N° 2952 - Proposition de loi de M. Jean-Pierre Decool visant à modifier les dispositions applicables en matière de garde à vue



N° 2952

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 novembre 2010.

PROPOSITION DE LOI

visant à modifier les dispositions
applicables en matière de garde à vue,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Jean-Pierre DECOOL, Bernard GÉRARD, Marc BERNIER, Gabriel BIANCHERI, Françoise BRANGET, Bernard BROCHAND, François CALVET, Jean-Yves COUSIN, Bernard DEBRÉ, Lucien DEGAUCHY, Daniel FASQUELLE, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Jean-Jacques GAULTIER, Franck GILARD, François-Michel GONNOT, Anne GROMMERCH, Jacques GROSPERRIN, Françoise HOSTALIER, Jacqueline IRLES, Marguerite LAMOUR, Thierry LAZARO, Michel LEJEUNE, Lionnel LUCA, Jean-Philippe MAURER, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Alain MOYNE-BRESSAND, Béatrice PAVY, Éric RAOULT, Jean ROATTA, Valérie ROSSO-DEBORD, François de RUGY, Françoise de SALVADOR, Bruno SANDRAS, Fernand SIRÉ, Éric STRAUMANN, François-Xavier VILLAIN, Michel VOISIN, André WOJCIECHOWSKI et Marie-Jo ZIMMERMANN,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’institution suprême de notre Pays, le Conseil Constitutionnel, a tranché, ce vendredi 30 Juillet 2010, sur le régime de la garde à vue (GAV) : cinq dispositions sur six ont été jugées non conformes à la Constitution et aux droits fondamentaux qu’elle garantit, notamment la protection des droits de la défense.

Selon Mathieu Aron, journaliste à France Info, qui a publié en 2010 un livre intitulé « Gardés à vue », le chiffre total des gardes à vue en France en 2009 serait de 900 000. Un chiffre tout à fait impressionnant qui nécessite un encadrement juridique renforcé.

Le but de la présente proposition de loi est d’améliorer les garanties des gardés à vue sur un certain nombre de points tout en maintenant l’esprit des dispositions légales :

I – Aux articles 63 et 77 du code de procédure pénale, le terme « plausibles » est remplacé par « sérieuses ». En d’autres termes, la garde à vue ne sera envisageable que contre une personne à l’encontre de laquelle il existe « une ou plusieurs raisons sérieuses de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ».

II – Afin d’éviter tout abus dans la garde à vue, il convient de limiter les cas pour lesquels celle-ci est envisageable. Les exemples espagnols, italiens et allemands sont intéressants en la matière (V. La garde à vue. Documents de travail du Sénat. 2009).

La garde à vue est donc limitée aux infractions relevant d’une peine criminelle ou d’une peine correctionnelle d’au moins 3 ans d’emprisonnement. On sait sur ce dernier point, que pour les délits, le droit commun de la détention provisoire impose que « la personne mise en examen encourt une peine correctionnelle d’une durée égale ou supérieure à trois ans d’emprisonnement » (art. 43-1 du code de procédure pénale). En limitant la garde à vue aux crimes et délits punis d’au moins trois années d’emprisonnement, il y aurait une cohérence certaine entre les différents cas de privation de liberté.

III – Il convient de permettre que l’avocat puisse demander que la personne gardée à vue puisse être examinée par un médecin. Cette proposition n’a rien d’original. Elle fait même partie des recommandations de l’ANAES (Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé), organisme public (V. colloque du 18 janvier 2005 intitulé « Intervention du médecin auprès des personnes en garde à vue »).

IV – Il est prévu que l’avocat puisse avoir accès au dossier du gardé à vue. Cette mention se comprend d’elle-même. À quoi sert la présence de l’avocat pendant 30 minutes si celui-ci n’a pas accès au dossier ? En février 2006, un rapport du Conseil de l’Europe était rédigé par M. Alvaro Gil Robles, commissaire aux droits de l’Homme…Or, M. Gil Robles s’est montré particulièrement critique sur le système français de garde à vue, trop compliqué et peu respectueux des droits de l’homme….Ses constatations s’achèvent ainsi : « je pense qu’il serait important que le législateur français progresse en la matière car la France risque de se faire épingler par la Cour Européenne des droits de l’homme qui a énoncé, dans son arrêt Murray c. Royaume Uni (CEDH du 8 février 1996), que l’impossibilité d’accès à un avocat pendant les premières 48 heures (en cas de garde à vue de 72 h) constitue une violation de la Convention Européenne des droits de l’homme. Cette décision a depuis été confirmée par la Cour. Dès lors, il me semble que la France devrait se mettre en conformité avec la jurisprudence de la Cour. La réforme de la présence d’un avocat lors de la garde à vue constitue, à mon avis, un besoin urgent en France, et j’appelle les autorités françaises à l’effectuer par la voie consensuelle après avoir consulté tous les corps intéressés et trouvé une solution satisfaisant aux exigences du respect des droits fondamentaux ».

