de juridiction.
En effet, dans sa décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, après avoir rappelé, dans le seizième considérant, qu’aux termes de l’article 68, le Président de la République bénéficie de l’irresponsabilité couvrant les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions, hors le cas de haute trahison, le Conseil constitutionnel ajoute « qu’au surplus, pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice selon les modalités fixées par le même article ».
Dans un communiqué de presse en date du 10 octobre 2000, le Conseil a été amené à faire observer que sa décision du 22 janvier 1999 « précise que le statut pénal du Président de la République, s’agissant d’actes antérieurs à ses fonctions ou détachables de celles-ci, réserve pendant la durée de son mandat la possibilité de poursuites devant la seule Haute Cour de justice ». « Le statut pénal du Président de la République ne confère donc pas une " immunité pénale ", mais un privilège de juridiction pendant la durée de son mandat » et « ainsi est assuré, selon la tradition constitutionnelle de la France, le respect des principes républicains » (28).
Dans une note publiée sur le site du Conseil constitutionnel (29), il est confirmé que « la protection pénale dont bénéficie le chef de l’État en vertu de l’article 68 de la Constitution couvre aussi les actes autres que ceux accomplis dans l’exercice de ses fonctions », qu’« ainsi qu’il ressort en effet de la deuxième phrase de l’article 68 – qui a une portée autonome – la responsabilité pénale du chef de l’État, pendant la durée de ses fonctions, ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice et par un vote identique des deux assemblées » et que « pendant la durée de ses fonctions, le Président de la République ne saurait donc être traduit que devant la Haute Cour de justice ».
Il en résulte que, « s’agissant des actes étrangers à l’exercice de ses fonctions, il bénéficie donc non d’une immunité, mais – durant son mandat – d’un privilège de juridiction ; en outre, les poursuites peuvent, le cas échéant, reprendre, à l’issue de son mandat, devant les juridictions pénales de droit commun ». Comme le souligne M. Guy Carcassonne, « redevenu citoyen (le Président) peut toujours être poursuivi après son départ de l’Élysée » (30).
Une incertitude a été soulevée quant à l’effet de ce considérant sur les juridictions.
Certains ont estimé, à l’exemple de M. Olivier Duhamel, qu’il s’agissait d’un simple obiter dictum, c’est-à-dire d’une explication sans force juridique, d’une simple incidente (31).
D’autres, à l’exemple de MM. Michel Troper (32), Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux (33), ont considéré qu’il revenait, en effet, au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la responsabilité pénale du chef de l’État dans l’hypothèse d’un crime passible de la Cour pénale internationale commis avant son élection. En conséquence, la motivation du seizième considérant, soutien nécessaire du dispositif, aurait autorité de chose jugée. En application de l’article 62, alinéa 2, de la Constitution : « les décisions du Conseil constitutionnel (…) s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles » et en vertu de cette disposition, l’autorité des décisions du Conseil « s’attache non seulement à leur dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même » (34).
M. François Luchaire propose une solution convaincante en estimant que seuls les juges pourront tirer les conséquences de la décision du Conseil : « Qui doit en définitive reconnaître ou ne pas reconnaître un privilège de juridiction, au chef de l’État pour des actes accomplis en dehors de ses fonctions ? C’est le juge. Ce juge peut être la Cour de cassation, statuant en dernier ressort si une poursuite est engagée devant les tribunaux. Ce peut être la Haute Cour de justice si le Président de la République est traduit devant elle. Or, aucun organisme, et notamment pas le Conseil constitutionnel, n’a la possibilité juridique d’imposer au juge la réponse aux questions que nous venons de poser. Au total la liberté du juge paraît entière. » (35)
L’assemblée plénière de la Cour de cassation, a jugé, dans sa décision du 10 octobre 2001 (36), que l’article 68 de la Constitution limitait, comme sous la IVe République, la compétence de la Haute Cour de justice au seul cas de la haute trahison. A contrario, dans tous les autres cas, les juridictions de droit commun sont compétentes pour connaître des actes du chef de l’État.
En l’espèce, elle avait été saisie d’une décision de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris prise sur une ordonnance d’incompétence (37) rendue par des juges d’instruction. Il s’agissait in fine de juger si le chef de l’État en exercice pouvait, pour des faits antérieurs à sa prise de fonction, être auditionné comme témoin, voire mis en cause.
En premier lieu, considérant la demande d’audition en tant que témoin de la personne du chef de l’État, le Premier avocat général (38), dans ses conclusions, a constaté qu’aucun texte ne réglait cette question, ni la Constitution, ni le code de procédure pénale, contrairement à ce qui existe pour les membres du Gouvernement et pour les membres de gouvernement étranger. En l’absence de texte contraire, il concluait à la possibilité que ce témoignage ne soit pas interdit sous une triple condition : l’audition devait être volontaire ; elle ne devait s’accompagner d’aucune mesure de contrainte et sa forme devait respecter l’éminence des fonctions présidentielles. Ainsi, le Président de la République, Raymond Poincaré, fut entendu, en 1914, par le premier président Forichon de la cour d’appel de Paris à propos de l’assassinat du directeur du Figaro par Mme Caillaux. Le magistrat se déplaça dans le cabinet du Président, à l’Élysée, pour recueillir sa version des faits (39).
L’assemblée plénière de la Cour de cassation a estimé que l’audition était impossible, car susceptible de s’accompagner de contrainte. De surcroît, en l’espèce, l’audition en tant que témoin n’était pas recevable, car la déposition pouvait se retourner contre son auteur, qui était soupçonné par les juges d’instruction d’avoir participé aux faits. Or, l’article 105 du code de procédure pénale interdit aux « personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves et concordants d’avoir participé aux faits dont le juge d’instruction est saisi » d’être entendues comme témoins.
En deuxième lieu, saisie de la mise en cause de la responsabilité pénale de la personne du chef de l’État, l’assemblée plénière a dû se prononcer elle-même sur le régime de cette responsabilité.
D’abord, elle a relevé l’ambiguïté de l’article 68 et la double lecture qui pouvait en être faite. À ce propos, le Premier avocat général, dans ses conclusions a pu même parler de l’« insoutenable légèreté des textes ».
Puis, elle a écarté deux griefs avancés par le plaignant, le premier estimant que le privilège de juridiction invoqué par le Conseil constitutionnel pendant le mandat du Président de la République constituait une violation du principe d’égalité devant la loi, le second jugeant que le considérant en cause dans la décision du Conseil constitutionnel n’avait d’autre valeur que celle d’un obiter dictum. Pour ce faire, l’assemblée plénière a donc dû se prononcer sur l’autorité de la décision du Conseil constitutionnel à l’égard de la Cour de cassation. En l’espèce, elle a écarté cette autorité, en considérant que « si l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel s’attache non seulement au dispositif, mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire, ces décisions ne s’imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives et juridictionnelles qu’en ce qui concerne le texte soumis à l’examen du Conseil » et en relevant que « la décision du 22 janvier 1999 n’a statué que sur la possibilité de déférer le Président de la République à la Cour pénale internationale pour y répondre des crimes de la compétence de cette Cour » et qu’« il appartient, dès lors, aux juridictions de l’ordre judiciaire de déterminer si le Président de la République peut être (…) poursuivi devant elles pour y répondre de toute autre infraction commise en dehors de l’exercice de ses fonctions » (40).
Puis, la Cour de cassation a estimé qu’il convenait de prendre en considération la mission confiée par la Constitution au Président de la République pour conclure à son inviolabilité temporaire. Les juridictions sont compétentes, mais toute procédure doit être interrompue pendant la durée du mandat présidentiel. Les poursuites doivent être suspendues. Pour préserver la procédure en l’état et garantir les droits des tiers, la prescription doit également être suspendue.
En conséquence, « attendu que, rapproché de l’article 3 et du titre II de la Constitution, l’article 68 doit être interprété en ce sens qu’étant élu directement par le peuple pour assurer, notamment, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État, le Président de la République ne peut, pendant la durée de son mandat, être entendu comme témoin assisté, ni être mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénale de droit commun ; qu’il n’est pas davantage soumis à l’obligation de comparaître en tant que témoin prévue par l’article 101 du code de procédure pénale, dès lors que cette obligation est assortie par l’article 109 dudit code d’une mesure de contrainte par la force publique et qu’elle est pénalement sanctionnée ».
Le Premier avocat général, dans ses conclusions, « rappelle à ce sujet que le Président de la République est le garant de l’indépendance nationale et de l’intégrité du territoire, qu’il est le chef des armées, qu’il nomme aux emplois civils et militaires, qu’il a le droit de grâce, qu’il est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire et préside le Conseil supérieur de la magistrature, etc. Le chef de l’État ne pourrait plus exercer librement et sereinement ses fonctions, fait-on remarquer, s’il était mis à la merci de la moindre plainte ou constitution de partie civile, s’il était exposé à un harcèlement judiciaire de ses adversaires, et s’il devait toujours compter avec la menace d’une mise en examen pour un fait quelconque ne se rattachant pas à sa fonction de chef de l’État. »
La Cour de cassation explique que la Haute Cour de justice n’étant compétente qu’en cas de haute trahison dans l’exercice des fonctions présidentielles, « les poursuites pour tous les autres actes devant les juridictions pénales de droit commun ne peuvent être exercées pendant la durée du mandat présidentiel, la prescription de l’action publique étant alors suspendue ».
Ainsi, les deux institutions, Conseil constitutionnel et Cour de cassation, ont conclu à l’inviolabilité du chef de l’État durant son mandat, sauf cas de haute trahison.
Mais les secours de la jurisprudence n’ont pas suffi à clarifier entièrement les questions posées par le statut du chef de l’État (41) et l’importance de la question justifie qu’une nouvelle disposition constitutionnelle soit proposée. En effet, malgré l’autorité de la chose jugée qui s’attache aux décisions tant du Conseil constitutionnel que de la Cour de cassation, leur légitimité à régler le statut du premier personnage de l’État est, en tout état de cause, moindre que celle du pouvoir constituant. Plusieurs évolutions ont renforcé cette exigence ces dernières années.
Aujourd’hui, la question de la responsabilité est devenue l’alpha et l’oméga du rapport entre les institutions et la société. Le climat général incite à la recherche des responsables. La fatalité elle-même est refusée. Toute erreur devient faute et la faute peut être sanctionnée pénalement. Pour certains, à l’exemple de M. Daniel Soulez-Larivière, la « criminalisation » de la responsabilité des gouvernants est « une nécessité imposée par le raz-de-marée médiatico-judiciaire ». L’opinion demande plus de transparence, elle est plus sévère pour les fautifs. César, et non seulement sa femme, doit être irréprochable. Il faut des coupables, il faut des sanctions. La justice a répondu à cette attente. Cette recherche de responsabilité est présentée à la fois comme une exigence de transparence et une exigence de justice.
Moins la responsabilité individuelle est assumée, plus elle est reportée sur la collectivité. Or, pour être mise en jeu, cette responsabilité collective doit être incarnée. Elle l’est par ceux qui représentent les institutions : à commencer par les agents publics en passant par les élus locaux et en remontant jusqu’aux ministres. L’intention de nuire n’est plus un critère unique (42). Le fait même d’exercer une autorité suffit pour endosser tous les préjudices.
Avec M. Antoine Garapon, il faut constater que « le procès quitte son statut de mise en scène de la souveraineté pour devenir le lieu d’interpellation du prince, le lieu où désormais, s’exige la démocratie. C’est que la forme d’un procès, en mettant le fort et le faible sur un pied d’égalité dans un même espace, incarne pour nos concitoyens le mythe de l’égalité démocratique (…). La justice devient un lieu de contestation politique (…). Le procès en responsabilité n’est plus utilisé seulement pour réparer des dommages ou pour sanctionner une faute pénale mais aussi pour satisfaire une revendication politique. » (43)
Par exemple, l’opinion accepte de plus en plus difficilement que l’État et les acteurs politiques puissent bénéficier d’une quasi-impunité en invoquant la « responsabilité sans faute ». La légitimité de cette critique est indéniable, mais la recherche de cette responsabilité donne lieu à une double « course en avant », marquée à la fois par la volonté de réparation et par la volonté de sanction (44). Alors que l’on demande à l’homme politique de s’affirmer plus responsable, on admet de moins en moins l’idée d’une responsabilité politique spécifique. La mise en cause de la « responsabilité sans faute » des responsables politiques, à l’origine d’une pénalisation excessive de leur action, ne peut que se traduire par un affaiblissement de leur capacité d’agir et de gouverner.
Le chef de l’État, par sa fonction, incarne l’autorité qui réunit toutes les autres. Dans ce contexte, son irresponsabilité apparente, dans l’exercice des fonctions, est devenue difficilement acceptable aux yeux de l’opinion.
Si certains thèmes ne quittent jamais vraiment la scène constitutionnelle, tels que le rôle du Premier ministre ou la légitimité du mode d’élection du Sénat, d’autres, qui n’avaient pas retenu sérieusement l’attention de l’opinion et des acteurs concernés, surgissent, alors même qu’un réel problème était depuis longtemps posé (45). C’est précisément le cas de la question de la responsabilité du Président de la République, qui est sortie d’un angélisme plus que centenaire pour entrer brutalement dans le fracas médiatique. Comment concilier la nécessaire liberté d’action du Président, condition de l’exercice de la fonction dans sa plénitude, avec l’obligation faite au pouvoir judiciaire d’assurer le respect du droit et l’égalité de tous devant la loi ? La déférence due à la fonction présidentielle et à ses contraintes doit-elle l’emporter sur la suprématie reconnue de la règle de droit ?
La question de la responsabilité pénale du Président de la IVe République était, selon Georges Vedel, « une hypothèse d’école purement théorique ». Auparavant, dans un passage célèbre de son traité constitutionnel, Joseph Barthélemy, évoquant l’irresponsabilité politique du Président de la République sous la IIIe République et plus précisément le régime des actes présidentiels extérieurs à l’exercice de la fonction, donnait l’exemple d’un Président qui tuerait « un perdreau quand seule la chasse à la bécasse est ouverte » et relevait que « la question n’a pratiquement aucune importance et c’est sans doute pour cette raison que l’Assemblée nationale, préoccupée de faire œuvre pratique, l’a livrée aux disputes des commentateurs » (46).
Par une sorte de « grâce d’État », le chef de l’État était alors immunisé à la fois contre les tentations et contre les tensions et erreurs susceptibles de le rendre justiciable du code pénal.
La Grande-Bretagne avait inventé un système, en vertu duquel, en cas d’infraction pénale d’un membre du pouvoir exécutif, à l’exclusion du Roi « qui ne peut mal faire » (47), la chambre basse le mettait en accusation, tandis que la chambre haute le jugeait. Ce dispositif fut repris, en France, par la Restauration, la monarchie de Juillet et la IIIe République. La IVe République institua une Haute Cour de justice, composée de trente membres, tous élus par l’Assemblée nationale, en son sein pour deux tiers et en dehors d’elle pour un tiers. Notre Constitution, sans revenir au système antérieur, a établi un équilibre bicaméral en même temps qu’une composition exclusivement parlementaire.
En 1924, Léon Duguit, à propos du régime applicable sous la IIIe République, relevait : « On s’est demandé quelquefois si cette formule (de l’article 6 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875) excluait la responsabilité du Président pour les infractions de droit commun. Évidemment non. Dans un pays de démocratie et d’égalité comme le nôtre, il n’y a pas un citoyen quel qu’il soit qui puisse être soustrait à l’application de la loi, échapper à la responsabilité pénale. » (48)
Le débat sur la responsabilité pénale du chef de l’État existe dans de nombreux États. Il est constant aux États-Unis depuis plusieurs années. Il n’est pas besoin, pour le montrer, de rappeler les procédures engagées contre M. William J. Clinton ou les tentatives de mise en œuvre de la procédure d’impeachment qui concernent M. George W. Bush. De la même façon, le Président israélien fait aujourd’hui l’objet d’une menace de procédure judiciaire qui a fait l’objet d’une très large publicité : le ministère israélien de la justice et la police nationale ont ainsi publié un communiqué, le 15 octobre 2006, sans ambiguïté sur les faits qui lui étaient reprochés, plaçant ainsi le débat sur la place publique (49).
Le régime démocratique impose que ceux qui sont chargés de l’exécution des lois ne soient pas placés au-dessus d’elles et ne bénéficient pas d’une immunité sans limite. Mais, comme le relève M. Guy Carcassonne, à propos des articles de la Constitution applicables à la responsabilité pénale des membres du Gouvernement, « dans une civilisation qui, à force de protections, n’admet plus ni le risque ni la fatalité, derrière lesquels elle exige que soient trouvés des " responsables ", il faut prendre garde que ce progrès de la justice ne se retourne pas contre l’idée même de justice, que ne soient pas confondus le drame et le crime, l’émotion et l’équité, le droit éventuel des victimes à la réparation et celui, inacceptable, à la vengeance » (50).
Tout a concouru à placer la Présidence et le Président de la République, la fonction et la personne, sous surveillance constante : la crise de confiance généralisée dans le système politique, le développement d’un journalisme d’investigation, la concurrence économique entre les médias, l’existence de périodes de cohabitation.
Les raisons qui conduisent à soumettre le titulaire de la fonction présidentielle à la pression de la justice au nom de l’égalité de tous devant la loi sont les mêmes qui doivent justifier de protéger ladite fonction. « L’immunité n’est pas l’impunité », (51) mais l’exercice de la fonction présidentielle exige des devoirs qui en font sa spécificité.
L’amalgame est source de dérive et jette un voile sombre à la fois sur la politique et sur la justice, nourrissant l’ère du soupçon et de la désaffection civique. Il faut sans doute ne pas poursuivre dans la voie tracée avec la réforme de 1993 relative à la Cour de la justice de la République : les promoteurs mêmes de cette réforme ont effectué leur mea culpa et regretté d’avoir promu l’idée de l’existence d’une juridiction particulière, politique, pour juger des éventuelles fautes pénales commises par des ministres (52). Cette erreur ne doit pas être réitérée. La demande de la société doit trouver une réponse politique.
Les mouvements de l’opinion, s’ils sont gouvernés par le souci d’une plus grande transparence et d’une plus grande justice, ne doivent pas conduire à ranger les amalgames sous la bannière des grands principes. C’est pourquoi la responsabilité pénale et la responsabilité politique doivent être bien distinguées.
