N° 3016 - Proposition de loi de M. Yvan Lachaud créant des établissements d'éducation, de discipline et de réinsertion pour les mineurs délinquants



N° 3016

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 décembre 2010.

PROPOSITION DE LOI

créant des établissements d’éducation, de discipline et de réinsertion
pour les
mineurs délinquants,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Yvan LACHAUD, François SAUVADET, Jean-Pierre ABELIN, Élie ABOUD, Alfred ALMONT, Jean-Claude BEAULIEU, Marc BERNIER, Véronique BESSE, Chantal BOURRAGUÉ, Loïc BOUVARD, Patrice CALMÉJANE, François CALVET, Jean-François CHOSSY, Dino CINIERI, Louis COSYNS, Olivier DASSAULT, Jean-Pierre DECOOL, Lucien DEGAUCHY, Stéphane DEMILLY, Bernard DEPIERRE, Jean DIONIS du SÉJOUR, David DOUILLET, Raymond DURAND, Jean-Claude FLORY, Franck GILARD, Philippe GOSSELIN, Louis GUÉDON, Francis HILLMEYER, Jacqueline IRLES, Olivier JARDÉ, Jean-Christophe LAGARDE, Jacques LAMBLIN, Jean LASSALLE, Claude LETEURTRE, Lionnel LUCA, Henriette MARTINEZ, Christian MÉNARD, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Alain MOYNE-BRESSAND, Jacques MYARD, Jean-Marc NESME, Jean-Pierre NICOLAS, Nicolas PERRUCHOT, Bernard PERRUT, Josette PONS, Didier QUENTIN, Éric RAOULT, Frédéric REISS, Jacques REMILLER, François ROCHEBLOINE, Max ROUSTAN, Rudy SALLES, Françoise de SALVADOR, Jean-Marie SERMIER, Fernand SIRÉ, Dominique SOUCHET, Marc VAMPA, Francis VERCAMER, Patrice VERCHÈRE, Philippe VIGIER, Michel VOISIN et André WOJCIECHOWSKI,

députés.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La délinquance des mineurs est aujourd’hui au cœur des préoccupations de nos concitoyens, à cause de son développement grandissant et, souvent, à cause de la gravité des faits commis par des mineurs de plus en plus jeunes.

De fait, la petite délinquance, ou la délinquance commise par des mineurs, n’a pas diminué depuis ces dernières années et a même pris de nouvelles formes. Les statistiques de la police et de la gendarmerie attestent de la nette aggravation des actes de dégradations publiques ou privées. C’est la délinquance la plus courante dans la vie quotidienne, et c’est aussi celle qui entretient le plus le sentiment d’insécurité de nos concitoyens et nuit le plus à leur qualité de vie. Ce sont des braquages de petits commerces, des vols à la roulotte, des cambriolages ou des incendies de voiture, des actes de vandalisme, et la multiplication de ces délits contribue à entretenir un sentiment d’insécurité.

Or, ces actes sont le plus souvent commis par des mineurs. D’après les chiffres publiés par le ministère de la justice, près de 218 000 mineurs ont été mis en cause par la police et la gendarmerie en 2008, soit 17 % des 1 254 000 personnes identifiées comme auteurs présumés d’infractions en 2008. Sur ces 218 000 mineurs, près de 161 000 ont fait l’objet d’une décision du procureur de la République, près de 57 000 affaires étant non poursuivables ou classées sans suite. Près de 161 000 mineurs font l’objet d’une décision du procureur de la République, soit 74 % des 218 000 mineurs mis en cause par la police et la gendarmerie. Près de 78 000 mineurs font l’objet de procédures alternatives aux poursuites (48 %) et près de 83 000 mineurs sont présentés devant une juridiction pour mineurs ou le juge d’instruction. Près de 92 000 mineurs sont pris en charge par les services publics ou associatifs de la PJJ.

Il est de fait que les mineurs délinquants ressentent un sentiment d’impunité. Il ne faut pas se voiler la face, les jeunes mineurs délinquants savent très bien qu’ils ne risquent pas grand-chose sur le plan pénal avant d’avoir atteint l’âge de 16 ans. La question de la délinquance des mineurs doit donc faire l’objet d’un traitement tout particulier.

Les outils qui existent, avec la protection judiciaire de la jeunesse, ne permettent pas toujours de faire face aux cas les plus graves, et d’autres solutions que les traditionnels placements en foyer doivent être imaginées. Comment, par exemple, trouver la solution adaptée aux multirécidivistes, une fois appliquée une solution d’urgence qui commence par une mesure d’éloignement de la bande ?

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Il n’existe pas aujourd’hui de réponse adaptée à la délinquance des mineurs.

Du point de vue de la justice, il existe des tribunaux pour enfants et des éducateurs judiciaires spécifiques, les éducateurs PJJ. C’est l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante qui a institué les tribunaux pour enfants actuels, ainsi que le juge des enfants, et a défini clairement la primauté de l’éducatif sur le répressif, et ce dans une perspective de réinsertion sociale.

