N° 4450 - Rapport d'information de MM. Hervé Gaymard et Michel Lefait déposé par la commission des affaires européennes sur les enjeux européens de la numérisation de l'écrit




No 4450

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 mars 2012.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES(1)

sur
les enjeux européens de la numérisation de l’écrit,

ET PRÉSENTÉ

PAR MM. Hervé GAYMARD et Michel LEFAIT,

Députés

——

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Michel Herbillon, Jérôme Lambert, Didier Quentin, Gérard Voisin vice-présidents ; M. Jacques Desallangre, Mme Marietta Karamanli, MM. Francis Vercamer secrétaires ; M. Alfred Almont, Mme Monique Boulestin, MM. Pierre Bourguignon, Yves Bur, Patrice Calméjane, Christophe Caresche, Philippe Cochet, Jean-Yves Cousin, Bernard Deflesselles, Lucien Degauchy, Michel Diefenbacher, Jean Dionis du Séjour, Marc Dolez, Daniel Fasquelle, Pierre Forgues, Mme Marie-Louise Fort, MM. Jean-Claude Fruteau, Jean Gaubert, Hervé Gaymard, Guy Geoffroy, Mme Annick Girardin, M. Philippe Gosselin, Mmes Anne Grommerch, Pascale Gruny, Elisabeth Guigou, Danièle Hoffman-Rispal, MM. Régis Juanico, Robert Lecou, Michel Lefait, Lionnel Luca, Philippe Armand Martin, Jean-Claude Mignon, Pierre-Alain Muet, Jacques Myard, Michel Piron, Mmes Chantal Robin-Rodrigo, Valérie Rosso-Debord, Odile Saugues, MM. André Schneider, Philippe Tourtelier.

SOMMAIRE

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Pages

RÉSUMÉ DU RAPPORT 7

INTRODUCTION 9

PREMIÈRE PARTIE : LA NUMÉRISATION DE L’ÉCRIT OUVRE UNE ÈRE NOUVELLE 11

I. LES NOUVELLES TECHNIQUES 11

A. LE PRINCIPE ET LES OBJECTIFS DE LA NUMÉRISATION()11

1. Le principe de la numérisation 11

2. Les objectifs de la numérisation 11

B. LES DIFFÉRENTES TECHNIQUES DE NUMÉRISATION 12

1. Le mode image 12

2. Le mode texte 12

3. Le mode vectoriel 13

C. LES FORMATS 13

1. Le format PDF 14

2. Le format ePub 14

3. Les difficultés des différents formats 15

D. LIVRE « NUMÉRISÉ » ET LIVRE « NUMÉRIQUE » 16

1. Essai de définition 16

2. Le livre « numérisé » 16

3. Le livre « numérique » 16

II. ÉVOLUTION OU RÉVOLUTION ? 17

A. L’APPARITION DE NOUVEAUX MATÉRIELS ET UNE ÉVOLUTION ENCORE TÉNUE DE LA CHAÎNE DU LIVRE 17

1. L’apparition de nouveaux matériels 17

a) Les scanners 17

b) Les liseuses 18

(1) Les appareils spécialisés 18

(2) Les appareils non spécialisés 18

2. Une évolution encore ténue de la chaîne du livre 19

B. LE DÉVELOPPEMENT DE NOUVEAUX MARCHÉS 20

1. Le marché des liseuses 20

2. Le marché du livre électronique 21

a) France 21

b) Allemagne 22

c) Espagne 22

d) Italie 22

e) Grande-Bretagne 22

f) Les États-Unis 23

g) Le Japon 23

h) Les perspectives 23

C. L’IMPACT SUR LA LECTURE ET LA DIFFUSION DU SAVOIR 24

1. L’impact sur la lecture 24

2. L’impact sur la diffusion du savoir 25

DEUXIÈME PARTIE : LE DÉVELOPPEMENT DES ENTREPRISES DE NUMÉRISATION 27

I. LE PROJET GUTENBERG 27

II. GALLICA 29

III. LE MASTODONTE GOOGLE 31

A. LE PROGRAMME « BIBLIOTHÈQUES » 31

B. LE PROGRAMME « PARTENAIRES » 32

C. LE PROGRAMME « EDITIONS » 33

IV. LES AUTRES ENTREPRISES DE NUMÉRISATION 35

A. L’OPEN CONTENT ALLIANCE 35

B. LA WORLD DIGITAL LIBRARY 35

TROISIEME PARTIE : LA NUMERISATION EN EUROPE 37

I. LA SITUATION DE LA NUMERISATION EN EUROPE 37

II. LES ORIGINES D’EUROPEANA 39

A. LA CRÉATION DE DEUX RÉSEAUX : GABRIEL ET L’EUROPEAN LIBRARY 39

1. gabriel 39

2. L’European Library 39

B. LES DEUX INITIATIVES À L’ORIGINE D’EUROPEANA 40

1. La lettre du 28 avril 2005 des chefs d’État et de gouvernement 40

2. L’initiative « i2010 : bibliothèques numériques » 41

a) La communication de la Commission du 30 septembre 2005 41

b) La mise en œuvre de l’initiative « i2010 : bibliothèques numériques » 42

III. LA BIBLIOTHÈQUE EUROPÉENNE EUROPEANA 43

A. LA MISE EN PLACE D’EUROPEANA : LA COMMUNICATION DE LA COMMISSION DU 28 AOÛT 2009 43

1. Les problèmes juridiques 43

2. Les questions de financement et de gestion 44

B. LA SITUATION ACTUELLE D’EUROPEANA 44

1. europeana, portail de consultation 44

2. Le contenu d’Europeana 45

IV. QUELLES PERSPECTIVES POUR EUROPEANA ? 49

A. LE RAPPORT DE M. MARC TESSIER 49

B. LE RAPPORT DU COMITÉ DES SAGES 49

C. QUEL FINANCEMENT POUR EUROPEANA ? 50

D. LE FINANCEMENT DE LA NUMÉRISATION EN EUROPE 52

E. LE PROBLÈME DES RAPPORTS AVEC GOOGLE 53

QUATRIÈME PARTIE : UN IMPÉRATIF : RESPECTER LE DROIT D’AUTEUR 55

I. UN DROIT FONDAMENTAL EN BUTTE AU PIRATAGE DES LIVRES NUMÉRIQUES 55

A. LE PIRATAGE DES LIVRES NUMÉRIQUES 55

1. La situation en 2009 55

2. La situation en 2010 57

B. LA NÉCESSAIRE LUTTE CONTRE CE PIRATAGE 58

1. La lutte contre le téléchargement illégal: les « Digital Rights Management » 58

2. La lutte contre le téléchargement illégal : les procédures juridiques 60

II. LE PROBLÈME DES œUVRES ORPHELINES 61

A. DÉFINITION ET ENJEUX 61

1. Définition 61

2. Les enjeux des œuvres orphelines 61

a) Les enjeux juridiques() 61

b) Les enjeux culturels 62

B. L’ACTION EUROPÉENNE 63

1. Une action incitative restée peu suivie 63

2. La mise en place d’ARROW 64

3. La proposition de directive sur les œuvres orphelines 65

4. La loi française relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXème siècle 66

5. Comment éviter l’apparition de nouvelles œuvres orphelines ? 66

CINQUIEME PARTIE : PRESERVER LA CHAINE DU LIVRE NUMERIQUE 69

I. LE PRIX DU LIVRE NUMÉRIQUE EN EUROPE 69

A. LE PRIX DE VENTE DU LIVRE NUMÉRIQUE EN EUROPE 69

II. LA FISCALITÉ DES LIVRES NUMÉRIQUES 71

A. LA FISCALITÉ DES LIVRES NUMÉRIQUES EN EUROPE 71

B. LE CHOIX D’UNE APPROCHE DYNAMIQUE 71

C. DES PERSPECTIVES ENCOURAGEANTES POUR L’AVENIR 72

CONCLUSION 75

TRAVAUX DE LA COMMISSION 77

PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPEENNE 79

ANNEXES 81

ANNEXE 1 : PERSONNALITÉS ENTENDUES 83

ANNEXE 2 : COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE DU 21 JANVIER 2011 85

RÉSUMÉ DU RAPPORT

Les nouvelles technologies de la numérisation, ainsi que les nouveaux matériels comme les liseuses, ont entraîné l’apparition des livres numériques que l’on peut considérer comme une évolution du livre imprimé.

Les marchés de ces livres sont très différents selon les pays. Si, aux États-Unis, ils atteignent déjà 8 % du marché, ils sont encore peu importants en Europe (1,8 % en France) à l’exception de la Grande-Bretagne (6 %). Ils sont certainement appelés à se développer rapidement, leur impact sur la lecture et la diffusion du savoir étant diversement apprécié par les spécialistes.

Des entreprises de numérisation se sont développées depuis 1971, année du lancement du projet Gutenberg aux États-Unis. Gallica créée par la Bibliothèque nationale de France (BNF) en 1997, rassemble actuellement plus de 1,6 millions de documents.

Google a débuté son programme de numérisation en 2004 et a tissé, depuis, un important réseau d’accords avec des bibliothèques publiques et privées, ce qui lui a permis de numériser, à l’heure actuelle, 15 millions de volumes.

Face à ce défi, sur l’impulsion de plusieurs chefs d’États et de gouvernements, la Commission européenne a lancé, en 2008, la bibliothèque numérique européenne, Europeana. Europeana contient actuellement 19 millions d’objets en provenance des États membres dont les contributions sont très inégales, l’Allemagne et la France étant les principaux contributeurs.

Pour l’avenir, deux questions doivent être résolues concernant Europeana : celle du financement qui doit devenir pérenne et celle des œuvres orphelines, les œuvres encore sous droit mais dont les ayants droit sont soit inconnus soit introuvables, qui ont fait l’objet d’une récente proposition de directive par la Commission.


Comme la musique et les vidéos, le livre numérique n’échappe pas au développement d’un phénomène de piratage qui, globalement, reste encore peu élevé mais contre lequel il faut, dès à présent, lutter de manière résolue.

Pour préserver les chances de développement de ce livre numérique, il semble indispensable qu’il soit à la fois, comme la France vient de le faire, proposé à un prix unique et assujetti au même taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) que le livre imprimé.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

L’ordinateur était, jusqu’aux années 1970, cantonné aux sciences et aux techniques. On ne pouvait alors penser qu’il allait faire irruption dans la sphère de l’écrit, dans la galaxie Gutenberg.

En 1971, un étudiant de l’Université de l’Illinois crée le projet Gutenberg de numérisation des œuvres du domaine public pour les mettre à la disposition du plus grand nombre. Cela constituait ainsi la première manifestation de l’utilisation de l’électronique pour la diffusion de l’écrit, qui s’est accélérée, depuis cette époque, par l’explosion de l’utilisation d’Internet et le considérable développement des techniques de numérisation.

Les progrès de ces techniques ont été très rapides, surtout si on la compare à l’ancienneté des développements de ces techniques de l’écrit.

En effet, 4 300 ans se sont écoulés entre l’invention de l’écriture et celle du codex qui a remplacé les rouleaux de textes par des pages reliées ensemble permettant ainsi d’être feuilletées librement. 1 150 ans s’étendent entre le codex et l’imprimerie, 540 ans entre l’imprimerie et Internet et une dizaine d’années entre Internet et les livres électroniques.

Le livre imprimé doit donc maintenant affronter une concurrence croissante et devenue très sensible dans certains pays comme les États–Unis. La situation ainsi établie par des millénaires de culture écrite est ainsi en passe d’être bouleversée de façon radicale.

Mais ces techniques ne doivent pas être considérées comme une menace pour l’écrit mais représentent aussi une chance pour la diffusion et la sauvegarde du patrimoine écrit.

L’Europe qui possède un patrimoine culturel considérable, dispersé dans une multitude d’institutions publiques et privées, s’est ainsi engagée dans sa numérisation.

Sous l’impulsion d’un certain nombre de chefs d’États et de gouvernements, elle a entrepris, depuis 2008, d’édifier une bibliothèque numérique, Europeana, qui, après quelques difficultés de jeunesse, semble avoir pris un essor prometteur.

Cette initiative répondait à l’entreprise de Google de numérisation de masse lancée en 2004. Elle a pris, depuis, une avance énorme puisqu’elle aurait numérisé actuellement environ 15 millions de volumes, en tissant un important réseau de collaborations au niveau mondial avec des bibliothèques publiques et privées.

Google, à ses débuts au moins, a numérisé des œuvres sans aucun respect des droits des auteurs. Car la numérisation de l’écrit a entraîné le développement de piratage à l’instar de ce qui s’est passé dans le domaine de la musique et de la vidéo.

Elle a aussi permis de découvrir l’ampleur du problème posé par les œuvres orphelines. Celles-ci sont les œuvres non encore tombées dans le domaine public, mais dont les ayants droits sont soit inconnus soit introuvables.

Après une présentation des techniques de la numérisation, et des différentes entreprises qui se sont lancées dans ce domaine, on examinera la situation en Europe et celle d’Europeana. On réaffirmera ensuite l’impératif de respecter le droit d’auteur avant d’examiner comment préserver la chaîne du livre numérique à travers le problème de son prix et de sa fiscalité.

PREMIÈRE PARTIE :
LA NUMÉRISATION DE L’ÉCRIT OUVRE UNE ÈRE NOUVELLE

I. LES NOUVELLES TECHNIQUES

La numérisation d’un document est l’opération consistant à transformer un document physique en impulsions électriques par codification des intensités lumineuses et de la colorimétrie d’un document. On utilise pour cela un appareil numériseur, le scanner.

Celui-ci convertit les niveaux de lumière et les couleurs en données binaires. Le résultat peut alors être stocké dans un fichier informatique et édité dans un logiciel spécialisé.

La représentation numérique d’un texte peut se faire selon trois modalités : le mode image, le mode texte et le mode vectoriel qui présentent des caractéristiques et des possibilités différentes.

Les objectifs de la numérisation sont principalement les suivants :

- préserver et protéger des documents contre les risques d’altération,

- archiver des documents originaux et les dupliquer sans risque de dégradation,

- permettre la consultation et l’accès à des documents anciens ou rares,

- aider la recherche et valoriser des fonds documentaires,

- donner accès à la connaissance par des bibliothèques en ligne.

Le texte, considéré comme une image permettant de rendre seulement la forme des caractères, est représenté sur un mode photographique. Ce type de document est obtenu par numérisation directe du document.

Ces images sont constituées d’une grille de points appelés pixels. Chacun de ceux–ci peuvent être codés sur un certain nombre de bits en fonction du rendu désiré. On peut par exemple ainsi coder un pixel sur un bit (mode bitonal) pour une image en noir et blanc, sur huit bits pour une image en plusieurs niveaux de gris ou sur vingt-quatre ou plus pour une image en couleurs.

Il s’applique facilement aux textes récents et très contrastés. Par contre il nécessite des précautions pour traiter les documents faiblement contrastés, colorés ou tachés, ou dont l’encre est pâlie ou de densité variable. Dans le cas de documents anciens, il fait disparaître l’aspect particulier de leur support papier. Reproduisant un fac-simile électronique du document d’origine, le mode image permet d’en étudier la typographie, l’écriture ou les illustrations. Relativement simple à réaliser, il requiert cependant une description bibliographique du document(3) ce qui rend indispensable une indexation pour un accès aisé.

Ce mode présente deux inconvénients majeurs. Il exclut en effet toute possibilité de recherche à l’intérieur du document, par exemple par mot-clé. Il génère par ailleurs des fichiers de taille importante sur les supports de stockage.

Le mode image a été employé à la fin des années 1990 pour les débuts de numérisation à grande échelle, notamment le programme lancé en 1990 par la Bibliothèque nationale de France pour alimenter sa bibliothèque numérique Gallica.

Le mode texte ne permet d’afficher électroniquement que du texte, à l’exclusion, en principe, de toute image numérique.

Pour l’obtenir, deux solutions sont possibles.

La première consiste à saisir manuellement les textes. C’est une technique coûteuse en main d’œuvre et en temps. C’est cependant la seule envisageable pour la numérisation de textes manuscrits ou composés dans des polices anciennes. Cette technique est considérée comme très fiable lorsqu’il y a double saisie. Les erreurs ne portent alors pas sur les mêmes caractères.

L’autre technique consiste à utiliser un logiciel de reconnaissance optique de caractère (ROC ou OCR, Optical character recognition). A partir d’un document numérisé en image, le logiciel convertit la configuration des points en signes typographiques dont il déduit la valeur dans une table de codification comme, par exemple, l’ISO 8859-1 (ISO latin-1) ou comme l’ISO 10646 (UNICODE).

Les outils de reconnaissance ne sont pas encore totalement fiables et des erreurs assez nombreuses peuvent se glisser dans les textes. Ce type de technique est considérée comme peu adaptée aux documents comportant de nombreux noms propres, des formes grammaticales anciennes ou écrits en plusieurs langues.

Les documents de la bibliothèque numérique Gallica sont numérisés en partie en mode texte. C’est le cas des tables des matières et des sommaires afin de faciliter la recherche textuelle.

C’est une technique de représentation de forme par des équations mathématiques principalement utilisée dans le domaine du dessin assisté par ordinateur.

Le plus connu de ce type de format est le PDF (Portable Document Format) d’Adobe. Il présente deux avantages : un poids moyen des fichiers faible par rapport à l’équivalent en mode image et la possibilité de préserver la forme du document quel que soit le système de restitution. Il peut en outre indexer le texte et donc permettre une navigation entre les chapitres.

Les données numérisées stockées constituent des formats de fichiers dont les informations sont destinées à l’archivage et/ou à la publication. Les formats de fichiers indiquent le type d’organisation des fichiers.

Les formats de fichiers permettent d’échanger les données entre divers logiciels soit par connexion directe soit par l’intermédiaire d’autres fichiers.

Plusieurs formats numériques coexistent en fonction des supports de lecture.

A l’heure actuelle cinq formats principaux sont couramment utilisés : TXT, HTML, PDF, ePub, PCR/MOBI.

Les deux principaux formats numériques internationaux sont le PDF et l’ePub.

Le Portable Document File (PDF) a été créé en 1983 par la société Adobe Systems en même temps que le logiciel de lecture bien connu Acrobat Reader. Format aujourd’hui très répandu et peu coûteux, il est avant tout destiné à l’impression dans la chaîne de fabrication du livre papier.

C’est un langage de description de pages d'impression dont la spécificité est de préserver la mise en forme (polices d'écritures, images, objets graphiques…) telle qu'elle a été définie par son auteur, quelles que soient l'application et la plate-forme utilisées pour imprimer ou visualiser le fichier.

Ce format peut aussi être interactif car il est possible d'incorporer des champs de textes, des notes, des corrections, des menus déroulant, des choix, des calculs, etc.

Le PDF est par contre peu adapté aux petits écrans où il se lit difficilement. C’est donc un inconvénient eu égard à la diminution de la taille des lecteurs.

Le format electronic publication (ePub) a été proposé par l’International Digital publishing Forum, consortium industriel regroupant constructeurs, concepteurs de logiciels, éditeurs, libraires et spécialistes du numérique.

C’est un format ouvert, standardisé, conçu pour faciliter la mise en page du contenu, le texte affiché étant ajusté pour le type d'appareil de lecture. Il est aussi possible de modifier facilement la taille des caractères et des polices.

Ce format est compatible avec un grand nombre de supports grâce à sa capacité d’adaptation, à sa résolution de lecture et à sa modularité. Il peut également gérer des contenus multimédia, jouer de la musique ou afficher des vidéos au sein même du texte.

Ce format, qui a fait récemment l’objet d’une nouvelle mouture, l’ePub 3, est cependant conçu en priorité pour les livres à texte et pas pour ceux contenant beaucoup d’illustrations, de caractères spéciaux ou une typographie complexe.

Un certain nombre de formats autres existent en dehors de ces deux principaux. On peut citer, entre autres : le txt, le html, le ps… Certains sont propres à une marque sont des formats fermés comme le azw d’Amazon pour sa liseuse Kindle.

L’existence de différents formats interdit que les livres électroniques puissent être lus sur n’importe quelle liseuse.

L’existence de ces différents formats rend difficile le choix d’une liseuse car ils ne sont pas tous lisibles par tous les appareils du marché.

Une autre conséquence est le problème de la pérennité de la bibliothèque ainsi constituée en cas de changement de liseuse.

Mme Neelie Kroes, commissaire européen chargé de la stratégie numérique, a évoqué ce problème à la dernière Foire aux Livre de Francfort et a souhaité que soient prises en considération les possibilités d’interopérabilité. Elle a justifié ce souci en soulignant, avec juste raison, que cela donnerait d’abord plus de choix et de liberté aux consommateurs mais aussi que cela bénéficierait à des acteurs moins puissants sur le marché tels que les librairies indépendantes.

Un format standard européen serait certainement une excellente chose mais un certain nombre de problèmes se pose. En effet, si l’interopérabilité est possible, faudrait-il légiférer pour forcer les éditeurs possédant les droits des œuvres à s’y adapter ? Faudrait-il créer un nouveau format propre à l’Europe, au risque de nous isoler du marché mondial ? Enfin, comment imposer ces contraintes aux formats propriétaires comme le azw d’Amazon ?

Cette question devra trouver sans doute assez rapidement des solutions pour permettre le développement des livres numériques. Une réflexion devra s’engager sur ce thème.

Ces nouvelles techniques ont donné naissance à de nouveaux produits appelés de façon commune « livre électronique » (Ebook) en anglais et « livre numérique » en français. Mais ces appellations sont trop générales et il faut faire la distinction entre livre « numérisé » et livre « numérique ».

Un « livre électronique » se décompose pour le lecteur en deux ensembles distincts :

- le support de lecture constitué par la « machine à lire » et le logiciel de lecture,

- le contenu à lire, où les textes et les images, sont stockés dans un ensemble de fichiers informatiques constituant le livre « numérique ».

Il faut distinguer livre « numérisé » et livre « numérique » dans la mesure où ces produits sont en réalité très différents.

Le livre « numérisé » ou livre homothétique est une simple transposition à l’identique du livre papier. C’est une version électronique strictement identique à la version papier du point de vue du format, de la mise en forme… Envisagé de cette façon, le numérique n’offre que peu d’avantages au consommateur sauf en matière d’encombrement.

Les formats Pdf et EPub sont les plus utilisés avec une prédominance du premier. Toutefois, l’usage du EPub se développe fortement compte tenu de son ergonomie supérieure et de sa meilleure adaptation aux différents supports présents sur le marché.

Contrairement au livre « numérisé » simple fichier identique à la version papier, le livre « numérique » intègre des éléments de nature non textuelle tels que sons, images, vidéos, musiques…. Il peut aussi intégrer des outils de navigation permettant une lecture interactive. On peut aussi imaginer que ces ouvrages puissent être à la base de nouveaux services tels que mise à jour régulière, liens vers des contenus en ligne en relation avec le sujet, possibilités d’échanges avec d’autres lecteurs, l’auteur…

Il n’y a actuellement que très peu de livres numériques. Des éditeurs ont déjà proposé des livres scolaires, notamment en langues vivantes. Il existe également un livre numérique reprenant les aventures d’Harry Potter. Mais ces publications sont encore exceptionnelles.

Toutes ces nouvelles techniques amènent cependant à se demander si nous assistons à une simple évolution ou à une véritable révolution.

Ces nouvelles techniques ont entraîné l’apparition de nouveaux matériels ainsi qu’une évolution encore ténue de la chaîne du livre. De nouveaux marchés se développent qui auront un impact sur la lecture et la diffusion du savoir.

Ces nouveaux matériels sont principalement les différents scanners et les liseuses.

Il existe différentes sortes de scanners.

Les scanners à plat sont des produits standards donnant une bonne qualité de numérisation et proposant différentes options permettant de numériser des documents transparents (négatifs, diapositives…) ou des pages volantes. Cependant ces appareils, outre qu’ils n’autorisent pas les grands formats, détériorent les reliures des livres. Ils ne peuvent donc pas servir à la numérisation systématique des collections.

Les scanners de livres possèdent une vaste surface de numérisation permettant le traitement des grands formats. Le livre est ouvert, texte dirigé vers le haut, le dispositif de numérisation se trouvant au-dessus.

Il existe aussi des scanners de microfilms et de microfiches.

Enfin, la numérisation des livres peut aussi être effectuée par des appareils photographiques numériques plus ou moins sophistiqués, le haut de gamme étant des appareils couplés à des micro-ordinateurs utilisés notamment pour numériser les manuscrits enluminés des bibliothèques.

Les recherches pour améliorer les scanners sont importantes dans la mesure où c’est la partie la plus coûteuse de la numérisation. Ainsi des travaux sont effectués pour augmenter les vitesses de numérisation. Des prototypes permettraient ainsi actuellement de numériser 500 images à la seconde, ce qui implique le feuilletage automatique du livre sans intervention humaine

Une liseuse numérique (e-reader en anglais) est un dispositif technique permettant de restituer et de lire un texte sous format électronique.

Les liseuses peuvent être soit des appareils spécialisés soit des appareils non spécialisés.

Ce sont des appareils autonome, portables et légers permettant principalement le parcours et la lecture d’un texte. Ils peuvent être de différents formats, généralement de taille proche de celle d’un livre papier.

L’interface de lecture est un écran pouvant, tout comme le livre papier, avoir différents formats et utiliser des techniques d’affichage variées plus ou moins agréables. Les liseuses de dernière génération permettent de stocker des textes numérisés avec un confort de lecture quasi identique à celui d’un livre papier.

L’écran fonctionne avec la technologie appelée « encre numérique »
(E-Ink) différente de celle de l’écran d’un ordinaire portable.

Cette technique repose sur des milliers de micro capsules de la taille d’un cheveu remplies de liquide et de pigments noirs et blancs, respectivement chargés négativement et positivement. Sous l’impulsion d’un courant électrique, ces pigments montent ou descendent, générant le fond blanc, le texte en noir et les différents niveaux de gris. La possibilité récente de créer des sous-pixels dans chaque micro capsule ouvrira la voie vers la haute définition.

