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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 février 2012.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES(1)
sur les relations entre l’Union européenne et la Chine,
ET PRÉSENTÉ
PAR Mme Marie-Louise FORT et M. Jérôme LAMBERT,
Députés
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La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Michel Herbillon, Jérôme Lambert, Didier Quentin, Gérard Voisin vice-présidents ; M. Jacques Desallangre, Mme Marietta Karamanli, MM. Francis Vercamer secrétaires ; M. Alfred Almont, Mme Monique Boulestin, MM. Pierre Bourguignon, Yves Bur, Patrice Calméjane, Christophe Caresche, Philippe Cochet, Jean-Yves Cousin, Bernard Deflesselles, Lucien Degauchy, Michel Diefenbacher, Jean Dionis du Séjour, Marc Dolez, Daniel Fasquelle, Pierre Forgues, Mme Marie-Louise Fort, MM. Jean-Claude Fruteau, Jean Gaubert, Hervé Gaymard, Guy Geoffroy, Mme Annick Girardin, M. Philippe Gosselin, Mmes Anne Grommerch, Pascale Gruny, Elisabeth Guigou, Danièle Hoffman-Rispal, MM. Régis Juanico, Robert Lecou, Michel Lefait, Lionnel Luca, Philippe Armand Martin, Jean-Claude Mignon, Pierre-Alain Muet, Jacques Myard, Michel Piron, Mmes Chantal Robin-Rodrigo, Valérie Rosso-Debord, Odile Saugues, MM. André Schneider, Philippe Tourtelier.
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 7
PREMIÈRE PARTIE : LA CHINE ET L’UNION EUROPÉENNE, DEUX ACTEURS DÉTERMINANTS DE LA GLOBALISATION FACE AUX RESPONSABILITÉS DE LA GOUVERNANCE MONDIALE ET À LA NÉCESSITÉ DE SURMONTER LEURS DÉFIS INTÉRIEURS 11
I. LA RÉUSSITE DU MODÈLE DE CROISSANCE PAR L’EXPORTATION QUI A FAIT DE LA CHINE UNE PUISSANCE MONDIALE 11
A. LES CINQ PARTICULARITÉS DU MODÈLE ET SON RÉSULTAT 11
1. Le mercantilisme 12
2. L’ouverture aux entreprises multinationales des pays avancés 12
3. De la spécialisation productive à partir de son faible coût du travail et du capital à une maîtrise de tous les secteurs sur son futur grand marché intérieur 12
4. Une montée en gamme systématique fondée sur la priorité du rattrapage technologique 13
5. Une segmentation du processus de production entre les pays d’Asie plaçant la Chine au centre de l’intégration productive régionale 15
6. La naissance d’un géant économique 15
B. UNE POLITIQUE EXTÉRIEURE AU SERVICE DE LA CROISSANCE ET DE LA STABILITÉ RÉGIONALE 17
1. Une diplomatie de l’énergie et des matières premières 17
2. Une politique asiatique de stabilisation régionale en quête de leadership 18
II. LA CHINE ET L’UNION EUROPÉENNE FACE AUX RESPONSABILITÉS DE LA GOUVERNANCE MONDIALE 23
A. CONVERGENCES ET DIVERGENCES DES INTÉRÊTS DES TROIS ACTEURS SYSTÉMIQUES DE LA MONDIALISATION : CHINE, ÉTATS-UNIS ET UNION EUROPÉENNE 23
1. Proximités et ambiguïtés face aux déséquilibres économiques et monétaires internationaux 24
2. La question de la sous-évaluation du yuan/renminbi et de sa non-convertibilité 25
B. UN ENGAGEMENT PACIFIQUE, PROGRESSIF ET PRUDENT DE LA CHINE DANS L’EXERCICE DES RESPONSABILITÉS MONDIALES 27
1. Les principes de l’engagement international de la Chine 27
2. Les positions de la Chine face aux enjeux globaux 29
III. LA CHINE ET L’UNION EUROPÉENNE FACE À LEURS DÉFIS INTÉRIEURS 33
A. LE DÉFI INTÉRIEUR DE LA CHINE : CHANGER DE MODÈLE ÉCONOMIQUE SANS CHANGER DE MODÈLE POLITIQUE DANS UNE SOCIÉTÉ EN PLEINE MUTATION 33
1. Le douzième plan quinquennal (2011-2015) pour fonder la croissance sur la consommation intérieure et le bien-être social 33
2. Trois interrogations sur la difficulté de la transition, sur l’évolution du régime politique sous la pression d’une société civile émergente et sur la capacité d’une superpuissance autoritaire d’exercer un leadership mondial dans un monde où les individus communiquent par-dessus les frontières et les hiérarchies 36
B. LE DÉFI INTÉRIEUR DE L’UNION EUROPÉENNE : SURMONTER LES CONTRADICTIONS ENTRE ÉTATS MEMBRES POUR DÉFINIR UN INTÉRÊT COMMUN ET AGIR DE CONCERT FACE À SES GRANDS PARTENAIRES 41
1. Dispersions institutionnelles et divergences d’intérêts entre les États membres 41
2. La crise de l’euro et des balances des paiements a montré que les écarts de compétitivité entre États membres se sont creusés principalement dans le commerce au sein de l’Union et non avec les pays tiers 43
DEUXIÈME PARTIE : À LA RECHERCHE DE LA RÉCIPROCITÉ POUR DES RELATIONS DURABLES ET ÉQUILIBRÉES 49
I. L’UNION EUROPÉENNE MANQUE D’UNE VISION COMMUNE STRUCTURÉE FACE À UN PARTENAIRE QUI JOUE DES RELATIONS BILATÉRALES AVEC LES ÉTATS MEMBRES 51
A. UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE CONSTRUIT AUTOUR D’UN CADRE INSTITUTIONNEL COMPLEXE ET INEFFICACE 53
a) Le processus décisionnel européen favorise un consensus mou 55
b) La Chine exploite les divergences entre États membres 56
c) Une remise en question encore hésitante de la politique de l’« engagement inconditionnel » européen vis-à-vis de la Chine 59
B. DES SUJETS DE TENSION PERSISTANTS 63
1. La Chine tire parti de sa double nature de pays en développement et de puissance émergente 64
a) Le serpent de mer de la révision d’un accord de commerce et de coopération obsolète 64
b) La Chine bénéficie de la politique européenne de développement 66
2. Le statut d’économie de marché, point de rencontre des tensions politiques et économiques 68
3. L’embargo sur les armes et la question des droits de l’Homme 70
II. AU CœUR DE LA RELATION UNION EUROPÉENNE-CHINE, DES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES ET COMMERCIAUX LIÉS, SUR FOND DE DÉSÉQUILIBRE ET D’ASYMÉTRIE 73
A. LA CHINE ET L’UNION EUROPÉENNE : CONCURRENTS MAIS PARTENAIRES 74
1. La Chine est un concurrent, tant sur le marché européen que sur les marchés tiers 74
a) Une redoutable puissance exportatrice 74
b) Les répercussions sur la structure de l’économie européenne 77
c) Les exportations chinoises montent en gamme 78
2. Un axe commercial majeur et une interdépendance des économies 80
a) Le développement rapide des relations commerciales 80
b) La Chine elle-même est dépendante de l’Union européenne 84
c) Le déficit commercial : une réalité complexe… 87
3. Les investissements en Chine : un enjeu pour les entreprises européennes 91
a) Les investissements européens participent à la dynamique de la croissance chinoise 92
b) La montée en puissance des investissements chinois en Europe : accéder aux marchés européens et accélérer le rattrapage technologique 95
B. PRATIQUES INÉQUITABLES ET COMPORTEMENTS PROTECTIONNISTES FAUSSENT LA CONCURRENCE ET ENTRAVENT L’ACCÈS AU MARCHÉ CHINOIS 99
1. La Chine, problème et défi pour l’Union européenne 99
a) Un respect plus formel qu’effectif de ses engagements internationaux par la Chine 100
b) Comment tirer parti de la croissance chinoise 103
2. Des investissements européens subsidiaires mais bienvenus s’ils ont un contenu technologique favorable 104
a) Le manque de transparence de la réglementation et des procédures 106
b) Secteurs encouragés, secteurs interdits et transferts forcés de technologie 107
c) Les défaillances de mise en œuvre de la protection de la propriété intellectuelle 109
d) Des marchés publics quasiment inaccessibles 111
3. Les entreprises chinoises bénéficient d’avantages déformant les prix et limitant l’accès au marché 114
a) Préférence nationale et subventions 114
b) La politique chinoise des matières premières et de l’énergie 117
c) L’impact de la sous-évaluation de la monnaie chinoise 120
CONCLUSION 123
TRAVAUX DE LA COMMISSION 125
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE 137
ANNEXES 141
ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS 143
ANNEXE 2 : CARTE DE LA CHINE 147
ANNEXE 3 : COMPARAISON ENTRE LES POIDS ÉCONOMIQUES RESPECTIFS DE LA CHINE ET DE L’EUROPE SUR LE LONG TERME 149
Mesdames, Messieurs,
La nouvelle vague de la mondialisation initiée par l’Occident depuis trente ans a mis fin à la prépondérance de l’Occident dans le monde exercée depuis plusieurs siècles. Le nouvel équilibre économique et politique entre les régions du monde n’est cependant pas un retour à l’ordre ancien stable et fragmenté entre plusieurs empires. Il s’inscrit au contraire dans un monde bouleversé par des mutations démographiques et technologiques considérables que le libre-échange a unifié et rendu interdépendant. L’ouverture généralisée des frontières, la baisse du coût du transport maritime, la rapidité des nouveaux moyens de communication ont placé les coûts de production des pays émergents à la porte des marchés des pays avancés, elles ont entraîné une recomposition incessante des chaînes de valeur par les entreprises multinationales, enfin elles ont élargi la concurrence à tout le tissu industriel et des services et non plus seulement aux activités anciennes à faible valeur ajoutée.
L’intégration des pays en développement dans la division internationale du travail a eu l’heureux effet de faire surgir des entrailles de l’économie mondiale une classe moyenne de 500 millions de consommateurs solvables dont 300 millions de Chinois, représentant l’équivalent d’un nouveau marché européen. Elle a également réduit la pauvreté dans le monde et favorisé l’accès à la santé et à l’éducation des nouvelles générations. Elle a enfin rendu possible l’espoir de combler progressivement l’écart de richesse séparant 1,3 milliard d’habitants dans les pays avancés des 4,7 milliards d’habitants dans les pays émergents et les pays en développement.
Le choix de la Chine de se transformer en atelier du monde pour nourrir sa croissance a été déterminant dans l’avènement du monde multipolaire. Son industrialisation massive par l’ouverture aux capitaux étrangers en a fait le centre de transformation et d’exportation des produits d’Asie vers les pays avancés et a conduit au basculement du centre de gravité de l’économie mondiale vers l’Asie où vit désormais 60 % de la population mondiale. Une croissance continue jusqu’à deux chiffres pendant deux décennies du pays le plus peuplé du monde, comprenant 1,341 milliard d’habitants auxquels s’ajoute une diaspora de 50 millions de personnes à l’étranger, a créé de nouveaux équilibres économiques, énergétiques, écologiques et stratégiques.
La Chine s’est hissée aux premiers rangs du commerce mondial et a soumis les industries des pays avancés à une rude concurrence. Son appétit en énergie et en matières premières a mis ces marchés sous pression, a renforcé l’urgence écologique et a accéléré la nécessité de réformer le modèle de développement des pays avancés fondé sur la consommation des énergies fossiles qui n’est pas généralisable à l’ensemble de la planète. Sa gestion avisée pour se protéger de la crise de 2008 et maintenir sa croissance a renforcé sa position relative dans la construction du nouvel ordre économique mondial par rapport à des partenaires occidentaux affaiblis par une crise dont ils sont à l’origine.
Le monde multipolaire s’efforce d’organiser une gouvernance mondiale pour surmonter des défis globaux communs qui s’accumulent et sont sources d’instabilité, mais il hésite entre la fusion ou la fragmentation du monde, le multilatéralisme ou le régionalisme, la coopération ou le conflit parce que les pays avancés ne peuvent plus imposer leurs solutions et que les pays émergents ne veulent pas s’engager au-delà des exigences de leur rattrapage économique.
L’Occident aborde ces enjeux en position de faiblesse et dans le doute, parce que, d’une part, la crise financière de 2008, née aux États-Unis et devenue une crise économique occidentale, a en partie délégitimé leur leadership et leur modèle de croissance, d’autre part, parce que la crise de l’euro de 2010 a semé le doute sur l’avenir du projet européen et son modèle d’intégration.
La Chine et les pays émergents abordent au contraire ces enjeux avec confiance, mais ne sont pas prêts à partager les responsabilités de la gouvernance mondiale au-delà des limites qu’ils se sont fixées. Cette réserve place la gouvernance mondiale dans une grande incertitude face au règlement des défis globaux, dans la mesure où les États-Unis sont affaiblis dans leur rôle de régulateur mondial de dernier recours mais n’ont pas de remplaçant ni même de complément.
La Chine et l’Union européenne sont devenus des acteurs majeurs de la mondialisation à partir d’une double réussite : celle du modèle spécifique de croissance de l’État-continent le plus peuplé du monde et celle du modèle d’intégration d’un continent d’États sans précédent historique.
Les deux acteurs s’efforcent désormais de surmonter leurs défis intérieurs pour être prêts à exercer leurs responsabilités dans la gouvernance mondiale.
La Chine se retient d’utiliser toute l’influence acquise dans les relations internationales pour se consacrer en priorité à la réorientation de son modèle de croissance vers la consommation intérieure, afin de rétablir une harmonie sociale troublée par les tensions engendrées par le modèle fondé sur l’exportation, en application depuis trente ans.
L’Union européenne s’attache à réformer son modèle d’intégration pour corriger son manque d’unité politique afin de retrouver dans les relations internationales une influence à la mesure de son poids économique.
La Chine et l’Union européenne ne sont pas seulement deux acteurs déterminants de la gouvernance mondiale en construction, elles sont également les partenaires d’une relation bilatérale rapprochant presque deux milliards d’êtres humains et deux grandes civilisations.
Les deux partenaires ont célébré en 2010 le trente-cinquième anniversaire de leurs relations diplomatiques et sont liés par un accord de commerce et de coopération signé en 1985 et un partenariat stratégique depuis 2003. Leur relation a l’ambition de s’étendre à tous les domaines mais elle repose d’abord sur un partenariat commercial qui est l’un des tout premiers du monde puisqu’il a représenté 395 milliards d’euros en 2011. Il est cependant très déséquilibré au détriment de l’Union européenne déficitaire de 169 milliards d’euros.
La négociation d’un nouvel accord de partenariat et de coopération (APC) a été lancée en septembre 2006 pour remplacer l’accord de 1985 qui avait été conclu avec l’objectif d’aider la Chine à faire du commerce avec le monde lors des balbutiements de son ouverture économique. La lenteur des progrès de la négociation montre que la conciliation des objectifs de la Chine en faveur de la stabilité et de l’harmonie et de l’Union européenne en faveur du rééquilibrage et de la réciprocité exigera beaucoup d’efforts, mais les perspectives offertes à chaque partie par les potentialités de l’autre devraient être un puissant aimant pour conclure un accord à l’avantage des deux partenaires.
Le rapport examine l’évolution des positions de la Chine et de l’Union européenne dans les relations internationales et dans leur relation bilatérale.
PREMIÈRE PARTIE :
LA CHINE ET L’UNION EUROPÉENNE, DEUX ACTEURS DÉTERMINANTS DE LA GLOBALISATION FACE AUX RESPONSABILITÉS DE LA GOUVERNANCE MONDIALE ET À LA NÉCESSITÉ DE SURMONTER LEURS DÉFIS INTÉRIEURS
I. LA RÉUSSITE DU MODÈLE DE CROISSANCE PAR L’EXPORTATION QUI A FAIT DE LA CHINE UNE PUISSANCE MONDIALE
Mao Zedong avait rétabli l’unité de la Chine et l’autorité de l’État, mais il l’avait mise à l’écart de l’intégration économique mondiale et l’avait engagée dans deux aventures dévastatrices : le Grand bond en avant et la Révolution culturelle.
Deng Xiaoping lance en 1978 la politique de réforme et d’ouverture économique qui prendra tout son essor au début de la décennie quatre-vingt-dix, après la répression des manifestations d’étudiants de la Place Tien An Men les 3 et 4 juin 1989. La Chine s’efforce d’inventer par expérimentations successives une combinaison originale entre l’économie de marché et le régime autoritaire du parti unique, le mercantilisme et le protectionnisme, l’interventionnisme étatique et la décentralisation. Le plan central donne les orientations générales pour cinq ans mais ne décide plus dans un pays qui a fait le choix de l’internationalisation, de l’industrialisation, de l’urbanisation et de la privatisation.
Lors de son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, la Chine a fait son entrée officielle sur le grand marché mondial avec la volonté de s’y intégrer dans le respect de ses règles. L’adoption des disciplines de l’économie de marché a restreint sa marge de manœuvre mais elle a rassuré des investisseurs dont la Chine avait besoin pour se développer.
La Chine a développé un modèle de croissance fondé sur l’exportation s’appuyant sur des coûts de production faibles, une production de masse servie par un exode rural massif et continu, une sous-évaluation monétaire permanente et une accumulation du capital et de l’investissement au détriment de la consommation(2).
Ce modèle de croissance par l’exportation présente cinq particularités.
Premièrement, il applique le mercantilisme afin de répondre à la nécessité de vendre des produits manufacturés aux pays avancés pour importer des matières premières et de l’énergie (sauf le charbon) dont la Chine est démunie pour tirer sa croissance interne et développer son marché.
Deuxièmement, la Chine a suivi le chemin tracé précédemment par le Japon et les quatre dragons asiatiques fondé sur l’investissement, la compétitivité industrielle, l’accumulation d’excédents et la puissance financière, à une différence de taille près : elle a fondé son modèle exportateur sur l’ouverture aux entreprises multinationales des pays avancés qu’elle a accueillies dans des zones économiques spéciales uniquement sous contrôle étranger et à destination de la réexportation. Leurs investissements représentent un stock de plus de 1.000 milliards de dollars dont 100 milliards en 2010. Plus de 300.000 entreprises étrangères assurent environ 25 % de l’activité nationale et près de 65 % des exportations chinoises.
3. De la spécialisation productive à partir de son faible coût du travail et du capital à une maîtrise de tous les secteurs sur son futur grand marché intérieur
Troisièmement, la Chine a d’abord appliqué la logique du développement des avantages comparatifs par rapport aux pays industrialisés et utilisé le sien – le faible coût du travail et du capital – pour attirer les entreprises étrangères, s’intégrer à l’économie mondiale et tirer sa croissance interne.
Le coût salarial unitaire moyen de la Chine approche, en 2010, 60 % de celui des États-Unis et moins de 50 % de celui de la zone euro ou de la France. Le salaire horaire dans l’industrie, charges comprises, est vingt fois plus faible en Chine qu’aux États-Unis et trente fois plus faible qu’en France.
Par ailleurs, la Chine urbaine et industrielle a absorbé en moyenne 17 millions de jeunes ruraux par an entre 2000 et 2010. La faiblesse du niveau de vie dans les campagnes, après une réforme agraire incomplète, a alimenté un flux continu de migrants ruraux se contentant de bas salaires qui a permis à l’industrie de produire durablement sans tensions sur le marché de l’emploi. La Chine a pu dépasser l’objectif officiel de 8 % de croissance et atteindre des taux de plus de 10 % sans surchauffe inflationniste, grâce à ce volant de travailleurs mobiles et à une augmentation de la productivité en moyenne d’environ 8 % par an.
La Chine se prépare désormais à se libérer de la logique de spécialisation productive en fonction des avantages comparatifs, car la taille future de son marché intérieur lui permet d’occuper tous les secteurs afin de n’être dépendante dans aucun d’entre eux.
Quatrièmement, la Chine a commencé par exporter des produits de bas de gamme mais elle s’est efforcée de monter systématiquement en gamme en constituant des entreprises partagées (« joint-ventures ») avec les entreprises étrangères implantées sur son territoire en vue de s’assurer des transferts de technologie. Le gouvernement chinois estime qu’environ 40 % des transferts de technologie réalisés en Chine ont l’Europe pour origine. La part des produits de haute technologie dans les exportations chinoises a doublé entre 1995 et 2008 pour atteindre 32 % et la Chine a ravi aux États-Unis la place de premier exportateur mondial de produits de haute technologie depuis 2005.
Part des produits de haute technologie dans le commerce mondial
Le rattrapage technologique constitue avec la stabilité sociale l’un des deux objectifs du gouvernement chinois.
La montée en gamme s’appuie également, sur l’amélioration du niveau d’éducation de la population active. Le nombre de diplômés de l’université est passé de 25 millions en 1996 à 84 millions en 2008, avec une proportion de la population active urbaine très proche de celle de la France ou de l’ensemble l’Union européenne. Désormais, le rattrapage technologique ne repose plus seulement sur des transferts de technologie émanant d’entreprises partagées (« joint-ventures ») avec des entreprises étrangères, mais aussi sur la mise en concurrence de tous les organismes de recherche du pays. La priorité est réservée aux innovations dites « indigènes » et la Chine dispose d’une capacité de recherche croissante lui permettant de soumettre l’accueil des entreprises étrangères sur son marché à un transfert de savoir-faire de plus en plus exigeant. Les entreprises étrangères sont placées devant le dilemme de transférer leur savoir-faire le plus pointu à leurs futurs concurrents pour participer au développement du grand marché chinois ou de préserver ce savoir-faire et renoncer à un marché qui pourra porter toutes les innovations du XXIème siècle.
Nombre de personnes par niveau d’étude en chine
La montée en gamme vers les produits de haute technologie s’appuie en effet sur la taille future de son marché intérieur qui lui permettra de solvabiliser sa propre innovation et de constituer des groupes mondiaux capables de peser sur la définition des normes techniques mondiales.
La Chine semble poursuivre deux logiques avantageuses pour elle : celle de la tentation protectionniste conditionnant l’accès à son marché intérieur pour placer son industrie à la tête de toutes les nouvelles vagues technologiques du siècle, et celle de l’ambition universaliste d’accès aux marchés étrangers pour y concurrencer les entreprises étrangères sur toute la gamme des produits grâce aux innovations « indigènes » ayant fleuri en serre sur son immense marché intérieur.
5. Une segmentation du processus de production entre les pays d’Asie plaçant la Chine au centre de l’intégration productive régionale
Cinquièmement, les entreprises multinationales ont délocalisé les phases de la production en fonction des avantages comparatifs des pays d’Asie et elles ont placé la Chine au centre de la segmentation des processus de production entre les pays d’Asie. La Chine importe d’Asie des produits qu’elle assemble et transforme pour les réexporter vers les États-Unis et l’Union européenne. Elle représente de 8 % à 50 % des exportations des pays émergents d’Asie et le contenu en importations des exportations chinoises s’élève à 46 % globalement et de 60 % à 95 % pour les produits sophistiqués, notamment électroniques. Cette activité de transformation a pour résultat que la quasi-totalité du déficit extérieur des États-Unis et de l’Europe vis-à-vis de l’Asie se situe vis-à-vis de la Chine.
La Chine a façonné l’intégration productive des pays d’Asie et a lié leur économie à la sienne. Cette organisation productive confronte les pays de la région aux promesses de développement du marché chinois capable de leur assurer une croissance forte et durable, et aux risques d’une dépendance sans alternative.
Cette organisation place également l’Europe et les États-Unis face aux risques d’un découplage des économies d’Asie par rapport aux marchés occidentaux. Elle a déjà eu pour effet d’évincer les entreprises européennes et américaines de la segmentation industrielle de la production asiatique. Elle permettrait de constituer un ensemble économique régional disposant de perspectives de croissance suffisantes pour avoir le choix de centrer son développement sur lui-même et non pas sur une ouverture au monde.
Le commerce entre la Chine et l’Europe masque une réalité plus large, le commerce entre l’Asie et l’Europe dont la Chine est l’intermédiaire.
Une première conclusion s’impose à l’Union européenne : elle doit prendre en compte ce système productif intégré dont la Chine est le moteur, et inscrire le développement de son partenariat commercial et stratégique avec la Chine dans une vision plus large englobant l’Asie et ne négligeant pas les autres pays de la région dans une approche trop fragmentée.
Cette stratégie graduelle de long terme conduite avec constance par les autorités chinoises a fait de la Chine un géant économique avec une rapidité qui n’a pas de précédent historique.
Premier manufacturier du monde, la Chine est devenue le premier exportateur mondial devant l’Allemagne en 2009 et pèse près de 10 % des exportations mondiales en 2010 au lieu de 5 % dix ans avant (et même 12 % au lieu de 3 % si l’on exclut le pétrole livré par la Russie et l’OPEP).
Exportations en valeur
Avec un PIB de 5 878 milliards de dollars en 2010, la Chine est devenue la deuxième puissance économique du monde devant le Japon et derrière les États-Unis (14 527 milliards de dollars). Les États membres de l’Union européenne ne reprennent leur premier rang au sommet de la hiérarchie mondiale qu’en regroupant leurs forces au sein de l’Union européenne (16 242 milliards de dollars dont 12 168 milliards pour la zone euro).
La Chine a établi avec l’Europe et les États-Unis les deux principaux axes commerciaux du monde. Elle est devenue le premier fournisseur de l’Union européenne en 2009 et son troisième client (après les États-Unis et la Suisse) ; l’Union européenne est devenue son deuxième fournisseur (après le Japon) et son premier client. Cette indépendance commerciale s’est muée en interdépendance financière avec une politique d’accumulation de réserves transformant les excédents commerciaux de la Chine en placements massifs aux États-Unis et, secondairement, en Europe. La Chine est enfin devenue le premier partenaire commercial d’un nombre croissant de pays comptant parmi les plus grands exportateurs mondiaux et les principaux émergents : Allemagne, Japon, Corée du Sud, Brésil notamment.
La hausse de 9 points (de 3 à 12 %) de la part des exportations chinoises dans le commerce mondial à partir de 2001 a eu plusieurs impacts sur l’économie des pays avancés. Elle s’est traduite par des pertes de marché – de 3 points pour la zone euro qui en aurait perdu plus sans l’augmentation des exportations de l’Allemagne vers la Chine, de 4 points pour les États-Unis et de 2 points pour la France – et par une désindustrialisation soulignée par la stagnation des productions manufacturées en Europe et aux États-Unis et leur multiplication par cinq en Chine depuis 1998.
Elle s’est traduite également par une désinflation pendant toute la décennie, contrecarrée en fin de période par l’effet inflationniste de la pression croissante de la Chine sur le marché de l’énergie et des matières premières.
Enfin l’accumulation des réserves de change a contribué à l’augmentation de la liquidité mondiale, à la baisse des taux d’intérêt à long terme à un niveau historiquement très bas et à la création de bulles spéculatives.
Ces évolutions ont facilité le découplage du modèle occidental de démocratie et de marché entre un capitalisme industriel à l’allemande et un capitalisme financier à l’anglo-saxonne, dans lequel l’enrichissement des ménages ne se fait plus par les revenus stagnants du travail mais par l’acquisition à crédit d’actifs, jusqu’à ce que l’effondrement de la bulle immobilière et de la pyramide des crédits en 2007 démontre ses limites.
La réussite d’un modèle fondé sur l’exportation et le développement des échanges de produits et de capitaux nécessite le soutien d’une politique extérieure renforçant les liens avec les pays avancés comme avec les pays émergents ou en développement. Elle conduit également la Chine à promouvoir la libéralisation du commerce dans le cadre multilatéral de l’OMC ou par des accords bilatéraux de libre-échange et à appeler à lutter contre le protectionnisme après la crise de 2008.
Cependant, deux particularités du modèle se reflètent dans les orientations de la politique extérieure chinoise : d’une part, l’industrialisation intensive de la Chine appelle une diplomatie intensive de l’énergie et des matières premières ; d’autre part, la spécialisation productive de l’Asie conduite par la Chine renforce son rôle de puissance régionale prépondérante sur le plan économique et géostratégique.
L’industrialisation de la Chine l’amène à exercer un pouvoir de marché sur les prix mondiaux de l’énergie et des matières premières et accélère leur épuisement. La Chine représente 10 % de la consommation mondiale de pétrole et 50 % de celle des métaux. Devenue importateur mondial devant le Japon en 2004, elle se fournit en Moyen-Orient pour 60 % de ses importations et l’Arabie Saoudite et l’Iran sont ses premier et deuxième fournisseurs.
La diversification de ses sources d’approvisionnement en ressources énergétiques, minérales et alimentaires est une priorité motivant un rapprochement avec des pays riches en ressources naturelles dans toutes les régions du monde, que ce soit la Russie, l’Asie centrale, l’Afrique et l’Amérique latine. Cette diplomatie énergétique peut être le vecteur d’une influence dépassant le cadre des échanges commerciaux et financiers.
En revanche, la Chine particulièrement bien dotée en terres et métaux rares indispensables aux industries de haute technologie a pratiqué des prix d’exportation tellement bas qu’elle a éliminé la production dans le reste du monde et constitué un quasi-monopole plaçant toute l’industrie mondiale des hautes technologies sous sa dépendance. Le contentieux avec le Japon et les pressions des pays avancés ont mis fin aux restrictions à l’exportation qu’elle avait introduites et la hausse des prix des terres rares devrait relancer la production mondiale et rétablir l’équilibre concurrentiel du marché.
L’empire du Milieu a les plus longues frontières terrestres du monde, 22 000 km, il est bordé par 18 000 km de côtes, il est entouré par quatorze voisins et il est désormais au centre de l’intégration économique régionale.
Il n’y a pas de prospérité sans sécurité. Or la région est fissurée par de multiples tensions qui fragilisent un ensemble asiatique en plein essor. Leur spectre s’étend de l’instabilité en Mer de Chine du Sud, alimentée par des revendications territoriales et des questions de souveraineté maritime, aux menaces engendrées par le nucléaire militaire nord coréen ou le terrorisme.
La Chine a besoin de la région pour achever sa mutation en grande puissance mondiale, d’autant plus que le développement autonome de l’ensemble économique régional la rend moins dépendante de l’économie américaine.
Ses voisins ont besoin de la garantie de prospérité assurée par la croissance du moteur chinois, mais ils sont partagés entre son attractivité économique et la méfiance que peut leur inspirer la tentation de la Chine d’établir son leadership dans la région.
La Chine veut promouvoir une émergence pacifique de son leadership régional pour ne pas éveiller les craintes de ses voisins. Elle s’est donc efforcée de normaliser ses relations de voisinage pour favoriser la stabilité régionale. Mais elle a pris aussi des initiatives qui inquiètent ses voisins et les ont conduits à rechercher une diversification économique et un contrepoids sécuritaire auprès du rival stratégique de la Chine, les États-Unis.
Paradoxalement, alors que le système régional se recentre autour de la Chine et dépend moins des États-Unis qu’il y a dix ans, la crainte d’une hégémonie de la Chine chez ses voisins ramène les États-Unis dans l’équilibre régional à titre de contrepoids.
La Chine s’est efforcée de normaliser ses relations de voisinage pour surmonter des différends historiques ou des rivalités stratégiques.
Elle a établi avec la Russie une coopération pragmatique fondée sur les intérêts complémentaires de la Russie souhaitant attirer les investisseurs dans la Sibérie sous-exploitée et de la Chine en quête de ressources naturelles. Elle a également initié la création de l’Organisation de coopération de Shangaï (OCS), regroupant la Chine, la Russie et les pays d’Asie centrale, pour répondre à des impératifs énergétiques, économiques après l’explosion de ses échanges avec la région à hauteur de 30 milliards de dollars en 2008, et enfin politico-militaires pour lutter contre les « trois maux » – séparatisme, extrémisme et terrorisme – susceptibles de gagner la population ouïghour de confession musulmane dans sa province occidentale du Xinjiang.
Après la guerre de 1962 et des tensions en 1998 et malgré la persistance d’un différend territorial sur le Cachemire et l’Arunachal Pradesh, la Chine et l’Inde sont parvenues à un rapprochement qui s’est traduit par une croissance rapide de leurs échanges commerciaux, la mise en place d’un dialogue stratégique et de coopération et des positions similaires sur les enjeux du commerce international et de la lutte contre le changement climatique.
L’histoire et un différend sur les îles Senkaku (en japonais)/Diaoyu (en chinois) pèsent sur la relation entre la Chine et le Japon et ont longtemps freiné son développement, malgré des complémentarités économiques évidentes entre le marché de la deuxième puissance économique mondiale et les hautes technologies de la troisième. La Chine est cependant devenue le premier partenaire commercial du Japon et le Japon son premier fournisseur et les deux pays se sont engagés à construire un partenariat stratégique mutuellement bénéfique lors de la visite au Japon du Premier ministre chinois Wen Jiabao en avril 2007.
La Chine a joué le rôle d’un protecteur de la Corée du Nord qui constitue un État tampon par rapport à la présence américaine au plus près de ses frontières. Elle a joué aussi le rôle d’un modérateur dans la crise nucléaire qui oppose ce pays aux États-Unis et à la communauté internationale depuis l’échec des pourparlers à 6 (Corée du Nord et du Sud, États-Unis, Japon, Russie et Chine) en 2002, son retrait du traité de non-prolifération nucléaire en 2003 et son avènement comme neuvième État nucléaire après l’explosion de sa bombe en 2009.
La Chine poursuit l’objectif de l’intégration de Taiwan selon le principe « un pays, deux systèmes », mais elle a abandonné la stratégie d’intimidation guerrière au profit de méthodes plus douces de rapprochement avec Taiwan (23 millions d’habitants). La réélection, le 14 janvier 2012, du président sortant de la République de Chine, Ma Ying-Jeou, soutenu par le Kuomintang et artisan du rapprochement avec la République populaire de Chine, semble valider cette stratégie. L’accord de libre-échange signé en 2010 entre la Chine et Taiwan favorise l’ancrage économique de l’île à l’économie chinoise et repose sur le consensus de 1992 entre le Kuomintang et le parti communiste chinois, selon lequel « chacun reconnaît le principe d’une seule Chine mais avec des interprétations différentes ». Le Président taiwanais, attaché au statu quo et aux trois « non » (« non à l’indépendance, non à l’unification, non au recours à la force armée »), a précisé que la signature d’un traité de paix ne pourrait s’envisager qu’à un terme de dix ans et avec l’accord de tous les Taiwanais. Elle impliquerait également une reconnaissance de la souveraineté de la République de Chine par la Chine que celle-ci a toujours refusée. La Chine compte sur une absorption de Taiwan par l’économie et Taiwan attend des prochaines réformes intérieures de la Chine une évolution démocratique du régime chinois.
Enfin, la Chine s’est intégrée aux organes multilatéraux de coopération en Asie : l’APEC (Forum de coopération économique Asie-Pacifique créé en 1989, comprenant 21 membres disposant d’un PIB en 2009 de 31 470 milliards de dollars (54,1 % du PIB mondial) pour une population de 2,7 milliards d’habitants (40 % de la population mondiale) ; l’ASEAN (Association des nations du Sud-Est asiatique) créée en 1967, comprenant 10 États membres disposant d’un PIB en 2010 de 1 850 milliards de dollars (3 % du PIB mondial) pour une population de 598,8 millions d’habitants (8,6 % de la population mondiale).
Après la crise asiatique de 1997, l’ASEAN a établi un accord de libre-échange est-asiatique avec la Chine, le Japon et la Corée du Sud (EAFTA ou Asean +3), à l’origine de l’initiative prise en 2000 pour limiter les risques de cette crise financière dans la région.
L’Australie, l’Inde et la Nouvelle-Zélande se sont jointes à l’Asean +3 pour établir un partenariat économique global pour l’Asie de l’Est (Cepea ou Asean +6).
Cependant, la Chine inquiète ses voisins à cause de ses revendications territoriales et de souveraineté maritime soutenues par un renforcement de sa puissance navale.
Ses revendications territoriales portent sur les îles Senkaku contrôlées par le Japon et revendiquées également par Taiwan, sur les îles Paracel contrôlées par la Chine et revendiquées par le Vietnam et sur les îles Spratley revendiquées également par Brunei, la Malaisie, Taiwan et le Vietnam. Les différends concernent également l’étendue de la zone économique exclusive chinoise.
Les enjeux portent sur les ressources halieutiques et les gisements sous-marins en hydrocarbures (pétrole et gaz) ainsi que sur le contrôle de la route maritime par laquelle transitent un tiers des liaisons commerciales de la planète et la moitié de son approvisionnement en pétrole et en gaz. Le détroit de Malacca, contrôlé par l’Indonésie, voit passer en direction de l’Asie presque autant de pétrole (13,6 millions de barils par jour) que le détroit d’Ormuz (15,5) dont il provient pour l’essentiel.
La Chine a placé ses revendications au plus haut puisqu’elle a récemment intégré la Mer de Chine du Sud dans la liste de ses intérêts vitaux au même titre que le Tibet ou Taiwan.
Elle dispose d’1,3 million de militaires sous les drapeaux et consacre, officiellement, à ses armées, 60 milliards de dollars. Ce budget, bien inférieur à celui des États-Unis (plus de 600 milliards), est en constante progression depuis vingt ans et a augmenté en 2011 de 12,7 %. La Chine s’est fixé comme priorité de maintenir un environnement stable autour d’elle. L’armée n’a que des visées défensives et ne pourrait disposer de capacités de projection dans des opérations de haute intensité loin de son territoire qu’à l’horizon 2020-2050. Son développement naval se concentre sur les mers de Chine orientale et méridionale, même si elle participe à la lutte contre la piraterie menée par la communauté internationale depuis 2008 au large de la Somalie et si elle a évacué de Libye 35 000 de ses ressortissants avec ses propres moyens navals. La Chine cultive de bonnes relations avec de nombreux pays de l’Océan indien et elle assure qu’elle n’a pas de plans pour établir des bases militaires à l’étranger, en particulier le « collier de perles » qui comprendrait Gwadar au Pakistan, Marao aux Maldives, Hambantota au Sri Lanka, Chittagong au Bangladesh et les îles Coco en Birmanie.
Ces revendications de puissance dure ont incité les alliés traditionnels des États-Unis dans la région, comme le Japon, la Corée du Sud, les Philippines, la Thaïlande et l’Australie, mais aussi des pays comme le Vietnam ou Singapour, à se rapprocher des États-Unis et à réclamer un renforcement de leur présence militaire pour équilibrer l’influence de plus en plus pesante de leur puissant voisin.