LA CONFUSION DES GENRES L’histoire politique anglaise fournit un bon exemple, sans doute fondateur, des risques de confusion entre le domaine pénal et le domaine politique – l’utilisation du premier servant la cause du second : l’exemple du procès de 1640 de Thomas Wenworth, comte de Strafford, principal ministre de Charles Ier (a). Ledit ministre fut mis en accusation par la Chambre des Communes en novembre 1640 et l’accusation fut admise par la Chambre des Lords, ce qui ouvrait la voie à une procédure judiciaire d’impeachment. Toute la difficulté résidait dans la possibilité de faire entrer la qualification des actes qui lui étaient reprochés dans le cadre légal de la haute trahison, qui seule pouvait fonder l’impeachment. Faute d’une telle possibilité, le procès tournerait à l’avantage de l’accusé. Pour éviter toute déconvenue, la Chambre des Communes prit la décision politique de mettre en œuvre un Bill of attainder, lequel, relevant de la procédure législative, à la différence de l’impeachment, ne reposait sur aucune règle judiciaire. Après avoir été adopté par les Communes, le Bill fut soumis à la Chambre des Lords. À une courte majorité, les Lords votèrent la condamnation à mort, Strafford fut exécuté en 1641. Ce dédoublement d’attitude de la Chambre des Lords traduit un dédoublement fonctionnel qui lui a permis, en tant qu’assemblée politique et législative, de consentir à ce qu’elle aurait hésité ou refusé de faire comme organe de justice. Depuis lors, la confusion des genres s’est installée et le débat continue – il n’est qu’à prendre l’exemple du procès civil attenté au Président Clinton pour des actes antérieurs à sa prise de fonction, procès qui a servi de fondement à des poursuites à coloration pénale engagées par un « procureur indépendant », poursuites qui elles-mêmes ont débouché sur une procédure, devenue aux États-Unis, politique, l’impeachment. |
(a) Samuel Rawson Gardiner (édition), The Constitutional Documents of the Puritan Revolution 1625-1660, Oxford, Clarendon Press, 1906, page 156. |
À ce titre, il convient de faire un sort à deux aberrations juridiques : la première consiste à confondre protection accordée au chef de l’État et impunité ; la seconde revient à dénier toute légitimité juridique à cette protection, au prétexte qu’elle est dérogatoire du droit commun.
Si la première assertion ne peut être défendue que par un abus de langage qui vient en soutien de propos d’estrade, la seconde mérite d’être examinée avec plus de soin. Si l’idée de droit commun sous-tend notre conception de l’égalité, elle peut trouver sa source dans l’intérêt général, qui lui-même peut exiger que des règles particulières soient édictées. La validité de ces règles particulières est fondée sur leur inscription dans une disposition admise par tous.
Ainsi, pour prendre l’exemple de la norme suprême, la Constitution peut elle-même prévoir des exceptions aux principes qu’elle énonce par ailleurs. Il en est de multiples, « adoubées » par le pouvoir constituant, c’est-à-dire par la manifestation la plus affirmée de la souveraineté. Or, précisément, la distinction entre gouvernés et gouvernants, à l’origine de l’État moderne, implique une différenciation des situations entre les uns et les autres. C’est parce que les premiers délèguent une partie de leurs pouvoirs aux seconds que la société peut être organisée et que peut advenir le règne du droit en substitution de la tyrannie de l’arbitraire.
Nonobstant la proclamation du principe d’égalité dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, un certain nombre d’individus, désignés selon des procédures spécifiques, bénéficient de prérogatives particulières dont ne dispose pas le « citoyen ordinaire ». Mais cette distinction est légitime parce qu’elle est inscrite dans la Constitution. De même qu’est légitime la protection particulière dont peut bénéficier le chef de l’État à raison des missions que lui confie la Constitution.
Le principe d’égalité n’interdit pas de traiter de manière différente des personnes placées dans des situations différentes. Par exemple, le Conseil constitutionnel a admis que des procédures spécifiques pouvaient être acceptées : « il est loisible au législateur de prévoir des règles de procédure pénale différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent » (53).
Le droit commun, c’est d’abord le droit fixé par la Constitution. En conséquence, affirmer que la protection de la fonction présidentielle inscrite dans la Constitution est un abus de droit, parce que « la loi doit être la même pour tous », constitue un contresens sur ce qu’est l’État de droit, matérialisé par la hiérarchie des normes.
Un texte daté et ambigu et une exigence accrue de justice imposent de clarifier le régime de responsabilité du chef de l’État, dans toutes ses dimensions, politique, civile, administrative et pénale.
Comme l’a montré M. Guy Carcassonne, la véritable responsabilité présidentielle se situe bien plus sur un plan politique que sur un plan pénal (54). Néanmoins, il faut prévoir les cas où une faute pénale est commise par l’homme qui occupe les fonctions de chef de l’État, en dehors de ces fonctions. Cette double exigence impose, d’une part, de protéger la fonction et, d’autre part, de pouvoir juger le titulaire de la fonction.
« Ne dites point, " conjuration ", toutes les fois que ce peuple dit, " conjuration " » (55) doit être la devise qui permet de protéger la fonction présidentielle des mouvements incertains d’une opinion prompte à lire la culpabilité du chef de l’État dans les comptes rendus médiatiques du moindre des faits et gestes d’un magistrat chargé d’une enquête où le nom de l’occupant du palais de l’Élysée est évoqué, à quel titre que ce soit. Cette devise dit bien l’importance d’assurer les conditions d’un exercice serein des devoirs de la charge.
La continuité historique des dispositions relatives au régime de responsabilité du chef de l’État est forte.
En 1789, le roi n’est plus considéré comme monarque de droit divin. Il doit désormais être tenu, simplement, pour reprendre les termes employés par Sieyès, « comme chef de la Nation, comme premier citoyen » (56). C’est en considération de cette qualité, et non plus de celle de descendant d’une lignée choisie par Dieu pour régner sur la France, qu’il peut être affirmé que « les officiers publics, dans tous les genres de pouvoir, sont responsables de leurs prévarications et de leur conduite. Le roi seul doit être excepté de cette loi. Sa personne est toujours sacrée et inviolable. » (57)
Dans la Constitution de 1791, apparaît pour la première fois une Haute Cour nationale (58), qui deviendra Haute Cour de justice dans la Constitution de 1795 (59). Dans celle de 1799, on trouve la première mention de l’« irresponsabilité » liée à la fonction de chef de l’État incarnée par des consuls (60). La Constitution de 1848 innovera en disposant, dans son article 68, que « le Président de la République, les ministres, les agents et dépositaires de l’autorité publique, sont responsables, chacun en ce qui le concerne, de tous les actes du gouvernement et de l’administration ». Cette affirmation était sans paternité, elle restera sans postérité.
Le principe de l’irresponsabilité du Président de la République trouve sa source principale dans l’article 6 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 relative à l’organisation des pouvoirs publics qui pose, en son premier alinéa, le principe de la responsabilité des ministres devant les Chambres et dispose, dans son second alinéa, que « le Président de la République n’est responsable qu’en cas de haute trahison ».
Cette disposition a été reprise quasiment mot à mot par le premier alinéa de l’article 42 de la Constitution du 27 octobre 1946, en application duquel « le Président de la République n’est responsable que dans le cas de haute trahison ». Le constituant de la Ve République s’est borné à ajouter, dans l’article 68 de la Constitution, une précision quant à l’objet de l’irresponsabilité présidentielle, en application de laquelle « le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison ».
Ainsi, si la responsabilité présidentielle à raison des actes détachables de la fonction conduit à organiser dès 1875 un privilège de juridiction, que le texte de 1946 supprimera et sur lequel celui de 1958 reste ambigu, l’irresponsabilité présidentielle à raison des actes non détachables, hors cas de la haute trahison, est bien établie.
Comme on l’a déjà évoqué, le débat sur la responsabilité du chef de l’État n’est pas propre à la France.
Les démêlés politico-judiciaires de différents chefs de l’État à l’étranger, que l’on songe seulement au Président des États-Unis, sont certes riches d’enseignement sur le fonctionnement et, parfois, les dysfonctionnements de chaque régime et de chaque société. Mais, ils posent des problèmes juridiques d’intérêt plus général, même si leur solution relève, à chaque fois, d’un droit, d’une culture et d’une organisation judiciaire spécifiques. Ainsi, l’examen approfondi par la commission Avril des solutions retenues dans les autres États démocratiques montre que, dans aucun pays, le chef de l’État n’est un justiciable ordinaire. Le rapport de la commission a bien montré qu’aucun État ne fait exception à un principe de protection fonctionnelle du chef de l’État vis-à-vis de la plupart sinon de toutes les procédures juridictionnelles pendant son mandat.
Dans les monarchies parlementaires, la responsabilité pénale du Premier ministre relève parfois d’une procédure dérogatoire au droit commun pour les infractions commises dans l’exercice de ses fonctions, tandis que, pour les autres infractions, elle est partout, sauf en Belgique, engagée selon la procédure de droit commun. Certes la comparaison entre le Président de la République française et le Premier ministre de ces monarchies parlementaires pourrait se révéler tentante parce que, dans les deux cas, c’est la réalité du pouvoir exécutif qui est prise en compte. Mais ce serait oublier la différence fondamentale constituée par le fait que, dans le cas du Premier ministre anglais ou espagnol, par exemple, sa responsabilité peut être engagée, en tout état de cause, devant le Parlement.
Comme l’a montré la commission Avril (61) et sans qu’il soit besoin de refaire la démonstration, dans la plupart des autres pays, les Présidents de la République ne bénéficient pas d’une immunité absolue, mais ils jouissent d’un régime dérogatoire au droit commun tant pour les infractions commises dans l’exercice des fonctions présidentielles que pour les autres infractions. « Hormis les monarchies européennes, dans lesquelles le chef de l’État bénéficie en droit d’immunité absolue, les États établissent un lien soit matériel, soit chronologique entre la protection juridictionnelle et l’exercice des fonctions. »
Il est toujours établi une « protection temporaire pour les actes non liés à l’exercice des fonctions ». Il apparaît ainsi que la protection est « en rapport avec les fonctions ». La sanction est avant tout politique, passe par le biais d’une procédure de destitution, même si elle peut être aussi civile ou pénale, mais, elle est, alors, décidée par un organe ad hoc, plus rarement par le juge ordinaire.
En définitive, le véritable clivage n’est pas entre actes accomplis dans ou en dehors de l’exercice des fonctions mais entre responsabilité pénale et responsabilité civile. Pour la responsabilité pénale, il y a convergence des solutions adoptées en ce sens que, pour les actes non rattachables à l’exercice des fonctions, soit les poursuites doivent être autorisées par voie parlementaire et aboutissent à la justice politique, comme dans le cas du Sénat américain (62), ou à la justice constitutionnelle, soit elles sont suspendues jusqu’à la fin du mandat, comme dans les Constitutions portugaise (63) et grecque (64), et peuvent alors aboutir à la justice ordinaire.
Comme l’avaient montré les travaux de la XVIIe table-ronde internationale de droit constitutionnel comparé (65), cette protection est fondée, dans tous les pays, par des principes forts au premier rang desquels se trouvent la séparation des pouvoirs et la continuité de l’État.
La séparation des pouvoirs est imposée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dans son article XVI : « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Elle vient elle-même au soutien de la continuité de l’État confiée au chef de l’État. Ainsi que le déclarait le général de Gaulle, lors de son allocution télévisée du 30 janvier 1959 : « La première barrière à franchir c’était la confusion des pouvoirs qui paralysait l’État et menait à la guerre civile. À présent nous en sommes sortis (…). Ainsi les pouvoirs, séparés et équilibrés, disposent-ils de l’efficacité et de la stabilité. S’il arrivait qu’ils s’égarent, l’arbitre aurait désormais, et moyennant votre appui, les moyens de rétablir les choses. Efficacité, stabilité, c’est ce qu’il faut aux responsables pour diriger l’effort de la Nation. »
Comme M. Guy Carcassonne en pose le principe, « au nom de la séparation des pouvoirs, les détenteurs de l’exécutif et du législatif ne pouvaient être soumis à l’autorité du judiciaire dans les conditions du droit commun, sauf à armer les cours et tribunaux d’un moyen de pression exorbitant sur les responsables de la Nation » (66).
Il ne faut pas méconnaître la nature propre du pouvoir exécutif et encore moins celle de son expression la plus aboutie, le pouvoir présidentiel. Comme le dit l’adage américain, « Constitutionally speaking, the President never sleeps », « d’un point de vue constitutionnel, le Président ne dort jamais ».
La fonction délibérative du pouvoir législatif exige du temps. La fonction judiciaire requiert encore plus de temps. Le Président, lui, doit être prêt à prendre, à tout moment, toutes les mesures nécessaires pour préserver, protéger et défendre la Constitution et le peuple français, ce qui implique qu’il soit en capacité, à chaque instant, de mener une guerre, de diriger les forces armées et décider éventuellement de la force nucléaire, de protéger nos ressortissants à l’étranger, de négocier avec les autres chefs d’État et de s’assurer de la bonne exécution des lois. Comme le souligne Guizot, « l’autorité ne peut être nulle part que la responsabilité ne la suive, toujours attachée à ses pas ; et plus l’usage de l’autorité a de périls, plus la responsabilité est impérieuse » (67).
Tous les Présidents de la République sous la Ve République ont relevé cette nécessité d’assurer la continuité de l’État. Le général de Gaulle soulignait ainsi que « la nature des fonctions du Président de la République a profondément changé par rapport à ce qu’elle fut. Il m’appartient, en effet, d’assurer, quoi qu’il arrive, la continuité de l’État et le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Il m’appartient d’être, quoi qu’il arrive, le garant de l’indépendance et de l’intégrité de la France, ainsi que celui des traités qu’elle a conclus, autrement dit, de son honneur. » (68) De manière encore plus nette, il affirmait qu’« il est essentiel que l’État ait, dans ses pouvoirs, la continuité et l’autorité sans lesquelles, tout le monde le sait, tout irait à vau-l’eau dans notre pays et en notre époque difficile. Cela implique qu’un chef de l’État qui ait la confiance du pays réponde, en dernier ressort, de ce qu’il y a d’essentiel et de permanent dans la vie dangereuse de la France ; qu’il ne soit pas confondu avec les multiples et épisodiques contestations que nos divisions naturelles introduisent toujours dans notre politique ; qu’il dispose des moyens voulus pour que les Pouvoirs publics fonctionnent régulièrement, qu’il puisse, dans certains cas, appeler la Nation à se prononcer et enfin, dans une crise grave, qu’il puisse répondre de la France et de la République. » (69)
Pour sa part, Georges Pompidou faisait observer que « ce rôle permanent est, à l’heure actuelle, essentiel, et comme chef des Armées, bien sûr, mais peut-être plus encore comme chef de l’État, c’est-à-dire de la collectivité nationale tout entière » (70). François Mitterrand lui-même a eu l’occasion de rappeler cette mission du Président de la République : « Le Président de la République doit exprimer son avis, doit conseiller, doit préserver les intérêts des Français (…) un Président qui décide en certaines matières, un Président qui arbitre chaque fois que l’unité nationale risque d’être mise en péril, et un Président qui préserve, un Président qui protège. » (71)
La préservation de ces principes, en vue de la sauvegarde de l’intérêt général, nécessite de prévoir des formes de protection adaptées aux fonctions remplies par le chef de l’État.
Comme l’a relevé la commission Avril, la protection de la fonction du chef de l’État peut revêtir deux formes : la première permet de protéger la fonction contre les attaques des tiers, c’est le régime de l’irresponsabilité du chef de l’État pour tous les actes qu’il accomplit pour remplir les devoirs de sa charge, qualifiés parfois d’actes non détachables de ses fonctions ; la seconde forme de protection de la fonction permet de préserver la fonction elle-même des éventuels errements de son titulaire, c’est la menace d’une destitution.
a) La protection de la fonction contre les tiers : l’irresponsabilité
à raison des actes non détachables des fonctions
Aujourd’hui en France comme dans de très nombreux pays étrangers, les actes accomplis par le chef de l’État dans l’exercice de ses fonctions sont soumis à un régime d’irresponsabilité. C’est la garantie, pour le Président de la République, de pouvoir répondre aux devoirs de sa charge en toute liberté, sans pression extérieure, en application du principe de séparation des pouvoirs. Cette irresponsabilité se traduit par l’impossibilité pour le pouvoir législatif ou pour l’autorité judiciaire d’entraver le fonctionnement de la Présidence de la République. Comme l’a souligné la Cour suprême des États-Unis, dans un arrêt de 1982, l’immunité présidentielle, dans ce domaine, est « l’accessoire fonctionnel et nécessaire de la fonction unique qu’occupe le Président » (72).
Il existe bien, cependant, un « paradoxe de l’irresponsabilité présidentielle » relevé souvent par le doyen Vedel. En effet, la responsabilité politique du chef de l’État n’est pas, comme certains voudraient le faire croire, inexistante. Sous la IIIe République, cinq Présidents de la République sur quatorze ont démissionné. Dans les quatre cas de Patrice de Mac Mahon (30 janvier 1879), Jules Grévy (3 décembre 1887), Jean Casimir-Perrier (15 janvier 1895) et d’Alexandre Millerand (30 septembre 1924), il n’est guère douteux qu’il s’agissait d’une traduction de leur responsabilité politique. Le cas de la démission de Paul Deschanel, intervenue le 20 septembre 1920, pour cause d’incapacité, pourrait être plus sûrement attachée à un cas d’empêchement.
Sous la IVe République, aucun Président de la République n’a été acculé à la démission, mais les moyens, outre la procédure de la Haute Cour de justice, ne manquaient cependant pas. Le Parlement disposait, en effet, du moyen de détourner le principe d’irresponsabilité présidentielle grâce à deux techniques. En premier lieu, l’Assemblée nationale aurait pu déstabiliser le Président de la République en refusant d’investir tous les présidents du Conseil qu’il aurait proposés. En deuxième lieu, sur le fondement de l’article 41 de la Constitution du 27 octobre 1946, le Parlement aurait pu constater l’empêchement du chef de l’État. En raison de l’absence de définition de l’empêchement, il aurait pu qualifier comme tel un « manque d’autorité morale » ou une perte de confiance de la Nation en lui. Même si ce détournement de procédure se serait avéré inconstitutionnel, aucune autorité n’aurait pu le bloquer.
Mais surtout, au-delà des quelques cas de démission, la responsabilité politique du chef de l’État, sous la Ve République, depuis 1962, est exercée directement par l’élection, dont la fréquence a été augmentée, il faut le rappeler, depuis 2002. Ainsi, à propos des États-Unis, M. Yves Mény relève que « comme en France –, l’irresponsabilité constitutionnelle est compensée par une sorte de responsabilité directe devant la Nation » (73).
