N° 3763
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 février 2007.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (N° 3043) DE M. THIERRY MARIANI, RAPPORTEUR DE LA DÉLÉGATION POUR L’UNION EUROPÉENNE, sur la proposition de directive relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (E2948),
PAR M. Thierry MARIANI,
Député.
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Voir le numéro : 3042
INTRODUCTION 5
I. LA COMMISSION EUROPÉENNE PROPOSE DE FRANCHIR UN NOUVEAU CAP DANS L’HARMONISATION DES DISPOSITIFS DE LUTTE CONTRE L’IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE 6
A. LES RÉALISATIONS DE L’UNION EUROPÉENNE EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE L’IMMIGRATION CLANDESTINE 6
B. UNE INITIATIVE AUDACIEUSE DE LA COMMISSION 7
1. La priorité donnée au retour volontaire 8
2. L’encadrement de la rétention 8
3. La création d’une interdiction européenne du territoire 9
II. UNE PROPOSITION DE DIRECTIVE QUI NE RESPECTE PAS SUFFISAMMENT LE PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ 9
A. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA DÉLÉGATION POUR L’UNION EUROPÉENNE METTAIT DÉJÀ L’ACCENT SUR CERTAINES CRITIQUES 9
1. Règles relatives à l’éloignement et respect du principe de subsidiarité 9
2. La question du placement en rétention par l’autorité judiciaire 10
3. Les problèmes liés à la priorité donnée au retour volontaire 11
B. LA QUESTION TRÈS DÉLICATE DE LA DURÉE MAXIMUM DE RÉTENTION 11
1. Une disposition pour le moins ambiguë sur la durée maximum de rétention 11
2. Une disposition qui n’est pas acceptable en l’état 12
EXAMEN EN COMMISSION 13
PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION SUR LA PROPOSITION DE DIRECTIVE RELATIVE AUX NORMES ET PROCÉDURES COMMUNES APPLICABLES DANS LES ÉTATS MEMBRES AU RETOUR DES RESSORTISSANTS DE PAYS TIERS EN SÉJOUR IRRÉGULIER 17
TABLEAU COMPARATIF 19
MESDAMES, MESSIEURS,
La commission des Lois est saisie, en application de l’article 88-4 de la Constitution, d’une proposition de résolution que votre rapporteur a eu l’honneur de déposer en tant que rapporteur de la Délégation pour l’Union européenne, le 12 avril 2006.
Cette proposition de résolution concerne la proposition de directive relative aux normes et procédures applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (COM [2005] 391 final / E 2948).
En effet, la Commission européenne a estimé qu’il était nécessaire de franchir un nouveau cap dans l’harmonisation des procédures d’éloignement. De fait, l’adoption en l’état de cette proposition rendrait nécessaire de profonds changements de la procédure d’éloignement applicable en France.
Il est donc important que l’Assemblée nationale puisse se prononcer sur cette proposition de directive avant l’achèvement des travaux parlementaires. En effet, les institutions européennes compétentes devraient être amenées à se prononcer sur ce texte inscrit à l’ordre du jour du Parlement européen le 23 avril prochain. Quant au Conseil, il pourrait débattre de cette question le 12 juin.
Par ailleurs, depuis que la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui a été adoptée par la Délégation pour l’Union européenne, l’un des points centraux du texte a été précisé dans les versions les plus récentes. En effet, il semble que la durée maximum de six mois pour le placement en rétention ne constitue pas un plafond, mais bien un objectif vers lequel doivent tendre les États membres.
Compte tenu du caractère très sensible de cette disposition et des conséquences qu’aurait son adoption sur notre législation en matière d’éloignement, la commission des Lois doit donc prendre une position ferme sur ce sujet afin d’éclairer le Gouvernement au moment où les négociations vont rentrer dans une phase décisive.
I. LA COMMISSION EUROPÉENNE PROPOSE DE FRANCHIR UN NOUVEAU CAP DANS L’HARMONISATION DES DISPOSITIFS DE LUTTE CONTRE L’IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE
Adopter une approche convergente en matière de lutte contre l’immigration clandestine est un impératif dans un espace aussi intégré que l’Union européenne, tout particulièrement au sein de l’espace Schengen.
