TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 6 décembre 2011.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux,
Président
M. Claude BARTOLONE,
Rapporteur
M. Jean-Pierre GORGES,
Députés.
——
La commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux est composée de : MM. Claude Bartolone, président ; Jean-Pierre Gorges, rapporteur ; Dominique Baert, Michel Diefenbacher, Henri Plagnol, Éric Raoult, vice-présidents ; Jean-Jacques Candelier, Thierry Carcenac, Marc Francina, Philippe Vigier, secrétaires ; MM. Jean-Pierre Balligand, Jean-Marie Binetruy, Daniel Boisserie, Patrice Calméjane, Bernard Derosier, Mme Valérie Fourneyron, MM. Jean-Louis Gagnaire, Guillaume Garot, Louis Giscard d’Estaing, Marc Goua, Sébastien Huyghe, Serge Janquin, Charles de La Verpillière, Jean-François Mancel, Étienne Mourrut, Jacques Pélissard, Jean Proriol, Didier Quentin, Paul Salen, Guy Teissier.
AVANT-PROPOS DE M. CLAUDE BARTOLONE, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE 7
INTRODUCTION 9
I.– DES PRODUITS INNOVANTS MAL MAÎTRISÉS 13
A.– QU’EST CE QU’UN EMPRUNT STRUCTURÉ ? 14
1.– Une combinaison entre prêt bancaire et dérivé de marché 14
a) Un taux déterminé par l’évolution d’un indice sous-jacent 15
b) Une typologie permettant la classification des emprunts structurés 17
2.– Les emprunts structurés et les swaps ou contre-swaps 20
a) La distinction entre les produits de financement et les produits dérivés 21
b) Les produits dérivés comme les swaps et contre-swaps sont traités sur le même plan que les emprunts structurés 22
3.– La cotation Gissler, une matrice de référence pour l’ensemble de la place 23
B.– UN ESSOR RAPIDE À COMPTER DES ANNÉES 2000 28
1.– Un mode de financement innovant et attractif 28
a) Les emprunteurs ont bénéficié, sur une période parfois longue, de taux très en dessous du marché 30
b) Bien utilisés, ces produits ont permis de financer des investissements sans peser sur la fiscalité 32
2.– Un encours total sous-estimé 33
3.– Un risque global limité mais une forte concentration auprès de certains acteurs locaux 40
a) Dans les collectivités territoriales et leurs groupements 41
b) Dans les hôpitaux 42
c) Dans le secteur du logement social 43
C.– LA TOXICITÉ DE CERTAINS DE CES PRODUITS RÉVÉLÉE PAR LA CRISE DE 2007-2008 44
1.– Des indices volatils, décorrélés de l’activité locale 44
a) L’inversion de la courbe des taux, au début de la crise, a renchéri les taux des produits de pente 44
b) Le renchérissement du franc suisse, de 2008 à 2011, a déstabilisé les produits de change 46
2.– Les incertitudes entourant l’évolution au cours des prochains mois de certaines formules 47
II.– UNE RESPONSABILITÉ PARTAGÉE 49
A.– DES ÉLUS QUI ONT PARFOIS MANQUÉ DE VIGILANCE 49
1.– Les exécutifs locaux n’ont pas toujours souscrit ces emprunts en connaissance de cause 49
2.– Des assemblées délibérantes mal informées 52
3.– Une qualification insuffisante des services pour gérer des produits aussi sophistiqués 55
4.– Le rôle ambigu des cabinets de conseil aux collectivités 56
5.– Les établissements hospitaliers invités à investir sans le soutien de la puissance publique 57
6.– L’absence d’alerte des agences de notation 59
B.– LA POLITIQUE COMMERCIALE AGRESSIVE DES ÉTABLISSEMENTS BANCAIRES 61
1.– Le marché des prêts aux collectivités est devenu le lieu d’une lutte commerciale sans merci 61
2.– La nécessité de retrouver des marges a conduit à une politique commerciale agressive 62
3.– L’étendue de la responsabilité des banques actuellement en jeu devant les tribunaux 65
a) L’absence de jurisprudence sur les emprunts structurés 65
b) La limite résultant de la notion d’usure est-elle inopérante ? 66
c) Les conséquences possibles du défaut de conseil et de mise en garde 70
d) Les conséquences judiciaires qui pourraient être tirées du défaut de conseil 72
4.– La charte de bonne conduite de 2009 : les limites de l’autodiscipline 76
a) La charte Gissler, une avancée indéniable, mais des lacunes 76
b) La médiation décidée par le Gouvernement : un bilan en demi-teinte 78
C.– LE CONTRÔLE DES SERVICES DE L’ÉTAT : TROP LIMITÉ SUR LE TERRAIN, PEU VIGILANT EN ADMINISTRATION CENTRALE 80
1.– Un contrôle de légalité à la portée insuffisante 80
2.– Des comptables publics laissés sans instructions des services centraux 82
3.– Une exception : le rôle d’alerte des juridictions financières 84
4.– La Commission bancaire : une préoccupation davantage tournée vers le bon fonctionnement du système bancaire que vers la protection du client 86
III.– LE SOUTIEN NÉCESSAIRE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE 88
A.– LE FINANCEMENT DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES, UNE PRIORITÉ NATIONALE 88
1.– Le rôle majeur des collectivités dans l’investissement public 88
2.– L’insuffisante liquidité du marché du crédit pèse sur les collectivités 90
a) Des tours de tables difficiles à boucler 90
b) Les émissions obligataires ne sont accessibles qu’aux grandes collectivités 91
3.– La puissance publique doit s’impliquer davantage 92
a) La fin annoncée de Dexia 92
b) Au-delà des fonds débloqués par la Caisse des dépôts, les incertitudes sont nombreuses 95
c) La création d’une agence de financement des collectivités territoriales 96
B.– L’ENCADREMENT STRICT, POUR L’AVENIR, DES MODALITÉS D’ENDETTEMENT DES COLLECTIVITÉS 97
1.– Une solution à écarter : un énième renforcement des obligations d’information 98
2.– La restriction des produits financiers accessibles aux acteurs publics 99
a) Le refus de fonder une discrimination dans l’accès à certains produits financiers sur la taille des collectivités et établissements publics 99
b) L’interdiction des produits structurés ou dérivés avec multiplicateur 100
c) La mise en place d’un capping global pour tous les prêts aux collectivités territoriales, aux hôpitaux ou aux organismes du logement social 101
3.– L’adaptation du cadre budgétaire et comptable 102
a) L’institutionnalisation d’un débat sur la dette dans les assemblées délibérantes 103
b) L’introduction de nouvelles annexes sur les emprunts 104
c) L’obligation de provisionner les risques pris 105
d) L’encadrement de la conclusion des contrats d’emprunt avant les échéances électorales 107
4.– Le renforcement de l’encadrement juridique 108
a) L’extension du contrôle de légalité aux contrats de prêt 108
b) Le refus de la soumission des contrats d’emprunt au code des marchés publics 110
5.– L’information du Parlement 111
a) Vers un rapport annuel sur la dette locale 111
b) Clarifier les prérogatives des commissions d’enquête parlementaires à l’égard des établissements de crédit 112
C.– LA GESTION MUTUALISÉE DE LA SORTIE DES DETTES LOCALES STRUCTURÉES, SANS DÉFAISANCE 112
1.– Une piste abandonnée : la création d’une structure de défaisance 113
a) Le coût de la capitalisation d’une structure de gestion de passifs serait prohibitif 114
b) La déresponsabilisation des emprunteurs 114
2.– Le regroupement des acteurs publics locaux pour négocier avec leurs créanciers 115
a) Un pôle d’assistance et de transaction s’appuyant sur les moyens des services de l’État 115
b) Le recentrage du rôle de la médiation sur les produits atypiques ou fortement toxiques 120
TRAVAUX EN COMMISSION 121
SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS 149
CONTRIBUTIONS 151
GLOSSAIRE DES INDICES COURAMMENT UTILISÉS 155
ANNEXE 1 : COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 159
ANNEXE 2 : EXEMPLES DE CONTRATS D’EMPRUNTS STRUCTURÉS 447
AVANT-PROPOS DE M. CLAUDE BARTOLONE, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE
Lorsque le 5 mai 2011, j’ai eu l’honneur de déposer comme premier signataire la proposition de résolution qui aboutira à la création de cette commission d’enquête, les collectivités territoriales mais aussi les autres acteurs publics locaux, avaient le sentiment d’être confrontés à une crise dont l’ampleur n’a été ni prévue ni rapidement appréhendée par les responsables publics.
Différents acteurs publics locaux ont ainsi souscrit, à partir des années 1990, des prêts structurés à taux variable, aux mensualités de remboursement moins importantes au départ, mais beaucoup plus risqués que les prêts à taux fixes ou variables classiques. Ces prêts avaient pour particularité d’être indexés sur des valeurs ou des rapports entre indices qui se sont révélés très volatils, entraînant une augmentation exponentielle des taux d’intérêt à régler. Ces produits financiers sont devenus une charge très lourde pour plusieurs collectivités territoriales, aggravant leur vulnérabilité dans le contexte budgétaire tendu que nous connaissons aujourd’hui. Certains élus ont employé l’expression « bombe à retardement », car ces produits ont été présentés, à l’époque de la souscription, comme une solution moderne de gestion active de la dette, et jamais comme l’instrument spéculatif qu’ils recelaient en réalité.
Les quelques mises en garde, montrant que tous les services de l’État n’avaient pas failli, mettent en lumière que cette situation n’était ni imprévisible, ni inéluctable. Pourtant, aucune mise en garde généralisée n’est intervenue avant que les premiers dérèglements, liés à la crise financière de 2008 et à l’augmentation soudaine de la volatilité des indices financiers sous-jacents, viennent montrer comment, en incitant les acteurs publics à spéculer avec les deniers publics, on leur avait fait courir des risques inconsidérés.
Les travaux de notre commission d’enquête, qui se sont déroulés dans un climat particulièrement favorable d’écoute et de coopération, ont ainsi été à la fois éclairants, édifiants et constructifs.
Éclairants, car les données que notre rapporteur a pu obtenir et synthétiser fournissent à la fois un état des lieux et des chiffres incontestables de l’ampleur de la situation à laquelle nous sommes confrontés. Avec 10 690 prêts structurés recensés, représentant un encours d’emprunts à risques de 18,8 milliards d’euros, il est impossible de soutenir, comme le faisait encore le Gouvernement au début de nos travaux, qu’il s’agit d’un problème concernant quelques cas isolés.
Édifiants, car les auditions que nous avons menées ont montré comment les établissements bancaires avec lesquels les acteurs publics locaux avaient historiquement noué des relations de confiance, leur ont proposé de façon systématique, et notamment à de nombreuses petites communes, des produits potentiellement toxiques, leur faisant courir à terme des risques sans qu’ils disposent des outils nécessaires à leur gestion financière. La montée en puissance de ces emprunts indexés sur des formules toujours plus compliquées, toujours plus exotiques, s’est faite en l’absence totale de réaction de l’État, qui a largement failli dans sa mission de surveillance et de contrôle des pratiques commerciales des prêteurs au secteur local.
Travaux constructifs enfin, car si la commission d’enquête a cherché à déterminer les responsabilités des différents acteurs, elle s’est aussi penchée sur la recherche de solutions pour permettre aux collectivités et acteurs publics d’apurer les éléments toxiques de leur endettement, ainsi que sur la nécessité de fixer des règles qui éviteront aux collectivités et établissements publics de subir à l’avenir les conséquences financières de risques sous-jacents dont ils ne pouvaient mesurer toute la portée.
Trente ans après les lois Deferre de 1982, cet exemple ne peut que nous inciter à repenser le rôle de l’État dans la décentralisation, ainsi que les modes de financement des investissements publics locaux, question qui a été négligée par la puissance publique.
Car le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales ne peut et ne doit signifier l’absence de règles et de cadre garantissant les modalités de l’action des collectivités. Il convient en particulier de rétablir une véritable transparence dans la gestion de l’endettement des acteurs publics locaux, trop longtemps laissé candidement entre les mains des banquiers et des seuls spécialistes.
Je me félicite du travail consensuel qui a pu être mené par notre commission d’enquête. Celle-ci a pu obtenir toutes les informations nécessaires de la part des différentes parties prenantes de ce dossier, sans que l’on oppose le secret bancaire à la recherche de la vérité.
Les solutions proposées par le rapport nécessiteront un réel volontarisme du Gouvernement et de ses services pour que soit résorbé l’encours de prêts structurés existants. Elles exigeront aussi d’engager un processus législatif pour mettre en place le cadre de l’endettement des collectivités et des établissements publics.
Au fur et à mesure de l’avancée des travaux de la commission, il est clairement apparu que ceux-ci ont permis à tous les responsables publics, locaux comme nationaux, une réelle prise de conscience des enjeux en termes d’accès au financement comme de sécurité pour le budget des acteurs publics locaux. C’est pourquoi ce rapport d’enquête ne peut être que la première étape d’une feuille de route, qui devra être rapidement mise en œuvre.
Le présent rapport conclut les travaux de la commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux. Cette commission avait été créée par la résolution n° 675 adoptée par l’Assemblée nationale le 8 juin 2011 (1) dans les conditions prévues par l’article 141 de son Règlement, lequel permet à un président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire de demander un débat sur une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête, celle-ci ne pouvant être alors rejetée qu’à la majorité des trois cinquièmes des membres de l’Assemblée. La proposition de résolution avait été adoptée à l’unanimité par la commission des Finances le 25 mai 2011.
C’est à M. Claude Bartolone, premier signataire de la proposition ayant conduit à la création de la commission d’enquête, qu’est revenue la présidence de cette instance, en application de l’article 143 du Règlement.
La commission, composée de trente représentants de tous les groupes politiques de l’Assemblée, a procédé à 23 auditions entre le 6 juillet et le 29 novembre, au cours desquelles 80 personnes ont été reçues. Elle a également tenu quatre réunions dont deux débats d'orientation entre ses membres.
Au cours des six mois écoulés, le Rapporteur a rassemblé un maximum d’éléments objectifs et quantifiables afin de dresser un « diagnostic » de la situation, c'est-à-dire tout d’abord le montant de l’encours global des prêts structurés et au sein de celui-ci, la part de l’encours à risque. Pour cela, nous avons obtenu que les sept établissements de crédit actifs sur le marché des prêts au secteur local lèvent le secret bancaire : nous ont ainsi été communiqués les montants et les caractéristiques des 10 688 contrats de prêts souscrits par des acteurs publics locaux.
Le Rapporteur a également obtenu copie de cinq rapports confidentiels de l’Inspection générale des finances et de l’ancienne Commission bancaire.
Nous avons entendu les différentes parties concernées : les représentants des collectivités territoriales et autres acteurs publics ayant souscrit des emprunts à risque, les représentants des établissements bancaires ayant commercialisé ces emprunts, les représentants des services de l’État, au niveau local et central, qui auraient dû faire l’analyse de l’évolution de l’endettement local et de ses caractéristiques. Des spécialistes des finances locales ont été auditionnés et, enfin, les représentants des organes de surveillance et de contrôle des banques.
D’autres élus de collectivités connaissant de graves difficultés à cause de la hausse des taux d’intérêts de leurs emprunts auraient souhaité être entendus par la commission, afin de témoigner des erreurs commises par les élus qui les ont précédés ou de la rigidité dont font preuve aujourd’hui les établissements bancaires lorsqu’il leur est demandé de consentir à une solution viable pour la collectivité emprunteuse. La commission devant achever ses travaux dans un délai légal de six mois, il n’a pas été possible de recevoir toutes les personnes qui l’ont souhaité. Toutefois, nous pensons que les cas qui ont été examinés de manière approfondie étaient représentatifs des difficultés de nombreuses autres collectivités ou autres acteurs publics.
Cette commission d’enquête n’avait pas vocation à régler des comptes, mais à éviter que ces situations dangereuses ne se reproduisent. Elle devait soutenir les collectivités en difficulté et s’efforcer de trouver des solutions adaptées.
La première partie du rapport est consacrée à la description des emprunts et des swaps structurés, avec des exemples précis des formules utilisées. Nous avons évalué l’encours total des emprunts structurés, puis l’encours à risque, qui s’élève à 18,807 milliards d’euros pour l’ensemble des acteurs publics locaux, soit 58,6 % de l’encours total. Pour les seules collectivités territoriales, cet encours à risque représente 13,648 milliards d’euros, dépassant l’estimation avancée par la Cour des comptes dans son rapport public thématique paru en juillet dernier (2).
La deuxième partie du rapport montre que les responsabilités ont été partagées entre les élus qui ont souvent manqué de vigilance ou ne disposaient pas des compétences nécessaires pour comprendre les risques sous-jacents aux emprunts qu’ils contractaient, les banques qui ont développé une politique commerciale systématique et très agressive, souvent trompeuse, et enfin, le troisième responsable, l’État, avec un contrôle superficiel localement et une certaine myopie de l’administration centrale face aux alertes qui apparaissaient ici ou là.
Nous avons vu que les banques se sont mises à inventer des formules de plus en plus sophistiquées et intrinsèquement risquées. Ces produits dits structurés présentent à très court terme des taux très avantageux, mais qui ont montré très vite, dans le contexte financier et monétaire perturbé que nous connaissons depuis 2007, qu’ils pouvaient vite sortir des prévisions rassurantes, du fait d’indexations sophistiquées.
Les collectivités ont été des proies parfaites pour les banques qui ont proposé ces produits structurés : elles doivent faire face à des besoins de financement importants liés au niveau élevé de leurs dépenses d’investissement, toujours équilibrées bien sûr par la fiscalité ; et, bien souvent, les collectivités concernées se trouvaient dans une situation délicate : ces produits paraissaient donc attirants. Elles sont de plus pour les banques une clientèle solvable, car elles offrent la garantie implicite de l’État, cadre très protecteur pour des créanciers.
Nous avons examiné quel rôle avaient joué les représentants de l’État dans ce dossier au cours des dernières années. En vertu du principe de libre administration des collectivités, l’État ne doit pas s’immiscer dans la gestion des affaires locales ; mais il a conservé un rôle de conseil et d’alerte, qui en l’occurrence n’a pas été rempli. Les organes de surveillance et de contrôle ne disposaient pas d’une mission étendue à la protection de l’acteur public emprunteur, mais il a été constaté qu’ils semblaient aussi s’être autolimités, ne voulant pas entrer dans l’analyse des caractéristiques et des dangers potentiels de ces nouveaux produits financiers qu’étaient les emprunts structurés.
La commission a examiné les réponses apportées par l’État depuis le déclenchement de la crise des emprunts toxiques, à partir de 2009 : la mise en œuvre de la charte de bonne conduite en 2009 et l’institution d’une médiation confiée à M. Éric Gissler. Il est apparu clairement que ces réponses n’étaient pas à la hauteur des besoins d’encadrement et de sécurisation du financement des acteurs locaux d’une part, et, d’autre part, de l’urgence à traiter de manière rapide de très nombreux dossiers d’emprunts dont les risques latents se révèlent actuellement ou vont se révéler l’année prochaine, puisque la période bonifiée de ces produits est sur le point de prendre fin.
Dans la troisième partie de ce rapport, nous avons d’abord proposé des mesures pour une meilleure gouvernance budgétaire et comptable des collectivités, davantage de transparence, ainsi qu’un encadrement de leurs modalités d’endettement.
Enfin, nous avons élaboré une méthode pour traiter le cas des collectivités qui détiennent des emprunts à risques. A été choisi un principe de regroupement des acteurs publics locaux pour négocier avec leurs créanciers, non plus collectivité par collectivité, mais produit par produit. Nous avons souhaité privilégier l’apurement définitif des emprunts structurés, plus encore que de proposer une solution aux emprunteurs en situation difficile.
Le Rapporteur a constaté que les travaux de la commission se sont déroulés dans une assez large unanimité ; il s’est efforcé pour sa part de tenir compte des expériences des nombreux élus qui ont apporté leur témoignage, qu’ils soient membres de la commission ou auditionnés par la commission. Il souhaite vivement que les propositions, élaborées de manière consensuelle au sein de la commission, soient mises en œuvre dans les prochains mois par le Gouvernement, afin d’éviter une aggravation de la situation des collectivités concernées et une incompréhension des élus et des citoyens quant au traitement favorable réservé aux banques, soutenues par la puissance publique en cas de nécessité mais peu ouvertes à admettre leurs erreurs face aux emprunteurs locaux.
I.– DES PRODUITS INNOVANTS MAL MAÎTRISÉS
La dette des administrations publiques locales (APUL) représente une part assez faible de l’endettement public par rapport à la richesse nationale, puisqu’elle ne dépasse pas 10,1 % du produit intérieur brut. L’encours correspondant atteint tout de même 160,6 milliards d’euros auxquels s’ajoutent encore 89,5 milliards pour le secteur du logement social et 24 milliards pour les établissements de santé – soit, pour les acteurs publics locaux retenus dans le champ de l’enquête, un total de 276,8 milliards d’euros.
La composition de la dette locale est, en revanche, moins bien connue. Au-delà des montants bruts publiés chaque année par le ministère du Budget et l’INSEE, aucune statistique publique ne permet de déterminer de quels types d’emprunts cet encours est constitué, encore moins d’obtenir une ventilation par type de taux d’intérêt ou d’en connaître la maturité moyenne. Comme l’a souligné le Président de la formation interjuridictions chargée d’élaborer le récent rapport de la Cour des comptes sur la gestion de la dette publique locale (3), « indéniablement il reste des progrès à accomplir en matière de classification des composantes de cette dette.» (4)
Au-delà du financement des besoins ponctuels de trésorerie (5), trois grandes catégories d’emprunts de moyen ou long terme souscrits par les acteurs publics locaux peuvent être distinguées :
● Les emprunts à taux fixe, représentant moins de la moitié des encours (47 %), sont des prêts consentis par les établissements bancaires dont le montant de rémunération est fixé, une fois pour toutes, au moment de la souscription par le client.
● Les emprunts à taux variable, soit un tiers de la dette locale, se distinguent des premiers car le niveau de rémunération de la banque n’est pas fixé à l’avance mais le processus de fixation de celle-ci est connu – une formule fait ainsi référence à un (variable mono-index) ou plusieurs indices (variable multi-index) afin de déterminer le taux et, le cas échéant, la durée (prêts à échéances fixes).
Les indices les plus fréquemment utilisés sont l’EURIBOR (Euro Interbank Offered Rate), l’EONIA (Euro Overnight Interest Average) et ses dérivés que sont le T4M (Taux moyen mensuel du marché monétaire), le TAM (Taux annuel monétaire) ou le TAG (Taux annuel glissant) (6).
● Les emprunts structurés atteignent un cinquième des encours de dette ; ils sont décrits en détail infra.
Le Rapporteur met néanmoins en garde contre la tentation d’apprécier la dangerosité des emprunts sur le fondement d’une typologie aussi simpliste.
Certains prêts à taux fixe ou variable peuvent en effet se révéler particulièrement risqués lorsqu’ils sont, par exemple, souscrits en devises étrangères. Selon les informations transmises par le groupe Dexia, premier créancier des collectivités territoriales et des acteurs publics locaux, 2 169 emprunts (à taux fixe ou variable) libellés en devises figurent au bilan de la banque, soit 746 millions d’euros, représentant toutefois à peine 1 % de l’encours total.
En sens inverse, les emprunts structurés sont loin d’être tous toxiques. Des formules basées sur des indices monétaires dans (EURIBOR) ou hors de la zone euro (LIBOR britannique, WIBOR polonais, PRIBOR tchèque…) avec une barrière simple, mais sans multiplicateur ni effet levier, présentent un risque faible et sont, par conséquent, notées 1B ou 4B dans la cotation élaborée par l’inspecteur général M. Éric Gissler (cf. le 3. ci-dessous).
A.– QU’EST CE QU’UN EMPRUNT STRUCTURÉ ?
Conçus au gré des besoins, sans souci de catégorisation juridique, ces emprunts sur-mesure ou structurés regroupent des produits financiers hétéroclites au point qu’il est difficile d’en donner une définition systématique.
1.– Une combinaison entre prêt bancaire et dérivé de marché
Les emprunts structurés se décrivent plus commodément qu’ils ne se rangent dans une classification ; c’est pourquoi l’on met souvent en avant leur caractère mixte pour les distinguer (7). Ils intègrent en effet, dans un seul et même contrat, deux éléments :
– un financement initial, sous la forme d’un prêt bancaire ;
– et une ou plusieurs opérations sur produits dérivés, qui constituent autant d’instruments financiers.
S’apparentant à la fois à des activités de crédit, de haut de bilan (8) et de marché, ces produits sont conçus par les directions des financements structurés au sein des établissements bancaires, en recourant à l’expertise technique des équipes des salles de marchés.
Ils sont mis au point par les banques afin de répondre aux besoins de financement de leurs clients : les emprunts structurés ne sont donc pas spécifiques aux acteurs publics locaux mais peuvent être souscrits par des entreprises (financements dits corporate – financement de la croissance externe, financement de projets) voire des investisseurs individuels (financement de transmission – leveraged finance).
À titre d’exemple, au sein du groupe des Caisses d’épargne – devenu Banques populaires Caisses d’épargne (BPCE) – l’ingénierie financière était assurée par la banque de financement et d’investissement Ixis puis par Natixis, qui regroupe les activités de financements spécialisés et de marchés de capitaux. Chez Dexia, les salles de marchés étaient également « chargées de définir les caractéristiques du prêt conformément aux demandes des collectivités » (9) en liaison avec la direction commerciale et de l’ingénierie financière, avant sa distribution par les 38 unités commerciales régionales du réseau.
a) Un taux déterminé par l’évolution d’un indice sous-jacent
Partie intégrante des emprunts structurés, les produits dérivés sont des instruments de gestion des risques financiers utilisés pour couvrir quatre types de risque (marché, liquidité, contrepartie, taux) (10). Ils sont négociés soit sur des marchés de gré à gré, soit sur des marchés réglementés (autrement dit, des bourses).
Les emprunts structurés combinent, de manière étroite, trois catégories de produits dérivés :
● Les swaps désignent des échanges de flux financiers, calculés à partir d’un montant théorique de référence appelé notionnel, entre deux entités pendant une certaine période de temps : en matière d’emprunts, les swaps de taux d’intérêt permettent d’échanger par exemple un taux fixe contre un taux variable.
Ces produits sont à la base des structures dans lesquelles, avant ou après la phase d’amortissement où le taux dépend de l’évolution d’un indice sous-jacent, l’emprunteur bénéficie d’une phase bonifiée – généralement de deux à cinq ans, parfois davantage – avec un taux très faible voire nul.
Ainsi le contrat TOFIX OVERTEC proposé par Dexia comporte-t-il deux phases :
– la première, assez courte (onze mois pour l’emprunt contracté par Compiègne (11) en 2006), avec un taux fixe (3,20 % l’an) ;
– la seconde (dix ans) avec un taux calculé suivant la formule [2 x Euribor12M – TEC10 + constante] (fixée à 0,85 %, en l’espèce).
Selon les informations recueillies par le Rapporteur, trente-quatre contrats basés sur des formules analogues ne totalisaient plus, fin août, qu’un encours de 185 millions d’euros dans les comptes de Dexia ; la plupart des contrats du même type, devenus moins intéressants avec la remontée des taux, ont été renégociés au cours des dernières années. Ce type d’emprunt est aujourd’hui classé 3D dans la cotation Gissler.
● Les contrats d’option par lesquels une partie accorde à une autre le droit (mais non l’obligation) de lui acheter ou de lui vendre un actif, durant une période ou à une date précise, moyennant le versement d’une prime ; grâce à ces instruments – le plus simple est le cap qui permet de faire face à une hausse excessive des taux – l’acquéreur peut se couvrir de manière conditionnelle contre un risque.
Ce sont les produits dans lesquels la formule correspondant au taux d’intérêt est construite avec une condition – ils se reconnaissent aisément par la présence de la conjonction « si » dans les contrats.
Le groupe Dexia a, par exemple, proposé à ses clients des financements à taux fixe (ou indexé sur l’EURIBOR) annulable pour lesquels, après une première phase en taux fixe (ou variable), la banque pouvait à une date donnée décider de basculer définitivement le taux fixe en taux variable (ou le taux variable en taux fixe). En dépit de l’imprévisibilité de leurs modalités d’indexation, ces emprunts structurés peu volatils sont considérés comme faiblement risqués et cotés 1C.
Comme leurs concurrents, les caisses d’épargne ont également commercialisé un contrat-type HELVETIX dont les annuités reposaient, après une phase bonifiée (quatre années au taux fixe de 2,74 %, dans le cas du contrat souscrit par Melun (12) en 2007), sur la formule suivante :
– si la parité entre l’euro et le franc suisse (EUR/CHF) est supérieure ou égale à 1,44 alors le taux d’intérêt applicable sera un taux fixe de 2,74 % ;
– sinon, le taux d’intérêt est égal à [2,74 % + 0,6 x (EUR/CHF au jour de souscription – EUR/CHF)/(EUR/CHF)].
De tels contrats, basés sur des indices hors zone euro, sont exclus de la charte Gissler (classés « hors charte » ou 6F).
● Les contrats à terme, de type forwards (gré à gré) et futures (sur un marché réglementé), sont des engagements fermes d’acheter ou de vendre une quantité convenue d’un actif à un prix et à une date future convenus : les forward rate agreement permettent ainsi de fixer à l’avance le taux d’intérêt pour un montant nominal donné.
Dans certains produits, ce n’est pas la formule sur laquelle est basé le taux d’intérêt mais l’indice sous-jacent lui-même qui dépend des anticipations des marchés. La formule utilisée fera, par exemple, référence à un écart entre deux points plus ou moins éloignés sur la courbe des taux – ce que l’on nomme spread entre les taux longs et les taux moyens. Beaucoup de contrats sont ainsi basés sur des CMS (constant maturity swaps) ; il s’agit d’opérations d’échanges périodiques d’intérêt entre un taux long glissant et un taux court, sur une maturité donnée (13).
À titre d’illustration, le Rapporteur rappelle que Dexia a commercialisé un contrat « TOFIX FIXMS » comportant trois phases :
– une première phase (deux ans pour la commune de Gourdon
– 4 858 habitants – dans le Lot (14)), pendant laquelle le taux appliqué est fixe (3,84 %) ;
– une deuxième phase (pendant quinze ans), où le taux est égal à
[5,21 % – 5x (CMS EUR 30 ans – CMS EUR 2 ans)] si la différence entre le CMS EUR 10 30 ans et le CMS EUR 2 ans est négative et à 3,84 % sinon ;
– une troisième phase (pendant les sept dernières années), avec un taux à nouveau fixé à 3,84 %.
Du fait de son multiplicateur, une telle formule est cotée 3E sur le fondement de la charte Gissler. Selon le dernier pointage effectué par la commission d’enquête, 926 contrats analogues ont été souscrits auprès de Dexia pour un encours de 5,217 milliards d’euros.
b) Une typologie permettant la classification des emprunts structurés
Grâce aux combinaisons permises par ces instruments dérivés, et à la variété des indices sous-jacents, la multiplication et la sophistication des formules à la base des emprunts structurés sont virtuellement illimitées. Alors que « le Crédit local de France, ancêtre de Dexia, commercialisait trois types de prêts en 1995 ; Dexia en commercialisait quarante-trois en 2000, cent soixante-sept en 2006, deux cent vingt-trois en 2008, et n’en commercialise désormais plus que quinze », selon ses dirigeants actuels (15).
Une première analyse des dangers inhérents à ces produits structurés pourrait s’appuyer sur une étude de la volatilité et du risque de dé-corrélation (16) des indices sous-jacents. Il est toutefois délicat d’apprécier in abstracto la stabilité d’indices aussi variés, adossés à un taux d’intérêt (monétaire ou obligataire), une monnaie (taux d’inflation ou parité de change avec une autre devise) ou des obligations (SIFMA swap index, par exemple) (17).
Ces indices peuvent éventuellement être combinés au sein d’une même formule, ce qui accroît la volatilité du produit ; ainsi, le département de la Seine-Saint-Denis a-t-il contracté (18) auprès de la Société Générale un emprunt structuré avec trois phases et deux index :
– sur 2007-2008 : un taux fixe de 2,80 % ;
– sur 2008-2009 : un taux fixe de 3,27 % ;
– de 2009 à 2022 : si EUR/USD<1,52 alors le taux d’intérêt est égal à EURIBOR 12 MOIS (Postfixé)–0,6 sinon il est égal à 4,95+(50 x (1–(1,52/EUR–USD))).
Les indices plus exotiques comme les matières premières, les actions voire les indices propriétaires (19) semblent, sur la foi des documents transmis par les banques au Rapporteur de la commission d’enquête, avoir disparu des formules aujourd’hui proposées aux acteurs publics locaux. Il y a lieu de s’en féliciter, même si certaines structures, parfois publiquement décriées, pouvaient ponctuellement répondre à un besoin spécifique.
En 2008, Dexia avait ainsi mis en place pour le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes un emprunt structuré dénommé Energilys, avec un sous-jacent atypique (cours du baril de brent) et a priori hautement spéculatif, mais destiné à lui permettre de neutraliser la hausse du prix de l’énergie (20).
Afin de mieux appréhender les structures les plus fréquemment rencontrées, cette approche peut être croisée avec une typologie fondée sur l’amplitude des variations permises par les formules utilisées.
● L’effet de levier, encore appelé multiplicateur, permet de démultiplier le taux lorsque le sous-jacent (taux, parité de monnaie…) sur lequel il est indexé atteint un niveau donné.
Le groupe bancaire Dexia a commercialisé une formule, cotée 2E, qui illustre bien ce mécanisme, avec un multiplicateur de 5 :
– si EURIBOR 12 MOIS EUR ≤ 6,25 % alors le taux d’intérêt est égal à 6,8 % – MAX (0 ; Inflation zone euro) ;
– sinon le taux est égal à 6,8 % – MAX (0 ; Inflation zone euro) + 5*(EURIBOR 12 MOIS EUR – 6,25 %).
L’effet est alors très important puisqu’un coefficient de 5 majore de 100 points de base le taux d’intérêt dès lors que l’EURIBOR s’accroît de 0,2 % (20 points de base).
● L’effet de change caractérise, quant à lui, l’indexation du taux sur la parité de deux monnaies ou l’écart entre les parités de plusieurs monnaies. Il peut se combiner avec le précédent.
Le contrat suivant, proposé par Dexia, est classé hors charte puisqu’il a pour sous-jacent la parité avec une devise : [4,18 % x (113 / (EUR/JPY))].
● On parlera, en revanche, d’effet de pente lorsque le taux est déterminé par référence à l’écart entre deux points plus ou moins éloignés sur la courbe des taux d’intérêt, par exemple le différentiel (en anglais, spread) entre les taux longs et les taux moyens.
Additionné à un effet de levier, un produit de cette nature verra le taux d’intérêt payé par le souscripteur évoluer plus rapidement que le sous-jacent : la formule suivante [taux égal à 3,62 % si CMS 20 EUR – CMS 2 EUR > 0,15 % sinon 3,62 % – 9,60 * ((CMS 20 EUR – CMS 2 EUR) – 0,15 %)], proposée par le groupe Crédit agricole, peut connaître d’importantes variations ce qui justifie sa cotation 5E. Une telle formule, comme le précise le contrat, ne fonctionne en effet que lorsqu’il y a inversion de la courbe et que donc (CMS 20 EUR – CMS 2 EUR) est négatif ; 3,62 % est alors un minimum et non plus un maximum.
● À la différence de la barrière simple qui conditionne à chaque échéance le taux d’intérêt au franchissement ou non par un indice sous-jacent d’un niveau de référence, la barrière activante s’apparente à un effet cliquet. Une fois réalisée la ou les conditions prévues au contrat, le taux d’intérêt applicable est majoré, sans possibilité de retour en arrière quelle que soit l’évolution des conditions de marché.
Symétriquement, la barrière désactivante (knock-out ou KO) fonctionne de la même manière que la structure à barrière activante sauf que la majoration du taux est désactivée lorsque la ou les conditions sont réalisées. La filiale française de la banque irlandaise Depfa a ainsi signé avec une commune un prêt structuré, classé hors charte, selon la formule [3,50 % + Max [0 % ; (0,85–USD/CHF)/USD/CHF] x Y, où Y=0 définitivement si USD/CHF >= 0,96 une seule fois du 20/06/14 jusqu’à maturité].
● Par produits de courbe, on désigne les structures dans lesquelles le taux d’intérêt est conditionné à l’évolution comparée de deux taux d’intérêt issus de deux zones économiques distinctes – d’où leur nom anglais channels. Il s’agit le plus souvent du différentiel entre un taux britannique et un taux européen, suisse ou japonais.
● Enfin, l’effet cumulateur ou « boule-de-neige » (snowball) traduit l’augmentation du taux à chaque échéance par incorporation du taux de l’échéance précédente. Concrètement, une marge, encore appelée coupon, est calculée (trimestriellement, par exemple) sur la base d’un indice sous-jacent. Chaque trimestre, une nouvelle marge est calculée et vient se rajouter à la marge précédente. C’est l’effet cumulatif.
Un contrat de ce type a été souscrit auprès du Crédit agricole, selon la formule suivante :
– du 01/02/08 au 01/02/09 : 3,53 % ;
– du 01/02/09 au 01/02/20 : 3,53 % + coupon conditionnel ; avec coupon conditionnel (n) = Max [0 % ; 2 x (3,20 % – CMS10)+coupon n-1] ;
– du 01/02/20 au 01/08/27 : 3,53 %.
En clair, si le CMS EUR 10 ans reste toujours supérieur à 3,20 %, la marge trimestrielle reste la même d’un trimestre à l’autre. Dans le cas contraire, la marge augmente. Selon les informations recueillies par le Rapporteur, le dernier taux payé par la contrepartie atteint déjà 4,38 % ; ce type de produit est désormais exclu de la charte de bonne conduite.
2.– Les emprunts structurés et les swaps ou contre-swaps
Afin de se protéger de la hausse des taux variables et de profiter de la baisse des taux fixes des emprunts qu’ils ont souscrits, les acteurs publics locaux ont, comme les autres agents économiques, recours à des opérations d’échanges de taux (swaps) qui leur sont ouvertes depuis 1992. Ces produits dérivés permettent, sans remettre en cause les conditions du prêt initial, de recevoir d’une contrepartie les intérêts dus à l’établissement prêteur en échange du versement d’intérêts calculés selon un autre indice.
Comme le rappelait l’un des experts entendus par la commission, l’utilité des swaps n’est pas à remettre en cause, même pour des produits simples tels qu’un taux fixe ou l’Euribor, qui présentent des risques opposés et nécessitent donc un dosage approprié : « il n’est pas toujours possible, quand on anticipe une évolution défavorable des marchés, de procéder à un remboursement anticipé – on ne peut souvent le faire qu’une fois par an, à l’issue d’un préavis et au prix d’une surfacturation (…) au lieu d’attendre, il peut être tout à fait pertinent de faire un swap pour transformer immédiatement la structure. » (21)
a) La distinction entre les produits de financement et les produits dérivés
À ce titre, ils peuvent être considérés comme des instruments de couverture. Le capital couvert ne constitue pas un encours puisqu’il n’y a pas d’échange entre acheteur et vendeur ; c’est le notionnel. Le cas échéant, plusieurs swaps successifs peuvent être conclus : on parle alors de contre-swaps.
S’ils peuvent être combinés à un emprunt (dans un produit « structuré »), comme détaillé précédemment, ces swaps peuvent aussi être souscrits pour eux-mêmes et ne porter que sur le taux d’intérêt proprement dit sans donner lieu à endettement supplémentaire. Toutefois, la distinction n’est pas toujours aussi claire et, dans certains montages, les swaps sont accompagnés d’une partie financement, qui peut prendre différentes formes : paniers d’actions accompagnés d’un equity swap, panier d’obligations avec asset swap, repurchase agreements (repo)...
LES PRODUITS DÉRIVÉS DE COUVERTURE DU RISQUE DE TAUX
INTITULÉ DU PRODUIT |
DÉRIVÉ DESCRIPTIF ET UTILISATION DU PRODUIT |
SWAP différé / forward SWAP |
Ce SWAP est un SWAP classique dont les modalités sont fixées immédiatement, mais dont la date de départ est différée de plusieurs mois après la date de conclusion. |
SWAP modifiable au gré de l’acheteur |
L’acheteur du SWAP a la possibilité de modifier une ou plusieurs caractéristiques de son SWAP à une date et à des conditions fixées dans la transaction. |
Option de SWAP / SWAPTION |
Une option de SWAP est une opération par laquelle l’acheteur de l’option, payant une prime au départ, a le droit de choisir le moment où le SWAP est mis en place, sachant que les conditions du SWAP sont fixées dès la conclusion de l’opération. L’acheteur peut également décider de ne pas exercer l’option, l’opération se termine alors sans aucun échange. |
SWAP contingent |
Ce type de SWAP est proche de l’option de SWAP, à la seule différence que l’existence du SWAP ne dépend pas de la volonté d’une des parties, mais d’un événement extérieur. |
INTITULÉ DU PRODUIT |
DÉRIVÉ DESCRIPTIF ET UTILISATION DU PRODUIT |
SWAP à taux bonifiés |
Cet instrument permet de se garantir un taux fixe bonifié, c’est-à-dire inférieur au taux de SWAP du marché. |
SWAP prolongeable |
Cet instrument permet de se réserver le droit de prolonger un SWAP pour une durée définie, aux mêmes conditions que le SWAP initial. |
CAP à degrés |
Il s’agit d’un contrat de garantie de taux plafond présentant deux niveaux de protection suivant l’évolution du taux variable de référence. Ce mécanisme permet aussi une réduction de la prime à payer. |
CAP à taux évolutif |
Ce CAP présente plusieurs niveaux de protection, définis le jour de la conclusion du contrat. Chaque taux couvre une période d’un an. La structure des taux garantis peut être croissante ou décroissante. |
CAP à cartouches / CAP flexible |
Ce CAP fonctionne comme un CAP classique, mais pour un nombre limité de constatations, de « cartouches ». À chaque constatation, l’acheteur du CAP décide ou non d’utiliser une de ses cartouches. Ce mécanisme permet aussi de réduire la prime à payer. |
CAP à prime restituable |
Ce CAP se présente comme un CAP standard dans lequel la prime, associée à l’option de taux, est remboursée partiellement à l’échéance si le CAP n’a pas été exercé. |
Tunnel à prime zéro |
Le contrat est conclu de telle manière que la vente du FLOOR procure une prime égale à la vente payée sur le CAP. |
Source : Circulaire du 25 juin 2010 précitée.
b) Les produits dérivés comme les swaps et contre-swaps sont traités sur le même plan que les emprunts structurés
Ces instruments de couverture n’ont pas échappé à la sophistication croissante des produits financiers ; sont ainsi apparues des possibilités de modulation du taux du swap versé à la contrepartie en fonction de la réalisation d’une condition de marché. Cette possibilité de bonifier le taux du swap a pour corollaire un accroissement du risque encouru, comme pour les produits structurés. C’est pourquoi la charte de bonne conduite et le système de cotation proposés par M. Éric Gissler visent, à bon escient, l’ensemble des produits financiers, c’est-à-dire à la fois emprunts (structurés ou non) et les produits dérivés comme les swaps.
Cette complexification croissante peut être aisément illustrée par un exemple. Le département de la Seine-Saint-Denis a successivement souscrit un emprunt structuré auprès de Depfa, un swap sur ce sous-jacent auprès de Natixis et enfin un contre-swap auprès de Depfa (en 2007). C’est donc ce dernier qui doit être regardé pour apprécier la position finale du département.
Ce contre-swap bénéficie actuellement d’un taux fixe bonifié de 1,80 %. À compter du mois de février 2012, il sera soumis à une formule basée sur la double parité euro/dollar et euro/franc suisse [Taux égal à 1,80 % + MAX (0 ; EUR/USD-EUR/CHF)]. Il s’agit d’un produit de courbe potentiellement risqué, classé « hors charte ».
Selon les anticipations du 4 novembre 2011 communiquées à la commission d’enquête, le taux d’intérêt pourrait atteindre 17,30 % pour l’échéance de février 2012. En rythme annuel, cela engendrerait 1,64 million d’euros d’intérêts contre 0,19 million d’euros sur la base de la bonification en 2011.
Le Rapporteur souligne que ce contre-swap demeure moins risqué que le swap qu’il couvre car ce dernier afficherait, pour la même échéance, un taux d’intérêt de 18,15 % alors que le prêt initial ne présente pas de dangers particuliers, la structure conduisant, suivant les conditions de marchés, à l’application d’un taux de 2,88 % ou de 4,88 %.
3.– La cotation Gissler, une matrice de référence pour l’ensemble de la place
Missionnée par la ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi, le 15 janvier 2009, l’inspection générale des finances s’est vue confier la rédaction d’un rapport sur « le recours par les collectivités territoriales aux produits structurés » incluant l’élaboration d’un projet de charte de bonne conduite. Le Rapporteur de la commission d’enquête a pu prendre connaissance de ce document (22).
Préparé par M. Éric Gissler et remis à la ministre au mois de février 2009, ce rapport préconise l’abandon de certains produits financiers et la classification des autres en fonction des risques. L’approche retenue se fonde sur une évaluation des risques en termes d’indices sous-jacents et en termes de structures. Elle aboutit à la création d’une double échelle de cotation destinée à permettre à chaque établissement de crédit de coter les risques inhérents à tout produit financier (financement ou swaps, structuré ou non).
Les produits les moins risqués sont ainsi classés 1A lorsqu’ils ne sont pas structurés (produits à taux fixe, variable et variable plafonné), 2A pour les produits simples indexés sur l’inflation et jusqu’à 2B pour les produits structurés peu dangereux (barrière sans multiplicateur) pour lesquels le risque de dé-corrélation entre le taux payé et les conditions de marché est limité.
COTATION GISSLER DES RISQUES
Indices sous-jacents |
Structures | |||
1 |
Indices Zone euro |
A |
Taux fixe simple. Taux variable simple. Échange de taux fixe contre taux variable ou inversement. Échange de taux structuré contre taux variable ou taux fixe (sens unique). Taux variable simple plafonné (cap) ou encadré (tunnel) | |
2 |
Indices inflation française ou inflation zone euro ou écart entre ces indices |
B |
Barrière simple. Pas d’effet de levier | |
3 |
Écarts d’indices zone euro |
C |
Option d’échange (swaption) | |
4 |
Indices hors zone euro. Écart d’indices dont l’un est un indice hors zone euro |
D |
Multiplicateur jusqu’à 3 ; multiplicateur jusqu’à 5 capé | |
5 |
Écart d’indices hors zone euro |
E |
Multiplicateur jusqu’à 5 |
Source : Charte de bonne conduite entre les établissements bancaires et les collectivités locales, p.3.
À l’inverse, les produits les plus risqués dont la charte de bonne conduite interdit la commercialisation (dits « hors charte ») sont relégués hors de cette matrice. Le Rapporteur observe néanmoins que certains établissements de crédit ou cabinets de conseil persistent à substituer au classement « hors charte » une cotation assez trompeuse de 6 en risque sous-jacent ou F en risque de structure.
Dans tous les cas, les produits concernés sont principalement :
– des emprunts libellés en devises, qui exposent la contrepartie à un risque supplémentaire de change ;
– des produits indexés sur le change, mais libellés en euros, car la volatilité des cours de change peut conduire à des taux d’intérêt élevés ;
– des produits de courbe, fortement soumis au risque de dé-corrélation ;
– et des produits cumulatifs, dans lesquelles le taux payé accumule échéance après échéance l’écart entre un index et une barrière.
Ce système de cotation a été repris, sans modification, dans la « charte de bonne conduite entre les établissements bancaires et les collectivités locales » à l’appui du troisième engagement visant à garantir une présentation objective des produits financiers et des risques associés ainsi que du septième engagement prévoyant que « les établissements bancaires coteront systématiquement les produits proposés aux collectivités locales en fonction de [cette] grille (…) ».
Même si la charte elle-même n’a été signée que par quatre groupes bancaires – Dexia, BPCE, la Société Générale et le Crédit Agricole – la cotation des risques qui en découle est désormais communément utilisée par l’ensemble des intervenants sur le marché des prêts aux acteurs publics locaux. Les filiales françaises de banques étrangères, comme Deutsche Bank, Royal Bank of Scotland ou Depfa/Deutsche Pfandbriefbank, acceptent d’y recourir.
Du côté des élus locaux, la cotation Gissler est également devenue une base importante d’autant que la circulaire du 25 juin 2010 s’y réfère expressément (23). Elle est désormais utilisée, en particulier, dans :
– le modèle de délibération déléguant à l’exécutif la décision de recourir à l’emprunt ;
– l’annexe à joindre aux maquettes des instructions budgétaires et comptables des collectivités.
C’est pourquoi le Président et le Rapporteur de la commission d’enquête sont convenus de l’utiliser afin de permettre la comparaison sur des critères communs. La double échelle de cotation imaginée par M. Gissler n’en souffre pas moins de plusieurs imperfections et limites que révèle la comparaison avec d’autres systèmes.
D’autres classifications des risques ont en effet été développées sans toutefois atteindre une diffusion aussi large. Le cabinet de conseil Finance Active s’est ainsi doté d’un « observatoire de la dette » et d’un tableau des risques, reproduit ci-après.
COTATION DES RISQUES PAR FINANCE ACTIVE
Classe de risque |
Risque de structure | |
Ancienne classification |
Nouvelle classification |
|
1 |
1 |
Taux fixe, Swap vanille, |
2 |
Taux fixe révisable ou à phases | |
3 |
Taux variable standard | |
4 |
Taux variable couvert (ie. capé) | |
5 |
Indexation sur le livret A | |
6 |
Indexation sur l’inflation | |
7 |
Taux variable hors zone euro | |
1,5 |
9 |
Taux fixe à barrière sur zone euro |
10 |
Taux fixe à barrière sur zone euro avec multiplicateur | |
2 |
8 |
Taux fixe ou variable annulable au gré de la banque |
11 |
Taux fixe à barrière hors zone euro | |
12 |
Taux fixe à barrière hors zone euro avec multiplicateur | |
3 |
13 |
Barrière sur écart entre inflation européenne et inflation française |
3,5 |
/ |
Taux fixe avec une vente multiple d’options vanilles |
4 |
14 |
Barrière sur écart taux long-taux court (produit de pente) |
15 |
Barrière sur écart taux de zones monétaires différentes (produit de courbes) | |
5 |
16 |
Emprunts en devise - Barrière sur taux de change |
17 |
Produit cumulatif (snowball) | |
18 |
Autres |
Source : Lettre du cadre territorial n° 118 - avril 2010 ; Fiche technique Finance Active du 17/10/2011.
Cette classification initialement en cinq classes (et deux classes intermédiaires) s’est enrichie dans la dernière évolution de l’outil web Insito, proposé aux clients de l’entreprise, qui permet une analyse de la dette par type de risque. La nouvelle répartition du risque comporte désormais 18 catégories.
L’approche retenue, plus lisible pour le client avec son échelle unique, marque plusieurs différences avec la cotation Gissler qui sont riches d’enseignements :
– elle réintègre au sein de la cotation les produits les plus risqués, ce qui permet une approche plus fine du « hors charte » ;
– le risque inhérent aux produits de pente est mis en exergue, alors que ceux-ci peuvent bénéficier d’une cotation 3B dans le système concurrent ;
– une classification spécifique est ménagée pour les emprunts à taux fixe ou variable annulable au gré de la banque, ce qui permet de sensibiliser les clients au risque spécifique à ce type d’option qui ne peut être assimilé à une barrière simple ;
– il n’est en revanche fait aucune distinction entre les multiplicateurs faibles (jusqu’à 3) et élevés (plus de 5), ce qui peut conduire à classer 10 des produits par ailleurs cotés 3E (c’est-à-dire à risque) ;
– les produits indexés sur les matières premières sont assimilés à un risque fort, alors qu’ils peuvent avoir une finalité de couverture.
Les établissements de crédit se sont également dotés, parfois tardivement, d’outils d’évaluation des risques pour le prêteur induits par l’activité de financements structurés. L’évaluation (scoring) ainsi effectuée vise à hiérarchiser le risque commercial induit par ces produits. D’usage interne à la banque, il n’est jamais communiqué au client.
En avril 2008, Dexia s’est ainsi doté d’une méthode de scoring spécifique, commune à l’ensemble des implantations du groupe. Celle-ci repose sur deux paramètres : le type de sous-jacent et le format de structuration. Elle permet d’obtenir un classement par points (de 0 à 32, soit six profils distincts (24)) destiné à mesurer le risque inhérent au produit mais aussi à segmenter son octroi selon les catégories de clients (adéquation client/produit, en anglais suitability).
Le groupe BPCE a également revu en septembre 2008 son système d’évaluation du risque, en introduisant quatre niveaux de produits (P1 à P4) : gamme structurée standard sur indice européen, gamme structurée intermédiaire, gamme structurée avec levier avec cap, gamme structurée avec levier sans cap. Là encore, l’évaluation des produits est croisée avec les catégories de clients.
Au sein du groupe Crédit agricole, les outils manquaient jusqu’à présent de cohérence : chez Crédit Agricole Corporate Investment Bank (CA CIB), les produits étaient classés de A (faible risque) à D (risque élevé) tandis qu’à la Banque de Financement et de Trésorerie (BFT), ils étaient classés de 3 à 1
(1 correspondant au risque le plus élevé). Les portefeuilles seront prochainement regroupés, et le scoring unifié, « la BFT [étant] bientôt appelée à fusionner avec le CA CIB » (25).
B.– UN ESSOR RAPIDE À COMPTER DES ANNÉES 2000
Sous l’effet des premières lois de décentralisation, le marché de la dette publique locale a connu une longue phase d’expansion, l’encours total des seules collectivités territoriales étant passé de 387 milliards de francs (59 milliards d’euros) fin 1985 à 682 milliards de francs (près de 104 milliards d’euros) à la fin de l’année 1995.
Cette tendance s’est néanmoins inversée à compter de 1995-1996, le stock de dette des collectivités ayant même diminué de 7 % entre 1997 et 2002 (26). Marqués par les déroutes financières de collectivités étrangères (les villes de Fulham et Hammersmith au Royaume-Uni en 1988, le comté d’Orange aux États-Unis en 1993) ou françaises (Angoulême en 1989, Briançon en 1992), les élus locaux ont mené à l’époque des stratégies de désendettement dans un souci de saine et bonne gestion.
Sur un marché aussi étroit, la concurrence entre les établissements de crédit est devenue plus vive et ceux-ci ont été contraints, au tournant des années 2000, de baisser leurs marges afin de préserver leur activité (27).
1.– Un mode de financement innovant et attractif
Dans ce contexte particulier, trois facteurs peuvent expliquer l’essor des produits structurés sur le marché des prêts aux acteurs publics locaux :
● La dernière décennie a été marquée par une sophistication continue des produits financiers. Le développement de l’ingénierie financière a constitué un phénomène global, dont les effets ont concerné l’ensemble des activités du secteur bancaire. Le métier des financements structurés n’a pas échappé à cette tendance de fond ; les produits proposés à la clientèle corporate comme aux institutionnels ont évolué – et continuent d’évoluer – vers davantage de technicité.
Sur le marché de la dette publique locale, ces produits plus sophistiqués ont constitué un moyen pour les établissements de crédit de se démarquer de leurs concurrents et de restaurer une partie de leurs marges.
De fait, les tout premiers emprunts sophistiqués apparaissent à la fin des années 1990 pour répondre aux besoins spécifiques d’organismes du logement social, d’hôpitaux ou de grandes collectivités.
Ainsi, en 1996, le syndicat d’agglomération nouvelle (SAN) de Marne-la-Vallée, Val Maubuée doit-il s’engager dans une vaste opération de restructuration de sa dette. La délibération du comité syndical (28) autorise alors la souscription de quatre emprunts PRISMA auprès du Crédit Local de France – qui n’était pas encore devenu Dexia – dans les conditions suivantes :
– une première phase de 5 ans pendant laquelle le taux d’intérêt est indexé sur LIBOR DEM (en Deutsche Mark) majoré d’une marge maximum de 0,45 % ;
– une seconde phase de 10 ans avec un taux indexé sur PIBOR 12 mois majoré d’une marge maximum de 0,45 %.
Cet « ancêtre de la complexité » (29) paraît rétrospectivement assez inoffensif, puisqu’il s’apparente à un emprunt à taux variable à phases, dans lequel le changement d’indexation du taux est opéré à une date connue à l’avance sans condition liée à l’évolution des marchés.
Une étape supplémentaire est franchie, au début des années 2000, avec l’apparition d’emprunts à barrière simple. En 2001, la commune de Châteauroux (30) a renégocié huit prêts auprès de Dexia – dont trois à taux fixes – contre un emprunt unique, dit TIP TOP, caractérisé par un taux d’intérêt fixe de 4,82 % tant que l’EURIBOR 3 mois est inférieur à 5,50 % et un taux variable égal à l’EURIBOR 3 mois + 0,08 % lorsqu’il est supérieur.
● La reprise de l’endettement des collectivités territoriales, à compter de 2003, correspondait à un effort d’investissement concomitant à l’acte II de la décentralisation (31). Le besoin de financement des APUL a ainsi atteint 1,4 et 2,9 milliards d’euros en 2003 et en 2004. La croissance de l’investissement s’est ensuite ralentie sur les exercices 2005 et 2006, ce qui a permis aux collectivités publiques de la financer grâce à la mobilisation des excédents supplémentaires de gestion, sans augmenter le besoin de financement.
À nouveau, à partir de 2007, la forte croissance de l’investissement s’est traduite par un besoin de financement des APUL accru du même ordre (+ 4 milliards d’euros et + 7 milliards euros l’année suivante) qui s’est prolongé, à un rythme plus modéré, jusqu’en 2010.
● Autre élément d’explication, la forte remontée des taux d’intérêt entre 2006 et 2008 n’a pas été acceptée par les acteurs publics locaux. Ceux-ci ont cherché les moyens de poursuivre leurs investissements dans les mêmes conditions financières, d’autant que cette hausse des taux correspondait à une période préélectorale.
a) Les emprunteurs ont bénéficié, sur une période parfois longue, de taux très en dessous du marché
Les emprunts structurés ont permis aux emprunteurs de tirer le meilleur profit de l’évolution constante des marchés.
● En assurant des taux bonifiés – les premières années, au moins – ces produits ont pu exercer sur les élus et responsables locaux un attrait certain. L’ancienne équipe municipale de Saint-Étienne a ainsi pu souscrire en juin 2007 auprès de Depfa Bank (32) un emprunt structuré de 22 millions d’euros d’une durée de trente-cinq ans, avec une première période à taux d’intérêt nul jusqu’en 2020 !
Alors qu’à l’automne 2007 les taux fixes atteignaient 4,50 % et l’EURIBOR 12 mois 4,75 %, cette commune affichait un taux d’intérêt moyen de sa dette de 2,76 %, grâce à la souscription d’emprunts structurés et à la conclusion de nombreux swaps. Auditionné par la commission d’enquête, le maire de l’époque, M. Michel Thiollière, a résumé sa stratégie en ces mots : « Nous avons bénéficié de taux d’intérêt très bas. Comme beaucoup d’autres collectivités, nous avons géré notre budget de façon active afin d’économiser les moyens financiers de la ville. » (33)
La CRC de Rhône-Alpes s’est essayée à quantifier le gain budgétaire théorique retiré de cette gestion « active » ; en comparant les taux moyens pondérés de la ville à ceux d’une stratégie plus classique, les magistrats concluent à un gain de court terme important, de l’ordre de 14 millions d’euros cumulés sur 2004-2008 (34). Cette somme représente entre 6 et 7 % des dépenses d’équipement, ou encore 3,5 % du produit de la fiscalité directe, sur la même période.
● La durée d’amortissement des emprunts structurés contractés par les collectivités territoriales et les autres acteurs publics locaux est souvent très longue, en général supérieure à celle des emprunts classiques et pouvant parfois aller jusqu’à trente, voire quarante ans. Les rapports d’observations définitives des CRC ont, par exemple, mis en évidence des durées moyennes de vingt-quatre années pour Saint-Maur-des-Fossés, vingt-cinq années pour la communauté d’agglomération de Grenoble et le département de l’Ain, trente-cinq années pour la commune de Sassenage (Isère).
La situation est identique pour certains établissements publics de santé, comme le centre hospitalier de Lens (vingt-neuf années) ou Saint-Dizier (trente années). Dans ce dernier cas, il a fallu financer la reconstruction complète de l’hôpital – bâtiments et équipements – pour un montant total de 100 millions d’euros, ce qui a nécessité d’emprunter 60 millions d’euros en 2006-2007.
Le directeur du centre de Saint-Dizier a détaillé, lors de son audition, les caractéristiques de l’un des emprunts. « [Ce prêt] de 9 millions a été souscrit auprès de Dexia, sur trente ans. Il comprend trois périodes : les deux premières années à un taux fixe très avantageux – 2,99 % – alors qu’un taux fixe sur trente ans aurait coûté autour de 4 % ; les quinze années suivantes, le taux est indexé sur les CMS – swaps de maturité constante – à 1 an et à 30 ans. Tant que le CMS 1 an reste inférieur au CMS 30 ans, nous bénéficions du taux de 2,99 %. C’est toujours le cas aujourd’hui mais, au moment de la crise des subprimes, il y a eu 111 jours de dépassement, ce qui aurait signifié pour nous, si nous avions été dans cette phase de l’emprunt, un taux de 5,63 %, et le surcoût annuel pour 365 jours de dépassement aurait été de 225 000 euros, ce qui représente un risque modéré. Pour les treize dernières années, ce sera de nouveau le taux fixe de 2,99 %. » (35)
Paradoxalement, comme l’ont souligné les magistrats des CRC (36), certains équipements publics financés par de tels emprunts s’amortissent sur une durée beaucoup moins longue. Ainsi la communauté de communes de Bar-sur-Aube (37) a-t-elle contracté, afin de renégocier un prêt à taux fixe destiné à financer la construction d’une nouvelle gendarmerie, un prêt structuré sur trente ans alors que le bail signé avec l’État pour l’occupation de ces locaux ne dépassait pas neuf années…
● Des différés d’amortissement importants sont également consentis avec de tels produits. Ils permettent aux emprunteurs de retarder le paiement de la première échéance du prêt de six ou douze mois, voire davantage.
L’exemple de Saint-Étienne est, à nouveau, très éclairant : l’emprunt de 22 millions d’euros déjà évoqué, d’une durée de trente-cinq ans, prévoyait un différé d’amortissement de dix-huit mois.
● Comme le notait la Cour des comptes dans son rapport public annuel pour 2009, les emprunts structurés sont fondés sur l’échange de gains transitoires, notamment au moyen de taux bonifiés, en contrepartie d’une prise de risque à moyen et long terme. Rappelant les difficultés auxquelles la société anonyme de construction de la ville de Lyon (SACVL) a été confrontée suite à la souscription de swaps à effet cumulatif (snowballs) auprès du Crédit agricole, son directeur concluait ainsi la table ronde sur le logement social organisée par la commission d’enquête : « Les premières années des dits prêts structurés sont relativement confortables, mais au-delà de cinq ans, personne ne peut prédire ce qu’il va se passer. En ce qui me concerne, j’en ai six qui entrent dans la phase active à partir de 2018 et qui s’étalent sur une période de trente à trente-quatre ans. Nous avons donc une période non sécurisée qui va durer entre vingt-sept et vingt-huit années. Le risque est donc réel. » (38)
b) Bien utilisés, ces produits ont permis de financer des investissements sans peser sur la fiscalité
Certains élus ou responsables locaux ont su utiliser les emprunts structurés pour alléger la charge de leur dette et financer des investissements supplémentaires. C’est la stratégie qui a été suivie dans la commune et la communauté d’agglomération de Chartres, comme l’a relaté l’adjoint au maire chargé des finances (39) : « En 2001, lorsque Jean-Pierre Gorges a été élu, nous avons trouvé un encours de 50 millions d’euros alors même que nos prédécesseurs avaient réalisé peu d’investissements. En tenant compte de la structure de cette dette, j’ai pu, pendant une partie du premier mandat, réduire cet encours de plus de moitié, ce qui m’a permis par la suite de relancer l’investissement pour un montant de 185 millions d’euros au cours des six dernières années, pour la seule ville de Chartres. »
Ces marges de manœuvre ont également permis aux élus d’éviter de faire peser l’effort consenti en faveur de l’investissement sur les contribuables locaux ; l’adjoint au maire de Chartres précisait : « J’ajoute que cela a été fait tout en diminuant chaque année la pression fiscale, sans garder l’œil rivé sur les charges financières, qui ne représentent que 2 % de mon budget. Je dispose donc bien de marges financières, y compris si ces charges étaient appelées à doubler ou à tripler. » S’ils sont suffisamment maîtrisés et que les marges financières de la collectivité le permettent, les emprunts structurés permettent donc de financer des projets qui n’auraient pas vu le jour sans eux ; le risque de taux auquel s’expose la collectivité doit alors être mis en balance avec les retombées des investissements réalisés.
À l’inverse, la quasi-totalité de la dette a parfois été considérée comme « une variable d’ajustement » (40), les marges dégagées étant utilisées pour régler des charges de fonctionnement. Dans le cas de Saint-Étienne, la CRC relève qu’entre 2004 et 2008, alors que l’encours de dette était renégocié en produits structurés, les dépenses de fonctionnement de la commune évoluaient plus vite que ses recettes : plus 17 millions d’euros, soit une augmentation de 14 %. Cette évolution touche particulièrement les charges de personnel ; il est évidemment très difficile de revenir ensuite sur de telles dépenses, ce qui place la ville dans une situation dramatique si le risque inhérent à la structure se concrétise.
2.– Un encours total sous-estimé
L’évaluation de l’ampleur et de la concentration des risques liés aux emprunts structurés constitue évidemment un préalable à l’enquête. Le manque d’informations contribue à dissimuler le phénomène et à retarder la décision ; comme le soulignaient les associations d’élus, pour justifier leur prudence : « Pour le moment, il y a peu d’information et elle n’est pas fiable. Il existe des entreprises privées, telle Finance Active, qui fournissent des statistiques élaborées à partir de leur clientèle. Certains médias se livrent à de la désinformation en publiant des chiffres anciens et incomplets. Nous réclamons à l’État depuis 2008 une information fiable, car elle est indispensable pour se positionner et savoir si, oui ou non, il y a un risque systémique. » (41)
Des chiffres ont tout de même été avancés. L’inspection générale des finances, sous la plume de M. Éric Gissler, a tenté la première d’évaluer l’encours global des produits à risques au second semestre 2008, retenant des montants de 7 milliards d’euros (42) (sur un total de 13 milliards) pour les emprunts structurés et de 2 milliards d’euros (sur un total de 7 milliards) pour les swaps. En l’absence de tout recensement par les services de l’État (43), ces estimations se fondaient sur l’échantillon de l’observatoire Finance Active et retenaient les produits souscrits par des collectivités territoriales et des EPCI. Elles additionnaient :
– d’une part, les encours des prêts structurés sur le change, des produits de courbe ainsi que des produits de pente avec fort multiplicateur ;
– et, d’autre part, les notionnels de swaps taux fixe (ou variable) contre taux structuré, ou taux structuré contre taux structuré.
Pour quantifier le risque global, l’approche retenue consistait à multiplier ces encours à risque par leur taux d’intérêt moyen, soit 280 millions d’euros pour les prêts structurés et 112 millions d’euros pour les swaps. Le rapport concluait à l’absence de risque systémique ; il estimait en effet que, même dans l’hypothèse d’un triplement des taux moyens des produits à risque (pour atteindre respectivement 12 % et 16,8 %), l’augmentation du volume global des intérêts financiers supportés par les collectivités ne dépasserait pas 10 à 15 %, soit un surcoût inférieur à 1 % des charges de fonctionnement.
Plus récemment, la Cour des comptes s’est également essayée à estimer le volume d’emprunts structurés souscrits par les collectivités territoriales. Ce second rapport, publié en juillet dernier, n’inclut donc pas les dettes des établissements de santé et des organismes du logement social. Elle conclut néanmoins à un encours de 10 à 12 milliards d’euros d’emprunts à risque pour 30 à 35 milliards d’emprunts structurés.
Cette augmentation a pu paraître surprenante, d’autant que la Cour fonde elle aussi son estimation sur les données publiées par l’observatoire de Finance Active. Comme elle ne peut pas s’expliquer par des variations de périmètre, et que la charte Gissler a considérablement limité le flux de nouveaux crédits structurés, il faut supposer que la première estimation était trop optimiste.
Ajoutant à la confusion, le quotidien Libération a publié, à son tour, une « carte de France des emprunts toxiques » au mois de septembre, évaluant à 25 milliards d’euros l’encours et à 3,9 milliards d’euros le surcoût de ces emprunts. Las, les données utilisées ne concernaient que Dexia et dataient de près de deux ans. L’article procédait, surtout, à un amalgame dommageable entre prêts structurés et prêts toxiques ou à risque ; la méthodologie de calcul du surcoût a également été contestée.
Dans un tel contexte, la commission d’enquête s’est efforcée d’aboutir à une évaluation aussi précise que possible. Le Rapporteur a choisi de ne pas s’appuyer sur les mêmes sources que l’inspection générale des finances et la Cour des comptes, afin d’autoriser un recoupement des données. Usant des prérogatives que lui confère l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il a interrogé les sept principaux établissements de crédit – Dexia, BPCE, Crédit agricole CIB, Société générale, Depfa Bank, Royal Bank of Scotland et Deutsche Bank – actifs sur le marché du prêt au secteur local afin que ceux-ci lui communiquent, à titre confidentiel, les encours et caractéristiques des contrats de prêt souscrits (44). L’analyse globale de ces données est présentée ci-dessous.
● Les prêts structurés au secteur local : un marché étroit, sur lequel Dexia jouit d’une position dominante.
Le marché des prêts aux acteurs publics locaux n’est plus l’apanage du seul groupe Dexia, comme cela était encore le cas il y a dix ans. L’héritier du Crédit local de France a en effet dû faire face à une concurrence croissante des réseaux mutualistes, grâce à leur réseau local dense, mais également de nouveaux venus.
Avec plus du quart des encours de prêts au secteur local, Dexia conserve la première place, mais il est désormais talonné par des acteurs historiques comme BPCE (18 % des encours), s’appuyant sur les caisses d’épargne, ou encore le Crédit agricole (12 %), via ses filiales Calyon (devenue CA CIB) et BFT. Année après année, le groupe bancaire franco-belge a continué à perdre des parts marché (– 2 points entre 2009 et 2010), notamment au profit de nouveaux entrants comme le groupe Crédit mutuel-CIC, BNP Paribas et, ponctuellement, des filiales françaises de banques étrangères.
Deux acteurs institutionnels – la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et la Banque européenne d’investissement (BEI) – assurent le financement de projets plus structurants (réseaux de transports en commun en site propre, infrastructures hospitalières dans le cadre du plan Hôpital 2007, mise en conformité des installations de retraitement des eaux usées…) grâce à des prêts dont le taux (45) et la durée sont attractifs. La CDC joue, par ailleurs, un rôle tout à fait considérable dans le financement des organismes de logement social, à hauteur de 73 milliards d’euros ; ce qui se traduit par une part globale de 30 % en dépit de sa place plus modeste s’agissant des prêts aux collectivités territoriales et aux établissements de santé.
MARCHÉ DES PRÊTS AU SECTEUR LOCAL
Source : commission d’enquête.
Sur le segment plus réduit des prêts structurés aux acteurs publics locaux (11,6 % de l’ensemble des encours), les équilibres sont sensiblement différents. Avec plus des deux tiers du stock, Dexia s’arroge une position largement dominante sur un marché dont le nombre d’intervenants est plus réduit. Reléguées loin derrière, les trois banques généralistes – BPCE, Crédit agricole CIB et Société générale – totalisent un tiers du marché, grâce au savoir-faire de leurs équipes spécialisées dans les financements structurés (logées dans les filiales Natixis et CA Corporate Investment Bank, pour les deux premières). Deux filiales françaises de banques étrangères (Royal Bank of Scotland et Depfa Bank) sont également actives sur le marché français, privilégiant une logique de niche.
La physionomie du marché des swaps structurés aux acteurs publics locaux est, en revanche, très différente. Le groupe Dexia en est totalement absent ; l’acteur principal est par conséquent le Crédit agricole CIB avec 44 % du notionnel. BPCE et la Société générale regroupent, quant à eux, 18,5 % et 12 % des swaps structurés. Les banques étrangères sont assez actives sur ce marché : Royal Bank of Scotland avec 12,6 %, Deutsche Bank avec 8,4 % et Depfa avec 4,0 % du notionnel.
