N° 3590 - Rapport de M. Alain Bocquet sur la proposition de résolution de M. Alain Bocquet et plusieurs de ses collègues tendant à la création d’une commission d’enquête sur la place et le rôle des fonds d’investissement dans l’économie, sur leurs méthodes d’acquisition d’entreprises par effet de levier appelées LBO, sur les conséquences de telles pratiques pour l’emploi, les salaires et les conditions de travail ainsi que sur les solutions alternatives qui pourraient être mises en œuvre à partir de la constitution d’un pôle financier public. (3491)




N° 3590

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 janvier 2007.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 3491) de M. Alain BOCQUET, tendant à la création d’une commission d’enquête sur la place et le rôle des fonds d’investissement dans l’économie, sur leurs méthodes d’acquisition d’entreprises par effet de levier appelées LBO, sur les conséquences de telles pratiques pour l’emploi, les salaires et les conditions de travail ainsi que sur les solutions alternatives qui pourraient être mises en œuvre à partir de la constitution d’un pôle financier public.

PAR M. Alain BOCQUET

Député

——

INTRODUCTION 5

I.– L’ABSENCE D’OBSTACLE JURIDIQUE À LA CRÉATION D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE 5

A.– LA DÉTERMINATION DES FAITS, UN CRITÈRE PLEINEMENT REMPLI 5

B.– LE RESPECT DE LA SÉPARATION DU POUVOIR LÉGISLATIF ET DE L’AUTORITÉ JUDICIAIRE 6

II.– L’OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE 6

A.– LA PLACE ET LE RÔLE CROISSANTS DES FONDS D’INVESTISSEMENT DANS L’ÉCONOMIE 7

B.– LES OPÉRATIONS DE « LEVERAGE BUY-OUT » ET LA MISE À PROFIT DU RÉGIME D’INTÉGRATION FISCALE 9

1.– Définition 9

2.– Le régime d’intégration fiscale 9

C.– UN RÉGIME FISCAL FAVORABLE POUR LES VÉHICULES D’INVESTISSEMENT 11

1.– Le régime fiscal des FCPR 11

a) Les FCPI et les FIP : un avantage fiscal à l’entrée 12

b) Les avantages à la sortie des FCPR « fiscaux » 13

2.– Le régime fiscal des SCR 14

3.– Un cadre réformé 14

D.– DES CONSÉQUENCES POTENTIELLEMENT DÉSASTREUSES SUR L’EMPLOI, LES SALAIRES ET LES CONDITIONS DE TRAVAIL 15

1.– Les restructurations et la fragilisation de l’emploi 15

2.– Une méthode qui profite d’un contexte de taux d’intérêts bas, aggrave les risques de « bulle » et favorise des acteurs court-termistes 18

E.– LA NÉCESSAIRE MAÎTRISE DU CAPITAL-INVESTISSEMENT PAR LA MISE EN PLACE D’UN PÔLE FINANCIER PUBLIC 19

EXAMEN EN COMMISSION 21

L’Assemblée nationale a été saisie d’une proposition de résolution n° 491 présentée par M. Alain Bocquet et les membres du groupe des député-e-s communistes et républicains, tendant à la création d’une commission d’enquête « sur la place et le rôle des fonds d’investissement dans l’économie, sur leurs méthodes d’acquisition d’entreprises par effet de levier appelées LBO, sur les conséquences de telles pratiques pour l’emploi, les salaires et les conditions de travail ainsi que sur les solutions alternatives qui pourraient être mises en œuvre à partir de la constitution d’un pôle financier public ».

I.– L’ABSENCE D’OBSTACLE JURIDIQUE À LA CRÉATION D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE

Les conditions de recevabilité d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête, sont, à l’évidence, respectées au cas présent.

Le premier alinéa de l’article 140 du Règlement dispose, d’une part, que la proposition de résolution « doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion ». Cette disposition précise les termes du deuxième alinéa du premier paragraphe de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires qui dispose que les « commissions d’enquête sont formées pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ».

L’exposé des motifs de la présente proposition précise ainsi que la commission d’enquête devra se pencher sur « la place et le rôle des fonds d’investissement dans l’économie, sur leurs méthodes d’acquisition d’entreprises par effet de levier appelées LBO, sur les conséquences de telles pratiques pour l’emploi, les salaires et les conditions de travail, ainsi que sur les solutions alternatives qui pourraient être mises en œuvre à partir de la constitution d’un pôle financier public ». La délimitation de l’objet de l’enquête semble donc pleinement assurée, puisqu’il s’agit non seulement de mesurer l’importance acquise dans les dernières années par les fonds d’investissement dans l’économie française, mais également de présenter l’une des techniques particulières utilisées par ces fonds dans le domaine de la transmission de capital. La finalité de l’enquête consiste bien à évaluer l’impact de ce type d’opérations d’investissement sur les salariés des entreprises rachetées par ce biais. Enfin, à partir de cette analyse, des conclusions sur le rôle de la puissance publique dans le capital investissement devraient être tirées par la commission d’enquête. Le critère de la détermination des faits est donc rempli.

Au surplus, si les acteurs concernés relèvent en grande partie de la sphère privée, le Parlement assure toutefois la surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, institution financière publique, qui est devenue un acteur incontournable du capital investissement en France. En effet, aux termes de l’article L.518-2 du code monétaire et financier, « la Caisse des dépôts et consignations est placée, de la manière la plus spéciale, sous la surveillance et la garantie de l'autorité législative », exercée par une commission de surveillance, présidée par un député et comprenant trois autres parlementaires. Cette commission exerce particulièrement son contrôle sur les décisions majeures, les orientations stratégiques, les prises de participation, la gestion des fonds d'épargne et la vérification des comptes de la Caisse. Il est donc plus qu’opportun pour la représentation nationale de se pencher sur les pratiques de ces opérateurs particuliers que sont les fonds d’investissement, à l’heure où « l’auxiliaire de l’État » dans le domaine financier en devient un acteur incontournable.

En tout état de cause, les deux critères posés par notre Règlement sont alternatifs, et non cumulatifs. Votre Rapporteur considère donc que les conditions de recevabilité relatives à l’objet de la demande sont remplies par la présente proposition de résolution.

Le troisième alinéa du premier paragraphe de l’article 6 de l’ordonnance précitée dispose d’autre part qu’« il ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires ». En conséquence, le deuxième alinéa de l’article 141 de notre Règlement interdit la mise en discussion d’une proposition de résolution dès lors que les faits ayant motivé son dépôt font l’objet de poursuites judiciaires. En application du premier alinéa de cet article, la proposition de résolution est donc notifiée par le Président de l’Assemblée nationale au Garde des Sceaux, ministre de la justice, qui l’informe de l’existence ou non de telles poursuites.