Le Président Obama a apporté une double réponse à la mi-novembre 2011, lors du sommet de l’APEC et de la troisième rencontre entre l’Asean et les États-Unis, ainsi que lors du sommet de l’Asie de l’Est qui réunit 18 pays dont la Russie et les États-Unis et est un forum d’échanges sur le commerce, l’environnement et l’énergie.
La première réponse est économique avec le lancement du projet de Partenariat transpacifique (TPP) qui constituerait la plus grande zone de libre-échange du monde entre 800 millions de consommateurs représentant plus de 37 % du PIB mondial, devant l’Union européenne représentant 26 % de ce PIB. Cet accord pour une économie régionale sans entraves porterait sur l’accès aux marchés, la cohérence juridique de la législation commerciale, les nouvelles technologies, l’aide au développement, la protection de l’environnement, la transparence et la non-discrimination des marchés publics, la protection des travailleurs.
Huit membres de l’APEC ont déjà répondu positivement à la proposition (Australie, Brunei, Chili, Malaisie, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour, Vietnam). Le Japon réfléchit aux perspectives d’ouverture des frontières. La Chine a indiqué que ce projet, prévoyant des négociations sur la protection de l’environnement et les normes sociales, lui semblait exclure les pays en développement. Elle a néanmoins accepté que l’APEC s’accorde sur une baisse des droits de douane sur les produits verts, comme les panneaux solaires.
La deuxième réponse américaine est sécuritaire avec l’annonce de la création d’une base près de Darwin au nord de l’Australie complétant un dispositif militaire américain dans le Pacifique comprenant 350 000 militaires dont 50 000 déployés dans les bases de Guam et d’Okinawa et 30 000 sur la ligne de démarcation entre les deux Corée.
La réponse américaine au besoin de sécurité de la région doit cependant être suffisamment mesurée pour ne pas donner à la Chine le sentiment de l’encerclement et pour ne pas déboucher sur une confrontation sino-américaine qui obligerait ses voisins à choisir leur camp.
Les pays de la région ne souhaitent pas être soumis à des choix manichéens mais veulent un contrepoids protecteur qui ne dégénère pas en une division de la région ni en une rupture des synergies économiques centrées sur la Chine. Ils ont été les premiers à prendre leur autonomie par rapport au FMI pour résoudre leur crise financière de 1997 et ils ont ensuite marqué leur distance par rapport à l’universalité des normes démocratiques et des règles de gouvernance libérale défendue par le modèle occidental. Ils souhaitent un équilibre qui les préserve d’une double dépendance.
En se définissant comme une puissance commerciale et une puissance civile, l’Union européenne peut répondre au besoin de diversification économique en négociant des accords avec les pays de la région, mais elle ne peut jouer aucun rôle sur le plan de la sécurité et de la stabilité régionales.
II. LA CHINE ET L’UNION EUROPÉENNE FACE AUX RESPONSABILITÉS DE LA GOUVERNANCE MONDIALE
La Chine est une puissance paradoxale à cause de l’effet du nombre de sa population qui lui confère un double statut international. Elle est déjà l’un des trois acteurs systémiques de la mondialisation aux côtés des États-Unis et de l’Union européenne et l’on attend qu’elle exerce pleinement ses responsabilités internationales dans la gouvernance mondiale. Mais elle est encore un pays en transition qui s’implique pacifiquement, progressivement et prudemment dans l’exercice des responsabilités mondiales.
Cette double réalité se mesure au fait que la deuxième puissance mondiale à un revenu par habitant qui se situe au 95ème rang mondial, entre l’Algérie et le Salvador(3).
A. Convergences et divergences des intérêts des trois acteurs systémiques de la mondialisation : Chine, États-Unis et Union européenne
La crise financière de 2008 a justifié un élargissement de la gouvernance mondiale parce que, dans un monde interdépendant, le risque né dans une région n’a plus de frontières et devient mondial. les pays émergents ont pris une place plus importante dans les institutions financières internationales comme le FMI et ont pris rang aux côtés des pays avancés du G7-G8 pour former le G20.
Au sein du G20 représentant 85 % du PIB mondial, les trois plus grands représentent environ 60 % de l’économie mondiale et sont des acteurs systémiques dans la mondialisation, parce que leurs actions et décisions individuelles ont un impact sur le reste du monde. Ils sont producteurs de gouvernance globale alors que les autres États sont encore des receveurs.
La relation de complémentarité et de rivalité qui s’est établie entre les États-Unis et la Chine risque de se transformer en un grand duel au XXIe siècle. La gouvernance mondiale s’efforce au contraire de dépasser les rapports de force pour surmonter les défis communs par la coopération multilatérale et de rechercher un nouvel équilibre entre l’influence, l’arbitrage et la puissance.
Parce que le troisième acteur a renoncé au modèle traditionnel de la puissance, l’Union européenne pourrait contribuer à éviter que le « G2 » ne reproduise des rapports de force et une nouvelle guerre froide. La condition est de retrouver la crédibilité de son influence après la crise de l’euro et de ne plus se présenter comme une puissance affaiblie par cette crise ni une puissance divisée sur ses ambitions et ses intérêts.
La question est de savoir si les trois acteurs systémiques peuvent définir des intérêts communs ou un compromis entre leurs intérêts pour faire face aux déséquilibres économiques et monétaires internationaux.
Le monde s’est accommodé d’un régime de dérèglement contrôlé du commerce et de la monnaie jusqu’à sa perte de contrôle lors de la crise de 2008.
Le privilège du dollar a permis aux États-Unis de financer le déficit de leur balance des paiements grâce au recyclage des excédents chinois en obligations du Trésor américain. La Chine a développé se croissance par l’exportation, en finançant par son épargne le surendettement des ménages américains au lieu de l’investir chez elle, pour s’assurer contre la fermeture du marché américain à ses exportations. Elle n’a pas payé le même prix pour l’ouverture du marché européen à ses exportations et n’a commencé à diversifier ses ressources de change en achetant de la dette européenne qu’avec la montée de ses inquiétudes sur sa dépendance au dollar.
L’intérêt commun de l’Union européenne et des États-Unis porte sur le commerce et est à la fois défensif – des exportations chinoises fondées sur une concurrence loyale – et offensif, l’accès au développement futur du marché chinois.
L’intérêt commun de l’Union européenne et de la Chine porte sur la réforme du système monétaire international de manière à l’adapter à un monde multipolaire.
Mais ces intérêts communs sont affectés d’une double ambiguïté :
- la Chine a maintenu artificiellement la compétitivité de ses exportations en pratiquant une sous-évaluation du yuan/renminbi grâce à un lien au dollar (peg) avec une marge étroite de fluctuation jusqu’en 2005, suivi de quelques réévaluations qui n’ont pas corrigé le phénomène ;
- les États-Unis se plaignent de la concurrence déloyale résultant de cette sous-évaluation du yuan, mais la liberté monétaire que leur donne le privilège du dollar a conduit bien souvent à une surévaluation de l’euro par rapport au dollar et à la délocalisation vers la zone dollar de sous-traitants produisant en zone euro pour des multinationales vendant en dollars.
L’intérêt de la zone euro est que l’économie mondiale repose sur des bases saines de nature à résorber les déséquilibres mondiaux artificiels, tant en matière de commerce que de monnaie.
Cependant, la Chine escomptait que l’Union européenne deviendrait une puissance mondiale contrebalançant l’influence des États-Unis dans le monde multipolaire et qu’elle serait capable de parler d’une même voix après le traité de Lisbonne. Elle observe que la sous-évaluation du yuan ne gêne pas l’Allemagne et que la Chine a dépassé les États-Unis en tant que destination principale des exportations allemandes fin 2010. Son réalisme la conduit à développer ses relations bilatérales avec les États membres et à prendre l’Union européenne telle qu’elle est et non telle qu’elle voudrait qu’elle soit par rapport aux États-Unis.
La Chine est également consciente que l’opinion publique européenne, au moins dans les États membres souffrant le plus de la concurrence internationale, éprouve le sentiment d’une relation perdante-gagnante et qu’elle conçoit le commerce avec elle plus comme une menace que comme une opportunité de croissance, contrairement aux grandes entreprises européennes.
La crainte d’une montée des protections du marché européen constitue une opportunité pour obtenir de la Chine de meilleures pratiques dans le respect des règles de concurrence.
En revanche, la Chine demeure inflexible sur la question de la sous-évaluation de sa monnaie. Elle se souvient que, dans la décennie quatre-vingt-dix, le Japon a arrêté son ascension dans la hiérarchie des puissances économiques par la réévaluation brutale de sa monnaie. Elle se souvient également qu’elle a échappé à la crise de 2008 en partie grâce au contrôle des changes.
La Chine veut contrôler l’appréciation du yuan en fonction du rythme de transformation graduelle de son modèle de croissance, de l’exportation vers la consommation intérieure, et veut réaliser les réformes intérieures avant d’adopter la convertibilité du yuan et la levée du contrôle des changes. Elle souhaite se protéger durant cette période de la volatilité des capitaux spéculatifs extérieurs et procéder à la réforme du marché financier intérieur pour éviter que l’énorme épargne des ménages chinois ne s’évade.
La Chine s’oriente cependant vers un usage international accru du yuan par la facturation de ses échanges avec l’Asie et ses fournisseurs en énergie et matières premières, ainsi que par l’ouverture progressive d’un marché obligataire en yuans. L’accord avec le Japon pour utiliser le yuan dans leurs échanges bilatéraux est à cet égard très important.
L’appréciation du yuan est nécessaire pour l’Union européenne, mais elle ne doit pas être brutale.
Un flottement du yuan et un arrêt de l’accumulation des réserves en dollars ou une diversification abrupte des réserves chinoises en euro entraîneraient une appréciation de l’euro pas favorable aux intérêts de l’Union européenne.
Par ailleurs, si une sous-évaluation du yuan facilite la conquête du marché européen par les exportations chinoises, une appréciation du yuan pourrait faciliter l’acquisition d’entreprises européennes par les entreprises chinoises.
Le Premier ministre Wen Jiabao vient d’assurer à Mme Merkel, lors de sa récente visite en Chine, que la Chine n’avait pas l’intention d’« acheter l’Europe », après l’acquisition de Putzmeister, fabricant emblématique d’équipements pour le BTP, par le Chinois Sany.
Détentrice de 3 200 milliards de dollars de réserves, la Chine souhaite aider l’Union européenne dans la crise de l’euro en répondant notamment aux sollicitations du FMI et en envisageant d’augmenter ses achats de dette souveraine européenne qui se situeraient déjà, non officiellement, à plus de 500 milliards de dollars. La Chine promet de ne pas marchander son aide contre des achats d’entreprises. Son objectif est de maintenir ouvert et d’aider à sortir de la crise son premier marché d’exportation. Elle doit par ailleurs expliquer aux Chinois moyens pourquoi la Chine aide l’Europe riche, alors qu’ils n’ont pas conscience que la majorité des exportations chinoises est réalisée par des entreprises étrangères implantées en Chine.
Cependant, si l’appréciation du yuan doit être maîtrisée et progressive, elle doit être significative pour l’Union européenne mais aussi pour l’ensemble des pays émergents dont l’ajustement de leur monnaie est bloqué par celui de la Chine.
Un débat existe entre les institutions internationales, notamment l’OCDE et le FMI, et entre les experts(4) , sur la disparition spontanée de l’excédent chinois en raison de l’ajustement du change réel à cause de la hausse des salaires. Les projections du FMI montrent que cet excédent devrait s’élever à 800 milliards de dollars en 2015 au lieu de 450 en 2008 et qu’il baisserait par rapport au PIB chinois de 11 % à 8 % mais augmenterait par rapport au PIB mondial de 0,7 % à près de 1 %. Cette correction par la hausse des salaires ne devrait donc pas suffire.
La Chine devrait également prendre en compte l’impact de son immobilisme sur l’euro et la monnaie des autres émergents qui ralentit l’ajustement à la hausse des taux de change des émergents et pérennise les déséquilibres mondiaux.
Enfin, la nécessaire appréciation du yuan ne corrigera qu’une partie du déficit pour deux raisons. D’une part, l’articulation de la Chine avec les autres pays d’Asie lui permettra de compenser ses pertes de compétitivité par ses gains sur les achats moins chers à ces pays et de les répercuter dans le prix de ses exportations.
D’autre part, elle pourra disposer encore longtemps de coûts de production plus faibles en redéployant son appareil industriel d’exportation des régions côtières vers l’intérieur du pays. Le débat avec les pays avancés sur l’écart des coûts de production porte sur la part légitime qui revient au seul avantage comparatif dont disposent les pays en développement et celle, plus contestable, qui repose sur le non-respect des règles fondamentales internationales, comme celles sur le travail forcé, le travail des enfants, les normes sanitaires ou d’environnement et le piratage et la contrefaçon.
B. Un engagement pacifique, progressif et prudent de la Chine dans l’exercice des responsabilités mondiales
La Chine offre la combinaison inédite d’un pays surpuissant relativement pauvre qui déroute ses partenaires. Ils souhaitent son plein engagement dans l’exercice des responsabilités mondiales tout en le redoutant, ils critiquent sa politique monétaire ou son manque de respect des droits de l’Homme mais ils la courtisent parce qu’elle est devenue incontournable dans le règlement des grands défis mondiaux et des crises internationales.
Avec une capacité exportatrice apparemment irrésistible et un revenu moyen par habitant encore limité, la Chine, vue de l’extérieur, apparaît comme la deuxième puissance mondiale et, vue de l’intérieur, comme un pays en développement confronté à la pauvreté relative d’une masse de 700 millions de paysans.
Cette dualité explique que la Chine soit en apprentissage de la mondialisation et qu’elle ne soit pas encore prête à assumer la gouvernance mondiale. Les Chinois s’intéressent d’abord aux Chinois et débattent entre eux des responsabilités de la Chine par rapport à son voisinage mais ils ne veulent pas se charger de la gouvernance mondiale.
Après avoir retrouvé son rang, la Chine s’efforce d’apaiser les craintes de ses partenaires en soutenant le multilatéralisme, en renforçant l’intégration régionale et en participant à la gouvernance mondiale. Ces positions constructives correspondent aussi à ses intérêts, car elle est trop intégrée aux circuits commerciaux et financiers mondiaux pour se tenir à l’écart et elle a conscience que la diplomatie économique ne suffit pas.
En revanche, elle mène une stratégie d’indépendance vis-à-vis de l’Occident et ne veut pas se laisser entraîner au-delà de ses moyens ni en dehors de ses priorités. Le principe cardinal est que son engagement international doit être proportionnel à ses capacités et respecter sa souveraineté, sa sécurité et son développement.
La Chine est passée en 2005 du concept « d’émergence pacifique » à celui de « développement pacifique et de construction d’un monde harmonieux », complété en 2009 par les cinq points définis par le Président Hu Jintao : transformation profonde, monde harmonieux, développement commun, responsabilité partagée et engagement actif.
M. Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre, demande à l’Union européenne de comprendre ce que la Chine veut dire lorsqu’elle parle de respect et de stabilité pour fonder le partenariat avec l’Union européenne. La Chine doit aussi comprendre ce que ces mots signifient pour l’Union européenne, en particulier le respect des règles et des contrats reposant sur la bonne foi et la confiance.
Les Chinois interprètent les événements contemporains avec une longue mémoire collective du passé certainement beaucoup plus prégnante que la mémoire partagée des Européens qui ont tourné la page de leur histoire douloureuse grâce à la construction européenne.
Les événements tragiques de leur histoire au XIXe et XXe siècles restent gravés dans leur mémoire et peuvent expliquer certaines réactions, en particulier le traité de Nankin avec la Grande-Bretagne en 1842 qui marquait la fin de la guerre de l’opium en contrepartie de la cession de Hong-Kong, d’une indemnité de guerre et d’un transfert des droits de douane, le traité signé avec la Russie en 1858 dépossédant la Chine d’un territoire de 600 000 km2, le protocole Boxer de 1901 lui imposant une indemnité équivalant à 6 milliards de dollars actuels, le démembrement de la Chine par les Occidentaux à la fin du XIXe siècle et enfin la création de l’État du Mandchoukouo en 1932 après l’invasion de la Chine par le Japon.
Les principes de la politique étrangère chinoise sont :
- la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État, reflétant la préoccupation millénaire des dynasties impériales de forger l’unité de l’empire contre les forces centrifuges ;
- le non-recours aux moyens militaires vis-à-vis d’un autre État. La Chine préfère n’exercer qu’une version douce de sa puissance, tout en se donnant progressivement des capacités militaires d’influence, après l’échec de la puissance dure américaine dans le conflit iraqien et son propre échec dans le conflit de 1979 avec le Vietnam ;
- la non-prétention à l’exemplarité de son modèle social ou de développement, même si elle conteste le modèle occidental.
La Chine n’exprime ni un soutien ni une opposition systématiques aux principes défendus par les Nations Unies lors des crises internationales.
À l’ONU et au sein du G20, elle respecte les stratégies collectives et elle défend ses positions plus qu’elle ne prend d’initiatives. Elle a fait le choix du multilatéralisme pour régler les affaires du monde multipolaire, en affichant deux priorités : la recherche de l’harmonie nécessaire à l’équilibre multipolaire et l’expansion par la voie de l’osmose culturelle et non par celle du prosélytisme commercial.
Sa volonté de garder les mains libres dans ses engagements internationaux s’explique par la priorité accordée au règlement de ses défis internes et à la réalisation de l’harmonie sociale du peuple.
La mémoire de son statut de victime pèse aussi sur sa volonté d’exercer ses responsabilités de grande puissance, même si le leadership fondé sur la séduction et le consentement est le contraire de la domination fondée sur la contrainte.
La Chine a utilisé sa double qualité de puissance incontournable et de puissance en transition pour se faire le porte-parole des intérêts des pays émergents en faveur d’une meilleure représentation de ceux-ci au sein des institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale), ainsi que dans les négociations du cycle de Doha.
À cet égard, l’absence de la Chine dans l’Agence internationale de l’énergie à Vienne est une lacune de la gouvernance mondiale qu’il conviendrait de combler.
La Chine veut réduire sa dépendance aux exportations vers l’Union européenne et les États-Unis en développant un partenariat élargi avec les grands pays émergents qui absorbent une part croissante de ses exportations. Elle est le premier partenaire commercial de chacun d’entre eux et le premier ou deuxième investisseur pour certains. La Chine et l’Inde qui sont les moteurs de la croissance mondiale, représentent 18 % du PIB mondial, 30 % de la superficie mondiale et 42 % de la population mondiale. L’Inde sera l’État le plus peuplé du monde en 2050 avec 1,7 milliard d’habitants. Le groupe comprend des puissances régionales significatives dont certaines pourraient devenir des puissances mondiales déterminantes dans la gouvernance mondiale aux côtés des trois grands.
La Chine a réuni en avril 2011 le troisième sommet des cinq BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) pour créer un modèle de coopération économique globale et faire avancer le multilatéralisme.
Cependant la crainte du Brésil et de l’Inde de la concurrence sur les matières premières et les produits manufacturés et d’un rapport déséquilibré avec la Chine ne permet pas de conclure à la constitution d’un bloc.
Ils se sont néanmoins accordés pour lutter contre les menaces de protection ou de protectionnisme aux États-Unis et en Europe et ils ont décliné cette position de manière plus précise lors de la 101ème Conférence internationale du travail de l’OIT (Organisation internationale du travail), le 17 juin 2011.
Les BRICS ne veulent pas d’un modèle social unique imposé par les pays avancés qui serait, selon eux, une forme déguisée de protectionnisme.
L’Inde a été très claire : ils sont favorables à un socle de protection sociale, mais chaque pays doit pouvoir en fixer le niveau. Ce socle doit être lié à la richesse de chaque pays, à l’importance de son secteur informel, à sa stratégie pour l’emploi et à ses autres politiques sociales. La priorité est de garantir une croissance fondée sur la consommation intérieure autant que d’assurer la stabilité sociale, plus que jamais nécessaire après la crise économique.
Les BRICS ne veulent pas que les pays avancés fassent des normes sociales un facteur de pénalisation de leur croissance et les empêchent de rattraper le niveau de richesse des plus développés. Le progrès social doit renforcer le progrès économique, mais sans le contraindre pour ne pas le ralentir.
Le message s’adresse aux pays avancés promoteurs d’un socle social international, en particulier à la France présidente du G20 en 2011.
Dans la négociation sur le réchauffement climatique, la conférence de Durban est parvenue à un compromis qui relance un processus arrêté à la conférence de Copenhague.
Cependant la Chine s’en tient pour l’essentiel à sa ligne générale : elle évolue à son propre rythme et non par rapport à des objectifs mondiaux contraignants, en développant son effort technologique pour figurer aux avant-postes de la révolution verte, grâce aux perspectives de son marché intérieur lui assurant l’émergence de champions innovateurs.
Elle rappelle qu’elle a soutenu toutes les conventions, de Kyoto à la feuille de route de Bali, et que présenter la Chine comme le plus grand pollueur du monde devant les États-Unis n’est pas juste. Il faut regarder non seulement les chiffres globaux mais les chiffres par habitant : la Chine représente aujourd’hui un peu moins de la moitié de la pollution en CO2 de l’Union européenne par habitant : 4 tonnes en Chine, environ 5 tonnes en France, 10 tonnes dans l’Union européenne, 18 tonnes aux États-Unis. Il faut aussi regarder l’histoire : l’accumulation s’est faite dans les pays industrialisés alors que depuis 300 ans la Chine a des cités immenses comme Shanghai à l’égal des cités américaines. Il faut enfin regarder le niveau de vie de la population rurale qui représente la moitié de la population et dispose d’un revenu correspondant à un dixième du revenu français moyen. Elle circule à bicyclette et la Chine ne peut pas lui refuser le rêve de disposer d’une voiture et d’une maison.
La Chine est donc pour une responsabilité commune mais différenciée et contre le modèle unique pour les pays développés comme pour les pays en développement, défendu par les États-Unis et d’autres pays développés mais pas par l’Union européenne.
La Chine tient un raisonnement similaire sur la création d’une taxe sur les transactions financières au motif que la taxe est difficile à réaliser chez elle parce que la Chine n’est pas au même stade de développement bancaire que les pays avancés. Elle se montre par ailleurs inflexible sur la non-inscription de Hong-Kong et Macao sur la liste des paradis fiscaux.
Enfin, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, la Chine s’est montrée de plus en plus coopérative dans le règlement d’un certain nombre de crises internationales.
Elle s’est de plus en plus impliquée dans les opérations de maintien de la paix de l’ONU, en envoyant depuis 1989 près de 10 000 casques bleus dans le cadre de 22 missions de maintien de la paix dans toutes les régions du monde, notamment au Cambodge, en République démocratique du Congo, au Libéria, au Soudan, au Liban, en Haïti. Sa marine a participé pour la première fois à une mission hors de ses eaux territoriales dans le cadre de la lutte contre la piraterie maritime dans le golfe d’Aden à partir de décembre 2008.
La Chine participe aux négociations sur la Corée du Nord et l’Iran dans la lutte contre la prolifération nucléaire et elle a chargé des envoyés spéciaux de jouer un rôle de médiation en Afrique sub-saharienne, au Moyen-Orient et entre l’Inde et le Pakistan.
Elle a même dérogé à son principe d’opposition à tout séparatisme contenu dans celui de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État, en tentant une médiation en décembre 2011 entre le Soudan et le Soudan du Sud l’amenant à reconnaître l’indépendance du Sud. Le différend porte sur le prélèvement que le Nord veut opérer sur les exportations de pétrole du Sud, transitant par les terminaux du Nord sur la mer Rouge et qui représentent 5 % des importations chinoises de pétrole brut.
En revanche, sa convergence avec la Russie sur la préservation de la stabilité régionale face aux révolutions démocratiques, aussi bien en Ukraine et en Georgie que dans le monde arabe, l’a amenée à s’opposer aux positions de l’Occident et de la Ligue arabe dans les affaires libyennes et syrienne. Considérant que l’intervention militaire en Libye avait fait chuter le régime et avait outrepassé le mandat de l’ONU fondé sur le principe de protection internationale des populations contre la barbarie de leur propre régime, qui avait justifié leur abstention sur la décision d’intervenir, Russie et Chine sont revenues à la défense du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État et ont opposé leur veto à deux résolutions successives sur le règlement de la crise syrienne au Conseil de sécurité des Nations Unies.
En quarante ans, depuis son admission à l’ONU en 1971 à la place de Taiwan avec un siège de membre permanent du Conseil de sécurité, la République populaire de Chine a fait un usage modéré de son droit de veto par rapport aux quatre autres membres permanents : elle l’a utilisé sept fois en comptant le récent veto. La Russie en a fait usage 125 fois surtout pendant la guerre froide, les États-Unis 85 fois principalement à propos d’Israël, le Royaume-Uni 32 fois et la France 18 fois.
La redistribution des cartes géopolitiques entre l’Occident et les grands pays émergents place la gouvernance mondiale dans une période de flottement, dans la mesure où les grands émergents s’occupent d’abord de leur rattrapage et ne sont pas encore prêts à assumer ces responsabilités. Le premier d’entre eux, la Chine, doit réussir sa transition pour parachever son statut de puissance mondiale, et le sens de sa transition déterminera si elle sera ou non une superpuissance autoritaire.
III. LA CHINE ET L’UNION EUROPÉENNE FACE À LEURS DÉFIS INTÉRIEURS
Les déséquilibres internes provoqués par sa croissance fulgurante conduisent la Chine à réorienter son modèle exportateur vers le développement de la consommation intérieure en conservant son régime autoritaire.
Les déséquilibres internes révélés par la crise de l’euro conduisent l’Union européenne à changer sa gouvernance de l’euro pour surmonter les contradictions entre les modèles de croissance de ses États membres et se donner une unité de vues dans les relations avec des partenaires comme la Chine.
A. Le défi intérieur de la Chine : changer de modèle économique sans changer de modèle politique dans une société en pleine mutation
Les Jeux olympiques de Pékin en 2008 et l’Exposition universelle de Shanghai en octobre 2010 ont célébré les trente glorieuses de la Chine, au cours desquelles sa croissance exceptionnelle a abouti à son retour triomphal sur la scène internationale. Ces événements ont coïncidé avec la crise financière de 2008 et marquent l’entrée dans un nouveau cycle orienté vers le développement intérieur et l’harmonie sociale. Le modèle de croissance exportateur a mis sous tensions sociales la société chinoise et les autorités ont décidé de fonder la croissance non plus sur l’exportation mais sur le développement de la consommation intérieure.
La réorientation vers le renforcement de l’économie de marché, de la décentralisation et de la flexibilité a été engagée en 2004-2005, mais le rééquilibrage n’a pas encore commencé. Au contraire, la part de la consommation dans le PIB n’a jamais été aussi faible ni celle de l’investissement aussi élevé. La cause en est le plan de relance de 2009. Il a représenté 14 % du PIB (440 milliards de yuans soit 52 milliards d’euros) et a protégé la Chine des effets de la crise de 2008, mais il a recentralisé l’économie par la commande publique et l’investissement des collectivités locales.
1. Le douzième plan quinquennal (2011-2015) pour fonder la croissance sur la consommation intérieure et le bien-être social
Le douzième plan quinquennal (2011-2015) devrait donc constituer le véritable point de départ du changement de modèle.
Il propose de développer le bien-être social en s’appuyant sur une croissance plus durable pour réduire les tensions environnementales provoquées par l’exportation à outrance et plus inclusive pour réduire les inégalités sociales engendrées par le développement d’une Chine à deux vitesses. Le pays se heurte également au risque d’épuisement des ressources naturelles en raison de sa surconsommation énergétique puisque, si sa croissance continuait au même rythme, la Chine consommerait dans quinze ans 75 % du pétrole mondial.
Ce plan prévoit en particulier :
- un objectif annuel de croissance de 7 %, soit 4,2 % plus bas que celui atteint en moyenne pendant le onzième plan (2006-2010) ;
- une meilleure répartition de la croissance dans la population par l’accroissement des revenus des citadins et des ruraux grâce au développement de l’État-providence ;
- le maintien du chômage urbain en dessous de 5 % ;
- la création de 45 millions d’emplois dans les villes au cours des cinq prochaines années ;
- l’incitation au développement économique des régions sous-développées de l’Ouest de la Chine.
Ce plan répond à quatre nécessités.
La première est de réduire les inégalités qui se sont creusées au niveau des revenus, entre les régions côtières et celles de l’intérieur et entre les populations de villes et des campagnes.
Certes le revenu moyen par habitant a été multiplié par huit entre 1980 et 2007 et 350 millions de personnes sont sorties de la pauvreté depuis le début des réformes en 1978. Mais tout le monde n’a pas profité équitablement de cet enrichissement et la multiplication des grèves en 2010 revendiquant hausse des salaires et justice sociale traduit la montée du mécontentement populaire, en particulier face à la hausse des prix de l’immobilier et des produits alimentaires.
L’immobilier en Chine a créé un effet de richesse colossal. La valeur d’un appartement à Pékin représente entre la moitié et les deux tiers de celle d’un appartement à Paris. Une séparation s’est produite entre ces propriétaires et les autres couches de la population.
La Chine est en train de construire 35 millions de logements sociaux pour répondre aux mécontentements, sous l’impulsion de l’État auprès des banques mais au prix d’une corruption proportionnelle à l’ampleur de ce programme.
« Ce pays riche peuplé d’une majorité de pauvres »(5), composée de chômeurs, de paysans ou citadins expropriés, de travailleurs pauvres, de migrants tournant entre villes et campagnes (mingong) et de minorités ethniques, ne supporte plus l’inflation, l’inégalité ni la corruption.
La deuxième nécessité est de terminer le décollage économique de la Chine avant la fin de la transition démographique. Or le vieillissement du pays arrive avant que le pays n’ait atteint le niveau de richesse d’un pays avancé.
La transition démographique, c’est-à-dire la période la plus propice au décollage économique durant laquelle la population active est la plus nombreuse par rapport à la population jeune et âgée, va bientôt s’achever.
La politique de l’enfant unique décidée à la fin de la décennie soixante-dix aboutira à une inflexion de la population active dès 2015. Cette évolution, accompagnée par un épuisement de la réserve des migrants ruraux vers les villes, entraînera une baisse de la population active en 2030.
Population des 15-64 ans en Chine
Elle aura également pour conséquence une pression à la hausse des salaires corollairement à une montée en gamme des produits et à une qualification accrue, aboutissant à une compétitivité de la Chine sur le marché mondial ne s’exerçant plus par les bas coûts de production mais par l’innovation.
La politique de l’enfant unique a par ailleurs entraîné une masculinisation de la société, avec 120 garçons pour 100 filles, et une augmentation du coût du mariage, concernant le logement du couple, pour les parents du mari. Le taux d’épargne des ménages urbains est passé de 18 % du revenu en 1995 à 26 % en 2006 notamment pour assurer cette fonction. Mais les migrants ruraux et les travailleurs pauvres éprouvent des difficultés à se loger en couple et à se marier.
La troisième nécessité est de continuer à absorber les migrations paysannes, grâce à une croissance suffisante compte tenu des gains de productivité, ou de fixer les migrants ruraux plus près de chez eux par la poursuite de la modernisation agricole et le développement des régions déshéritées. Par ailleurs, l’immigration spontanée ou encouragée par le gouvernement devrait se poursuivre au sein d’une population en surnombre par rapport aux ressources.
La quatrième nécessité est de donner la priorité à la stabilité sociale pour garantir la stabilité politique et la légitimité du parti unique.
Jusqu’à présent, ni la réduction de la part de la consommation des ménages de 45 % à 35 % du PIB au cours de la dernière décennie, ni le maintien forcé d’un coût faible du capital par des taux d’intérêt réels négatifs au détriment des ménages, ni les insuffisances de la protection sociale ne couvrant que 11 % et 13 % de la population par l’assurance maladie et l’assurance vieillesse en 2008, aucun de ces facteurs de mécontentement n’a eu d’influence institutionnalisée sur la politique du pays.
La mise en œuvre du douzième plan quinquennal (2011-2015) et le renouvellement des organes du parti communiste chinois et de l’Etat en octobre 2012 devraient permettre au régime de conduire cette nouvelle stratégie de long terme avec la même constance que celle qu’il a menée à bien depuis trente ans.
2. Trois interrogations sur la difficulté de la transition, sur l’évolution du régime politique sous la pression d’une société civile émergente et sur la capacité d’une superpuissance autoritaire d’exercer un leadership mondial dans un monde où les individus communiquent par-dessus les frontières et les hiérarchies
Cette nouvelle stratégie suscite néanmoins trois interrogations.
La première porte sur la difficulté de la transition.
Le rythme de la croissance a reposé sur un surinvestissement dans l’industrie et la recherche d’une rentabilité élevée du capital, au détriment des salaires et de la consommation, et sur un soutien aux exportations par une sous-évaluation du yuan renforçant l’excès d’épargne.
Réduire le taux d’investissement comporte le risque de réduire le taux de croissance, à moins que la Chine opère simultanément un rééquilibrage du partage du revenu pour accroître la consommation des ménages.
La hausse des salaires pour remonter le revenu des ménages de 40 % au niveau normal de 60-70 % du PIB dans la plupart des pays entraînera des pertes de marché à l’exportation et prendra du temps.
Il en sera de même pour l’extension de la protection sociale (santé, vieillesse), y compris dans les campagnes où la solidarité familiale traditionnelle ne fonctionne plus avec le départ des jeunes vers les villes.
La réduction des inégalités de revenus devra s’accompagner de l’élimination de plusieurs facteurs de blocage : la réforme agraire incomplète, le maintien du passeport intérieur (hukou) pour les migrants ruraux, l’absence de système juridique stable et transparent source d’incertitude pour les investisseurs, l’accaparement des crédits bancaires par les entreprises d’État ou celles créées par les collectivités locales au détriment des entreprises privées et des ménages.
Le montant de la dette publique atteignait 28 087 milliards de yuans (3 412 milliards d’euros), soit 68 % du PIB fin 2010 dont plus de la moitié à la charge des collectivités locales(6). Leurs dettes s’élèveraient à plus de 20 000 milliards de yuans en prenant en compte les nombreuses plates-formes locales de financement ne disposant pas de garantie directe de l’État mais d’un soutien implicite. Les collectivités locales ont financé la moitié du plan d’investissement de 2008 non par des recettes fiscales qui remontent vers l’État mais par des emprunts bancaires dont le remboursement était assuré par la vente de terrains achetés à la population à un prix d’expulsion et revendus au prix du marché en surchauffe. Le ralentissement du marché immobilier a réduit la capacité de remboursement des collectivités locales de leurs emprunts aux banques, détentrices selon une étude de la Banque Standard Chartered de Shanghai, de plus de 9 000 milliards de yuans de dettes irrécouvrables, soit 22 % du PIB, en comptant également les dettes du ministère des chemins de fer.
La fragilisation des banques à cause de l’endettement des collectivités locales conduit soit à recapitaliser les banques et à reconnaître les pertes en plaçant les créances irrécouvrables dans des structures de défaisance, soit à différer la solution en engageant les banques dans un nouveau cycle de prêts pour rembourser les anciens, soit à monétiser la dette au risque de l’inflation. Dans tous les cas, les ménages assumeront à plus ou moins longue échéance.
La politique de désendettement risque de contrarier l’objectif de lutte contre l’inflation (4 % fin 2011) et de resserrement du crédit, engagé après la fin du plan de relance pour apaiser la surchauffe de l’économie et redonner du pouvoir d’achat à la population.
Mais la lutte contre l’inflation risque de peser sur la croissance au minimum de 7 % à 8 % nécessaire pour assurer l’emploi.
La Chine continuera d’avoir besoin d’exporter vers l’Europe et les États-Unis pour tirer sa croissance, avant d’avoir tranché les dilemmes de sa transition face aux impatiences de la population.
La deuxième interrogation porte sur l’évolution du régime politique sous la pression d’une société civile émergente.
Le régime politique chinois est aussi en transition.
M. Hu Jintao, Secrétaire général du Parti communiste chinois, Président de la République et Président de la Commission militaire centrale, et le Premier ministre M. Wen Jiabao sont en fonction jusqu’au renouvellement des organes du parti en octobre 2012. Ce renouvellement devrait permettre l’avènement d’une nouvelle génération de responsables politiques dans tous les organes du parti, en particulier au comité permanent du Bureau politique du parti communiste où siègent M. Xi Jinping, Vice-président de la République et Vice-président de la Commission militaire centrale, et M. Li Keqiang, Vice-premier ministre.
Le renouvellement concerne les neuf leaders au sommet, les 500 membres du Comité central, les chefs de province. Les neuf leaders ne vont pas être choisis cette fois-ci par le sommet lui-même mais par les 500 membres du Comité central.
La compétition portera sur la conjugaison du développement d’un nouveau système social public avec celui d’une économie et d’une finance privatisées ainsi que sur la maîtrise des fragilités actuelles pour assurer la stabilité et l’harmonie.
Face aux revendications de la population, le régime ne se trouve pas du tout dans la problématique de la fin des États socialistes à bout de souffle du siècle dernier.
Jusqu’à présent, les mouvements sociaux n’ont pas pris la forme d’un grand mouvement permanent mais de petits mouvements sporadiques que les dirigeants locaux parviennent vite à reprendre sous contrôle et dont la mémoire se perd.
Toutefois la Chine compte plus de 500 millions d’internautes dont 340 ont accès à Internet sur leur mobile et les conditions technologiques d’une connexion entre les mécontentements des urbains et des ruraux semblent réunies. C’est la raison pour laquelle le pouvoir a tout fait pour éviter la diffusion de l’information sur la « révolution de jasmin » dans les pays arabes, conjuguant les revendications d’une jeunesse citadine au chômage éduquée et connectée avec celles d’une population pauvre affamée par la hausse des prix des produits alimentaires et de première nécessité.
L’Internet accompagne l’émergence d’une classe moyenne et d’une société civile consommatrice, qui ne revendique pas encore d’être une société civile citoyenne.
L’histoire de la Chine est celle d’un balancier entre l’autoritarisme et l’anarchie, et non entre l’autoritarisme et la démocratie.
Le peuple chinois est individualiste et aspire à plus de liberté et de réformes, mais aussi à l’ordre pour éviter des aventures qui lui feraient perdre l’acquis de ses trente glorieuses.
Le parti communiste chinois rejette le multipartisme et juge le modèle démocratique occidental trop court-termiste et inconstant pour mener la stratégie graduelle de long terme qu’il a définie.