● Un encours global plus précis que les estimations précédentes
Sur la base des données recueillies par le Rapporteur de la commission d’enquête, il est possible d’évaluer à 32,125 milliards d’euros l’encours total (46), au second semestre 2011, des prêts structurés souscrits par l’ensemble des acteurs publics locaux dans le champ d’investigation de la commission : communes, EPCI et syndicats, départements, régions, établissements publics de santé et organismes du logement social. Cet encours doit être rapporté au volume global d’endettement des mêmes acteurs, qui atteignait 276,8 milliards d’euros fin 2010. Les emprunts structurés ne constituent donc qu’une modalité de financement parmi d’autres, loin derrière les prêts à taux fixe ou à taux variable qui totalise, comme on l’a vu, les quatre-cinquièmes de la dette.
En ne retenant qu’un périmètre restreint, limité aux seules collectivités territoriales, l’encours total atteint encore 23,323 milliards d’euros. L’évaluation de la Cour des comptes – avec le même périmètre mais avec des données datant de la fin de l’année dernière – aboutissait donc à une surestimation du volume des emprunts structurés de près du tiers.
Par ailleurs, le notionnel de swaps structurés souscrits par les acteurs publics locaux s’établit à 6,561 milliards d’euros, soit un niveau proche de celui mis en avant par M. Éric Gissler dans son rapport.
● Ces encours ont diminué d’un tiers depuis la crise bancaire et financière de l’automne 2008
Compte tenu de l’amortissement naturel des emprunts et des renégociations menées pour sécuriser la dette des acteurs publics locaux, les principaux établissements de crédit sont parvenus à réduire les encours de prêts structurés de près de 5 milliards d’euros sur trois ans, les ramenant de 43,964 milliards d’euros à 39,136 milliards d’euros hors effets de périmètre (47).
Cet effort est toutefois très inégal d’un établissement à l’autre : Dexia a réduit son encours de 8,1 % alors que BPCE diminuait le sien de 22,2 %.
ÉVOLUTION DES ENCOURS D’EMPRUNTS STRUCTURÉS AU SECTEUR LOCAL
(en millions d’euros)
Etablissements de crédit |
T3 2008 |
T3 2011 (périmètre 2008) |
T3 2011 |
CA CIB |
n.d. |
n.d. |
2 785 |
BPCE |
6 882 |
5 356 |
4 447 |
Dexia |
29 725 |
27 300 |
22 510 |
Autres |
3 575 |
3 107 |
2 383 |
Ensemble du marché |
43 964 |
39 136 |
32 125 |
Source : commission d’enquête. Les montants en italique sont des estimations.
De surcroît, la réduction du stock d’emprunts structurés ne s’est pas accompagnée d’une désensibilisation significative, c’est-à-dire d’une diminution dans les mêmes proportions des encours à risque. En effet, les renégociations ont porté en priorité sur des crédits structurés cotés dans la charte Gissler qui ont été définitivement reclassés en crédits non structurés. Le réaménagement des crédits les plus risqués – classés hors de la charte – s’est révélé beaucoup plus difficile.
● L’encours des produits à risque a, en revanche, été sous-estimé.
Seule une partie de cet encours global présente un risque. Pour distinguer entre les emprunts structurés à risque (voire à fort risque) et les emprunts structurés qui ne présentent pas de danger, la commission d’enquête s’est basée sur la cotation Gissler, comme cela a déjà été indiqué.
Ont ainsi été tenus pour risqués les emprunts structurés dont l’indice sous-jacent était coté 5 (écarts d’indices hors zone euro) ou la structure cotée 5 (multiplicateur de 3 à 5 sans cap), ainsi que l’ensemble de ceux qui ont été interdits par la charte (dits hors charte). En pratique, sont concernés :
– les indexations sur le WIBOR, le STIBOR, le PRIBOR (mais également le LIBOR) ;
– une partie des produits de pente, du fait d’un fort multiplicateur ;
– la plupart des emprunts indexés sur la parité euro/franc suisse, du fait là encore de leur effet levier ;
– tous les produits hors charte : de courbe (channel), à effet cumulateur (snowballs), libellés en devises (à taux fixe ou variable), indexés sur des matières premières ou sur des indices propriétaires…
En complément, sont considérés comme à risque fort les emprunts classés hors charte (HC) ou en bas de la charte (3E, 4E et 5E).
L’encours total des emprunts structurés à risque est évalué à 18,828 milliards d’euros pour l’ensemble des acteurs publics locaux, dont 15,787 milliards d’euros présentent même un fort risque. Ces proportions sont préoccupantes car elles représentent respectivement 58,6 % et 49,2 % de l’encours total, alors que l’encours sain ne dépasse pas 41,4 %. Même au niveau des seules collectivités territoriales, cet encours à risque atteint 13,648 milliards d’euros ce qui dépasse le haut de la fourchette retenue par la Cour des comptes.
CARTOGRAPHIE DES RISQUES (EMPRUNTS STRUCTURÉS)
Source : commission d’enquête.
Au sein de cet encours risqué, les emprunts classés hors charte représentent 21,2 % de l’ensemble des prêts structurés, avec de forts contrastes entre établissements prêteurs. Ce sont les produits les plus dangereux, avec un contingent important de prêts indexés sur la parité euro/franc suisse
Les emprunts classés 3E, regroupant la plupart des produits de pente adossés sur le différentiel entre les taux long et les taux cours, totalisent à eux seuls 14,5 % tandis que les emprunts indexés sur l’écart entre un indice européen et un indice hors zone euro (4E) ou sur l’Euribor avec un fort multiplicateur (1E), pour l’heure moins préoccupants, représentent respectivement 6,5 % et 6,7 % des encours.
Au niveau des swaps structurés, le notionnel jugé à risque totalise 2,530 milliards d’euros, soit 38,6 % du total.
CARTOGRAPHIE DES RISQUES (SWAPS)
Source : commission d’enquête.
● Au-delà de l’estimation de l’encours, qui ne constitue qu’une photographie du stock des emprunts structurés à risque, la commission d’enquête s’est attachée à mesurer le surcroît des intérêts financiers qui pourrait peser sur les acteurs publics locaux. Cet exercice est particulièrement délicat car il suppose d’anticiper les évolutions des marchés, dont on a pu mesurer depuis 2008 l’imprévisibilité.
La méthode retenue consiste à mesurer l’impact d’un stress-test sur les trois principales catégories d’emprunts à risque : les produits classés 5 ou E ; les produits à fort levier classés hors charte ; les produits de change classés hors charte. Les taux « stressés » retenus sont des moyennes : 5 % pour la première catégorie, 8 % pour la deuxième et 14,9 % pour la dernière (48). Pour chaque catégorie de contrepartie, le surcoût est égal à la différence entre le taux stressé et un taux de référence – Euribor + 300 points de base, niveau au-delà duquel le produit obère durablement les budgets locaux – multipliée par l’encours.
Selon les estimations de la commission d’enquête, le surcoût lié aux emprunts structurés à risque s’établirait à 730 millions d’euros par an, pour l’ensemble des acteurs publics locaux, en cas de forte dégradation des paramètres de marché. Ce coût correspondrait à une augmentation d’environ 10 % du volume global des intérêts financiers supportés chaque année par les acteurs publics locaux, aussi longtemps que dure la mauvaise conjoncture.
ESTIMATION DU SURCOÛT
(en millions d’euros, sauf indication contraire)
Surcoût par contrepartie |
Emprunts structurés cotés 1E ; 2E ; 3E ; 4E ; 5E ; 5B ; 5C ; 5D |
Emprunts structurés hors charte de par leur coefficient multiplicateur |
Emprunts structurés hors charte de par l’effet de change |
Total des emprunts à risque |
Collectivités territoriales |
||||
Encours (E) |
7 680 |
422 |
5 546 |
13 648 |
Taux moyen 2011 |
3,80 % |
4,16 % |
4,50 % |
|
Taux de référence Euribor+300 pb (T ref.) |
5,04 % |
5,04 % |
5,04 % |
|
Taux stressé (T) |
5,0 % |
8 % |
14,9 % |
|
Surcoût (T - T ref.) x E |
0 |
13 |
547 |
560 |
Établissements de santé |
||||
Encours (E) |
2 126 |
13 |
1 162 |
3 301 |
Taux moyen 2011 |
3,41 % |
3,06 % |
3,23 % |
|
Taux de référence Euribor+300 pb (T ref.) |
5,04 % |
5,04 % |
5,04 % |
|
Taux stressé (T) |
5,0 % |
8 % |
14,9 % |
|
Surcoût (T - T ref.) x E |
0 |
< 1 |
115 |
116 |
Organismes du logement social |
||||
Encours (E) |
1 335 |
11 |
534 |
1 880 |
Taux moyen 2011 |
3,66 % |
4,60 % |
3,71 % |
|
Taux de référence Euribor+300 pb (T ref.) |
5,04 % |
5,04 % |
5,04 % |
|
Taux stressé (T) |
5,0 % |
8,0 % |
14,9 % |
|
Surcoût (T - T ref.) x E |
0 |
< 1 |
53 |
54 |
TOTAUX |
0 |
15 |
715 |
730 |
Source : Commission d’enquête.
À ce surcoût lié aux emprunts structurés à risque, il reste encore à ajouter celui résultant des swaps dangereux. Au terme d’un calcul analogue, en retenant l’hypothèse d’une dégradation du taux moyen à 15 % pour l’ensemble de l’encours à risque (soit 2,530 milliards d’euros), ce surcoût atteindrait 252 millions d’euros par an, soit une augmentation complémentaire de 3,5 % des intérêts financiers, tant que les conditions de marché demeureraient mauvaises. En cas d’amélioration de la tendance, ce surcoût diminuerait aussitôt.
Dans le cas des financements structurés comme dans celui des swaps, le risque n’est donc pas systémique, ce qui ne l’empêche d’être fortement concentré dans certaines collectivités.
3.– Un risque global limité mais une forte concentration auprès de certains acteurs locaux
Si l’encours des emprunts structurés, ou le notionnel des swaps, considérés comme à risque demeure largement en deçà de ce qui pourrait être jugé systémique, leur concentration au sein de certaines catégories de contrepartie, voire dans certaines collectivités, peut se révéler dangereuse.
Le tableau ci-dessous retrace les encours par type d’acteurs publics locaux.
ENCOURS DES EMPRUNTS STRUCTURÉS PAR CONTREPARTIE
(en millions d’euros)
Emprunteurs |
Nbre de contrats |
Encours total des emprunts structurés |
Encours à risque faible |
Encours à risque |
Dont encours très risqué | |||
(5B, 5C, 5D, 2E, 3E, 4E, 5E, HC) |
(3E, 4E, 5E, HC) | |||||||
Collectivités territoriales |
8 968 |
23 323 |
9 675 |
41,5 % |
13 648 |
58,5 % |
11 641 |
49,9 % |
Communes |
6 230 |
11 190 |
4 279 |
37,0 % |
6 912 |
61,8 % |
5 721 |
51,1 % |
dont -10 000 hab |
3 804 |
3 049 |
1 341 |
44,0 % |
1 708 |
56,0 % |
1 394 |
45,7 % |
dont 10 000 à 100 000 hab |
2 237 |
6 568 |
2 182 |
33,2 % |
4 387 |
66,8 % |
3 627 |
55,2 % |
dont +100 000 hab |
189 |
1 573 |
756 |
48,1 % |
817 |
51,9 % |
700 |
44,5 % |
EPCI et autres structures (CCAS, SDIS, syndicats…) |
2 135 |
5 818 |
2 454 |
42,2 % |
3 364 |
57,8 % |
2 847 |
48,9 % |
Départements |
402 |
4 205 |
1 744 |
41,5 % |
2 461 |
58,5 % |
2 282 |
54,3 % |
Régions |
201 |
2 110 |
1 198 |
56,8 % |
911 |
43,2 % |
791 |
37,5 % |
Hôpitaux et établissements de santé |
1 180 |
5 964 |
2 664 |
44,7 % |
3 300 |
55,3 % |
2 689 |
45,1 % |
Organismes de logement social |
540 |
2 838 |
959 |
33,8 % |
1 879 |
66,2 % |
1 457 |
51,3 % |
TOTAUX |
10 688 |
32 125 |
13 298 |
41,4 % |
18 807 |
58,6 % |
15 787 |
49,2 % |
Source : Commission d’enquête, encours au 28 octobre 2011 (sauf Dexia : 31 août 2011). Les cotations utilisées sont celles de la charte Gissler (HC=hors charte).
a) Dans les collectivités territoriales et leurs groupements
Avec 14,5 % de leur endettement constitué d’emprunts structurés, les collectivités territoriales ont globalement souscrit davantage de contrats de ce type que l’ensemble des acteurs publics locaux qui affichent une moyenne de 11,6 %.
Leur encours est également plus risqué que celui des établissements publics de santé, avec respectivement 58,5 % contre 55,3 % d’emprunts cotés 5B, 5C, 5D, 2E, 3E, 4E, 5E ou « hors charte », sans atteindre toutefois la même proportion que la dette des organismes du logement social.
Avec un peu moins de la moitié de l’encours, les communes concentrent une part prépondérante des emprunts structurés mais également des risques : alors que les encours risqués des EPCI, des départements et des régions représentent 57,8 %, 58,5 % et 43,2 %, ceux des communes dépassent 61,8 %.
L’encours moyen structuré, par client et par banque, atteint 57 millions d’euros pour les régions, 46 millions d’euros pour les départements et à peine 3,9 millions d’euros pour les communes.
Les petites communes de moins de 10 000 habitants ne sont pas épargnées puisqu’elles ont souscrit pour 3,049 milliards d’euros d’emprunts structurés, aujourd’hui considérés comme risqués à hauteur de 56 %. Pour le portefeuille clientèle du seul Dexia (49), 1 595 petites communes – sur 2 229 communes clientes du groupe et 3 575 clients toutes catégories confondues – ont souscrit 2,18 milliards d’euros d’emprunts structurés, dont 1,44 milliard d’euros à risque soit 66,1 %.
Ces éléments objectifs confirment l’impression que les membres de la commission d’enquête avaient retirée de l’audition des maires de Trégastel et Sassenage, notamment (50).
Le Rapporteur observe que, contrairement à ce qu’ont avancé les anciens responsables de Dexia (51), ces petites communes ont fait l’objet d’un démarchage intensif. Ce cas n’est pas isolé : les mêmes communes représentent 577 millions d’euros (sur 1,581 milliard d’euros pour l’ensemble des communes, soit 36,5 %) chez BPCE et 250 millions d’euros (sur 534 millions d’euros, soit 46,9 %) au Crédit agricole CIB, avec toutefois un profil de risque beaucoup moins marqué (52).
Il est permis à tout le moins de s’interroger sur l’effectivité des dispositifs d’adéquation (suitability) et des consignes données, à partir de 2008, aux équipes commerciales censés recentrer l’offre de prêts structurés sur des contreparties mieux outillées pour en assurer la gestion.
À eux seuls, les hôpitaux et les établissements de santé totalisent 5,964 milliards d’euros d’emprunts structurés – soit près d’un cinquième des encours pour à peine plus d’un dixième des contrats – dont 55,3 % peuvent être considérés comme à risque. Il ne faut donc pas les écarter de la réflexion menée sur la gestion des emprunts à risque.
Comme le rappelait l’un des représentants des directeurs d’hôpitaux auditionné par la commission d’enquête (53), « [il] était une époque où tout le monde, y compris les autorités publiques, nous encourageait à financer nos investissements par emprunt [ ; le] plan Hôpital 2007 en est un exemple [ ; il] répondait à un incontestable besoin de modernisation, mais il incitait les gestionnaires à rechercher les meilleures solutions possibles à l’aune de la rentabilité immédiate, auprès d’établissements financiers qui vantaient avec aplomb la sécurité de leurs produits [ ; c’est] dans ce contexte que les choix ont été faits ». De fait, les établissements prêteurs sont relativement variés : Dexia ne concentre qu’un peu plus de la moitié des encours (55,6 %), devant BPCE (18,1 %) et le Crédit agricole CIB (12,1 %).
Toutefois, les grands hôpitaux ont paru mieux armés pour gérer la complexité de certaines structures de financement ; certains centres hospitaliers, comme celui de Dijon, ont recruté du personnel qualifié pour gérer leur dette structurée. Surtout, les établissements publics de santé disposent d’un cadre comptable plus moderne qui leur impose la constitution de provisions sur le compte 158-4 « Autres provisions pour frais financiers ».
Il reste que de petits établissements, comme le centre hospitalier spécialisé de Sevrey (Saône-et-Loire), ou de plus grands tel que l’hôpital d’Ajaccio sont plongés dans de graves difficultés à la suite à la souscription d’emprunts structurés. Dans les cas les plus préoccupants, les provisions constituées ne suffiront pas et les établissements concernés devront être associés aux dispositifs de gestion du stock de dette structurée qui pourront être mis en place pour les collectivités territoriales.
c) Dans le secteur du logement social
Au-delà de la diversité de leurs statuts juridiques, les organismes du logement social, pris dans leur globalité, concentrent 2,838 milliards d’euros (pour 540 contrats) d’emprunts structurés, dont les deux tiers sont considérés comme à risque.
Ces prêts, d’un encours moyen de 14 millions d’euros par client, ont à 82,8 % été souscrits auprès de Dexia qui a su capter une partie des encours échappant au prêteur traditionnel du secteur qu’est la Caisse des dépôts et consignations. Les représentants de l’Union sociale pour l’habitat (USH) (54), auditionnés par la commission d’enquête, rappelaient ainsi : « pour comprendre pourquoi les organismes d’habitat se sont intéressés à ces emprunts, il faut revenir quelques années en arrière : ils s’y sont intéressés parce que, à un certain moment, leurs stocks de prêts issus de la Caisse des dépôts étaient largement au-dessus du marché (…) et la Caisse des dépôts, sur la base des instructions que lui donnait le Trésor, refusait de renégocier la dette (…) si l’adaptation de la gestion du Livret A avait été un peu plus fine, la question ne se serait pas posée dans les mêmes termes ».
Le secteur du logement social se caractérise également par un notionnel de swaps très important : selon le pointage réalisé par la commission d’enquête, des swaps et des contre-swaps ont été conclus pour un notionnel de 2,922 milliards d’euros, principalement auprès du Crédit agricole CIB et de la Deutsche Bank. Ces swaps sont globalement peu risqués : seulement 28,7 % sont cotés 5B, 5C, 5D, 1E, 2E, 3E, 4E, 5E ou « hors charte ».
Au total, le stock d’emprunts et de swaps structurés à risque représente 2,718 milliards d’euros, soit un niveau comparable à celui évoqué par le président de l’USH lors de son audition.
Même si le risque lié à ces produits structurés ne doit pas être minimisé, le Rapporteur observe que, dans ce secteur, la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) permet d’assurer une mutualisation des risques en cas de dépôt de bilan.
C.– LA TOXICITÉ DE CERTAINS DE CES PRODUITS RÉVÉLÉE PAR LA CRISE DE 2007-2008
Loin de prendre la mesure des risques encourus, beaucoup de collectivités se sont laissé convaincre, afin d’enrayer le renchérissement des annuités de leurs emprunts, de procéder à des restructurations successives. Certains arbitrages se sont révélés désastreux : aux emprunts dont les conditions s’étaient dégradées (produits de pente) ont été substituées d’autres catégories de produits (de change, notamment) plus risqués qui, à leur tour, ont souffert des dérèglements des parités entre monnaies…
1.– Des indices volatils, décorrélés de l’activité locale
Les indices sous-jacents sur lesquels sont construits les emprunts structurés les plus toxiques – spread entre les taux longs et courts, parité de change… – sont absolument sans lien avec l’activité d’intérêt général des acteurs publics locaux. La volatilité de ces indices, accrue par la crise financière mondiale ouverte en 2008, a favorisé le franchissement de barrières et l’activation des formules de calcul les plus défavorables.
a) L’inversion de la courbe des taux, au début de la crise, a renchéri les taux des produits de pente
L’aplatissement puis l’inversion de la courbe des taux sur l’euro (2 ans-10 ans) en 2007-2008 ont correspondu à l’anticipation par les marchés financiers d’une remontée des taux de la Banque centrale européenne. Cette anomalie dans la perception des taux d’intérêt a dégradé fortement la situation des acteurs locaux ayant souscrit des produits de pente massivement commercialisés par les banques en 2005-2006.
L’agence de notation Fitch ratings France, dont le directeur a été auditionné par la commission d’enquête (55), a retracé a posteriori l’enchaînement des événements pour une collectivité ayant souscrit un produit de pente en janvier 2006 (56). La commune de Saint-Étienne, qui a souscrit en avril 2006 le même produit TOFIX FIXMS proposé par Dexia, aurait pu en fournir un autre exemple (57).
L’option incluse dans ce contrat a pour sous-jacent la différence entre les taux CMS à dix ans et à deux ans ; « elle spécule donc sur la pente de la courbe des taux ». Dans ce contrat, l’emprunteur paye 3,13 % tant que (CMS 10
– CMS 2)>=0,30 % et 5,99 % dans le cas contraire.
Sachant que le taux de référence des OAT 10 ans était en moyenne de 3,34 % en janvier 2006, ce produit offrait des conditions de financement relativement favorables tant que l’option n’était pas activée. Le risque associé à ce produit était pourtant réel puisque, seulement un an après sa souscription, la collectivité s’est trouvée en situation de payer le taux dégradé.
Le risque est d’autant plus important que les formules proposées sont fréquemment affectées d’un multiplicateur très élevé afin de permettre à l’emprunteur d’obtenir un taux proche de zéro pendant les premières années de l’emprunt.
Plutôt que d’accepter de payer le taux dégradé, la plupart des collectivités concernées (dont Saint-Étienne) ont décidé au premier semestre 2007 de refinancer cet emprunt à l’aide d’un autre produit structuré qui permet, du moins en apparence, d’obtenir un taux encore plus bonifié. Ce nouveau produit
– souvent indexé sur la parité euro/franc suisse comme le DUAL FIXE EUR/CHF ou d’autres parités de monnaies comme le DUALIS et le TOFIX DUAL USD/JPY – est nécessairement beaucoup plus risqué que le précédent puisque l’option vendue doit financer à la fois la valeur négative du premier prêt, une bonification encore plus forte et la rémunération de « la banque qui se trouve, dans ce cas, en position de force pour augmenter sa marge ».
b) Le renchérissement du franc suisse, de 2008 à 2011, a déstabilisé les produits de change
À leur tour, certains produits de change – parfois ceux-là même qui avaient été souscrits pour refinancer en 2007 un produit de pente – ont été déstabilisés par le rôle de valeur refuge joué par le franc suisse dans la seconde partie de la crise financière européenne.
Fin janvier 2007, le taux de référence des OAT 10 ans était en moyenne de 4,06 % tandis que le taux euro/franc suisse atteignait 1,60. Des produits comme le DUAL FIXE EUR/CHF de Dexia souscrit par Saint-Étienne ou HELVETIX de BPCE souscrit par Melun, bâtis sur des formules du type [Si EUR/CHF ≥ 1,44 alors taux égal à 3,48 % ; sinon taux égal à 3,48 % + 50 % x ((1,44/EUR/CHF) – 1 )], présentaient une bonification potentielle extrêmement forte pour un risque qui pouvait alors paraître minime. Les séries historiques sur dix ou vingt années accréditaient l’idée que la parité entre les deux monnaies ne pouvait pas tomber en dessous de 1,44 quels que puissent être les événements internationaux.
ÉVOLUTION DE LA PARITÉ EURO/FRANC SUISSE
Source : www.trader-forex.fr
Force est de constater – il est vrai a posteriori – que le risque était bien réel et qu’il est bien plus important encore qu’avec les produits de pente décrits précédemment. Ainsi, si l’emprunteur était sorti de la période bonifiée et avait dû payer une échéance sur la base du minimum atteint le 10 août 2011 (1 EUR = 1,026 CHF), il lui en aurait coûté 23,66 %.
La dégradation de la parité a, pour l’heure, pu être stoppée : la Banque nationale suisse (BNS) a annoncé, le 6 septembre, qu’elle fixait un cours plancher de 1,20 franc pour un euro afin de répondre à la surévaluation de sa devise suisse. À la suite de cette décision, le franc a chuté massivement sur le marché des changes, avant que son cours ne se stabilise un peu au-dessus du plancher visé. Les collectivités françaises concernées par ces emprunts bénéficient pour l’instant de l’intervention de la banque centrale helvétique ; le taux d’intérêt du produit cité en exemple est en effet ramené à 13,48 %. La capacité des autorités monétaires suisses à défendre durablement ce plancher pose néanmoins question.
TAUX D’INTÉRÊT D’UN PRODUIT À BARRIÈRE
SUR TAUX DE CHANGE EURO/FRANC SUISSE
Source : Calculs de la commission d’enquête.
Selon deux des experts convoqués devant la commission d’enquête (58), « nous ne sommes qu’au début du problème : fin septembre 2011, seuls 45 % de ces produits étaient sortis de la phase sécurisée ; cette proportion va passer à 54 % à la fin de l’année et à 77 % en 2012, pour atteindre 87 % en 2013. »
2.– Les incertitudes entourant l’évolution au cours des prochains mois de certaines formules
● Face à la dégradation de la parité euro/franc suisse au cours du premier semestre 2008, certaines collectivités se sont vu proposer de refinancer leurs emprunts structurés. Il leur a alors été proposé des produits particulièrement élaborés, dits « de 2ème génération », dont l’indexation reposait sur deux zones économiques différentes.
Le département de la Seine-Saint-Denis a souscrit en 2008 auprès de Dexia un emprunt avec un fort effet multiplicateur. Selon les constatations des magistrats de la CRC Île-de-France (59), ce contrat passe à partir de 2011 d’un taux bonifié de 1,19 % à une formule à deux paliers de dégradation.
Même si l’écart entre les parités EUR-USD et EUR-CHF demeurait favorable à cette dernière sur la base d’une comparaison historique, le premier palier prévoyait, en cas de différence de zéro à 10 centimes, que le taux servi passait en taux fixe à 3 %.
Le second palier de dégradation était encore plus marqué : en cas d’inversion du différentiel de change, le multiplicateur est élevé lorsque l EUR-USD devient très supérieur à l’EUR-CHF : par exemple, si 1 EUR-USD=2 EUR-CHF, alors le taux atteint 28,27 %). Si la différence se limitait à 15 centimes, ce qui est déjà important compte tenu des historiques, le taux servi serait de 10,80 % et les intérêts supplémentaires s’élèveraient, pour l’année 2011, à 5,5 millions d’euros.
Même si cette situation paraît peu probable, la parité étant depuis plusieurs années – sauf quelques journées en 2003 – dans le sens favorable avec un différentiel réduit, le Rapporteur juge trop imprévisibles les évolutions macroéconomiques actuelles pour ne pas inciter les acteurs publics locaux concernés à sortir dès que possible de tels emprunts, sans attendre la fin de la période bonifiée.
● Plusieurs des experts auditionnés par la commission d’enquête ont également exprimé une vive inquiétude à l’égard des produits de pente. La courbe des taux CMS euro s’est sensiblement aplatie depuis le mois de janvier 2011 car, dans une conjoncture inflationniste, le marché anticipait une hausse des taux de la BCE dans les prochains mois.
Pour l’heure, la courbe des taux ne s’est pas retournée comme en 2007-2008 et nul n’est capable de prédire son évolution. Mais comme le résumait l’un des magistrats financiers auditionné : « un retournement n’est jamais à exclure [ ; aujourd’hui,] on ne parle que des produits assis sur le franc suisse, mais cela n’est que le dernier accident, pas le prochain. » (60)
II.– UNE RESPONSABILITÉ PARTAGÉE
Les auditions conduites par la commission ont mis en évidence que les responsabilités à l’origine de la situation difficile dans laquelle se trouvent aujourd’hui de nombreux acteurs locaux sont partagées. Les élus ou les gestionnaires, selon les cas, ont souvent manqué de vigilance ou ne disposaient pas des compétences nécessaires pour comprendre les risques sous-jacents aux emprunts qu’ils contractaient, les banques ont développé une politique commerciale systématique et très agressive, souvent trompeuse, et enfin, le troisième responsable, l’État, n’a exercé qu’un contrôle très limité localement, alors que l’administration centrale ne réagissait guère aux alertes qui apparaissaient ici ou là.
A.– DES ÉLUS QUI ONT PARFOIS MANQUÉ DE VIGILANCE
La plupart des personnalités entendues par la commission d’enquête se sont accordées sur le fait que les exécutifs locaux n’ont pas toujours souscrit les emprunts structurés en ayant pleinement connaissance des risques qui leur étaient associés.
1.– Les exécutifs locaux n’ont pas toujours souscrit ces emprunts en connaissance de cause
Dans nombre de cas, les collectivités territoriales n’ont donc pas fait le choix délibéré de contracter des produits risqués dans la perspective de maximiser leurs gains, mais se sont vues contraintes de recourir à une gestion active de leur dette afin de répondre au besoin de financement de projets d’investissement structurants.
Dans d’autres cas, le recours aux emprunts structurés a été fait dans l’objectif de restructurer la dette : les banques, considérant l’existence d’une dette rémunérée par un taux fixe, ont proposé à la collectivité une transformation de sa dette, lui faisant valoir des avantages immédiats, et voyant pour elles-mêmes un gain immédiat et à terme dans le processus de « renégociation ».
● De nombreuses collectivités territoriales ayant contracté des emprunts structurés se trouvaient dans une situation de vulnérabilité financière avant même d’avoir recours à ce type de produit.
En ce sens, il convient de rappeler que, si la réalisation d’emprunts structurés a profondément dégradé l’équilibre financier ex post des collectivités en question, les difficultés structurelles que celles-ci ont éprouvés ex ante ont précisément justifié le recours à ce type de produit.
Face au besoin de dégager des liquidités induit par les projets d’investissement, et compte tenu du niveau de leur endettement et de leurs charges financières, certaines collectivités n’ont pas pu recourir à des emprunts classiques, dont la charge financière était trop onéreuse. Ainsi ont-elles contracté des produits structurés.
S’agissant des agglomérations les plus importantes, l’exemple de la ville de Saint-Étienne est éclairant sur ce point. Depuis les années 1950, Saint-Étienne a dû faire face à un choc économique, qui a entraîné de profondes restructurations industrielles, doublé d’un choc démographique, qui s’est traduit par une baisse de sa population de 220 000 à 170 000 habitants en cinquante ans. Privée de ses principales industries et de sa population la plus solvable, la commune a alors été confrontée à un effet de ciseau : ses recettes fiscales se sont réduites tandis que les dépenses en matières sociale et économique ont augmenté. La ville de Saint-Étienne a alors connu une profonde dégradation de ses finances publiques : en 1995, les charges financières représentaient 17 % des dépenses de fonctionnement, de même que 37 % du budget servait à rembourser le capital et les intérêts de la dette selon les élus de l’époque (61). Ne pouvant contracter des prêts classiques, qui auraient représenté une charge financière trop élevée, la commune a souscrit des emprunts structurés.
Quant aux plus petites communes, celles-ci se trouvaient également dans une situation difficile tant sur le plan financier (niveau d’endettement et de charges financières élevé), qu’économique (faiblesse structurelle du tissu et de l’activité économiques) et enfin démographique (population faible, en baisse ou soumise à une forte saisonnalité). Pour un simple exemple, la commune de Trégastel (Côtes d’Armor) dont le maire a été auditionné par la commission d’enquête (62) voit sa population être multipliée par 5 en période estivale et vit principalement de l’activité touristique. La commune présentait une dette de 10 millions d’euros lorsque ses emprunts ont été renégociés en 2007.
À l’instar des collectivités territoriales, beaucoup d’établissements publics évoluaient également dans un contexte financier contraint, rendant ainsi le recours aux produits structurés attractif. Dans le cadre du Plan Hôpital 2007, les établissements hospitaliers étaient incités à se restructurer et à se moderniser en se finançant par l’emprunt. Par ailleurs, les organismes de logement social devaient faire face à des problèmes de financement, leurs principales ressources issues du livret A étant insuffisantes.
● Si des difficultés financières ont conduit certaines collectivités territoriales à souscrire des produits structurés, les capacités de financement ainsi dégagées ont été mises au service de grands projets structurants.
L’endettement a ainsi poursuivi sa finalité première, qui est de lisser le financement de projets de long terme et non de reporter la charge de dépenses courantes sur les générations futures. Par ailleurs, le recours aux produits structurés s’est accompagné dans certaines collectivités d’une réduction de l’endettement global et d’une amélioration de la capacité d’autofinancement.
La ville de Saint-Étienne a utilisé la majorité des liquidités disponibles pour financer des projets de réaménagement urbain et plus spécifiquement de reconversion des friches industrielles. Dans les petites communes, les prêts structurés ont permis d’investir dans des travaux de réfection de la voirie ou de bâtiments communaux.
Quant aux établissements hospitaliers et aux organismes de logement social, les emprunts structurés ont assuré le financement de travaux de réaménagement et d’extension du parc immobilier, dont la situation s’était dégradée ces dernières décennies. Certains hôpitaux devaient réaliser une rénovation profonde, transformant par exemple les unités comportant des chambres à plusieurs lits en chambres individuelles.
● Bien que les exécutifs locaux aient pu percevoir les produits structurés comme un moyen de financement optimal, il n’en demeure pas moins que ceux-ci n’ont pas su prendre la mesure des risques induits par ce type de produit.
Dès lors, comment expliquer cette erreur d’appréciation ?
Trois explications se font jour :
– La première est d’ordre économique :
Face à un besoin de financement élevé dans un contexte financier contraint, les élus ont pu considérer les produits structurés, non comme la solution la plus risquée, mais la plus avantageuse. Dans certains cas, ce type d’emprunt pouvait apparaître comme le seul moyen de financement disponible. L’intervention de M. Michel Thiollière, ancien maire de Saint-Étienne, a donné à voir ce raisonnement : « Nous avons (…) souhaité investir pour restructurer la ville, et pour cela nous avons eu besoin d’emprunter. Comme toutes les collectivités, nous avons ouvert le jeu en direction des banques et choisi les produits les moins chers du marché de l’époque. La chambre régionale des comptes indique dans son rapport que, si nous avions souscrit à des taux fixes de 3,60 %, cela aurait représenté une charge supplémentaire pour la ville de 14 millions d’euros. Or je suis obligé de dire que nous avions besoin de ces 14 millions d’euros. » (63)
– La seconde est de nature informationnelle :
En présence d’une situation d’asymétrie d’information, où les banques avaient une bien meilleure connaissance du risque associé aux prêts structurés que les élus, ceux-ci ont pu se laisser convaincre de recourir à des produits dont ils minoraient ou ignoraient la toxicité. Les propos de M. Antoine Alfieri, ancien adjoint en charge des finances de Saint-Étienne, au sujet de la souscription par la commune d’un contre-swap proposé par une banque, illustrent cette difficulté : « (…) Nous avons été entraînés dans des risques importants en nous faisant croire (les banques) qu’on nous faisait sortir du risque. Nous avons peut-être été naïfs, je veux bien l’admettre.» (64)
– La troisième tient au contexte institutionnel :
Ni les assemblées délibérantes, ni les services de l’État n’ont su éclairer la décision des élus. Les activités de conseil et de contrôle internes ou externes n’ont pas permis d’identifier le risque financier. Dans le cas de Saint-Étienne, M. Michel Morin, préfet de la Loire (2002-2006), a souligné les limites du contrôle de régularité : « Ma principale préoccupation était de savoir si la ville et la communauté d’agglomération étaient capables de supporter les lourds investissements engagés. (…) J’ai donc attentivement suivi l’évolution du niveau d’endettement de la commune. En tout état de cause, la préfecture avait toute ignorance de la structure de cet endettement.» (65)
2.– Des assemblées délibérantes mal informées
De nombreux intervenants ont également indiqué à la commission d’enquête que les assemblées délibérantes n’ont pas été suffisamment associées à la politique de gestion de la dette.
Dans les communes et les conseils généraux, qui sont les collectivités territoriales ayant eu le plus recours aux produits structurés, la décision d’emprunter relève de la compétence des assemblées délibérantes. Compte tenu des contraintes techniques et de délais qui caractérisent la réalisation d’emprunts, ces dernières délèguent très fréquemment cette compétence aux exécutifs locaux. Aussi les assemblées délibérantes sont-elles peu impliquées, tant dans la prise de décision qu’en matière de contrôle.
● Dans nombre de cas, la pratique de la délégation de pouvoir a marginalisé les assemblées délibérantes lors de la prise de décision.
La quasi-totalité des conseils municipaux et des conseils généraux dont les membres ont été auditionnés par la commission d’enquête a délégué sa compétence en matière d’emprunt au maire, dans le premier cas, ou au président du conseil général, dans le second. Par ailleurs, les exécutifs locaux ont très souvent eu recours aux subdélégations de signature en faveur de leurs adjoint ou vice-président.
Ainsi que l’a indiqué le président de la chambre régionale des comptes de Picardie, M. Alain Levionnois, la pratique des délégations de compétence est parfaitement justifiée et par ailleurs très répandue : « L’une des particularités du contrat d’emprunt, c’est qu’il doit être conclu rapidement. Il ne peut que s’agir d’une décision exécutive du responsable au sein de la collectivité, et la soumettre aux délais de la délibération ne serait pas adapté.» (66)
Néanmoins, utilisées « en cascade », ces délégations de compétence et de signature ont pu conduire à éloigner la décision des assemblées délibérantes voire dans certains cas à brouiller les responsabilités au sein de l’exécutif local. Au final, la décision d’emprunt a souvent été prise par un élu isolé, ne disposant pas de toute l’information nécessaire, et contraint d’agir dans un laps de temps rapide car en contact téléphonique direct avec la salle de marché. En outre, ainsi que l’ont indiqué plusieurs personnes auditionnées par la commission d’enquête, la décision d’emprunt intervient formellement une fois l’emprunt réalisé sur le marché.
M. Simon Fortel, directeur des finances de la ville de Rouen, a exposé à la commission d’enquête un résumé éclairant de la situation : « La ville de Rouen fonctionne sensiblement selon le même schéma, avec une délégation donnée au maire et une signature des contrats par un adjoint. Cela a été dit, ces opérations échappent au code des marchés publics. Il faut souvent agir dans une « fenêtre de tir » extrêmement réduite ; tout se passe au téléphone avec la salle des marchés ; on tope à l’instant t ; puis l’opération est bouclée, éventuellement débouclée, sur les marchés. De la sorte, la décision intervient a posteriori et est récapitulée dans un compte rendu au conseil municipal. L’ingénierie et le vocabulaire complexes rebutent nombre d’adjoints et même de techniciens et tout cela apparaît comme une affaire de spécialistes traitée entre spécialistes.» (67)
● Par ailleurs, la faiblesse de l’information contenue dans les annexes budgétaires a rendu inopérant le pouvoir de contrôle des assemblées délibérantes.
Si les assemblées délibérantes ont consenti à déléguer leur compétence en matière de décision d’emprunt, leur pouvoir de suivi et de contrôle a été limité par la faiblesse des éléments d’information mis à leur disposition. Or, comme l’a rappelé le président de la Chambre régionale des comptes de Picardie, M. Alain Levionnois : « une délégation de compétence doit avoir comme contrepartie un pouvoir de contrôle, qui nous paraît actuellement insuffisant.» (68)
Ainsi que l’avait souligné la Cour des comptes dans son rapport thématique de 2011 consacré à la gestion locale de la dette, le manque d’information des assemblées délibérantes était dû, pour une part, à la volonté délibérée de certains exécutifs locaux, et pour une autre part, aux insuffisances liées aux annexes budgétaires transmises aux assemblées délibérantes.
Les annexes budgétaires répondant aux instructions budgétaires et comptables M14, pour les communes, et M52, pour les départements, étaient insuffisamment détaillées et difficilement lisibles, ce qui ne permettait pas aux élus d’identifier les risques liés à l’endettement. Comme l’a indiqué à la commission le trésorier-payeur de la Loire (2000-2005), M. Yves Terrasse (69), si les montants de la dette, des charges financières et du remboursement anticipé des emprunts figuraient dans les annexes budgétaires, d’autres informations importantes manquaient.
– La répartition des emprunts par type de taux ne figurait pas dans les annexes budgétaires, ce qui ne permettait pas d’identifier la nature des prêts contractés et les risques qui leur étaient associés : il était impossible d’évaluer la part de l’endettement de nature spéculative.
– Le montant des soultes était indiqué dans un autre état budgétaire et était par conséquent difficile à déceler, ce qui rendait quasiment impossible l’évaluation de la charge financière des emprunts : il était donc malaisé de mesurer la rentabilité financière de ces opérations.
– Enfin, en l’absence d’obligation de constituer des provisions, les collectivités n’ont pas su se prémunir contre le risque de taux et prévenir la dérive de leurs finances.
Compte tenu de ces informations parcellaires et peu lisibles en matière d’endettement, les assemblées délibérantes se trouvaient dans une situation paradoxale : surveillant le montant global de la dette et le niveau des taux d’intérêt sans connaître la nature des emprunts, les élus ont pu avoir l’illusion d’une situation financière globalement saine, la période de bonification étant en effet caractérisée par des taux d’intérêt exceptionnellement bas, des charges financières en diminution et un niveau d’endettement globalement maîtrisé.
L’intervention de M. Maurice Vincent, maire actuel de Saint-Étienne et élu d’opposition lorsque les prêts structurés ont été contractés, illustre bien ces difficultés : « Selon moi, avant 2008, il était inimaginable pour n’importe quel élu que des produits spéculatifs de cette nature soient proposés et souscrits par les collectivités. (…) À Saint-Étienne, l’opposition connaissait l’existence d’une dette importante. Elle surveillait donc son montant global. (…) L’opposition surveillait également le taux d’intérêt. Mais celui-ci était bas puisque c’étaient les emprunts toxiques qui le faisaient baisser, ce que nous ne savions pas. (…) Ainsi, jusqu’en 2007, nous constations, en tant qu’opposants, que la dette augmentait un peu et que le taux d’intérêt était plutôt bas. » (70)
Avec la circulaire du 25 juin 2010 sur les produits financiers offerts aux collectivités territoriales et à leurs établissements, et les arrêtés du 16 décembre 2010 relatifs aux instructions budgétaires et comptables M14 et M52, l’information contenue dans les annexes budgétaires a été complétée : en particulier, la répartition de l’encours de la dette selon le type de taux doit être indiquée, de même que les investissements réalisés en partenariats publics-privés (PPP) doivent être intégrés à l’endettement.
3.– Une qualification insuffisante des services pour gérer des produits aussi sophistiqués
Si les exécutifs locaux ont pu manquer de vigilance et les assemblées délibérantes de moyens d’information, les auditions réalisées par la commission d’enquête ont fait apparaître que certains des services financiers des collectivités territoriales n’ont pas pu fournir aux élus locaux l’assistance nécessaire en matière de gestion de dette.
Seules les agglomérations les plus importantes bénéficiaient de services financiers de taille critique. Ceux-ci avaient pour tâche de fournir une expertise financière aux élus, de les assister lors de la négociation avec les banques et dans la décision d’emprunt, et enfin de suivre et de contrôler l’évolution de l’endettement. Des comités techniques, réunissant élus et fonctionnaires territoriaux, avaient été mis en place dans la plupart des grandes agglomérations.
Les attributions des fonctionnaires territoriaux et la formation que ceux-ci reçoivent ne se limitant pas aux enjeux financiers, il est évident que les services financiers ne pouvaient être et n’ont pas vocation à devenir des experts en matière de gestion active de dette. Ce constat a été rappelé à la commission d’enquête par M. Simon Fortel, directeur des finances de la ville de Rouen : « Les fonctionnaires territoriaux doivent-ils pour autant devenir des spécialistes des salles de marché ? Je ne le pense pas. Nous avons d’autres métiers – davantage tournés vers la population – à développer. » (71)
Toutefois, il importe de souligner que la faiblesse numérique, dans les plus petites communes, et le manque de qualification des services financiers, dans les agglomérations les plus importantes, ont pu porter préjudice à la qualité de l’information délivrée aux élus, de même qu’aux décisions qui en ont résulté. Ainsi que l’a indiqué M. Philippe Yvin, directeur général des services du conseil général de la Seine-Saint-Denis, dans la plupart des cas, les services financiers n’ont pas été en mesure de rééquilibrer la relation asymétrique entre les collectivités territoriales et les banques en matière d’information : « Quand on lit les comptes rendus de ce qui s’est dit en commission permanente du conseil général tout au long de ces années, on s’aperçoit que les arguments avancés reproduisaient ceux des commerciaux, de Dexia notamment (…). Élus et fonctionnaires n’étaient évidemment pas en mesure de contrer ces discours (…). » (72)
Quand bien même les collectivités territoriales auraient disposé de services financiers suffisamment qualifiés et dotés en personnel, il n’est par ailleurs pas certain que les élus locaux aient pu s’approprier leur expertise étant donné la complexité des enjeux en présence. M. Antoine Alfieri, ancien adjoint en charge des finances de Saint-Étienne a clairement soulevé cette difficulté devant la commission d’enquête : « La ville de Saint-Étienne – dont je rappelle qu’elle emploie 3 500 personnes – dispose d’un service financier chargé de procéder à ces analyses. En ce qui me concerne, on me transmettait un résumé de ces informations, mais on ne m’a jamais alerté, loin s’en faut. (…) J’ai peut-être été mal informé, mais peut-être aussi n’ai-je pas su lire les informations qui m’étaient transmises car je ne suis pas un spécialiste des finances : j’en ai simplement reçu la délégation lorsque j’ai été élu » (73).
4.– Le rôle ambigu des cabinets de conseil aux collectivités
En plus des difficultés liées à la qualification de leurs services financiers, certains élus locaux entendus devant la commission d’enquête ont également pâti des défaillances du conseil délivré par les cabinets de consultants privés auxquels ils ont eu recours.
Dans plusieurs cas, des cabinets de conseil ont encouragé les collectivités à contracter des prêts structurés, en dépit des risques que ceux-ci comportaient. Le rôle de ces cabinets de conseil pose question au regard de trois points :
– La qualification et l’expertise des consultants apparaissent inégales selon les collectivités et sujette à caution compte tenu de la politique d’emprunt extrêmement risquée que ceux-ci ont promue.
– Par ailleurs, les obligations de publicité et de concurrence lors du choix du consultant n’ont pas toujours été respectées.
– Enfin, les conditions de rémunération des consultants n’étaient pas forcément liées aux résultats obtenus.
La ville de Saint-Étienne a ainsi eu recours à deux prestataires privés qui l’ont assistée dans la gestion active de sa dette. Pour l’un d’eux, la société Techfi, la chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes constatait dans son rapport de 2010 que le choix avait été effectué de manière discrétionnaire au moyen de lettres de commande. Elle ajoutait également que le niveau de rémunération élevé du prestataire n’était pas toujours en rapport avec les résultats attendus. Au total, la ville de Saint-Étienne avait consacré, selon la chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes, une somme globale de 450 000 euros à compter de 2001 à ces missions d’expertise externes. Entendu devant la commission d’enquête, M. Antoine Alfieri, ancien adjoint en charge des finances de Saint-Étienne, a précisé que la rémunération du consultant de la société Techfi était plafonnée et prenait en compte les résultats obtenus : « La rémunération de M. Rastel était plafonnée. Nous avons tout de même gagné pratiquement 20 millions d’euros pendant la période où nous avons eu recours à ses prestations. 0,5 % de cette somme correspondent à un million d’euros ; or il n’en a même pas perçu 360 000 sur plusieurs années. » (74)
Selon le témoignage apporté par M. Michel Klopfer, spécialiste du conseil financier aux collectivités, la rémunération proposée par certaines collectivités (les exemples de Saint-Étienne métropole et de Rouen ont été cités), la rémunération proposée au conseil financier était exclusivement proportionnelle aux gains budgétaires effectués la première année. Cet arrangement est dangereux, car il fait du conseil un allié objectif de la banque, l’incitant à se prévaloir d’un taux extrêmement bas cette première année (donc source d’une économie dont l’affichage est très facile pour la collectivité), mais avec ce risque caché de charges beaucoup plus lourdes par la suite.
La pratique de la prime de résultats calculée sur le gain budgétaire constituait en effet une pratique courante chez les acteurs de marché au début des années 2000. On notera qu’à l’inverse, les représentants de la société Finance Active ont indiqué lors de leur audition pratiquer une rémunération objective, fixée à l’avance sous forme d’abonnement annuel et indépendante des opérations effectuées, établie plutôt sur le nombre d’emprunts gérés et l’encours de la dette.
Face à la disparité des pratiques et des qualifications de ces intervenants, il paraît indispensable de réfléchir à un encadrement du secteur du conseil financier aux acteurs publics locaux. Les qualifications nécessaires pourraient faire l’objet de diplômes spécialisés en gestion des finances locales, pouvant être acquis, le cas échéant, par valorisation des acquis de l’expérience. Une certification des organismes, ainsi qu’une charte de bonnes pratiques, interdisant notamment la rémunération en fonction des résultats à court terme, devraient être mises en œuvre volontairement par le secteur ou à défaut par la puissance publique.
5.– Les établissements hospitaliers invités à investir sans le soutien de la puissance publique
Tout comme les collectivités territoriales, certains établissements publics comme les hôpitaux, ont également contracté des prêts structurés afin, d’une part, d’abaisser leurs charges financières, et d’autre part, de permettre le financement de projets d’investissement structurants. Revenant sur le cas du centre hospitalier universitaire de Saint-Étienne, M. Frédéric Boiron, président de l’Association des directeurs d’hôpital, a rappelé à la commission d’enquête que les produits structurés ont permis d’aplanir les charges financières de l’établissement de 10 à 11 millions d’euros pendant la période de bonification et de financer sa reconstruction, prise en charge par l’emprunt dans sa quasi-totalité (75).
Ces projets d’investissement se sont inscrits dans le cadre du Plan Hôpital 2007, qui a encouragé les hôpitaux à entreprendre des opérations de restructuration, en recourant notamment au financement par l’emprunt. Comme l’a indiqué M. Pierre-Charles Pons, directeur général du centre hospitalier régional universitaire de Dijon : « (…) Il faut se souvenir du contexte. Le plan Hôpital 2007 était indispensable pour relancer, après quinze ans de stagnation, l’investissement hospitaliers » (76). De nombreux hôpitaux ont alors eu besoin de dégager des moyens de financement importants de manière concomitante. La situation du marché de l’investissement hospitalier étant marquée par une situation oligopolistique, les prix du marché, déjà initialement élevés, se sont accrus compte tenu du dynamisme de la demande : « Nous avons été nombreux à avoir en même temps des besoins importants. Et comme il n’y a en France que trois entreprises qui savent construire un hôpital – Bouygues, Eiffage et Vinci –, les prix ont monté. Quand nous avons ouvert les plis, les offres affichaient entre 20 % et 25 % de plus que les sommes initialement prévues » (77). Face à cette situation, les établissements hospitaliers ont eu recours à des emprunts structurés, comme dans le cas du centre hospitalier régional universitaire de Dijon : « Pour faire baisser un peu l’addition, nous avons négocié une avance qui a exigé un appel de fonds important. Et c’est à ce moment-là que le CHRU de Dijon a contracté deux emprunts hors charte Gissler pour un montant de 75 millions d’euros » (78)
Si la conjoncture et les besoins financiers des établissements expliquent le recours à des prêts structurés, on constate que les risques associés à ce type de produits n’ont pas pu être identifiés, ni au moment de la décision prise par le directeur d’hôpital, ni lors des contrôles exercés par les services du Trésor.
Depuis 2005, la décision d’emprunter n’est plus soumise à une délibération du conseil d’administration mais relève du directeur d’hôpital, qui en informe le directoire et le conseil de surveillance. L’isolement des directeurs d’hôpital lors de la décision d’emprunt a pu conduire ces derniers à réaliser des opérations risquées ; et ce, d’autant plus que bon nombre d’entre eux ne disposaient ni des compétences nécessaires, ni de l’appui de services financiers suffisamment formés.
Par ailleurs, les hôpitaux doivent transmettre aux services du Trésor un plan global de financement pluriannuel, présenté avec l’état prévisionnel de leurs recettes et leurs dépenses. Ainsi que l’a souligné M. André Bury, directeur du centre hospitalier de Saint-Dizier, ce document présente la stratégie d’endettement de l’établissement et indique le montant, les taux et la durée des emprunts (79). Cependant le plan global de financement pluriannuel ne détaillant pas toujours suffisamment la structure de l’endettement, il n’a pas permis d’identifier les risques associés aux emprunts structurés. Les incomplétudes de l’information financière disponible, de même que la faiblesse de la formation des services du Trésor en matière de produits structurés, ont nui à l’efficacité de leur contrôle.
Les directeurs d’hôpital auditionnés par la commission d’enquête ont également formulé des propositions pour l’avenir :
● S’agissant des produits pouvant être contractés par les établissements hospitaliers, M. Frédéric Boiron a souligné la nécessité pour les établissements hospitaliers de ne recourir qu’aux produits inscrits dans la charte Gissler, en veillant à limiter la durée de ces produits dans le temps et à les proportionner à leur taille et à leur niveau d’endettement (80).
● Par ailleurs, il a présenté la coopération et la mutualisation entre les établissements hospitaliers comme le moyen de palier le manque d’expertise financière et les insuffisances du conseil interne. En plus du conseil pouvant être délivré par des consultants privés, des cellules d’expertise financière communes à plusieurs établissements hospitaliers pourraient être développées, alors que se mettent en place par ailleurs des communautés de territoire.
● Enfin, pour le traitement du « stock » des emprunts structurés, une juste répartition du surcoût devrait être recherchée entre les établissements hospitaliers, les établissements bancaires et les collectivités publiques. Il conviendrait selon le président de l’Association des directeurs d’hôpitaux que les établissements bancaires assument leur part de risque et soient mis à contribution. S’agissant des établissements hospitaliers les plus endettés, M. André-Gwenaël Pors, directeur du centre hospitalier d’Ajaccio, a fait observer à la commission d’enquête l’opportunité d’envisager la mise une place d’une structure de défaisance ainsi qu’une recapitalisation des établissements hospitaliers par l’État (81).
6.– L’absence d’alerte des agences de notation
Les agences de notation n’ont semble-t-il joué aucun rôle d’alerte dans la diffusion des emprunts à risques, alors que la crise financière de 2008 pouvait conduire à un changement des conditions et des prévisions. Il est arrivé qu’elles consolident les notes des collectivités qui en faisaient usage, comme cela a été le cas de la notation de Lille Métropole Communauté urbaine par l’agence Standard and Poor’s, par exemple. Dans ce cas, l’agence n’a pas su évaluer les risques financiers associés aux produits structurés, car il faut supposer qu’elle a pris connaissance de la structure de la dette et non seulement du niveau d’endettement.
Peu de collectivités font l’objet d’une notation, une vingtaine environ, aussi la portée de l’analyse est-elle restreinte. En outre, certaines des collectivités notées n’ont souscrit aucun emprunt à risque, comme la région Rhône-Alpes. Les agences de notation doivent notamment apprécier le risque de non-remboursement des emprunts souscrits. Les notes attribuées par les agences permettent aux collectivités, d’une part, d’accéder plus facilement à l’emprunt auprès des établissements de crédit, et d’autre part, de témoigner au contribuable local de la bonne gestion des deniers publics.
Comme l’a rappelé à la commission d’enquête M. Alban Caillemer du Ferrage, avocat associé au cabinet Gide, spécialiste des produits dérivés et des financements structurés, les notes attribuées aux collectivités ont été globalement positives, ce qui a pu conduire les établissements bancaires à surévaluer la capacité des collectivités territoriales à rembourser leurs emprunts. Cette appréciation globalement positive sur la gestion de la dette locale s’explique par le fait que l’endettement public local progressait peu. En outre, les charges financières des collectivités, qui s’établissaient en moyenne autour de 3 % de leurs dépenses de fonctionnement, étaient relativement faibles. Enfin, « à la différence de ce qui s’est passé dans beaucoup de pays voisins nous n’avons connu pratiquement aucune insolvabilité ou défaut de paiement » (82). Ce contexte relativement favorable en matière d’endettement local a pu inciter les agences de notation à juger la situation financière de certaines collectivités territoriales globalement saine.
L’on peut se demander si les indicateurs et ratios utilisés par les agences de notation étaient appropriés. Ainsi que l’a indiqué M. Christophe Parisot, directeur des finances publiques de Fitch Ratings France, le coût de la dette figure parmi les indicateurs importants permettant aux agences de notation de juger de la qualité de crédit, de la solvabilité et de la compétence de gestion des collectivités territoriales (83). Or, on rappelle que, lors de la phase de bonification, les produits structurés ont contribué à abaisser la charge financière des collectivités en maintenant des taux d’intérêt faibles. Par ailleurs, selon M. Christophe Parisot, les produits structurés ont différé « à une période bien ultérieure la survenue de risques, des risques qui de surcroît ne dépendaient pas intrinsèquement de la collectivité considérée mais de scénarios de marchés » (84). Abaissant artificiellement la charge financière et différant la survenue des risques dans le temps, les produits structurés ont introduit un biais dans l’évaluation réalisée par les agences de notation quant à la situation financière de certaines collectivités territoriales.
Les agences, en délivrant ainsi des bonnes notations aux collectivités ayant contracté des emprunts à risques pour une proportion élevée de l’encours, n’ont-elles pas conduit les banques à surestimer la capacité des collectivités territoriales à faire face à leurs obligations au terme de ces opérations ? Les responsabilités s’entrecroisent, comme on peut l’observer.
B.– LA POLITIQUE COMMERCIALE AGRESSIVE DES ÉTABLISSEMENTS BANCAIRES
Sous l’impact de la décentralisation, la dette publique locale est passée de 59 milliards d’euros, à la fin de 1985, à près de 104 milliards d’euros à la fin 1995. La tendance s’est inversée à partir de 1996, avec une volonté de désendettement liées aux mauvais exemples de déroute financière de certaines collectivités, tendance qui s’est prolongée jusqu’en 2003 : pendant cette période l’encours diminue et les prêteurs connaissent une période difficile, avec un marché en baisse de 10 % par an. Dans ce marché en récession, les banques baissent leurs marges pour tenter de préserver leur part, la concurrence étant aggravée par l’arrivée sur le marché français de banquiers étrangers.
1.– Le marché des prêts aux collectivités est devenu le lieu d’une lutte commerciale sans merci
C’est dans un tel contexte que l’abondance des liquidités disponibles pour les collectivités, dans un contexte de baisse de l’encours global de leur dette, a déclenché une lutte commerciale sans merci entre les banques, qui ont dû proposer des produits innovants facialement attractifs, et « toujours légèrement différents par rapport à ceux de la concurrence de manière à éviter la comparaison des prix », ainsi que l’observe l’inspecteur général Gissler dans son rapport de février 2009.
Par ailleurs, après la longue période de baisse continue des taux, certaines collectivités locales n’ont pas accepté, à l’inverse des autres agents économiques, la remontée des taux à partir de 2005. Ce facteur économique intervenait de manière d’autant plus inopportune qu’il s’agissait d’une période préélectorale puisque les élections municipales devaient se dérouler en 2007, avant d’être reportées en 2008 en raison du calendrier d’échéances politiques très chargé. Certaines collectivités parvenaient alors à la fin de la phase de taux fixe très bas et allaient devoir afficher les surcoûts d’intérêts de la phase variable évidemment politiquement plus défavorable ;
En effet, comme nous l’avons vu dans la première partie du présent rapport que certaines conditions paraissant au départ du contrat peu dangereuses se sont révélées sur le point d’être réalisées et de contraindre les emprunteurs à devoir payer un taux dégradé, très supérieur au marché. La perspective de reconnaître avoir fait preuve d’une mauvaise analyse économique, ou d’avoir à verser une soulte élevée pour sortir du contrat, a conduit à rechercher des solutions permettant de continuer à payer des taux bas…
Or les contrats prévoyaient la possibilité de renégocier le prêt à l’approche de la sortie de la phase garantie. Il était possible d’obtenir une nouvelle période bonifiée moyennant une vente d’option, en réalité encore plus risquée.
Cette « opportunité » allait évidemment rencontrer le besoin des banques de « faire tourner la dette » par la renégociation pour multiplier les commissions et restaurer quelque peu leurs marges.
L’on peut se demander pourquoi les collectivités ont été conduites à réaménager les emprunts plutôt qu’à les rembourser de manière anticipée moyennant le versement d’une soulte.
L’article 3 du code des marchés publics exclut de la mise en concurrence les contrats portant sur des services financiers. Toutefois, cette exclusion n’abolit pas la mise en concurrence de fait pour la souscription d’un emprunt, et les représentants des collectivités auditionnés ont souvent témoigné avoir comparé plusieurs offres lors de la souscription initiale.
Par contre, lorsqu’il s’agit de la renégociation, le contrat oppose un verrou : « c’est à prendre ou à laisser », ainsi que l’ont exprimé certaines des personnes auditionnées. Le souscripteur est captif du contrat initial et ne peut procéder à une nouvelle mise en concurrence des offres.
2.– La nécessité de retrouver des marges a conduit à une politique commerciale agressive
La concurrence avait conduit les banques à proposer des financements avec des marges inférieures ou égales à 0,2 % de l’Euribor, c’est-à-dire que les banques étaient allées jusqu’à prêter largement en dessous du coût de la ressource financière. Ne pouvant donc plus se rémunérer sur les produits classiques, les banques ont dû imaginer d’autres moyens de reconstituer leurs marges commerciales.
L’un de ces moyens a été de proposer des produits plus sophistiqués à marge commerciale plus élevée, dont la caractéristique était d’être totalement indécelable par le client qui ne peut plus comparer les offres existant chez les différents établissements bancaires. Or si la marge est opaque, voire invisible, elle a des conséquences plus graves lorsqu’il s’agit d’un produit structuré, car elle est réalisée sur l’augmentation des effets de leviers inclus dans le produit, ce qui accroît le risque de perte du client.
Dans ces circonstances, ces nouveaux prêts structurés sont apparus très profitables et les banques ont adopté une politique commerciale offensive, demandant à leurs commerciaux de proposer aux emprunteurs des restructurations de prêts. C’est ainsi que dans certains cas, il a été proposé de « renégocier » – terme ici mal employé – la dette tous les deux ans, en majorant les marges à chaque fois. Selon les termes de M. Michel Klopfer, spécialiste du conseil financier aux collectivités et « adversaire » des emprunts structurés dès leur apparition, « quand on a accordé jusqu’à trois fois deux années de « douceurs », avec trois doublements ou décuplements de marge, comment voulez-vous qu’on n’aboutisse pas à des produits assortis d’options astronomiques sur des durées de quinze ou trente ans ? » C’est ainsi que les collectivités se trouvent détentrices de produits qui peuvent perturber leur équilibre financier jusqu’en 2030, voire, dans les cas les plus défavorables, jusqu’en 2040.
Malgré l’affirmation de M. Pierre Richard, ancien président de Dexia, selon laquelle les produits structurés ont été élaborés pour répondre à une demande de la clientèle collectivités désireuse de saisir les opportunités du marché, et laquelle la « renégociation » des prêts est intervenue à la demande des représentants des collectivités, les témoignages de nombreux auditionnés montrent plutôt un démarchage appuyé des commerciaux adressant leurs propositions au client lors des rendez-vous réguliers, ou même en dehors de ces moments.
La relation bancaire a donc progressivement changé à partir de 2001 : alors qu’elle était déclenchée par la collectivité à l’occasion d’un appel d’offres ou d’une demande de renégociation, elle est devenue une relation « pilotée » par la banque, qui en donne le rythme au gré de ses propositions spontanées de réaménagement de la dette.
M. Jacques Descourtieux, directeur général de l’entreprise de conseil Finance Active, indique que sur la période 2004-2008, les clients ont transmis à sa société, pour demande de conseil, 8 000 propositions de réaménagement de la dette reçues des banques et 7 000 propositions de nouveaux financements, comportant des produits structurés, soit 15 000 propositions au total comportant une offre structurée. Certaines collectivités auraient reçu jusqu’à dix propositions en sept mois.
Ce traitement « de masse » de la clientèle des collectivités montre que les banques s’étaient donné des objectifs commerciaux précis de placement des produits, et que des personnels avaient été recrutés pour faire face à ce changement d’échelle, comme la progression des effectifs commerciaux de Dexia de 500 personnes en 1993 à plusieurs milliers dix ans plus tard le laisse comprendre.
Contrairement à l’affirmation de M. Gérard Bayol, ancien directeur général de Dexia Crédit local devant la commission, selon laquelle « dès l’origine, nous avons réservé aux grandes collectivités les produits incluant des formules mathématiques complexes », les emprunts structurés ont été vendus aux petites collectivités, puisqu’elles en ont souscrit pour plus de 3 milliards d’euros, dont 56 % sont considérés comme risqués (1 729 petites communes clientes de Dexia ont souscrit des emprunts structurés à risque).
Les marges réalisées sur les produits structurés auraient été, selon les représentants des banques auditionnés par la commission, de 20 à 30 centimes d’euro. Cela correspond davantage à la marge de rémunération d’un emprunt à taux fixe dans les années 1990, qui pouvait varier de 20 à 30 centimes selon le risque lié au client. En revanche, selon M. Patrice Chatard, directeur général de Finance Active, les marges réalisées sur les emprunts structurés « atteindraient au minimum 60 centimes, et vraisemblablement 80 à 90 centimes, voire davantage, à la fin de la période ».
La présentation commerciale des prêts, telle qu’elle peut apparaît dans les documents donnés aux responsables des collectivités, insiste sur le caractère sûr et stable des formules proposées, jusqu’au nom du produit qui peut introduire la confusion comme le « TOFIX-Dual » commercialisé par Dexia. Les références rassurantes sont nombreuses dans l’exemple d’offre joint en annexe au présent rapport.
La volonté de tromper a paru évidente à M. Gilles Sébé, président de Seldon Finance, qui souligne que « les banquiers, qui avaient une connaissance approfondie des marchés, trouvaient pour interlocuteurs bien peu de spécialistes capables de dire « non » à leurs propositions. Et lorsqu’il se produisait qu’un directeur financier refuse ces produits, on le court-circuitait en traitant avec l’adjoint aux finances puis, si besoin était, avec le maire directement. Tout a été fait pour que les collectivités signent ces contrats. Ensuite, la flambée de l’Euribor a fait peur, et cela a permis aux banquiers d’enchaîner les marges successives ».
On soulignera que, selon les témoignages des représentants des petites communes, il ne leur était pas proposé d’autre type de produits que le produit appelé TOFIX, qui a été décrit dans la première partie du présent rapport. Ceci témoigne de la pression exercée en faveur du placement de ce produit.
Selon la déclaration de M. Gérard Bayol, ancien directeur général de Dexia Crédit Local, le comité « Nouveaux produits » de la banque avait fixé à 50 % le seuil d’emprise maximal des prêts structurés souscrits auprès de Dexia dans l’encours de dette de chaque collectivité. Les directives de ce comité n’ont pas été observées par les commerciaux puisque dans plusieurs cas, l’ensemble des contrats signés avec Dexia étaient des contrats structurés, tous classés au niveau maximal de risques spéculatifs, et pouvaient représenter plus de 80 % de la dette totale comme dans le cas de la ville de Plaisir (Yvelines). Dans de nombreux cas, l’encours de produits structurés dépassait les 50 % comme en Seine-Saint-Denis, à Saint-Étienne, à Carvin ou encore pour la communauté d’agglomérations d’Argenteuil, où la part du structuré atteint 97 %.
Face à cette politique commerciale résolue et aux présentations trompeuses des produits, les alertes de certains professionnels sont passées inaperçues de beaucoup de gestionnaires. La renégociation ne se traduit pas nécessairement par un gain, comme certains observateurs professionnels en alertaient à l’époque leurs clients et la presse spécialisée. Ainsi M. Michel Klopfer a-t-il clairement indiqué que le calcul de la valeur actuelle nette (VAN) du nouvel emprunt permettait souvent de constater qu’il n’y a pas de gain. De manière plus systémique, il était impossible, de manière globale, que chaque collectivité effectue une opération favorable pour elle !
3.– L’étendue de la responsabilité des banques actuellement en jeu devant les tribunaux
Une partie des prêts structurés parvient actuellement à la fin de la période bonifiée de taux fixes très bas, et cette sortie vers la période dite « structurée » peut se traduire par l’accroissement important des charges d’emprunt ; il faut souligner que le phénomène n’est qu’à son début puisque 50 % environ des prêts restent en phase bonifiée jusqu’à 2012 ou 2013. Dans cette situation, la collectivité empruntrice se tourne vers l’établissement bancaire peut solliciter un nouvel aménagement du prêt, ou proposer un remboursement de sa dette : dans ce dernier cas, la soulte demandée est extrêmement élevée et peut avoisiner le montant du capital restant dû lui-même, ainsi que les élus de certaines collectivités l’ont indiqué à la commission.
Selon l’observatoire de Finance Active, 350 collectivités détiendraient des produits indexés sur le change (chiffre corroboré par Dexia qui indique 300 collectivités), et qui pourraient donc se trouver fortement déséquilibrées dans les prochains mois par des variations de cours. Toutefois, toutes ne se trouvent pas dans la même situation : pour certaines, ces produits ne constituent qu’une faible proportion de l’encours de dette, d’autres demandent à leur banque une sécurisation de l’emprunt avec une contrepartie d’allongement sur un taux Euribor.
Toutefois, une dernière catégorie de collectivité se trouve dans une situation beaucoup plus difficile si l’encours est constitué en très forte proportion de produits indexés sur le change : 80 à 90 % par exemple. Il y aurait cinquante à cent collectivités dans ce cas, pour lesquelles ni le versement de la soulte ni le report du risque sur l’avenir ne peuvent régler la question.
Dans ces derniers cas, la question de l’imprudence de la banque et de sa responsabilité doit être particulièrement posée et les représentants de Finance Active, par exemple, ont indiqué devant la commission qu’ils conseillaient alors à la collectivité de contester le contrat devant les tribunaux.
Environ quinze collectivités, devant aujourd’hui faire face à la progression du taux d’intérêt de l’emprunt mettant en jeu leur équilibre financier, et face à l’inquiétante absence de visibilité même à court terme, ont annoncé avoir saisi les tribunaux pour obtenir l’annulation du contrat de prêt. D’autres contrats ont très vraisemblablement été portés devant la justice sans que l’action ait été rendue publique. En outre, plusieurs dizaines de collectivités se trouvent dans une phase précontentieuse, ayant confié leur dossier à un conseil.
a) L’absence de jurisprudence sur les emprunts structurés
Il n’y a pas encore en France de jurisprudence consacrée aux emprunts structurés des acteurs publics locaux. Quelques décisions de justice peuvent être citées, pour constater qu’elles ne forment pas un droit positif permettant aux collectivités d’opter pour ou contre l’action en justice.
Un jugement rendu par le tribunal de commerce de Toulouse, le 27 mars 2008, retient pour le banquier une obligation d’information et de conseil précontractuelle lors de la souscription de contrats de swaps pour une société d’HLM. Une ordonnance de référé du Président du Tribunal de grande instance de Nanterre de juin 2011 a rejeté la demande de la commune de Servian (Hérault) consistant à être autorisée à procéder au remboursement anticipé du capital restant dû de six prêts contractés entre avril 1994 et décembre 2005.
Tout récemment, une ordonnance de référé rendue le 24 novembre 2011 par le Premier vice-président adjoint du TGI de Paris a débouté la Royal Bank of Scotland de son assignation pour obtenir le paiement à titre conservatoire des échéances dues par la ville de Saint-Étienne dans le cadre d’un contrat de swaps faisant l’objet d’un recours en annulation sur le fond. Le magistrat a estimé en l’espèce que « les mécanismes de swaps vendus aux collectivités territoriales se sont révélés être des produits spéculatifs à haut risque et dont la légalité est aujourd’hui sérieusement contestée devant le juge du fond » ; en conséquence la cessation du versement des échéances de ses emprunts par la ville n’a pas été considérée comme un trouble manifestement illicite. Si cette décision peut apparaître encourageante pour les collectivités qui éprouvent de grandes difficultés à faire face aux échéances de prêts entrés dans leur phase variable, elle ne préjuge pas de la décision qui sera prise sur le fond, et la prudence demeure de mise.
Si l’on replace la responsabilité relative aux emprunts structurés dans le cadre plus général de la responsabilité du prêteur, on considère que le prêteur, aux termes de la jurisprudence, peut être inquiété dans trois cas :
– lorsque l’emprunt ne fait pas référence au TEG ;
– lorsque les opérations de swap sont rédigées en anglais ; en application de la loi Toubon du 4 août 1991, le contrat peut être considéré comme illégal ;
– dans le cas de contrats signés après le 1er novembre 2007, date d’entrée en vigueur de la directive MIF, lorsque la banque ne s’est pas assuré que son client avait la compétence nécessaire alors que la collectivité ne s’est pas déclarée comme un professionnel.
Dans les cas que nous évoquons, de telles obligations ont été remplies, aussi les chefs de mise en cause certaine de la responsabilité du banquier sont-ils très limités à ce jour. C’est pourquoi la question est posée de la mise en jeu de la responsabilité du prêteur sur la base des dispositions du code monétaire et financier.
b) La limite résultant de la notion d’usure est-elle inopérante ?
Il importe de comprendre pourquoi le taux d’usure ne peut être invoqué pour obtenir l’annulation du contrat de prêt.