Aucune réponse de la Chancellerie ne nous est à ce jour parvenue concernant d’éventuelles poursuites judiciaires en cours sur les faits ayant motivé notre proposition. En tout état de cause, l’existence de poursuites judiciaires ne constitue pas à elle seule un obstacle dirimant à la création d’une commission d’enquête. Tout au plus, impose-t-elle de les prendre en compte dans la délimitation du champ d’investigation de la commission.

II.– L’OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE

Le poids économique acquis par les fonds d’investissement est manifeste, et les mécanismes sur lesquels ils s’appuient sont bien identifiés ; en revanche, les effets de leur activité sur l’emploi, les salaires et les conditions de travail restent mal connus. C’est ce que doit éclaircir une commission d’enquête parlementaire. Il s’agit d’une exigence de démocratie économique.

Trois grandes catégories d’investissement en capital dans des sociétés non cotées doivent être distinguées selon la destination du financement :

– le capital risque, qui vise le financement de sociétés en création ;

– le capital développement, qui finance la croissance des entreprises ;

– et le capital transmission, qui renvoie aux opérations de leverage buy-out (LBO), et tend à l’acquisition, la transmission ou la cession d’entreprises.

Le poids de ces actionnaires professionnels se confirme dans l’économie française : ainsi, selon les données publiées par l’Association française des investisseurs en capital (AFIC), et sur la base d’une étude réalisée par le cabinet d’audit Ernst&Young, en 2005, le capital investissement a levé 12 milliards d’euros et a investi 8,1 milliards d’euros dans 1.253 entreprises non cotées, soit une hausse de 55,6 % par rapport à 2004. Il représente, à travers les 4.852 entreprises en portefeuille, près de 200 milliards d’euros de chiffre d’affaires et plus de 1,5 million d’emplois, soit près de 9 % des effectifs salariés du secteur privé.

Les acteurs du capital investissement détiennent 83 % de leurs participations dans des petites et moyennes entreprises.

ÉVOLUTION DU CAPITAL INVESTISSEMENT DEPUIS DIX ANS

(en milliards d’euros)

 

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

Capitaux levés

0,72

0,66

2,60

3,26

6,11

5,1

4,2

2,4

2,2

12,0

Investissements réalisés

0,87

1,26

1,79

2,82

5,30

3,29

5,85

3,64

5,20

8,07

Source : AFIC-PWC, Rapport 2005 sur l’activité du capital investissement en France

Le graphique ci-après retrace ces évolutions, qui consacrent la montée en puissance des fonds d’investissements français.

En 2005, le capital transmission, qui passe par les opérations de LBO, a fortement tiré l’activité du capital investissement, puisqu’il a progressé de 70,5 % et a représenté 6,3 milliards d’euros, comme le montre le tableau suivant.

HISTORIQUE DES MONTANTS INVESTIS

(en milliards d’euros)

 

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

Amorçage

2

1

3

52

70

30

50

25

31

45

Création / Post-création

148

166

257

467

1.085

531

443

307

365

436

Développement

358

382

587

1.071

1.884

720

755

785

695

954

Transmission / Succession

257

613

821

1.073

2.020

1.936

4.493

2.015

3.688

6.287

Rachat position minoritaire

111

96

120

153

245

70

110

375

166

273

Autres

0

0

0

0

0

0

0

136

244

77

Total

876

1.259

1.788

2.816

5.304

3.287

5.851

3.643

5.189

8.072

Source : AFIC / PricewaterhouseCoopers, Rapport 2005 sur l’activité du capital investissement en France

Par ailleurs, l’importance prise par les opérations de LBO est également lisible dans les intentions d’allocation des capitaux disponibles, telles qu’indiquées par le tableau ci-après.

INTENTIONS D’ALLOCATION DES CAPITAUX DISPONIBLES

(en milliards d’euros)

 

2003

%

2004

%

2005

%

Création / Post-création

466

18 %

365

15 %

1.198

10 %

Développement

494

19 %

771

33 %

1.811

15 %

Transmission / Succession

1.448

55 %

1.113

45 %

8.037

66 %

Autres

200

8 %

220

9 %

1.161

9 %

Total

2.608

100 %

2.469

100 %

12.207

100 %

Source : AFIC / PricewaterhouseCoopers, Rapport 2005 sur l’activité du capital investissement en France

Au premier semestre 2006, les fonds d’investissement ont injecté 4,1 milliards d’euros en fonds propres dans un millier d’entreprises, dont un tiers de PME. En valeur, le capital-transmission / LBO a progressé de 24 % et représente, avec 3,3 milliards d’euros, 80 % des montants investis au premier semestre 2006. En nombre, il représente 26 % des entreprises soutenues au premier semestre.

Enfin, en 2006, les fonds d’investissement auraient collecté 401 milliards de dollars à l’échelle mondiale, et 712 milliards de dollars en deux ans, soit l’équivalent de 39 % de la capitalisation boursière de la place de Paris, selon les chiffres communiqués par le cabinet londonien Private Equity Intelligence.

Votre Rapporteur considère que la part croissante des acteurs du capital-investissement dans l’économie française ainsi que la prépondérance de la transmission de capital par le biais des opérations de leverage buy-out (LBO), plaident fortement en faveur de la création d’une commission d’enquête chargée d’informer la représentation nationale sur la place et les stratégies d’investissement de ces acteurs.

Une opération dite de leverage buy-out se traduit par le rachat d’une entreprise avec effet de levier, c’est-à-dire avec endettement bancaire. Cette opération permet aux investisseurs de conserver ou d’acquérir le contrôle d’une société visée tout en minimisant leurs apports en fonds propres, puisque l'acquisition est largement financée par un emprunt bancaire dont le coût est inférieur au taux de rentabilité attendu de la cible.

L’opération de leverage buy-out recouvre deux grands types de rachat : le leverage management buy-out (LMBO) d’une part, qui recouvre le rachat d’une société par ses propres cadres dirigeants, et d’autre part, le leverage management buy-in (LMBI), qui désigne le rachat par des cadres extérieurs à la société cible. Enfin, l’association de cadres de l’entreprise avec des dirigeants extérieurs pour finaliser le rachat de la société constitue le schéma du buy-in management buy-out (BIMBO).

