N° 2283 - Proposition de loi de M. Jean-François Copé visant à interdire le port de tenues ou d'accessoires ayant pour effet de dissimuler le visage dans les lieux ouverts au public et sur la voie publique



N° 2283

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 février 2010.

PROPOSITION DE LOI

visant à interdire le port de tenues ou d’accessoires ayant pour effet
de
dissimuler le visage dans les lieux ouverts au public
et sur la
voie publique,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Jean-François COPÉ, Nicole AMELINE, François BAROIN, Élie ABOUD, Yves ALBARELLO, Alfred ALMONT, Edwige ANTIER, Jean AUCLAIR, Pierre-Christophe BAGUET, Patrick BEAUDOUIN, Jean-Claude BEAULIEU, Jacques Alain BÉNISTI, Thierry BENOIT, Véronique BESSE, Gabriel BIANCHERI, Jérôme BIGNON, Roland BLUM, Claude BODIN, Marcel BONNOT, Jean-Claude BOUCHET, Bruno BOURG-BROC, Chantal BOURRAGUÉ, Loïc BOUVARD, Françoise BRANGET, Xavier BRETON, Philippe BRIAND, Chantal BRUNEL, Yves BUR, Dominique CAILLAUD, François CALVET, Joëlle CECCALDI-RAYNAUD, Yves CENSI, Jérôme CHARTIER, Jean-François CHOSSY, Éric CIOTTI, Philippe COCHET, Georges COLOMBIER, Louis COSYNS, Alain COUSIN, Henri CUQ, Marie-Christine DALLOZ, Olivier DASSAULT, Laure de LA RAUDIÈRE, Patrice DEBRAY, Jean-Pierre DECOOL, Bernard DEFLESSELLES, Lucien DEGAUCHY, Rémi DELATTE, Sophie DELONG, Yves DENIAUD, Bernard DEPIERRE, Vincent DESCOEUR, Gilles D’ETTORE, Nicolas DHUICQ, Dominique DORD, Marianne DUBOIS, Jean-Pierre DUPONT, Nicolas DUPONT-AIGNAN, Daniel FASQUELLE, Yannick FAVENNEC, Jean-Michel FERRAND, Alain FERRY, André FLAJOLET, Nicolas FORISSIER, Marie-Louise FORT, Arlette FRANCO, Pierre FROGIER, Yves FROMION, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Jean-Paul GARRAUD, Gérard GAUDRON, Jean-Jacques GAULTIER, Guy GEOFFROY, Franck GILARD, Georges GINESTA, Charles-Ange GINESY, Jean-Pierre GIRAN, Claude GOASGUEN, Didier GONZALES, Jean-Pierre GORGES, Philippe GOSSELIN, Philippe GOUJON, Michel GRALL, Claude GREFF, Jacques GROSPERRIN, Arlette GROSSKOST, Serge GROUARD, Louis GUÉDON, Jean-Claude GUIBAL, Christophe GUILLOTEAU, Gérard HAMEL, Laurent HÉNART, Michel HERBILLON, Françoise HOSTALIER, Philippe HOUILLON, Guénhaël HUET, Jacqueline IRLES, Christian JACOB, Denis JACQUAT, Paul JEANNETEAU, Yves JEGO, Maryse JOISSAINS-MASINI, Marc JOULAUD, Jacques KOSSOWSKI, Patrick LABAUNE, Fabienne LABRETTE-MÉNAGER, Jacques LAMBLIN, Jean-François LAMOUR, Marguerite LAMOUR, Pierre LANG, Thierry LAZARO, Robert LECOU, Jean-Marc LEFRANC, Guy LEFRAND, Jean-Louis LÉONARD, Jean LEONETTI, Pierre LEQUILLER, Maurice LEROY, Geneviève LEVY, Michel LEZEAU, Lionnel LUCA, Daniel MACH, Richard MALLIÉ, Alain MARC, Jean-Pierre MARCON, Thierry MARIANI, Christine MARIN, Muriel MARLAND-MILITELLO, Philippe Armand MARTIN, Patrice MARTIN-LALANDE, Henriette MARTINEZ, Alain MARTY, Jean-Claude MATHIS, Christian MÉNARD, Philippe MEUNIER, Jean-Claude MIGNON, Marie-Anne MONTCHAMP, Georges MOTHRON, Étienne MOURRUT, Alain MOYNE-BRESSAND, Renaud MUSELIER, Jacques MYARD, Jean-Pierre NICOLAS, Bertrand PANCHER, Yanick PATERNOTTE, Christian PATRIA, Béatrice PAVY, Bernard PERRUT, Michel PIRON, Serge POIGNANT, Bérengère POLETTI, Axel PONIATOWSKI, Josette PONS, Daniel POULOU, Jean PRORIOL, Didier QUENTIN, Michel RAISON, Frédéric REISS, Jean-Luc REITZER, Jacques REMILLER, Bernard REYNÈS, Franck REYNIER, Valérie ROSSO-DEBORD, Jean-Marc ROUBAUD, Bruno SANDRAS, André SCHNEIDER Jean-Pierre SCHOSTECK, Jean-Pierre SOISSON, Dominique SOUCHET, Daniel SPAGNOU, Éric STRAUMANN, Michèle TABAROT, Guy TEISSIER, Michel TERROT, Dominique TIAN, Alfred TRASSY-PAILLOGUES, François VANNSON, Isabelle VASSEUR, Catherine VAUTRIN, Patrice VERCHÈRE, Philippe VITEL, Gérard VOISIN, Michel VOISIN, Jean-Luc WARSMANN, André WOJCIECHOWSKI, Marie-Jo ZIMMERMANN, Michel ZUMKELLER, Marc BERNIER, Claude BIRRAUX, Valérie BOYER, Françoise BRIAND, Bernard BROCHAND, Gérard CHERPION, Jean-Louis CHRIST, Pascal CLÉMENT, Jean-Michel COUVE, Françoise de PANAFIEU, Jacques DOMERGUE, Jean-Pierre DOOR, Louis GISCARD d’ESTAING, Antoine HERTH, Sébastien HUYGHE, Dominique LE MÈNER, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Jean-Marc NESME, Yves NICOLIN, Franck RIESTER, Jean ROATTA, Marie-Josée ROIG, Martial SADDIER, Michel SORDI, Jean TIBERI, Jean UEBERSCHLAG et Céleste LETT,