En vertu de l’article L. 313-3 du code monétaire et financier, constitue un prêt usuraire tout prêt conventionnel consenti à un taux effectif global qui excède, au moment où il est consenti, de plus du tiers, le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent par les établissements de crédit pour des opérations de même nature comportant des risques analogues, telles que définies par l’autorité administrative après avis du Comité consultatif du secteur financier.
Le taux effectif global (TEG) a été institué en 1985 ; il est calculé selon la méthode actuarielle depuis 1996, et constitue un élément de référence qui devrait en principe figurer dans tout contrat d’emprunt. Pourtant, ce n’est plus le cas, car de nombreux contrats comportent une clause selon laquelle les parties conviennent qu’il n’est pas possible de calculer le TEG, compte tenu de la structure de financement, et qu’à titre indicatif, il est fixé à un certain taux (2,12 % par exemple) sur la base de l’Euribor au jour de la signature.
L’application de cette disposition trouve une limite dans le fait que pour un contrat à taux variable, le taux effectif global ne s’applique qu’au taux initial, et non au produit de la formule mathématique retenue. Le code de la consommation prescrit que le TEG donné dans le contrat l’est à titre indicatif, et c’est ce taux qui est rapporté au taux de l’usure.
En cette matière, un angle d’attaque est possible, selon les juristes auditionnés par la commission : c’est le cas où le TEG a été omis au contrat, ce qui n’est en général pas le cas. Dans certains cas, il a été soulevé que la base de calcul du TEG était erronée, n’ayant pas été calculée sur la base de 365 jours, et le contrat contraire aux dispositions du code monétaire et financier. Les contrats ayant depuis été corrigés sur ce point, une action sur cette base est peu probable. Reste l’hypothèse d’un TEG manifestement sous évalué, qui pourrait être jugé comme une pratique de mauvaise foi par le juge, au titre de l’article 1134, alinéa 3, du code civil.
L’encadré qui suit rappelle la teneur de la notion d’usure et les catégories et taux actuels.
LE TAUX D’USURE 1.– Définition et répression de l’usure Afin de protéger les consommateurs désireux d'emprunter de l'argent, le code de la consommation définit comme taux de l’usure le taux effectif global (TEG) maximal auquel certains prêts peuvent être accordés. Tout prêteur qui proposerait des prêts présentant au moment où il est consenti un taux supérieur d’un tiers au « taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent par les établissements de crédit pour des opérations de même nature comportant des risques analogues » (article L. 313-3) s’expose à une peine d’emprisonnement de deux ans et d'une amende de 45 000 euros (article L. 313-5). La Banque de France est en charge de la détermination de ces taux (article D. 313-6). Lorsqu'un prêt conventionnel est usuraire, les perceptions sont imputées de plein droit sur les intérêts normaux (article L. 313-4). 2.– Les prêts concernés Aujourd’hui, tous les financements aux particuliers, aux associations et aux collectivités territoriales sont soumis à la législation sur l’usure. Celle-ci impose d'ailleurs aux prêteurs d'informer leurs clients du taux de l'usure en vigueur pour le prêt qu'ils leur proposent. En effet, l’article L. 313-3 du code de la consommation n’exclut de son application que les « personne[s] physique[s] agissant pour [leurs] besoins professionnels » et les « personne[s] morale[s] se livrant à une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou professionnelle non commerciale. » Pour les entreprises et les professionnels, le législateur a estimé en 2003 et 2005 que cette contrainte avait aussi pour conséquence de fermer les portes du crédit à certaines entreprises jugées trop fragiles pour pouvoir emprunter. Aussi l'article 32 de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l'initiative économique a donc supprimé le délit d'usure pour les prêts consentis aux entreprises commerciales, industrielles ou financières. Seule demeure la sanction civile pour les découverts en compte qui leur sont consentis. L'article 7 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises a étendu cette suppression du délit aux personnes physiques agissant pour leurs besoins professionnels (entrepreneurs individuels). La loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation a prévu une modification des catégories des crédits à la consommation qui consiste en la seule distinction par niveau de montant emprunté (jusqu'à 3 000 €, entre 3 000 et 6 000 €, et, au-delà de 6 000 €). L’arrêté du 22 mars 2011 a mis en application cette réforme depuis le 1er avril 2011, avec une période transitoire de deux ans. À terme, le seuil de l'usure sera donc identique pour un crédit de même montant que ce soit sous forme de prêt amortissable, d'un découvert en compte, ou d'un crédit renouvelable. 3.– Les catégories et taux actuels tels que déterminés par la Banque de France
Source : Banque de France. 4.– La situation dans les autres pays européens En règle générale, les pays développés conservent des garde-fous pour les crédits aux particuliers mais ont entièrement libéralisé leurs régimes de l'usure pour les crédits aux entreprises. Seule la France et l'Italie font encore figure d'exception. Dans la plupart des pays, le contrôle des taux d'intérêt ne s'appuie pas sur la loi, mais sur la jurisprudence. C'est le cas de la Grande-Bretagne et de l'Espagne. En Allemagne, les tribunaux évaluent en se basant sur les moyennes du marché publiées chaque mois par la Bundesbank pour les différents types de crédit. L’écart est considéré comme excessif quand il excède le double de celui du marché. Comme la France, l'Italie dispose d'une loi régulant les taux d'intérêt. Le taux d'usure y est également réévalué chaque trimestre. Mais un taux d'intérêt y est considéré comme usuraire s'il excède de plus de 50 % le taux moyen appliqué par les banques. |
c) Les conséquences possibles du défaut de conseil et de mise en garde
Des actions pénales ont été engagées pour dol, tromperie ou escroquerie. Selon M. Richard Routier, spécialiste de la responsabilité du banquier, auditionné par la commission, de telles actions ont peu de chances d’aboutir, car il faut pouvoir démontrer l’existence d’un élément intentionnel qui, étant donné l’aléa des marchés et le fait que les signataires des contrats n’étaient pas forcément au courant de ce qu’ils signaient, sera difficile à rapporter.
Les chances d’une action civile semblent plus réelles en ce que plusieurs chefs de responsabilités peuvent être envisagés, sur la base des articles L. 313-1 du code monétaire et financier.
La plus simple est l’obligation de conseil et d’information, qui a sa traduction dans le code civil et dans le code monétaire et financier, et est particulièrement marquée pour le milieu bancaire, car les produits financiers sont toujours d’une appréhension complexe, en particulier dans le cas des emprunts fondés sur un taux d’intérêt qui peut varier d’année en année en fonction de la parité entre l’euro et le franc suisse.
En vertu de cette obligation, tout établissement financier est tenu d’exécuter les contrats « de bonne foi », c’est-à-dire de manière loyale, professionnelle et transparente, et de communiquer des informations dont le contenu ne soit pas trompeur. À cet égard, le rapporteur s’interroge, comme certains juristes auditionnés, s’il est bien transparent et loyal d’intituler « Tofix » un contrat de prêt à taux structuré. Il pourrait être considéré comme un manquement à l’obligation d’information que de qualifier de « fixe » un produit spéculatif dont le taux d’intérêt peut s’avérer erratique.
Un autre chef est relevé par M. Bruno Wertenschlag, avocat, auditionné par la commission. Celui-ci tire de son examen de nombreux contrats souscrits par des collectivités territoriales et de l’analyse de centaines de lignes de swaps, « qu’une interprétation visiblement faussée a été faite de la circulaire du 15 septembre 1992, selon laquelle les collectivités territoriales peuvent souscrire des produits de couverture, la souscription de produits spéculatifs leur étant interdite. Or certains établissements prêteurs, au lieu de rappeler la difficulté qui pouvait se présenter de ce fait, ont déclaré ou fait déclarer dans la documentation commerciale, dans les pré-confirmations et dans les actes d’emprunt que les collectivités savaient que le produit considéré était conforme aux objectifs de couverture visés par la circulaire ». Il pourrait être considéré que l’information loyale et transparente a là encore fait défaut.
Un autre élément restait généralement caché des emprunteurs : la perte en capital qui pouvait intervenir en cas de remboursement du contrat par anticipation. Les collectivités n’ont semble-t-il pas été informées qu’elles encourraient une pénalité comprise dans une fourchette de 10 à 30 % sur le capital restant dû.
Enfin, la question de la marge cachée, au cœur de l’information que le banquier doit donner à son client, peut se poser. Le code monétaire et financier dispose que le banquier doit prendre toutes dispositions pour empêcher qu’un conflit d’intérêts ne porte atteinte aux intérêts de son client ; il lui interdit en particulier de réaliser un gain au détriment de son client. Or il pourrait être montré que la marge réalisée par la banque est d’autant plus élevée que le risque pris par le client est important. Il pourrait donc y avoir conflit d’intérêts, car il ne semble pas que les banques, avant la souscription, aient expliqué au client que le mécanisme proposé – une période de prêt bonifié suivie d’une période, beaucoup plus longue, de prêt erratique – a un coût mais aussi un prix, celui que la banque encaisse sous forme de marges.
En amont de la question du conseil au client se pose celle du droit à une information honnête et loyale. Les cas étudiés par la commission d’enquête montrent bien l’asymétrie de l’information qui s’est installée, par les pratiques que nous avons décrites, entre le banquier et son client. Cette symétrie pourra certainement être reconnue, dans nombre de cas, par les tribunaux.
La directive européenne de 2004 sur les marchés d’instruments financiers (MiFID), transposée en droit français, classe les collectivités territoriales dans la clientèle non-professionnelle. L’on peut se demander si cette catégorisation ne renforce pas les obligations de mise en garde, due à tout emprunteur non averti, à son égard. Cela peut conduire à s’interroger sur le point de savoir si une collectivité territoriale peut être considérée comme non avertie lorsqu’elle est assistée par un cabinet de conseil. Toutefois, selon la jurisprudence, le fait que le client ait à ses côtés une personne avertie ne dispense pas le banquier de son obligation de mise en garde. Les collectivités devraient donc pouvoir bénéficier de cette jurisprudence, s’attachant davantage à la complexité du produit qu’à la qualité publique ou privée du plaignant professionnel.
Une autre obligation incombe au banquier, qui découle de l’obligation de conseil : l’obligation de mise en garde, qui suppose que le banquier attire l’attention de son client sur les dangers potentiels d’une opération donnée. Cette obligation née en 2005 de la jurisprudence de la Cour de cassation s’intercale, selon l’analyse du professeur Richard Routier, entre l’obligation d’information et celle de conseil.
Elle peut inclure un conseil de « ne pas faire » (sans pour autant être tenu de refuser le prêt) ; elle implique de montrer au client les avantages et les inconvénients du choix qui s’offre à lui, de l’éclairer au-delà d’une simple information passive et neutre, d’expliciter le contrat, et, enfin, de prévenir un risque qui ne doit pas être négligé. Le manquement à cette obligation peut se cumuler avec un manquement au devoir de conseil. L’obligation de consentir un crédit adapté a été consacrée par le juge comme par le législateur ; en outre, le crédit doit rester en proportion avec les facultés de l’emprunteur ou avec les perspectives de rentabilité de l’opération. La notion de proportionnalité est donc présente comme principe d’action du banquier.
Selon M. Bayol, ancien directeur général de Dexia Crédit local, le comité « nouveaux produits » avait fixé à 50 % le seuil d’emprise maximal des prêts structurés souscrits auprès de Dexia dans l’encours de dette de chaque collectivité. Cette intention n’a visiblement pas été respectée, dans les cas, assez nombreux, où des collectivités se trouvent chargées de produits structurés à risque pour 80 à 90 % de leur encours de dette. Face au risque qui pouvait être décelé par le banquier, et qui se révèle aujourd’hui, on pourrait concevoir que l’inexécution de l’obligation de mise en garde soit reconnue à l’encontre de l’établissement.
Par ailleurs, certaines associations de défense des collectivités locales se sont placées sur le terrain de l’illicéité de l’indexation de l’emprunt pour absence de lien direct avec l’objet du contrat ou avec l’activité d’une des parties. À l’encontre de leur position, on notera que le code monétaire et financier dispose expressément que pour les contrats financiers l’indexation est libre.
En résumé, selon les termes de Richard Routier, « le seul terrain du devoir de mise en garde ou de l’obligation de conseil semble le plus fécond s’agissant d’un banquier dispensateur de crédits, et on peut penser que l’action civile aurait des chances d’aboutir – en fonction des dossiers bien sûr, car il ne faudrait pas que le contrat contienne la reconnaissance qu’un avis a été donné par l’établissement financier ».
d) Les conséquences judiciaires qui pourraient être tirées du défaut de conseil
Si le manquement à l’obligation de conseil ou au devoir de mise en garde était reconnu, le plaignant se verrait reconnaître un préjudice pour perte de chance – la chance de ne pas avoir pu renoncer à contracter. La réparation intégrale de ce préjudice ne pourrait être demandée, en vertu de l’existence d’un « aléa ». S’il existe une forte probabilité que la collectivité, eût-elle été informée, n’aurait pas contracté, des taux d’indemnisation de 90 pour cent de la créance de la banque ont déjà été accordés par la jurisprudence. (référence)
Les juristes entendus par la commission ont indiqué par ailleurs qu’ils déconseillaient à leurs clients d’interrompre les paiements avant que la justice ne se soit prononcée sur la licéité du contrat. Le débiteur en mesure d’apporter la preuve de difficultés financières peut, sur le fondement des articles 1244-1 et suivants du code civil, obtenir du juge le report du paiement des sommes dues, dans la limite de deux ans.
Certaines collectivités n’ont pas suivi ce conseil et bloqué leurs paiements ou décidé de ne verser que la part correspondant à un taux fixe ; d’autres se sont déclarées en désaccord avec l’interprétation de la formule. Ces décisions constituent selon M. Gilles Sébé un chemin risqué. Deux possibilités se présentent alors selon ce dernier : l’une est de faire un dépôt auprès de la Caisse des dépôts, dépôt qui produit des intérêts qui permettront, en cas de condamnation finale, de payer une partie des intérêts intercalaires ; l’autre est de ne pas payer en espérant que le préfet ne procèdera pas à l’inscription d’office de la dépense – ce qui est pour l’instant le cas, car les banques n’ont jamais obtenu l’inscription d’office de cette dépense.
Les conséquences du concours de circonstances qui a été décrit précédemment peuvent s’analyser comme une prise de risques par les collectivités, risques qui auraient dû rester étrangers à leur nature : risque de garanties sous formes d’options dans des secteurs où elles n’avaient ni l’information pertinente, ni les moyens de se couvrir, et risque d’un engagement sur une durée telle (jusqu’à 40 ans !) que la combinaison des indices fait relever du pari.
LES EMPRUNTS STRUCTURÉS FACE À LA JUSTICE : Si les juridictions suprêmes françaises n’ont pas encore eu l’occasion d’examiner la validité des contrats relatifs à des swaps ou des emprunts structurés souscrits par des personnes publiques, la Cour constitutionnelle fédérale allemande de Karlsruhe a rendu le 22 mars 2011 un arrêt (85) dont la portée dépasse le cadre juridique allemand. En effet, il est généralement cité au titre de référence par les différentes assignations qui ont été déposées par des acteurs publics locaux en vue de faire annuler les contrats de prêts structurés conclus il y a plusieurs années. ● Dans le cas d’espèce, une PME dénommée Ille Papier avait souscrit auprès d’un établissement financier (la Deutsche Bank) un swap à effet cumulatif (dit snowball) adossé à un sous-jacent fonction de la pente de la courbe des taux. Selon les termes du contrat, le prêteur acceptait de payer à son client 3 % d’intérêts sur deux millions d’euros pendant cinq ans. Le client devait payer à la banque 1,5 % pendant la première année et ensuite un taux variable basé en partie sur la différence entre les taux Euribor à deux ans et à dix ans. La banque a incité son client d’acheter ce swap en fonction de ses espérances que le spread s’élargirait et que le client gagnerait de l’argent. L’établissement prêteur a limité son risque à l’occasion de la transaction en souscrivant les options correspondantes sur le marché. Pris à la gorge par l’augmentation exponentielle des sommes « ruineuses » à verser, le client conclu un accord avec son créancier pour déboucler ce contrat de swap, en échange du versement d’une soulte conséquente, puis introduit une action en annulation du contrat et remboursement de la soulte. Déboutée en appel, la PME a obtenu gain de cause devant la Cour, la banque étant contrainte de lui verser 566 850 euros à titre d’indemnisation (86). L’argumentation retenue par le juge allemand s’est fondée sur deux éléments : le contenu du devoir d’information en matière de produits d’investissement complexes et l’existence d’un conflit d’intérêts et d’une asymétrie des risques encourus, la banque ayant souscrit des garanties en cas d’évolution à son détriment du contrat. ● Pour la Cour, en cas de produits d’investissements complexes, l’information du client doit lui permettre de disposer des mêmes connaissances et informations sur les risques de l’opération que la banque. Celle-ci doit donc lui expliquer qu’en l’absence de tout plafonnement, les pertes réelles peuvent s’avérer très importantes si les conditions prévues par les termes du contrat venaient à se réaliser. La banque doit donc détailler tous les éléments de la formule de calcul du taux complexe et insister sur l’inégalité entre les parties : le risque du client est illimité, celui de la banque est d’emblée étroitement limité. La banque doit non seulement expliquer les risques mais aussi s’assurer de la bonne compréhension de son client. Or si la banque soutenait que n’importe quel étudiant de première année d’université pouvait comprendre de tels montages ainsi que la formule selon laquelle le swap était calculé, encore fallait-il que la banque expliquât quels risques comprend une telle opération d’investissement. Comme l’a commenté le Président de la Cour, le fait de savoir lire un poème ne signifie pas forcément qu’on en comprend le sens. ● D’autre part, les deux parties se trouvaient en situation de conflit d’intérêts, car dans le cadre des recommandations d’investissement faites par la banque figurait un pari dont les intérêts étaient opposés à ceux de son client, situation dont elle aurait dû aviser son client. Elle faisait courir un risque potentiel grave à son client, alors que ses propres risques étaient fortement limités par la souscription des options correspondantes. Par ailleurs, seule la banque était en mesure de savoir que le swap avait une valeur de débouclement négative dès sa conclusion, ce qui signifiait que le client avait alors plus de chances de perdre de l’argent que d’en gagner. Dès lors, cette valeur exprimait un conflit d’intérêts puisqu’à partir du moment où la banque-conseil tire avantage du fait que le marché apprécie négativement le risque assumé par le client avec le produit qui lui a été recommandé, il y a alors un risque que sa recommandation ne soit pas uniquement motivée par l’intérêt du client. N’ayant pas respecté le principe de l’égalité des armes, en s’assurant que son client disposait des mêmes informations qu’elles, la banque a été condamnée à lui verser des dommages et intérêts. ● Comme l’ont observé les commentateurs en France (87), si l’arrêt se fonde sur des normes de droit allemand relatives aux obligations d’information, de mise en garde et de loyauté du banquier envers son client, celles-ci trouvent leurs équivalents en droit français dans les articles 1147 du code civil et L. 533-10 du code monétaire et financier. Cette décision, relative à un cas d’espèce concernant un swap souscrit par une personne morale de droit privé, pourrait ainsi inspirer d’autres contrats de produits financiers complexes, tels que les emprunts structurés, souscrits par des personnes publiques. |
Nous allons à présent évoquer la réponse apportée par l’État avec la Charte de bonne conduite adoptée en 2009 et entrée en vigueur le 1er janvier 2010. Nous verrons que cet accord, qui a eu le mérite de formuler un diagnostic des difficultés et de les voir enfin reconnues par l’administration centrale, formule des principes extrêmement importants mais ne fournit pas une réponse complète à la question des risques liés au financement des acteurs locaux.
4.– La charte de bonne conduite de 2009 : les limites de l’autodiscipline
C’est à l’automne 2008 que la présence « d’emprunts toxiques » a été dénoncée, à travers la presse généraliste, par quelques exécutifs locaux inquiets de l’envolée des taux d’intérêts d’emprunts qui commençaient à sortir de leur phase bonifiée. La commission d’enquête a pu constater que la presse spécialisée s’était fait l’écho des risques sous-jacents bien auparavant : M. Pierre Klopfer, par exemple, a rappelé qu’il avait publié plusieurs articles alertant vigoureusement les responsables de collectivités quant aux risques croissants entraînés par les « renégociations » proposées par les banques visant à transformer leurs prêts classiques en prêts structurés (88).
Le 3 novembre 2008, le ministre de l’Intérieur, de l’outremer et des collectivités territoriales et le ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi réunissaient les représentants des banques les plus impliquées dans le financement des acteurs publics locaux et ceux des associations d’élus locaux. Ces dernières demandaient un dialogue direct entre les collectivités et leurs banquiers. Les ministres ont quant à eux souhaité la rédaction d’une charte de bonne conduite afin d’éviter que de telles difficultés ne se reproduisent à l’avenir ; la rédaction en a été confiée à l’Inspection générale des finances. En février 2009, un rapport sur « le recours par les collectivités territoriales aux produits structurés » (89), établi par M. Éric Gissler, était présenté, comportant une série de propositions qui devaient conduire, en juin, à la Charte de bonne conduite annexée au rapport et citée dans la circulaire du 25 juin 2010 sur les produits financiers offerts aux collectivités territoriales et à leurs établissements. Les termes de la charte résultent également d’échanges avec les représentants des banques et des collectivités.
a) La charte Gissler, une avancée indéniable, mais des lacunes
Selon ce document, les établissements bancaires doivent notamment s’engager à : ne plus proposer de produits exposant à des risques sur le capital ou reposant sur certains indices à risques élevés ; ne plus proposer de produits avec des effets de structure cumulatifs ; présenter leurs produits selon une classification comportant 5 niveaux de risques (de 1 à 5 et de A à E) ; reconnaître le caractère de non professionnel financier des collectivités locales et le français comme langue exclusive des documents. Quant aux collectivités territoriales, celles-ci doivent développer la transparence des décisions concernant leur politique d’emprunts et de gestion de dette, ainsi que l’information financière sur les produits structurés qu’elles ont souscrits.
Si la charte Gissler constitue une avancée indéniable, elle présente néanmoins des limites et des incomplétudes, tant dans son contenu que dans sa portée.
S’agissant du contenu de la charte, M. Éric Gissler, inspecteur des finances et médiateur désigné par le Premier ministre, a regretté devant la commission d’enquête que sa proposition de proportionner le type d’emprunt pouvant être souscrit à la démographie des collectivités n’ait pas été retenue : « Quand j’expliquais qu’il faillait proportionner la capacité de la collectivité au niveau de risque, et limiter, par exemple, les communes de moins de 10 000 habitants aux 1A, on me reprochait de porter atteinte à leur dignité ou à leur autonomie financière. Je regrette toutefois que la mesure n’ait pas été mise en place » (90).
En outre, la pertinence de la classification des produits inscrite dans la charte a été contestée par plusieurs intervenants. M. Michel Klopfer, président et fondateur d’un cabinet de conseil, a indiqué que les risques induits par certains produits semblent avoir été sous-évalués : « (…) De quoi la catégorie 2 de la charte Gissler est-elle composée ? D’indices portant sur l’inflation, française ou européenne et sur les écarts d’inflation. L’inflation française est un excellent indice, car les budgets y sont soumis, et l’on peut également admettre l’inflation européenne ; en revanche, il est dangereux de greffer une option, pouvant porter sur une période de trente ans, sur un écart d’inflation qui est de nature spéculative » (91). De manière plus générale, M. Gilles Sebé, président de Seldon Finance, a montré que la cotation Gissler ne tient pas suffisamment compte l’évolution du risque dans le temps soulignant qu’un produit classé peu dangereux dans la charte peut se révéler explosif. Selon son exemple, si la Grèce faisait défaut, il y aurait une flambée de taux courts et tous les produits de pente qui paraissent peu risqués pourraient présenter un risque très grave. La charte Gissler ne donne pas une vision correcte du risque dans le temps (92).
Enfin, la faiblesse des obligations des établissements bancaires en matière d’information et de conseil, telles qu’elles sont prévues par la Charte, n’est pas satisfaisante. Ainsi que l’a observé M. Olivier Poindron, consultant au sein du cabinet FIDAL : « Les banques « consentent à respecter » des obligations prééxistantes à la charte définies dans les articles 1147 et 1134 du code civil, dans les règles de bonne conduite du code monétaire et financier et dans le règlement général de l’Autorité des marchés financiers, et très supérieures à celles définies par la Charte » (93).
Quant à la portée de la charte, M. Éric Gissler a souligné que l’autorégulation a permis de modifier positivement les pratiques commerciales des établissements bancaires, qui ne commercialisent plus de produits non autorisés par la charte et prennent davantage en compte la démographie des collectivités dans leur proposition d’emprunts : « (…) et ont dû renoncer à commercialiser certains niveaux (…) » (94). Néanmoins, l’autorégulation reste impuissante à résoudre la situation d’endettement actuelle des collectivités. En outre, il a indiqué que les renégociations qui devaient succéder à la mise en place de la charte n’ont pas toujours eu lieu : « La charte a été rédigée dans l’idée qu’une renégociation interviendrait quasiment à marche forcée. Il n’en a rien été ».
Certains intervenants ont fait part de réserves marquées quant à la finalité même de la charte. M. Richard Routier, professeur à l’université de Strasbourg, a ainsi indiqué que la charte contribuait, dans une certaine mesure, à banaliser les pratiques spéculatives au sein des collectivités : « Cette affaire est l’occasion de revenir à un principe simple : l’argent public ne doit pas permettre la spéculation de ceux qui le manipulent. Or les prêts structurés sont des produits spéculatifs. Votre commission doit s’interroger sur le fait que la charte Gissler pérennise ces pratiques » (95). M. Gilles Sébé a, quant à lui, souligné à la commission que la charte permettait aux établissements bancaires de différer les contentieux : « C’est un document ponctuel, et surtout un moyen subtil, pour les banques, de différer les contentieux » (96).
b) La médiation décidée par le Gouvernement : un bilan en demi-teinte
La médiation encouragée par le rapport de l’inspection générale des finances cité précédemment doit permettre aux collectivités territoriales de renégocier l’encours de leur dette avec les établissements bancaires, afin d’assainir à terme leur situation financière.
La situation évolue et certains dossiers se traitent, comme en atteste le recul de la part des emprunts structurés dans les encours. Des dossiers aboutissent : dans certains cas, la soulte est partagée, parfois avec une offre de refinancement de la soulte à la collectivité sous forme de prêts sur cinq, sept ou dix ans. Toutefois, les emprunts les plus complexes, comportant un produit de change, sont plus difficiles à traiter.
Le tableau ci-dessous présente le bilan des procédures de médiation en cours de réalisation, qui demeurent peu nombreuses et peu avancées :
RÉPARTITION PAR TYPE D’INDEXATION DES CONTRATS
FAISANT L’OBJET D’UNE DEMANDE MÉDIATION
SITUATION À LA DATE DU 28 OCTOBRE 2011
Taux indexés sur : |
nombre de contrats |
EUR/CHF |
41 |
EUR/USD |
3 |
USD/CHF |
29 |
USD/JPY |
8 |
autres(coef >5) |
11 |
total intermédiaire |
92 |
capital basé sur CHF |
10 |
total général |
102 |
NB : à la date du 28/10/2011, seuls 89 dossiers sur 102 sont administrativement complets pour permettre l’engagement de la renégociation par le médiateur.
TAILLE DES COLLECTIVITÉS AYANT SOLLICITÉ LA MÉDIATION
collectivités de moins de 10 000 habitants |
33 |
collectivités de plus de 10 000 habitants |
17 |
syndicats |
3 |
RÉPARTITION PAR DATE, DES COLLECTIVITÉS AYANT SOLLICITÉ LA MÉDIATION
jusqu’en avril 2010 inclus (franchissement barrière de 1,44 en mars 2010) |
à mai 2010 à octobre 2011 |
8 |
48 |
RÉSULTATS DES MÉDIATIONS DEPUIS L’ORIGINE EN NOMBRE DE CONTRATS
renégociations définitives |
12 |
solutions temporaires acceptées |
13 |
solutions temporaires refusées |
2 |
sorties suite à assignation |
14 |
sorties à la demande de la collectivité |
3 |
Source : Médiateur désigné par le Premier ministre pour les emprunts des collectivités territoriales.
Selon M. Éric Gissler, la médiation a permis de donner aux exécutifs locaux, dont bon nombre se sont vu confier la gestion d’une situation qui leur préexistait ou dont ils ignoraient l’existence, une meilleure information quant à l’endettement de leur collectivité. Les élus qui entrent en médiation ne sont généralement pas ceux qui ont signé le contrat. Les accords ont été conclus sans témoin et la médiation permet de reconstituer pièces en main l’historique des dossiers. La médiation apaise le débat (97).
Par ailleurs, la médiation permet d’éviter que les collectivités territoriales et les établissements bancaires ne se rejettent la responsabilité, et prennent conscience qu’il est dans l’intérêt de chacun d’eux de trouver un accord.
Cependant, la médiation connaît plusieurs difficultés.
D’une part, les banques peuvent être réticentes à engager un processus de médiation qui, bien que confidentiel contrairement à une action en justice, fait peser le risque de lever le secret des pratiques bancaires auquel elles sont attachées. Comme l’a indiqué M. Eric Gissler, « le premier souci des banques est qu’on ne sache pas ce qu’elles décident, dossier par dossier ».
D’autre part, les collectivités, dont les conseils juridiques et financiers sont inégaux, peuvent souhaiter attendre la fin de la période de bonification pour recourir à la médiation, ou préférer une action en justice en l’absence d’une jurisprudence bien établie en matière de réalisation d’emprunt et à accepter certaines solutions. Le phénomène tient certainement à l’absence de jurisprudence et certaines pensent qu’elle jouera en leur faveur, et attendent l’issue des procès.
Enfin, dans certains cas, des établissements bancaires ont proposé des produits non inscrits dans la charte lors de la renégociation d’emprunts structurés. M. Éric Gissler a admis l’existence d’une telle pratique indiquant avoir posé une condition à sa mise en place : « (…) on peut proposer un produit hors-charte à la seule condition qu’il améliore la sécurité de la collectivité, par exemple en raccourcissant la durée du prêt, en élevant la barrière ou en mettant en place un multiplicateur plus faible ».
Ces lacunes conduisent votre commission à envisager des solutions différentes pour l’avenir, tant en ce qui concerne la « déontologie » des emprunts que le traitement du stock des produits structurés.
C.– LE CONTRÔLE DES SERVICES DE L’ÉTAT : TROP LIMITÉ SUR LE TERRAIN, PEU VIGILANT EN ADMINISTRATION CENTRALE
1.– Un contrôle de légalité à la portée insuffisante
Nombre d’intervenants ont souligné l’incapacité des services préfectoraux à alerter les collectivités territoriales quant aux risques induits par les prêts structurés qu’elles ont contractés. En ce sens, les difficultés liées à la gestion de la dette locale résultent pour partie des insuffisances du contrôle de légalité.
En matière de gestion de la dette, le préfet doit contrôler la légalité des actes administratifs des collectivités territoriales, tant sur un plan formel que matériel. Il doit s’assurer, d’une part, de la conformité de l’emprunt souscrit à l’intérêt général, et d’autre part, de la légalité des délégations de compétence. Ces contrôles trouvaient leur fondement dans la circulaire du 15 septembre 1992, relative aux contrats de couverture de taux d’intérêt offerts aux collectivités et aux établissements publics locaux, et la circulaire du 4 avril 2003, relative aux régimes des délégations de compétences en matière d’emprunt, de trésorerie et d’instruments financiers. La circulaire du 25 juin 2010 relative aux produits financiers offerts aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics est venue se substituer à ces dispositions.
Il est clairement apparu, au cours des auditions, que le contrôle de légalité, réalisé par le préfet, n’a pas permis d’identifier les risques associés aux produits structurés.
Ainsi que l’a rappelé le préfet de la Loire de 2002 à 2006, M. Michel Morin, le contrôle de légalité ne saurait se muer en un contrôle d’opportunité compte tenu du principe de libre administration des collectivités territoriales inscrit à l’article 72 de la Constitution. En pratique, les services préfectoraux, soucieux de respecter le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, n’avaient donc pas forcément les moyens d’exercer un contrôle très approfondi de la gestion de la dette locale : « [Le] contrôle, d’un caractère essentiellement formel, se fait a minima dans la mesure où les collectivités, attachées au respect du principe constitutionnel de libre administration territoriale, n’accepteraient pas que nous allions plus loin ; j’en ai d’ailleurs fait l’expérience. » (98)
Par ailleurs, les services préfectoraux ne disposaient pas toujours d’états financiers pleinement exploitables, ni des conventions d’emprunt dont la transmission par les collectivités n’est pas obligatoire.
D’une part, comme évoqué précédemment dans le rapport, les annexes budgétaires répondant aux instructions M14 (pour les communes) et M52 (pour les conseils généraux) n’étaient pas suffisamment détaillées pour permettre d’identifier la nature spéculative des produits structurés.
D’autre part, la transmission des conventions d’emprunt au préfet était soumise à une réglementation ambiguë. Selon l’article L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales, les conventions relatives aux emprunts doivent être transmises aux préfets. Toutefois, l’article L. 2131-4 du même code prévoit également que les actes relevant du droit privé, dont font majoritairement partie les conventions d’emprunt, ne sont pas soumis à cette obligation et relèvent de dispositions propres. Mettant fin à cette ambiguïté, la circulaire du 25 juin 2010 est venue préciser que : « dans la mesure où le contrat d’emprunt est presque exclusivement un contrat de droit privé et que la délibération autorisant sa signature doit faire apparaître les principales caractéristiques de l’emprunt, il n’a pas à être transmis au préfet (…) En revanche, lors de la conclusion d’un contrat d’emprunt, quand la décision d’emprunt ne fait pas l’objet d’une délibération distincte du contrat, c’est donc la convention relative à l’emprunt qui doit être transmise à l’autorité préfectorale afin de revêtir un caractère exécutoire ».
Face à ce déficit d’information, les services préfectoraux ne sont pas parvenus à identifier la nature spéculative des emprunts structurés et à alerter les juridictions et les autorités compétentes. M. le préfet Michel Morin l’a clairement indiqué à la commission d’enquête, à propos du cas de la ville de Saint-Étienne : « Entre 2002 et 2006, l’endettement de la commune n’augmentait pas et les charges financières allaient même diminuant, du moins jusqu’en 2005. Il n’y avait donc aucun signe d’alerte ; si nous en avions perçu, nous aurions sans doute examiné les choses de plus près. »
En outre, les services préfectoraux n’avaient pas reçu d’instruction particulière en matière de produits structurés de la part de l’administration centrale. La circulaire du 15 septembre 1992 ne portait pas sur les produits structurés, et il a fallu attendre la circulaire du 25 juin 2010 pour actualiser le cadre règlementaire en vigueur. M. le préfet Michel Morin a indiqué devant la commission que les préfets n’avaient jamais été mis en garde contre ces nouveaux types d’emprunt avant la circulaire de juin 2010.
Même si les services préfectoraux avaient disposé d’informations suffisamment détaillées, et d’instructions suffisamment précises, les personnels n’avaient pas forcément la formation nécessaire pour traiter d’enjeux financiers d’une telle complexité. Aujourd’hui encore, il semble que ni la Direction des finances publiques, ni les préfectures n’aient les compétences suffisantes pour analyser des produits financiers complexes et mettre en garde les gestionnaires des collectivités et les agents responsables du contrôle de légalité.
Enfin, les services préfectoraux n’ont que trop rarement été alertés par les assemblées délibérantes. Aux limites du contrôle de légalité que peut conduire le préfet, s’est souvent ajouté un contrôle politique insuffisant par les assemblées délibérantes et plus particulièrement par les élus de l’opposition. S’agissant du cas de Saint-Étienne, M. le préfet Michel Morin l’a indiqué à la commission d’enquête : « Je n’ai pas davantage été alerté par l’opposition municipale – alors que je le fus dans d’autres villes –, sans doute parce qu’elle n’était pas elle-même en mesure d’apprécier le danger. Notez bien qu’il s’agit d’un élément d’explication factuel : notre rôle n’est évidemment pas d’attendre des alertes. »
2.– Des comptables publics laissés sans instructions des services centraux
Plusieurs personnalités auditionnées par la commission d’enquête ont également indiqué que le contrôle de régularité des opérations budgétaires et comptables, réalisé par le comptable public, présentait lui aussi des insuffisances.
À l’instar du contrôle de légalité dont le préfet à la charge, le contrôle de régularité des opérations budgétaires et comptables ne saurait s’apparenter à un contrôle d’opportunité. L’article L. 1617-2 du code général des collectivités territoriales dispose ainsi que le comptable public « ne peut subordonner ses actes de paiement à une appréciation de l’opportunité des décisions prises par l’ordonnateur », ce qui ne saurait être remis en question. En matière d’emprunt, la circulaire du 25 juin 2010 est clairement venue rappeler que « le comptable n’a pas à juger de la forme du contrat d’emprunt du moment que ce contrat a un caractère exécutoire ». Ainsi que l’a observé M. Yves Terrasse, trésorier-payeur général de la Loire de 2000 à 2005 : « Dès lors que la dépense est fondée sur un texte ou s’appuie sur une délibération ayant un caractère exécutoire, et une fois effectués les contrôles de régularité, le comptable doit procéder au paiement : il n’a pas à juger du contenu du contrat. » (99)
Outre la question des insuffisances des annexes budgétaires, qui a déjà été évoquée à plusieurs reprises, les comptables publics ne disposaient pas des pièces justificatives qui auraient pu leur permettre d’identifier la nature spéculative des emprunts structurés. En effet, le décret n° 83-16 du 13 janvier 1983, modifié par le décret n° 2003-301 du 2 avril 2003, qui fixe la production des pièces justificatives nécessaires au contrôle de régularité, n’oblige pas à la transmission des contrats d’emprunt au comptable public. Doivent en revanche être fournis les documents suivants : le tableau d’amortissement, les avis d’échéance et de domiciliation ainsi que la délibération exécutoire ou la décision (100). Le contrôle de régularité en matière d’emprunt est donc nécessairement limité : les vérifications portent en pratique sur le montant de l’annuité par rapport au tableau d’amortissement, et sur le fait que l’emprunt a fait l’objet d’une délibération validée par le contrôle de légalité. Le comptable n’a pas les moyens d’aller plus loin.
Plus encore, jusqu’à la crise financière de 2008 qui a nécessité l’introduction de nouvelles pratiques, le réseau des comptables publics était insuffisamment coordonné. D’une part, les comptables publics ne bénéficiaient d’aucune instruction spécifique quant aux produits structurés et ne pouvaient s’appuyer sur un cadre règlementaire pleinement satisfaisant. Jusqu’à la fin de 2005, le réseau d’experts de la comptabilité publique n’avait reçu aucune instruction de l’administration centrale sur ces nouveaux types d’emprunts : ces instructions ne sont venues qu’en 2008. Les agents ne pouvaient donc que s’appuyer que sur la circulaire de 1992, mais celle-ci ne concerne que les swaps.
D’autre part, les comptables publics ne mutualisaient que peu d’informations relatives aux budgets des collectivités et ne pouvaient que difficilement identifier les difficultés financières liées aux produits structurés. « L’organisation en réseau de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) permet (…) de mutualiser certaines informations issues de nos expériences respectives ; toutefois, jusqu’à la fin de 2005, nous n’avons pas eu d’échanges sur les innovations financières dans les budgets territoriaux, et n’avons pas été conviés aux colloques organisés par les banques, notamment Dexia », a indiqué M. Yves Terrasse.
Enfin, comme les personnels de préfectures, la formation des comptables territoriaux était lacunaire en matière de produits structurés. Depuis la crise de 2008 cependant, un effort semble avoir été réalisé. Si la formation des comptables du Trésor sur ce type d’emprunts était inexistante à l’époque, après la crise de 2008, qui a fait prendre conscience que ces derniers étaient massivement présents dans la dette de certaines collectivités, un effort important, qui avait débuté dès 2007, a été réalisé pour combler cette lacune.
Il est regrettable que la Direction générale des collectivités territoriales ou la Direction générale des finances publiques n’aient pas réagi tout au moins aux publications émanant de professionnels du conseil dans la presse spécialisée destinée aux gestionnaires des collectivités territoriales. Pourtant des articles relayant des inquiétudes et des mises en garde sont parus dès 2004 dans la Gazette des communes sous la plume de Jacques Paquier, puis en 2005 et 2006, sous la plume de M. Olivier Nys, directeur général adjoint de la Ville de Lyon,enfin en avril et octobre 2007, des alertes sur « les dérives qui s’annoncent pour les collectivités » signées de Michel Klopfer, consultant en finances locales et enseignant (101).
Il est regrettable que ces inquiétudes et ces alertes n’aient pas suscité un travail d’analyse des administrations centrales concernées ; elles ont pourtant arrêté de nombreux clients de ces conseils dans la souscription d’emprunts à risque.
3.– Une exception : le rôle d’alerte des juridictions financières
Si les contrôles exercés tant par les services préfectoraux que les comptables publics ont présenté des défaillances, plusieurs juridictions financières et certains services d’inspection ont alerté les collectivités territoriales et les organismes de logement des risques associés aux produits structurés.
Le premier rapport public particulier de la Cour des comptes avait attiré l’attention dès 1991 sur les évolutions que l’on pouvait constater dans le recours à l’emprunt des collectivités, et la diversification des produits, au sein desquels apparaissaient les emprunts en devises. La Cour notait que pour ces emprunts, « les défaillances techniques s’ajoutent aux déconvenues liées au risque de change. Les difficultés de comptabilisation des emprunts en devises ne semblent toujours pas résolues. Les règles formulées par l’instruction n° 85-12 MO du 8 février 1985 avaient précisé les règles à suivre afin, notamment, de réviser périodiquement le montant du capital restant à rembourser en fonction de l’évolution du cours de la devise, mais la Cour constatait que ces règles ne paraissent pas encore bien appliquées.
Quant aux chambres régionales des comptes, certaines d’entre elles avaient également émis des inquiétudes quant aux difficultés posées par les produits structurés. M. Marc Larue, président de section à la chambre régionale des comptes de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, a ainsi rappelé à la commission d’enquête que la chambre avait mis en garde les gestionnaires contre la complexité et les risques induits par les produits structurés au cours de ses contrôles ; et ce, dès l’année 2005 (102).
S’agissant des organismes de logement social, la mission interministérielle d’inspection du logement social (Miilos), dont le chef M. Denis Vilain a été auditionné par la commission d’enquête, avait identifié des problèmes liés aux produits structurés lors de contrôles réalisés en 2006, et avait plus largement attiré l’attention sur les risques posés par l’endettement des organismes du logement social dans un rapport annuel de 2006, paru en 2007 (103). Deux préconisations avaient été régulièrement formulées par la Miilos dans ses rapports annuels : la première appelait les directions d’organismes de logement social à faire le point sur la structure de leur endettement et à identifier les risques qui pouvaient lui être associés ; la seconde consistait en la promotion d’un encadrement plus étroit du recours aux emprunts structurés.
Plusieurs facteurs expliquent que les juridictions financières et les services d’inspection aient pu détecter les problèmes liés aux produits structurés, contrairement aux services préfectoraux et aux comptables publics dont les contrôles sont restés inopérants.
D’une part, M. Patrick Barbaste, premier conseiller à la chambre régionale des comptes d’Alsace, a indiqué à la commission d’enquête que le profil varié de ses équipes, l’information et les formations qui ont pu leur être dispensées, de même que le recours à des consultants extérieurs ont donné à la juridiction les moyens de mener à bien sa mission de contrôle et d’alerte (104).
D’autre part, M. Denis Vilain, chef de la Miilos, a fait observer que les contrôles périodiques que la mission réalise auprès des organismes de logements sociaux, même s’ils ne permettent pas d’offrir un panorama exhaustif de la situation financière des établissements en question, servent de base solide à sa mission d’alerte dont les rapports annuels sont l’expression la plus aboutie (105).
En dépit des alertes données par les juridictions financières et les services d’inspection, celles-ci ont semblé impuissantes à prévenir la réalisation des risques liés aux produits structurés.
Tout d’abord, les services d’inspection n’effectuant qu’une mission de contrôle et non de conseil, les gestionnaires ne se sont pas toujours approprié les préconisations délivrées par dans les rapports. M. Denis Vilain a indiqué à la commission d’enquête les limites inhérentes aux activités de son service d’inspection : « (Le) rapport est traditionnellement le canal d’expression de nos synthèses et c’est le seul. (…) La Miilos, dans son activité, dans ses rapports de contrôle, n’a pas à prodiguer de conseil : elle applique la séparation entre le contrôle et le conseil. En revanche, dans ses rapports annuels, elle donne une alerte, elle rend publiques ses préoccupations et elle les assortit de préconisations. » (106).
Plus encore, faute d’une coordination des actions et d’une mutualisation des informations suffisantes entre les juridictions financières, les services préfectoraux et la Direction générale des finances publiques, les préfets et les comptables publics n’ont parfois pas su réagir aux alertes des juridictions. Ainsi que l’a indiqué M. Yves Terrasse, trésorier-payeur général de la Loire de 2000 à 2005, à la commission d’enquête, les informations délivrées par la chambre régionale des comptes étaient insuffisantes pour justifier d’une action des services de l’État dans le cas de Saint-Étienne : en effet, la chambre régionale des comptes avait rédigé un premier rapport, mais il s’arrêtait en 2004 et ne portait que sur le problème de l’endettement global, non sur la structure de cet endettement. L’analyse détaillée sur ce dernier point n’a été réalisée que dans le rapport de 2010. » (107)
4.– La Commission bancaire : une préoccupation davantage tournée vers le bon fonctionnement du système bancaire que vers la protection du client
Dès le début des années 2000, la Commission bancaire, dans ses rapports annuels, a régulièrement émis des inquiétudes quant aux risques induits par la situation d’endettement des collectivités territoriales, pointant le recours croissant aux produits de restructuration de dette (108).
Si la Commission bancaire faisait état d’une situation financière globalement positive en matière de finances locales, elle soulignait toutefois les risques que faisaient peser un marché du financement local de plus en plus concurrentiel, et une offre bancaire de plus en plus diversifiée.
En premier lieu, les rapports soulignaient la faiblesse des marges nettes des établissements bancaires et enjoignaient les prêteurs à veiller à la rentabilité des opérations de crédit, à identifier de manière exhaustive les produits commercialisés et à estimer le risque de défaut des bénéficiaires de crédit.
Par ailleurs, les tensions financières pouvant être observées dans certaines collectivités étaient évoquées dans les rapports, la Commission bancaire appelant les établissements bancaires à faire preuve d’une vigilance accrue.
Enfin, dans un contexte marqué par l’essor de l’intercommunalité, les rapports faisaient également état de la complexité des relations financières et juridiques entre les collectivités territoriales et leurs établissements, et soulignaient la difficulté d’appréhender les risques financiers de manière globale.
En outre, il convient également de rappeler qu’après la crise de 2008, plusieurs rapports d’inspection relatifs à la commercialisation de produits structurés par certains établissements bancaires avaient été réalisés par la Commission bancaire.
La particularité des services financiers et d’assurances, marquée par la forte asymétrie d’information entre les clients et le professionnel financier a été prise en compte lors de la création de l’Autorité de contrôle prudentiel par l’ordonnance du 21 janvier 2010 ratifiée le 22 octobre 2010. L’Autorité, qui, on le rappelle, regroupe quatre organismes de surveillance dont la Commission bancaire, est en effet investie de la mission de veiller au respect des règles destinées à protéger la clientèle ; règles résultant de dispositions législatives, réglementaires, issues des bonnes pratiques des professions ou de codes de bonne conduite. Son champ d’intervention a été largement défini, incluant la publicité, l’information précontractuelle, le devoir de conseil jusqu’au déroulement du contrat.
III.– LE SOUTIEN NÉCESSAIRE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE
Face à ce constat, la commission d’enquête s’est efforcée de réfléchir sur les solutions à apporter. Alors que s’esquisse la perspective d’un resserrement du crédit bancaire offert aux acteurs locaux, il convient de proposer à la fois des réformes visant à garantir que le secteur local ne connaisse pas de pareilles dérives. Dans le même temps, la commission d’enquête souhaite que l’État joue effectivement son rôle pour résorber la partie toxique de l’encours des prêts aux collectivités territoriales et établissements publics locaux, au moyen d’une solution globale qui ne repose ni sur la solidarité nationale, ni sur le traitement particulier.
Elle appelle donc à la mise en place rapide de deux chantiers :
– pour l’avenir, la mise en place un cadre législatif encadrant les modalités d’emprunt des collectivités et acteurs locaux ;
– pour l’apurement du stock existant, l’organisation, sous l’égide de l’État, d’un regroupement des acteurs publics locaux afin de négocier une solution de sortie des produits structurés, non plus acteur par acteur, mais produit par produit.
A.– LE FINANCEMENT DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES, UNE PRIORITÉ NATIONALE
1.– Le rôle majeur des collectivités dans l’investissement public
Le mouvement de décentralisation amorcé il y a aujourd’hui trente ans a conduit à transférer aux collectivités territoriales un poids croissant dans la réalisation et la gestion des équipements publics. En particulier, « l’acte II de la décentralisation », mis en place par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, a organisé des transferts de compétences aux collectivités territoriales qui ont également induit un recours accru à l’emprunt par les départements et les régions.
Les investissements locaux ont ainsi connu jusqu’en 2009 une nouvelle dynamique liée au développement de l’intercommunalité, favorisée par la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale. Les transferts de compétence dont ont bénéficié les nouveaux EPCI ont favorisé « une dynamique propre d’investissement, donc d’endettement » (109).
Plus récemment, les régions ont réalisé des investissements importants, notamment dans le domaine ferroviaire.
Ainsi, le double mouvement de développement de leurs compétences et de relatif désengagement de l’État a conduit les collectivités territoriales à effectuer 71,5 % du total des investissements publics en France en 2010.
POIDS DES INVESTISSEMENTS DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES LOCALES
DANS L’INVESTISSEMENT PUBLIC GLOBAL
(en pourcentage)
Année |
Pourcentage de l’investissement public global |
1950 |
44,3 % |
1960 |
53,7 % |
1970 |
58,8 % |
1980 |
65,9 % |
1990 |
68,3 % |
2000 |
70,8 % |
2008 |
73,4 % |
2009 |
70,7 % |
2010 |
71,5 % |
Source : Insee, Comptes nationaux - base 2005.
En 2010, les dépenses d’investissement des collectivités ont ainsi représenté 64 milliards d’euros, soit 30,1 % de leurs dépenses, effectuées en large partie par les communes et leurs groupements.
MONTANT AGRÉGÉ DES DÉPENSES D’INVESTISSEMENTS
DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES EN 2010
Montant |
Évolution annuelle | |
Bloc communal |
38,3 |
– 2,4 % |
Départements |
15,5 |
– 11,2 % |
Régions |
10,2 |
+ 15,2 % |
Total |
64,0 |
– 6,9 % |
Source : Les finances des collectivités locales en 2011, Rapport de l’Observatoire des finances locales, sous la direction de M. André Laignel, président, et M. Charles Guené, rapporteur, 12 juillet 2011.
Si en 2009, le plan de relance et l’anticipation des versements du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée ont permis de maintenir le niveau de l’investissement par rapport à l’année précédente, en 2010, les dépenses d’investissement ont subi le contrecoup de l’anticipation de 2009 et de la conjoncture économique fragile.
Les organismes en charge du logement social participent aussi à cette dynamique. L’Union sociale pour l’habitat (110) évalue, compte tenu de la diversité de leurs structures, leur investissement total à 13 milliards d’euros en 2009.
Les établissements publics de santé ont également un rôle non négligeable : en 2009, leur investissement a atteint 6,8 milliards d’euros (111), en hausse de 12 % depuis 2002. Ce montant résulte de la mise en œuvre des différents plans d’investissement : le Plan Hôpital 2007 a ainsi engendré de 16 milliards à 18 milliards d’euros d’investissements, dont 5 milliards restent à réaliser. L’endettement des hôpitaux, qui était faible en 2002, a été multiplié par dix entre 2002 et 2009, passant de 350 millions d’euros à plus de 3 milliards, soit 46 % des investissements.
2.– L’insuffisante liquidité du marché du crédit pèse sur les collectivités
Au cours de la décennie précédente, le développement des investissements des acteurs locaux a pu globalement s’appuyer sur une progression de l’endettement, dans un contexte où les offres de prêt ne manquaient pas. Les circonstances sont aujourd’hui différentes, laissant craindre un financement plus difficile dans les prochains mois.
a) Des tours de tables difficiles à boucler
La recomposition en cours du marché des prêts aux collectivités territoriales conduit à un resserrement des offres de crédit, pouvant potentiellement affecter les projets en cours de financement.
Une étude réalisée par l’Association d’étude pour l’agence de financement des collectivités territoriales (112) montre ainsi que « les banques semblent vouloir se désintéresser durablement du secteur local ».
Si pour les collectivités comptant moins de 10 000 habitants, entre 59 et 65 % des offres de crédits permettent de couvrir l’intégralité de l’investissement, les communes de plus de 50 000 habitants semblent les plus touchées : les questionnaires recueillis par l’association indiquent que les banques n’ont répondu, en 2011, à la totalité du volume demandé par ces collectivités que dans 30 % des cas.
Même pour des montants relativement modestes, les offres individuelles correspondant à la totalité de la demande deviennent rares. Pour des consultations situées entre 5 et 9 millions d’euros, le volume moyen proposé par les banques est de 28 % de la somme demandée (hors réponses négatives). Dans une majorité de cas, les collectivités sont contraintes de multiplier les emprunts auprès de plusieurs prêteurs afin de parvenir au volume souhaité. En conséquence, elles souscrivent, pour partie, à des offres qui se situent dans le haut de la fourchette en termes de marges proposées.
Les établissements bancaires évoquent notamment, pour justifier un désengagement du marché du prêt aux acteurs locaux, de nouvelles règles prudentielles dites de « Bâle III » limitant leur financement de long terme et imposant d’avoir beaucoup plus de ressources liquides, règles qui leur seront applicables partiellement dès 2013 et progressivement jusqu’en 2018. Les acteurs locaux ayant pour obligation de déposer leurs liquidités auprès du Trésor, ils ne constituent pas une clientèle susceptible de générer de l’épargne bilancielle pour les banques – quelque soit par ailleurs l’excellence de la signature de ces acteurs (113).
Ainsi, en mars 2011, l’encours de dette des administrations publiques locales avait baissé de 4 milliards, à 156,5 milliards d’euros (114).
Face à la raréfaction de l’offre bancaire, l’ajustement se fait par les prix. Certaines collectivités doivent payer un coût nettement plus élevé que les entreprises alors qu’elles sont mieux notées. Selon l’enquête de l’Association d’étude pour l’agence de financement des collectivités territoriales, « Alors qu’il y a un an à la même période, la fourchette des marges sur Euribor pour des offres à 15 ans s’établissait entre 40 et 65 points de base (moyenne de 56 points de base à la mi-2010 selon Finance Active), le bas de la fourchette est désormais voisin de 100 points de base (et le haut de 200 points de base). »
b) Les émissions obligataires ne sont accessibles qu’aux grandes collectivités
Face au resserrement du crédit bancaire, l’emprunt obligataire constitue un moyen de financement direct pour les collectivités territoriales, et en particulier les plus importantes d’entre elles, sur le marché des capitaux. Ces émissions obligataires peuvent se faire par placement privé auprès d’un petit nombre de souscripteurs qui achèteront la totalité de l’émission, ou par émission sur le marché obligataire public.
Cependant, les emprunts qui font l’objet d’un appel public à l’épargne sont soumis à une réglementation spécifique destinée à protéger les épargnants et à assurer le bon fonctionnement des marchés financiers. Les collectivités locales doivent se conformer aux règles applicables à tous les emprunteurs et à celles qui régissent l’émission de titres, l’appel public à l’épargne et, le cas échéant, l’admission à la cote.
La Cour des comptes observe, dans son rapport public thématique de juillet 2011 (115) que, si le début des années 1990 a connu un développement de ces émissions, avec la présence d’émetteurs réguliers (dont notamment la région Île-de-France, la ville de Paris et le département des Hauts-de-Seine), le volume ensuite a brusquement chuté : en 1993, il représentait 1,1 milliard d’euros, avant de diminuer considérablement pour se réduire à 200 millions d’euros en 2002.
Au 31 décembre 2010, le financement désintermédié (hors billets de trésorerie) s’élevait à 5,6 milliards d’euros pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics, qui sont essentiellement représentés par les régions et les communautés urbaines. En effet, les contraintes réglementaires et techniques, tels que la notation par les agences spécialisées, rendent impossibles les émissions de petit volume.
Des émissions syndiquées par plusieurs collectivités territoriales ont également été mises en oeuvre sous l’impulsion de l’Association des communautés urbaines de France (ACUF). Cinq émissions obligataires ont ainsi été lancées entre 2004 et 2008 par onze puis quatorze communautés urbaines, pour des montants de 100 à 120 millions d’euros, sur vingt ans.
Malgré ces initiatives diverses (116) et le succès rencontré par les émissions réalisées, celles-ci restent un moyen de financement réservé aux émetteurs réguliers ayant une certaine assise financière : les emprunts désintermédiés ne représentent aujourd’hui que 3 % de l’encours total de la dette locale, alors qu’ils représentent plus de 40 % de l’encours de la dette des collectivités territoriales en Allemagne (117).
Cependant, face au risque d’un désengagement des établissements bancaires du marché des prêts au secteur local, la commission d’enquête souhaite qu’un plus grand encouragement soit donné par l’État à la mise en place de ces solutions de financement, notamment en apportant une plus grande assistance technique aux collectivités territoriales qui en ferait la demande.
3.– La puissance publique doit s’impliquer davantage
Issue d’une fusion concrétisée en 1996 entre le Crédit communal de Belgique et le Crédit local de France, société anonyme à caractère commercial issue de la privatisation en 1987 de la Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales (CAECL), Dexia était jusqu’en 2008 le premier prêteur aux collectivités territoriales françaises, représentant 42 % du marché. À la suite d’une forte croissance externe, elle comprenait en outre des activités notables au Luxembourg et en Turquie.
Pour accroître la rentabilité de l’établissement, le choix avait été fait de financer une grande partie de ses prêts et placements de long terme par une dette à court terme, moins onéreuse que l’endettement de long et moyen terme. Si un tel choix permet des marges élevées, il est également extrêmement risqué car il fait dépendre le financement de la banque du marché interbancaire qui lui apporte l’essentiel de cette dette à court terme.
La structure financière si caractéristique de Dexia tirait peut-être son origine de son activité de prêts aux collectivités territoriales. Cette activité génère un besoin de financement structurel par le fait que les collectivités territoriales françaises ne peuvent effectuer de dépôt auprès de leurs établissements de crédit. En conséquence, ce surplus d’actifs doit trouver un financement qui soit suffisamment peu onéreux – donc plutôt de court terme – pour garantir le maintien des marges.
Quand la défiance entre banques apparaît et conduit à la fermeture du marché interbancaire, comme en 2008, ou à sa réduction brutale, comme constaté à partir d’août 2011, Dexia s’est trouvé dans l’incapacité de mobiliser les fonds nécessaires au remboursement de sa dette à court terme. C’est ainsi qu’en 2008, une aide de 6 milliards d’euros lui avait été consentie pour faire face à ce besoin de financement que le marché interbancaire lui refusait.
En outre, la situation critique de Dexia pourrait également être la conséquence de mauvais placements réalisés jusqu’en 2008. L’établissement détiendrait notamment, pour des montants inconnus, des produits financiers de mauvaise qualité, des « subprimes » dont la valeur dépend de l’évolution du marché immobilier américain et a fortement chuté depuis la crise financière.
L’aggravation de la crise de la dette souveraine, au mois d’août 2011, sa transformation en crise boursière et les incertitudes pesant sur la situation financière des établissements de crédit de la zone euro conduisent à une raréfaction du crédit sur le marché interbancaire. En dépit des efforts accomplis, Dexia demeure largement dépendante de ces financements. Son incapacité à faire face à ses prochains engagements explique le recours à la garantie des États et le constat d’une nouvelle crise de liquidité semble prouver que la banque est trop fragile pour affronter le contexte financier difficile en zone euro. L’unique solution est donc son démantèlement en bon ordre.
Dans ce cadre, les États belge, français et luxembourgeois se sont engagés à garantir 90 milliards d’euros de financements obtenus par Dexia. La part de la France dans cette garantie s’établit à 32,85 milliards d’euros et couvre les financements levés jusqu’au 31 décembre 2021, sans limite de maturité.
L’État s’engage également à hauteur de 6,65 milliards d’euros pour garantir des prêts aux collectivités territoriales qui pourraient être restructurés et permettre ainsi la reprise par la Caisse des dépôts de la filiale de Dexia consacrée à cette activité.
Dexia Municipal Agency, qui assure le financement des collectivités territoriales françaises, aujourd’hui filiale à 100 % de Dexia, serait cédée à la Caisse des dépôts, pour 65 % de son capital, et à la Banque postale pour 5 %. Le reste, soit 30 %, demeurerait, pour l’instant, la propriété de Dexia, sachant que la Banque postale pourrait s’en porter acquéreur à court ou moyen terme.
Une co-entreprise détenue respectivement à 65 % et 35 % par La Banque Postale et la Caisse des dépôts serait créée. Cette entité aurait pour fonction de concevoir et de distribuer des prêts aux collectivités locales françaises, prêts refinancés via Dexia Municipal Agency. Ce nouvel outil s’appuierait, au travers d’un contrat de services, sur les structures existantes de Dexia Crédit Local, la Caisse des dépôts et La Banque Postale.
Cependant, cette nouvelle structure ne viendra pas immédiatement remplacer l’offre de prêts de Dexia – même si sa part de marché avait chuté à 11 % de l’ensemble des prêts aux collectivités territoriales. Elle devrait être opérationnelle au plus tôt à partir de juin 2012 (118), le temps d’obtenir l’agrément, d’élaborer un système d’information et un modèle interne de contrôle des risques. Il faudra également former les équipes de la Banque postale qui ne connaissent pas ce nouveau métier.
Ainsi les signes inquiétants – disparition d’un acteur majeur, désengagement des autres établissements bancaires, diminution globale de la masse de prêts – laissent augurer des difficultés pour le financement des investissements des acteurs locaux dans les prochains mois, justifiant une intervention de la puissance publique.
le dÉmantÈlement de dexia Faisant suite au plan négocié par le Gouvernement français avec les autorités belges et luxembourgeoises, l’article 4 de la troisième loi de finances rectificative pour 2011 (n° 2011-1416 du 2 novembre 2011) a autorisé le ministre de l’Économie à accorder au groupe bancaire la garantie de l’État sous deux formes distinctes : – une garantie de financement, pour un montant maximal de 32,85 milliards d’euros (I de l’article 4) ; – une garantie supplémentaire contre d'éventuelles pertes liées à la restructuration de certains prêts aux collectivités locales françaises, à concurrence de 6,65 milliards d’euros et après franchise (II du même article). ● La banque va céder tous les actifs qui peuvent l'être, ou devoir leur trouver des partenaires : cela concerne notamment la banque de détail en Belgique, l'activité de financement des collectivités locales en France (Dexia Municipal Agency), la filiale turque DenizBank. Ne resteraient, à moyen terme, dans la coquille Dexia (constituée de la holding Dexia SA et d’une filiale principale Dexia Crédit local) que quelques actifs, dont un portefeuille de titres hérité de la gestion précédente. Ce portefeuille comprend environ 95 milliards d'euros d'obligations, 2,7 milliards supplémentaires de titres américains et un peu moins de 30 milliards d'engagements sur des collectivités dans le monde, soit 125 milliards au total. Les obligations dans ce portefeuille sont, pour l'essentiel, de bonne qualité et ont, par nature, une durée de vie. Celle-ci est de 12 ans en moyenne. Il suffit donc, en théorie, d'attendre qu'elles arrivent à échéance. Toutefois ces titres ont été achetés à l'époque avec des fonds empruntés sur les marchés, avec une échéance plus courte. Il faut donc régulièrement renouveler ces emprunts en trouvant de nouveaux fonds sur les marchés. La garantie proposée par les États porterait sur ces nouveaux emprunts, pour permettre à Dexia, réduit à sa plus simple expression, d'attirer des investisseurs disposés à lui prêter, en attendant que la totalité des actifs du portefeuille soit arrivé à échéance. Sur la forme, la garantie prévue au I de l’article 4 est identique à celle déjà accordée à Dexia en 2008. Cette première garantie n'avait rien coûté à l’État français et lui avait même permis d'abonder le budget général grâce à la rémunération versée par Dexia en contrepartie. Sans impact immédiat sur les finances publiques, la garantie n'est pas pour autant sans risque. Si Dexia venait à ne pas rembourser un ou plusieurs emprunts réalisés sur les marchés, les États s'y substitueraient et honoreraient alors les créances, ce qui aurait un coût équivalent pour le budget. ● Le second étage prévu au II consiste pour l'État à garantir les 10 milliards d'encours de prêts structurés aux collectivités locales, considérés comme risqués, et qui devraient faire l'objet d'une restructuration. Cette estimation de l’encours « toxique » des prêts structurés vendus par Dexia semble très approximative ; elle se fonde probablement sur l’évaluation récente de la Cour des comptes, effectuée par sondages, mais dont les magistrats financiers ont eux-mêmes souligné les limites. Par ailleurs, l’État admet implicitement – pour la première fois – que les établissements de crédit ayant consenti des prêts structurés ne recouvreront pas l’intégralité de leur créance ; jusqu’alors, les préfets avaient pour consigne de s’opposer à toute défaillance d’une collectivité et d’inscrire d’office dans les budgets locaux les annuités d’emprunts même toxiques. Ce portefeuille de créances douteuses va être repris par Dexia, l'État apportant une sorte de contre-garantie selon les modalités suivantes : jusqu'à 500 millions d'euros de pertes constatées après restructuration, les pertes seront assumées par Dexia, et au-delà de cette franchise, elles seront assumées à 70 % par l'État et à 30 % par Dexia. Ainsi, si 1 milliard de pertes devaient être constatées, il en coûterait 650 millions à Dexia et 350 millions à l'État. |
b) Au-delà des fonds débloqués par la Caisse des dépôts, les incertitudes sont nombreuses
Afin de faire face à ce resserrement du crédit, le Premier ministre a annoncé le 7 octobre 2011 la mise en place par l’intermédiaire de la Caisse des dépôts et consignations d’une enveloppe exceptionnelle de trois milliards d’euros, portée à cinq milliards d’euros le 22 novembre 2011, de prêts sur fonds d’épargne aux collectivités territoriales, ainsi qu’aux établissements hospitaliers.
Les projets finançables devront avoir été inscrits au budget d’investissement 2011, ou au budget d’investissement 2012 de la collectivité à condition que le prêt correspondant soit engagé avant le 31 mars 2012 et dans la limite de 20 % de l’enveloppe globale de trois milliards d’euros.
La moitié de cette enveloppe sera distribuée directement par la Caisse des dépôts et consignations. L’autre moitié prendra la forme de prêts de refinancement accordés aux établissements de crédit par le biais d’une adjudication qui a été souscrite par les principales banques françaises.
Les prêts proposés aux collectivités territoriales et établissements publics hospitaliers auront une durée maximale de 15 ans. Ces prêts financeront au maximum 50 % du besoin d’emprunt. Si le besoin d’emprunt est inférieur à un million d’euros, la totalité du besoin pourra être couverte.
Quatre types d’emprunts seront proposés : des emprunts à taux variables indexés soit sur le taux du livret d’épargne populaire, soit sur l’Euribor, soit sur l’inflation et des emprunts à taux fixe, d’environ 4,5 % pour des prêts à 15 ans.
c) La création d’une agence de financement des collectivités territoriales
À la suite de la réalisation, sous l’égide de l’association des communautés urbaines de France (ACUF), de plusieurs émissions obligataires groupées, l’idée de créer une structure pérenne de financement des collectivités territoriales s’est fait jour, afin de proposer à ses adhérents des prêts refinancés sur le marché obligataire.
C’est ainsi que l’association d’étude pour l’Agence de financement des collectivités locales (AEAFCL) a été créée en avril 2010 par l’association des maires de France (AMF), l’association des maires de grandes villes de France (AMGVF) et l’ACUF, bientôt rejointes par les autres associations d’élus locaux. L’agence propose de mettre en place une nouvelle offre permettant aux collectivités territoriales d’aller chercher directement de l’argent sur les marchés, en complément de l’offre bancaire traditionnelle.
La future agence de financement des investissements locaux serait constituée, à sa tête, par un établissement public industriel et commercial (119). Composé d’élus de différents niveaux de collectivité, il fixerait les orientations stratégiques et sera actionnaire d’une société anonyme (SA) chargée de la gestion opérationnelle. Celle-ci emprunterait pour les collectivités locales sur les marchés financiers. Elle ne proposerait que des prêts à taux fixe ou variable, sous forme de crédits amortissables, mais aucun produit structuré.
Les collectivités intéressées pourront adhérer à l’agence sous la forme d’un droit d’entrée remboursable apporté au capital social initial. Cependant, l’adhésion ne vaudra pas droit de tirage automatique. Les collectivités sollicitant des liquidités devront faire valoir leur bonne santé financière et notamment un niveau d’endettement acceptable qui sera apprécié par l’agence elle-même. Le mécanisme, encore à préciser, doit permettre à « chaque collectivité éligible d’emprunter chaque année la moitié de ses besoins » (120).Les promoteurs de l’agence estiment que, en dix ans, celle-ci devrait occuper le quart du marché des prêts aux collectivités, estimé aujourd’hui à un peu plus de 20 milliards d’euros.
Le modèle de cette agence mutualiste existe aujourd’hui au Danemark, en Finlande, en Norvège, aux Pays-Bas et en Suède. Ailleurs, comme au Royaume-Uni, une agence adossée au Trésor public a en charge la délivrance de prêts bonifiés. Certains ont pu dénoncer le risque inflationniste d’une offre de crédit pilotée par les collectivités territoriales elles-mêmes (121).
Cependant, si la diversification des sources de financement du secteur public local par un appel direct aux marchés financiers apparaît utile, les modalités de création et de fonctionnement de l’agence posent cependant différentes questions dont la résolution conditionne la crédibilité du projet.
Selon ses promoteurs, l’agence pourrait fonctionner sans la garantie de l’État ; l’établissement public apporterait sa garantie sur l’intégralité de la dette, et les collectivités elles-mêmes à hauteur de leur part dans le capital social.
Par ailleurs, la gouvernance par des responsables locaux, eux-mêmes intéressés dans la distribution de prêts, pourrait affecter l’évaluation du risque fait par les marchés. Seule une forte crédibilité dans la solidité et la pérennité de la structure, ainsi que dans l’absence de collectivités en difficulté, lui permettra de bénéficier d’un financement à des taux intéressants sur les marchés, dans une période d’aversion pour le risque de défaut potentiel des organismes publics.
Dans l’immédiat, cette agence ne pourra voir le jour qu’à la faveur de plusieurs mesures législatives, permettant notamment à plusieurs collectivités territoriales de créer ensemble l’établissement public en charge de la gouvernance de la structure.
À terme, cette nouvelle structure pourrait cependant apparaître, pour les collectivités et établissements publics de taille moyenne, comme une alternative à l’émission directe d’emprunts obligataires. Il conviendrait ainsi, que les dispositions législatives nécessaires puissent être adoptées afin que cette structure puisse voir le jour.
B.– L’ENCADREMENT STRICT, POUR L’AVENIR, DES MODALITÉS D’ENDETTEMENT DES COLLECTIVITÉS
Les auditions menées par la commission d’enquête ont montré que l’absence de toute limite effective aux instruments financiers susceptibles d’être souscrit par les collectivités et établissements publics locaux, loin d’être une garantie de leur libre administration, pouvait se révéler, en particulier pour les plus petits d’entre eux, source d’incertitudes et de décisions contestables. Si l’article 72 de la Constitution en a fait un principe fondamental, il n’exclut pas que l’État puisse, par la loi, encadrer les modalités de financement des investissements des collectivités.
La commission d’enquête propose ainsi de mettre en place un cadre législatif organisant les modalités d’endettement et le type de produits financiers susceptibles d’être proposés par les établissements bancaires.
1.– Une solution à écarter : un énième renforcement des obligations d’information
Face aux difficultés rencontrées par des clients devant des contrats complexes et difficiles à appréhender, présentés par des fournisseurs tels que les établissements bancaires, le législateur a longtemps eu comme réaction de renforcer les garanties offertes aux clients, particuliers comme institutionnels, en termes d’information obligatoirement portée à son attention.
Ainsi, à titre d’exemple, la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière a procédé à la réforme du régime des obligations des intermédiaires spécialisés dans les services financiers afin d’améliorer la protection de la clientèle, en prévoyant une immatriculation unique de tous les intermédiaires, un renforcement des obligations des intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement, la clarification et l’encadrement du démarchage bancaire et financier, et l’élargissement des compétences de l’Autorité de contrôle prudentiel en matière de codes de bonne conduite et de règles de bonnes pratiques professionnelles.