La question est de savoir comment un régime autoritaire de parti unique parviendra à répondre aux aspirations en faveur de l’État de droit, de la justice, du respect des contrats et des droits civils, s’il n’entre pas en dialogue avec la société civile et ne change pas ses pratiques sur la transparence des politiques, l’opacité des chiffres et le contrôle de l’information.
Un multipartisme interne au Parti communiste chinois pourrait être une solution. Depuis une réforme en 2002, le parti s’est élargi aux cadres et chefs d’entreprise des groupes d’intérêt alliés au pouvoir et regroupe en principe les représentants de toutes les élites politiques et économiques, publiques et privées, du pays. Toutefois cette alliance institutionnalisée du pouvoir et du capital présente un risque de corruption dont l’éradication est l’une des demandes du peuple.
Le défi est d’élargir la pyramide du pouvoir aux revendications du citoyen de base qui s’exprime désormais sur les réseaux sociaux transversaux de la société civile. Or ce dialogue avec la société civile au sein du parti ne peut se réaliser sans une levée très substantielle de la cybercensure.
Sinon, le pouvoir pourrait encourir le risque d’une cyberdémocratie concurrente se développant en marge du parti.
La troisième interrogation porte sur la capacité d’une superpuissance autoritaire d’exercer un leadership mondial et de séduire un monde ouvert fondé sur la liberté de communication entre individus par-dessus les frontières et les hiérarchies.
La Chine souffre aujourd’hui d’un modèle instable avec une bulle immobilière et un système bancaire fragile et elle est en réalité plus défensive qu’hégémonique parce qu’elle a déjà fort à faire avec ses problèmes intérieurs.
La question n’est donc pas d’actualité mais elle pourrait le devenir. Les prévisions plaçaient la Chine au rang de première puissance économique mondiale en 2050, sans doute le sera-t-elle en 2025.
Après s’être longtemps concentrée sur son rattrapage économique, la Chine a compris qu’elle ne pourrait pas être une puissance globale comme les États-Unis sans renforcer son pouvoir culturel pour promouvoir son image et son influence dans le monde(7).
Considérant que la perception de la Chine était encore trop largement façonnée par les médias occidentaux, elle a engagé une stratégie médiatique internationale qui s’est traduite par l’organisation à Pékin, en octobre 2009, du premier Sommet mondial des médias, sous la présidence de M. Hu Jintao, par la constitution de groupes de niveau international et par un plan de développement des trois médias gouvernementaux.
La télévision nationale CCTV (China Central TV) a conclu des partenariats avec plus de 200 groupes étrangers dans 134 pays et régions. Radio Chine Internationale (CRI) est la troisième radio du monde en offre de langues (une quarantaine) et en volume horaire diffusé. L’agence Chine nouvelle Xinhua est l’une des plus grandes agences de presse du monde avec 400 correspondants dans le monde et elle prévoit de doubler le nombre de ses bureaux à l’étranger à près de 200 en 2010.
L’Afrique est une cible prioritaire. Un tiers des coopérations tissées par Radio Chine Internationale avec plus de 150 radios et médias étrangers se situe en Afrique. L’agence de presse Xinhua devient progressivement l’un des principaux fournisseurs d’informations grâce notamment à sa politique tarifaire compétitive. Ces entreprises chinoises se sont implantées en répondant aussi bien aux besoins des États en termes d’infrastructures, de formation et de transition vers le tout numérique, qu’aux besoins des consommateurs en termes de bas prix, d’offre diversifiée et d’adaptation linguistique.
Toutefois ces moyens d’influence ne suffiront pas à la Chine pour exercer un leadership mondial. Il lui sera difficile de concurrencer le modèle occidental sans définir un message universel attractif sur la vision de l’avenir du monde. La capacité à innover est l’une des forces d’attraction du modèle occidental et pose la question de savoir si cette capacité peut se développer sans un État de droit sécurisant protecteur de la liberté de création. En d’autres termes, une superpuissance autoritaire pourra-t-elle séduire une opinion publique mondiale pratiquant quotidiennement la libre circulation des idées hors des structures étatiques ?
B. Le défi intérieur de l’Union européenne : surmonter les contradictions entre États membres pour définir un intérêt commun et agir de concert face à ses grands partenaires
La crise de l’euro a mis en lumière des contradictions entre les États membres de l’Union européenne qui, pour la première fois depuis sa création, ont jeté un doute sur sa solidité et son avenir, au point d’évoquer l’hypothèse d’une déconstruction européenne(8). Cette crise a pu également affecter sa crédibilité et son influence internationales. En effet, comment l’Union européenne pourrait-elle contribuer à relever le défi de l’interdépendance mondiale si elle ne parvenait pas à relever celui de l’interdépendance européenne ?
L’Union européenne peine à définir une stratégie commune face à ses grands partenaires en raison de ses dispersions institutionnelles et des divergences d’intérêts entre ses États membres.
Le traité de Lisbonne a accru la complexité institutionnelle en créant de nouveaux organes, le Président du Conseil européen et le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, mais il a confié au Haut représentant la mission de couvrir toute la politique extérieure et de coordonner les volets de cette politique gérés par la Commission.
La Haute représentante, Mme Catherine Ashton, s’est efforcée de donner une cohérence d’ensemble aux négociations techniques multiples menées par la Commission et d’amener les États membres à définir une ligne politique en proposant la méthode des partenariats stratégiques avec les grands pays.
Ce progrès se heurte aux réticences de certaines directions générales de la Commission qui s’inquiètent des concessions que nos partenaires extérieurs pourraient obtenir sur des positions techniques essentielles en échange de considérations de politique générale, en faisant pression sur certains États membres plus fragiles ou plus sensibles à leurs arguments.
La tentation est grande pour nos partenaires d’essayer de s’entendre au niveau bilatéral avec de grands États membres dans la promotion de leur commerce bilatéral, ou avec de petits États membres qui n’ont qu’un seul intérêt à promouvoir, aux dépens des positions communes mieux défendues au niveau de l’Union européenne dans un rapport de force équilibré.
La méthode des partenariats stratégiques bute principalement sur la difficulté de faire converger sur une ligne politique ambitieuse des États membres aux intérêts divergents.
M. François Godement distingue quatre catégories d’États membres dans la relation avec la Chine qui pourraient être généralisées aux relations avec d’autres grands partenaires :
- les libre-échangistes, séparant strictement les domaines politique et démocratique et les domaines économique et commercial et s’autorisant la possibilité de faire pression sur le partenaire ;
- les industrialistes, considérant que le marché ne doit pas définir la nature des relations avec le partenaire et s’accordant la possibilité de lui tenir tête tout en ménageant la relation ;
- les mercantilistes, ne posant pas de conditions au motif que de relativement bonnes relations politiques engendrent des bénéfices commerciaux ;
- les suivistes européens, réservant les relations bilatérales aux domaines d’intérêt mutuel et déléguant au niveau communautaire toutes les grandes questions.
La différence d’approche entre États membres sur les questions économiques peut également se résumer à la distinction entre pays libéraux et pays régulateurs.
Enfin, une typologie décapante des pays d’Europe vus de Chine mais qui est probablement généralisable à la vision d’autres partenaires, nous a été présentée. Elle distingue trois types de pays :
- la grande Europe, celle qui compte, composée de l’Allemagne et des pays du Nord qui font des affaires, sont efficaces et ne font de la politique que quand c’est nécessaire ;
- les pays comme la France, l’Italie et l’Espagne qui sont considérés en déclin et sont jugés sévèrement ;
- les pays qui sont une priorité tactique, l’Europe fragile, qui comprennent soit les nouveaux entrants soit ceux qui sont en grande difficulté, comme la Grèce ou le Portugal que la Chine regarde de près.
Le processus de décision par consensus ou unanimité au Conseil ne permet de surmonter les divergences entre États membres que grâce à des compromis limités, mais une procédure à la majorité qualifiée n’aboutirait pas à meilleur résultat tant que les divergences perdurent.
Surmonter les contradictions nécessite une impulsion politique et un leadership. La Commission européenne n’est plus le centre d’impulsion d’autrefois, mais le traité de Lisbonne a prévu une politisation des institutions communautaires lors de leur prochain renouvellement qui pourrait créer un nouvel équilibre, avec l’élection du Président de la Commission européenne par la majorité issue des élections au Parlement européen, avec la constitution de listes européennes et la synchronisation des calendriers électoraux encore à l’état de propositions, ainsi qu’avec la réforme de la Commission européenne.
L’Union européenne négocie avec ses partenaires sans avoir défini préalablement de ligne stratégique globale parce que ses États membres n’ont pas aplani leurs divergences. Seul un noyau dur d’États membres entraîné par le couple franco-allemand pourrait surmonter des contradictions qui se sont avivées avec la crise de l’euro.
2. La crise de l’euro et des balances des paiements a montré que les écarts de compétitivité entre États membres se sont creusés principalement dans le commerce au sein de l’Union et non avec les pays tiers
Une spécialisation productive s’est opérée au sein de la zone euro entre deux modèles de croissance, l’un centré autour de l’Allemagne sur la production industrielle et l’exportation, l’autre centré autour de la France sur la consommation et les services.
Tous les États membres de l’Union européenne ne souffrent pas également de la concurrence de la Chine et des pays tiers mais principalement les États membres ayant choisi le modèle consommateur. Dans la définition d’une stratégie commerciale, les États membres exportateurs ont tendance à privilégier le volet offensif d’accès au marché du pays tiers tandis que les États membres consommateurs accordent plutôt la priorité au volet défensif de protection du marché européen contre les exportations des pays tiers.
Par ailleurs, les États membres consommateurs souffrent le plus de déficit commercial, non pas dans les échanges avec les pays tiers mais dans le commerce intra-européen entre membres de l’Union.
L’Union européenne a une balance commerciale globale équilibrée avec le reste du monde et elle a accru son excédent industriel depuis dix ans de 200 milliards d’euros, lui permettant de financer une facture énergétique qui a augmenté presque autant.
Par ailleurs le reste du monde ne représente qu’une part minoritaire du commerce de l’Union européenne qui se déroule pour les deux tiers de ses échanges entre les États membres. Les échanges commerciaux de l’Union européenne se répartissent approximativement entre 65 % pour le commerce au sein de l’Union, 5 % avec des pays liés par des accords de commerce bilatéraux avec l’Union, 10 % pour les importations d’hydrocarbures, 20 % avec le reste du monde dont 10 % avec des pays à bas salaires exportant des biens pas ou plus produits en Europe ou entrant dans la composition des produits européens.
C’est dans le commerce entre États membres que se sont creusés les écarts de performance économique puisque, depuis dix ans, seize États membres ont subi une dégradation de leur balance commerciale totale à hauteur de 189 milliards d’euros tandis que onze États membres ont enregistré une amélioration de 165 milliards d’euros et que ces seize États ont subi une dégradation de 134,5 milliards au sein de l’UE-27 représentant 71,2 % de la dégradation de leur balance globale. Durant cette période, la balance commerciale de la France s’est légèrement améliorée vis-à-vis du reste du monde, mais s’est dégradée dans les échanges intra-européens.
L’affaiblissement de la capacité exportatrice des États membres relevant du modèle consommateur ne résulte donc pas principalement du dumping social, monétaire et environnemental des pays tiers, mais du manque de compétitivité de leur appareil productif puisque cet affaiblissement s’est produit principalement sur le marché intérieur européen où des règles s’appliquent pour éviter tout dumping.
La crise de l’euro s’est développée lorsque les marchés ont constaté que les États membres consommateurs s’étaient surendettés en bénéficiant des taux longs de l’Allemagne, sans disposer de la garantie de dernier recours de la Banque centrale européenne ni de l’Allemagne, et qu’ils ne disposaient pas de la capacité exportatrice suffisante pour rétablir leur balance des paiements et éviter une insolvabilité, à cause de leur spécialisation dans des productions peu exportables les rendant chroniquement déficitaires.
Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union économique et monétaire (UEM) adopté par les gouvernements de 25 États membres sur 27 prévoit la mise en place d’une forme de gouvernement économique, une discipline budgétaire, une coordination des politiques économiques et une orientation vers la convergence fiscale. Les États consommateurs surendettés devront réduire le déficit de leurs finances publiques et maîtriser leurs coûts salariaux de production afin de rétablir leur compétitivité par les prix et éliminer leur déficit extérieur.
L’amorce de ce qui pourrait instaurer dans l’avenir une solidarité fiscale et financière conduit à s’interroger sur la possibilité de rapprocher les deux modèles de croissance afin de constituer une zone monétaire optimale (ZMO), dans une période où le rétablissement de la compétitivité des pays du Sud serait plus facile à réaliser avec une relance de la consommation dans les pays excédentaires de l’Europe du Nord.
Une ZMO implique un consensus sur l’équilibre entre la stabilité des prix et la croissance, en particulier sur le principe de la stabilité des prix comme préalable à la croissance et à l’emploi et sur le point de savoir si le seuil doit toujours se situer à 2 % de hausse des prix par an.
Une ZMO nécessite également une diversification des productions de l’Europe du Sud de manière à ne pas l’enfermer dans des spécialisations excessives, sans aller jusqu’à l’adoption généralisée du modèle exportateur de l’Europe du Nord qui pourrait conduire à une déflation durable de la demande intérieure européenne.
Une ZMO suppose enfin un sentiment d’appartenance à un ensemble commun. Il faciliterait la mobilité des travailleurs du sud vers le nord, à condition notamment que l’obstacle de la langue de travail soit surmonté, ainsi que l’exercice de la responsabilité incombant aux peuples du sud pour remettre de l’ordre dans leur maison et ne plus consommer au-dessus de leurs moyens. Ce sentiment d’appartenance faciliterait également la solidarité des peuples du nord qui ont constitué leur socle exportateur vers les pays tiers en exportant d’abord vers les pays consommateurs du sud, solidarité qui s’exprimerait par des transferts financiers ou par une relance de leur consommation intérieure et de la croissance européenne.
Le vieillissement démographique à venir peut expliquer en partie le choix des pays de l’Europe du Nord de consommer au-dessous de leurs moyens actuels pour se préparer au choc des dépenses du vieillissement.
Selon Eurostat, la population de l’UE-27 s’élevant à 501 millions d’habitants au 1er janvier 2010 devrait atteindre un pic de 526 millions autour de 2040 pour redescendre à 517 millions en 2060. La part des 65 ans et plus passera de 17 % en 2010 à 30 % en 2060 et celle des 80 ans et plus de 5 % à 12 %. Le déficit des naissances parmi les Européens devrait atteindre 68 millions d’ici 2050.
En 2060, les États membres les plus peuplés devraient être le Royaume-Uni (79 millions d’habitants), la France (74), l’Allemagne (66), l’Italie (65) et l’Espagne (52), selon des équilibres inchangés sauf pour l’Allemagne qui perdra près de 20 millions d’habitants sur la période 2010-2050.
Le vieillissement démographique de l’Europe ne lui interdit pas d’être l’un des grands acteurs de la mondialisation, à condition de ne pas se replier sur elle-même et de participer aux progrès de la science qui influenceront les nouveaux modes de vie d’un monde en profonde mutation.
Le plus vieux pays du monde, le Japon, montre que le vieillissement n’est pas un obstacle à l’innovation technologique à condition de s’ouvrir aux nouveaux marchés des pays émergents pour la porter.
Les États membres de l’Union européenne doivent tirer les leçons du demi-échec de la stratégie de Lisbonne 2000-2010 pour faire de l’économie européenne vieillissante l’économie la plus dynamique du monde, et s’engager pour réussir la stratégie 2020.
Mais ils ne pourront réussir sans conjuguer leur haut potentiel scientifique et technologique avec la croissance mondiale à venir, dont 90 % se réalisera en dehors de l’Europe. Le commerce avec l’Asie qui est la zone la plus dynamique du monde, est l’un des rares leviers de croissance sur lesquels l’Europe peut agir sans engager de l’argent public qui se fait rare.
Balance commerciale des états membres dans l’Union européenne à 27 et hors UE-27
EU Trade (millions of euro) |
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PARTNER |
EU27 |
Extra EU27 |
World | ||||||||||||||
FLOW |
Imports |
Exports |
Imports |
Exports |
Imports |
Exports | |||||||||||
DECLARANT \ PERIOD |
2000 |
2010 |
2000 |
2010 |
2000 |
2010 |
2000 |
2010 |
2000 |
2010 |
2000 |
2010 | |||||
EU27 |
1 725 933 |
2 468 239 |
1 805 763 |
2 540 113 |
992 695 |
1 509 092 |
849 740 |
1 349 610 |
2 718 628 |
3 977 331 |
2 655 503 |
3 889 723 | |||||
France |
246 951 |
314 037 |
229 953 |
240 404 |
120 026 |
145 834 |
124 758 |
154 452 |
366 977 |
459 871 |
354 711 |
394 856 | |||||
Netherlands |
125 941 |
181 438 |
205 247 |
334 428 |
110 381 |
208 099 |
47 167 |
98 740 |
236 322 |
389 537 |
252 414 |
433 168 | |||||
Fr Germany |
340 141 |
502 933 |
386 622 |
570 915 |
198 185 |
292 733 |
210 833 |
378 714 |
538 325 |
795 666 |
597 455 |
949 629 | |||||
Italy |
157 695 |
201 364 |
160 206 |
193 450 |
100 811 |
166 026 |
100 208 |
143 958 |
258 507 |
367 390 |
260 413 |
337 407 | |||||
Utd. Kingdom |
195 331 |
218 300 |
183 544 |
164 819 |
181 518 |
205 272 |
125 492 |
141 205 |
376 849 |
423 572 |
309 036 |
306 023 | |||||
Ireland |
35 006 |
30 617 |
54 277 |
51 037 |
20 257 |
14 850 |
29 540 |
36 838 |
55 263 |
45 467 |
83 817 |
87 875 | |||||
Denmark |
35 605 |
45 141 |
39 185 |
48 383 |
13 721 |
18 884 |
16 351 |
25 082 |
49 326 |
64 025 |
55 535 |
73 465 | |||||
Greece |
23 526 |
24 626 |
7 885 |
10 243 |
12 724 |
23 566 |
4 837 |
6 107 |
36 249 |
48 191 |
12 723 |
16 350 | |||||
Portugal |
33 065 |
43 205 |
21 522 |
27 573 |
10 192 |
13 849 |
4 857 |
9 189 |
43 257 |
57 053 |
26 379 |
36 762 | |||||
Spain |
114 512 |
145 567 |
91 092 |
131 804 |
54 547 |
101 107 |
33 692 |
60 108 |
169 059 |
246 674 |
124 784 |
| |||||
Belgium |
136 152 |
205 540 |
156 548 |
225 155 |
56 043 |
91 114 |
47 406 |
83 169 |
192 195 |
296 654 |
203 953 |
308 324 | |||||
Luxembourg |
10 243 |
15 225 |
7 869 |
12 488 |
1 968 |
3 702 |
1 202 |
2 408 |
12 211 |
18 928 |
9 071 |
14 897 | |||||
Sweden |
53 957 |
75 160 |
56 888 |
68 348 |
24 952 |
37 009 |
37 453 |
51 316 |
78 908 |
112 169 |
94 340 |
119 664 | |||||
Finland |
24 963 |
33 305 |
31 486 |
28 484 |
12 329 |
18 595 |
18 430 |
23 954 |
37 292 |
51 899 |
49 916 |
52 439 | |||||
Austria |
62 832 |
92 925 |
54 792 |
82 004 |
15 550 |
27 018 |
18 519 |
33 074 |
78 383 |
119 944 |
73 311 |
115 079 | |||||
Malta |
2 241 |
2 679 |
902 |
1 113 |
1 455 |
1 209 |
1 754 |
1 593 |
3 696 |
3 888 |
2 656 |
2 705 | |||||
Estonia |
3 256 |
7 376 |
3 034 |
5 999 |
1 357 |
1 875 |
411 |
2 749 |
4 613 |
9 250 |
3 445 |
8 748 | |||||
Latvia |
2 576 |
6 709 |
1 633 |
4 835 |
891 |
2 110 |
390 |
2 356 |
3 466 |
8 819 |
2 023 |
7 191 | |||||
Lithuania |
3 112 |
9 989 |
2 882 |
9 544 |
2 569 |
7 664 |
973 |
6 107 |
5 681 |
17 653 |
3 855 |
15 651 | |||||
Poland |
36 602 |
95 064 |
27 914 |
95 314 |
16 483 |
39 242 |
6 460 |
25 169 |
53 085 |
134 306 |
34 373 |
120 483 | |||||
Czech Republic |
26 022 |
71 553 |
27 063 |
84 265 |
8 597 |
23 983 |
4 438 |
16 046 |
34 619 |
95 536 |
31 501 |
100 311 | |||||
Slovakia |
9 700 |
35 308 |
11 498 |
41 144 |
4 115 |
13 745 |
1 312 |
7 633 |
13 815 |
49 052 |
12 811 |
48 777 | |||||
Hungary |
23 027 |
45 009 |
25 527 |
55 589 |
11 806 |
21 506 |
4 997 |
16 435 |
34 833 |
66 514 |
30 525 |
72 024 | |||||
Romania |
9 294 |
33 986 |
8 137 |
26 948 |
4 941 |
12 878 |
3 136 |
10 390 |
14 235 |
46 864 |
11 273 |
37 338 | |||||
Bulgaria |
3 748 |
11 256 |
2 951 |
9 469 |
3 337 |
7 989 |
2 302 |
6 092 |
7 085 |
19 245 |
5 253 |
15 561 | |||||
Slovenia |
8 449 |
15 403 |
6 848 |
15 656 |
2 538 |
7 297 |
2 648 |
6 370 |
10 987 |
22 700 |
9 495 |
22 026 | |||||
Cyprus |
1 985 |
4 525 |
261 |
700 |
1 405 |
1 939 |
174 |
357 |
3 390 |
6 464 |
435 |
1 058 | |||||
Source: Eurostat (Comext, statistical regime 4) |
|||||||||||||||||
EU Trade (millions of euro) |
|
|
|
|
|
|
| ||||||||||
PARTNER |
EU27 |
Extra EU27 |
World |
EU27 |
Extra EU27 |
World | |||||||||||
FLOW |
Balance |
Balance |
Balance |
Balance | |||||||||||||
DECLARANT \ PERIOD |
2000 |
2010 |
2000 |
2010 |
2000 |
2010 |
2010/2000 |
2010/2000 |
2010/2000 | ||||||||
EU27 |
79 831 |
71 874 |
-142 956 |
-159 482 |
-63 125 |
-87 608 |
-7 957 |
-16 526 |
-24 483 | ||||||||
France |
-16 998 |
-73 633 |
4 732 |
8 618 |
-12 266 |
-65 015 |
-56 634 |
3 885 |
-52 749 | ||||||||
Netherlands |
79 306 |
152 991 |
-63 214 |
-109 359 |
16 092 |
43 632 |
73 685 |
-46 145 |
27 539 | ||||||||
Fr Germany |
46 481 |
67 982 |
12 649 |
85 981 |
59 130 |
153 964 |
21 501 |
73 333 |
94 834 | ||||||||
Italy |
2 510 |
-7 914 |
-604 |
-22 068 |
1 907 |
-29 982 |
-10 425 |
-21 465 |
-31 889 | ||||||||
Utd. Kingdom |
-11 787 |
-53 481 |
-56 027 |
-64 068 |
-67 813 |
-117 549 |
-41 694 |
-8 041 |
-49 736 | ||||||||
Ireland |
19 270 |
20 421 |
9 283 |
21 988 |
28 553 |
42 409 |
1 151 |
12 705 |
13 856 | ||||||||
Denmark |
3 580 |
3 242 |
2 630 |
6 198 |
6 210 |
9 440 |
-338 |
3 568 |
3 230 | ||||||||
Greece |
-15 640 |
-14 382 |
-7 886 |
-17 459 |
-23 527 |
-31 841 |
1 258 |
-9 572 |
-8 315 | ||||||||
Portugal |
-11 543 |
-15 631 |
-5 336 |
-4 660 |
-16 878 |
-20 291 |
-4 089 |
676 |
-3 412 | ||||||||
Spain |
-23 420 |
-13 764 |
-20 855 |
-40 998 |
-44 274 |
-54 762 |
9 656 |
-20 144 |
-10 488 | ||||||||
Belgium |
20 395 |
19 615 |
-8 637 |
-7 945 |
11 758 |
11 670 |
-780 |
691 |
| ||||||||
Luxembourg |
-2 374 |
-2 737 |
-766 |
-1 294 |
-3 140 |
-4 031 |
-363 |
-528 |
-891 | ||||||||
Sweden |
2 931 |
-6 811 |
12 501 |
14 306 |
15 432 |
7 495 |
-9 742 |
1 805 |
-7 937 | ||||||||
Finland |
6 523 |
-4 821 |
6 101 |
5 360 |
12 624 |
539 |
-11 344 |
-741 |
-12 085 | ||||||||
Austria |
-8 040 |
-10 921 |
2 969 |
6 056 |
-5 071 |
-4 865 |
-2 881 |
3 087 |
206 | ||||||||
Malta |
-1 339 |
-1 566 |
299 |
384 |
-1 040 |
-1 182 |
-228 |
85 |
-142 | ||||||||
Estonia |
-222 |
-1 377 |
-946 |
874 |
-1 168 |
-503 |
-1 155 |
1 821 |
666 | ||||||||
Latvia |
-943 |
-1 874 |
-501 |
246 |
-1 443 |
-1 628 |
-931 |
746 |
-185 | ||||||||
Lithuania |
-231 |
-445 |
-1 596 |
-1 557 |
-1 826 |
-2 002 |
-214 |
38 |
-176 | ||||||||
Poland |
-8 688 |
250 |
-10 023 |
-14 073 |
-18 711 |
-13 823 |
8 938 |
-4 050 |
4 888 | ||||||||
Czech Republic |
1 040 |
12 712 |
-4 159 |
-7 937 |
-3 119 |
4 774 |
11 671 |
-3 778 |
7 893 | ||||||||
Slovakia |
1 798 |
5 836 |
-2 803 |
-6 112 |
-1 005 |
-276 |
4 038 |
-3 309 |
729 | ||||||||
Hungary |
2 501 |
10 581 |
-6 809 |
-5 071 |
-4 308 |
5 510 |
8 080 |
1 738 |
9 818 | ||||||||
Romania |
-1 157 |
-7 038 |
-1 805 |
-2 488 |
-2 962 |
-9 526 |
-5 881 |
-683 |
-6 564 | ||||||||
Bulgaria |
-797 |
-1 787 |
-1 034 |
-1 897 |
-1 832 |
-3 684 |
-990 |
-862 |
-1 852 | ||||||||
Slovenia |
-1 601 |
252 |
110 |
-926 |
-1 491 |
-674 |
1 854 |
-1 036 |
817 | ||||||||
Cyprus |
-1 724 |
-3 825 |
-1 231 |
-1 581 |
-2 955 |
-5 406 |
-2 101 |
-350 |
-2 451 | ||||||||
16 MS with increasing trade deficit: |
-134 501 |
-54 459 |
-188 960 | ||||||||||||||
Shares of increasing trade deficit (intra/extra): |
71,2% |
28,8% |
|
DEUXIÈME PARTIE :
À LA RECHERCHE DE LA RÉCIPROCITÉ POUR DES RELATIONS DURABLES ET ÉQUILIBRÉES
Depuis l’établissement de relations diplomatiques entre l’Union européenne et la République populaire de Chine en 1975, leurs relations n’ont pas été un long fleuve tranquille. Après les massacres de la place Tienanmen en 1989, l’Union européenne avait imposé des sanctions progressivement levées depuis ; l’embargo sur les armes garde la mémoire de cette crise. Depuis 1995, ces relations se sont améliorées, aboutissant en 1998 au premier sommet Union européenne-Chine et à la définition d’un partenariat stratégique. En 2001, l’Europe a joué un rôle très positif dans l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui a été un catalyseur de sa croissance économique et de son intégration dans les échanges internationaux. À partir de 2006, les relations se sont tendues, les inquiétudes européennes s’articulant autour des conséquences de l’essor de la Chine sur l’économie européenne, auxquelles se mêlaient des préoccupations sur sa situation politique interne. La crise économique et financière de 2008 qui a frappé les économies occidentales a, dans le même temps, fait prendre conscience à la Chine de l’interdépendance des économies et exacerbé les zones de conflits, au nombre desquels les restrictions d’accès au marché chinois et la difficile protection de la propriété intellectuelle des entreprises européennes souvent contraintes d’arbitrer entre marché et avance technologique.
Plus récemment, la crise des dettes souveraines européennes a focalisé l’attention sur le rôle de la Chine, qui est intervenue, à un niveau difficilement chiffrable, pour acheter les dettes de certains États (Grèce, Espagne, Portugal). Cette intervention, dont les motivations complexes participent principalement du souci de la Chine de soutenir en état son principal partenaire commercial, a été mal ressentie par les opinions publiques, tant du côté chinois qu’européen. Les Chinois s’interrogent sur la justification d’aider les européens qui ont un revenu moyen bien supérieur au leur. Les européens craignent que cette aide soit le début de concessions et constitue une menace pour leur indépendance – même si la participation de la Chine à la dette américaine n’a pas pour autant généré de situation de dépendance –. Ces craintes ont été accentuées car cette participation à la dette souveraine s’est accompagnée d’investissements dans des entreprises en Europe qui, même s’ils demeurent pour l’instant très inférieurs au montant des investissements européens en Chine, ont eu un large écho.
Depuis 2009, l’Union européenne, par la voix du président du Conseil européen, Herman Van Rompuy et du commissaire au commerce, Karel De Gucht, sur l’impulsion principale de la France, a posé la réciprocité comme principe d’action. La mise en œuvre de ce principe implique des résultats concrets, et les négociations qui vont s’ouvrir lors du sommet Union européenne-Chine en février 2012 sur les investissements pourraient être l’occasion de poser les bases de relations plus équitables.
I. L’UNION EUROPÉENNE MANQUE D’UNE VISION COMMUNE STRUCTURÉE FACE À UN PARTENAIRE QUI JOUE DES RELATIONS BILATÉRALES AVEC LES ÉTATS MEMBRES
La Chine et l’Europe ont depuis longtemps établi des relations qui furent d’abord commerciales à travers la Route de la Soie, héritière de la Route de Jade. Au dix neuvième siècle, la confrontation économique entre l’Europe et la Chine a été traumatisante. Les « traités inégaux » vécus comme une humiliation occupent toujours une large part dans l’imaginaire et la conscience collective et individuelle chinoise et explique la méfiance des Chinois dans leurs relations avec les pays occidentaux ainsi que leur volonté de garder leur indépendance à l’égard de l’influence occidentale.
L’Europe a été d’abord une construction économique et commerciale et les relations sino européennes ont été fondées sur ces bases : le premier accord entre les deux parties a été un traité commercial, en 1978 suivi en 1985 d’un accord de commerce et de coopération. Après trois décennies, leurs relations économiques et commerciales ont pris une telle ampleur qu’elles sont structurantes de l’ensemble de leurs relations, en constituant le nerf de la guerre et la principale zone de conflit. Ainsi, la question de l’accès anticipé au statut d’économie de marché auquel la Chine accéderait en 2016, aux termes de son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), revêt un caractère politique. Les différents sommets entre l’Union européenne et la Chine, qui se tiennent dans le cadre du dialogue de partenariat stratégique, sont principalement consacrés aux questions commerciales, source des plus nombreux sujets irritants. Les questions politiques – question de l’embargo sur les armes et celle des droits de l’Homme – se télescopent souvent avec les questions commerciales. Mais la Chine n’a jamais fait de concessions à l’Europe sur ces sujets, ne pensant pas que ces questions représenteraient un obstacle à ses relations commerciales.
Si les États-Unis ont, vis-à-vis de la Chine, des conflits géostratégiques qui s’expriment particulièrement par des tensions dans la zone du Pacifique, l’Europe, hormis l’accès aux matières premières et aux sources d’énergie, n’a pas de telles tensions géostratégiques avec ce pays et a principalement investi ses craintes à l’égard de la Chine sur les aspects économiques.
Chronologie sommaire des relations entre l’Union européenne et la Chine
Mai 1975 : Établissement de relations diplomatiques.
2 mai 1978 : Accord commercial Communauté européenne-Chine.
1979 : Premier président de la Commission européenne (Roy Jenkins) à se rendre en Chine et à rencontrer Deng Xiaoping.
21-23 mai 1985 Accord Communauté européenne-Chine en matière de coopération commerciale et économique et visite en Chine de Jacques Delors, président de la Commission européenne.
1986 : Débuts des négociations Communauté européenne-Chine sur l’adhésion au GATT.
Octobre 1988 : Ouverture de la délégation de la Commission européenne à Pékin.
Mai-juin 1989 : Gel des relations après le massacre de Tiananmen. Imposition de sanctions à la Chine, dont un embargo sur les armes.
Octobre 1990 : Rétablissement progressif des relations.
Juin 1992 : Lancement d’un nouveau dialogue politique bilatéral.
1993 : Ouverture d’un bureau de la Commission européenne à Hong Kong.
1995 : La Commission européenne publie son premier document d’orientation sur la Chine intitulé «Une politique à long terme des relations entre la Chine et l’Europe» ; lancement de dialogues spécifiques sur les droits de l’Homme et le bureau humanitaire de la Commission européenne accorde la première aide humanitaire à la Chine.
2 avril 1998 : Premier sommet Union européenne-Chine ; l’UE adopte un document d’orientation intitulé «Vers un partenariat global avec la Chine».
19 mai 2000 : La Chine et l’Union Européenne signent un accord bilatéral sur l’adhésion de la Chine à l’OMC.
11 décembre 2001 : La Chine devient le 143e membre de l’OMC.
2003 : Ouverture d’un bureau économique et commercial en Chine ; la Chine publie son premier document d’orientation sur l’Union Européenne qui publie sa communication « Intérêts communs et défis de la relation Union européenne -Chine - vers un partenariat mature ».Visite en Chine de Pascal Lamy, commissaire européen au commerce.
2005 : L’Union Européenne et la Chine signent un accord sur le textile ; déclaration commune sur le changement climatique et protocole d’accord relatif au dialogue sur les stratégies en matière d’énergie et de transport.
2006 : Communications de la Commission européenne « Union Européenne – Chine: Rapprochement des partenaires, accroissement des responsabilités» et «Commerce et investissements UE-Chine: concurrence et partenariat».
Juin 2007 : Première table ronde de la société civile Union européenne-Chine à Pékin.
2009 : Echec du sommet Union européenne Chine sur la question de l’accès de la Chine au statut d’économie de marché.
2010 : Conseil européen du 10 septembre définissant les bases d’un partenariat avec la Chine : recherches des priorités, défense des intérêts européens et réciprocité.
2011 : Dixième anniversaire de l’adhésion de la Chine à l’OMC. Report du sommet Union européenne Chine en raison de la crise de la zone euro. Le dernier sommet a eu lieu le 14 février 2012.
Les relations bilatérales entre l’Union européenne et la Chine sont construites autour d’un partenariat stratégique depuis 2003, établi par la communication de la Commission européenne : « Intérêts communs et défis de la relation entre l’Union européenne et la Chine »(9) dont le pendant est, du côté chinois, le « document stratégique de la Chine concernant l’Union européenne ».
La notion de partenariat stratégique est juridiquement flou : il caractérise des relations non contractuelles dans le cadre d’une vision prospective(10). Pour certains analystes, le partenariat stratégique est un « objet juridique non identifié de l’action externe de la communauté européenne »(11). Le partenariat stratégique avec la Chine comprend trois piliers : le premier concerne le dialogue économique et commercial et le deuxième, le dialogue stratégique de haut niveau. Le troisième pilier a trait, depuis 2011, au dialogue interpersonnel (2012 est l’année du dialogue interculturel entre l’Union européenne et la Chine).
Le dialogue politique se compose d’éléments aussi nombreux que disparates. Les principaux sont :
- les sommets annuels au niveau des chefs d’État et de gouvernement qui ont lieu à tour de rôle en Chine et à Bruxelles. L’Union européenne est représentée par le président du Conseil européen et le président de la Commission européenne, assistés par le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères ;
- les sommets annuels entre le président de la Commission, accompagné de membres de la Commission européenne, et le premier ministre chinois accompagné de membres du Conseil d’État qui constituent que l’on appelle les réunions «exécutif-exécutif» ;
- le dialogue politique régulier sur les questions stratégiques et de politique étrangère qui réunit la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et le conseiller d’État chinois chargé des affaires étrangères ;
- la réunion semestrielle entre la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et l’ambassadeur de Chine auprès de l’Union européenne.
Les relations économiques sont régies par le dialogue économique et commercial de haut niveau, le comité mixte Union européenne-Chine, des réunions de hauts fonctionnaires et des groupes de travail. Dans ce cadre, on ne dénombre pas moins de vingt cinq dialogues, sous des formes différentes allant d’échanges informels, à des troïkas ou des réunions annuelles officielles.
Il existe ainsi, sur les trois piliers, plus d’une cinquantaine de dialogues dont la grande faiblesse est l’absence de cohérence d’ensemble, l’Europe négociant avec la Chine sans avoir défini de stratégie globale. De plus, l’efficacité de la négociation au sein de ces dialogues souffre d’un manque de coordination technique : ces dialogues sont en effet éparpillés au sein des différentes institutions européennes, chacune étant désireuse d’avoir son dialogue propre avec la Chine dans son champ de compétence, ce qui nuit à la lisibilité des circuits de décisions.
Ces dialogues se perdent dans un cheminement tatillon et dans un processus formel tandis que la Chine met à profit la dispersion des interlocuteurs ne céder en rien et s’en tenir à une « rhétorique idéalisée et de vagues promesses »(12).
L’historique des sommets annuels est chaotique ; celui de 2008 a été reporté et celui de 2009 a très vite buté sur la question de l’économie de marché et de l’embargo sur les armes. Le dernier, prévu en octobre 2011, a été reporté en février 2012, en raison des difficultés de la zone euro. S’ils permettent d’évoquer tous les ans l’ensemble des sujets, leurs résultats sont globalement décevants. Par ailleurs, ce mode de fonctionnement en sommets ne correspond pas à ce qu’attendent les Chinois. Comme le fait remarquer François Godement, directeur de la stratégie du Centre Asie, auditionné par vos rapporteurs, « les relations sino-européennes ne nécessitent pas forcément de grands sommets ou de grandes résolutions politiques. En effet, les importantes circulations et plates-formes d’échanges existantes entre la Chine et le continent européen permettent aux relations entre ces deux ensembles de se développer malgré l’environnement dit de crise et de fermeture. « Il y a une espèce d’indépendance de la relation par rapport à ce que l’on peut en dire politiquement ». Il en va de même pour les opinions publiques qui ignorent ou occultent l’existence de ces évènements diplomatiques et de ces sommets. »
La création du Service européen d’action extérieure (SEAE) pourrait être l’occasion de resserrer et de coordonner le dispositif autour de l’actualisation du partenariat stratégique en 2010.