Classiquement, la technique du rachat d’entreprise avec effet de levier est utilisée dans plusieurs situations, la plus courante étant celle de la transmission patrimoniale. Différents contextes sont également propices à ces opérations, notamment pour la cession de filiales rentables d’un groupe ou pour mettre un terme à l’instabilité de l’actionnariat d’une société par exemple. Or, la procédure est aujourd’hui progressivement banalisée, puisque le rachat par LBO est de plus en plus effectué en dehors de toute stratégie propre à l’entreprise. Les fonds d’investissement tendent même à se regrouper pour mener des opérations plus lourdes financièrement, voire pour conduire des offres publiques d’achat hostiles visant à contrecarrer le refus de rachat par les sociétés concernées.

Le montage classique consiste à constituer une société holding, qui s’endette pour racheter la cible : le holding paiera en effet les intérêts de sa dette et remboursera celle-ci grâce aux dividendes réguliers ou exceptionnels provenant de la société rachetée. Autrement dit, c’est la société cible qui rembourse la dette d’acquisition. Ce type de montage fait apparaître un effet de levier financier, défini comme le rapport entre la dette d’acquisition et les fonds propres, qui augmente la rentabilité des capitaux investis par les actionnaires.

L’objectif est de revendre plus tard la société avec une forte plus-value à d’autres fonds ou à des industriels.

Le montage financier d’une opération de LBO passe par la création d’une société holding, destinée à acquérir les titres de la société cible. Un groupe d’intégration fiscale est ensuite constitué entre les deux sociétés.

En effet, dans le cadre d’une opération de LBO, et en vertu des articles 223 A et suivants du code général des impôts, le régime d’intégration fiscale permet à la société mère d’un groupe, sur option, de se constituer seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû par l’ensemble des sociétés du groupe formé par elle-même et ses filiales détenues à 95 %. Il est en effet préférable pour la société holding de reprise de détenir au moins 95 % du capital et des droits de vote de l’entreprise cible, ce seuil étant la condition posée à la déductibilité des frais financiers de la dette d’acquisition du bénéfice imposable de la cible. Le régime est applicable sur option pour une période de cinq ans susceptible d’être prorogée automatiquement de cinq ans en cinq ans, le périmètre du groupe pouvant fluctuer au cours de cette période.

Le seuil de 95 % s’entend de la détention directe ou indirecte par la société tête de groupe en pleine propriété de 95 % au moins des droits à dividendes et de 95 % au moins des droits de vote attachés aux titres émis. Ce régime, issu de l’article 68 de la loi de finances pour 1988 (loi n° 87-1060 du 30 décembre 1987) et modifié à plusieurs reprises, permet aux ensembles de sociétés répondant aux critères fixés de réaliser une économie d’impôt du fait de la compensation des résultats positifs et négatifs qu’il autorise et de la neutralisation de certaines opérations intragroupe qu’il prévoit. La base d’imposition de l’ensemble du groupe à l’impôt sur les sociétés, au nom de la société tête de groupe, est en effet représentée par la somme des bénéfices réalisés et des pertes subies par chacune des sociétés composant le groupe lors de l’exercice concerné. Dans le cas d’un montage financier d’acquisition d’une société par LBO, ce régime permet une économie d’impôt équivalente au taux d’impôt sur les sociétés appliqué au montant des intérêts payés sur les dettes d’acquisition.

Les frais d’acquisition de la société cible ne pouvant faire l’objet d’une déduction pour frais d’établissement, ils doivent être incorporés au prix de revient des titres. L’article 21 de la loi n° 2006-1666 du 21 décembre 2006 portant loi de finances pour 2007, qui modifie l’article 209 du code général des impôts, a dès lors prévu la possibilité d’étaler ces frais sur une durée de cinq ans, par un amortissement de la fraction du prix de revient des titres correspondant à ces frais d’acquisition, c’est-à-dire le montant des frais ainsi incorporés. Cela revient à réintroduire un avantage pour les holdings constituées dans le cadre d’opérations de LBO qui ne pouvaient plus procéder à une imputation sur le résultat d’ensemble de ces frais.

Votre Rapporteur souligne à cet égard l’impact défavorable de cette disposition sur les méthodes des fonds d’investissement spécialisés dans le rachat par LBO : en effet, une durée initiale de dix ans avait été retenue par le projet de loi de finances, ce qui aurait contraint les fonds à un investissement plus durable. La durée de cinq ans finalement retenue ne peut qu’inciter les stratégies d’investissement des fonds à adopter une vision à court terme. Passé ce délai d’amortissement, les sociétés cibles n’en passeront que plus rapidement aux mains d’un nouveau fonds, au mépris de toute politique d’investissement soucieuse du développement de l’entreprise.

UNE SUCCESSION DE LBO : LE CAS DE TÉLÉDIFFUSION DE FRANCE (TDF)

TDF, premier groupe diffuseur audiovisuel en Europe, acteur national stratégique dans la communication, a fait l’objet d’un premier LBO en 2002 : acquis par le fonds d’investissement Charterhouse, CDC Entreprises et par la Caisse des dépôts et consignations, l’opération aurait conduit à la suppression d’un millier d’emplois.

La valorisation supposée de TDF est ensuite passée de 1,9 milliard d’euros en 2002 à près de 5 milliards d’euros en 2006. Or, la société fait actuellement l’objet d’un second LBO, à travers la cession d’une partie des actifs à deux autres fonds d’investissement, Texas Pacific Group et Axa Private Equity : ce nouveau LBO devrait multiplier par deux l’endettement de TDF, tandis que pour les actionnaires, l’effet de levier atteint ainsi 80 %.

Votre Rapporteur a dénoncé auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, ainsi que du ministre de la culture et de la communication, « cette prédation financière néfaste au développement du potentiel humain, technologique et industriel de TDF ».

Le montage financier du LBO, avec la création d’une société holding, permet donc de faire remonter les dividendes à faible coût fiscal. La déduction des dividendes d’une partie des frais financiers d’acquisition est donc in fine prise en charge par le contribuable.

Concernant cette dernière pratique, qui fait l’objet de la présente proposition de résolution, les principaux véhicules de capital investissement en France sont : les sociétés de capital risque (SCR), les fonds communs de placement à risques (FCPR), les fonds communs de placement dans l’innovation (FCPI), les fonds d'investissements de proximité (FIP), ainsi que les fonds de fonds.

Si la plupart des fonds de LBO sont structurés sous la forme de FCPR bénéficiant d’une procédure allégée ou de limited partnerships anglo-saxons, qui ne connaissent aucune limitation du pourcentage de leur prise de participation, des SCR ou des FCPR agréés, qui sont eux soumis à de telles limites, peuvent néanmoins également participer à des opérations de LBO, dans la mesure où plusieurs investisseurs en capital se regroupent pour se partager le capital de la société holding de reprise.