Cependant, à l’occasion des auditions qu’elle a menées (122), la commission d’enquête a pu constater que ce n’est pas le manque d’information qui a conduit les élus et responsables locaux à souscrire des emprunts structurés, mais l’absence de compétence financière pour en comprendre tous les enjeux. Comme l’a résumé le président de la XIe Chambre civile de la Cour constitutionnelle allemande, commentant un jugement relatif à un emprunt structuré souscrit par une petite entreprise, « ce n’est pas parce qu’on peut lire un poème qu’on peut en comprendre le sens ».
Le quatrième engagement de la Charte Gissler prévoit que « les établissements bancaires reconnaissent le caractère de non professionnel financier des collectivités locales » et qu’ils doivent leur fournir « une analyse de la structure des produits et de leur fonctionnement, en mentionnant clairement les inconvénients et les risques des stratégies proposées » et « une expression des conséquences en termes d’intérêts financiers payés notamment en cas de détérioration extrême des conditions de marché (« stress scenarii ») : grille de simulation du taux d’intérêt payé selon l’évolution des indices sous-jacents ».
Ces principes de bon sens pourraient faire l’objet d’une inscription dans la loi, afin qu’ils puissent être opposables à l’ensemble des établissements bancaires et des acteurs locaux concernés.
L’ajout de pages d’explication et de mise en garde non circonstanciées n’apparaît donc pas comme une solution à même d’éclairer les élus et responsables locaux, et en particulier ceux qui ne peuvent se consacrer à plein temps aux questions financières.
C’est donc avant tout au législateur qu’il convient d’encadrer les instruments susceptibles d’être souscrits par les collectivités et établissements publics locaux.
2.– La restriction des produits financiers accessibles aux acteurs publics
a) Le refus de fonder une discrimination dans l’accès à certains produits financiers sur la taille des collectivités et établissements publics
Les auditions menées par la commission d’enquête ont révélé combien les élus locaux et responsables de petits établissements publics ont pu se retrouver démunis face à des offres des établissements bancaires semblant présenter toutes les garanties, sans disposer des moyens d’évaluer les risques sous-jacents aux offres.
Il convient de rappeler que dans les communes de moins de 10 000 habitants, comme dans les établissements publics de moins de 20 000 habitants, la réglementation existante ne permet la création que d’un seul emploi fonctionnel de direction (123). Le directeur général des services, seul cadre administratif, ne peut consacrer qu’un temps limité aux questions purement financières. Malgré leur dévouement, le crédit temps accordé aux élus locaux (124) ne peut leur permettre de manière générale de suppléer ce manque de moyens de gestion financière.
Par ailleurs, leur volume d’investissement n’est souvent pas suffisant pour leur permettre de mettre en place une diversification des instruments d’endettement, afin de limiter les risques inhérents à certains produits financiers.
Il est donc difficile pour ces personnes publiques de mettre en place une gestion active de la dette.
Cependant, votre rapporteur juge qu’il serait discriminatoire de limiter le choix des petites collectivités, établissements publics de santé dont le ressort est local et organismes en charge du logement social de taille limitée, parmi les seuls produits financiers tels que les emprunts à taux fixe ou les emprunts à taux variable indexés sur un indice de la zone euro, présentant une évolution linéaire plus aisément déterminable.
Il convient de faire confiance aux élus et responsables locaux, afin qu’ils déterminent eux-mêmes les produits financiers qu’ils sont à même de maîtriser.
L’ensemble des autres garanties fournira un cadre suffisant limitant les risques que peuvent prendre les acteurs publics locaux, quelle que soit leur taille.
b) L’interdiction des produits structurés ou dérivés avec multiplicateur
Si la libre administration des collectivités et l’autonomie de gestion des établissements publics doivent être préservées, il apparaît aussi à votre rapporteur que la souscription de certains produits, parmi les plus risqués, ne peut être justifiée par l’intérêt public.
Le code général des collectivités territoriales (CGCT) pose le principe que chaque collectivité a pour mission de régler les affaires correspondant à ses compétences (125). L’engagement des finances locales ne peut se faire qu’en poursuivant un intérêt général présentant un caractère local.
La charte Gissler a permis de mettre en place une première échelle d’appréciation des risques pris par les acteurs locaux les ayant souscrits. Les produits à effet de levier y sont justement classés parmi les produits les plus risqués : classement D pour les produits présentant un effet multiplicateur de l’indice sous-jacent inférieur ou égal à 3 ou inférieur à 5 avec un cap, classement E pour les produits présentant un effet multiplicateur de l’indice sous-jacent inférieur ou égal à 5 ; classement hors charte pour les produits ayant un effet multiplicateur supérieur.
De la même façon, les ventes d’options peuvent conduire les taux d’intérêt à évoluer de façon non linéaire, dès le passage d’un seuil prédéterminé par un indice ou d’un rapport entre deux indices.
Pour toutes ces catégories de produits, une variation de l’indice sous-jacent va se traduire par une variation supérieure des charges d’intérêt qu’aura à subir la collectivité, avec une forte volatilité rendant illusoire toute prévision du coût total de ces crédits à moyen et long terme. Ils présentent donc un caractère spéculatif qui n’apparaît pas compatible avec une utilisation des deniers publics à des fins d’intérêt général et devraient donc faire l’objet d’une interdiction pour toutes les personnes publiques.
La circulaire du 25 juin 2010 (126) qualifie de spéculatif et contraire à l’intérêt local le seul usage spéculatif des instruments de couverture, en ne déconseillant que certains produits particulièrement risqués (127).
À titre de comparaison, il est possible de noter que dans le domaine des placements, le législateur a permis la création de fonds à effet de levier (Aria EL) à règles d’investissement allégées, mais ces instruments de gestion alternative ne peuvent être souscrits par tous les investisseurs, et en particulier jamais par les investisseurs non professionnels. C’est la défense de l’intérêt général qui confère au législateur la légitimité de mettre en place des « garde-fous » applicables au choix des instruments financiers par les collectivités territoriales
c) La mise en place d’un capping global pour tous les prêts aux collectivités territoriales, aux hôpitaux ou aux organismes du logement social
L’étude des formules d’évolution de plusieurs contrats de prêts communiqués à la commission d’enquête a montré que la charge d’intérêt de certains emprunts, et notamment ceux indexés sur des taux de change entre le franc suisse et une autre devise, pouvait atteindre des pourcentages inédits, jusqu’à dépasser 24 % (128).
Pourtant la législation française prévoit deux mécanismes d’encadrement des taux d’intérêt des prêts, sensés garantir l’emprunteur contre des pratiques de prêts à intérêt jugés inacceptables :
– la répression du crédit usuraire : tout prêteur qui proposerait un prêt présentant, au moment où il est consenti, un taux supérieur d’un tiers au « taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent par les établissements de crédit pour des opérations de même nature comportant des risques analogues » (129) s’expose à une peine d’emprisonnement de deux ans et d’une amende de 45 000 euros (130) ;
– la mention du taux effectif global, taux d’intérêt incluant tous les frais annexes et primes d’assurance pour déterminer le coût total du crédit (131), rendue obligatoire au moment de l’offre de prêt pour tout type de crédit.
Cependant, ces outils ont été conçus pour des prêts à taux fixe, afin de permettre une comparaison des différentes offres et de juger de leur caractère raisonnable : en présence de taux variables, le prêteur n’est tenu d’indiquer que le taux d’intérêt applicable à la première période de remboursement, en fonction des éléments variables connus à la date de signature du contrat. Ils sont donc inadaptés face à la volatilité des produits à taux variables et des produits structurés, quel que soit l’emprunteur.
La commission d’enquête estime donc que ces deux instruments, destinés à protéger les emprunteurs, devraient faire l’objet d’une réflexion tendant à réformer ces indicateurs pour leur restituer leur caractère informatif et leur pertinence pour les prêts autres que ceux à taux fixe.
Plus précisément, en ce qui concerne les acteurs locaux, la commission estime que les missions d’intérêt général et l’usage des deniers publics ne permettent pas aux responsables d’engager la responsabilité publique sans limite. Plutôt que de déterminer a priori les instruments financiers à leur disposition, il semble raisonnable de leur laisser le libre choix de leur endettement, tout en assortissant obligatoirement la charge d’intérêts d’un taux maximal ou capping.
La définition de ce capping devra être évolutive, de façon à prendre en compte l’évolution des conditions de marché. Ainsi, il serait possible de s’appuyer sur un indice tel que l’Euribor, auquel s’ajouterait une majoration de l’ordre de 300 points de base, pour définir le taux d’intérêt plafond auxquels les emprunts à taux variables des acteurs locaux pourraient être assujettis. L’adossement à un indice reconnu permettrait aux établissements prêteurs de souscrire une option de couverture sur les marchés.
Ce dispositif de capping ne garantirait pas les personnes publiques concernées contre toute variation de la charge d’intérêt : ainsi, l’Euribor à 12 mois atteignait 5,5 % en octobre 2008 avant de tomber à moins de 2 % en mars 2009. Aussi le législateur pourrait-il renvoyer à la concertation entre les représentants des prêteurs et des emprunteurs la définition de ce plafonnement, qui sera validée par voie réglementaire.
3.– L’adaptation du cadre budgétaire et comptable
S’il faut réglementer le marché des prêts aux collectivités et autres acteurs locaux, il convient aussi de renforcer l’information des élus et responsables sur les caractéristiques de l’endettement.
La sincérité de l’équilibre réel du budget des collectivités territoriales impose, en outre, que les risques sous-jacents souscrits par celles-ci fassent l’objet d’un provisionnement rendant compte à un niveau raisonnable de leur importance.
a) L’institutionnalisation d’un débat sur la dette dans les assemblées délibérantes
Alors que la détermination d’une stratégie d’endettement et le choix du mode de financement des investissements locaux peuvent être cruciaux, il est apparu à la commission d’enquête que les assemblées délibérantes n’étaient pas correctement informées des choix effectués. Comme le remarque la Cour des comptes, « alors que la décision de s’endetter résulte souvent de choix politiques structurants, liés d’abord à la volonté d’investir mais aussi à des arbitrages, notamment entre une hausse de la fiscalité et le recours à l’emprunt, la définition claire d’une stratégie d’endettement par l’exécutif et sa formalisation dans un document de référence demeurent relativement rares. » (132)
Le code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoit que les organes délibérants des collectivités territoriales doivent prendre la décision d’emprunter (133). La délibération doit préciser les principales caractéristiques financières du contrat de prêt : l’objet, le taux, la durée d’amortissement, notamment. Ainsi, l’organe délibérant doit pouvoir mesurer l’étendue de l’engagement financier de l’établissement et ne doit pas se prononcer « dans l’ignorance d’éléments d’information susceptibles d’influer sur le sens de sa manifestation de volonté » (134).
Cette compétence peut être déléguée par les conseils municipaux au maire (article L. 2122-22 du CGCT). Dans les départements et les régions, la compétence de l’assemblée délibérante peut être déléguée à la commission permanente (articles L. 3211-2 et L. 4221-5). La délibération qui confère la délégation doit fixer de façon précise l’étendue des pouvoirs délégués.
En l’absence de formalisation et de présentation d’une stratégie d’endettement par l’exécutif, les assemblées délibérantes n’ont pas été en mesure d’appréhender et de débattre des choix et des risques souscrits au nom de la collectivité territoriale, surtout que seules des informations très succinctes sur les caractéristiques des emprunts souscrits étaient fournies.
Il apparaît ainsi à notre commission d’enquête qu’il est nécessaire d’imposer à toutes ces collectivités et groupements de tenir un débat annuel sur la stratégie financière et le pilotage pluriannuel de l’endettement, fondé sur un document préparé par l’exécutif retraçant l’évolution de la dette, les caractéristiques des engagements pris et présentant les choix d’endettement.
La loi n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République a étendu aux communes de plus de 3 500 habitants, ainsi qu’aux régions, l’obligation d’organiser un débat sur les orientations générales du budget prévue pour les départements depuis la loi du 2 mars 1982 (135). Ce débat doit avoir lieu dans les deux mois précédant l’examen du budget par l’assemblée délibérante. Il semble raisonnable que ce rendez-vous annuel soit aussi l’occasion de débattre de la stratégie financière pluriannuelle.
b) L’introduction de nouvelles annexes sur les emprunts
Ce nouveau droit de regard des assemblées délibérantes sur l’encours et les caractéristiques de l’endettement des collectivités territoriales et autres établissements publics locaux ne peut avoir un sens que s’il est fondé sur des informations détaillées et exhaustives sur l’encours d’endettement de la personne publique.
Une fois les opérations de gestion de dette effectuées, celles-ci devraient faire l’objet d’une retranscription dans les documents budgétaires et notamment les comptes administratifs, selon la forme prescrite par le type d’instruction comptable qui leur est applicable (136).
Or jusqu’à la réforme de ces instructions comptables par arrêtés du 16 décembre 2010, ces modèles budgétaires étaient notoirement inadaptés pour retracer de manière compréhensible et adéquate, dans les annexes sur l’état de la dette, les risques réellement pris par une collectivité qui souscrivait des emprunts structurés. Ainsi, le cadre ne permettait pas de mentionner, notamment dans les emprunts à plusieurs phases d’indexation, les formules complètes de calcul des taux structurés. Les emprunts structurés apparaissaient alors le plus souvent parmi les emprunts à taux fixe en raison d’une première phase de taux fixe bonifié.
Ces documents ne permettaient donc pas d’évaluer, ni le risque par emprunt, ni le risque global pris par la collectivité au niveau de l’ensemble de son endettement. Le Conseil de normalisation des comptes publics (CNOCP), créé par la loi de finances rectificative du 30 décembre 2008, a commencé à examiner la question en février 2009 (137).
D’ores et déjà, la circulaire du 25 juin 2010 ainsi que les arrêtés du 16 décembre 2010, ont apporté une première réponse : la nouvelle annexe A 2.9 « État de la dette, répartition de l’encours (typologie) », en vigueur à compter de l’exercice 2011, prescrit d’indiquer la répartition des produits d’endettement en utilisant la typologie mise en place par la Charte Gissler.
Cet enrichissement de l’information disponible est un premier pas dans une meilleure appréhension par les assemblées délibérantes et par les citoyens des risques pris par la collectivité à l’occasion de la souscription de produits d’emprunt.
Afin de refléter le niveau exact des engagements souscrits par la collectivité, cette information pourrait être complétée par l’indication de la valeur « mark to market » déterminée par deux organismes tiers à la demande de l’établissement prêteur (138).
Cependant, ce constat devrait aussi se traduire par la prise en compte des éventuelles conséquences à long terme de ces choix.
c) L’obligation de provisionner les risques pris
● En comptabilité privée, les provisions pour risques et charges représentent un passif dont le montant ou l’échéance ne sont pas fixés de façon précise, c’est-à-dire comme une obligation de l’entité à l’égard d’un tiers dont il est probable ou certain qu’elle provoquera une sortie de ressources, sans contrepartie.
Dans le cadre du Plan comptable général (PCG), une entreprise doit ainsi constituer une provision :
– s’il existe une obligation certaine de l’entreprise à l’égard d’un tiers à la date de clôture,
– et si à la date d’arrêté des comptes, il est probable que l’entreprise ait à effectuer une sortie de ressources au profit de ce tiers, sans contrepartie au moins équivalente attendue du tiers après la date de clôture,
– et s’il est possible d’estimer de manière fiable cette sortie de ressources.
Ces dispositions ont pour objectif que des risques pris pendant un exercice comptable, ayant des conséquences financières sur des exercices ultérieurs, soient bien pris en charge au titre de cet exercice. Il faut souligner qu’il s’agit de la seule mesure concluante ayant permis la quasi disparition des prêts toxiques dans le secteur marchand : le coût d’inscription du risque pèse en effet si fortement dans le bilan et le résultat que la « rentabilité faciale » des produits en est annulée.
● À l’invitation de la Cour des comptes, comme de certaines personnes auditionnées, la commission a estimé que les risques pris lors de la souscription d’emprunts et de contrats d’échange de taux d’intérêt devraient faire l’objet d’un provisionnement pour risques, représentatif des risques de charges financières supplémentaires souscrites.
En effet, le principe d’un provisionnement en cas de risque n’est pas convenablement mis en œuvre par la réglementation actuellement en vigueur.
Les départements, depuis 2005, et les régions depuis 2010, ont l’obligation de provisionner « dès lors qu’il y apparition du risque » et « à hauteur du risque constaté » (139). Pour les services publics industriels et commerciaux, le provisionnement est facultatif.
Les instructions comptables et budgétaires renvoient aux principes généraux du plan comptable général, notamment au principe de prudence dont le respect impose qu’une provision soit constituée en présence de risque.
En vertu de ce principe et en application de l’article 372-2 du plan comptable général, le provisionnement des risques en fonction des variations de valeur des contrats d’opérations à terme devrait être obligatoire, sauf si le contrat a été souscrit dans le cadre d’une opération de couverture d’un risque.
La circulaire du 25 juin 2010 (140) ne présente le système du provisionnement que comme une faculté à la disposition des collectivités, « si elles l’estiment utile ». Si elles ont fait ce choix, les provisions pour perte en charges d’intérêt ne doivent alors pas être manifestement sous-estimées.
La commission d’enquête estime que cette situation n’est pas satisfaisante : en l’absence de provisionnement retranscrivant les risques souscrits dans les documents budgétaires, les comptes produits ne peuvent respecter les principes de sincérité et d’équilibre réel applicables aux collectivités territoriales.
● La méthode de détermination du niveau de ce provisionnement apparaît donc comme un enjeu crucial.
Le Conseil de normalisation des comptes publics étudie actuellement les différentes possibilités et méthodes de calcul pouvant être mise en œuvre (141). Face aux différentes solutions envisageables, il importe de définir rapidement une méthode homogène et pratique permettant de prendre en compte ces risques. Ces provisions devraient être fixées à un niveau minimal, pour ne pas peser sur la capacité d’investissement des acteurs publics locaux, tout en étant suffisamment dissuasives pour décourager la prise de risques que recèlent certains produits structurés.
● Actuellement, la circulaire du 25 juin 2010 rappelle que les provisions peuvent être faites « au regard de la valorisation aux conditions de marché des produits, fournie au moins une fois par an par les établissements financiers ». Cette méthode est dite de l’évaluation au « mark to market », conduisant à ce que la valeur et les conditions de déblocage du produit soient déterminées par deux établissements tiers à la demande de l’établissement prêteur.
Une autre solution consisterait à ce que, lorsqu’un contrat prévoirait un taux d’intérêt nominalement inférieur aux taux de marché (Euribor ou taux d’intérêt légal), la somme représentant la différence de charge d’intérêt entre ces taux fasse obligatoirement l’objet d’une provision.
Ainsi, les produits structurés reposant sur la proposition d’une première période dite bonifiée, à taux inférieur, cachant une seconde période, à taux structuré présentant des risques sous-jacents, ne présenteraient plus le même gain budgétaire, à la fois artificiel et temporaire, et seraient ainsi appelés à disparaître du marché, comme cela a été largement le cas dans le secteur marchand.
Le montant de cette provision serait naturellement appelé à être réévalué chaque année, en fonction des conditions du marché.
● Si la méthodologie permettant d’évaluer le montant de ce provisionnement peut faire l’objet de discussions approfondies, la commission d’enquête souhaite que soit affirmé dès à présent le principe de cette réintégration des risques souscrits pendant l’exercice comptable dans les documents budgétaires annuels des collectivités territoriales et de leurs groupements (142).
Les offices publics de l’habitat ayant opté pour la comptabilité publique, en étant alors soumis à l’instruction comptable M31, devront se voir appliquer les mêmes principes.
Les établissements publics de santé sont, quant à eux, soumis à l’instruction comptable M21, dont les principes se rapprochent de ceux de la comptabilité privée : ils pourront aussi voir préciser que leur choix d’endettement doit faire l’objet d’un provisionnement, dans la mesure où les provisions qu’ils constituent jusqu’à présent ne sont pas expressément liées à l’endettement.
d) L’encadrement de la conclusion des contrats d’emprunt avant les échéances électorales
À l’occasion des auditions organisées par la commission d’enquête, plusieurs élus locaux ont indiqué avoir constaté, peu de temps après leur élection, que des emprunts pour des montants importants avaient fait l’objet de négociation et de conclusion dans les derniers jours du mandat de la précédente équipe exécutive, quelque fois entre les deux tours des élections locales (143).
Le régime actuel des délégations des assemblées délibérantes aux exécutifs locaux prévoit qu’elles sont consenties « pour la durée du mandat » (144). Les maires, présidents de conseil général et présidents de conseil régional doivent en effet bénéficier de la plénitude de leurs prérogatives de gestion jusqu’à la fin de leur mandat, intervenant lors de l'installation du nouveau conseil issu des élections générales.
Le corollaire nécessaire à ces délégations réside dans l’obligation de rendre compte : ainsi dans les communes, « le maire doit rendre compte à chacune des réunions obligatoires du conseil municipal » (145). Ce compte rendu doit assurer au conseil une information complète.
Or les derniers actes de l’exécutif sortant sont souvent pris sans que le contrôle démocratique de l’assemblée délibérante puisse être effectif.
C’est pourquoi il semble nécessaire à votre commission d’enquête que les délégations habituellement consenties par les assemblées délibérantes, notamment en matière de négociation et de signature des contrats de prêts, prises en application des dispositions du code général des collectivités territoriales, prennent fin dès l’ouverture de la campagne électorale visant à renouveler l’assemblée délibérante, soit deux semaines avant la date du scrutin (146).
En cas de nécessité, il restera ainsi loisible à l’exécutif de la collectivité de réunir l’assemblée pour demander l’autorisation de prendre des mesures ponctuelles, tels que l’autorisation exceptionnelle de souscrire un emprunt, mais dans des conditions permettant l’exercice du contrôle démocratique jusqu’à la fin des mandats locaux en cours.
4.– Le renforcement de l’encadrement juridique
a) L’extension du contrôle de légalité aux contrats de prêt
Les actes administratifs pris par les collectivités territoriales doivent en principe faire l’objet d’une transmission préalable au préfet pour être exécutoires. Cette communication lui permet de procéder à un contrôle de légalité, les actes litigieux pouvant être déférés devant le juge administratif. Pour les établissements publics de santé (EPS), le contrôle de légalité est exercé par le directeur général de l’agence régionale de santé (147).
Dans ce cadre, les « conventions relatives aux emprunts » font partie des actes dont la transmission au préfet est prévue par le code général des collectivités territoriales (CGCT) (148).
Cependant, dans les faits, les contrats passés entre une collectivité locale et une personne de droit privé, et exception faite des contrats administratifs par détermination de la loi, sont présumés être de droit privé. Le caractère administratif ne leur est reconnu par la jurisprudence que s’ils ont pour objet l’exécution d’un service public (149) ou comportent une clause exorbitante du droit commun (150). En l’absence de ces conditions, le contrat de prêt est un contrat de droit privé (151). La banalisation du crédit aux collectivités locales a conduit à aligner les clauses contractuelles sur les règles de droit privé et la présence de clauses exorbitantes qui entraînent la qualification d’acte administratif est très rare. Par ailleurs, le contrat d’emprunt ne constitue pas en général l’accessoire d’un contrat administratif. Toutefois, certains montages financiers complexes qui associent un « contrat de financement » et un contrat de travaux publics ou un contrat d’exécution d’un service public peuvent conduire à conférer au premier un caractère administratif.
Aussi les contrats de prêt ne font habituellement pas l’objet de transmission au contrôle de légalité. En cas de litige, le juge judiciaire est seul compétent pour en connaître.
Seule la décision par laquelle l’assemblée délibérante peut déléguer à l’exécutif l’autorisation « de procéder, dans les limites fixées par le conseil municipal, à la réalisation des emprunts destinés au financement des investissements prévus par le budget, et aux opérations financières utiles à la gestion des emprunts, y compris les opérations de couvertures des risques de taux et de change » (152) fait l’objet d’une transmission obligatoire au contrôle de légalité.
Cette absence de contrôle de légalité allait de pair avec l’absence de règles encadrant précisément les conditions et caractéristiques des emprunts susceptibles d’être souscrits par les collectivités territoriales.
La commission d’enquête souhaitant que la liberté de choix dans la détermination des instruments de financement des investissements des collectivités territoriales et autres acteurs publics locaux soit encadrée par la loi, il serait ainsi logique que ces contrats de prêts – initiaux ou souscrits dans le cadre de renégociation d’emprunts existants – fassent l’objet d’un contrôle de légalité, c’est-à-dire d’un examen donnant au représentant de l’État la faculté de donner des conseils et d’obtenir des renseignements qui seront d’autant plus efficaces que celui-ci dispose des moyens juridiques de déférer les contrats qui lui paraîtront contraires au cadre législatif mis en place.
b) Le refus de la soumission des contrats d’emprunt au code des marchés publics
Le corollaire de la soumission des contrats d’emprunt au contrôle de légalité pourrait être de prévoir par la loi qu’il s’agit toujours de contrats administratifs et ainsi de les soumettre au droit des marchés publics.
L’article 3 du code des marchés publics du 1er août 2006 exclut de son champ d’application les « accords-cadres et marchés de services financiers relatifs à l’émission, à l’achat, à la vente et au transfert de titres ou d’autres instruments financiers et à des opérations d’approvisionnement en argent ou en capital des pouvoirs adjudicateurs », en reprenant ainsi la rédaction de l’article 16 de la directive européenne 2004/18/CE du 31 mars 2004.
Cependant, cette exclusion des emprunts du champ d’application du droit des marchés publics a fait par le passé l’objet d’une controverse entre la Commission européenne et certains États membres de l’Union européenne. Ainsi, le Conseil d’État avait annulé l’exclusion similaire insérée dans le code des marchés publics de 2004, au motif qu’elle était contraire aux objectifs de la précédente directive européenne 92/50 du 18 juin 1992 sur les marchés publics de services (153) : seuls les services financiers donnant lieu à des titres négociables, dont le prix varie en fonction de l’offre et de la demande, pouvaient être exclus du champ d’application du code. La directive 2004/18/CE du 31 mars 2004, qui a remplacé la directive de 1992, n’exclut que les « opérations d’approvisionnement en argent et en capital ». La Commission européenne est d’avis que cela n’exclut pas du champ d’application du droit des marchés publics les emprunts souscrits notamment par les collectivités territoriales (154), notamment car les dispositions excluant de l’application du droit des marchés publics les opérations d’acquisition ou de location immobilière (155) réservent le cas des « contrats de services financiers conclus en relation », qui restent soumis au code des marchés publics.
Quelles que soient ces controverses juridiques, la commission d’enquête juge inadaptée cette hypothèse. L’obligation de respecter des procédures lourdes, complexes, de coût élevé et peu adaptées à la souscription d’emprunt (156) aurait pour conséquence de priver les acteurs publics locaux de la possibilité de saisir les opportunités se présentant sur les marchés financiers, alors qu’elles peuvent le faire en faisant jouer la concurrence de manière informelle et dans des délais extrêmement brefs.
Ce choix de la commission d’enquête ne l’empêche pas de réaffirmer que la souscription des emprunts des collectivités territoriales se doit de respecter, dans tous les cas, les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures suivies par les personnes publiques.
5.– L’information du Parlement
a) Vers un rapport annuel sur la dette locale
La commission d’enquête a pu constater les difficultés auxquelles elle s’est trouvée confrontée pour évaluer les montants d’emprunts structurés souscrits par les acteurs publics locaux (157).
À l’initiative du Gouvernement, l’Assemblée nationale a adopté le 15 novembre 2011 un amendement en première lecture au projet de loi de finances pour 2012 prévoyant l’obligation annuelle pour le Gouvernement de déposer en annexe au projet de loi de finances « un rapport qui comporte une présentation de la structure et de l’évolution des dépenses ainsi que de l’état de la dette des collectivités territoriales »(158). Celui-ci serait établi sur la base d’un rapport « présentant notamment les orientations budgétaires, les engagements pluriannuels envisagés, la composition et l’évolution de la dette […] » remis annuellement par les collectivités territoriales et EPCI de plus de 50 000 habitants.
Tout en prenant en compte les limites fixées par l’article 4 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, tel qu’inséré par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit (159), la commission d’enquête se félicite de cette avancée. Cependant, il serait plus opérationnel que ce rapport utilise les nouvelles annexes relatives à la structure de l’endettement des collectivités territoriales pour présenter des données agrégées relatives à la structuration de l’endettement local pour les 36 782 communes, et non seulement les 124 les plus peuplées.
En outre, ce rapport pourrait s’intéresser également à l’endettement des établissements publics de santé et des offices publics de l’habitat, au moyen de données agrégées collectées par leurs ministères de tutelle.
b) Clarifier les prérogatives des commissions d’enquête parlementaires à l’égard des établissements de crédit
La commission d’enquête a eu l’occasion de mettre en œuvre la plénitude des pouvoirs qui lui sont reconnus par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
Le septième alinéa de cet article prévoit notamment que « toute personne dont une commission d’enquête a jugé l’audition utile est […] tenue de déposer, sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal », qui réprime la violation du secret professionnel.
Or la définition du secret bancaire retenue par l’article L. 511-33 du code monétaire et financier englobe toutes les « opérations de crédit effectuées, directement ou indirectement, par un ou plusieurs établissements de crédit ; les opérations sur instruments financiers, de garanties ou d’assurance destinées à la couverture d’un risque de crédit ; les cessions ou transferts de créances ou de contrats. ». Elle est donc très large, et prévoit plusieurs exceptions en faveur des autorités de régulation (Autorité de contrôle prudentiel, Banque de France), des autorités judiciaires agissant dans le cadre d’une procédure pénale, des agences pour les besoins de la notation des produits financiers ou encore des personnes avec lesquelles les établissements négocient certaines opérations bancaires.
Si le secret bancaire a pu par le passé être opposé à plusieurs reprises aux démarches du Parlement pendant des auditions (160), il n’est pas opposable au rapporteur de la commission d’enquête, au titre de ses prérogatives personnelles de contrôle sur pièces et sur place. À ce titre, votre rapporteur a obtenu des établissements bancaires les informations qui leur avaient été demandées, sans mention du nom de l’emprunteur.
Cependant, afin de lever toute ambiguïté, il semblerait utile qu’une modification de l’article L. 511-33 prévoie explicitement l’inopposabilité du secret bancaire aux commissions d’enquête du Parlement.
C.– LA GESTION MUTUALISÉE DE LA SORTIE DES DETTES LOCALES STRUCTURÉES, SANS DÉFAISANCE
Deux ans après la nomination de M. Éric Gissler comme médiateur pour les emprunts toxiques des collectivités territoriales, la méthode choisie par l’État a montré ses limites.
Limite matérielle, car un médiateur ne peut traiter tous les dossiers présentés.
Limite juridique, car la médiation ne permet pas de peser sur la solution proposée.
Limite quantitative, car les travaux de la commission d’enquête ont révélé la masse importante d’emprunts susceptibles de se révéler toxiques dans un avenir proche, les périodes de bonifications d’intérêts venant prochainement à échéance.
En outre, lorsque, à l’issue des périodes bonifiées, les acteurs publics locaux ont constaté le franchissement des seuils prévus par les indices sous-jacents de leurs contrats et réalisé les taux d’intérêt auxquels leurs emprunts allaient être exposés, un certain nombre a choisi d’assigner les établissements prêteurs devant les tribunaux. Cependant, hormis dans les cas d’espèce où la banque aurait commis une faute avérée, en oubliant par exemple de mentionner le taux effectif global, ou fournit des informations relevant de la tromperie, il ne semble pas envisageable qu’une jurisprudence vienne annuler l’ensemble des prêts structurés souscrits (161). Par ailleurs, s’il était jugé qu’une banque n’avait pas respecté l’obligation de mise en garde de son client face à une opération risquée, la perte de chance ne pourrait conduire qu’à une indemnisation partielle du préjudice subi. Enfin, les délais des procédures judiciaires font courir aux acteurs publics plaignants le risque de se retrouver dans une situation pire au bout de quelques années, alors que des portes de sortie peuvent être imaginées, avec l’appui de l’État (162).
La commission d’enquête souhaite donc qu’une solution globale soit trouvée, qui ne repose ni sur la solidarité nationale, ni sur le traitement particulier des collectivités et établissements publics ayant pris les risques les plus inconsidérés, mais bien sûr un apurement rapide et généralisé des encours de prêts structurés détenus par les acteurs publics locaux.
1.– Une piste abandonnée : la création d’une structure de défaisance
Selon certaines personnes auditionnées par la commission d’enquête (163), la solution de la crise des emprunts toxiques reposerait nécessairement sur la mise en place d’une structure de défaisance, garantie par l’État, qui aurait pour tâche de reprendre la totalité de l’encours de produits structurés détenu par les acteurs publics locaux pour leur proposer en remplacement des prêts classiques.
La commission d’enquête est arrivée à la conclusion qu’une telle structure serait à fois d’un coût insupportable pour la solidarité nationale et déresponsabilisant pour les élus et responsables locaux qui ont contracté ces emprunts.
a) Le coût de la capitalisation d’une structure de gestion de passifs serait prohibitif
Un projet de structure de défaisance qui prendrait en charge les emprunts structurés considérés comme « toxiques » a été proposé par certains élus locaux concernés (164).
Cette structure, garantie nécessairement par l’État, devrait alors gérer le stock de cette dette toxique, avec l’aide de professionnels, jusqu’à son extinction. Les pertes potentielles pour les acteurs publics concernés seraient alors mutualisées et financées par des ressources externes, en partie exigées des banques, en partie apportées par l’État ainsi qu’éventuellement par l’ensemble des collectivités territoriales.
Contrairement aux cas des structures de défaisance mises en place lors des crises bancaires de ces dernières décennies, ce sont donc les passifs des débiteurs bancaires qui pourraient être transférés à l’exclusion d’actifs.
Le transfert des emprunts toxiques à la structure de défaisance nécessiterait l’accord des banques concernées qui n’auraient plus comme contrepartie la collectivité mais ce nouvel établissement public. Afin que les banques acceptent une telle modification, la structure de défaisance devrait présenter un profil de risque suffisamment rassurant pour elles, puisque leur risque serait concentré sur une seule contrepartie et non plus sur un grand nombre de collectivités publiques.
Les pertes enregistrées par cet établissement ne peuvent être totalement anticipées : elles seront largement dépendantes du périmètre retenu pour les emprunts pris en compte ; en outre, elles varieront en fonction de la participation demandée aux collectivités concernées, qui se verraient appliquer une décote sur la valeur de l’emprunt repris. Ce choix de règles à définir pourrait conduire à des contestations sur l’équité de l’assistance ainsi offerte.
b) La déresponsabilisation des emprunteurs
La libre administration des collectivités territoriales, principe constitutionnel, va de pair avec une responsabilité des acteurs locaux dans les choix faits, et notamment la stratégie d’endettement suivie.
En l’absence de codécision dans les choix effectués, l’État ne peut être présumé garant des engagements souscrits par les collectivités territoriales, sur lesquelles il n’exerce pas de tutelle.
Dans un tel schéma, l’absence ou les faibles pertes supportées par les collectivités auraient pour conséquence l’impunité alors que la prise de risque est avérée, ce qui pourrait être vu comme une incitation à continuer de prendre des risques en matière de gestion financière, dont les conséquences seraient assumées en fin de compte par le contribuable national.
Plus généralement, l’aide ainsi apportée aux collectivités bénéficiaires de la structure serait de nature à créer un précédent qui pourrait ensuite être exploité pour justifier l’intervention de l’État dans d’autres cas où les collectivités ont pris des risques importants.
En tout état de cause, il apparaît logique que les collectivités territoriales qui ont souhaité exercer leur liberté de choix parmi les solutions de financement à leur disposition assument les conséquences des choix individuels qu’elles ont faits dans ce domaine.
Dans l’esprit de votre commission d’enquête, il appartient aux responsables – établissements bancaires ayant commercialisé ces produits et acteurs locaux concernés – de trouver et de financer une solution pérenne, sous l’égide et avec l’apport d’une action volontariste de l’État.
2.– Le regroupement des acteurs publics locaux pour négocier avec leurs créanciers
a) Un pôle d’assistance et de transaction s’appuyant sur les moyens des services de l’État
La commission d’enquête a examiné, dans la deuxième partie du présent rapport, les responsabilités de chacun des acteurs de la crise des emprunts toxiques. La sortie de cette situation ne pourra se faire que par un effort des banques, des acteurs locaux et de l’État pour apurer l’encours existant des emprunts structurés porteurs de risques avérés ou susceptibles de se révéler dans un terme proche.
En outre, elle juge qu’une solution fondée sur un traitement des problèmes des collectivités et établissements publics les plus en difficulté, laissant la majorité des personnes publiques concernées seules face aux banques, ne serait ni productive, ni égalitaire, ni responsabilisante vis-à-vis des risques pris au nom des acteurs publics par leurs responsables présents ou passés.
C’est pourquoi elle a souhaité privilégier une approche par produit structuré à une approche par collectivité ou établissement public touché. Il s’agit moins de proposer une solution à des victimes que de gérer l’apurement définitif des emprunts structurés. La commission d’enquête souhaite tout d’abord promouvoir une démarche contractuelle et volontaire, avant d’envisager de remettre en cause l’économie des contrats de prêts existants.
● Dans un premier temps, il semble nécessaire d’achever le plus rapidement possible, et avant la date de juin 2012 indiquée à la commission d’enquête (165), l’identification et le recensement de l’ensemble des prêts structurés souscrits par les acteurs locaux. Dans chaque collectivité ou établissement public, les résultats de ce recensement, et la structure de l’endettement, devront faire l’objet d’un débat dans les assemblées délibérantes, afin de leur permettre d’être informées et de les mettre à même de prendre position sur les solutions éventuelles.
Dans le même temps, la commission d’enquête propose que soit mise en place par l’État une structure ad hoc temporaire, pôle d’assistance et de transaction regroupant des représentants de la direction générale des collectivités locales, de la direction générale des finances publiques et de la direction générale du Trésor. Des représentants des collectivités territoriales, par l’intermédiaire des associations représentatives, ainsi que des membres du Parlement seraient associés aux travaux du pôle. Ne comportant pas de personnalité juridique, cette structure pourrait commencer à fonctionner sans devoir être mise en place par la loi.
● Dans un deuxième temps, les collectivités et établissements publics volontaires seront invités à donner à ce pôle un mandat de gestion des emprunts structurés s’étant révélés toxiques ou pouvant présenter des risques sous-jacents. Le pôle d’assistance et de transaction pourra ainsi engager en leur nom un processus de renégociation de chacune des gammes de produits structurés avec les banquiers les ayant commercialisés. Cette possibilité sera ouverte pendant une durée limitée, de l’ordre de six mois, afin que la structure dispose rapidement des données relatives aux emprunts dont elle aura en charge la renégociation.
Afin de respecter le principe de libre administration des collectivités, cette participation ne pourra se faire que de façon volontaire. Cependant, afin que les élus locaux soient mis en face de leur responsabilité, le premier débat sur la politique d’endettement devra faire l’objet d’un vote de l’assemblée délibérante sur l’opportunité de confier ou non au pôle les emprunts structurés présents dans le portefeuille de la collectivité territoriale. L’attention de la commission d’enquête a en effet été attirée sur le fait que certaines catégories d’emprunts structurés, dont notamment les produits assis sur le différentiel entre taux courts et taux longs, ne faisaient pas volontairement l’objet de renégociation, alors que les risques – encore hypothétiques – permettraient d’envisager une transformation en emprunt classique à moindre coût, si les collectivités concernées acceptaient un taux plus élevé. C’est bien avant que le risque soit avéré qu’il conviendrait de mettre fin à ces risques sous-jacents.
Les emprunts que les acteurs publics locaux choisiraient de ne pas confier au pôle d’assistance et de transaction devraient naturellement faire l’objet d’un provisionnement à hauteur des risques pris, pour les exercices futurs. Par contre, il pourrait être prévu, par voie de circulaire, que les emprunts pour lesquels un mandat a été donné n’auraient pas à être provisionnés pendant cette phase de renégociation, le risque afférent étant en voie de résorption.
● Dans un troisième temps, disposant d’un mandat couvrant une masse critique de ces emprunts, le pôle pourrait engager un processus de négociation plus équilibré avec les banques, afin de trouver une formule permettant de convertir chaque type de prêt structuré en prêt classique, à taux fixe ou à taux variable.
Avec l’appui de l’État, il semble possible à la commission d’enquête d’aboutir, pour chaque catégorie de produits, à un accord équilibré portant transaction entre les acteurs publics et les établissements prêteurs, afin de transformer les produits structurés présentant des risques sous-jacents en produits d’emprunt classiques, les banques reprenant la gestion des risques qu’elles ont fait souscrire aux acteurs publics.
Ainsi, la Caisse des dépôts estime-t-elle que le coût de la transformation du quart le plus toxique du portefeuille de prêts actuellement détenus par Dexia en des emprunts à taux fixe, au cours actuel du marché, nécessiterait le partage d’une soulte de l’ordre de 1 milliard d’euros (166).
Pour chaque catégorie de produits structurés, l’accord global de transaction devra ainsi déboucher sur la conclusion de nouveaux contrats respectant les principes suivants :
— les éventuels gains obtenus en terme de charge d’intérêt par la personne publique du fait des taux d’intérêts bonifiés devront être réintégrés dans le bilan des charges financières dues par ces collectivités ;
— les nouveaux contrats de prêt, à taux fixe ou à taux variable, consacreront le portage par les banques de la partie toxique des emprunts ;
— la charge d’intérêt supérieure à celle correspondant au coût d’un emprunt à taux fixe ou variable conclu aux conditions de marché à la date de souscription de l’emprunt à renégocier, devra faire l’objet d’un effort financier réciproque, les personnes publiques ayant souscrit ces emprunts étant amenées à participer à la compensation du coût du portage du risque désormais repris par l’établissement prêteur.
En quelque sorte, chacun des cocontractants sera ainsi amené à assumer une partie de la charge financière, à due proportion des responsabilités décrites par la commission d’enquête.
Cependant, chacune des deux parties devrait ainsi trouver un bénéfice à cette renégociation :
– les personnes publiques pourront résorber une partie de leur encours de prêts à risque. Cependant, l’accord nécessitera que les collectivités et établissements publics concernés renoncent aux gains financiers que les emprunts leur ont permis de faire dans le passé, et consentent un effort budgétaire et fiscal pour la période à venir ;
– les établissements bancaires devront assumer la gestion du risque sous-jacent en terme de charges d’intérêt. Les contrats existants repris par les banques pourront être soit renégociés sur le marché interbancaire (par débouclage des contrats existants) soit conservés par celles qui souhaiteraient conserver le risque en leur nom propre. Elles pourront ainsi choisir le moment où elles se déferont du produit sur le marché, cette gestion pouvant à terme se révéler fructueuse si on assistait à un retournement de cycle faisant retomber le taux d’intérêt à un bas niveau. Cependant, l’effort demandé aux établissements bancaires aura pour corollaire l’élimination de deux risques nécessitant d’être provisionnés : le risque juridique que la validité de certains contrats pourrait leur faire courir (167), ainsi que les risques de défaut de certains débiteurs dont les marges de manœuvre fiscales ne permettront pas de faire face à l’envolée des intérêts. Le remboursement du principal et des intérêts, tels que déterminés par le nouveau contrat de prêt, lui sera ainsi garanti.
Au total, le coût réel pour les deux parties serait lissé sur toute la durée résiduelle du prêt : pour les personnes publiques, par un taux d’intérêt supérieur à ce qu’elles pensaient devoir payer ; pour les établissements prêteurs, par une gestion de la partie toxique des intérêts des prêts repris, pour laquelle elles disposent des capacités de gestion indispensables.
Pour certains produits dont la valeur actuelle « mark to market » ne permet pas d’envisager une solution de sortie à un coût supportable, le pôle pourrait, par un mécanisme d’appel d’offres, chercher à trouver des contreparties, liquider les positions qui peuvent l’être et éventuellement coter les produits susceptibles d’être laissés en portefeuille.
● À l’issue de ce processus de renégociation, et après examen par les services de l’État, il serait possible, au cas par cas, d’envisager une subvention d’équilibre de l’État (168) afin de permettre le rétablissement du budget des plus petites collectivités, dans le cas où elles ne pourraient assumer l’effort financier et fiscal susceptible de rétablir des conditions d’endettement plus sûres pour l’avenir.
● Enfin, s’il semblait impossible d’obtenir un effort substantiel des établissements prêteurs pour trouver une sortie raisonnable aux contrats de prêts structurés en cours, le législateur pourrait alors envisager de remettre en cause l’équilibre contractuel des emprunts existants, en prévoyant que les charges d’intérêt des contrats de prêts souscrits par les collectivités territoriales ne peuvent dépasser celles qui résulteraient de l’application d’un taux déterminé, tel que le taux d’usure, à la date d’exigibilité de leur versement. Le Conseil constitutionnel a ainsi admis, dans une jurisprudence sans cesse précisée, que le principe à valeur constitutionnelle de la liberté contractuelle ne s’opposait pas à ce que le législateur remette en cause l’économie de contrats légalement conclus pour « un motif d’intérêt général suffisant » (169).
À titre d’information, au troisième trimestre 2011, le seuil de l’usure était établi à 5,52 % pour un prêt à taux variable d’une durée initiale supérieure à 2 ans, et 6,36 % pour un prêt à taux fixe, s’agissant de prêts aux personnes morales n’ayant pas une activité industrielle ou commerciale. Les taux effectifs moyens correspondants, tels que déterminés par la Banque de France par enquête auprès des établissements prêteurs, étaient respectivement fixés à 4,14 % et 4,77 %. (170).
b) Le recentrage du rôle de la médiation sur les produits atypiques ou fortement toxiques
La mission confiée par le Gouvernement à M. Éric Gissler depuis novembre 2008 a permis de mettre en place un cadre contractuel et de favoriser l’issue d’un certain nombre de négociations entre collectivités et banques (171). Cependant, les 102 dossiers de prêt sur lesquels a pu porter sa médiation restent un résultat faible face à l’encours de 10 690 prêts structurés recensés par la commission d’enquête.
La commission estime donc préférable de passer d’une approche particulière à une solution groupée, et d’un rôle de médiation exercé par l’État à un rôle de mandataire de renégociation. Il apparaît cependant que cette voie d’apurement des emprunts toxiques ne sera utile que pour les produits ayant fait l’objet d’une large distribution.
C’est pourquoi le rôle de la médiation pourrait être recentré sur les produits les plus atypiques, présentant un caractère de dangerosité plus avéré, tels que les produits avec des effets de structure cumulatifs (« snowballs »).
Par ailleurs, le recours au pôle d’assistance et de transaction n’étant pas obligatoire, il resterait possible, pour les collectivités qui le souhaitent, de recourir au médiateur. Une fois les principes de la transaction arrêtée sous l’égide du pôle, il sera par la suite plus facile aux collectivités et personnes publiques restées en dehors de la procédure de transaction de mettre en place un accord de transformation, fondé sur les mêmes bases de transaction financière. Cet effet d’entraînement ne pourra que renforcer la démarche engagée permettant d’apurer les produits structurés à risque, tout en garantissant le libre choix de leur stratégie d’endettement aux collectivités territoriales et acteurs publics.
La commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux s’est réunie le mercredi 30 novembre 2011 à 17 heures, sous la présidence de M. Claude Bartolone, pour examiner le rapport d’enquête de M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur.
M. le président Claude Bartolone. Mes chers collègues, notre commission a été créée le 8 juin 2011, et son existence juridique prendra fin le 8 décembre. Nous voici donc arrivés au terme de nos travaux.
Nous avons tenu 23 auditions, deux débats d'orientation, entendu 80 personnes. Les auditions ont été souvent passionnantes et fort animées vu l’importance des enjeux pour les élus que nous sommes.
Notre rapporteur, M. Jean-Pierre Gorges, a élaboré un projet de rapport. Nous allons aujourd’hui entendre son diagnostic, et prendre connaissance de ses propositions, qui porteront à la fois sur la gestion du stock des emprunts à risque et sur les mesures qui devraient être adoptées à l’avenir pour éviter que de tels errements ne se reproduisent.
Avant de lui donner la parole, je vous informe que le projet de rapport sera mis, comme c'est la règle, en consultation dans les bureaux de la commission des finances pour les membres de la commission d'enquête uniquement. La consultation prendra fin le mardi 6 décembre à 16 heures.
Nous nous réunirons enfin une dernière fois, ce même mardi 6 décembre à 17 heures pour nous prononcer sur le projet de rapport. S’il est adopté, il fera l’objet d’un dépôt au journal officiel et, sauf décision contraire de l’Assemblée constituée en comité secret, il sera imprimé et distribué.
M. Gorges et moi-même prévoyons une conférence de presse le 15 décembre à 12 heures. Naturellement, les collègues qui souhaiteront se joindre à nous seront les bienvenus dans la salle des conférences de presse. D'ici là, les textes prévoient que le rapport demeure confidentiel.
La parole est maintenant à M. Jean-Pierre Gorges.
M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Au cours des six mois écoulés, j’ai beaucoup travaillé avec le secrétariat de la commission d’enquête afin de rassembler un maximum d’éléments objectifs et quantifiables. En ma qualité de Rapporteur, j’ai obtenu copie d’une demi-douzaine de rapports confidentiels de l’Inspection générale des finances et de l’ancienne Commission bancaire. J’ai également obtenu que les sept établissements de crédit actifs sur le marché des prêts au secteur local lèvent le secret bancaire : j’ai pu me faire communiquer les montants et les caractéristiques des 10 690 contrats de prêts souscrits par des acteurs publics locaux.
J’en viens aux grandes lignes de mon rapport.
La première partie du rapport est consacrée à la description des emprunts et des swaps structurés, avec des exemples précis des formules utilisées. Ces éléments sont désormais bien connus des membres de la commission, aussi je vous propose de nous concentrer sur l’état des lieux.
L’encours total des prêts structurés souscrits atteint 32,125 milliards d’euros pour l’ensemble des acteurs publics locaux (communes, EPCI et syndicats, départements, régions, établissements publics de santé et organismes du logement social). Toutefois cet encours doit être rapporté au volume global d’endettement des mêmes acteurs, qui atteignait 276,8 milliards d’euros fin 2010. Si l’on retient un périmètre plus restreint, limité aux collectivités territoriales, l’encours total atteint encore 23,323 milliards d’euros.
Au sein des emprunts structurés, l’encours à risque est évalué à 18,807 milliards d’euros pour l’ensemble des acteurs publics locaux, soit 58,6 % du total. Même au niveau des seules collectivités territoriales, cet encours à risque représente 13,648 milliards d’euros, ce qui dépasse l’estimation avancée en juillet par la Cour des comptes. En toute logique, il faut ajouter le notionnel jugé à risque des swaps structurés, soit 2,530 milliards d’euros (38,6 % du total).
Les petites communes de moins de 10 000 habitants ne sont pas épargnées puisqu’elles ont souscrit pour 3,049 milliards d’euros d’emprunts structurés, aujourd’hui considérés comme risqués à hauteur de 56 %. Cela confirme l’impression que nous avions retirée de l’audition des maires de Trégastel et Sassenage, notamment.
Pour le portefeuille clientèle du seul Dexia :
– 1 595 petites communes sont concernées sur 2 229 communes clientes du groupe et 3 575 clients toutes catégories confondues ;
– 2,18 milliards d’euros d’emprunts structurés ont été souscrits, dont 1,44 milliard à risque soit 66,1 % alors que la moyenne est de 56 % toutes banques confondues.
J’affirme donc que, contrairement à ce qu’ont avancé les anciens responsables de Dexia lors de leur audition, les petites communes ont fait l’objet d’un démarchage intensif. On est passé de la confection de produits sur-mesure pour les grandes collectivités, à une phase d’industrialisation et de commercialisation sans discernement.
Ce cas n’est pas isolé : les mêmes communes représentent 577 millions d’euros chez BPCE et 250 millions d’euros au Crédit agricole CIB, mais les structures qui leur ont été vendues étaient nettement moins risquées.
La deuxième partie du rapport montre que les responsabilités ont été partagées entre les élus qui ont souvent manqué de vigilance ou ne disposaient pas des compétences nécessaires pour comprendre les risques sous-jacents aux emprunts qu’ils contractaient, les banques qui ont développé une politique commerciale systématique et très agressive, souvent trompeuse, et enfin, le troisième responsable, l’État, avec un contrôle limité localement et une certaine myopie de l’administration centrale face aux alertes qui apparaissaient ici ou là.
Les élus ont parfois manqué de vigilance. Les exécutifs locaux n'ont pas toujours souscrit des emprunts structurés en connaissance de cause. De plus, certaines collectivités qui ont contracté se trouvaient déjà dans une situation de vulnérabilité financière. Compte tenu du niveau de leur endettement et de leurs charges financières, elles n’ont pas pu recourir à des emprunts classiques, dont la charge aurait été trop lourde.
Il me semble que les élus ont presque toujours été de bonne foi, et qu’il n’y a eu aucune malversation : les capacités de financement dégagées ont été utilisées dans le sens du service public, selon la politique de gestion choisie pour la collectivité. Les financements ainsi obtenus ont pu contribuer à de grands projets structurants (réaménagement urbain, reconversion des friches industrielles par exemple à Saint Étienne) en lissant le financement de projets de long terme. Dans les petites communes, les prêts structurés ont permis d’investir dans des travaux de réfection de la voirie ou de bâtiments communaux. Le recours aux produits structurés a pu s’accompagner d’une réduction de l’endettement global et d’une amélioration de la capacité d’autofinancement.
Les exécutifs locaux n’ont pas su prendre la mesure des risques induits par ce type de produit, pour plusieurs raisons qui sont économiques d’abord, liées à l’asymétrie d’information entre la banque et son client ensuite, et enfin institutionnelles : ni les assemblées délibérantes, ni l’opposition (faute d’information assez complète), ni les services de l’État n’ont su éclairer la décision des élus ; le contrôle et le conseil, internes comme externes, ont été défaillants.
La faiblesse de l’information contenue dans les annexes budgétaires a rendu inopérant le pouvoir de contrôle des assemblées délibérantes : ces annexes ne rendaient compte que de l’évolution de l’endettement, et non de sa structure.
Le rapport examine aussi le rôle joué par les cabinets de conseil aux collectivités qui a été ambigu.
La politique commerciale des établissements bancaires a été systématique et agressive. Le rapport décrit le contexte très concurrentiel qui a conduit les banques, dans les années 2000, à prêter largement en dessous du coût de la ressource financière. Comme elles ne pouvaient plus se rémunérer sur les produits classiques, les banques ont dû imaginer d’autres moyens de reconstituer leurs marges commerciales. C’est ainsi qu’elles ont proposé des produits plus sophistiqués à marge commerciale plus élevée, marge totalement indécelable par le client qui ne pouvait plus comparer les offres des concurrents. Les banques ont adopté une politique commerciale offensive, demandant à leurs commerciaux de proposer aux emprunteurs des restructurations : dans certains cas, les commerciaux ont démarché la collectivité pour « renégocier » la dette tous les deux ans, en majorant les marges à chaque fois.
L’étendue de la responsabilité des banques est actuellement en jeu devant les tribunaux. Environ quinze collectivités ont annoncé avoir saisi les tribunaux pour obtenir l’annulation du contrat de prêt. Plusieurs dizaines de collectivités se trouvent également dans une phase précontentieuse, ayant confié leur dossier à un conseil. Le rapport analyse les chefs de responsabilité qui sont invoqués, comme l’obligation de conseil et d’information, et l’obligation de mise en garde qui suppose que le banquier attire l’attention de son client sur les dangers potentiels d’une opération donnée.
Les mesures qui ont été prises sont d’ampleur limitée. La charte Gissler représente une avancée, mais elle est encore insuffisante. La médiation instituée par le Gouvernement porte sur un nombre de dossiers assez faible. La médiation a été demandée pour 102 dossiers au total : les renégociations définitives réalisées sont au nombre de 12 auxquelles il faut ajouter 13 solutions temporaires.
Je sais par ailleurs que beaucoup d’élus locaux attendent les résultats des travaux de notre commission d’enquête, avant d’entamer toute démarche.
Le contrôle des services de l’État a été trop limité sur le terrain et peu vigilant en administration centrale. Le contrôle de légalité, réalisé par le préfet, n’a pas permis d’identifier les risques associés aux produits structurés. Les services préfectoraux n’avaient pas reçu d’instruction particulière en matière de produits structurés de la part de l’administration centrale. Les personnels n’avaient généralement pas la formation nécessaire pour traiter d’enjeux financiers d’une telle complexité. Enfin, les services préfectoraux n’ont que trop rarement été alertés par les assemblées délibérantes.
Le contrôle de régularité des opérations budgétaires et comptables, exercé par le comptable public, présentait des insuffisances, notamment à cause du fait que les conventions d’emprunt ne figurent pas dans les pièces justificatives devant être transmises aux comptables publics. Ceux-ci ne bénéficiaient d’aucune instruction spécifique quant aux produits structurés et ne pratiquaient que peu la mutualisation de leurs informations : ces instructions ne sont venues qu’en 2008. Les agents ne pouvaient donc que s’appuyer que sur la circulaire de 1992, mais celle-ci ne concerne que les swaps.
Pourtant, les juridictions financières ont joué leur rôle d’alerte à plusieurs reprises sur les risques associés des produits structurés. Mais il semble que l’administration n’a guère tenu compte de ces alertes.
La troisième et dernière partie du rapport – sans doute, la plus attendue – est consacrée aux propositions.
Le financement des collectivités territoriales doit être une priorité nationale. Or comme nous avons pu le constater, l’insuffisante liquidité du marché du crédit pèse sur les collectivités. Les tours de table sont aujourd’hui plus difficiles à boucler pour les acteurs locaux. En partie du fait de l’absence de marge, mais surtout parce que les règles prudentielles de « Bâle III » vont leur imposer d’avoir beaucoup plus de ressources liquides, des clients n’effectuant pas de dépôts sont aujourd’hui moins intéressants. Face à la raréfaction de l’offre bancaire, l’ajustement se fait par les prix. Les émissions obligataires apparaissent comme une solution d’avenir, mais elles ne sont aujourd’hui accessibles qu’aux grandes collectivités : elles ne représentent que 5,6 milliards d’euros, levés essentiellement par les régions et les communautés urbaines.
La puissance publique doit s’impliquer davantage. Avec Dexia, un acteur majeur du crédit au secteur local disparaît. Dexia Municipal Agency, qui assure le financement des collectivités territoriales françaises, aujourd’hui filiale à 100 % de Dexia, serait cédée à la Caisse des dépôts, pour 65 % de son capital, et à la Banque postale pour 5 %. L’encours de prêts structurés sera repris avec une garantie de l’État. Mais la nouvelle structure commerciale ne sera opérationnelle qu’en juin 2012.
Au-delà des fonds débloqués par la Caisse des dépôts, les incertitudes sont nombreuses. La création d’une agence de financement des collectivités territoriales est une piste intéressante, mais sa mise en place est conditionnée par la résolution de plusieurs questions relatives à ses modalités de création et de fonctionnement. Elle ne pourra pas être opérationnelle à court terme pour pallier le manque de financement aux collectivités.
Les dérives passées rendent nécessaire de mettre en place, pour l’avenir, un encadrement strict des modalités d’endettement des collectivités.
Comme la gestion des deniers publics ne peut être une question de spéculation, je vous propose de mettre en place un cadre législatif précisant les produits financiers accessibles aux acteurs publics, adaptés à leurs moyens de fonctionnement, comprenant :
– l’interdiction pure et simple des produits structurés ou dérivés pour les petites collectivités et les petits établissements publics : il paraît nécessaire de limiter les possibilités d’emprunts des communes de moins de 10 000 habitants, comme des établissements publics de moins de 20 000 habitants, aux produits à taux fixe ou à taux variable indexés sur un indice de la zone euro.
– l’interdiction des produits structurés ou dérivés avec multiplicateur pour l’ensemble des collectivités territoriales : l’engagement des finances locales ne peut se faire qu’en poursuivant un intérêt général présentant un caractère local. La charte Gissler a permis de mettre en place une première échelle d’appréciation des risques pris par les acteurs locaux les ayant souscrits. Les produits à effet de levier, classés parmi les produits les plus risqués, présentent donc un caractère spéculatif qui n’apparaît pas compatible avec une utilisation des deniers publics à des fins d’intérêt général.
– la mise en place d’un capping global pour tous les prêts aux collectivités territoriales, aux hôpitaux ou aux organismes du logement social. Aussi les futurs contrats d’emprunt devraient être obligatoirement assortis d’un taux maximal ou capping, défini de façon évolutive, de façon à prendre en compte l’évolution des conditions de marché.
S’il faut réglementer le marché des prêts, il convient aussi de renforcer l’information des élus et responsables sur les caractéristiques de l’endettement par une adaptation du cadre budgétaire et comptable. Il est en outre nécessaire d’assurer la sincérité de l’équilibre réel du budget des collectivités territoriales. C’est pourquoi je propose de prévoir l’inscription dans la loi des principes suivants :
– l’obligation d’un débat sur la dette dans les assemblées délibérantes, pouvant être articulé avec le débat sur les orientations générales du budget ;
– l’introduction de nouvelles annexes au compte administratif, permettant aux assemblées délibérantes comme aux citoyens de connaître précisément la structure de la dette des collectivités territoriales. Cette amélioration de l’information et de la transparence a été commencée avec la réforme des instructions comptables intervenues le 16 décembre 2010 ;
– l’obligation de provisionner les risques pris, à un niveau représentatif des risques de charges financières supplémentaires souscrites. Ce provisionnement pourrait être déterminé par référence à la valeur de marché des produits souscrits, ou par rapport à un taux de marché normal. Ainsi, les produits présentant une période bonifiée tout en cachant des risques sous-jacents devraient perdre leur intérêt pour les emprunteurs.
Dans le même esprit, je vous propose de renforcer l’encadrement juridique pour faire respecter ces règles, en prévoyant l’application du contrôle de légalité aux contrats de prêt, même s’ils relèvent du droit privé, sans pour autant les soumettre au code des marchés publics.
L’information du Parlement devrait être renforcée par deux moyens : un rapport annuel sur la dette locale, présentant des données complètes et agrégées, dont le principe a déjà été esquissé dans le projet de loi de finances pour 2012 ; un renforcement des prérogatives des commissions d’enquête parlementaires à l’égard des établissements de crédit, en prévoyant explicitement que le secret bancaire ne leur est pas opposable, comme c’est déjà le cas pour les autorités de supervision et les agences de notation.
Enfin, le sujet majeur de nos travaux est bien la solution à proposer pour traiter le stock existant d’emprunts toxiques. Pour cela, l’État pourrait jouer un rôle moteur pour assurer une renégociation des produits toxiques, sans défaisance.
Nous avons écarté la création d’une structure de défaisance, pour deux raisons : le coût de la capitalisation d’une structure de gestion de passifs qui serait prohibitif et le risque de favoriser la déresponsabilisation des emprunteurs. Cette solution pourrait être vue comme une incitation à continuer de prendre des risques en matière de gestion financière, dont les conséquences seraient assumées en fin de compte par le contribuable national.
Aussi la solution proposée repose-t-elle sur un regroupement des acteurs publics locaux pour négocier avec leurs créanciers, non plus collectivité par collectivité, mais produit par produit. Un pôle d’assistance et de transaction, s’appuyant sur les moyens des services de l’État, serait mis en place. Les collectivités et établissements publics volontaires seront invités à donner à ce pôle un mandat de gestion des emprunts structurés.
Le pôle pourra ainsi engager en leur nom un processus de renégociation de chacune des gammes de produits structurés avec les banquiers les ayant commercialisés. Afin de respecter le principe de libre administration des collectivités, cette participation ne pourra se faire que de façon volontaire.
La négociation aura pour objectif de convertir chaque type de prêt structuré en prêt classique, à taux fixe ou à taux variable. On obtiendrait, il faut l’espérer, un accord banque par banque, produit par produit. Cela imposera la répartition de l’effort financier entre la collectivité et l’établissement prêteur, en déduisant les éventuels gains obtenus en terme de charge d’intérêt du fait des taux d’intérêts bonifiés de la première période de l’emprunt. À l’issue de ce processus de renégociation, et après examen par les services de l’État, il serait possible, au cas par cas, d’envisager une subvention d’équilibre afin de permettre le rétablissement du budget des plus petites collectivités, dans le cas où elles ne pourraient assumer l’effort financier et fiscal susceptible de rétablir des conditions d’endettement plus sûres pour l’avenir.
Le rôle de la médiation Gissler pourrait être recentré sur les produits atypiques ou fortement toxiques, présentant un caractère de dangerosité plus avéré, tels que les produits avec des effets de structure cumulatifs de type « snowball ».
M. le président. Au nom de ses membres, j’aimerais remercier le rapporteur et le secrétariat de la commission d’enquête pour le travail fourni. Le constat et les propositions me paraissent solides.
M. Bernard Derosier. La première partie du rapport que nous a présenté notre rapporteur m’apparaît comme l’exact reflet de ce que nous avons entendu. N’étant pas concerné directement par les emprunts toxiques, je peux rappeler que nos propositions doivent se situer au-delà de ces clivages, et respecter les principes d’autonomie et de responsabilité, fondateurs de la décentralisation. C’est au cadre légal de protéger les collectivités locales et leurs élus.
Parmi les propositions, il me semble qu’il convient de mettre en place un cadre légal interdisant aux banques de proposer des emprunts structurés pour les petites communes et pour les petits EPCI. Il serait plus juste de formuler l’interdiction aux banques de proposer des emprunts avec multiplicateur, plutôt que de limiter la capacité d’appréciation laissée aux assemblées délibérantes.
Par ailleurs, depuis 1982, le concept de contrôle de légalité m’a toujours irrité. Je ne suis pas contre le contrôle du respect des lois, mais il ne convient pas de donner trop de moyens à ce pouvoir préfectoral. Il lui est ainsi tout à fait loisible de demander copie des contrats en annexe des délibérations transmises.
Enfin, la présentation exonère un peu trop l’État. Les chambres régionales des comptes, les trésoriers généraux payeurs ont aussi eu leur part de responsabilité. C’est pourquoi l’État doit aussi remplir sa mission de solidarité, en prenant une part plus importante dans la résolution des difficultés.
M. Henri Plagnol. Je voudrais souligner l’excellence du travail réalisé. Mes observations rejoignent celle de M. Derosier ; il n’y a donc pas de clivage partisan. Mais, il me semble que cette présentation va un peu trop loin dans les obligations de provision que l’on impose aux collectivités territoriales : l’obligation de provisionnement, qui risque d’achever de freiner la capacité d’investissement des collectivités locales, ne me semble pas opportune pour elles ou bien elle doit être minimale ; si on l’aborde, le ministère des Finances et les juridictions financières vont rendre les obligations de provision très contraignantes.
Quant au contrôle de légalité, il n’est pas adapté aux contrats de prêt. On pourrait plutôt prévoir qu’une copie du contrat soit envoyée au trésorier-payeur général qui respectera la confidentialité.
Les émissions obligataires devraient être encouragées par notre rapport, notamment pour les collectivités moins importantes, par un soutien à la proposition de loi qui a été déposée.
La responsabilité des banques devrait être qualifiée, dans le corps du rapport, par l’emploi des termes « usuraire » et « spéculatif » pour qualifier leurs pratiques. Le montage de résorption est intéressant, mais manque de précision sur la structure de portage. Sans aller vers une structure de défaisance, la structure de portage devrait garantir les conditions des prêts, notamment grâce à un adossement à la Caisse des dépôts.
M. Dominique Baert. Mes observations vont rejoindre celles de M. Plagnol. Ce rapport marquera une étape de la réflexion, et un document de référence. Mais il ne sera qu’un rapport d’étape ; il conviendrait qu’une évaluation soit prévue, après les prochaines échéances électorales.
L’obligation de provisionnement des risques pris est une idée qui circule depuis un certain temps, mais qui soulève de nombreuses questions, sur la définition des risques à provisionner, et sur le montant de ces provisions. S’il s’agit de provisionner à hauteur du « mark to market », cela va au-delà de la capacité des collectivités territoriales. Les chambres régionales des comptes elles-mêmes sont incapables actuellement de définir ce risque pris. Par ailleurs, ces provisions conduiront à dégager des ressources, qui seront déposées sur les comptes des correspondants du Trésor, au bénéfice de la dette de l’État. Il convient de mieux encadrer cette proposition.
Cette présentation ne souligne pas assez la responsabilité des établissements bancaires, et de certains d’entre eux en particulier. Les produits structurés et les swaps des banques étrangères sont parfois plus toxiques que ceux proposés par Dexia. Le terme de « dol » devrait être présent dans le corps du rapport, car c’est sur ce fondement que de nombreuses collectivités ont assigné les banques.
Il ne faudrait pas non plus oublier la responsabilité des agences de notation pour les collectivités qui disposaient d’une notation. Les agences de notation encourageaient à la gestion active de la dette pour la modération des charges financières.
J’étais favorable à la mise en place d’un capping ; reste la question clé du montant des soultes à payer lors de la renégociation des prêts. Il ne faut pas idéaliser les résultats à attendre de la négociation ; la menace de l’intervention législative doit toujours être présente.
M. Louis Giscard d’Estaing. À mon tour, je voudrais souligner combien les travaux de cette commission d’enquête ont été intéressants et utiles. Aussi, la présentation par le rapporteur de ses conclusions correspond à ce que l’on pouvait espérer, c’est-à-dire, d’une part, un diagnostic parfaitement partagé des tenants et aboutissants de la situation qui a conduit à ces emprunts toxiques et, d’autre part, des préconisations pour remédier à ce qui a été constaté. En félicitant le rapporteur Jean-Pierre Gorges, un collègue parfaitement pertinent dans son travail, je souhaiterais d’abord aborder la question de l’autonomie des collectivités locales.
À ce sujet, nous sommes dans l’ambiguïté entre leur responsabilité, dans le cadre de l’autonomie des collectivités locales, et la solidarité de l’État. Concernant les décisions prises par celles-ci, le contrôle de l’État n’existe qu’a posteriori, et si les trésoriers constatent éventuellement le stock de dette, ils ne rentrent pas dans le détail. Dans une collectivité, comme celle dont j’ai la responsabilité municipale depuis cinq ans maintenant, nous avions un crédit-bail à taux fixe à 9,70 % souscrit en 1992 sur vingt ans et qui se terminera l’année prochaine. Un crédit-bail de cette nature est un poids terrible. Pourtant, il est inscrit hors dette car il ne fait pas partie des engagements du stock de dette. Sur ce plan-là, l’analyse qui nous est faite par les services de la trésorerie ne comporte pas cet aspect qualitatif de la nature des risques financiers pour la collectivité.
Deuxième remarque sur l’excellent principe de solidarité financière équilibrée proposé par Jean-Pierre Gorges : on met dans un même pot commun les gains constatés par rapport à des taux fixes et les pertes éventuelles pour faire en sorte qu’il n’y ait pas, d’une part, des gagnants à court terme, notamment dans la période précédant les échéances municipales, et d’autre part, des perdants qui aujourd’hui se tourneraient vers la responsabilité de l’État qui n’était pas partie prenante dans la décision initiale de souscription.
Troisième point, le contrôle de légalité n’a pas la capacité d’intervenir si ce n’est a posteriori et encore faudrait-il que ces contrats soient déclarés illicites ou illégaux. Les chambres régionales des comptes (CRC) exercent aussi un contrôle a posteriori. Dernière évocation, le rôle de l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) qui a succédé à la Commission bancaire. Nous avons auditionné, ce matin, la secrétaire générale de l’ACP qui a évoqué la création d’un pôle commun ACP-AMF visant à contrôler les pratiques commerciales des établissements bancaires et financiers. Ce contrôle commun devrait vérifier que les pratiques commerciales de distribution de certains produits et de certains contrats soient autorisées par ces deux autorités.
M. Charles de La Verpillière. Je m’associe aux félicitations qui ont été adressées à notre rapporteur et à tous ceux qui l’ont aidé. Je reviens très rapidement sur deux points. L’idée de la renégociation mutualisée est excellente : il faut bien être conscient qu’elle n’aura des chances d’aboutir qu’avec les banques qui ont encore des perspectives et des espoirs de commercialiser des prêts aux collectivités territoriales et donc seront incitées à faire des gestes ; en revanche, ce sera peut-être plus dur avec Dexia qui n’a plus rien à perdre. Par ailleurs, l’idée d’une loi qui menacerait de caper a posteriori les contrats poserait un problème de constitutionalité au nom du principe de liberté contractuelle. Cela pourrait donner lieu à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
M. Patrice Calméjane. Ce type de commission représente bien un parlement moderne : par la transparence avec laquelle on peut travailler avec l’ensemble des collègues quelles que soient les étiquettes politiques, par les auditions et la clarté des questions qu’on a pu poser et bien entendu par le travail qui a pu être fait avec les personnels de l’Assemblée nationale. Pour revenir à notre sujet, je trouve que nous sommes aimables avec les personnes qui ont prêté serment et qui nous ont juré ne pas avoir vendu ce type de produits aux petites collectivités. Nous avons aussi auditionné des élus qui nous ont dit qu’ils n’en avaient pas pris. Il faut rappeler que des personnes ont prêté serment et nous ont raconté des histoires devant cette commission. Constatant ces mensonges, nous pourrions bénéficier d’un rapport de force favorable pour aider les collectivités qui ont un réel problème. Par ailleurs, ce sujet montre, premièrement, que nous touchons les limites des lois de décentralisation : nous voyons que revendiquer une extrême liberté de gestion peut entraîner des risques importants pour certaines collectivités. Aussi, alors que certains politiques ont sciemment fait des opérations d’embellissement de bilans ou de budgets à l’approche d’échéances électorales, il n’y a pas de sanctions, autres que démocratiques. Deuxièmement, il est vrai qu’il n’y a pas eu de contrôle des services comptables ou autres de l’État. En effet, les chambres régionales des comptes ou les comptables publics ne pouvaient exercer leur rôle de contrôle étant donné que la nature des produits concernés ne correspondait pas aux nomenclatures comptables des collectivités.