Ce manque de coordination ne se retrouve pas uniquement au niveau horizontal, c'est-à-dire au sein de l’Union, mais aussi au niveau vertical, c'est-à-dire entre l’Union, les niveaux nationaux et les niveaux infranationaux. Les États membres, voire chaque région ou ville, mènent leur propre politique à l’égard de la Chine, hors activité de l’Union. Ce manque de coordination doit être envisagé dans le contexte des tensions internes au sein de l’Union européenne qui influencent la politique commerciale vis-à-vis de la Chine. Tous les États membres ne tirent pas avantage du progrès des échanges commerciaux avec la Chine, dans la mesure où celle-ci menace les emplois et expose certains secteurs à une forte concurrence(13).
En fonction de leur tradition propre, les pays européens ont des perceptions différentes de leurs relations avec la Chine. Ainsi, La France et la Grande Bretagne, cette dernière liée à la Chine par le biais de Hong Kong, sont les pays européens qui ont lié des relations politiques les plus abouties tandis que l’Allemagne a depuis longtemps tissé des liens commerciaux.
S’agissant de la politique commerciale, les divergences entre les États membres sont très nettes. Il s’agit d’abord de différences d’appréciation idéologique sur les bienfaits du libre-échange, les pays du Nord de l’Europe étant plus favorables à cette approche qui mise sur les avantages comparatifs de la division internationale du travail – leur voix a pendant longtemps été prépondérante au sein de la commission, notamment à l’époque du commissaire au commerce Peter Mandelson – tandis que les pays du Sud sont traditionnellement plus protectionnistes.
À ce clivage, s’ajoute la dichotomie entre les pays pour lesquels le commerce extérieur est un moteur de croissance et ceux dont l’industrie est moins compétitive. En comparant les chiffres de 2000 et de 2010, seize États membres
– dont la France, l’Espagne, l’Italie, la Grèce – ont vu leur balance commerciale globale se dégrader, accusant un déficit de 189 milliards d’euros en 2010 alors que onze autres États membres dont l’Allemagne, le Danemark et l’Autriche peuvent se prévaloir d’un excédent de 165 milliards d’euros.
Ces États membres ont des disparités d’intérêts très marqués. Un pays comme l’Allemagne est moins sensible au discours sur la réévaluation de la monnaie chinoise et une dépréciation de l’euro dans la mesure où la compétitivité de ses exportations vers la Chine repose bien plus sur leur qualité et leur positionnement dans des gammes de biens d’équipement indispensables au développement de la Chine que sur le facteur prix lié à la valeur de la monnaie.
La rivalité des États européens qui se trouvent en concurrence sur le marché chinois l’emporte souvent sur la volonté de forger une position commune.
Face à ces dissonances, la politique européenne, notamment en matière commerciale, ne peut être qu’un consensus mou, si l’on peut parler de consensus, favorisé par un processus de décision européen qui aboutit à des positionnements tièdes, résultante de compromis entre les positions bilatérales des États membres. M. François Godement a pu parler d’une « stratégie brouillonne ».
La relation commerciale avec la Chine révèle toutes les faiblesses de la machine de l’Union européenne, avec une Commission qui n’est pas le centre d’impulsion et ne peut donc se doter d’un agenda ferme grâce auquel elle pourrait avoir plus de légitimité et de poids. Quand il s’agit de mettre en œuvre une relation complexe avec un partenaire comme la Chine, les défauts de la construction européenne sont rapidement mis en évidence. Il manque à l’Europe les attributs d’une puissance globale pour définir une stratégie commune et pouvoir négocier en position de force.
La très bonne connaissance du fonctionnement et des rouages des institutions européennes qu’ont les Chinois leur permet d’utiliser les points faibles de l’Europe et de calibrer leur comportement selon les États membres. Certains petits États sont largement tributaires de la Chine pour leurs exportations sur des filières uniques (comme la filière lituanienne du surimi qui exporte exclusivement vers la Chine) ou lui sont liés pour des raisons politiques, telle Chypre, fidèle alliée de la Chine du fait de sa position à l’égard de la Turquie. D’autres encore sont dépendants des investissements chinois : les pays d’Europe du Sud- Portugal, Italie, Grèce et Espagne – représentent 30 % des investissements chinois en Europe et les pays d’Europe centrale et de l’Est, 10 %. En Hongrie, les investissements étrangers chinois représentent un quart du total des investissements étrangers. D’autres encore ont vu une partie de leur dette souveraine rachetée par les Chinois. Cette dépendance explique l’attitude de la Chine vis-à-vis de petits États que certains des interlocuteurs de vos rapporteurs ont pu qualifier de « terroriste ».
Dans cette façon dont la Chine est apte à influencer les mécanismes communautaires, on retrouve l’ambiguïté fondamentale de la Chine dans ses relations avec l’Union européenne : elle craint l’Europe en tant que projet politique qui assurerait la convergence entre ses États membres aboutissant à une opposition frontale. En ce sens, moins l’Europe est fédérale et plus cela lui convient et elle préfère jouer des relations bilatérales avec chacun des États membres.
Caractéristiques de certaines pratiques chinoises déloyales, les procédures antidumping, décidées à la majorité simple par le Conseil européen, sont révélatrices des divisions et les divergences de stratégie entre les États membres ainsi que de la façon dont la Chine en joue. Ainsi, le vote de certains États a pu être acquis à la cause de la Chine, si bien que l’on a pu dire que la Chine était le vingt huitième membre de la commission européenne dans ces procédures.
Les instruments de défense commerciale – antidumping et antisubventions – atteignent rapidement leurs limites dans la mesure où l’économie européenne est une économie majoritairement tertiaire, ce qui restreint de facto la portée de mesures antidumping visant les secteurs industriels. Par ailleurs, la lourdeur des procédures est un frein à leur mise en œuvre(14) et leur révision, annoncée dans une communication de la Commission de 2006(15), a toujours été reportée. D’une manière générale, les autorités européennes en ont fait un usage modéré. Ainsi, à la fin 2010, 124 mesures antidumping et 11 mesures antisubventions étaient en vigueur dans l’Union européenne, concernant environ 0,5 % du total de ses importations. À titre de comparaison, les États-Unis avaient mis en œuvre 250 mesures antidumping et 48 mesures antisubventions et la Chine, 118 mesures antidumping et 2 mesures antisubventions(16). Au 30 juin 2011, 55 mesures antidumping et une mesure antisubvention ne visaient que 1 % des importations totales en provenance de Chine.
Sous une apparence technique, le pilotage des instruments de défense commerciale relève largement d’arbitrages politiques portant principalement sur l’opportunité ou non de sanctionner un grand partenaire commercial et sur les intérêts à privilégier, des consommateurs ou des industriels. Ainsi, le droit antidumping sur les importations de chaussures en cuir en octobre 2006 a été instauré à la suite de discussions très difficiles ; de même, la procédure antidumping sur les vis et les boulons en 2008 n’a été approuvée qu’à une courte majorité, de quatorze pays.
Les craintes de mesures de rétorsion de la part de la Chine expliquent aussi que l’Europe n’a utilisé qu’en 2011, pour la première fois, une mesure anti-subvention liée à une mesure antidumping, qui a d’ailleurs été suivie immédiatement de mesures antidumping par la Chine contre les exportations européennes d’amidon de pommes de terre. De même, en matière de saisine de l’Organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC, l’Union européenne lance des panels mais le fait à la suite d’autres pays. Ainsi, s’agissant du litige relatif aux restrictions à l’accès aux matières premières par la Chine qui, en appel a fait droit, en janvier 2012, aux arguments des pays occidentaux, l’Europe avait emboîté le pas des États-Unis. La peur du conflit dont fait montre l’Union européenne est pour une large part l’expression de sa position de faiblesse dans le rapport de force qui l’oppose à la Chine.
Les instruments de défense commerciale de l'Europe
Antidumping : La réglementation antidumping est l’instrument de défense commerciale le plus utilisé dans l’Union européenne. Elle concerne les biens importés dans l’Union européenne à une valeur moindre que leur valeur normale sur leur marché intérieur – généralement en raison de l’absence de concurrence et/ou de l’intervention de l’État dans le processus de production, ce qui permet à un exportateur de réduire le coût d’une exportation. Le dumping nuit aux producteurs européens, mais également aux producteurs dans des pays tiers qui sont en concurrence pour l'accès au marché de l'Union européenne. Entre autres exemples de distorsion conduisant au dumping, il y a les obstacles tarifaires et non tarifaires, l’application peu stricte des règles en matière de concurrence, les déductions sur la taxe à l'exportation, ou encore les cours des matières premières et/ou de l'énergie artificiellement bas. Si une enquête européenne démontre que ces importations nuisent aux producteurs européens, la réglementation antidumping permet de prendre des mesures correctrices qui remédient au préjudice subi. Il s’agit généralement d’une amende imposée sur l'importation faisant l’objet d’un dumping.
Antisubventions : Les mesures antisubventions sont semblables aux mesures antidumping, à ceci près qu’elles corrigent plus précisément l’effet de distorsion des échanges provoqué par des subventions accordées aux producteurs étrangers pouvant donner lieu à une action dans le cadre de l'OMC, si l’on peut prouver que ces subventions nuisent aux producteurs européens.
Sauvegardes : Les mesures de sauvegarde sont différentes en ce qu’elles ne s’attachent pas à déterminer si le commerce est loyal ou pas, mais se concentrent sur les fluctuations du volume commercial qui sont d’une rapidité et d’une ampleur telles que l’on ne pourrait raisonnablement pas s’attendre à ce que les producteurs européens s’adaptent au changement survenu dans les flux commerciaux. Dans de telles circonstances, la réglementation de l'OMC et de l'Union Européenne permet l’imposition à court terme de restrictions sur les importations pour accorder un répit à l’industrie et lui permettre ainsi de s’adapter à ce changement soudain. Ce moment de répit va de pair avec l’obligation de se restructurer.
Il incombe à la Commission européenne de mener les enquêtes antidumping, antisubventions et de sauvegarde, ainsi que de décider d’ouvrir une enquête en réponse à une plainte déposée par le secteur industriel et de procéder à l’examen des mesures en vigueur. Elle peut également instituer des mesures provisoires et proposer des mesures définitives au Conseil si cela se justifie.
Le Conseil institue des mesures antidumping/antisubventions définitives à la majorité simple, tandis que les mesures de sauvegarde requièrent le soutien de la majorité qualifiée des États membres.
c) Une remise en question encore hésitante de la politique de l’« engagement inconditionnel » européen vis-à-vis de la Chine
Pendant longtemps, l’Union européenne a eu, vis-à-vis de la Chine, une attitude quelque peu angélique dite d’« engagement inconditionnel », selon l’expression de François Godement, par laquelle l’Union européenne accorde des bénéfices économiques à la Chine dans l’espoir qu’ils l’incitent à mener des réformes démocratiques. Elle pensait qu’en donnant le bon exemple, la Chine lui emboîterait le pas. L’Union européenne comptait ainsi sur la force de cette méthode en matière de négociations climatiques. Or depuis 2009, il y a eu une prise de conscience dans les instances européennes- largement liée à l’échec des négociations sur le climat de Copenhague en 2009 et à l’attitude très en retrait de la Chine – que ce mode de fonctionnement n’est pas opératoire et que de surcroît il prive l’Europe de certaines armes de négociations.
Cette prise de conscience est allée de pair avec l’évolution de la position de certains États (voir graphiques infra). Des pays libéraux comme le Royaume-Uni, le Danemark ou la Suède, très intéressés par l’accès au marché chinois, ont été frustrés des restrictions imposées par la Chine à leurs entreprises. L’Allemagne se montre pour sa part soucieuse de la concurrence que pourrait lui être faite sur certains segments du marché au fur et à mesure que les produits chinois deviennent plus compétitifs en terme de qualité (secteur de l’automobile). Dans le rapport de la chambre de commerce de l’Union européenne en Chine de 2009, le président, délégué général de l’entreprise allemande BASF, a dénoncé les difficultés grandissantes que rencontrent les entreprises européennes, notamment en termes d’accès aux marchés(17).
Le facteur déclencheur a été, en 2009, le traumatisme de l’affaire de l’autoroute polonaise dans laquelle le gouvernement polonais avait accepté, dans un premier temps, l’offre du géant chinois du secteur du bâtiment et des travaux publics, COVEC(18), pour la construction de 1 200 kilomètres d’autoroute, à des prix inférieurs de l’ordre de 30 à 40 % du marché, prix obtenus largement grâce à des subventions de l’État chinois et l’emploi de travailleurs chinois migrants. Les facilités portuaires accordées par la Roumanie et la Bulgarie à la Chine ont également contribué à cette prise de conscience.
Attitude des états membres vis-à-vis de la Chine
avant la crise
Attitude des états membres vis-à-vis de la Chine
après la crise
L’Europe s’est, depuis, engagée dans une démarche exigeant une plus grande réciprocité, en lien avec une redéfinition de la notion de partenariat stratégique. Elle a demandé, lors du sommet de Prague de mai 2009, qu’apparaisse pour la première fois, cette notion de réciprocité dans les relations.
Cette réflexion s’est inscrite dans le cadre de la mise en œuvre du traité de Lisbonne qui comporte des clauses importantes en matière de politique commerciale. Ainsi, le champ de compétence de la politique commerciale est étendu aux services (compétence auparavant partagée avec les États membres alors que la politique commerciale est une compétence exclusive de l’Union), ainsi qu’à l’investissement (la Commission européenne peut désormais appuyer des clauses d’investissement dans les accords de libre-échange alors qu’avant les États membres devaient les négocier chacun pour leur part). Le traité de Lisbonne se traduit aussi par une plus grande démocratie dans la prise de décision : avec l’application des règles de codécision, l’accord du Parlement européen est désormais requis pour tout accord de commerce. L’émergence du Parlement européen, derrière lequel l’exécutif européen pourrait s’abriter pour refuser des concessions, comme c’est le cas avec le Congrès aux États-Unis qui fait toujours planer quelques craintes sur la Chine, pourrait favoriser des positions plus fermes vis-à-vis de la Chine.
Par ailleurs, la création du Service européen d’action extérieur pose en termes nouveaux l’articulation de la politique commerciale et de la politique extérieure et pourrait être l’occasion de donner plus de poids à l’expression des positions communes. La Chine a conscience que l’Europe est un marché très important mais elle ne la considère pas comme un partenaire suffisamment cohérent pour justifier des concessions fortes. Ainsi que l’analyse François Godement « nos partenaires chinois réagissent beaucoup à la pression. De ce point de vue-là, au cours de ces dernières années, l’Union européenne a été moins forte que son poids dans l’absolu ne le suggérerait. Ce problème doit se régler du côté européen par la cohésion interne. La réforme du SEAE va dans le bon sens et il faut espérer qu’elle sera bien mise en œuvre »(19).
Ainsi, en matière de procédures d’antidumping, les Chinois avaient pour habitude de convoquer l’ambassadeur de chaque État membre avant chaque vote. Depuis l’installation d’une Délégation de l’Union européenne à Pékin, suite à la création du SEAE, celle-ci fait à chaque État membre l’exposé préalable des positions de l’Union afin que les États membres n’expriment pas de divergences. Cela participe à l’élaboration d’une politique commune. Si les vingt-sept ne parlent pas encore d’une seule voix, ils peuvent émettre un même message à vingt-sept. De plus, dans la mesure où en Chine, les relations personnelles comptent beaucoup, la permanence de la représentation européenne à Pékin qui changeait tous les six mois, participe à la continuité de l’action européenne.
Cette politique plus ferme de l’Union européenne, tangible à l’occasion du refus du statut d’économie de marché lors du sommet de 2009, s’est confirmée lors du Conseil européen du 16 septembre 2010 qui définit les bases d’un partenariat stratégique avec la Chine : recherche des priorités, défenses des intérêts européens et exigence de réciprocité(20). La nouvelle communication sur la politique commerciale en trace les contours(21). En actant le principe de réciprocité initialement et largement porté par la France, les États européens ont surmonté leurs divisions, même si certains États membres ont des réticences à l’égard de la notion de réciprocité qu’ils assimilent peu ou prou à une forme de protectionnisme.
Depuis, la Chine peut constater moins de complaisance à son égard et plusieurs déclarations de commissaires européens l’ont mise en alerte. Ainsi, le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy et le commissaire au commerce, Karel De Gucht – ce dernier ayant une attitude très différente de celle de Peter Mandelson – ont apporté leur soutien à Michel Barnier, commissaire chargé du marché intérieur et des services et à Antonio Trajani, commissaire chargé de l’industrie et de l’entreprenariat qui ont demandé la création d’un instrument de régulation des investissements en Chine, s’appuyant sur les nouvelles compétences de la Commission européenne. Ces commissaires ont demandé la réciprocité industrielle, notamment à l’occasion de l’affaire Draka aux Pays Bas – un groupe italien et un groupe chinois était en compétition pour le rachat du groupe européen leader de la production de câbles de fibre optique –, symbole d’une certaine menace chinoise en Europe. Les Chinois ont dû renoncer à l’opération sous la pression des autorités de la concurrence italienne et hollandaise.
On rappellera que l’Union européenne a imposé, en 2011, des taxes antidumping et antisubventions sur le papier glacé importé de Chine, pour une période de cinq ans, avec une possibilité de prolongation si les subventions chinoises persistent. C’est la première fois que les deux types de mesures - antidumping et antisubventions – sont appliquées conjointement(22). Ce faisant, la commission a adressé un message direct à la Chine.
Le commissaire européen au commerce extérieur a annoncé l’adoption, en 2012, d’une réforme des instruments de défense afin de les rendre plus effectifs ainsi qu’une refonte du système des préférences commerciales généralisées qui, en 2014, devrait permettre de ramener le nombre des bénéficiaires de 176 à 80. La Chine n’en ferait plus partie.
L’Union européenne a porté plainte auprès de l’Organisation mondiale du commerce, fin 2009, conjointement avec les États-Unis et le Mexique contre les restrictions d’exportations imposées par la Chine sur neuf matières premières importantes pour l’industrie(23).
La question est maintenant de savoir si le consensus autour du principe de réciprocité est assez fort pour que l’Union européenne puisse maintenir une position ferme. En effet, certains États membres sont encore favorables au libre-échange et s’opposent aux mesures de rétorsion. Par ailleurs, sa mise en oeuvre résistera-t-elle au principe de réalité posé par la crise des dettes souveraines dans les États européens ? La Chine, mettant de côté la notion de partenariat stratégique et consciente des difficultés dans lesquelles se trouve la zone euro, développe une stratégie sur le thème « Vous avez besoin de notre argent » et diversifie ses investissements en Europe, dettes souveraines ou entreprises. En juin 2010, elle a acquis des titres grecs contre la concession du port du Pirée et l’achat de navires chinois. Elle a également financé la dette espagnole et sans doute celles de l’Irlande et du Portugal. Le danger de cette dépendance est de voir se constituer, plus fortement que précédemment, un lobby chinois qui pourrait bloquer toute décision européenne (même après 2014, lorsqu’une décision majoritaire au Conseil européen devra être prise à une majorité de 65 % des voix représentant 15 États membres). Ainsi, lorsque les pays de l’Europe du Sud furent les défenseurs les plus vifs de leurs industries vestimentaires, la fin des mesures antidumping sur les chaussures chinoises en mars 2011 n’a suscité aucune réaction…
Au cours de leurs différentes auditions, vos rapporteurs ont constaté un sentiment net de frustration vis-à-vis de la Chine car il n’y a pas eu une négociation où l’Union européenne ait pu obtenir ce qu’elle voulait des Chinois. La relation est marquée par un manque de résultats, un déséquilibre croissant et une montée des sujets de tensions. Le dernier en date est le bras de fer qui oppose, depuis janvier 2012, la Chine à l’Union européenne concernant la participation au système européen d’échanges des droits d’émission (ETS), le gouvernement chinois ayant interdit à ses compagnies aériennes d’y participer.
De façon générale, la Chine n’avance sur les dossiers que si elle y a un intérêt. Ainsi, des progrès ont été faits en matière de protection des indications géographiques. Depuis mars 2011, un accord est en cours de négociation. Dix indications géographiques européennes(24) devraient être reconnues par la Chine, le Cognac ayant ouvert la voie en 2009 ; mais cela se fait au titre d’un accord de réciprocité, la Chine souhaitant protéger certains de ses produits victimes de contrefaçon(25). De la même façon, si le dossier de la protection des droits de propriété intellectuelle progresse, c’est parce que 90 % des litiges sur le territoire chinois mettent en jeu des entreprises chinoises entre elles. En matière commerciale, comme dans tout autre domaine, les choses ne bougent que si la Chine estime que cela lui est favorable.
La Chine est, d’une part un pays en développement, si l’on s’en tient à l’indice de développement humain (IDH) – elle est classée au 101e rang mondial sur 187 pays en 2011(26) et d’autre part, elle a connu une montée en puissance qui l’a amenée à être en 2010, la seconde économie mondiale. Cependant, son produit intérieur brut doit être divisé entre plus de 1,3 milliard d’habitant : avec un revenu moyen de moins de 4 000 dollars annuels par habitant, elle est classée, selon les critères de la Banque mondiale(27), parmi les pays à revenu moyen inférieur. Mais les évolutions vont si vite que ce revenu pourrait, à une échéance que la Banque mondiale évalue de cinq ans à dix ans, être multiplié par deux et la Chine pourrait être classée parmi les pays à revenu moyen supérieur.
Cependant, la politique européenne est encore marquée par l’époque où la Chine était un pays en développement plutôt qu’un concurrent.
La Chine se sert de l’ambiguïté de son statut pour gagner du temps vis-à-vis de l’Union européenne dans l’ensemble des négociations. Elle estime fondamentalement, en tant que pays en développement, n’avoir rien à devoir à l’Union européenne. Cette thématique est d’ailleurs un sujet de discorde entre les États membres dont certains (la France, notamment), font valoir les droits de la Chine comme pays en développement.
L’accord de commerce et de coopération de 1985, toujours en vigueur, est obsolète dans la mesure où il postule que la Chine est un pays en voie de développement qu’il faut aider à assurer sa transition économique, en lui apprenant notamment à exporter, tout en se montrant discret sur sa transition politique.
Conclu sur la base de l’ex-article 113 du traité instituant la Communauté économique européenne (actuellement article 207 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et relatif à la politique commerciale), cet accord est avant tout un accord économique accordant à la Chine des concessions unilatérales par le biais du système des préférences généralisées (SPG). Celui-ci, introduit dans la réglementation communautaire au début des années 70, accorde des réductions de droits de douane et un accès en franchise de droits aux exportations de 178 pays et territoires en développement(28). C’est peu dire que depuis, le monde et les structures du commerce international ont changé. Or si les importations de l’Union européenne visées par le SPG ne s’élèvent qu’à 60 milliards de dollars, soit 4 % du total, 40 % de ces préférences bénéficient à la Russie, au Brésil, à la Chine, à l’Inde et à la Thaïlande.
Le bénéfice de ces préférences – que la Chine souhaite maintenir le plus longtemps possible – explique très largement le blocage des négociations sur le nouvel accord-cadre que l’Union européenne et la Chine ont convenu de négocier depuis 2006, à la suite à la définition du partenariat stratégique de 2003.
Même s’il ne s’agit pas de négociations sur un accord de libre-échange, le volet économique de cet accord-cadre est essentiel car il pourrait préfigurer ce que pourrait être un tel accord de libre-échange, dans le contexte de blocage des négociations du cycle de Doha qui a amené l’Union européenne à adopter une stratégie de négociations d’accords de commerce bilatéraux, notamment avec les pays d’Asie(29).
Les négociations portent essentiellement sur les sujets dits de Singapour : droits de propriété intellectuelle, services, marchés publics et concurrence, c'est-à-dire l’intégration de disciplines allant au-delà des règles de l’Organisation mondiale du commerce (dites règles OMC « plus »).
Conformément à l’exigence de la cohérence des politiques européennes, une approche horizontale, intégrant dimensions politique et économique a été adoptée, conformément à la communication de la Commission du 24 octobre 2006 sur les relations entre l’Union européenne et la Chine(30).L’équilibre de la négociation ne joue pas en faveur de l’Union européenne dans la mesure où les aspects économiques et politiques sont donc négociés parallèlement. Alors qu’on en est encore à un stade de « droit mou », aucun progrès significatif n’a été enregistré depuis le début des négociations en 2006, à travers les différents dialogues. Sur trente deux sujets politiques, si les clauses standard ont donné lieu à un accord (non prolifération des armes, lutte contre le terrorisme), les questions des droits de l’Homme et de l’embargo sur les armes restent entières. S’agissant des clauses économiques, la Chine ne cède en rien : sur seize questions, un terrain d’entente a été trouvé sur deux seulement, les sujets essentiels concernant les obstacles à l’accès au marché chinois butent sur une attitude inébranlable de la Chine.
Dans la mesure où l’Europe a déjà beaucoup donné – le marché communautaire est largement ouvert –, elle ne dispose que peu de marges de négociations. La négociation de ce futur accord est enlisée car les Chinois ont, avec l’accord de 1985, acquis l’essentiel: le marché européen est entièrement ouvert et ils ne souhaitent pas un accord qui leur demanderait plus de concessions en termes d’accès au marché ou de questions politiques.
En tant que pays en développement, la Chine entre dans le champ de la politique européenne de coopération au développement, politique unilatérale d’assistance. Ces coopérations ont ainsi permis à la Chine de faire des bonds technologiques à moindre coût. L’Union européenne a pris un certain nombre d’initiatives visant à améliorer la situation interne pour le développement économique et pour renforcer la viabilité des réformes économiques. Cela s’est fait sous forme d’un renforcement des capacités, de programmes de formation pour les fonctionnaires ou la création d’instituts spécialisés comme l’école de droit sino-européenne.
Les programmes de coopération et les instruments de coopération au développement (ICD) sont actuellement les seuls instruments financiers dont l’Union européenne dispose(31). À ce titre, la construction du terminal trois de l’aéroport de Pékin a bénéficié d’un prêt. En 2010, des crédits pour développer les énergies alternatives ont été accordés. Le projet CE–Icare (China European Union Institute for Clean and Renewable Energy), institut de formation supérieure et de recherche, sur lequel vos rapporteurs ont pu s’entretenir lors de leur mission en Chine, a également bénéficié d’une subvention européenne. Ils ont noté que l’Allemagne n’a pas souhaité participer au financement de ce projet qu’elle a jugé trop concurrentiel pour les industries européennes…
On peut certes arguer que l’Europe peut trouver un intérêt différé au financement de tels projets dans la mesure ils peuvent participer à la réalisation de certains de ses objectifs et priorités. Ainsi, la Chine estime que l’Europe est un laboratoire intéressant en matière de système de pensions de retraite : à ce titre, la coopération dans le domaine social peut contribuer à la mise en œuvre de filets de sécurité sociale qui, à terme, serait un facteur de réduction du déficit de compétitivité dont souffre l’Europe vis-à-vis de la Chine en termes de coût de production. Dans un autre domaine, le projet de « police training » portant sur les façons d’agir de la police pourrait participer à la promotion des droits de l’Homme. Un projet sur les énergies renouvelables peut susciter un retour sur investissement.
Cependant, il est nécessaire de prendre la mesure des conséquences de l’émergence de la Chine. Or l’Union européenne ne l’a fait qu’avec beaucoup de retard. Ainsi, elle a progressivement mis fin en 2011 aux crédits en cours d’exécution en faveur des énergies alternatives en Chine pour les réorienter vers des pays du Maghreb, au moment où les banques chinoises prêtaient dix milliards d’euros à des entreprises chinoises pour produire des panneaux solaires à destination de l’Europe !
Fin 2011, elle a décidé, dans le cadre d’une nouvelle approche définie dans une communication(32), d’appliquer une logique différenciée pour la mise en œuvre de l’instrument de coopération au développement. L’aide bilatérale sera réservée, sous forme de subventions, aux pays qui en ont le plus besoin. Pour les pays émergents tels la Chine, le Brésil et l’Inde, sera créé un nouvel instrument de partenariat(33). Une particulière vigilance devra s’appliquer à la mise en œuvre de ce nouvel instrument, dans la mesure de l’avis unanime des interlocuteurs de vos rapporteurs, on ne peut coopérer avec la Chine que si celle-ci y trouve un avantage comme le montre sa pratique des visas qui sont souvent accordés en fonction de l’intérêt pour telle ou telle forme de coopération.
Aide au commerce de l’Union européenne à la Chine
Selon le ministère chinois du commerce (MOFCOM), la Chine a reçu 6,7 milliards de dollars pour l’aide au développement multilatérale et bilatérale entre janvier 1979 et mai 2009. Cette aide a de toute évidence été bénéfique à la croissance chinoise.
S’agissant du commerce, l’OCDE estime que les engagements pris par les pays développés en faveur de l’aide au développement à la Chine s’élevaient à 1,4 milliard de dollars en 2007, dont 335 millions de dollars pour l’aide au commerce et l’assistance à la Chine dans la mise en oeuvre de ses engagements au titre de l’OMC.
L’Union européenne s’est engagée en faveur de très vastes programmes à long terme pour l’aide au commerce en faveur de la Chine. Le plus important de ces programmes a été le projet commercial de 20,6 millions d’euros financé conjointement par l’Union Européenne et la Chine, qui s’est achevé en décembre 2009 et qui se composait de plus de 300 activités de formation et d’aide technique conçues principalement pour soutenir la mise en oeuvre par la Chine des engagements pris dans le cadre de l’OMC. Cette initiative soutenait les efforts réglementaires et législatifs et ciblait spécialement le système réglementaire des douanes et des importations/exportations, l’agriculture et l’agroalimentaire, les barrières techniques au commerce et les mesures sanitaires et phytosanitaires, le commerce des services, les aspects législatifs et juridiques de la mise en oeuvre nationale, ainsi que la transparence, la coopération et le développement des politiques.
Au cours de ce projet, 50 fonctionnaires chinois exerçant leurs fonctions aux niveaux central et provincial ont suivi des stages au sein des institutions européennes et 250 fonctionnaires chinois ont participé à des visites d’études en Europe, tandis que leurs homologues européens se rendaient en Chine. Plus de 1 000 fonctionnaires ont été formés en Europe ou au niveau international. Le principal résultat de ce programme a certainement été l’adoption par la Chine de la loi anti-monopole, attendue de longue date, qui s’inspire très largement des normes et pratiques européennes. L’incidence sur la transparence et l’État de droit est davantage sujette à caution.
S’agissant du renforcement de la coopération, le document de stratégie par pays Union européenne-Chine (2007-2013) définit trois domaines principaux de coopération:le commerce bilatéral, les entreprises, le développement socio-économique, le soutien au processus de réforme interne; le changement climatique, l’environnement et l’énergie; le développement des ressources humaines.
Un total de 128 millions d’euros a été octroyé pour les quatre premières années (2007-2010).
Source : Parlement européen, direction générale des politiques externes.
Selon les termes du protocole d’accession de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce, les États membres peuvent la considérer comme une économie non marchande pendant quinze ans, soit jusqu’en 2016. Ce statut conditionne principalement les conditions d’application des clauses antidumping(34). Quand le statut d’économie de marché n’est pas reconnu, un prix théorique est fixé, ce qui permet de rétablir, autant que faire se peut, un équilibre dans les conditions de l’échange.
La revendication de la Chine à l’égard de l’Union européenne porte sur son octroi anticipé avant 2016, ce qui lui offrirait des garanties d’accès des produits chinois sur le marché européen, en limitant les possibilités de mise en œuvre des clauses antidumping. Cela pourrait avoir pour conséquence la perte d’emplois, dans certains secteurs, au sein de l’Union européenne.
Cependant, il n’existe, dans la réglementation de l’OMC, aucune définition précise de ce qu’est une économie marchande. Une lecture des clauses d’adhésion de la Chine montre que l’accession automatique au statut d’économie de marché en 2016 n’a pas de fondement juridique. Les États membres ne sont obligés d’accorder ce statut qu’autant que la Chine remplisse les critères définis par ces États. Il semble d’ailleurs que les États-Unis se dirigent vers la solution de non octroi automatique de ce statut.
Jusqu’à présent, la Commission européenne a refusé d’accéder à la demande de la Chine au motif qu’elle ne remplit pas les cinq critères définis par l’Union européenne, notamment ceux relatifs à l’absence d’intervention de l’État dans la fixation des prix dans le secteur de l’énergie(35). L’Europe considère qu’il s’agit d’une question technique de mise en conformité à ces critères. En 2009, le refus catégorique de l’Europe a donné lieu à une passe d’armes violente et a été la cause principale de l’échec du sommet Union européenne-Chine.
La Chine estime pour sa part qu’il s’agit d’une question politique, dans la mesure où, précédemment, l’Union européenne avait procédé aux évaluations des économies de la Chine et de la Russie et avait conclu que le développement du marché de la Russie était inférieur à celui de la Chine. Or l’Union européenne a reconnu, en 2008, le statut d’économie de marché à ce pays.
La question de l’octroi anticipé de ce statut, voire même du moment où il pourrait être accordé, pèse dans la balance globale des négociations entre la Chine et l’Union européenne. Et l’on doit se souvenir de l’exemple de l’Australie(36) qui a transigé avec la Chine – statut d’économie de marché contre la promesse de la signature d’un accord de libre-échange – et qui en est encore au stade d’interminables réunions préparatoires pour la négociation de cet accord.
L’embargo sur les armes et la question des droits de l’Homme sont deux sujets de désaccord permanents entre l’Union européenne et la Chine.
L’Union européenne a décidé d’imposer un embargo sur les armes en 1989 en réaction à la répression de la manifestation de la place Tien An Men pour inciter la Chine à démocratiser son régime.
L’Union européenne se préoccupe également de nombreuses atteintes au respect des droits de l’Homme, affectant notamment les mouvements démocratiques et les minorités ethniques et religieuses qu’elles soient tibétaine, ouïghoure ou pratiquante du Falun Gong.
Après l’établissement du partenariat stratégique en 2003, la Chine a espéré une levée de l’embargo, réclamée par le Président Chirac et le Chancelier Schroeder, sans avoir à faire de concessions. Les Européens se sont disputés sur les conditions de la levée, notamment les conditions d’exportation, et ils se sont désunis sous les pressions américaines inquiètes de la montée en puissance militaire de la Chine. Jusqu’en 1989, la Chine achetait de l’armement en Europe et la levée ne serait pas sans portée, parce qu’elle a besoin de technologies critiques qu’elle achèterait plutôt en petites quantités pour les reproduire.
Le Conseil européen se penche sur une proposition de levée de l’embargo depuis 2004 mais ne parvient pas à réunir un consensus. Certains États membres estiment qu’il n’a plus de justification et la France serait plutôt favorable à sa levée à condition qu’elle soit assortie de mécanismes et d’instances de vérification.
La question des Jeux olympiques et du Tibet constitue la deuxième épreuve politique qui a affecté les relations sino-européennes.
L’Allemagne a subi le petit traitement. En septembre 2007, la Chancelière, Mme Angela Merkel, reçoit le dalaï-lama et critique l’absence d’avancées de la Chine en matière de droits de l’Homme. La Chine riposte par une interruption de deux mois des relations avec l’Allemagne.
Le Royaume-Uni a subi le traitement moyen. Le Premier ministre, M. Gordon Brown, pense profiter des difficultés de la France et de l’Allemagne avec la Chine et abandonne en 2008 la position britannique définie en 1913 sur la relation entre la Chine et le Tibet, fondée sur la distinction entre souveraineté et suzeraineté. La Chine a enregistré la concessions sans aucune contrepartie, comme l’a montré ensuite l’exécution d’un ressortissant britannique pénalement condamné, alors que plus récemment des Philippins ont échappé à la peine de mort par un échange de bons procédés.
La France qui allait prendre la Présidence de l’Union européenne au deuxième semestre 2008, a subi le grand traitement de colère contre la France et les intérêts français, après les manifestations contre la répression au Tibet lors du passage de la flamme olympique en France mais qui s’étaient produites partout où elle était passée, en Grèce, au Royaume-Uni et aux États-Unis.
Les trois États membres sont ensuite revenus à la plus grande prudence et la leçon est que tous les États membres, fussent-ils les plus grands, doivent s’accorder sur une position commune avant d’entreprendre une démarche individuelle sur ces questions majeures, et se soutenir mutuellement au cas où la Chine essaierait de les isoler pour les faire plier et affaiblir la position de l’Union européenne sur les droits de l’Homme.
Ces deux épreuves politiques ont conduit la Chine à revenir avec l’Union européenne à une approche pays par pays en 2008-2009, alors qu’elle avait reconnu à l’Union européenne un statut de partenaire en octobre 2003. Elle a présenté un catalogue de ce qu’elle voulait, en particulier que les États membres ne s’ingèrent pas dans sa souveraineté et ne s’occupent pas du Tibet et du dalaï-lama ni des droits de l’Homme.
Le dialogue sur les droits de l’Homme, conduit désormais par le Service européen d’action extérieure sous l’autorité de la Haute représentante, se tient deux fois par an et aboutit à l’établissement d’une liste de personnes victimes de leur non-respect. La Chine a reporté la deuxième session de l’exercice 2010 et un enjeu du prochain sommet UE-Chine sera de reprendre le dialogue dans ce format qui aborde des sujets très sensibles.
La remise du Prix Nobel de la Paix au dissident Liu Xiaobo, le 10 décembre 2010 à Oslo, a montré la timidité de l’Union européenne dans l’affirmation de ses positions sur le respect des droits de l’Homme lorsque la Chine est concernée.
L’Union européenne n’était pas représentée par la Haute représentante mais au niveau des ambassadeurs et seuls 13 des 27 États membres ont fait des déclarations officielles saluant la décision, dont l’Allemagne et la France qui les ont publiées en chinois sur le site web de leur ambassade en Chine.
Certes les États membres les plus critiques envers la Chine sur ses atteintes aux droits de l’Homme sont conscients qu’ils ont besoin d’elle pour éviter une rechute économique globale et traiter des grands défis mondiaux.
Cependant l’Union européenne ne doit pas renoncer à la défense des valeurs démocratiques mais au contraire la renforcer au moment où le changement du modèle économique chinois pourrait favoriser une évolution vers la démocratie.