Un fonds commun de placement est une copropriété de valeurs mobilières sans personnalité juridique, impliquant l’existence d’une société de gestion pour administrer les participations qu’il détient. N’ayant pas de personnalité juridique, il n’est pas assujetti à l’impôt et les produits et plus-values sont imposés chez le porteur de parts, mais seulement une fois que ceux-ci ont effectivement été distribués.

Un FCPR agréé, un FCPI ou un FIP ne peut détenir plus de 35 % du capital ou des droits de vote d’un même émetteur. Une telle limitation ne vaut pas pour les FCPR allégés, qui peuvent donc investir l’ensemble de leur actif dans une seule et unique cible, si celle-ci n’est ni un OPCVM ni une entité d’investissement.

LES DIFFÉRENTS FONDS COMMUNS DE PLACEMENT

– Les fonds communs de placement à risques (FCPR) ont été créés par la loi n° 83-1 du 3 janvier 1983 sur le développement des investissements et la protection de l’épargne, et ont été réformés par la loi n° 88-1201 du 23 décembre 1988 relative aux organismes de placement collectif en valeurs mobilières et portant création des fonds communs de créances. 50 % au moins des investissements du fonds doivent être placés dans des sociétés non cotées.

– Les fonds communs de placement dans l’innovation (FCPI) ont été créés par l’article 102 de la loi de finances pour 1997 et le décret du 16 mars 1997 : 60 % au moins des investissements doivent être placés en actions de sociétés non cotées innovantes.

– Les fonds d’investissement de proximité (FIP), créés par la loi n° 2002-721 du 1er août 2003 sur l’initiative économique, sont des FCPR dont 60 % au moins des investissements doivent être réalisés dans des PME non cotées situées dans une même zone géographique (jusqu’à trois régions limitrophes) et 10 % au moins dans de jeunes entreprises de moins de 5 ans.

L’article 38 de la loi de finances pour 2005 (loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004) a donné la possibilité aux FCPR et FCPI d’investir dans des sociétés cotées, dont la capitalisation boursière est inférieure à 150 millions d’euros, dans la limite de 20 % de l’actif du fonds, et pour les SCR, dans la limite de 20 % de leur situation nette comptable. La « loi Breton » du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l’économie, a étendu cette possibilité aux FIP.

Concernant la détention de parts dans les FCPI et les FIP, les personnes physiques bénéficient d’une réduction d’impôt sur le revenu égale à 25 % de leur investissement lors de la souscription des parts (à l’entrée), plafonnée à 12.000 euros par personne, et 24.000 euros pour un ménage, en vertu de l’article 199 terdecies-0A du code général des impôts. Cet avantage est conditionné par la conservation des parts du FCPI ou du FIP pendant cinq ans au moins et la détention de moins de 10 % des parts du fonds et de moins de 25 % des droits dans les bénéfices des sociétés. La réduction d’impôt est accordée pour toute souscription de parts jusqu’au 1er janvier 2010, délai fixé par l’article 81 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 portant loi de finances pour 2006.

Enfin, l’article 21 de la loi pour la confiance et la modernisation de l’économie n° 2005-842 du 26 juillet 2005, dite « loi Breton », a également institué, pour la seule année 2005, un avantage fiscal à l’entrée pour les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés investissant dans les FCPI, sous réserve de conserver les titres pendant cinq ans.

Le FCPR agréé ne bénéficie pas d’avantages fiscaux à l’entrée mais ses investisseurs, généralement des personnes physiques, bénéficient d’une exonération d’impôts sous condition de détention et de remploi.

En effet, en vertu de l’article 137 bis du code général des impôts, les sommes ou valeurs réparties annuellement par un FCP constituent des revenus de capitaux mobiliers perçus par les porteurs de parts à la date de cette répartition, qui sont donc imposés dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers dans les conditions de droit commun.

La loi prévoit toutefois des exonérations d’impôt pour les personnes physiques à la sortie, à raison des distributions et des plus-values de cession ou de rachat des parts, sous réserve de les conserver pendant cinq ans, de ne pas détenir avec les membres de leur famille plus de 25 % des droits dans les bénéfices des sociétés concernées et enfin, d’être immédiatement réinvestis et de demeurer donc indisponibles pendant la période de l’engagement de conservation des parts.

Quant aux personnes morales, porteuses de parts de FCPR « fiscaux », elles sont imposées selon les modalités suivantes :

– les distributions des produits perçus par le fonds sont soumises soit à l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun si l’entreprise est soumise à cet impôt, soit à l’impôt sur le revenu si les parts du FCPR sont inscrites à l’actif du bilan d’une entreprise relevant de l’impôt sur le revenu ;

– les distributions d’une fraction des actifs du fonds sont affectées en priorité au remboursement des apports. L’excédent des sommes distribuées sur le montant des apports peut bénéficier, sous certaines conditions, du régime des plus-values à long terme ;

– sous réserve d’un engagement de conservation des parts d’au moins cinq ans, les écarts de valeur liquidative des parts de FCPR ne sont pas pris en compte dans le résultat des sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés ;

– et enfin, le résultat de la cession ou du rachat des parts de FCPR détenues depuis au moins deux ans par une entreprise relevant de l’impôt sur le revenu ou depuis au moins cinq ans par une société soumise à l’impôt sur les sociétés relève du régime des plus ou moins-values à long terme.

Les sociétés de capital-risque ont été créées par la loi n° 85-695 du 11 juillet 1985 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier. Ce sont des fonds à durée illimitée, dont l’actif doit être composé à 50 % au moins de titres de sociétés exerçant une activité commerciale et industrielle. Les titres éligibles ne sauraient « conférer directement ou indirectement à une société de capital risque ou à l’un de ses actionnaires direct ou indirect, la détention de plus de 40 % des droits de vote dans ladite société ».

La SCR elle-même est exonérée de tout impôt sur les sociétés : les résultats de ses investissements dans le non coté, dividendes et plus-values, ne sont donc pas imposés dans la société, et, lorsqu’ils sont distribués, seront taxés au régime des plus-values à long terme. Enfin, les personnes physiques peuvent être totalement exonérées d’impôt pour toutes les sommes provenant de la SCR si elle conserve ses actions pendant cinq ans au moins à compter de leur souscription ou acquisition (article 163 quinquies C II 2° du code général des impôts), si les dividendes distribués au titre de ces actions sont immédiatement réinvestis, et sous condition de ne pas détenir plus de 25 % des droits dans les bénéfices des sociétés dont les titres figurent à l’actif de la SCR.