Enfin, je suis d’accord avec les mécanismes proposés par le rapporteur. Par contre, il y a un bémol concernant le nécessaire retournement de situation sur un certain nombre de produits. Je voudrais être un peu plus pessimiste que le rapporteur et dire que les ratios avec le franc suisse par exemple ne sont pas prêts de se retourner. Un élément pose également problème dans ces contrats : le calcul de la soulte de sortie qui doit être cotée, non par la banque concernée, mais par deux autres établissements proches. J’ai quand même un petit doute sur la façon dont tout cela peut être calculé de sorte qu’il serait souhaitable d’introduire un élément de neutralité dans le sujet. Pour finir, il faut demander à nos collègues des autres collectivités de s’ouvrir un petit peu plus concernant les éléments à rendre publics sur les dettes. Avoir un volume de dette c’est une chose, voir ce qu’il y a à l’intérieur c’est différent : il faut trouver des outils pour renforcer l’information de l’assemblée délibérante et des citoyens.
M. Jean-Louis Gagnaire. À mon tour de remercier le rapporteur, le président et les équipes de l’Assemblée nationale. On peut être satisfait du travail fait en commun dans une saine ambiance. En effet, il pouvait y avoir au départ une certaine méfiance par rapport à la situation de telle ou telle collectivité. Au fur et à mesure qu’on est rentré dans la « boîte noire », on a pris conscience du désastre. À cet égard, on a vu qu’il n’y avait pas quelques cas particuliers, mais un effet de contamination massive et on a à peu près compris le mécanisme mis en place avec la complicité ou à l’insu des élus, cela reste à déterminer au cas par cas.
Un aspect n’a pas encore été abordé, celui de la qualification des cabinets de conseil : il faut que nous ayons un système de certification de ceux-ci. Sur la question du contrôle de légalité, nous sommes à peu près tous d’accord : celui-ci n’est pas opérant en réalité tel qu’il est aujourd’hui exercé par les préfets. En revanche, il me semble que rien n’interdit que les chambres régionales des comptes soient consultées pour avis sur un certain nombre de produits qui sortent de l’ordinaire. Les CRC me semblent tout à fait aptes à fournir ce type d’avis dès lors que cela concerne des masses importantes de crédits ; c’est quand même la Cour des comptes qui a vu la première les risques encourus. Enfin, je pense inévitablement qu’il faut aller vers le provisionnement des risques dans la mesure où, ayant à faire à des produits capés, le risque sera connu. À titre de comparaison avec la comptabilité privée, la provision limite le risque, ce qui évite de bâtir des budgets insincères. Par ailleurs, les amortissements ne sont pas suffisamment utilisés par les grandes collectivités. Or, cela éviterait, pour les fins de mandats, de laisser des cadavres dans les placards. Autant le provisionnement des risques sur le passé est impossible, autant le provisionnement sur les prêts à venir doit être supportable.
Pour le reste, il faudra distinguer Dexia des autres banques. Dexia ayant été recapitalisée par la Caisse des dépôts et consignations à hauteur de six milliards d’euros, j’ai le sentiment que l’on a à faire à une structure de défaisance. Il ne faudrait pas que Dexia porte seule toutes les responsabilités : les autres banques ne doivent pas passer entre les mailles du filet. Enfin, je vous invite les uns et les autres à lire le compte rendu de la Commission des affaires économiques de ce matin avec Philippe Val, de la Banque Postale, qui a donné un certain nombre d’indications éclairantes sur les mécanismes mis en place.
M. Thierry Carcenac. Je me joindrai aux félicitations déjà exprimées quant au travail accompli. Je crois que l’état des lieux comme les propositions sont de bonne qualité.
S’agissant de l’autonomie des collectivités locales, je crois qu’il faut faire attention à la manière dont on peut encadrer celle-ci. Il nous faut toutefois renforcer la transparence, et les propositions du rapport vont en ce sens.
En ce qui concerne les contrôles, je rappelle que les collectivités locales payent des frais de conseil aux comptables publics. Étant donné que les indemnités des comptables publics sont plafonnées, les collectivités locales se substituent à l’État dans le financement de ces activités de conseil. Leur mission n’est donc pas seulement de contrôler les écritures comptables. Plutôt que de renforcer le contrôle de légalité du préfet, le trésorier-payeur devrait avoir connaissance du contrat d’emprunt. On pourrait ainsi avoir un mécanisme d’alerte, les trésoriers-payeurs étant formés et pouvant recevoir l’appui de l’agence France Trésor.
S’agissant des provisions, le principe ne me choque pas mais il est nécessaire que celles-ci soient plafonnées à un certain taux, par exemple au taux normal de marché. Dans le cas contraire, selon le type de taux et le type de produits, les provisions seraient plus ou moins élevées. Par exemple, pour les produits indexés sur la parité entre l’euro et le franc suisse dont les taux atteignent 24 %, les provisions seraient trop importantes. C’est pourquoi il serait préférable de les limiter au taux normal de marché.
Quant à l’insuffisance de liquidité, il s’agit ici d’une vraie préoccupation. Je me souviens qu’avant les lois de décentralisation, des conférences réunissant la caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales (CAECL), l’État et la totalité des banques avaient lieu pour discuter des investissements dans les départements. Avec ce système, lorsque le budget est voté, il est possible de connaître les investissements qui vont être réalisés et le montant des prêts qui vont être sollicités. On pourrait constituer un pool composé des différents banquiers afin de voir de quelle façon l’on peut répartir l’épargne locale, et le cas échéant, évaluer l’opportunité de recourir à d’autres moyens de financement via notamment une agence de financement intervenant directement sur les marchés. À l’échelle du territoire et en partenariat avec les banques, on devrait parvenir à trouver comment financer les collectivités locales. Ceci est d’autant plus nécessaire que toutes les collectivités vont dorénavant souscrire des emprunts à taux fixes ou des emprunts à taux variables autorisés par la charte Gissler, ce qui réduira les possibilités de financement.
M. Jean Proriol. Tout d’abord, je me félicite du bon déroulement de cette commission d’enquête. Je crois que M. le président, M. le rapporteur et tous les membres de la commission ont été à la hauteur de leur mission.
Ensuite, je m’interroge sur un point : il manque aux collectivités un relevé d’ensemble leur présentant l’état de leur endettement. Dexia faisait ce type de bilan et continue de le faire encore. Le trésorier-payeur en réalise quelquefois mais ne rédige pas les documents lui-même. Ne faudrait-il pas confier à un organisme la mission d’enregistrer les différents emprunts souscrits par les collectivités dans les différentes banques, qu’elles soient françaises, étrangères ou coopératives ?
M. le président. Tout d’abord, sur la question de la décentralisation, il est vrai que nous y sommes maintenant tous attachés. Lorsque l’on se rappelle les débats qui ont animé l’Assemblée nationale au moment où Pierre Mauroy présentait ses premiers textes, l’on voit les progrès qui ont pu être faits et l’on remarque que la décentralisation est aujourd’hui acceptée par tous.
Cependant, il faut que l’on se détermine : soit l’on considère qu’il faut préserver une autonomie totale, ce qui empêche d’appeler l’État en recours ; soit l’on fixe une règle du jeu, qui existe déjà dans bon nombre de secteurs. Le fait qu’il puisse y avoir une norme financière n’ôterait pas de pouvoir aux collectivités locales. Une autre solution consisterait à exiger que chacun des produits financiers mis sur le marché porte un label de l’État : s’il y a un tel label, l’État apporte sa garantie mais si les élus veulent sortir de ce secteur « surveillé », ils le peuvent.
Je pense qu’il faut que nous tranchions cette question car cela constitue l’un des éléments qui sera très observé par nos collègues élus et sur lequel nous sommes attendus. J’insiste sur ce point : il y a de nombreux sujets sur lesquels aujourd’hui les collectivités locales sont soumises à des normes. Chacun constate, qu’à tous les niveaux, il n’y a pas eu d’expertise suffisante : on en déduit qu’une norme devrait obliger les uns et les autres à porter une attention plus soutenue aux souscriptions d’emprunts.
J’ai eu l’occasion de vivre ces dysfonctionnements. Un rapport intermédiaire de la chambre régionale des comptes a été dressé, qui ne disait mot sur les produits structurés. Entre le rapport intermédiaire et le rapport définitif a été publié le rapport thématique de la Cour des comptes ; les membres de la chambre régionale des comptes ont souhaité récupérer leur document pour y effectuer des modifications.
S’il n’y a pas une norme financière a priori, comment voulez-vous qu’a posteriori les uns et les autres n’aient pas regardé de manière légère les différentes propositions faites aux collectivités locales en matière d’emprunts ? Sur ce point, je pense que cela est d’autant plus important que nous avons constaté une situation d’asymétrie grave de l’information entre les élus et les banques.
J’ai été très marqué par l’intervention de M. de Romanet, le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. Il a été très précis et a eu des gestes d’ouverture mais un point m’a un peu inquiété. Vous l’avez entendu rendre un hommage appuyé au personnel de Dexia qui a été maintenu. Mais la situation est tout de même compliquée car nous allons avoir une structure privée, avec du personnel privé, dont l’essentiel de l’activité concernera les collectivités qui ont des produits structurés, qui aura à négocier et donc à accepter des pertes au nom de ses actionnaires privés pour pouvoir sortir les collectivités des difficultés. Si tous les établissements doivent être cités, la responsabilité de Dexia est plus grande vu son rôle historique auprès des collectivités.
Quant aux provisions : même si la récente ordonnance de référé du TGI de Paris à propos de la ville de Saint-Étienne est intéressante, la ville a tout de même été obligée de provisionner. Cette question de provision porte plus sur le stock que sur le flux car sur ce dernier, nous proposons des solutions. Les provisions pourront être calculées sur la mesure du delta entre le taux et le cap. Il faut évidemment introduire une différence entre le stock et les nouveaux emprunts.
M. le rapporteur. Je vais répondre à un certain nombre de questions. D’une manière générale, sur la responsabilité, j’ai souligné dans le projet de rapport la bonne foi des collectivités, qui n’avaient pas les compétences nécessaires. Au départ, on a pensé que les banques ont fourni aux collectivités de l’argent bon marché pour leurs investissements. Mais ensuite, nous avons compris que les restructurations de prêts ont touché tout le monde, y compris les petites collectivités. Il y a au moins 1 700 collectivités de moins de 10 000 habitants qui ont contracté des prêts structurés. S’agissant des mensonges, je suis d’accord pour transférer tout cela à un procureur. Les produits sont incompréhensibles ; la démarche a été agressive. Quand on passe de 500 à 35 000 personnes dans une entreprise, il y a là une démarche agressive et on sent bien que les autres banques ont dû suivre ; et ce, d’autant que des banques étrangères sont arrivées en concurrentes sur le marché.
Sur la partie du rapport relative au diagnostic, on peut aller plus loin mais il faut tout de même que l’on puisse mettre tout le monde ensuite autour de la table. Ce qui m’intéresse, c’est que les collectivités confient un mandat de gestion du prêt, que les banques prennent une part du risque, et que l’État qui a été plutôt passif les oblige à une conciliation. Il s’agit d’un système qui permet que la charge de la toxicité soit portée par tous. L’idée est de dire que ce qui est toxique ce ne sont ni les collectivités dont on parle, ni les élus, ni les banques, mais les produits.
S’agissant des obligations, la clé de voûte du système, ce sont les provisions. La comptabilité privée le montre bien : la sincérité des comptes est garantie par la provision dans les deux sens, pour les dépenses comme les recettes à venir. Les provisions ne sont pas une dépense. Elles perturbent certes le ratio dette/autofinancement, mais il s’agit d’une dépense fictive. Si l’on impose un cap, on provisionnera quelque chose de très faible qui tombera tous les ans. C’est une dette fictive qui est remise en cause tous les ans. Je vous mets en garde quant au point suivant : on a aujourd’hui des emprunts à taux fixe et à taux variable, dont les produits structurés ; le produit de demain, nous ne le connaissons pas encore. La banque doit toujours gagner sur l’intermédiation, sur le prix de l’argent et sur les mouvements. Pour la protection, on pourrait dire que ce n’est pas la taille de la commune qui importe. À partir du moment où l’on met un capping et que l’on provisionne, on tient le système mécaniquement et on l’a protégé. On ne peut pas faire intervenir le trésorier-payeur, ce n’est pas son rôle. En revanche, on doit renforcer le contrôle de la sincérité des comptes au niveau du préfet : on ne peut laisser en dehors du contrôle une partie des comptes d’une collectivité. La provision est une charge fictive qui rétablit la sincérité des comptes.
M. Henri Plagnol. Je mets en garde les membres de la commission quant à la préconisation d’un système lourd de provisions, car je crains que cela ne bloque la capacité des collectivités à souscrire des emprunts.
M. le rapporteur. La provision est un moyen d’empêcher la collectivité de se risquer à une gestion financière dangereuse ; si les collectivités avaient inscrit par elles-mêmes de manière volontaire cette charge dans leurs comptes, le déséquilibre que risquait d’entraîner l’emprunt aurait été visible et les situations que nous connaissons ne se seraient pas produites.
Je propose que si une collectivité entre dans le dispositif proposé par mon rapport, elle n’ait pas à effectuer de provisionnement pour ses emprunts passés. Pour l’avenir, il me paraît essentiel de prévoir ce mécanisme comptable, qui correspond d’ailleurs aux exigences de l’instruction M14, selon lequel la collectivité inscrit une provision calculée par rapport à un taux d’intérêt EURIBOR + N à fixer. Je redis qu’il s’agit d’une charge fictive revue tous les ans. La conséquence n’en sera d’ailleurs pas très lourde si on adopte concomitamment le principe d’emprunt capé. Ainsi, les collectivités seront protégées à l’avenir des nouveaux produits financiers de gestion dynamique qui seront certainement imaginés par les cerveaux fertiles des établissements bancaires.
La Commission bancaire n’avait pas pour mission de protéger les clients emprunteurs des banques ; ce sera maintenant inscrit dans la mission de l’Autorité de contrôle prudentiel.
L’idée de sanctions émise par M. Calmejane est pertinente : les représentants des banques n’ont pas tous été de bonne foi lors de nos auditions, je considère même que les représentants de Dexia ont clairement menti sur plusieurs points. La responsabilité de certains élus est lourde également, lorsqu’ils ont signé un emprunt entre les deux tours des élections locales.
J’approuve la suggestion d’une labellisation des cabinets de conseil. Ce serait un progrès, car la Commission a constaté des situations alarmantes en ce domaine.
M. Dominique Baert. Un système de provisions pourrait être visé par le trésorier-payeur municipal, ce qui constituerait un élément d’analyse et d’alerte.
M. Patrice Calméjane. Il serait tout de même important que le Trésorier-payeur général puisse regarder la teneur du contrat lorsqu’il procède au paiement. Ainsi, dans le cas d’un produit d’emprunt complexe, il pourrait émettre un avis, une alerte, transmis à la collectivité.
M. Dominique Baert. La révision générale des politiques publiques a fait du TPG le chef des services économiques et financiers de l’État en région ; il me semble que le préfet n’interviendra plus ce domaine.
M. le rapporteur. L’analyse faite par le trésorier-payeur municipal donnerait en effet une information complémentaire. L’équilibre à établir n’est pas facile : il convient de préserver l’autonomie de gestion des collectivités, et imposer un seuil en fonction du nombre d’habitants paraît délicat car on a vu que des erreurs avaient été commises dans de grandes collectivités, et qu’il peut y avoir des compétences de gestion financière dans une petite collectivité.
Si l’encadrement juridique des produits financiers eux-mêmes est suffisamment précis, on peut éviter de créer un seuil entre les différentes collectivités selon leur taille et éviter cette forme d’inégalité.
M. Dominique Baert. Il convient d’être prudent dans la formulation du système de provision qui sera proposé. Je viens d’assister à un rapport de la chambre régionale des comptes consacré à la Communauté urbaine de Lille : deux préconisations posent difficulté, et ce sont justement la définition des documents annexes au compte administratif et le provisionnement. La chambre le préconise, mais n’indique pas sur quelle base. La provision doit être adossée au risque, mais la difficulté est d’évaluer ce risque : si nous prenons le « mark to market » de l’ensemble du stock de la dette, nous aboutissons à une provision négative de 170 millions d'euros, ce qui donne une provision matériellement impossible à inscrire. Beaucoup de collectivités peuvent se trouver dans ce cas de montants très importants. Pourtant, cela représente juste le coût de cession d’une créance présentée sur le marché, c’est très aléatoire. Y a-t-il lieu de le fixer à 10 %, ou à 5 % du mark to market ? Pourquoi provisionner intégralement aujourd’hui un risque futur et incertain, sur une durée de vingt-cinq ans par exemple ?
M. le président. La provision pourrait être fonction du taux qui aurait dû être payé selon le marché. Sur la base d’un taux fixe à vingt ans par exemple.
M. Dominique Baert. Oui, mais les opérations peuvent être « swapées » six ou sept fois, et par conséquence les flux ne seront pas faciles à reconstituer et la collectivité risque d’être obligée de demander au prestataire bancaire de la calculer avec des modèles économiques. Je suis d’accord sur la nécessité de provisionner mais il ne faut pas valider l’idée que l’intégralité de la provision doit être établie sur le mark to market.
M. le président. À propos de responsabilité des élus, je précise, pour votre information, qu’en ce qui concerne un dossier du département de la Seine-Saint-Denis qui a été porté en justice, le contrat d’emprunt avait été signé le 8 février 2008 soit juste avant les élections cantonales. Lorsque le fonctionnaire des services financiers a fait l’appel aux fonds, le document n’a été soumis ni à l’élu aux finances, ni encore moins au président du conseil général. Voici un exemple de la manière dont ces dérives pouvaient intervenir : le fonctionnement des collectivités locales est donc largement améliorable.
En conclusion, je vous invite à prendre connaissance du rapport qui sera mis à votre disposition. Vous pourrez proposer de joindre des contributions à ce rapport, que vous ferez parvenir au secrétariat de la commission.
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La commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux s’est réunie à nouveau le mardi 6 décembre 2011 à 17 heures, sous la présidence de M. Claude Bartolone, pour procéder à l’adoption du rapport d’enquête de M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur.
M. le président Claude Bartolone. Mes chers collègues, cette réunion est la dernière puisque les travaux de notre commission d’enquête, créée le 8 juin 2011, prendront fin le 8 décembre lorsque nous remettrons notre rapport au président de l’Assemblée nationale.
Nombre d’entre vous en sont convenus lors de notre précédente réunion, ces travaux, qui se sont déroulés dans un climat d’écoute et de coopération particulièrement favorable, ont été à la fois éclairants, édifiants et constructifs.
Éclairants, car les données que notre rapporteur a obtenues et synthétisées fournissent un état des lieux et des chiffres incontestables, qui permettent de mesurer l’ampleur du problème. Avec 10 690 prêts structurés recensés, qui représentent un encours d’emprunts à risque de 18,8 milliards d’euros, on ne peut plus soutenir, comme le faisait notamment le Gouvernement au début de nos travaux, que le problème est limité à quelques cas isolés parmi les grosses collectivités.
Édifiants, car nos auditions ont montré comment les établissements bancaires, avec lesquelles les acteurs publics locaux avaient historiquement noué des relations de confiance, leur ont proposé de façon systématique, notamment à de nombreuses petites communes qui ne disposaient pas des outils nécessaires à la gestion financière du risque, des produits potentiellement toxiques. Ces emprunts indexés sur des formules toujours plus complexes, toujours plus exotiques, se sont développés sans provoquer de réaction de l’État, qui a manqué à sa mission de surveillance et de contrôle des pratiques commerciales des prêteurs au secteur local.
Enfin, nos travaux ont été constructifs : la commission d’enquête a cherché à déterminer les responsabilités de chacun, mais aussi la manière dont les acteurs publics pourraient apurer les éléments toxiques de leur endettement. Nous nous sommes également accordés sur la nécessité de règles propres à épargner désormais aux collectivités et aux établissements publics les conséquences financières de risques sous-jacents dont ils ne peuvent mesurer toute la portée.
Notre rapporteur, M. Jean-Pierre Gorges, a présenté la semaine dernière ses propositions sur la gestion du stock des emprunts à risque et sur les mesures à adopter. Le projet de rapport a été mis, comme c’est la règle, à la disposition des membres de la commission d’enquête du vendredi 2 décembre à aujourd’hui à seize heures. Certains d’entre vous en ont pris connaissance et ont fait part de leurs points de vue au rapporteur, lequel va nous préciser le sort qu’il a réservé à leurs remarques. Nous devons aujourd’hui nous prononcer sur ce projet de rapport. S’il est adopté, il fera l’objet d’un dépôt au Journal officiel et, sauf décision contraire de l’Assemblée constituée en comité secret, il sera imprimé et distribué.
M. Gorges et moi-même présenterons le résultat des travaux de la commission d’enquête au cours d’une conférence de presse qui aura lieu le 15 décembre à midi. Je remercie ceux de nos collègues qui ont déjà annoncé qu’ils se joindraient à nous. Dans l’intervalle, aux termes de l’instruction générale du Bureau, le rapport doit rester confidentiel. Vous avez été invités à transmettre au secrétariat de la commission, avant le 7 décembre à midi, vos éventuelles contributions écrites, qui pourront être publiées en annexe.
À l’issue de ce travail, nous offrons aux acteurs publics la perspective de sortir d’une passe dangereuse. Je rappelle qu’à peine 50 % des produits sont sortis de la période de bonification. Nombre des personnes que nous avons auditionnées nous l’ont confirmé, le problème que nous nous sommes donné tant de mal à mettre au jour est encore à venir.
M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Notre commission ayant examiné mes propositions mercredi dernier, j’indiquerai simplement les précisions qui résultent des observations formulées par plusieurs membres au cours de notre précédente réunion ou après consultation du projet de rapport.
Tout d’abord, les banques sont encore plus sévèrement mises en cause. Le projet de rapport ne permettra pas à leurs représentants de s’exonérer de leurs responsabilités. Cela étant, il paraît difficile d’employer des termes relevant de l’incrimination pénale, bien que nous ayons découvert que 1 700 collectivités de moins de 10 000 habitants avaient contracté des prêts à risque après que certains nous avaient certifié sous serment qu’ils n’avaient pas démarché les petites collectivités…
Les responsabilités de l’État à travers ses différentes administrations sont elles aussi clairement décrites. Nous avons également mentionné la responsabilité certes ambiguë des agences de notation, qui ne notent qu’une vingtaine de collectivités, mais qui ont commis des erreurs.
Nous affirmons ensuite la nécessité d’encadrer le secteur du conseil financier aux acteurs publics locaux, comme l’a proposé plusieurs fois M. Gagnaire : la vérification des qualifications nécessaires, la certification des intervenants et le recours à une charte de bonnes pratiques sont désormais requises. On a vu en effet que, dans certaines grandes villes, les conseillers financiers avaient été recrutés « à la bonne franquette » malgré leur rémunération élevée et les conséquences potentielles de leurs actes.
En outre, nous encourageons le recours aux émissions obligataires et à une agence mutualiste de financement des collectivités territoriales. J’ai personnellement l’intention de recourir, pour ma ville, aux émissions obligataires, seul moyen de pallier le manque de liquidité, à moins de me tourner vers les banques chinoises qui me démarchent très activement.
Par ailleurs, l’interdiction des produits structurés aux petites communes et aux petits établissements publics a été supprimée des préconisations, afin de ne pas distinguer les acteurs locaux en fonction de leur taille. En effet, cela n’est pas justifié dès lors que nous encadrons suffisamment la gestion des emprunts : le maire d’un village peut être très compétent, alors que les grandes communes n’ont pas fait la preuve qu’elles disposaient des compétences nécessaires.
Si l’obligation de provisionnement pour risques a été maintenue, il est précisé que « ces provisions devraient être fixées à un niveau minimal, pour ne pas peser sur la capacité d’investissement des acteurs publics locaux, tout en étant suffisamment dissuasives pour décourager la prise de risque que recèlent certains produits structurés ». Le principe du provisionnement obligatoire a gêné certains d’entre vous. Mais lui seul a fait quasiment disparaître les produits toxiques dans le secteur marchand, comme M. Gagnaire l’a rappelé. Il faut absolument le dire dans le rapport. D’autre part, seule l’obligation des provisions garantit la sincérité d’une comptabilité, dans un sens comme dans l’autre, d’ailleurs : on est aussi fautif si l’on perçoit un produit alors que l’on a levé l’impôt en vue d’une charge.
Enfin, ce principe incitera les collectivités, y compris celles qui bénéficient encore de la période bonifiée, à confier leurs prêts toxiques au pôle d’assistance et de transaction dans le délai de six mois qui leur sera imparti, puisque celles qui ne l’auront pas fait devront provisionner pour compenser le risque de taux. Les collectivités auront le marché en mains sachant que, plus l’opération intégrera de collectivités, notamment en période de bonification, plus elle sera avantageuse pour tout le monde. Les collectivités qui n’entreront pas dans la structure devront provisionner les risques pris.
Le seuil de provisionnement sera fondé sur un prix de marché : soit sur le taux d’usure, soit sur le taux de marché sous la forme « Euribor + x », afin de protéger la collectivité malgré la variabilité du taux sur l’année. On ne peut pas exonérer les collectivités du respect de la règle d’or au moment où l’on envisage de l’étendre à l’État, qui pourrait lui aussi être amené à provisionner compte tenu des variations de taux auxquelles sont soumis ses emprunts.
Ensuite, afin d’éviter que des emprunts ne soient conclus juste avant ou pendant les élections, ce qui soustrairait le responsable à l’obligation d’en rendre compte et empêcherait tout contrôle démocratique, il est proposé que les délégations consenties par les assemblées délibérantes aux exécutifs locaux prennent fin dès l’ouverture de la campagne officielle. Il est indispensable de le préciser, car si la déontologie interdit par exemple de signer un gros contrat de délégation de service public (DSP) juste avant l’échéance électorale, on nous a fait part de situations incroyables où les élus avaient conclu des contrats entre les deux tours ! Cela étant, si une urgence survient au cours de ces quelques semaines, l’assemblée délibérante pourrait autoriser une souscription d’emprunts par délibération expresse. Dans ce cas, la décision sera transparente et pourra même nourrir le débat politique.
Des parlementaires et des représentants des élus locaux participeront au pôle d’assistance et de transaction, pour que les collectivités concernées ne soient pas seules avec les représentants de l’administration et les banquiers. Ce pôle ne sera toutefois pas une structure dotée de la personnalité juridique, qui nécessiterait l’adoption préalable d’une loi, car il doit être mis sur pied très rapidement : chaque jour, en effet, des emprunteurs sortent de la période bonifiée, ce qui, on l’a vu, pénalise tous ceux qui prendront part au processus de transaction.
Les grands principes de la renégociation ont été précisés.
Les gains réalisés par la personne publique du fait de la bonification des taux d’intérêt devront être réintégrés dans le bilan des charges financières dont elles sont redevables. Quand on défait, on défait tout !
Les banques prendront en charge les encours à risque dans le cadre de la renégociation des prêts existants. Il leur reviendra de gérer ces encours toxiques comme elles le souhaitent, par débouclage immédiat ou conservation des positions jusqu’à éventuelle amélioration de la situation sur les marchés. Par exemple, si la renégociation aboutit à un taux fixe de 5 % mais que la banque obtient par la suite sur les marchés un taux de 3 %, elle dégagera deux points de marge supplémentaires, et sera gagnante, mais il faut jouer le jeu jusqu’au bout. Ceux qui veulent éviter cela n’ont qu’à en rester aux conditions antérieures. Si les banques sont fautives, c’est uniquement dans la mesure où elles ont traité les collectivités comme des entreprises, sans tenir compte de la différence entre le cycle des emprunts structurés, qui se retourne au bout de deux, trois ou quatre ans, voire davantage, et le cycle annuel auquel obéissent les collectivités du fait de la règle d’équilibre budgétaire. Peut-être faudrait-il le dire plus explicitement.
Enfin, en ce qui concerne la menace ultime d’une intervention du législateur pour limiter le montant des intérêts, nous avons pris en considération les observations des meilleurs juristes de la commission d’enquête, en particulier Charles de La Verpillière. La loi ne peut modifier un contrat de manière rétroactive sauf pour un motif d’intérêt général suffisant ; or, ici, 5 000 collectivités sont concernées.
De ce point de vue, l’ordonnance de référé rendu le 24 novembre dernier concernant la Ville de Saint-Étienne me semble très importante bien qu’elle ne tranche pas sur le fond : saisi en référé par la Royal Bank of Scotland PLC, le tribunal de grande instance de Paris a estimé que, dans l’attente de la décision sur le fond, la cessation du versement des échéances de ses emprunts par la ville ne constituait un trouble manifestement illicite, dans la mesure où la légalité des produits spéculatifs souscrits par la collectivité était sérieusement contestée par le juge du fond.
Il est normal de rembourser le capital et une partie des intérêts. Mais cette ordonnance de référé est un avertissement : si les 18 milliards d’encours étaient bloqués pendant des années par des procédures judiciaires, qui paierait finalement le portage ? Ni les collectivités ni les banques n’ont intérêt à s’engager dans cette voie judiciaire potentiellement très coûteuse. Nous proposons donc une prise en charge des frais de portage de la toxicité en attendant le retournement du cycle du produit, dont la banque pourrait profiter.
M. Henri Plagnol. Je remercie le rapporteur et les fonctionnaires qui l’assistent d’avoir intégré aussi vite au rapport les éléments que je leur ai transmis hier en fin d’après-midi.
Je reste inquiet des conséquences de l’obligation de provisionnement, même dans sa nouvelle rédaction, sur les collectivités dont les finances sont les plus dégradées. Je comprends que ce principe incite à la vertu et soit idéalement souhaitable, mais il asphyxiera leurs capacités d’emprunt et d’investissement.
Ce point est toutefois mineur au regard de ma préoccupation principale : les conditions des nouveaux contrats issus de l’accord global de transaction. J’en approuve tout à fait l’esprit général, et je sais gré au rapporteur d’avoir déjà intégré une partie de mes observations. Mais notre rapport sera lu de près et nous devons être particulièrement vigilants. Or la rédaction est imprécise voire contradictoire.
Je suis d’accord avec le premier principe : les gains résultant des taux d’intérêt bonifiés doivent être réintégrés dans le bilan des charges financières dues par les collectivités, car rien ne justifie que celles-ci gagnent de l’argent. Selon le deuxième principe, « la charge d’intérêts supérieure à un taux “normal”, correspondant au taux fixe ou variable que le marché proposait à la date de souscription de l’emprunt à renégocier, devra faire l’objet d’un effort financier réparti entre la collectivité et l’établissement prêteur ». Si cela renvoie au fait que la collectivité renonce à la bonification, soit ; mais s’il s’agit d’un autre partage, je ne suis pas d’accord. La rédaction devrait être précisée, afin de ne pas être en contradiction avec le troisième principe : « les nouveaux contrats de prêt, à taux fixe ou à taux variable, consacreront ainsi le portage par les banques de la partie toxique des emprunts ».
Enfin, je regrette que l’on ne mentionne pas, sous forme d’une incidente, l’éventualité que la Caisse des dépôts contribue au portage pour ne pas affecter la solvabilité des banques. Le directeur général de la Caisse nous a semble-t-il été ouvert à cette solution et cela rassurerait collectivités et banques.
Pour le reste, je salue ce très bon rapport.
M. le rapporteur. Premièrement, je rappelle que les emprunteurs qui confieront leurs contrats d’emprunts au pôle d’assistance et de transaction n’auront pas à inscrire de provisions. Les autres devront le faire, car le contraire reviendrait à nier le caractère toxique des produits. Deuxièmement, leur démarche volontaire devrait être soutenue par les services de l’État en s’abstenant de mettre en cause la sincérité des comptes pendant la période de négociation de la solution mutualisée.
Sur le second point, la collectivité ne peut pas se contenter de renoncer à sa bonification : ce serait trop facile, car il y a eu des pertes liées aux risques pris. Il faut donc qu’elle porte aussi la partie toxique, mais cette charge peut être raisonnable. La banque conservera la toxicité, et la collectivité assumera le coût du portage.
C’est certainement la Caisse des dépôts qui garantira le coût de portage le moins élevé. Mais, de toute façon, la banque devant provisionner, le dilemme est de savoir si Dexia devra se financer sur le marché, où elle s’expose à des risques considérables, ou bien se tourner vers la Caisse des dépôts. Quoi qu’il en soit, il faut imputer à la collectivité le portage de la toxicité, qui ira en diminuant au fur et à mesure de l’amortissement du prêt. C’est le minimum.
M. Henri Plagnol. La rédaction, qui mentionne « un effort financier réparti », n’est donc pas assez précise. En l’état, elle va dissuader certaines collectivités d’entrer dans le processus de transaction. Aujourd’hui, la médiation Gissler me permet d’obtenir à peu près l’équivalent de ce que nous nous apprêtons à proposer !
M. le rapporteur. La rédaction sera précisée en ce sens. En tout cas, nos propositions seront bien plus avantageuses que ce que l’on peut attendre de la médiation Gissler.
M. Henri Plagnol. N’oublions pas que ce sont les gestionnaires actuels des collectivités qui vont assumer la hausse d’impôts correspondant à ces frais financiers, supérieurs aux frais d’aujourd’hui. Il ne faut donc pas mettre la barre trop haut.
M. le rapporteur. Mais nous ne devons pas verrouiller par avance la négociation. N’incitons pas les banques à engager une action en justice ! Je vous ai donné un ordre de grandeur : pour les collectivités, le coût supplémentaire au taux du marché est marginal.
M. le président. Je comprends le problème. Mais M. Plagnol n’a pas tort : si nous jugeons que ce sont les banques qui portent la plus lourde responsabilité, nous ne pouvons trop en demander aux collectivités.
M. le rapporteur. Les collectivités ont aussi une responsabilité. C’est pourquoi elles doivent financer le portage de la toxicité.
M. le président Claude Bartolone. Oui, mais M. Plagnol relève un autre risque : si le coût du portage est trop important, elles se retrouveront dans une situation dangereuse.
M. Henri Plagnol. La rédaction consacre le portage de la partie toxique par les banques et répartit l’effort financier entre les collectivités et l’établissement prêteur. Il est nécessaire de préciser cela avant adoption du rapport.
M. le président. Puisqu’il s’agit d’un point sensible, nous laisserons au rapporteur le soin de peaufiner la rédaction.
M. Marc Francina. Le seuil de 10 000 habitants me pose problème. Pour les communes classées station de tourisme, cela peut déboucher sur des situations difficiles.
M. le rapporteur. C’est pour cela que nous avons supprimé toute différenciation en fonction de la taille des communes. Ce problème est résolu.
M. Serge Janquin. L’ampleur et la gravité des problèmes avaient de quoi nous inquiéter. Nous étions au pied d’un volcan en éruption. Si celui-ci n’est pas éteint, nous voyons du moins comment protéger les collectivités et les établissements publics qui vivent à sa base.
Je salue les propositions du rapporteur, mais la question de M. Plagnol est judicieuse. Il faut gérer l’arbitrage, sans préjuger du résultat – puisque le pôle devra négocier le partage des responsabilités – et en apportant cependant des garanties afin qu’on ne pénalise pas les collectivités plus que de raison. Pour définir cet équilibre, je suggère la formule : « à due proportion des responsabilités des uns et des autres. » L’expression ne préjuge pas de la solution qui prévaudra lors de l’arbitrage collectif.
Enfin, puisque les collectivités préparent le budget pour 2012, il faut préciser les montants à provisionner pour éviter tout rejet par l’organisme de tutelle. Le rapport peut-il formuler une proposition, du type « Euribor + x points », qu’elles pourraient opposer en cas de contrôle ?
M. Marc Goua. Je partage les craintes de M. Plagnol. Pourquoi ne pas écrire que l’emprunt renégocié fera l’objet d’un effort financier réparti entre la collectivité et l’établissement prêteur, en instaurant une limite, par exemple le taux moyen constaté pour les nouveaux crédits, éventuellement assorti d’une marge de 100 points de base ? Après avoir été anormalement faibles pendant des années, les taux reviennent à la normale avec le retour de l’inflation. Du coup, certaines banques présentent des propositions avec des marges plus importantes. Si chacun doit assumer ses responsabilités, il me semble néanmoins essentiel de prévoir une limite, sachant que la rédaction actuelle – selon laquelle l’effort financier sera « réparti entre la collectivité et l’établissement prêteur » – n’a pas de traduction concrète.
M. Henri Plagnol. Exactement !
M. Patrice Calméjane. Je vous ai adressé en début d’après-midi une contribution. Vous souhaitez interdire aux représentants des collectivités de contracter des emprunts en période préélectorale,…
M. le rapporteur. Non, ce n’est pas ce que je propose.
M. Patrice Calméjane. …mais l’article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales dispose déjà que « Le maire peut […] être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat […] de procéder, dans les limites fixées par le conseil municipal, à la réalisation des emprunts destinés au financement des investissements prévus par le budget. » Appuyons-nous sur la loi en vigueur avant d’en rédiger une autre. Le problème vient de ce que des conseils municipaux n’ont pas limité le pouvoir des maires, ou que des élus ont renégocié des emprunts supérieurs à l’autorisation. Les mesures proposées risquent tout au plus de priver les collectivités d’opportunités d’acquisitions intéressantes pendant les quatre mois qui entourent l’élection. N’entravons pas la gestion du quotidien !
Enfin, dans un souci de lisibilité, je propose d’indiquer à la fin du rapport les ratios actuels demandés aux collectivités territoriales et les informations complémentaires qui devront désormais être apportées aux conseils municipaux et aux citoyens.
M. Jean-Louis Gagnaire. Si juste que soit son analyse, un rapport d’enquête ne crée pas en lui-même de droits nouveaux. Cependant, il pourrait comporter en annexe une marche à suivre expliquant ce qu’il est possible de faire, compte tenu de la réglementation et de la législation actuelles, et les premières mesures réglementaires à prévoir, puisqu’il est impossible de légiférer pendant les prochains mois. Nous pourrions accompagner ce mode d’emploi d’un calendrier destiné à inscrire notre travail dans la durée, puisque, même après les échéances électorales, nous ne lâcherons pas prise. Tel est le message qu’il faut faire passer aux banques et aux élus.
En principe, on ne négocie pas des emprunts en période électorale, mais ce sera toujours possible, en procédant à une convocation expresse de l’assemblée délibérante. Cela dit, même si les collectivités bien gérées n’en souscrivent pas à ce moment-là, il n’est pas impossible qu’une opportunité se présente. La commission pourrait se contenter de rappeler que les collectivités doivent faire de l’abstention de souscrire des emprunts à de telles périodes une règle normale de gestion sur le plan déontologique sinon juridique.
M. le président Claude Bartolone. Le rapport d’enquête ne peut évidemment pas modifier la loi. Ayant mesuré l’ampleur du désastre, nous avons cherché à en sortir par un compromis. Écartant l’idée que toutes les collectivités ou les banques aillent en justice, le rapport propose une solution médiane, plus intéressante pour tous, mais ses préconisations sont nécessairement limitées. Si nous promettions aux collectivités que l’État supportera tous les frais, vous seriez nombreux à dénoncer cette dérive gauchisante ! On ne peut pas non plus ne rien proposer aux collectivités et les renvoyer aux propositions des banques, qui sont prohibitives. Quant à la négociation Gissler, il faudrait un siècle pour la mener collectivité par collectivité. À tout le moins, nos propositions pourront être reprises par des décrets gouvernementaux ou renvoyées à la prochaine législature.
M. le rapporteur. Le but de la commission d’enquête est non d’écrire les procédures mais de définir une méthode pour amener tout le monde à s’installer autour de la table, sachant que les banquiers ont commis suffisamment de fautes pour courir un risque en allant devant les tribunaux.
Cela dit, chacun a le droit de conserver un prêt. La collectivité que je dirige en a souscrit deux : un emprunt Helvétix, dont la période bonifiée court jusqu’à fin 2012, et pour lequel je suis prêt à entrer dans le dispositif, et un prêt euro-dollar et euro-franc suisse, dont la variation paraît raisonnable. L’an dernier, où nous avions constitué une provision sur la base d’un taux de 10 %, celui-ci s’est maintenu à 6,25 %, ce qui a dégagé un excédent de 200 000 euros.
La solution proposée par M. Gissler consiste à faire payer aux collectivités une soulte en plus du capital, tout en prolongeant l’emprunt sur des années. C’est la méthode qu’on propose aux particuliers surendettés : on transforme leurs mensualités de 500 euros sur dix ans en mensualités de 400 euros sur vingt ans, mais je me méfie du financement à la Crazy George’s ! Dès lors que les collectivités apportent une masse importante, la banque peut prévoir une structure pour la gérer, à charge pour les collectivités de porter les sommes qu’elles n’auront pas versées en attendant des jours meilleurs. Nous proposons un partage du risque : la banque prendra la toxicité, avec le risque de la conserver, quand les collectivités paieront – le moins cher possible –, le portage de la toxicité. Si nous avions négocié à un taux normal, nous aurions obtenu l’Euribor majoré d’une marge de l’ordre de 200 points de base. Ajoutons à cette somme les frais liés au portage de la toxicité. Si nous en sortons ainsi, c’est l’idéal ! Mais M. Janquin a raison : évitons une rédaction fermée. Ne compromettons pas, par une formule trop stricte, le regroupement des collectivités, qui les mettra en position de force dans la négociation. À côté des autres possibilités – conserver l’emprunt, aller en justice ou recourir à la médiation –, nous proposons une solution originale, alors que, si chaque collectivité agit pour son compte, la jurisprudence sera contradictoire, les procédures mettront des années à aboutir et les élus peuvent avoir à payer des soultes ou des intérêts très élevés. Il faut conjurer cette menace, sans priver les collectivités des outils dont elles disposent actuellement. Cela dit, il convient sans doute de distinguer plus nettement les intérêts et le portage de la toxicité.
Mme Valérie Fourneyron. Je salue la qualité du rapport et j’insiste sur le problème du court terme. Quelle que soit la solution retenue, quelles provisions faut-il inscrire dans le budget de 2012 pour qu’il passe le contrôle de légalité ?
M. le rapporteur. Les collectivités qui entreront dans le dispositif n’auront pas de provision à constituer, puisqu’elles bénéficieront d’un retour à un taux normal. En revanche, les autres devront le faire, ce qui les incitera à rejoindre la transaction. Tant que durera la procédure de règlement, il faut que l’État contrôle la sincérité des budgets en tenant compte de la situation.
M. le président Claude Bartolone. Certains élus des petites collectivités ont annoncé qu’ils démissionneraient si on les oblige à provisionner les sommes attendues.
M. le rapporteur. Le rapport devra être plus précis sur les obligations des préfets : il ne faut pas instaurer dès le 1er janvier 2012 une obligation de provisionnement, en attendant que la procédure se mette en place.
Monsieur Calméjane, c’est l’assemblée délibérante qui donne délégation au maire…
M. Patrice Calméjane. Certains maires ont souscrit un emprunt de 100 millions, alors qu’ils n’avaient pas la possibilité de le faire.
M. le rapporteur. La procédure de contrôle par les élus n’a pas fonctionné, et le problème est le même avec les délégations de service public : à quoi s’engage un maire qui signe une DSP de 50 millions d’euros juste avant les élections ?
Mme Valérie Fourneyron. La souscription des emprunts a lieu aujourd’hui dans un contexte très différent. Auparavant, les élus attendaient la fin de la mandature, mais ceux qui ont attendu fin 2011 pour contracter un prêt se heurtent à la faiblesse des liquidités bancaires et à l’explosion des marges. Il est probable que les levées d’emprunt s’effectueront plus tôt, lors de la prochaine législature.
M. Daniel Boisserie. Je m’interroge sur un passage évoquant la possibilité, au cas par cas, d’envisager une subvention d’équilibre afin de permettre le rétablissement du budget des plus petites collectivités, dans certains cas. De quelle subvention s’agit-il ? Serait-elle ponctuelle ou renouvelable ?
M. le rapporteur. La procédure existe déjà pour les communes se trouvant dans une situation budgétaire impossible à résoudre, qui a été évoquée par M. Richert. Je n’étais pas très favorable à cette éventualité, mais, même si nous réglons 95 % des cas, il restera toujours des situations insolubles. On ne peut demander au dispositif de régler toutes les difficultés, sans quoi il deviendra une usine à gaz. Laissons à l’État le soin de dénouer les cas les plus difficiles, et traitons le cas des 5 000 collectivités confrontées au même problème.
M. Daniel Boisserie. Le passage ne concerne que les petites collectivités, particulièrement fragiles ?
M. le rapporteur. Si elles possèdent les mêmes produits que les autres, ils seront défaits en même temps par le traitement que nous proposons.
L’État fera ce qu’il fait déjà aujourd’hui pour les collectivités en difficulté avérée. Mais il ne s’agit pas de donner à l’État le rôle de garant.
M. le président. Quand nous les avons auditionnés, le ministre et les représentants de la direction générale des collectivités locales (DGCL) ont dit n’avoir reçu aucune demande de subvention d’équilibre. Selon le directeur de la DGCL, une telle opportunité serait complexe à mettre en œuvre, mais je me suis assuré qu’elle existe.
Je rappelle que, dans une commission d’enquête, il revient au rapporteur de prendre ou non en compte les amendements au rapport qui lui sont adressés.
La Commission adopte le rapport de M. Jean-Pierre Gorges à l’unanimité.
M. le président. J’ai eu plaisir à présider cette Commission. Grâce à vous, je me suis senti moins seul. La situation a changé depuis que j’ai posé pour la première fois le problème des produits structurés, au congrès de l’Assemblée des départements de France, à Orléans. Nous avons mis en évidence le nombre de collectivités touchées, tout comme la complexité du dossier et les dangers qu’il représente.
*
* *
Thème |
Proposition |
Mise en œuvre |
Favoriser un financement sûr et diversifié des investissements des collectivités territoriales et établissements publics locaux : | ||
Proposition n° 1 : |
Encourager le recours aux emprunts obligataires et le développement d’une structure mutualiste de financement obligataire des collectivités territoriales |
Modification législative |
Mieux encadrer les modalités de souscription des emprunts du secteur local : | ||
Proposition n° 2 : |
Interdire les produits structurés ou dérivés avec multiplicateur |
Modification législative |
Proposition n° 3 : |
Mettre en place un capping global pour tous les prêts aux acteurs publics locaux |
Modification législative |
Proposition n° 4 : |
Provisionner les risques liés à la souscription de produits financiers, à hauteur des charges financières supplémentaires potentielle |
Décret en Conseil d'État (pour les communes) Arrêtés relatifs aux instructions budgétaires et comptables et circulaires |
Améliorer la transparence et le contrôle sur l’endettement local : | ||
Proposition n° 5 : |
Instaurer un débat annuel des assemblées délibérantes sur la stratégie financière et le pilotage pluriannuel de l’endettement |
Modification législative |
Proposition n° 6 : |
Améliorer les nouvelles annexes aux documents budgétaires présentant l’encours d’endettement en détaillant le niveau de risque et la valeur réelle des emprunts souscrits |
Arrêtés relatifs aux instructions budgétaires et comptables |
Proposition n° 7 : |
Encadrer la conclusion des contrats d’emprunt avant les échéances électorales, en fixant l’échéance des délégations consenties à l’exécutif à l’ouverture de la campagne électorale pour le renouvellement de l’assemblée délibérante |
Modification législative |
Proposition n° 8 : |
Étendre le contrôle de légalité à l’ensemble des contrats de prêt |
Modification législative |
Proposition n° 9 : |
Préciser le contenu du rapport annuel au Parlement sur la dette locale |
Modification législative |
Proposition n° 10 : |
Clarifier les prérogatives des commissions d’enquête parlementaires à l’égard des établissements de crédit |
Modification législative |
Engager une gestion mutualisée de la sortie des dettes locales structurées, sans défaisance : | ||
Proposition n° 11 : |
Mettre en place un pôle d’assistance et de transaction, auquel les acteurs publics locaux concernés pourraient donner mandat pour renégocier de façon groupée les encours d’emprunts structurés et conclure de nouveaux contrats à taux fixes ou variables, en organisant le portage du risque par les établissements prêteurs avec une participation des emprunteurs aux coûts afférents |
Décision ministérielle |
Proposition n° 12 : |
Recentrer le rôle de la médiation sur les produits atypiques ou fortement toxiques |
Décision ministérielle |
Contribution de Dominique BAERT (Député SRC du Nord)
Vice-Président de la commission d’enquête
Nul doute que le travail qui a été réalisé par cette commission d’enquête aura été important. Par-delà les clivages politiques, il aura permis d’appréhender la réalité d’un problème financier majeur pour beaucoup, si ce ne sont la plupart des collectivités locales françaises, d’une véritable « bombe à retardement » de beaucoup de budgets à venir, mais aussi pour le financement de demain des investissements publics locaux dans notre pays.
Encore peut-on raisonnablement penser que tous les élus locaux, notamment des collectivités de plus petite taille, n’ont pas encore nécessairement complètement conscience des risques de charges d’intérêt accrues qui se dissimulent, parfois très discrètement, dans leur portefeuille de dette. Encore peut-on redouter que bien d’autres organismes (sociétés d’économie mixte, organismes d’HLM, hôpitaux) n’ont pas non plus encore pris la mesure des dérives de taux qu’eux aussi pourraient connaître dans les proches années, surtout dans un contexte financier international où valeurs de change et taux d’intérêt sont profondément bousculés.
Les risques, on les connaît. Hausse des taux, considérable, jusqu’à ce qu’ils puissent être parfois insoutenables, d’où des dépenses supplémentaires insupportables pour les budgets concernés. Et si les collectivités doivent consacrer des moyens à payer ces intérêts gonflés, elles auront moins d’autofinancement, et donc moins de capacité d’investissement. Or, si les collectivités se mettent à investir moins, c’est un sacré moteur de la croissance économique – l’investissement public – qui risque de se ralentir ! La question économique et donc celle de l’emploi, se trouve derrière le problème du règlement de ces emprunts structurés, devenus toxiques pour certains d’entre eux.
– Les enjeux sont donc lourds. Et on en parlera longtemps dans les enceintes délibérantes de nos collectivités françaises. D’où l’intérêt de ce rapport. Dans le diagnostic, dans sa genèse, dans la connaissance des enjeux, il est vraisemblable que ce rapport fera date.
Pour ma part, je voudrais dans cette contribution insister sur deux points saillants, présents certes dans le rapport, mais qui mériteraient d’être spécifiquement mis en avant.
Ø D’abord la question-clé de la responsabilité des banques qui ont diffusé ces produits. Le rapport analyse les responsabilités de tous les protagonistes. Mais la stratégie des banques, mobilisées à commercialiser ces produits opaques, leur défaut d’information, d’alerte et de conseil, enfin la vente de produits spéculatifs proscrite par la circulaire de 1992, tout cela est manifeste de la part des banques.
Les banques ont présenté des produits de manière tellement opaque que la question se pose de leur responsabilité pour dol et tromperie ! Les obligations à la charge des banques, reprises dans la circulaire du 25 juin 2010, ne sont pas nées avec celle-ci, et la conclusion de la « Charte Gissler ». Elles étaient énoncées déjà pour l’essentiel dans la circulaire de 1992, ainsi que dans le code monétaire et financier (article L. 533-4 en vigueur avant le 01/11/2007, et l’article L. 533-11 et suivants en vigueur après le 01/11/2007) ; l’article 1147 du code civil précisant l’obligation d’information et de mise en garde du banquier (Jurisprudence « Buon »), et l’article 1134 du Code civil (alinéa 3 : exécution des contrats de bonne foi), enfin, dans le règlement de l’Autorité des Marchés Financiers.
Certaines banques ont exercé des pressions commerciales hors du commun et ont été à l’initiative des propositions ! Les présentations témoignent du fréquent défaut d’information et de conseil des banques, et l’asymétrie de compétences spécialisées sur les finances de marché entre les services des collectivités locales et les banques. Déséquilibre des informations, déséquilibre des compétences entre d’une part des établissements bancaires au fait des données financières pointues et des modèles mathématiques complexes, et des collectivités qui, au mieux, disposent d’une petite équipe administrative formée à la gestion de produits simples, et qui n’a pu qu’être sensible à des propositions, au demeurant insistantes, qui avaient l’avantage d’offrir à très brève échéance, une baisse des charges financières.
Voilà pourquoi, même si les dirigeants des établissements concernés ont le plus souvent changé, ces établissements ne peuvent être exonérés de responsabilité et donc d’apporter une contribution réelle à la résolution des problèmes désormais identifiés. Le refus de négocier, de réduire les charges à venir des collectivités n’est pas acceptable !
Ø C’est en ce sens que l’intervention du législateur ne pourra, à mon sens, être durablement différée. Bien sûr, la négociation est un bon moyen d’aboutir à une solution supportable par les parties. Encore faut-il que les établissements bancaires l’acceptent, et que les déséquilibres d’hier, qui ont prévalu dans la souscription des produits, ne se retrouvent pas, dans l’analyse des propositions faites ! Par le jeu des indemnités de remboursement anticipé additionnées au capital restant dû, il n’est pas rare que la proposition de renégociation formulée par l’établissement prêteur soit, même avec un taux d’intérêt plus faible en apparence, davantage profitable pour la banque !
Dès lors, je considère qu’il sera, à un moment pas très lointain, indispensable que la loi borde, cadre, accompagne les négociations à conduire, et cela sur deux paramètres fondamentaux :
■ le taux d’intérêt payé demain, après la renégociation. Il doit être « plafonné », ne serait-ce que par référence au taux des emprunts du Trésor, par exemple à dix ans, créant de fait une sorte de « taux d’usure » des prêts aux collectivités locales. Sa vertu serait d’éviter les chiffres aberrants, les situations excessives, qui ne pourront, par leur excès, se résoudre que dans des crises majeures ! Il faut dire très vite qu’il y a un taux maximal que paieront effectivement demain les collectivités qui ont souscrit des emprunts toxiques hier ! C’est une condition de lisibilité pour tous, gestionnaires élus, banques, et pouvoir publics.
■ le niveau admissible des indemnités de remboursement anticipé dont, légalement, contractuellement, sont assortis les emprunts souscrits. Trop lourdes, trop léonines même parfois, elles rendent difficiles, voire impossibles les renégociations. Là aussi, les plafonner ou même les annuler, en cas de responsabilité forte de l’établissement bancaire, serait un acte majeur pour faciliter le dénouement du problème que ce rapport explicite enfin !
Dominique BAERT
Contribution de Patrice CALMÉJANE (Député UMP de Seine-Saint-Denis)
Membre de la commission d’enquête
Après avoir pris connaissance du rapport de la commission d'enquête sur les produits financiers à risque, il me semble indispensable de préciser un point afin de justifier le bien fondé de notre travail.
Les nombreuses auditions que nous avons menées depuis six mois nous ont éclairées sur la chaîne des défaillances du fonctionnement des collectivités locales et des établissements hospitaliers publics. Au vu du rapport de la commission d’enquête, le principe de l'autonomie de gestion des collectivités territoriales, garanti par la Constitution (article 72-2), ne doit pas avoir pour conséquence de permettre aux gestionnaires de collectivités d’agir de manière risquée avec d'importantes conséquences de long terme sur le budget ce celles-ci.
Le rapport aborde partiellement la question de la transparence de la gestion, de la souscription des emprunts, de l’information et du contrôle sur leur encours, leur niveau de risque et leur structure. Les mêmes interrogations se posent quant à certains contrats de délégation de Service public ou à des contrats de partenariat public privé.
Il n’est pas normal que les collectivités montrent, à structures équivalentes, sans explication locale particulière, des écarts de gestion très significatifs par rapport à la moyenne portant sur les charges de personnels, les coûts de fonctionnement ou sur les dépenses de communication, par exemple.
Il est impératif pour moi que le Gouvernement, en concertation avec les associations d'élus, travaille sur des dispositifs partagés de contrôle des budgets des collectivités ; à défaut la commission d’enquête de l'Assemblée nationale, malgré ce rapport, n'aurait pas complètement rempli son rôle et nous prendrions le risque de devoir à nouveau débattre de ces questions devant une autre commission d'enquête dans quelques années, pour remédier à d’autres dérives.
Alors que les États sont en train de mettre en place des mécanismes de sanctions automatiques en cas de dérives budgétaires au plan national, nous ne pouvons plus nous permettre de laisser à nouveau dériver les finances de collectivités locales victimes d’une mauvaise gestion.
C’est pourquoi je demande que de nouveaux critères d'analyse des budgets, et notamment des critères portant sur la structure de l’endettement et sur les dépenses de fonctionnement, soient rapidement instaurés afin d’éviter un recours trop facile à l'emprunt dans le but d'équilibrer le budget des collectivités territoriales.
Patrice CALMÉJANE
GLOSSAIRE DES INDICES COURAMMENT UTILISÉS
EONIA : l’index EONIA (Euro OverNight Index Average) correspond à la moyenne arithmétique des taux constatés pour des opérations de prêts interbancaires au jour le jour consenties par un panel de banques de référence, cette moyenne étant pondérée par le volume respectif des transactions effectuées. Il est publié quotidiennement sur l’écran Reuters, page 247.
T4M : l’index T4M (Taux Moyen Mensuel du Marché Monétaire) correspond à la moyenne arithmétique des EONIA fixés au cours d’un mois civil. Il est publié mensuellement sur l’écran Reuters, page FRTAG.
IBOR : l’index IBOR (InterBank Offered Rate) correspond à la moyenne arithmétique des taux offerts par un panel de banques de référence pour des dépôts réalisés dans la devise de référence de l’index sur des périodes de 1 à 12 mois. Les principaux index IBOR sont les suivants :
Index |
Page Reuters (1) |
Heure de publication |
EURIBOR |
248 |
11 heures (heure de Bruxelles) |
LIBOR CHF (2) |
3740 |
11 heures (heure de Londres) |
LIBOR GBP (10) |
3750 |
11 heures (heure de Londres) |
LIBOR USD (34) |
3750 |
11 heures (heure de Londres) |
LIBOR JPY (13) |
3750 |
11 heures (heure de Londres) |
LIBOR EUR (9) |
3750 |
11 heures (heure de Londres) |
NIBOR NOK (14) |
NIBR |
12 heures (heure d’Oslo) |
STIBOR SEK (26) |
SIDE |
11 heures (heure de Stockholm) |
PRIBOR CZK (3) |
PRBO |
11 heures (heure de Prague) |
WIBOR PLN (20) |
WIBO |
11 heures (heure de Varsovie) |
(1) ou toute autre source ou référence qui s’y substituerait
TAG : l’index TAG (Taux Annuel Glissant) correspond à la capitalisation sur des périodes de 1 à 12 mois des moyennes arithmétiques mensuelles de l’EONIA sur les derniers mois glissants. Il est publié quotidiennement sur l’écran Reuters, page FRTAG.
TAM : l’index TAM (Taux Annuel Monétaire) correspond au taux de rendement d’un placement mensuel renouvelé à chaque fin de mois, pendant les douze mois écoulés, à intérêts composés, au T4M. Il est publié mensuellement sur l’écran Reuters, page FRTAG.
TEC 5 et TEC 10 : l’index TEC 5 et l’index TEC 10 (Taux de l’Echéance Constante à 5 ans et 10 ans) sont calculés par interpolation linéaire du taux de rendement des deux obligations assimilables du Trésor (OAT) encadrant la maturité exacte des 5 ans et des 10 ans. Ils sont publiés quotidiennement sur l’écran Reuters, page BDFCNOTEC.
SIFMA Municipal Swap : l’index SIFMA Municipal Swap est calculé par l’Association des marchés financiers et de l’industrie des valeurs mobilières à partir des taux de swaps des municipalités américaines. L’index est publié hebdomadairement sur l’écran Reuters, page MUNINDEX01.
CMS CHF : l’index CMS CHF (Constant Maturity Swap) n ans désigne le taux de swap, en CHF, calculé sur des mois forfaitaires de 30 jours sur la base d’une année de 360 jours. Pour n=1 an, c’est le taux fixe annuel milieu de fourchette contre LIBOR CHF 3 mois à 1 an. Pour n>1 an, c’est le taux fixe annuel milieu de fourchette contre LIBOR CHF 6 mois à n ans. Il est constaté sur l’écran Reuters, page ISDAFIX4.
CMS EUR : l’index CMS EUR (Constant Maturity Swap) n ans désigne le taux de swap, en EUR, calculé sur des mois forfaitaires de 30 jours sur la base d’une année de 360 jours. Pour n=1 an, c’est le taux fixe annuel milieu de fourchette contre EURIBOR 3 mois à 1 an. Pour n>1 an, c’est le taux fixe annuel milieu de fourchette contre EURIBOR 6 mois à n ans. Il est constaté sur l’écran Reuters, page ISDAFIX2.
CMS GBP : l’index CMS GBP (Constant Maturity Swap) n ans désigne le taux de swap, en GBP, calculé sur le nombre exact de jours écoulés sur la base d’une année de 365 jours. Pour n=1 an, c’est le taux fixe annuel milieu de fourchette contre LIBOR GBP 3 mois à 1 an. Pour n>1 an, c’est le taux fixe milieu de fourchette semi-annuel contre LIBOR GBP 6 mois à n ans. Il est constaté sur l’écran Reuters, page TGM42279.
CMS USD : l’index CMS USD (Constant Maturity Swap) n ans désigne le taux de swap, en USD, calculé sur des mois forfaitaires de 30 jours sur la base d’une année de 360 jours. C’est le taux fixe semi-annuel milieu de fourchette contre LIBOR USD 3 mois à n ans. Il est constaté sur l’écran Reuters, page ISDAFIX1.
Cours de change EUR/CHF : le cours de change EUR/CHF désigne le montant en francs suisses pour un euro, tel que publié par la Banque Centrale Européenne sur l’écran Reuters, page ECB 37.
Cours de change EUR/USD : le cours de change EUR/USD désigne le montant en dollars des Etats-Unis pour un euro, tel que publié par la Banque Centrale Européenne sur l’écran Reuters, page ECB 37.
Cours de change USD/CHF : le cours de change USD/CHF désigne le montant en francs suisses pour un dollar des Etats-Unis, tel que publié sur l’écran Reuters, page WMRSPOT07.
Cours de change USD/JPY : le cours de change USD/JPY désigne le montant en yens pour un dollar des États-Unis, tel que publié sur l’écran Reuters, page WMRSPOT12.
Indice des prix à la consommation de la France (IPC de la France) : l’IPC de la France désigne l’indice des prix à la consommation hors tabac pour l’ensemble des ménages résidant en France (y compris DOM) tel que défini et calculé mensuellement par l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE) et publié sur l’écran Reuters, page OATINFLATION01, sous l’égide de l’Agence France Trésor.
Indice des prix à la consommation harmonisé de la Zone Euro (IPCH de la Zone Euro) : l’IPCH de la Zone Euro désigne l’indice des prix à la consommation harmonisé hors tabac de l’ensemble des ménages de la Zone Euro tel que défini et calculé mensuellement par l’Office Statistique des Communautés Européennes (EUROSTAT) et publié sur l’écran Reuters, page OATEI01, sous l’égide de l’Agence France Trésor.
Moyenne mensuelle de l’EURIBOR 3 mois : la moyenne mensuelle de l’EURIBOR 3 mois pour un mois donné est publiée le mois suivant sur l’écran Reuters, page FRTAG03.
Moyenne mensuelle de l’EURIBOR 12 mois : la moyenne mensuelle de l’EURIBOR 12 mois pour un mois donné est publiée le mois suivant sur l’écran Reuters, page FRTAG03.
Taux d’inflation de la Zone Euro : le taux d’inflation de la Zone Euro désigne le taux de variation sur une période donnée de l’indice des prix à la consommation harmonisé de la Zone Euro (IPCH de la Zone Euro). Le taux d’inflation est négatif ou positif selon que l’IPCH de la Zone Euro diminue ou augmente.
Taux d’inflation française : le taux d’inflation française désigne le taux de variation sur une période donnée de l’indice des prix à la consommation de la France (IPC de la France). Le taux d’inflation est négatif ou positif selon que l’IPC de la France diminue ou augmente.
ANNEXE 1 : COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
Les tables rondes et auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des séances tenues par la commission d’enquête (toutes les auditions ont été ouvertes à la presse sauf indication contraire).
SOMMAIRE DES AUDITIONS
___
Table ronde sur La gestion des emprunts toxiques : les expériences de plusieurs collectivités territoriales, avec la participation de M. Franck Masselus, adjoint au maire de Chartres, chargé des finances ; de M. Daniel Guiraud, vice-président chargé des finances du conseil général de la Seine-Saint-Denis ; accompagné de M. Philippe Yvin, directeur général des services ; de M. Axel Guglielmino, directeur adjoint de la direction du budget ; de M. Tony Di Martino, chargé de mission ; et de M. Simon Fortel, directeur des finances à la ville de Rouen (Procès-verbal de la séance du mercredi 6 juillet 2011) 163
Table ronde sur Le recours aux produits financiers à risque par les grandes municipalités : le cas de Saint-Étienne,
– avec l’audition de M. Michel Thiollière, ancien sénateur, ancien maire et ordonnateur de la commune de Saint Étienne ; de M. Antoine Alfieri, ancien adjoint en charge des finances ; de M. Jean-Claude Louchet, ancien directeur des services ; et de M. Jean-Michel Rastel, directeur général des cabinets Techfi et Fitech, ancien conseil de la ville de Saint-Étienne (Procès-verbal de la séance du mercredi 21 septembre 2011) 181
– l’audition de M. Maurice Vincent, maire de Saint-Étienne ; de M. Jean-Claude Bertrand, adjoint au maire, chargé du budget et de la gestion de la dette ; et de M. Cédric Grail, directeur général adjoint (Procès-verbal de la séance du mercredi 21 septembre 2011). 196
– l’audition, de M. Michel Morin, préfet de la Loire (2002-2006) ; et de M. Yves Terrasse, trésorier-payeur général de la Loire (2000 2005) (Procès-verbal de la séance du mercredi 21 septembre 2011) 204
Suite de la table ronde du 6 juillet 2011 sur La gestion des emprunts toxiques : l’expérience de Saint-Maur-des-Fossés, avec la participation de M. Jacques Leroy, premier adjoint au maire de Saint-Maur-des-Fossés, chargé des finances ; de M. Jean-Marc Broux, directeur général des services de la ville de Saint-Maur-des-Fossés ; et de M. Vincent Billard, directeur financier de la ville de Saint-Maur-des-Fossés (Procès-verbal de la séance du mercredi 21 septembre 2011). 212
Table ronde sur le thème Des prêts structurés dans les petites collectivités, pour quoi faire ? avec la participation de Mme Anne Auffret, maire de Donges (Loire-Atlantique) ; de M. Bernard Chesneau, maire de Thouaré-sur-Loire (Loire-Atlantique) ; de M. Christian Coigné, maire de Sassenage (Isère), de M. Christophe Faverjon, maire d’Unieux (Loire) ; de M. Jean Fernandez, maire de Saint-Cast-Le Guildo (Côtes-d'Armor) ; de M. Xavier Martin-Le Chevalier, maire de Trégastel (Côtes d’Armor) ; et de M. Philippe Verrier, Président de la Communauté de communes du Bocage d’Athis de l’Orne (Procès-verbal de la séance du mercredi 5 octobre 2011) 221
Table ronde sur Le recours aux prêts structurés dans les hôpitaux, avec la participation de M. Frédéric Boiron, président de l’Association des directeurs d’hôpital ; de M. André Bury, directeur du centre hospitalier de Saint-Dizier ; M. Dominique Perrier, directeur du centre hospitalier de Decazeville ; de M. Philippe Collange, directeur du centre hospitalier spécialisé de Sevrey (Saône-et-Loire) ; M. Pierre-Charles Pons, directeur général du centre hospitalier régional universitaire de Dijon ; et de M. André-Gwenaël Pors, directeur général du centre hospitalier d’Ajaccio (Procès-verbal de la séance du mercredi 5 octobre 2011) 236
Table ronde sur Le recours aux prêts structurés dans les organismes de logement social, avec la participation de M. Thierry Repentin, sénateur, président de l’Union sociale pour l’habitat (USH) accompagné de M. Luc Legras, chargé de mission auprès du délégué général de l’Union sociale pour l’habitat ; de M. Denis Vilain, chef de la Mission interministérielle d'inspection du logement social (MIILOS) ; de M. Frédéric Monfroy, expert comptable et financier de la MIILOS ; de M. Hamid El Hassouni, président de l’OPAC de Dijon ; de M. Jean-Pierre Pirocca, directeur général ; de M. Alain Germain, directeur général adjoint ; et de M. Jean-Paul Clément, directeur général de la SA de construction de la Ville de Lyon (SACVL), organisme gestionnaire des HLM (Procès-verbal de la séance du mercredi 12 octobre 2011) 248
Auditions, non ouvertes à la presse, sur le thème Comment évaluer l’encours des emprunts toxiques ?, de M. Alain Levionnois, président de la CRC Picardie ; avec la participation de M. Marc Larue, président de section à la CRC PACA ; de M. Patrick Barbaste, premier conseiller à la CRC d’Alsace ; de M. Christian Chapard, premier conseiller à la CRC du Nord-Pas-de-Calais ; et de M. Martin Launay, premier conseiller à la CRC Pays de la Loire (Procès-verbal de la séance du mercredi 12 octobre 2011) 260
Table ronde sur Les produits financiers à risque, avec la participation de Me Alban Caillemer du Ferrage, avocat associé au cabinet Gide, spécialiste des produits dérivés et des financements structurés ; de M. Olivier Nys, directeur général des services de la ville de Reims et de Reims Métropole, directeur du master « management des collectivités locales » à l’IEP de Lyon ; et de M. Christophe Parisot, directeur des finances publiques de Fitch Ratings France (Procès-verbal de la séance du mardi 18 octobre 2011) 270
Table ronde sur L’obligation de conseil des établissements de crédit, avec la participation de M. Richard Routier, professeur à l’université de Strasbourg, auteur de « Obligations et responsabilités du banquier » paru en juillet 2011 ; de Me Bruno Wertenschlag, avocat associé ; de M. Olivier Poindron, consultant, cabinet FIDAL ; et de M. Gilles Sébé, président de Seldon Finance (Procès-verbal de la séance du mardi 18 octobre 2011) 282
Table ronde sur Les produits structurés commercialisés par les banques, avec la participation de M. Pierre Mariani, président du comité de direction de Dexia SA ; de M. Olivier Klein, directeur général en charge de la banque commerciale et assurance du groupe BPCE , de M. Jean-Sylvain Ruggiu, directeur du secteur public de BPCE ; de M. Francis Canterini, directeur général délégué du Crédit agricole Corporate & Investment Bank (CA CIB), filiale de la banque de financement et d’investissement du groupe Crédit agricole ; et de M. Philippe Debin, directeur adjoint de la direction des régions de France (Procès-verbal de la séance du mercredi 2 novembre 2011). 299
Table ronde sur La politique commerciale des filiales françaises de banques étrangères, avec la participation de M. Pascal Poupelle, responsable France Belgique et Luxembourg au sein du groupe Royal Bank of Scotland ; de M. Marc Pandraud, président du groupe Deutsche Bank France ; de M. Alain Gaudry, responsable des activités de marché du groupe Deutsche Bank France ; et de M. Jean Christophe, directeur général de la filiale française du groupe irlandais Depfa Bank plc et directeur général de la Deutsche Pfandbriefbank (Procès-verbal de la séance du mercredi 2 novembre 2011). 318
Auditions, non ouvertes à la presse, sur le thème Quelle régulation des établissements de crédit spécialisés ? de Mme Danièle Nouy, secrétaire générale de l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) ; de M. Édouard Fernandez-Bollo, secrétaire général adjoint de l’ACP ; de M. Patrick Montagner, directeur du contrôle des établissements de crédit généraux et spécialisés, de M. Thierry Mergen, délégué au contrôle sur place des établissements de crédit et des entreprises d’investissement ; et de M. Sébastien Clanet, chef du service du financement des particuliers et des collectivités territoriales au secrétariat général de l’ACP (Procès-verbal de la séance du mercredi 9 novembre 2011). 332
Audition, non ouverte à la presse, de M. Éric Gissler, inspecteur général des finances, médiateur désigné par le Premier ministre, sur La médiation sur les emprunts à risques : quel bilan ? (Procès-verbal de la séance du mercredi 9 novembre 2011) 348
Auditions, sur le thème La politique de prêts de Dexia, de M. Pierre Richard, ancien président de Dexia ; de M. Gérard Bayol, ancien directeur général de Dexia Crédit Local, actuellement directeur général délégué en charge du pôle entreprises et institutionnels de Crédit Mutuel/Arkéa ; de M. Bruno Deletré, ancien directeur général des services financiers au secteur public, financement de projets et rehaussement de crédit de Dexia SA, actuel directeur général du Crédit Foncier , et de M. Alain Delouis, ancien directeur général de TFM, membre du comité de direction de Dexia SA, actuellement directeur des ressources humaines de Natixis (Procès-verbal de la séance du mardi 15 novembre 2011) 359
Audition de M. Philippe Richert, ministre chargé des collectivités territoriales (Procès-verbal de la séance du mercredi 16 novembre 2011) 375
Table ronde sur le thème Quelle diversification du financement des acteurs publics locaux ?, avec la participation de M. Olivier Landel, délégué général de l'association d'étude pour l'Agence de financement des collectivités locales (AEAFCL) et délégué général de l’Association des communautés urbaines de France (ACUF) (Procès-verbal de la séance du mercredi 16 novembre 2011) 386
Suite de la table ronde sur Les produits financiers à risque avec la participation de M. Michel Klopfer, président et fondateur du cabinet KLOPFER (Procès-verbal de la séance du mercredi 16 novembre 2011) 393
Audition de M. Patrice Chatard, directeur général, et de M. Jacques Descourtieux, directeur général de Finance active (Procès-verbal de la séance du mercredi 16 novembre 2011) 401
Table ronde sur Les propositions des associations d’élus locaux, avec la participation de M. Michel Piron, député, président délégué de l’Association des communautés de France (AdCF) ; de Mme Claire Delpech, responsable des questions finances et fiscalité à l’AdCF ; de M. Dominique Gaubert, adjoint au maire de Sannois et membre de la commission des finances de l’Association des maires de France (AMF) ; et de Mme Soraya Hamrioui, chargée d’études au département finances de l’AMF (Procès-verbal de la séance du mercredi 16 novembre 2011) 409
Table ronde sur Le rôle de l’État avec la participation de M. Éric Jalon, directeur général des collectivités locales (DGCL) au ministère de l’Intérieur ; de M. Philippe Parini, directeur général des finances publiques au ministère du budget ; de M. Hervé de Villeroché, chef du service du financement de l’économie ; et de M. Sébastien Boitreaud, sous-directeur « Banques et financements d’intérêt général » de la Direction générale du Trésor (Procès-verbal de la séance du mardi 29 novembre 2011) 416
Audition de M. Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (Procès-verbal de la séance du mardi 29 novembre 2011) 434
Table ronde, ouverte à la presse, sur la gestion des emprunts toxiques : les expériences de plusieurs collectivités territoriales, avec la participation de : M. Franck Masselus, adjoint au maire de Chartres, chargé des finances ; M. Daniel Guiraud, vice-président chargé des finances du conseil général de la Seine-Saint-Denis, accompagné de M. Philippe Yvin, directeur général des services, de M. Axel Guglielmino, directeur adjoint de la direction du budget, et de M. Tony Di Martino, chargé de mission ; M. Simon Fortel, directeur des finances à la ville de Rouen.