D’un côté le changement de leadership en 2012 peut conduire le régime à rechercher la stabilité à tout prix, dans la ligne de la répression disproportionnée qui avait suivi les appels très minoritaires en Chine à reproduire le printemps arabe. Le traitement appliqué à l’artiste Ai Weiwei est emblématique du contrôle extrême que les autorités exercent sur les artistes et les intellectuels, en termes de censure ou de pression judiciaire, avec de nombreuses condamnations pour de simples opinions, voire des poèmes.
De l’autre, le régime ne pourra pas modifier le modèle économique sans une ouverture vers la société civile ni l’octroi de certaines libertés nécessaires au futur modèle de croissance.
La Chine aura besoin des militants environnementaux pour développer son économie verte. Elle aura besoin de donner la liberté intellectuelle aux universitaires et aux chercheurs si elle veut réaliser sa priorité en faveur de l’innovation technologique et ceux-ci sont déjà très écoutés par les autorités politiques. Par ailleurs, l’Internet chinois est aussi la nouvelle frontière de la liberté d’expression.
Enfin, les villages connaissent déjà une forme d’élections et le nombre des prisonniers politiques s’est réduit. Il y avait au début du régime trente millions de prisonniers. Il y a trente ans, ils étaient trois millions dont un million de prisonniers politiques. Actuellement, selon les estimations indiquées par M. Jean-Luc Domenach aux rapporteurs et lors de son audition devant la Commission des affaires étrangères (9 février 2011), il y a toujours trois millions de prisonniers mais entre cinq mille et dix mille prisonniers politiques.
L’Union européenne ferait donc un contresens si elle renonçait à défendre le respect des droits de l’Homme qui va dans le sens de l’histoire de la Chine.
II. AU CœUR DE LA RELATION UNION EUROPÉENNE-CHINE, DES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES ET COMMERCIAUX LIÉS, SUR FOND DE DÉSÉQUILIBRE ET D’ASYMÉTRIE
Dans ses relations commerciales et économiques avec l’Union européenne, la Chine inquiète et fascine à la fois. Fascination pour sa spectaculaire croissance depuis 30 ans et son dynamisme alors que l’économie européenne stagne ou entre en récession. Le modèle de croissance rapide qui s’apparente à celui qu’a connu le Japon – décollage suivi d’une période de forte croissance de 10 % par an, qui sera suivie vraisemblablement d’une période de convergence comme l’indiquait Zhu Min, directeur général adjoint du FMI, – a un fort impact sur les esprits, d’autant qu’un pays qui compte 1,3 milliard d’habitants n’est pas un pays comme les autres.
Mais cette croissance suscite des inquiétudes. La participation de la Chine au PIB mondial et ses capacités d’exportation sont telles qu’elles ont inévitablement un effet retour. Effets directs d’abord avec les délocalisations, même si la mondialisation n’est pas responsable de l’ensemble des pertes d’emploi dans les pays occidentaux(37), l’érosion des avantages comparatifs et les pertes de parts de marché à l’exportation, sans assurance d’en trouver d’autres liés notamment à une capacité d’innovation technologique. Des effets indirects car en raison de l’effet taille et son mode de croissance reposant sur la fabrication de produits manufacturés, la Chine est très vorace en matières premières et les répercussions environnementales sont préoccupantes.
Le déséquilibre entre l’Union européenne et la Chine est net, même si beaucoup d’exportations chinoises sont le fait d’entreprises occidentales et si de nombreux composants sont conçus hors de la Chine, celle-ci ne recueillant que 4 à 5 % de la valeur ajoutée de ses exportations(38).
Cependant, il faut aller contre l’idée trop simple d’une Europe qui serait en position de faiblesse vis-à-vis de la Chine du fait d’un déficit commercial chronique et rappeler que la Chine a besoin de l’Europe, première puissance commerciale mondiale, représentant un marché de plus de cinq cents millions de consommateurs et absorbant 20 % des exportations chinoises. Tous les interlocuteurs chinois rencontrés par vos rapporteurs lors de leur déplacement en Chine, se sont montrés soucieux de la bonne santé de la zone euro et ont exprimé leur souhait – si ce n’est leur confiance – de voir les équilibres économiques se rétablir. Ce serait tout le sens qu’aurait la participation de la Chine au Fonds européen de stabilité financière. L’Union européenne a, de ce fait, une prise pour faire avancer certains points essentiels de sa politique commerciale afin de rétablir des relations trop souvent asymétriques et donner ainsi un contenu concret au principe de réciprocité.
2011 a marqué le dixième anniversaire de l’entrée de la Chine à l’OMC. La Chine a fait le pari de la mondialisation ; pari réussi car elle a largement profité des bénéfices d’un système basé sur le libre-échange dont les pays industrialisés récoltaient auparavant presque exclusivement les fruits au détriment des pays en développement.
À l’époque, l’Union européenne avait usé de tout son poids pour permettre cette adhésion et intégrer la Chine au système commercial multilatéral. Ainsi, elle avait proposé des aménagements aux règles de l’OMC et a débloqué des fonds pour aider le gouvernement chinois à satisfaire aux exigences de l’OMC. L’entrée de la Chine dans l’économie de marché représentait alors l’avantage d’ouvrir le marché de consommation chinois aux entreprises européennes.
En 2010, la Chine s’est imposée comme la deuxième économie mondiale. Même si la contribution nette du commerce participe pour moins de 5 % à son PIB, cet essor économique s’appuie très largement sur les exportations : de 2001 à 2009, celles-ci ont été multipliées par plus de cinq, devançant celles de l’Allemagne. Trente ans après le lancement de sa politique d’ouverture, la Chine est devenue la première puissance exportatrice du monde : sa part dans le marché mondial est de 12 %.
Part de la Chine dans le commerce mondial 1980-2008
La hausse des parts de marché de la Chine dans le commerce mondial s’est largement faite au détriment de la zone euro qui a perdu trois points de marché et des États-Unis qui en ont perdu quatre, la France en perdant deux.
France : exportations, importations et commerce extérieur
avec la Chine
Zone euro : exportations, importation, et commerce extérieur
avec la Chine
Parallèlement, la part de marché de la Chine dans les marchés intérieurs a été multiplié par quatre entre 1998 et 2010, passant de 0,5 % du produit intérieur brut à environ 2 %.
Importations en valeur depuis la Chine
Cette percée de la Chine sur les marchés intérieurs occidentaux, et notamment en Europe, s’est fait par le biais d’une augmentation spectaculaire de la production manufacturière chinoise qui a été multipliée par presque cinq, alors qu’elle stagnait en Europe et aux États-Unis. Ainsi que le note le Conseil d’analyse économique(39), « il a résulté de ce transfert de production industrielle vers la Chine une profonde désindustrialisation, particulièrement en France et aux États-Unis. Cette désindustrialisation touche tous les secteurs industriels grâce à l’amélioration du niveau d’éducation et de qualification de la population active en Chine : il y avait 25 millions de diplômés de l’université en 1996, il y en a maintenant 84 millions, c'est-à-dire à peu prés la même proportion de la population active urbaine qu’en France ou que dans l’ensemble de la zone euro. Il est donc clair que la Chine a contribué fortement à la désindustrialisation des pays de l’OCDE ».
Production manufacturière
Emploi manufacturier
L’ascension commerciale de la Chine a été initialement portée par une « dynamique de spécialisation et de diversification de ses exportations »(40). Si elle s’est initialement positionnée sur le marché mondial des produits à faible intensité technologique comme les produits textiles, elle remonte dans la chaîne de valorisation et la structure des exportations chinoises n’est plus celle d’un pays en développement. L’Union européenne doit donc prendre en compte ces orientations pour déterminer sa politique en matière de transfert de technologies.
Part de la chine dans les exportations mondiales
Cette montée en gamme est toutefois progressive. Contrairement à l’Inde, la Chine a conservé une forte spécialisation sur les produits à bas prix, mesurés par valeur unitaire, comme le souligne une étude du CEPII (centre d’études prospectives et d’informations internationales)(41), ceci ne concerne pas seulement les branches traditionnelles comme les produits du textile et de l’habillement. Dans les secteurs de haute technologie, la Chine exporte essentiellement des produits de masse standardisés. Si en 2007, les exportations de haute technologie de la Chine vers l’Union européenne étaient encore aux deux tiers cantonnées dans le bas de gamme de prix, elles avaient toutefois amélioré leur positionnement en gamme. En 2007, un quart des produits de haute technologie « bas de gamme » importés par l’Union européenne (hors commerce intra-communautaire) venait de Chine, mais seulement 12 % des produits de haute technologie « moyenne gamme ».
Exportations manufacturières chinoises et indiennes vers l’UE-15
par gamme de prix et technologie
Après un démarrage assez lent, les relations commerciales entre l’Union européenne et la Chine se sont développées à partir de 2002-2003.
Au cours de la dernière décennie, le flux des échanges a été croissant. Les échanges de marchandises ont augmenté de presque 400 %, passant de 101 milliards en 2001 à 395 milliards en 2010.Les importations en provenance de Chine sont passées de 75 milliards d’euros en 2000 à 282 milliards d’euros en 2010 et les exportations de l’Union européenne vers la Chine de 26 milliards à 113 milliards. Le partenariat commercial entre l’Union européenne et la Chine est en passe de devenir le premier axe commercial mondial, l’écart avec le principal partenaire commercial de l’Europe que sont les États-Unis se réduisant progressivement.
Commerce Union européenne-Chine en marchandises 2000-2011
(en millions d’euros)
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 | |
Exportations de l’Union européenne vers la Chine |
25,8 |
30,6 |
35 |
41,4 |
48,3 |
51,8 |
63,7 |
71,9 |
78,4 |
82,4 |
113,1 |
Importations de l’Union européenne en provenance de Chine |
74,6 |
82 |
90,1 |
106,2 |
128,5 |
160,3 |
194,9 |
232,6 |
247,9 |
214,1 |
281,9 |
Balance commerciale |
-48,7 |
-51,3 |
-55 |
-64,7 |
-80,2 |
-108,5 |
-131,1 |
-160,7 |
-169,5 |
-131,7 |
-168,6 |
Source : Eurostat.
Depuis 2007, la Chine est le deuxième partenaire de l’Union européenne (13,9 % du commerce extérieur de l’Union européenne en 2010) et sa principale source d’importations (18,9 % des importations de l’Union européenne en 2010). Depuis 2006, l’Union européenne est le partenaire de la Chine le plus important avec 17 % du total de ses échanges, devançant le Japon (10 %) et les États-Unis (13 %).
Parmi les pays européens(42), l’Allemagne est de loin le partenaire principal de la Chine, représentant à elle seule 47 % du total des exportations de l’Union européenne vers la Chine (53,64 milliards d’euros en 2010) et 21 % du total des importations en provenance de Chine (76,53 milliards d’euros en 2010). La Chine est le troisième partenaire de l’Allemagne (après la France et les pays bas).Les échanges entre l’Allemagne et la Chine ne cessent de s’intensifier, ayant été multiplié par cinq depuis 2000. Si on ajoute la France, l’Italie et le Royaume Uni, les exportations combinées de ces quatre pays représentent 70 % des exportations de l’Union européenne(43).
Les échanges portent principalement sur les biens et parmi ces biens, sur les produits manufacturés.
Source : Eurostat.
.
Exportations de l’Union européenne vers la Chine
2006 |
2008 |
2010 |
Part du total des importations de l’UE (%) | ||||
Millions € |
% |
Millions € |
% |
Millions € |
% |
||
Total |
63 794 |
100 |
78 416,6 |
100 |
113 106,5 |
100 |
8,4 |
Produits de base |
7 430 |
11,6 |
8 559,4 |
10,9 |
12 831,2 |
11,3 |
6,3 |
Produits agricoles |
2 702 |
4,3 |
3 491,0 |
4,5 |
5 319,9 |
4,7 |
5,8 |
Produits pétroliers et miniers |
4 711 |
7,4 |
5 068,3 |
6,5 |
7 511,3 |
6,6 |
6,8 |
Produits manufacturés |
54 832 |
86 |
67 258,3 |
85,8 |
93 130,8 |
82,3 |
9,4 |
Fer et acier |
2 659 |
4,2 |
2 557,6 |
3,3 |
1 934,9 |
1,7 |
5,8 |
Substances chimiques |
6 094 |
9,6 |
8 324,1 |
10,6 |
8 842,2 |
7,8 |
6,3 |
Autres produits semi-manufacturés |
3 631 |
5,7 |
3 956,5 |
5,0 |
5 463,2 |
4,8 |
5,6 |
Machines, équipement de transport |
37 829 |
59,3 |
46 598,2 |
59,4 |
6 862,5 |
60,7 |
12,2 |
Matériel de bureau et de télécommunications |
4 786 |
7,5 |
4 649,4 |
5,9 |
4 820,6 |
4,3 |
6,3 |
Matériel de transport |
10 978 |
17,2 |
13 628 |
17,4 |
26 471,1 |
23,4 |
12,6 |
Autres machines |
21 378 |
33,5 |
27 745,1 |
35,4 |
36 649,8 |
32,4 |
13,3 |
Textiles |
649 |
1 |
725,8 |
0,9 |
822,3 |
0,75 |
5,5 |
Articles d’habillement |
164 |
0,3 |
259,5 |
0,3 |
398,6 |
0,4 |
2,4 |
Autres produits manufacturés |
3 754 |
5,9 |
4 800,2 |
6,1 |
70 065 |
6,2 |
5,9 |
Autres produits |
830 |
1,3 |
1 690,2 |
2,2 |
1 066,9 |
0,9 |
2,6 |
Importations de l’Union européenne en provenance de Chine
L’Union européenne est le premier client de la Chine, première destination des exportations chinoises et son deuxième fournisseur. Le marché européen représente 20 % des exportations chinoises et le consommateur européen est son consommateur de dernier ressort. Les exportations européennes en Chine représentent 0,7 % du PIB de l'Union européenne alors que les exportations chinoises en Europe contribuent pour 7 % au PIB de la Chine. Toute baisse de 1 % du PIB européen se traduit par un ralentissement de 11,5 % des exportations chinoises, contre seulement 9,8 % pour une même chute du PIB aux États-Unis. « Des déceptions, voire de fortes tensions commerciales avec les États-Unis, pourraient rappeler à la Chine que la carte européenne n’est pas à froisser trop tôt dans la poche »(44), d’autant que ce commerce bilatéral doit être resitué dans un contexte global dans lequel l’Union européenne est la première zone commerciale mondiale participant pour 17 % aux échanges mondiaux.
D’un point de vue macroéconomique, la Chine n’a donc pas intérêt à la mauvaise santé de la zone euro et plus largement de l’Union européenne. La Chine a une conscience plus aigue de cette interdépendance depuis la crise de 2008 qui a montré que malgré son dynamisme, la Chine n’est pas immune. L'économie chinoise a en effet été durement touchée par la récession et ses exportations se sont effondrées. Le rebond de l’économie chinoise en 2009 et 2010 n’a été acquis que grâce à des politiques budgétaire et monétaire expansionnistes, dont un plan de relance d'un montant de 4 000 milliards de yuans (soit 13 % de son PIB).
2012 sera une année à risques pour les pays émergents dans lequel la croissance devrait se ralentir. En Chine, ce taux pourrait être de 8 %, soit à peine plus que les 7 % requis par les autorités pour maintenir la stabilité sociale dans le pays. Le danger d’une dégradation plus grave n’est pas exclu car la récession qui plane sur l’Europe peut avoir un effet systémique et déstabiliser l’ensemble des économies mondiales. L’impact de la diminution des lignes de crédit des banques européennes contraintes de réorienter leurs activités sur leur marché intérieur va se faire sentir sur les pays émergents dont la croissance est dépendante des financements extérieurs et qui financent une partie de leurs activités, via les crédits de la zone euro. La Chine ne se trouve pas dans ce cas de figure mais pourrait, comme en 2008, ressentir les effets indirects de ce pincement du financement du commerce international.
Cette interdépendance des économies est un élément clef des relations bilatérales et pourrait fonctionner comme une corde de rappel pour rééquilibrer les négociations.
L’observation comparée des courbes des indicateurs de ralentissement de l’activité montre cette corrélation forte entre la Chine et l’Europe.
Ralentissement en Chine
Ralentissement dans la zone euro
Face aux difficultés économiques et financières de l’Union européenne, la Chine a déjà investi dans les dettes nationales de plusieurs États membres. Si elle décide de participer, avec l’appui du Fonds monétaire international (FMI), aux opérations du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et du mécanisme européen de stabilité (MES), cela lui permettra de limiter sa trop grande dépendance économique et stratégique vis-à-vis du dollar, de diversifier le placement de ses 3 200 milliards de réserves de change et de promouvoir un système pluraliste fondé sur trois monnaies dominantes (dollar, yuan et dollar). S’ajoutent aussi des considérations relatives à certains avantages qu’elle pourrait en retirer, sur l’ouverture du marché européen aux investissements chinois, sur l’accès au statut d’économie de marché ainsi qu’en terme d’images, ce que les anglo-saxons nomment le soft power. Mais la Chine le fera avant tout car elle a une attitude de rentier pour son économie et ne peut que pâtir d’un effondrement de la zone euro. Selon l’analyse de Yves Tiberghien, « la participation probable de la Chine au sauvetage de la zone euro est un indicateur des vulnérabilités chinoises face à l’interdépendance internationale de l’économie »(45).
● L’Union européenne accuse avec la Chine un déficit commercial structurel. En 1994, alors que les échanges commerciaux étaient encore balbutiants, la balance était excédentaire en faveur de l’Europe à hauteur de 10,60 milliards d’euros. La bascule s’est faite en 1995, moment à partir duquel le déficit de 11,65 milliards d’euros a été multiplié par 5 en cinq ans. Le mouvement s’est accéléré à partir de 2001, creusant le déficit commercial qui s’élevait en 2011 à 145 millions d’euros contre 49 milliards en 2000, atteignant presque le déficit entre la Chine et les États-Unis. Il résulte d’une progression très rapide des importations européennes tandis que les exportations à destination de la Chine progressent à un rythme beaucoup plus faible.
Ce déficit est concentré sur les produits manufacturés avec un total de 193 milliards d’euros en faveur de la Chine : ils représentaient en 2010, 94,6 % des importations totales de l’Union européenne en provenance de Chine et 31,5 % des importations totales de l’Union européenne.
Le secteur textile, emblématique de l’expansion chinoise car c’est à travers ce secteur que la Chine s’est insérée dans la mondialisation, porte particulièrement la marque de ce déficit. Au sein de l’Union européenne, ces exportations ont été favorisées par un tarif douanier faible. Ce secteur manufacturier européen, très intensif en main d’œuvre et donc directement concurrencé par le taux des salaires chinois, a été un des premiers à être touché par les délocalisations.
Commerce du textile et des vêtements entre la Chine et l’Union européenne (en milliards d’euros)
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 | |
Déficit total de l’Union européenne |
-35,901 |
-41,811 |
-43,891 |
-44,309 |
-44,499 |
-49,747 |
Déficit de l’Union européenne avec la Chine |
-20,419 |
-23,063 |
-26,453 |
-29,991 |
-29,543 |
-33,331 |
Source: Euratex.
Composition du déficit commercial entre l’Union européenne et la Chine
Le déficit commercial en matière de marchandises est 26 fois plus important que l’excédent commercial en matière de services.
Ce déficit commercial est concentré dans le secteur des produits manufacturés avec un total de 193 milliards d’euros en faveur de la Chine. En 2010, les produits manufacturés représentaient 94,6 % des importations totales de l’Union européeenne en provenance de Chine et 31,5 % des importations totales de l’Union Européenne. Les échanges commerciaux sont plus ou moins équilibrés pour les autres biens: un déficit de 347 millions d’euros en 2010 pour les produits agricoles, un excédent de 4,8 milliards d’euros pour les produits pétroliers et miniers et un excédent de 28 millions d’euros pour les produits chimiques. En ce qui concerne les produits manufacturés, le déficit se concentre au niveau des machines et des équipements de transport (-75 milliards d’euros en 2010), le textile et l’habillement (-34,5 milliards d’euros) et les autres produits (-62,8 milliards d’euros). En 2010, les machines et l’équipement de transport importés de Chine (144 milliards d’euros) représentaient 51,3 % du total des importations chinoises de l’Union Européenne et 32,8 % des importations totales de l’Union Européenne (441 milliards d’euros). Dans cette catégorie de produits, les équipements de bureau et de télécommunications importés de Chine représentent, de loin, le principal responsable du déficit structurel. En 2010, l’Union Européenne a importé de Chine pour 94 milliards d’euros d’équipements de bureau et de télécommunications (soit 33,6 % de la totalité des importations chinoises). Les importations d’autres machines ont également contribué dans une large mesure au déficit commercial de l’Union Européenne avec la Chine, avec 37 milliards d’euros d’importations en 2010, soit 13,2 % de l’ensemble des importations chinoises).
Source : Parlement européen.
● Si aucun membre de l’Union européenne n’affiche un excédent avec la Chine, le déséquilibre est toutefois inégalement partagé entre les États membres et reflète les distorsions de compétitivité entre les pays du Nord de l’Europe et du Sud. Ainsi, depuis 2005, les exportations de l’Allemagne augmentent plus vite que ses importations en provenance de Chine. De janvier à novembre 2011, les exportations allemandes vers la Chine ont progressé de 21,7 % par rapport à 2010 – les importations n’ont augmenté que de 3,1 % –, le déficit commercial allemand avec la Chine se réduit donc. Cette situation s’explique par une politique d’exportations fondée sur les biens d’équipement qui représentent 30 % des exportations. Il s’agit en quelque sorte d’un marché captif car ces biens sont indispensables à la croissance chinoise. Cette situation s’explique aussi par une meilleure stratégie de l’Allemagne qui a un maillage plus serré du territoire chinois grâce à un réseau de petites et moyennes entreprises(46).
balances commerciales des états membres de l’Union européenne et la Chine
Source : Eurostat.
● D’un point de vue macro économique, depuis 2009, les exportations européennes vers la Chine augmentent de 20 % par an, soit plus vite que les importations. La tendance est cependant encore trop récente pour que l’on puisse parler véritablement d’ajustement structurel des exportations et des importations, d’autant que la base de départ est largement déséquilibrée.
Données commerciales mensuelles UE-Chine
(en millions d’euros)
● Ce déséquilibre ne vaut que pour le commerce des biens, l’Union européenne ayant une balance excédentaire sur les services, à hauteur de 5 milliards d’euros. Cet excédent en matière de services se concentre principalement dans les secteurs liés au commerce et divers services professionnels et techniques.
Commerce des biens :
- exportations de l’Union européenne vers la Chine en 2010 : 113,1 milliards d’euros (+38 % par rapport à 2009) ;
- importations de l’Union européenne de Chine en 2010 : 281,9 milliards d’euros (+31 % par rapport à 2010).
Commerce des services :
- Exportations des services de l’Union européenne vers la Chine en 2009 : 18 milliards d’euros ;
- importations des services de l’Union européenne de Chine en 2009 : 13 milliards d’euros.
Investissements étrangers directs :
- investissements de l’Union européenne en Chine en 2009 : 5,3 millions d’euros ;
- investissements chinois dans l’Union européenne en 2009 : 0,3 milliard d’euros.
● Une partie du déficit est liée à la réexportation de marchandises produites par les entreprises de l’Union européenne ou de leurs filiales de la Chine vers l’Union européenne.
● Le commerce extérieur chinois se caractérisent par l’importance des opérations d’assemblage à l’origine de 55 % des exportations chinoises. Si l’on examine la façon dont les relations commerciales de l’Union européenne s’articulent avec les autres pays d’Asie, l’évolution de la balance commerciale de l’Union européenne avec les autres pays asiatiques montre que l’excédent chinois a pris la place de l’excédent des autres pays asiatiques à travers un « reroutage » des exportations, c'est-à-dire un passage par la Chine pour assemblage. Plus largement, la question se pose de savoir dans quelle mesure le déficit de l’Union européenne avec la Chine ne serait pas dû, du moins en partie, à une modification du modèle des échanges commerciaux, caractérisée par l’abandon d’autres pays à plus faible coût du travail qu’en Europe au profit de la Chine et qui provoquerait une augmentation du déficit bilatéral sino-européen sans modifier considérablement la balance des paiements courants de l’Union européenne(47).
En comparaison du déficit commercial, la comparaison des termes de l’investissement direct à l’étranger (IDE) est largement en faveur de l’Europe.
évolution des investissements européens en Chine par les entreprises européennes et dans l’Union européenne par les entreprises chinoises
Source : Eurostat.
L’ouverture aux investissements étrangers a été essentielle dans la dynamique de croissance et la modernisation technologique d’un pays qui, au moment de son ouverture économique, manquait de dotation en capital.
Les premières entreprises européennes se sont installées au début des années quatre vingt, favorisées par la création dès 1980, par le gouvernement chinois, de zones franches d’exportation(48) destinées à accueillir les investissements étrangers(49).
La croissance de la Chine et son poids dans le commerce mondial ne peuvent en effet s’expliquer uniquement selon les avantages comparatifs habituels, liés essentiellement aux faibles coûts de la main d’œuvre. « Les exportations de la Chine ont une sophistication, un contenu en qualification nettement supérieur à la qualification normale au stade du développement de la Chine »(50). Parmi les éléments d’explication, figure le fort contenu en importations des exportations et le poids élevé des entreprises étrangères dans les exportations. Ce rapport estime que 60 % des exportations chinoises sont réalisées par des entreprises étrangères.
Les investissements des entreprises européennes en Chine leur ont permis de mettre en œuvre des stratégies d’externalisation (recours aux sous traitants) et de délocalisation (création de filiales à l’étranger). Le flux de ces investissements s’est accéléré depuis la fin des années 1990, à travers trois grandes vagues d’implantation. Dans un premier temps, les entreprises des grands groupes se sont installées (Alsthom, ELF et Total). Dans les années quatre vingt dix, à côté de la présence de grands groupes (Citroën en 1990, Valeo en 1994), se sont établies des entreprises de taille moyenne (Aldes, Somfy, Seb) ainsi que des entreprises de grande distribution (Carrefour, Auchan). Les années 2000 sont marquées par l’arrivée d’entreprises de taille plus modeste (Saft, Biomérieux, DMC) et l’intensification du rythme des investissements en lien avec l’entrée de la Chine à l’OMC et la levée de certains obstacles réglementaires(51).
En 2009, les investissements directs à l’étranger (IDE) de l’Union européenne (y compris les bénéfices réinvestis des entreprises contrôlées par des entreprises européennes) en Chine s’élevaient à 5,9 milliards d’euros et le stock total de l’investissement direct à 58,3 milliards d’euros (y compris les bénéfices réinvestis). Le Royaume-Uni (21,4 % en 2008), l’Allemagne (18,9 %), la France (11,7 %), les Pays-Bas (15,9 %) et l’Italie (9 %) sont les principaux investisseurs en Chine. S’agissant des secteurs, les investissements européennes de l’Union européenne se concentrent dans l’industrie, qui représente près de 50 % du total, l’immobilier (11,9 %) et les services financiers (9,7 %).
Les investissements européens restent toutefois limités au « regard du commerce bilatéral florissant et de la taille et de l’importance du marché intérieur chinois »(52). Ils représentaient en 2010, environ 4 % des investissements directs étrangers. La part des IDE de l’Union européenne dans le total des IDE entrants en Chine a diminué depuis le début des années 2000, car les pays et territoires asiatiques (Corée du Sud, Taiwan, Hong Kong), à l’exception du Japon, ont renforcé leur position relative.
Provenance des investissements directs en Chine en 2010
Montants |
Pourcentages | |
Hong Kong |
67 474 |
63,8 |
Taiwan |
6 701 |
6,3 |
Singapour |
5 657 |
5,4 |
Japon |
4 242 |
4,0 |
États-Unis |
4 052 |
3,8 |
Rép. de Corée |
2 693 |
2,5 |
Royaume-Uni |
1 642 |
1,6 |
France |
1 239 |
1,2 |
Pays-Bas |
952 |
0,9 |
Allemagne |
933 |
0,9 |
Top dix |
95 585 |
90,4 |
Total |
106 735 |
100,0 |
Source : ministère chinois du commerce.
Il n’y a pas de stratégie communautaire en matière d’implantations des entreprises européennes mais des stratégies soit d’entreprise, soit nationale. La Chambre de commerce de l’Union européenne en Chine dont le but est de défendre les intérêts des entreprises présentes en Chine a certes une forte capacité de lobbying et publie tous les ans un document de synthèse envoyé à la Commission européenne et aux principaux ministères chinois. Elle n’est cependant pas une institution européenne et ne relaie pas une politique commerciale définie par l’Union européenne. Cela conforte la position de la Chine dans la prévalence qu’elle donne aux relations bilatérales
Quels sont les enjeux d’implantation des entreprises européennes ?
De façon générale, « s’installer en Chine est une condition pour rester dans la course économique mondiale »(53).
Il s’agit de « faire le pari de la croissance car c’est là-bas que vont se décider le sort de la croissance et l’avenir de la mondialisation »(54). Il est possible de dresser une typologie de ces enjeux d’implantation qui se distribuent autour de quatre logiques dominantes : s’implanter sur le marché chinois pour accéder aux plus grands marchés du monde ; créer une base d’exportations à partir de la production à bas coût de main d’œuvre ; rechercher des fournisseurs locaux permettant d’acheter des biens ou composants à des prix compétitifs ; enfin, profiter des compétences locales pour développer une capacité d’innovation. Face à l’évolution récente liée aux changements de stratégie chinoise qui veut se détacher progressivement de l’image de « premier atelier du monde » pour s’imposer comme une puissance en matière de recherche et d’innovation, le paysage de ces enjeux technologiques a changé. Ainsi, les entreprises françaises autrefois réticentes, accélèrent l’implantation des métiers de recherche et de développement en Chine. Dans l’automobile, par exemple, où il est acquis que l’essentiel de la croissance du marché va venir de l’Asie et particulièrement de la Chine, un constructeur comme PSA Peugeot-Citroën fait monter en puissance ses studios de style et bureaux d’études à Shanghai, dans la perspective de doubler sa production sur place à moyen terme. « Délocalisation de la recherche et développement ou adaptation des produits au marché chinois ? Il est clair que pour beaucoup d’industriels, rapprocher les activités de conception des activités industrielles pour analyser et satisfaire la demande locale est devenu une urgence »(55).
b) La montée en puissance des investissements chinois en Europe : accéder aux marchés européens et accélérer le rattrapage technologique
Dès 2000, La Chine a lancé une politique visant à encourager ses entreprises à aller investir à l’étranger. Les priorités de cette politique, définies en 2004, étaient de faciliter l’approvisionnement de la Chine en matières premières, de développer ses exportations, d’améliorer la compétitivité des entreprises et d’acquérir des technologies. Cette politique a été favorisée par les disponibilités en liquidités des entreprises chinoises.
Les flux d’investissements chinois en Europe sont pour l’instant limités, ne représentent que 0,3 milliard d’euros. L’Europe ne représente que 5 % du total des investissements chinois à l’étranger et la Chine ne détient que 0,2 % des investissements extracommunautaires. Par comparaison, les autres pays émergents investissent plus en Europe : le Brésil a ainsi investi à hauteur de 47 milliards d’euros. Ce décalage entre la position économique de la Chine et ses investissements n’est pas propre à l’Europe : la Chine n’est que le 5e investisseur international.
S’il est difficile d’avoir des chiffres précis et concordants dans la mesure où les paradis fiscaux jouent un rôle essentiel et font écran au calcul des flux d’investissement(56) et de plus, les statistiques chinoises fournies par le ministère chinois du commerce (MOFCOM) et celles d’Eurostat sont différentes(57), il est incontestable que depuis 2008, ces investissements se sont accélérés. D’après les statistiques chinoises, ils ont été multipliés par trois, entre 2008 et 2009 et ont doublé en 2010, faisant passer la part de l’Europe de 2 à 10 % dans le total des investissements chinois à l’étranger. Les statistiques européennes confirment cette évolution : les flux ont été multipliés par trois en 2010. En 2011, 34 % des acquisitions de la Chine à l’étranger se sont faites en Europe, soit 2,5 fois plus qu’en 2010.Les quatre pays qui enregistrent les stocks les plus importants d’investissements chinois sont la Grande Bretagne, l’Allemagne, le Danemark et la France.
Plus que pour leur montant, ces investissements chinois ont attiré l’attention pour leur nouveauté et leur portée politique. Ces opérations sont souvent perçues comme « relevant d’une stratégie de conquête du monde pour des journalistes selon lesquels la Chine « avance ses pions » ou « pose ses jalons ». Cette interprétation est d’autant plus naturellement mise en avant que la quasi-totalité du capital investi est le fait des entreprises d’État chinois ou contrôlée par lui. D’une manière générale, les sociétés d’État sont des investisseurs internationaux actifs, qui comptent pour une part importante dans les IDE réalisés par les pays en développement. La montée en puissance de ces investisseurs suscite inquiétudes et soupçons, et ceux-ci valent particulièrement à l’encontre des entreprises chinoises : leur internationalisation est encouragée par l’État et elles bénéficient de soutiens publics dans leur pays d’origine, ce qui peut fausser la concurrence sur le territoire où elles investissent ; leur manque de transparence entretient le doute sur leurs véritables objectifs et leur mode de gestion ; enfin, elles peuvent être considérées comme une menace pour la sécurité nationale quand elles prennent pied dans des secteurs stratégiques ou acquièrent des positions excessivement fortes (cet argument a fait échouer par exemple l’investissement des Emirats Arabes Unis dans la gestion de ports américains et l’élargissement de la participation de Chinalco dans la société minière australienne Rio Tinto » (58).
Certains projets ou réalisations ont porté sur des infrastructures ou secteurs jugés stratégiques : projet de rachat de Draka ou concession du port du Pirée. De plus, la portée des investissements chinois a été amplifiée par la crise économique, les entreprises chinoises rachetant des entreprises en difficulté, ce qui symbolise le déclin industriel de l’Europe (rachat de Rover en 2007 et de Volvo en 2010). De plus, la Chine a acheté des obligations émises par la Grèce, l’Espagne, le Portugal et détiendrait environ 10 % de la dette de la zone euro, soit 700 milliards d’euros. La question des conditions de sa participation au FESF se pose aussi.
La volonté de diversifier ses placements en achetant des actifs en euros et celle d'acquérir des technologies, des marques et des réseaux de distribution, ainsi que la quête de relais de croissance pour des groupes qui ont fait le plein sur leur marché domestique sont autant de facteurs d’explication de la stratégie la Chine.
De façon générale, la Chine investit dans les points forts de chaque État et selon ses besoins. Ainsi, alors qu’elle s’intéresse à l’Afrique pour ses ressources naturelles, l’Europe présente d’autres intérêts : son marché et son savoir-faire. Les entreprises chinoises cherchent notamment à s’approprier de nouvelles technologies comme en témoigne le rachat de Schneider Electronics, puis des activités téléviseurs du groupe Thomson. Les secteurs nouveaux les attirent également : la société allemande de fabrication d’éolienne Vensys a été rachetée par l’entreprise chinoise Goldwind et l’entreprise de télécommunication Huawei a constitué six centres de recherche et de développement en Allemagne.
Les investissements chinois se partagent à part égale entre l’industrie et les services : en Allemagne, ils sont intéressés par l’industrie mécanique et l’automobile et en France, par l’industrie chimique. Par ailleurs, faisant partie de sa stratégie globale d’accès aux ressources énergétiques, Petrochina a, en 2011, formé une entreprise partagée (joint venture) avec la société anglaise de distribution de carburants Ineos.
S’agissant de cette progression des investissements chinois en Europe, deux points méritent une attention particulière :
- l’absence de transparence, notamment en matière de détention des titres de dettes publiques. Alors que le Trésor américain publie régulièrement les chiffres de la participation de la Chine à la dette publique américaine (la Chine est son premier créancier), il n’existe en Europe aucun mécanisme similaire d’information. On est ainsi dans l’incertitude sur la réalité et le montant de la détention d’obligations grecque, espagnole, irlandaise, portugaise… Un rapport(59) souligne les risques de cette opacité qui peut favoriser la concurrence entre les pays européens pour obtenir ces financements ;
- la question de la protection des « investissements stratégiques », alors que le gouvernement chinois vient de renforcer les contrôles sur les investissements étrangers, au nom de la sécurité nationale. Au niveau européen, un tel contrôle se heurte à certains obstacles. L’Europe ne constituant pas un État mais un marché, la sécurité publique n’est en effet pas de la compétence européenne. Chaque pays apprécie les critères de sa sécurité stratégique. Ainsi, certains pays comme la France, l’Allemagne ou le Royaume-Uni ont instauré des mécanismes d’autorisation préalable. Mais les traités européens n’autorisent cette protection que lorsqu’un investissement étranger peut porter atteinte à la défense du territoire ou à la sécurité d’approvisionnement énergétique. Un autre obstacle tient à ce que l’Europe s’est construite sur le principe de libre circulation des biens et capitaux.
Les commissaires européens au marché intérieur, Michel Barnier, et à l’industrie, Antonio Tajani, ont adressé une lettre au Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, estimant légitime que la Commission puisse examiner « si les effets néfastes de certains investissements étrangers sont effectivement avérés » et, si tel était le cas, d’envisager « quels mécanismes et quels critères permettraient de les éviter et d’en minimiser les conséquences ».
La stratégie Europe 2020 a déterminé un certain nombre d’objectifs stratégiques, dont la recherche et l’innovation. Il est donc crucial d’éviter que les investissements étrangers captent les bénéfices du savoir-faire européen. La faillite de l’entreprise Saab à la fin de l’année 2011 est à cet égard emblématique. En effet, le groupe General Motors ayant refusé de céder ses brevets sur certains modèles de véhicules, les Chinois ont renoncé au rachat de Saab. Il faut donc que l’Union européenne réfléchisse à un mécanisme permettant de s’assurer que les investissements étrangers fonctionnent au bénéfice des économies européennes et ne soient pas l’occasion de détourner les innovations technologiques de pointe dans des secteurs clefs.
La stratégie chinoise d’investissement à l’étranger
Si l’investissement direct réalisé par les entreprises chinoises dans l’Union européenne a augmenté, il reste encore relativement limité au regard de la croissance enregistrée dans les autres zones géographiques telles que l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine. En 2009, le flux d’investissement des entreprises chinoises dans l’Union européenne se situait tout juste au-dessus de 100 millions d’euros et le stock d’investissements fin 2009 était dix fois inférieur à celui des entreprises européennes en Chine, soit 5,7 milliards d’euros.