Le premier axe d’une politique de lutte contre l’immigration clandestine réside dans le contrôle des entrées de migrants :
— un effort particulier a été consenti dans le domaine des contrôles à l’entrée. En effet, à partir du moment où un visa « Schengen » permet de se déplacer librement au sein des pays qui composent cet espace, il est indispensable de rapprocher les normes applicables en matière de contrôle à l’entrée. Il s’agit notamment d’éviter que les candidats à l’immigration irrégulière n’utilisent les différences en matière de délivrance des visas afin de se rendre dans le pays de leur choix, phénomène parfois appelé le « visa shopping ». Le Conseil a ainsi adopté le 13 décembre 2004 un règlement harmonisant les normes de sécurité des passeports en y intégrant les éléments d’identification biométrique, en cohérence avec l’approche retenue pour les visas, depuis le congrès de Laeken où fut adopté le principe de la mise en place d’un système d’information sur les visas (VIS). Le projet de règlement établissant le système d’information sur les visas (VIS) a été présenté le 27 décembre 2004 ;
— une politique commune de gestion intégrée des frontières est également nécessaire, avec notamment la création de l’agence FRONTEX (1) par une décision du Conseil du 26 octobre 2004 qui a pour objectif l’amélioration de la coopération opérationnelle entre les États membres aux frontières extérieures de l’Union européenne.
Le second axe de cette politique d’immigration concerne l’éloignement des étrangers en situation irrégulière. L’Union a déjà adopté quatre textes dans ce domaine :
— La directive 2001/40/CE du 28 mai 2001 relative à la reconnaissance mutuelle des décisions d’éloignement des ressortissants de pays tiers, issue d’une initiative française, a été transposée par la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers et à la nationalité. Elle a été complétée par la décision 2004/191/CE du 23 février 2004 précisant les modalités pratiques du remboursement des frais engagés par l’État d’exécution lors des opérations d’éloignement ;
— La directive 2003/110/CE du 25 novembre 2003 concernant l’assistance au transit dans le cadre de mesures d’éloignement par voie aérienne, issue d’une initiative allemande, précise les modalités de l’assistance fournie par un État membre lorsqu’un vol d’éloignement organisé par un autre État membre transite sur son territoire. Ce texte a été transposé par la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration ;
— La décision 2004/573/CE du 29 avril 2004 relative à l’organisation de vols communs pour l’éloignement invite les États membres à coordonner leur action en vue de l’organisation de vols groupés européens. La France a déjà organisé plusieurs vols groupés en coopération avec d’autres États membres, vers la Bulgarie (avec l’Espagne, en 2002), l’Afghanistan (avec le Royaume-Uni, en 2003 et en 2005), la Côte d’Ivoire et le Sénégal (avec l’Allemagne) ainsi que la Roumanie (avec l’Italie et l’Espagne, en 2003 et en 2005).
— Sur le plan financier, la Commission a proposé de créer un Fonds européen pour le retour pour la période 2008-2013, dans le cadre du programme général « Solidarité et gestion des flux migratoires » qu’elle a présenté en avril 2005. Ce Fonds financerait notamment le renforcement de la coopération entre les États membres dans le cadre d’une gestion intégrée des retours.
Par ailleurs, cinq accords communautaires de réadmission ont été conclus (Macao, Hong-Kong, Sri Lanka, Albanie, Russie) sur les seize mandats de négociation qui ont été confiés à la Commission. Des discussions doivent s’engager ou se poursuivre avec le Maroc, la Turquie, le Pakistan, l’Ukraine, la Chine, et l’Algérie. Enfin, récemment de nouveaux mandats ont été accordés à la Commission pour qu’elle négocie des accords de réadmission avec la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, le Monténégro, la Macédoine et la Moldavie.
De nombreux États membres, dont la France, considèrent que l’éloignement relève principalement de leur responsabilité et que la mission principale des institutions communautaires, et notamment de la Commission doit être d’aboutir rapidement dans la conclusion d’accords de réadmission. Pour autant, la Commission souhaite harmoniser les règles applicables en matière d’éloignement car elle estime que cela est indispensable dans le cadre d’une politique migratoire européenne, ce qui l’a conduite à proposer le texte que nous examinons aujourd’hui.