L’encre numérique est la technologie très majoritairement utilisée actuellement notamment par le « Kindle » d’Amazon et le « Sony Reader ».

Une autre technologie similaire est en en train de se diffuser : la technologie SiPix. La différence avec E-Ink est que les billes, toutes blanches, baignent dans un liquide noir réagissant aussi aux impulsions électriques. Les particules blanches montent à la surface ou restent au fond en fonction de la polarité électrique appliquée. Cette technologie équipe le lecteur « Fnacbook », le « Oyo » de France Loisirs ou le « Cybook Orizon ».

Si ces liseuses ne comportaient à l’origine que quelques fonctions annexes comme un moteur de recherche ou système d’annotations, elles doivent maintenant faire face à la concurrence d’appareils non spécialisés.

Outre les ordinateurs portables ou non sur lesquels il est naturellement possible de lire des livres téléchargés, la grande concurrence pour les liseuses est constituée par le développement des tablette électroniques groupant plusieurs appareils en un dont le modèle est le très connu iPad d’Apple.

Cet appareil cumule les fonctions d’ordinateur, de téléphone mobile, de navigateur Internet par connexion Wifi et, maintenant de lecteur de livres électroniques suite au contrat signé par Apple avec cinq grands éditeurs américains. Il permet également de regarde des films ou d’écouter de la musique. Un appareil semblable est le « Kindle Fire » d’Amazon.

D’autres appareils non spécialisés peuvent d’ores et déjà permettre la lecture de livres électroniques comme les téléphones portables ou les smartphones

En 2011, 30 millions de liseuses ont été vendues dans le monde, soit une progression de 108 % par rapport à 2010. Les prévisions sont de 38 millions pour 2012 et 43 millions en 2014.

Au-delà, à partir de 2015, les ventes devraient baisser au niveau de 38 millions avec une stabilisation du marché, du fait d’une réorientation des consommateurs vers les tablettes.

Source : DEPS Ministère de la culture et de la communication.

Ce diagramme publié par Mmes Françoise Benhamou et Olivia Guillon dans leur étude « Modèles économiques d’un marché naissant : le livre numérique » montre à la fois une similitude des deux chaînes et des différences.

Les deux chaînes présentent le même nombre de niveaux mais se différencient aux stades intermédiaires.

Dans la chaîne du livre numérique, l’entrepôt est le lieu de stockage des fichiers et des métadonnées produites par l’éditeur. L’agrégateur est un serveur informatique collectant, livrant et sécurisant les fichiers, tâches du distributeur dans le livre papier.

En aval les libraires ne sont plus seuls à intervenir dans la mesure où existent d’autres agents commerciaux, comme par exemple le Kindle Store d’Amazon ou l’IBookstore d’Apple ou des opérateurs réalisant l’interface avec le terminal de lecture, dans le cas de la lecture sur un téléphone.

On voit aussi que les liaisons entre les différents acteurs de la chaîne du livre papier peuvent devenir plus directes. Ainsi les éditeurs peuvent solliciter directement les agents commerciaux ou les consommateurs. Il en est de même pour les auteurs en cas d’autoédition de leurs œuvres.

Les deux auteures estiment que « la phase actuelle […] apparaît comme un moment d’investissement et d’expérimentation ».

Si l’œuvre numérisée ne change pas actuellement de façon très importante l’organisation de la chaîne du livre, on peut penser que l’avènement du livre numérique pourrait apporter de plus grands bouleversements.

Avec le livre numérique, on abandonne en effet le domaine traditionnel de l’écrit puisque celui-ci devient un fichier que l’on télécharge pour le lire sur un écran de téléphone, de liseuse ou d’ordinateur.

Au-delà de la nécessité du téléchargement, vont se développer les offres en streaming. Dans ce cas, le fichier n’est pas téléchargé sur la machine de l’utilisateur mais demeure stocké sur un serveur distant « dans le nuage » (cloud computing). Quand on lit un texte situé « dans le nuage » via le navigateur Web, il a en réalité été téléchargé dans la mémoire « cache » du navigateur.

Ces changements ont déjà induit le développement de nouveaux marchés.

On évoquera le développement du marché des liseuses et du livre électronique.

C’est en 1999 que les premiers modèles de liseuses apparaissent aux États-Unis avec le Rocket e-book et le Softbook, deux modèles assez pauvres en capacité et chers.

En 2000, arrive le Cybook, unique liseuse conçue et distribuée par un fabricant français. Son prix est, au début assez élevé (800 euros) mais est assez performant. Il a évolué en baissant son prix, en acquérant un écran tactile et en étendant sa capacité.

En 2006, après quelques appareils faisant suite aux premiers modèles Rocket e-book et Softbook, IREX lance l’Illiad Electronic Reader permettant au lecteur d’annoter ou de surligner des passages ainsi que de réactualiser les contenus.

En 2006, Sony produit le PRS 500 et 505 permettant de stocker environ 13 000 livres électroniques, de visualiser des photos et d’écouter de la musique.

C’est en 2007 qu’arrive le Kindle commercialisé en ligne par Amazon. Le Kindle est une tablette électronique permettant de se connecter à Internet pour télécharger des contenus : livres numérisés, journaux magazines…

Le Kindle DX lui a succèdé au début de 2010 avec une résolution, une capacité et une autonomie améliorée. Amazon a conclu des accords avec un certain nombre d’éditeurs français pour permettre l’accès à des œuvres francophones sur la dernière version de son Kindle.

A la suite du succès du Kindle, un nombre important de lecteurs apparaît sur le marché, produits par une multitude de constructeurs asiatiques et américains.

Enfin, au début de 2010, apparaît l’IPad d’Apple C’est une tablette électronique particulièrement orientée vers les médias tels que livres, journaux, magazines, films, musiques, jeux, mais aussi vers Internet et l'accès aux courriers électroniques.

Les deux appareils – Kindle et IPad – règnent sans partage sur leurs catégories. Ainsi l’IPad représente plus de 85 % des ventes de tablettes dans le monde et le Kindle environ 42 % du marché des liseuses.

Le marché du livre électronique est très différent selon les pays ;

Selon une étude de l’Association internationale des éditeurs, du début de l’année 2011, la situation du marché du livre électronique serait le suivant :

D’après les études du MOtif (Observatoire de l’écrit et du livre en Ile-de-France) le catalogue actuel des livres numériques proposés à la vente est évalué à 80 000 titres contre 70 000 en 2010. Selon cet organisme si les catégories « Jeunesse » et « Pratique » sont encore peu disponibles, plus d’un roman et d’un essai best seller sur deux dispose désormais d’une offre numérique, contre moins d’un tiers en 2010. 

Les livres électroniques représentaient environ, au début de l’année 2011, 0,5 % des ventes totales de livres pour un montant de 13 millions d’euros, tandis le Syndicat national de l’édition (SNE) avançant le chiffre de 1,8 % en juin 2011.

La part des livres électroniques représente 1 % des ventes totales de livres avec un montant de 90 millions d’euros, représentant 5,4 % des revenus des éditeurs en 2010 et 6,6 % en 2011.

Ces chiffres devraient croître compte tenu de la forte progression des ventes de liseuses et de tablettes et représenter 16,2 % des revenus des éditeurs en 2012. En 2015, ce marché devrait représenter entre 5 et 15 % du marché global du livre.

Le marché atteint actuellement environ 1,6 % du marché total du livre pour un montant de 1,3 million d’euros. Il devrait progresser jusqu’à 10 ou 12 % dans les dix prochaines années. L’Espagne est considérée comme devant constituer, à terme, un des marchés les plus importants du livre électronique.

Les livres électroniques représentent entre 0,1 et 0,2 % des ventes totales de livres avec un chiffre d’affaires de 1,5 million d’euros. Le marché a progressé de 30 % après Noël 2010. Pour l’avenir, des projections tablent sur 3 % de livres électroniques en 2012 pour atteindre 5 à 7 % en 2015.

Ce pays est dans une position particulière puisqu’il peut disposer d’une offre très importante, d’origine locale ou américaine.

Entre 2009 et 2010 les ventes de livres électroniques ont énormément progressé, de plus de 100 % pour atteindre 3 % du marché total et 6 % en 2011. Ce marché a démarré environ deux ans après celui des États-Unis et suit maintenant la même courbe de progression.

Les ventes des éditions universitaires et techniques représentent 72 % des ventes totales et ont doublé en trois ans.

Les livres électroniques représentent environ 8 % du marché du livre, soit 440 millions de dollars.

La croissance a été très forte puisque cette part de marché était de 0,6 % en 2008. Le marché offre actuellement 950 000 titres en version électronique dont plus de 800 000 à un prix inférieur à 9,99 $. Les perspectives de développement de ce marché apparaissent très importantes.

Ce succès est d’abord dû à l’importante diffusion des plates-formes de lecture comme le Kindle, l’IPad et le Nook de Barnes and Noble, et, ensuite, à l’action de Google ebooks et d’Amazon.

Amazon pratique des prix inférieurs de 50 % à ceux des livres papier. Dominant le marché du livre numérique avec 70 % des utilisateurs et vend maintenant plus de livres électroniques que de livres papier.

Le deuxième intervenant est Barnes and Noble avec 27 % d’utilisateurs devant Apple avec ibooks avec 10 % d’utilisateurs.

Le marché du live électronique atteint 1 % des ventes totales de livres pour des ventes de 104 millions d’euros.

L’institut de recherche Nomura estime que ce marché représentera des ventes de 2 milliards d’euros soit 10 % des ventes totales de livres en 2015.

Le Japon doit actuellement faire face à un développement très important du piratage de livres électroniques.

Selon l’étude de la société d’analyse de marché IDate de la fin du mois de décembre 2011, le livre numérique devrait représenter un marché mondial de 5,4 milliards d’euros en 2015 avec un taux de croissance moyen de 30 % sur la période 2010-2015.

En Amérique du Nord, la progression de ce marché serait de l’ordre de 13 % pendant cette période, la croissance du marché des pays européens étant de 30 %.

C. L’impact sur la lecture et la diffusion du savoir

Sans nécessairement croire à une « crise de la lecture », il est certain que la lecture subit une mutation importante depuis un certain nombre d’années.

En effet le nombre des faibles lecteurs –c’est-à-dire lisant de 1à 9 livres par an augmente alors que, par contre, le nombre des grands lecteurs – c’est-à-dire lisant plus de 20 livres par an – diminue.

Cette situation doit être nuancée car la production de livres n’a jamais été aussi importante et la lecture représente encore aujourd’hui la première dépense culturelle des Français.

La diminution de la lecture peut s’expliquer par le fait que le livre n’est plus le support principal de l’information et que l’offre dans le domaine des loisirs a beaucoup augmenté principalement du fait des services audiovisuels et du développement d’Internet.

A cet égard le livre électronique et numérique participant des deux sphères – l’écrit et l’audiovisuel – peut avoir des conséquences sur la lecture.

Certains chercheurs estiment qu’on ne lit pas de la même façon selon les supports. Ils préfèrent parler de mutation plutôt que de crise en faisant remarquer que le livre en avait déjà connu beaucoup.

Il est certainement indéniable que les processus cognitifs changent face à l’écran. Mais ceux-ci ont déjà évolué dans le passé : il y a eu ainsi l’évolution de la lecture à haute voix vers la lecture silencieuse, celle d’une lecture méditation vers une lecture réflexion, celle d’une lecture de compréhension vers une lecture d’information.

Des évolutions matérielles ont aussi eu lieu. Ainsi le passage du rouleau au codex a-t-il induit une plus grande facilité de lecture en se libérant de l’ordre imposé par le rouleau. L’imprimerie avait aussi abouti dans ses débuts à une régression dans la présentation des textes et il a fallu inventer paragraphes et ponctuation pour aider à lire l’imprimé. De même ont été inventés la table des matières et l’index.

Les caractéristiques de la lecture sur écran commencent à être cernées depuis quelques années.

Certaines caractéristiques de ce type de lecture commencent à être bien connues comme, par exemple, le fait qu’on lit plus vite sur écran que sur papier, ce qui peut être interprété comme un signe d’un niveau de concentration inférieur. La lecture étant plus approfondie sur le papier, la mémorisation des éléments lus sur papier est considérée comme étant plus importante.

L’utilisation d’écrans pour la lecture serait aussi à la source d’une certaine forme de dispersion de l’esprit, ce qui sera encore plus vrai quand seront disponibles les livres réellement numériques, c’est-à-dire incorporant des liens hypertextes.

Selon M. Roger Chartier(4), « le numérique […] permet de retrouver facilement des fragments de textes par le biais des recherches par mots-clés et par thèmes, encourage une lecture éclatée et discontinue, alors que le papier impose, ne serait-ce que par sa forme, un minimum de contextualisation. Il devient de plus en plus difficile de percevoir un livre comme une œuvre cohérente, singulière et originale. »

Cependant la lecture sur écran présente aussi des avantages.

La possibilité de stocker sur un même support plusieurs livres est ainsi très intéressante quand on se déplace, le Kindle d’Amazon pouvant, par exemple, contenir 1 400 ouvrages. Il y a aussi la possibilité d’adapter le format des textes, des lettres et de la police, cela pouvant permettre la poursuite de la lecture aux personnes affectées par une mauvaise vue. Des possibilités de recherche par mot-clé, de surlignage, d’ajout de notes… existent également.

Actuellement, on peut estimer, compte tenu du développement encore relativement modeste des œuvres accessibles sur écran que la lecture n’est pas, actuellement, menacée. Il est par contre probable qu’elle évoluera dans le futur.

Le développement des techniques de numérisation du patrimoine écrit peut laisser entrevoir la possibilité de la réalisation de « La bibliothèque de Babel » de Jorge Luis Borges, bibliothèque totale contenant un nombre infini de livres.

Le développement des bibliothèques numériques présente des aspects très séduisants puisqu’elles peuvent réunir une somme d’informations que la plus grande bibliothèque traditionnelle du monde ne pourrait pas offrir. Cela offre la possibilité consulter des documents depuis de multiples lieux en tous temps, dans la mesure où ils ne peuvent pas être indisponibles. La numérisation permettra aussi d’éviter la manipulation des documents précieux tout en permettant leur consultation.

Toutefois, un certain nombre de difficultés se posent.

Il y a d’abord un problème technique et financier de la numérisation du nombre quasi incommensurable de documents présents dans les bibliothèques et institutions du monde entier.

Le problème de l’accès se pose ensuite. Il faut en effet pouvoir disposer des connexions informatiques nécessaires, ce qui est loin d’être le cas partout dans le monde. Enfin l’accès aux documents est aussi conditionné par la compréhension de la langue dans laquelle ils sont rédigés.

Malgré ces difficultés, on peut conclure que la numérisation du patrimoine sera très favorable au développement du savoir.

DEUXIÈME PARTIE :
LE DÉVELOPPEMENT DES ENTREPRISES DE NUMÉRISATION

Les entreprises de numérisation se sont développées depuis 1971 avec le lancement du précurseur, le Projet Gutenberg, suivi, principalement, de la création de Gallica et du mastodonte Google.

I. LE PROJET GUTENBERG

Le Projet Gutenberg a été créé en 1971 par un étudiant de l’Université d’Illinois, Michael Hart afin de mettre à la disposition du plus grand nombre, gratuitement, par voie électronique, le plus grand nombre possible d’œuvres du domaine public.

Compte tenu du caractère encore archaïque de la saisie et de la diffusion des textes, la dixième œuvre n’est publiée qu’en 1989. Avec les progrès des techniques de numérisation, la production des textes s’accélère pour atteindre plusieurs centaines par mois au début des années 2000. A l’heure actuelle, le site permet l’accès à 40 000 livres, dont 30 000 en anglais, la deuxième langue étant le français.

Le Projet Gutenberg se veut universel, l’objectif étant de mettre la littérature à la disposition du plus grand nombre.

II. GALLICA

La bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France (BNF) a été créée en 1997 avec comme programme d’être la « bibliothèque virtuelle de l’honnête homme ».

Elle proposait alors des textes et des images francophones du XIXe siècle. Le serveur stockait, à cette époque, 2 500 livres numérisés en mode image complétés par 250 livres numérisés en mode texte issus de l’Institut national de la langue française (INALF).

En 2003, Gallica rassemblait 70 000 ouvrages et 80 000 images libres de droits allant du Moyen Age au XXe siècle. A l’exception d’une petite collection de 1 120 textes, les documents étaient numérisés en mode image, ce qui n’autorisait pas la recherche textuelle, ce type de recherche étant cependant possible dans les tables des matières et les sommaires.

La BNF a ensuite amélioré les possibilités de consultation avec des logiciels plus pratiques et avec la conversion progressive du mode image au mode texte.

En février 2005, Gallica rassemblait 76 000 ouvrages. Au début de 2006, elle met en ligne les premiers journaux numérisés.

En novembre 2007 a débuté un nouveau programme de numérisation de 100 000 ouvrages par an sur trois ans, en mode texte et en mode image. Au même moment, la troisième version de Gallica, Gallica 2, a été mise en ligne avec une amélioration importante de l’interface.

En mars 2010, elle comptait plus de 1 million de documents : livres, manuscrits, cartes, images, périodiques (presse et revues), fichiers sonores (paroles et musiques) et partitions musicales.

La plupart de ces documents sont accessibles gratuitement sur un site dont l’interface est quadrilingue (français, anglais, espagnol, portugais). Les documents sont en français, pour leur très grande majorité, un certain nombre étant en anglais, italien, allemand, latin et grec.

Les consultations de Gallica ont beaucoup progressé en 2010 par rapport à 2009, passant de 4 millions en 2009 à 7,4 millions en 2010, soit une progression de 85 %, ce qui représente environ 3000 visiteurs par jour.

En janvier 2012, Gallica réunissait 1 627 625 documents se répartissant comme suit : 320 846 livres, 36 013 cartes, 19 642 manuscrits, 413 876 images, 828 513 presse et revues, 6 992 partitions et 1 923 paroles et musiques.

En 2011, les visites ont été de l’ordre de 9 à 10 millions.

Outre aux documents libres de droits, le moteur de recherche de Gallica donne aussi accès à des documents sous droits qui renvoient à des libraires en ligne décidant eux-mêmes du mode de consultation des textes.

Il faut souligner la qualité du travail de numérisation de la BNF qui bénéficie d’une subvention annuelle du Centre national du Livre (CNL) de 6 millions d’euros par an depuis quatre ans dont 4 sont affectés à la numérisation stricto sensu et 2 millions au stockage numérique. Depuis 3 ans, 36 millions de pages de revue et de livres ont été numérisés, l’accent étant mis sur la qualité de la numérisation.

III. LE MASTODONTE GOOGLE

En décembre 2004, Google a annoncé la création de « Google Print », service en ligne permettant d’accéder à des livres numérisés. Elle a été rebaptisée « Google Books » en 2005.

Google Books s’articule autour de trois programmes : le programme « bibliothèques », le programme « partenaires » et le programme « Editions ».

A. Le programme « bibliothèques »

Ce programme vise à numériser les collections de bibliothèques.

Depuis 2004, Google a tissé un vaste partenariat au niveau mondial en concluant des accords avec une trentaine de bibliothèques à travers le monde.

La majorité sont des bibliothèques universitaires américaines (20 dont Cornell, Stanford, Harvard et Princeton), et la bibliothèque municipale de New-York.

Outre la bibliothèque universitaire de Keiō (Japon), les autres bibliothèques partenaires sont européennes.

Des accords ont été ainsi conclus avec la Bibliothèque universitaire de Gand, la Bibliothèque Complutense de Madrid, la Bibliothèque Bodleienne de l’Université d’Oxford, la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne.

Des bibliothèques publiques européennes sont également partenaires de Google books : Bibliothèque municipale de Lyon, Bibliothèque de l’État de Bavière, Bibliothèque nationale de Catalogne.

En 2010, se sont ajoutées les bibliothèques de Rome et de Florence, la Bibliothèque nationale d’Autriche et la Bibliothèque royale des Pays-Bas dont les fonds pourront être inclus dans Europeana.

A l’heure actuelle, Google a numérisé environ 15 millions de volumes. La croissance de cette activité est soutenue car en 2008 les volumes numérisés étaient au nombre de 7 millions et de 10 millions au début 2010.

Cette activité a entraîné un certain nombre de contentieux car Google numérise aussi bien des œuvres libres de droit que sous droits. M. Marc Tessier(5) estimait dans son rapport qu’en 2010, sur 10 millions, 1,5 million était libre de droits, 2 millions avaient été numérisés en partenariat avec les éditeurs, tous les autres ouvrages l’étant sans accord des ayants-droit.

Aux États-Unis, Google a procédé aux numérisations d’œuvres sous droits en se prévalant du « fair use » qui est un ensemble de règles de droit, d'origine législative et jurisprudentielle apportant des limitations et des exceptions aux droits exclusifs de l'auteur sur son œuvre en autorisant certains usages qui seraient, autrement, considérés comme illégaux.

Les ayants droit américains ont intenté un procès à Google sous la forme d’un recours collectif. Les gouvernements français, allemands et américains sont également intervenus dans le déroulement de cette affaire qui, plus de six ans après son début, n’a pas encore trouvé de solution.

En France, à la fin de 2005, le groupe La Martinière- Le Seuil, a engagé des poursuites, auxquelles se sont associés le Syndicat national de l’édition et la Société des gens de lettres, contre Google, qui a numérisé et utilisé, sans autorisation, des textes de livres protégés.

En décembre 2009, le juge français a, en première instance, donné raison aux plaignants et condamné Google pour contrefaçon de droit d’auteur, une procédure d’appel étant actuellement en cours.

Enfin, le 6 mai 2011, les éditeurs Gallimard, Flammarion et Albin Michel ont également assigné Google en justice pour contrefaçon.

Ce programme a pour objectif d’enrichir Google Books avec des ouvrages sous droits.

Pour cela, Google a conclu des accords avec des éditeurs qui lui fournissent des livres en texte intégral. L’utilisateur intéressé est alors dirigé vers un site de libraire en ligne où il lui sera possible de le commander. 35 000 éditeurs dans le monde feraient actuellement partie de ce programme.

Compte tenu du contentieux opposant Google aux éditeurs français, ce programme ne semblait pas être de nature à les séduire.

Cependant la situation a évolué compte tenu de la signature, le 28 juillet 2011, d’un accord entre Hachette et Google portant sur la numérisation et la diffusion des livres épuisés d’Hachette.

Les modalités principales de cet accord sont :

- contrôle de la numérisation des œuvres : Hachette déterminera quelles œuvres Google peut numériser et lesquelles seront disponibles sous forme d’ebook sur le site de Google,

- commercialisation des œuvres : l’accord ouvre la possibilité de donner accès à des œuvres jusque-là épuisées, tout en assurant de nouveaux revenus à leurs auteurs et à leurs éditeurs ;

- visibilité accrue des auteurs et de leurs œuvres dans les bibliothèques numériques : Hachette a l’intention de faire bénéficier les institutions publiques comme la Bibliothèque nationale de France des œuvres ainsi numérisées, les remettant de ce fait à la disposition des lecteurs.

En août 2011, le groupe La Martinière signait avec Google un accord semblable à celui signé par Hachette.

La signature de ces deux accords nous paraît être le signe d’une inflexion de la stratégie de Google qui pourrait ainsi prendre mieux en compte le respect dû aux droits d’auteur. On ne peut que se réjouir du fait qu’ils donneront ainsi une diffusion supplémentaire aux livres épuisés et contribueront à sauvegarder des éléments importants de notre patrimoine culturel.

C. Le programme « Editions »

Créé à la fin de l’année 2010 aux États-Unis sous le nom de « Google books », le portail de Google propose d’une part l’accès gratuit à environ 2,7 millions d’ouvrages libres de droit et, d’autre part, une librairie numérique constituant une plate forme de distribution ouverte à tous les revendeurs.

L’accès en ligne payant au texte intégral est aussi possible pour 250 000 ouvrages sous droit grâce à des partenariats conclus entre Google et des éditeurs. L’ouverture de ce type de service est prévu en Europe mais n’a pas encore eu lieu.

Est-ce que Google fait encore peur ?

Il nous semble que la menace Google n’est plus, à l’heure actuelle, aussi prégnante qu’il y a quelques années.

Les récents accords avec les éditeurs français ont certainement apaisé un certain nombre de craintes notamment quant à la numérisation des œuvres sous droits. Est-ce que cela en fait maintenant un partenaire acceptable compte tenu, notamment, de son savoir-faire indéniable en matière de numérisation et de ses ressources financières ?

Il nous semble qu’il faut rester circonspect. Mais il nous faut peut-être renoncer à vouloir lui susciter, à toute force, une alternative et explorer, comme le note M. Bruno Racine, les possibilités d’approches complémentaires.

Face à Google, deux concurrents ont essayé de s’organiser : l’Open Content Alliance et la World Digital Library.

L’Open content Alliance (OCA) a été créé en 2005 par Yahoo, The Internet Archive et les Universités de Californie et de Toronto pour constituer une bibliothèque numérique. La numérisation est effectuée par The Internet Archive, créé en 1996 qui stocke et diffuse les textes.

Contrairement à Google, OCA ne numérise que les œuvres sous copyright après accord de leurs détenteurs.

Microsoft a rejoint OCA en octobre 2005 en y adjoignant son propre projet Live Book Search Project. Cependant Microsoft a abandonné son projet en mai 2008 et le financement de la numérisation des œuvres par The Internet Archive après avoir soutenu la numérisation de plus de 750 000 livres.

The Internet Archive a continué sans Microsoft. Il conserve d’importantes collections de médias numériques appartenant soit au domaine public soit titulaires d’une licence permettant leur redistribution comme la licence Creative Commons. Ses collections incluent 500 000 films, 1 million d’enregistrements audio, 300 000 livres et 36 000 logiciels.

Cette bibliothèque numérique a été lancée en octobre 2007 par l’UNESCO et la Bibliothèque du Congrès américain et est opérationnelle depuis le 21 avril 2009. Trente-deux bibliothèques, dont la BNF, et un certain nombre de fondations participent à ce projet.