députés.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Nos sociétés sont confrontées, depuis quelques années, à des menaces nouvelles, comme l’apparition de nouvelles formes de délinquance ou le développement de pratiques radicales, qui ont en commun la dissimulation du visage dans l’espace public. Il s’agit, par exemple, d’actes de violences commis aux abords des stades lors de manifestations sportives par des personnes cagoulées, de hold-up commis dans des commerces par des personnes dont le visage était totalement dissimulé ou encore du port par certaines femmes, dans l’espace public, de tenues dissimulant intégralement leur visage.

Si ces pratiques sont encore marginales, elles sont néanmoins en développement. La France n’est pas épargnée par ce phénomène qui touche l’ensemble des pays européens. Nos concitoyens observent avec consternation cette évolution dont l’exemple le plus visible est l’augmentation du nombre de femmes portant un voile intégral, appelé burqa ou niqab.

Les pouvoirs publics ne sont pas restés inactifs face à l’émergence de ces pratiques qui apparaissent à tous comme contraires aux valeurs et fondements de la République et constituent une menace pour l’ordre et la sécurité publics. Au cours des dernières années, plusieurs séries de mesures ont été prises : soit pour encadrer les modalités de l’exercice de la liberté d’expression, d’opinion ou de croyance dans certaines circonstances, précisément définies – loi de 2004 sur le port de signes religieux dans les établissements publics d’enseignement primaire et secondaire, jurisprudence sur le refus d’accorder la nationalité française à des personnes intégralement voilées-, soit pour prévenir des atteintes à l’ordre public - décret dit « anti-cagoules » de juillet 2009, décrets précisant les conditions de validité des photos d’identité, par exemple.

Les plus hautes autorités juridictionnelles françaises et européennes admettent que des restrictions puissent être apportées au principe de valeur constitutionnelle de liberté d’expression, d’opinion et de croyance au nom d’autres principes de même valeur, dès lors que ces mesures sont justifiées ou, aux termes de la Convention européenne des droits de l’homme, « nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Malgré ces avancées, notre droit apparaît aujourd’hui encore par trop hétérogène et impuissant à faire face à de nouvelles menaces et à endiguer le développement de ces pratiques radicales que nul, pourtant, ne souhaite voir s’installer sur notre territoire. La large concertation, menée dans un esprit de rassemblement, depuis six mois, avec l’ensemble des parties prenantes et des experts, a permis de dégager un consensus sur la nécessité de clarifier et de consolider notre droit dans ce domaine.

En effet, ces pratiques sont incompatibles avec les valeurs essentielles de la République française, laïque, démocratique et sociale, ainsi qu’avec notre projet de société fondé sur l’égale dignité de tous et la lutte contre toute forme de discrimination, notamment à raison du sexe. Elles constituent des menaces à l’ordre public, au sens de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui prévoit que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».

Alors que nos sociétés sont confrontées à des menaces croissantes – terrorisme bien sûr, mais aussi délinquance et comportements extrémistes éloignés de nos idéaux d’ouverture et de tolérance –, le fait de dissimuler totalement son visage dans l’espace public constitue une menace réelle et permanente à l’ordre public qui ne saurait être négligée, dans l’intérêt de l’ensemble de nos concitoyens. Comment accepter de ne pas savoir à qui l’on s’adresse dans un commerce ? Comment accepter que des personnes se présentent masquées dans l’espace public ?

À l’heure où les pouvoirs publics maintiennent un niveau d’alerte rouge du Plan Vigipirate face aux risques avérés d’un ou de plusieurs attentats graves, où les municipalités se mobilisent pour se doter de tous les moyens, y compris de vidéoprotection, pour assurer à tous la paix et la sécurité publiques, nos concitoyens ne comprendraient pas que des personnes puissent dissimuler entièrement, et sans motifs légitimes, leur visage dans l’espace public.