Le texte prévoit une procédure d’éloignement en deux étapes, avec la création d’une décision de « retour » précédant la décision d’ « éloignement » : l’idée consiste à séparer en deux temps la période allant de la constatation du séjour irrégulier à l’expulsion elle-même, afin de donner la priorité au retour volontaire de l’étranger auquel un « délai approprié » de départ volontaire de quatre semaines au maximum est en principe accordé, sauf s’il y a lieu de penser qu’il pourrait prendre la fuite. La décision de retour et la décision d’éloignement peuvent cependant être prises dans un seul et même acte. La décision d’éloignement doit préciser le délai d’exécution et le pays de retour, ainsi que le prévoit le droit français depuis la loi du 24 juillet 2006.
La proposition autorise l’utilisation de mesures coercitives pour procéder à l’éloignement, si la personne s’oppose à celui-ci, à condition qu’elles soient proportionnées, conformes aux droits fondamentaux et dans le respect de la dignité de la personne, et que l’usage de la force ne dépasse pas les limites du raisonnable. Le texte renvoie sur ce point aux orientations non contraignantes annexées à la décision 2004/573/CE (qui prévoient, par exemple, qu’un médecin devrait être présent sur chaque vol groupé et interdisent l’usage de sédatifs ainsi que toute mesure pouvant comprimer la cage thoracique de la personne concernée).
Parmi les garanties procédurales prévues, figure notamment le droit à un recours juridictionnel effectif, qui devrait avoir un effet suspensif ou conférer au requérant le droit de demander le sursis à exécution de la décision de retour ou d’éloignement. L’assistance d’un avocat et le, cas échéant, d’un interprète devrait être assurée, ainsi qu’une aide juridictionnelle pour ceux n’ayant pas de ressources suffisantes.
La proposition encadre le recours à la garde temporaire (c’est-à-dire, en France, au placement en centre de rétention administrative). Le placement en rétention administrative, ne doit avoir lieu qu’en ultime recours, s’il est constaté que des mesures moins coercitives n’ont pas été suffisantes. En tout état de cause, le texte demande que le recours à la rétention soit proportionné au seul risque de fuite de l’intéressé.
Par ailleurs, la décision de placement en garde temporaire devrait être prise par les autorités judiciaires, sauf urgence ; auquel cas elle pourrait être prise par les autorités administratives sous réserve d’être confirmée dans un délai de 72 heures par les autorités judiciaires. Elle devrait faire l’objet d’un contrôle par l’autorité judiciaire au moins une fois par mois. Elle pourrait, dans le texte initial de la proposition de directive, être prolongée par les autorités judiciaires, pour une durée maximale de six mois. Les personnes placées en rétention devraient être traitées humainement et dignement, dans le respect de leurs droits fondamentaux, et être autorisées à entrer en contact dans les meilleurs délais avec leurs représentants légaux, les membres de leur famille, ainsi qu’avec les autorités consulaires, les organisations internationales et les ONG compétentes. La garde temporaire devrait en principe être effectuée dans des centres spécialisés ; si l’intéressé est placé, à défaut, dans un établissement pénitentiaire il doit être en permanence physiquement séparé des prisonniers de droit commun. Une attention particulière doit être portée aux personnes vulnérables, telles que les mineurs.
Il est enfin envisagé que le projet de directive aboutisse à une harmonisation des durées de maintien en rétention en vigueur dans les États membres.
Dans le souci d’envoyer un signal fort aux filières d’immigration clandestine, le projet de directive prévoit que les décisions d’éloignement (et, éventuellement, les décisions de retour) prises par chaque État membre sont assorties d’un délai (jusqu’à cinq ans) durant lequel la personne éloignée aura l’interdiction de pénétrer à nouveau sur l’ensemble du territoire européen.
II. UNE PROPOSITION DE DIRECTIVE QUI NE RESPECTE PAS SUFFISAMMENT LE PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ
A. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA DÉLÉGATION POUR L’UNION EUROPÉENNE METTAIT DÉJÀ L’ACCENT SUR CERTAINES CRITIQUES
Les règles relatives à l’éloignement des étrangers en situation irrégulière constituent un domaine fortement lié à l’exercice de leur souveraineté par les États membres. C’est pourquoi la résolution que nous examinons critique le caractère « excessivement détaillé » et insiste sur la nécessité de respecter le principe de proportionnalité.