Elle vise à numériser et à mettre à disposition sous forme numérisée des documents de toutes natures représentatifs du patrimoine mondial. Elle a, notamment, comme objectif de faciliter l’éducation et la recherche dans le monde en donnant l’occasion aux pays en voie de développement de faire connaître leur patrimoine culturel. Le site propose aussi des outils pédagogiques à destination des enseignants et des élèves.

Le nombre d’objets est très faible : de l’ordre d’un peu plus de 1 500. Mais selon cette bibliothèque n’a pas vocation à entrer en concurrence avec Google Book ou Europeana dans la mesure où est fait le choix du multilinguisme ainsi qu’un choix de « documents fondamentaux » comme l’original de la Déclaration des droits de l’Homme, la Constitution américaine ou la plus ancienne version enregistrée de La Marseillaise datant de 1898.

TROISIEME PARTIE :
LA NUMERISATION EN EUROPE

I. LA SITUATION DE LA NUMERISATION EN EUROPE

La situation de la numérisation est la suivante en Europe :

 

Budget consacré à la numérisation

(Euros)

Part du financement public pour la numérisation

Allemagne

46 848 760

89 %

Autriche

6 777 804

79 %

Belgique

11 423 225

99 %

Bulgarie

554 225

90 %

Chypre

944 094

57 %

Danemark

2 163 140

94 %

Espagne

6 661 228

91 %

Estonie

1 319 747

91 %

Finlande

3 559 065

85 %

France

37 083 843

94 %

Grèce

7 453 711

89 %

Hongrie

4 085 523

89 %

Irlande

3 337 785

94 %

Italie

13 205601

95 %

Lettonie

1 366 386

99 %

Lituanie

675 715

100 %

Luxembourg

502 672

100 %

Malte

122 232

-

Pays-Bas

27 714 056

90 %

Pologne

1 323 001

96 %

Portugal

788 996

82 %

République tchèque

3 874 584

99 %

Roumanie

2 080 160

87 %

Royaume-Uni

43 859 503

55 %

Slovaquie

835 160

100 %

Slovénie

2 147 556

100 %

Suède

30 051 891

91 %

Source : d’après Commission Staff Working Paper SEC (2011)1274 final du 27 novembre 2011.

Ce tableau qui précède montre que très peu de pays affectent plus de 10 millions d’euros annuellement à la numérisation de leur patrimoine : Allemagne, Royaume-Uni, France, Suède, Pays-Bas, Italie et Belgique.

Le financement public est prépondérant dans tous les pays à l’exception du Royaume–Uni où il ne représente que 55 %.

II. LES ORIGINES D’EUROPEANA

Europeana trouve son origine dans la création de deux réseaux, GABRIEL et l’European Library , relayés par deux initiatives.

L’idée d’un projet commun aux bibliothèques nationales européennes est née lors de la réunion annuelle de la Conference of European library de 1994. Lancé en 1995, GABRIEL, (Gateway and bridge to Europe’s national Libraries), était géré par la British Library. Il rassemblait alors six bibliothèques nationales dont la Bibliothèque nationale de France.

Ce projet est monté en puissance en 1997 et est devenu un portail trilingue commun des bibliothèques nationales européennes. Il contenait des informations sur les collections de chaque bibliothèque et permettait d’accéder en ligne aux catalogues de chacune d’elles.

En 1998 il offrait des liens hypertextes vers les sites Internet de 38 bibliothèques nationales participantes. Il permettait ainsi la consultation des catalogues en ligne, des bibliographies nationales, des catalogues nationaux, des index de périodiques… Il était alors géré par la Bibliothèque nationale des Pays-Bas avec quatre sites miroirs sur les serveurs des bibliothèques nationales du Royaume-Uni, de Finlande, d’Allemagne et de Slovénie.

Elle a été créée en 2004 par la Conférence européenne des directeurs de bibliothèques nationales (CENL) en collaboration avec neuf bibliothèques nationales, sur la base du programme TEL (The European Library, la Bibliothèque européenne) instauré en 2001 sous l’égide du cinquième programme cadre pour des actions communautaires de recherche, de développement technologique et de démonstration.

Plusieurs étapes successives ont permis d’intégrer les bibliothèques nationales en développant entre elles des collaborations plus actives et en permettant l’enrichissement des recherches en ligne parmi des collections répertoriées toujours plus nombreuses.

Gérée par la Bibliothèque nationale des Pays-Bas, elle offrait un service en 35 langues d’accès aux collections des 48 bibliothèques nationales de l’Europe.

En 2006, la Commission a annoncé que cette Bibliothèque européenne deviendrait l’infrastructure de base de la Bibliothèque numérique européenne, Europeana, créée en 2008.

L’origine de la bibliothèque numérique Europeana, remonte à l’initiative « i2010 : bibliothèques numériques » de la Commission européenne lancée suite à une lettre commune de six chefs d’État et de gouvernement.

Le 28 avril 2005, six chefs d’État et de gouvernement adressaient une lettre aux présidents de la Commission européenne et du Conseil européen suggérant de créer une bibliothèque numérique européenne :

Lettre des chefs d’État et de gouvernement

Paris, Varsovie, Berlin, Rome, Madrid, Budapest, le 28 avril 2005.

Monsieur le Président,

Le patrimoine des bibliothèques européennes est d'une richesse et d'une diversité sans égales. Il exprime l'universalisme d'un continent qui, tout au long de son histoire, a dialogué avec le reste du monde. Pourtant, s'il n'est pas numérisé et rendu accessible en ligne, ce patrimoine pourrait, demain, ne pas occuper toute sa place dans la future géographie des savoirs.

C'est la raison pour laquelle nous souhaitons prendre appui sur les actions de numérisation déjà engagées par nombre de bibliothèques européennes pour les mettre en réseau et constituer ainsi ce qu'on pourrait appeler une bibliothèque numérique européenne, c'est-à-dire une action concertée de mise à disposition large et organisée de notre patrimoine culturel et scientifique sur les réseaux informatiques mondiaux.

Il s'agit de coordonner et de soutenir des initiatives aujourd'hui dispersées afin de les mettre en cohérence et de les amplifier. L'Union pourrait à la fois fournir le cadre d'une concertation entre les institutions concernées, et apporter sa contribution à la solution des problèmes à surmonter : sélection des fonds numérisés de manière à éviter les redondances, mise au point des outils de recherche et de présentation les plus performants, actions de recherche-développement dans le domaine des techniques de numérisation à mettre en oeuvre, réflexion à engager sur les attentes et les besoins des utilisateurs, etc.

Afin de progresser dans l'examen de la faisabilité et des modalités de mise en œuvre d'un tel projet, il nous semblerait opportun que celui-ci puisse, à brève échéance, faire l'objet d'un débat entre les ministres de la Culture d'une part, de la Recherche d'autre part, à la lumière d'une première communication de la Commission et des témoignages et propositions que pourraient soumettre les États dont les institutions compétentes sont d'ores et déjà engagées dans cette direction.

Nous transmettons copie de ce courrier à tous les membres du Conseil européen.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de notre haute considération.

Signé:

Jacques CHIRAC, Président de la République française,

Aleksander KWASNIEWSKI, Président de la République de Pologne,

Gerhard SCHROEDER Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne,

Silvio BERLUSCONI, Président du Conseil italien,

José Luis Rodriguez ZAPATERO Président du Gouvernement espagnol,

Ferenc GYURCSANY, Premier ministre de la République de Hongrie

Dans sa communication du 30 septembre 2005(6), la Commission annonçait qu’elle accueillait favorablement cette demande des chefs d’État et de gouvernement.

Elle faisait alors le constat que les fonds des bibliothèques et des archives d’Europe étaient considérables dans la mesure où on recensait, en 2001, dans l’Union européenne à 25, 2 533 893 879 livres et périodiques reliés.

Elle prenait donc, en conséquence cette initiative « bibliothèques numériques » afin de rendre les ressources en informations européennes plus faciles à utiliser dans un environnement en ligne.

Cette communication analysait les principaux défis liés à ce projet à la fois en matière de numérisation stricto sensu mais aussi de conservation des contenus numérique.

• La numérisation

Les défis sont :

- techniques : nécessité d’améliorer les procédés de numérisation afin de la rendre abordable avec un bon rapport coût/efficacité ;

- juridiques : nécessité du respect des droits de propriété intellectuelle, ce qui devrait, en principe, concentrer une bibliothèque européenne sur le matériel appartenant au domaine public ;

- organisationnels : nécessité d’éviter la duplication des efforts de numérisation ;

- financiers : coût élevé de la numérisation, activité à forte intensité de main d’œuvre.

• La conservation du contenu numérique

La fabrication d’une copie numérique d’un livre ou d’un film ne garantit pas sa survie à long terme dans la mesure où elle doit être conservée sous une forme permettant sa réutilisation. Il s’avère que la difficulté de la maintenance a été sous estimée et qu’elle constitue en réalité une affaire majeure.

La première de ces difficultés est la succession et l’obsolescence rapides des techniques numériques.

D’autres difficultés sont perceptibles :

- financières : incertitude quant à ses coûts réels et nécessité de la rendre plus abordable ;

- organisationnelles : risques de divergences d’approches, de duplication des efforts, d’inadaptation des méthodes de travail, d’absence de collaboration entre acteurs publics et privés ;

- juridiques : nécessité du respect de la législation sur la propriété intellectuelle.

Depuis 2006, la Commission a poursuivi la mise en œuvre de cette initiative à travers deux programmes : le 7e programme cadre de recherche et développement (PCRD) pour les aspects technologiques et « eContentPlus » pour la valorisation des contenus.

Ce projet a financé depuis septembre 2007 le projet « EDLnet » (European Digital Library) réseau thématique d’interopérabilité entre les bibliothèques, les musées, les archives et l’audiovisuel.

Une fondation de gestion de la future bibliothèque européenne a été créée, EDLnet étant chargé de développer son prototype. Celui-ci a pris, à l’initiative de la BNF, le nom d’Europeana lors de son lancement le 20 novembre 2008.

III. LA BIBLIOTHÈQUE EUROPÉENNE EUROPEANA

A. La mise en place d’Europeana : la communication de la Commission du 28 août 2009

La Commission a fait le point de la situation d’Europeana dans sa communication du 28 août 2009 (COM [2009] 440 final) « Europeana- Prochaines étapes ».

La Commission a essentiellement abordé les problèmes juridiques et les questions de financement et de gestion.

Les questions à résoudre s’articulaient principalement autour des points suivants :

œuvres soumises au droit d’auteur : la Commission souhaitait qu’Europeana intègre du matériel soumis au droit d’auteur pour ne pas aboutir à une occultation des œuvres du XXe siècle ;

œuvres orphelines : la Commission souhaitait que soit adopté un système juridique sûr pas trop différent d’un État à l’autre ;

- cadre juridique de l’utilisation des œuvres protégées : la Commission estimait que celui-ci est trop fragmenté en Europe avec le risque d’induire le morcellement du patrimoine culturel numérisé de l’Europe ;

- législation différente sur le droit d’auteur en Europe et aux États-Unis : la Commission s’inquiétait des conséquences possibles en matière de numérisation des œuvres anciennes.

En effet, si en Europe et aux États-Unis, la durée de protection du droit d’auteur a été harmonisée et établie à 70 ans après la mort de l’auteur, la législation américaine fixe l’année 1923 comme date butoir, les œuvres publiées avant 1923 étant de ce fait, dans le domaine public.

La conséquence est que du matériel européen antérieur à 1923 peut être numérisé et mis à la disposition du public aux États-Unis mais pas par l’intermédiaire d’Europeana en Europe. Aussi la Commission proposait-elle que soit mise en place une date butoir sur le modèle américain.

Dans les conclusions du Conseil du 20 novembre 2008 relatives à Europeana, les ministres européens de la Culture ont souligné la nécessité de trouver un modèle de financement et de gestion durable.

Un certain nombre de modèles pouvait être suivis allant d’une exploitation entièrement financée par l’Union européenne à un fonctionnement reposant de façon principale sur des financements privés.

Jusqu’en 2009, la Commission a contribué au financement d’Europeana dans le cadre du projet EDLnet au titre du programme eContentplus, doté de 1,3 million d’euros.

Pour la période allant de 2009 à la mi-2011, le développement d’Europeana a été financé à hauteur de 6,2 millions d’euros dans le cadre du programme Europeana 1.0. Son financement sera principalement assuré jusqu’à la fin de 2013 par la Commission à travers le programme pour la compétitivité et l’innovation.

Par contre au-delà de 2013, la Commission a souhaité que d’autres sources de financement interviennent avec un équilibre entre les fonds communautaires et les ressources extérieures.

Europeana est un site portail permettant de diriger les internautes vers les sites des organismes possédant les documents demandés.

En effet, Europeana n’est pas une bibliothèque numérique stricto sensu car elle ne stocke pas les fichiers des œuvres auxquelles elle donne accès. Elle permet la recherche à partir d’un ensemble de ressources sur les serveurs de ses partenaires. On ne consulte que des notices sur Europeana. La consultation des œuvres nécessite de suivre un lien hypertexte renvoyant vers les sites des partenaires.

Europeana est gérée par une fondation de droit néerlandais (EDL European digital library) domiciliée à la Bibliothèque royale des Pays-Bas.

Cette fondation, présidée depuis la fin de l’année dernière par M. Bruno Racine, Président de la Bibliothèque nationale de France, est l’organe directeur d’Europeana. Elle assure la promotion de la collaboration entre les institutions culturelles mettant leurs collections à la disposition d’Europeana et fournit le cadre juridique nécessaire à sa gouvernance.

Europeana contient actuellement environ 19 millions d’objets.

La répartition par pays étant la suivante, en considérant que d’autres objets sont fournis par plusieurs pays n’appartenant pas à l’Union européenne (notamment la Norvège et la Suisse) ou proviennent de collections européennes et donc non attribués à un État membre particulier (chiffres d’octobre 2011) :

Pays

Nombre d’objets

par État membre

Part de matériel dans

Europeana7

Allemagne

3 160 416

16,3 %

Autriche

282 039

1,5 %

Belgique

338 098

1,7 %

Bulgarie

38 263

0,2 %

Chypre

53

< 0,1 %

Danemark

67 235

0,3 %

Espagne

1 647 539

8,5 %

Estonie

68 943

0,4 %

Finlande

795 810

4,1 %

France

2 745 833

14,2 %

Grèce

211 532

1,1 %

Hongrie

115 621

0,6 %

Irlande

950 554

4,9%

Italie

1 946 040

10,0 %

Lettonie

30 576

0,2 %

Lituanie

8 824

< 0,1 %

Luxembourg

47 965

0,2 %

Malte

56 233

0,3 %

Pays-Bas

1 208 713

6,2 %

Pologne

639 099

3,3 %

Portugal

28 808

0,2 %

République tchèque

35 490

0,2 %

Roumanie

35 852

0,2 %

Royaume-Uni

944 234

4,9 %

Slovaquie

84 858

0,4 %

Slovénie

244 652

1,3 %

Suède

1 489 488

7,7 %

Source : Recommandation de la Commission du 27.10.2011 sur la numérisation et l’accessibilité en ligne du matériel culturel et de la conservation numérique C (2011) 7579 final.

On remarque l’importance de la contribution de six pays : Allemagne, France, Italie, Espagne, Suède et Pays-Bas qui fournissent plus d'un million d’objets chacun, l’Allemagne et la France étant largement les deux contributeurs les plus importants. Ces deux pays l’étaient déjà en 2010, l’ordre étant inversé, la Franc étant, à cette époque, de justesse, le plus important fournisseur de matériel.

Europeana se compose actuellement de 64 % de photographies, cartes, tableaux, pièces de musées et autres images numérisées. Les textes, dont plus de 1,2 million de livres complets pouvant être consultés en ligne et/ou téléchargés, s’élèvent à 34 %. Les contenus vidéo et audio représentent environ 2 % des collections.

L’essentiel de ce matériel accessible se compose d’éléments qui ne sont plus protégés par un droit d’auteur.

Pour l’avenir, la Commission a fourni un objectif indicatif de 30 millions d’objets en 2015 pour Europeana, comprenant, notamment, « tous les chefs-d’œuvre européens qui ne sont plus protégés par des droits d’auteur et tout le matériel numérisé grâce à des fonds publics ».

Elle a fixé les contributions par pays, de la façon suivante, en fonction « de la taille de la taille de la population et du PIB » :

Pays

Nombre d’objets

par État membre

Allemagne

5 496 000

Autriche

600 000

Belgique

759 000

Bulgarie

267 000

Chypre

45 000

Danemark

453 000

Espagne

2 676 000

Estonie

90 000

Finlande

1 035 000

France

4 308 000

Grèce

618 000

Hongrie

417 000

Irlande

1 236 000

Italie

3 705 000

Lettonie

90 000

Lituanie

129 000

Luxembourg

66 000

Malte

73 000

Pays-Bas

1 571 000

Pologne

1 575 000

Portugal

528 000

République tchèque

492 000

Roumanie

789 000

Royaume-Uni

3 939 000

Slovaquie

243 000

Slovénie

318 000

Suède

1 936 000

L’objectif de 30 millions d’objets numérisés en 2015 apparaît assez ambitieux compte tenu des coûts et de la situation économique et financière de la plupart des pays d’Europe.

Le rapport du Comité des Sages sur lequel est basé cette recommandation de la Commission, a évalué le coût de la numérisation de l’ensemble des collections des musées, archives et bibliothèques d’Europe à environ 100 milliards d’euros.

Ce chiffre inclut l’ensemble des matériels suivants : 77 millions de livres, 24 millions d’heures de programmes audiovisuels, 358 millions de photographies, 75,43 millions d’œuvres d’art et 10,45 milliards de pages d’archives.

Même si l’ensemble dépasse largement la patrimoine écrit stricto sensu, on peut penser actuellement qu’il s’agit là d’un programme très malaisément réalisable.

IV. QUELLES PERSPECTIVES POUR EUROPEANA ?

Le futur d’Europeana a principalement été évoqué par deux rapports, l’un français, le rapport de M. Marc Tessier et celui du Comité des Sages.

Dans son rapport remis au ministre de la Culture en janvier 2010, M. Marc Tessier comporte un certain nombre de recommandations concernant « une impulsion nouvelle » au niveau européen fondée sur la mutualisation des actions des bibliothèques européennes et l’évolution d’Europeana.

Il préconisait la création d’un réseau de bibliothèques européennes adoptant un processus commun de numérisation pouvant se traduire par :

- des centres communs de numérisation ;

- des centres communs de stockage numérique permettant la mutualisation des coûts ;

- des échanges de fichiers numériques.

Europeana pourrait bénéficier de la création de ce réseau et pourrait devenir un lieu d’échanges selon trois axes :

- coopération sur les métadonnées, les formats et les modes d’indexation afin d’actualiser en permanence les options communes du réseau de bibliothèques ;

- aide aux bibliothèques afin qu’elles puissent passer entre elles des accords d’échanges de fichiers ;

- coordination de la réflexion sur les questions des œuvres orphelines et épuisées.

Le « Comité des Sages » a été établi en avril 2010 par Mme Neelie Kroes, vice-présidente de la Commission européenne, chargée de la stratégie numérique et par Mme Androulla Vassiliou, commissaire européen chargée de l’éducation et de la culture.

Composé de M. Maurice Lévy, président-directeur général de Publicis, de Mme Elisabeth Niggemann, directeur général de la Bibliothèque nationale d’Allemagne et de M. Jacques De Decker, écrivain et secrétaire perpétuel de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, il était chargé de faire des recommandations pour favoriser et la mise à disposition du patrimoine culturel européen.

Ce Comité des sages a rendu son rapport le 10 janvier 2011.

Il examine un certain nombre de questions liées à la numérisation du patrimoine européen en considérant qu’ « il n’existe pas de plus grand défi et de question plus urgente que garantir l’accès à ce patrimoine par les générations actuelles et futures ».

Nous évoquerons ici seulement les recommandations générales concernant Europeana, les autres étant présentées dans les chapitres suivants, notamment celles ayant trait à son financement et aux œuvres orphelines.

Les Sages estiment qu’il faut « renforcer Europeana en tant que point de référence de la culture européenne en ligne ».

Pour cela, son développement doit se poursuivre afin qu’elle devienne le point de référence pour les contenus culturels européens. Ils soulignent donc la nécessité d’effectuer un effort financier au niveau européen et national.

Les États membres doivent garantir que tout le matériel numérisé grâce à des fonds publics est accessible gratuitement sur ce site et mettre tous les « chefs-d’œuvre » du domaine public sur Europeana d’ici 2016. Les institutions culturelles, la Commission européenne et les États membres devraient la promouvoir de manière active et à grande échelle.

Europeana devrait ajouter à son portail une plate-forme d’applications portant sur la numérisation et sur la préservation du patrimoine culturel européen et porter une attention particulière au multilinguisme.

A moyen terme, Europeana devrait devenir un site de dépôt pour l’ensemble des œuvres du domaine public numérisé et une archive de sauvegarde pour les contenus créés sous forme numérique.

Depuis l’origine, le financement d’Europeana a été assuré par les fonds européens qui ont couvert 80 % des coûts par le biais de projets issus des programmes communautaires.

C’est ainsi que le programme eContentplus a cofinancé le projet « Europeana 1.0 » à concurrence de 6,2 millions d’euros. Plusieurs États membres sont également intervenus, la France, l’Espagne, les Pays-Bas et l’Allemagne étant les principaux donateurs.

La Commission continuera à cofinancer Europeana par l’intermédiaire de projets au niveau de 80 % jusqu’en 2013. C’est ainsi qu’un montant de 9 millions d’euros est fourni par l’intermédiaire du Programme CIP (Competitiveness and Innovation Framework Programme, Programme-cadre pour la compétitivité et l'innovation). Jusqu’en 2013, d’autres financements venant des États membres ou d’autres sources seront nécessaires.

Le mode de financement actuel d’Europeana, sur projet, pose des problèmes car il ne permet pas de mettre en place une programmation sur le long terme de ses activités et de son développement. En effet le calendrier des appels à projets est fluctuant, ce qui nécessite une anticipation de un à deux ans, compte tenu des délais entre le lancement de l’appel à projets et son démarrage effectif.

Le Comité des Sages a souligné dans son rapport que « le financement d’une initiative telle qu’Europeana à travers une diversité de projets, complété par un financement volontaire de la part des États membres, présente de sérieux problèmes sur le plan de la continuité du développement. » Ils ont souligné que « le financement du portail Europeana est majoritairement du ressort du budget de l’Union européenne »

Dans sa communication du 19 mai 2010, (COM [2010] 245 final), « Une stratégie numérique pour l’Europe », la Commission a prévu une « Action 15 : Proposer un modèle durable pour le financement de la bibliothèque publique de l’Union européenne Europeana ».

Nous estimons que, dans la perspective des négociations budgétaires pour l’après 2013, le budget communautaire prenne en charge de manière permanente le fonctionnement de la fondation Europeana dans le cadre d’un financement spécifique.

Une partie de financement privé pourrait être prévue selon diverses modalités. On pourrait par exemple l’envisager soit à travers des mécénats, des parrainages ou des partenariats technologiques portant sur des fonctionnalités techniques comme, moteurs de recherche, interfaces de consultation pour l’accès des personnes handicapées, archivage numérique, outils multilingues…

Un autre mode de financement privé possible pour Europeana serait celui concernant l’accès éventuel via Europeana à des contenus sous droits.

Développer ainsi des partenariats public-privé avec des ayants droit enrichirait Europeana en accroissant son offre. Ainsi serait-il possible qu’Europeana soit nourrie des œuvres épuisées numérisées selon l’accord signé, sous l’égide de M. Michel Barnier, commissaire européen, le 20 septembre 2011. Selon celui-ci, les bibliothèques européennes et els institutions culturelles similaires pourront être autorisées à numériser et mettre en ligne des livres et des revues toujours sous droits mais qui ne sont plus commercialisées. Au-delà du financement d’Europeana, se pose le problème du financement général de la numérisation en Europe.

Le Comité des Sages a proposé un certain nombre de solutions dans ce domaine.

Ils ont d’abord souligné que le financement de la numérisation incombait de façon principale aux institutions publiques et que les États membres allaient devoir augmenter « considérablement le volume de leurs investissements dans ce domaine » car la numérisation doit être financée au niveau national ou local et non pas européen.

En complément des nécessaires investissements publics, ils considèrent que l’association de partenaires privés doit être encouragée dans la mesure où ils estiment que les fonds privés sont des compléments mais non des substituts au financement public. Cette vaste entreprise de numérisation doit d’ailleurs pouvoir constituer « une source d’opportunités de développement pour les entreprises européennes ».

Cependant, afin de protéger les intérêts des institutions publiques qui auraient recours à de tels partenariats les Sages énumèrent un certain nombre de conditions minimales à respecter dans les contrats :

« le contenu de l’accord(8) entre une institution culturelle publique et son partenaire privé doit nécessairement être rendu public(8),

les œuvres du domaine public ayant fait l’objet d’une numérisation dans le cadre de ce partenariat(8) doivent être accessibles gratuitement dans tous les États membres de l’UE(8).

- le partenaire privé doit fournir à l’institution culturelle des fichiers numériques de qualité identique(8) à ceux qu’il utilise pour son propre usage. »

Ils estiment, en outre, que la « période d’exclusivité ou d’usage préférentiel(8) des œuvres numérisées dans le cadre d’un partenariat public-privé ne doit pas dépasser une durée de sept ans ».

Ces recommandations nous semblent positives et raisonnables à l’exception cependant de la durée d’exclusivité ne devant pas dépasser sept ans qui laisse quelque peu sceptique. En effet, il faut comparer cette recommandation avec les pratiques de Google dans ses accords avec les bibliothèques européennes prévoyant des durées d’exclusivité de 15 ans actuellement après avoir été fixées à l’origine à 25 ans.