(Procès verbal de la séance du Mercredi 6 juillet 2011)
(Présidence de M. Claude Bartolone, président de la commission d’enquête)
M. le président Claude Bartolone. Notre rapporteur, Jean-Pierre Gorges, n'ayant pu être présent lors de notre réunion constitutive du 22 juin dernier, je lui donne immédiatement la parole afin qu’il nous dise dans quel esprit il conçoit le travail de cette commission d’enquête.
M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Je suis sensible à la confiance que m'a témoignée le groupe UMP en me proposant aux fonctions de rapporteur, dont je compte m'acquitter avec neutralité et discernement. J'assurerai à ce titre, en tandem avec Claude Bartolone, la conduite des auditions et il me reviendra, le moment venu, de vous proposer d'approuver le rapport qui conclura nos travaux
Comme notre Président, je dirige une collectivité territoriale et je suis très attaché à la fonction et à l'action publique locales. Je partage donc son souci de garantir aux collectivités les moyens financiers nécessaires à l'exercice de leurs compétences. Le recours à la dette fait normalement partie de ceux-ci. Il nous faudra étudier les produits structurés, aujourd'hui sur la sellette, avec toute l'objectivité requise et avec le souci d’aboutir à un diagnostic partagé : ont-ils permis à certaines collectivités de réduire durablement leur charge d'intérêts ? Sont-ils tous toxiques ou faut-il distinguer plusieurs catégories parmi eux ?
D’autre part, le principe de libre administration, inscrit dans notre Constitution, garantit à nos concitoyens une gestion de proximité – plus efficace – des services publics locaux. Dans l'analyse de la chaîne des responsabilités, nous ne devons en éluder aucune. Décisions des élus locaux, politique commerciale des banques, silence de certains préfets et de certains trésoriers-payeurs généraux : notre travail est de nous intéresser à tous ces éléments, qui ont pu peser lourd dans l'aggravation des difficultés de certaines collectivités.
Afin qu'ils soient efficaces, je souhaite que nos travaux débouchent sur des préconisations opérationnelles. Il nous faudra en particulier identifier les moyens juridiques permettant aux collectivités les plus fragilisées de transiger avec leurs prêteurs. Les leçons de ces difficultés devront également être tirées pour l'avenir, afin de renforcer la sincérité des comptes des collectivités territoriales.
M. le président Claude Bartolone. Nous allons maintenant débuter nos travaux en recevant les représentants de trois collectivités qui ont été confrontées aux difficultés engendrées par des emprunts toxiques : M. Daniel Guiraud, vice-président chargé des finances au conseil général de la Seine-Saint-Denis, accompagné de M. Philippe Yvin, directeur général des services, de M. Axel Guglielmino, directeur adjoint de la direction du budget, et de M. Tony Di Martino, chargé de mission ; M. Simon Fortel, directeur des finances à la ville de Rouen, et M. Franck Masselus, adjoint au maire de Chartres, chargé des finances.
Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de venir si rapidement témoigner devant notre commission d'enquête. Vous savez qu’elle a pour objet de faire la lumière sur les conditions dans lesquelles des emprunts et produits structurés ont été souscrits auprès d'établissements de crédit et d'entreprises d'investissement par les collectivités territoriales, par leurs groupements et par les autres acteurs publics locaux.
À compter des années quatre-vingt-dix, le groupe bancaire Dexia, spécialisé dans le financement des collectivités territoriales, ainsi que de nombreux autres établissements de crédit – Calyon, filiale de financement et d'investissement du groupe Crédit Agricole, le groupe Banques populaires-Caisses d'épargne (BPCE), la Société générale, Royal Bank of Scotland (RBS), la Deutsche Bank ou encore le groupe irlandais Depfa Bank plc – ont développé une offre de produits de financement dits « structurés ». Les collectivités territoriales, confrontées à la même époque à des taux fixes élevés, ont été séduites par la perspective de faire baisser la charge de leur dette. Certaines ont ainsi accepté de substituer à leurs prêts à taux fixe des prêts structurés à taux variable, offrant des mensualités de remboursement moindres mais beaucoup plus risqués : ces prêts ont en effet la particularité d'être indexés, ce qui peut avoir pour effet, en cas par exemple de forte chute d'une monnaie par rapport à une autre, d'augmenter les taux d'intérêt de manière exponentielle.
Les difficultés sont particulièrement spectaculaires dans quelques grandes collectivités – comme les vôtres – mais elles concernent aussi de nombreuses municipalités moyennes ou petites. D’ailleurs, depuis que nous avons créé cette commission d'enquête, beaucoup d'élus locaux, qui hésitaient encore à évoquer publiquement les difficultés auxquelles ils sont confrontés, se décident de plus en plus à faire savoir quelle est leur situation. Gageons que nos travaux permettront de délier les langues pour nous permettre de comprendre encore mieux ce qui a pu se passer dans de grandes comme dans de très petites collectivités !
Je vais céder la parole au rapporteur, M. Jean-Pierre Gorges, pour un échange de questions et de réponses. Puis j'inviterai nos collègues à poser leurs questions.
Pour ma part, je souhaite vous demander pourquoi, selon vous, ces emprunts à risque ont été souscrits sans précaution. Quelle information a pu à l'époque être donnée aux administrations et aux élus ? En vous fondant sur les documents en votre possession, estimez-vous qu'il y a eu « tromperie sur la marchandise » ? Que pensez-vous du contrôle de légalité auquel ont été soumis les actes pris par vos collectivités ?
Avant que vous ne répondiez, je dois vous rappeler que l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires exige des personnes auditionnées par une commission d'enquête qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
MM. Franck Masselus, Tony Di Martino, Daniel Guiraud, Philippe Yvin et Simon Fortel prêtent successivement serment.
M. le rapporteur. Mes questions, très pragmatiques, appelleront des réponses précises. Les premières portent sur la souscription de ces emprunts dont certains seraient devenus toxiques.
Quels sont les principaux types d'emprunts structurés souscrits par vos collectivités ? Quel est aujourd'hui, en volume comme en pourcentage de la dette globale, le montant de l'endettement correspondant à ces produits ? Quelle proportion de ces emprunts jugez-vous toxique ou, à tout le moins, porteuse d’un risque ? Quelle proportion est hors charte Gissler ?
M. Franck Masselus, adjoint au maire de Chartres, chargé des finances. Les directeurs généraux des services, les directeurs des finances et moi-même – en tant à la fois que vice-président de l'agglomération et adjoint au maire – travaillons de façon collégiale au sein de la commission élargie qui a été créée dès 2001, conformément à la volonté du député-maire, et qui regroupe la ville de Chartres et l’agglomération, mais aussi un certain nombre de structures comme une société d'économie mixte et Chartres habitat. Les décisions sont donc prises dans ce cadre, ainsi que sous la couverture et la signature du maire.
L'analyse consolidée des emprunts montre que l’un des produits souscrits par la ville de Chartres auprès de la Caisse d'épargne, Helvetix, peut être considéré comme toxique. Reposant sur la parité euro-franc suisse, il a connu depuis deux ans une certaine dérive. Cet encours représente aujourd'hui 11,13 % de l'encours global de la ville, soit 8,4 millions d'euros sur un total de 75 millions.
Ce produit a été souscrit en 2006, alors que j'ai eu à emprunter, tant pour la ville que pour l'agglomération, plusieurs dizaines de millions d'euros. À cette époque, l’Euribor 12 mois variait de 150 points de base. J'ai alors morcelé ces emprunts par tranches d'environ 10 millions d'euros et j'ai diversifié les placements.
Au titre de l'agglomération, nous avons également souscrit un produit reposant sur la parité euro-franc suisse et euro-dollar, qui représente 13,5 millions d'euros sur un encours global de 100 millions, et qui évolue aujourd'hui aussi de façon défavorable.
J'insiste sur le fait que, lorsque nous effectuons de tels choix, nous disposons des marges de manœuvre nécessaires. Depuis plusieurs années, nous nous efforçons d'optimiser nos charges financières et le taux moyen d'intérêt est de 2,81 % pour les encours de la ville et de 2,89 % pour ceux de l'agglomération alors qu'il serait de 4,5 %, voire de 5 %, si j'avais, à la même époque, souscrit ces emprunts à taux fixe.
M. Daniel Guiraud, vice-président chargé des finances du conseil général de la Seine-Saint-Denis. Dès qu'il a été élu président du conseil général de Seine-Saint-Denis, il y a trois ans, Claude Bartolone a mandaté le cabinet Michel Klopfler pour évaluer l'état des finances départementales. Le rapport remis en septembre 2008 a mis en lumière un fait extrêmement inquiétant, à savoir que l’encours de la dette était composé à 97 % de produits structurés. Le président du conseil général nous a alors donné pour consigne de consolider l'encours et, depuis trois ans, tous les nouveaux prêts ont été souscrits par le département à des taux fixes que nous sommes parvenus à négocier sur le marché à 3,6 ou 3,7 %. De la sorte, nous avons mécaniquement ramené la part des produits structurés à 71 % des 952,7 millions d'euros de l'encours global.
Composé de 46 lignes de prêts souscrits auprès de neuf institutions financières, cet encours comporte 18 produits d'opérations de couverture, dont on peut se demander en quoi ils sont sécurisants puisqu'ils aggravent parfois le sous-jacent du prêt initial. Les prêts à taux fixe souscrits depuis que Claude Bartolone est président du conseil général représentent désormais 27,7 % de l'encours, soit 263 millions, auxquels s'ajoutent, de manière résiduelle, 5,6 millions en taux capé – soit 0,5 %. Pour leur part, les produits à taux structurés représentent 71,7 % de l'encours, pour un montant de 683 millions.
Au regard de la charte Gissler, qui donne une sorte d'échelle de Richter de la toxicité de ces prêts – de 1 à 6 et de A à F –, 31 % de notre encours se situent hors charte, au niveau 6F, le plus dangereux. Il s'agit, comme dans le cas de la ville de Chartres, de produits reposant sur la parité euro-franc suisse, mais aussi de produits de pente, assis sur les courbes de taux. Au dernier fixing, un emprunt Depfa, qui était au cours de la période d'appel à un taux fixe anormalement bas de 1,47 %, est monté à 24,2 % et il serait même à 36 % si le fixing avait lieu cette semaine…
Nous sortons en effet, peu à peu, de la période d'appel. À cette occasion, un produit Crédit agricole devrait passer à 13,9 % et deux swaps de couverture Natixis à 18,4 et à 16,8 %. Les prévisions à échéance d'un an nous rendent extrêmement pessimistes car on pourrait assister à une véritable envolée des taux d'intérêt.
Le président Bartolone nous ayant demandé de sécuriser le plus possible l'encours, de très nombreux contacts ont été pris avec les banques, avec lesquelles nous avons tenu pas moins de soixante réunions. Nous avons également sollicité la médiation Gissler. Or, bien que le médiateur ait fait son travail, les résultats sont extrêmement décevants en raison de l'intransigeance des banques, notamment à propos des conditions de sortie de certains prêts hors charte Gissler – les prêts 6F –, qu’il s'agisse des taux, qui passent rapidement à deux chiffres, de la soulte de sortie, qui peut aller de 25 à 200 % du capital restant dû, ou de la durée du prêt.
M. Simon Fortel, directeur des finances à la ville de Rouen. Comme d'autres collectivités, la Ville de Rouen a été confrontée à ces produits dits nocifs ou toxiques, qui constituaient environ 80 % du stock de la dette en 2008, au moment du changement de majorité et de l'élection de Valérie Fourneyron. Il s'agissait essentiellement de produits structurés à effet cumulatif, dits snowball : une fois que l'on est sorti de la période de garantie ou d’encadrement du taux d'intérêt, ce dernier augmente par effets cliquets successifs, sans cap ni limite. Confrontée à un risque extrêmement important, la municipalité actuelle a fait beaucoup d'efforts auprès des banques concernées – RBS et Natixis – afin de sortir de ces produits à effet cumulatif.
Nous avons désormais renversé la tendance sans avoir eu besoin de recourir au contentieux, même si nous en avons menacé Natixis avant de parvenir finalement à un protocole d'accord. La solution trouvée est cependant onéreuse pour la ville puisque nous avons accepté de rembourser en dix ans les gains qui avaient été initialement dégagés. Qui plus est, la neutralisation de l'effet snowball a conduit à repartir sur la base de taux certes fixes mais avec des marges extrêmement importantes.
Aujourd'hui, notre dette n’est plus composée qu’à 15 % de produits « difficiles », dont plus de la moitié à échange de taux – euro-dollar et euro-franc suisse – pour lesquels la sortie de la période de garantie se fait à des taux tout à fait prohibitifs, de 20 ou 30 %, que le budget d'une collectivité comme la nôtre ne permet pas d'absorber.
En dépit de l'important travail réalisé, nous détenons encore, sur un stock de dette de 174 millions d'euros, 12 millions de produits RBS basés sur des taux de change et environ 7 millions de produits Dexia basés sur un taux Libor US$ avec coefficient multiplicateur.
Après nous être employés totalement en vain à poursuivre les négociations avec RBS et Dexia, qui semblent sourdes à nos difficultés, nous avons saisi le médiateur et nous attendons son intervention pour reprendre des discussions dont nous espérons qu'elles seront enfin positives.
M. le président. Vous évoquez de façon assez diplomatique la sortie des produits snowball, mais à combien estimez-vous le taux d'intérêt dans le cadre du protocole de sortie ?
M. Simon Fortel. À environ 5 %, l’indexation étant sur l’Euribor 3 mois, plus une marge bancaire de 2,76. Cela ne semble pas excessif sachant que la renégociation a eu lieu en 2009, mais le taux ne serait pas le même aujourd'hui.
M. Philippe Yvin, directeur général des services du conseil général de la Seine-Saint-Denis. De nombreuses banques contestent qu’il s’agisse de produits spéculatifs, d'autant que les collectivités locales avaient interdiction d’en souscrire. Or des contrats de couverture présentent des résultats aujourd'hui totalement négatifs et leurs taux atteignent le triple de ceux des emprunts qu'ils sont censés couvrir. Alors qu'ils étaient conçus pour protéger contre les risques des emprunts sous-jacents, leur vie autonome de produits financiers spéculatifs en a fait des produits extrêmement dangereux. C'est notamment le cas des produits spéculatifs à double parité euro-dollar et euro-franc suisse, dont les taux dépassent 10 % du fait du décrochage de l'euro par rapport au franc suisse et du raffermissement du dollar. Ainsi nous prévoyons pour 2012 une augmentation de 20 % – de 30 à 37 millions d'euros – des intérêts que le département de la Seine-Saint-Denis aura à verser, tandis que les annuités de remboursement du capital n'augmenteraient que de 1 %, autour de 54 à 55 millions. Cela tient notamment au fait que, pour la première fois depuis que le département a souscrit les contrats de couverture, ceux-ci deviendraient globalement négatifs à hauteur de 4 millions, contribuant à eux seuls pour plus de 10 % au renchérissement de 20 % des frais financiers.
M. le président. Après que vous nous avez décrit la situation, nous allons nous attacher à en comprendre la dynamique.
M. le rapporteur. Pourriez-vous nous indiquer à quelle période ces emprunts structurés ont été contractés ? Certes, on s'aperçoit maintenant que ces produits sont onéreux pour la collectivité, mais lui ont-ils été utiles, au moins pendant un certain temps, avant qu'ils ne deviennent toxiques quand leurs taux ont cessé de correspondre aux attentes ?
M. Franck Masselus. Nous avons souscrit le produit Helvetix en 2006, à un moment où notre besoin de ressources était important et où nous cherchions à optimiser nos charges financières et à accroître notre sécurité. Contrairement à mes collègues, je suis encore dans la phase des cinq ans de garantie et je bénéficie d'un taux bonifié à 2,75 % – d’où le taux moyen d'intérêt à 2,89 % pour la ville de Chartres. En prenant en compte l'échéance du 1er décembre, sur un emprunt de 10 millions, j'ai gagné 650 000 euros par rapport à un taux fixe qui nous était alors proposé à plus de 4 %.
Sur Dualis, produit de Dexia indexé sur la parité euro-franc suisse, auquel nous avons souscrit en 2007, j'ai réalisé à ce jour une économie de 743 000 euros.
Je ne me heurte pas aux mêmes problèmes que mes collègues dans mes rapports avec mes partenaires financiers, en particulier les groupes Caisse d'épargne, Crédit agricole et Dexia. Nous nous rencontrons au moins deux fois par an et le rythme de nos entretiens s’est même élevé puisque je leur demande maintenant presque chaque mois des cotations en vue d'une éventuelle sortie des produits classés 6F et j'ai de leur part des propositions concrètes à cette fin. Je les sollicite en outre en vue des investissements massifs auxquels nous continuons à procéder, par exemple pour la réalisation d'une station d'épuration ou d'un équipement culturel et sportif. Ils se montrent d'autant plus ouverts que nos besoins financiers demeurent importants.
En 2001, lorsque Jean-Pierre Gorges a été élu, nous avons trouvé un encours de 50 millions d'euros alors même que nos prédécesseurs avaient réalisé peu d'investissements. En tenant compte de la structure de cette dette, j'ai pu, pendant une partie du premier mandat, réduire cet encours de plus de moitié, ce qui m'a permis par la suite de relancer l’investissement pour un montant de 185 millions d'euros au cours des six dernières années, pour la seule ville de Chartres. J'ajoute que cela a été fait tout en diminuant chaque année la pression fiscale, sans garder l'œil rivé sur les charges financières, qui ne représentent que 2 % de mon budget. Je dispose donc bien de marges financières, y compris si ces charges étaient appelées à doubler ou à tripler.
M. le rapporteur. Dans la mesure où l'on est toujours dans la période de garantie, les menaces demeurent latentes.
M. Daniel Guiraud. La souscription de ces produits a débuté en 2002 et s'est achevée en 2008, avec l'élection de Claude Bartolone.
L'intérêt qu'ils présenteraient pour la collectivité est un des arguments des prêteurs. Ce n'est vrai que si l'on raisonne à très court terme : lorsque le taux effectif global du marché approche de 5 % et qu'un prêteur vous consent un taux à 1,5 % sur un prêt de plusieurs dizaines de millions d'euros, cela a bien évidemment des incidences importantes sur les dépenses de fonctionnement. Mais il peut suffire d'une seule année en structure activée pour annihiler tous les gains dégagés lorsque le taux était bas, pendant la période d'appel comme pendant la période de sortie. On imagine ce que peut être la perte pour la collectivité lorsque l'on demeure treize ou quatorze ans en structure activée…
M. Philippe Yvin. Ces produits existent depuis longtemps et ils ont été renégociés à plusieurs reprises, avec à chaque fois des marges considérables pour les banques. Les calculs de valeur actualisée nette qui ont été faits sur les coûts d'intérêt comparés montrent que, dès l’époque à laquelle ils ont été souscrits, et où les taux apparents bonifiés étaient très favorables, des emprunts à taux variable, basés sur l’Euribor par exemple, étaient préférables à ces produits extrêmement compliqués.
M. Simon Fortel. La ville de Rouen, pour qui un point de fiscalité représente 650 000 euros, a été touchée à partir de 2005. Dans notre protocole d'accord avec Natixis, nous nous sommes engagés à rembourser les gains dégagés par les produits en question, soit 3,6 millions d'euros en trois ans. C’est donc cette somme qu’il n’a pas été nécessaire de demander aux contribuables locaux de 2005 à 2008 alors que, les élections approchant, il devenait difficile au maire d'augmenter les impôts… C’est pourquoi, au fur et à mesure que les marges de la collectivité se sont amenuisées, une des solutions envisagées pour continuer à offrir aux habitants des services inchangés a été de réduire les charges financières.
M. le rapporteur. Mais vous vous trouvez aujourd’hui dans une situation inverse…
M. Simon Fortel. La période de garantie étant relativement brève – deux ou trois ans –, nous en sommes sortis au moment où survenait la crise de 2008, que les banquiers n’avaient pas intégrée dans leurs anticipations – ce qu’ils appellent les « forwards » et qui se résume à des formules mathématiques fondées sur les historiques.
M. le rapporteur. J’en viens aux responsabilités. Qui a signé ces contrats ? Quelle était la délégation du conseil municipal au maire ? Quelles informations ce dernier lui a-t-il données ? A-t-on fait appel à des conseils extérieurs au moment où les choix ont été faits ?
M. Franck Masselus. J’ai bien évidemment délégation du maire pour passer de tels contrats. Mais c'est un domaine dans lequel il faut être extrêmement réactif : bien souvent, on tope en direct avec la salle des marchés et il est donc exclu de passer par des commissions d'appel d'offres.
Le maire fait bien évidemment état des décisions à chaque conseil municipal. En ma qualité d'adjoint aux finances, je réunis à l'occasion de la présentation de chaque document budgétaire important une commission générale ouverte à l'ensemble des élus. Ainsi, je viens de faire approuver le compte administratif : toute une partie du rapport d'analyse était consacrée à la structure de la dette et à la charge financière. Depuis dix ans, on ne m'a pratiquement jamais interrogé sur la souscription de ces emprunts et sur la restructuration de la dette. L'opposition n'a réagi que lors du dernier conseil municipal – peut-être n'est-ce pas sans lien avec la création de cette commission d'enquête… – et semble désormais vouloir faire peur aux Chartrains, en oubliant que les décisions ont été précédées d'une analyse et qu'elles ont permis d'investir.
M. Philippe Yvin. Le conseil général de Seine-Saint-Denis a pris chaque année une délibération-cadre très générale donnant délégation au président pour les emprunts et couvrant à peu près tous les produits possibles. Le vice-président chargé des finances, qui signe lui-même les contrats, faisait ensuite en commission permanente un compte rendu des opérations effectuées.
M. Simon Fortel. La ville de Rouen fonctionne sensiblement selon le même schéma, avec une délégation donnée au maire et une signature des contrats par un adjoint.
Cela a été dit, ces opérations échappent au code des marchés publics. Il faut souvent agir dans une « fenêtre de tir » extrêmement réduite ; tout se passe au téléphone avec la salle des marchés ; on tope à l’instant t ; puis l’opération est bouclée, éventuellement débouclée, sur les marchés. De la sorte, la décision intervient a posteriori et est récapitulée dans un compte rendu au conseil municipal. L’ingénierie et le vocabulaire complexes rebutent nombre d’adjoints et même de techniciens et tout cela apparaît comme une affaire de spécialistes traitée entre spécialistes. Qui plus est, nous faisions une confiance un peu aveugle aux établissements bancaires dont les commerciaux nous vantaient « le produit de l’année » qu’il fallait saisir pour bénéficier des « opportunités » du marché…
M. Serge Janquin. Selon la taille des collectivités et selon les volumes d’engagements, ces opérations ont eu des conséquences différentes, parfois dramatiques. Dès lors, nous nous demandons si les contractants étaient à égalité dans la maîtrise des produits proposés, notamment dans la capacité d’apprécier des risques qui n’apparaissaient pas alors aussi évidents qu’aujourd’hui. Je vous trouve d’ailleurs extraordinairement fair-play vis-à-vis des organismes prêteurs – dont nous auditionnerons bien évidemment les représentants. Il me semble pourtant que vous demeurez vis-à-vis d’eux dans une certaine dépendance puisque la crise et la nécessité de sortir de ces produits structurés vous poussent à négocier de nouveaux emprunts. Parviendrez-vous cette fois à traiter d’égal à égal ?
Avec le recul, que pouvez-vous nous dire du rapport de confiance qu’entretenaient, avant ces opérations, les collectivités avec les établissements bancaires ? Lorsque ces derniers vous proposaient de souscrire dans l’urgence, aviez-vous connaissance de leurs travaux d’ingénierie financière et de leurs modèles mathématiques ? Êtes-vous désormais plus méfiants ?
Nous n’aurons vraisemblablement pas la possibilité de chiffrer les dommages que vous avez subis. Dès lors, il me paraît essentiel de mettre l’accent sur les rapports de confiance que vous avez eus, que vous pourriez encore avoir – ou que, peut-être, vous n’aurez jamais plus –, et de chercher les moyens de rétablir une égalité entre les cocontractants. Cela suppose sans doute que les collectivités locales, y compris les plus petites, disposent elles-mêmes d’une ingénierie et que les élus et leurs collaborateurs soient suffisamment formés.
M. Dominique Baert. Mes questions portent sur le déroulement des opérations. Vous avez souligné qu’il fallait réagir vite au moment de la souscription et parfois donner son accord en direct de la salle des marchés. La notion de preuve et le moment où l’accord a été donné apparaissant très importants, avez-vous souvenir que les conversations que vous avez eues ont été enregistrées ? Certains établissements vous en ont-ils fait la demande ? Lesquels ? Et si les collectivités ne disposent pas de ces enregistrements, n’est-ce pas un élément du rapport inégal qu’évoquait Serge Janquin ?
On vous a donc demandé, en direct de la salle des marchés, de donner votre accord à la souscription – et, curieusement, il s’est trouvé que le taux était très exactement celui qui vous avait été annoncé quelques jours plus tôt ! Vous a-t-on demandé à ce moment d’indiquer si vous aviez tout pouvoir et toute délégation pour engager effectivement votre collectivité ?
M. le président. Considérez-vous que les collaborateurs des collectivités sont à égalité avec les prêteurs ?
M. Franck Masselus. Nous avons constitué récemment une agglomération regroupant trente-deux communes et plusieurs ont souhaité bénéficier de l’expertise de la commission élargie créée à Chartres depuis une dizaine d’années. Les maires de petites communes se trouvent en effet dépourvus lorsqu’il leur faut mener à bien seuls une opération de refinancement.
Oui, avant que je ne « tope », l’établissement financier a chaque fois demandé qu’on lui faxe ma délégation et toutes les opérations ont fait l’objet d’un enregistrement, dont nous avions la communication. Oui également, le taux en salle des marchés était celui qu’on nous avait annoncé la veille, à quelques points de base près.
Je persiste à garder confiance dans mes partenaires financiers. L’argent est une ressource dont nous avons besoin et notre relation avec eux est une relation normale de client à fournisseur. Nous leur demandons régulièrement de re-coter les produits et nous continuons de négocier, bien que nous soyons encore en phase de taux garanti ; c’est ainsi qu’ils nous font des propositions pour sécuriser l’emprunt à un taux de 5 % au cours des deux prochaines années, le tout assorti de contreparties habilement présentées. Mais je fais re-coter par un autre établissement et je suis à même de vérifier si mon interlocuteur fait ou non un effort !
M. Philippe Yvin. Le fait de se retrouver en liaison avec une salle des marchés peut impressionner, et les banques en ont joué pour donner à des fonctionnaires territoriaux l’illusion qu’ils étaient devenus de véritables financiers, discutant presque à égalité de compétence avec leur prêteur. J’en ai moi-même fait l’expérience en arrivant en Seine-Saint-Denis – j’ai néanmoins refusé de toper ! On peut d’ailleurs s’interroger sur la légalité de cette pratique, consistant à faire toper des personnes dont on n’est pas assuré qu’elles aient qualité pour agir au nom de la collectivité. Nous avons été confrontés à un problème de ce genre à notre arrivée : en février 2008, des fonds avaient été versés au département après qu’on eut topé, et le contrat n’a jamais été signé.
Quand on lit les comptes rendus de ce qui s’est dit en commission permanente du conseil général tout au long de ces années, on s’aperçoit que les arguments avancés reproduisaient ceux des commerciaux, de Dexia notamment. On y retrouve les mêmes affirmations catégoriques, par exemple sur l’impossibilité historiquement démontrée de voir un jour franchie la barrière des 87 yens pour un dollar ou du franc suisse à 1,42 euro ! Élus et fonctionnaires n’étaient évidemment pas en mesure de contrer ces discours et c’est d’ailleurs en partie en se fondant sur cette inégalité de l’information entre le prêteur et l’emprunteur que la cour fédérale de Karlsruhe a récemment condamné la Deutsche Bank : la banque se devait de mettre à la disposition de ses clients les formules à l’aide desquelles elle évalue les risques attachés à ces produits extrêmement complexes.
M. Simon Fortel. Dans notre cas également, les banques ont toujours demandé que nous leur transmettions les documents certifiant que l’adjoint qui donnait l’accord – car il s’agissait toujours d’un élu, et non d’un fonctionnaire – disposait bien de la délégation lui permettant de s’engager.
L’accord était également enregistré, et nous en étions avisés. Ce cérémonial pouvait, c’est vrai, donner aux élus, voire aux fonctionnaires territoriaux, le sentiment d’être des experts financiers. Or, non seulement nous ne sommes pas des professionnels de la finance, mais nous avons peu de moyens pour évaluer les marges dégagées par les banques sur les produits qu’elles proposent. Nous pouvons certes demander à d’autres établissements de re-coter. Depuis trois ou quatre ans, nous pouvons également utiliser un site Internet spécialisé, celui de Finance Active. Faire une recherche sur la marge dégagée par la banque pour tel ou tel produit coté requiert néanmoins une certaine expertise, dont seuls disposent les grandes collectivités.
M. Thierry Carcenac. Le payeur départemental ou municipal a-t-il formulé des remarques dans le cadre habituel de vos relations ? Le contrôle de légalité a-t-il de même fait des observations sur les délibérations qui lui étaient transmises ?
Pour la négociation en cours sur la sortie des emprunts, parvenez-vous à trouver des banquiers prêts à discuter avec vous, hormis bien entendu vos prêteurs ? Bref, arrivez-vous à trouver d’autres partenaires ?
M. Michel Diefenbacher. Je comprends que, dans une affaire de cette nature, le payeur ait été essentiellement un observateur, et qu’il n’ait pas nécessairement la compétence pour tirer la sonnette d’alarme. Mais il a par ailleurs une fonction générale de conseil. À ce titre, il aurait pu s’interroger, et se tourner – en l’absence de réponse – vers le trésorier-payeur général, qui vous aurait alors fourni des éléments d’appréciation. Ce système d’alerte a-t-il fonctionné ? Vous-mêmes, avez-vous estimé, à un moment donné, que le payeur municipal n’était pas en mesure de vous apporter les conseils attendus, et avez-vous envisagé de vous tourner vers le trésorier-payeur général ?
Quant au contrôle de légalité, je ne suis pas surpris qu’il ne soit pas intervenu. Rien n’était en effet contraire à la légalité au moment de la souscription, et la qualification technique des préfectures dans ce domaine très pointu ne va pas de soi. En revanche, on aurait pu attendre un véritable conseil de la part des services financiers.
M. Franck Masselus. Je ne suis pas certain en effet que le payeur dispose des compétences nécessaires dans ses services. Sa démarche est plus tournée vers l’analyse, dans le cadre du rapport de gestion. Nous lui transmettons en tout cas régulièrement les informations sur ce type d’opérations.
J’en viens au contrôle de légalité. La ville de Chartres était à l’époque en conflit avec un service de la préfecture. Notre budget avait en effet été déféré à la chambre régionale des comptes pour non-constitution d’une provision sur une délégation de service public. Nous n’avons reçu aucun signe de la préfecture durant cette période. Depuis l’arrivée du nouveau préfet, j’ai pu expliquer la position de la ville, mais les analyses se sont concentrées sur la situation des petites communes, qui ne disposent pas d’une véritable expertise dans leurs services.
Voilà trente ans que les collectivités ont le pouvoir d’« aller chercher » cette ressource que constitue l’argent. En 1985, l’encours des collectivités territoriales n’était constitué que d’emprunts à taux fixe. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il faut mesurer les gains que ces années ont permis sur l’ensemble du territoire. L’encours des collectivités territoriales atteint désormais 140 milliards d’euros ; leurs investissements représentent 70 % des investissements publics. J’espère donc que cette commission d’enquête ne débouchera pas sur un durcissement de leurs relations avec leurs partenaires financiers. Il ne faudrait pas que ceux-ci soient contraints de ne plus nous proposer que des taux fixes. Quant aux provisions, elles relèvent de notre libre appréciation. Je ne vois donc pas l’intérêt d’un dispositif à cet effet.
M. Daniel Guiraud. S’agissant de notre département, le préfet et le trésorier-payeur général n’ont formulé aucune observation particulière. Mais la direction générale des collectivités locales (DGCL) elle-même ne l’a pas fait, alors même qu’une circulaire de 1992 – récemment remaniée – encadre le crédit aux collectivités locales.
M. Philippe Yvin. On peut en effet s’interroger sur la possibilité même d’une telle intervention, mais on ne peut éluder la question du rôle du contrôle de légalité. En réalité, le contrôle n’incombait guère au trésorier-payeur général ou au payeur départemental, dès lors que la légalité externe des actes qui leur étaient communiqués pour procéder au paiement était établie. Il en va autrement pour le préfet. Les comptes rendus des assemblées délibérantes faisaient en effet précisément état des contrats, dont il est difficile de dire que certains n’étaient pas spéculatifs – même si les banques affirmeront sans doute le contraire pour leur défense. Or la circulaire de 1992 excluait explicitement les contrats spéculatifs du champ des prêts pouvant être souscrits par les collectivités locales. Les préfets n’auraient-ils pas dû exercer une surveillance et veiller à ce qu’elles n’en souscrivent pas ?
M. Simon Fortel. La préfecture et le trésorier municipal n’ont pas formulé de remarques particulières. Le contrôle du second est davantage orienté vers l’exécution des dépenses publiques et le recouvrement des produits locaux. Quant à la chambre régionale des comptes, qui a procédé à une vérification approfondie des comptes de la ville de Rouen en 2006-2007, son rapport n’a pas abordé ce sujet.
M. le rapporteur. Dans la phase amont, on peut comprendre que le trésorier-payeur municipal n’ait rien décelé. Il en va de même de la chambre régionale des comptes. La ville de Chartres a été contrôlée. La chambre régionale a rendu un rapport qui nous était très favorable ; elle n’a pas vu que nous avions souscrit un produit qui était susceptible de dériver.
Maintenant que le problème est connu de tous, êtes-vous capable d’estimer les risques que vous encourez ? Avez-vous prévu des mécanismes de provisions ? Car cette fois-ci, le trésorier-payeur municipal ne manquera pas d’alerter le trésorier-payeur général. De même, le contrôle de légalité pourra considérer qu’en l’absence de provisions, les comptes ne sont pas sincères puisque la presse fait état de risques. Il est un fait que personne n’est intervenu dans la phase amont. Comment comptez-vous vous y prendre dans la phase aval ?
M. Jean Proriol. Vous aviez plusieurs banques pour interlocuteurs. Vous est-il arrivé d’avoir des « non-réponses » à vos questions sur les propositions qu’on vous faisait, ou avez-vous au contraire le sentiment que des interlocuteurs haut placés sont venus tout exprès vous trouver pour lancer un produit « miraculeux » permettant de faire un peu de spéculation ? Il semble en effet que le phénomène ait concerné tous les réseaux bancaires, qui ont tous vendu pratiquement le même produit au même moment.
M. Franck Masselus. Je me souviens qu’un partenaire financier est venu me trouver pour me vendre ce qu’il présentait à l’époque comme le produit de l’année : un emprunt assis sur le baril de pétrole. Mais un élu se doit d’être responsable : j’ai refusé de prendre ce risque, d’autant que les cours du baril étaient déjà soumis à un phénomène de yoyo. La crise n’était pas encore là mais, dans une optique de sécurisation, nous avons choisi de privilégier des placements en euros dans la zone européenne. Il faut cependant reconnaître qu’à l’époque, toutes les banques nous faisaient le même type de propositions – lorsque je lançais une consultation, je demandais un taux fixe, un taux variable et un produit structuré.
Il reste que, comme en 2008, nous risquons d’être confrontés à un problème de liquidités d’ici à la fin de l’année. J’en discutais tout à l’heure avec M. Fortel : nous avons dû devancer un certain nombre de consultations pour boucler les budgets de 2011. En effet, les banques nous ont déjà fait savoir qu’il leur serait difficile de répondre sur l’intégralité de nos demandes. De plus, nous savons que l’Euribor va se dégrader. Autant donc anticiper. La même évolution semble à l’œuvre pour les lignes de trésorerie : là où tous nos partenaires répondaient pour l’intégralité de la ligne, il faut désormais « jongler » en associant deux, voire trois partenaires financiers. C’est évidemment plus complexe à gérer.
M. Simon Fortel. L’argent devient de plus en plus rare et de plus en plus cher. Depuis environ deux ans, les conditions d’emprunt se dégradent. J’ai lancé aujourd’hui même un emprunt de 10 millions d’euros. La Caisse d’épargne – qui compte pourtant parmi les banques de dépôt et devrait à ce titre avoir de la ressource – ne répond qu’à 20 % de notre besoin de financement. Pour boucler l’emprunt, nous devrons donc nous adresser à cinq banques !
M. Philippe Yvin. Nous n’avons pas vécu la période de souscription de ces prêts. Le département de la Seine-Saint-Denis entretenait une relation de confiance avec ses partenaires historiques : contrairement à d’autres collectivités, il n’a pas souscrit auprès de banques étrangères, mais seulement auprès des grandes banques que sont Dexia, le Crédit agricole et la Caisse d’épargne. Ce sont ces partenaires historiques qui ont proposé ces produits « exotiques » – le dernier produit souscrit avant 2008, proposé par Dexia, était un contrat de 90 millions d’euros assis sur le dollar et le yen. C’est cette évolution-là qui est étonnante.
Pour sécuriser les financements nécessaires aux investissements à venir, nous avons adopté une stratégie pluriannuelle, en constituant des pools bancaires avec lesquels nous passons des conventions pour trois ans.
M. le rapporteur. Personne ne m’ayant répondu, je réitère ma question : avez-vous estimé les risques pour votre encours et prévu de constituer des provisions ?
M. Franck Masselus. Nous n’avons pas constitué de provisions, car nous sommes encore dans la période de garantie. Nous pourrions néanmoins être conduits à le faire. J’ai pris tout à l’heure l’exemple du change entre l’euro et le franc suisse, qui a bougé de 4 centimes en quelques jours suite aux annonces positives concernant la Grèce. Comment calculer la provision sur cette base ? Faut-il l’arrêter au 31 décembre, ou la conserver sur une période plus longue ? Hormis lorsqu’elles sont imposées, ce qui a été le cas à Chartres après le contrôle de la chambre régionale des comptes, ces provisions sont de toute façon toujours l’objet de litiges – encore davantage, d’ailleurs, dans le secteur privé, pour des raisons d’optimisation fiscale.
En l’absence d’obligation en la matière, nous n’avons donc pas constitué de provisions spécifiques à ce jour. Mais certains de mes collègues ont fait d’autres choix, et je suis intéressé par leur expérience.
M. Daniel Guiraud. En 2009, nous avons fait estimer par le cabinet GFS – Global Financial Services – le risque de delta lié aux produits structurés. Cette estimation a mis en évidence un risque de surcoût de 225 millions d’euros, soit 27 % de l’encours. Pour l’an prochain, c’est un surcoût de 20 % que nous devrons acquitter. En ce qui concerne la suite, nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses – quelle sera, par exemple, notre structure d’emprunt si demain, le Portugal « dévisse » comme l’a fait la Grèce ?
M. Philippe Yvin. Le chiffre de 225 millions d’euros – qui avait été très contesté en 2009 – a pourtant été confirmé par les propositions de renégociation des banques. Il a même été dépassé : à mesure que le marché se dégradait, les propositions de soulte – c’est-à-dire d’indemnités à payer correspondant au prix du risque – sont passées de 25 % à 30 %, puis 40 %. Les 225 millions constituaient donc un plancher !
En ce qui concerne les provisions, il n’existe en effet pas d’obligation en la matière. Nous avons pris le parti de provisionner les intérêts des prêts dont nous avons demandé l’annulation. Nous sommes en effet entrés dans une phase contentieuse, puisque le département de la Seine-Saint-Denis a demandé l’annulation de cinq produits.
M. le rapporteur. La constitution de provisions est en effet obligatoire dès lors qu’une procédure est en cours.
M. Simon Fortel. En nomenclature M14, il existe des provisions budgétaires et des provisions semi-budgétaires. Les provisions budgétaires sont des opérations d’ordre, purement comptables, mais qui n’apportent pas, même en cas de reprise de provision, de réelle ressource supplémentaire. Les provisions semi-budgétaires impliquent en revanche un décaissement, puisque l’argent est mis à la Trésorerie – ce qui suppose de disposer de moyens budgétaires. Compte tenu de la dégradation de ces produits, il faudrait aujourd’hui provisionner pour la ville de Rouen l’équivalent de deux, voire de trois points de fiscalité. Nous n’avons tout simplement pas les moyens de provisionner en semi-budgétaire ces 2,2 millions d’euros. Provisionner un pourcentage du risque sur des opérations d’ordre pourrait néanmoins être une manifestation de bonne volonté vis-à-vis de la chambre régionale des comptes, de la préfecture ou de la Trésorerie, sachant que nous ne pourrons faire davantage.
M. le président. Un point m’inquiète particulièrement. Dès 2008, avant même d’être au cœur de la tourmente, l’estimation que nous avions demandée pour le département de la Seine-Saint-Denis atteignait quasiment ce 30 % de dégradation. Quelques questions de principe me semblent donc posées. La vraie nouveauté a consisté à proposer ce type de produits à des collectivités locales. Il suffit en effet de se pencher sur les publicités des établissements bancaires pour constater qu’ils étaient depuis longtemps proposés pour de la gestion d’actifs. Il n’y a aucun problème à ce qu’un particulier risque ses économies en prenant ce pari. À un moment donné – il faudra sans doute y revenir –, un premier établissement a décidé de proposer ce type de produits non plus sur de la gestion d’actif, mais sur de la gestion de passif. J’entends votre inquiétude, monsieur Masselus : vous craignez qu’on ne vous interdise un certain nombre de produits. Mais peut-on permettre à des collectivités, quelle que soit leur taille, de recourir à des produits sur lesquels la visibilité est des plus aléatoires ?
Vous nous dites aussi que vous avez plus de « souplesse » parce que vous êtes encore dans la période de garantie et que les produits à risque ne représentent qu’une faible part de votre encours. Pensez-vous qu’il faille instaurer un cliquet ?
Par ailleurs, et je m’adresse ici aux représentants du conseil général de Seine-Saint-Denis et de la ville de Rouen, quelles sont vos propositions de sortie ? Si nous avons créé cette commission d’enquête, c’est en effet parce que nous savons qu’un certain nombre de collectivités ont peu de chances de s’en sortir sans dommages.
J’aimerais enfin que nous parlions de l’avenir. Quels sont d’après vous les produits que les collectivités locales seraient en mesure de gérer en disposant des capacités humaines nécessaires ?
M. le rapporteur. Des procédures en justice ou des négociations ont-elles été engagées ? La commission d’enquête a pour tâche de se préoccuper des conditions de sortie et de faire des propositions pour l’avenir, en respectant bien entendu le principe d’autonomie des collectivités – c’est un point important auquel nous devons veiller tout particulièrement.
M. le président. Il me semble que la contradiction peut être dépassée. De même qu’avoir son permis de conduire ne dispense pas de respecter le code de la route, peut-il y avoir permis d’emprunter sans code de l’emprunt ?
M. Franck Masselus. Lorsque nous prenons la responsabilité de « jouer », même si je ne prise guère ce terme, c’est toujours dans l’intérêt de la collectivité – il s’agit de lui permettre d’investir plus et de réduire ses charges financières. Si la ville de Chartres n’avait emprunté qu’à taux fixe, mes concitoyens pourraient me reprocher d’être passé à côté de possibilités plus intéressantes. Les taux fixes pouvaient en effet atteindre 5 %, voire 6 %, alors que le taux d’intérêt moyen pour les collectivités chartraines se situe aujourd’hui aux alentours de 2,80 %.
Je suis favorable à l’instauration d’un cliquet par rapport à l’encours global. Cela aurait l’avantage de ne pas nous priver des possibilités intéressantes qui peuvent se présenter sur le marché. En 2007, nous avions souscrit pour 15 millions d’euros un produit structuré, que j’ai réussi à retourner et pour lequel nous avons désormais un taux fixe de 3,29 %. Selon nos partenaires financiers, c’est une superbe opération ! Certes, Dexia m’annonce que sur le Dualis, nous pourrions payer un taux d’intérêt à 8,91 % ; mais notre situation globale est de loin plus favorable que si nous n’avions souscrit qu’à taux fixe.
Je disais tout à l’heure que nous étions confrontés à une crise de liquidités. De nouveaux partenaires financiers entrent heureusement sur le marché – par exemple la BCME (Banque commerciale pour le marché de l’entreprise), filiale du Crédit mutuel. Nous leur demandons de re-coter pour nous assurer que nous pouvons toujours avoir confiance en nos partenaires financiers. Certains d’entre eux sont acculés. Il est par exemple devenu plus difficile de négocier avec Dexia, qui n’a pas la liquidité suffisante sur le marché pour répondre à nos prochaines consultations.
Limiter la part des produits à risque dans l’encours global éviterait certaines situations que nous connaissons tous, où la souscription d’un produit débouche sur une augmentation de la fiscalité. C’est alors le contribuable qui en fait les frais.
Je suis moi aussi en contentieux avec certains partenaires financiers. J’ai fait le tour de tous pour préparer cette réunion : compte tenu des conflits en cours, ils estiment qu’à l’avenir, il leur sera difficile de répondre à certaines collectivités. Soyons donc vigilants : il n’est pas dit que nous ne fassions pas les frais des procédures dans lesquelles nous nous engagerions.
M. Daniel Guiraud. La vraie question est de savoir si une collectivité territoriale a vocation à entrer sur le terrain spéculatif et à se doter d’une salle de marché – ou presque – pour être à égalité dans la discussion avec le prêteur. Je ne le crois pas.
En ce qui concerne l’avenir, le choix n’est pas nécessairement entre le taux fixe et rien. Avant que n’arrivent les produits structurés, les collectivités avaient une marge d’appréciation entre taux fixe et taux variable. Simplement, celui-ci était encadré : il y avait un cap et un floor, de sorte qu’on ne pouvait ni descendre à des taux anormalement bas, ni monter à des taux supérieurs au taux de l’usure. Bref, nous avions un tunnel de taux assez raisonnable, calé sur des indices accessibles aux petites collectivités : variation du taux du livret A, variation de l’Euribor… Ce n’est plus du tout le cas avec les produits « exotiques », qui tiennent davantage de la loterie – et d’une loterie biaisée.
S’agissant de la Seine-Saint-Denis, seules deux formes de sortie me paraissent envisageables. Soit le juge nous donne satisfaction et condamne le prêteur, soit l’on établit à l’échelle nationale une structure de défaisance, qui permettrait d’isoler les produits les plus toxiques – ceux qui sont hors charte Gissler – selon des modalités qui restent à arrêter. Chacun – État, banques, collectivités locales – prendrait bien sûr sa part dans le montage financier de cette structure de défaisance. On permettrait ainsi aux collectivités les plus exposées de sortir de la crise, et on reviendrait à un système assaini.
M. Simon Fortel. Pour reprendre votre image, monsieur le président, ce n’est pas parce qu’on a son permis de conduire qu’on peut piloter une Formule 1… Certaines collectivités ont des spécialistes qui savent gérer ce type de produits et les retourner pour en tirer des gains, mais la plupart – notamment les plus petites – ne disposent pas des compétences qui permettent de parler d’égal à égal avec les banquiers. Les fonctionnaires territoriaux doivent-ils pour autant devenir des spécialistes des salles de marché ? Je ne le pense pas. Nous avons d’autres métiers – davantage tournés vers la population – à développer.
Nous ne pourrons donc pas nous en sortir seuls. Le montant des charges financières que nous devrons acquitter dans les deux prochaines années si la tendance se confirme ne peut que conduire à des hausses d’impôts insupportables ou à la saisine de la chambre régionale des comptes par le préfet. Il faut donc mettre en place une structure de défaisance tripartite pour neutraliser la partie la plus spéculative de ces produits structurés, les collectivités ne conservant que ce qu’elles peuvent supporter sans mettre en péril leur budget.
M. le rapporteur. Par rapport au particulier qui engage ses économies, les collectivités ont une particularité : leur variable d’ajustement est la fiscalité. Les emprunts à taux fixe leur permettent de faire des prévisions dans ce domaine. C’est aussi possible avec les produits à taux variable, puisqu’on connaît le taux minimum et le taux maximum. On pourrait donc considérer qu’il faut interdire tous les produits qui ne permettent pas une gestion maîtrisée de la fiscalité. C’est facile à mettre en œuvre, et ce peut être l’angle d’attaque pour les situations extrêmes. De même qu’un concessionnaire automobile ne saurait vendre un véhicule sans fournir un certain nombre de spécifications techniques, un banquier peut-il vendre un produit dont lui-même ne maîtrise pas les conséquences financières ? Quel type de responsabilité porte-t-il le cas échéant ? Serait-il si absurde de considérer qu’il encourt une condamnation à ce titre ? Après tout, tout produit vendu n’est-il pas accompagné d’une fiche technique ? Nous nous demandions tout à l’heure si le trésorier-payeur municipal pouvait avoir la maîtrise de ces produits… mais les banquiers eux-mêmes ne l’avaient pas !
L’interdiction de tels produits pourrait figurer parmi nos propositions. Je le répète, la variable d’ajustement de la collectivité est la fiscalité. Lorsqu’on achète de l’argent, on achète une ressource pour réaliser un projet. C’est un produit comme un autre, qui a un coût. Mais si celui-ci ne peut pas être déterminé précisément, il y a doute sur l’évolution de la fiscalité. Dès lors qu’on ne peut fournir le cône des possibles du produit, celui-ci devrait être interdit aux collectivités locales. Partons donc de l’idée que l’argent est une ressource comme une autre.
Reste à sortir de la situation actuelle. Nous sommes hélas confrontés à un phénomène cumulatif : les collectivités qui sont dans une situation difficile n’ont peut-être pas le volant d’affaires qui leur permettrait de renégocier. M. Masselus m’a averti il y a quelque temps qu’un produit dérivait. Mais à Chartres, les investissements atteignent 170 millions d’euros sur la durée du mandat et s’y ajoutent pour un montant équivalent ceux de l’agglomération, tandis que l’encours de la société publique locale (SPL) s’élève à 800 millions : quel banquier refuserait de traiter avec nous ? Nous avons donc les leviers qui nous permettent d’obtenir une sortie raisonnable.
M. le président. Vous ne souhaitez pas qu’on vous prive de la possibilité de saisir des opportunités de marché, monsieur Masselus. On aurait pu, dites-vous, vous reprocher de n’avoir emprunté qu’à taux fixe si les conditions de marché étaient favorables. Permettez-moi d’évoquer à ce propos un souvenir précis. Un établissement bancaire m’a présenté un jour un produit fantastique à ses dires, qui devait nous permettre de faire de réelles économies sur le fonctionnement. Ne comprenant goutte au contrat qui m’était présenté, j’ai refusé de signer. On m’a alors envoyé un représentant de la direction pour m’expliquer que je n’entendais rien aux finances modernes. J’avais l’assise nécessaire pour pouvoir dire non, mais je me suis quand même demandé si je ne passais pas à côté d’une chance…
On en revient donc à la question du rapporteur : peut-on permettre que tout produit soit proposé ? Ce n’est pas tant le caractère variable des taux qui pose problème que les indices « exotiques » – car les collectivités locales disposent rarement de spécialistes des projections sur le cours du yen, du dollar ou du franc suisse…
M. le rapporteur. La limite me paraît vraiment être la fiscalité. Si on ne peut s’engager sur son évolution à l’égard de nos concitoyens, il ne faut pas souscrire le produit.
M. Franck Masselus. M. Guiraud parlait tout à l’heure de responsabilité partagée. N’oublions pas les cabinets de conseil comme Finance Active ou Orféor : ils n’ont jamais gagné autant d’argent que pendant cette période, alors qu’ils sont censés fournir un appui aux collectivités territoriales. Sans doute n’ont-ils pas complètement joué le jeu…
M. le rapporteur. Nous proposez-vous de les convoquer ?
M. Franck Masselus. Ce serait, je pense, utile.
M. Jean Proriol. Je me suis occupé dans une vie antérieure des finances du département de la Haute-Loire et de la région Auvergne, sous l’autorité du président Giscard d’Estaing, qui était d’une prudence de Sioux dans ce domaine…
Il y a une trentaine d’années, Indosuez a proposé des swaps à notre petit département. Nous nous sommes interrogés, d’autant que la banque proposait de nous racheter une partie de notre dette. Après bien des hésitations, nous avons refusé. Les produits dérivés sont-ils des dérivés de la technique du swap étendue à des calculs mathématiciens ?
M. le rapporteur. C’est une question qui s’adresse plutôt aux banquiers qu’aux collectivités…
M. Philippe Yvin. Indépendamment de la nature des produits, il y a eu une rupture dans la relation entre prêteurs et collectivités. Avant qu’on ne commence à nous vendre ce type de prêts, nous avions des taux fixes, des taux variables, et même des swaps sur des taux de livret de Caisse d’épargne. Tout cela restait cependant acceptable dans la mesure où ces produits restaient dans les banques. Le changement fondamental tient au fait que les banques se sont mises à revendre le risque de nos produits à d’autres institutions, y compris aux États-Unis. C’est d’ailleurs ce qui explique le blocage des négociations : cela leur coûterait extrêmement cher de revenir sur leurs positions. C’est cette financiarisation des relations, y compris dans ce domaine des prêts aux collectivités locales, qui est en jeu aujourd’hui. Il pourrait être intéressant de démontrer que c’est aussi parce que ces produits sont devenus des objets de spéculation qu’on se heurte à un tel blocage.
M. le rapporteur. Ces produits deviennent en effet des produits non contrôlés – qu’une collectivité ne peut se permettre d’avoir dans son compte d’exploitation. C’est toute la relation avec le marché financier qui est transformée.
M. Simon Fortel. Les collectivités ont tout de même la possibilité d’optimiser la gestion financière par une gestion active. Il ne faut pas les en priver !
Le problème porte moins sur l’indexation que sur le cap. Si une collectivité est tentée par un produit dit exotique, ce qui peut être une stratégie financière, celui-ci doit être sécurisé par un cap, ne serait-ce que pour permettre d’anticiper une hausse de la fiscalité s’il venait à dériver.
M. le président. Bref, il doit plutôt s’agir de produits « tunnélisés ».
M. Franck Masselus. En 2008 ou en 2009, l’État a réinjecté 5 milliards d’euros dans le circuit bancaire pour financer les collectivités territoriales. Ne faudrait-il pas réitérer l’opération en 2011, pour un montant à déterminer, afin de faire face aux graves problèmes budgétaires qui se posent ? Si les partenaires financiers ne répondent plus à nos consultations, quid de nos budgets et de nos comptes administratifs ?
M. le rapporteur. Et surtout de nos investissements !
M. le président. Le débat porte d’abord sur les produits qui peuvent être proposés. Vos interventions montrent qu’il faut trouver un système qui permette une gestion active de la dette et offrir aux collectivités locales le choix entre des produits à index variable contrôlé. Vous n’avez cependant pas répondu à toutes nos interrogations. Ainsi, quid des tutelles ? À quel niveau pensez-vous qu’elles auraient dû jouer un rôle de contrôle et – surtout – de prévention ?
M. Daniel Guiraud. L’État ne pouvait pas ignorer les pratiques du secteur bancaire, ni les termes de la circulaire de 1992 qui interdisait la spéculation. Il y a donc eu un manquement assez grave de sa part.
M. le président. La circulaire de 1992 n’aurait donc pas été suffisamment précisée par la DGCL lors de l’apparition de ces produits sur le marché ?
M. Daniel Guiraud. En effet.
M. Simon Fortel. Le fait qu’il n’y ait pas d’obligation de provisions a aussi joué, puisque les produits pouvaient être souscrits sans anticipation d’une éventuelle dérive financière. Si l’on exige que les produits soient capés dès lors qu’ils sont basés sur des indices « exotiques », il faudra également réfléchir à la nécessité de provisionner – et pas seulement pour ordre.
M. le président. Un certain nombre des produits que nous évoquons seraient alors apparus bien moins intéressants dès la période de garantie. Je l’ai moi-même constaté pour des contrats signés par une collectivité que je connais bien : le lendemain de la signature, le rendement était déjà beaucoup moins bon… Si le département de la Seine-Saint-Denis devait tenir une comptabilité d’entreprise privée, il aurait dû provisionner près de 30 millions d’euros par an !
M. Daniel Guiraud. On ne peut provisionner que si l’on connaît le montant – par exemple si l’on est sur un produit variable capé. Mais ce n’est pas toujours le cas. Prenons l’exemple du produit Depfa Bank euro-franc suisse. Le franc suisse est aujourd’hui à 1,18 euro et certains spécialistes pensent que l’on pourrait arriver à la parité. Dans ces conditions, que pouvons-nous provisionner, sachant que les évolutions peuvent être très rapides? Pour parvenir à sécuriser ce genre de produits, il faut tout simplement interdire les produits sans limite.
M. le rapporteur. Le seul recours est le caping avec provisions, qui n’empêche pas une gestion active de la dette. On peut aller très loin dans une fourchette déterminée, mais il faut provisionner. Cela constituerait à mon sens un encadrement efficace.
M. Simon Fortel. Si on combine cap et provision, on peut facilement définir des modalités de calcul qui éviteraient les contestations sur le montant de la provision à constituer.
M. le président. Cela paraît séduisant. Mais le débat entre majorité et opposition dans chaque conseil portera alors sur la fixation du cap – autrement dit, faut-il choisir la variable la plus « négative » ou la plus « positive » ?
M. Franck Masselus. Je conçois qu’il faille fixer des limites pour l’avenir, mais soyons attentifs à la réaction des banquiers : si on durcit trop les conditions d’emprunt, nous risquons de le payer. L’accord de Bâle III va déjà contraindre les établissements à accroître leurs marges. Si on leur impose des conditions supplémentaires sur les produits, les collectivités paieront l’argent encore plus cher. Nous avons tous lancé des consultations : le résultat va d’un Euribor plus 110 points de base jusqu’à un Euribor plus 150, voire 170 points, alors que nous avons connu un Euribor sans marge…
Quant à l’encours, on peut toujours chercher des responsables mais encore faut-il savoir qui paye. Pour ma part, je pense que les collectivités qui sont dans une dynamique d’investissement peuvent encore parvenir à négocier avec leurs partenaires.
M. le rapporteur. Il va cependant falloir trouver des solutions pour celles dont le passif est trop lourd.
M. le président. Je crois savoir qu’à un moment donné, le conseil de surveillance de la Banque de France s’est interrogé sur les produits structurés, et qu’il a envisagé de fixer un plafond à 50 % de l’encours de la dette.
M. Franck Masselus. Nous avons été contrôlés à plusieurs reprises par la chambre régionale des comptes. Celle-ci me demande de constituer une provision de 5 millions d’euros pour un litige relatif à une délégation de service public. Or cette provision – sur un budget de 100 millions – va freiner notre investissement pour six mois, car tant que la cour administrative d’appel ne se sera pas prononcée, cette somme restera bloquée.
M. le rapporteur. Il faut distinguer la provision réelle et la provision « virtuelle ». On peut anticiper, sur le seuil bas et sur le seuil haut, ses conséquences sur la fiscalité. C’est en effet celle-ci qui est la variable d’ajustement : si les choses se passent mal, cela peut déboucher – comme c’est arrivé dans certaines communes – sur un alourdissement de la fiscalité de deux ou trois points. Je pense qu’il faut maintenir la possibilité de souscrire ces produits, mais à condition qu’ils soient capés. Ensuite, on a soit la solution de l’amortissement, soit celle de prendre le risque de l’ajustement via l’imposition. À Chartres, nous baissons les impôts tous les ans depuis 2001 tout en continuant à investir. Ce sont aussi les gains mentionnés par M. Masselus qui nous l’ont permis. Nous sommes dans une phase où le produit en question est encore maîtrisable et nous avons le volant d’affaires qui nous permettra, le cas échéant, de l’intégrer dans les prochaines négociations.
M. Simon Fortel. Pas nous…
M. le président. Il y a des différences d’une collectivité à l’autre. Tout dépend évidemment de la part qu’occupe le remboursement de la dette dans le budget.
M. le rapporteur. Quelle est la part des frais financiers dans vos budgets respectifs ?
M. Philippe Yvin. Pour le département de la Seine-Saint-Denis, 2 %.
M. Simon Fortel. Pour Rouen, 5 %.
M. le rapporteur. 2 %, ce n’est pas considérable.
M. le président. Les départements sont dans une situation particulière, l’essentiel de leurs dépenses budgétaires étant des dépenses obligatoires.
M. le rapporteur. Si les frais financiers mordent sur l’action sociale, cela pose évidemment problème. Quoi qu’il en soit, le pourcentage de 2 % est plus faible que ce que j’imaginais.
M. le président. Je remercie les représentants du département de la Seine-Saint-Denis et des villes de Chartres et de Rouen pour les informations qu’ils nous ont fournies. Je ne doute pas que le rapporteur et la commission sauront en faire bon usage…
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* *
Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Thiollière, ancien sénateur, ancien maire et ordonnateur de la commune de Saint-Étienne, de M. Antoine Alfieri, ancien adjoint en charge des finances, de M. Jean-Claude Louchet, ancien directeur des services, et de M. Jean-Michel Rastel, directeur général des cabinets TECHFI et FITECH, ancien conseil de la ville de Saint-Étienne
(Procès verbal de la séance du mercredi 21 septembre 2011)
(Présidence de M. Claude Bartolone, président de la commission d’enquête)
M. le président Claude Bartolone. Nous reprenons aujourd’hui les travaux de notre commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux, que nous avions entamés avant l’été.
L’ordre du jour est particulièrement chargé. Nous entendrons tout à l’heure les représentants de la ville de Saint-Maur-des-Fossés, qui n’avaient pu prendre part à la table ronde du 6 juillet dernier. En accord avec le rapporteur, j’ai proposé cette « session de rattrapage » à notre collègue Henri Plagnol, maire de Saint-Maur, afin d’examiner en détail la situation de sa commune.
Mais auparavant je vous propose d’analyser un cas concret de collectivité confrontée à des emprunts toxiques, celui de la ville de Saint-Étienne.
Nous entendrons d’abord l’ancienne équipe municipale et poursuivrons nos travaux en auditionnant la nouvelle.
La Commission auditionnera enfin les responsables de la tutelle administrative et comptable à l’époque de la souscription des emprunts structurés : M. Michel Morin, préfet de la Loire entre 2002 et 2006, et M. Yves Terrasse, trésorier-payeur général de la Loire entre 2000 et 2005.
Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’avoir accepté de témoigner devant notre commission d’enquête, qui a pour objet de faire la lumière sur les conditions dans lesquelles des emprunts et produits structurés ont été souscrits auprès d’établissements de crédit et d’entreprises d’investissement par les collectivités territoriales, leurs groupements et les autres acteurs publics locaux.
M. Michel Thiollière, M. Antoine Alfieri, M. Jean-Claude Louchet et M. Jean-Michel Rastel prêtent successivement serment.
M. le président. Monsieur Thiollière, dans quel but avez-vous souscrit des emprunts structurés au cours de votre second mandat, entre 2001 et 2008 ? Votre décision de baisser la fiscalité, dans un contexte démographique pourtant difficile, ne vous a-t-elle pas contraint à réduire par tous les moyens les charges, notamment financières ? Quand avez-vous pris conscience du caractère risqué de ces produits ? Pourquoi avez-vous malgré tout poursuivi la politique de gestion active de la dette stéphanoise, en souscrivant toujours plus de ces emprunts volatiles et opaques ?
M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Monsieur Thiollière, par rapport au particulier qui engage ses économies, les collectivités ont une particularité : leur variable d’ajustement est la fiscalité. Il ne me paraît pas illégitime, lorsque les marges d’une collectivité se réduisent, d’envisager de réduire les charges financières afin de continuer d’offrir aux habitants les mêmes services sans augmenter la pression fiscale.
Toutefois, à Saint-Étienne, cette stratégie s’est révélée coûteuse et la souscription de produits structurés a abouti à une augmentation significative des charges financières, qui sont passées de 13 millions d’euros en 2004 à 14,9 millions d’euros en 2005, puis à 20 millions en 2006, 16,2 millions en 2007 et 15,4 millions en 2008, soit un ratio de 6,3 % des dépenses réelles de fonctionnement. C’est un ratio élevé comparé à la moyenne des collectivités appartenant à la même strate démographique, légèrement inférieure à 4 %. Je suis moi-même maire d’une ville où ce ratio est de 2 %. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
M. Michel Thiollière, ancien sénateur, ancien maire et ordonnateur de la commune de Saint-Étienne. Je vous remercie de votre invitation. Nous nous efforcerons d’éclairer votre Commission sur cette période particulière qu’a traversée notre collectivité territoriale, avant la crise de 2008, avec l’espoir que les parlementaires que vous êtes pourront à l’avenir faire en sorte que soient mieux encadrées les relations entre les collectivités territoriales et les organismes bancaires, qui sont leurs principaux prêteurs.
Toutes les collectivités ne se ressemblant pas, je vais en quelques mots vous présenter la ville de Saint-Étienne et vous expliquer les raisons pour lesquelles nous avons eu recours à des emprunts structurés.
Saint-Étienne a connu un désastre industriel sans précédent. Après la guerre, notre ville a perdu toute son industrie – Manufrance, la manufacture GIAT Industries, le textile, les mines, notamment – et a subi de plein fouet toutes les reconversions industrielles qu’a connues notre pays.
Cela s’est traduit par la perte de dizaines de milliers d’emplois et par un exode de la population puisque nous sommes passés de 220 000 à 170 000 habitants en cinquante ans – notre ville a perdu 50 000 habitants en quelques décennies ! Comme le relève la chambre des comptes de la région Rhône-Alpes, une ville qui perd sa population dans de telles proportions dispose de moyens de fonctionnement qui n’ont rien à voir avec ceux d’une ville qui connaît une extension croissante de sa démographie. D’autant que la population qui est partie était globalement la plus solvable et que celle qui est restée est parmi les plus fragiles – notre PIB par habitant était très inférieur à la moyenne nationale. La pauvreté relative de sa population, une perte démographique considérable ainsi qu’une tragédie industrielle que peu d’autres villes ont connue ont fait de Saint-Étienne un exemple pour les experts internationaux, qui sont venus étudier son cas au même titre que ceux de Bilbao, Sheffield ou le bassin de la Ruhr, sans pour autant nous apporter de solutions.
Il fallait relancer la ville. C’est la raison pour laquelle, en 1994 et 1995, nous avons décidé de lancer un projet urbain qui visait à résorber les friches industrielles. La présence de friches entraîne nécessairement une perte de recettes pour une ville car, non seulement elle perd de la fiscalité et des emplois, mais en plus elle doit acheter les friches. Il fallait donc trouver des soutiens. Je les ai trouvés en créant en 1995 la communauté d’agglomération. Les 43 communes qui la composent ont épaulé la ville de Saint-Étienne, tout comme la population stéphanoise, qui a compris les enjeux de cette évolution, mais aussi l’État, qui, décidé à aider une ville en déclin, a accepté de créer deux établissements publics : l’un destiné à résorber les friches industrielles, l’autre à créer de l’aménagement et à restructurer la ville. C’est un avantage rare que nous partageons avec la ville de Marseille.
Saint-Étienne était alors une ville très endettée par habitant et elle l’est toujours, ayant perdu une part de sa population. Nous avons donc fait le maximum pour redresser la ville tout en la désendettant, afin qu’elle retrouve des capacités d’investissement. Et nous avons réussi puisqu’en quinze ans nous avons réduit la dette de la ville de près de 100 millions d’euros.
Jusqu’en 2008, nous avons centré notre action principalement sur la baisse de la dette et le maintien des taux de fiscalité, même si, sur ce point, nous n’avons pas fait autant que nous le souhaitions. La population la plus solvable, qui habitait à la périphérie de la ville, avait la chance de payer de deux à trois fois moins d’impôts locaux que les Stéphanois. Dans un souci d’équité, nous avons souhaité rétablir l’équilibre, sachant que les charges de centralité étaient portées par la seule ville de Saint-Étienne que les impôts payés par les Stéphanois devaient être revus à la baisse.
Nous avons dans le même temps souhaité investir pour restructurer la ville, et pour cela nous avons eu besoin d’emprunter. Comme toutes les collectivités, nous avons ouvert le jeu en direction des banques et choisi les produits les moins chers sur le marché de l’époque.
La chambre régionale des comptes indique dans son rapport que, si nous avions souscrit à des taux fixes de 3,60 %, cela aurait représenté une charge supplémentaire de 14 millions d’euros pour la ville de Saint-Étienne. Or je suis obligé de vous dire que nous avions besoin de ces 14 millions d’euros. Nous avons bénéficié de taux d’intérêt très bas. Comme beaucoup d’autres collectivités, nous avons géré notre budget de façon active afin d’économiser les moyens financiers de la ville. Peu de grandes collectivités ont échappé aux produits structurés, comme l’indiquait un rapport publié en juin dernier par le journal Le Monde.
Ainsi que le souligne la chambre régionale des comptes, j’avais dès 2006 demandé à nos services de veiller à réduire le nombre des emprunts structurés, mais il n’est pas raisonnable, pour une collectivité, de changer de cap à 180 degrés du jour au lendemain. Il fallait se désengager peu à peu, sécuriser davantage la dette et faire en sorte de retrouver des moyens – ce que j’appelle la « matière fiscalisable » –, grâce au retour des entreprises et des ménages dans la ville.