Pour autant, la délégation pour l’Union européenne ne nie pas à l’Union européenne toute légitimité à intervenir dans ce domaine. En effet, l’existence de règles communes est nécessaire par exemple pour « régler les cas dans lesquels un ressortissant d’un pays tiers qui fait déjà l’objet d’une décision de retour ou d’éloignement ou d’une interdiction de réadmission édictée par un État membre est arrêté dans un autre État membre ou tente de pénétrer sur le territoire d’un autre État membre » (2).
De plus, sur le plan opérationnel, la mise en œuvre de règles communes est utile pour faciliter la coopération entre les États membres, en particulier pour l’organisation de vols groupés européens et la conclusion d’accords communautaires de réadmission.
En outre, le principe d’une interdiction de réadmission dans l’ensemble des États membres est la conséquence logique de la suppression des frontières intérieures. Cette disposition constitue donc le principal apport de la proposition de directive et votre rapporteur en approuve pleinement le principe. L'interdiction de réadmission peut avoir, en effet, un caractère dissuasif à l'endroit des candidats à l'immigration irrégulière. Il est nécessaire, à cette fin, que les États puissent la mettre en œuvre sans qu'ils soient tenus de la justifier au regard de critères très contraignants. À cet égard, l'article 9 de la directive peut être amélioré. Il prévoit, à ce stade, que les décisions d’éloignement comportent une interdiction de réadmission d’une durée de cinq ans maximum, et que cette durée doit être fixée en tenant compte de toutes les circonstances propres à chaque cas particulier (menace éventuelle à l’ordre public, décision d’éloignement pour la première fois…). Votre rapporteur pense que le pouvoir d'appréciation de l'administration doit rester large, pour que la mesure d'interdiction de territoire soit fréquente et, partant, qu'elle ait un caractère réellement dissuasif. En particulier, l'interdiction de réadmission ne doit pas être subordonnée à une menace à l'ordre public et doit pouvoir être prise dès la première mesure d'éloignement du territoire
Votre rapporteur s’interroge également sur la possibilité d’annuler l’interdiction d’entrée sur le territoire des États membres en cas de remboursement des frais de l’éloignement par l’étranger car elle est susceptible de donner lieu à des détournements ou des abus par les réseaux criminels se livrant à la traite des êtres humains et au proxénétisme. Cette position semble partagée par une majorité de délégations au sein du Conseil.
Si l’Union européenne peut utilement rapprocher les législations des États membres en matière d’éloignement, son intervention doit donc toujours être dûment justifiée par la valeur ajoutée que peut apporter l’harmonisation.
À cet égard, la répartition des compétences entre les autorités judiciaires et administratives en ce qui concerne le placement en rétention ne concerne en aucune manière les institutions de l’Union européenne. Ainsi, la France ne peut accepter que la proposition de directive impose que le placement en rétention ne puisse être décidé que par l’autorité judiciaire, ce qui entraînerait un bouleversement injustifié de nos pratiques. En effet, l’article L. 551-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers précise que la décision de placement en rétention est prise par le préfet pour une durée de 48 heures. La prolongation de la rétention au-delà de ce délai ne peut alors être décidée que par l’autorité judiciaire, c’est-à-dire d’après l’article L. 552-1, le juge des libertés et de la détention. Ainsi, notre procédure permet de garantir les droits des étrangers, notamment par une intervention très rapide du juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle. En matière de garde à vue, le juge judiciaire n’intervient également que pour prolonger la garde à vue, laquelle est décidée par un officier de police judiciaire, et non par un magistrat : rien ne justifie donc de décider une procédure plus exigeante pour la rétention administrative que pour la garde à vue. D’ailleurs, les premières négociations en cours au sein du Conseil ont permis la prise en compte des objections françaises dans ce domaine.