Ce problème des rapports avec Google est certainement actuellement une des plus sensibles.

Le problème des rapports avec Google, de savoir s’il convient ou non de collaborer avec lui, et si oui, à quelles conditions, est posé depuis plusieurs années en Europe.

Google augmente, comme nous l’avons vu, ses accords avec les bibliothèques européennes sans qu’une perspective d’action d’ensemble ne se dégage en Europe.

La situation de la France est, à cet égard, assez symbolique.

En effet la question de savoir si la BNF doit ou non traiter avec Google Livres se pose depuis un certain nombre d’années.

On se rappelle à cet égard les arguments de l’ancien président de la BNF, M. Jean-Noël Jeanneney, qui s’était refusé à des accords avec Google, et qui nous a réaffirmé cette conviction.

Nous sommes tout à fait sensibles aux arguments de M. Jean-Noël Jeanneney défendant une approche culturelle européenne contre une approche essentiellement basée sur la recherche du profit sans intention de développer la culture.

Mais la réalité de la situation actuelle incite à ne pas occulter le fait que Google a dû numériser actuellement environ 15 millions de livres et a acquis un savoir-faire indiscutable, ce que soulignait déjà le rapport de M. Marc Tessier. Enfin, il est indéniable que Google a infléchi sa pratique de numériser sans respecter les droits des auteurs et a adopté une attitude plus respectueuse à cet égard.

C’est un fait qu’Europeana avait été conçue comme une alternative et une concurrente de Google. Peut-être serait-il opportun, actuellement, d’adopter une approche plus complémentaire.

On pourrait, à cet égard, reconsidérer la proposition de M. Marc Tessier de ne pas écarter Google mais à la condition que les fichiers numériques des livres restent la propriété des bibliothèques nationales et qu’aucune clause d’exclusivité ne soit signée avec lui.

Il pourrait aussi être possible à partager l’effort de numérisation en échangeant des fichiers de qualité équivalente et de formats compatibles. Google ne serait, dans ces cas, qu’un partenaire utilisé en raison de son savoir-faire sans, de ce fait, évincer d’autres partenaires privés.

Bien entendu dans cette situation d’accord éventuel avec Google, un impératif s’imposera de façon absolue : la préservation du droit d’auteur.

La numérisation à la Bibliothèque nationale de France

La Bibliothèque nationale de France (BNF) a commencé à numériser ses collections dès le début des années 1990.

Afin de mobiliser les ressources nécessaires pour la numérisation, une taxe parafiscale sur les appareils de reprographie a été élargie en 2005 à de nouveaux matériels. Ces ressources nouvelles sont gérées par le Centre national du Livre (CNL).

Elles ont permis à la BNF de lancer une politique de numérisation de masse à partir de 2008 avec l’objectif de numériser environ 100 000 ouvrages par an.

Le CNL accorde une subvention annuelle de 6 millions d’euros depuis cette date : 4 millions sont affectés à la numérisation stricto sensu et 2 millions au stockage numérique. Ce programme, sans équivalent en Europe, a permis de numériser depuis trois ans 36 millions de pages de revues et de livres avec un accent particulier mis sur la qualité de la numérisation.

Tous les ouvrages numérisés dans ce cadre sont présents dans Gallica et ont pour vocation d’enrichir également Europeana.

Les fonds accordés par le CNL ne permettant pas de numériser la presse, celle-ci est numérisée par la BNF sur fonds propres, avec un budget de 1 million d’euros par an.

Dans le cadre des Investissements d’avenir annoncés par le Président de la République, le 14 décembre 2009, 750 millions d’euros seront consacrés au financement de la numérisation des contenus culturels, scientifiques et éducatifs.

Pour pouvoir profiter de ces fonds, la BNF a créé une filiale, BNF Partenariats, qui sera chargée de négocier des accords de numérisation et de valorisation commerciale des collections de ses collections avec des partenaires privés.

Dans ce cadre, un appel à partenariat a été lancé en juillet 2011 pour, notamment, la numérisation des fonds de livres avant 1700 qui a actuellement recueilli 20 propositions.

QUATRIÈME PARTIE :
UN IMPÉRATIF : RESPECTER LE DROIT D’AUTEUR

I. UN DROIT FONDAMENTAL EN BUTTE AU PIRATAGE DES LIVRES NUMÉRIQUES

Le livre numérique n’échappe pas plus au piratage que les films, les fichiers musicaux et les clips. Mais, il existe actuellement très peu d’études sur ce phénomène dans la mesure où il s’agit encore, la plupart du temps, d’un marché parallèle encore marginal par rapport à ceux de la musique, des jeux vidéo ou des films. Comme il s’agit d’un marché illégal, aucune statistique précise ne peut évidemment en rendre compte de façon incontestable.

Cette question n’est pas nouvelle mais a longtemps concerné la contrefaçon d’exemplaires papier, issus du « photocopillage » qui avait trouvé une solution avec la création du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC) notamment dans le milieu scolaire et universitaire.

De façon évidente, la production de livres numériques pose la question de façon différente compte tenu de l’audience potentielle permise par Internet.

Le MOTif(9) a consacré deux études sur l’offre numérique illégale des livres français sur Internet en 2009 et 2010 et a estimé les résultats suivants à partir des fichiers illégaux à la disposition des internautes dans différents circuits de diffusion :

En 2009 étaient, selon le MOTif, piratés :

- environ 1 000 à 1 500 titres de livres numériques concernant des sujets scientifiques, techniques ou médicaux ;

- environ 3 000 à 4 500 titres de bandes dessinées ;

- environ 200 à 300 titres de livres audio, « dont la moitié au moins concerne des textes du domaine public ».

Environ 4 000 à 6 000 titres au total étaient piratés, y compris les bandes dessinées, en 2009. Cette étude estimait que cela constituait un pourcentage de titres piratés de l’ordre de 0,7 % à 1,1 % sur un total de 565 000 titres disponibles en offre légale.

Par catégorie, les livres piratés étaient les suivants en 2009 :

Genre

Fichiers illégaux/total

Essais, documents

28 %

Romans

27,1 %

Pratique

26,7 %

Scolaire et parascolaire

12,9 %

Jeunesse

2,2 %

Beaux livres

0,9 %

Poésie, théâtre

1,4 %

Source : le MOTif 2009.

Les éditeurs les plus piratés étaient : Gallimard, Dunod et Hachette. Concernant la bande dessinée, les plus piratés étaient Delcourt, Dargaud et Dupuis.

Les cinq premiers auteurs les plus piratés étaient : Gilles Deleuze (13 titres piratés), Bernard Werber (11 titres), Amélie Nothomb (10), Frédéric Beigbeder (7) et J.K. Rowlings (7).

Le piratage concernait plutôt les parutions contemporaines, deux ouvrages sur trois avaient été publiés il y a moins de dix ans, que les nouveautés.

En 2009, seuls 8 % des livres les plus vendus sous forme papier en librairie sont disponibles en téléchargement illégal.

Le manque de disponibilité des ouvrages en offre légale ne semblait être qu’une cause partielle du piratage car trois livres piratés sur quatre étaient disponibles à la vente papier, un quart des livres piratés n’étant donc plus disponible en offre légale papier.

Cette étude pour 2009 signalait enfin que 95 % des livres piratés ne disposaient pas d’une offre numérique légale.

En 2010, dernière étude disponible, sont piratés :

- 2 000 à 3 000 titres de livres numériques ;

- 6 000 à 7 000 titres de bandes dessinées.

Au total, ce sont donc entre 8 000 et 10 000 titres qui ont été piratés cette année-là. Cela représentait selon cette étude, sur 619 800 titres disponibles en offre légale, un pourcentage de l’ordre de 1,2 % – 1,6 %. Il y a donc eu une augmentation importante de ce pourcentage par rapport à l’année précédente, de presque 70 %, dans sa fourchette haute.

Par catégorie, les livres piratés étaient les suivants en 2009 :

Genre

Fichiers illégaux/total

Littérature

44,8 %

Pratique (enseignement, informatique…)

37,7 %

Essais (Sciences humaines, philosophie…)

12,5 %

Jeunesse

5,1 %

Beaux Livres

0,4 %

Source : le MOTif 2010.

Les éditeurs ayant le plus grand nombre de titres piratés étaient : Gallimard, Eyrolles et Dunod, ces deux derniers étant spécialisés dans les livres professionnels et techniques. Les éditeurs de bande dessinés les plus piratés étaient : Delcourt, Soleil et Dargaud.

Les cinq premiers auteurs les plus piratés étaient : Bernard Werber, Robin Hobb, Isaac Asimov, Frédéric Lenormand et Fred Vargas.

Les livres récents sont les plus piratés : 2 livres sur 3 datant de moins de dix ans, 26 % des livres et 32 % des bandes dessinées ayant été publiés depuis moins de deux ans.

En 2010, les modes de piratage ont changé par rapport à 2009 avec la diminution importante de l’offre en peer to peer(10) et son remplacement par le téléchargement direct, près de trois livres sur quatre étant disponibles par ce moyen sur les réseaux pirates.

Enfin il faut noter que le nombre d’ouvrages piratés non disponibles à la vente papier avait fortement baissé depuis la précédente étude, s’établissant à environ 10 % pour les livres contre 26 % en 2009 et à environ 8 % pour les bandes dessinées contre 31 % en 2009.

B. La nécessaire lutte contre ce piratage

La contrefaçon du livre numérique peut prendre deux formes.

Il peut s’agir d’une numérisation « sauvage » des ouvrages, c’est-à-dire qu’un ouvrage va être numérisé et publié sur Internet sans l’autorisation de son éditeur ou de son auteur. La deuxième est celle du téléchargement illégal de ces livres numériques. C’est cette dernière situation qui nous retiendra.

La lutte contre le piratage des livres numériques est nécessaire afin de respecter le travail des auteurs qui sont en droit d’attendre une juste récompense de leur activité et de leurs créations. Cette lutte est d’autant plus nécessaire que continue à perdurer, dans certains milieux, le mythe de la gratuité des ressources sur Internet alors qu’Internet n’est qu’un médium qui, comme tous les médias, ne peut pas avoir d’influence sur la propriété des ressources auquel il donne accès.

Cette lutte contre le piratage des œuvres numériques peut être menée soit techniquement, soit avec des procédures juridiques.

La technique de lutte contre le piratage fait appel à l’utilisation des désormais bien connus Digital Rights Management (DRM) (Gestion des droits numériques).

Les DRM sont des dispositifs électroniques permettant de contrôler l’accès aux œuvres numériques et l’usage qui peut en être fait, notamment en limitant leur copie.

Ils peuvent s’appliquer à tous types de supports numériques physiques (disques, logiciels,…) ou de transmission (télédiffusion, services Internet..). Grâce à un système de chiffrement et d’accès conditionnel, le propriétaire de l’œuvre exploitant ce contrôle d’accès ne communique la clé de celui-ci qu’en échange d’une preuve d’achat ou de souscription. L’accès à un service (lecture ou copie éventuelle) n’est ainsi autorisé que pour l’équipement ou l’identification logicielle certifiée par le fournisseur.

Un des inconvénients de cette technique est qu’elle peut rendre captifs les utilisateurs des œuvres ainsi protégées dans la mesure où les DRM sont paramétrés pour un certain type de machines, un type de liseuse par exemple, le Kindle, ce qui interdit de pouvoir en utiliser un autre. Il y a donc possibilité de monopole de gestion et d’accès aux contenus.

Il est question, depuis un certain temps, de mise au point d’un DRM « interopérable » qui permettrait de lire un contenu numérique sur des machines différentes. A notre connaissance, ce type de DRM n’existe pas à l’heure actuelle.

Cette utilisation des DRM a suscité un certain nombre de réactions lors de la table ronde réunie à notre initiative le 26 janvier 2011(11).

Nos interlocuteurs ont reconnu, à l’instar de M. Alain Kouck, Président-directeur général d’Editis, que le « DRM freine la diffusion ». Seuls deux de nos invités se sont nettement prononcés pour son maintien.

Ainsi, M. Xavier Pryen, Directeur général des éditions de l’Harmattan a-t-il souhaité qu’« on en reste, pour l’instant, au DRM strict, ce qui donne du temps pour réfléchir » et M. Christophe Péralès, Directeur du Service commun de documentation de l’Unniversité de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, a-t-il fait remarquer que ces DRM sont nécessaires pour les manuels universitaires, faute de quoi, les éditeurs ne pourront plus en vendre.

Deux autres personnalités se sont par contre prononcées contre l’utilisation de ces DRM.

Ainsi, M. Pierre Coursières, Président du directoire de la librairie Le Furet du Nord, membre du Syndicat des distributeurs de loisirs culturels, a déclaré que « si on veut développer le livre numérique, il faudra se passer de DRM pour tirer les leçons de l’échec du téléchargement de musique ». Mme Marie-Pierre Sangouard, alors Directrice du Livre de la FNAC, après avoir reconnu que « le DRM représente aujourd’hui un parcours très compliqué pour le client » a déclaré souhaité la suppression des DRM.

M. Emmanuel de Rengervé, Délégué général du Syndicat des auteurs et compositeurs nous a fait part, compte tenu de son expérience dans le domaine de la musique, de son doute à l’égard de ce dispositif mais qu’il approuve en tant que « données associées à des fichiers permettant d’identifier une œuvre ou un extrait d’œuvre et de les rattacher à ses ayants droit, en particulier, son auteur.

Actuellement il ne nous semble pas possible d’éviter ces DRM dans la mesure où il ne faut pas cesser de rappeler que numérisation ne rime pas avec gratuité.

En janvier 2011, le Syndicat national de l’édition envisageait de recourir à la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI) créée par les lois des 12 juin et 28 octobre 2009.

Cependant en novembre dernier, ce dernier suspendait ce projet dans la mesure où il reconnaissait que le piratage des livres numériques ne se posait pas de façon urgente en France où le marché en ligne, c’est-à-dire hors ouvrages sur disques numériques, ne représente qu’environ 1 % du marché total.

Le Syndicat national de l’édition continue cependant à exercer une veille sur les activités liées au piratage en ligne, les éditeurs étant invités à signaler le sites les plus actifs dans ce domaine et, notamment, ceux permettant le téléchargement direct(12). C’est ainsi que sont envoyées aux plates-formes de téléchargement des notifications de retrait lorsqu’une offre illicite est observée suivant en cela la méthode employée par les industries du cinéma et de la musique.

Le groupe Hachette a délégué ce rôle de surveillance à une société spécialisée, Attributor.

Attributor est une société américaine spécialisée dans le tri et l’analyse des données transitant par Internet. Elle cherche les infractions concernant les titres surveillés par un système automatique d’analyse et identifie les titres et les sites pirates. Cette société n’a cependant aucun rôle juridique, seul Hachette pouvant lancer des procédures juridiques contre un contrefacteur. Elle exerçait déjà cette fonction depuis trois ans pour la filiale américaine d’Hachette, Hachette Book group.

Nous estimons tout à fait nécessaire que les éditeurs puissent se défendre contre les téléchargements illégaux de leurs titres.

Mais, à l’heure actuelle, compte tenu de la faiblesse du marché du livre numérique en France, peut-être faudrait-il, comme le pense le SNE, faire porter l’effort sur une offre légale à la fois variée et peu coûteuse.

II. LE PROBLÈME DES œUVRES ORPHELINES

Depuis quelques années, une attention croissante est accordée aux œuvres orphelines compte tenu de la multiplication des grands projets de numérisation à la fois de puissants groupes privés et d’institutions culturelles publiques nationales, ces dernières dans le cadre de la bibliothèque numérique européenne Europeana.

Ces œuvres ont attiré beaucoup de convoitises dans la mesure où l’absence d’ayants droits connus pouvait faire penser qu’elles étaient numérisables à volonté.

Une œuvre orpheline est une œuvre dont l’auteur ou les ayants droit sont inconnus mais qui n’est pas encore, compte tenu de son ancienneté, tombée dans le domaine public.

Cette situation empêche donc son utilisation sous quelque forme que ce soit en vertu du droit de la propriété littéraire et artistique.

Les enjeux juridiques des œuvres orphelines découlent de la nécessité d’harmoniser deux objectifs apparaissant a priori antagonistes :

- la sécurité juridique d’autorisation et d’exploitation de ces œuvres dans la situation où leur auteur ne peut pas autoriser cette exploitation,

- la cohérence du droit de la propriété littéraire et artistique, élaboré sur la protection du droit d’auteur et des droits voisins, reposant sur l’autorisation du titulaire des droits.

L’Union européenne a un héritage culturel exceptionnellement riche. La plus grande partie de cet héritage gît, inutilisée, dans les archives et les bibliothèques des institutions culturelles et sont inaccessibles aux citoyens. Ainsi la British Library estime-t-elle que 40 % de ses œuvres protégées par des droits d’auteur sont orphelines.

Il s’agit là d’un énorme gisement de biens culturels qu’il est impossible de numériser et donc de rendre utilisables par les citoyens pour des usages innovants et créatifs, individuels ou commerciaux.

Leur rendre possible cette utilisation est inviter chacun à faire vivre ce patrimoine culturel européen. Cela pourrait ainsi constituer une nouvelle manière de remplir et de renouveler les missions de démocratisation culturelle et de participation citoyenne à la culture. Ainsi les nouvelles technologies pourraient-elles pouvoir revaloriser les anciens contenus.

Pour affirmer l’identité culturelle de l’Union européenne, il nous semble essentiel que ces œuvres soient rendues accessibles au plus grand nombre et pas uniquement aux chercheurs.

La numérisation des œuvres orphelines pourra contribuer à sauvegarder ces richesses culturelles pour les générations futures dans la mesure où le risque est avéré d’en perdre. Ainsi, le rapport publié par la Strategic Content Alliance(14), indique-t-il que 50 millions d’œuvres diverses collectées depuis les 100 dernières années pourraient disparaître faute d’avoir retrouvé les ayants droits dont l’accord est a priori indispensable pour les reproduire sur de nouveaux supports.

Ces préoccupations ont été au centre de l’intégration de cette numérisation au sein de la Stratégie numérique présentée en 2010 visant à définir le rôle moteur que les technologies de l’information et des communications (TIC) sont appelées à jouer(15).

Mme Neelie Kroes, vice-présidente de la Commission européenne s’est exprimée ainsi en octobre 2011 à propos de cette numérisation des œuvres culturelles : « le patrimoine culturel de l’Europe est probablement l’un des plus importants du monde. L’Europe ne peut pas donc se permettre de manquer les opportunités offertes par la numérisation et prendre le risque de s’exposer à un déclin culturel. Grâce à la numérisation, la culture pénètre dans les foyers. Cette technique est aussi une source précieuse de contenus pour l’éducation, le tourisme, les jeux, l’animation et l’industrie culturelle dans son ensemble. Investir dans la numérisation sera utile à la création d’entreprises et d’emplois ».

Aussi, la Commission européenne agit-elle dans ce domaine.

L’action européenne dans ce domaine a d’abord été incitative puis a mis en place le projet ARROW avant de publier une proposition de directive sur les œuvres orphelines.

Cette action a pris la forme d’un certain nombre de recommandations et de communications.

En 2006, dans le cadre l’initiative « i2010 : bibliothèque numériques » la Commission européenne avait adopté une recommandation 2006/585/CE où elle incitait les États membres à créer des « mécanismes pour faciliter l’exploitation des œuvres orphelines, après consultation des personnes intéressées ».

A la suite de cette recommandation, le Conseil avait adopté le 7 décembre 2006 des conclusions invitant les États membres à mettre en place, avant la fin de l’année 2008 des « mécanismes pour faciliter la numérisation et l’accès en ligne aux œuvres orphelines ». Le Conseil demandait également à la Commission de « proposer des solutions sur certaines questions […], comme les œuvres orphelines […] dans le respect intégral des droits et des intérêts des titulaires » d’ici les années 2008-2009.

Un protocole d’accord avait été élaboré en juin 2008 par un groupe européen d’experts qui avait proposé une définition des œuvres orphelines et des recommandations sur les procédures et la méthodologie de recherche et d’identification des ayants droit.

Dans son document de travail accompagnant sa proposition de directive sur certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines(16), la Commission notait que « Malgré cette recommandation, seuls quelques États membres se sont dotés d’une législation sur les œuvres orphelines. En outre, les quelques mesures adoptées n’ont qu’une portée restreinte, puisqu’elles limitent l’accès en ligne aux citoyens résidant sur le territoire national. »

ARROW (Accessible Registry of Rights Information and Orphan Works), mis en place le 12 décembre 2008, est un projet européen soutenu par la Commission européenne dans le cadre du programme eContentplus, regroupant des bibliothèques nationales et universitaires, des éditeurs, des distributeurs de documents numériques, des organismes de gestion de droits et des organisations européennes et internationales.

Son objectif est de permettre à tout utilisateur de vérifier si une œuvre est disponible, épuisée ou orpheline et d’obtenir des informations sur les éventuels détenteurs des droits.

Une interface développée au niveau européen permet ainsi de manière automatique à tout utilisateur souhaitant numériser un livre imprimé :

- d’identifier l’œuvre par interrogation du catalogue de la bibliothèque nationale de son pays d’origine permettant de déterminer si elle appartient ou non au domaine public,

- de rechercher le statut commercial de chacun des documents relevant de cette œuvre, ce qui permet d’apprécier si l’œuvre sous droit est épuisée ou non,

- d’identifier les détenteurs des droits.

La mise en place d’ARROW, coordonné par l’Association des éditeurs italiens (AIE) a mobilisé seize acteurs publics et privés de la chaîne du livre représentant dix pays européens. En France, sont parties prenantes d’ARROW, la Bibliothèque nationale de France, Electre(17) et le Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC).

ARROW fonctionnait dans quatre pays : Allemagne, Espagne, France et Royaume-Uni et devait se terminer en mai 2011.

Un nouveau programme, « ARROW plus », poursuit les travaux commencés afin de parfaire le système informatique et le développer à travers l’Europe, de mettre en place les bases de données de livres disponibles ou de gestion des droits là où elles n’existent pas encore. ARROW, uniquement développé pour les livres devrait concerner d’autres formats comme par exemple les périodiques et les illustrations.

Seront concernés dix nouveaux pays : Autriche, Belgique, Bulgarie, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Pays-Bas, Pologne et Portugal.

Il semble qu’ARROW rencontre un réel succès et devienne un outil à la fois simple et performant

Notre Commission étudiera au fond cette proposition de directive. Aussi nous limiterons-nous à exposer de façon succincte ses principales propositions et, notamment celles concernant le patrimoine écrit alors qu’elle intéresse également des œuvres audiovisuelles.

Les principales dispositions de cette proposition sont les suivantes :

Ø Les utilisateurs des œuvres écrites orphelines au sens de cette proposition de directive sont les bibliothèques, les établissements d’enseignement et musées accessibles au public.

Ø Les œuvres écrites concernées sont celles publiées sous forme de livres, de revues, journaux, magazines ou autres écrits faisant partie de collections de bibliothèques, d’établissements d’enseignement, de musées ou d’archives accessibles au public.

Ø Une œuvre est considérée comme orpheline si le titulaire des droits n’a pas été identifié, ou bien qu’ayant été identifié, n’a pu être localisé qu’à l’issue d’une recherche « diligente » en consultant les sources appropriées.

Ø Une œuvre considérée comme orpheline dans un État membre est considérée comme orpheline dans tous les États membres.

Ø Le titulaire des droits sur une œuvre considérée comme orpheline a, à tout moment, la possibilité de mettre fin à ce statut d’œuvre orpheline.

Ø Les bibliothèques et les établissements déjà mentionnés peuvent utiliser ces œuvres en les mettant à la disposition du public au sens de l’article 3 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information et permettre leur reproduction au sens de l’article 3 de cette directive 2001/29/CE.

En première analyse, on peut remarquer que la Commission n’a pas choisi une approche générique de cette question. Elle a en effet opté plutôt pour un ensemble de mesures visant des situations où le problème est particulièrement urgent, c’est-à-dire les projets de numérisation de masse.

Elle ne concerne que des œuvres spécifiques, dont la première publication s’est faite dans un État membre, présentes dans les collections des bibliothèques publiques, des établissements d’enseignement, des musées et des services d’archives.

La recherche « diligente » est décrite en détail dans l’annexe de la proposition qui mentionne les sources qui devront être consultées dont, notamment, les registres ARROW.

La loi française aura précédé la mise en vigueur de cette directive.

A l’heure actuelle entre 500 000 et 700 000 livres du XXe siècle sont devenus inaccessibles du fait de leur non exploitation par leurs ayants droit et non encore tombés dans le domaine public. La loi votée le 22 février dernier a pour objectif de les rendre accessibles en permettant leur exploitation sous forme numérique.

Cette loi prévoit donc de substituer à la nécessaire autorisation des ayants droit de ces œuvres, leur exploitation numérisée par une société de gestion collective.

Celle-ci assurera à la fois la perception et la répartition des droits d’auteur à parité entre auteurs et éditeurs. Les sommes non réparties du fait de la non identification des auteurs ou de l’impossibilité de retrouver ceux-ci seront affectées à des actions d’aide à la création, à des actions de formation des auteurs de l’écrit et à des actions en faveur de l’accès aux œuvres et de la promotion de la création mises en œuvre par les bibliothèques.

Elle veillera à l’exercice du droit de retrait par les auteurs qui se découvriraient qui resteront naturellement complètement libres de s’opposer à l’entrée de leurs œuvres dans le dispositif ou en les en retirer par un mécanisme d’opt out intégré dans le nouveau système légal. En contrepartie de cette mission, la société de gestion collective sera habilitée à prélever une quote-part des droits.

La diffusion en ligne des livres indisponibles suppose l’inscription de l’œuvre inaccessible par les circuits commerciaux traditionnels dans une base de données gérée par la Bibliothèque nationale de France.

Si la directive européenne et la loi française commencent ainsi à proposer des solutions pour les œuvres orphelines actuelles, la question demeure de savoir comment éviter, dans le futur, leur apparition.