De même, ces pratiques, tel le port de la burqa ou du niqab, sont à l’origine d’incidents qui constituent autant d’atteintes à l’ordre et à la sécurité publics. C’est notamment le cas lorsqu’une femme refuse d’enlever son voile pour se plier aux exigences de l’administration – guichet des préfectures, collectivités locales, services publics – ou de la sécurité publique – contrôle routier, contrôle d’identité. Les personnels des services hospitaliers ou les responsables des offices d’HLM sont de plus en plus souvent confrontés à des difficultés que notre droit ne permet pas toujours en l’état de régler de manière satisfaisante.

Enfin, le fait de dissimuler totalement son visage dans les lieux ouverts au public et sur la voie publique est une remise en cause profonde des règles élémentaires de la vie en société. Dans nos sociétés, le visage est la partie du corps qui porte l’identité de l’individu. Dissimuler son visage au regard de l’autre, c’est une négation de soi, une négation de l’autre et une négation de la vie en société.

Aussi, il convient d’affirmer, ce qui était jusqu’à présent si évident qu’il n’avait pas été besoin de l’inscrire dans notre droit : la visibilité du visage dans l’espace public est un gage de sécurité pour tous et une condition indispensable du « vivre ensemble ». Comme l’a souligné la Cour européenne des droits de l’homme dans deux arrêts du 4 décembre 2008, dans la mesure où « le pluralisme et la démocratie doivent également se fonder sur le dialogue et un esprit de compromis, [ils] impliquent nécessairement de la part des individus des concessions diverses qui se justifient aux fins de la sauvegarde et de la promotion des idéaux et valeurs d’une société démocratique ».

Tel est l’esprit de la présente proposition de loi qui prévoit d’inscrire, dans notre droit, cette règle élémentaire de la vie en société : nul ne peut, dans les lieux ouverts au public et sur la voie publique, porter une tenue ou un accessoire ayant pour effet de dissimuler son visage sauf motifs légitimes précisés par décret en Conseil d’État.

L’article 1er pose le principe : nul ne peut, dans les lieux ouverts au public et sur la voie publique, porter une tenue ou un accessoire ayant pour effet de dissimuler son visage sauf motifs légitimes précisés par décret en Conseil d’État. Au titre des motifs légitimes, pourraient notamment être visés les impératifs liés à une activité professionnelle, les contraintes médicales ou les exigences de santé publique, les obligations de sécurité routière, les manifestations culturelles ou récréatives organisées en vertu d’usages constants ou d’événements nationaux majeurs.

L’article 2 prévoit que la méconnaissance de l’interdiction fixée par l’article 1er est punie d’une peine contraventionnelle dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. Il appartiendra au pouvoir réglementaire de définir le montant de l’amende, éventuellement en fonction des circonstances et, le cas échéant, des peines complémentaires ainsi que des sanctions en cas de récidive. Une amende de 750 euros au plus pour les contraventions de la 4e classe paraît au législateur proportionnée au regard de l’infraction commise.

L’article 3 prévoit que les sanctions prévues à l’article 2 sont applicables aux faits constatés à l’expiration d’un délai de six mois suivant la promulgation de la présente loi. Cette disposition vise à garantir que les dispositions réglementaires prévues aux articles 1er et 2 seront effectivement prises dans un délai raisonnable. Ce délai doit aussi permettre aux pouvoirs publics d’organiser une information et une médiation en direction des personnes concernées, en lien avec les élus locaux et les associations de défense des droits des femmes.

L’article 4 prévoit la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement, chaque année, à compter de la date de la promulgation de la loi, sur l’application de ces dispositions, les mesures d’accompagnement qui auront pu être mises en œuvre par les pouvoirs publics ainsi que sur les difficultés rencontrées.

En tant que législateurs, nous devons apporter une réponse de fermeté face à l’apparition de nouvelles formes de délinquance et au développement de pratiques radicales qui n’ont pas leur place dans notre République. Nous devons aussi rester à l’écoute de ces hommes et de ces femmes, parfois en manque de repères et en opposition avec les valeurs de tolérance et d’ouverture, mais aussi de respect et de responsabilité, qui sont les nôtres. C’est pourquoi, nous déposons, simultanément, une proposition de résolution afin que cette mesure soit comprise et acceptée pour ce qu’elle est : une loi de libération et non d’interdiction. L’une et l’autre forment un ensemble cohérent que nous vous demandons d’adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Nul ne peut, dans les lieux ouverts au public et sur la voie publique, porter une tenue ou un accessoire ayant pour effet de dissimuler son visage sauf motifs légitimes précisés par décret en Conseil d’État.

Article 2

La méconnaissance de l’interdiction fixée par l’article 1er de la présente loi est punie d’une peine contraventionnelle dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.

Article 3

Les sanctions prévues à l’article 2 sont applicables aux faits constatés à l’expiration d’un délai de six mois suivant la promulgation de la présente loi.

Article 4

Un rapport est remis, chaque année, à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, par le Gouvernement au Parlement sur l’application de la présente loi, les mesures d’accompagnement qui auront été mises en œuvre par les pouvoirs publics ainsi que sur les difficultés rencontrées


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