N° 110 - Proposition de résolution de M. Victorin Lurel tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'utilisation du chlordécone, du paraquat et des autres pesticides dans l'agriculture martiniquaise, guadeloupéenne et guyanaise et ses conséquences sur les sols et la ressource en eau, sur les productions animales et végétales ainsi que sur la santé publique



Document

mis en distribution

le 8 août 2007


N° 110

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 juillet 2007.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’utilisation du chlordécone, du paraquat et des autres pesticides dans lagriculture martiniquaise, guadeloupéenne et guyanaise et ses conséquences sur les sols et la ressource en eau, sur les productions animales et végétales ainsi que sur la santé publique,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

Par MM. Victorin LUREL, Éric JALTON, Louis-Joseph MANSCOUR, Serge LETCHIMY, Mmes Chantal BERTHELOT, Jeanny MARC, MM. Jean-Claude FRUTEAU, Patrick LEBRETON, Bernard LESTERLIN, Mme Geneviève GAILLARD, MM. François BROTTES, Jean GAUBERT, Philippe TOURTELIER, Mmes Claude DARCIAUX, Corinne ERHEL, Pascale GOT, Monique IBORRA, Annick LE LOCH, Martine LIGNIÈRES-CASSOU, Marie-Lou MARCEL, Chantal ROBIN-RODRIGO, MM. Pierre COHEN, Philippe DURON,Olivier DUSSOPT, Guillaume GAROT, Jean GRELLIER, Armand JUNG, Jean-Yves LE BOUILLONNEC, Kléber MESQUIDA, Philippe PLISSON, Jean-Michel VILLAUMÉ et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche(1) et apparentés(2),
députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs

L’ensemble des analyses menées par les services de l’État dans le cadre du suivi de la qualité des eaux et des sols confirme la présence de différents produits phytosanitaires dont le plus emblématique demeure le chlordécone, dans une partie des eaux et les terres martiniquaises et guadeloupéennes parfois à des teneurs importantes (plusieurs micro grammes par litre) dépassant largement les normes admissibles, alors que ces produits sont interdits depuis 1993.

Pourtant, depuis 1977, date du premier rapport sur la question (rapport Snégaroff) suivi de plusieurs autres (Kermarrec 1979-1980, étude sur l’estuaire du Grand Carbet 1993), les autorités de ces territoires ont été régulièrement informées sur les risques graves de pollution liée à l’utilisation des pesticides organochlorés en agriculture et leur présence régulière dans l’eau des rivières à des valeurs importantes. On sait maintenant que les rejets diffus mais permanents de produits phytosanitaires ont entraîné des contaminations des sols et des rivières à des doses telles qu’en Guadeloupe comme en Martinique certains captages pour l’alimentation en eau potable ont dû être fermés tandis que d’autres étaient dotés d’équipements de traitement. La seule présence de chlordécone dans la ressource aurait dû déclencher un renforcement des contrôles sanitaires et la mise en place des dispositifs préventifs.

Depuis 1976, les conséquences catastrophiques tant humaines qu’environnementales du chlordécone étaient connues. Notamment, sa fabrication a été interdite aux États-Unis à l’issue d’une contamination des ouvriers d’une usine de Virginie : troubles neurologiques, problèmes de fertilité, environnement contaminé, contamination des eaux et de milliers de poissons. L’usine a été fermée depuis 26 ans. Pourtant, les stigmates de cette exposition au chlordécone persistent toujours dans cette région.

De l’avis même de ses membres, la mission d’information créée sous la précédente législature n’a manifestement pas permis de cibler avec précision comment la vente, et donc l’utilisation du chlordécone, ont pu être autorisées de 1981 à 1993 dans les territoires touchés alors que l’on connaissait déjà le degré de toxicité et la rémanence de ce produit sachant que nous aurons à subir pendant de longues années encore les conséquences de l’usage prolongé de cet insecticide organochloré.

À terme, la situation présente un réel problème potentiel de santé publique. Ce pesticide rémanent et bio-accumulable est un véritable poison mis en cause par les scientifiques, qui ont mis en évidence sa fonction de perturbateur endocrinien.