Il existe également les centres éducatifs fermés, mais ils n’apportent pas une réponse satisfaisante par leur nombre, insuffisant, et leur coût, élevé.

Récemment, la loi du 9 septembre 2002 a créé, entre les « mesures éducatives » applicables à tous les mineurs capables de discernement, et les « peines », applicables aux seuls mineurs de plus de 13 ans, une nouvelle catégorie de réponse pénale : « les sanctions éducatives », qui sont applicables aux mineurs âgés d’au moins 10 ans.

Quant aux établissements, il existe les établissements pénitentiaires pour mineurs et les centres éducatifs fermés.

Les centres éducatifs fermés s’adressent aux mineurs multirécidivistes qui font l’objet d’une mesure de contrôle judiciaire ou de sursis avec mise à l’épreuve. Ils constituent une alternative à l’incarcération et viennent toujours après l’échec de mesures éducatives.

Les premiers établissements pénitentiaires pour mineurs (EMP), créés par la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 (loi Perben I), réservés aux mineurs de 13 à 18 ans, ont été ouverts en 2007-2008 à Lyon, Valenciennes, Meaux, Toulouse, Mantes-la-Jolie, Nantes et Marseille.

Mais la prison n’est pas une solution :

– parce que la prison reste souvent un lieu de violence physique et sociale ;

– parce que le budget pourrait plus utilement être consacré à des mesures d’éducation et de prévention : sur le terrain, les éducateurs déplorent la fermeture de foyers d’accueil et la suppression de postes en milieu ouvert. Soit une baisse de la prévention qui ne manquera pas d’avoir pour corollaire une augmentation des passages à l’acte ;

– parce que les réponses adaptées au problème de la délinquance juvénile seraient à chercher non en prison, mais par le travail en milieu ouvert et par la prévention ;

– parce que l’ordonnance de 1945 posait le caractère exceptionnel de l’incarcération.

Il s’agit donc :

– de refuser une logique répressive de « tout sécuritaire » et d’exclusion sociale dès le plus jeune âge : en évitant le risque de surenchère de la justice expéditive qui fait de l’enfermement la réponse à tout délit, il s’agit de refuser la banalisation de l’incarcération des enfants ;

– de réaffirmer la nécessité d’un travail d’éducation et de réinsertion sociale ;

– d’imaginer une solution qui soit différente du système disciplinaire carcéral, car la place des enfants n’est pas en prison, et aucun travail éducatif n’y est possible.

Des moyens considérables pourraient ainsi être dégagés et attribués à de nouveaux centres pour mineurs délinquants, en favorisant les mesures éducatives et sociales qui peuvent contribuer à la prévention.

Le rôle de l’État et des pouvoirs publics est d’amener les mineurs délinquants à réfléchir sur leur situation, à leur faire comprendre que s’ils ne marchent pas droit, nous disposons quand même de moyens de les sanctionner sans pour cela aller jusqu’à l’enfermement carcéral.

***

Les établissements d’éducation, de discipline et de réinsertion peuvent constituer une réponse efficace à la délinquance des mineurs.

Face à ce qu’on doit malheureusement appeler un « refus de scolarité » de la part de certains enfants qui errent de collège en collège, du fait d’exclusions devenues récurrentes, face même à des jeunes qui ne fréquentent aucun établissement scolaire, il existe manifestement un vide dans l’échelle des sanctions qui pourraient leur être infligées.

Entre les renvois temporaires ou définitifs totalement inefficaces auprès des enfants déscolarisés, et les peines de prison survenant trop tard après l’entrée du jeune dans le monde de la délinquance, les sanctions intermédiaires, de type ITEP, centres éducatifs ouverts ou fermés, sont aujourd’hui trop peu nombreuses, mal adaptées et souvent très coûteuses pour la société. Notre devoir est pourtant d’offrir une nouvelle chance à ces jeunes, pour éviter qu’ils n’avancent sur le chemin de la délinquance. Notre devoir est de les sortir de la jungle urbaine dans laquelle ils sont plongés depuis qu’ils sont tout petits.

Ces enfants ont besoin de repères, d’autorité, de justice, dans une vie où seule la loi du plus fort est respectée.

À l’heure où de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer le rétablissement du service militaire pour permettre aux jeunes d’avoir, au moins une fois dans leur vie, un contact direct avec les valeurs de la République, il est utile d’étudier une action de ce type, plus ciblée, plus précoce et donc plus efficace.

Nous savons que la mise en place d’un nouveau service civil, ou civil et militaire, serait très coûteuse. Nous savons également qu’à la fin de son existence le service militaire n’était plus réellement universel.

En revanche, pour les jeunes pré-délinquants de moins de dix-sept ans, en rupture avec le monde scolaire, qui ne présenteraient pas de trouble du comportement nécessitant un suivi psychologique de type ITEP, il pourrait être intéressant de les contraindre à suivre leur scolarité dans un centre d’éducation, de discipline et de réinsertion. Cet établissement pourrait s’apparenter de loin aux boot-camps américains, qui sont aujourd’hui à l’étude au Canada et en Belgique.