Nous avons souscrit des emprunts pour épargner le plus possible le budget de la ville et retrouver des marges de financement disponibles pour les investissements. Le fait pour une ville de passer de 220 000 à 170 000 habitants ne supprime pas du jour en lendemain l’entretien des écoles et des kilomètres de voirie : il faut continuer à entretenir la ville et à l’aménager comme si elle avait conservé 220 000 habitants. Quand une ville perd un quart de ses habitants, l’équipe municipale doit se battre chaque matin pour réaliser des économies, y compris sur les moyens de fonctionnement. La ville de Saint-Étienne compte 3 500 fonctionnaires municipaux. Nous avons peu à peu réduit la masse salariale, qui représente 53 % du budget de la ville, de manière à épargner les contribuables et aider la ville à redémarrer.
J’avais souhaité remettre à chacun d’entre vous un document incontesté et incontestable puisqu’il émane de la London School of Economics (LCE), qui a étudié sept villes européennes en danger de désindustrialisation. Dans un rapport approfondi de 40 pages relatif à la situation de Saint-Étienne, la LSE concluait que nous étions sur la bonne voie. Je ne dirai pas que nous avons tout parfaitement réussi mais, si nous avons emprunté – pas plus d’ailleurs que de nombreuses autres collectivités – c’est que nous avions besoin de trouver les moyens de relancer l’économie.
Les ménages stéphanois solvables, soit à peu près un sur deux, n’en pouvaient plus de payer tant d’impôts. Sans faire de miracle, nous avons essayé de maintenir le taux de fiscalité. Nous avons comparé le cas de Saint-Étienne avec celui de Montpellier, mais cette dernière est passée en quarante ans de 170 000 à 240 000 habitants. Je ne dis pas que tout est facile pour Montpellier, mais la ville retrouve de la ressource et cet afflux de population nécessite de nombreuses constructions. À Saint-Étienne, en revanche, il nous fallait gérer d’innombrables friches industrielles et urbaines. L’État doit soutenir les villes en difficulté. C’est ce qu’il a fait, comme vous le dira tout à l’heure le préfet de l’époque, Michel Morin, qui avait expliqué à l’administration centrale la situation de Saint-Étienne et la nécessité de faire appel à la solidarité nationale. Il fallait que nous trouvions les moyens de rebondir. Nous les avons trouvés en créant deux établissements publics : l’EPORA, pour gérer les friches industrielles, et l’EPA, créé pour accélérer l’aménagement de la ville, qui fut doté en 2007 de 120 millions d’euros. Tous ces éléments ont été longs à mettre en place.
Une ville est comme un gros paquebot : elle ne se manie pas facilement. Il faudra sans doute de nombreuses années pour rétablir l’équilibre.
M. le rapporteur. Je note une contradiction entre vos propos et la situation décrite dans le rapport de la chambre régionale des comptes. C’est une bonne chose que d’avoir utilisé ce type d’outil pour dégager des marges et investir mais, entre 2004 et 2008, vos dépenses de fonctionnement évoluent plus que vos produits : plus 17 millions d’euros, soit une augmentation de 14 %. Cette évolution touche particulièrement les charges de personnel. Le magistrat mentionne que, lorsque le risque survient, vous utilisez vos marges pour régler des charges de fonctionnement sur lesquelles vous ne pourrez pas revenir, ce qui a encore un impact sur la situation actuelle de la ville. D’ailleurs, au cours du conseil municipal du 7 janvier 2008, il est dit que la quasi-totalité de la dette est considérée comme une variable d’ajustement. Je comprends votre logique, mais je ne la retrouve pas dans les comptes de la ville.
M. Michel Thiollière. Ce que dit la chambre régionale des comptes est clair : notre potentiel fiscal, qui traduit la richesse relative de nos concitoyens, était très en dessous de la moyenne. En 2004, il était de 667 euros par habitant alors que la moyenne pour les collectivités de même strate était de 718. En 2008, nous nous trouvions sur une pente très légèrement croissante, nous avons donc augmenté le potentiel fiscal. Dans le même temps, les charges de fonctionnement représentaient 1 424 euros par habitant, contre 1 255 pour les communes de même strate. Comme l’indique la chambre régionale des comptes dans son rapport, « la baisse démographique n’est pas sans incidence sur les ressources encaissées et constitue un facteur aggravant de la situation ».
Vous devez en être persuadés, mesdames et messieurs les députés, on ne peut gérer le déclin d’une ville en utilisant des méthodes classiques. Tous les experts internationaux que j’ai rencontrés vous le diront, on ne va pas au secours d’une ville sans faire quelques sacrifices ni utiliser une méthode volontariste. C’est ce que nous avons choisi de faire. Je ne prétends pas que c’est une solution parfaite, mais je n’en connais pas d’autre. En outre, je ne connais pas de grande ville française qui se soit trouvée dans une situation comparable à celle de Saint-Étienne.
Dans sa réponse à la Cour des comptes, le maire de Bordeaux indique qu’ayant baissé sa dette de 100 millions d’euros, il ne comprend pas pourquoi la Cour lui pose des questions – nous, à Saint-Étienne, nous avons aussi fait baisser la dette. Quant à la présidente de Lille-métropole, elle indique qu’il appartient aux pouvoirs publics de réguler les relations entre les banques et les collectivités territoriales – je ne dis pas autre chose.
Nous étions dans une période tout à fait différente de celle que nous connaissons depuis 2008. Aucune demande de précaution particulière n’avait été adressée aux collectivités et pas un seul banquier ne nous avait alertés. Les représentants de l’État eux-mêmes n’étaient pas plus informés de la dangerosité de certains produits et de la survenue de la crise. Compte tenu des circonstances, ce que nous avons fait a permis d’équiper la ville, de relancer l’investissement et de maintenir la fiscalité et la dette à des niveaux raisonnables. Je le répète, si la ville continue de perdre des habitants, le ratio par habitant restera important.
M. le rapporteur. Cette baisse de la démographie me semble contradictoire avec l’évolution des effectifs. Quant aux ressources, elles ne servent qu’à augmenter les charges de fonctionnement.
Je voudrais interroger M. Alfieri sur un point : dans les réponses aux observations provisoires de la chambre régionale des comptes, M. Thiollière indique qu’au cours de la période allant de 2000 à 2007, au cours de laquelle beaucoup d’emprunts structurés ont été contractés, personne n’avait formulé de mise en garde. N’avez-vous jamais été alertés par vos banquiers ?
M. Antoine Alfieri, ancien adjoint au maire de Saint-Étienne, en charge des finances. Jamais ! Il est un peu réducteur de comparer les années 2004 et 2008, car lorsque nos frais financiers atteignaient 13 millions d’euros, nous avons réussi à les réduire de 2,14 % grâce aux produits de pente que nous avions choisis avec M. Rastel. Pour analyser correctement notre action, il faudrait pratiquement remonter à l’année 2001. En 1995, les frais financiers de la ville de Saint-Étienne représentaient 17 % des dépenses de fonctionnement, ce qui constituait le record de France. Mais compte tenu de l’ampleur de la dette, 37 % des budgets servaient à rembourser le capital et les intérêts. Aucune ville n’a eu à gérer un tel phénomène. Dans le même temps, nous subissions une baisse de la démographie. Mais nous n’avons jamais dépassé, et c’est toujours vrai aujourd’hui, le taux de 4 % de frais financiers dus à la dette. Le taux de 6,5 % n’existe que pour les produits toxiques.
M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Le taux de 6 % que j’ai évoqué correspond à la part des frais financiers sur les charges d’exploitation.
M. Antoine Alfieri. Nos frais financiers, après avoir été légèrement supérieurs à 20 millions d’euros, sont tombés à 13 millions puis remontés à 20 millions lorsque nous avons rompu notre contrat avec M. Rastel – nous n’avions alors pratiquement que des produits de pente. L’erreur que nous avons commise et que nous avons tous « cosignée » est d’avoir fait confiance aux services et aux banquiers. Michel Thiollière nous ayant demandé de sécuriser notre dette, en 2006, nous n’avons pas reconduit le contrat de M. Rastel. Les banques, connaissant le montant de 116 millions d’euros que nous avions en produits de pente, ont harcelé nos services pour que nous transformions les produits dits « à risques ». C’est ainsi que nous avons fait le choix de contre-swaps dix fois plus dangereux que les swaps. Voilà ce qui s’est passé ! Les services nous les ont présentés comme des produits miracles, capables de réduire le risque. Or nous l’avons multiplié !
Je vous citerai l’exemple frappant d’un produit de pente proposé par la Deutsche Bank (à l’époque les taux longs étaient inférieurs aux taux courts) dont le taux se situait entre 8 et 9 %. Nous avons remplacé ce produit par un produit capé à 24 %, que les services nous ont présenté comme un produit miracle. Dans un rapport de huit pages, un ancien de Dexia affirmait que la parité livre anglaise-franc suisse ne pouvait pas s’effondrer, que les parités seraient fixes pendant vingt ans et que transformer notre produit nous permettrait de bénéficier d’un taux court très bas. Eh bien, monsieur le rapporteur, c’est aujourd’hui le seul produit réellement toxique ! S’il n’était pas capé, et cela démontre la folie des banques, les taux d’intérêt atteindraient près de 130 % !
Personne n’a rien vu, pas plus les services que moi-même. Mea culpa, mais je ne veux pas porter seul la responsabilité car, comme le souligne le rapport de la chambre régionale, je ne peux passer mes jours et mes nuits à tout contrôler.
M. le rapporteur. Ce rapport contient en effet des informations intéressantes, qui parfois contredisent vos propos. Ce que nous comprenons, c’est que les emprunts structurés vous ont à une époque fait gagner beaucoup d’argent. Le bilan doit être établi sur la totalité de la période.
M. Antoine Alfieri. Quelles sont les informations qui contredisent mes propos ?
M. le rapporteur. Il apparaît dans les pièces versées au dossier que le groupe IXIS avait dès 2006 attiré l’attention de la ville sur le risque de conclure des contrats de type snow ball.
M. le président On voit bien qu’il existait entre les uns et les autres des rapports subtils, mais nous devons comprendre comment la chaîne a fonctionné. Dans quelles conditions, monsieur Alfieri, aviez-vous reçu délégation pour contracter ces emprunts ? Quelles informations détenaient les autres élus du conseil municipal ? Enfin, aviez-vous reçu des indications, de la part des banques ou de l’administration, quant au fixing de ces produits dès le lendemain du jour où ils vous ont été prescrits ? Je vous pose la question car j’ai découvert cet été que des produits proposés à des acteurs publics avaient subi une dégradation dès le lendemain de la signature ! S’il s’était agi d’entreprises privées, elles auraient été contraintes de faire des provisions. Votre société de conseil ou les banques ont-elles attiré votre attention sur la dégradation qui pouvait exister au-delà de la période de taux bonifié qui vous avait été accordée ?
M. Antoine Alfieri. Je peux vous répondre avec précision. La ville de Saint-Étienne – dont je rappelle qu’elle emploie 3 500 personnes – dispose d’un service financier chargé de procéder à ces analyses. En ce qui me concerne, on me transmettait un résumé de ces informations, mais on ne m’a jamais alerté, loin s’en faut. Si cela avait été le cas, pourquoi aurions-nous transformé des produits de pente en produits de change ? J’ai peut-être été mal informé, mais peut-être aussi n’ai-je pas su lire les informations qui m’étaient transmises car je ne suis pas un spécialiste des finances : j’en ai simplement reçu la délégation lorsque j’ai été élu.
J’avais toute la confiance du maire. Cette délégation des finances me donnait la possibilité de négocier avec les banques. Avec le secrétaire général, ici présent, nous avions créé une commission regroupant les services. Ceux-ci nous délivraient un grand nombre d’informations. Ils entamaient la négociation avec les banques et nous avertissaient de tel ou tel danger. C’est ainsi qu’ils nous ont avertis de la nécessité de sortir du produit de pente de la Deutsche Bank, nous conseillant de prendre un produit reposant sur la parité livre anglaise-franc suisse.
Il faut savoir qu’il est très difficile pour un élu, voire pratiquement impossible, de dire à des spécialistes réunis autour d’une table et d’accord entre eux qu’ils se trompent.
Quant aux fixings, ils ne m’étaient pas communiqués, mais si cela avait été le cas, sans explication complémentaire de nos services des Finances, je ne suis pas sûr que j’aurais été capable de les lire car ce sont des documents complexes. De mémoire les « snow ball » contractés par la ville de Saint-Étienne ont été conclus bien après 2006.
M. le président Votre franchise vous honore. De quelle manière aviez-vous présenté ce produit miracle au conseil municipal ?
M. Antoine Alfieri. Vous parlez sans doute de mes maladresses, soulignées par la chambre régionale des comptes. Lorsqu’un élu est « titillé » par l’opposition, certains mots lui échappent, mais je n’ai jamais eu volonté de cacher quoi que ce soit. Je n’ai fait que présenter les résultats : dans les années 2005-2006, nos frais financiers tournaient autour de 2 %, et il était normal que la majorité présente cela comme un bon résultat, puisque c’était vrai. La société Finance Active, qui a étudié le cas de 800 villes, a démontré que Saint-Étienne, avec un taux de 2,09 %, se trouvait sur le podium des villes ayant le moins de frais financiers. Que cela ait été dit avec un peu d’emphase durant un conseil municipal, cela peut arriver dans toutes les villes, qu’elles soient de droite ou de gauche. J’ai été surpris de voir que ces propos avaient été utilisés.
M. le rapporteur. J’apprécie vos remarques. Nous sommes ici, non pour faire le procès d’une commune ou de quelques élus, mais pour essayer de comprendre car nous souhaitons que la situation ne se reproduise pas. Il semble que les banquiers soient allés trop loin et n’aient pas délivré suffisamment de conseils. Comment cadrer leur action ? Jusqu’où peuvent aller les collectivités ? Vous avez admis avoir réalisé un certain nombre de provisions. C’est un choix intéressant que font pourtant très peu de communes.
M. Antoine Alfieri. Permettez-moi d’abonder dans votre sens. Ce n’est qu’après les élections de 2008 que j’ai cherché à mieux analyser les phénomènes financiers. Mea culpa ! Tous ceux qui me connaissent savent que j’ai toujours travaillé dans l’intérêt de ma ville. En dix-neuf ans, je n’ai jamais engagé un euro de frais personnels. J’ai cherché à comprendre, en lisant le rapport de la chambre régionale des comptes, par où j’avais péché. J’en ai déduit qu’au fond, je le dis très franchement, nous n’avions pas toutes les compétences nécessaires, au moins jusqu’à ce que nous ayons recours à M. Rastel.
Permettez au non-spécialiste que je suis de vous faire quatre suggestions.
– Tout d’abord, il faut imposer aux banques, dans les contrats de swap, d’indiquer toutes les formules, y compris les coefficients multiplicateurs s’il y en a. Le fameux produit de la Deutsche Bank que je vous ai cité présente, dans sa formule, un taux de 5,95 %, mais ce qui est calculé entre parenthèses, doit être multiplié par 100, ce qui n’est pas indiqué ! Non seulement les formules sont fausses – est-ce volontaire ou non ? je ne sais pas, mais, surtout, et c’est beaucoup plus grave, c’est une tromperie car, si l’élu qui signe le document contrôle uniquement les formules, il se trompe lourdement. C’est ce qui m’est arrivé à l’époque.
– Par ailleurs, si les villes continuent de recourir aux swaps, il faut mettre en place un système symétrique : il suffit, pour un gain de 2 %, de fixer un cap par rapport à un taux moyen fixe de 2 % au-dessus. Cette obligation priverait les banques de la possibilité de proposer des produits fous, avec des effets multiplicateurs, et les communes sauraient rigoureusement à combien elles s’engagent et ce qu’elles doivent provisionner, au pire.
– Il convient ensuite d’imposer, pour des produits aussi sophistiqués, la double signature de l’élu et du directeur général des services ou du directeur des finances.
– Enfin, sachant que ce sont des inspecteurs des finances de haut niveau qui siègent dans les conseils d’administration, comment a-t-on pu inventer les snow balls et autoriser les banques à placer de tels produits ? Il est scandaleux de devoir payer un seul trimestre négatif jusqu’à la fin du contrat : cela relève de l’usure, voire de l’escroquerie organisée. Je pense aujourd’hui que les services finances, en proposant ces produits, n’avaient pas tout compris sur des détails du calcul des taux chaque trimestre.
M. le président Nous avons prévu d’interroger les services, mais qui sont ces « spécialistes » que vous évoquez ?
M. Antoine Alfieri. Ce sont les banques. Nous leur faisions confiance. Les prêts de Dexia, par exemple, ont couvert jusqu’à 60 % des besoins de la ville.
M. le rapporteur. Monsieur Rastel, en tant que gérant de deux cabinets spécialisés, FITECH et TECHFI, vous avez conseillé la ville de Saint-Étienne, qui pourtant disposait d’un service financier important. Quelles sont vos qualifications et votre expérience en matière de financement des collectivités ? Comment avez-vous été recruté par la municipalité ? Quelle a été la durée de cette collaboration ? Quelle prestation de conseil avez-vous assurée auprès de la ville de Saint-Étienne et selon quelles modalités de rémunération ?
M. Jean-Michel Rastel, directeur général des cabinets TECHFI et FITECH, ancien conseil de la ville de Saint-Étienne. J’ai occupé un emploi fonctionnel à la ville de Mantes-la-Jolie, dont je suis retraité. J’y étais secrétaire général adjoint chargé des finances. C’est durant cette période que j’ai acquis mon expérience et que je me suis aperçu que les banques savaient tirer d’importants bénéfices des produits qu’elles proposaient. En 1989, j’ai mis au point un produit innovant en matière de gestion de trésorerie. En 1988, la ville procédait à des ouvertures de crédits pour gérer la trésorerie. Considérant que c’était une dépense supplémentaire, j’ai passé un contrat avec le CIC pour gérer la trésorerie directement sur l’emprunt afin de diminuer les intérêts de l’emprunt sans payer ceux de l’ouverture de crédit. Pour la ville de Mantes-la-Jolie, cela représentait une économie d’un million de francs.
J’ai ensuite souhaité quitter la fonction publique pour présenter ce produit à mes collègues. Il a été mis au point et validé par la Société générale. C’est Christian Poirier, que j’ai rencontré en 1990, qui, dans un article paru dans la Gazette des communes en 1991, a fait valider l’ouverture de crédit à long terme (OCLT). Puis le produit a été copié par Dexia sous la forme du crédit à long terme renouvelable (CLTR). C’est ce qui m’a amené à conseiller les collectivités et à créer ma propre société.
J’avais pour objectif une obligation de résultats, ce qui m’a amené à travailler avec peu de collectivités, d’autant que je devais rester en permanence à l’écoute des marchés, qui ne cessent d’évoluer. J’ai travaillé notamment pour la ville de Meaux durant un mandat avec Jean-Claude Louchet, à la satisfaction de Jean-François Copé, ce qui m’a amené à conseiller la ville de Saint-Étienne.
En étudiant la dette de la ville, j’ai considéré qu’il y avait des marges de manœuvre. Tout d’abord, cette dette n’était pas compactée, ce qui rendait sa gestion très difficile. Il fallait donc revoir sa structure. La ville était également engagée dans quelques swaps perdants, pour lesquels je n’ai rien pu faire. Les produits qui étaient à l’époque proposés par les banques permettaient de faire des économies d’intérêts. La ville est ainsi passée d’un taux de 5,5 % à un taux légèrement supérieur à 2 %.
Avant de proposer une opération, j’essayais de l’analyser pour savoir comment elle pourrait jouer sur l’économie réelle. J’ai opté pour plusieurs swaps, dont j’ai proposé à la ville de sortir dès que l’économie évoluait – sur le dollar, sur le TecDis, sur l’euro-yen, sur le Libor suisse.
J’ai travaillé avec la ville de novembre 2001 à décembre 2005. Au cours de cette période, elle a réalisé des économies d’intérêts pour un montant d’environ 13 millions d’euros. Mais certaines opérations étaient en cours et, en 2006, alors que je n’étais plus en charge de sa gestion, la ville est sortie d’opérations qui lui avaient permis de percevoir des soultes. Sur l’euro-yen et le franc suisse, la ville a perçu environ 7 millions d’euros liés à la sortie d’opérations que j’avais moi-même engagées. J’ai laissé la ville avec 110 millions de CMS (constant maturity swaps) – ou swaps de courbe. Mais avant de procéder à ces swaps, j’ai recherché la présence d’une inversion de courbe dans les autres monnaies. Il y en avait eu sur le yen et la livre, mais de très courte durée. L’inversion de courbe est une chose qui peut arriver, et d’ailleurs nous l’avons connue immédiatement après avoir fait les opérations de swaps. Un taux long ne peut rester éternellement en dessous d’un taux court. Les opérations de pente étaient des opérations logiques, un taux court coûtant généralement moins cher qu’un taux long. Lorsque la courbe a commencé à s’aplanir, puis à s’inverser, nous savions pertinemment qu’elle se retournerait, mais nous ne savions pas à quel moment cela se produirait.
Une collectivité qui se trouve dans cette situation doit conserver son sang-froid et ne pas sortir des opérations en cours, même si, durant la période au cours de laquelle une opération est négative, il lui faut la financer. Or nous savons que les collectivités utilisent leur budget jusqu’à sa limite. En 2006, Saint-Étienne disposait d’une soulte positive de 7 millions d’euros. La ville aurait très bien pu conserver toutes ces opérations sans que cela lui pose le moindre problème.
À partir de janvier 2006, la direction financière a changé d’optique et les banques lui ont proposé des contre-swaps, dont les snow balls et d’autres produits que je ne connaissais pas. C’est à partir de là que la situation s’est dégradée.
À la fin 2008, tous les CMS étaient à 0 % et, en 2009, la ville aurait pu percevoir 5 millions par an. Il ne fallait donc pas bouger. À la communauté d’agglomération de Saint-Étienne, avec laquelle je travaillais, nous n’avons pas bougé. J’ai proposé de prendre des CMS, qui sont restés à 0 %. Mais la direction financière a choisi de prendre une autre voie.
M. le rapporteur. Quelles étaient les modalités de votre rémunération ?
M. Jean-Michel Rastel. Ma rémunération était assise sur le résultat, tout en étant plafonnée, pratiquement en permanence, sur l’appel d’offres des marchés publics. La plupart des collectivités préfèrent organiser une mise en concurrence sans subir les formalités de l’appel d’offres. Toutefois, quelques collectivités ont lancé des appels d’offres, auxquels j’ai répondu. J’ai été retenu dans la quasi-totalité des cas. Les trois collectivités qui ont conservé mes services pendant la crise sont toujours bénéficiaires.
M. le rapporteur. La chambre régionale des comptes mentionne que vous avez participé à la négociation d’un emprunt de 22 millions sur trente-cinq ans, avec un différé d’amortissement de dix-huit mois, avec une banque irlandaise. Pourquoi avoir conseillé un prêt dont la durée n’est pas en corrélation avec la durée d’amortissement des actifs ?
M. Jean-Michel Rastel. La ville recherche toujours à faire des économies d’intérêts. Le produit euro dollar-euro suisse est proposé par les banques, j’ai donc cherché à l’optimiser. J’ai procédé à des calculs que j’ai soumis aux établissements bancaires. Je recherchais une sécurisation la plus longue possible parce qu’on sait bien que les courbes se retournent systématiquement. On l’a vu avec les CMS. J’ai obtenu les cotations de Depfa et de Natixis et j’ai recherché la meilleure optimisation. J’ai trouvé un produit au taux de 0 % sur une durée de douze ou treize ans, voire jusqu’en janvier 2024, avec un coefficient de réduction de la formule de 50 points de base. C’était énorme !
J’avais des contacts avec M. Alfieri dans le cadre de la communauté d’agglomération. Lorsqu’il m’a fait part des choix qui se présentaient à la ville, je lui ai indiqué que ce n’était pas de bons choix. C’est au cours d’une rencontre en présence de Jean-Claude Louchet que je lui ai proposé le produit en question. Ensuite, les choses sont allées très vite et, une semaine plus tard, la ville réalisait l’opération sans que les services financiers aient été informés de mon intervention. La mise en concurrence a duré un après-midi entier, avec Dexia comme acteur principal. Mais la formule n’est pas présentée de façon identique par Dexia et Depfa, si bien qu’il y a eu un mélange entre ce qu’ont compris les services financiers et les calculs que j’avais effectués. À la fin de la journée, j’ai indiqué à M. Alfieri que je souhaitais me retirer car je sentais que quelqu’un ne comprenait rien ! Plus tard, il m’a appelé pour me dire que Depfa avait remporté l’appel d’offres. Ils avaient eu de la chance : c’était le bon choix.
Aujourd’hui, en pleine crise, j’ai repris la cotation. Quand on me dit que c’est un prêt critique… La ville a repris ce produit euro dollar-euro CHF au taux de 7,15. Je suis, moi, à moins 20 avec un taux de 0 % jusqu’en 2020. D’ici là, croyez-moi, les choses se seront inversées.
M. le rapporteur. La question portait plutôt sur la durée d’amortissement des actifs. Quoi qu’il en soit, vous démontrez la nécessité de procéder à une expertise.
Monsieur Louchet, dans une ville importante comme Saint-Étienne, quel est le rôle des services ? Quelle est votre expertise ? Quel est le montant annuel de la rémunération que vous versiez à M. Rastel en échange de sa prestation ?
M. Jean-Claude Louchet, ancien directeur des services de la mairie de Saint-Étienne. Le rôle du directeur général des services est de veiller à ce que de bons niveaux de compétences interviennent dans tous les domaines.
En matière de gestion financière, l’expertise interne nous était apportée par notre direction des finances, et nous avions l’appui de deux cabinets externes.
S’agissant de la prise de décision, nous organisions régulièrement des réunions sur la base de dossiers préparés en interne ou par les consultants externes. Ces réunions nous permettaient de faire le point sur la situation globale antérieure ainsi que sur les perspectives de la période à venir, et de définir une stratégie.
En ce qui concerne la rémunération de M. Rastel, je ne m’en suis pas occupé en tant que directeur général mais j’en connais le montant pour l’avoir lu dans le rapport de la chambre régionale des comptes : elle se situait autour de 80 000 euros par an.
M. Daniel Boisserie. Vous avez évoqué une perte de recettes due à la baisse de la population, mais cette perte de recettes n’est-elle pas également liée à la dotation de compensation de la taxe professionnelle ?
Mme Valérie Fourneyron. M. Thiollière a évoqué les circonstances qui l’avaient conduit à prendre ses décisions au regard de la diminution de l’activité industrielle de la ville de Saint-Étienne. Un certain nombre de collectivités, qui n’ont pas vécu les mêmes difficultés économiques mais qui ont eu en commun certains intermédiaires financiers, dont M. Rastel, connaissent la même situation.
Monsieur Rastel, votre société a changé de nom. Qu’est-ce qui a motivé ce changement ? Votre qualification est-elle en adéquation avec l’enjeu que représentent les produits que les banques proposent aux responsables communaux, parfois quelques jours avant les échéances électorales ?
M. Jean-Louis Gagnaire. La Cour des comptes relève qu’un certain nombre de collectivités connaissent des difficultés d’expertise interne. Si elles ont recours à des experts externes, c’est bien qu’elles recherchent les meilleurs experts, s’agissant de produits de plus en plus sophistiqués. J’ai cru comprendre qu’il existait une relation entre M. Rastel et M. Louchet. Sachant que la situation que connaît la ville est due à ses conseils, comment M. Rastel a-t-il été recruté ? Celui-ci nous explique que, si ses conseils avaient été suivis jusqu’en 2008, la situation aurait été différente. Comment les décisions étaient-elles prises ?
Vous dites, monsieur Rastel, que vous avez une obligation de résultats. Or, à l’évidence, les résultats ne sont pas là. Certaines obligations n’ont donc pas été respectées. Dans quelles conditions M. Louchet a-t-il été autorisé par le maire et l’adjoint aux finances à recourir à un cabinet qui, semble-t-il, n’avait pas toutes les compétences, en tout cas n’était pas totalement certifié pour manipuler ce type de produits ?
M. Henri Plagnol. Je suis maire d’une ville qui se trouve dans une situation comparable.
Monsieur Alfieri, votre mea culpa est un moment de vérité intéressant pour notre Commission et je vous en remercie. Sachant que vous n’aviez pas toutes les qualifications pour gérer ce type de produit, pourquoi avez-vous pris la décision de souscrire des contre- swaps ?
Doit-on en conclure qu’un élu ne devrait jamais signer un document qu’il ne comprend pas, a fortiori quand sa signature, lourde de conséquences, n’a pas été débattue en toute transparence en conseil municipal ?
M. Marc Francina. Saint-Étienne n’étant pas très éloignée de la Suisse, monsieur Rastel, pourquoi vous êtes-vous basé sur un euro dollar-euro franc suisse sachant que le franc suisse était égal à 0,125 euro en 1963 et qu’il est aujourd’hui égal à 1,20 euro ? N’importe quel employé de banque sait que choisir un placement indexé sur le franc suisse est une folie, et c’est vrai depuis 1914 !
M. Michel Thiollière. En 1999, nous avons instauré la taxe professionnelle unique au sein de l’agglomération stéphanoise. La ville de Saint-Étienne avait des taux beaucoup plus élevés que la moyenne des villes composant l’agglomération. Nous avons donc décidé de revenir, en douze ans, à un taux moyen, lequel se situe aujourd’hui autour de 17,30 %. C’était une façon de partager l’activité économique existante, mais surtout de reconstruire l’activité, tant pour l’agglomération que pour la ville de Saint-Étienne. Le système mis en place permettait toutefois aux communes de récupérer la part de taxe professionnelle qui leur serait revenue si elles avaient conservé leur propre taxe professionnelle.
Je voudrais revenir sur un point. Ceux d’entre vous qui ont présidé un conseil municipal savent bien que personne n’est capable de maîtriser l’aspect technique de chacun des quelque cent dossiers inscrits à l’ordre du jour et qui peuvent concerner la voirie, l’éclairage public ou les finances. J’avais donc mis en place des commissions, dont une commission des finances, instaurée en 1995. Une semaine avant chaque conseil municipal, cette commission permettait à tous les membres du conseil, majorité et opposition, de se renseigner sur les sujets venant en discussion au conseil. En outre, j’organisais une réunion préalable, le jour même du conseil municipal, en présence des présidents de groupes politiques, pour évoquer tous les problèmes inscrits à l’ordre du jour. Car on sait bien que le conseil municipal, s’il permet à certains de paraître à la télévision, n’est pas le lieu propice pour détailler chacun des dossiers présentés.
Vous avez choisi de débattre du cas de Saint-Étienne, mais beaucoup d’autres villes importantes ont été touchées, par les mêmes banques et au même moment. L’article du Monde que j’évoquais précédemment citait bien d’autres villes : Grenoble, Lille, pour 282 millions d’euros, Marseille, pour 272 millions d’euros, Nice, Nîmes, Clermont-Ferrand. Toutes ont connu les mêmes emprunts, les mêmes banquiers et les mêmes difficultés. Cela dit, je comprends l’intérêt que représente notre échange pour les parlementaires que vous êtes.
Je voudrais vous dire une chose : lorsque l’on est aux affaires, on ne trouve pas toujours auprès des pouvoirs publics le bon répondant. Les chambres régionales des comptes, qui disposent d’un certain nombre de documents et d’une réelle expertise, devraient pouvoir donner leur avis et leurs conseils aux collectivités qui le souhaitent, au moins sur les sujets importants. Toutes les communes de France appartiennent à des associations, telles que l’Association des maires de France ou l’Association des maires des grandes villes de France. Pourquoi ne pas établir des « tableaux de bord » qui offriraient aux collectivités la possibilité d’un échange régulier entre les pouvoirs publics, l’État, les banques et les responsables associatifs ? Cela permettrait à un élu, qu’il soit membre de la majorité ou de l’opposition, technicien ou non-initié, de se renseigner en temps réel par le biais d’internet.
Un haut magistrat de la Cour des comptes me suggérait récemment que le président de la chambre régionale des comptes vienne exposer ses conclusions devant le conseil municipal – je remarque que l’on jette parfois en pâture à l’opinion publique des documents qui n’ont pas grand-chose à voir avec la réalité. Ainsi, la majorité et l’opposition pourraient s’appuyer sur un document objectif.
M. Paul Salen. Si nous participons à ces réunions, c’est pour nous documenter mais aussi pour échanger, et sur ce point nous sommes quelque peu frustrés.
À l’époque des faits, j’étais adjoint aux finances dans une ville et, parallèlement, je travaillais dans une banque. Je sais que les banques s’efforçaient de proposer aux collectivités les crédits les plus intéressants.
Lorsqu’une petite collectivité est pénalisée, je donne tort aux banques à 100 % car elle ne dispose pas des services compétents. Mais je m’étonne qu’une ville comme Saint-Étienne soit à ce point pénalisée sachant qu’elle bénéficie des compétences d’un directeur général et d’un directeur financier et qu’elle a la chance de pouvoir recourir à un cabinet de conseil. Certes, le maire ne peut pas tout vérifier. Et je connais Michel Thiollière : ce n’est ni un aventurier ni un joueur de casino.
Monsieur Alfieri, quelles informations régulières M. Thiollière recevait-il, de votre part et de la part du cabinet de conseil, sur le risque que représentaient de tels emprunts ?
J’ai cru comprendre que la rémunération du conseil était variable en fonction du résultat. Pourtant, son montant de 82 000 euros est resté inchangé pendant trois années successives. Cela signifie-t-il que le résultat a été positif durant ces trois années ?
M. Antoine Alfieri. La rémunération de M. Rastel était plafonnée. Nous avons tout de même gagné pratiquement 20 millions d’euros pendant la période où nous avons eu recours à ses prestations. 0,5 % de cette somme correspondent à un million d’euros ; or il n’en a même pas perçu 360 000 sur plusieurs années.
M. Rastel a cessé de nous délivrer ses conseils à la fin de 2005. Si nous avions conservé les produits qu’il nous avait conseillés, nous n’aurions couru aucun risque. Michel Thiollière, après avoir obtenu des informations au Sénat, m’a demandé de ne plus prendre aucun risque. Les banquiers nous ont expliqué que les produits de pente comportaient de gros risques. M. Rastel n’était alors plus le conseil de la ville. La preuve, la métropole, avec le même adjoint au finances et le même conseil, n’a connu aucun dérapage. Cela veut peut-être dire aussi qu’il y a eu une meilleure analyse, mais je n’en dirai pas plus car je ne veux attaquer personne.
J’apprécie la remarque de M. Plagnol. Je rappellerai l’exemple du contrat de la Deutsche Bank : je trouve aberrante l’utilisation de fausses formules dans les contrats. Je vous demande, mesdames et messieurs les députés, si vous légiférez sur cette question, d’imposer aux banques d’écrire toutes les formules, faute de quoi elles seraient condamnées pour défaut d’information.
Nous croyions sortir du risque avec les contre-swaps, j’ai l’honnêteté de le dire, mais ce faisant nous avons pris de véritables risques. J’ai décidé de ne dire que la vérité, nous avons été entraînés dans des risques importants en nous faisant croire (les banques) qu’on nous faisait sortir du risque. Nous avons peut-être été naïfs, je veux bien l’admettre. Pour vérifier le produit de la Deutsche Bank, j’ai fait plusieurs fois le calcul, et j’ai considéré qu’il n’y avait pas de gros risques. Cet exemple est significatif : il y a bien eu tromperie et la Deutsche Bank mériterait d’être accusée.
S’agissant de la transparence au conseil municipal, soyons attentifs : tout n’est pas parfaitement clair pour les participants. Il n’est pas possible, au cours d’un conseil municipal, d’entrer dans le détail de systèmes comme le floor ou le cap. J’ai moi-même essayé de donner des explications : il s’est ensuivi un brouhaha épouvantable car cela n’intéresse personne !
M. le président. Monsieur Thiollière, le rapport de la chambre régionale des comptes date de novembre 2010. À quelle date la chambre vous a-t-elle rendu visite ?
M. Michel Thiollière. Au cours de l’automne 2008, la chambre régionale des comptes s’est autosaisie des finances de la ville entre 2004 et 2008. Elle a établi un premier rapport, mais un an plus tard elle décidait de ne pas le rendre public et d’entreprendre, avec d’autres magistrats instructeurs, un nouveau rapport – celui paru en décembre 2010.
M. le président. Celui que vous évoquez n’a donc jamais été publié ?
M. Michel Thiollière. Pas à ma connaissance. Le président de la chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes m’a averti par courrier à l’automne 2009 qu’il reprenait entièrement l’analyse de la situation de la ville avec de nouveaux magistrats instructeurs et un nouveau président de section.
M. le président. Sans vous en préciser la raison ?
M. Michel Thiollière. Cela faisait suite à un entretien privé, au cours duquel j’ai indiqué, preuves à l’appui, au président de la chambre m’a indiqué que le magistrat instructeur à l’origine du premier rapport, qui n’a jamais été diffusé, ne présentait pas toutes les garanties de neutralité requises pour instruire un rapport de la chambre régionale des comptes. Et je m’exprime là avec beaucoup de diplomatie.
M. le président. Chacun appréciera…
M. Jean-Claude Louchet. Il est important, en effet, de retracer l’histoire de ma relation avec Jean-Michel Rastel. En 1995, j’étais directeur général de la ville de Meaux. Or cette ville avait des similitudes urbaines et sociales avec Mantes-la-Jolie. C’est au cours de l’une des rencontres organisées entre les deux villes que j’ai rencontré Jean-Michel Rastel, à l’époque directeur général adjoint en charge des finances. Nous avons échangé nos expériences et nous nous sommes aperçus que nous menions la même bataille. En effet, à l’époque, les communes souscrivaient surtout des emprunts à taux fixe, dont les taux étaient très élevés d’autant que le taux de l’inflation diminuait fortement. Les communes avaient pour objectif de sortir de ces emprunts à taux fixe pour souscrire des taux variables.
C’est ainsi que, lorsque Jean-Michel Rastel a créé sa société, nous avons fait appel à lui et à la ville de Meaux pour nous aider à analyser et à négocier les offres des différentes banques afin de sortir de ces taux fixes, car les banques habillaient leurs propositions de différentes manières aboutissant à ce que le coût de sortie soit le plus élevé possible. Satisfait de mon travail avec Jean-Michel Rastel, lorsque je suis arrivé à Saint-Étienne, je l’ai présenté à la mairie, au même titre que différents avocats et cabinets d’audit.
J’en viens à la manière dont nous sommes ensuite séparés. Fin 2005, une inversion de pente s’est produite. Il fallait réagir. J’ai considéré que notre conseil ne nous avait pas alertés en temps utile. C’est alors que Jean-Michel Rastel, qui avait permis à la ville de réaliser d’importantes économies en matière de frais financiers, a exprimé le souhait que soit supprimée la clause de plafonnement de sa rémunération. Considérant que ce n’était pas acceptable, j’ai demandé que la ville ne travaille plus avec lui. J’assume cette décision, même s’il apparaît qu’ensuite les services financiers ont pris des décisions moins intéressantes…
M. le rapporteur. Y avait-il eu une mise en concurrence ?
M. Jean-Claude Louchet. La mise en concurrence appartenait à la direction : je n’ai fait que mettre M. Rastel dans le circuit, sachant qu’il existait à Saint-Étienne une procédure particulière pour les marchés publics due à la certification ISO 9001 que la ville a obtenue pour une période de dix ans.
M. Jean-Michel Rastel. En ce qui concerne ma qualification, je l’ai obtenue au fil des années par mon travail. Quant à mon niveau d’études, j’ai fait mathématiques élémentaires en 1957. Je n’ai pas fait l’ENA et cela ne me dérange pas du tout…
S’agissant de ma rémunération, je demandais en général aux collectivités 8 % du montant des résultats. Je n’ai jamais eu recours aux snow balls et aucun des prêts structurés qui figurent dans la liste actuelle ne me concerne, sauf si l’on considère que le produit euro dollar-euro CHF est un risque, ce qui n’est pas le cas dans le climat actuel. La Banque suisse, qui commençait à connaître de sérieuses difficultés, a fixé un taux plancher de 1,20 %. Il est actuellement à 1,22 % et je pense qu’à l’avenir il ne peut que s’améliorer, selon la position de l’euro.
Pourquoi ai-je créé deux sociétés ? Lorsque j’ai créé la société TECHFI, j’y ai associé mon fils, qui travaille dans l’informatique, avec l’intention qu’il prenne la suite. Il se trouve que cela ne l’a pas intéressé. Dans la mesure où je conservais toutes les économies et ne prenais pas de dividendes, s’il m’était arrivé un accident, mon fils aurait hérité de la moitié des parts de la société et mes deux autres enfants auraient été désavantagés. J’ai donc décidé de créer une nouvelle société, la société FITECH.
En septembre 2008, le nouveau maire de Saint-Étienne, Maurice Vincent, m’a fait l’honneur de m’informer qu’il donnait une conférence sur la dette. J’avais alors la possibilité de sortir du produit euro dollar-euro franc suisse dans d’autres collectivités, dont Conflans et Mantes-la-Jolie. J’ai donc informé Maurice Vincent, dans un courrier du 14 septembre 2008, qu’il pouvait sortir du swap avec une soulte de 4 millions d’euros que m’avait cotée Natixis. Il n’y a pas eu de sortie, ce qui suppose que le produit n’était pas aussi mauvais que cela…
M. le président. Nous aurons l’occasion d’interroger M. Vincent sur ce point.
Je vous remercie, messieurs, de nous avoir éclairés sur la chaîne de commandement.
M. Bernard Derosier. Compte tenu des informations que nous venons de recevoir sur la chambre régionale de la région Rhône-Alpes, il serait intéressant que nous ayons le temps de procéder à un debriefing et d’élargir le champ de nos auditions car il est évident que son président a des choses à nous dire.
M. le président. J’ai évoqué cette possibilité avec le rapporteur, mais l’emploi du temps de notre commission d’enquête est très chargé avant la rédaction du rapport, et l’examen du projet de loi de finances va beaucoup occuper les administrateurs. Cela dit, il est évident qu’il faudra revoir le programme des auditions.
*
* *
Audition, ouverte à la presse, de M. Maurice Vincent, maire de Saint-Étienne, de M. Jean-Claude Bertrand, adjoint au maire, chargé du budget et de la gestion de la dette, et de M. Cédric Grail, directeur général adjoint.
(Procès verbal de la séance du mercredi 21 septembre 2011)
(Présidence de M. Claude Bartolone, président de la commission d’enquête)
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Messieurs, nous venons d’écouter avec beaucoup d’intérêt vos prédécesseurs à la mairie de Saint-Étienne.
Après le changement de majorité municipale en 2008, quelles ont été vos premières décisions pour rétablir les finances de la ville et, surtout, pour gérer la dette ?
M. Maurice Vincent, M. Jean-Claude Bertrand et M. Cédric Grail prêtent successivement serment.
M. Maurice Vincent, maire de Saint-Étienne. Dès mon élection, j’ai demandé la réalisation d’un audit sur la situation budgétaire de la ville et de sa dette. Sur le plan budgétaire, celui-ci a démontré que la ville était en grave difficulté du fait de l’effondrement de l’épargne nette. L’une des conclusions du Rapporteur a donc été la nécessité d’augmenter les impôts de 25 % pendant le mandat – ce que nous n’avons pas fait pour l’instant. Sur le plan de la dette, le rapport rendu par le cabinet Finance Active en juin 2008 a également mis en évidence une situation grave puisque 70 % de l’encours, soit 270 millions d’euros, étaient composés d’emprunts structurés. Aussitôt informé de cette situation, j’ai consulté mes adjoints et les services de la mairie, et, la semaine suivante, je leur ai demandé l’engagement d’une politique de sécurisation de la dette, consistant à saisir toutes les occasions de sortir de ces risques le mieux possible et au coût le plus faible pour la ville. Cette politique a donné des résultats puisque notre part toxique – certes, encore importante aujourd’hui : de 120 millions d’euros, soit 34 % de la dette – a été réduite de moitié en trois ans.
Par ailleurs, avec d’autres élus, j’ai alerté la ministre des finances et la ministre de l’intérieur de l’époque sur cette situation. Il s’est ensuivi, au mois de novembre 2008 au ministère de l’intérieur, la réunion des grandes banques françaises et des principaux responsables d’association d’élus locaux, puis la mise en place de la grille Gissler, visant à interrompre la diffusion de produits spéculatifs aux collectivités territoriales.
M. le Rapporteur. Vous vous êtes publiquement prononcé en faveur de la création d’une « structure de défaisance » dont l’objectif serait de prendre en charge tous les prêts structurés souscrits par certaines collectivités. Mais je vous ferai observer qu’un prêt structuré n’est pas forcément toxique.
Quels seraient selon vous les collectivités et les produits concernés par cette structure de défaisance et quel en serait le coût ?
M. Maurice Vincent. Cette idée d’une structure de défaisance constitue l’aboutissement de trois années de discussions et de résultats partiels, mais importants.
Vous avez raison : tous les produits structurés n’ont pas le même degré de dangerosité. Ceux que je n’ai pas pu renégocier sont les plus spéculatifs. Pour les autres, nous avons perdu de l’argent, nous avons accepté des taux d’intérêt rehaussés, nous avons payé de temps à autre telle ou telle soulte, mais nous en sommes sortis.
M. le président Claude Bartolone. Quelle était l’indexation de ceux que vous avez réussi à renégocier, et par quoi les avez-vous remplacés ? Et quelle est l’indexation de ceux qui subsistent dans votre budget et que vous jugez aujourd’hui très toxiques ?
M. Maurice Vincent. De mémoire, nous n’avons pas pu sortir des produits indexés sur les taux de change. Nous sommes sortis d’un ou deux produits indexés sur la pente, avec un levier faible. Nous sommes sortis parfois grâce à une opportunité et avons renégocié.
Les plus dangereux sont les produits dont la partie variable est indexée sur les taux de change, et les produits qui, étant indexés sur les écarts de pente, ont un fort coefficient multiplicateur. Ceux-là subsistent dans notre dette.
M. Jean-Claude Bertrand, adjoint au maire de Saint-Étienne, chargé du budget et de la gestion de la dette. La désensibilisation des emprunts à risque nous a coûté, en soulte, 2,4 millions d’euros. Avec certains établissements bancaires, il n’y a pas eu de soulte, mais intégration de la perte dans les nouveaux taux d’intérêt – de 3,36 % au lieu de 3,31 %.
M. Maurice Vincent. La valorisation du risque des emprunts très risqués – de niveau 6 F, ou au-delà, de la charte Gissler – est telle que le coût est impossible à supporter à la fois pour les collectivités et pour les banques. Les premières seront donc amenées soit à augmenter très fortement les impôts pour payer des taux d’intérêt dissuasifs – ce que les élus ne feront pas, à commencer par moi –, soit à multiplier les procédures contentieuses en espérant sortir de ces prêts toxiques.
Pour les produits les plus toxiques, ne rien faire n’est pas gérable car cela risquerait, d’une part, d’abîmer l’image de notre pays – plusieurs centaines de collectivités étant concernées, comme l’indique le rapport de la Cour des comptes de juillet dernier –, et, d’autre part, de laisser ces dernières dans l’incertitude.
Selon moi, il faudrait donc créer, par la voie législative par exemple, une société où serait cantonné l’ensemble des prêts les plus toxiques, afin de faire revenir les collectivités territoriales dans le droit commun. La création de cette structure de défaisance n’est qu’une idée, et je ne prétends pas avoir entièrement raison.
Le rapport de la Cour des comptes évalue le stock de prêts très toxiques entre 7 et 12 milliards d’euros pour l’ensemble des collectivités territoriales concernées. Il faudra néanmoins y ajouter ceux des CHU, qui ne figurent pas dans le champ du rapport.
Pour Saint-Étienne, la valorisation de nos 120 millions d’euros de prêts très toxiques est aujourd’hui de 120 millions d’euros. Le risque de perte sur cette structure de défaisance est donc compris entre 7 et 12 milliards d’euros. Je pense qu’il appartient au Gouvernement et à la représentation nationale de réfléchir à la façon dont ce fardeau doit être pris en charge. Celui-ci est, selon moi, parfaitement gérable sur trois ans. Pour ma part, je préconise une taxation des banques.
Bref, le Gouvernement doit se saisir de l’affaire et proposer une solution de sortie, car le pire serait de laisser de grandes villes, mais aussi de petites communes, dans cette situation.
M. le Rapporteur. La Cour des comptes n’est pas favorable à l’idée d’une structure de défaisance, car celle-ci reviendrait à déresponsabiliser les collectivités. Elle propose une mesure visant à mutualiser la gestion des emprunts les plus risqués par des spécialistes, plutôt que par les collectivités. Qu’en pensez-vous ?
M. Maurice Vincent. J’ai écrit à Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, dont la proposition n’est pas incompatible avec la mienne. Néanmoins, je pense que l’on ne peut pas se contenter d’une seule structure technique, car il s’agit de savoir comment on sort du risque, combien cela va coûter et qui va payer. Or des experts techniques nous aideraient, certes, à gérer ce risque, mais ne le feraient pas disparaître.
Le rapport de la Cour aborde également la question de la responsabilisation des collectivités territoriales. Je pense qu’il n’y a aucun risque pour le futur à partir du moment où des textes interdisent clairement les emprunts spéculatifs aux collectivités territoriales. J’ai toujours proposé que la charte Gissler soit plus claire en interdisant ces produits. On entend dire que les collectivités ont fait preuve d’irresponsabilité entre 2002 et 2008. Certes, ces produits étaient inadaptés, et certains élus n’ont pas été capables d’en déceler le caractère pernicieux. Néanmoins, l’origine de l’affaire ne réside pas dans l’irresponsabilité des collectivités : elle réside, et cela figure dans le rapport de la Cour, dans la volonté des banques d’augmenter leurs marges bénéficiaires dans la mesure où, en 2002, elles étaient en concurrence et avaient des marges très faibles.
La charge de la preuve ne doit pas être renversée : c’est bien le système bancaire qui, pour augmenter ses profits, est à l’origine de cette situation dramatique !
Je suis d’accord pour que l’on se prémunisse à l’avenir de tous risques d’irresponsabilité potentielle des collectivités. Cependant, on peut aujourd’hui régler le problème définitivement. Après 2008, la charte Gissler a à peu près assaini la situation : il faut maintenant sortir des stocks couvrant la période de 2002 à 2008.
M. Patrice Calméjane. Dans votre courrier du 18 novembre 2010 adressé au président de la chambre régionale des comptes, vous écrivez : « S’il me paraît évident que mes prédécesseurs ont eu une gestion désastreuse et irresponsable de la dette, il est également clair que les banques ont vendu des produits spéculatifs interdits, ce qui est d’ailleurs reconnu dans la charte Gissler. » Vous ajoutez : « Ces pratiques budgétaires et financières me semblent incompatibles avec le principe de sincérité et de prudence présidant à l’établissement des budgets, mais également incompatibles avec une gestion responsable des deniers publics. »
Autrement dit, vous mettez fortement en cause, d’un côté, la gestion de vos prédécesseurs et, de l’autre, le contrôle de légalité en stigmatisant le manque de sincérité des éléments fournis au conseil municipal de l’époque.
Aviez-vous, à l’époque, en tant que membre du conseil municipal, la capacité d’analyser les éléments qui vous étaient donnés ? Et avez-vous déféré au préfet ou à toute autre autorité administrative les délibérations du conseil municipal qui décidait de recourir à ces emprunts pour le compte de la ville de Saint-Étienne ?
M. Henri Plagnol. Je suis très frappé par la similitude des situations de nos communes. Je rejoins totalement votre constat : après plusieurs années d’efforts pour renégocier au mieux, avec des résultats non négligeables, on en arrive à un stock extrêmement dangereux à très court terme, face auquel il n’existe pas de solution à l’échelle de la collectivité. Il est très important que les membres de la Commission en aient conscience, sauf à exiger une ponction extrêmement forte sur les contribuables.
S’agissant de ma ville de Saint-Maur-des-Fossés, non seulement les conseillers municipaux de l’opposition n’avaient aucun moyen de connaître la nature de ces emprunts, mais aucun des contrôles de légalité n’a fonctionné. Des restructurations pour des montants extrêmement importants ont été opérés quelques semaines avant l’élection municipale, c’est-à-dire à un moment où le conseil municipal ne se réunissait pas.
Quel regard portez-vous sur cette question majeure pour la démocratie locale ?
M. Lionel Tardy. Le problème se pose pour l’avenir, mais il faut aujourd’hui traiter le stock. Beaucoup de maires m’ont demandé ce qu’il était possible de faire pour les collectivités, sachant que les banques, elles, ont été aidées quand elles ont eu besoin de l’être. Ils se posent des questions sur leurs budgets futurs, et certains envisagent d’attaquer Dexia ou d’autres banques sur la conformité des contrats.
S’agissant du stock de prêts toxiques, vous avancez le chiffre de 12 milliards. Un grand quotidien national donne aujourd’hui un chiffre différent et évoque 5 500 communes concernées. Or pour éclairer nos débats et traiter le stock grâce à une structure de défaisance, nous devons connaître les sommes en jeu et le nombre de collectivités concernées, sans forcément les citer.
M. le président. C’est notamment la raison pour laquelle nous avons accepté à l’unanimité la création de cette commission d’enquête.
Pour ma part, j’avais déposé, notamment dans le cadre des deux dernières lois de finances, des amendements permettant d’obtenir ces informations. Les uns et les autres ont voulu regarder ailleurs : le Gouvernement s’est demandé comment il pourrait éviter une soulte ; les banques, n’en parlons pas ; et certaines collectivités locales n’ont pas souhaité s’exprimer. Aujourd’hui, la parité entre l’euro et le franc suisse conduit un certain nombre de collectivités à « sortir du bois ».
Avant les vacances, ce sujet a fait l’objet d’un reportage dans un grand journal du soir. Aujourd’hui, il fait la une d’un grand quotidien. Néanmoins, le législateur ne peut pas se forger un avis sur des articles de presse. C’est pourquoi le programme arrêté par notre Rapporteur nous permettra d’aborder les points essentiels que vous soulevez, monsieur Tardy, en particulier celui, central, du nombre des collectivités concernées.
M. Jean-Louis Gagnaire. M. Vincent a démontré l’impossibilité, même pour une grande ville, d’aller plus loin.
Face à cette situation, il faut épurer le stock dans une structure garantie par l’État et qui porte le risque, afin de faire tomber le coût du crédit. Toutes proportions gardées, cette proposition peut être faite pour les eurobonds, puisque porter le risque mutualisé à l’échelle européenne permet de soulager le coût de la dette pour tel ou tel pays – ce qui ne veut pas dire que le pays en question ne paie pas. En l’occurrence, si je comprends bien la proposition de M. Vincent, il ne s’agit pas pour la collectivité de se décharger sur une structure : il s’agit de rembourser, à travers une structure nouvelle, une dette dont le coût explose.
S’il est très intéressant d’analyser le passé, il faut surtout trouver des solutions pour l’avenir. Le cas de Saint-Étienne est emblématique. Il y en aura certainement d’autres. Je pense que les élus qui sont allés le plus loin possible devront revenir devant notre Commission avec les banques et d’autres opérateurs pour discuter des solutions opérationnelles.
M. le président. Monsieur Vincent, quel a été votre sentiment en tant qu’élu de l’opposition lorsque ces différents produits vous ont été présentés ?
Il vous reste aujourd’hui 120 millions d’euros de produits toxiques, soit un tiers du total de votre dette. Sur l’ensemble des produits de ce stock, êtes-vous sortis de la période des taux bonifiés ?
Au dernier fixing qui vous a été communiqué, à quel taux d’intérêt sortez-vous ?
S’il vous fallait augmenter les impôts, dans quelles proportions devriez-vous le faire ?
Enfin, avez-vous entendu parler de la double vérification de la chambre régionale des comptes et de ses deux rapports, dont un semble être resté très secret ?
M. Maurice Vincent. Selon moi, avant 2008, il était inimaginable pour n’importe quel élu que des produits spéculatifs de cette nature soient proposés et souscrits par les collectivités. En tout cas, il ne m’était jamais venu à l’esprit qu’on pouvait spéculer ou accepter des produits qui, de fait, revenaient à spéculer avec l’argent du contribuable.
À Saint-Étienne, l’opposition connaissait l’existence d’une dette importante. Elle surveillait donc son montant global. Comme l’a confirmé le rapport de la chambre régionale des comptes de 2010, elle a augmenté sur le dernier mandat de 14 millions. L’opposition surveillait également le taux d’intérêt. Mais celui-ci était bas puisque c’étaient les emprunts toxiques qui le faisaient baisser, ce que nous ne savions pas.
La souscription des emprunts toxiques faisait l’objet, non de délibérations du conseil municipal, mais de décisions du maire qui figuraient dans une liasse, bien connue des maires, sur une demi-page, très succincte. Il était donc très difficile de voir ces décisions.
Ainsi, jusqu’en 2007, nous constations, en tant qu’opposants, que la dette augmentait un peu et que le taux d’intérêt était plutôt bas.
Le hasard a fait qu’un élu du Syndicat intercommunal pour la destruction des résidus urbains (SIDRU) de Saint-Germain-en-Laye nous a alertés sur des prêts très avantageux souscrits par sa ville et celle de Saint-Étienne.
Cela m’a amené, lors de la séance du 18 décembre 2007 du conseil municipal, à poser les questions suivantes : « Avez-vous, comme cela semble être le cas à Saint-Germain-en-Laye, échangé des risques de taux très élevés après 2008 pour bénéficier de taux très favorables jusqu’aux élections ? Avez-vous, dans votre négociation de la dette, pris des risques sur l’évolution des taux futurs ? » « Avez-vous engagé la dette de la ville sur des produits financiers hautement spéculatifs, que ce soit sur les taux d’intérêt ou sur les taux de change pour les vingt ans qui viennent ? »
Les réponses qui m’ont été apportées à l’époque étaient rassurantes. Je pense franchement qu’il était difficile pour l’opposition d’aller au-delà dans son rôle de vigilance.
S’agissant du contrôle de légalité, je ne mets pas en cause spécialement les services de l’État. Je constate qu’ils ont exercé le contrôle de légalité sur telle ou telle délibération, mais pas sur ces décisions d’emprunts des maires, et ce dans toutes les villes de France. Peut-être ces décisions étaient-elles hors de leur champ de réflexion, ou peut-être le personnel des préfectures est-il insuffisant.
À mes yeux, la responsabilité principale revient aux organismes financiers qui connaissaient la complexité et la dangerosité de ces produits. Les proposer aux collectivités territoriales est une faute. C’est pourquoi j’ai saisi la justice sur plusieurs cas. J’ai parlé d’incompétence et d’irresponsabilité des élus, et je confirme ces critiques. En effet, même si les banques sont très agressives, les élus ne devraient jamais signer un contrat qu’ils ne comprennent pas.
J’ai découvert par la suite un autre élément qui m’a profondément choqué : la décision du maire de Saint-Étienne, par l’intermédiaire de son adjoint aux finances, prise le 18 mars 2008 après le deuxième tour de l’élection municipale, et actée définitivement le 20 mars 2008, de contracter avec la Deutsche Bank un prêt dont le taux serait aujourd’hui, si nous le payions, de 24 %. J’ai été élu maire par le conseil municipal le 21 mars. Je vous laisse apprécier les observations que j’ai faites sur la gestion de l’équipe précédente…
Selon le rapport de la chambre régionale des comptes de juillet 2011, le stock de prêts très toxiques est compris entre 7 et 12 milliards – sans compter les CHU, pour lesquels il faudrait sans doute rajouter plusieurs milliards. Ce matin, la presse donne un chiffre inférieur, mais elle ne cite que Dexia, alors que d’autres banques sont concernées. En outre, ce chiffre date de fin 2009. La valorisation du coût de la dette devrait donc, selon moi, être égale à celle du montant des emprunts – comme pour la ville de Saint-Étienne.
Pour notre ville, un emprunt est déjà sorti de la période des taux bonifiés depuis un an et demi : l’emprunt de la Deutsche Bank de 23 millions d’euros, dont le taux serait de 24 % aujourd’hui. Nous ne le remboursons pas car nous avons saisi la justice, et l’action est suspensive.
M. Jean-Claude Bertrand. Deux snow balls de la Royal Bank of Scotland (RBS) sont en période de risque depuis 2011.
M. Maurice Vincent. Nous avons saisi la justice pour les faire annuler.
Deux autres emprunts, souscrits avec Dexia, sortiront en 2012.
En dehors de l’emprunt de la Deutsche Bank, le plus préoccupant à très court terme concerne l’agglomération stéphanoise puisque nous avons deux swaps dont la période de risque commence le 1er janvier 2012, pour un total de 20 millions d’euros et dont le taux d’intérêt théorique dépasse aujourd’hui les 30 %. Ce sont des produits très spéculatifs indexés sur la parité euro-franc suisse.
S’agissant du double rapport de la chambre régionale des comptes, les choses sont très claires pour moi. Un premier rapport a été rédigé. Le courrier que j’ai reçu du Président évoquait tout simplement une erreur de la Cour puisque l’un des magistrats avait déjà exercé dans la région Rhône-Alpes. Il a donc lancé une autre équipe de magistrats.
Enfin, en matière de fiscalité, la situation pour notre ville est ingérable : l’évaluation du marché est de 120 millions de soulte, alors que les impôts directs nous rapportent 93 millions par an. Même en deux ou trois ans, aucune collectivité ne peut augmenter les impôts dans de telles proportions. C’est pourquoi je propose une structure de défaisance.
M. Michel Diefenbacher. Selon vous, les collectivités territoriales n’étant pas des emprunteurs comme les autres, les banques n’auraient pas dû leur proposer des produits de cette nature. Or je ne vois pas sur quoi cet argument peut se fonder juridiquement. Je me fais l’avocat du diable en me mettant à la place de l’organisme prêteur : d’une certaine façon, prêter à une collectivité territoriale est plus sûr puisqu’elle ne fera pas faillite.
Avez-vous mis en avant votre argument dans vos contentieux ? Avez-vous un premier écho de la justice à ce sujet ?
M. le Rapporteur. Si autant de collectivités ont souscrit des emprunts structurés, c’est à cause du problème de liquidités. Pour financer des projets, les élus cherchent des emprunts, d’abord à des taux fixes avantageux, ensuite à des taux variables, et enfin, si cela ne suffit pas, ils se tournent vers des emprunts structurés. En effet, en cas d’encours d’investissements importants, les banques locales n’arrivent pas à suivre. Cela a été le cas pour ma ville, notamment sur un complexe aquatique de 60 millions d’euros : les banques ne suivaient pas et, en bout de chaîne, nous avons souscrit des emprunts structurés.
Le problème de liquidités va donc devenir de plus en plus dur. Les banques qui accordent des prêts structurés ne sont pas des banques de dépôt : elles vont chercher l’argent sur le marché monétaire.
Qu’avez-vous mis en place pour gérer ce problème ? Faites-vous toujours appel à des cabinets extérieurs ? Comment amenez-vous ces questions au conseil municipal ?
M. Jean-Claude Bertrand. Dès que nous avons eu conscience de la structuration de la dette, un comité de sécurisation de la dette a été mis en place à la demande de Maurice Vincent. Il se compose du maire, de moi-même, du directeur général des services (DGS) et du directeur général adjoint (DGA) aux finances. Nous nous réunissons une fois par mois pour passer en revue toutes les lignes et voir si des opportunités se dessinent pour renégocier, ou s’il nous faut saisir la justice.
En outre, je rencontre une fois par semaine la directrice des finances et le DGA aux finances pour étudier la situation et chercher des opportunités éventuelles.
S’agissant de l’information du conseil municipal, je présente un état de la dette et de sa structure trois fois par an : lors d’une séance dédiée du conseil municipal – je l’ai fait en février –, lors de la présentation du budget primitif et lors de la présentation du compte administratif.
M. le Rapporteur. Malgré tout, votre commune continue de vivre. En trois ans, vous avez dû avoir des projets et recourir à des emprunts. Comment fonctionnez-vous ?
M. Jean-Claude Bertrand. Lorsque nous avons besoin d’emprunter, nous lançons un appel d’offres auprès des banques : nous recherchons le taux le plus avantageux pour la collectivité et prenons des emprunts sans risque, soit à taux fixe, soit à taux variable, mais classique, sur Euribor et Capé.
Nous faisons appel à deux expertises extérieures : Finance Active, qui conseillait l’équipe précédente, et Riskedge, cabinet spécialisé composé de traders reconvertis, avec lequel nous avons contracté.
M. Patrice Calméjane. Concernant le double rapport de la chambre régionale des comptes, je n’ai pas compris. La personne dont vous avez parlé avait-elle exercé à la chambre régionale ou avait-elle eu un mandat politique ?
M. Jean-Claude Bertrand. Elle était magistrat à la chambre régionale des comptes, mais avait été antérieurement DGA chargé des finances pour Villeurbanne, commune à direction socialiste. Selon moi, l’équipe précédente a jugé que cette personne pouvait ne pas être impartiale.
M. Daniel Boisserie. Qui vous a poussé à agir en justice ? Pensez-vous avoir une chance de gagner votre procès ?
M. Maurice Vincent. Nous avons fait un recours contre l’emprunt de la Deutsche Bank après avoir eu avec la banque des échanges qui ne nous ont pas semblé satisfaisants. Il nous était en effet proposé une sécurisation temporaire, alors que la dégradation du rapport entre la livre et le franc suisse nous amenait progressivement vers des taux ingérables. En l’occurrence, il était inenvisageable de payer un taux d’intérêt de 24 %. Avec le comité de sécurisation de la dette, nous avons donc regardé si le contrat contenait des points contestés et en avons trouvés qui nous semblent importants. Nous avons esté en justice sur ces bases.
Notre premier argument est le défaut de conseil de la banque. Sa connaissance de ces produits très spécifiques et très complexes était forcément très supérieure à celle des services et des élus de la collectivité. Il lui revenait donc de donner le meilleur conseil possible. Or, selon nous, elle aurait dû déconseiller à la collectivité de contracter ce genre de prêt très spéculatif.
Notre deuxième argument est celui du dol. De notre point de vue, la collectivité n’avait pas le pouvoir de souscrire un tel emprunt, et la banque a mis en œuvre un certain nombre de stratégies pour la pousser à accepter ce produit.
En l’espèce, nous n’avons pas fondé notre démarche sur une différence entre les collectivités.
Avons-nous des chances de gagner ? Pour l’instant, nous examinons les mémoires des uns et des autres. La situation est complexe. Souvenez-vous de l’affaire concernant des particuliers auxquels une banque avait conseillé de transférer l’épargne de leur Livret A vers un produit lié à des cours de la bourse : elle a donné lieu à des jugements variables en fonction des situations puisque des clients ont gagné, alors que d’autres ont perdu.
Je tiens à dire que la Cour de cassation allemande a rendu le 22 mars 2011 un arrêt très important, opposant une banque allemande à une entreprise privée. Selon cette décision, à mes yeux fondamentalement juste, le professionnel – en l’occurrence un économiste de haut niveau – qui a conseillé l’entreprise ne pouvait pas avoir la même connaissance que le spécialiste ayant proposé le produit très spéculatif. En raison d’une asymétrie d’informations, le devoir de la banque était donc de dissuader l’entreprise de souscrire un tel emprunt.
Nous espérons voir se développer ce genre de décision. Pour autant, sur le long terme, il ne me semble pas possible d’axer une stratégie sur des contentieux à répétition pour l’ensemble des collectivités.
M. le président. L’État n’a jamais considéré les collectivités locales comme des clients comme les autres, puisqu’une circulaire de 1992 réglementait les prêts qui pouvaient leur être accordés. Malheureusement, lorsque les produits de couverture, les swaps, les produits de pente, les snow balls sont arrivés sur le marché, cette circulaire n’a pas été réactualisée.
Je vous remercie beaucoup, messieurs.
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Audition, ouverte à la presse, sur le thème « Le recours aux produits financiers à risque par les grandes municipalités : le cas de Saint-Étienne » de M. Michel Morin, préfet de la Loire (2002-2006) et M. Yves Terrasse, trésorier-payeur général de la Loire (2000-2005)
(Procès verbal de la séance du mercredi 21 septembre 2011)
(Présidence de M. Claude Bartolone, président de la commission d’enquête)
M. Dominique Baert, vice-Président de la commission d’enquête. Je vous remercie d’avoir accepté de venir témoigner devant notre commission d’enquête. Avec votre audition, nous achevons l’examen détaillé du cas de la ville de Saint-Étienne, examen qui ne serait pas complet sans convoquer les responsables du contrôle de légalité et du contrôle des comptes. Il sera utile, au-delà de votre témoignage, de connaître votre jugement sur les caractéristiques actuelles du contrôle public et sur les améliorations que l’on doit lui apporter. Comment ne pas considérer, au regard de la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui Saint-Étienne, que le contrôle de légalité et le comptable public ont été défaillants ?
MM. Michel Morin et Yves Terrasse prêtent successivement serment.
M. Yves Terrasse, trésorier-payeur général de la Loire (2000-2005). Nommé trésorier-payeur général (TPG) à Saint-Étienne en septembre 2000, je suis resté à ce poste jusqu’au 31 décembre 2005 avant d’être nommé à Tours. Depuis le 1er juillet 2010, je suis agent comptable de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). Je n’appartiens donc plus au réseau du Trésor public, et suis désormais assez éloigné de la problématique des finances locales.
La situation financière de Saint-Étienne était, lorsque j’y fus nommé, l’un des sujets importants, puisque cette ville figurait sur le réseau d’alerte en raison de son niveau d’endettement et du poids de ses investissements. À l’époque, c’est davantage le niveau d’endettement et la capacité de la commune à dégager l’autofinancement nécessaire pour rembourser cette dette qui préoccupait l’État.
Je commencerai par un bref rappel du cadre juridique et comptable au sein duquel l’État pouvait apprécier la situation financière des collectivités locales et formuler des préconisations ; puis j’évoquerai ce qui a été fait jusqu’en décembre 2005, avec la réserve qu’il s’agit pour moi d’événements assez anciens, pour lesquels je n’ai pas conservé toute la documentation.
S’agissant du rôle des administrations de l’État en matière de budgets locaux, je parlerai essentiellement du Trésor public, qui assure, d’une part, le contrôle contemporain de la régularité des opérations budgétaires et financières, et, de l’autre, une activité de conseil auprès des collectivités.
Le comptable territorial est chargé du contrôle de régularité, éventuellement avec le soutien de la Trésorerie générale, mais il lui est impossible, aux termes de l’article L. 1617-2 du code général des collectivités territoriales, d’exercer un contrôle d’opportunité sur les décisions prises par l’ordonnateur. Le contrôle de régularité qui lui incombe s’exerce sur la base des articles 12B et 13 du Règlement général de la comptabilité publique, et porte sur différents éléments : qualité de l’ordonnateur, disponibilité des crédits, exacte imputation de la dépense et validité de la créance sur la foi de justificatifs. Le comptable territorial doit également s’appuyer sur la décision ou les délibérations visées par le contrôle de légalité ; enfin, il applique les règles relatives à la prescription et à la déchéance, ainsi qu’au caractère libératoire du paiement.
Dès lors que la dépense est fondée sur un texte ou s’appuie sur une délibération ayant un caractère exécutoire, et une fois effectués les contrôles de régularité, le comptable doit procéder au paiement : il n’a pas à juger du contenu du contrat.
En ce qui concerne les pièces justificatives, le comptable ne dispose pas nécessairement du contrat d’emprunt ou de swap. Le décret de 1983, modifié en 2003, fixe la liste des pièces justificatives, à savoir, pour les emprunts, le tableau d’amortissement et les avis d’échéance et de domiciliation – ainsi, bien entendu, que la délibération exécutoire ou la décision. La Cour des Comptes, dans son rapport thématique de juillet 2011, avait souligné l’inadaptation de ce décret qui ne facilite pas, selon elle, l’exercice des vérifications.
On voit donc les limites du contrôle contemporain. S’il n’est déjà pas facile d’identifier le caractère exotique de certains contrats, une analyse approfondie ex post est nécessaire pour apprécier le risque d’exposition global de la collectivité.
D’une manière générale, on a aussi relevé, à l’époque, les limites de la capacité d’expertise des services du Trésor sur ces questions, non seulement des trésoreries municipales, mais aussi des trésoreries générales.
Le rôle de conseil, valorisé par la Direction générale des finances publiques, peut s’exercer dans le cadre du contrôle au jour le jour ; cependant, s’il est très appréciable pour les petites collectivités, il reste limité pour les grandes, qui disposent de leur propre direction financière. Le comptable ne peut donc intervenir qu’à la demande des collectivités et, en tout état de cause, jamais dans les négociations avec les banques.
J’évoquerai les outils qui, de 2000 à 2005, permettaient d’exercer une vigilance sur les nouvelles modalités d’endettement des collectivités locales. Le phénomène était encore embryonnaire à l’époque, même si l’innovation financière commençait à se développer. Une circulaire conjointe relative aux contrats de couverture du risque d’intérêt – en d’autres termes, les swaps de taux d’intérêt – offerts aux collectivités locales était parue en octobre 1992, dans un contexte de déréglementation des instruments financiers ; elle permettait aux collectivités, alors lourdement endettées par des emprunts à taux fixes, d’en contracter de nouveaux à taux variables et moins élevés.