En attendant les réponses que l’évaluation du risque pourra apporter à la population nous devons nous préparer à faire face à une éventuelle calamité agricole d’un nouveau genre. En présence de résultats révélant la présence à des doses significatives de pesticides dans les sols, il est impossible et cela pour encore de longues années, de vendre sur les marchés des produits agricoles issus de ces sols contaminés sans transiger avec la réglementation et prendre alors des risques pour la santé des consommateurs. Les agriculteurs se retrouvent dans l’impossibilité de poursuivre l’exploitation de leurs parcelles en l’état. À ce jour, les résultats de la recherche ne permettent pas d’espérer de solutions à moyen terme en ce qui concerne la dépollution des sols. Des cultures alternatives économiquement viables prendront du temps à être mises en œuvre. Se pose alors le problème du devenir des exploitations agricoles concernées et de l’indemnisation des agriculteurs qui, compte tenu du manque à gagner, connaissent déjà des difficultés financières. L’agriculture risque de n’être pas la seule filière de production touchée puisque des récentes analyses ont révélé également la contamination par le chlordécone d’organismes aquatiques.

Enfin, le recours à d’autres pesticides a manifestement conduit à refaire l’erreur du chlordécone et à aggraver la situation actuelle. Il en va particulièrement ainsi de l’utilisation intensive du paraquat, l’un des pesticides les plus dangereux mis sur le marché.

En effet, la Cour européenne de justice a, par un arrêt du 11 juillet 2007, fait droit à la requête de la Suède en annulant l’inscription de ce pesticide sur l’annexe I de la directive 91-414 pourtant décidée à l’initiative de la commission européenne en 2003 sur la base, notamment, d’une étude française. Il ressort de cette décision de justice qui revient, in fine, à interdire cet herbicide, que celui-ci présente des risques très graves pour les utilisateurs (lien avec la maladie de Parkinson, empoisonnement voire risque mortel).

L’ensemble de ces éléments démontrent que les conclusions de la mission d’information créée par notre assemblée le 14 octobre 2004 n’ont pas été suffisantes faute, notamment, d’avoir pu bénéficier de moyens d’investigations plus étendus pour obtenir les éléments d’explications nécessaires pour comprendre le passé mais, également, éclairer la situation actuelle. Ainsi, le président de cette mission d’information déclarait par exemple lors de la remise de son rapport le 30 juin 2005 que « la mission avait rencontré des difficultés dans les relations qu’elle avait nouées, tant avec le ministère de la santé qu’avec le ministère de l’agriculture, de la pêche et de la ruralité ».

Compte tenu de cette situation, du nouvel élément que constitue la décision de justice ci-dessus mentionnés et des limites des conclusions de cette mission d’information, Mesdames et Messieurs, nous demandons que soit diligentée une commission d’enquête parlementaire dont les missions sont définies par l’article qui suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres chargée :

– de faire le point sur l’importance de la pollution des sols et des rivières de Martinique et Guadeloupe par les pesticides et plus particulièrement par le chlordécone et le paraquat ;

– d’évaluer l’incidence sur la santé des populations ayant été exposées durant des années à ces produits toxiques à travers la consommation d’eau et de produits agricoles.

– de mesurer les conséquences de cette pollution sur l’économie agricole ainsi que sur la pêche et l’aquaculture dans les zones concernées en Martinique, Guadeloupe et Guyane ;

– de faire la lumière sur l’autorisation de vente de ce pesticide en Martinique, Guadeloupe et Guyane alors que le chlordécone a été retiré de la fabrication à partir de 1976 aux États-Unis, en raison des dangers qu’il représentait et sur l’utilisation massive du paraquat alors que celui-ci était interdit dans 13 pays dont plusieurs pays européens ;

– d’examiner les conditions d’application d’une démarche d’analyse des sols telle qu’elle est pratiquée pour les installations classées au titre de la protection de l’environnement (ICPE) ;

– d’examiner les dispositifs de compensation pour les producteurs que sont les agriculteurs, les aquaculteurs et les pêcheurs ;

– de vérifier que les procédures adéquates ont été prises pour garantir la traçabilité des produits agricoles et aquacoles provenant des zones à risques et l’information du public ;

– d’examiner la situation de la recherche relative au développement des techniques de dépollution des sites atteints.