On sait en outre que depuis les récentes décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), Salduz c/ Turquie du 27 novembre 2008 et Dayanan c/ Turquie du 13 octobre 2009, la modification de la législation française en la matière est devenue inévitable. L’article 63-4 du code de procédure pénale a donc été rédigé en sens.

V – L’intéressé est informé des éléments motivant la prolongation de sa garde à vue ainsi que de ses droits. Ces dispositions ne font que respecter les dispositions de l’article 5-2 de la convention européenne des droits de l’homme.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

I – Au premier alinéa de l’article 63 et au premier alinéa de l’article 77, le mot : « plausibles » est remplacé par le mot : « sérieuses ».

II – La première phrase du premier alinéa de l’article 63 est complétée par les mots : « relevant d’une peine criminelle ou d’une peine correctionnelle d’au moins trois ans d’emprisonnement ».

III – À la première phrase du premier alinéa de l’article 63-3, après les mots : « à sa demande » sont insérés les mots : « ou celle de l’avocat mentionné à l’article 63-4 ».

IV – L’article 63-4 est ainsi rédigé :

« Art. 63-4. – Dès le début de la garde à vue, la personne ne peut être entendue, interrogée ou assister à tout acte d’enquête, à moins qu’elle n’y renonce expressément, qu’en présence de l’avocat qu’elle aura choisi ou ce dernier commis d’office par le bâtonnier. Le bâtonnier est informé de cette demande par tous moyens et sans délai. Le dossier d’enquête ou la procédure d’instruction sont mis à la disposition de l’avocat avant chaque interrogatoire, confrontation ou acte d’enquête. 

« L’avocat peut communiquer avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien et la dignité de la personne, après que le dossier d’enquête ou la procédure d’instruction auront été mis à sa disposition.

« Un délai maximum de deux heures peut s’écouler entre l’avis donné à l’avocat, dans les conditions prévues au premier alinéa et le début de l’audition de l’intéressé. Pendant ce laps de temps, les questions posées à l’intéressé ne pourront porter que sur son identité. Au terme de ce délai, la personne pourra être interrogée, même en l’absence d’avocat.

« Lorsque la garde à vue fait l’objet d’une prolongation, la personne peut également demander l’intervention d’un avocat dès le début de la prolongation, dans les conditions et selon les modalités prévues aux alinéas précédents.

« Si la personne est gardée à vue pour une infraction mentionnée aux 4°, 6°, 7°, 8° et 15° de l’article 706-73, la présence de l’avocat n’intervient qu’à l’issue d’un délai de quarante-huit heures. Si elle est gardée à vue pour une infraction mentionnée aux 3° et 11° du même article, la présence de l’avocat ne peut intervenir qu’à l’issue d’un délai de soixante-douze heures. Le procureur de la République est avisé de la qualification des faits retenus par les enquêteurs dès qu’il est informé par ces derniers du placement en garde à vue ».

V – L’article 706-88 est ainsi complété :

1° Le premier alinéa est complété par la phrase suivante : « L’intéressé est alors dûment informé des éléments motivant la prolongation de sa garde à vue ainsi que de ses droits ».

2° Le sixième alinéa est ainsi rédigé :

« La personne dont la garde à vue est prolongée en application des dispositions du présent article peut solliciter la présence d’ un avocat, selon les modalités prévues par l’article 63-4, à l’issue de la quarante-huitième heure puis de la soixante-douzième heure de la mesure ; en outre, dès la première prolongation, les dispositions de l’article 63-2 trouvent application. L’intéressé est avisé de ces droits lorsque la ou les prolongations lui sont notifiées et mention en est portée au procès-verbal et émargée par lui-même ; en cas de refus d’émargement, il en est fait mention. Toutefois, lorsque l’enquête porte sur une infraction entrant dans le champ d’application des 3° et 11° de l’article 706-73, la présence de l’avocat ne peut intervenir qu’à l’issue de la soixante-douzième heure ».


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