Ainsi, les avantages fiscaux prévus pour les actionnaires de la SCR s’effectuent à la sortie. Aucun avantage n’est prévu à l’entrée de la SCR.

– La loi du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l’économie a également réformé le régime d’imposition de la cession de parts ou de plus-values sur titres distribuées par un FCPR ou une SCR à une personne physique ou une entreprise soumise à l’impôt sur les sociétés : ainsi, à partir du 1er janvier 2007, ces plus-values seront exonérées d’impôt dès lors que les titres auront été détenus plus de deux ans et qu’ils représentent plus de 5 % du capital de la société émettrice.

– La loi de finances rectificative pour 2005 a permis la prise en compte dans le quota de 50 % fixé aux FCPR et SCR, des investissements dans les sociétés cibles réalisés par une ou plusieurs sociétés holding détenues par un fonds ou des investissements intermédiés effectués par des fonds de fonds, sous réserve d’une déclaration auprès de l’administration fiscale. Ce cadre législatif et réglementaire favorise clairement les opérations de rachat de sociétés via des holdings, qui constituent les modalités privilégiées du LBO, dans la mesure où il lève toute limitation du nombre de niveaux d’interposition.

– Enfin, la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social a adopté des mesures afin de favoriser la reprise d’entreprises, de façon à rendre les salariés actionnaires d’entreprises dont le capital reste fermé tant que le dirigeant est en âge d’exercer. Ainsi, la règle qui oblige les fonds communs de placement d’entreprise (FCPE) dans les entreprises non cotées à détenir un tiers d’actifs liquides ne s’applique pas dans le cadre des FCPE de reprise, et cela, pour prendre en compte les obligations particulières qui sont celles d’un LBO, où la liquidité n’intervient qu’au moment de la sortie. Les FCPE peuvent également nouer des pactes d’actionnaires, à même de faciliter une transmission de l’entreprise impliquant les salariés ; enfin, la société créée pour la reprise de l’entreprise bénéficie d’un avantage fiscal sous la forme d’un crédit d’impôt.

Loin de représenter un outil de rachat de société comme c’était le cas du dispositif de « rachat d’entreprise par les salariés » (RES) mobilisé dans les années 80, cette incitation au développement de l’actionnariat salarié revient à donner la possibilité aux salariés de participer aux opérations de LBO : en effet, l’incitation fiscale bénéficiera au holding de reprise de l’entreprise concernée, à proportion des droits sociaux que ses salariés détiendront dans le capital, à condition qu’au moins 15 salariés – ou 30 % de l’effectif dans les entreprises de moins de 50 salariés – y participent. Force est de constater que ces dispositions concourent à la multiplication des LBO, qui déstabilisent la logique de développement de l’entreprise : les FCPE de reprise d’entreprise ne sont que des véhicules mieux adaptés aux contraintes du LBO. Or, votre Rapporteur estime que la première réponse au problème de la participation des salariés devrait précisément être formulée en termes de salaires, et non au sein de dispositions favorisant ces opérations.

Les dispositifs fiscaux et réglementaires évoqués ont une tendance à l’empilement qui brouille leur lisibilité, mais également leur crédibilité. Les fonds d’investissement sont ainsi les bénéficiaires d’un statut fiscal privilégié à travers la multiplication des exonérations et des avantages prévus ; ceux-ci constituent une dépense fiscale qui ne fait l’objet d’aucune évaluation précise. La commission d’enquête dont la présente résolution propose la création aurait ainsi pour tâche prioritaire de procéder à l’évaluation de cette dépense fiscale, qui constitue un élément d’information indispensable à la représentation nationale.

Le problème majeur posé par ces techniques de rachat réside dans les restructurations des entreprises qui sont occasionnées, la démarche des fonds d’investissement suivant une logique de rentabilité financière au détriment de l’emploi. En effet, au terme d’un rachat par LBO, une partie des profits réalisés par l’entreprise ciblée va au remboursement de la dette d’acquisition, et cela, au détriment des salaires, des conditions de travail mais également du financement durable et maîtrisé de l’entreprise.

À l’issue d’une opération de LBO, une nouvelle gestion est imposée par les investisseurs à l’entreprise rachetée : c’est « la mise sous tension », qui conduit à reporter sur cette dernière les contraintes drastiques du remboursement des emprunts. Dès lors, toute décision de l’entreprise est évaluée à l’aune de son impact sur les ressources nécessaires au remboursement de la dette.

L’EXEMPLE CEGELEC

L’ancienne division d’Alstom spécialisée dans les services d’énergie et d’électricité a été rachetée en 2001 pour un montant de 796,4 millions d’euros par deux fonds, CDC Entreprise, filiale de la Caisse des dépôts, et Charterhouse, un fonds britannique, tous deux détenteurs de 45 % de l’entreprise, alors même qu’ils n’ont financé le rachat qu’à hauteur de 10 %, pour un montant de 82,5 millions d’euros : en effet, le reste est financé par des obligations et des emprunts, soit un endettement qui a coûté 43 millions d’euros à l’entreprise en 2002, 25 millions d’euros en 2003, 340 millions d’euros en 2004, et 148 millions d’euros en 2005. Or, en mars 2006, l’entreprise a été revendue à LBO France pour 700 millions d’euros (1,15 milliard d’euros, dette incluse). Les actionnaires initiaux ont multiplié leur mise par huit, alors que l’entreprise est une seconde fois endettée, à hauteur de 750 millions d’euros.

Votre Rapporteur a alerté à plusieurs reprises le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie sur les conséquences désastreuses de cette logique de rentabilité à court terme de l’entreprise. Il a ainsi pu mettre en garde dans sa question écrite n° 91432 publiée au Journal officiel le 11 avril 2006, contre « les conséquences négatives de modes de financement et de stratégies d’actionnariat parasitaires, qui ignorent les attentes sociales et réduisent le travail à une variable de profitabilité ».

Selon les syndicats, le premier LMBO s’est traduit par 3.000 suppressions d’emploi dans le groupe, une compression des salaires et une remise en cause d’acquis sociaux, à travers l’instauration d’un climat de tension organisé pour provoquer la démission d’une partie du personnel ou multiplier les licenciements individuels. Les investisseurs ne reconnaissent quant à eux que 50 emplois supprimés sur 24.000, alors que l’entreprise en annonce 580 sur 12.700.

Votre Rapporteur estime clairement inacceptable cette incertitude à l’égard des conséquences sur l’emploi du rachat de l’entreprise par effet de levier : dans ce contexte, la création par la représentation nationale d’une commission d’enquête destinée à « évaluer les conséquences de telles pratiques sur l’emploi, les salaires et les conditions de travail » est plus que jamais indispensable.