La prévention de l’apparition d’œuvres orphelines est une question importante dans la mesure où l’ère numérique peut être propice à la circulation rapide d’œuvres dont la trace des auteurs et ayants droit peut être particulièrement éphémère. Cette situation risque de développer les œuvres orphelines dans le futur.

Une œuvre devient « orpheline » par manque d’information sur son ou ses auteurs. C’est pour cette raison que le Comité des Sages préconise que « l’enregistrement de l’auteur, sous une forme à définir, devrait être considérée comme une condition nécessaire pour pleinement faire valoir ses droits d’auteur. »

Cette proposition est antinomique avec l’un des principes fondamentaux de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques de 1886 selon lequel cette protection ne doit être subordonnée à l’accomplissement d’aucune formalité (article 5, alinéa 2).

Le Comité des Sages a, dans son rapport, « bien conscience que ceci nécessiterait un changement dans la Convention de Berne et les instruments associés » Il souhaite donc qu’« une discussion sur une évolution de la Convention de Berne, […] afin de l’adapter aux exigences de l’ère numérique, devrait être lancée, dans le contexte de l’OMPI(18)et promue par la Commission européenne ».

Vos rapporteurs n’ont pas mené d’investigation particulière sur cette possibilité qui requiert certainement un travail considérable.

Néanmoins, cette question devra certainement faire l’objet assez rapidement de réflexions pour que le stock d’œuvres orphelines ne prolifère pas à l’avenir compte tenu du développement de créations uniquement numériques dénuées de tout support matériel.

CINQUIEME PARTIE :
PRESERVER LA CHAINE DU LIVRE NUMERIQUE

Cette chaîne du livre qui affronte avec le livre numérique un défi considérable ne pourra être préservée en tant qu’élément primordial de diffusion de la culture que si sont résolus les problèmes liés aux prix et à la fiscalité de ces livres numériques.

I. LE PRIX DU LIVRE NUMÉRIQUE EN EUROPE

Il est impossible d’indiquer les prix de vente des livres numériques dans la mesure où ils son fixés par les éditeurs en fonction de leur politique commerciale propre.

Une étude récente d’AT Kearney, publiée le 2 février dernier, donne les prix de vente moyens des livres numériques, taxes comprises par quelques pays européens :

- Allemagne : 13,00 €

- Espagne : 14,00 €

- France : 15,00 €

- Italie : 11,00 €

- Suède : 12,00 €

A comparer avec le Brésil : 7,50 € et les États-Unis : 9,30 €.

La France est donc, selon cette étude réalisée avant la modification de la TVA afférente à ce produit, de tous les pays retenus, celui où les livres numériques sont les plus coûteux.

Elle est aussi un des pays où la différence de prix avec le livre papier est, avec l’Allemagne, la moins importante, se situant à environ 20 % alors qu’elle est de 30 à 35 % en Espagne et en Italie.

Selon une étude récente de la société d’analyse de marchés IDATE, les différences de prix entre les deux formats devraient atteindre 44 % en Italie, au Royaume-Uni et en Allemagne et 60 % aux États-Unis.

Comme on le sait, la France a adopté l’année dernière une loi relative au prix du livre numérique(19) instituant un prix unique pour celui-ci afin de conforter la chaîne du livre et empêcher le développement d’une concurrence sauvage dans ce secteur. Cette loi est devenue applicable depuis le 12 novembre dernier.

La fiscalité des livres numériques en Europe concerne son taux d’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Selon la Commission européenne, le livre numérique est assimilé à une simple prestation de service et doit donc être assujetti au taux de TVA correspondant dans chaque État membre.

Actuellement, tous les États membres, à l’exception de la France et du Luxembourg appliquent le taux normal de TVA aux livres numériques, c’est-à-dire le taux standard que chaque État membre a choisi d’appliquer aux opérations de livraison de biens et services sur son territoire.

Cependant un certain nombre d’États ont choisi une approche dynamique de cette question.

Trois pays ont choisi une approche dynamique de cette question, la France, le Luxembourg et l’Espagne, celle-ci s’interrogeant encore sur la politique à suivre.

Le 12 décembre dernier, le Luxembourg faisait connaître que le livre numérique serait assujetti à la même TVA que le livre papier, soit 3 %, dans la mesure où il était estimé que les deux catégories étaient similaires dans leur nature et dans l’usage que pouvait en attendre le consommateur. C’était là une baisse très appréciable puisque le livre numérique supportait une TVA de 15 %.

En France, l’article 25 de la loi no 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 assimile les livres numériques aux livres papier quant à l’application du taux réduit de TVA à partir du 1er janvier 2012.

L’Espagne devrait s’acheminer vers un taux de TVA commun au livre papier et au livre numérique au taux de 4 % comme l’a indiqué à la mi-février le nouveau gouvernement de M. Mariano Rajoy.

La France a adopté une attitude dynamique en œuvrant pour que ce principe soit accepté et appliqué au niveau européen.

A cette fin, le Président de la République a nommé, le 9 décembre 2010, M. Jacques Toubon, « ambassadeur itinérant pour mener les concertations au niveau européen afin d’aboutir à une uniformisation » du taux de TVA auxquels sont assujettis non seulement les livres mais aussi tous les biens culturels distribués en ligne.

A l’heure actuelle, aucune procédure d’infraction n’a été notifiée à la France.

On rappellera cependant que dans sa Communication du 6 décembre dernier(20) la Commission estimait qu’une révision de la TVA devrait répondre à un certain nombre de « principes directeurs » parmi lesquels « des biens et services similaires devraient être soumis au même taux de TVA et le progrès technologique devrait être pris en considération à cet égard, de façon à ce que l'on puisse répondre au défi consistant à assurer la convergence entre les supports physiques et électroniques ».

Ce principe laisse présager que la Commission européenne a conscience des problèmes posés par la dissymétrie des taux de TVA entre les deux supports. Selon nous, cela semble être une perspective d’un changement très positif dans ce domaine.

Enfin, on notera une nouvelle orientation favorable avec la Résolution du Parlement européen du 13 octobre 2011sur l’avenir de la TVA(21) indiquant, notamment, que […] « les États membres doivent [veiller] également à ce que des biens et des services analogues soient soumis aux mêmes régimes de TVA; souligne, par exemple, que tous les livres, journaux et magazines, quel que soit leur format, devraient être assujettis au même régime, autrement dit un même régime de TVA devrait s'appliquer tant aux livres, journaux et magazines téléchargeables ou consultables en lecture seule (streaming) qu'aux livres, journaux et magazines au format traditionnel [et] fait observer que lorsque les exonérations n'entravent nullement le bon fonctionnement du marché intérieur, les États membres devraient conserver le droit d'accorder des exonérations sur la base de critères sociaux et culturels définis de manière restrictive […]. »

CONCLUSION

La numérisation de l’écrit est sans doute une évolution irréversible.

Elle apportera beaucoup d’effets bénéfiques comme la possibilité de concentrer un grand nombre d’œuvres dans un appareil électronique portable et léger ou d’assurer la sauvegarde de documents anciens qu’il ne sera plus nécessaire de manipuler pour les consulter.

La place du livre imprimé va certainement tendre à diminuer. Mais il ne disparaîtra pas. On peut penser que l’on ira vers une coexistence entre les deux formes de l’écrit.

Comme le note M. Roger Chartier dans sa contribution à l’ouvrage « Où va le livre ? »(22), « cette hypothèse [de la coexistence] est sans doute plus raisonnable que les lamentations sur l’irrémédiable perte de la culture écrite ou les enthousiasmes sans prudence qui annonçaient l’entrée immédiate dans une nouvelle ère de la communication ».

Au niveau européen, l’édition européenne doit prendre toute sa part à cette aventure du livre numérique. Il est donc nécessaire que celui-ci soit considéré fiscalement comme un livre au même titre que son homologue imprimé et non, comme actuellement, dans la grande majorité des pays européens, comme une prestation de service.

Europeana est bien partie. Cependant des interrogations subsistent sur l’avenir de son financement. Il est indispensable que celui-ci provienne du budget de l’Union européenne et qu’il y soit inscrit de façon pérenne.

Europeana doit continuer à s’enrichir. C’est là la responsabilité des États membres sans méconnaître que la situation économique est financière actuelle ne leur permettra sans doute pas d’augmenter beaucoup leurs efforts dans ce domaine.

Cette numérisation du patrimoine écrit européen pourrait, à terme, au-delà des fondements économiques sur lesquels a commencé à se construire l’Union européenne, contribuer a faire émerger, par la culture, une véritable identité européenne.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 6 mars 2012, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé des co-rapporteurs a été suivi d’un débat.

M. Yves Bur. Il s’agit d’un sujet passionnant, qui appelle néanmoins une question technique. On pourrait en effet imaginer que le prix du livre numérique soit moins cher que celui du livre papier. Pourtant, dans notre pays, la différence est faible. Comment cette différence entre la France et les autres pays s’explique-t-elle ? Les éditeurs prennent-ils des marges renforcées ?

M. Hervé Gaymard, co-rapporteur. Tout d’abord, si le marché du livre numérique existe vraiment aux États-Unis – où il représente environ 10 % de parts de marché – et a « décollé » en Grande-Bretagne depuis deux ans, cela n’est pas le cas en France, ni partout ailleurs où les marchés de tels livres demeurent inférieurs à 1 %. Seuls quelques éditeurs proposent de vendre leurs livres, à la fois en version numérique et en version papier.

Ensuite, la numérisation ne coûte pas rien, même s’il n’existe pas de frais de distribution du papier ! Le prix d’équilibre du livre numérique semble représenter de 30 à 40 % à celui du livre papier.

Enfin, je soulèverai une question politiquement importante, débattue l’année dernière à l’occasion de la proposition de loi visant à appliquer au livre numérisé le même système que pour le papier, à savoir que l’éditeur fixe le prix du livre (improprement appelé « prix unique ») ; cela a sauvé la librairie française et la Suisse organise prochainement une votation pour l’adopter. La question est encore plus importante s’agissant du numérique. En effet, sur Internet, un grand distributeur numérique se trouve en situation de quasi monopole. Or, en cas de situation de quasi monopole, l’éditeur est susceptible de subir des pressions de la part du distributeur numérique, destinées à lui faire brader le fichier. L’année dernière par exemple, un bras de fer s’est déroulé aux États-Unis, entre ce grand distributeur qui n’acceptait de vendre le fichier qu’à un prix de 9,99 $, et l’éditeur (une filiale de Hachette) qui en demandait 12,99 $ ; ce dernier a tenu bon malgré la menace de refus de vente de ses livres papiers : comme le livre en question était un « best-seller » dont le distributeur avait besoin sur sa plateforme, celui-ci a cédé à l’éditeur. Le procédé utilisé aux États-Unis, dit du contrat de mandat - auquel six éditeurs dont Hachette ont eu recours -, est destiné à imposer au vendeur de vendre au prix demandé par l’éditeur (il n’existe pas de loi sur le prix unique aux États-Unis). Le rééquilibrage de ce monopole de fait a permis de faire passer la part de marché du distributeur de 75 % à moins de 50 % en deux ans.

La question de la maîtrise du prix par l’éditeur est très importante. D’une manière générale, deux conceptions existent sur tous ces sujets (musique, cinéma, écrit). Certains prônent l’accès à tout gratuitement, mais oublient qu’à l’origine du processus de création se trouve quelqu’un qu’il faut rémunérer. Arrêtons cette démagogie du droit de l’accès à tout gratuitement ! La création a un prix et doit être rémunérée. Les trois lois – certes, a minima - adoptées ces sept dernières années en France (même taux de TVA pour le livre, numérisé ou papier ; fixation du prix du fichier numérique par l’éditeur ; gestion des œuvres numériques au XXe siècle et droit d’auteur) ont contribué à une législation intelligente, et peuvent faire école au niveau européen.

Puis la Commission a approuvé la proposition de résolution dont le texte figure ci-après.

PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPEENNE

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social et au Comité des régions i2010 : bibliothèques numériques (COM [2005] 465 final),

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social et au Comité des régions Europeana - Prochaines étapes (COM [2009] 440 final),

Vu la recommandation de la Commission sur la numérisation et l’accessibilité en ligne du matériel culturel et la conservation numérique (C [2011] 7579 final),

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines (COM [2011] 289 final/no E 6301),

1. Se félicite de la création de la bibliothèque numérique européenne Europeana et souhaite la poursuite de son développement ;

2. Demande que soit affirmée la vocation du budget communautaire européen à financer le développement d’Europeana et qu’une ligne budgétaire pérenne y soit affectée ;

3. Juge indispensable que les États membres soient très fortement incités à amplifier la numérisation de leur patrimoine culturel afin de le rendre accessible par l’intermédiaire d’Europeana ;

4. Estime nécessaire qu’un effort particulier soit effectué sur la numérisation des livres complets afin qu’ils composent, le plus rapidement possible, la moitié des objets d’Europeana ;

5. Souligne la nécessité de faire mieux connaître l’existence d’Europeana ;

6. Soutient les efforts de la Commission en faveur du programme ARROW pour la recherche des ayants droit des œuvres orphelines ;

7. Souhaite qu’une réflexion soit engagée pour élaborer un mécanisme permettant d’éviter l’apparition d’œuvres orphelines dans le futur ;

8. Estime nécessaire d’engager au niveau mondial une démarche visant à faire reconnaître, de manière solennelle, le caractère inviolable du droit d’auteur ;

9. Juge indispensable d’engager une démarche pour uniformiser au niveau mondial la durée de protection des œuvres par le droit d’auteur ;

10. Demande que le livre numérique soit assujetti, dans toute l’Union européenne, au même taux de taxe sur la valeur ajoutée que le livre imprimé.

ANNEXES

ANNEXE 1 :
PERSONNALITÉS ENTENDUES

Mme Françoise Benhamou, professeur des Universités ;

M. Emmanuel Benoît, directeur de la stratégie de Jouve ;

M. François Brunet, chef du cabinet de Mme Androulla Vassiliou, commissaire européen chargée de l’éducation, de la culture, du multilinguisme et de la jeunesse ;

M. Pierre-Vincent Debatte, président-directeur général de Jouve ;

M. Jean-Noël Jeanneney, ancien président de la Bibliothèque nationale de France ;

M. Thibault Kleiner, membre du cabinet de Mme Neelie Kroes, commissaire européen chargée de la stratégie numérique ;

M. Maurice Lévy, président du Comité des Sages ;

M. Bruno Racine, président de la Bibliothèque nationale de France, président du Conseil de la Fondation Europeana.

ANNEXE 2 :
COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE DU 21 JANVIER 2011

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission des affaires européennes, puis de M. Gérard Voisin, Vice-président, et de Mme Michèle Tabarot, Présidente de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Le Président Pierre Lequiller. La table ronde organisée par les deux rapporteurs de notre Commission, MM. Hervé Gaymard et Michel Lefait, réunit des représentants des auteurs, des éditeurs, des libraires, des bibliothécaires et des autorités publiques, le ministère de la culture et le Centre national du livre. Je me réjouis que les Commissions des affaires culturelles et des affaires européennes se retrouvent sur ce sujet important, culturellement et économiquement, qui engage à la fois des problématiques nationales et européennes.

La France a entrepris dès 1997 une action de numérisation du patrimoine écrit. L’Union européenne a relayé son effort dès 2005, avec la création d’Europeana. Le livre numérique est au centre de nos préoccupations, puisque le Sénat vient d’adopter une proposition de loi sur le prix du livre numérique, et que la France propose à l’Union de fixer pour celui-ci un taux de TVA de 5,5 %.

Trois thèmes principaux seront abordés : le livre électronique : évolution ou révolution ? Livre électronique et droit d’auteur ; la politique de numérisation française et européenne.

M. Hervé Gaymard, co-rapporteur. La numérisation de l’écrit soulève des enjeux nationaux, européens et internationaux. Dans une semaine, la Commission des affaires culturelles et de l’éducation examinera la proposition de loi sur le prix du livre numérique qui sera débattue en séance publique les 15 et 16 février. Sur ce sujet mouvant, à fort potentiel d’innovation, le législateur doit se demander s’il faut intervenir au niveau national et, le cas échéant, sur quels aspects. Il semble important de le faire – en tremblant – sur le taux de TVA applicable au livre numérique et sur la fixation du prix du fichier numérique par l’éditeur.

Nous devons également réfléchir à la protection du droit d’auteur. Celle-ci pose un problème national, européen et international, depuis qu’une politique de numérisation massive a été entreprise sans demande d’autorisation préalable auprès des auteurs ou des ayants droit.

Un troisième sujet, d’ordre patrimonial, concerne la politique ambitieuse de numérisation menée par le ministère de la culture grâce au Fonds stratégique d’investissement. L’écrit numérisé, à la suite d’initiatives publiques et privées, pose le problème de la liberté d’accès aux données et celui, plus technique, de la sécurisation et de la conservation des données numérisées. Parce que nous entrons dans un nouveau monde qui promet d’être évolutif, la proposition de loi prévoit une clause de rencontre périodique, afin que le Parlement et les acteurs de l’édition se retrouvent régulièrement pour faire le point.

M. Michel Lefait, co-rapporteur. La numérisation de l’écrit a débuté en 1971 avec le projet Gutenberg, mais n’a réellement pris son essor qu’à partir de 1993 avec le développement d’Internet. Les progrès ont été rapides. Alors que 4 300 ans se sont écoulés entre l’invention de l’écriture et celle du codex remplaçant les rouleaux de texte par des pages reliées, que 1 150 ans séparent le codex et l’imprimerie et que 540 ans s’étendent entre l’imprimerie et l’apparition d’Internet, celle-ci ne précède que de dix ans la naissance du livre électronique.

Grâce à la numérisation, le lecteur disposera de nombreuses œuvres sans l’encombrement inhérent aux volumes imprimés, ce qui explique le succès des liseuses comme le Kindle d’Amazon. Par ailleurs, à partir d’un ordinateur, voire d’un téléphone portable, il pourra accéder partout et à tout moment à des bases électroniques.

Pour l’heure, on assiste au développement du livre numérisé, simple version numérique du livre imprimé. Une étape ultérieure verra celui du livre numérique incorporant vidéos et liens hypertextes. Mais, qu’il soit imprimé ou électronique, le livre reste une œuvre de l’esprit qui permet d’accéder à la pensée, à l’art, à la connaissance, au spirituel. Il résulte du travail d’un individu qui le fait partager aux autres par l’intermédiaire de la publication.

A ce titre, on peut s’inquiéter de l’initiative de Google, qui a, du moins, eu le mérite d’attirer l’attention des politiques sur les problèmes posés par la constitution d’une bibliothèque numérique. Loin de moi l’idée de diaboliser cette société, mais la numérisation d’un grand nombre d’ouvrages soumis aux droits d’auteur suscite quelques doutes sur ses buts. Des procès lui ont été intentés aux États-Unis comme en France. En outre, les accords qu’elle a conclus dans le monde entier, notamment en Europe, avec plusieurs bibliothèques – par exemple avec la bibliothèque municipale de Lyon – semblent peu favorables à celles-ci. Son initiative nous alerte également sur le statut des œuvres orphelines, qui ne sont pas libres de droits, mais dont les auteurs ou les ayants droit sont introuvables. Si la numérisation peut offrir une nouvelle vie à des œuvres épuisées, il faut trouver une solution au niveau mondial pour éviter qu’une publication interdite dans certains pays ne soit autorisée ailleurs. Non seulement Internet se joue des frontières, mais la période de protection des œuvres n’est pas la même en Europe et en Amérique du Nord. Il faudra mener sur ce point des négociations qui seront sans doute difficiles.

Notre inquiétude s’est encore accrue quand, après avoir lancé la numérisation des livres, leur indexation sur Internet et leur impression à la demande, Google a créé Google Editions. Par ce projet, déjà opérationnel aux États-Unis et qui devrait l’être cette année en Europe, cette société devient un marchand de livres numérisés sur Internet, ce qui dépasse son ambition première, qui était de construire une bibliothèque mondiale digne de celle d’Alexandrie. Google se retrouve sur le même marché qu’Amazon. Entre ces deux mastodontes, quelle place reste-t-il pour d’autres intervenants et d’autres projets de numérisation comme le projet Gutenberg ou le Hathi Trust Digital Library ? On ne saurait reprocher à Google, dont sa puissance fait un acteur incontournable, de poursuivre une logique commerciale, mais celle-ci risque de détourner les lecteurs des ouvrages les moins connus pour les renvoyer systématiquement vers les plus consultés. Or, dans ce domaine, la dimension culturelle doit primer sur la logique commerciale.

La Présidente Michèle Tabarot. Nous abordons le premier thème : le livre électronique, évolution ou révolution ?

M. Jean-Claude Bologne, Président de la Société des gens de lettres. La numérisation de l’écrit est un nouveau monde dont on aperçoit seulement les côtes. La Société des gens de lettres a proposé de classer les œuvres électroniques en trois catégories : les livres numérisés, correspondant à peu près aux livres homothétiques, les livres numériques et les œuvres numériques.

Si le livre numérisé n’est au fond qu’un décalque du livre imprimé, ce changement de support induit du même coup un changement d’économie, puisqu’on passe d’une logique de l’offre à une logique de la demande, qui fait peser de graves dangers sur les droits d’auteur.

Le livre numérique est une terre très peu défrichée. Outre les liens hypertexte et l’ajout de sons et d’images, il permet l’entrée aléatoire au sein d’un ouvrage. Au lieu du parcours allant du premier mot au point final, caractéristique du livre traditionnel, il propose des structures arborescentes et d’autres nouveautés que les auteurs ont hâte d’explorer.

L’œuvre numérisée représente une terra incognita. À la différence du livre, qui constitue une œuvre fermée, due à un ou plusieurs auteurs identifiables d’emblée, c’est une production évolutive et collaborative, dont Wikipedia donne un aperçu. En matière d’encyclopédie, on raisonne désormais en termes d’œuvre ouverte, comme le montre l’exemple de « Larousse.fr ». Dans ce domaine, un droit d’auteur conforme à nos espérances reste à inventer.

D’ores et déjà, le changement de support opéré par le livre homothétique implique un changement de diffusion. Un livre tiré trente ans plus tôt à quelques exemplaires et devenu introuvable ne devrait pas pouvoir être mis en ligne sans autorisation préalable de l’auteur, qui se verrait attribuer une sorte de droit moral. Puisqu’il s’agit non pas d’une simple reproduction, mais d’une représentation, il serait juste que celui qui a jadis confié sa pensée à un support arrêté soit consulté avant qu’on la diffuse au monde entier. Le changement de support suppose donc un droit de divulgation. Autant de domaines dans lesquels le passage au numérique représente non une simple évolution, mais bien une révolution.

M. Jean-François Colosimo, Président du Centre national du livre. La révolution que vous avez décrite s’articule avec celle, plus vaste, de l’information qui, depuis le passage au numérique et l’apparition d’Internet, se place désormais sous les auspices de la totalité et de l’infini. Nous sommes témoins d’une mutation anthropologique, réalisant une sorte de mythe marqué par la transformation de tout contenu en information, la raréfaction de l’espace et du temps, l’abolition des frontières, l’instauration d’une mégamémoire, la décorporéisation du sujet, l’instantanéité et l’éternisation des données.

Le livre est évidemment affecté par cette révolution globale. Celle-ci met en œuvre une idéologie révolutionnaire de type utopique, qui suppose l’innocence des acteurs, la gratuité des contenus et la naturalisation des actions présentées comme légitimes. Reste qu’il existe un écart symbolique entre la revendication d’une zone de non-droit et le fait que celle-ci constitue une bulle économique extrêmement financiarisée.

Le livre dispose néanmoins de certains atouts pour limiter cette révolution à une évolution. Les changements qui l’ont affecté ont toujours été très lents. Le passage au codex, qui a permis l’édification du sujet critique tel que nous le reconnaissons, a duré plusieurs siècles. L’avènement de la Galaxie Gutenberg, la naissance d’une industrie de masse puis la démocratisation de l’imprimé ont également demandé beaucoup de temps. Par rapport à d’autres industries culturelles, l’écrit offre l’avantage de laisser se superposer des médias très différents. Non maîtrisée, la numérisation de l’écrit menacerait la première industrie culturelle française, mais celle-ci a su mutualiser ses intérêts et entretenir avec les pouvoirs publics une relation exemplaire dont la loi sur le prix unique a été le grand tournant.

Expert en médiologie, Régis Debray a montré qu’un contenu n’existe pas sans support. Dans le cas du livre, il faut aussi considérer ces tuyaux que sont les bibliothèques et les librairies. La diffusion est non seulement une extension mais une condition de la création et elle détermine in fine son statut. Le marché physique du livre, qui implique une structuration du territoire, de la convivialité et de la culture, doit être notre premier souci, puisque l’apparition du livre numérisé aura un impact considérable sur les librairies et les bibliothèques, au risque d’une certaine destruction de valeur.

M. Benoît Bougerol, Président du Syndicat de la librairie française. Le syndicat que je représente regroupe les entreprises, ou la branche des entreprises, dont l’activité principale est la vente de livres dans des librairies indépendantes ou au sein d’une chaîne. La révolution technologique à laquelle nous assistons dépasse le livre électronique : elle tient à l’apparition d’Internet et à l’informatisation, dans notre société, de nombreuses opérations. Année après année, les évolutions technologiques ont été si nombreuses que l’on peut parler d’une véritable révolution, bien que, dans le même temps, on assiste à une évolution lente et continue des comportements qui conditionne l’accès à d’autres supports culturels. Si celle-ci peut paraître rapide à l’échelle de l’humanité, elle reste cependant progressive, au sens où l’apparition du livre numérique et la libération des contenus ne changent pas de manière immédiate le comportement de chacun.