La responsabilité politique du Président de la République peut être également engagée directement, dans certaines circonstances, par le référendum. Par exemple, à propos du référendum du 8 avril 1962 relatif au projet de loi concernant les accords à établir et les mesures à prendre au sujet de l’Algérie sur la base des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962, le Général de Gaulle, dans son allocution radiotélévisée du 6 avril 1962, a engagé sa responsabilité : « Pour le chef de l’État, qui est en charge de l’intérêt supérieur de la France, et qui à ce titre demande à chacune et à chacun de vous d’approuver l’action menée dans un domaine dont tout dépend, le témoignage de votre confiance sera le nombre de celles et de ceux qui répondront en votant " oui " ! ». Le même, déclare, plus nettement encore, à propos du référendum du 27 avril 1969 relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat, dans une allocation radiotélévisée du 25 avril 1969 : « Votre réponse va engager le destin de la France, parce que, si je suis désavoué par une majorité d’entre vous, solennellement, sur ce sujet capital et quels que puissent être le nombre, l’ardeur et le dévouement de l’armée de ceux qui me soutiennent et qui, de toute façon, détiennent l’avenir de la patrie, ma tâche actuelle de chef de l’État deviendra évidemment impossible et je cesserai aussitôt d’exercer mes fonctions ».
M. Guy Carcassonne considère, pour sa part, que « c’est la responsabilité présidentielle qui est aussi mise en cause à l’occasion des élections législatives, qui ont pour effet, en cas de défaite, à défaut de l’obliger à partir, du moins de le priver de l’essentiel de ses pouvoirs » et que c’est elle aussi « qui est mise en cause, de manière informelle mais constante, par l’état de l’opinion » (74). Dans le même sens, le 8 juillet 1981, dans son message au Parlement, François Mitterrand estime que la victoire de la coalition présidentielle aux élections législatives provoquées par la dissolution « scelle le contrat » : « J’ai dit à plusieurs reprises que mes engagements constituaient la charte de l’action gouvernementale. J’ajouterai, puisque le suffrage universel s’est prononcé une deuxième fois, qu’ils sont devenus la charte de votre action législative ». Dans son message au Parlement, le 8 avril 1986, il nuancera : « Je rappellerai seulement que la Constitution attribue au chef de l’État des pouvoirs que ne peut en rien affecter une consultation électorale où sa fonction n’est pas en cause ».
Enfin, cette responsabilité peut être engagée indirectement, comme en témoigne l’adoption de la motion de censure le 5 octobre 1962, par le truchement du Gouvernement, qui endosse les décisions présidentielles, soit que le Premier ministre les contresigne, soit, comme dans le cas du référendum de l’article 11 de la Constitution, qu’il les propose au Président. À l’appui de cette thèse, on peut également évoquer l’irritation de Georges Pompidou lorsque son Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas pose, de son propre chef, la question de confiance en 1972 sur une déclaration de politique générale (75).
En revanche, la responsabilité politique du Président de la République ne peut s’exercer directement devant le Parlement. Ainsi, il faut se rappeler que la commission d’enquête sur les « avions renifleurs », en 1985, avait souhaité entendre M. Valéry Giscard d’Estaing, qui a alors saisi le chef de l’État sur le fondement de l’article 5 de la Constitution pour lui demander son sentiment sur une telle initiative, susceptible de créer un précédent. François Mitterrand répondit qu’« en vertu d’une longue et constante tradition républicaine et parlementaire, confirmée par la Constitution du 4 octobre 1958, et notamment ses articles 18 et 68, alinéa premier, la responsabilité du Président de la République ne peut être mise en cause devant le Parlement ». En conséquence, M. Giscard d’Estaing écrivit au Président de l’Assemblée nationale pour qu’il invite la commission à se conformer à la Constitution (76). Selon la même logique, il est constant que le Premier ministre ne peut répondre à une question qui met en cause le Président de la République (77) et qu’un parlementaire qui mettrait en cause la personne du Président peut être rappelé à l’ordre (78), voire faire l’objet d’une censure avec exclusion temporaire de l’assemblée (79).
Dans les situations intermédiaires entre l’élection et l’éventuelle réélection, l’irresponsabilité du chef de l’État pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions ne rencontre, dans l’état du droit, qu’une seule limite, celle de la haute trahison. On pourrait, avec M. Guy Carcassonne, estimer que la « haute trahison » est d’ores et déjà définie par la Constitution elle-même : « est une haute trahison tout acte que la Haute Cour de justice, régulièrement saisie, aura jugé comme tel » (80). Mais cette définition quasi tautologique n’est par elle-même guère satisfaisante comme on l’a montré.
Pour faire effectivement fonctionner la limite imposée à l’irresponsabilité, l’imprécise « haute trahison » pourrait être remplacée, selon la formule proposée par la commission Avril, par un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ».
Cette notion, si elle semble plus large que celle de haute trahison et historiquement moins connotée, doit cependant être maniée avec circonspection. Elle doit également entrer dans la logique de proportionnalité mise en évidence, s’agissant de la protection attribuée à la fonction présidentielle, par la commission Avril. En effet, comme le souligne M. Robert Badinter (81), citant la célèbre conférence de presse du général de Gaulle du 31 janvier 1964, le « fondement même de la Ve République » est « le Président, qui, suivant notre Constitution, est l’homme de la Nation, mis en place par elle-même pour répondre de son destin ». Pour être complet et toujours en se référant à ladite conférence de presse, l’esprit de notre Constitution « procède de la nécessité d’assurer aux Pouvoirs publics l’efficacité, la stabilité et la responsabilité dont ils manquaient organiquement sous la troisième et la quatrième République ».
Dans ce contexte, la procédure de destitution viendrait régler les cas intermédiaires – entre deux élections – où un acte du Président de la République, de quelque nature qu’il soit, serait jugé si grave qu’il nécessiterait de poser la question de la continuité de l’État et celle de la stabilité des institutions et qu’il ne serait plus compatible avec le maintien du chef de l’État dans ses fonctions. Ainsi, serait introduit un nouveau moyen, inédit dans notre droit, d’éviter la « grande erreur de croire qu’une fonction publique puisse jamais devenir la propriété d’un homme ; c’est une grande erreur de prendre l’exercice d’un pouvoir public pour un droit ; c’est un devoir » (82). Il permettra de répondre au souhait de Benjamin Constant : « Sans doute, comme les hommes n’obéissent pas toujours à leur intérêt bien entendu, il faut prendre cette précaution, que le chef de l’état ne puisse agir à la place des autres pouvoirs » (83).
La qualification de l’acte ou des actes en cause peut poser problème. « Faire le départ entre la faute pénale et l’erreur politique n’est cependant pas toujours aisé. » (84) Ainsi, il sera parfois difficile de soutenir que la destitution ne pourrait pas être motivée par des faits qui pourraient être qualifiés pénalement. Mais, si tel était le cas, le Parlement dans son entier pourrait considérer que les faits, sans pour autant leur donner une qualification pénale bien qu’ils en aient le caractère, sont suffisamment graves pour qu’il prononce la destitution, après laquelle pourra s’ouvrir une phase pénale. Pour reprendre l’expression de MM. Duhamel et Vedel, « on ne peut punir pénalement que devant le juge pénal ; on ne doit pas accepter que le pénal absorbe tout, mais au contraire réinventer le contrôle démocratique des erreurs politiques » (85).
Ainsi pourra se réaliser le vœu de Paul Ricœur : le Parlement organisera le « jugement civique » des dérives éventuelles de l’exécutif, comme l’Assemblée nationale a su le faire à l’occasion de la commission d’enquête dite « d’Outreau » pour certains actes de la justice.
Comme le montre l’encadré ci-après, la liste des chefs de l’État qui ont été effectivement destitués est relativement courte, mais édifiante. Tout juste pourrait-on citer M. Fernando Collor de Mello, Président du Brésil, qui fut destitué en 1992 après que le Congrès du Brésil a rejeté sa lettre de démission, ou encore MM. Carlos Andrès Pérez, Président du Venezuela, destitué en 1993, et Rolandas Paksas, Président de Lituanie, destitué en 2004. Si la liste des Présidents qui ont fait l’objet d’une procédure de destitution qui n’a pas abouti s’y ajoute, elle est également relativement courte. Ainsi, récemment également, M. Raúl Cubas Grau, Président du Paraguay, soumis à une procédure de destitution, démissionna en 1999 avant que celle-ci n’aboutît.
QUATRE CAS RÉCENTS DE DESTITUTION DE CHEF D’ÉTAT • La destitution de M. Fernando Collor de Mello, Président du Brésil (1992) En 1992, M. Collor fut accusé par son frère de corruption, ce qui conduisit à l’ouverture d’une enquête par le Congrès. Sur la base d’une loi de 1950 dont les dispositions ont permis de combler les lacunes de la Constitution (pourtant très précise), une plainte a été déposée par l’association des avocats au barreau et une commission spéciale de la Chambre des Députés a étudié la mise en accusation. Celle-ci a été votée à une très grande majorité en septembre et acceptée dans les mêmes conditions par le Sénat. La Chambre des Députés vota pour autoriser l’engagement d’une procédure de destitution. Le Président fut ainsi suspendu de ses fonctions pendant cent vingt jours en application de la Constitution. Le Sénat, présidé par le Président de la Cour suprême, sur le modèle des États-Unis, jugea le Président et, le 29 décembre 1992, le déclara coupable, ce qui a entraîné une interdiction de briguer toute fonction politique pendant huit ans. • La destitution de M. Carlos Andrès Pérez, Président du Venezuela (1993) En mars 1993, le Trésorier Général de la République du Venezuela, a introduit une accusation pour malversation, à l’encontre du Président, pour avoir détourné 17 millions de dollars de fonds secrets. Le 20 mai suivant, la Cour suprême de justice estimait que les charges retenues étaient suffisantes pour engager des poursuites. Le 21 mai 1993, le Sénat a suspendu le Président accusé de s’être approprié illégalement ces fonds pour financer les campagnes électorales de divers responsables latino-américains. Le Congrès National décida de le destituer pour qu’il puisse être arrêté et jugé par la Cour suprême. Le 30 mai 1996, celle-ci le condamna à deux ans et quatre mois de résidence surveillée. Après avoir effectué sa peine, il tenta de se représenter en vain aux élections sénatoriales et législatives. |
• La procédure de destitution engagée contre M. Raúl Cubas Grau, Président du Paraguay (1999) En 1998, le général Lino Oviedo se présenta à l’élection présidentielle, choisissant M. Raúl Cubas Grau, comme vice-président. Le premier ayant été condamné à dix ans de prison avant l’élection pour sa participation au coup d’État de 1996, M. Raúl Cubas Grau se présenta à sa place et devint Président. Sa première mesure fut de libérer le général Oviedo. Une procédure de destitution fut alors engagée contre lui. Le vice-président fut assassiné. M. Raúl Cubas Grau fut impliqué. Il démissionna le 28 mars 1999 pour éviter la destitution. En fuite au Brésil, il retourna au Paraguay en 2002 où il fut arrêté et condamné pour conspiration. • La destitution de M. Rolandas Paksas, Président de Lituanie (2004) La Cour constitutionnelle lituanienne a jugé que le chef d’État avait « gravement violé la Constitution » de son pays, en octroyant illégalement la citoyenneté lituanienne à un homme d’affaires russe, principal financier de sa campagne électorale. Elle l’a également reconnu coupable, d’une part, d’avoir laissé filtrer des informations confidentielles faisant savoir au même homme d’affaires qu’il était surveillé et, d’autre part, d’avoir usé de sa position pour profiter d’opérations de privatisation. Elle a autorisé le Parlement lituanien à engager la procédure de destitution. Celle-ci fut acquise le 6 avril 2004. Cette destitution lui a interdit de se représenter aux élections présidentielle et législatives. |
Il faut, enfin, citer le cas de la procédure engagée contre le Président Clinton, exemple qui a pu faire figure d’emblème, mais qui ne saurait servir d’exemple dont on pourrait s’inspirer. Si le caractère politique de l’impeachment a le mérite de régler des situations considérées comme incompatibles avec le maintien en fonctions du titulaire de la Présidence, il existe, aux États-Unis, un amalgame avec les procédures judiciaires et un régime de responsabilité ambigu qui, comme le montre l’encadré ci-après, ne sont pas sans poser de difficultés au regard de la stabilité de la fonction présidentielle.
Dans la transposition politique de cette procédure, qui souvent, à l’étranger, a toutes les apparences d’une procédure judiciaire, le caractère exceptionnel de la destitution doit être garanti. Elle ne doit pas devenir un mode de relation ordinaire entre un Président de la République et un Parlement qui n’approuverait plus les décisions de celui-ci. La destitution doit être réservée aux cas extrêmes. « Quand l’autorité descend dans la boue, la responsabilité y descend avec elle. » (86) Une fois destitué, le Président redeviendrait un « citoyen comme les autres » susceptible d’être jugé devant les juridictions ordinaires, selon le droit commun.
LA RESPONSABILITÉ DU PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS La Constitution des États-Unis prévoit, dans son article II, section 4, que « le Président, le vice-président et tous les fonctionnaires civils des États-Unis seront destitués de leurs fonctions sur mise en accusation et condamnation pour trahison, corruption ou autres hauts crimes et délits ». Dans son article I, section 3, clause 6, elle dispose que « le Sénat aura le pouvoir exclusif de juger les personnes mises en accusation par la Chambre des Représentants. Quand il siégera à cet effet, ses membres prêteront serment ou feront une déclaration solennelle. En cas de jugement du Président des États-Unis, le président de la Cour suprême présidera. Et nul ne sera déclaré coupable sans accord des deux tiers des membres présents. » Dans la clause 7 de la même section du même article, il est précisé que « la sentence dans les cas d’impeachment ne pourra excéder la destitution ou l’incapacité de tenir et de bénéficier de toute fonction honorifique, de confiance ou rémunérée relevant des États-Unis, mais la partie condamnée n’en sera pas moins responsable et sujette à accusation, procès, jugement et punition, conformément à la loi ». Comme l’ont montré de nombreux exemples dans l’histoire de ce pays, le texte de la Constitution ne suffit pas pour embrasser l’ensemble de la question, chaque crise amenant d’ailleurs son lot de textes et de précédents. Il doit ainsi être complété par deux éléments importants : d’une part, la loi sur l’éthique (The Ethics in Government Act) de 1978, adoptée en réaction à l’affaire du « Watergate », d’autre part, la jurisprudence de la Cour suprême. D’un côté, la séparation des pouvoirs qu’implique le régime présidentiel s’oppose à toute mise en jeu directe de sa responsabilité politique par le Congrès. De l’autre, ni la Constitution fédérale, ni la législation en vigueur, ni la jurisprudence des tribunaux ne délimitent autour de lui une sorte de zone d’immunité absolue. En effet, trois types de « menace » pèsent sur lui. En premier lieu, ses activités, durant son mandat ou antérieures à celui-ci, peuvent faire l’objet d’une enquête, exhaustive et extensible, menée par un « procureur indépendant », fonction créée par la loi précitée de 1978, lequel dispose de pouvoirs quasi judiciaires. En deuxième lieu, le Congrès, de sa propre initiative ou se fondant sur les conclusions de l’enquête dudit procureur, peut engager à l’encontre du Président une procédure de destitution, l’impeachment, qui, au sens strict, désigne la mise en accusation adoptée par la Chambre des Représentants à la majorité absolue. L’adoption de cette mise en accusation ne vaut pas empêchement provisoire du Président. Seule la destitution, adoptée par le Sénat, à la majorité des deux tiers, entraîne son départ. À ce jour, trois procédures d’impeachment ont été engagées à l’encontre d’un Président, aucune n’a abouti. • En 1868, le Président Andrew Johnson fut accusé d’avoir renvoyé le secrétaire d’État à la guerre sans l’accord du Sénat, violant ainsi une loi qui interdisait au Président de se séparer de ses collaborateurs sans le consentement du Sénat. Le Président Johnson considérait cette loi, qui mettait gravement en cause la séparation des pouvoirs, comme inconstitutionnelle. La procédure de destitution échoua d’une voix. • En 1974, la Chambre des Représentants, à la suite de l’affaire du Watergate engagea une procédure d’impeachment à l’encontre du Président Richard Nixon pour entrave à la justice, violation des droits constitutionnels des citoyens et refus d’obéir aux citations à comparaître délivrée par la commission de cette chambre. Le Président démissionna avant la fin de la procédure. |
• En 1998, le Président Clinton fit l’objet d’une procédure de mise en accusation par la Chambre des Représentants pour parjure et faux témoignage (premier article) et pour obstruction à la justice (second article). La majorité des deux tiers présents étant requise, soit 67 sénateurs sur 100, le Sénat a repoussé, avec 45 voix pour et 55 voix contre, le premier article de l’acte d’accusation et, avec 50 voix pour et 50 voix contre, le second article de l’acte d’accusation. En troisième lieu, cette procédure spécifique, comme le montre la jurisprudence de la Cour suprême, ne confère pas pour autant au Président une immunité de juridiction absolue vis-à-vis des tribunaux ordinaires. Si le Président n’est pas le seul à être soumis à de telles contraintes – par exemple, l’enquête du « procureur indépendant » peut porter sur environ soixante-quinze hauts fonctionnaires ou responsables politiques –, tout acte le concernant prend un relief tout particulier. On peut distinguer trois régimes résultant de la mise en œuvre parallèle ou successive de ces trois types de voie de mise en cause du Président des États-Unis. D’abord, la responsabilité personnelle du Président des États-Unis ne peut être engagée pour des décisions prises dans l’exercice de ses fonctions. C’est ce qui résulte clairement de l’arrêt de la Cour suprême de 1982, Nixon v. Fitzgerald : le Président « bénéficie d’une immunité absolue, s’agissant de la responsabilité qu’il pourrait encourir en raison des actes de sa fonction ». Cependant, dans le même arrêt, la Cour relevait que le Président n’était pas « soustrait en toutes circonstances aux processus juridictionnels ». La question se pose alors, à la fois ratione materiae et ratione temporis, de savoir quels actes sont susceptibles d’entraîner une action judiciaire à l’encontre du Président et à quel moment cette action peut avoir lieu. Ensuite, et c’est une partie de la réponse à cette question, il convient de s’intéresser aux faits susceptibles d’être sanctionnés pénalement. La majorité des auteurs semble considérer qu’aussi longtemps qu’il est en fonctions, le Président bénéficie à la fois d’une inviolabilité quant à sa personne et d’une immunité quant à l’action publique qui pourrait être mise en œuvre et trouver son aboutissement dans un procès. L’existence de la procédure d’impeachment s’opposerait à toute mise en œuvre de l’action pénale devant les tribunaux ordinaires avant que la destitution n’ait été prononcée. Cette thèse n’a cependant pas reçu la sanction de la jurisprudence, inexistante sur le sujet. Enfin, et c’est une autre partie de la réponse à la question posée, il faut examiner l’hypothèse d’une action civile engagée contre le Président pour un acte sans lien avec ses fonctions. Il est admis qu’un comportement purement privé, sans lien avec l’activité publique, ne saurait bénéficier d’une quelconque immunité. Pourtant, un Président pourrait faire valoir qu’un procès, même civil, en cours de mandat, risque, compte tenu de toutes les conséquences qui s’y attachent, de perturber gravement l’exercice de la fonction présidentielle, comme cela s’est passé avec l’affaire « Paula Jones ». Les faits de la cause étaient antérieurs à l’élection du Président Clinton et remontaient à 1991, lorsqu’il était encore Gouverneur de l’Arkansas. Mlle Jones se plaignait d’avoir été l’objet, de la part du Gouverneur, d’avances sexuelles non sollicitées, et demandait réparation des préjudices qu’elle alléguait avoir subis. La Cour suprême, dans son arrêt du 27 mai 1997, William Jefferson Clinton v. Paula Corbin Jones, récuse non seulement toute idée d’immunité absolue du Président, mais aussi celle d’immunité temporaire, appliquée de façon automatique. Elle n’en méconnaît pas pour autant la spécificité et l’importance de la fonction présidentielle qui doit être prise en compte par le pouvoir judiciaire et peut justifier des conditions particulières dans le déroulement du procès. Elle laisse le soin aux tribunaux ordinaires d’estimer la nécessité de retarder le procès. Elle ne prend pas non plus partie sur « la question de savoir si un tribunal pourrait contraindre un Président à témoigner, à un moment ou dans un lieu déterminé », sous-entendu sous peine de sanction, et considère seulement que le témoignage du Président peut être recueilli sur place, à la Maison Blanche, et qu’il n’est pas obligé de comparaître en personne. |
Pour reprendre les conclusions de M. Jean-Pierre Lassale, « le pouvoir présidentiel, en tant que tel, est devenu très vulnérable. De la Présidence exposée, on en vient facilement à une Présidence assiégée. (…) Les clivages culturels qui divisent les États-Unis créent des tensions permanentes au sein de la société américaine, et le Président, surtout lorsque sa personnalité s’y prête, devient le point focal de la contestation. Par ailleurs, la politique spectacle, et les intérêts économiques qu’elle véhicule, contribuent à donner aux événements une dimension et une dynamique qui se répercutent par ondes successives et dont le mouvement est difficilement réversible, et, en tout cas, imprévisible. (…) Le Président des États-Unis assume des responsabilités impériales, mais il a des pieds d’argile. » (a) Les difficultés auxquelles est soumise la Présidence américaine sont, on le voit, plus liées aux failles de l’inviolabilité temporaire et à l’exposition médiatique et judiciaire du Président, pour n’importe lequel de ses actes, qu’à l’existence d’une procédure spécifique de destitution, qui ne vient que donner une résonance particulière aux dérives constatées par ailleurs. |
(a) M. Jean-Pierre Lassalle, « Le Président et ses juges : réflexions sur la notion d’immunité présidentielle aux États-Unis », in Mélanges Philippe Ardant, Droit et politique à la croisée des cultures, Paris, LGDJ, 1999, page 89. |
Une faute politique doit être traitée de manière politique, une faute pénale doit trouver une traduction pénale. Dans la mesure où, le temps du mandat présidentiel, l’histoire montre que les deux sont difficilement dissociables et que le politique tend à absorber la matière pénale, il convient de définir un régime juridique de responsabilité qui, en distinguant les deux matières, n’entache la légitimité d’aucune.