(1) Ce groupe est composé de : Mmes Patricia Adam, Sylvie Andrieux, MM. Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Dominique Baert, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Mme Delphine Batho, M. Jean-Louis Bianco, Mme Gisèle Biemouret, MM. Serge Blisko, Patrick Bloche, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Jean-Michel Boucheron, Mme Marie-Odile Bouillé, M. Christophe Bouillon, Mme Monique Boulestin, M. Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. François Brottes, Alain Cacheux, Jérôme Cahuzac, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carrillon-Couvreur, MM. Laurent Cathala, Bernard Cazeneuve, Jean-Paul Chanteguet, Alain Claeys, Jean-Michel Clément, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Mmes Catherine Coutelle, Pascale Crozon, M. Frédéric Cuvillier, Mme Claude Darciaux, MM. Michel Debet, Pascal Deguilhem, Mme Michèle Delaunay, MM. Guy Delcourt, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Michel Destot, Marc Dolez, Julien Dray, Tony Dreyfus, Jean-Pierre Dufau, William Dumas, Jean-Louis Dumont, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Mme Odette Duriez, MM. Philippe Duron, Olivier Dussopt, Christian Eckert, Henri Emmanuelli, Mme Corinne Erhel, MM. Laurent Fabius, Albert Facon, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, Mmes Aurélie Filippetti, Geneviève Fioraso, M. Pierre Forgues, Mme Valérie Fourneyron, MM. Michel Françaix, Jean-Claude Fruteau, Jean-Louis Gagnaire, Mme Geneviève Gaillard, MM. Guillaume Garot, Jean Gaubert, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Patrick Gille, Jean Glavany, Daniel Goldberg, Gaëtan Gorce, Mme Pascale Got, MM. Marc Goua, Jean Grellier, Mme Élisabeth Guigou, M. David Habib, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. François Hollande, Mmes Sandrine Hurel, Monique Iborra, M. Jean-Louis Idiart, Mme Françoise Imbert, MM. Michel Issindou, Éric Jalton, Serge Janquin, Henri Jibrayel, Régis Juanico, Armand Jung, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Pierre Kucheida, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Marylise Lebranchu, MM. Patrick Lebreton, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Michel Lefait, Jean-Marie Le Guen, Mme Annick Le Loch, M. Patrick Lemasle, Mmes Catherine Lemorton, Annick Lepetit, MM. Bruno Le Roux, Jean-Claude Leroy, Bernard Lesterlin, Michel Liebgott, Mme Martine Lignières-Cassou, MM. François Loncle, Victorin Lurel, Jean Mallot, Louis-Joseph Manscour, Mmes Jacqueline Maquet, Marie-Lou Marcel, MM. Jean-René Marsac, Philippe Martin, Mmes Martine Martinel, Frédérique Massat, MM. Gilbert Mathon, Didier Mathus, Mme Sandrine Mazetier, MM. Michel Ménard, Kléber Mesquida, Jean Michel, Didier Migaud, Arnaud Montebourg, Pierre Moscovici, Pierre-Alain Muet, Philippe Nauche, Henri Nayrou, Alain Néri, Mmes Marie-Renée Oget, Françoise Olivier-Coupeau, M. Michel Pajon, Mme George Pau-Langevin, MM. Christian Paul, Germinal Peiro, Jean-Luc Pérat, Jean-Claude Perez, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. Philippe Plisson, Mme Catherine Quéré, MM. Jean-Jack Queyranne, Dominique Raimbourg, Mme Marie-Line Reynaud, MM. Alain Rodet, Bernard Roman, René Rouquet, Alain Rousset, Patrick Roy, Michel Sainte-Marie, Michel Sapin, Mme Odile Saugues, MM. Christophe Sirugue, Dominique Strauss-Kahn, Pascal Terrasse, Jean-Louis Touraine, Mme Marisol Touraine, MM. Philippe Tourtelier, Jean-Jacques Urvoas, Daniel Vaillant, Jacques Valax, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vauzelle, Michel Vergnier, André Vézinhet, Alain Vidalies, Jean-Michel Villaumé, Jean-Claude Viollet et Philippe Vuilque.

(2) Mme Chantal Berthelot, MM. Guy Chambefort, Gérard Charasse, René Dosière, Paul Giacobbi, Mme Annick Girardin, MM. Joël Giraud, Christian Hutin, Serge Letchimy, Albert Likuvalu, Mmes Jeanny Marc, Dominique Orliac, Sylvia Pinel, Martine Pinville, M. Simon Renucci, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Marcel Rogemont et Mme Christiane Taubira.


© Assemblée nationale