S’agissant de la priorité donnée au retour volontaire, celle-ci doit se traduire par une procédure en deux étapes et l’octroi d’un délai approprié pour un départ volontaire. La procédure française habituelle en matière d’éloignement est conforme à ces principes. En effet, si la décision de refus, de retrait ou de non renouvellement d’un titre de séjour peut s’accompagner (3) d’une obligation de quitter le territoire prise en même temps, la proposition de directive le permet. De plus, la législation française prévoit que l’étranger dispose d’un mois pour quitter le territoire français volontairement, au besoin en sollicitant le dispositif d’aide au retour financé par l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations.
Pour autant, cette procédure habituelle comporte des exceptions qui sont nécessaires et que l’adoption de la proposition de directive pourrait remettre en cause : dans certaines situations, la procédure ne comporte qu’une seule étape. C’est le cas lorsqu’il existe une menace grave pour l’ordre public, où l’immédiateté de l’expulsion constitue la seule réponse adaptée, ainsi que dans les situations de pure clandestinité de l’étranger, qui fait dans ce cas l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière ne pouvant, par définition, être précédé d’une décision de refus, de retrait ou de non-renouvellement de titre de séjour.
À l’origine, le projet de directive mentionnait seulement le « risque de fuite » comme circonstance permettant de ne pas proposer de délai (jusqu’à quatre semaines) de retour volontaire, l’inclusion de la « menace à l’ordre public » semblait nécessaire à la délégation pour l’Union européenne. Cette position semble aujourd’hui majoritaire au sein du Conseil.
La proposition de directive introduit un délai maximal de six mois pour le placement en « garde temporaire », c’est-à-dire en rétention administrative dans le droit français.
Dans la proposition de résolution présentée au nom de la délégation pour l’Union européenne, votre rapporteur s’était uniquement interrogé sur l’opportunité d’introduire une telle durée maximum dans la directive. En effet, il ne semblait alors pas que le texte de la proposition de directive eût pour conséquence de porter notre délai maximum de rétention de 32 jours à six mois, même si l’adoption d’un tel délai dans un texte européen tendait à en faire la norme européenne en la matière.
Cependant, depuis avril 2006, la portée de l’article 14 de la proposition de directive sur la durée de rétention a été précisée dans un sens qui impose une prise de position plus tranchée de la part de la commission des Lois :
— la Commission a récemment indiqué aux États membres que la durée maximale de rétention (« six mois ») mentionnée dans son projet ne devait pas être entendue comme la durée en deçà de laquelle chaque État membre demeurerait libre de fixer des règles nationales : au contraire, il s’agirait d’une durée « raisonnable » dont chacun serait tenu de se rapprocher, dans un souci d’harmonisation européenne ;
— de fait, le dernier état du texte de l’article 14, issu des travaux du Conseil, élaboré par la présidence finlandaise est très clair : « Les États membres prévoient une période maximale de détention temporaire qui n’est pas inférieure à quatre mois ni supérieure à huit mois ».
Ainsi, l’adoption de la proposition de directive aurait pour conséquence de contraindre la France à modifier le délai maximum de rétention pour le faire passer de 32 jours à 4 mois, soit une multiplication par quatre.
En premier lieu, votre rapporteur considère que cette question délicate relève du droit national de chaque État, et n’a pas à être harmonisée. En effet, la durée de rétention n’est qu’un élément parmi d’autres du processus administratif d’éloignement des étrangers en situation irrégulière et sa fixation doit donc tenir compte de nombreux paramètres qui ne peuvent être harmonisés. De plus, s’agissant d’une question aussi sensible pour les libertés individuelles, elle doit relever du débat national démocratique. Le respect du principe de subsidiarité s’oppose donc à ce que l’Union européenne impose la durée de rétention que les États devront intégrer dans leur législation.
Certes, votre rapporteur reconnaît bien volontiers que la question de la durée de rétention se pose dans des conditions bien particulières en France, dans la mesure où notre pays dispose de la législation la plus libérale d’Europe en la matière. Ainsi l’adoption de la proposition de la Commission aurait plutôt pour conséquence d’accroître les droits des étrangers en situation irrégulière au sein de l’Union européenne. Les durées maximales de rétention sont de 40 jours en Espagne, 60 jours en Italie et au Portugal, 6 mois en Autriche, en République tchèque, en Slovaquie et en Slovénie, de 8 mois en Belgique, d’un an en Pologne, en Hongrie et en Lituanie, de 18 mois en Allemagne et de 20 mois en Lettonie. Il n’y a pas de durée maximale au Royaume-Uni, au Danemark, en Estonie, en Finlande, en Grèce, en Irlande, aux Pays-Bas et en Suède.