Selon François Mitterrand, « il est normal de mettre en cause les responsables lorsqu’il y a des affaires qui peuvent nuire au crédit public, mais la France, ce n’est pas les affaires » (87). Ce jugement nuancé mérite d’être entendu.
Il faut également entendre les avertissements de Georges Pompidou, évoquant une mise en cause systématique des responsables politiques : « qu’on prenne garde. Je n’aime pas beaucoup ce torrent comme je disais au début, avec ses crues périodiques, et dont je finirai par croire qu’elles ne sont pas inorganisées. Et puis, quand on lance de la boue au visage de l’adversaire, on l’atteint quelquefois, on le manque quelquefois, mais on se salit toujours les mains. Attention ! Ne créons pas ce climat pestilentiel que nous avons connu en France à plusieurs reprises. Je ne suis pas si vieux et je l’ai connu dans les années 30, et je l’ai connu autour de la IVe République – et qui finit par faire que les Français, volontiers sceptiques et volontiers médisants, finissent par dire de leurs élus : " Quoi, tous les mêmes ! " Ce jour-là, ce n’est pas un homme ou une formation, c’est le régime représentatif qui est en danger, nous l’avons déjà vu, et nous ne devons pas le revoir. » (88)
Il faut, en la matière, faire preuve de pragmatisme. Si l’on faisait abstraction de la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, qui impose le privilège de juridiction pendant le mandat, et de l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2001, qui renvoie les poursuites pénales après la fin du mandat, on pourrait rêver d’un Président, citoyen ordinaire, justiciable des juridictions ordinaires pour tout acte commis sans lien avec ses fonctions.
Il faut alors imaginer la possibilité de la tenue d’un procès. Faut-il également imaginer quelle serait l’attitude du parquet, placé hiérarchiquement sous l’autorité du Gouvernement, lui-même nommé par le Président de la République ? Trop de fausse naïveté confine à la démagogie en la matière.
Les remarques faites par Guizot à propos de la situation de son temps pourraient être reprises, sans grande modification, pour être appliquées au nôtre : « les agents du ministère public étant nommés et révoqués sur la proposition des ministres, ceux-ci répondent du caractère général et de la direction habituelle de leur conduite. Si donc ils n’y interviennent pas, ils ont tort ; ils laissent dépérir l’autorité pour s’affranchir de la responsabilité qu’elle entraîne (…) ce principe s’applique surtout aux procès politiques. Le gouvernement y a un intérêt trop direct pour qu’il puisse, sans la plus grave erreur, ou négliger la surveillance, ou éluder la responsabilité des agents révocables qu’il emploie à les poursuivre. » (89) Or, tout procès impliquant un Président de la République en fonctions ne peut manquer d’être marqué de couleurs politiques.
Là encore, les analyses de Guizot méritent d’être rappelées pour souligner la différence qui doit être maintenue entre le processus politique et le processus judiciaire : « Dans l’arène des chambres, se produit la société tout entière, avec tous ses intérêts, toutes ses idées, toutes ses passions. Les éléments les plus opposés y sont mis en présence ; la timidité et la témérité, l’amour de la liberté et celui du pouvoir, l’ambition avide d’acquérir et l’ambition jalouse de conserver, les amours-propres, les rivalités de talent, les espérances les plus hardies et les craintes les plus soupçonneuses. C’est du débat de toutes ces forces que doit naître le bien public. Dans ce théâtre vient se concentrer toute la fermentation sociale, pour s’y manifester sans péril, et s’épurer en se manifestant.
« Dans l’enceinte des tribunaux, au contraire, rien ne doit entrer que la loi et des faits prévus par la loi. C’est le lieu de l’impassibilité et de la règle. La porte en est interdite à toutes ces passions, à toutes ces forces contraires que je viens de rappeler. Ailleurs leur présence est inévitable ; ici elle serait criminelle. Toutes les formes, toutes les prescriptions légales se proposent de les en bannir (…) tout atteste qu’on veut placer l’opération qui se consomme ici au-dessus de toutes les influences, et s’élever, autant qu’il appartient à l’homme, dans cette région calme et pure où n’atteignent point les orages de la terre, où aucun nuage ne voile la clarté du jour. » (90)
Afin d’éviter que toute cause judiciaire ne trouve sa solution dans de grands bouleversements politiques, toute la difficulté réside donc dans la recherche d’une procédure satisfaisante de mise en cause de la responsabilité protégeant l’homme et la fonction contre des poursuites abusives, reposant sur des juges impartiaux, conciliable avec la séparation des pouvoirs... À l’examen, cette recherche débouche sur une aporie. En l’espèce, le politique absorberait le pénal.
Pour la sérénité de la justice, pour la sérénité de l’action politique, il semble raisonnable de reporter à la fin des fonctions présidentielles tout acte de type judiciaire susceptible d’engager la responsabilité pénale de l’homme qui était Président et définir ainsi un régime d’inviolabilité temporaire. Aussi ne pourra-t-il pas être accusé d’avoir tenté d’infléchir le cours judiciaire des événements.
La seule solution est de ne permettre aucune poursuite ni aucun acte pouvant y conduire pendant toute la durée du mandat. Le Président de la République doit être préservé, pendant le temps de ses fonctions, de tout acte susceptible d’atteindre sa fonction. Qui niera que la simple convocation du Président, même en tant que témoin, par un juge et dont l’annonce est savamment distillée dans les médias n’écorne pas la sérénité nécessaire à l’exercice des missions que la Constitution a confiées au Président ? N’était-ce ces missions, le chef de l’État pourrait être un « citoyen comme un autre ».
Certains n’hésitent pas à invoquer les précédents jurisprudentiels en faveur de la compétence des tribunaux ordinaires pendant la durée du mandat présidentiel (91). Il n’est, en réalité, cité qu’un jugement du tribunal correctionnel de Paris du 3 décembre 1974 statuant sur plainte de M. René Dumont contre M. Valéry Giscard d’Estaing pour délit d’affichage pendant la campagne présidentielle. Or, ce jugement, unique, ne précise pas si la citation à comparaître avait été délivrée avant l’entrée en fonctions de M. Giscard d’Estaing en qualité de Président de la République, et, en tout état de cause, se borne à constater qu’il n’avait pas contesté la compétence de la juridiction de droit commun. Le tribunal avait statué sur le fond et débouté le plaignant de sa demande sur les intérêts civils.
Se pose la question de la liste des actes susceptibles d’être exclus pendant la durée du mandat présidentiel. En la matière, il paraît difficile d’en permettre certains – ceux qui paraissent les plus bénins, tels que les réquisitions de témoigner – , ou de n’en exclure que quelques-uns – les plus importants, tels que l’engagement de poursuite. En effet, le seul écho d’une action de la justice à l’égard ou à l’encontre du Président suffit à rendre toute précaution inutile. Admettre et organiser un découpage, satisfaisant du point de vue intellectuel, constituerait un non-sens pratique et politique. Qui peut, sans prendre quelque liberté avec l’exigence minimale de bonne foi qu’exige le sérieux du débat, affirmer que le Président requis de témoigner dans une affaire pénale n’est pas atteint dans sa fonction ?
L’inviolabilité temporaire n’est cependant pas une immunité. Demeure la menace, telle une épée de Damoclès à retardement, qui reste suspendue au-dessus de la tête du titulaire de la Présidence la République, qui peut s’abattre dès qu’il quitte l’Élysée.
Comme certains auteurs l’avaient noté, avant même l’intervention de la Cour de cassation, « il serait logique, conformément à la règle contra non valentem non currit praescriptio, que la prescription de l’action publique fût suspendue, pour ne reprendre son cours qu’à la fin du mandat présidentiel » (92). L’inviolabilité temporaire du Président empêchant les tiers d’agir, il est cohérent que « contre celui qui ne peut agir, la prescription ne court pas ».
Le Premier avocat général de la Cour de cassation, dans l’arrêt du 10 octobre 2001 précité, avait précisé, d’une part, qu’il était préférable de s’orienter vers la solution « de la " suspension " de la prescription, en raison de l’obstacle de droit mettant la partie civile hors d’état d’agir et d’exercer ses droits du fait de la compétence exclusive de la Haute Cour de justice », et, d’autre part, que « cette suspension est la contrepartie indispensable (...) de l’extension du privilège de juridiction décidée par le Conseil constitutionnel au bénéfice du chef de l’État pendant la durée de ses fonctions » (93).
On peut rappeler, par analogie, l’exemple, avant la réforme constitutionnelle de 1995 (94), de la suspension de la prescription avant la levée de l’inviolabilité parlementaire, confirmée par plusieurs arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation (95). Selon la même logique et avant leur abrogation par la loi du 4 janvier 1993 (96), les articles 679 et suivants du code de procédure pénale prévoyaient, pour les infractions commises par des agents publics, la suspension de la prescription avant la désignation par la Cour de cassation d’une juridiction.
Un raisonnement analogue peut être suivi pour imposer la suspension, pendant le mandat présidentiel, des délais de forclusion. Pour ne prendre qu’un exemple, la victime d’une infraction qui aurait été commise par le titulaire de la Présidence de la République un ou deux ans avant son entrée en fonctions dispose d’un délai de trois ans à compter de la date de l’infraction pour présenter une demande d’indemnité. Sans suspension de ce délai de forclusion, elle ne pourrait jamais bénéficier du dispositif ainsi aménagé par l’article 706-5 du code de procédure pénale.
Des dispositions constitutionnelles relatives à la responsabilité pénale du Président de la République imprécises et ayant fait l’objet d’une interprétation partiellement divergente de la part du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation, la « juridicisation » de la vie politique qui peut inciter à l’utilisation du contentieux juridictionnel comme arme politique, constituent autant de facteurs qui imposent de modifier l’état du droit.
Dans un article unique, il est proposé, dans le présent projet de loi constitutionnelle, de clarifier le régime de responsabilité du Président de la République, selon le schéma préconisé par la commission Avril. Si les principes posés et l’essentiel du dispositif retenus par cette commission méritent d’être largement approuvés, leur portée peut être utilement précisée.
Le présent projet de loi constitutionnelle s’inspire, de manière scrupuleuse, de la proposition unanime faite par la commission Avril en décembre 2002 de rédiger un nouveau titre IX de la Constitution, consacré non plus à la Haute Cour de justice, mais à la Haute Cour, désormais constituée par les deux assemblées parlementaires réunies à l’image du Congrès.
Les différences avec les propositions émises par la commission présidée par M. Pierre Avril sont minimes. En effet, le projet de loi ne modifie la proposition de la commission que sur un point – tout en s’inspirant pour ce faire de ses conclusions – en « constitutionnalisant », là où la commission se contentait d’un renvoi à une loi organique, la reprise, à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la fin du mandat, des éventuelles instances et procédures judiciaires exercées à l’encontre de celui qui occupait les fonctions de Président.
Il permet ainsi de garantir au chef de l’État, durant son mandat, une immunité juridictionnelle, sous la seule réserve de la saisine de la Cour pénale internationale, mais avec deux contreparties majeures. En premier lieu, comme l’avait déjà relevé la Cour de cassation, tous les délais de prescription ou de forclusion seraient suspendus. En second lieu, la Haute Cour de justice et la notion de haute trahison seraient supprimées, au profit d’une procédure par laquelle le Parlement pourrait destituer le chef de l’État en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ».
Il est proposé de définir le régime de responsabilité du chef de l’État dans une nouvelle rédaction de l’article 67 de la Constitution.
De la spécificité du mandat présidentiel, tel que défini par l’article 3 et le titre II de la Constitution, résultent deux conséquences : l’irresponsabilité du Président doit être maintenue pour les actes accomplis en sa qualité de chef de l’État (premier alinéa de l’article 67) et, d’autre part, le Président doit bénéficier d’une protection contre les mises en cause dont il pourrait être l’objet durant son mandat de la part des autorités juridictionnelles mais aussi administratives (deuxième et dernier alinéas de l’article 67).
Conformément à la tradition républicaine et à la place réservée au Président de la République dans la Constitution, le présent projet de loi constitutionnelle confirme l’irresponsabilité du Président de la République pour tous les actes qu’il accomplit en cette qualité, c’est-à-dire pour tous ceux qui ne sont pas détachables de sa fonction. Ainsi, par exemple, sa responsabilité ne saurait être engagée lorsqu’il décide de dissoudre l’Assemblée nationale, dès lors que cette prérogative s’exerce dans les conditions prévues par la Constitution.
Lorsque l’acte qu’il prend est soumis à contreseing du Premier ministre, en application de l’article 19 de la Constitution, la responsabilité est transférée par ce fait même au Gouvernement qui, lui, est responsable devant le Parlement, essentiellement devant l’Assemblée nationale, en application des articles 49 et 50 de la Constitution.
Dans le présent projet de loi constitutionnelle, il n’est plus fait référence, comme dans l’état du droit, aux actes accomplis « dans l’exercice de ses fonctions ». En effet, cette expression peut prêter à confusion, la préposition « dans » pouvant s’interpréter comme signifiant que les actes en cause sont ceux qui sont jugés « au moment où il exerce ses fonctions », ce qui interdit de faire toute distinction entre les actes détachables et les actes non détachables des fonctions dès lors qu’ils sont commis en cours de mandat.
C’est ce que la Cour de cassation a pu juger à propos d’actes commis par des ministres en exercice avant que la révision constitutionnelle de 1993 (97) ne les exclue du dispositif de la Haute Cour de justice pour les soumettre à la juridiction de la Cour de justice de la République. Ainsi, la chambre criminelle de la Cour de cassation a souligné, dans un arrêt du 14 mars 1963, Frey c/ de Blignières, qu’« un ministre ne peut être mis en accusation qu’en vertu d’une décision prise par les deux assemblées législatives et jugé par la Haute Cour de justice ; que ces dispositions qui excluent, pour le ministère public et les particuliers de mettre en mouvement l’action publique et d’en saisir les juridictions répressives de droit commun, sont d’ordre général et absolu ; qu’elles s’appliquent, sans distinction, à toutes les infractions criminelles ou délictuelles dont aurait pu se rendre coupable un membre du Gouvernement dans l’exercice de ses fonctions » (98).
Le dispositif qui est défini par le présent projet de loi de constitutionnelle est assorti de dispositions qui visent à respecter les exigences relatives au traité portant statut de la Cour pénale internationale et à préserver les droits des tiers. Ainsi, le régime d’irresponsabilité du chef de l’État à raison des actes accomplis pour l’exercice de sa fonction est soumis à une double réserve.
La première réserve concerne la compétence de la Cour pénale internationale, à propos de laquelle le Conseil constitutionnel avait eu l’occasion de rendre sa décision du 22 janvier 1999. La Cour est chargée de juger les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les crimes d’agression, commis postérieurement à l’entrée en vigueur du traité qui définit son statut, soit après le 1er juillet 2002.
Pour permettre son application au chef de l’État, il est expressément fait réserve de l’article 53-2 de la Constitution, introduit par la loi constitutionnelle n° 99-568 du 8 juillet 1999, qui dispose que « la République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998 » (99).