En 2009, le secteur de l’énergie et celui des matières premières représentaient toujours près de la moitié de l’IDE chinois sortant, ce qui explique en partie sa répartition géographique. En 1995, les besoins énergétiques colossaux de la Chine ont poussé le gouvernement chinois à entreprendre une restructuration des principales entreprises d’État actives dans ce secteur. Ensuite, à partir du début des années 2000, l’État les a encouragées à investir à l’étranger pour assurer les approvisionnements hors de Chine. L’activité des entreprises chinoises a été très intense dans le secteur pétrolier en Afrique, en Asie centrale et au Moyen-Orient, au point de faire surgir des craintes obsessionnelles qu’elles évincent les exploitants américains et européens du marché africain. Dans le secteur pétrolier, on peut s’attendre à une présence renforcée au cours des prochaines années, dans la mesure où l’approvisionnement externe en pétrole provenant de champs contrôlés par les entreprises chinoises ne représente que 15 % du total des importations du pays. Depuis 2005, d’autres secteurs, tels que les télécommunications, les technologies de l’information, l’électronique grand public et la construction automobile, ont connu une croissance rapide et représentent aujourd’hui près de 35 % de l’ensemble de l’IDE sortant chinois. Trois entreprises, à savoir Huawei, Haier et ZTE, sont particulièrement actives dans ces secteurs. En moins d’une décennie, Haier a, par exemple, mis sur pied 13 unités de production, 8 centres de conception, 22 sociétés commerciales et près de 4 600 magasins de détail hors de Chine. L’IDE chinois augmente également rapidement dans le secteur commercial. Les entreprises industrielles chinoises sous-traitant pour le compte de multinationales européennes, américaines et japonaises s’efforcent de remonter dans la chaîne de valeur ajoutée afin de remporter une plus grande part des bénéfices sur les ventes aux consommateurs dans les pays développés. À cette fin, il est essentiel que les entreprises chinoises prennent le contrôle des entreprises agissant comme intermédiaires dans le domaine de la distribution. Galanz, par exemple, le leader mondial du marché des micro-ondes avec près de 40 % des parts, fournit ses produits à quelque 250 entreprises, qui les revendent sous leur marque. À présent, la société cherche à établir sa propre marque et à investir dans la phase de distribution et de commercialisation, où est réalisée la majeure partie des bénéfices. Cette caractéristique se retrouve dans de nombreux secteurs industriels tels que le textile et l’habillement, la chaussure, l’électronique et les jouets, dont la Chine est devenue le principal producteur en sous-traitant sans parvenir à récolter d’importants bénéfices. Par ailleurs, malgré une chute considérable des investissements directs de la Chine dans l’Union européenne en 2009 et 2010, la recherche de nouvelles compétences technologiques dont disposent les producteurs européens, les réserves colossales de devises étrangères et la concurrence accrue des entreprises étrangères sur le marché intérieur chinois sont autant d’éléments qui laissent présager une présence renforcée de l’IDE chinois dans l’UE au cours des prochaines années.
Si la capacité des groupes chinois à devenir de sérieux concurrents ne fait aucun doute, il existe un certain nombre de facteurs susceptibles de limiter leur potentiel compétitif à court et moyen terme. Les groupes chinois souffrent de l’absence de cadres formés à l’étranger, d’une connaissance limitée des environnements juridiques et administratifs européens, d’un manque de flexibilité s’agissant de la fixation de modalités financières complexes pour les fusions et les acquisitions, ainsi que de lacunes considérables dans leur système de gouvernance. Ce dernier point est peut-être le plus préoccupant compte tenu de l’importance de l’IDE chinois dans les paradis fiscaux des Îles Vierges et des Îles Caïman (52 % du total en 2008).
Source : Parlement européen.
B. Pratiques inéquitables et comportements protectionnistes faussent la concurrence et entravent l’accès au marché chinois
L’accession de la Chine à l’OMC s’est faite après quinze années de difficiles négociations ; après son adhésion en 1983 à l’accord multifibres(60), la Chine a présenté, dès 1986, une demande pour retrouver son statut de partie contractante au GATT dont elle s’était retirée en 1950. En 2001, un état des concessions réciproques entre la Chine et les États membres avait été dressé, avec une précaution prise par les autres membres : le refus du statut d’économie de marché, ce qui permettait une mise en œuvre plus facile de droits antidumping.
En adhérant à l’OMC, la Chine s’est engagée à la réciprocité, principe au cœur des textes fondateurs de cet organisme (concessions tarifaires réciproques, clause de la nation la plus favorisée) et au respect des disciplines du commerce international. Cela implique l’acceptation de tous les accords multilatéraux (Accord général sur le commerce des services, accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce(61)), dont le non respect peut être sanctionné par l’Organe de règlement des différends (ORD).
Le protocole d’accès de la Chine comportait toutefois des particularités par rapport aux règles habituelles de l’OMC, la Chine ayant souscrit à des clauses spécifiques. Elle s’engageait d’abord à des obligations liées à l’État de droit : dispositions relatives à la transparence, l’examen judiciaire et l’administration unique des échanges commerciaux. La nature du gouvernement et de l’État chinois était à l’origine de l’imposition de telles conditions atypiques jamais imposées lors de précédentes adhésions. La Chine s’engageait aussi à pratiquer progressivement une économie de marché : elle devait laisser le marché fixer les prix et ne pas pratiquer le contrôle des prix. Elle a souscrit par ailleurs une obligation spéciale pour les investissements étrangers : elle ne doit pas subordonner l’obligation des investissements étrangers à l’existence de concurrents nationaux ou à l’exigence de résultats, de quelque nature, notamment des transferts de technologie. En outre, les investisseurs étrangers doivent être soumis au traitement national.
Suite à cette adhésion, la Chine a réduit ses droits de douane qui sont passés de 14 % en 2001 à 9,5 %(62). De même, elle a mis à niveau sa législation en adoptant plus de 2000 textes de lois : on a ainsi pu parler d’un « bouquet de réformes »(63). De fait, les normes chinoises ne sont pas si éloignées – sur le papier – des standards européens. Ce qui pêche est la pratique non conforme aux standards de l’OMC et parfois même non conforme à la législation chinoise. Dans ce pays où les autorités provinciales ont une grande latitude d’action, la mise en œuvre des règles est évolutive et différenciée suivant les régions, les régions du Sud étant souvent plus respectueuse du respect de la réglementation.
La Chine fait valoir que la mise en conformité de sa législation, suite à son entrée à l’OMC, a été très coûteuse et compliquée. Aussi, si elle accepte les règles en vigueur à l’époque, elle n’en veut pas de nouvelles. Ce faisant, elle se conforme à un État du droit daté : les réglementations de l’OMC sont issues des règles de l’ancien GATT(64) ou datent de la création de l’OMC en 1995. Tout l’enjeu des négociations multilatérales du cycle de Doha est de faire évoluer des disciplines obsolètes afin de prendre en compte des préoccupations nouvelles(65) dont les préoccupations environnementales et sociales.
Parmi les reproches que peut faire l’Europe à la Chine, il faut distinguer les bons des mauvais motifs afin d’éviter que les mauvaises raisons ne l’emportent sur les bonnes et que les Chinois puissent ainsi contrer les arguments européens.
Ainsi, la Chine a un coût du travail très inférieur au niveau des salaires des pays occidentaux. Le salaire horaire dans l’industrie chinoise, charges comprises, est vingt fois plus faible en Chine qu’aux États-Unis et trente fois plus faible qu’en France. Il faut noter que « la concurrence de la Chine a certainement contribué à freiner les hausses de salaires dans les pays de l’OCDE depuis la fin des années quatre vingt dix »(66).
Salaire horaire dans l’industrie
(charges comprises)
Mais cette question du dumping social ne peut être mise en avant dans la mesure où il s’agit d’un avantage comparatif, selon la théorie du commerce international. Par contre, certains comportements relatifs au droit du travail sont hors cadre s’ils ne respectent pas les conventions sur les droits fondamentaux de l’Organisation internationale du travail, ainsi le travail des enfants ou le travail forcé.
L’Europe ne peut pas non plus reprocher à la Chine d’être un concurrent : c’est le jeu de tout commerce international. Elle doit donc plutôt s’interroger sur ses spécialisations, ses conditions de production et sur sa structure industrielle.
En revanche, les difficultés persistantes d’accès aux marchés pour les entreprises européennes, le manque de transparence des réglementations chinoises et leur mise en œuvre arbitraire, les droits de propriété intellectuelle contournés, les transferts de technologie imposés, les commandes publiques réservées aux producteurs nationaux et plus largement les distorsions au bénéfice des entreprises chinoises ainsi qu’une sous-évaluation du cours de la monnaie sont des facteurs de déséquilibre.
L’origine du déséquilibre entre l’Union européenne et la Chine ne tient donc pas à des obstacles tarifaires mais à des barrières non tarifaires qui sont recensées par l’OMC dans le cadre du mécanisme d’examen transitoire pour la Chine(67) et le mécanisme d’examen des politiques commerciales(68) ainsi qu’au niveau européen, par le Comité de politique commerciale qui examine le respect par la Chine de ses obligations et présente un rapport au Conseil des ministres. La Chambre de commerce de l’Union européenne en Chine – dont vos rapporteurs ont rencontré les représentants- fait chaque année un bilan complet du climat des affaires en Chine(69).
Rétablir un équilibre impose d’aller au fond des réglementations et des comportements et c’est bien là toute la difficulté. Les obstacles non tarifaires au commerce ne sont d’ailleurs pas le seul fait, ni de la Chine, ni des pays émergents – comme le montre un récent rapport du Parlement européen(70) – mais la question prend un relief tout particulier dans le cadre des relations avec la Chine. Tout d’abord, en raison de l’effet de masse lié à l’importance des flux commerciaux. Ensuite, parce que ces obstacles sur lesquels il est difficile d’avoir une prise sont largement liés à la structure de l’économie chinoise qui n’est pas une économie de droit mais une économie en transition dans le cadre d’un capitalisme d’État qui détermine les politiques industrielles et macroéconomiques.
Le marché chinois attire incontestablement les entreprises européennes. L’un des arguments du Gouvernement chinois est d’ailleurs de dire que si la situation était si mauvaise qu’on le dit, les entreprises étrangères ne viendraient pas autant investir en Chine.
Au cours des prochaines années, ce seront les pays émergents qui tireront la croissance et, parmi eux, la Chine sera l’un des principaux acteurs.
Contribution des marchés émergents à la croissance mondiale
(2010-2015)
Source : BusinessEurope.
L’Union européenne peut mettre à profit de cette croissance. En effet, la stratégie européenne 2020 et le douzième plan quinquennal chinois ont des priorités similaires. Dans le cadre de la stratégie européenne, sont définies sept initiatives phares, notamment dans les domaines de l’amélioration des conditions pour la recherche et l’innovation, l’accès à Internet à haut débit et l’efficacité des ressources. Le douzième plan quinquennal de la Chine a fixé le développement scientifique comme objectif prioritaire et encourage sept secteurs industriels stratégiques que sont les technologies utilisant l’énergie propre, la biotechnologie, les machines et l’équipement de haut niveau (avions, trains à grande vitesse et technologies de fabrication), les nouvelles énergies, les nouveaux matériaux et les véhicules à énergies nouvelles. Ces objectifs sont fortement axés sur les exportations. Dans la mesure où l’objectif de consommation intérieure fixé par le plan est relativement faible et largement compensé par l’inflation, et la compétitivité est accrue dans un certain nombre de secteurs dans lesquels l’Union européenne occupe actuellement une position forte, cela pourrait avoir des conséquences importantes négatives pour l’Union européenne. Il existe également une concurrence pour des ressources nécessaires à la poursuite de la croissance comme le pétrole et les terres rares. Il n’en reste pas moins que la stratégie « Europe 2020 » et le plan quinquennal chinois comportent des idées et des priorités similaires. Les entreprises européennes seraient également bien placées pour tirer profit de la priorité accordée par le plan quinquennal aux industries émergentes stratégiques(71).
Les conditions pour établir un « partenariat gagnant-gagnant » tiennent à la fois à l’Europe et à la Chine. L’Europe doit renforcer ses investissements dans les secteurs stratégiques pour rester compétitive. Elle doit conserver toujours une longueur d’avance dans ses innovations conformément à la stratégie Europe 2020. Les petites et moyennes entreprises, qui constituent la majorité des entreprises européennes, doivent être soutenues dans leurs efforts de compétitivité, afin qu’elles puissent s’internationaliser et profiter d’un marché tel que la Chine. La Chine doit pour sa part respecter les règles d’une concurrence loyale.
2. Des investissements européens subsidiaires mais bienvenus s’ils ont un contenu technologique favorable
La ligne générale de la conception de l’investissement étranger en Chine est marquée par une forme de subsidiarité : « il est bienvenu s’il apporte un élément technologique supplémentaire par rapport aux capacités des entreprises chinoises. C’est moins l’apport financier ou le rôle macroéconomique de l’investissement qui semble important que son contenu en technologie et en savoir-faire »(72).
L’ouverture aux investissements étrangers, attirés par les réformes liées à l’entrée dans l’OMC, a été un des facteurs de la croissance rapide de la Chine. Les entreprises étrangères ont longtemps bénéficié d’un traitement fiscal préférentiel. Si les Chinois sont toujours preneurs d’investissement étrangers, leur douzième plan ne cache pas que les investissements devront être principalement ciblés sur la recherche et la technologie.
La mise à niveau des entreprises chinoises à laquelle les entreprises européennes ont largement contribué par des transferts de technologie, a eu pour conséquence une concurrence accrue sur le marché chinois. Cela se traduit depuis plusieurs années par un ensemble de signaux négatifs donnés par le gouvernement chinois et par une dégradation nette du climat des affaires dont se fait l’écho le rapport annuel de la Chambre de commerce de l’Union européenne en Chine. Si certaines évolutions positives peuvent être mentionnées, comme l’assouplissement des circulaires sur l’innovation indigène ou la fin des subventions et de l’obligation de 70 % de contenu local dans le secteur des éoliennes, les entreprises européennes pensent que globalement, le climat des affaires s’est détérioré. 43 % des entreprises européennes implantées en Chine estiment en 2011 que les mesures prises récemment par le gouvernement chinois sont discriminatoires contre 33 % en 2010. C’est d’ailleurs sous la poussée du monde des affaires que Mme Angela Merkel a amorcé un mouvement de recentrage de la politique commerciale allemande vis-à-vis de la Chine.
La crise de 2008 a joué incontestablement un rôle dans cette évolution dans la mesure où, le gouvernement chinois y a apporté « une réponse centralisée qui a interrompu le mouvement progressif au fil duquel les agents privés jouaient un rôle progressivement plus important dans l’économie chinoise »(73), et au nombre de ces entreprises privées, figurent les entreprises européennes.
Ces difficultés d’accès au marché doivent être situées dans un contexte où le marché chinois est plus que jamais un enjeu pour les entreprises européennes. On est loin d’un « état de choses ancien où la Chine représentait une aventure excitante mais un enjeu modeste…Pour beaucoup d’entreprises occidentales, les activités dans ce pays ont cessé d’être marginales ou expérimentales ; elles représentent une proportion croissante de leurs ventes et de leurs revenus »(74). Le marché chinois attire de plus en plus de compétition, grandes entreprises internationales ou entreprises chinoises devenues concurrentielles.
En application de l’accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC) auquel la Chine a souscrit, sont prévues des obligations de transparence : les projets de règles, normes et procédures d’évaluation doivent être notifiés préalablement et les membres doivent avoir un délai suffisant pour faire part de leurs observations. De même, une publication rapide des mesures est nécessaire.
Or l’environnement réglementaire chinois est peu transparent, les règles parfois appliquées rétroactivement et souvent mouvantes, sans que les entreprises étrangères en soient informées. Cette absence de transparence donne ainsi toute latitude aux autorités chinoises, nationales ou provinciales, d’adopter une attitude discriminatoire dans l’application de la réglementation, et peut favoriser les entreprises locales, d’autant que la corruption n’est pas absente de tels procédés. Certaines activités de service, notamment les activités bancaires et d’assurance, se heurtent à un processus complexe et opaque pour obtenir des licences de fonctionnement.
Par ailleurs, toute discrimination est en principe interdite en matière de normes ou de procédures d’évaluation. Or les procédures de certification obligatoire (China Compulsory Certification - CCC) constituent une barrière importante à l’entrée au marché chinois. Plus de 165 produits différents, répartis en vingt-deux catégories, sont soumis à une autorisation préalable à leur commercialisation, dans le cadre d’une procédure très lourde. Les requêtes et informations nécessaires semblent aller bien au-delà de la seule protection de la santé publique, la sécurité publique et de la protection de l’environnement. Elle implique des tests coûteux, parfois redondants et sont l’occasion de demandes d’informations confidentielles allant au-delà des besoins nécessaires pour l’approbation. Cet obstacle est d’autant plus fort que le nombre des secteurs couverts par le CCC est de plus en plus nombreux et vont au-delà de l’objectif initial qui était de protéger la santé et la sécurité humaine et animale, l’environnement et la sécurité publique.
D’une manière générale, dans de nombreux domaines, l’exigence du respect de normes distinctes des standards internationaux peut avoir pour conséquence d’exclure, de facto, les productions étrangères(75). Par ailleurs, la superposition des autorisations et des administrations concernées constitue un obstacle (autorisation de quatre ministères pour commercialiser un véhicule).
Le processus chinois d’approbation des investissements étrangers permet de classer les secteurs économiques en trois catégories, selon le souhait des autorités chinoises de guider ou non les investissements. Un catalogue des investissements étrangers, paru en décembre 2011, actualise le précédent datant de 2007.
Ce nouveau catalogue conserve la même structure que le précédent. Les investissements étrangers sont répartis en trois catégories : investissements encouragés, investissements restreints et investissements interdits. Une incertitude subsiste sur le statut des secteurs qui ne sont pas mentionnés dans une des trois catégories : ils sont à priori permis mais avec cependant une marge d’appréciation laissée aux administrations devant donner leur approbation, ce qui peut conduire à une certaine frilosité(76). Outre son rôle politique, la catégorisation des secteurs a un impact sur le processus d’approbation d’un projet d’investissement, sur le type d’investissement autorisé et sur l’éligibilité à certains régimes fiscaux, même si cette dimension tend à diminuer avec la suppression progressive des dispositifs spécifiques incitatifs (hors les régions de l’Ouest du pays). Outre les autorisations liées à l’utilisation du foncier et à la protection de l’environnement, les investissements étrangers sont soumis au contrôle général sur les investissements réalisé par la Commission nationale du développement et de la réforme, pour les investissements supérieurs à 300 millions de dollars et aux autorités provinciales pour les investissements d’un montant inférieur.
Les investissements encouragés constituent la catégorie la plus importante (environ 75 % des investissements mentionnés dans le catalogue des investissements étrangers). Ce sont les projets qui permettent le développement du secteur agricole, qui font appel à de nouvelles technologies ou à des technologies avancées, qui permettent d’améliorer la qualité des produits, qui renferment les technologies protectrices de l’environnement, qui mettent l’accent sur l’exportation et ceux qui permettent le développement de régions chinoises reculées.). La catégorie des investissements interdits inclut des projets qui font appel à des technologies propres à la Chine ou d’intérêt national (voir encadré).
Le nouveau catalogue n’apporte pas d’évolution tangible. Peu de limitations en matière de services sont levées, alors que ce secteur (télécommunications, banques) représente maintenant 40 % du PIB chinois et que le douzième plan fait de leur développement une priorité. Des traitements inégaux subsistent, soit dans la législation (interdiction dans les compagnies aériennes et le secteur des télécommunications), soit dans sa mise en œuvre (services logistiques, licence obligatoire pour la distribution de produits pétroliers). Ces difficultés sont très marquées en matière de services financiers: la part de marché des banques étrangères est de 1,83 % (2,38 % en 2007), celle des assureurs de 5,63 % sur l’assurance vie et de 1,06 % sur la propriété et la responsabilité civile. Outre la volonté de faire émerger des entreprises chinoises dans un domaine où elles ne sont pas concurrentielles, les autorités chinoises pourraient souhaiter de ne pas afficher de concessions susceptibles d’être reprises dans le cadre des négociations du cycle de Doha où le volet services est porté par l’Union européenne qui y a un intérêt offensif très net.
Les évolutions principales portent sur les secteurs restreint et encouragé. On constate quelques ouvertures, nombreuses en matière environnementale où les besoins chinois sont particulièrement importants et le savoir-faire des entreprises européennes précieux(77). Mais les ouvertures dans certains secteurs sont plus apparentes qu’effectives, du fait notamment de l’existence de réglementations sectorielles plus restrictives. Le cas le plus significatif est le cas du secteur de l’automobile dont la production auparavant encouragée et la distribution restreinte sont libéralisées, mais des restrictions subsistent par ailleurs (interdiction d’entreprises partagées (joint venture) majoritaires et limitation à deux entreprises partagées (joint venture) pour la production automobile).
Les principales restrictions tiennent au fait que les entreprises européennes ne peuvent pas être actionnaires majoritaires et ont l’obligation de constituer des « entreprises partagées » (joint venture) dans lesquelles le capital est partagé à 50 % avec une entreprise chinoise. Celle-ci constitue une contrainte pour les entreprises, d’autant qu’elle s’accompagne très souvent d’obligations de transfert de technologie et d’informations confidentielles. Si l’on peut admettre de tels transferts dans un cadre contractuel où les entreprises font un arbitrage entre l’accès au marché et le risque de perte de savoir-faire, il est contestable quand il est imposé administrativement.
Cette obligation de partage du capital n’a pas d’équivalent en Europe. Dans le secteur automobile, cette obligation s’applique depuis trente ans en Chine aux constructeurs européens alors que l’installation du constructeur chinois Great Wall en Bulgarie en février 2012 montre que les entreprises chinoises sont maintenant à niveau pour exporter et que l’obligation de constituer une entreprise partagée (joint venture) n’a plus de justification.
Les secteurs protégés en Chine
Aujourd’hui, il y a 39 secteurs dont l’investissement étranger est interdit en Chine selon la liste établie par le ministère du Commerce. On y trouve l’exploitation des minerais stratégiques, l’élevage des espèces (animales et végétales) rares, la production de thé traditionnel, la fabrication des médicaments de médecine chinoise, la production de certains produits à l’artisanat traditionnel (par exemple, sculpture sur ivoire, papier et encre de calligraphie, etc.). On trouve aussi les secteurs comme la fabrication d’armes, la cartographie de la Terre, de l’océan et du territoire administratif et le contrôle aérien pour des soucis de sécurité nationale ; certains secteurs culturels sont aussi interdits aux investisseurs étrangers : l’enseignement obligatoires (jusqu’au collège) et certains enseignements spécifiques comme la police, l’armée, les sociétés d’enquête et d’opinion, la Presse, l’édition, l’importation de produits culturels, le réseau de la radio, de la télévision, le cinéma, la construction et gestion de golf, les casinos et l’industrie pornographique. Enfin, les services postaux sont aussi interdits aux capitaux étrangers.
Source : Conseil d’analyse économique.
La Chine en tant que membre de l’OMC est partie à l’accord ADPIC (Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent le commerce) dont la mise en œuvre est défaillante. Les juristes occidentaux constatent que l’administration chinoise est peu motivée, que les tribunaux refusent souvent de se saisir des affaires et que le régime de la preuve est très exigeant. « La Chine est souvent considérée à cet égard comme au milieu du gué, ce n’est pas un pays où régnerait une mauvaise foi systématique mais ce n’est pas non plus un État de droit au sens occidental, il n’y a pas d’indépendance de la justice »(78).
Dans la mesure où elle peine à appliquer l’accord ADPIC, la Chine n’a, a fortiori, pas participé aux négociations sur le traité anti-contrefaçon (ACTA) qui contient des mesures de protection plus complètes, notamment en termes de brevets. De telles dispositions auraient été utiles dans un pays où le nombre de contrefaçons est très élevé et porte atteinte aux intérêts des entreprises qui ont investi dans la qualité de leurs produits. Le marché parallèle de la contrefaçon et du piratage est en constante progression : le nombre des procédures douanières anti-contrefaçon au sein de l’Union européenne a été multiplié par sept entre 2000 et 2007, passant de 6 000 à 43 000. Ce marché, stimulé par la croissance du commerce mondial, le développement des zones franches et l’essor d’Internet, touche non seulement les produits de luxe mais la quasi-totalité des produits de consommation courante, dont des médicaments et peuvent donc comporter un risque pour la santé publique. On estime à 100 000 le nombre d’emplois supprimés du fait de la contrefaçon(79). L’Asie est la principale zone de production des produits contrefaits(80), avec une très nette prédominance pour la Chine : en 2010, 85 % des articles contrefaits saisis aux frontières européennes provenaient de Chine. Le gouvernement chinois a lancé en 2010 une campagne anti-contrefaçon mais celle-ci devrait s’inscrire dans une stratégie à plus long terme car le régime juridique de la contrefaçon est flou. Ainsi, si la contrefaçon n’est pas intentionnelle, la procédure engagée n’est pas pénale ; l’administration refuse généralement les saisies et le propriétaire de la marque n’a aucun pouvoir car il n’est que spectateur de la procédure et non partie. La crainte de mesures de rétorsion fait que des entreprises européennes ne font pas toujours appel des décisions de justice. Par exemple, l’entreprise Schneider condamnée en 2007 pour contrefaçon parce qu’elle n’avait pas fait breveter tous les stades de sa production en Chine, n’a pas fait appel de la décision de la justice, craignant d’être évincée d’un marché sur lequel il réalise plus de 6 % de son chiffre d’affaires.
D’une façon générale, les marques étrangères sont moins protégées que les marques chinoises. La réglementation reconnaît 500 marques chinoises contre 30 marques étrangères. L’année 2011 a été marquée par des décisions critiquables en matière de droit des marques, dont l’affaire Lacoste(81).
Par ailleurs, des incertitudes importantes subsistent en matière de périmètre du secret commercial, notamment vis-à-vis du secret d’État ou de la rémunération des services d’invention, alors que le nombre d’implantation des centres de recherche et de développement s’accroît en Chine. La décision de réaliser des activités de recherche et de développement en Chine est influencée par la réglementation de la loi sur les brevets, qui prévoit qu’indépendamment de la nationalité du demandeur, toutes les demandes de brevets introduites hors de Chine pour des inventions ou des modèles réalisés en Chine sont soumises à une clause d’examen du degré de confidentialité. L’interprétation des termes « réalisés en Chine » est peu claire, ce qui peut avoir pour effet que des entreprises de bonne foi demandent un brevet hors de Chine pour des inventions qu’elles ne considèrent pas comme « réalisées en Chine », avec pour conséquence juridique que l’Office national de la propriété intellectuelle (SIPO) pourrait rejeter ou invalider la demande de brevet en Chine, ou que des tiers pourraient entamer une procédure d’invalidation du brevet.
La solution viendra peut-être de la Chine elle-même, dans la mesure où améliorant sa capacité technologique, elle sera plus soucieuse de protéger des brevets dont les Chinois sont ou seront les auteurs. On rappellera que 90 % des litiges concernant la propriété intellectuelle opposent des entreprises chinoises. Dans ce même ordre d’idée, en 2009, la Chine a défini une « stratégie pour la propriété intellectuelle » qui vise notamment à augmenter le nombre des brevets d’invention et des brevets internationaux des entreprises chinoises et développer la reconnaissance internationale des marques chinoises. Cette politique fait partie de sa logique globale visant à édifier une économie basée sur l’innovation.
Enfin le piratage informatique de l’innovation technologique, notamment à l’occasion des voyages d’hommes d’affaires, est un fléau mondial dont l’ampleur devrait conduire les pays développés comme les pays émergents à s’entendre sur un accord ou des bonnes pratiques en matière de cybersécurité pour juguler un mal qui pourrait ravager toute l’innovation technologique au XXIe siècle.
L’effet de la faible protection des droits de propriété intellectuelle sur les investissements européens en Chine
Plusieurs études économétriques(82) indiquent que l’IDE de l’Union européenne intensif en matière de recherche et développement est freiné par la faible protection des droits de propriété intellectuelle en Chine. Un certain nombre d’études révèlent que les entreprises européennes se sont abstenues d’investir dans les entreprises partagées (joint venture), même lorsque l’environnement réglementaire chinois le permettait. Du fait de la réforme réglementaire entreprise par la Chine après son adhésion à l’OMC, la stratégie d’investissement des investisseurs étrangers (au premier rang desquels figurent les entreprises européennes à forte intensité technologique) a fortement changé.
Les entreprises étrangères se bousculent au portillon pour prendre une participation majoritaire dans les entreprises partagées (joint venture) ou pour développer des activités détenues entièrement. En dépit de l’adhésion de la Chine à l’OMC, dans le secteur automobile et celui des télécommunications, les investisseurs étrangers ont l’obligation d’investir dans les entreprises partagées (joint venture), dont au moins 51 % de l’activité sont contrôlés par les partenaires chinois. Les entretiens réalisés avec des investisseurs étrangers montrent que si l’environnement réglementaire venait à changer, toutes les grandes entreprises européennes actives dans ces deux secteurs prendraient une participation majoritaire dans les JV en question. La faible protection des droits de propriété intellectuelle dissuade les entreprises européennes de transférer les technologies vers des activités en Chine et freine leur volonté d’améliorer les technologies existantes utilisées dans les entreprises partagées (joint venture). Il pourrait s’agir de l’une des raisons pour lesquelles les IDE de l’Union européenne en Chine n’ont pas pu conserver le taux qu’ils affichaient au début des années 2000. Compte tenu de l’importance des entreprises de relativement haute technologie dans les IDE de l’Union européenne, une démarche notable de la Chine sur la question des entreprises partagées (joint venture) et de la protection des droits de propriété intellectuelle aurait certainement des effets positifs sur les IDE de l'Union européenne en Chine.
Source : Parlement européen.
L’accès aux marchés publics constitue un enjeu majeur pour les entreprises européennes. Ils représenteraient, selon la Chambre de commerce de l’Union européenne en Chine, un marché potentiel d’environ 1,2 milliard de dollars, soit 16 % du PIB chinois (contre 19 % dans l’Union européenne). De surcroît, dans cette enveloppe globale figurent des secteurs dans lesquels les entreprises européennes ont un avantage comparatif et une avance technologique : infrastructures, transports, technologies vertes, produits pharmaceutiques.
La Chine n’a pas adhéré à l’accord plurilatéral sur les marchés publics (AMP) dans le cadre de l’OMC, la participation à un tel accord étant facultative. S’applique donc la réglementation chinoise. La coexistence de deux lois sur les marchés publics a semé la confusion : l’une « Governement procurement law » concerne les marchés publics de moindre importance83 qui représente un marché potentiel de 700 milliards de yuans et auxquels les entreprises étrangères peuvent accéder. L’autre loi« Bidding law » a trait aux marchés publics plus importants
– dont le marché potentiel est de 7 milliards de milliards de yuans – auxquels ne peuvent soumissionner que les entreprises d’État et dont sont exclues les entreprises européennes(84).
Outre l’interdiction de participer aux enchères pour ces derniers marchés publics, les principales contraintes pour les entreprises européennes sont liées à la difficulté d’obtenir, en temps utile, une information exacte sur les projets à venir, le manque de communication sur les critères d'évaluation détaillés des projets, la tendance à la décentralisation des offres conduisant à des coûts plus élevés et à moins de transparence, l’application déloyale des critères d'attribution des marchés publics ainsi que des procédures de recours non satisfaisantes. À ces difficultés, s’ajoute l’obligation citée supra d’utiliser prioritairement des produits domestiques. Dans ces conditions, il est presque impossible pour les entreprises européennes de remporter un marché public.
La Chine a fait part, en 2007, de son souhait de participer à l’AMP, dont la révision a été actée lors de la dernière conférence ministérielle de l’OMC en décembre 2011(85). La Chine doit déterminer les entités (niveaux national, régional et municipal) couvertes par l’AMP et fixer les seuils applicables aux biens et services. Les deux offres qu’elle a faites couvrent insuffisamment les entreprises publiques visées et proposent des seuils trop élevés. Ainsi, elle a fixé un seuil d’adjudication supérieur de plus de la moitié à celui en vigueur dans le cadre de l’AMP. Les entités provinciales et les entreprises d’État ne feraient de plus pas partie du champ de l’accord. Enfin certains secteurs, tels la construction, ne seraient pas visés. Elle demande de surcroît une période de transition. De facto, 90 % des marchés publics chinois seraient exclus, dans la mesure où presque tous sont exécutés par des entreprises d’État (SOE).
Alors que la Chine pratique la fermeture de ses marchés publics, l’Union européenne a ouvert unilatéralement les siens. Une initiative européenne sur les marchés publics est donc nécessaire, non pour fermer les marchés européens, mais pour trouver les voies et moyens pour convaincre la Chine – et les autres grands émergents qui n’ont pas adhéré à l’AMP – d’accepter leur propre ouverture. Dans ce cadre, deux objectifs doivent être poursuivis :
- clarifier les règles sur les marchés publics européens, permettant notamment d’encadrer les offres anormalement basses et l’utilisation d’aides d’État ;
- refléter dans l’ordre juridique européen, les engagements internationaux de l’Union européenne : d’une part, garantir aux entreprises de pays tiers ayant souscrit à l’AMP, un accès sur les mêmes bases que les entreprises européennes ; d’autre part, définir le traitement des entreprises de pays ne bénéficiant pas des engagements de l’Union européenne, avec une clause de réciprocité prévoyant que l’Union européenne n’ouvrira pas ses marchés tant que le partenaire n’accordera pas un accès comparable et effectif à ses marchés publics.
Marchés publics : l’affaire COVEC illustre les failles des règles européennes
Catastrophe et scandale sont les deux termes les plus souvent cités par les commentateurs pour qualifier l’affaire COVEC, du nom de cette entreprise publique chinoise qui n’a pas respecté les termes d’un contrat qu’elle avait obtenu pour la construction d’une autoroute en Pologne, subventionnée par des fonds européens. L’affaire illustre trois problèmes majeurs que rencontrent les marchés publics européens confrontés à la présence croissante de sociétés chinoises. Primo, en tant qu’entreprise publique, présumée subventionnée par l’État, COVEC a pu offrir un prix 50 % inférieur au budget du gouvernement pour le projet, et environ 20 % inférieur aux soumissionnaires européens. Secundo, les règles européennes actuelles sur les offres anormalement basses (article 55, paragraphe 3, de la directive 2004/18, et article 57, paragraphe 3, de la directive 2004/17) ont permis à l’autorité contractante polonaise d’accepter le prix pourtant très éloigné des autres. Tertio, les sociétés européennes ne sont guère autorisées à soumissionner pour des projets équivalents en Chine, ou y décrocher des marchés publics, parce que la Chine n’adhère pas encore à l’Accord sur les marchés publics (AMP) de l’OMC, qui régit ces marchés au niveau international.
COVEC s’est vu attribuer en 2009 un marché pour deux sections de l’autoroute A2 entre Lodz et Varsovie, grâce à son offre spectaculaire fondée sur l’exploitation d’une main-d’œuvre chinoise bon marché travaillant en dessous des normes sociales et environnementales européennes. Il s’agissait du premier marché public de ce type qu’une société chinoise remportait dans l’Union européenne. Début 2011, cette entreprise a signalé les premiers problèmes et demandé la renégociation du contrat à cause de la hausse du prix des matériaux de construction. Le pouvoir adjudicateur polonais a rejeté l’argumentation de COVEC, puis annulé le contrat fin juin 2011.
Source : Europolitique. 8 septembre 2011.
3. Les entreprises chinoises bénéficient d’avantages déformant les prix et limitant l’accès au marché
Les avantages réservés aux entreprises chinoises a des conséquences, tant sur l’accès au marché chinois que sur la concurrence que fait la Chine à l’Union européenne sur les marchés tiers. Cette concurrence sur l’extérieur se fait sur les produits situés plutôt en bas de gamme mais est de plus en plus axée sur les infrastructures (routes, moyens de transport, télécommunications), secteurs dans lesquels l’Europe est traditionnellement concurrentielle.
● L’environnement économique chinois se caractérise par le traitement préférentiel pour les entreprises chinoises dans de nombreux secteurs. Les entreprises d’État (SOE : state owned enterprises), ainsi que les entreprises auxquelles est décerné le titre de champion national, bénéficient particulièrement de ces politiques. Le douzième plan a consolidé la position de ces entreprises d’État en mettant l’accent sur les secteurs comme la pétrochimie, les industries métalliques et les nouvelles industries stratégiques dans lesquelles ces entreprises sont largement majoritaires. Comme le pointe le rapport de l’OMC sur les politiques commerciales de la Chine(86), ces entreprises ont tiré une substantielle part des avantages du plan de relance de l’économie de 2008-2009 de 4 000 milliards de yuans sur deux ans. Les dépenses de relance visaient essentiellement des marchés publics auxquels les entreprises européennes ne peuvent accéder. Ce plan s’apparente donc à un vaste recyclage des ressources bancaires au profit des entreprises publiques
Les projets d’investissements gouvernementaux doivent prioritairement être satisfaits des produits domestiques, sauf s’ils ne peuvent être fournis dans des conditions acceptables. Ceci constitue un équivalent du « Buy american act » en vigueur aux États-Unis. Cette mesure a eu des effets très nets, notamment visibles dans le secteur de l’énergie éolienne.
Fournisseurs étrangers de la chine dans le domaine
de l’énergie éolienne
Source : Rapport annuel 2010 de l’Association chinoise de l’énergie éolienne.
Contrairement à ses engagements à l’OMC, la Chine accorde un traitement plus favorable aux entreprises domestiques au regard de l’innovation. Le programme national d’accréditation des produits innovants indigènes a établi, en 2009, une liste de produits dans six secteurs bénéficiant d’un accès préférentiel aux marchés publics(87). Les entreprises fabriquant ces produits pourraient être choisis en priorité lors d’attribution de contrats par les gouvernements locaux et régionaux. À l’origine pour être admissible au programme, la propriété intellectuelle des produits devait être détenue et développée exclusivement en Chine et la marque déposée des produits devait être préalablement enregistrée en Chine avant d’être enregistrée à l’étranger.
L’enregistrement du brevet était donc la condition de l’accès aux marchés. Cette disposition a donné lieu à un bras de fer avec les États-Unis qui considèrent qu’il s’agit autant d’une forme illégale de subventionnement des industries nationales chinoises que d’une tactique déloyale d’intégration des innovations étrangères. Devant la menace de porter la question devant l’Organe de règlement des différends de l’OMC, la Chine a révisé, en avril 2010, cette circulaire en en atténuant la portée. Il n’en reste pas moins que la politique d’innovation indigène s’apparente à une politique de substitution aux importations.