Selon une étude réalisée par le cabinet Ernst&Young, les entreprises contrôlées partiellement ou en totalité par des fonds d’investissement employaient 1,5 million de salariés en France en 2005, un effectif qui aurait augmenté de 60.000 emplois entre 2004 et 2005, alors que les effectifs du secteur privé ne progressaient que de 0,6 %, soit 100.000 créations nettes d’emplois, et que ceux des entreprises du CAC 40 régressaient de 0,2 %1. Cet affichage d’une création nette d’emploi doit toutefois être soumis à la critique, et cette tâche pourrait opportunément incomber à la commission d’enquête dont la création est demandée par la présente résolution. En effet, « la mise sous tension » des sociétés à la suite d’un LBO conduit immanquablement à faire de l’emploi une variable d’ajustement financière : au-delà d’un simple calcul comptable, c’est la précarisation des emplois et l’impact des suppressions d’emplois sur certains sites industriels qu’une commission d’enquête pourrait évaluer.

L’usine Well du Vigan, site d’industrie textile gardois, a récemment illustré ces conséquences : devenue en 2001 la propriété du groupe Natexis, - aujourd’hui Natixis à la suite de sa fusion avec Ixis, filiale des Caisses d’épargne –, l’entreprise a appris l’arrêt total et définitif de la production sur le site gardois et la suppression de 300 emplois. Notre collègue William Dumas, député socialiste du Gard, a alerté le 30 novembre dernier le ministre délégué à l’industrie par sa question écrite n° 3062, sur les conséquences désastreuses de cette fermeture sur l’ensemble du bassin d’emploi : en effet, dans la ville du Vigan, où est actuellement implantée l’entreprise, le taux de chômage atteint déjà 17 %. Votre Rapporteur ne peut que partager les inquiétudes de son collègue sur l’impact en termes d’emploi des pratiques des fonds d’investissement. L’opportunité de la création d’une commission d’enquête en sort indéniablement renforcée.

Le « collectif LBO », fondé en mars 2006 par des syndicalistes de la Confédération générale du travail (CGT) dénonce cette précarisation de l’emploi, qui prend la forme d’un recours abusif au travail intérimaire, pouvant représenter jusqu’à 30 % de la masse salariale dans certaines sociétés rachetées, mais qui passe également par le non remplacement de nombreux départs en préretraite.

Dans un tel contexte, où les positions sont tranchées et en opposition frontale, une commission d’enquête, fruit de la représentation nationale et composée de toutes les sensibilités politiques du Parlement, serait plus à même de mener une évaluation complète de l’impact sur l’emploi des opérations de LBO.

LA CONFÉRENCE DE NYON : UN APPEL À L’ENCADREMENT RÉGLEMENTAIRE DES PRATIQUES DES FONDS D’INVESTISSEMENT

La Conférence sur « l’impact des fonds d’investissement / de LBO sur l’économie, les travailleurs et les syndicats en Europe », réunie à Nyon, en Suisse, le 16 novembre 2006, a rassemblé plus de soixante syndicalistes, parlementaires nationaux et européens, chercheurs et experts universitaires.

Elle s’est fait l’écho des principales inquiétudes concernant les pratiques des acteurs du capital-investissement : elle a estimé que ces fonds drainent à eux des ressources dont l’économie réelle aurait grand besoin pour se développer, et a appelé à la mise en place d’une réglementation stricte et d’une supervision démocratique des capitaux des fonds d’investissement, ainsi qu’à une action concrète de syndicalisation et de négociation de la part du mouvement syndical européen.

Elle s’est ainsi prononcée en faveur de la limitation du montant de l’endettement à la proportion financée par des capitaux d’investissement réel en matière de rachat d’entreprise, et de la mise en place de freins aux « transactions éclair » ; elle a également demandé l’imposition des plus-values en capital résultant de la vente d’actifs et la surveillance de l’activité des fonds d’investissement par les autorités publiques.

Un autre débat soulevé par les opérations de LBO réside dans le partage de la plus-value qui résulte de ces méthodes : en effet, la remontée des dividendes successive à l’opération de rachat prive en réalité les salariés de l’entreprise de toute participation au partage de la plus-value réalisée par la société, cette dernière étant accaparée par les investisseurs d’une part, et par l’équipe de direction de l’autre.

Cette préoccupation a été relayée par le chef de l’État, qui, dans ses vœux aux forces vives de la Nation présentés le 4 janvier 2007, a estimé que les fonds d’investissement décidant de revendre une entreprise devraient « reverser aux salariés une fraction significative de la plus-value réalisée, par exemple 20 % ». Dans ce contexte, la création d’une commission d’enquête parlementaire permettrait d’éclairer le débat relatif au partage de la plus-value et d’inspirer des propositions dans ce domaine.

Le contexte économique d’un marché de la dette très liquide et concurrentiel favorise les méthodes de rachat par effet de levier. En effet, l’opération de LBO consistant à dégager une marge entre le coût de la dette et la rentabilité des actifs gérés, le contexte de taux d’intérêts bas apparaît très favorable aux acteurs du capital investissement, qui peuvent bénéficier de taux de retour sur investissement (TRI) plus élevés. C’est le principe même de l’effet de levier qui consiste à pouvoir emprunter davantage en engageant moins de capitaux propres.

D’autre part, la méthode même du rachat d’une entreprise par endettement conduit à gonfler le prix de l’actif de façon artificielle. Or, le dynamisme des opérations de LBO conduit les fonds d’investissement à vendre ces actifs entre eux, dans le cadre de LBO secondaires ou tertiaires, pour assurer leur liquidité. Cette rotation aggrave l’écart entre la valorisation financière de l’actif et sa valeur réelle, d’où le risque de formation d’une bulle. Ainsi, la société Frans Bonhomme, spécialiste de la tuyauterie, a connu quatre LBO en douze ans, pour voir sa valorisation atteindre in fine près d’un milliard d’euros, un montant vingt fois supérieur à son résultat net.

Le phénomène de « bulle » ainsi favorisé est à la merci d’un éclatement en cas de hausse brutale des taux d’intérêt, entraînant un défaut de paiement des acteurs centraux. M. Claude Bébéar, président du conseil de surveillance d’Axa, a ainsi lui-même mis en garde contre ces dangers, et a appelé en novembre dernier à une régulation des pratiques des fonds d’investissement, dénonçant leur approche court-termiste2.