Pour autant, bien que la durée de rétention soit en France la plus faible d’Europe, celle-ci est a été suffisante pour améliorer considérablement l’efficacité de notre politique d’éloignement. En effet, autant la durée de rétention de 12 jours, autorisée avant l’adoption de la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, était tout à fait insuffisante pour obtenir les laissez-passer consulaires et organiser matériellement l’éloignement, autant la durée actuelle de 32 jours est aujourd’hui suffisante. D’ailleurs, la durée moyenne de rétention a certes augmenté, de 5 à 10 jours, mais elle reste très inférieure au maximum autorisé. En pratique, l’expérience montre que s’il n’est pas possible de reconduire un étranger en situation irrégulière au bout de 32 jours, il est peu probable qu’un délai supplémentaire permette d’obtenir son éloignement. Cependant, il faut reconnaître que l’augmentation de la durée de rétention proposée par la Commission s’explique par la nécessité de prévoir des délais de réponse suffisants dans le cadre des accords de réadmission en cours de négociation.
Ainsi, avec un délai maximum de rétention de 32 jours, et une politique d’éloignement volontariste, le nombre de reconduites à la frontière d’étrangers en situation irrégulière est passé de 10 000 en 2002 à 24 000 en 2006. Votre rapporteur souhaite que cet effort soit maintenu, ce qui passe notamment par la poursuite de l’ambitieux programme de création de places en centres de rétention administrative. À l’inverse, l’allongement de la durée maximale de rétention n’aurait qu’un effet marginal sur l’augmentation du nombre de reconduites à la frontière. Dans ces conditions, votre rapporteur souhaite que la France s’oppose à l’harmonisation des durées de rétention maximale au sein de l’Union européenne.
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La Commission a examiné la proposition de résolution au cours de sa séance du mercredi 21 février 2007.
Après l’exposé du rapporteur, une discussion générale a eu lieu.
M. Christophe Caresche a rappelé que cette proposition de directive faisait encore l’objet de débats au sein de l’Union européenne. Il a donc appelé à nuancer l’appréciation de la situation, la position du Gouvernement français pouvant certainement être prise en compte au cours des prochains mois.
S’il est souhaitable de proposer aux étrangers en situation irrégulière de quitter volontairement le territoire national avant de procéder à leur éloignement, il serait en revanche inutile d’allonger la durée des rétentions administratives, un délai maximal de six mois étant manifestement excessif.
Par ailleurs, l’analyse du rapporteur s’agissant de la judiciarisation des procédures d’éloignement des étrangers en situation irrégulière n’est pas totalement convaincante, car les autorités administratives conserveraient des prérogatives en matière de placement en rétention, notamment en cas d’urgence.
M. Christophe Caresche a fait part en conséquence de l’abstention de son groupe sur la proposition de résolution.
Le rapporteur a rappelé que la législation française était compatible avec la priorité donnée, dans la proposition de directive, au retour volontaire. La loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration prévoit en effet que tout refus de titre de séjour est assorti d’une obligation de quitter le territoire français exécutoire dans un délai d’un mois. Durant ce délai, il est d’ailleurs prévu que l’étranger peut solliciter le dispositif d’aide au retour financé par l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations.
S’agissant de la portée de la durée maximale de rétention, il a précisé que le texte initial de la proposition de directive était ambigu en fixant un délai maximal de six mois qui pouvait apparaître comme un plafond. Désormais, la portée de cette disposition est très claire puisque les derniers travaux du Conseil fixent une durée maximum de rétention entre 4 et 8 mois. Il ne serait donc pas possible de prévoir une durée maximum inférieure à quatre mois, ce qui signifierait un quadruplement de durée pour la France.