Cette disposition constitutionnelle permet ainsi de prendre en compte le fait que l’article 27 du statut de la Cour pénale internationale donne à cette dernière une compétence générale, quelle que soit la qualité de la personne mise en cause, et qui s’applique donc au chef de l’État nonobstant son régime particulier de responsabilité (100). Certaines des dispositions du statut peuvent également conduire la France à remettre à la Cour une personne à raison de faits qui sont pourtant amnistiés ou prescrits selon la loi française, tandis que d’autres dispositions du traité autorisent le procureur de la Cour à procéder à certains actes d’enquête hors la présence des autorités de l’État requis et sur son territoire. Ces actes pourraient concerner les agissements d’un Président de la République y compris ceux qui ne sont pas détachables de sa fonction.
La seconde réserve concerne la mise en œuvre de la procédure de destitution, telle que prévue par l’article 68 dans la rédaction du présent projet de loi constitutionnelle (voir ci-après le commentaire de cet article).
— Le principe de l’inviolabilité durant le mandat présidentiel
Dans son deuxième alinéa, l’article 67, dans la rédaction proposée par le présent projet de loi constitutionnelle, le Président de la République « ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite ».
Le champ de l’inviolabilité temporaire définie par le présent projet de loi constitutionnelle est vaste : il couvre à la fois le champ civil et administratif et le champ pénal, la réparation et la punition.
L’étendue de ce champ pourrait apparaître excessive. Si l’inclusion de la question pénale dans le champ de l’inviolabilité ne pose guère de problème juridique – elle a été clairement réglée par la Cour de cassation dans son arrêt précité du 10 décembre 2001 –, en revanche, la question de la responsabilité civile et administrative paraît plus délicate.
Tout en reconnaissant le bien-fondé de la mesure dans le domaine pénal (101), M. Robert Badinter a dit son hésitation quant à l’application d’un tel dispositif à la matière civile : « au nom de quel principe constitutionnel interdirait-on, pendant cinq ans, à des justiciables d’exercer leurs droits civils contre un Président qui aurait manqué à ses obligations dans la sphère privée ? Pourquoi le propriétaire d’un immeuble ne pourrait-il obtenir en justice le règlement de loyers dus par son ancien locataire devenu Président ? Pourquoi l’enfant naturel du Président de la République ne pourrait intenter contre lui pendant son mandat une action en recherche de paternité ? Pourquoi l’épouse du Président de la République ne pourrait-elle demander le divorce contre son mari adultère ? Pourquoi l’éditeur excédé ne pourrait-il poursuivre en justice le remboursement d’une avance substantielle consentie au Président de la République avant son élection pour un livre qu’il n’entendrait plus écrire ? » (102)
De deux choses l’une : ou bien il faut considérer que le Président de la République est, du point de vue de la responsabilité civile, un citoyen comme les autres durant son mandat et accepter en conséquence le risque non négligeable qu’il fasse l’objet d’un harcèlement judiciaire – l’« affaire Clinton » n’a pas commencé autrement –, ou bien il faut admettre que ce risque, qui peut conduire à une déstabilisation constante de la Présidence, ne vaut pas la peine d’être couru le temps d’un mandat. Comme le résume M. Robert B. Fiske, Jr., qui fut le prédécesseur, dans l’affaire « Whitewater » impliquant le Président Clinton, du procureur indépendant M. Kenneth W. Starr : « Une fois la personne désignée (comme l’objet de l’enquête), c’est comme un missile qui serait lancé. Vous ne pouvez pas interrompre sa course, et on ne peut pas le diriger. Il n’obéit qu’à sa propre logique » (103).
La Cour suprême des États-Unis, dans un arrêt de 1979 (104), a pu ainsi reconnaître qu’il était de l’intérêt de la société elle-même de permettre aux responsables publics d’agir impartialement et sans risque d’être soumis à des pressions qui compromettraient leur efficacité.
Comment alors, dans le cas d’une inviolabilité temporaire, régler les litiges préjudiciables aux tiers ? La commission Avril relève la possibilité de recourir aux assurances, mais tous les risques ne sont pas assurés et le déblocage des fonds est parfois lié à une constatation judiciaire en bonne et due forme. Dans ce cas, elle prévoit également l’éventuel recours à un mandataire, ce qui, par exemple, en matière de recherche de paternité en particulier et en matière familiale en général, ne résout pas non plus toutes les questions. Cependant, dans des temps où la voie judiciaire peut tendre à devenir une façon de faire de la politique par d’autres moyens (105) que ceux de l’élection et du débat, il est sage d’accepter que la résolution de ces questions soit suspendue à l’achèvement du mandat présidentiel. En tout état de cause, considérant le retentissement que toute affaire impliquant la personne du Président peut avoir, quel est le chef de l’État qui n’aurait pas intérêt à régler proprio motu, de manière amiable, un litige personnel de nature civile ?
La question de la responsabilité professionnelle, c’est-à-dire à raison de la profession exercée par le Président avant sa prise de fonction, semble ne pas être explicitement visée, en tout cas pas d’un point de vue disciplinaire. Par exemple, un Président de la République qui aurait exercé une profession contrôlée par un ordre pourrait-il se voir sanctionner par celui-ci si une faute, au cours de son exercice professionnel, lui était imputable ? La recherche de cette imputabilité nécessitant assurément des actes d’information et la section disciplinaire des ordres professionnels étant assimilable à une juridiction, il ne fait aucun doute que la faute professionnelle stricto sensu serait soumise à l’inviolabilité, le temps du mandat.
Quant à la faute « professionnelle » en cours de mandat, parfois évoquée, c’est-à-dire commise en sa qualité de Président de la République, elle ne peut être « sanctionnée » que d’un point de vue politique. Encore faudrait-il considérer que l’exercice de la Présidence peut être assimilé à celle d’une profession, ce qui serait contraire à la conception française des fonctions électives ! Mais, dans la course effrénée, quasi expiatoire, à la recherche d’un coupable, ce moyen pourrait sans nul doute être utilisé pour tenter d’atteindre le titulaire de la fonction présidentielle.
Quelle est l’étendue des actes qui sont exclus pendant le mandat ? Sont notamment visés les actes d’information, d’instruction et de poursuite, qui peuvent intervenir à la fois dans le domaine civil, pénal et administratif comme tend à le montrer la mention de l’impossibilité de demander devant toute juridiction ou autorité administrative – ce qui inclut notamment les autorités administratives indépendantes chargées d’un pouvoir de sanction à l’image de l’Autorité des marchés financiers (AMF) – que de tels actes soient accomplis.
Dans la matière pénale, qui est celle le plus souvent invoquée, pourront être visés tous les actes de poursuite qu’ils émanent du ministère public (information ouverte par le réquisitoire aux fins d’informer, visa du titre de l’amende pénale, citation directe devant le tribunal correctionnel, transmission par un procureur de la procédure pour compétence à un autre tribunal, instructions et mandements délivrés par le procureur aux officiers de police judiciaire) ou qu’ils résultent d’une plainte avec constitution de partie civile (ordonnance du juge d’instruction constatant le dépôt d’une telle plainte, citation directe en cas de contravention ou de délit mettant en mouvement l’action publique…). Dans le cadre déterminé par le projet de loi constitutionnelle, pourraient être également assimilés aux actes de poursuite tous les jugements ou arrêts définitif ou avant-dire droit, rendus contradictoirement ou par défaut, ainsi que l’exercice d’une voie de recours.
Serait aussi exclu pendant le mandat présidentiel tout acte d’instruction, qu’il soit accompli par un juge d’instruction ou par un officier de police judiciaire délégué à cet effet et qui a pour objet la recherche des éléments de l’infraction, qu’il s’agisse d’un interrogatoire, d’une saisie, d’un transport sur les lieux ou d’une perquisition, de la désignation d’un expert, du dépôt d’un rapport d’expertise ou de la délivrance d’un mandat, pour ne prendre que quelques exemples.
Les actes d’information sont expressément suspendus. Au sens strict, dans le domaine pénal, ils peuvent couvrir l’ensemble des phases de l’instruction préparatoire permettant de rechercher l’existence d’une infraction, de déterminer quels en sont les auteurs, de préciser les circonstances dans lesquelles elle a été commise et, lorsque cet ensemble d’éléments constitue à l’égard des auteurs des charges suffisantes, d’aboutir au renvoi de ceux-ci devant la juridiction compétente. La rédaction volontairement elliptique – mais néanmoins complétée par la mention de toutes les juridictions et autorités administratives – permet d’englober, dans tous les autres domaines, tous les actes de ces organes susceptibles de conduire à la mise en cause du chef de l’État.
Pour des raisons de clarté rédactionnelle et pour éviter d’attacher aux procédures visées une coloration seulement pénale, il conviendrait sans doute de mentionner plus généralement que le Président ne peut faire l’objet d’une quelconque action devant une juridiction ou une autorité administrative (amendement n° 1).
Si la suspension de tous ces actes le temps du mandat présidentiel ne semble pas devoir soulever de questions dirimantes, en revanche, la question du témoignage a fait débat. Si le Président souhaite témoigner, de son propre chef, il peut toujours le faire. Par exemple, s’il est témoin d’un accident de la circulation, il sera libre d’apporter sa version des faits.
En revanche, il est exclu qu’il soit requis de le faire. En effet, dans ce cadre, s’il refusait, comme l’a estimé la Cour de cassation, dans son arrêt d’assemblée du 10 octobre 2001 précité, il serait soumis à sanction, subpoena ad testificandum dirait un tribunal américain. Or, l’inviolabilité temporaire que lui confère sa fonction l’interdit.
L’exemple américain ne saurait, en la matière, servir de modèle, mais permet d’illustrer le caractère délicat du débat. Pour la première fois dans l’histoire des États-Unis, à l’occasion de l’enquête menée par le procureur indépendant M. Kenneth Starr contre le Président Clinton – on ne se situe pas à ce stade dans la procédure de l’impeachment, mais en amont –, s’est posée la question du témoignage de ce dernier devant un jury d’accusation. Le Président en exercice a ainsi été sommé de comparaître personnellement devant un grand jury, traditionnellement chargé dans la procédure criminelle aux États-Unis d’établir la mise en accusation, et a fait l’objet d’une subpoena, c’est-à-dire d’une citation à comparaître sous contrainte. Après d’âpres négociations, la subpoena a été retirée et il a été admis que le Président témoignerait depuis la Maison Blanche, reliée directement par télévision au bâtiment dans lequel siégerait le grand jury. Que se serait-il passé si le Président, arguant de sa qualité, avait refusé de témoigner ? Aurait-il pu être inculpé pour outrage à la justice (contempt) et condamné pour ce faire par les tribunaux ? Saisie de la question a posteriori, la Cour suprême ne l’a pas tranchée et s’est contentée de relever que le témoignage du Président peut être recueilli sur place, à la Maison Blanche, et qu’il n’est pas obligé de comparaître en personne (106).
— Le caractère temporaire de l’inviolabilité
Le dernier alinéa de l’article 67 de la Constitution, dans la rédaction du présent projet de loi constitutionnelle, adoptant la solution proposée par la Cour de cassation dans son arrêt précité du 10 octobre 2001 et reprise par la commission Avril, dispose que « les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions ».
Ainsi, un mois après le terme de son mandat, le Président, rendu à « la classe des citoyens », selon les termes employés par la Constitution de 1791 (107), redevient un justiciable ordinaire que plus rien ne protège, même pas le temps écoulé pendant l’exercice de son mandat. Il peut alors être poursuivi pour des actes commis avant le début de son mandat ou durant celui-ci. Selon la commission Avril, ce délai d’un mois est utile « pour prémunir contre ce que la précipitation pourrait avoir d’inconvenant, et pour sauvegarder les droits des tiers » (108).
Le délai d’un mois s’apprécie à partir de la cessation des fonctions, ce qui s’apprécie non seulement au regard de la fin « normale » du mandat, parce que celui-ci aura duré cinq ans, ou, en cas de réélection, dix ans…, mais aussi à l’aune d’une fin « précipitée », pour cause de destitution. Reste posée la question de savoir si un Président qui aurait été destitué à raison de faits susceptibles de faire l’objet d’une peine criminelle doit bénéficier d’un tel délai.
En outre, il faut s’interroger pour savoir si la prescription fait bien partie des « instances et procédures » visées par l’alinéa précité.
On pourrait considérer que la question pourrait être réglée directement par les tribunaux. On sait, en effet, qu’en l’absence de prévision légale expresse, la jurisprudence applique la notion de suspension chaque fois que l’exercice de l’action publique rencontre un obstacle de droit ou de fait (109), ce qui serait indéniablement le cas lorsque la poursuite se heurterait à l’inviolabilité présidentielle temporaire.
Mais, pour plus de clarté, la commission Avril propose de « permettre que des procédures puissent normalement être engagées ou reprises après la fin du mandat, ce qui suppose que soient aménagées les règles de prescription ou de forclusion », tout en considérant que « faute de vouloir les régler en détail dans la Constitution elle-même, (elle) propose de les renvoyer à la loi organique, non sans avoir indiqué leur objet ». Si ces règles de prescription et de forclusion se déduisent de la rédaction proposée, elles n’y figurent pas en tant que telles. Sans doute conviendrait-il de prévoir dans le texte de la Constitution elle-même la suspension des délais de prescription et de forclusion (amendement n° 2).
Cette précision serait d’autant plus importante qu’il convient de garantir la compatibilité de l’inviolabilité temporaire du Président de la République avec les obligations internationales de la France et, en particulier, avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés européennes, notamment dans son article 6, paragraphe 1 (110), qui stipule le droit à un procès équitable. De manière constante, la Cour européenne des droits de l’homme s’attache non seulement à vérifier la conformité de l’ordre légal aux droits garantis par ladite convention, mais aussi à contrôler le caractère effectif de ces droits. Ainsi, seule la suspension de la prescription et des délais de forclusion serait susceptible de préserver les droits des tiers et de garantir leur accès réel à la justice en cas de conflit privé avec le titulaire de la fonction présidentielle.
La commission Avril, dans son rapport, a pu faire la démonstration de la compatibilité de son projet avec la convention précitée (111), la procédure de destitution permettant, en dernière analyse, si les faits considérés ont entraîné un tel préjudice qu’ils ont justifié cette procédure, de rendre la personne du Président à la justice ordinaire.
Ainsi, si ces dispositions étaient retenues, le régime de responsabilité du Président de la République pourrait être articulé autour de trois axes.
— Pour les actes commis, en tant que Président de la République, pour accomplir ses fonctions et donc non détachables de celles-ci, il bénéficierait :
• d’une irresponsabilité judiciaire, sous réserve d’une action de la Cour pénale internationale ;
• d’une irresponsabilité politique, sous réserve de l’engagement d’une procédure de destitution, si les manquements sont incompatibles avec ses fonctions.
— Pour les actes commis en tant que personne avant le mandat ou détachables de celui-ci, le Président serait soumis à :
• une inviolabilité temporaire s’accompagnant d’une suspension de tout délai prescription et de forclusion ;
• une irresponsabilité politique.
— Pour les actes « privés » accomplis avant et révélés ou accomplis pendant le mandat (112), suffisamment graves pour atteindre la fonction, si graves qu’ils en deviennent non détachables de celle-ci (113), le statut du Président obéirait à :
• une inviolabilité temporaire s’accompagnant d’une suspension de tout délai prescription et de forclusion ;
• une responsabilité politique sanctionnée par une procédure de destitution.
Au nom de l’éminence des missions constitutionnelles du chef de l’État, le principe d’égalité républicaine se trouve en quelque sorte « gelé » pendant la durée de son mandat. Mais, en tout état de cause, il sera « dégelé », soit au terme normal du mandat, soit, de manière prématurée, par une action politique volontariste grâce au vote de la destitution, lorsque les atteintes aux missions constitutionnelles sont telles que le « gel » ne se justifie plus.
RÉGIME DE RESPONSABILITÉ DU CHEF DE L’ÉTAT | |||
Type d’actes |
Actes commis |
Actes commis |
Après le mandat |
Projet de loi constitutionnelle | |||
Actes « privés » |
Inviolabilité temporaire |
Inviolabilité temporaire |
Reprise ou enclenchement de la procédure de droit commun |
Actes « publics » |
— |
Immunité |
Immunité |
Actes « anormaux » |
Destitution |
Destitution |
Reprise ou enclenchement de la procédure de droit commun si nécessaire (1) |
(1) Une procédure judiciaire se justifie si les actes en cause peuvent donner lieu à poursuite, n’ont pas déjà été prescrits ou amnistiés, par exemple, dans le cas de faits de corruption graves comme cela s’est passé dans plusieurs pays d’Amérique latine. |
L’article 68, dans la nouvelle rédaction proposée par le présent projet de loi constitutionnelle, s’attache à définir la nouvelle procédure de destitution appelée à remplacer l’antique procédure devant la Haute Cour de justice pour haute trahison. Le roi était inviolable. Le Président de la République était irrévocable. Avec le présent projet de la loi constitutionnelle, il pourrait être révoqué.
— Un manquement par le Président à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat
Un Président de la République qui aurait gravement manqué aux devoirs de sa charge, par des faits qu’il aurait commis soit avant, soit pendant son mandat, serait susceptible d’être destitué par les deux assemblées réunies en Haute Cour. La notion de haute trahison, aussi confuse qu’obsolète, doit disparaître pour être remplacée par la référence à « un manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ».
L’idée de destitution proposée par la commission Avril, qui a souhaité l’acclimater à notre pays, est ainsi reprise. La procédure ne vise pas à qualifier pénalement les faits qui pourraient être reprochés au Président de la République. Il ne s’agit pas d’une procédure judiciaire car « s’égare l’autorité quand elle (…) transporte sur le terrain judiciaire toutes les forces, toutes les armes dont elle est pourvue sur le terrain politique » (114). Si un manquement grave aux devoirs de sa charge peut rendre nécessaire la mise en cause du mandat présidentiel, l’appréciation, comme dans le cas devenu obsolète de la haute trahison, doit être politique. C’est en cela que la destitution se rapprocherait d’une procédure d’impeachment, telle que prévue aux États-Unis. Celle-ci constitue d’abord une procédure politique, même si elle peut être déclenchée pour des crimes et des délits – « high crimes and misdemeanors » dit la Constitution de 1787 qui ne les définit cependant pas – tout en n’excluant pas la possibilité pour la partie concernée d’être ultérieurement « poursuivie, jugée et condamnée pénalement conformément au droit commun ». On se rapprocherait aussi de ce qui, aux États-Unis, est constitutif d’une « impeachable offense », à savoir des atteintes graves au fonctionnement des institutions (« serious offenses against the system of government ») (115) et incompatibles avec les devoirs de la charge (« incompatible with the duties of the office ») (116). Dans le cadre de la procédure qui nous est proposée comme dans celle de l’impeachment aux États-Unis, il est impossible de dresser a priori une liste des actes susceptibles de justifier une destitution. L’appréciation des faits et leur qualification ne peut que dépendre des circonstances.