Les opérations de leverage buy-out, et plus généralement les méthodes mobilisées par les capital-investisseurs, bénéficient d’un large soutien des établissements bancaires qui consentent des prêts de plus en plus importants proportionnellement aux fonds propres engagés pour le rachat d’une entreprise. La spécialisation des banques dans le soutien aux fonds d’investissement, à l’image de BNP Paribas, contribue ainsi au gonflement de la dette à acquitter par les sociétés rachetées : on ne peut dès lors que regretter une telle orientation de la part d’établissements bancaires, dont le rôle dans l’intermédiation financière devrait passer au contraire par l’accompagnement direct des entreprises dans une politique d’investissement durable et une stratégie de développement propre.

La puissance acquise par les acteurs du capital investissement leur permet de lever des fonds importants auprès des banques pour le montage de leurs opérations de rachat d’entreprises non cotées par endettement, et cela, alors que ces mêmes banques rechignent à prêter des fonds pour l’investissement et le développement des petites et moyennes entreprises (PME). Le problème de fond réside donc bien dans la possibilité pour les PME d’accéder réellement et directement au crédit.

Les difficultés de financement et d’investissement des petites et moyennes entreprises ont conduit à la création d’OSEO, par regroupement de l’Agence nationale de valorisation de la recherche (Anvar), de la Banque du développement des PME (BDPME) et de la Société de garantie du financement (Sofaris). OSEO, établissement public créé par l’ordonnance n° 2005-722 du 29 juin 2005, est ainsi destiné à soutenir l’innovation, notamment technologique, le financement des investissements et du cycle d’exploitation des entreprises petites et moyennes, en partenariat avec les banques, mais également à garantir les financements bancaires et les interventions en fonds propres.

De la même manière, le programme France Investissement, lancé en novembre 2006 et qui repose sur l’association de la Caisse des dépôts et consignations avec des investisseurs privés, a pour objectif d’abonder les fonds d’investissement dans les PME innovantes et en développement : un apport de deux milliards d’euros sur six ans de la Caisse des dépôts a d’ores et déjà été complété par 400 millions d’euros de financement privé.

On pourrait ainsi se réjouir de la volonté de prendre en compte des difficultés propres aux PME pour financer leur développement. Néanmoins, votre Rapporteur tient à souligner que ces dispositifs ne s’accompagnent d’aucun encadrement spécifique des pratiques des acteurs du capital investissement, ni d’aucune mesure de prise en compte de l’emploi et des salaires. En l’occurrence, et en l’absence de tout contrôle démocratique de l’action de ces outils d’accompagnement, la seule logique de l’efficacité financière privilégiée par les fonds d’investissement est au contraire favorisée, sans interrogation aucune sur les conditions de travail ou le développement industriel des entreprises concernées.

Ces raisons militent donc en faveur d’une réflexion plus large, qui serait confiée à la représentation nationale, sur l’opportunité de la création d’un véritable pôle financier public, – autour de la Caisse des dépôts et consignations, qui associerait notamment la Banque de France, la Banque postale, et pourrait tisser des liens avec des établissements mutualistes qui ont une mission d’intérêt général comme les caisses d’épargne –, pour mener une politique d’investissement et de développement des entreprises, surtout petites et moyennes, fondée sur la sécurisation et la promotion de l’emploi, de la formation, des salaires et des conditions de travail, en privilégiant le développement industriel durable au détriment de la logique de l’efficacité financière d’investisseurs extérieurs.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa séance du 17 janvier 2007, la Commission a examiné la proposition de résolution de M.. Alain Bocquet, tendant à la création d’une commission d’enquête sur la place et le rôle des fonds d’investissement dans l’économie, sur leurs méthodes d’acquisition d’entreprises par effet de levier appelées LBO, sur les conséquences de telles pratiques pour l’emploi, les salaires et les conditions de travail ainsi que sur les solutions alternatives qui pourraient être mises en œuvre à partir de la constitution d’un pôle financier public (n° 3491).

Votre Rapporteur a précisé que cette proposition respecte les deux conditions de recevabilité posées par le Règlement, ainsi que par l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires :

– en effet, d’une part, la présente proposition détermine « avec précision les faits qui donnent lieu à l’enquête », puisqu’il s’agit non seulement de mesurer l’importance acquise, dans les dernières années, par les fonds d’investissement dans l’économie française, mais également de présenter l’une des techniques particulières utilisées par ces fonds dans le domaine de la transmission de capital : la méthode de rachat par LBO (leverage buy-out). La finalité de l’enquête consisterait à évaluer l’impact de ce type d’opérations d’investissement sur les salariés, et, à partir de cette analyse, des conclusions sur le rôle de la puissance publique dans le capital investissement devraient être tirées par la commission d’enquête ;

– d’autre part, si aucune réponse de la Chancellerie n’est à ce jour parvenue concernant d’éventuelles poursuites judiciaires en cours sur les faits ayant motivé la proposition, cette éventualité, au demeurant faible, ne constituerait pas un obstacle définitif à la mise en place d’une commission d’enquête. Tout au plus, imposerait-elle de les prendre en compte dans la délimitation du champ d’investigation de la commission.

Mais c’est plus encore sur l’opportunité de la création d’une telle commission d’enquête qu’il convient d’insister. Avec un chiffre d’affaires de près de 200 milliards d’euros en 2005, soit 11,6 % du PIB français, la place essentielle prise par les fonds d’investissement dans l’économie française est indéniable. Or, 78 % des investissements réalisés en 2005 sont à mettre au compte de la transmission de capital, secteur privilégié des opérations de LBO. 1.700 entreprises en France sont actuellement sous LBO, ce type d’opérations a d’ailleurs augmenté au cours de l’année 2006, avec 208 LBO supplémentaires. Ce sont essentiellement des fonds anglo-saxons qui investissent.

L’opération de leverage buy-out (LBO) se traduit par le rachat d’une entreprise avec effet de levier, c’est-à-dire avec endettement bancaire : concrètement, une société holding est créée, qui s’endette pour racheter la cible. Mais c’est la société cible qui est en réalité mise à contribution pour rembourser la dette d’acquisition. Le recours à ce type d’opérations est largement favorisé par la réglementation fiscale :

– d’une part, les fonds d’investissement bénéficient en France de larges exonérations. Celles-ci constituent une dépense fiscale, qui n’a fait l’objet d’aucune évaluation globale. Une commission d’enquête aurait pour tâche prioritaire de procéder à l’évaluation de cette dépense fiscale, qui constitue un élément d’information indispensable à la représentation nationale ;

– d’autre part, les opérations de rachat d’entreprises qui passent par la création de holding profitent du régime d’intégration fiscale, dit régime « mère-fille ». La remontée des dividendes de la société rachetée vers la société holding est donc réalisée à un faible coût fiscal.