Le rapport Gaymard reprend l’essentiel des débats qui entourent le livre homothétique et l’économie du livre. Dans la révolution ou l’évolution que nous connaissons, la place des librairies, comme lieux de médiation, doit être préservée. M. Colosimo a souligné le rôle de la diffusion, qui est loin d’être neutre. Qu’elle s’exerce dans un lieu commercial ou une bibliothèque, la médiation culturelle suppose un maillage du territoire, une proximité, une présence et un conseil. Autant de fonctions qu’un écran ne suffit pas à assurer. Le libraire est un passeur de culture, généralement passionné. Il est normal que, dans l’univers numérique, il continue à accomplir son œuvre de présentation. D’ailleurs, de nombreuses librairies possèdent un site Internet vendant des livres numériques. Depuis 2008, je propose moi-même le catalogue Gallimard de livres en ligne. D’autres éditeurs se sont greffés sur ce dispositif, complétant l’offre papier. Ce secteur, encore marginal sur le plan économique, améliore notre image de marque et facilite le travail au quotidien. Cependant, l’évolution technologique est si importante que certaines entreprises présentes sur le terrain ne peuvent pas suivre. Un accompagnement réglementaire paraît donc nécessaire, non pour défendre un secteur d’activité qui serait vieillissant ou obsolète, mais pour garantir une présence sur le territoire ainsi qu’un lien social et culturel.

A cet égard, la position des bibliothèques rejoint la nôtre. Notre métier suppose une présentation et une animation de l’offre, qui doivent être maintenues. Pour promouvoir le livre numérique, trente-cinq librairies en ligne ouvriront dans quelques semaines, grâce au Syndicat des librairies et aux aides de nombreux acteurs interprofessionnels. Le portail « 1001libraires.com » proposera ainsi une offre quasi exhaustive de livres numériques. Notre attitude n’est donc pas défensive, mais proactive. C’est ainsi que nous entendons prouver notre légitimité.

En matière de régulation, notre attente est double.

Il est logique que le livre numérique bénéficie comme le livre papier d’une TVA à taux réduit, puisque, dans les deux cas, le contenu est le même. Une telle mesure permettrait de développer le marché. Reste qu’aux États-Unis, il n’y a pas de TVA, et qu’il sera bientôt facile de se connecter sur un site américain pour y trouver des livres en français.

D’autre part, nous sommes favorables à l’instauration d’un prix unique, dans la logique de la loi s’appliquant au livre papier. Le rapport Gaymard rappelle pourquoi, depuis bientôt trente ans, nous sommes dans un cercle vertueux. La régulation a évité que le livre ne tombe aux mains de quelques acteurs qui auraient fait du discount. Seule une loi assurera la pluralité et le développement du marché. Elle garantira en outre l’amortissement des coûts informatiques et la bonne tenue des prix. L’inflation est quasi nulle pour le livre papier ; on peut espérer qu’il en sera de même pour le livre numérique.

M. Dominique Lahary, Vice-président de l’Association des bibliothécaires de France, président de l’Interassociation archives bibliothèques documentation (IABD). Il souffle ces temps-ci un air de révolution. La numérisation de l’écrit en est une et, comme dans toute révolution, il faut ménager des transitions et assurer les continuités nécessaires. Dans le domaine du livre, de nombreux acteurs entendent poursuivre leur activité, même si d’autres sont en train d’apparaître.

Acteurs du service public, les bibliothèques, les centres de documentation et les archives entendent continuer d’assurer l’accès à la culture et à l’information, de manière égale pour tous et sans concurrencer les libraires, dont elles sont depuis longtemps complémentaires. En matière de numérisation, les bibliothèques ont déjà fait l’expérience d’un sujet brûlant, avec le secteur de la musique.

La numérisation est rétrospective au sens où elle vise à rendre numérique ce qui ne l’était pas ou à renumériser ce qui ne l’était plus. C’est une grande œuvre patrimoniale, dans laquelle les bibliothèques joueront un rôle important. Non seulement elles détiennent les textes, mais elles sont garantes de l’intérêt public. Contraintes d’être de leur temps, elles sont aussi concernées par la diffusion d’œuvres numériques, homothétiques ou non, qui est déjà à l’œuvre outre-Atlantique. Nous avons le souci que l’on mette en place des modèles économiques et juridiques qui permettront de répondre aux attentes du public.

Pour l’instant, la France en est encore au stade de l’expérimentation. Il y a peu d’offres et quelques fournisseurs nouveaux, les agrégateurs, seront peut-être rejoints par les libraires. Il existe par ailleurs différents modèles de consultation, comme la lecture à l’écran, qui est à l’image ce que le streaming est à la musique, et le téléchargement, qui peut être chonodégradable. Quant à l’achat, il peut se faire par titre, par groupe ou par collection, ainsi que par abonnement ou par forfait. Notre souci principal est de ne pas figer, en imposant un modèle unique, un processus promis à évoluer. Nous ne prendrons pas parti entre les différents acteurs concernés par la proposition de loi sur le prix unique du livre numérique, car les bibliothèques doivent garantir la pluralité des pratiques.

Leur avenir peut être rapproché de celui des librairies, qui assurent comme elles l’accès aux œuvres et jouent un rôle de médiation dans des lieux physiques ou grâce à des sites ou à des portails numériques. En outre, les bibliothèques proposent de multiples activités. Loin de disparaître, comme l’a rappelé récemment Robert Darnton dans le Monde, elles sont de plus en plus fréquentées. L’avenir n’est donc pas au dialogue de l’utilisateur final avec une source unique qui supprimerait tous les intermédiaires, mais à de nouveaux modèles qu’il faut accompagner à titre expérimental avant que les usages ne se stabilisent. Le livre homothétique n’est qu’une étape provisoire avant d’autres formes de livre numérique. Pour l’heure, ce sont les produits d’autoformation, qui, en raison de leur interactivité, connaissent le plus de succès dans les bibliothèques.

M. Gérard Voisin, Vice-président, remplace le Président Pierre Lequiller.

M. Alain Kouck, Président-directeur général d’Editis. Pour les éditeurs, la plus grande révolution est non le numérique, mais le fait qu’Internet ait remis le lecteur ou l’utilisateur au centre du débat. Sur le plan économique, l’édition est un marché d’offre. Les éditeurs vendent 100 % de leurs ouvrages à des réseaux spécialisés : libraires, grandes surfaces spécialisées ou grande distribution. Avec ses 15 000 points de vente, la France dispose d’une force qui n’existe nulle part ailleurs. Le livre représente un chiffre d’affaires de 3,5 milliards d’euros et est de loin le premier secteur culturel de notre pays, avant la musique et le cinéma dont on parle pourtant davantage. C’est un des seuls à ne pas être subventionné, même s’il bénéficie d’un taux de TVA réduit.

La révolution créée par Internet dans le domaine du livre comme dans tous les métiers a introduit un lien avec le lecteur ou l’utilisateur, qui se trouve désormais au centre du débat. Ses souhaits et ses comportements sont davantage considérés. Cependant, les évolutions technologiques sont rapides et l’on ne peut pas encore savoir si, demain, nous lirons sur des ordinateurs, sur un iPhone ou sur un iPad.

Il est logique que les grands acteurs mondiaux qui ont anticipé ces évolutions se soient positionnés entre le lecteur ou l’utilisateur et les éditeurs ou les auteurs. Ira-t-on vers un métier d’offre ou de demande ? Pour l’instant, les éditeurs fixent le prix du livre, en fonction de critères de marché établis au fil des années en accord avec les libraires. Cependant, depuis près de dix ans, les grands acteurs mondiaux de la diffusion entendent le définir en fonction des attentes des lecteurs, qu’ils connaissent parfaitement. Les premières expériences ont permis de le fixer à 9,99 dollars. C’est ainsi que se sont constitués des réseaux dont il faut désormais tenir compte.

Pour que la création reste un métier d’offre, nous défendons avec beaucoup d’attachement l’indissociabilité du couple auteur-éditeur. On parle beaucoup de stars qui diffuseraient leurs œuvres en se passant de tout éditeur, mais le « top 25 » des meilleures ventes en littérature ne représente que 5 % du chiffre d’affaires. Les 95 % restants concernent 60 000 auteurs, dont les éditeurs assurent la diffusion. Si les grandes surfaces spécialisées et les libraires résistent mieux que les acteurs du commerce traditionnel non spécialisés, c’est parce qu’ils savent présenter cette offre au public. Pour cela, ils doivent être présents et visibles – ce que permet Internet – et jouer un rôle de conseil. S’il faut tenir compte des nouveaux acteurs, qui ont toute leur place, n’oublions pas que la création restera toujours un métier d’offre. On a pu le constater dans d’autres domaines : même si l’on a accès aujourd’hui à 300 chaînes, la télévision reste aux mains des créateurs.

Une autre spécificité française est le livre de poche, qui représente 25 % des livres vendus, 100 millions au total. Quand la grande distribution a vu apparaître ce qui n’était à l’origine qu’un reprint du grand format, elle a pensé qu’elle n’avait plus besoin des éditeurs et pouvait elle-même fabriquer les livres. L’échec a été total, preuve que le couple auteur-éditeur est indissociable.

En matière législative, nous avons trois attentes.

Tout d’abord, un cadre juridique est indispensable. Celui qui existe est éprouvé, puisque, en France, le livre se porte bien. Servons-nous donc de ce qui a fait la force du secteur depuis la loi de 1981 sur le prix unique du livre.

Ensuite, il faut maintenir les conditions d’une réalité économique en appliquant au livre numérique le même taux de TVA qu’au livre papier. On préservera ainsi la rémunération des auteurs, sans lesquels nous n’existons pas. On répète souvent que le numérique coûte moins cher, puisqu’il n’y a ni stock ni fabrication ni diffusion. Or la commercialisation et la logistique d’un stock représentent 14 à 15 % de son prix, soit l’écart exact entre le taux de 19,6 % et celui de 5,5 %. Une TVA à 19,6 % annulerait totalement l’économie que le numérique permet de réaliser par rapport au support papier.

Enfin, il faut veiller à rémunérer tous les réseaux spécialisés, à commencer par les libraires et les grandes surfaces, qui ont soutenu l’économie du livre papier et doivent subsister. Face aux nouveaux acteurs, on doit conserver un pluralisme absolu. Pour la presse, on est venu à créer des subventions afin de permettre aux diffuseurs de subsister. Il serait préférable, dans le cas du livre, de maintenir un réseau qui fonctionne.

M. Hervé Gaymard, co-rapporteur. La question se pose de savoir quel type de protection sera appliqué aux livres numériques. Les conséquences seront différentes selon que l’on y adjoindra aucun digital rights management (DRM), ce qui entraînera une possibilité totale de duplication, un DRM strict qui rendra impossible toute duplication ou un DRM allégé permettant la réalisation de cinq ou six copies.

M. Xavier Pryen, Directeur général des éditions L’Harmattan. La question des DRM se pose en effet. Le DRM allégé est une demi-mesure et ne pas en mettre du tout revient à ouvrir la boîte de Pandore. On en reste, pour l’instant, au DRM strict, ce qui donne du temps pour réfléchir.

M. Philippe Colombet, Directeur de Google France. Je suis très satisfait d’être invité dans ce débat public, même si d’autres acteurs globaux n’y sont pas.

Numériser un livre, c’est donner une chance à ce livre, notamment pour ceux difficiles à trouver, et à l’internaute. Cela aura un effet positif pour les livres difficiles à trouver. Les créateurs qui proposeront des livres numériques pourront ainsi trouver de nouveaux acheteurs, et pas uniquement parmi ceux qui ont grandi dans un environnement numérique.

Le livre numérique sera un défi important pour les libraires et les bibliothèques car de nouvelles compétences devront être acquises, ce qui requérra du temps et des investissements. Il ne représente finalement qu’une évolution très lente dans l’histoire du livre, ce qui permet une anticipation plus facile qu’en matière de musique ; on reste ainsi, de façon heureuse, dans le principe de précaution.

Tous les efforts qui seront faits en matière de régulation pour préserver l’écosystème du livre devront cependant prendre en compte l’acheteur de livre numérique.

A son égard, deux impératifs s’imposent.

D’abord, proposer un taux de TVA homogène dans l’Union européenne.

Ensuite, il faudra s’assurer que le livre numérique reste, après son achat, pérenne et interopérable. Pour cela ni logiciels ni mécanismes de lecture particuliers ne doivent être imposés afin qu’il puisse être lisible, pour tout le monde, sur plusieurs types de machines et achetable partout. Il faut donc des fichiers interopérables ou une possibilité de téléchargement à partir d’informatique en nuage (cloud computing). C’est un enjeu important et corollaire de celui du prix.

M. Pierre Coursières, Président du directoire de la librairie Le Furet du Nord, membre du Syndicat des distributeurs de loisirs culturels. Si on veut développer le livre numérique, il faudra se passer de DRM pour tirer les leçons de l’échec du téléchargement de musique.

Le livre numérique représente actuellement moins de 1 % du chiffre d’affaire du secteur en France. Je suis favorable à ce qu’on légifère uniquement sur le livre homothétique et aussi au fait de se revoir régulièrement.

Tous les libraires développent maintenant des sites Internet et sont prêts à vendre des livres numériques. Mais il faut pour cela disposer d’un cadre juridique précis pour pouvoir vendre de façon rentable.

Nous sommes favorables au prix unique et à la TVA à 5,5 %. Cela nous permettra d’être à armes égales avec des sites comme Amazon dont les ventes actuelles supportent un taux réel de TVA de 3 % alors que nous sommes soumis actuellement à un taux de 19,6 %. Cela nécessitera une intervention nationale et européenne, voire mondiale.

M. Alain Kouck, Président-directeur général d’Editis. Le DRM freine la diffusion. C’est ce qui résulte de l’expérience de notre actionnaire espagnol. En Espagne, en effet, l’ensemble des partenaires ont coopéré pour mettre en place une offre dans le cadre le plus légal possible et ont créé une plate-forme commune. Depuis sa mise en place, le pays connaît un record mondial en matière de piratage. Sur le fonds, je reste donc dubitatif car c’est un problème qui va nous menacer de manière permanente.

M. Franck Riester. Je suis surpris que les interventions ne fassent pas, dans l’ensemble, référence au téléchargement illégal. Lorsque l’on discute avec les acteurs de la filière musicale, c’est le premier, voire le seul objet de leurs préoccupations. Où en sont donc vos réflexions en la matière ? Serait-il opportun d’étendre le champ d’application d’Hadopi au secteur du livre ?

M. Marcel Rogemont. Je souhaiterais évoquer la loi Lang sur le prix unique, qui a des effets vertueux. Comment son dispositif peut-il s’appliquer dans un univers différent ? La question va au-delà de la simple concurrence dans un univers régulé car il est indispensable, pour la survie du livre, et en définitive de l’œuvre elle-même, ainsi que pour les auteurs. A-t-on déjà des éléments indiquant comment cet équilibre est perturbé et comment, également, peut-on conserver le rôle de l’éditeur comme pierre angulaire ? Je remercie de sa présence le directeur de Google France car se pose la question de savoir comment certaines entreprises accèdent aux œuvres et les utilisent de manière indépendante et comment elles abordent la question des droits afférents à ces œuvres. C’est la vraie question et il convient de savoir si nous avons, sur le plan européen, la possibilité d’agir.

Sur le fond, et c’est un constat, la valeur des biens culturels sur Internet tend clairement vers zéro. Dès qu’une œuvre est en ligne, tout le monde peut l’éditer. C’est une difficulté que l’on ne sait pas actuellement régler. Comment Google envisage-t-il de maintenir une chaîne du livre vertueuse comme celle qui existe en France ?

S’agissant de la TVA, je pense que tout le monde est d’accord sur l’opportunité d’un taux unique. Sur le plan européen, des initiatives ont été prises et certains pays ont été plus courageux que nous. Il faut savoir si l’on peut, ou non, avancer.

M. Jacques Grosperrin. De même que la télévision n’a pas tué la radio, je ne pense pas que l’électronique va mettre un terme à l’imprimerie. Je souhaiterais évoquer plusieurs questions, notamment celles du respect du code de la propriété intellectuelle, de la numérisation des œuvres orphelines et aussi du développement de la pratique de certaines revues scientifiques dont la diffusion n’est plus assurée que dans un cadre numérique, ce qui conduit à une explosion des coûts. Enfin, comment appliquer à la numérisation la règle du prix du livre ?

Mme Monique Boulestin. Merci, Madame la Présidente, d’avoir co-organisé avec Pierre Lequiller cette table ronde sur un sujet aussi sensible que celui de la numérisation de l’écrit et, plus particulièrement, du patrimoine écrit. En effet, lors de la présentation de mon rapport pour avis au ministre de la culture, j’avais longuement insisté sur la nécessité de numériser notre patrimoine écrit contemporain : manuscrits, carnets de notes, livres uniques ou œuvres orphelines, soit de 10 000 à 100 000 livres du XXe siècle, toutes indisponibles.

Comment en proposer une offre légale, comment en négocier la diffusion après numérisation ? Telles étaient alors mes questions.

Un rapport récent redonne toutes ses lettres de noblesse à la bibliothèque en ligne Europeana lancée en 2008 qui doit devenir « la référence première pour le patrimoine culturel européen en ligne ».

Par ailleurs, grâce au nouveau programme d’investissement d’avenir présenté actuellement par le Commissaire à l’investissement, René Ricol, nous savons que le développement des technologies associées à la numérisation du patrimoine va s’accélérer et que les discussions avec les éditeurs vont se poursuivre afin de rendre accessibles, sous forme numérique, des œuvres jusqu’alors indisponibles.

Dans ce domaine, l’action de la Bibliothèque nationale de France (BNF) est reconnue, d’une part, en termes de conservation d’environ 35 millions de documents, d’autre part, à travers le Plan d’action pour le patrimoine écrit (PAPE) et son soutien aux bibliothèques territoriales détenant des fonds patrimoniaux, représentant plus de 30 millions de documents anciens et précieux.

Par ailleurs, depuis la loi du 1er août 2006, la BNF, à travers son mécanisme de collecte, a élargi son périmètre de dépôt légal à Internet.

Rappelons enfin que la BNF a été pionnière en créant, dès 1998, une bibliothèque numérique (Gallica) qui contient plus de 900 000 documents, dont 150 000 livres.

Cependant, pour les bibliothèques publiques, il faut aller vite parce qu’il serait dangereux de laisser la numérisation de notre patrimoine à un acteur unique.

Qu’en est-il de la conclusion d’un accord-cadre respectant les droits de tous et ouvert à l’ensemble de la profession ?

Le consortium annoncé, associant les acteurs publics et la BNF, les auteurs et les éditeurs, est-il toujours à l’ordre du jour ?

Enfin, les bibliothèques régionales numériques d’excellence proposées par le ministre à la BNF vont-elles voir le jour ? Ma question s’adresse à M. Nicolas Georges et à M. Jean-François Colosimo.

Mme Colette Langlade. Je souhaiterais poser deux questions aux éditeurs et bibliothécaires ainsi qu’aux libraires. S’agissant des premiers, Internet est la plus grande révolution qui concerne la profession et la numérisation va entraîner des investissements, notamment en recherche et développement, considérables pour le fonds numérique. Quelles sont les actions entreprises en la matière et qui, in fine, va supporter les coûts ?

En ce qui concerne les bibliothécaires et les libraires, c’est une question très sensible car il y a l’enjeu de l’accès culturel et du maillage du territoire. Est-ce que tous les professionnels concernés sont prêts à faire face aux évolutions nécessaires ?

Mme Martine Martinel. A-t-on des éléments sur la conservation à long terme des fichiers ? De même, je souhaiterais évoquer la question de la numérisation des œuvres en braille destinées aux aveugles.

L’utilisation des œuvres orphelines va à l’encontre du respect du droit d’auteur. Etant sans auteur connu, elles ne me semblent pas devoir être utilisables. Comment le problème est-il réglé ?

M. Michel Lefait, co-rapporteur. Je m’interroge sur l’opportunité de créer, pour les livres numériques, un dispositif semblable à celui en vigueur pour les films, qui impose un décalage entre la sortie en salle et la mise en vente des DVD et vidéos. Un tel décalage doit-il être prévu pour le livre numérisé ?

M. Nicolas Georges, Directeur chargé du Livre et de la lecture au ministère de la culture et de la communication. Le ministère de la culture travaille depuis un certain temps avec la Bibliothèque nationale de France et le Centre national du livre sur un programme de numérisation du patrimoine écrit. C’est un travail qui se trouve grandement facilité par ce qui est une spécificité française, le dépôt légal auprès de la BNF.

Sur le fond, je ferai quelques remarques. D’abord, la France est l’un des rares pays, voire le seul, à se donner les moyens d’avoir une politique publique de financement de la numérisation du patrimoine écrit. Beaucoup de discussions ont lieu au niveau européen, et récemment encore, un Comité des Sages, nommé sur l’initiative du ministre français de la culture, a remis un rapport se concluant par d’importantes recommandations mais insistant aussi sur la question essentielle du financement. Il faut prévoir les moyens financiers de la numérisation. La France est le seul État à disposer, depuis 2006, d’une telle ligne de crédits, de 10 millions d’euros. On peut estimer que ce n’est pas suffisant ou que cela ne va pas assez vite, mais l’effort est là, avec la numérisation rétrospective des catalogues exploités des éditeurs et du patrimoine écrit français se trouvant dans les fonds de la BNF.

La BNF occupe une place éminente, du fait du dépôt légal, parmi les bibliothèques numériques de référence. Le ministère de la culture considère qu’il est important que la numérisation concerne également le patrimoine écrit se trouvant dans d’autres fonds. Les villes, notamment, en ont d’importants issus soit de leur propre politique de collecte, soit de la nationalisation de fonds conséquents sous la Révolution. Même si cela a engendré une polémique, il est essentiel que la ville de Lyon se soit la première engagée avec raison et courage dans la numérisation. Sa bibliothèque représentant peut-être le plus beau fonds patrimonial en Europe, il paraît légitime que cette ville soit visible sur Internet et puisse valoriser son patrimoine. D’autres villes pourraient également le faire, dès lors qu’elles disposent de fonds extrêmement importants. Le ministère de la culture peut en effet créer une expertise numérique, mettre à disposition des crédits et faire exister de grands pôles de numérisation de bibliothèques patrimoniales. C’est dans ce sens qu’a été lancé le concept de bibliothèque patrimoniale numérique.

Les œuvres non disponibles sont un vaste sujet qui va bientôt faire l’objet d’un accord à proprement parler révolutionnaire. Il est opportun de rendre disponible en ligne non seulement les œuvres du patrimoine mais aussi les œuvres quasi-patrimoniales, actuellement indisponibles dans le commerce et correspondant aux époques entre le XVIe et le XIXe siècle. Le ministère de la culture, en partenariat avec les présidents du SNE, de la BNF et de la Société des gens de lettres, va conclure, au début du mois de février, un accord-cadre concernant plusieurs centaines de milliers de livres avec la mobilisation de ressources provenant du Grand emprunt.

M. Jacques Toubon, chargé d’une mission européenne sur la TVA des biens culturels. M. Pierre Coursières rappelait qu’Amazon se voit appliquer une TVA à 3 % et la FNAC.com une TVA de 19,6 %. Tout est dit. La réponse globale à toutes les questions posées ne peut être qu’économique et la fiscalité est une des conditions économiques. Nous évoluons dans un système dans lequel le lecteur, c’est-à-dire le consommateur, fait que l’activité existe et est valorisée. Sommes-nous capables, au travers de la régulation du marché, de mettre en place et de susciter rapidement une économie équilibrée de la diffusion en ligne du livre ? Il s’agit là d’une question pour demain et non d’une question nécrologique. Les débats permanents en France entre l’exception et la règle ou encore la culture et le marché sont dépassés. Ou nous mettons en place une offre légale, économique et viable, ou tout le reste ne sera d’aucune importance. D’ici cinq ans risque de se produire une énorme concentration entre les mains de trois ou quatre entreprises qui détiendront 80 % de l’activité. Mon travail n’est pas d’expliquer à nos partenaires à Bruxelles qu’ils doivent faire une place à la culture ni de vanter auprès de la Commission européenne les écrivains qui seraient plus intéressants que les marchands car, alors, je trouverais porte close.

Le secteur de l’édition représente 4 milliards d’euros dans notre pays et nous avons une marge de progression très importante si nous sommes compétitifs avec les Américains, les Japonais et les Coréens. Les industries culturelles représentent 2 % du PIB et 3 % des emplois en France et ces chiffres doivent être doublés d’ici 2020. Si nous ne mettons pas en œuvre des services français et européens de diffusion en ligne qui soient des entreprises, alors nous pourrons continuer notre politique en faveur du livre qui ressemblera à une lutte contre l’extinction inévitable des espèces en voie de disparition.

M. Jean-François Colosimo, Président du Centre national du livre. Le Centre national du livre (CNL) a débuté son programme de numérisation il y a cinq ans, pour un engagement total de 25 millions d’euros. Cette somme peut sembler mineure au regard des engagements de grands acteurs globaux, mais elle est significative. S’agissant des œuvres sous droits, 4,5 millions d’euros seront investis cette année dans la numérisation pour la création d’un marché et d’une offre numériques français.

Nous assistons également les libraires, projet central pour le CNL. Nous avons contribué à donner à CAIRN la possibilité de devenir un acteur autonome, aujourd'hui acteur dominant et équilibré financièrement. Le numérique est une planche de salut pour ce type d’organisme. Nous avons également aidé à la formation d’une plate-forme unique de diffusion de bandes dessinées franco-belges, IZNEO. Nous nous félicitons que les acteurs français et belges aient su s’unir. Enfin, nous sommes tout à fait prêts à négocier avec Google sur l’indexation des livres numérisés notamment.

Le livre numérique constitue notre nouvel horizon et nous posera de nouvelles questions. L’action législative est appelée à évoluer. Nous avons à ce sujet un rôle de veille sur plusieurs questions : quels sont les acteurs du livre numérique ? En quoi reste-t-il un livre ou devient-il un objet autre ? Les acteurs économiques français du livre ont fini par prendre la mesure de la numérisation.