D’une part, la transposition d’une telle procédure pourrait permettre de résoudre les crises d’une exceptionnelle gravité mettant en cause l’attitude d’un Président de la République oublieux, outre mesure, des devoirs de sa charge.
D’autre part, elle ne pourrait être utilisée qu’avec une extrême prudence par le Parlement, dès lors que son effet, l’ouverture d’une vacance de la Présidence de la République ou, si le Président en décide, la dissolution de l’Assemblée nationale, serait radical.
Et les cas étrangers précités ne pourraient sans précaution servir d’exemples, dès lors que le caractère radical de la crise est souvent atténué, dans un régime présidentiel classique de type nord ou sud-américain, par l’existence d’un vice-président. Il faut se souvenir du cas du Président Nixon. Son premier vice-président, Spiro T. Agnew, élu en même temps que lui une première fois en 1968 et une seconde fois en 1972, fut contraint de démissionner dès octobre 1973 sous le coup d’une accusation d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent. Il fut remplacé par M. Gerald R. Ford, qui, lui-même, devint Président des États-Unis le 9 août 1974, sans jamais avoir été élu directement par le peuple, une fois que Richard Nixon fut contraint, à son tour, de démissionner, avant l’aboutissement de la procédure d’impeachment engagée contre lui.
Chaque pouvoir doit équilibrer l’autre et lorsque le déséquilibre est si fort qu’un retour à la normale ne peut intervenir sans aide extérieure, il convient de faire appel au peuple. Comme l’écrit Benjamin Constant, « le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, et le pouvoir judiciaire, sont trois ressorts qui doivent coopérer, chacun dans sa partie, au mouvement général : mais quand ces ressorts dérangés se croisent, s’entre-choquent et s’entravent, il faut une force qui les remette à leur place. Cette force ne peut pas être dans l’un des ressorts, car elle lui servirait à détruire les autres. Il faut qu’elle soit en dehors, qu’elle soit neutre, en quelque sorte, pour que son action s’applique nécessairement partout où il est nécessaire qu’elle soit appliquée, et pour qu’elle soit préservatrice, réparatrice, sans être hostile. » (117) Monarque constitutionnel chez Benjamin Constant, cette force est, dans notre Constitution, la souveraineté du peuple.
— Les conséquences de la destitution
La procédure d’une destitution n’a que deux issues possibles : la destitution ou la fin de l’empêchement provisoire du Président provoqué par la décision des deux assemblées de réunir la Haute Cour. Juridiquement, prise en elle-même, la destitution n’est rien de plus qu’une destitution, une mesure administrative, un acte de bonne administration de la vie publique. Ce n’est pas une sanction de nature pénale. Elle ne préjuge pas des suites judiciaires des actes du titulaire de la fonction présidentielle, redevenu en raison de sa destitution un « citoyen ordinaire ». Comme le dit la Constitution américaine, « la sentence dans les cas d’impeachment ne pourra excéder la destitution (…), mais la partie condamnée n’en sera pas moins responsable et sujette à accusation, procès, jugement et punition, conformément à la loi ».
Ainsi, dans le système proposé, mais contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, où le Président est remplacé par le vice-président, la conséquence logique de la destitution est l’organisation d’une nouvelle élection présidentielle à laquelle peut se présenter le Président destitué. Ainsi, le conflit entre le Parlement et le Président, en cas de destitution comme en cas de dissolution, est résolu par l’élection et, en donnant ainsi le dernier mot au peuple, Rousseau sera entendu : « c’est à l’estime publique à mettre de la différence entre les méchans et les gens de bien ; le Magistrat n’est juge que du droit rigoureux ; mais le peuple est le véritable juge des mœurs ; juge intègre et même éclairé sur ce point, qu’on abuse quelquefois, mais qu’on ne corrompt jamais. » (118)
Dans cette démonstration, il convient cependant de mentionner le cas d’un Président de la République destitué qui souhaiterait se représenter mais qui, n’étant plus protégé par l’inviolabilité liée à ses fonctions antérieures, serait poursuivi. À cet égard, il serait placé dans la même position que les autres candidats qui, sous réserve de leur éventuelle qualité de parlementaire, pourraient être poursuivis dans les mêmes conditions.
— La composition et la dénomination de l’institution chargée de prononcer la destitution
La Haute Cour – qui ne sera plus « de justice », afin de marquer son caractère non juridictionnel –, est composée de l’ensemble des parlementaires, députés et sénateurs, comme cela existe, par exemple, dans le système autrichien pour les actes du Président fédéral non susceptibles de faire l’objet de poursuites pénales (119).
La dénomination de cette instance, par l’image qu’elle véhicule, doit retenir l’attention. Sa composition l’assimile tout à fait au Congrès du Parlement convoqué dans le cadre d’une révision constitutionnelle conduite sur le fondement de l’article 89 de la Constitution. Si la nature politique de la destitution doit être affirmée, la dénomination de Haute Cour la rapproche d’une juridiction. De ce point de vue, l’omission du terme « justice » ne change que peu de chose. Elle distingue cependant suffisamment la nouvelle institution de l’ancienne Haute de Cour de justice pour mériter d’être retenue.
— La mise en œuvre de la procédure
L’initiative de réunir la Haute Cour est prise indifféremment par l’une ou l’autre des assemblées ; il revient à la seconde, qui doit inscrire la question à l’ordre du jour, de l’accepter ou de la refuser. Chacune s’exprime par le biais d’une résolution.
La procédure est enfermée dans des délais brefs. La seconde assemblée saisie dispose de quinze jours pour se prononcer. Si elle suit la décision de la première assemblée, la Haute Cour est réunie. Cette dernière doit se prononcer dans les deux mois, à bulletins secrets.
La procédure retenue vise à permettre qu’il soit mis fin à une situation dont le caractère intolérable est manifeste. Dans sa philosophie, la destitution n’a pas, en effet, pour objet de renverser un adversaire politique mais de mettre fin à une situation politiquement et socialement insupportable, situation que le parti auquel appartient le Président ainsi mis en cause n’aura aucun intérêt à prolonger, comme dans le cas précité de la destitution du Président Collor au Brésil.
— La question de la majorité retenue pour la décision de réunir la Haute Cour et pour la décision de destituer le Président
Dans l’utilisation de l’adverbe « manifestement » pour qualifier les manquements incompatibles avec les fonctions présidentielles qui pourraient justifier la destitution, la commission Avril place son espoir de voir la décision dépasser les clivages partisans.
La procédure s’accompagne d’une règle de décision à la majorité des membres composant chaque assemblée appelée à intervenir dans la procédure, à bulletins secrets pour le vote de la Haute Cour sur la destitution.
La prise en compte de la majorité des membres composant l’assemblée concernée, soit l’Assemblée nationale, soit le Sénat, soit la Haute Cour, pour l’adoption des résolutions de réunion de cette dernière et pour le prononcé de la destitution, est inspirée par la procédure utilisée pour l’actuel jugement pour haute trahison et pour le vote de la motion de censure.
En outre, le choix d’une majorité qui n’est pas, à proprement parler, qualifiée – comme une majorité des deux tiers ou des trois cinquièmes par exemple – permettrait d’éviter la situation de doute qui résulterait d’une décision qui serait prise à la majorité absolue mais qui n’atteindrait pas cette majorité qualifiée requise pour décider de la réunion de la Haute Cour ou de la destitution. Et ce doute se transformerait en soupçon dès lors que chacun pourrait considérer à bon droit que les manquements examinés par les assemblées sont manifestement incompatibles avec le maintien en fonctions du titulaire de la Présidence de la République.
Ces deux arguments méritent un examen attentif.
Le premier établit un parallèle avec la procédure de motion de censure qui, cependant, ne saurait être assimilée à une procédure de destitution. Dans le premier cas, nous sommes dans le cadre normal du régime parlementaire. Dans le second, nous sortons de ce schéma classique pour entrer dans une véritable crise de fonctionnement institutionnel, le Président de la République étant lui-même en cause. La procédure de destitution est d’une autre nature et, par sa gravité et son impact, s’approcherait plus d’une mise en cause, certes ponctuelle, mais substantielle du régime lui-même. Elle est personnelle et sanctionne un comportement, la censure est collective et sanctionne une politique.
Le second argument lie difficulté à atteindre la majorité qualifiée et crédibilité du processus. Il n’est pas illogique de considérer que seule une majorité qualifiée peut assurer le dépassement des clivages partisans et que seule une décision prise avec une telle majorité peut, d’une part, en garantir la crédibilité et, d’autre part, donner une substance à l’adverbe « manifestement » dans la définition des manquements susceptibles de conduire à la destitution.
Aussi il ne serait peut-être pas inutile de porter la majorité requise à une majorité des trois cinquièmes, soit 60 % des membres composant l’assemblée concernée (amendement n° 3). Cette proportion se rapprocherait de celle requise pour l’adoption par le Congrès du Parlement d’une révision constitutionnelle sur le fondement de l’article 89 de la Constitution qui exige une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le tableau ci-après présente la traduction numérique appliquée aux effectifs théoriques de chaque assemblée, compte tenu de l’évolution prévisible des effectifs du Sénat.
LES DIFFÉRENTES MAJORITÉS | ||
ASSEMBLÉE |
EFFECTIFS |
MAJORITÉ |
Majorité des trois cinquièmes (1) | ||
Assemblée nationale |
577 |
347 |
Sénat 2004 |
331 |
199 |
Sénat 2008 |
341 |
205 |
Sénat 2011 |
346 |
208 |
Congrès 2004 |
908 |
545 |
Majorité absolue des membres (2) | ||
Assemblée nationale |
577 |
289 |
Sénat 2004 |
331 |
166 |
Sénat 2008 |
341 |
171 |
Sénat 2011 |
346 |
174 |
Congrès 2004 |
908 |
455 |
(1) Lors de la révision constitutionnelle, la majorité des trois cinquièmes s’entend des suffrages exprimés. | ||
(2) Article 68 du Règlement de l’Assemblée nationale : « Lorsque la Constitution exige pour une adoption la majorité absolue des membres composants l’Assemblée, cette majorité est calculée sur le nombre de sièges effectivement pourvus » (par exemple pour le vote de la motion de censure, référence de la commission Avril). |
À l’appui de cette argumentation, on peut invoquer l’exemple américain qui est conçu – nonobstant ses dérives qui sont largement indépendantes de l’impeachment lui-même –, à l’image de la procédure de destitution qui nous est proposée, comme un correctif exceptionnel à l’irresponsabilité et à l’inviolabilité temporaire présidentielle. Et, afin d’éviter qu’il ne devienne un moyen ordinaire de poursuite d’une responsabilité dont on écarterait le principe, le constituant américain a pris certaines précautions, dont la majorité des deux tiers des présents requise pour prononcer la sanction semble être la principale, parce qu’elle résulte expressément de la Constitution. La même logique pourrait être appliquée au cas français.
— L’empêchement provisoire du Président et les conditions de l’intérim
Contrairement à ce qui se produit lorsque la Chambre des Représentants adopte à la majorité simple des présents la mise en accusation, l’impeachment, du Président des États-Unis, qui conserve la plénitude de ses prérogatives, la convocation de la Haute Cour vaudrait empêchement provisoire du chef de l’État. Si le Président n’est pas destitué, il retrouve la plénitude de son mandat. S’il est destitué il redevient un citoyen et un justiciable ordinaire, susceptible le cas échéant de sanctions pénales dans les conditions du droit commun.
L’intérim de la Présidence de la République serait assuré selon les règles fixées par le quatrième alinéa de l’article 7 de la Constitution qui en confie la responsabilité au Président du Sénat (120). Dans l’hypothèse où ce dernier serait à son tour empêché, l’intérim serait confié au Gouvernement. Cet intérim commencerait dès l’adoption par la deuxième chambre de la décision de réunir la Haute Cour.
L’étendue des pouvoirs du Président intérimaire est limitée. Il ne peut ni soumettre un projet de loi au référendum en application de l’article 11 de la Constitution, ni prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale en application de l’article 12. En dehors de ces obstacles, il exerce la plénitude des prérogatives présidentielles, y compris celles dont il dispose en vertu de l’article 16.
— La question de l’usage éventuel par le Président de la République
de son droit de dissolution de l’Assemblée nationale
Le cas d’une crise politique majeure rend crédible le recours à tout moyen constitutionnel dont dispose le Président pour la régler. La question de l’utilisation éventuelle de son droit de dissolution de l’article 12 de la Constitution doit donc être posée.
On peut avancer l’hypothèse d’un Président de la République qui, alors qu’une proposition de résolution de convocation de la Haute Cour est discutée devant l’une des deux assemblées et avant que ne soit décidée cette convocation
– qui emporte l’empêchement du chef de l’État –, décide de recourir à cette faculté. La décision de dissoudre fait partie des décisions du Président de la République qui, en application de l’article 19 de la Constitution, sont dispensées de tout contreseing. L’article 12 précité ne lui impose que de consulter le Premier ministre et les Présidents des assemblées. L’hypothèse est donc bien celle d’un conflit entre le Parlement et le chef de l’État.
Cette hypothèse, si elle n’est pas invraisemblable, n’est pas non plus scandaleuse. Pour reprendre la démonstration de Jules Ferry applicable au Président de la IIIe République, mais transposable en l’espèce, dans les mêmes termes, à celui de la Ve, « la dissolution, c’est le remède aux grands imprévus, il a des questions qui ne peuvent attendre, il y en a que la consultation ne peut résoudre. (…) Le droit de dissolution n’est pas un droit monarchique, pas plus que le Président de la République n’est un monarque. C’est un droit nécessaire, c’est la régulation du régime constitutionnel, c’est le moyen de résoudre les conflits insolubles qui peuvent se prolonger indéfiniment. (…) Ôter au Président de la République le droit de dissolution c’est le reléguer au rang d’une institution nominale ou décorative. » (121)
En l’espèce, on peut considérer, sans difficulté, que la décision de dissoudre appelle le peuple souverain à se prononcer sur la résolution du conflit. La procédure de destitution engage la responsabilité du Président mais aussi celle du Parlement, dont la décision fera l’objet d’une forme d’appel devant le peuple. Par exemple, les électeurs, en reconduisant la majorité de l’Assemblée nationale qui s’apprêtait à adopter une proposition de convocation de la Haute Cour, rendraient la position du Président particulièrement délicate en confirmant la légitimité des membres de l’Assemblée dissoute. Si ce dernier se maintient en fonctions – en droit, il pourrait le faire –, l’interdiction qui lui est faite de recourir à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit ces élections permettra au Parlement réuni en Haute Cour de le destituer.
En sens inverse, l’élection d’une majorité différente pourrait être regardée comme un désaveu populaire de la procédure engagée ou envisagée.
— Le renvoi à une loi organique
Les détails de la procédure sont renvoyés à une loi organique. Sans qu’il soit besoin, à ce stade, de prendre position sur son contenu, il est possible de rappeler les propositions faites par la commission Avril sur celui-ci.
Elle propose qu’« aucune proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour n’est recevable si elle n’est motivée et signée par le dixième des membres de l’assemblée concernée. Un membre du Parlement ne peut être signataire que d’une seule proposition de réunion de la Haute Cour au cours du même mandat présidentiel. »
Elle suggère que « le vote d’une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour est inscrit de droit à l’ordre du jour de l’assemblée concernée au plus tard le quatorzième jour qui suit son dépôt ».
Elle envisage qu’« en cas de saisine de la Haute Cour, le bureau de celle-ci se réunit aussitôt. Il est formé de la réunion des bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, à l’exception du Président de ce dernier. Il est présidé par le Président de la Haute Cour. »
Elle prévoit qu’« en cas de saisine de la Haute Cour, les vice-présidents des deux assemblées se réunissent en une commission qui élit son président et examine la proposition de résolution ».
Enfin, elle serait favorable à ce que « les débats de la Haute Cour (soient) publics. Seuls peuvent y prendre la parole le Président de la République ou son représentant, le Gouvernement et les membres de la Haute Cour. Le temps de parole est limité. Le Président de la République ou son représentant peut prendre ou reprendre la parole en dernier. Le vote doit commencer au plus tard quarante-huit heures après l’ouverture de la séance. »
La Commission a examiné le présent projet de loi constitutionnelle au cours de sa première réunion du mercredi 20 décembre 2006.
Après l’exposé du rapporteur, une discussion générale a eu lieu.
Après avoir remercié le président de lui accorder la parole dans le cadre de l’article 38 du Règlement, M. Édouard Balladur a souhaité faire part de ses interrogations et perplexité sur le projet de loi constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution.
Il a tout d’abord relevé que l’inscription d’une telle question à l’ordre du jour de l’Assemblée à la fin du mandat du Président de la République traduisait une certaine forme de désintéressement justifiant son examen dans ces conditions.
Il a ensuite observé qu’aux États-Unis, les responsables américains n’avaient pas pour autant déduit de l’« affaire Clinton » qu’il fallait modifier leurs règles antérieures.
Insistant sur les caractéristiques de la tradition française en matière de responsabilité du chef de l’État, marquée à ses yeux par l’irresponsabilité politique sauf en cas de haute trahison et l’application, dans les autres circonstances, des règles de droit commun, il a rappelé que sur ces fondements, le Président Raymond Poincaré avait été appelé à témoigner au sujet de l’assassinat de Gaston Calmette, directeur du Figaro, par l’épouse du ministre des finances, Joseph Caillaux et, plus récemment, six mois après son élection, le Président Valéry Giscard d’Estaing avait été cité devant le tribunal correctionnel de Paris pour une affaire d’affiches de campagne. Il a ajouté que M. Jean Foyer, que l’on ne peut soupçonner de vouloir porter atteinte à la solidité de nos institutions, considérait lui aussi que le droit commun devait s’appliquer, tout comme l’un des rédacteurs de la Constitution de 1958, Raymond Janot.
Citant l’exposé des motifs, aux termes duquel le contenu du projet de loi constitutionnelle se justifierait par « la nécessité de ne pas affaiblir le Président de la République en en faisant un justiciable ordinaire, eu égard au risque d’affaiblissement qu’entraînerait pour la fonction présidentielle une mise en cause de la responsabilité du chef de l’État dans les conditions du droit commun », il a estimé que l’article unique soumis au vote de la Représentation nationale constitue une novation importante, qu’il faut qualifier comme telle.