● L’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires (SMC) réglemente l’utilisation des subventions par les membres de l’OMC et interdit celles qui faussent particulièrement les échanges. Cet accord comporte en outre une obligation de notification. Or plusieurs études et enquêtes réalisées par des membres de l’OMC ont établi l’existence de subventions octroyées par la Chine. Dans le cadre du mécanisme d’examen transitoire, l’Union européenne a fait valoir qu’il était indéniable que l’effet de distorsion induit par ces subventions avait contribué à la croissance rapide des exportations chinoises au cours des dernières années. Elle a ainsi mentionné que la Chine était devenue de loin le plus grand exportateur d’acier au monde (avec une part du marché mondial de 20,7 % en 2007 et de 37,6 % en 2008), alors qu’elle était auparavant importateur de ce matériau. Pour l’Union européenne, cette croissance des exportations ne résulte pas tant d’un véritable avantage concurrentiel de la Chine dans la fabrication d’acier que de la diversité des programmes de subventions destinées à ce secteur sur une base hautement sélective.
De même, à l’occasion de soumissions d’entreprises chinoises à des marchés publics européens, notamment dans le cas de la construction de l’autoroute en Pologne, on a pu constater que le gouvernement chinois a clairement subventionné ses entreprises afin qu’elles soient plus concurrentielles sur les marchés tiers.
Par ailleurs, le gouvernement chinois pratique une politique active en matière de soutien public à l’exportation (taux d’intérêt préférentiel, assurance à bas coût, refinancement, remboursement des taxes sur les exportations…). En tant qu’économie émergente, la Chine n’adhère en effet pas aux règles de l’OCDE sur les crédits à l’exportation bénéficiant d’un soutien public. Cet accord n’est ni juridiquement contraignant, ni rattaché à un mécanisme de règlement des différends mais les gouvernements – dont le Brésil- s’en servent pour suivre, évaluer les règles, les conditions et les réalités de l’évolution du marché qui influent sur les crédits à l’exportation. Il serait indispensable que la Chine s’y conforme.
Les entreprises chinoises bénéficient d’autres privilèges, notamment liés à des taux d’intérêt faible. En effet, dans la mesure où le marché du capital est réprimé et la rémunération du capital n’est pas libre, l’épargne est maintenue en Chine et les banques sont donc adossées à un vivier d’épargnants n’ayant pas accès à d’autres placements (la rémunération de l’épargne est donc inférieure à celle de l’inflation).
PIB et taux d’intérêt en chine
La Chine a élaboré une forte politique de sécurité énergétique et de matières premières qui crée des tensions et une distorsion de concurrence défavorables aux industries européennes à forte intensité énergétique, d’autant que la Chine développe son volet extérieur d’approvisionnement (en Afrique et en Russie notamment).
Elle applique ainsi des restrictions à l’exportation de matières premières clés(88) dont pour certaines, elle détient le monopole. Les restrictions à l’exportation prennent principalement la forme de contingents, de droits d’exportation, d’un système de prix minimal à l’exportation ainsi que d’exigences et de procédures supplémentaires pour les exportateurs.
Ces mesures sont préoccupantes pour les entreprises européennes spécialisées dans les secteurs des produits chimiques, des métaux ferreux et non ferreux, ainsi que pour leurs clients en aval. En augmentant artificiellement les prix à l’exportation de la Chine et en entraînant à la hausse les prix mondiaux, les restrictions à l’exportation peuvent créer des désavantages sérieux pour les producteurs étrangers. Dans le même temps, ces restrictions abaissent artificiellement les prix intérieurs chinois de matières premières, grâce à des augmentations importantes du stock national. Ce phénomène offre des avantages compétitifs sensibles à l'industrie chinoise en aval et pousse les producteurs étrangers à déplacer leurs opérations et technologies en Chine.
En juillet 2011, les États-Unis, l’Union européenne et le Mexique ont saisi l’organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC : le principal point d’accusation était que, sous prétexte de protéger son environnement, la Chine a créé une distorsion sur les marchés de matières premières, pénalisant ainsi les industriels non chinois en les contraignant à se procurer des minerais plus chers que ceux accessibles aux entreprises chinoises. L’ORD a fait droit à cet argument, en première instance, confirmée en appel en janvier 2012. Il a condamné la Chine pour ses restrictions à l’exportation de certaines matières premières, en jugeant que la Chine n’apportait pas la preuve de leurs justifications environnementales.
Cette politique restrictive a pris un relief particulier concernant les « terres rares », groupe de métaux utilisés dans de nombreux secteurs technologiques et industriels de pointe(89), la Chine détenant une part importante des réserves.
Réserves et production de terres rares en 2010
Source : Commission européenne.
Les entreprises chinoises bénéficient aussi du prix de l’énergie maintenu à un niveau artificiellement bas, bien en deçà du coût de production. Une étude a estimé, à partir d’une approche d’écart de prix, que les subventions étaient de 356 milliards de yuans en 2007, soit 1,43 % du PIB.
Chine : estimation des subventions de l’énergie (2007)
Les « terres rares »
Des tensions sont récemment apparues entre la Chine et le Japon pour des raisons liées à la souveraineté exercées sur des îlots contestés en mer de Chine. Sur le plan économique, ces tensions ont retenu l’attention parce que la Chine a utilisé des pressions commerciales inédites en restreignant l’exportation de produits aux noms obscurs regroupés sous le vocable de « terres rares ». Tous les pays ont pris conscience depuis quelques années de l’importance croissante de ces éléments chimiques qui jouent un rôle important dans les produits de haute technologie, en particulier dans ceux que réclame la croissance « verte ».Disons tout de suite que la rareté en question n’est pas une question de volume, ces éléments sont disponibles en de très nombreux endroits, mais une question de concentration, quelques dizaines, au maximum quelques centaines de parties par million. Leur exploitation exige des investissements très lourds et a des effets très négatifs sur l’environnement. D’un point de vue économique, la question que posent ces matériaux est celle de leur exploitation efficace. Les contraintes environnementales ont conduit à la fermeture d’un certain nombre de mines, par exemple en Californie, et l’exploitation s’est progressivement concentrée en Chine qui produit aujourd’hui en particulier en Mongolie plus de 90 % des ressources mondiales. Deng Xiao Ping visitant la gigantesque mine de Baotou avait déclaré dès 1992 : « le Moyen-Orient a le pétrole, la Chine a les terres rares », est-ce aussi clair ? Ces éléments, largement ignorés par les consommateurs, à l’exception peut-être du lithium, servent en effet de plus en plus dans des produits comme les téléphones portables, les écrans plats, les batteries…ainsi que pour les industries de défense pour certains composants électroniques (lasers, guidage de missiles) ou grâce aux propriétés qu’ils apportent à des alliages sophistiqués (le « dysprosium » est utilisé dans des aciers de très haute qualité). Avant les mesures de septembre 2010 contre le Japon, la Chine avait introduit en septembre 2009 des mesures de contrôle des exportations de terres rares et restreint en mars 2010 la possibilité de créer de nouvelles mines renforçant ainsi, de fait, son pouvoir de marché sur ces matériaux stratégiques dont le prix a été multiplié par 5 depuis 2009. Les États-Unis ont pris conscience assez récemment de cette dépendance à l’importation ; le Government Accounting Office a publié au printemps 2010 un rapport notant que le quasi-monopole chinois pouvait être une menace pour la sécurité nationale ; l’heure est à la recherche de sources d’approvisionnement alternatives, en particulier la relance de l’exploitation en Californie. Le Japon, très gros importateur également, a lui aussi réagi en s’engageant dans la recherche de sources alternatives, en nouant par exemple une alliance industrielle pour une exploitation au Kazakhstan ; il n’est pas inintéressant de noter que le Japon a aussi déclaré vouloir exploiter dans ce but les ressources des fonds marins dans ce qu’il revendique comme sa zone économique exclusive en l’occurrence précisément les îles les plus méridionales de l’archipel où la Chine conteste la souveraineté japonaise. Bref, la recherche de substituts est lancée et une meilleure diversification de la production mondiale serait assurée d’ici quatre à cinq ans. D’ici là, des pratiques mercantilistes faisant obstacle aux échanges pour des motifs directement politiques ne pourraient que compromettre le « développement harmonieux » du commerce mondial auquel aspirent tous les grands acteurs.
Source : « L’émergence de la Chine », Conseil d’analyse économique, juillet 2011.
La sous-évaluation d’une monnaie peut se définir par le décalage entre sa valeur et les fondamentaux de l’économie. La question de la valeur du yuan focalise beaucoup d’attention aux États-Unis. Ainsi, un rapport du Congrès est publié tous les six mois pour évaluer cette valeur et pour établir si le cours est manipulé. Au Sénat américain a été adoptée une disposition, qui ne sera que difficilement appliquée, intégrant une composante monétaire dans le calcul des prix pour le déclenchement du dispositif anti-dumping.
Les États-Unis sont dans une situation ambiguë sur cette question. Tout d’abord, parce que leur comportement en matière de sous-évaluation de leur propre monnaie vis-à-vis de l’euro est loin d’être sans reproche. Ensuite, parce que la sous-évaluation du yuan leur permet de financer leur déficit à moindre coût, la moitié des réserves de change chinoises étant placées en dollars.
La sous-évaluation du yuan a pour origine l’accumulation de réserves de change massives résultant de la constitution d’excédents commerciaux et a été rendu possible par des mesures de contrôle des changes sur les capitaux évitant les entrées de capitaux attirés par une rémunération élevée sur le yuan et l’anticipation sur son appréciation future. La politique monétaire chinoise est, plus ou moins, une politique d’arrimage au dollar, par parité glissante. Lors de son entrée à l’OMC, la Chine a indexé sa monnaie sur le cours du dollar. À partir de 2005, le régime chinois a abandonné la politique de change fixe. Depuis, le cours du yuan s’est réévalué progressivement, celui-ci est passé de 8,07 yuans pour un dollar au début 2006 à 6,47 yuans pour un dollar en 2011. Depuis 1994, la monnaie chinoise, bien que non convertible, s’est appréciée de 57,9 %.
Le problème de savoir dans quelle mesure le yuan a un change dévalorisé est une question délicate. En effet, il est difficile de se faire une idée de sa valeur historique. En 1994, le yuan a été dévalorisé pour des raisons de compétitivité mais en fait, seule avait été concernée la valeur nominale dans la mesure où il n’y avait pas vraiment de marché de la monnaie. S’agissant des paramètres à prendre en compte pour déterminer le taux de la sous-évaluation, on ne peut donc s’arrêter à cette seule parité nominale. Il est possible de prendre en compte l’évolution relative des prix ou la hausse des coûts salariaux, par comparaison avec d’autres pays, comme les États-Unis.
Selon différentes estimations, le yuan est sous-évalué de 20 à 50 %(90), ce qui constitue une fourchette très large mais qui montre que l’effet sous-évaluation a des conséquences incontestables sur la compétitivité des produits chinois. Il est clair qu’un tel taux de change permet de soutenir des exportations. L’impact sur les pays de l’Union européenne est plus ou moins fort. Il est important sur les marchés à faible valeur ajoutée comme le textile, ce qui affecte les pays du Sud de l’Europe tandis que les pays dont les exportations sont constituées de produits à forte valeur ajoutée (biens d’équipements allemands, produits de luxe) sont moins touchés par ce différentiel sur les monnaies.
Pour le moment, si la question monétaire a été un des thèmes du G20, il n’y a eu pas le début d’une réflexion européenne sur un instrument monétaire opérationnel concernant la Chine entre les commissaires européens intéressés.
Le quatorzième sommet entre l'Union européenne et la Chine à Pékin, le 14 février 2012, a réuni le Président du Conseil européen, M. Herman Van Rompuy, le Président de la Commission européenne, M. José-Manuel Barroso, et le Premier ministre chinois, M. Wen Jiabao.
Il a abouti à des résultats encourageants mais limités : prochain lancement de négociations pour un accord bilatéral sur les investissements ; création d’un nouveau partenariat sur le développement urbain durable avec un premier forum des maires européens et chinois dès cette année autour des questions d’énergie, de qualité de l’air et de l’eau, de gestion des déchets, de mobilité et d’intégration des migrants dans les villes ; multiplication des échanges personnels par une nouvelle initiative sur le « dialogue entre les personnes » portant principalement sur l’éducation et la culture. ce dialogue naît en 2012, année du dialogue interculturel avec la Chine, et prévoit notamment la création d’un conseil de l’enseignement supérieur UE-Chine ainsi que des échanges d’étudiants et d’enseignants.
Par ailleurs, les deux partenaires sont convenus d’approfondir leur collaboration sur des sujets comme le programme nucléaire iranien et la situation en Syrie et en Birmanie, et de renforcer leur coopération au sein du G20 sur des enjeux majeurs comme le changement climatique et la cybercriminalité.
Enfin, la Chine est prête à participer davantage à la recherche d’une solution à la crise de la dette en Europe mais n’a pris aucun engagement sur les modalités de sa contribution ni sur son niveau. Les discussions sur le statut d’économie de marché pourraient avancer et les deux présidents ont plaidé à nouveau pour un meilleur accès des entreprises européennes au marché chinois ainsi que pour une meilleure protection de la propriété intellectuelle.
Il reste que les relations entre l’Union européenne et la Chine souffrent d’une trop grande asymétrie, bien éloignées du partenariat « gagnant gagnant », notion largement mise en avant lors du déplacement de vos rapporteurs en Chine. Il s’agit pour l’Union européenne de rééquilibrer ces relations et de rétablir des marges de négociations par rapport à un partenaire qui est, pour le moment, resté imperturbable. La méthode suivie jusqu’à présent par l’Union européenne n’est assurément pas la bonne. En évitant de voir la Chine à travers un prisme et de tomber dans une croisade antichinoise forcément réductrice, l’Union européenne doit d’abord définir clairement ses intérêts et ses priorités afin de pouvoir faire valoir fermement ses arguments. La Chine, dont l’économie est très dépendante de celle de l’Europe, devrait y être sensible.
La mise en œuvre d’une telle politique européenne ne pourra être le résultat que de la combinaison d’actions offensives ou défensives, à court et moyen terme, de réponses au sein même de l’Union européenne et de solutions bilatérales et multilatérales. La négociation sur les investissements et les marchés publics peut constituer une amorce de négociation contraignante et permettrait de donner un contenu et une réalité au concept de réciprocité.
La Commission s’est réunie le mercredi 22 février 2012, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, et de M. Simon Sutour, Président de la Commission des affaires européennes du Sénat, en présence des membres français du Parlement européen, pour examiner le présent rapport d’information.
« Mme Marie-Louise Fort, députée, co-rapporteure. Premier aspect de cette relation bilatérale qui rapproche près de deux milliards d'êtres humains : la position de la Chine et de l'Union européenne face aux responsabilités de la gouvernance mondiale.
La Chine et l'Union européenne sont devenues des acteurs majeurs de la mondialisation, grâce à la réussite du modèle spécifique de croissance par l'exportation de l'Etat-continent le plus peuplé du monde et du modèle d'intégration d'un continent d'États sans précédent historique.
Le choix de la Chine de se transformer en atelier du monde pour nourrir sa croissance a été déterminant dans l'avènement du monde multipolaire. Son industrialisation massive, par l'ouverture aux entreprises multinationales des pays avancés, en a fait le centre de la transformation et de l’exportation vers ces pays. En résulte le basculement du centre de gravité de l'économie mondiale vers l'Asie, où vit 60 % de la population du globe. Sa montée en gamme systématique est fondée sur la priorité du rattrapage technologique. Elle s'appuie sur la taille future de son marché intérieur qui lui permettra de porter toutes les innovations technologiques du XXIème siècle et de constituer des groupes mondiaux capables de peser sur la définition des normes techniques mondiales.
Ce modèle de croissance par l'exportation a fait de la Chine un géant économique. Premier manufacturier du monde, elle est devenue le premier exportateur mondial, devant l'Allemagne, en 2009, et pèse près de 10 % des exportations mondiales en 2010, au lieu de 5 % dix ans avant.
Avec un PIB de 5 878 milliards de dollars en 2010, la Chine est devenue la deuxième puissance économique du monde, devant le Japon et derrière les États-Unis (14 527 milliards). Les États membres ne reprennent le premier rang qu'en regroupant leurs forces au sein de l'Union européenne (16 242 milliards).
La Chine a établi avec l'Europe et les États-Unis les deux principaux axes commerciaux du monde. Cette interdépendance commerciale s'est muée en interdépendance financière avec la transformation massive des excédents commerciaux de la Chine en placements massifs aux États-Unis et, secondairement, en Europe.
La Chine a soumis les industries des pays avancés à une rude concurrence. La hausse de 9 points (de 3 % à 12 %) des exportations chinoises dans le commerce mondial à partir de 2001 s'est traduite par des pertes de marché, de 3 points pour la zone euro, qui en aurait perdu plus sans l'augmentation des exportations de l'Allemagne vers la Chine, de 4 points pour les États-Unis et de 2 points pour la France, et par la désindustrialisation : les productions manufacturières ont stagné en Europe et aux États-Unis, alors qu’elles ont quintuplé en Chine depuis 1998.
L’appétit de son modèle de croissance en énergie et en matières premières et l'intégration productive régionale ont conduit la Chine à pratiquer une diplomatie intensive de l'énergie et des matières premières, et à mener une politique asiatique de stabilisation régionale. Toutefois, elle inquiète ses voisins à cause de ses revendications territoriales et de souveraineté maritime, soutenues par un renforcement de sa puissance navale ; les États-Unis ont réagi avec le lancement du projet de partenariat transpacifique.
La Chine est une puissance paradoxale : l’importance de sa population lui donne un double statut international. Elle est l'un des trois acteurs systémiques de la mondialisation, aux côtés des États-Unis et de l'Union européenne, et l'on attend qu'elle exerce pleinement ses responsabilités internationales dans la gouvernance mondiale. Mais elle est encore, comme nous avons pu le constater en y allant, un pays en transition qui s'implique pacifiquement, progressivement et prudemment dans l'exercice des responsabilités mondiales.
L'intérêt de l'Union européenne est que l'économie mondiale repose sur des bases saines, pour résorber les déséquilibres mondiaux, commerciaux et monétaires. Mais la sous-évaluation du yuan biaise les positions de la Chine.
Après avoir retrouvé son rang, la Chine s'efforce d'apaiser les craintes de ses partenaires, en soutenant le multilatéralisme, en renforçant l'intégration régionale et en participant à la gouvernance mondiale. Elle mène une stratégie d'indépendance vis-à-vis de l'Occident, s'efforce de développer un partenariat avec les grands pays émergents et ne veut pas se laisser entraîner au-delà de ses moyens, ni en dehors de ses priorités.
Dans la négociation sur le réchauffement climatique, la Chine évolue à son propre rythme, sans égard pour des objectifs mondiaux contraignants, en développant son effort technologique, pour figurer aux avant-postes de la révolution verte, grâce aux perspectives de voir émerger sur son marché intérieur des champions innovateurs.
La Chine a coopéré au règlement de certaines crises internationales, mais sa convergence avec la Russie l'a menée jusqu'au veto sur la Syrie.
Les déséquilibres internes provoqués par sa croissance fulgurante la conduisent à réorienter son modèle exportateur vers le développement de la consommation intérieure et du bien-être social. Le défi pour le régime est de changer de modèle économique sans changer de modèle politique, dans une société en pleine mutation.
Le douzième plan quinquennal (2011-2015) devrait constituer le point de départ de cette mutation et coïncider avec le renouvellement des organes du parti unique en octobre 2012.
Cette nouvelle stratégie suscite trois interrogations : sur la difficulté de la transition, sur l'évolution du régime politique sous la pression d'une société civile émergente comptant plus de 500 millions d'internautes, et sur la capacité d'une superpuissance autoritaire d'exercer un leadership mondial, dans un monde où les individus communiquent par-dessus les frontières et les hiérarchies.
L'Union européenne doit relever son défi intérieur et surmonter les contradictions entre États membres pour définir un intérêt commun et agir de concert face à ses grands partenaires. Au-delà des dispersions institutionnelles et des divergences d'intérêt entre les États membres, la crise de l'euro et des balances de paiement a montré que les écarts de compétitivité se sont creusés surtout dans le commerce au sein de l'Union et non avec les pays tiers.
Quatre-vingt dix pour cent de la croissance mondiale à venir se réalisera en dehors de l'Europe. C'est pourquoi l'Union doit établir un partenariat fécond et équilibré avec la Chine.
Le 14 février dernier, le 14e sommet Union européenne-Chine, qui a réuni les Présidents Barroso et Van Rompuy et le Premier ministre Wen Jiabao, a abouti à des annonces encourageantes, mais limitées, sur la négociation d’un accord bilatéral sur les investissements, le développement urbain durable et la multiplication des échanges, à travers le dialogue entre les personnes, l’éducation et la culture.
M. Jérôme Lambert, député, co-rapporteur. Venons-en aux relations directes entre l’Union européenne et la Chine. Le rachat de dettes souveraines de certains États et la participation éventuelle de la Chine aux opérations du Fonds européen de stabilité financière ont suscité des craintes pour l'indépendance de l'Europe. La Chine est amenée à le faire, parce que sa croissance est largement dépendante des exportations et que l'Europe est son premier client. Une baisse de 1 % du PIB européen se traduit par une baisse de 10 % des exportations chinoises. La Chine détient une large part de la dette des États-Unis, sans que la question de l'indépendance de ce pays ne soit posée.
Les investissements chinois en Europe ont été multipliés par 2,5 en 2011 par rapport à 2010, où ils étaient encore très modestes. Ils ont visé des secteurs stratégiques, comme les infrastructures portuaires en Grèce, ou des entreprises en difficulté, comme Volvo ou Rover, symboles du déclin industriel de l'Europe mais aussi détentrices de technologies intéressant la Chine. Le rachat d'une société allemande d'éoliennes témoigne de la volonté de s'approprier les technologies et le savoir-faire européens.
Depuis la reconnaissance de la Chine en 1975 par l'Union européenne, leurs relations portent la marque d'une grande ambivalence. La Chine tire le parti maximal de son statut de pays en développement et a bénéficié de concessions unilatérales tarifaires, liées au système des préférences généralisées, et de la politique d'aide au développement. Pourtant, sa situation a bien évolué depuis quarante ans.
L'Union européenne a mené longtemps une politique d'engagement inconditionnel. Elle pensait qu'en lui accordant des concessions économiques, la Chine en ferait d’autres, notamment sur les droits de l'Homme, et qu'en montrant le bon exemple, en matière d'environnement, la Chine lui emboîterait le pas. L'Europe, en 2001, a soutenu l'accession de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui a été le catalyseur de la croissance exportatrice chinoise. Quels progrès ont été accomplis, depuis dix ans, en matière environnementale ou de droits de l’Homme ? Pas grand-chose.
Jouant des divergences entre les États membres, la Chine se sent en position de force. Il n'est pas une seule négociation, dans le cadre du partenariat stratégique qui les lie depuis 2003, où les Européens ont obtenu ce qu'ils voulaient des Chinois. Les négociations sur un nouvel accord-cadre afin de remplacer l'accord de commerce et de coopération de 1985 qui est obsolète, bloquent depuis 2006 sur l'embargo sur les armes, l'octroi à la Chine du statut d'économie de marché et la réciprocité pour l'accès au marché chinois. Les Chinois demeurent imperturbables.
Nos relations sont asymétriques. L’asymétrie de résultats est illustrée par un déficit commercial structurel, très différent selon les États membres puisque l'Allemagne voit chaque année son déficit se réduire. L'accession de la Chine au rang de première puissance exportatrice s'est faite au détriment de l'Europe qui a perdu, en dix ans, trois points de parts de marché, et de son industrie puisque la production manufacturière de la Chine a été multipliée par cinq alors qu’elle stagnait en Europe.
L’asymétrie est patente dans les comportements : les difficultés persistantes d'accès au marché chinois pour les entreprises européennes, le manque de transparence des réglementations et leur mise en œuvre arbitraire, les droits de propriété intellectuelle contournés, les transferts de technologie imposés, les commandes publiques réservées aux producteurs nationaux et les distorsions bénéficiant aux entreprises chinoises, ainsi qu'une sous-évaluation chronique du yuan sont autant de facteurs de déséquilibre, contraires aux obligations qu’implique l’adhésion à l'OMC. La Chine ne peut pas tirer profit du libre-échange et ne pas respecter les règles du commerce international.
Après avoir largement ouvert ses marchés, l'Union européenne, depuis 2009-2010, semble avoir compris qu'il fallait changer de méthode. Lors du sommet Union européenne-Chine de 2009, elle a refusé l'octroi anticipé du statut d'économie de marché, revendication récurrente de la Chine qui rendrait la mise en œuvre des clauses antidumping plus difficile pour l'Europe. Le principe de réciprocité adopté par le Conseil européen, largement porté par la France, vise tous les émergents et particulièrement la Chine.
Nos interlocuteurs chinois ont parfois l’air de ne pas comprendre. Je vous renvoie à notre rapport écrit. Pendant notre déplacement, nous avons été reçus par des autorités intéressantes, qui nous ont dit leur souci que l'Union européenne et la Chine établissent un partenariat « gagnant gagnant ». Nous en sommes loin. Le rééquilibrage des relations, par la mise en œuvre du principe de réciprocité, est indispensable. Au cours des prochaines années, les pays émergents, dont la Chine, tireront la croissance mondiale. Le marché chinois est un enjeu pour les entreprises européennes, grandes entreprises ou PME, dans des secteurs comme les énergies renouvelables, l'automobile ou les services.
L'Union européenne a des atouts : elle est la première zone commerciale mondiale et l'interdépendance des économies constitue un levier de négociation.
Avant tout, l'Europe doit forger son unité et surmonter ses divergences pour définir ses priorités. La priorité absolue, la clé de sa compétitivité, est son avance technologique, qu’elle doit conserver en développant l'innovation et en la protégeant, tant pour ses investissements en Chine que pour les investissements chinois en Europe. Tel est l'objet de plusieurs points de notre proposition de résolution.
La réciprocité pourra surgir d’un accord sur les investissements, tendant à réduire les barrières non tarifaires et à permettre aux entreprises européennes d'accéder au marché chinois, sans être tenues de transférer leurs technologies. Ne rêvons pas, mais amenons-les à négocier. De même, l'Union européenne ne doit pas ouvrir ses marchés publics sans réciprocité, comme c’est le cas actuellement.
L'Union européenne doit être moins naïve, si elle veut rétablir l'équilibre nécessaire des relations, d'autant que la Chine, son économie, sa société, ne sont pas immunes et pourraient faire face à des difficultés.
Mme Pervenche Berès, députée européenne. Attention à l’appel à l’épargne des pays émergents pour éponger une partie de la dette européenne ! Voyez les Etats-Unis. Nous avons l’impression qu’ils disent « le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème », en bénéficiant du privilège exorbitant de disposer d’une monnaie de réserve et en faisant financer leur dette par le reste du monde. Mais, vu de Chine, il en va tout autrement. Les Chinois ont utilisé leur maîtrise d’une partie de la dette américaine, donc du cours du dollar, comme levier de négociation avec les États-Unis : ils se tiennent par la barbichette. Je ne vois pas pourquoi ils accepteraient avec enthousiasme d’y renoncer. Le patron du fonds souverain chinois est un diplomate, il dit avoir conscience de l’allergie de l’opinion publique à l’intervention de ce fonds dans le CAC 40 ou nos banques, mais les statistiques sont là : leur croissance dépend aussi de nous. Nous devons négocier plus cher que nous le faisons leur besoin de notre marché intérieur.
Vous avez mentionné le rachat d’une entreprise allemande d’énergie éolienne. Le plus grand producteur danois du secteur a délocalisé ses usines en Chine, en alléguant un rapprochement de ses futurs marchés. Ne soyons pas naïfs : certaines éoliennes reviennent en Europe !
Il faut en tirer les conséquences, en poussant beaucoup plus loin la réflexion sur ce que certains d’entre nous appelons, non la réciprocité, mais « le juste échange ». Personne ne peut reprocher à la Chine d’émerger, nous devons nous en réjouir. Mais la santé du système bancaire et du marché financier chinois, son appétence pour nos « produits dérivés », la titrisation, dont nous connaissons les conséquences, doivent nous préoccuper. Sachons tirer les leçons de la crise, dans nos négociations avec les Chinois !
La Chine est-elle une bonne élève du multilatéralisme ? Je ne le crois pas. Nous, Européens, avons le plus grand intérêt à ce que le multilatéralisme fonctionne, mais nous ne nous en donnons pas les moyens, parce que nous sommes crispés sur l’évolution de la représentation de la Chine au FMI et des conditions de sa participation dans les organisations internationales.
M. Bruno Gollnisch, député européen. Oui, la prospérité de la Chine est tout à fait compatible avec la nôtre ! Ce rapport et cette proposition de résolution sont très intéressants. Ils mettent en lumière la contradiction entre la construction d’un ensemble régional où circulent librement les marchandises et les capitaux, afin de maintenir, au sein de l’Union européenne, un certain niveau de prix, de revenu, de protection sociale, supérieur au reste du monde, et son ouverture à un pays comme la Chine, où règne, toute communiste qu’elle soit, le capitalisme le plus effréné, les ouvriers y étant payés vingt fois moins que chez nous, n’ayant ni retraite ni protection sociale ou si peu, tout en travaillant six jours sur sept et en dormant 35 heures par semaine ! Comme le régime est autoritaire, ils ne peuvent se syndiquer librement, ni manifester, ni revendiquer une vie meilleure. C’est cela, et non la perversité chinoise, qui incite les entreprises à délocaliser vers ce gisement de main d’œuvre disciplinée, intelligente, très bon marché, comme nous avons mis du temps pour le découvrir. Il ne s’agit pas de s’isoler du reste du monde et de bloquer nos relations avec la Chine, mais de rappeler, comme vous le proposez, que les relations internationales sont fondées sur la réciprocité, y compris les relations commerciales, et non sur des règles définies par l’OMC, dont le respect fluctue au gré des intérêts.
L’embargo sur les armes est assez largement contourné. La Chine vient de se doter d’un superbe porte-avions, l’ancien Varyag soviétique, acheté à l’Ukraine, et entièrement rénové, ce qui illustre la montée en puissance de sa flotte, un peu inquiétante, notamment pour Taiwan. Elle pourrait exercer une pression sur la Corée du Nord. Il faudrait un jour une conférence sur la Corée, analogue à celle qui a obtenu le départ des troupes soviétiques d’Autriche après la seconde guerre mondiale, en échange de sa neutralisation, afin de réunir la Corée du Sud et la Corée du Nord, dont le régime abominable menace la sécurité de la région.
La Chine n’abandonnera jamais le Tibet, qu’elle a toujours considéré comme l’une de ses provinces ; tout au plus peut-on lui demander, sans nous payer de mots, de respecter davantage la culture tibétaine.
Sur l’attitude de la Chine et de la Russie à l’ONU à propos de la Syrie, je m’étonne de votre étonnement, non que je défende le régime de Bachar el-Assad, que je n’aurais pas invité à la tribune du 14 juillet, mais parce que la Chine a déjà concédé à l’OTAN une certaine latitude en Libye pour protéger les populations civiles. Je n’ai aucune sympathie pour Kadhafi, mais enfin, nous avons, au-delà de ce mandat, procédé à des bombardements massifs des parties du pays qui lui étaient restées loyales, détruit sa flotte, armé les insurgés et participé en direct à son assassinat ! Il ne faut donc pas s’étonner que la Chine et la Russie nous disent : « vous nous avez eus une fois, vous ne nous aurez pas deux fois ! »
M. Patrice Calméjane, député. La Chine, en 2012, est un « pays en voie de développement » et la deuxième puissance mondiale ! L’angélisme de votre rédaction est surprenant… Cette dictature fait travailler des centaines de millions de Chinois sans aucune règle sociale, dans une société où la liberté individuelle n’existe pas. Comment parler d’égal à égal ? La « promotion des valeurs démocratiques » n’apparaît qu’à la fin de votre proposition de résolution. Vous pourriez la remonter ! Nous demandons à la Chine « d’accentuer la lutte contre les produits de contrefaçon qui portent atteinte aux produits de qualité et à la santé publique». Il faudrait au moins introduire un délai ! Dans quel monde sympathique vivons-nous ? La Chine nous inonde de produits de qualité moyenne, voire issus de la contrefaçon, fabriqués dans des conditions lamentables, souvent par des enfants, au mépris de la santé et de la sécurité. Votre rédaction est bien gentille, alors que la Chine recherche une véritable hégémonie économique mondiale ! C’est un partenaire, nous avons encore des choses à lui vendre, le ralentissement de notre PIB lui pose problème, mais le jour où elle n’aura plus besoin de nous, elle nous laissera au bord de la route sans hésiter ! Il faudrait muscler la rédaction de vos recommandations à la Commission européenne !
M. Philippe Juvin, député européen. Nous pouvons parler de tout avec la Chine, sauf d’interdépendance. Ses capitaux viennent chez nous, elle prend des positions unilatérales. C’est de la dépendance ! C’est une grande puissance économique qui veut s’affirmer comme grande puissance politique : le porte-avions est un symbole de sa volonté de mener une politique mondiale. Nous n’avons pas pris la mesure de la puissance chinoise. Le texte présenté par la Commission au Parlement européen sur le CO2 citait « l’Inde et la Chine » parmi les pays susceptibles de s’affranchir des règles communes, il y a deux ans. Dans l’esprit de certains, la Chine n’était pas une grande puissance et encore moins une menace.
Cosco Pacific, filiale de la compagnie maritime d’État chinoise, a obtenu deux concessions de 35 ans pour gérer deux terminaux de conteneurs du port du Pirée. Elle a emporté un marché de gestion d’infrastructures en pleine propriété. Autre scandale : la construction de l’autoroute Lodz-Varsovie a été attribuée au groupe chinois Covec, qui a gagné ce marché public, financé par le Fonds social européen, contre deux sociétés européennes! Il faut obtenir la réciprocité pour les marchés publics, qui n’existe pas actuellement. Les marchés publics chinois, estimés à mille milliards de dollars, ne sont pas ouverts, alors que les nôtres le sont ! A nous de nous doter, via la directive sur les marchés publics et celle sur les concessions, en cours de discussion, des outils et des moyens de la réciprocité. M. Barnier y travaille. Nous devons disposer d’outils législatifs et réglementaires. La question des investissements en Europe est fondamentale : les Chinois profitent des garanties financières fournies par l’UE aux obligations grecques qu’ils achètent ! Celle de la protection de l’innovation aussi. Nous ne pouvons continuer à prétendre que l’innovation est notre atout dans le monde si nous ne savons pas protéger la propriété intellectuelle, bien au-delà de l’Internet.
Mme Catherine Trautmann, députée européenne. Je suis préoccupée par la gouvernance de l’Internet et des nouvelles technologies. Après le mouvement qui a conduit au sommet mondial sur la société de l’information de Tunis, nous assistons à la tentative de certains États, notamment la Chine et la Russie, de battre en brèche ses acquis, en passant par l’Union internationale des télécommunications. Ce sont les pays émergents qui ont engagé la bataille sur les noms de domaines, pour éviter une rupture du système international de l’Internet. Il s’agit des droits de l’Homme et de la liberté de l’Internet. Lors de notre visite à Washington il y a quelques mois, nous avons assisté, au Sénat américain, à une séance de la sous-commission Chine, portant sur trois questions : le commerce international, les droits de l’Homme, Internet. Je vous recommande de consulter ces travaux et d’observer attentivement l’évolution de la Chine sur ces trois sujets hypersensibles, qui touchent notamment à la défense et à nos moyens d’observation. Je n’ai jamais été pour le stockage de données sur des méga-serveurs américains, mais la Chine dispose aujourd’hui d’importantes capacités de cloud computing. La grande entreprise de télécommunications chinoise Huawei vient d’ouvrir un bureau de lobbying à Bruxelles. J’ai été alertée par les syndicats d’Alcatel-Lucent sur les risques de la présence de cette entreprise, qui après le marché européen des terminaux, va s’attaquer à celui des réseaux. Il en va de même pour les terres rares, composants essentiels des téléphones portables et des tablettes, dont la Chine maîtrise le marché. Je souhaite que l’Union européenne soit beaucoup plus conséquente qu’elle le prétend sur les normes applicables en particulier aux télécommunications et à l’Internet. La maîtrise de notre avenir est en jeu. Si la Chine intervient sur notre dette, bénéficie d’un excédent commercial, nous taille des croupières dans des secteurs stratégiques comme l’aéronautique, l’espace, les télécommunications, la balance sera de plus en plus déséquilibrée en notre défaveur. La Commission européenne a longtemps été naïve. Les Chinois ont compris qu’ils ont été écartés de l’accord sur la contrefaçon. Ils seront désormais plus durs et plus exigeants. Politiquement, soyons actifs sur la question de l’Internet !
M. Pierre Bernard-Reymond, sénateur. Interrogeons-nous sur les transferts de technologies consentis par nos entreprises, pour remporter leurs contrats commerciaux en Chine ! Nous sommes confrontés, non seulement à un problème d’achat de terres rares, mais aussi à un problème d’achat massif de terres agricoles, ou de baux à très long terme dans les pays qui prohibent la vente de terres à des étrangers, à Madagascar et ailleurs.
Les Chinois ont acheté le port du Pirée, mais pas celui de Marseille, quand ils ont su qu’il était géré par la CGT !
M. Gollnisch, député européen. C’est l’avantage du syndicalisme !
Mme Trautmann, députée européenne. Il protège !
Mme Grossetête, députée européenne. Je suis d’accord avec M. Pierre Bernard-Reymond. Ne classons plus la Chine dans la catégorie des pays émergents…
M. Gollnisch, député européen. C’est un pays submergent !
Mme Grossetête, députée européenne. L’Union européenne et la France doivent se préoccuper de ce que la Chine a fait en Afrique…
M. Gollnisch, député européen. Oui !
Mme Grossetête, députée européenne. …que nous avons négligée, s’il est encore temps !