Le rapporteur a estimé qu’une prise de position ferme et claire de l’Assemblée nationale était nécessaire pour éclairer le Gouvernement français, d’autant que le calendrier d’examen de la proposition de directive n’est pas favorable. En effet, le débat sur cette importante question risque d’être escamoté en France par les campagnes présidentielles et législatives.
M. Christophe Caresche a contesté cette analyse en rappelant que la continuité de l’État ne serait pas remise en cause pendant les élections et permettrait donc à la France de défendre son point de vue dans les négociations européennes et internationales.
M. Xavier de Roux s’est interrogé sur l’articulation entre la proposition de directive et les règles issues du traité de Schengen en matière d’entrée et de séjour des étrangers. Dès lors qu’un processus d’harmonisation des règles a débuté dans ce domaine de compétence aujourd’hui communautaire, il serait difficile et peu cohérent pour la France de revenir sur cette démarche s’agissant de l’encadrement de la durée de rétention des étrangers en situation irrégulière.
Le rapporteur a tout d’abord rappelé que les dispositions de la Convention de Schengen avaient été communautarisées et que la présente directive s’inscrivait dans ce cadre. Pour autant, jusqu’ici, la politique migratoire de l’Union européenne s’est concentrée principalement sur l’harmonisation des règles d’entrée, plutôt que sur celles relatives à l’éloignement. Ce début d’harmonisation n’empêche cependant pas la France de défendre une position s’appuyant sur le fait qu’une telle directive violerait le principe de proportionnalité.
Puis, la Commission est passée à l’examen de l’article unique de la proposition de résolution.
Après avoir procédé à une correction rédactionnelle à l’initiative de M. Guy Geoffroy, la Commission a été saisie d’un amendement du rapporteur précisant que l’Assemblée nationale est favorable à la création d’une interdiction européenne du territoire, d’une durée maximale de cinq années, mais souhaite que sa mise en œuvre ne soit pas empêchée par des modalités d’application trop complexes. Le rapporteur a estimé que la suppression des frontières intérieures devait logiquement conduire à instaurer une interdiction de réadmission dans l’ensemble des États membres, mais que l’appréciation des circonstances au cas par cas pour fixer la durée de cette interdiction risquait de lui ôter tout caractère dissuasif et de générer des contentieux. Il s’est également interrogé sur la possibilité d’annuler cette interdiction lorsque l’étranger rembourse les frais engagés pour son éloignement, le maintien d’une telle interdiction pouvant alors faciliter l’action des réseaux criminels se livrant à la traite des êtres humains et au proxénétisme.
La Commission a alors adopté cet amendement.
Elle a également adopté à l’unanimité un amendement du même auteur exprimant l’opposition de l’Assemblée nationale à l’harmonisation des durées de maintien en rétention en vigueur dans les États membres, une telle harmonisation conduisant à porter de 32 jours à 4 mois la durée maximale de rétention en France.
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À l’issue de ce débat, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République a adopté la proposition de résolution, ainsi modifiée, dont le texte figure ci-après.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION SUR LA PROPOSITION DE DIRECTIVE RELATIVE
AUX NORMES ET PROCÉDURES COMMUNES APPLICABLES
DANS LES ÉTATS MEMBRES AU RETOUR
DES RESSORTISSANTS DE PAYS TIERS EN SÉJOUR IRRÉGULIER
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition de directive relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (COM [2005] 391 final / n° E 2948),
1. Estime cette proposition de directive excessivement détaillée et contraire au principe de proportionnalité ;
2. Considère que la répartition des compétences entre les autorités judiciaires et administratives en ce qui concerne le placement en rétention relève de chaque État membre et n’a pas à être harmonisée ;
3. Souligne que la priorité accordée au retour volontaire doit être notamment conciliée avec la nécessité d’une expulsion immédiate en cas de menace grave à l’ordre public ;
4. Soutient la création d’une interdiction européenne du territoire, fixée à cinq années au maximum, mais souhaite que des modalités d’application trop complexes n’en rendent pas la mise en œuvre impossible ;
5. S’oppose à l’harmonisation des durées de maintien en rétention en vigueur dans les États membres ;
6. Appelle le Gouvernement à veiller à ce que la proposition de directive ne soit pas susceptible de porter atteinte aux principes de valeur constitutionnelle applicables en matière d’éloignement.
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