Mme Marie-Pierre Sangouard, Directrice du Livre de la FNAC. Je souhaite aborder en premier lieu le DRM. Faut-il un DRM contraignant ou, au contraire, inexistant ? La DRM représente aujourd'hui un parcours très compliqué pour le client. Il est difficile d’y accéder et de s’y connecter. Il ne permet ni de mettre en valeur l’offre numérique, ni l’accès à la lecture sur une plate-forme propriétaire de type Amazon ou Apple. Nous souhaitons la suppression des DRM mais il sera alors absolument nécessaire de développer l’offre légale de titres : 80 000 titres de fiction sont disponibles en numérique mais seuls 15 à 18 000 existent en format e-Pub, ce qui est très insuffisant.

Il faut en second lieu traiter la question du prix et écouter le consommateur pour créer une offre attractive. La perception des prix du numérique est difficile : le prix d’un livre numérisé est inférieur de 20 à 30 % par rapport à l’édition papier mais, quand le livre de poche existe, le prix du numérique demeure indexé sur celui du grand format, ce qui est incompréhensible et ce qui génère du piratage. La bande dessinée est totalement numérisée. Les livres n’étant pas assez rapidement numérisés sont très vite piratés : il faut donc proposer une offre légale et attractive. Le marché du papier est important et, selon nos anticipations, le restera encore longtemps. En 2015, nous estimons que le numérique devrait atteindre 5 à 10 % du marché en France, si les choses n’évoluent pas plus vite qu’à l’heure actuelle, contre 17 % aux États-Unis.

Une grande partie du réseau des libraires risque de disparaître. Il faut donc réaffirmer le rôle des libraires. La FNAC et le Syndicat des distributeurs de loisirs culturels (SDLC) pensent qu’il faut une concurrence équitable entre les différents acteurs. Les contrats de mandat créés à l’image des contrats d’agences d’Apple sont une contrainte en matière de politique commerciale qui, si l’on applique la loi au pied de la lettre, est dictée par les éditeurs, d’où un risque d’uniformisation. Or, le conseil et la prescription fournis par les libraires sont des éléments essentiels.

M. François Gèze, Président-directeur général de La Découverte. S’agissant du coût des grands portails de revues scientifiques anglo-saxonnes, il existe des possibilités d’aller contre les tendances décrites, en organisant des partenariats publics-privés avec le monde de l’éducation. Le portail CAIRN qui est un grand succès grâce à la collaboration avec les bibliothécaires universitaires, permet d’offrir des revues à un prix très raisonnable pour le public. Les bibliothécaires universitaires sont les plus en pointe sur la question du numérique et l’édition scolaire propose tous ses manuels en papier et en numérique. Mais il y a un problème sérieux car, globalement, à part quelques initiatives locales, des efforts suffisants ne sont pas faits pour développer les partenariats entre établissements et éditeurs.

M. Benoît Bougerol, Président du Syndicat de la librairie française. Plusieurs d’entre vous ont interpellé les libraires. En matière de piratage, la meilleure réponse est une offre légale, riche et adaptée. On a ainsi pu voir l’effet de la réponse rapide de Flammarion pour le dernier livre de Michel Houellebecq « La carte et le territoire ». Une rétention systématique des livres ne sera d’aucune utilité.

L’éditeur joue un rôle essentiel en fixant les conditions de vie des libraires et la rémunération des auteurs. Il a donc une part active à jouer dans l’organisation du marché du numérique. Le travail du SNE sur ce dossier est primordial.

En réponse à Mme Colette Langlade qui souhaitait savoir si les libraires étaient tous prêts à répondre « présents » sur le numérique, bien que je ne puisse m’engager pour les 1 500 entreprises de librairie, nous avons, dès 2006, réfléchi à mettre en œuvre un portail commun de la librairie. Les libraires ont investi collectivement dans ce portail avec la volonté d’être tous impliqués : deux cents ont signé les premiers accords avec « 1001libraires.com ». Compte tenu de notre lien de proximité avec les lecteurs, il ne faut pas abandonner ce lieu physique et ce rôle de médiation. Ce qui nous inquiète, par contre, est la capacité d’investissement des librairies. Leur rentabilité interne est en moyenne inférieure à 0,8 % et le plus haut niveau de rémunération qu’un libraire très qualifié puisse atteindre est de 1 650 euros brut par mois. Leur fragilité économique doit donc être soulignée. Nous avons besoin d’un squelette sur lequel nous puissions travailler et non pas d’une armure pour nous protéger.

Des questions de fond vont se poser et je crains une guerilla entretenue de façon obsessive sur le prix du livre. Le chiffre d’affaires du livre est sans cesse rappelé mais rappelons par comparaison que l’ensemble des abonnements de téléphonie mobile et à Internet représentent 40 milliards d’euros. La principale difficulté du livre est le manque de temps disponible et le manque d’envie car nous sommes en concurrence avec d’autres loisirs. Je ne pense pas que nous soyons en concurrence au niveau du coût, eu égard au prix moyen du livre qui est de 10 euros. Comme le rappelle Philippe Moati dans ses travaux, les gens lisent moins et le nombre de grands lecteurs diminue. De moins en moins de personnes accèdent aux livres et font l’effort de lire. Il nous faut donc redonner envie aux gens de lire.

M. Emmanuel de Rengervé, Délégué général du Syndicat des auteurs et compositeurs. Représentant le Syndicat des auteurs et compositeurs, je peux vous faire part de notre expérience dans le domaine de la musique qui nous autorise à douter de l’efficacité des dispositifs de gestion des droits numériques (DRM), en matière de mesures techniques de contrôle. S’il s’agit, en revanche, de produire des données permettant d’établir la traçabilité des œuvres, de les associer ainsi à leurs ayant droit et de les gérer, nous ne pouvons qu’y être favorables. Il convient en effet de rappeler que les DRM ne sont pas que des mesures de protection mais des données associées à des fichiers, permettant d’identifier une oeuvre ou un extrait d’œuvre et de les rattacher à ses ayants droit, en particulier son auteur.

L’interopérabilité est également une question importante pour les auteurs, surtout si la circulation des œuvres venait à être entravée par la mise en place de systèmes propriétaires. A défaut d’interopérabilité, les éditeurs avec qui traitent les auteurs devraient s’engager à mettre à disposition des différents systèmes propriétaires les fichiers numériques, permettant ainsi une circulation des œuvres, dans des conditions équitables, sur tous les systèmes possibles. Les auteurs perdraient, sinon, tout contrôle sur la diffusion de leurs œuvres, le cessionnaire de l’œuvre décidant seul, alors, du circuit de distribution.

La chronologie des publications ne semble pas devoir s’appliquer ici, puisque le livre numérisé apparaît plutôt, pour le moment, comme une sorte de produit d’appel d’abord destiné à inciter à acheter le livre papier. La chronologie des publications telle qu’elle existe pour le cinéma est destinée à permettre le financement des œuvres et leur amortissement aux différentes étapes de leur exploitation, la salle, la vidéo, les co-producteurs – télédiffuseurs, les télédiffuseurs généralistes puis les marchés secondaires. Cette logique de diffusion s’adapte mal au livre, la réglementation dans ce domaine semblant délicate. Mais un large accord entre les professionnels pourrait permettre, au-delà de cette base réglementaire, l’introduction d’une chronologie des publications adaptée au livre.

S’agissant des œuvres orphelines, une proposition de loi adoptée par le Sénat relative aux oeuvres visuelles orphelines et modifiant le code de la propriété intellectuelle a été transmise à l’Assemblée nationale, mais elle ne vise que les seules œuvres visuelles. Il me semble que son champ doit être élargi, les œuvres orphelines concernant d’autres domaines de la création. C’est une préoccupation de la direction du livre et de la lecture du ministère de la culture qui, après discussions avec les représentants des auteurs, devrait faire l’objet de propositions consensuelles pour mettre à la disposition du public les œuvres orphelines, dans des conditions respectueuses du droit d’auteur.

La question du bon prix pour le livre numérique repose d’abord sur les attentes des internautes, qui l’imaginent inférieur à celui du livre papier. Il semble donc déraisonnable de penser que ce prix puisse être maintenu à son niveau papier et, comme représentant des auteurs, je me prépare à cette situation. Un prix différent entraîne une assiette différente des droits d’auteur, alors même que le taux de la TVA est également différent entre le numérique et le papier. La rémunération des auteurs ne pourra par conséquent être maintenue qu’en pourcentage, pas en valeur. Le même pourcentage appliqué à une assiette diminuée supportant une TVA plus importante a comme conséquences des droits d’auteur deux à trois fois moindres pour chaque exemplaire vendu sur support numérique par rapport à sa version papier.

IZNEO est une initiative très intéressante, mais qui s’est faite sans les auteurs, à la veille du dernier salon du livre. Les auteurs ont réagi en lançant une pétition qui a recueilli plus de 1300 signatures protestant contre cette initiative unilatérale des éditeurs. Ils ont été rejoints par 13 associations professionnelles d’auteurs, tous soulignant qu’éditeurs et auteurs sont partenaires et doivent se concerter en conséquence sur l’utilisation du support numérique.

M. Jean-François Colosimo, Président du Centre national du livre. Il est important que les mêmes qui s’accordent à vouloir une distribution ouverte acceptent parallèlement l’ouverture de la numérisation, alors qu’ils sont dans une position quasi monopolistique sur ce point. Comme le soulignait M. Benoît Bougerol sur la lecture, la deuxième étape de la réflexion législative devra prendre en compte le passage du livre numérisé, à propos duquel des règles peuvent être trouvées, au livre numérique. C’est à ce moment que les modifications du statut de l’auteur, de l’éditeur et du lecteur vont être les plus profondes. Des effets correctifs cependant se produisent d’eux-mêmes. Ainsi, dans les manifestations littéraires, la lecture publique des textes obtient un vrai succès. On assiste à un phénomène de collectivisation, de communautarisation, de « communisation » de la lecture qui permet d’en enrayer le déclin et la chute. On peut donc penser que le livre numérique, s’il existe vraiment un jour dans sa forme achevée, prendra, comme l’Iliade, la forme d’un livre collectif, avec une multitude d’auteurs de différents siècles et lieux, avant d’atteindre sa forme définitive. Cette dimension collective est à prendre en compte. Elle correspond à des formes archaïques qui resurgissent aujourd’hui dans la post-modernité. Le défaitisme n’est pas de mise sur l’écriture et la lecture. Cette dimension collective de la lecture concerne bien sûr les auteurs puisque, par exemple, lorsqu’un texte est lu aujourd’hui par un acteur dans le cadre d’une manifestation littéraire, l’auteur ne perçoit pas de droits.

La Présidente Michèle Tabarot. Les différents thèmes de notre table ronde ont déjà été évoqués, mais je vous propose cependant de revenir sur le livre électronique et les droits d’auteur.

Mme Christiane de Mazières, Déléguée générale du Syndicat national de l’édition. En matière de livre électronique et de droits d’auteur, les questions se posent tant au niveau européen qu’en France. Le droit d’auteur doit toujours, depuis sa création au XVIIIe siècle, respecter un équilibre entre la protection des intérêts des auteurs et l’accès à l’information. Le livre numérique relance les débats sur cet équilibre à trouver. Des exceptions au droit d’auteur ont ainsi été prévues par la loi no 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information pour certaines personnes, notamment handicapées. La mise en œuvre de ces mesures depuis un an, s’appuyant sur une plate-forme utilisant les fichiers transmis rapidement par les éditeurs, est satisfaisante.

Le débat sur les œuvres indisponibles et orphelines se matérialise en particulier par le fameux « trou noir » ou la « zone grise » concernant essentiellement les œuvres du XXe siècle, situées entre celles tombées dans le domaine public et celles aujourd’hui disponibles, sous droits. Les moyens actuels de numérisation suscitent une attente forte des lecteurs de pouvoir disposer de ces œuvres au-delà des bibliothèques qui les conservent. Le Syndicat national de l’édition, en association avec le ministère de la culture, les auteurs et le Commissariat général à l’investissement, responsable des investissements d’avenir du grand emprunt s’est fixé un objectif de numérisation d’environ 500 000 œuvres relevant de cette catégorie. Elles seraient alors gérées collectivement, seule méthode permettant de procéder rapidement. Un accord cadre devrait être signé la semaine prochaine pour finaliser ce projet entre le ministère de la culture, le commissariat général à l’investissement, la Bibliothèque nationale de France, la Société des gens de lettres et le Syndicat national de l’édition.

Les œuvres orphelines sont une sous-catégorie des œuvres indisponibles. Elles font l’objet d’un projet de directive européenne qui semble pour l’instant enlisé. Mais les réunions régulières qui ont lieu à ce sujet au niveau européen laissent apparaître que le principe de recherche diligente des ayants droit est retenu, permettant un compromis entre l’accès rapide aux œuvres et le respect des droits d’auteur. Cette recherche s’appuierait sur le système « ARROW » (Accessible Registries of Rights Information and Orphan Works), qui se matérialise par une mise en réseau de bases de données européennes, financée par la Commission européenne et que la France a, la première, testé avec succès. Ce dispositif, étendu à d’autres pays en particulier l’Allemagne, permet de déterminer le statut juridique de l’œuvre. Des avancées intéressantes sont donc en cours sur les droits d’auteur et la numérisation.

Mme Michèle Battisti, Vice-présidente de l’Interassociation archives bibliothèques documentation (IABD). Je représente aujourd’hui l’Interassociation archives bibliothèques documentation (IABD). Les archivistes, les bibliothécaires et les documentalistes sont conscients des questions juridiques que pose la mise en valeur de la « zone grise ». Les préconisations faites tant au niveau national qu’européen pour y répondre montrent que l’on s’oriente vers une gestion collective pour numériser et communiquer au public les œuvres qui ne sont plus disponibles dans le commerce, qu’elles soient orphelines ou non.

Disposer ainsi d’un guichet unique est effectivement une solution séduisante. Mais la gestion collective appelle quelques remarques.

Les coûts de transaction doivent être « raisonnables », suivant l’expression utilisée par le Comité des sages dans son rapport. Doivent aussi être raisonnables les efforts exigés pour retrouver les ayants droit et les barèmes des licences. Ceux-ci tiendront compte de la nature de l’œuvre, de son ancienneté ou encore des efforts réalisés pour sa mise en valeur, ou pourquoi pas aussi, des conditions de sa réutilisation par le public. La réutilisation à des fins privées ou pédagogiques ou à des fins commerciales ne doit pas être négligée, puisqu’elle favorise les nouvelles créations.

L’« opt out », permettant à un ayant droit de se retirer à tout moment de la gestion collective, semble privilégié, ce qui est naturel. Mais, dans ce cas, le titulaire de la licence a payé en quelque sorte « pour du vent ». Il serait plus raisonnable de fixer une durée minimale, suffisamment longue, pour l’attribution de la licence et une tacite reconduction à l’expiration de cette période.

Le système adopté doit être simple car la complexité est la porte ouverte au piratage. Les bibliothécaires ne tomberont pas dans ce travers, mais ils pourraient être tentés, en revanche de geler les œuvres, ce qui serait dommageable pour les auteurs, surtout s’il s’agit d’œuvres estimées n’avoir aucune valeur commerciale.

La simplification consiste aussi à fixer une date butoir au-delà de laquelle on recourt automatiquement à la gestion collective, comme le recommande le Comité des sages. Cette solution semble avoir été retenue dans les négociations en cours, en France, qui concerneraient les livres publiés avant l’an 2000.

Quelques remarques doivent être faites concernant l’utilisation des droits non répartissables suite à l’impossibilité d’identifier les ayants droit. Ils ont bien vocation à financer la création, mais seulement au bout de dix ans, ou de cinq ans comme cela était envisagé dans le rapport du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Leur montant risque d’être élevé lorsqu’il s’agit d’œuvres orphelines ou d’œuvres partiellement orphelines, dont les éditeurs n’ont pas les droits numériques.

Ces sommes collectées pour rémunérer les ayants droit qui se manifesteraient, devraient également servir à alimenter des bases de données permettant de retrouver les auteurs, et limiter ainsi les coûts des recherches ultérieures menées pour retrouver les ayants droit. On peut même imaginer qu’au bout d’un certain délai, une partie des sommes versées par le titulaire de la licence lui soit reversée afin d’être réinvestie dans la numérisation d’autres œuvres.

Quelques remarques complémentaires. « L’orphelinat » concerne le livre publié et aussi tous les types d’œuvres, notamment la presse, mais aussi des œuvres qui n’ont jamais été commercialisées. Que doit faire un bibliothécaire des photos, des films d’amateurs ou des interviews, pour ne donner que quelques exemples de ces œuvres très diverses que l’on trouve dans nos fonds? Peut-on, dans ces cas-là, prendre le risque de les mettre en ligne et de gérer les quelques cas où des ayants droit se manifesteraient?

Il n’y a pas de gestion collective, en revanche, lorsque la numérisation est réalisée par le secteur privé, ou pour les œuvres épuisées les plus récentes, dont les éditeurs disposent des droits numériques. Dans ce cas, on rejoint la situation du livre numérique ou numérisé, proposé sur les réseaux commerciaux, pour lequel des accès par des abonnements à des conditions raisonnables devraient être accordés aux bibliothèques.

Enfin il faut signaler la situation, qui prévaut souvent, d’ayants droit retrouvés ne revendiquant aucun droit. Dans ce cas, les contacter permet souvent de collecter d’autres œuvres, comme le montre l’exemple d’une bibliothèque gérant un fonds de photographies.

M. Nicolas Georges, Directeur chargé du livre et de la lecture au ministère de la culture et de la communication. Le ministère de la culture, que je représente, est chargé du droit d’auteur en France, depuis sa création en 1959, ayant récupéré un certain nombre de compétences en matière de livre et de politique du livre, du ministère de l’éducation nationale. Entre l’utilisateur et l’auteur, le ministère a, de par son rôle même, été plus sensible aux droits du créateur, afin de défendre la création. L’ère numérique pose néanmoins la question de la volonté croissante d’avoir accès à l’ensemble des œuvres. On le soulignait récemment à propos de la numérisation de la Bibliothèque nationale de France, le lecteur désire avoir accès à toutes les œuvres, partout et à n’importe quel moment. Cette pression entraîne la remise en question du droit d’auteur. Nous tentons, avec l’aide des professionnels, d’y répondre, dans deux directions. La première vient d’être rappelée : lorsque manifestement le droit d’auteur présente un aspect bloquant à l’accès du plus grand nombre, il doit être possible, de façon collective et légale en respectant les droits de chacun, d’en desserrer les contraintes. D’autres techniques juridiques sont habilement utilisées pour accéder aux œuvres sans respecter le droit des créateurs. On ne saurait s’en satisfaire.

Depuis un an, un patrimoine considérable de plusieurs centaines de milliers d’œuvres, pour l’instant inaccessibles, a la perspective d’être débloqué dans des conditions respectueuses du droit de chacun et des conditions économiques acceptables, en utilisant un système peu répandu dans le secteur du livre : celui de la gestion collective. Cette année de négociations va donc aboutir. Pourquoi ces œuvres n’étaient-elles pas disponibles et pourquoi le droit d’auteur était-il bloquant ? Simplement parce que la vie « papier » de ces œuvres était finie et qu’il n’était plus rentable pour un éditeur de les réexploiter en édition papier, alors que la renégociation avec les auteurs pour leur assurer une vie numérique aurait été trop longue, trop onéreuse pour assurer l’équilibre de l’opération. La gestion collective permet justement de remédier à ces difficultés et à rendre de nouveau disponible un patrimoine important du XXe siècle. La France est donc à même de proposer des solutions innovantes dans ce domaine. Il est important de pouvoir proposer au lecteur, très vite, une offre aussi abondante que l’offre papier et aussi simple d’utilisation, sans blocage technologique ou incompréhensible, de DRM, et avec un modèle de régulation adapté. Ce modèle, en discussion à l’Assemblée nationale, après son examen par le Sénat, met en place une régulation par le prix.

Il est nécessaire d’aller vite, parce que d’autres vont encore plus vite : si le marché du livre numérique en France est d’à peine 1 % il atteint près de 10 % aux États-Unis et se développe rapidement au Royaume-Uni. La représentante de la FNAC l’a rappelé, le nombre de titres disponibles en France, plusieurs dizaines de milliers, n’est pas si faible que ça, mais pourtant le marché ne décolle pas, malgré le nombre de tablettes vendues. Or, le fait que le marché légal ne décolle pas peut laisser craindre que le piratage, lui, progresse. Ce n’est en effet plus un phantasme dans le domaine du livre, comme l’a également rappelé Mme Marie-Pierre Sangouard, en particulier pour la bande dessinée.

La loi no 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre semble parfaitement adaptée au livre numérique. Il a été rappelé que le livre numérique n’était pas une véritable révolution, au regard de l’histoire longue du livre, contrairement, par exemple, à l’apparition du livre de poche au XXe siècle, à prix très réduit, qui a entraîné un élargissement considérable du marché. Il s’agit ici plutôt d’une évolution qui sur les quatre à cinq prochaines années, donnera au livre numérique une place de 10 % du marché du livre. Il s’agit donc de maîtriser et d’encadrer cette évolution avec des éléments de régulation qui peuvent parfaitement être empruntés au secteur du livre papier. L’application de la loi sur le prix unique du livre a été un succès car elle a maintenu jusqu’à maintenant un réseau important de librairies garantissant un accès très large au livre sur l’ensemble du territoire. On fait souvent remarquer que l’accès est parfaitement assuré par les réseaux numériques dans le cas du livre numérique. L’argument de la diversité culturelle pourrait ne plus être opérant puisque le livre numérique va être vendu, grâce à la baisse des coûts de production, à des prix très inférieurs à ceux du livre papier. Le risque serait donc moindre pour l’éditeur qui pourrait publier des nouveautés satisfaisant à la diversité culturelle de façon plus simple que dans le domaine papier.

Les deux objectifs de la loi du 10 août 1981 restent cependant pertinents dans le domaine du livre numérique. Les coûts de fabrication vont, certes, baisser. Mais si son prix n’était pas régulé par l’éditeur ou s’il était fixé par l’aval de la chaîne, et notamment par les grandes entreprises très actives sur ce marché, on pourrait alors craindre que la chaîne de création, auteurs et éditeurs, ne soient plus rémunérée, comme cela a été récemment le cas aux États-Unis et au Royaume-Uni. En outre, les mêmes exemples étrangers montrent moins une croissance du marché du livre qu’une substitution du livre numérique au livre papier, entraînant une contraction du marché physique, comme pour la musique, avec une chaîne de valeur et de création finalement moins rémunérée. Il convient donc d’encadrer et de maîtriser la baisse probable du prix.

Dans ce contexte, les librairies physiques deviennent-elles inutiles, trois ou quatre acteurs pouvant parfaitement s’y substituer et assurer la diversité du livre numérique ? Rappelons, à cet égard, que lorsque la Commission européenne n’a autorisé que la reprise d’une partie des activités du groupe Editis par Hachette en se fondant sur le fait qu’un rachat total donnerait à Hachette, non pas trop de marques commerciales, mais une position trop dominante dans les réseaux de distribution et donc sur la « table du libraire » où les nouveautés trouvent leur place, grâce au travail de médiateur du libraire lui-même. Cette situation est, elle aussi, parfaitement transposable dans le domaine numérique. L’achat sur Internet se fait par un écran d’ordinateur sur lequel sont disponibles 60 000 nouveautés qui rivalisent pour accéder à la première place. Or y accèdent, en fait, les nouveautés générant les plus grandes ventes. La diversité culturelle et éditoriale ne trouvera donc pas davantage sa place à travers ces quelques grands réseaux de vente numérique que dans l’univers physique. En outre, l’évolution de la vente du livre numérique dans le monde montre que toutes les grandes chaînes de vente de livres physiques s’orientent vers la vente des livres numériques, à l’exception de la firme Amazon qui se consacre exclusivement à la vente numérique. Il serait étonnant que seul ce type d’entreprise ait sa place dans le commerce du livre numérique. Un certain nombre de principes valables pour le livre papier sont donc parfaitement transposables au livre numérique.

Le prix tendrait-il vers zéro dans l’univers numérique, comme le soulignait M. Marcel Rogemont ? Il ne semble pas que ce soit le cas. Le disque est en effet confronté au piratage qui fait tendre son prix vers zéro, rendant son redressement difficile. La situation est très différente pour le livre qui connaît une grande variété de prix. La chronologie des formes de publications permet ainsi de trouver à des prix très accessibles, au format poche, des livres sortis quelques mois auparavant, le livre numérique lui-même ne se vendant pas à un prix nul. Certes, son prix va, sans doute, baisser. Certains estiment que cette baisse devrait être au moins de 30 %. Les consommateurs attendent, d’après des études de marché menées par Ipsos, des prix en diminution de 36 % pour les nouveautés et de 38 % pour les livres du fond. Mais une baisse n’est pas un prix zéro. Aux États-Unis où le marché se développe considérablement, et où les prix sont libres, le modèle qui s’impose est celui du prix fixe, à l’image de celui d’Amazon à 9,99 $, grâce aux contrats d’agence signés entre les grands éditeurs et les acteurs de l’Internet, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Ces contrats d’agence ont d’ailleurs abouti à une remontée du prix par rapport aux 9,99 $ initiaux, ce qui n’a pas, contrairement à ce qu’a affirmé Amazon, entraîné un effondrement du commerce du livre numérique. Les ventes de livres numériques ont, en effet, continué, bien au contraire, à prospérer. Il semble donc parfaitement possible, avec un encadrement du prix par l’éditeur, d’aboutir à une tarification qui garantisse tant la rémunération de la création que la possibilité, pour le lecteur, d’accéder, dans des conditions de tarification raisonnable, à une offre abondante. La loi sur le prix unique du livre numérique semble être un outil parfaitement adapté pour accompagner l’évolution de ce marché, pour les quatre à cinq années à venir.