La Commission européenne n’est pas naïve, mais, ce qui est pire, elle est partagée en deux : une partie s’en tient au dogme libre-échangiste, en dépit de la crise mondiale qui a touché l’Union européenne. Même le président de la Commission a mis longtemps à évoluer vers plus de réalisme. Des commissaires, comme Michel Barnier ou son collègue chargé de l’industrie tentent de contrecarrer ce dogme, mais ils se heurtent à d’énormes difficultés. Il faut aller plus vite, pour faire prévaloir la réciprocité, à l’OMC aussi. Nous ne pourrons pas avancer si nous ne rompons pas avec les idées du passé. Le diagnostic posé, le constat établi, les solutions connues, nous devons surmonter ces graves blocages.
M. Dominique Riquet, député européen. Il y a cinq ans, nous aurions parlé exclusivement de droits de l’Homme, qui ne nous préoccupent plus aujourd’hui, bien qu’ils restent d’actualité en Chine. Les Chinois rachètent la dette américaine, et non la nôtre, parce que notre monnaie n’est pas une monnaie de réserve, et parce que les Américains ont défendu leur souveraineté. Aux États-Unis, dès que les transferts de technologies concernent une industrie sensible comme la défense, l’aéronautique ou l’électronique, ils sont interdits. Il en va de même pour les infrastructures. Les Chinois se sont intéressés aux ports de New York et de Los Angeles. Un décret fédéral le leur a interdit. Nous sommes victimes de notre naïveté, mais aussi de notre absence de coordination : l’Europe n’est pas un État fédéral. Je suis contre l’idée que nous devrions faire racheter notre dette par les Chinois. L’austérité - qui ne suffit pas, car il faut de la croissance - est aussi le prix de notre indépendance. Elle est liée à notre compétitivité et à notre relation avec la Chine. Par leurs coûts salariaux et leur politique sociale, les Chinois submergent la planète. Les États-Unis se défendent parce qu’ils sont une puissance impérialiste, au sens étymologique, et qu’ils n’acceptent pas le multilatéralisme. La Chine nous renvoie à nos propres insuffisances : l’Europe n’est pas un État fédéral, sa monnaie n’est pas une monnaie de réserve, elle a mené une politique déraisonnable en matière d’investissement, de recherche-développement, de transferts de technologie et de défense de ses frontières. Elle doit aujourd’hui régler tous ses problèmes en même temps, ce qui est difficile.
Mme Marie-Louise Fort, co-rapporteure. Nous avons rencontré la directrice adjointe chinoise chargée des droits de l’Homme…
M. Jérôme Lambert, co-rapporteur. … qui a négocié sur le sujet avec l’Union européenne.
Mme Marie-Louise Fort, co-rapporteure. Nous ne nous sommes pas privés de lui faire des remarques. Sa réponse, en substance : « nous avons réformé, nous avons pris modèle sur votre organisation judiciaire et vos codes, alors que de grandes démocraties pratiquent la peine de mort, comme les Etats-Unis ». C’est simpliste, mais cela montre qu’ils ont des arguments à l’appui de leurs insuffisances.
Sur la définition de « pays émergent », j’ai été frappée par le fait que le problème de la propriété intellectuelle des découvertes réalisées au sein de l’ICARE (institut sino-européen pour les énergies propres et renouvelables, partenariat constitué avec nos plus grandes universités et grandes écoles) n’ait pas été réglé en amont. Peut-être à cause des relations bilatérales, l’Europe n’est pas en capacité d’adopter une position commune et de s’y tenir. Selon le directeur général de la chambre de commerce européenne en Chine, il est de plus en plus compliqué de s’y implanter. Les relations de collectivités à collectivités sont souvent perturbées par l’intervention du parti communiste chinois, très autoritaire, qui dirige tout.
Je reviens néanmoins relativement optimiste. Nous prenons conscience que nous devons réagir. La crise mondiale nous incite à redistribuer les cartes. Nous comptons sur vous, députés européens, pour faire ce qu’il faut au niveau de l’Europe. Nous, parlementaires nationaux, apportons notre pierre à l’édifice.
Les manifestations et les grèves se multiplient dans toutes la Chine, ce que nous ne savons pas assez, en raison de leur extraordinaire capacité à contrôler l’information. Nous pouvons espérer, un jour ou l’autre, un printemps chinois…
M. Jérôme Lambert, co-rapporteur. Je vous remercie pour vos critiques et propositions. Notre rapport écrit répond à l’essentiel de vos questions. La Chine présente des fragilités. Elle est traversée par des conflits sociaux, des manifestations, qui remettent en cause, parfois de manière violente, son organisation sociale et politique. Il y a aussi des spéculations, des bulles immobilières dangereuses. Le système financier et bancaire n’est pas des plus sûrs. Ce rapport est une première ; il devra faire l’objet d’un suivi dans chacune de nos assemblées.
Le Président Pierre Lequiller. Nos échanges tripartites sont très intéressants et vos observations ont permis d’éclairer le débat sur la proposition de résolution. Je remercie les auteurs pour ce rapport très complet, sur un sujet majeur.
Le Président Simon Sutour. C’est notre dernière réunion, particulièrement intéressante en effet, avant la suspension des travaux parlementaires. L’une de nos trois assemblées va être renouvelée. Je souhaite que nous relancions ces réunions, entre les députés français au Parlement européen et les commissions des affaires européennes de l’Assemblée et du Sénat, peut-être autour d’échanges plus pragmatiques et de sujets plus concrets. Il en est un qui nous préoccupe beaucoup au Sénat, dont je suis le rapporteur pour la commission des lois et le rapporteur pour avis pour la Commission des affaires européennes : la proposition de règlement et de directive de Mme Reding sur la protection des données personnelles, qui nous occupera pour les mois à venir et que nous examinerons en séance publique dès le 6 mars. Je forme le vœu que nous l’abordions lors de nos prochaines réunions. Je vous remercie. »
Puis la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale a approuvé la proposition de résolution dont le texte figure ci-après.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88-4 de la Constitution,
Vu les articles 153, 191, 207 et 218 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et le traité sur l'Union européenne,
Vu la communication de la Commission européenne « Commerce, croissance et affaires mondiales-La politique commerciale au cœur de la stratégie Europe 2020 », COM (2010) 612 du 9 novembre 2011, ainsi que les conclusions des Conseils européens des 16 septembre 2010 et 23 octobre 2011,
Considérant qu’il est de la responsabilité de l’Union européenne de défendre son modèle social et un modèle démocratique fondé sur les droits de l’Homme et l’économie de marché ;
Considérant que les niveaux de développement comparés de l’Union européenne et de la Chine et les relations d’interdépendance entre les deux économies impliquent le passage d’une relation asymétrique à une relation équilibrée fondée sur des avantages réciproques ;
Considérant qu’en adhérant à l’Organisation mondiale du commerce en 2011, la Chine a fait le choix du libre-échange dont elle retire des bénéfices importants et qu’elle s’est engagée à en respecter les règles de réciprocité et les disciplines ;
Considérant que les pratiques inéquitables et les comportements protectionnistes contraires aux engagements internationaux de la Chine faussent le jeu d’une concurrence loyale avec l’Union européenne ;
Considérant, compte tenu des perspectives de croissance des pays émergents, que le rééquilibrage des relations entre l’Union européenne et la Chine passe par un accès équitable au marché chinois pour les entreprises européennes, alors que l’Europe a largement ouvert ses frontières ;
Rappelant que l’Union européenne a reconnu la République populaire de Chine en 1975, qu’elle a conclu en 1985 un accord de commerce et de coopération, que les deux partenaires ont établi en 2003 un partenariat stratégique et ont ouvert, en 2006, des négociations sur un nouvel accord cadre pour remplacer l’accord obsolète de 1985, qui n’ont toujours pas abouti, en dépit d’un dispositif de dialogues économique, commercial et stratégique ;
Prenant acte des résultats encourageants mais limités du quatorzième sommet entre l’Union européenne et la Chine à Pékin, le 14 février 2012 ;
1. Estime indispensable que l’Union européenne surmonte les divergences entre États membres pour définir une stratégie ambitieuse à la mesure de ses atouts de première zone commerciale mondiale et qu’elle assure le respect par les États membres de ses priorités et intérêts communs ;
2. Considère que l’Union européenne doit prendre en compte le système productif régional intégré dont la Chine est le moteur, et inscrire le développement de son partenariat commercial et stratégique avec la Chine dans une vision plus large englobant l’Asie et ne négligeant pas les autres pays de la région dans une approche trop fragmentée ;
3. Rappelle que la Chine bénéficie de l’accès au marché européen et juge que sa participation éventuelle aux opérations du Fonds européen de stabilité financière et du Mécanisme européen de stabilité ne doit pas se traduire par des concessions spécifiques de la part de l’Union européenne ;
4. Souligne la nécessité pour l’Union européenne de compléter sa politique commerciale par le développement d’une politique industrielle et de compétitivité encourageant l’innovation et la protégeant par la création d’un marché unique des droits de propriété intellectuelle ;
5. Demande à l’Union européenne de soutenir l’accès de ses petites et moyennes entreprises aux marchés globaux ;
6. Estime que l’Union européenne ne doit accorder le statut d’économie de marché à la Chine qu’à la condition que celle-ci remplisse effectivement les critères définis par l’Union européenne ;
7. Se félicite de la révision du règlement sur le système des préférences généralisées accordant à la Chine le bénéfice de préférences unilatérales non justifiées et recommande à la Commission européenne d’utiliser, autant que de besoin, les instruments de défense commerciale et la saisine de l’Organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce ;
8. Rappelle qu’imposer strictement aux produits importés les normes européennes ne constitue pas du protectionnisme, dans la mesure où ces normes ne sont pas discriminatoires ;
9. Demande à la Commission européenne d’accentuer sa lutte contre les produits de contrefaçon qui portent atteinte aux efforts d’innovation et de qualité des entreprises européennes et à la santé publique et insiste pour que la Chine adhère à l’accord international de lutte contre la contrefaçon ;
10. Estime indispensable que la Commission européenne mette en œuvre un mécanisme permettant de s’assurer que les investissements étrangers réalisés dans l’Union européenne n’aient pas pour objet ou pour effet de capter les bénéfices des innovations technologiques dans des domaines essentiels au développement de l’économie européenne ;
11. Demande aux États membres de contrôler le respect des normes sociales en vigueur sur leur territoire par les entreprises étrangères qui emploient des travailleurs originaires de leur pays ;
12. Invite la Commission européenne à négocier un accord sur les investissements afin de réduire les barrières non tarifaires contraignantes qui n’existent pas au sein de l’Union européenne, d’établir l’égalité de traitement dans l’accès au marché chinois dans des secteurs actuellement interdits ou restreints et de défendre la propriété intellectuelle, notamment par la suppression de l’obligation de constituer des entreprises partagées (« joint venture ») avec ou sans transfert forcé de technologie ;
13. Appelle la Commission européenne à prendre une initiative sur les marchés publics afin de clarifier les règles européennes permettant d’encadrer les offres anormalement basses et l’utilisation d’aides d’État et de définir le traitement des entreprises de pays n’ayant pas souscrit à l’Accord plurilatéral sur les marchés publics (AMP) et lui demande d’introduire une clause de réciprocité prévoyant que l’Union européenne n’ouvre ses marchés que si le pays tiers accorde un accès comparable et effectif à ses marchés publics ;
14. Souhaite que l’Union européenne poursuive ses efforts afin de faire avancer les négociations multilatérales dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce pour introduire des normes sociales et environnementales et faire progresser le volet « services »;
15. Estime qu’il ne peut y avoir de dialogue concret avec la Chine sans que soit posée la question du taux de change et de la convertibilité de la monnaie chinoise ;
16. Appelle la Chine à éliminer les restrictions d’exportations de matières premières et de terres rares auxquelles elle pourrait procéder, après sa récente condamnation par l’Organisation mondiale du commerce pour sa politique discriminatoire en la matière ;
17. Invite tous les États membres, en particulier les plus grands, à s’accorder sur une position commune avant d’entreprendre une démarche individuelle sur la question des droits de l’Homme et à se soutenir mutuellement au cas où la Chine essaierait de les isoler, afin de ne pas affaiblir la position de l’Union européenne sur cette question majeure ;
18. Considère que l’Union européenne doit renforcer la promotion des valeurs démocratiques et du respect des droits de l’Homme dans son dialogue avec la Chine, au moment où le changement du modèle économique chinois, nécessitant une ouverture vers la société civile et l’octroi de la liberté intellectuelle en faveur de l’innovation technologique, pourrait favoriser une évolution vers la démocratie.
ANNEXE 1 :
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS
Les rapporteurs tiennent à témoigner leur gratitude à l’ensemble des personnalités avec lesquelles ils se sont entretenus dans le cadre de la préparation de ce rapport d’information.
***
Ø À Paris :
§ Ambassade de Chine en France :
- S.E. M. Kong Quan, ambassadeur de Chine à Paris.
§ Ministère des affaires étrangères et européennes :
- M. Patrick Allard, consultant, Direction de la prospective ;
- M. Paul Jean-Ortiz, directeur d’Asie et Océanie ;
- M. Guillaume Roy, rédacteur, Direction d’Asie et d’Océanie ;
- M. Nicolas Suran, adjoint au chef de service des relations extérieures de la communauté et de l’Union européenne.
§ Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie :
- M. Renaud Lassus, sous-directeur, « Politique commerciale et investissement », service des affaires multilatérales et du développement à la Direction générale du Trésor ;
- M. Vincent Marinet, adjoint au chef du bureau « Politique commerciale, OMC et accords commerciaux de l’Union européenne », service des affaires multilatérales et du développement à la Direction générale du Trésor.
§ Ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement :
- M. Raymond Cointe, directeur des affaires européennes et internationales ;
- M. Hervé Boisguillaume, sous-directeur des échanges internationaux ;
- M. Benoît Piguet, conseiller du secrétaire général.
§ Chercheurs :
- Mme Fabienne Clérot, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) ;
- M. Jean-Luc Domenach, directeur de recherche au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) et à l’Institut d’études politiques de Paris ;
- Mme Sybille Dubois Turner, directrice générale du comité franco-chinois au Medef international ;
- M. François Godement, directeur du Centre Asie à l’Institut d’études politiques de Paris ;
- M. Emmanuel Guérin, directeur du pôle environnement à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) ;
- M. Richard Herd, chef du bureau Chine à l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) ;
- Mme Françoise Nicolas, chercheur au Centre Asie à l’Institut d’études politiques de Paris et à l’Institut français des relations internationales (IFRI) ;
- M. Yves Tiberghien, chercheur associé au Centre Asie.
Ø À Bruxelles :
§ Commission européenne et Service européen d’action extérieure (SEAE)
- M. Jean-Luc Demarty, directeur général de la Direction générale du Commerce ;
- M. Filip Deraedt, coordinateur des politiques, Direction générale du Commerce ;
- Mme Helena Konig, chef de l’unité « Relations commerciales avec l’Extrême Orient », Direction générale du Commerce ;
- M. Antongiulio Marin, chef de l’unité « Financement climat et déforestation », Direction générale de l’action pour le climat ;
- M. David O’Sullivan, directeur général administratif du SEAE.
§ Parlement européen :
- M. Henri Weber, député européen ;
- M. Jonas Condomines Béraud, chef d’unité, Direction générale pour les politiques externes de l’Union, Direction régions, unité Asie, Australie et Nouvelle-Zélande.
§ Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne :
- M. Laurent Cabrera, conseiller économique chargé des relations avec l’Asie.
§ Organisations professionnelles et syndicales :
- M. Adrian van den Hoven, directeur pour les relations internationales, Département des relations internationales de Businesseurope ;
- M. Tom Jenkins, conseiller à la Confédération européenne des syndicats (CES) ;
- Mme Bernadette Segol, secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (CES).
Ø En Chine :
- Mme Qi Xia Xia, directrice adjointe à la direction des organisations et conférences internationales, chargée des droits de l’Homme, ministère chinois des affaires étrangères ;
- Mme Hua Chunying, conseillère spéciale, Direction Europe, ministère chinois des affaires étrangères ;
- M. Zha Peixin, vice-président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée populaire nationale ;
- M. Zhang Jianguo, directeur adjoint du Bureau d’Europe occidentale du Département de liaison internationale du Parti communiste chinois ;
- Mme Carmen Cano, chargée d’affaires de la Délégation de l’Union européenne ;
- Professeur Shi Dan, directrice du Centre « Europe-China Clean Energy » ;
- Mme Zhou Hong, directrice de l’Institut d’études européennes de l’Académie des sciences sociales (CASS) ;
- M. Cui Hongjian, directeur chargé de l’Europe à l’Institut chinois des études internationales (CIIS) ;
- M .Feng Zhongping, directeur de l’Institut des études européennes du « China Institute of Contemporary International Relations » (CICIR) ;
- M. Gilbert Van Kerckhove, président du groupe de travail sur les marchés publics de la Chambre de commerce de l’Union européenne en Chine ;
- M. Dirk Moens, directeur général de la Chambre de commerce de l’Union européenne en Chine ;
- M. Paul Ranjard, président du groupe de travail sur la propriété intellectuelle de la Chambre de commerce de l’Union européenne en Chine ;
- M. Cédric Denis-Rémis, directeur exécutif de l’Institut sino-européen sur les énergies propres et renouvelables (ICARE).
§ Ambassade de France en Chine :
- S.E. Mme Sylvie Berman, ambassadeur ;
- Mme Christine Da Luz, conseillère juridique, magistrat ;
- Colonel Loïc Fouart, attaché de défense ;
- Mme Sophie Maysonnave, deuxième secrétaire ;
- M. Rodolphe Pellé, conseiller économique au service économique régional ;
- M. Denis Quenelle, attaché de coopération technique ;
- M. Thierry de Wilde, conseiller de sécurité intérieure.
ANNEXE 3 :
COMPARAISON ENTRE LES POIDS ÉCONOMIQUES RESPECTIFS DE LA CHINE ET DE L’EUROPE SUR LE LONG TERME
1. Le poids économique de la Chine sur le long terme - données quantitatives
Les estimations parmi les plus complètes sont celles publiées par l’OCDE en 2007 à partir des travaux du statisticien Angus Maddison, sou le titre Chinese economic performance in the long run - 930-2030. Ces estimations permettent de restituer dans un graphique l’évolution du poids relatif des différentes économies en termes de pourcentage du PIB mondial(91) :
Trois phases doivent être distinguées :
- avant 1920 le PIB de la Chine représente jusqu’à 33 % du PIB mondial :
• au tournant de l’an mil, le PIB de la Chine représente 22,7 % du PIB mondial, derrière l’Inde (28,9 %) et très nettement devant l’Europe (8,7 %) ;
• entre 1000 et 1300, la Chine connaît une période de croissance soutenue, qui la fait passer devant l’Inde comme première économie avec environ 25 % du PIB mondial. Les deux siècles de relative stagnation qui suivent (1300-1500) ne remettent pas en cause fondamentalement cette hiérarchie, même si l’écart avec l’Europe se resserre.
• à partir de 1500 commence une nouvelle période de croissance forte, qui permet à al Chine de creuser à nouveau l’écart (29 % du PIB mondial en 1600 contre 20 % pour l’Europe). Sans doute la crise sévère qui marque la fin de la dynastie Ming (milieu du XVIIe siècle) fait-elle perdre ponctuellement à la Chine sa place de no 1. Mais elle ne modifie pas la tendance d’ensemble, qui reprend de plus belle à partir de 1700 :
i) l’économie chinoise croît plus vite que l’économie européenne ;
ii) la Chine est parfaitement intégrée dans le jeu du commerce mondial et bénéficie pleinement des retombées économiques de la découverte de l’Amérique (on estime que sur les 400 millions de dollars d’argent extraits d’Amérique entre 1571 et 1821, la moitié a servi à l’achat de produits chinois par les pays occidentaux) ;
iii) une balance commerciale largement excédentaire (la Chine exporte massivement des produits manufacturés - soie tissée, porcelaine, meubles à destination des pays occidentaux) permet à la Chine d’accumuler d’importantes réserves monétaires (argent).
- entre 1820 et 1950, le poids relatif de la Chine dans l’économie mondiale s’effondre :
• en 1820, le PIB de la Chine atteint le seuil des 33 % du PIB mondial, devant celui de l’Europe (23,5 %) et celui de l’Inde (16,4 %) ;
• en 1870, il est en valeur absolue inférieur de 16,9 % à celui de 1820 ; en valeur relative, il ne représente plus que 17 % du PIB mondial, loin derrière l’Europe (33,6 %). Le minimum relatif est atteint en 1950 (4,5 % du PIB mondial).
- à partir des années 1970 la Chine commence à récupérer progressivement son niveau « historique » (23 % du PIB mondial estimé en 2030). L’appréciation exacte de cette tendance et de ses conséquences pour nous suppose, au-delà des chiffres bruts, une analyse des causes réelles qui expliquent les variations de puissance au cours des deux phases précédentes.
2. Le poids économique de la Chine dans le temps long - analyse qualitative
L’explication du poids relatif de l’économie chinoise avant 1820 ne se réduit pas au seul facteur démographique et requiert une analyse qualitative (sur cette question on peut se référer à l’ouvrage fondateur de Mark Elvin, The Pattern of the Chinese Past, Stanford University Press, 1973).
La première période de croissance (entre 1000 et 1300) s’appuie sur la diffusion d’innovations techniques (agriculture, transport, tissage, monnaie papier) qui rendent possible, en même temps qu’un doublement de population, un accroissement du PIB par habitant. En 1300, le PIB par habitant est plus élevé en Chine qu’il ne l’est en Europe, alors même que la population est deux fois plus nombreuse.
La seconde période de croissance (entre 1500 et 1820) s’appuie sur le développement des facilités de commerce, de crédit et de transport, les changements dans l’organisation du travail et la répartition de la propriété, l’abondance de la main-d’œuvre, sans percées techniques significatives. Mais au début du XIXe siècle, l’économie chinoise se trouve prise dans un triple piège : i) rendements décroissants ; ii) stagnation du PIB par habitant ; iii) crise des finances publiques et accroissement de la pression fiscale. Le ressort de la croissance est cassé, et l’incapacité des pouvoirs publics à coordonner une politique d’industrialisation à l’échelle de l’empire (ce que réussit le Japon) et à redresser les finances publiques précipite l’effondrement face aux économies industrialisées.
1 () La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.
2 () Voir l’indispensable rapport sur « L’émergence de la Chine : impact économique et implications de politique économique », de MM. Patrick Artus et Jacques Mistral et de Mme Valérie Plagnol, suivi des commentaires de MM. Benoît Coeuré et Jean Pisani-Ferry dont sont extraits de nombreux tableaux et graphiques figurant dans le présent rapport (Conseil d’analyse économique, septembre 2011).
3 () Voir « L’Europe et l’évolution du modèle chinois » par Mme Denise Flouzat-Osmont d’Amilly, Revue Politique étrangère, 2/2011.
4 () Voir le débat entre MM. Artus et Mistral et Mme Plagnol, et MM. Coeuré et Pisani-Ferry, supra.
5 () Selon l’expression de M. Nicolas Baverez rappelée par Mme Fabienne Clérot dans : « Le tournant de l’émergence », Société de stratégie – Agir n° 46 : « La Chine au milieu du monde », mai 2011.
6 () Voir le dossier du journal « Le Monde », 4 octobre 2011.
7 () Mme Fabienne Clérot, Médias et pouvoir en Chine, Revue Choiseul, 24.
8 () « La déconstruction européenne ? », Revue Politique étrangère, 4.2011.
9 () COM (2003) 533 final du 10 septembre 2003.
10 () Voir l’analyse de la notion de partenariat stratégique par Antoine Sautet, « L’Europe et la Chine : une coopération aux dimensions juridiques complexes », février 2008, Institut français des relations internationales.
11 () R. Balock, « La notion de partenariat en droit communautaire ».
12 () « Les relations commerciales Union européenne-Chine », Parlement européen, direction générale des politiques externes, juillet 2011.
13 () « Les relations commerciales Union européenne-Chine », Parlement européen, direction générale des politiques externes, juillet 2011.
14 () « Les instruments de défense commerciale de l’Europe », rapport d’information no 472 de Jean Bizet au nom de la Délégation pour l’Union européenne du Sénat, 2 mars 2007.
15 () « Les instruments de défense commerciale de l’Europe dans une économie mondiale en mutation », (COM (2006) 763 final), 6 décembre 2006.
16 () Inde : 208 mesures antidumping ; Turquie : 121 mesures antidumping ; Argentine : 92 mesures antidumping.
17 () European Business in China position paper, 2009-2010.
18 () China Overseas engineering group.
19 () Entretien à Euroactiv du 31 août 2010.
20 () « Dans la perspective du sommet Union européenne-Chine en particulier, l’Union européenne devrait s’employer à faire valoir ses intérêts stratégiques, notamment en ce qui concerne la promotion des échanges commerciaux bilatéraux, l’accès au marché pour les biens et services et les conditions d’investissement, la protection des droits de propriété intellectuelle et l’ouverture des marchés publics, le renforcement de la discipline dans le domaine des subventions à l’exportation, et le dialogue sur les politiques de change », CO EUR 16, CONCL 3.
21 () « Commerce, croissance et affaires mondiales- La politique commerciale au cœur de la stratégie Europe 2020 », 9 novembre 2010, COM (2010) 612 final.
22 () En réaction, la Chine a imposé des droits antidumping sur les exportations en provenance de l’Union européenne.
23 () Bauxite, coke, fluorspar, magnésium, manganèse, silicon carbide, silicon metal, phosphore, zinc.
24 () Dont trois produits français : le roquefort, le comté et les pruneaux d’Agen.
25 () Comme le thé Longjing reconnu par l’Europe qui reconnaît neuf autres indications géographiques protégées chinoises.
26 () « Rapport sur le développement humain- 2011 », programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
27 () Les économies sont divisées selon le revenu national brut par habitant, selon la Banque mondiale qui distingue quatre groupes : pays à faible revenu (975 dollars ou moins), pays à revenu moyen inférieur (de 976 à 3 855 dollars), pays à revenu moyen supérieur (de 3 856 à 11 905 dollars) et pays à revenu élevé (supérieur à 11 906 dollars).
28 () Ce système avait été préconisé en 1968 par la CNUCED (Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement) afin de promouvoir le commerce comme outil de développement.
29 () Accord de libre-échange signé en 2010 avec la Corée, négociations en cours avec les pays de l’ASEAN (Association des pays de l’Asie du Sud Est).
30 () « Relations entre l’Union européenne et la Chine : rapprochement des partenaires, accroissement des responsabilités », COM (2006) 631 final.
31 () En 2009, neuf accords de coopération ont été signés dont la fenêtre de coopération extérieure Erasmus volet Chine, Centre des énergies propres Europe-Chine (CE2), protocole d’accord sur l’hygiène et la sécurité au travail, plan d’action en matière de coopération douanière entre la Communauté européenne et la Chine en ce qui concerne les moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle.
32 () « Accroître l’impact de la politique de développement de l’Union européenne : un programme pour le changement », COM (2011) 637 final, 13 octobre 2011.
33 () Communication de la Commission européenne « Renforcer la place de l’Europe dans le monde – Un budget extérieur 2014-2020 pour respecter les engagements de l’Union et promouvoir les valeurs partagées », COM (2011) 865 final, 7 décembre 2011.
34 () En l’absence de statut d’économie de marché, l’Europe évalue les prix des produits chinois exportés vers l’Europe en les comparant à ceux d’autres pays, jugés équivalents qui ont un statut d’économie de marché. Lorsque ces prix sont supérieurs à ceux de la Chine, cela conduit à imposer des taxes antidumping.
35 () Les autres critères sont : l’absence de moyens d’échange tels que le troc, l’utilisation de normes comptables modernes et appropriées, existence de lois en matière de faillite et de propriété intellectuelle.
36 () 81 pays ont accordé à la Chine le statut d’économie de marché, dont la Russie, le Brésil, la Nouvelle-Zélande, la Suisse, l’Australie mais pas les États-Unis, l’Union européenne ni le Japon.
37 () Voir l’étude du CEPII (centre d’études prospectives et d’informations internationales), « Mondialisation et grands pays émergents : la concurrence de l’Inde et de la Chine détruit-elle des emplois ? », 1er septembre 2007.
38 () Etude économique de la Chine, OCDE (Organisation de coopération et de développement économique). 2010.
39 () « L’émergence de la Chine », Conseil d’analyse économique, septembre 2011.
40 () « Le commerce extérieur de la Chine : bilan et nouvelles orientations stratégiques », Françoise Lemoine et Deniz Ünal, Centre d’études prospectives et d’informations internationales ; contribution au rapport du Conseil d’analyse économique, « L’émergence de la Chine », précité.
41 (« Le commerce extérieur de la Chine : bilan et nouvelles orientations stratégiques », Françoise Lemoine et Deniz Ünal, Centre d’études prospectives et d’informations internationales ; contribution au rapport du Conseil d’analyse économique, « L’émergence de la Chine », précité.
42 () Il convient de noter le rôle particulier des Pays-Bas en tant que deuxième importateur de l’Union européenne, avec 16 % des exportations chinoises : cette part importante est principalement due au rôle du port de Rotterdam dans les importations.
43 () « Les relations commerciales UE Chine », Parlement européen, direction générale des politiques externes, juillet 2011.
44 () « La Chine et les États désunis d’Europe », Arnaud de la Grange, Le Monde, 1er décembre 2009.
45 () « Pourquoi la Chine va aider l’Europe ? », Telos, novembre 2011.
46 () « Les entreprises françaises et allemandes en Chine : des pratiques de management contrastées dans un contexte en mutation », Centre d’études et de recherches internationales (CERI), no 176-177, septembre 2011.
47 () « Les relations commerciales Union européenne Chine », Parlement européen, direction des politiques externes, juillet 2011.
48 () Selon la définition du Bureau international du travail, les zones franches d’exportation sont des zones industrielles proposant des mesures d’incitation particulières en vue d’attirer des investisseurs étrangers, dans lesquelles les produits importés subissent un certain nombre de transformation avant d’être réexportés ». La typologie du BIT divise les ZFE en trois catégories : zones économiques spéciales (ZES), les zones libres industrielles (ZLI) et les zones d’entreprises (ZE). Les ZFE ont démarré en Chine en tant que ZES à Shenzhen, Zhuhai, Shantou et Xiamen en 1980. Ces quatre zones se sont ensuite étendues à quatre villes côtières ouvertes comme Dalian, Tianjin, Nantong, Shanghai, Guangzhou… L’ensemble de la province de Hainan est devenu une ZES en 1985 et la même année, le delta de la rivière Yangzi, le delta de la rivière des perles, les provinces Heibi et Guangxi sont devenues des zones côtières ouvertes. Au cours des années qui ont suivi, des ouvertures ont été adoptées dans la plupart des capitales provinciales et dans certaines villes frontalières. À la fin 1992, la Chine avait établi 60 ZFE (5 ZES, 15 villes côtières ouvertes, 8 villes longeant une rivière, 14 zones de coopération économique frontalière, deux zones de commerce mutuel).
49 () « Les zones franches d’exportation en Chine », Xialan Fu et Yuning Gao, rapport au Bureau international du travail, 31 octobre 2007.
50 () « Que nous apprend la littérature de recherche économique sur les caractéristiques structurelles de la Chine ? », Patrick Artus, Contribution au rapport du Conseil d’analyse économique « L’émergence de la Chine », septembre 2011.
51 () Voir l’étude du CERI (Centre d’études et de recherches internationales) « Les entreprises françaises et allemandes en Chine : des pratiques de management contrastées dans un contexte en mutation », no 176-177, septembre 2011.
52 () « Les relations commerciales Union européenne-Chine », Parlement européen, direction générale des politiques externes, juillet 2011.
53 () Voir l’étude du CERI (Centre d’études et de recherches internationales) « Les entreprises françaises et allemandes en Chine : des pratiques de management contrastées dans un contexte en mutation », no 176-177, septembre 2011.
54 () « L’émergence de la Chine », Conseil d’analyse économique.
55 () « Les entreprises françaises et allemandes en Chine : des pratiques de management contrastées dans un contexte en mutation », no 176-177, septembre 2011.
56 () Entre 2004 et 2010, un cinquième des investissements directs étrangers entrant dans l’Union européenne venaient des centres financiers offshore. Les deux tiers des investissements chinois transitent par Hong Kong.
57 () L’essentiel de l’écart porte sur les flux vers le Luxembourg.
58 () « Les investissements chinois en Europe : un défi politique », Françoise Lemoine, La vie des idées, 31 octobre 2011.
59 () F. Godement et J. Parello-Plesner « The scramble for Europe », the European Council on foreign relations, juillet 2011.
60 () L’accord multifibres régissait le commerce international dans la filière textile depuis 30 ans par des quotas d’importation. Il a pris fin en 2005 et en 2008 pour la Chine. Ce système de quotas avait été instauré pour protéger les industries du Nord face à l’ouverture progressive des marchés aux produits textiles des pays du Sud, beaucoup plus compétitifs en raison du faible coût de leur main-d’oeuvre. Mais s’ils ont limité les exportations des grands producteurs comme la Chine ou l’Inde, les quotas ont aussi garanti l’accès aux marchés pour d’autres pays moins compétitifs comme la Tunisie, l’Ile Maurice ou la République dominicaine. Les importateurs peuvent désormais choisir librement leurs fournisseurs. Les nouvelles règles ont joué en faveur de la Chine, l’un des seuls pays à pouvoir réaliser toutes les étapes de la production sur son territoire. La Chine est de loin le premier exportateur d’habillement au monde et le premier fournisseur de la France, avec 26 % des importations d’habillement de la France en 2007.
61 () Elle n’a pas choisi d’adhérer aux accords commerciaux plurilatéraux qui demeurent facultatifs, comme l’accord sur les marchés publics.
62 () Droit de douane moyen appliqué à la nation la plus favorisée (NPF), compte tenu des crêtes tarifaires et sachant que la structure tarifaire de la Chine est parfois complexe et que des droits provisoires peuvent être appliqués ; source : Parlement européen, direction générale des politiques externes.
63 ()« L’émergence de la Chine », Conseil d’analyse économique, septembre 2011.
64 () General Agreement on tariffs and trade, accord général sur les tarifs douaniers et le commerce.
65 () Voir le rapport d’information no 4011 présenté par M. Hervé Gaymard et Mme Marietta Karamanli sur les négociations du cycle de Doha et l’avenir de l’Organisation mondiale du commerce au nom de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, 29 novembre 2011.
66 ( )« L’émergence de la Chine », Conseil d’analyse économique, septembre 2011.
67 ( ) ans, ainsi qu’un rapport final la dixième année, des politiques commerciales de la Chine par les seize organes subsidiaires de l’OMC dont le mandat couvre les engagements de la Chine au titre de l'accord sur l'OMC. Ces organes présenteront un rapport au Conseil de l’OMC compétent, lequel présentera également un rapport au Conseil général à la fin de l’année. Le dernier examen aura lieu en 2009.
68 () Le mécanisme d’examen des politiques commerciales de l’OMC effectue des examens périodiques des politiques commerciales de tous les membres, dans le cadre desquels le secrétariat de l'OMC et le membre dont les politiques commerciales sont examinées soumettent des rapports qui sont analysés lors d'une réunion de l'organe d'examen des politiques commerciales. Les autres membres peuvent formuler des questions et exprimer leurs préoccupations, auxquelles le membre faisant l'objet de l'examen peut répondre. En vertu de la loi sur les relations États-Unis-Chine de 2000, le représentant des États-Unis pour les questions commerciales est tenu de présenter chaque année au Congrès un rapport sur le respect par la Chine des obligations de l’OMC. La Congressional Executive Commission on China présente des rapports annuels en la matière.
69 () Position paper 2011/2012 du 8 septembre 2011.
70 () Rapport sur les barrières aux échanges et aux investissements par Robert Sturdy, 2011/2115(INI), 18 octobre 2011.
71 () « Les relations commerciales Union européenne-Chine », Parlement européen, direction des politiques externes, juillet 2011.
72 () Bulletin économique « Chine » no 35, service économique de l’ambassade de France en Chine, avril 2011.
73 () « L’émergence de la Chine », Conseil d’analyse économique, juillet 2011.
74 () Idem.
75 () Par exemple, seuls les pneumatiques répondant aux normes chinoises sont autorisés.
76 () Voir note du service économique de l’ambassade de France en Chine, Bulletin économique Chine no 35.
77 () Construction et gestion d’usines de traitements des eaux, recyclage des déchets, technologies de prévention et de réparation des risques environnementaux, stations de rechargement et d’échanges de batteries de véhicules électriques, liquéfaction du charbon, systèmes de contrôle de la pollution de l’air et de l’eau…
78 () « L’émergence de la Chine », Conseil d’analyse économique, juillet 2011.
79 () La France enregistrerait un manque à gagner de plus de 6 milliards d’euros.
80 () Plusieurs pays (Hong Kong, Emirats arabes unis, Turquie) sont des pays de transit.
81 () Lacoste a perdu son procès contre la société singapourienne Crocodile International Limited qui l’accusait de contrefaçon sur ses produits en Chine. La marque aurait copié le design de crocodile international d’après la Cour de Shanghai. Lacoste n’a déposé son crocodile qu’en 1995 en Chine.
82 () « European Union foreign direct investment in China : evidence from a panel study of European manufacturing firms, 1998-2007 », Huifen Cai et Yilmaz Gunez, 2008.
83 () Construction et maintenance des bâtiments gouvernementaux, technologies de l’information, équipements de bureaux, flotte automobile ministérielle, achat de services pour les bâtiments ministériels…
84 () Energies renouvelables, production et distribution d’énergie, canalisations et égouts, fourniture et transports de l’eau, la plupart des grands projets dont par exemple, ceux liés aux Jeux olympiques de 2008.
85 () À noter qu’aucun BRICS n’est partie à cet accord.
86 () WT/TPR/S/230 du 26 avril 2010.
87 () Matériel informatique, matériel de télécommunications, équipements de bureau modernes, programmes informatiques, nouvelles formes d’énergie et produit à haute efficacité énergétique.
88 () Bauxite, coke, spath fluor, magnésium, manganèse, silicium métal, carbure de silicium, phosphore jaune et zinc.
89 () Ecrans plasmas, diodes électroluminescentes, lasers de guidage pour les applications militaires…
90 () « L’Union européenne au cœur du projet de régulation mondiale porté par le G20 ». Rapport d’information no 3784 de MM. Herbillon, J. Lambert, C. Caresche, B. Deflesselles et R. Lecou au nom de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, 4 octobre 2011.
91 () Source : ministère des affaires étrangères et européennes. Graphique élaboré par la Direction de la prospective du ministère des affaires étrangères et européennes, sur la base des estimations données dans l’ouvrage cité. La représentation du temps est déformée par la multiplication des données à partir de 1820.