Les principes de ces établissements seraient les suivants : les jeunes pris en charge ne doivent pas avoir commis de crimes ; le séjour ne peut être inférieur à six mois ; une remise à niveau scolaire est assurée ; les jeunes doivent suivre un programme quotidien de travail, d’exercices physiques et d’activités de loisirs particulièrement structuré et chargé ; un suivi sérieux est assuré lors du retour en milieu de vie ordinaire.

Les violences physiques et verbales, les rébellions, etc., seraient immédiatement sanctionnées par une exclusion du cours, qui elle-même impliquerait exercice physique et punition.

Les élèves seraient internes, avec une surveillance constante de façon à éviter les dérives de groupe qu’on retrouve par exemple en prison.

Il importe également de veiller au coût de ces établissements. Alors que le coût par jeune et par journée dans un centre éducatif fermé est supérieur à 600 € (d’après l’avis n° 104 [2008-2009] de la commission des lois du Sénat sur le budget de la justice), la discipline des centres d’éducation, de discipline et de réinsertion doit permettre d’atteindre des tarifs proches de ceux d’un internat classique.

Il faut également compter sur l’aspect dissuasif de cette structure pour permettre à l’État, et notamment à l’éducation nationale, de retrouver son autorité sur les jeunes de moins de 16 ans qui ont aujourd’hui un sentiment d’impunité en raison de l’absence de sanctions adaptées à leur âge.

L’objet de cette proposition de loi est donc de trouver un mode d’éducation, de sanction et de réinsertion adapté aux élèves les plus difficiles, en permettant l’éducation (notamment sociale et civique), la formation professionnelle et la réinsertion des délinquants mineurs par le biais d’un encadrement et d’une discipline stricts.


PROPOSITION DE LOI

TITRE IER

DES ÉTABLISSEMENTS D’ÉDUCATION, DE DISCIPLINE
ET DE RÉINSERTION

Article 1er

Il est créé un établissement public de l’État placé sous la tutelle conjointe des ministres de la justice, de l’éducation nationale et de la défense, appelé établissement d’éducation, de discipline et de réinsertion, ayant pour but l’éducation, la formation et la réinsertion des jeunes mineurs condamnés pour des actes de violence, de dégradation et d’atteinte à l’ordre public.

Les jeunes pris en charge par ces établissements ne doivent pas avoir commis de crimes. Ils sont placés dans un établissement d’éducation, de discipline et de réinsertion pour la durée de leur peine, qui ne peut être inférieure à six mois. Ils y bénéficient obligatoirement, selon leur niveau, d’une remise à niveau scolaire ou d’une formation professionnelle. Ils doivent également suivre un programme quotidien de travail, d’exercices physiques et d’activités de loisirs. Ils y apprennent enfin les règles de la vie en société, de la citoyenneté, du respect d’autrui et de l’État et de ses institutions et de ses représentants.

L’encadrement des jeunes est assuré par des personnels détachés ou mis à disposition par les ministres de l’éducation nationale, de la justice et de la défense.

Un suivi sérieux est assuré après le séjour dans cet établissement lors du retour en milieu de vie ordinaire.

L’État pourvoit au budget de l’établissement.

L’établissement d’éducation, de discipline et de réinsertion est administré par un conseil d’administration dont la composition est fixée par décret.

TITRE II

LES DÉLINQUANTS MINEURS

Article 2

I. – L’article 10-2 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa du II est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Pour l’application du présent alinéa, le calcul de la peine encourue ne tient pas compte des dispositions du premier alinéa de l’article 20-2 » ;

2° Après le quatrième alinéa du II, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« 2° bis Effectuer une période d’éducation, de formation et de réinsertion dans un établissement d’éducation, de discipline et de réinsertion ».

3° Au le cinquième alinéa du même II, après la référence : « 2° », sont insérés les mots : « et au 3° » ;

4° Le quatrième alinéa du III est ainsi modifié :

a) Après la référence : « 2° » sont insérés les mots : « et au 3° » ;

b) Il est complété par les mots : « ou dans un établissement d’éducation, de discipline et de réinsertion ».

II. – Le premier alinéa de l’article 20-10 de l’ordonnance du 2 février 1945 est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Elle peut également décider de placer le mineur dans un établissement d’éducation, de discipline et de réinsertion ».

III. – La durée du séjour des délinquants mineurs dans un établissement d’éducation, de discipline et de réinsertion est appréciée par le juge pour enfants sous réserve des dispositions du sixième alinéa de l’article 10-2 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante dans le cas d’un placement sous contrôle judiciaire, et peut aller jusqu’à trois ans dans le cas d’un sursis avec mise à l’épreuve.

Article 3

Un décret en Conseil d’État définit les règles relatives à la discipline générale et aux sanctions s’appliquant aux jeunes condamnés au sein de l’établissement d’éducation, de discipline et de réinsertion.

Article 4

Les charges qui pourraient résulter pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


© Assemblée nationale