M. Jean-Claude Bologne. Autant, en matière de création et d’économie numérique, j’ai parlé de révolution, autant en matière de droits d’auteur, je pense que nous sommes dans une évolution qui se fera assez naturellement. Nous sommes bien protégés par le code de la propriété intellectuelle, par la convention de Berne et le ministère de la culture et de la communication. Le cadre existant nous convient et il n’est absolument pas bloquant de la part des auteurs, lorsqu’il est bien compris. Son évolution doit se faire naturellement, au plan législatif le cas échéant mais certainement pas judiciaire. Si nous continuons à soutenir fortement la loi sur le prix unique du livre numérique, la baisse de la TVA et la numérisation des œuvres indisponibles, c’est parce que nous sommes persuadés que l’on peut aboutir à un marché du livre numérisé qui offre des conditions acceptables pour les auteurs.

Les droits d’auteur recouvrent les droits d’auteur ab initio, exercés par l’auteur et les droits d’auteur par cession, exercés par les éditeurs. Nous nous sommes souvent sentis victimes du caractère bloquant des droits d’auteur quand il nous est impossible de reprendre nos droits sur certains livres et d’exploiter avec d’autres éditeurs des livres épuisés ou indisponibles. Nous ne souhaitons pas que ces blocages se retrouvent dans le droit numérique.

Nous ne souhaitons pas non plus que les droits d’auteur sur les livres numériques soient bloqués soixante-dix ans après la mort de l’auteur, car il s’agit là d’un droit d’auteur bloquant auquel nous ne sommes pas favorables. S’il y a, de la part des auteurs, une possibilité de blocage, c’est bien malgré nous. Il ne faut pas leur laisser la seule possibilité de refuser, il faut leur donner le droit de dire « oui » car la diffusion de nos œuvres est capitale.

M. Jacques Toubon a estimé que la réponse globale doit être économique et l’économie numérique, équilibrée. Si l’économie numérique permet aux auteurs de vivre, il n’y aura aucun blocage, bien au contraire. Le problème est que de nombreux modèles économiques potentiels se mettent en place reposant sur le piratage, la gratuité, l’absence de DRM et séduisant un certain nombre de nos confrères mais contre lesquels la Société des gens de lettre continue de lutter. Il est important de souligner que la rémunération de plus de 90 % des auteurs est inférieure au seuil d’affiliation à l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (AGESSA), c’est-à-dire à peu près 8 000 euros par an. Il faut effectivement à ces auteurs d’autres activités pour vivre, telles que la participation à des conférences, à des ateliers d’écriture, activités qui sont permises par la diffusion du livre. En ce qui me concerne, je vis depuis 25 ans de mes droits d’auteur et de la vente de mes livres. Pour la première fois cette année, j’atteins le seuil d’affiliation à l’AGESSA, et ce, grâce à des conférences, des œuvres publiées en revue, c’est-à-dire grâce à toute une série d’activités qui ne sont pas l’écriture, qui ne sont pas mon métier. Cela me fait souffrir et je ne voudrais pas que cela devienne un modèle économique d’avenir. Je souhaite donc que se mettent en place une législation et une économie équilibrées qui permettent à l’auteur de vivre de ses droits sans que ces derniers ne soient bloquants et sans que nous ayons à nous défendre par la voie judiciaire.

Mme Martine Martinel. Il me semble que la numérisation des livres va changer notre rapport à la lecture et à l’écrit. Cet élément est-il pris en compte par les éditeurs ? Si tel est le cas, de quelle manière ? Y a-t-il par ailleurs un travail avec l’éducation nationale pour former le lecteur au numérique ?

M. Michel Françaix. Sommes-nous tous d’accord pour reconnaître que le livre numérique n’est pas une révolution – il y a eu des révolutions plus importantes par le passé, comme le livre de poche – de telle sorte qu’il serait préférable, au lieu de s’affoler et de paniquer, de préparer, dans la durée, une loi équilibrée ?

M. Emmanuel de Rengervé. Pour certains, le livre numérique constitue une révolution, pour d’autres, il ne représente qu’une évolution. Pour le moment, pour les auteurs, c’est une évolution incontestable. Cela peut devenir une révolution et c’est pour cette raison qu’il faut fixer les règles dès maintenant. Actuellement on ne sait pas ce qu’est l’œuvre numérique, il s’agit d’une zone de non droit. Le livre numérique ne représente qu’une évolution pour le moment parce qu’il faut reconnaître qu’il n’y a pas de marché, sauf dans quelques secteurs très spécialisés comme celui du livre scientifique et technique. La bande dessinée commence à développer une offre mais elle ne marche pas. Pour l’instant, le livre numérique ne fait donc figure que de produit d’appel pour le livre papier.

Est-il opportun de légiférer aujourd’hui ?

Plusieurs questions ont été abordées : la TVA, le prix unique du livre et les droits d’auteur. Sur les deux premiers points, il y a déjà des initiatives parlementaires, et il est opportun de légiférer.

Sur les droits d’auteur, la situation est moins claire. Le droit d’auteur est d’abord le droit pour les auteurs de vivre de leur métier. La question que l’on doit se poser est de savoir si l’on souhaite encore avoir des auteurs professionnels à échéance de quelques dizaines années ? Si on ne donne pas aux auteurs la possibilité de vivre de ces droits et de l’exploitation de leurs oeuvres, alors il faut peut-être envisager un autre système proche du copyright et du salariat, consistant à payer l’auteur uniquement au stade de la création. On abandonnerait alors tout le système des droits d’auteur hérité du siècle des Lumières. On peut tout envisager juridiquement mais il faut se mettre d’accord sur ce que l’on souhaite.

S’agissant des droits d’auteur dans l’univers numérique, les dispositions relatives au contrat d’édition sont actuellement définies par la loi du 3 mars 1957. Le législateur de l’époque n’avait évidemment pas envisagé la diffusion des œuvres écrites en mode numérique. Selon la loi actuelle, le rôle de l’éditeur est de fabriquer des exemplaires. Qu’est-ce que cela signifie dans l’univers numérique ?

La loi parle également de diffusion d’exemplaires, de l’épuisement des œuvres, d’une « exploitation permanente et suivie » du livre physique. Qu’est-ce qu’une « exploitation permanente et suivie » dans le monde numérique ?

La loi dispose également que l’éditeur doit publier l’œuvre dans la forme qui a été définie par son auteur. Qu’est-ce que cela implique dans le monde numérique ? A titre d’exemple, lorsqu’un auteur de bande dessinée fait une planche, il a un concept de création qui implique un sens de lecture particulier. Est-ce que les cessionnaires de droits des œuvres numériques, auront la possibilité de faire comme ils le veulent ? La réponse est non.

Les auteurs se demandent comment des solutions pourront être trouvées en partenariat avec les éditeurs. Ils ne refusent pas ce partenariat car ils ont besoin, pour publier leurs œuvres, des éditeurs avec qui ils souhaitent cependant une véritable négociation. Des discussions ont actuellement lieu entre le Conseil permanent des écrivains (CPE), qui regroupe seize associations professionnelles, et le Syndicat national de l’édition. Elles n’ont pas encore débouché sur une solution satisfaisante. Le ministre de la culture et de la communication a été interrogé par des sénateurs et des députés sur le contrat d’édition et l’évolution du rôle de l’éditeur dans l’univers numérique. Le ministre estime qu’il est prématuré de légiférer, point de vue que nous ne partageons pas, et souhaite donner le temps à la discussion professionnelle de faire évoluer le cadre contractuel collectif des contrats d’édition, afin que soit trouvé un nouvel équilibre dans le respect du concept du droit d’auteur. Nous attendons de voir si les résultats de la négociation seront satisfaisants. A défaut, nous pensons qu’il incombera au législateur de définir des règles équilibrées entre auteurs et éditeurs dans l’univers numérique.

Mme Colette Langlade. Faut-il attendre l’accord des ayants droit pour numériser ce domaine un peu spécifique que représentent les photos et les films d’amateurs ?

M. Xavier Pryen. Nous vivons une véritable mutation sociétale dans la mesure où les gens lisent moins. Les enfants, qui bientôt ne travailleront que sur tablettes et n’auront plus de manuels scolaires, ne sauront plus guère ce que sont les livres. Le livre numérique ne tuera pas le livre papier mais pour les lecteurs, il y aura des glissements et des mutations extrêmement importants.

M. François Gèze. Les éditeurs scolaires et universitaires sont parmi les plus en pointe dans l’offre de livre numérique. Les éditeurs universitaires ont créé des portails et des outils de recherche très perfectionnés qui facilitent grandement la consultation et la lecture. Les manuels scolaires numériques se développent aussi de façon importante et ils peuvent comporter des compléments : vidéos, quiz, éléments interactifs. En revanche, l’Education nationale ne fait absolument pas les efforts nécessaires pour intégrer ces nouveaux outils. Il y a certes un manque de moyens mais surtout une absence absolument dramatique de formation des enseignants à ces nouveaux outils. L’offre existante dans le monde scolaire n’est donc pratiquement pas utilisée. Des établissements scolaires s’abonnent avec des financements des collectivités territoriales mais les ressources ne sont pas utilisées. De même, dans le monde universitaire, l’absence de formation des enseignants est tragique. Il faut acculturer les jeunes à un usage raisonné du numérique et leur donner l’envie de lire des livres numériques. Ce travail est devant nous.

M. Jean-François Colosimo. Il ne faudrait pas engager de faux débat entre révolution et évolution. La révolution est du côté de la dématérialisation de l’information, l’évolution est du côté du livre, la lecture constituant une passerelle entre les deux. Notre grand modèle de lecture est hérité du XVIIIe siècle, de l’éducation nationale, de la démocratisation, de l’alphabétisation, la lecture méditative au long cours, en solitaire. Elle est censée construire le for intérieur par l’évasion ou, au contraire, le sens critique, et fonde pour nous une certaine représentation de l’articulation entre le sujet personnel et le sujet « social » - citoyen, civique. Cette lecture-là est menacée. Elle l’est parce que les propositions de livre numérisé faites sur Internet invitent d’une part à une méga-mémoire inassimilable d’un point de vue humain, et d’autre part, à une lecture aléatoire rejoignant la lecture « zapping » dominant sur Internet pour d’autres supports que le livre. C’est donc là où l’articulation se révèle difficile, et où le livre numérique constitue une évolution.

L’analogie avec le livre de poche vaut, d’autant plus que s’agissant de la baisse du prix du livre numérisé, le lien entre le livre de poche et le livre numérisé fonctionne à plein. C’est la proximité entre livre de poche et livre numérisé qui ferait que le livre de poche ne souffrirait pas trop du prix plancher du livre numérisé. Cet élément, qui n’a pas été évoqué, est important ; dans le cadre d’une évolution lente et dans l’optique de préserver les métiers, la sauvegarde du livre de poche implique que le prix du livre numérisé soit déterminé aussi par rapport à celui du livre de poche.

On parle souvent du modèle anglo-saxon ou chinois, et pas assez de ce qui se passe en Russie. Aujourd’hui, tous les livres numérisés qui paraissent dans ce pays peuvent être téléchargés gratuitement. Pourquoi ? Parce que les éditeurs en Russie ne paient forfaitairement que le premier tirage ; ils ne rétribuent pas les auteurs sur les tirages suivants, et n’assurent pas d’obligation d’exploitation. De ce fait, il existe un petit marché du livre imprimé qui est sous la maîtrise des éditeurs, à côté duquel les auteurs disposent de la liberté de diffuser leurs œuvres à titre gratuit. Aussi, depuis deux ans, le marché du livre en Russie enregistre-t-il une baisse de 3 % en raison même de cette absence de solidarité entre les auteurs et les éditeurs qui conduit à une double paupérisation. La question que posent les auteurs est donc non seulement une question de principe, sur le statut de l’auteur, mais aussi une question économique. Si un mécanisme de solidarité n’est pas trouvé entre auteurs et éditeurs, les premiers en souffriront immédiatement, mais les seconds finiront par en souffrir également.

M. Pierre Coursières. Je me placerai d’un point de vue non pas sociétal, mais économique. Dans cette chaîne de valeurs, où se trouvent les auteurs et les éditeurs, il y a aussi les marchands, sur lesquels je souhaiterais mettre l’accent, qui commercialisent et rendent les livres disponibles pour le plus grand nombre. En 1981, la loi Lang a mis les éditeurs au centre de tout le dispositif. Aujourd’hui, en effet, ce sont les éditeurs qui décident des livres qui seront mis sur le marché, de leur prix et de la marge qu’ils accorderont aux différents libraires. Nous ne souhaitons pas remettre en question ce modèle, parce qu’il fonctionne et permet à des distributeurs spécialisés comme nous-mêmes, ou à des libraires indépendants, d’être présents sur le marché et d’assurer une couverture extrêmement large du territoire. Il faut donc rester aujourd’hui dans la logique de la loi Lang, qui, globalement, satisfait tous les participants.

Mais il faut s’assurer que dans la chaîne de valeurs, le libraire n’est pas oublié. Si le libraire ne touche que 5 à 25 % du prix du livre qu’il vend, il sortira de lui-même du marché faute de rentabilité, et les éditeurs se retrouveront alors seuls face à de grands acteurs mondiaux. Ils ne traiteront plus, pour diffuser leurs livres numériques, qu’avec Amazon et Google, ce qui modifiera sensiblement les rapports de force. Nous souhaitons donc, comme nous le faisons aujourd’hui dans le cadre de la loi Lang, rester des acteurs efficaces de la diffusion des livres, au sein d’un modèle qui permet aux éditeurs de profiter d’une mutualisation des circuits de distribution qui fonctionne très bien en matière de livre imprimé.

Je soulignerais en outre un point qui n’a été que très peu abordé. Les distributeurs spécialisés, de même que les libraires indépendants, possèdent aujourd’hui des sites Internet, ainsi que des fichiers clients qui sont extrêmement importants dans cette nouvelle économie. Ces marchands sont d’ores et déjà capables de s’adresser à leurs clients, y compris leurs clients Internet, et de leur proposer avec pertinence des livres numériques. Ne sous-estimons donc pas le marchand dans la chaîne de valeurs et donnons-lui sa quote-part normale et rémunératrice qui lui permet de vivre sur ces marchés naissants.

Enfin, je souhaiterais revenir sur la nécessité absolue de soumettre tous les acteurs aux mêmes règles concernant le prix unique du livre et le taux de la taxe sur la valeur ajoutée. Il est impératif, en particulier, d’imposer les principes contenus dans l’article 3 de la loi Lang non seulement à tous les acteurs présents sur le sol français, mais aussi à tous ceux qui souhaitent vendre aux acheteurs et éditeurs français des livres produits à l’étranger. L’article 3 doit s’appliquer à tous ceux qui désirent jouer un rôle sur notre territoire.

M. Christophe Péralès, Directeur du Service commun de documentation de l’Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines. M. Hervé Gaymard se demandait s’il était opportun de légiférer. S’agissant du maintien de la TVA à 5,5 %, le consensus semble assez large, et quant au prix unique du livre numérique, je me garderai bien de trancher cette question. J’ai été très sensible à l’argumentation de M. Nicolas Georges, mais je souhaiterais souligner plusieurs points délicats à considérer dans le cadre d’une loi sur le prix unique du livre numérique.

Il faut d’abord qu’un modèle unique de commercialisation se dégage de ce texte. On s’est rendu compte, en effet, lors des débats, qu’en mettant en place un prix unique du livre numérique, on risquait de se priver de la possibilité de vendre par catalogues aux bibliothèques. Des modifications ont donc été proposées, qui ne concernent d’ailleurs pour l’instant que les bibliothèques universitaires et non les bibliothèques de lecture publique. Il convient donc de continuer la réflexion sur les modèles économiques possibles pour le livre numérique, en distinguant plusieurs cas.

Ainsi, pour être concret, lorsque l’on veut diffuser sous forme numérique, par exemple, les œuvres complètes d’Yves Bonnefoy ou de Paul Celan, il est possible d’utiliser une procédure qui se diffuse actuellement aux États–Unis, et va être testée en France. Il permet à la bibliothèque offrant la possibilité de téléchargement après accord de l’éditeur, de bénéficier de deux ou trois téléchargements gratuits. Au-delà, le compte de la bibliothèque chez l’éditeur est automatiquement débité, le téléchargement s’effectuant grâce à un accès sur mot de passe, mais sans DRM. Cette procédure ne semble pas aberrante puisque la poésie se vendant mal et étant surtout diffusée grâce aux bibliothèques, il y a peu de risque que les œuvres de ces auteurs soient disséminées sur le net. Au contraire s’il pouvait aider à faire connaître plus largement la poésie, elle n’en serait que plus positive.

Le problème est en revanche radicalement différent dans le cas des manuels. Si les bibliothèques réclament tout à coup la diffusion de manuels électroniques copiables à l’infini sans DRM les éditeurs ne s’y retrouveront pas. En effet, elles mettent les manuels téléchargés à la disposition des étudiants , ceux-ci ne les achèteront plus alors qu’ils en sont les plus gros clients. C’est pourquoi, la solution la plus pertinente pour ce secteur est l’abonnement. Le manuel est considéré comme un ouvrage alors qu’il ressemble en fait davantage à un périodique avec mise à jour régulière comme un manuel de médecine ou de droit comme le Jurisclasseur. Il existe donc plusieurs modèles possibles de commercialisation et il convient d’approfondir cette question afin d’éviter le modèle unique et uniformisant.

Le second point qu’il me semble important de relever est la tendance à établir un trop grand parallèle avec l’univers du livre. La notion de livre homothétique paraît d’ailleurs difficile à cerner et porteuse d’un certain nombre de risques. Ainsi, lorsque le livre est apparu, les premiers incunables « singeaient » les manuscrits médiévaux dans leur typographie et leur mise en page et il me semble que l’on se trouve actuellement dans cette logique lorsque l’on parle du livre. Je dirige un réseau de bibliothèques universitaires qui ont une certaine expérience du numérique puisqu’elles ont développé depuis une vingtaine d’années une offre de périodiques électroniques et j’ai l’impression de voir l’histoire se répéter. Lorsque les livres électroniques sont apparus en 1997 ou 1998, les éditeurs s’opposaient aux fichiers copiables et imprimables et souhaitaient des DRM. Il a fallu plusieurs années pour les convaincre de l’intérêt de travailler sur une offre légale et attractive plutôt que d’essayer de brider un usage, surtout dans le cas d’un nouveau support. Aujourd’hui, les articles de ces bases de données de revues sont téléchargeables, copiables, imprimables et les éditeurs de périodiques électroniques font même de très gros profits. Ces bases de données n’étant à l’origine accessibles qu’à l’intérieur de l’Université, la deuxième étape a consisté à demander aux éditeurs de permettre aux lecteurs de se connecter par mots de passe de l’extérieur de l’Université. Après discussions, les Universités ont finalement mis en place des annuaires pour identifier leurs usagers potentiels. Nous abordons actuellement une troisième phase ; plutôt que d’obliger les utilisateurs à passer par un portail spécifique à chaque éditeur, les éditeurs acceptent peu à peu de livrer les données brutes aux bibliothécaires afin qu’ils les incorporent à un portail unique permettant d’assurer la médiation entre les documents et l’usager. Est ainsi restitué aux bibliothécaires leur rôle de médiation, qui, comme celui des libraires, est essentiel.

L’histoire semble se répéter et les mêmes débats ressurgissent, sur les DRM, sans doute bientôt celui sur l’extension de l’accès, et la manière dont on accède ou pas. Je pense que nous devons tirer profit de l’expérience de vingt années des bibliothèques universitaires en matière de revues numériques. Certes, ces revues ne sont pas des livres électroniques, mais le livre numérique s’en rapproche davantage que de la musique en ligne avec laquelle il est pourtant très souvent mis en parallèle, mais avec laquelle il n’a, pour moi, qu’un lointain rapport.

Il faut donc éviter dans cette loi de « singer » le papier. Il faut bien sûr essayer de conserver certains acquis de l’organisation actuelle de l’économie du livre, tout en ayant conscience que l’on n’est pas exactement dans le même modèle et que certains aspects ne sont pas transposables.

C’est le cas également du prêt numérique. Certains modèles éditoriaux consistent à mettre à la disposition des bibliothèques un catalogue d’œuvres assorti de prêts chronodégradables. Le terme « prêt numérique » est d’ailleurs assez impropre, puisque la bibliothèque ne prête pas ce qu’elle possède, comme pour le papier ; il s’agirait plutôt de location, comme dans des vidéo-clubs, mais ce modèle n’est pas très pertinent car il induit de nombreux DRM, des difficultés de téléchargement. L’expérience des bibliothèques qui ont expérimenté le prêt numérique montre que les usagers ne veulent pas de ce modèle.

Je souhaiterais enfin souligner qu’en dehors de la question importante de l’économie de la chaîne du livre, les enjeux sont de deux autres ordres. En ce qui concerne tout d’abord les pratiques de lecture, on constate une érosion du nombre de lecteurs et du nombre des grands lecteurs. Je ne pense pas que ce soit en dressant des barrières multiples que l’on arrivera à favoriser la lecture. Un autre enjeu est l’économie de la connaissance, qui a certes besoin de la protection intellectuelle, de la protection de l’innovation, mais aussi que les œuvres et les idées circulent afin de s’entre-féconder. De même que les progrès de l’alphabétisation dans la deuxième moitié du XIXe siècle ont constitué une condition essentielle de la société industrielle, l’économie de la connaissance ne s’épanouira pas si l’on met trop de freins à la circulation des œuvres et des idées. Il y a donc un point d’équilibre à trouver, le curseur semblant aujourd’hui être plus proche de la propriété intellectuelle. Dans son dernier ouvrage « Apologie du livre », Robert Darnton rappelait que les Pères fondateurs des États-Unis considéraient le droit d’auteur comme une exception légitime et limitée à la liberté d’expression et de communication. La perspective me semble aujourd’hui un peu inversée. Et à cet égard, je me réjouis que l’Europe ait récemment indiqué que l’accès à la formation et à la culture était un droit fondamental. Les bibliothèques qui assurent depuis des siècles la transmission du savoir et son appropriation ne peuvent que souscrire à cette déclaration.

M. Benoît Bougerol, Président du Syndicat de la librairie française. Nous pensons, et le texte voté par les sénateurs va dans ce sens, que l’éditeur construit l’offre, selon des formules différentes, plus ou moins complexes – notamment, dans le numérique, avec des bouquets, du streaming ou des abonnements –, mais que les canaux de commercialisation, en particulier celui des libraires, doivent pouvoir intervenir. Dans des secteurs comme ceux des publications juridiques et scientifiques ou des revues professionnelles, un modèle de vente directe s’est imposé. Nous n’avons pas les moyens de soumissionner aux appels d’offres, ce qui pose un problème pour les manuels scolaires. Le marché du livre étant ouvert, si un prix unique est institué, tous les acteurs – libraires indépendants, grossistes, grandes surfaces spécialisées – devront être placés sur un pied d’égalité pour pouvoir répondre aux appels d’offres.

La Présidente Michèle Tabarot. Au nom du Président Pierre Lequiller, des rapporteurs, de la Commission des affaires européennes et de la Commission des affaires culturelles, je remercie tous nos invités. En attendant de nous retrouver le 15 février, en séance, pour parler du livre numérique et de son prix, il était très intéressant que nous puissions nous imprégner du sujet.

1 () La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.

2 () Les lecteurs intéressés par les détails techniques de la numérisation pourront consulter l’annexe 3 du rapport de M. Marc Tessier réalisée par M. Alban Cerisier, pages 48 et suivantes.

3 () Un document est décrit par un ensemble de données bibliographiques. Elles servent à son identification et peuvent être structurées selon des normes nationales ou internationales. La description bibliographique est utilisée dans l'élaboration des notices bibliographiques et catalographiques.

4 () Le Monde du 10 décembre 2012.

5 () Rapport sur la numérisation du patrimoine écrit du 12 janvier 2010.

6 () Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions- i2010 : bibliothèques numériques (COM [2005] 465 final).

7 () Le total de cette colonne est inférieur à 100 %, compte tenu des apports en provenance des pays non membres de l’Union européenne, notamment la Norvège, la Suisse et l’Islande.

8 () Souligné par les Sages.

9 () Le MOTif, Observatoire du livre et de l’écrit en Ile-de-France, est un organisme associé de la Région Ile-de-France mis en place pour renforcer le lien entre les professons du livre et proposer des politiques publiques adaptées aux évolutions en cours.

10 () Les systèmes peer to peer permettent à plusieurs ordinateurs de communiquer par l’intermédiaire d’un réseau et de partager le plus souvent des fichiers mais également des flux continus (streaming) sur Internet. Ils ont permis une décentralisation des systèmes en permettant à tous les ordinateurs de jouer le rôle de client et serveur.

11 () On peut consulter le compte-rendu de cette table ronde sur le site de l’Assemblée nationale http://www.assemblee-nationale.fr/13/europe/c-rendus/

12 () Le téléchargement direct (en anglais « direct download ») est une pratique de mise à disposition de fichiers téléchargeables directement sur l'infrastructure d'un site web, suivant le modèle client-serveur ressources de plusieurs utilisateurs.

13 () D’après le Rapport de la Commission sur les œuvres orphelines du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistiques (19 mars 2008).

14 () In from the Cold. An assessment of the scope of « Orphan works » and its impact on the delivery of services to the public (Avril 2009).

15 () Cette stratégie numérique est, elle-même, une des sept initiatives phares de la stratégie Europe 2020.

16 () SEC (2011) 616 final du 24/5/2011.

17 () Electre est une base bibliographique principalement destinée aux professionnels de l'édition, de la librairie et des bibliothèques. Elle recense tous les livres paraissant en français et conserve également les notices de livres épuisés.

18 () Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.

19 () Loi no 2011-590 du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique (JO du 28 mai 2011).

20 () Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen sur l’avenir de la TVA Vers un système de TVA plus simple, plus robuste et plus efficace, adapté au marché unique », COM (2011) 851 final.

21 () Résolution du Parlement européen du 13 octobre 2011 sur l'avenir de la TVA (2011/2082 (INI))

22 () Où va le livre ? direction Jean-Yves Mollier La Dispute/SNÉDIT Paris 2000/2002.