M. Édouard Balladur a alors souhaité soulever deux questions, appelant à ses yeux des clarifications.
Indiquant que le Président de la République ne pourra, durant son mandat, faire l’objet d’aucun acte d’information, d’instruction ou de poursuite, ce qui signifie qu’aucune plainte à son encontre ne sera recevable pendant l’exercice de ses fonctions, il s’est demandé si, dans l’hypothèse d’un banal accident de la route impliquant le chef de l’État et débouchant sur un dommage corporel, voire un décès, alors que le citoyen conduisant l’autre véhicule ne pourra porter plainte contre lui, il lui serait possible de porter plainte contre ce même citoyen. Il a estimé que, dans l’affirmative, le Président de la République bénéficierait d’un privilège, source d’inégalité difficilement justifiable devant l’opinion publique, et que, dans la négative, le nouveau statut pénal du chef de l’État, loin de le protéger davantage, limiterait les garanties qui lui sont reconnues et consacrerait ainsi une forme d’affaiblissement.
Déclarant par ailleurs ne pas comprendre le raisonnement de la Cour de cassation, dans son arrêt de 2001, prohibant le témoignage du Président de la République au motif qu’il ne saurait être requis par la force et négligeant le fait que le Président de la République pourrait aussi fort bien déférer volontairement à une convocation du juge, il s’est également interrogé sur le sens à donner à la disposition du texte interdisant que le chef de l’État soit requis de témoigner. Il a considéré indispensable de préciser si, en l’espèce, l’interdiction a une portée générale et concerne toute demande de témoignage ou si elle ne vise que les demandes assorties d’un recours à la force, estimant que faute d’une telle clarification, on pourrait croire que le texte cherche à dispenser le Président de la République de témoigner avant la fin de son mandat dans toutes les affaires où son concours peut être urgent pour la justice.
En réponse, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :
— Aux États-Unis, l’« affaire Clinton » a eu de réelles répercussions sur la législation, puisque les dispositions de l’Ethics in Government Act de 1978, qui avaient créé l’institution du procureur indépendant à la suite de l’affaire du Watergate et qui avaient un caractère temporaire, ont été prolongées en 1994 pour cinq ans mais ne l’ont pas été ensuite.
— Dans le litige de 1974, le Président Valéry Giscard d’Estaing avait proprio motu accepté de témoigner et le tribunal en avait pris acte. De ce fait il n’est pas possible de tirer une règle générale qui imposerait au Président de la République d’être entendu comme témoin.
En revanche, le dispositif proposé par le présent projet de loi constitutionnelle ne lui interdira en aucun cas d’apporter son témoignage de son propre chef. Dès lors que l’article 67, dans la rédaction proposée, interdit qu’il soit requis de témoigner, il n’est pas nécessaire de prévoir explicitement, dans le même mouvement, ce qui est a contrario autorisé, sous peine d’alourdir, sans nécessité, le texte constitutionnel.
— L’inviolabilité temporaire prévue en faveur du Président de la République emporte sans nul doute une différence de traitement par rapport au citoyen ordinaire. Un tiers pourra porter plainte contre le Président en cas de dommage causé par lui à titre personnel, mais il devra attendre la fin du mandat pour voir celle-ci avoir des suites, étant précisé qu’il bénéficiera, en contrepartie, d’une suspension des délais de prescription et de forclusion. Dans le cas précis d’un accident de la circulation impliquant un véhicule qui serait conduit par le Président lui-même, la victime pourrait, en tout état de cause, demander à bénéficier du fonds de garantie mis en place par la loi du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation. À l’inverse, il convient de relever que le Président, compte tenu de la suspension des délais de prescription, se trouve dans une situation plus défavorable qu’un « citoyen ordinaire ». Par exemple, un fait qui serait prescrit au bout de trois ans pour ce dernier continuerait à pouvoir fonder une action publique ou une plainte avec constitution de partie civile contre le Président de la République dès lors que ce fait serait intervenu avant la troisième année précédant la fin de son mandat.
En pratique, comme ont pu le faire observer les personnes auditionnées, notamment les membres de la commission Avril, le nombre de cas dans lequel les droits des tiers seraient atteints de manière irréversible serait infinitésimal.
— Enfin, il convient de relever que si la destitution du chef de l’État apparaît comme une réelle novation dans notre droit, elle existe dans la très grande majorité des démocraties, comme l’a montré la commission Avril.
M. Édouard Balladur a estimé que les observations du rapporteur quant à la possibilité pour le Président de la République d’accepter d’être poursuivi ou de témoigner seraient tout à fait recevables si la rédaction du projet de loi était différente. Il serait donc souhaitable que la Constitution précise explicitement qu’il appartient au Président de la République de décider s’il accepte ou non d’être poursuivi ou de témoigner.
M. Claude Goasguen a estimé qu’il fallait faire une lecture impérative du texte proposé pour l’article 67 de la Constitution, y compris concernant la possibilité de témoigner. En effet, laisser au libre choix du Président de la République l’opportunité ou non de témoigner entraînerait d’importantes conséquences politiques selon la décision qu’il prendrait, notamment si au cours de son mandat il était conduit à agir différemment.
Concernant l’article 68, il est important de tenir compte du nouveau contexte induit par le quinquennat et la concordance des calendriers électoraux présidentiel et législatif. Ainsi, il ne faut pas exclure une utilisation contraire à l’esprit des institutions de la nouvelle procédure, par exemple en cas de conflit interne à la majorité, notamment pour mettre en cause un Président changeant de politique en cours de mandat ou pour se prémunir d’un risque de dissolution par le Président de la République.
Compte tenu du risque de crise institutionnelle majeure induit par cette procédure, la question de la nature de l’organe qui sera chargé de l’instruction d’une demande de destitution est capitale. Certes, la loi organique devra le préciser, mais il serait souhaitable de disposer d’informations sur ce sujet pour que la procédure choisie offre toutes les garanties possibles. Afin d’éviter une utilisation politique de la procédure de destitution, il serait d’ailleurs préférable de confier l’instruction de l’affaire à un organe autonome, soit judiciaire, soit créé ad hoc. À l’inverse, confier ce pouvoir aux assemblées parlementaires chargées de déclencher la procédure pourrait favoriser des abus de droit. Compte tenu de l’importance de cette question, une inscription dans la Constitution serait préférable à un simple renvoi à la loi organique.
M. André Vallini a souhaité rappeler, à titre liminaire, que la réforme du statut pénal du chef de l’État avait constitué une des promesses électorales du Président réélu en 2002 qui s’était alors engagé à ce qu’un texte soit déposé très rapidement. Tout en notant un certain retard au regard de ces engagements, il s’est félicité que ce texte vienne maintenant en discussion. Il a aussi indiqué que le Groupe Socialiste est très attaché à ce que la réforme aboutisse avant la fin de l’actuelle législature, même si cela doit impliquer la convocation d’un Congrès après l’interruption des travaux qui devrait intervenir à la fin du mois de février prochain.
Abordant les questions de fond posées par le projet de loi constitutionnelle, M. André Vallini a indiqué que la réponse donnée par le projet à la question du statut pénal du chef de l’État ne va pas de soi et que certains parlementaires socialistes – dont il ne fait cependant pas partie – de même que d’éminents spécialistes de droit constitutionnel préconisent à l’inverse une réforme tendant à supprimer le privilège de juridiction et l’immunité du Président de la République durant son mandat, le Président devant, à leurs yeux, être considéré comme un citoyen ordinaire.
S’agissant de l’amendement du rapporteur tendant à élever le seuil requis pour enclencher une procédure de destitution du Président et adopter celle-ci, en le faisant passer à la majorité qualifiée des trois cinquièmes des membres de chaque assemblée ou de la Haute Cour, M. André Vallini a indiqué que, consulté par le rapporteur la semaine précédente avec M. Jean-Marc Ayrault, président du Groupe Socialiste, ils avaient alors émis un avis favorable. Il a toutefois tenu à souligner que, compte tenu du mode d’élection actuel du Sénat, il serait plus facile de destituer un Président de gauche qu’un Président de droite. Tout en se déclarant très attaché au bicamérisme, il a estimé souhaitable que soit engagée parallèlement une réforme profonde des modalités d’élection des sénateurs.
S’agissant de la question de l’instruction des affaires soumises à la Haute Cour, M. André Vallini a souhaité qu’elle soit abordée dès les travaux préparatoires de la révision constitutionnelle et a suggéré qu’elle soit confiée à la Cour de cassation.
M. Guy Geoffroy, président, soulignant la dimension politique contenue par ce projet, a souhaité rappeler que la réforme du quinquennat avait rendu plus improbables, quoique encore possibles, les cas de cohabitation en cours de mandat présidentiel.
M. Claude Goasguen a émis la crainte que la mise en place d’un tel système, dans lequel le Président de la République dispose du droit de dissoudre l’Assemblée tandis que le Parlement peut engager une procédure de destitution du Président de la République, n’aboutisse, en cas de conflit ouvert, à une sorte de course de vitesse entre ces institutions.
Il a également estimé nécessaire que soit d’ores et déjà précisé qu’il reviendra à un organe extérieur au Parlement, en l’occurrence la Cour de cassation, d’instruire les affaires dont sera chargée la Haute Cour, dans le but d’éviter la mise en œuvre d’une procédure purement politique et de contrôler l’exactitude des « manquements manifestement incompatibles avec l’exercice du mandat ».
Partageant les réserves émises par M. Claude Goasguen, M. André Vallini a estimé que les députés, conscients du risque que le Président de la République décide de dissoudre l’Assemblée nationale en cas d’adoption par l’une des chambres d’une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour – la seconde chambre disposant d’un délai de quinze jours pour se prononcer sur cette proposition –, pourraient être découragés de voter une telle proposition, rendant peu opérante la procédure mise en place par le projet.
M. Édouard Balladur a estimé nécessaire de bien distinguer, d’un côté, l’acte politique que constitue la procédure de destitution et, de l’autre, la procédure judiciaire qui, elle, devra reprendre son cours après la fin du mandat présidentiel. Rappelant avoir préparé en 1986 les ordonnances que le Président Mitterrand avait refusé de signer, il a considéré que ce refus allait assurément à l’encontre de l’esprit de la Constitution de 1958, mais que la Cour de cassation n’avait aucune légitimité pour connaître d’un tel acte politique qui ne constitue nullement un fait délictueux. Lui confier l’instruction de la destitution reviendrait à donner un tour judiciaire à une affaire qui doit garder une seule dimension politique.
Le rapporteur, en réponse aux différents intervenants, a présenté les observations suivantes :
— Le cas de la destitution du Président Fernando Collor au Brésil en 1992 est intéressant, car il constitue un bon exemple de procédure de destitution utilisée par la majorité présidentielle pour mettre fin aux fonctions d’un titulaire de la fonction suprême pour des manquements, en l’espèce des faits de corruption aggravés, manifestement incompatibles avec son maintien en place.
— Avant que la décision de réunir la Haute Cour ne soit prise, c’est-à-dire avant le vote de la seconde assemblée saisie de la demande de réunion adoptée par la première assemblée quinze jours auparavant, le Président de la République, s’il estime que la procédure engagée est manifestement infondée, pourra toujours décider de dissoudre l’Assemblée nationale sur le fondement de l’article 12 de la Constitution, ce qui aurait pour effet immédiat d’annuler toute la procédure en destitution. La décision finale reviendra au peuple souverain.
En revanche, lorsque la décision de réunir la Haute Cour est acquise, la dissolution devient impossible, puisque, d’une part, le Président est juridiquement empêché et, d’autre part, le Président par intérim, en application du quatrième alinéa de l’article 7 de la Constitution, ne pourra utiliser ni l’article 12 ni, d’ailleurs, l’article 11 relatif au référendum.
En outre, dans l’hypothèse d’école où le Président de la République serait effectivement destitué, mais pour des raisons qui apparaîtraient manifestement comme infondées, rien ne lui interdirait de se présenter de nouveau à l’élection présidentielle et au peuple souverain, par son vote, de lui renouveler sa confiance.
— La procédure de destitution est un processus politique et ne doit être qu’un processus politique. Si les manquements, par ailleurs pénalement qualifiables, sont manifestement incompatibles avec le maintien en place du titulaire de la fonction présidentielle, la Haute Cour n’aura pas à rechercher leur qualification pénale mais devra, d’abord et avant tout, déterminer leur caractère incompatible avec un maintien en fonctions. Destitué, le Président redeviendra un citoyen comme les autres et, si les faits qui ont conduit à sa destitution sont susceptibles d’être qualifiés pénalement, ils pourront être poursuivis devant les juridictions ordinaires.
C’est pourquoi confier entièrement à une juridiction l’instruction du dossier de destitution conduirait à trahir la nature politique du processus. Aux États-Unis, la mise en accusation, c’est-à-dire l’impeachment au sens strict du terme, est définie et adoptée par la Chambre des Représentants, puis transmise au Sénat, qui l’examine par le truchement de sa commission des Affaires judiciaires et qui vote ou non, sur ce fondement, la destitution du Président.
La loi organique mentionnée dans le dernier alinéa de l’article 68 devra déterminer les modalités d’examen par la Haute Cour des résolutions adoptées par chaque assemblée dans des termes identiques.
— C’est précisément parce que la procédure a un caractère politique qu’il convient de corréler la détermination de l’incompatibilité des manquements présidentiels aux devoirs de sa charge et le principe d’une majorité qualifiée des trois cinquièmes des membres composant l’assemblée concernée et ce, à chaque stade de la procédure.
— La promotion d’un « Président-citoyen », si elle peut apparaître séduisante dans une première impression, ne correspond ni à la réalité ni à un objectif raisonnable. L’État de droit s’est construit grâce à la séparation entre gouvernés et gouvernants, les seconds étant délégués par les premiers pour exercer des fonctions de gouvernement à leur place, dans l’intérêt général. Faire croire que cette construction est compatible avec une assimilation complète du Président de la République au « citoyen ordinaire » est une aberration intellectuelle, qui pourrait confiner à la démagogie.
Puis la Commission est passée à l’examen de l’article unique du projet de loi constitutionnelle.
— art. 67 de la Constitution : régime de responsabilité du chef de l’État :
Après avoir adopté un amendement de précision du rapporteur sur le champ d’application du nouvel article 67 de la Constitution (amendement n° 1), la Commission a adopté un amendement du même auteur prévoyant explicitement la suspension de tout délai de prescription ou de forclusion applicable aux faits pour lesquels la procédure est suspendue jusqu’à la cessation des fonctions du Président de la République, en contrepartie nécessaire de son inviolabilité temporaire (amendement n° 2).
— art. 68 de la Constitution : procédure de destitution :
La Commission a ensuite été saisie d’un amendement du rapporteur portant aux trois cinquièmes des membres composant chaque assemblée ou composant la Haute Cour, la majorité nécessaire respectivement pour réunir la Haute Cour et pour décider la destitution du Président de la République. Le rapporteur ayant souligné que de telles décisions doivent transcender les clivages partisans, la Commission a adopté cet amendement (amendement n° 3).
M. Claude Goasguen, après s’être déclaré en faveur du projet, a souligné les risques de détournement dont pourrait faire l’objet la nouvelle procédure de destitution, introduite à l’article 68 de la Constitution. Une telle procédure ne répond pas, en effet, à l’esprit de nos institutions et pourrait devenir un moyen de contrôle du Président de la République par le Parlement, alors même que c’est le Gouvernement et non le Président de la République qui est responsable politiquement devant l’Assemblée nationale. C’est pourquoi il est souhaitable que ce soit un organe extérieur au Parlement, sans doute la Cour de cassation, qui soit chargée de l’instruction. Elle pourrait jouer un rôle stabilisateur dans cette procédure, contrebalançant ainsi les risques de dérives politiques qu’elle contient. Enfin, l’appellation même de Haute Cour paraît tout à fait inadaptée.
M. André Vallini, soulignant l’attachement du Groupe Socialiste à un rééquilibrage des institutions au profit du Parlement, a souhaité appeler l’attention de ses collègues sur les évolutions institutionnelles qui pourraient être induites par ce texte de grande importance sous des allures anodines, et qui ne seraient sans doute pas du goût des plus fervents défenseurs de la Constitution de 1958. Il a ensuite indiqué que, son groupe politique n’ayant pas encore adopté de position commune sur le projet de loi constitutionnelle, il s’abstiendrait lors du vote de l’article unique.
La Commission a ensuite adopté l’article unique du projet de loi constitutionnelle ainsi modifié.
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En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter le projet de loi constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution (n° 1005 rectifié), modifié par les amendements figurant au tableau comparatif ci-après.
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Texte en vigueur ___ |
Texte du projet ___ |
Propositions de la Commission ___ |
Article unique |
Article unique | |
Constitution du 4 octobre 1958 |
Le titre IX de la Constitution est remplacé par les dispositions suivantes : |
(Alinéa sans modification) |
Titre IX |
« Titre IX |
(Alinéa sans modification) |
La Haute Cour de justice |
« La Haute Cour |
(Alinéa sans modification) |
Art. 67. — Il est institué une Haute Cour de justice. |
« Art. 67. — Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68. |
« Art. 67. — (Alinéa sans modification) |
Elle est composée de membres élus, en leur sein et en nombre égal, par l’Assemblée Nationale et par le Sénat après chaque renouvellement général ou partiel de ces assemblées. Elle élit son Président parmi ses membres. |
« Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. |
… de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu. (amendements nos 1 et 2) |
Une loi organique fixe la composition de la Haute Cour, les règles de son fonctionnement ainsi que la procédure applicable devant elle. |
« Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions. |
(Alinéa sans modification) |
Art. 68. — Le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de justice. |
« Art. 68. — Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour. |
« Art. 68. — (Alinéa sans modification) |
Art. 53-2. — Cf. annexe. |
« La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l’autre qui se prononce dans les quinze jours. |
(Alinéa sans modification) |
Art. 7. — Cf. annexe. |
« La décision de réunir la Haute Cour emporte empêchement du Président de la République dont les fonctions sont exercées dans les conditions prévues au quatrième alinéa de l’article 7. Cet empêchement prend fin au plus tard à l’expiration du délai prévu à l’alinéa suivant. |
(Alinéa sans modification) |
« La Haute Cour est présidée par le Président de l’Assemblée nationale. Elle statue dans les deux mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d’effet immédiat. |
(Alinéa sans modification) | |
« Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des membres composant l’assemblée concernée ou la Haute Cour. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution. |
(amendement n° 3) | |
« Une loi organique fixe les conditions d’application du présent article. » |
(Alinéa sans modification) | |
Constitution du 4 octobre 1958
Art. 7. — Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. Si celle-ci n’est pas obtenue au premier tour de scrutin, il est procédé, le quatorzième jour suivant, à un second tour. Seuls peuvent s’y présenter les deux candidats qui, le cas échéant après retrait de candidats plus favorisés, se trouvent avoir recueilli le plus grand nombre de suffrages au premier tour.