Ce régime fiscal privilégié mérite d’être évalué à l’aune des conséquences des opérations de LBO sur l’emploi. Les exemples foisonnent, de l’entreprise Cegelec, ancienne filiale d’Alstom, avec deux LBO successifs, qui se sont soldés par la suppression de 3.000 emplois selon les syndicats, à l’usine Well du Vigan, qui est condamnée à l’arrêt définitif de la production sur son site et la suppression de 300 emplois, à la suite de son acquisition par Natexis Industrie, filiale de Natexis spécialisée dans l’investissement en capital.

Dans un tel contexte, une commission d’enquête, fruit de la représentation nationale et composée de toutes les sensibilités politiques du Parlement, serait plus à même de mener une évaluation complète de l’impact sur l’emploi des opérations de LBO.

Enfin, et eu égard à la difficulté persistante d’accès au crédit et donc à l’investissement, des PME, il semble indispensable de se pencher sur les conditions de la création d’un pôle financier public, capable de mener une politique d’investissement et de développement des entreprises, fondée sur la sécurisation et la promotion de l’emploi, de la formation, des salaires et des conditions de travail, en privilégiant le développement industriel durable au détriment de la logique de l’efficacité financière d’investisseurs extérieurs. De telles solutions alternatives devraient également être au cœur de la mission de la commission d’enquête.

Alors que les gouvernements des pays voisins, en Allemagne et au Royaume-Uni, viennent de tirer la sonnette d’alarme concernant les pratiques des fonds d’investissement, la commission des Finances pourrait ouvrir ce chantier avec intérêt.

Le Président Pierre Méhaignerie a tout d’abord souligné le caractère sensible du sujet, mais également l’existence des contraintes calendaires qui sont désormais fortes, compte tenu des échéances électorales.

La commission des Finances est très attachée à la politique industrielle et au dynamisme des PME. Plusieurs questions se posent quant au rôle des fonds d’investissement, sujet qui relève de la compétence de la Commission et ne nécessite a priori pas la création d’une commission d’enquête.

Il y a, en France, environ 1.600 entreprises sous LBO. Il est évident que la recherche d’une rentabilité immédiate peut avoir des incidences sur l’emploi et sur la politique industrielle dans certains bassins. Il est également indéniable que le droit gagnerait à être précisé. Par ailleurs, il faut insister sur le caractère parfois invérifiable de certaines des informations qui circulent sur les opérations de LBO. Ainsi, les informations avancées par l’Association française des investisseurs en capital (AFIC), selon lesquelles les entreprises qui ont été reprises à la suite d’opérations de LBO ont créé plus d’emplois que la moyenne des entreprises françaises et que la qualité de la gestion a permis d’améliorer leur situation, notamment en termes d’emplois, doivent être vérifiées. Enfin, une comparaison avec les pays européens apparaît indispensable.

Un travail approfondi ne peut toutefois être entrepris d’ici à la fin des travaux parlementaires. C’est pourquoi il convient de prendre l’engagement que, dès le début de la prochaine législature, un travail d’information, interne à la Commission, sera entrepris. Si un consensus se dégageait d’ores et déjà à ce propos, il lierait la prochaine Commission, quelle que soit sa composition. Une mission d’information serait alors constituée. Néanmoins, si un ou plusieurs commissaires souhaitaient s’emparer du sujet dès à présent, il serait tout à fait possible de mener un premier travail, en quelque sorte préparatoire, sur le rôle et la place des fonds d’investissement dans l’économie française.

Votre Rapporteur a approuvé la proposition du Président Pierre Méhaignerie. Il est souhaitable de préparer dès à présent les travaux plus approfondis qui pourront être menés, sous la prochaine législature, par la Commission des finances.

M. Jean-Claude Sandrier a souligné la nécessité de créer un petit groupe de travail qui pourrait commencer les travaux avant la fin des travaux parlementaires.

Le Président Pierre Méhaignerie a précisé qu’il attendait que les groupes politiques désignent leurs représentants.

M. Nicolas Perruchot a regretté que le texte de la proposition de résolution soit trop partisan. Les LBO ont créé des emplois et de la croissance en France. En particulier, grâce aux fonds d’investissement, de nombreuses PME qui se situent dans une fourchette de rachat allant jusqu’à 50 millions d’euros ont trouvé des garanties de pérennité. Il ne faut pas considérer les LBO uniquement comme des « cash machines » qui rémunèrent leurs actionnaires au détriment des emplois et de l’intérêt des entreprises. Les fonds d’investissement peuvent permettre à des PME situées dans des niches de bénéficier d’effets de levier favorisant leur croissance. Une enquête récente de l’AFIC montre ainsi que les entreprises qui ont bénéficié de LBO ont dégagé une croissance supérieure aux autres.

M. Jean-Jacques Descamps a ajouté que la proposition, faite par le Rapporteur, de créer un pôle financier public lui rappelait de mauvais souvenirs, notamment l’organisation économique de certains pays avant 1989.

M. Henri Emmanuelli a indiqué qu’il doutait de l’affirmation selon laquelle le mode de financement par LBO produit davantage d’emplois que les autres, en particulier au regard des pratiques et des objectifs des fonds d’investissement en général et, plus particulièrement, des fonds de retournement. Il serait intéressant de déterminer si les objectifs et la méthodologie des LBO ne sont pas contradictoires avec les intérêts industriels à moyen terme des entreprises concernées.

M. Michel Bouvard a souligné qu’il existe des exemples très positifs d’opérations de LBO, mais également des cas désastreux en matière d’emplois et d’avenir industriel. Il convient donc de déterminer la part des uns et des autres et de définir les moyens de promouvoir une orientation durable en matière de création d’emplois et de croissance des entreprises concernées.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a ajouté qu’il est nécessaire de revoir les dispositifs fiscaux relatifs à ces opérations.

Votre Rapporteur s’est déclaré satisfait du consensus qui s’est dégagé sur l’intérêt d’étudier la place et le rôle des fonds d’investissement. Il convient, même dans une approche libérale, de s’intéresser au sujet et de mettre en place quelques verrous, pour empêcher des dérives qui pourraient s’avérer dramatiques pour le tissu industriel et pour l’emploi.

La Commission a alors rejeté la proposition de résolution et a prévu, d’une part, de procéder prochainement à l’audition de plusieurs acteurs du secteur, comme l’AFIC, le « collectif LBO » et CDC Investissement, et, d’autre part, que la Commission des finances de la prochaine législature organise une mission d’information sur la place et le rôle des fonds d’investissement dans l’économie française.

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