N° 782 - Proposition de résolution de M. André Gerin tendant à la création d'une commisssion d'enquête sur l'engagement de la France dans le conflit tchadien



Document

mis en distribution

le 17 avril 2008


N° 782

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 avril 2008.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’engagement de la France dans le conflit tchadien,

(Renvoyée à la commission des affaires étrangères, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

PAR M. André GERIN, Mme Marie-Hélène AMIABLE, MM. François ASENSI, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Mme Marie-George BUFFET, MM. Jean-Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. Pierre GOSNAT, Maxime GREMETZ, Jean-Paul LECOQ, Roland MUZEAU, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’engagement militaire, diplomatique et politique de la France au Tchad a été déterminant dans le maintien au pouvoir du régime du Président Idriss Déby Itno au cours de ces dernières années.

Nos forces armées ont contribué à repousser les attaques rebelles sur N’Djamena en avril 2006 et en février 2008.

Entre ces deux dates, notre pays, sous couvert de son accord de coopération technique militaire, a fourni de l’armement au régime du Président Déby avec en particulier la livraison de véhicules blindés, d’avions et de missiles.

De nombreux témoignages mettent en doute la version officielle de la France sur son degré d’implication lors des deux offensives rebelles précitées. Au plus fort des combats, les 1er, 2 et 3 février 2008, la France a assuré un soutien multiforme au régime tchadien :

– fourniture de renseignements sur les mouvements des rebelles et sur leurs communications ;

– acheminement militaire dans les combats selon des informations concordantes ;

– mobilisation des diplomates au sein des instances internationales pour appeler à la condamnation de l’attaque des rebelles et pour demander aux États d’apporter leur appui au gouvernement du Tchad ;

– mise en garde des rebelles sur une possibilité d’intervention militaire française.

Ce soutien inconditionnel au régime du Président Déby est justifié par la légitimité de ce dernier, qui serait seul garant de la stabilité du pays.

Après avoir réussi à repousser l’offensive des rebelles sur N’Djamena, le Président Déby a fait arrêter trois des principaux opposants démocratiques et entrepris des actes d’intimidations à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme et des journalistes indépendants.

Aujourd’hui, l’accord électoral du 13 août 2007 est caduc et seul un dialogue national approfondi tourné vers la paix et la réconciliation, comme le propose le Comité de suivi de l’appel à la paix et à la réconciliation nationale du Tchad, est en mesure d’empêcher une prise de pouvoir par la force et d’assurer une stabilité à long terme.

Le Président de la République, lors d’un discours prononcé au Cap en Afrique du Sud, le 28 février dernier, a évoqué une refonte de la politique de la France sur ce continent.

Plus de quarante ans après l’accès des pays africains à leur indépendance, le bilan de l’action de notre pays, dans l’opacité et sans contrôle parlementaire et citoyen, aura surtout servi les intérêts de minorités économiques et politiques en France comme en Afrique à travers les réseaux Françafrique. Il n’en a résulté aucun développement au service des peuples concernés mais bien davantage un pillage de leurs richesses.

Les agissements de notre pays au Tchad au cours de ces dernières années et encore récemment ne marquent pas de rupture avec le passé et en renforcent même le caractère néo-colonial.

Le changement nécessite en premier lieu la transparence ainsi que des actes concrets pour l’établir.

À cette fin, l’Assemblée nationale doit se saisir du dossier tchadien et créer une commission d’enquête afin d’établir la vérité sur l’engagement de la France dans ce conflit.

Cette commission pourrait faire remonter ses investigations à l’année 2005, année charnière au cours de laquelle la constitution tchadienne a été amendée pour permettre au président de se présenter une troisième fois, alors que le parlement tchadien modifiait la loi 001, dispositif législatif destiné à contrôler l’utilisation des revenus pétroliers pour éviter leur détournement et leur utilisation à des fins militaires. Ces mesures perçues comme autant de provocations ont suscité une vague d’hostilité contre le régime et le déclenchement de rebellions armées.

Cette commission d’enquête évaluera :

Sur le plan diplomatique et politique :

– les formes de soutien apporté depuis 2005 par la diplomatie française au régime tchadien à travers les rencontres et visites officielles, la validation des scrutins contestés, la défense du régime devant les organisations internationales ;

– les évolutions éventuelles dans la diplomatie intervenues entre 2006 et 2008 pour tenir compte du risque d’escalade de la violence ;

– le degré d’implication de la France dans le processus de paix, sa capacité de dialogue avec les partis d’opposition, la société civile, la concertation établie avec les partenaires européens sur ces différents points ;

– la gestion diplomatique de la crise de février 2008, l’articulation entre l’Élysée, les ministres et les ambassades, l’information communiquée aux partenaires internationaux (ONU, UA, UE et notamment les pays engagés dans l’Eufor).

Sur le plan militaire :

– le cadre et les modalités d’intervention des forces françaises au Tchad prévues par les accords de coopération, la pertinence de ces accords au vu des dérives du régime en place ;

– les ventes et transferts d’armes opérés au profit de l’armée tchadienne ;

– le degré d’engagement de l’armée française, en avril 2006 et en février 2008, l’influence de cet engagement sur l’issue militaire des combats ;

– le fonctionnement et les éventuels dysfonctionnements du dispositif de commandement des opérations spéciales, l’information transmise au parlement et aux commissions (affaires étrangères, défense) ;

– le rôle des services de renseignement français (DGSE, DRM) au Tchad pendant et hors période de conflit, leur soutien apporté au régime tchadien.

Sur le plan des violations des droits de l’Homme :

– le degré de connaissance par la diplomatie française des violations des droits de l’Homme commises par le régime pendant et depuis la bataille de février 2008, concernant notamment les opposants emprisonnés et les militants associatifs menacés, les pressions éventuelles exercées sur le régime,

– le dialogue mené avec les associations de défense des droits de l’Homme représentatives dans la perspective de la création de commissions d’enquête sur les violations commises par le régime.

Sous le bénéfice de ces observations, Mesdames, Messieurs, il vous est demandé de bien vouloir adopter l’article unique de cette proposition de résolution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Il est créé une commission d’enquête de trente membres afin d’évaluer la nature et le degré d’engagement de la France dans le conflit tchadien depuis 2005.

Elle doit rendre son rapport le 30 mai au plus tard.


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