Le scrutin est ouvert sur convocation du Gouvernement.
L’élection du nouveau président a lieu vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus avant l’expiration des pouvoirs du président en exercice.
En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit, ou d’empêchement constaté par le Conseil constitutionnel saisi par le Gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses membres, les fonctions du Président de la République, à l’exception de celles prévues aux articles 11 et 12 ci-dessous, sont provisoirement exercées par le Président du Sénat et, si celui-ci est à son tour empêché d’exercer ces fonctions, par le Gouvernement.
En cas de vacance ou lorsque l’empêchement est déclaré définitif par le Conseil constitutionnel, le scrutin pour l’élection du nouveau président a lieu, sauf cas de force majeure constaté par le Conseil constitutionnel, vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus après l’ouverture de la vacance ou la déclaration du caractère définitif de l’empêchement.
Si, dans les sept jours précédant la date limite du dépôt des présentations de candidatures, une des personnes ayant, moins de trente jours avant cette date, annoncé publiquement sa décision d’être candidate décède ou se trouve empêchée, le Conseil constitutionnel peut décider de reporter l’élection.
Si, avant le premier tour, un des candidats décède ou se trouve empêché, le Conseil constitutionnel prononce le report de l’élection.
En cas de décès ou d’empêchement de l’un des deux candidats les plus favorisés au premier tour avant les retraits éventuels, le Conseil constitutionnel déclare qu’il doit être procédé de nouveau à l’ensemble des opérations électorales ; il en est de même en cas de décès ou d’empêchement de l’un des deux candidats restés en présence en vue du second tour.
Dans tous les cas, le Conseil constitutionnel est saisi dans les conditions fixées au deuxième alinéa de l’article 61 ci-dessous ou dans celles déterminées pour la présentation d’un candidat par la loi organique prévue à l’article 6 ci-dessus.
Le Conseil constitutionnel peut proroger les délais prévus aux troisième et cinquième alinéas sans que le scrutin puisse avoir lieu plus de trente-cinq jours après la date de la décision du Conseil constitutionnel. Si l’application des dispositions du présent alinéa a eu pour effet de reporter l’élection à une date postérieure à l’expiration des pouvoirs du président en exercice, celui-ci demeure en fonction jusqu’à la proclamation de son successeur.
Il ne peut être fait application ni des articles 49 et 50 ni de l’article 89 de la Constitution durant la vacance de la Présidence de la République ou durant la période qui s’écoule entre la déclaration du caractère définitif de l’empêchement du Président de la République et l’élection de son successeur.
Art. 53-2. — La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998.
Constitution du 4 octobre 1958 72
Art. 5, 6, 8 à 19, 49, 50 et 89.
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales 74
Art. 6.
Code de procédure pénale 75
Art. 109 et 110.
Ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour
de justice 75
Décret n° 2002-961 du 4 juillet 2002 portant création d’une commission chargée
de mener une réflexion sur le statut pénal du Président de la République 80
Constitution du 4 octobre 1958
Art. 5. — Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État.
Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités.
Art. 6. — Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct.
Les modalités d’application du présent article sont fixées par une loi organique.
Art. 8. — Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement.
Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions.
Art. 9. — Le Président de la République préside le Conseil des ministres.
Art. 10. — Le Président de la République promulgue les lois dans les quinze jours qui suivent la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée.
Il peut, avant l’expiration de ce délai, demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles. Cette nouvelle délibération ne peut être refusée.
Art. 11. — Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la Nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.
Lorsque le référendum est organisé sur proposition du Gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d’un débat.
Lorsque le référendum a conclu à l’adoption du projet de loi, le Président de la République promulgue la loi dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de la consultation.
Art. 12. — Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale.
Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution.
L’Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection. Si cette réunion a lieu en dehors de la période prévue pour la session ordinaire, une session est ouverte de droit pour une durée de quinze jours.
Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit ces élections.
Art. 13. — Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres.
Il nomme aux emplois civils et militaires de l’État.
Les conseillers d’État, le grand chancelier de la Légion d’honneur, les ambassadeurs et envoyés extraordinaires, les conseillers maîtres à la Cour des comptes, les préfets, les représentants de l’État dans les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 et en Nouvelle-Calédonie, les officiers généraux, les recteurs des académies, les directeurs des administrations centrales sont nommés en Conseil des ministres.
Une loi organique détermine les autres emplois auxquels il est pourvu en Conseil des ministres ainsi que les conditions dans lesquelles le pouvoir de nomination du Président de la République peut être par lui délégué pour être exercé en son nom.
Art. 14. — Le Président de la République accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères ; les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires étrangers sont accrédités auprès de lui.
Art. 15. — Le Président de la République est le chef des armées. Il préside les conseils et les comités supérieurs de la Défense nationale.
Art. 16. — Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel.
Il en informe la Nation par un message.
Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet.
Le Parlement se réunit de plein droit.
L’Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels.
Art. 17. — Le Président de la République a le droit de faire grâce.
Art. 18. — Le Président de la République communique avec les deux assemblées du Parlement par des messages qu’il fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat.
Hors session, le Parlement est réuni spécialement à cet effet.
Art. 19. — Les actes du Président de la République autres que ceux prévus aux articles 8 (premier alinéa), 11, 12, 16, 18, 54, 56 et 61 sont contresignés par le Premier ministre et, le cas échéant, par les ministres responsables.
Art. 49. — Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale.
L’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d’une motion de censure. Une telle motion n’est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l’Assemblée nationale. Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée. Sauf dans le cas prévu à l’alinéa ci-dessous, un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au cours d’une même session ordinaire et de plus d’une au cours d’une même session extraordinaire.
Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un texte. Dans ce cas, ce texte est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent.
Le Premier ministre a la faculté de demander au Sénat l’approbation d’une déclaration de politique générale.
Art. 50. — Lorsque l’Assemblée nationale adopte une motion de censure ou lorsqu’elle désapprouve le programme ou une déclaration de politique générale du Gouvernement, le Premier ministre doit remettre au Président de la République la démission du Gouvernement.
Art. 89. — L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République, sur proposition du Premier ministre, et aux membres du Parlement.
Le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.
Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le Bureau du Congrès est celui de l’Assemblée nationale.
Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire.
La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision.
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme
Art. 6. — 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience.
Art. 109. — Toute personne citée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaître, de prêter serment et de déposer sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal.
Tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine.
Si le témoin ne comparaît pas ou refuse de comparaître, le juge d’instruction peut, sur les réquisitions du procureur de la République, l’y contraindre par la force publique.
Art. 110. — La mesure de contrainte dont fait l’objet le témoin défaillant est prise par voie de réquisition. Le témoin est conduit directement et sans délai devant le magistrat qui prescrit la mesure.
Ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique
Titre Ier : Composition et fonctionnement
Art. 1er. — La Haute Cour de justice se compose de vingt-quatre juges titulaires. Elle comprend, en outre, douze juges suppléants appelés à siéger dans les conditions prévues à l’article 9 ci-dessous.
Art. 2. — Après chaque renouvellement, l’Assemblée nationale élit douze juges titulaires et six juges suppléants.
Après chaque renouvellement partiel, le Sénat élit douze juges titulaires et six juges suppléants.
Le scrutin est secret. L’élection est acquise à la majorité absolue des suffrages exprimés.
Il est procédé dans les mêmes formes au remplacement des juges, titulaires ou suppléants, dont les fonctions ont pris fin avant leur terme normal pour quelque cause que ce soit.
Art. 3. — Dès leur élection, les juges titulaires et les juges suppléants prêtent serment devant l’assemblée qui les a désignés.
Ils jurent et promettent de bien et fidèlement remplir leurs fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes et de se conduire en tout comme dignes et loyaux magistrats.
Art. 4. — Après chaque renouvellement de la moitié de ses membres, la Haute Cour, convoquée à la diligence du plus âgé de ses membres, procède à l’élection de son président au scrutin secret et à la majorité absolue des membres la composant.
Elle élit, dans les mêmes conditions, deux vice-présidents.
Art. 5. — Les membres de la Haute Cour sont tenus d’assister aux audiences et aux délibérations auxquelles ils sont convoqués.
En cas d’absence non justifiée par un motif grave, ils sont déclarés démissionnaires par la Haute Cour statuant soit d’office, soit à la requête du ministère public. L’assemblée qui les a élus est avisée de leur démission et pourvoit à leur remplacement.
Art. 6. — Tout membre de la Haute Cour peut être récusé :
1° S’il est parent ou allié d’un accusé jusqu’au sixième degré en ligne collatérale ;
2° S’il a été cité ou entendu comme témoin. Le ministère public ou un accusé ne peuvent citer un membre de la Haute Cour qu’avec l’autorisation de la commission d’instruction ;
3° S’il y a un motif d’inimitié capital entre lui et l’accusé.
Art. 7. — La récusation est proposée dès l’ouverture des débats.
Il y est statué par la Haute Cour.
Art. 8. — Tout juge qui sait cause de récusation en sa personne même en dehors des cas prévus à l’article 6 est tenu de le déclarer à la Haute Cour qui décide s’il doit s’abstenir.
Art. 9. — Sauf en ce qui concerne les élections prévues à l’article 4, tout juge titulaire absent ou empêché de siéger est remplacé par un suppléant tiré au sort parmi les suppléants élus par la même assemblée. Il est procédé publiquement au tirage au sort.
Art. 10. — La démission volontaire d’un membre de la Haute Cour est adressée au président qui la transmet à l’assemblée intéressée. La démission prend effet à la date de l’élection du remplaçant.
Art. 11. — Les fonctions des juges titulaires et suppléants élus par l’Assemblée nationale prennent fin en même temps que les pouvoirs de cette assemblée. Les fonctions des juges titulaires et suppléants élus par le Sénat prennent fin à chaque renouvellement partiel.
Tout juge, titulaire ou suppléant, qui cesse d’appartenir à l’Assemblée nationale ou au Sénat cesse, en même temps, d’appartenir à la Haute Cour. Il est pourvu à son remplacement.
Art. 12. — La commission d’instruction se compose de cinq membres titulaires et de deux membres suppléants désignés chaque année parmi les magistrats du siège de la Cour de cassation par le bureau de ladite cour siégeant hors la présence des membres du parquet.
Son président est choisi dans la même forme parmi les membres titulaires.
Art. 13. — Le ministère public près la Haute Cour est exercé par le procureur général près la Cour de cassation assisté du premier avocat général et de deux avocats généraux désignés par lui.
Art. 14. — Le greffier en chef de la Cour de cassation est, de droit, greffier de la Haute Cour. Il prête serment en cette dernière qualité à l’audience publique de la Haute Cour.
Art. 15. — Le personnel nécessaire au fonctionnement de la Haute Cour de justice est mis à la disposition du président de cette juridiction par le bureau de l’Assemblée nationale et par le bureau du Sénat.
Art. 16. — Les crédits nécessaires au fonctionnement de la Haute Cour sont inscrits au budget général.
Les fonctions de juge, de membre de la commission d’instruction et de membre du ministère public sont gratuites. Leur exercice n’ouvre droit qu’à des remboursements de frais.
Les indemnités allouées au greffier et au personnel mis à la disposition du président sont fixées par décret.
Art. 17. — Les dossiers des procédures terminées sont déposés aux archives nationales.
Titre II : Procédure
Section I : Des mises en accusation
Art. 18. — La résolution des deux assemblées votée dans les conditions prévues à l’article 68 de la Constitution et portant mise en accusation du Président de la République devant la Haute Cour contient l’énoncé sommaire des faits qui lui sont reprochés.
Art. 19. — Les juges titulaires et suppléants ne prennent part ni aux débats, ni aux votes sur la mise en accusation.
Art. 20. — Toute résolution portant mise en accusation qui a été adoptée par une assemblée est transmise à l’autre assemblée.
Art. 21. — Le président de l’assemblée dont le vote a entraîné l’adoption définitive de la résolution la communique sans délai au procureur général et donne avis de la transmission au président de l’autre assemblée.
Le procureur général accuse réception sans délai.
Section II : De l’instruction
Art. 22. — Dans les vingt-quatre heures de la réception de la résolution, le procureur général notifie la mise en accusation au président de la Haute Cour et au président de la commission d’instruction.
Art. 23. — La commission d’instruction est convoquée sans délai sur l’ordre de son président.
Jusqu’à la réunion de la commission d’instruction, son président peut accomplir tous les actes d’information utiles à la manifestation de la vérité et peut décerner mandat contre les accusés.
Dès sa première réunion, la commission confirme, le cas échéant, les mandats décernés par son président.
Art. 24. — Dans la mesure où il n’y est pas dérogé par la présente ordonnance, la commission d’instruction procède à tous les actes qu’elle juge utiles à la manifestation de la vérité selon les règles édictées par le code de procédure pénale et spécialement celles qui assurent les garanties de la défense.
Les actes de la commission d’instruction ne sont susceptibles d’aucun recours.
La commission statue sur les incidents de procédure et notamment sur les nullités de l’instruction. Toute nullité non invoquée avant la décision de renvoi est couverte.
Art. 25. — Dans le cas prévu à l’article 68 de la Constitution, la commission d’instruction rend une décision de renvoi qui apprécie s’il y a preuve suffisante de l’existence des faits énoncés dans la résolution de mise en accusation, mais non la qualification de ces faits.
Si l’instruction fait apparaître des faits d’un autre ordre que ceux énoncés dans la résolution de mise en accusation, la commission ordonne la communication du dossier au procureur général.
Le procureur général saisi le président de l’une ou de l’autre assemblée.
Si les deux assemblées n’ont pas adopté dans les dix jours suivant la communication du procureur général une motion étendant la mise en accusation, la commission reprend l’information sur les derniers errements de la procédure.
Art. 26. — Abrogé.
Art. 27. — La constitution de partie civile n’est pas recevable devant la Haute Cour.
Les actions en réparation de dommages ayant résulté de crimes et délits poursuivis devant la Haute Cour ne peuvent être portées que devant les juridictions de droit commun.
Section III : Des débats et du jugement
Art. 28. — À la requête du procureur général, le président de la Haute Cour fixe la date d’ouverture des débats.
Art. 29. — À la diligence du procureur général, les accusés reçoivent huit jours au plus tard avant leur comparution devant la Haute Cour signification de l’ordonnance de renvoi.
Art. 30. — Le greffier convoque les juges titulaires. Les juges suppléants sont également convoqués. Ils assistent aux débats et remplacent, le cas échéant, les juges titulaires dans les conditions prévues à l’article 9.
Art. 31. — Les débats de la Haute Cour sont publiés.
La Haute Cour peut exceptionnellement ordonner le huis clos.
Art. 32. — Les règles fixées par le code de procédure pénale concernant les débats et les jugements en matière correctionnelle sont applicables devant la Haute Cour sous les modifications prévues aux articles ci-après.
Art. 33. — La Haute Cour, après clôture des débats, statue sur la culpabilité des accusés. Il est voté séparément pour chaque accusé sur chaque chef d’accusation et sur la question de savoir s’il y a des circonstances atténuantes. Le vote a lieu par bulletins secrets à la majorité absolue.
Art. 34. — Si l’accusé est déclaré coupable, il est voté sans désemparer sur l’application de la peine. Toutefois, après deux votes dans lesquels aucune peine n’aura obtenu la majorité des voix, la peine la plus forte proposée dans ce vote sera écartée pour le vote suivant et ainsi de suite en écartant chaque fois la peine la plus forte jusqu’à ce qu’une peine soit prononcée par la majorité absolue des votants.
Art. 35. — Les arrêts de la Haute Cour ne sont susceptibles ni d’appel, ni de pourvoi en cassation.
Art. 36. — Les règles de la contumace sont applicables devant la Haute Cour.
Art. 37. — Tout incident élevé au cours des débats de la Haute Cour peut, sur décision du président, être joint au fond.
Décret n° 2002-961 du 4 juillet 2002 portant création d’une commission chargée de mener une réflexion sur le statut pénal
du Président de la République
Art. 1er. — Il est créé une commission chargée de mener une réflexion sur le statut pénal du Président de la République et de faire, le cas échéant, les propositions qui lui paraîtraient appropriées.
La commission peut entendre ou consulter toute personne de son choix.
Elle remettra son rapport au Président de la République avant le 31 décembre 2002.
Art. 2. — Le secrétariat de la commission est assuré par le ministère de la justice.
Art. 3. — M. Pierre Avril, professeur émérite à l’université Paris-II (Panthéon-Assas), est nommé président de la commission instituée par le présent décret.
Sont nommés membres de la commission :
M. Bernard Bouloc, professeur de droit privé à l’université Paris-I (Panthéon-Sorbonne) ;
M. Guy Carcassonne, professeur de droit public à l’université Paris-X (Nanterre) ;
M. Louis Favoreu, professeur de droit public à l’université Aix-Marseille-III ;
Mme Hélène Gisserot, procureur général près la Cour des comptes ;
Mme Anne Levade, professeur de droit public à l’université Paris-XII (Val-de-Marne) ;
M. Marceau Long, vice-président honoraire du Conseil d’État ;
M. François Luchaire, président honoraire de l’université Paris-I (Panthéon-Sorbonne) ;
M. Bertrand Mathieu, professeur de droit public à l’université Paris-I (Panthéon-Sorbonne) ;
M. Didier Maus, conseiller d’État, président de l’Association française des constitutionnalistes ;
M. Daniel Soulez Larrivière, avocat ;
M. Pierre Truche, premier président honoraire de la Cour de cassation.
Est nommé rapporteur général de la commission : M. Nicolas Boulouis, maître des requêtes au Conseil d’État, assisté de Mme Maryvonne Bonnard, assistante de droit public à l’université de Paris-II (Panthéon-Assas).
PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR
Assemblée nationale
— M. Édouard BALLADUR, ancien Premier ministre, président de la commission des Affaires étrangères
— M. Bernard ACCOYER, président du Groupe de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP)
— MM. Jean-Marc AYRAULT, président du Groupe Socialiste, et André VALLINI, député
Cour de cassation
— M. Régis de GOUTTES, Premier avocat général
Ministère de la justice
— M. Marc GUILLAUME, directeur des affaires civiles et du Sceau
— M. Emmanuel MEYER, chef du bureau du droit public à la direction des affaires civiles et du Sceau
Universitaires
— M. Pierre AVRIL, professeur émérite de droit public à l’Université de Paris II-Panthéon-Assas, président de la commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République
— M. Guy CARCASSONNE, professeur de droit public à l’Université de Paris X-Nanterre, membre de la commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République