Cette circulaire, d’une lecture peu aisée, ne décrivait pas les nouveaux types de prêts structurés à taux parfois très bonifiés – produits de barrière, de change, de pente ou de courbe et emprunts snowball –, qui demeuraient donc tout à fait inconnus des services de l’État, auxquels ils n’ont été présentés qu’à l’automne 2008 ; il fallut enfin attendre la circulaire du 25 juin 2010 pour en obtenir une description complète.
Un certain nombre de ces contrats, notamment dans la catégorie des swaps de taux d’intérêt, étaient néanmoins interdits car ils contrevenaient à l’obligation du dépôt de fonds au Trésor public ; d’une manière générale, il fallait établir leur nature non spéculative et leur conformité au critère d’intérêt général. Cette appréciation n’était guère facile.
La présentation des états annexes récapitulant l’endettement des collectivités – M 14 – était, à l’époque, assez générale : elle ne permettait pas d’identifier les emprunts structurés par types de taux, donc d’en évaluer l’éventuelle dangerosité. De même, si l’un des états récapitulait le remboursement anticipé des emprunts, ces données étaient peu lisibles en l’absence d’indications quant aux soultes, dont on sait qu’elles ont souvent été neutralisées par un allongement de la durée des emprunts.
Quant aux charges financières, les règles comptables ne permettaient pas vraiment d’identifier les risques. La constitution de provisions n’est pas obligatoire pour les collectivités locales ; de surcroît, l’état annexe M 14 ne prend en compte que les intérêts effectivement versés en cours d’année. Les soultes éventuelles figurent dans un autre état, parmi d’autres éléments comptables ; il n’est donc pas facile de les repérer.
J’en viens à la situation de Saint-Étienne telle que mes services ont pu l’apprécier à l’époque. Les relations avec la commune, dont l’état d’endettement nous préoccupait, étaient courtoises mais un peu superficielles, cette dernière étant soucieuse de préserver son autonomie en matière de gestion financière. Je souhaitais mener une analyse prospective sur les dépenses prévues à trois ans, mais il fallut se contenter d’une analyse rétrospective. Nous n’avons jamais eu de discussion avec la commune sur la structure de son endettement ; nous savions seulement qu’elle cherchait des marges de manœuvre à travers la renégociation de ses contrats d’emprunt afin de bénéficier de taux d’intérêt plus avantageux ; d’une manière générale cette démarche d’allègement des charges financières était d’ailleurs saluée par l’État.
Nous avions, avec la préfecture, des relations suivies à travers le réseau d’alerte. La chambre régionale des comptes avait rédigé un premier rapport ; mais il s’arrêtait en 2004 et ne portait que sur le problème de l’endettement global, non sur la structure de cet endettement : il a fallu attendre le rapport de 2010 pour avoir une analyse détaillée sur ce point.
Deux analyses rétrospectives ont été réalisées pour l’agglomération en 2003 et 2005, et une autre pour la ville en 2006. Cette dernière analyse a révélé une persistance du niveau d’endettement, une baisse de la dette par habitant et une amélioration, assez spectaculaire, du ratio entre la dette et la charge financière : 5,4 % en 2002, 3,6 % en 2003 et 4 % en 2005.
M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Nous connaissons le contexte général et le cadre réglementaire. De quels éléments précis disposiez-vous pour prendre la décision de procéder aux paiements ? Quelles vérifications avez-vous faites ?
Outre la fonction de contrôle, vous avez aussi un rôle de conseil. En six ans, quels conseils avez-vous donnés à cette collectivité qui avait modifié la structure de sa dette ?
M. Yves Terrasse. Nous avons contrôlé, comme je l’ai indiqué, la régularité budgétaire, l’imputation des dépenses et la justification du service effectué. Quant à l’endettement, les vérifications portent sur le montant de l’annuité par rapport au tableau d’amortissement, et sur le fait que l’emprunt a fait l’objet d’une délibération validée par le contrôle de légalité. Le comptable n’a pas les moyens d’aller plus loin.
M. le rapporteur. Avez-vous procédé à certains paiements en l’absence d’éléments précis justifiant la dépense ?
M. Yves Terrasse. Toute dépense doit être justifiée par la production des documents correspondants.
M. le rapporteur. Ma question est plus précise. Pour les emprunts de longue durée à taux fixe, les contrôles sont faciles ; mais disposiez-vous, pour les produits dont nous parlons, de l’ensemble des documents nécessaires pour décider en toute connaissance de cause ?
M. Yves Terrasse. Non : la nature et les caractéristiques de l’emprunt ne sont pas forcément détaillées dans la délibération.
M. le rapporteur. En d’autres termes, certaines dépenses étaient validées de façon un peu aveugle…
M. Yves Terrasse. Non, dès lors qu’elles correspondaient au tableau d’amortissement.
Présidence de M. Claude Bartolone, Président
M. le président Claude Bartolone. Le fait que certains taux d’intérêt fussent inférieurs au cours de l’argent ne vous a-t-il jamais alerté ?
M. Yves Terrasse. Il aurait fallu, pour cela, que nous disposions des éléments de référence nécessaires. Le comptable n’était pas en mesure de faire cette vérification, et n’a d’ailleurs pas à la faire : il exécute la dépense telle qu’elle résulte des modalités de l’emprunt, après validation par le contrôle de légalité.
M. Dominique Baert. Votre administration centrale ne vous a-t-elle jamais demandé de vous intéresser à la nature des prêts souscrits par les collectivités locales ?
Les comptables du Trésor placés sous votre responsabilité avaient-ils copie des contrats de prêt souscrits par les collectivités, notamment celles qui, comme Saint-Étienne, figuraient dans le réseau d’alerte ?
Vos études financières, assez statiques, se bornent à comparer l’état des stocks d’une année sur l’autre ; elles ont ainsi conduit à constater une amélioration avec la baisse des charges financières – les agences de notation ont d’ailleurs les mêmes critères d’analyse. L’une de vos fonctions est néanmoins le conseil. Avez-vous eu l’occasion d’exercer vraiment cette fonction, non seulement pour les petites collectivités, mais aussi pour les grandes, où les sommes en jeu sont bien plus considérables ?
M. Patrice Calméjane. Vous avez rappelé le cadre réglementaire, que chacun ici connaît. Mais vous appartenez, comme trésorier-payeur général, à un réseau d’experts. L’actuel maire de Saint-Étienne nous a dit qu’il avait été alerté par l’un de ses homologues au sujet d’un produit financier suspect ; de plus, à l’époque, les banques avaient organisé des conférences et des colloques pour promouvoir ces produits. Je m’étonne que les experts que vous êtes n’aient pas eu d’échanges à ce sujet et, dans le cadre de leur mission de conseil, mis en garde certaines collectivités.
M. Henri Plagnol. Je serai plus dur encore que mes collègues : je suis profondément frustré par votre approche formaliste. Il est inconcevable, s’agissant d’une commune soumise à la procédure d’alerte, que nul ne se soit jamais intéressé à la nature de ces emprunts souscrits dans le cadre de restructurations considérables, et dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils n’étaient pas courants jusqu’en 2003.
J’ajoute que les arrêtés du maire indiquent explicitement que ces emprunts sont gagés par le pouvoir de lever l’impôt. Une telle faillite des contrôles de l’État est stupéfiante.
Par ailleurs, avez-vous eu quelque écho de la Direction générale des collectivités locales (DGCL) ?
M. Thierry Carcenac. Les receveurs sont-ils formés à l’analyse de ces produits financiers, ou leur formation se borne-t-elle au cadre réglementaire que vous nous avez décrit ?
M. Yves Terrasse. Jusqu’à la fin de 2005, notre réseau d’experts n’a pas reçu d’instructions de l’administration centrale sur ces nouveaux types d’emprunts : ces instructions sont venues en 2008. Nous ne pouvions donc nous appuyer que sur la circulaire de 1992, mais celle-ci ne concerne que les swaps.
Par ailleurs, les comptables ne reçoivent pas copie des offres de prêts et, une fois le contrat signé, elles ne constituent pas nécessairement une pièce justificative, même si la délibération peut en préciser certains éléments.
Nous n’avons pas exercé de rôle de conseil « à la demande » auprès de la collectivité de Saint-Étienne, qui ne nous a pas sollicités. Mais nous avons produit l’analyse financière de 2006, qui précisait que « la ville recourt à des instruments financiers, notamment des swaps de taux d’intérêt, qui lui ont permis de réaliser des économies substantielles. Le résultat financier s’est notablement amélioré en passant de - 19,9 millions d’euros en 2001 à - 9,2 millions d’euros en 2005 ; ces opérations, bien qu’elles soient globalement soldées par des plus-values jusqu’en 2005, présentent nécessairement un risque potentiel pour la commune dans la mesure où il est très difficile de prévoir l’évolution des taux à cinq ou dix ans. » Cette analyse financière a nécessairement été présentée à la collectivité – même si j’ignore dans quelles conditions, postérieurement à mon départ fin 2005, –, laquelle fut donc informée des risques liés aux swaps de taux d’intérêt.
L’organisation en réseau de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) permet effectivement, monsieur Calméjane, de mutualiser certaines informations issues de nos expériences respectives ; toutefois, jusqu’à la fin de 2005, nous n’avons pas eu d’échanges sur les innovations financières dans les budgets territoriaux, et n’avons pas été conviés aux colloques organisés par les banques, notamment Dexia.
Nous n’avons pas davantage été sollicités par la ville de Saint-Étienne, monsieur Plagnol : pour jouer un rôle de conseil, il nous aurait fallu pouvoir expertiser des documents nous indiquant, par exemple, les formules de rapport entre les taux courts et les taux longs. Si la banque affirme que les premiers ne doivent pas dépasser pas les seconds, et qu’il n’y a donc aucun risque d’activation des barrières, nous ne sommes pas en mesure de la contredire, sauf à faire valoir des arguments de bon sens.
La formation des comptables du Trésor sur ce type d’emprunts, Monsieur Carcenac, était inexistante à l’époque ; mais après la crise de 2008, qui a fait prendre conscience que ces derniers étaient massivement présents dans la dette de certaines collectivités, un effort important, qui avait débuté dès 2007, a été réalisé pour combler cette lacune. De même, l’administration centrale s’est dotée de nouveaux moyens d’expertise, grâce auxquels les comptables territoriaux peuvent lui transmettre des dossiers qui leur semblent complexes et risqués.
M. le rapporteur. Monsieur le préfet Morin, sur la base des circulaires du 15 septembre 1992, relative aux contrats de couverture du risque de taux d’intérêt offerts aux collectivités locales et aux établissements publics locaux, et du 4 avril 2003, relative aux régimes des délégations de compétences en matière d’emprunt, de trésorerie et d’instruments financiers, il vous appartenait de contrôler le contenu et le respect des délégations de l’organe délibérant.
Le rapport de 2010 de la chambre régionale des comptes vous a-t-il conduit à faire des vérifications approfondies ?
M. Michel Morin, préfet de la Loire (2002-2006). Depuis la décentralisation de 1982, le contrôle porte sur le budget tel que nous le présente la collectivité, la sincérité des écritures publique, les résultats de l’examen du compte administratif et la transcription des éléments concernés dans le budget, ainsi que l’inscription des dépenses obligatoires. Ce contrôle, d’un caractère essentiellement formel, se fait a minima dans la mesure où les collectivités, attachées au respect du principe constitutionnel de libre administration territoriale, n’accepteraient pas que nous allions plus loin ; j’en ai d’ailleurs fait l’expérience.
J’ai pris mes fonctions de préfet de la Loire en août 2002 et les ai quittées en mars 2006. Ce département connaissait, depuis trente ans, une série de fortes crises industrielles, et il était au début d’une nouvelle crise avec, notamment, la fermeture du site de Giat Industries à Saint-Chamond.
L’État, la ville, la métropole et le conseil général s’efforçaient de mettre en œuvre une stratégie de « redéveloppement ». Dans ce cadre mon travail consistait, pour l’essentiel, à aider les collectivités à obtenir des soutiens de l’État, de l’Agence de l’eau – puisque la plus importante opération financière concernait la station d’épuration de Porchon, avec plus de 80 millions d’euros de dépenses – et du Fonds européen de développement régional (FEDER), le préfet de région ayant accepté d’en réserver toute une part au seul département de la Loire.
Ma principale préoccupation était de savoir si la ville et la communauté d’agglomération étaient capables de supporter les lourds investissements engagés. Je rappelle néanmoins que la chambre régionale des comptes, dans son rapport, avait indiqué que ces dépenses, pour la ville de Saint-Étienne, restaient inférieures à la moyenne de la strate, même si elles demeuraient très lourdes au regard de sa situation financière, fort dégradée depuis les années quatre-vingt. J’ai donc attentivement suivi l’évolution du niveau d’endettement de la commune.
En tout état de cause, la préfecture avait toute ignorance de la structure de cet endettement, le principe de libre administration des collectivités territoriales étant d’autant plus en vogue entre 2002 et 2004 que s’ouvrait alors le deuxième acte de la décentralisation. Par ailleurs, aux termes de l’article L. 2131-4 du code général des collectivités territoriales, les contrats de prêt ne sont pas soumis à l’obligation de transmission aux représentants de l’État : la préfecture ne les avait donc pas en sa possession. Au reste, si elle les avait eus, elle aurait dû les transmettre aux services centraux ou assaillir la commune des questions car nul, au sein de mes services, n’avait reçu la formation nécessaire pour les analyser.
Enfin, nous n’avons pas été mis en garde contre ces produits alors que, comme le disait M. Terrasse, beaucoup de choses avaient changé depuis la circulaire de 1992. Pardon pour cet aveu un peu franc, mais Dexia, par exemple, m’apparaissait encore comme l’ancien Crédit local de France, en plus important : je n’imaginais pas que cette banque vendrait aux collectivités des produits aussi sophistiqués que ceux évoqués dans le rapport de la chambre régionale des comptes.
Les préfets, je le répète, n’ont jamais été mis en garde contre ces nouveaux types d’emprunt avant la circulaire de juin 2010. Je n’ai pas davantage été alerté par l’opposition municipale – alors que je le fus dans d’autres villes –, sans doute parce qu’elle n’était pas elle-même en mesure d’apprécier le danger. Notez bien qu’il s’agit d’un élément d’explication factuel : notre rôle n’est évidemment pas d’attendre des alertes.
M. le rapporteur. Jusqu’en 2006, si je vous ai bien compris, vous n’avez donc pas eu connaissance de produits financiers structurés dans l’endettement des collectivités.
M. Michel Morin. Personnellement, non ; et je n’ai pas davantage été mis en garde par mes services.
Entre 2002 et 2006, l’endettement de la commune n’augmentait pas et les charges financières allaient même diminuant, du moins jusqu’en 2005. Il n’y avait donc aucun signe d’alerte ; si nous en avions perçu, nous aurions sans doute examiné les choses de plus près.
M. le président. Je ne veux pas charger les banques avant d’entendre leurs représentants, mais les élus de la majorité comme de l’opposition avaient manifestement beaucoup de mal à comprendre les produits financiers qui leur étaient présentés. En l’absence d’alerte sur les provisions, comment ne pas se réjouir de taux attractifs ? En somme, on a laissé les trésoriers-payeurs généraux se débrouiller, passez-moi l’expression, avec des produits qu’ils ne connaissaient pas. Nous aurons à en reparler.
Vous avez, l’un comme l’autre, occupé des fonctions importantes et observé les effets des produits toxiques sur les finances locales. Avez-vous des conseils en ce domaine ? Quels sont les produits que vous jugez incontrôlables ? Comment les autorités de tutelle et les trésoriers-payeurs généraux pourraient-ils, selon vous, jouer leur rôle de conseil sans remettre en cause la décentralisation ?
M. Jean-Louis Gagnaire. Lorsque M. Morin a été nommé préfet de la Loire, il a dû gérer d’autres urgences que l’endettement des collectivités : l’agglomération stéphanoise, ainsi que Roanne, étaient en pleine reconversion économique. Dans ces conditions, nous attendions du préfet qu’il fédère les collectivités et obtienne des ressources du FEDER ; nous sollicitions même de Paris des « sous-préfets développeurs ». Bref, les collectivités ont été un peu « pousse-au-crime » en participant à des modes de financement dont, au départ, elles ne percevaient pas les dangers. Il faut toujours rappeler ce contexte, car la Loire était un département sinistré ; il était d’ailleurs le seul, dans la région Rhône-Alpes, à voir sa population décroître.
Je sais, Monsieur le préfet, que vous ne pratiquez pas la langue de bois ; en tant que préfet de l’Isère, vous avez d’ailleurs dû vous occuper des difficultés de la ville de Grenoble. Que faire pour permettre à l’État d’exercer des contrôles intelligents, qui, tout en respectant le principe de libre administration des collectivités, ne se limitent pas à leur aspect formel ou administratif ?
M. Patrice Calméjane. Le principe de libre administration des collectivités est posé par l’article 72 de la Constitution ; son dernier alinéa dispose : « Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l’État […] a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois. »
En somme, monsieur le préfet, vous n’avez d’autre pouvoir que celui de contrôler le respect de la loi, et il en va globalement de même pour M. le trésorier-payeur général.
Notre pays a perdu la culture du contrôle, non seulement pour des actes administratifs tels que la délivrance des cartes d’identité, mais aussi pour la gestion globale des collectivités. J’attends donc des propositions de la part des deux hauts fonctionnaires que vous êtes, car les élus n’ont pas forcément la connaissance technique des produits qu’on leur présente, qu’il s’agisse de produits financiers ou, par exemple, de logiciels informatiques. Comment l’État, par sa vision globale et les possibilités d’échanges qu’offre internet, pourrait-il mieux accompagner les collectivités par ses conseils ?
M. Michel Morin. S’agissant du suivi de l’endettement des communes, la préfecture entretient de bonnes relations avec les maires. En revanche, pour ce qui concerne la nature même des produits financiers, le contrôle relève du niveau national et doit être assuré en temps réel, quitte à prévoir, pour ce faire, de nouvelles dispositions législatives ou réglementaires. C’est là un enjeu majeur car, je le répète, ni la Direction des finances publiques, ni les préfectures n’ont à ce jour les compétences suffisantes pour accomplir cette mission. J’ajoute qu’un tel cadrage national doit se faire dans des termes lisibles : à la première lecture, certains passages de la circulaire de juin 2010 me sont restés obscurs.
Le second point essentiel est de former, de manière pointue, nos collaborateurs, voire les préfets eux-mêmes : nous devons être capables de comprendre, par exemple, les conditions précises de l’octroi d’une délégation aux élus. À défaut, nous devrions avoir la possibilité de faire appel à des sociétés de conseil.
M. Yves Terrasse. Je m’exprimerai à titre personnel. La charte Gissler dresse une liste de produits aberrants et à proscrire ; par exemple, ceux qui sont indexés sur le cours des matières premières, sur des indices propriétaires, sur des variations relatives entre devises ou sur des indices de places financières situées hors de la zone OCDE. Elle mentionne également des contrats incluant des phases de bonification d’intérêts supérieurs à 35 %. Pour les autres types de produits, l’analyse repose sur une double grille de quotation – indice et structure du produit.
Il faut néanmoins aller plus loin, car des produits dangereux peuvent échapper à certains de ces critères, en particulier ceux qui reposent sur des écarts de taux d’intérêt à court et à long terme, écarts dont on ne peut prévoir l’évolution. Je pense par exemple à des produits intégrant le rapport des taux à deux et à dix ans, assortis d’une formule de double négation telle que l’effet de retournement de l’indice entraîne une augmentation du taux d’intérêt, et ce à raison d’un coefficient multiplicateur de cinq ou dix : le taux d’emprunt devient alors extravagant.
Autre point abordé par la charte Gissler, sur lequel il n’a été statué que partiellement à ce jour : la présentation des différentes catégories d’emprunt dans les annexes budgétaires. Par ailleurs, les charges financières de ces emprunts doivent être plus lisibles et mieux anticipées, ce qui a évidemment des incidences budgétaires en termes de provisions. À tout le moins, il conviendrait de proscrire l’inclusion des intérêts dans le capital renégocié.
J’ai conscience que ces chantiers sont complexes, mais il est selon moi nécessaire de les poursuivre.
M. le président. Messieurs, je vous remercie pour ces témoignages et ces réflexions.
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Suite de la table ronde du 6 juillet 2011, ouverte à la presse, sur la gestion des emprunts toxiques : l’expérience de Saint-Maur-des-Fossés, avec la participation de M. Jacques Leroy, premier adjoint au maire de Saint-Maur-des-Fossés, chargé des finances, de M. Jean-Marc Broux, directeur général des services de la ville de Saint-Maur-des-Fossés, et de M. Vincent Billard, directeur financier de la ville de Saint-Maur-des-Fossés.
(Procès-verbal de la séance du mercredi 21 septembre 2011)
(Présidence de M. Claude Bartolone, président de la commission d’enquête)
M. le président Claude Bartolone. Nous souhaitons la bienvenue à trois représentants de la ville de Saint-Maur-des-Fossés : M. Jacques Leroy, premier adjoint au maire, chargé des finances, M. Jean-Marc Broux, directeur général des services, et M. Vincent Billard, directeur financier.
Messieurs, cette Commission d’enquête aimerait comprendre comment, dans votre cas, on en est arrivé à la situation actuelle : quels mécanismes n’ont pas joué, ou ont empêché les élus de prendre la mesure de ce qui se passait ? D’autre part, que proposer pour éviter le renouvellement de semblables catastrophes – et pour éviter aux collectivités concernées d’avoir, soit à subir une mise sous tutelle, soit à augmenter fortement leurs impôts tout en renonçant à investir, voire en supprimant certains services publics ?
Avant que vous ne répondiez aux questions plus précises du rapporteur, je vous demanderai de prêter le serment exigé par l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
MM. Jacques Leroy, Jean-Marc Broux et Vincent Billard prêtent successivement serment.
M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Nous voudrions d’abord en savoir un peu plus sur la situation de la commune de Saint-Maur. Quels sont les principaux types d’emprunts structurés souscrits par la ville ? Quel est le montant de l’endettement correspondant ? Quelle part jugez-vous toxique ? En effet, tous les produits structurés ne sont pas nocifs et certains ont même pu faire gagner beaucoup d’argent aux collectivités qui les ont souscrits. Le bilan doit donc être établi sur la durée. De surcroît, j’observe que des produits qui tournent au mal aujourd’hui peuvent redevenir avantageux, et qu’on ne parle de toxicité qu’en période défavorable. Cela étant, quelle proportion de ces emprunts est classée hors charte Gissler ?
M. Jacques Leroy, premier adjoint au maire de Saint-Maur-des-Fossés, chargé des finances. Sous la municipalité précédente, jusqu’en 2008, les rapports entre majorité et opposition étaient des rapports de force. Nous avions constaté que l’endettement de la ville, de l’ordre de 100 millions d’euros en 2001, était passé à 240 millions d’euros. Lors des débats d’orientation budgétaire, il avait souvent été question de cette dérive, d’autant que nous ne constations aucun investissement majeur qui aurait pu justifier de tels emprunts, mais nous n’avions connaissance que d’un montant.
La nouvelle équipe, conduite par Henri Plagnol, a remporté les élections en mars 2008. Il lui est alors apparu qu’avaient été souscrits, pour 85 % du total environ, des emprunts structurés comprenant 45 % de produits toxiques, dont nous ne pouvions nous défaire. Nous avons pris la mesure du risque financier pour la ville : en début de mandat, certains emprunts ayant été contractés à 1 %, le taux moyen de la dette de Saint-Maur s’établissait à 2 % à un moment où l’argent coûtait 5 % mais, aujourd’hui, nous en sommes à 3 % et nous en serons demain à 4 %. Ayant pris l’engagement de contenir le montant de la dette, nous nous obligeons à ne pas emprunter plus que nous ne remboursons alors que la ville a des besoins d’investissement colossaux – centre sportif, mise aux normes des bâtiments communaux…– et, pourtant, nous sommes confrontés au risque de voir dériver nos frais financiers.
Voici quelques exemples. Certains prêts, souscrits sur la base d’un taux de 1 %, pourraient, en 2014, atteindre un taux de 22,5 %. Un autre, souscrit auprès de Depfa Bank, qui, au cours de la première phase, était également à 1 %, pourrait – en fonction de l’évolution du rapport entre euro et franc suisse – passer à 16,44 %. Un autre encore, souscrit chez Dexia à 0,97 %, pourrait aller jusqu’à 13,13 % et un dernier jusqu’à 14,87 %.
En début de mandat, la charge des frais financiers, avec un taux moyen de 2 %, se montait à 5 millions d’euros. Le simple doublement de ce taux entraînerait un coût supplémentaire de 5 millions. Si l’on considère qu’un point d’impôt à Saint-Maur représente environ 500 000 euros, c’est dix pour cent de plus. Vous le voyez, la charge fiscale est difficilement supportable, compte tenu notamment, et comme partout ailleurs, de l’accroissement des besoins.
Telle est la situation de la ville de Saint-Maur : le budget consolidé global, budget principal et budgets annexes – eau, assainissement et parcs de stationnement –, est de l’ordre de 250 millions d’euros. Nous devons supporter ce poids qu’il est difficile d’alléger puisque nous n’empruntons pas plus que nous remboursons.
M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Vous êtes confrontés au problème de l’augmentation du montant de la dette et, en outre, nous dites-vous, aucun investissement important n’a été effectué. Une partie de la dette paye-t-elle les frais de fonctionnement ?
M. Jacques Leroy. Ces emprunts ont permis de bénéficier d’une manne financière sans avoir à augmenter les impôts. C’était une véritable drogue. Depuis 2007, cependant, la ville était entrée dans le réseau d’alerte. En effet, l’autofinancement s’amenuisant, le ratio entre ce dernier et l’endettement faisait s’allumer un clignotant rouge – pour la capacité de désendettement, nous en étions à 27 ans alors que la norme est de 8 ou 9 ans. Mais cela, l’opposition municipale, à laquelle nous appartenions, ne le savait pas. Seul le maire était informé. Dans les courriers de l’époque, il n’est d’ailleurs jamais fait allusion à la dérive potentielle des frais financiers liés aux emprunts toxiques. Il a fallu attendre une lettre adressée à Henri Plagnol en 2010 pour que quelques remarques soient formulées à cet égard.
À l’occasion des débats d’orientation budgétaire, le conseil municipal avait obtenu, comme je l’ai dit, un certain nombre d’informations relatives aux montants des emprunts, mais aucune sur leur structure. Avec Henri Plagnol, nous avons donc constitué une sorte de think tank pour réfléchir à la façon dont nous pourrions améliorer la communication. Peut-être faudrait-il qu’il y ait un débat sur la dette. Celui-ci n’est pas obligatoire aujourd’hui. Lorsqu’on est dans l’opposition municipale, on ne connaît que le montant de la dette, on ne sait rien d’autre. Ainsi, l’opposition n’est pas informée lorsque la ville entre dans le réseau d’alerte. Il faudrait donc que tout soit mis sur la table pour que, dans une commune, majorité et opposition soient au même niveau d’information. À l’initiative du maire actuel, nous avons précisément fait voter, à Saint-Maur, une charte de bonne conduite qui nous oblige à ne pas emprunter plus qu’on ne rembourse, mais aussi à informer.
Lorsque nous étions membres de l’opposition, nous n’avions pas pu exercer notre contre-pouvoir faute d’information. Le premier adjoint ne cessait alors de répéter que l’argent était bon marché et que la municipalité avait raison d’emprunter. Il ne tenait pas compte de nos mises en garde lorsque nous faisions observer qu’à raison de 20 à 30 millions par an, cette politique finirait par arriver à une limite. Pourtant, mon prédécesseur était diplômé d’HEC, ce qui aurait dû lui permettre de comprendre qu’il ne suffisait pas que l’argent ne soit pas cher. Tel ne fut pas le cas.
M. le rapporteur. Puisqu’il n’y a pas eu d’investissements, ces sommes ont donc servi à payer des frais de fonctionnement ?
M. Jacques Leroy. Il n’y a pas eu, à Saint-Maur, d’investissements majeurs.
M. le président. À quoi donc a servi tout cet argent ?
M. Jacques Leroy. Il a été saupoudré : quelques travaux sur les trottoirs, d’autres sur des ronds-points.
M. le rapporteur. Même s’ils ne sont pas structurants, il s’agit bien d’investissements.
M. Jacques Leroy. Au cours de la même période, on constate un laisser-aller total en ce qui concerne les frais de fonctionnement, en particulier les frais de personnel – la chambre régionale des comptes a ainsi comptabilisé 150 000 heures supplémentaires par année. Les emprunts ont permis de ne plus se préoccuper du tout de l’autofinancement, qui détermine la capacité d’investissement. L’argent affluant, il n’était pas utile d’augmenter les impôts, peu importait si la DGF stagnait et si les charges de fonctionnement dérivaient. La capacité d’autofinancement fut même négative à certains moments.
M. Jean-Marc Broux, directeur général des services de la ville de Saint-Maur-des-Fossés. Elle n’est positive que depuis 2009.
M. Jacques Leroy. Pour la rétablir, nous avons dû prendre des décisions politiquement difficiles. Nous avons ainsi augmenté un peu les impôts, mais surtout réduit de façon drastique le nombre des heures supplémentaires, avec les conséquences que vous imaginez sur le personnel, et verrouillé la dépense publique en remettant à plat l’ensemble des marchés. En alimentant la pompe à investissement de façon systématique et presque illimitée, nos prédécesseurs pouvaient s’exonérer d’une gestion de bon père de famille.
M. le rapporteur. Et maintenant que vous sortez la tête de l’eau, le poids des frais financiers vous tombe dessus !
Si les équipes politiques changent, ce n’est pas le cas des services. Comment fonctionnait auparavant le circuit de décision ? La ville disposait-elle de l’expertise nécessaire ? Les experts financiers conseillaient sans doute l’adjoint chargé des finances, qui expliquait au maire, qui, lui, signait les contrats. Comment, avec pratiquement les mêmes personnes, avez-vous organisé le circuit aujourd’hui ?
M. Jean-Marc Broux. Lorsque M. Plagnol m’a confié la direction générale des services en septembre 2008, je suis arrivé dans une ville où, pour 2 300 feuilles de paye, on ne comptait que 30 cadres A, y compris le conservateur du musée et le directeur du conservatoire. Saint-Maur était en déshérence totale en matière d’encadrement ! Certes, le quotidien et les fonctions régaliennes étaient assurés mais il n’y avait aucune procédure pour maîtriser l’investissement. L’application de la loi MOP, la loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique, était impossible, de même que le suivi de l’investissement à long terme.
Il nous a fallu tout remettre sur les rails : recruter, former, définir des procédures…
Quel est le rôle d’un directeur général des services ? Il doit assurer le contrôle de légalité au quotidien. J’ai constaté que tel n’avait pas été le cas avant mon arrivée. Le contrôle était lointain et, surtout, il n’y avait pas de conseil alors que les collectivités paient des indemnités pour cela. Le laxisme était total, et je pèse mes mots ! Je précise, monsieur le président, que j’ai derrière moi quarante-trois ans de fonctions territoriales dont vingt-cinq de direction générale. Or c’était la première fois que je constatais un tel relâchement dans les relations entre l’État et une collectivité, même si celle-ci avait ses torts dans sa volonté de vivre seule. Lorsqu’on ne peut obtenir de financements croisés parce qu’on n’a pas monté les opérations dans le cadre de la loi MOP, on est forcément contraint d’aller chercher l’argent ailleurs. Cela explique peut-être en partie ce qui s’est passé à Saint-Maur.
Aujourd’hui, on se préoccupe des emprunts toxiques, c’est-à-dire qu’on soigne le malade. Mais les collectivités font encore l’objet d’incessantes sollicitations en matière financière. S’il n’y a plus ni conseil ni contrôle, je plains tous ceux qui seront amenés à occuper les mêmes fonctions que moi car un certain nombre de communes vont très vite se retrouver à l’abattoir.
M. le président. Revenons plus précisément sur un point : au moment de la passation de pouvoir, personne ne vous a rien dit de la structure de la dette ?
M. Jacques Leroy. Nous l’avons découverte à partir de mars 2008. Constatant que Saint-Maur était dans le réseau d’alerte, nous avons examiné les ratios et les contrats. Nous nous sommes débrouillés un peu seuls, avec l’aide du patron des services financiers qui, antérieurement, était relativement peu associé à la décision. Les élus rencontraient les banquiers qui leur expliquaient que l’argent étant bon marché, il ne fallait pas se priver d’emprunter. Nos prédécesseurs ont pris ce discours pour argent comptant, si j’ose dire, et ont souscrit systématiquement, dans le but aussi peut-être, sur fond de campagne électorale, de se faire réélire en procédant à des travaux d’embellissement de la ville. Dans la recherche des responsabilités, il ne faut pas oublier celles qui sont proprement politiques.
Les chiffres auxquels nous sommes parvenus après examen des contrats ont ensuite été confirmés par la chambre régionale des comptes, qui est intervenue sur demande du maire. Elle a souligné le risque exponentiel de certains scénarios, ce qui était conforme à nos conclusions. Dès notre arrivée, nous avions du reste, sur la base d’un appel d’offres, coopté le cabinet Deloitte qui a procédé à un audit des finances de la ville. Il a affiné l’analyse en confirmant lui aussi ce que nous pressentions.
Je l’ai dit, le service financier de Saint-Maur et les élus ont lu les contrats. Les décrypter n’est sans doute pas simple, mais on pouvait comprendre ce que cela recouvrait. Je considère que, dans cette affaire des produits toxiques, la responsabilité est double. Certes, les banquiers sont responsables d’avoir imaginé des produits beaucoup trop sophistiqués et manifestement risqués. Les élus ont néanmoins fait des choix. Lorsque j’ai découvert le fonctionnement de la deuxième phase avec ses formules mathématiques longues de trois lignes, j’ai immédiatement compris que les choses ne pourraient être stables à terme. J’ai pensé aussi que proposer de l’argent à 1 % à un moment où il coûtait 5 % cachait quelque chose. Je me suis alors penché sur le coût de sortie et de transformation et j’ai rencontré les banquiers. Il s’agissait de gens tout à fait charmants mais dont la fonction est technico-commerciale et qui, à ce titre, faisaient l’apologie du produit. Je n’ai jamais vu les vrais responsables, les spécialistes de l’ingénierie financière. L’interlocuteur de l’élu sur le terrain n’est pas un actuaire, il ne fait que vendre un produit.
Nos partenaires banquiers m’ont donc confirmé qu’en fonction des différents scénarios, les taux pouvaient effectivement décoller, mais ils ont rappelé qu’un élu avait signé. Ils m’ont également expliqué que si je voulais sortir du système, je devrais m’acquitter de pénalités allant jusqu’à 200 %... Ainsi, pour un prêt de 5 millions d’euros que j’avais étudié très précisément, l’indemnité de sortie était de 60 % ! Il m’en aurait donc coûté 8 millions et il m’aurait fallu emprunter à 5 % alors que le taux moyen de ma dette de l’époque était de 2 %. C’est une nasse dont les élus locaux, même en y mettant beaucoup de bonne volonté et de réflexion, ne peuvent pas sortir indemnes.
M. le rapporteur. Lorsqu’on a 240 millions de dettes pendant sept ans à 1 % et donc qu’on gagne quatre points sur cette somme, on récupère finalement beaucoup d’argent.
M. Jacques Leroy. La drogue est là !
M. le rapporteur. Certes, vous n’êtes pas satisfaits du choix des investissements qui ont été réalisés. Encore que, aujourd’hui, vous n’ayez plus à vous préoccuper des trottoirs… Mais en gagnant quatre points sur 240 millions pendant sept ans, on économise près de 70 millions. Cela explique que les communes aient eu recours à ces emprunts. Les administrés souhaitent de nouveaux équipements et elles trouvaient là le moyen de les réaliser. Quand on fait le bilan, il faut le faire complètement. Cet argent a été utilisé pour faire un certain nombre de choses. Certes, certains investissements sont non productifs mais d’autres peuvent l’être, tel l’aménagement d’une zone d’activité économique, qui va attirer des entreprises et générer de la taxe professionnelle.
M. Patrice Calméjane. Vous avez évoqué, monsieur Leroy, un contrôle de la chambre régionale des comptes. De quand datait le précédent ? J’aimerais comprendre la logique de fonctionnement de ces institutions. Sur Internet, trois clics suffisent pour avoir, sur dix ans et pour de nombreuses collectivités, l’ensemble des ratios et les principaux éléments financiers, mais on n’en fait pas grand-chose. C’est vrai pour les chambres régionales des comptes, pour les préfectures, pour les trésoreries générales.
Vous avez parlé de 2 300 feuilles de paye, monsieur Broux. Pour une commune de 73 000 habitants, cela pose un problème. Les ratios de personnel sont de 50 à 100 % supérieurs à la moyenne pour une collectivité de banlieue sans difficulté particulière. Certes, le travail du conseiller d’opposition n’est pas toujours simple, mais il peut disposer de ces données. Or personne – État, chambre régionale des comptes, préfecture, trésorerie, élus – n’a perçu la dérive. Par ailleurs, comment peut-on passer de 100 à 240 millions d’emprunts sans procéder à des investissements ? Cela doit permettre de refaire des kilomètres et des kilomètres de trottoirs… En tout cas, cela aurait dû alerter au regard du train de vie global de la commune. Or personne n’a rien dit. Vous avez parlé de drogue, monsieur Leroy. Mais l’emprunt structuré n’est que le résultat de la très mauvaise gestion de la ville. La situation est différente de celle de la ville de Saint-Étienne, qui connaissait de tout autres difficultés.
Législateur, je m’interroge sur les améliorations que nous pourrions apporter. Vous avez fait quelques suggestions mais, lorsqu’on est à 80 %, ou à 120 %, de la moyenne de la strate, il faut se poser des questions, quelle que soit la collectivité, sauf explication par des difficultés particulières de gestion. Je persiste donc à m’interroger : pourquoi cela n’a-t-il pas fonctionné ? Vous avez invoqué un défaut de relation avec les services de l’État…
M. Jean-Marc Broux. Le non-respect des procédures, aussi. Le recours systématique à des appels d’offres ouverts fait baisser de 40 % le coût de l’investissement…
M. le président. À Saint-Maur, le problème n’est pas seulement celui des produits toxiques. Il tient aussi à la mauvaise gestion de l’ancienne équipe municipale – recours multiples à l’emprunt, frais de fonctionnement. On comprend en vous écoutant, messieurs, comment on peut succomber à la tentation des produits toxiques. Comme l’a expliqué le rapporteur, dans le meilleur des cas, avec cette façon de procéder, on pouvait gagner un peu d’argent sur les intérêts de la dette et investir. Malheureusement, pour bon nombre de collectivités, ces économies de court terme n’ont servi qu’à payer du fonctionnement ou à éviter une augmentation d’impôts à la veille des élections.
Quoique les situations soient totalement différentes, ce que nous avons entendu des représentants de Saint-Étienne montre que, même avec un maire adjoint bénéficiant d’une bonne formation théorique, il existe bel et bien un rapport du fort au faible entre celui qui propose le produit bancaire et les différents échelons de responsabilité qui l’acceptent.
Comme nous pouvons le déduire des propos de ce même maire adjoint, on propose chaque année des options de plus en plus risquées aux collectivités pour leur permettre de maintenir ces taux d’intérêt bas. Moi-même, lorsque le service financier de la collectivité à la tête de laquelle j’ai été élu m’a dit quel était le montant de la dette et à quel taux elle était gérée, j’ai failli le féliciter tellement ce taux était bas !
M. Patrice Calméjane. Vous n’étiez pas dans l’opposition non plus !
M. le rapporteur. Facialement, cela pouvait paraître intéressant !
M. le président. Pour rassurer M. Calméjane, je dirai que toutes les oppositions, quelle qu’ait été leur couleur politique, se sont trouvées dans le bleu pour des raisons à peu près identiques. Ainsi, à Saint-Maur-des-Fossés, c’est l’envolée de la masse des emprunts qui a attiré votre attention, pas le contenu de chacun de ces emprunts parce qu’il est malheureusement possible de ne pas trop insister sur la technique au moment de la souscription. C’était d’ailleurs la raison de ma question, tout à l’heure, au représentant de la précédente municipalité de Saint-Étienne. J’ai en tête un exemple de contrat où le taux bonifié était à 1,42 % : lorsque j’ai vu les fixing, j’ai pu constater que ces contrats étaient perdants dès le lendemain de leur signature, mais cela n’apparaissait nulle part alors que, dans une entreprise privée, ce débours aurait déjà dû entrer dans des provisions pour pertes. Il est vrai que, lorsqu’on propose à des collectivités ayant une gestion à 5 % de leur encours de dette un produit miracle qui leur permet d’abaisser ce taux à 1,42 % pendant quatre ans, la tentation peut être forte…
M. Henri Plagnol. Je souscris totalement à tout ce que viennent de dire mes collègues. Ce qui est intéressant dans le cas de Saint-Maur, c’est qu’il n’y avait pas de raison objective à la dérive. Cette ville tranquille de la petite couronne ne se serait jamais trouvée dans une telle situation s’il n’y avait eu la rencontre entre une gestion administrative sérieusement défaillante et un produit extraordinairement séduisant. Cela a permis à l’équipe précédente de ne pas regarder la dérive en face. La ville a ainsi laissé filer, avec pour effet une augmentation pharaonique de la dette globale. Et, comme l’a dit Claude Bartolone, les services financiers ont plutôt géré de façon intelligente puisque les frais financiers, eux, n’ont pas augmenté. Jacques Leroy a parfaitement raison, on peut parler de drogue. C’est un cas exemplaire, car aucun des contrôles normaux n’a fonctionné, ni en interne ni en externe. Et les banques étaient tellement conscientes de la vulnérabilité de Saint-Maur qu’il y a eu un engrenage. En 2003, on a commencé par des produits structurés qui n’étaient pas les plus dangereux mais, dans la renégociation intervenue quelques semaines avant mon élection, sont apparus des produits extrêmement toxiques et un allongement de la durée des emprunts. Celle-ci a ainsi augmenté de plus d’un tiers pour 85 millions d’euros en janvier-février 2008, et nous avons donc maintenant des emprunts dont la durée moyenne est très supérieure à la normale. C’est tout un ensemble, mais il est évident que les banques ont une part de responsabilité.
M. Jean-Louis Gagnaire. Nous n’avons pas une vision globale de toutes les collectivités ou établissements publics qui ont été contaminés, mais leur point commun me semble être leur vulnérabilité, quelle qu’en soit la cause – le cas de Saint-Étienne est différent de celui de Saint-Maur et, ailleurs, il a pu y avoir des dépenses inconsidérées ; quant aux hôpitaux, ils devaient absolument emprunter pour réaliser les plans d’investissement. Cette vulnérabilité se vérifie-t-elle pour la totalité des 5 500 collectivités détentrices d’emprunts de Dexia ? Il sera difficile de le savoir mais il faudrait essayer de déterminer, non seulement à combien se monte la masse des emprunts toxiques, mais aussi s’il n’y a pas des caractéristiques propres aux collectivités concernées. Il me semble que toutes étaient en état de faiblesse – celles qui n’avaient aucun souci de financement n’ont d’ailleurs pas été contaminées puisqu’elles n’avaient pas besoin de faire appel à ces produits. Les banques sont donc complètement fautives dans la mesure où elles se sont comportées en prédateurs s’attaquant aux plus vulnérables.
M. le président. C’est le rapport de forces qui a mis les élus en position de faiblesse. Le rapporteur et moi-même avons prévu une table ronde qui nous permettra d’entendre les élus de petites collectivités. Nous avons créé une association à quelques-uns et je suis très surpris par le nombre croissant d’élus qui se manifestent maintenant. Au début, ceux qui s’exprimaient le plus étaient des représentants de collectivités où il y avait eu alternance, mais nous entendons maintenant de nombreux élus qui ne savaient pas ce qu’ils détenaient réellement comme produits et qui, en période de fixing, ont été alertés par le directeur général des services. Ils n’ont pas eu le choix lorsqu’ils ont négocié avec leur banque, nous disent-ils : ils ont été amenés à souscrire ce type d’emprunts sans savoir de quoi il retournait.
M. Jacques Leroy. Nous n’avons pas répondu à la question de M. Calméjane. S’agissant de la ville de Saint-Maur, le précédent contrôle de la chambre régionale des comptes remonte à quinze ans et il était subi, à la différence du contrôle que j’évoquais, qui a été demandé par le nouveau maire. Aucun clignotant rouge ne s’est donc allumé, tant du côté des services de l’État que de celui du contrôle financier.
Ceux qui ont réagi sont en effet principalement ceux qui, arrivant à la tête de leur collectivité à la faveur d’une alternance, ont souhaité procéder à un état des lieux, et il est probable que ceux qui ont conservé leur mandat après avoir souscrit des emprunts de ce type ne vont pas s’en vanter auprès de leur électorat. Pour autant, les dettes contractées ne sont pas secrètes et peut-être les services de Bercy pourraient-ils, à partir des éléments que leur font remonter les préfectures, réaliser un travail d’investigation pour mesurer la part toxique de ces emprunts. On nous parle en effet de 7 à 10 milliards, ce qui fait tout de même un écart de trois milliards. Or, nous avons tous besoin de cette information essentielle pour comprendre.
M. Gagnaire a qualifié les banques de prédateurs, mais il n’est pas sûr que toutes les communes ayant souscrit ces emprunts aient été en situation de faiblesse. La responsabilité des banques est évidente, mais sont-elles les seules fautives ? Les élus doivent-ils être tous blanchis ? Il faut peut-être aussi envisager la responsabilité de ceux qui ont signé parce que ce n’était pas cher. C’est une chaîne, comme celle qui a conduit à la crise des subprimes : finalement, tout le monde est un peu responsable ! Il faudra en tenir compte dans les réformes à venir, mais celles-ci devraient concerner également l’État, les trésoriers-payeurs généraux, etc. si l’on ne souhaite pas que les banques puissent continuer à proposer aux collectivités territoriales des produits aussi spéculatifs.
M. le rapporteur. S’agissant du montant global des emprunts structurés, des évaluations sont en cours, mais la toxicité, elle, se mesure à un instant T et il peut se produire des retournements. Le principal produit toxique est aujourd’hui l’« euro-dollar-franc suisse », mais imaginez que la conjoncture change, nous aurons peut-être une attitude complètement différente ! Aujourd’hui, pratiquement tout le monde a ce type de produits. Replacez-vous dans le contexte où ces emprunts ont été contractés : les banques n’arrivaient pas à fournir faute de liquidités. Mais les choses peuvent changer. Déjà, la Suisse a « capé » parce qu’elle a bien vu que ce différentiel de taux lui était désavantageux. Il y a là un frein qui rassure.
Il faut faire la différence entre le stock d’emprunts structurés et le montant de ceux qui sont toxiques. Si la toxicité est durable, c’est inquiétant et il va donc falloir trouver des solutions. Pour ce qui me concerne, mon taux moyen va passer de 2,8 % à 3,2 ou 3,4 %, ce qui se traduira par un manque à gagner, mais limité. En revanche, d’autres ne pourront pas s’en sortir parce que la proportion du structuré et, surtout, de sa part toxique dans leur dette est trop importante. Il ne faut donc pas tout mettre dans le même panier. Tout n’est pas mauvais. Certains emprunts structurés sont intéressants – et, je le répète, des retournements de conjoncture sont possibles.
M. le président. Monsieur Leroy, j’entends votre argument selon lequel tout le monde est responsable, mais ce qu’il faut mesurer, c’est la part de responsabilité respective des uns et des autres. J’ai plutôt été ému par le témoignage de l’ancien adjoint au maire de Saint-Étienne en charge des finances et par les efforts qu’il a faits pour essayer de comprendre ce qu’on lui proposait de signer. En l’espèce, c’est le rapport du fort au faible qui détermine le niveau de responsabilité.
Pour en revenir aux propos de notre rapporteur, le problème, c’est que certains indices sont trop éloignés de la vie des collectivités locales. Comment une commune ou un département ayant souscrit un emprunt indexé sur le rapport entre le cours de l’euro et celui du yen auraient-ils pu prévoir la catastrophe de Fukushima ? Au lendemain de celle-ci, le taux d’intérêt variait en fonction de la force avec laquelle la Banque centrale du Japon intervenait pour soutenir l’économie du pays ! C’est insupportable ! Il faut donc caper les emprunts et éviter des indices trop exotiques pour les collectivités locales.
M. Jacques Leroy. J’approuve M. Gorges : s’il nous manque de connaître le montant de la dette, nous souffrons aussi d’une absence de définition de la toxicité. Le rapport euro-franc suisse varie, mais où commence et où s’arrête la toxicité ? Selon les scénarios, un emprunt sera avantageux ou sera une bombe à retardement. Au début de notre mandat, le taux moyen de la dette était à 2 % alors que l’argent était à 5 %. Il faut donc définir la toxicité si l’on veut éviter de considérer que tout est toxique hormis le taux fixe ou le taux variable capé.
Sur les conseils de Vincent Billard, je veux aussi signaler à la Commission que, suite à l’article de Libération de ce matin, nous avons essayé de « pister » un emprunt Dexia : il est passé entre les mains de la BNP, puis de J.P. Morgan, de Goldman Sachs et de la Royal Bank of Scotland ! Il y a manifestement là une cuisine financière qui, comme le disait Claude Bartolone, dépasse totalement les capacités de gestionnaires de collectivités.
M. le président. Et qui génère des marges cachées sur lesquelles nous reviendrons !
M. Jacques Leroy. Les élus locaux n’ont pas le niveau nécessaire pour faire face à une telle financiarisation de leurs problèmes de financement et d’investissement. Ils ne peuvent lutter à armes égales avec des gens qui sont capables de titriser et de « se refiler » nos emprunts.
M. le président. Toutes ces créances sont en effet titrisées. À l’inverse des assurances, qui vous font payer une prime mais vous couvrent en cas de catastrophe, les banques vous donnent la prime mais vous laissent supporter une éventuelle catastrophe ! Or les sociétés anglo-saxonnes qui étudient le marché à moyen et long termes sont loin de se contenter d’un aveu d’incertitude : quand vous demandez à J.P. Morgan, par exemple, de faire des prévisions à vingt ans sur l’évolution de ces produits fondés sur les comparaisons de cours entre monnaies, elle compte un tiers de pertes. Le franc suisse est maintenu au cours de 1,20 pour un euro par la Banque centrale suisse, alors qu’il était tombé à 1,02 au mois d’août. Pour les collectivités dont le fixing tombait à cette période, cela signifiait des taux d’intérêt de près de 50 %. Elles ont décidé de se battre pour maintenir le ratio à 1,20, mais vous nous voyez, nous, à la tête de nos collectivités, évoquer l’éventualité d’une amélioration de la situation de l’euro, de la Grèce, du Portugal ou de l’Italie ? Les marchés anticipent déjà, pour le franc suisse, un cours inférieur à 1,20. Les grandes collectivités n’ont pas les moyens de faire ce travail : imaginez ce qu’il peut en être pour les petites ! Le jour où mon directeur général m’a dit qu’une société de cotation en ligne lui demandait des renseignements sur la gestion de nos options, j’ai cru à une histoire de fous ! Certaines entreprises recourent à des produits structurés parce qu’elles savent les gérer. EADS, Airbus ou Total ont ainsi une véritable salle de marché qui leur permet de gérer leur dette en temps réel. Ce sont des traders qui s’occupent de ces produits. Aucun de nos directeurs généraux ou de nos collaborateurs, aussi talentueux soit-il, n’en est capable. Il faudra donc bien un jour qu’ils reçoivent une formation dans ces matières si l’on veut y voir un peu plus clair.
M. le rapporteur. Il faut se limiter à du variable capé, mais nous aurons un problème de liquidités. Si j’ai souscrit un emprunt structuré, c’est que le banquier n’avait pas de produit stable.
M. le président. Je vous remercie. Au moment où nous parlons, nous ne mesurons toujours pas exactement le risque qu’il faut assumer. Comme l’a rappelé M. Leroy, l’enveloppe de ces produits, en tout état de cause formidable, pourrait varier entre 5 et 10 milliards. L’article de Libération de ce matin évaluait le surcoût pour 2009, mais songez à tout ce qui s’est passé depuis ! Nous ne pouvons donc être trop attentifs à ce dossier.
M. Henri Plagnol. J’ajoute qu’il est choquant que la presse soit en mesure de se procurer des données que le ministère des finances refuse de communiquer aux parlementaires que nous sommes.
M. le président. Dont acte.
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Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème : « Des prêts structurés dans les petites collectivités, pour quoi faire ? » avec la participation de Mme Anne AUFFRET, maire de Donges (Loire-Atlantique), de M. Bernard Chesneau, maire de Thouaré-sur-Loire (Loire-Atlantique), de M. Christian Coigné, maire de Sassenage (Isère), de M. Christophe Faverjon, maire d’Unieux (Loire), de M. Jean Fernandez, maire de Saint-Cast-Le Guildo (Côtes-d'Armor), de M. Xavier Martin-Le Chevalier, maire de Trégastel (Côtes d’Armor) et de M. Philippe Verrier, Président de la Communauté de communes du Bocage d’Athis de l’Orne
(Procès-verbal de la séance du mercredi 5 octobre 2011)
(Présidence de M. Claude Bartolone, président de la commission d’enquête)
La séance est ouverte à seize heures trente.
M. Claude Bartolone, Président. Après avoir examiné la situation de conseils généraux, de villes ou d’agglomérations d’une taille certaine, disposant d’une assise financière et de moyens de gestion élaborés, penchons-nous sur les emprunts structurés conclus par les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de petite taille.
La première table ronde sera consacrée aux pratiques commerciales des banques et à la situation des personnes publiques qui ne sauraient mettre en œuvre une stratégie d’endettement pour gérer leur investissement. Les représentants de communes que nous entendrons sont ceux qui se sont rapprochés du rapporteur ou de moi-même pour faire part de leurs difficultés, ou qui ont fait l’objet d’observations de la part de la chambre régionale des comptes.
Mme Anne Auffret est maire de Donges (Loire-Atlantique), qui compte 6 500 habitants. M. Bernard Chesneau est maire de Thouaré-sur-Loire (Loire-Atlantique), qui en compte 7 498. M. Christian Coigné est maire de Sassenage (au sein de la communauté d’agglomération de Grenoble), qui en compte 10 634. M. Christophe Faverjon est maire d’Unieux (Loire), qui en compte 8 500. M. Jean Fernandez est maire de Saint-Cast-Le Guildo (Côtes-d’Armor), qui en compte 3 420 pendant l’année et beaucoup plus pendant l’été. M. Xavier Martin-Le Chevalier est maire de Trégastel (Côtes d’Armor), qui en compte 2 400 en basse saison. M. Philippe Verrier préside la communauté de communes du bocage d’Athis-de-l’Orne, qui regroupe seize communes de l’Orne et compte au total 78 551 habitants.
La commission d’enquête tentera d’éclairer les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales, leurs groupements et les autres acteurs publics locaux ont souscrit auprès d’établissements de crédit et d’entreprises d’investissement des emprunts et produits structurés. Elle a pour but non de mettre en cause la gestion des élus, mais de comprendre, à partir d’exemples, comment des collectivités sans grands moyens de gestion en sont arrivées là.
Au titre de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées par une commission d’enquête doivent prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Mme Anne Auffret, M. Bernard Chesneau, M. Christian Coigné, M. Christophe Faverjon, M. Jean Fernandez, M. Xavier Martin-Le Chevalier et M. Philippe Verrier prêtent successivement serment.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. À quel moment avez-vous souscrit ces emprunts, qui existent depuis près d’une vingtaine d’années ? Comment en avez-vous connu l’existence – nous nous interrogeons aussi sur les pratiques commerciales – ? Et quels étaient les établissements prêteurs ?
Comme les grandes collectivités, auxquelles ces produits ont permis de régler des problèmes de liquidité, les petites collectivités ont-elles pu choisir entre des prêts à taux fixes, peut-être moins avantageux que les produits structurés, et, par exemple des taux variables « capés », c'est-à-dire assortis d’un mécanisme de plafonnement ? Et les produits structurés vous ont-ils permis de diminuer pendant un temps la charge d’intérêts ? À combien se monte le gain ainsi réalisé ou les investissements que ces prêts vous ont permis de financer, car il faut souhaiter que son montant n’ait pas été injecté dans des dépenses de fonctionnement ?
Mme Anne Auffret, maire de Donges (Loire-Atlantique). J’ai été élue en 2008, par conséquent après que ces emprunts ont été souscrits. Pour réaliser des travaux de voirie en 2007, la commune a consulté cinq établissements de crédit. Il lui a été proposé un prêt de 2 millions d’euros, avec une phase de mobilisation d’un an et une phase de consolidation de vingt ans. À l’époque, le marché était haussier. La Banque centrale européenne avait relevé son taux de refinancement à 4 %, après une première hausse intervenue le 8 mars 2007. Les taux fixes classiques étaient à 5,4 %, les taux courts à 4,5 %. Dans ce contexte, les prêts structurés permettaient d’obtenir des taux fixes bonifiés ou minorés, indexés sur option ou barrière. De leur propre initiative, les banques – le Crédit agricole via BFT et Dexia – ont proposé ces produits à nos prédécesseurs, qui les ont jugés intéressants. Sur le moment, la commune a économisé 42 000 euros d’intérêts, mais, lors la crise de l’été 2008, les taux sont montés de 4,5 % à 9,62 %.
M. le rapporteur. Le contrat prévoyait-il une période de garantie ?
Mme Anne Auffret. Non.
M. le rapporteur. De quel type de produits s’agissait-il ?
Mme Anne Auffret. De prêts structurés. Pour éviter l’application du contrat dont le taux était passé à 9,62 %, Dexia nous a proposé un réaménagement, le 17 juillet 2008. Sur le moment, nous avons dû nous décider très vite, et nous avons allongé la période de remboursement, ce qui n’était peut-être pas une bonne idée.
M. le président. Sur quels indices étaient fondés ces prêts ?
Mme Anne Auffret. Le taux fixe proposé par Dexia était de 4,5 %, si l’écart entre le CMS (Constant Maturity Swap) 30 ans et le CMS 1 an était supérieur à 0,20. Dans le cas inverse, le taux était de 6,99 % moins cinq fois l’écart.
M. le président. En somme, on vous a proposé un prêt traditionnel, avec un taux fixe à 5,4 %, en même temps que ce prêt, qui, sur le moment, vous a paru avantageux ?
Mme Anne Auffret. La municipalité a sollicité BFT dans le cadre d’un appel d’offre, mais Dexia l’a démarchée pour lui proposer un réaménagement.
M. le président. Il y a donc eu deux processus : une consultation et une offre de Dexia, dont les produits structurés vous ont paru alléchants.
M. Bernard Chesneau, maire de Thouaré-sur-Loire (Loire-Atlantique). Nous sommes aux affaires depuis mars 2008. C’est en juin 2006 que la municipalité a contracté un nouveau prêt, afin de renégocier sa dette. Dexia, qui était déjà partenaire de la commune quand j’étais dans l’opposition, a regroupé tous les prêts en un seul, d’un montant de 4 millions. Tant que la parité euro/franc suisse était supérieure à 1,44 – or, on nous assurait qu’il ne pouvait en être autrement, puisque c’était le cas depuis trente ans –, le taux fixe de 3,84 % s’appliquait. Sitôt que le rapport descendait au-dessous du seuil prévu, le taux progressait de manière exponentielle, alors même qu’on nous avait présenté le prêt comme sans risque.
Le différentiel entre le coût de l’argent en 2006 et le taux de 3,84 % était infime. En tout cas, il ne justifiait pas le risque auquel nous nous sommes exposés. D’ailleurs, ce bénéfice a été englouti par le seul surcoût acquitté en 2010. En 2011, où le remboursement du capital et des intérêts est de 400 000 euros, ce surcoût est de 290 000 euros. Le point de fiscalité représente pour nous 35 000 euros, ce qui donne idée de l’augmentation des impôts qui va peser sur nos contribuables.
Le montage financier est d’une extrême complexité et, malgré le respect que j’ai pour les élus et les salariés de nos communes, il dépasse largement leur compétence, ce qui explique que les petites communes aient été incapables d’évaluer de tels produits.
M. le président. Les établissements bancaires qui vous les ont proposés les ont-ils mis en concurrence avec d’autres produits ?
M. Bernard Chesneau. Je n’étais pas maire à l’époque. La commune avait besoin de dégager des marges. Quand Dexia, qui était son partenaire de longue date, a renégocié les prêts pour améliorer la capacité d’autofinancement, le montant des remboursements a diminué et la durée du prêt s’est allongée. Nous avons reçu cette proposition dans le cadre d’un partenariat. J’ignore si des solutions alternatives nous ont alors été proposées.
M. Christian Coigné, maire de Sassenage (Isère). En 2006, j’ai signé avec Dexia, qui était la banque historique de la commune, un contrat de partenariat, visant à encadrer plus précisément son intervention et ses prestations de conseil. Aux termes de la convention, ce partenariat « était destiné à favoriser l’investissement et le développement durable, dans un contexte de maîtrise des frais de fonctionnement et des prélèvements. » Cette clause impliquait de facto le recours à des produits sans risque, puisque nous indiquions notre désir de ne pas toucher à la seule variable d’ajustement disponible, à savoir la fiscalité. La convention mentionnait également une gestion active de la dette.
Pour mettre cette gestion en phase avec le contexte budgétaire communal, Dexia a réalisé une étude sur les grands équilibres financiers de la commune entre 2001, date de mon élection, et 2006. Afin qu’elle s’acquitte de sa mission de conseil de manière objective, nous lui avons remis toutes les informations financières relatives à la commune. Nous étions en confiance, notre démarche étant celle d’un partenaire et non d’un client classique. C’est dans le cadre de cette prestation d’assistance et de conseil que Dexia a proposé à la commune de restructurer sa dette, en regroupant ses six prêts en cours en deux prêts de 4,4 millions chacun, fondés le premier sur la moitié de la parité euro/franc suisse, le second sur l’évolution du CMS 30 ans.
Pourquoi ces deux prêts ont-ils reçu l’appellation de taux fixe, sinon pour nous induire en erreur ? Le document de présentation indique en effet qu’ils sont basés « sur une stratégie de taux fixe long terme très bas sécurisé ». Pour le premier, la parité retenue est 1,44 franc suisse pour un euro, qui, précise-t-on, « n’a jamais été atteinte, même lors des attentats du 11 septembre 2001 ». Selon le document de présentation, « la Banque nationale suisse conduit une politique durable de stabilité de change, et son objectif est de maintenir le taux de change à 1,55 franc suisse pour un euro. » Enfin, « cette valeur refuge n’est pas affectée par les fortes tensions liées aux menaces de l’Iran dans le domaine atomique. » Le second prêt est présenté comme « un profil de risque très sécurisé ».
La banque Dexia, principal partenaire de la commune, était le prêteur de référence des collectivités. Elle avait signé avec Sassenage une convention de partenariat et de conseil, et réalisé une étude consolidée des finances communales entre 2001 et 2006. Pour ces deux prêts, elle a utilisé l’appellation de « taux fixe », et présenté les opérations de restructuration de la dette comme « sans risque ». C’est ce qui a conduit la commune à souscrire ces deux prêts en 2006, partageant l’emprunt de 8 millions en deux prêts, conformément au montage proposé. Pendant les deux premières années, le gain a représenté 300 000 euros, mais, pour la seule année 2011, les intérêts supplémentaires sont de 500 000 euros, que nous ne savons pas comment financer.
M. le rapporteur. Vous nous transmettrez le document que vous nous avez lu, qui semble offrir des garanties contractuelles de stabilité, qui se sont révélées mensongères.
M. Christian Coigné. C’est le cas, ce qui justifie que nous nous dirigions vers une action judiciaire.
M. Christophe Faverjon, maire d’Unieux (Loire). En prenant mes fonctions en 2008, j’ai découvert l’existence d’emprunts toxiques qui n’avaient fait l’objet d’aucun débat en conseil municipal au cours de la mandature précédente, comme l’indique un rapport de la chambre régionale des comptes, saisie à la suite du vote négatif que nous avons émis sur les comptes administratifs de 2007.
La commune a contracté deux emprunts toxiques, l’un auprès de Dexia, l’autre de la Caisse d’épargne. Le premier, d’un montant de 4 millions, est indexé sur la valeur de l’euro par rapport au franc suisse. Il comporte une période de différé d’amortissement et de taux garanti de trois ans, la période structurée commençant cette année. La facture que nous avons reçue en septembre fixe le taux d’intérêt à 24,28 %, contre 3,68 % l’an dernier. Les intérêts supplémentaires s’élèvent à 802 000 euros. Pour y faire face, la commune devrait augmenter la fiscalité locale de 30 % ou supprimer les postes de vingt employés communaux en équivalent temps plein sur 115. Le deuxième emprunt, d’un montant de 2,3 millions, a été souscrit auprès de la Caisse d’épargne en 2007. Il est indexé sur la valeur du dollar par rapport au franc suisse. Nous sommes encore en taux fixe jusqu’en 2014, mais, compte tenu de l’évolution des cours, nous sommes très inquiets. Le contrat signé avec Dexia afin de renégocier l’emprunt antérieur qui serait arrivé à échéance en 2011, courra jusqu’en 2035. L’emprunt contracté auprès de la Caisse d’épargne pour financer les investissements de la période 2005-2007 court également pendant une période très longue.
Le bénéfice a été nul pour la commune, puisque la différence entre le taux des années bonifiées, qui était de 3,68 %, et 3,99 %, soit quelques milliers d’euros, a été engloutie en une seule fois par l’augmentation des intérêts en 2011. Dès 2008, Unieux a essayé de renégocier avec les deux établissements, en leur demandant de passer à un taux fixe. Déjà, nous pensions qu’une commune n’avait pas à contracter d’emprunt spéculatif et qu’elle devait sécuriser ses conditions de financement. Malheureusement, la négociation n’a pas abouti : Dexia nous a demandé de verser une indemnité de plus de 7 millions d’euros, s’ajoutant aux quatre millions de l’emprunt, pour passer à un taux fixe de plus de 5 %. De telles conditions ne sont acceptables ni moralement ni financièrement. Un contentieux est en cours. Cependant, nous continuons à discuter avec Dexia, cherchant à sortir de la situation par tous les moyens, pour sauvegarder l’intérêt de la ville et de ses habitants. Avec la Caisse d’épargne, nous avons engagé des négociations en 2008. La situation, qui avait avancé au début, est à présent bloquée. Nous envisageons une assignation, ayant reçu, là encore, des propositions inacceptables.
M. le rapporteur. Pourquoi avoir préféré ces emprunts structurés à un taux fixe, qui était à peine supérieur ?
M. Christophe Faverjon. À quelques mois des élections municipales, le différé d’amortissement permettait de réaliser des investissements d’importance sans grever le budget. Depuis lors, un ancien salarié de Dexia nous a révélé, sous couvert de l’anonymat, que la banque avait donné instruction de proposer aux collectivités de renégocier les emprunts, le but étant de rendre la clientèle captive au moyen d’un allongement des durées d’amortissement, tout en minimisant les risques et en insistant sur le bénéfice double de la période bonifiée et des marges de manœuvre que l’opération procurait. On sait ce qu’il en a été.
M. Jean Fernandez, maire de Saint-Cast-Le Guildo (Côtes-d’Armor). La situation est un peu différente à Saint-Cast. Treize prêts à taux fixe, six indexés sur l’Euribor et deux sur le taux annuel monétaire (TAM), ont été regroupés dans un prêt dit « TOFIX » de 3,5 millions, que je n’ai pas souscrit, mais dont j’assume les conséquences. Nous n’avons reçu aucune autre offre que celle de Dexia, qui, en 2010, nous a proposé de reprendre à des taux intéressants les quelques prêts à taux fixe que nous avions contractés. Une fois passés dans la machine à laver, ils en ressortaient avec un taux à 3,99 %, tant que le cours de l’euro ne tombait pas en dessous de 1,44 franc suisse. Mais, en 2011, sur ce prêt de 3,5 millions, nous avons dû verser 525 000 euros, dont 72 000 euros en capital, soit un taux de 15 %. Depuis 2007, la commune a versé en tout 1,1 million d’intérêts.
Pour comprendre comment on a pu souscrire un tel emprunt, il faut relire la proposition de Dexia :
« DUAL : un produit de la zone euro et de la zone suisse. Pourquoi utiliser la zone suisse ?
– Une économie suisse encadrée par la zone euro politiquement et économiquement stable.
– Une évolution de courbes de taux similaire sur le court terme et sur le long terme sur les deux zones, avec un différentiel permanent en faveur de la zone suisse de 1,5 %.
– Une banque centrale suisse qui pilote son inflation à 2 % et une parité euro/franc suisse à 1,50.
– Historiquement, le franc suisse constitue une valeur refuge.
– Depuis 2001, la valeur euro/franc suisse se révèle plus stable et moins volatile face aux événements internationaux (attentats de Londres et de Madrid). »
La présentation était d’autant plus séduisante que les taux étaient alors aux alentours de 5 %. Pendant deux ans, en remboursant notre emprunt à 3,99 %, nous avons été bénéficiaires, mais le taux s’est élevé l’an dernier à 8,21 %. Cette année, il atteint 15 %. Aucune solution alternative ne nous a été proposée. Quant au bénéfice que nous avons réalisé pendant deux ans en remboursant à 3,98 % au lieu de 5 %, il est pratiquement insignifiant.
Notre petite commune conseillée par Dexia ne disposait d’aucune structure permettant de réagir de manière efficace. Le montant de la dette n’a pas été modifié depuis 2006. Les propositions de la banque visaient à reconvertir tous les taux fixes en taux variables, en s’appuyant toujours sur une parité avec le franc suisse. En 2010, nous avons tenté à plusieurs reprises de négocier avec Dexia. Nous avons même proposé de rembourser le capital de 3,5 millions, mais, pour ce faire, il aurait fallu verser une pénalité de 4,7 millions ! Dexia nous a également proposé de regrouper les deux emprunts, soit un total de 8 millions, mais remplacer une dette de 3,5 millions par une dette de 8 millions à 3,5 % était impossible. Sans parler de malhonnêteté, l’opération a mis en route une machine infernale, qui a peut-être échappé à nos interlocuteurs. Je ne sais pas si les communes en difficulté se comptent en centaines ou en milliers, mais il est évident que leur nombre est élevé.
M. le président. « TOFIX » était le nom de l’emprunt qui vous était proposé ?
M. Jean Fernandez. Le nom exact était « TOFIX DUAL ».
M. le rapporteur. C’est limite !
M. le président. Beaucoup d’emprunts portaient un nom alléchant, quand leurs conditions ne l’étaient guère.
M. Xavier Martin-Le Chevalier, maire de Trégastel (Côtes d’Armor). Trégastel est une petite commune, qui regroupe 2 400 habitants en temps normal et environ 11 000 pendant l’été. En 2007, quand les prêts ont été renégociés, elle était surendettée. La dette, dont le service représente actuellement 7,5 % du budget principal, déduction faite des budgets annexes, s’élevait à près de 10 millions. Elle était étalée sur seize ans, et souscrite principalement auprès de Dexia. Le 28 février 2007, ses représentants ont proposé à mon prédécesseur, pour diminuer ces annuités trop fortes, de renégocier le stock de 8 millions, réparti entre cinq emprunts à 4,5 %, en souscrivant deux prêts structurés d’environ 4 millions chacun. Le premier, TOFIX euro/GBP CMS 10 ans, et le second, qui court sur vingt-deux ans, un TOFIX DUAL euro/franc suisse, dont une partie est en taux fixe et l’autre, malgré son nom, en taux variable. Alors même qu’il ne s’agit absolument pas d’un taux fixe, le mot apparaît huit fois dans un cas, neuf fois dans l’autre, sur les documents commerciaux. Le prêt qui nous pénalise le plus lourdement est le DUAL fondé sur une parité de 1,44 franc suisse pour un euro. À l’époque, les élus pensaient gagner 200 000 euros d’intérêt, en allongeant le prêt de seize à trente ans, pour un calcul à taux constant. Mais, alors qu’ils croyaient signer un rééchelonnement de la dette, Dexia – qui leur fournissait des documents rassurants et qui se présentait comme leur conseil – proposait en fait de refondre des prêts à taux fixe ou « capé » sur seize ans dans des emprunts structurés.
M. le rapporteur. La commune, qui connaissait des difficultés financières, avait besoin d’améliorer son ratio dette/autofinancement ?
M. Xavier Martin-Le Chevalier. Oui. Nous avons amélioré l’autofinancement, et nous avons financé l’extension de l’école pour 1 million d’euros, dont les travaux étaient déjà engagés. Pour nous, un point d’impôt représente 17 000 euros. Cette année, nous avons payé 290 000 euros d’intérêts supplémentaires. Dans l’hypothèse la pire, si l’on arrive l’an prochain à un euro pour un franc suisse – nous n’en étions pas loin cet été –, le montant des intérêts se monterait à 750 000 euros. Je ne peux ni monter un budget compte tenu d’une telle somme ni annoncer aux Trégastellois que leurs impôts augmenteront de 45 %.
M. le rapporteur. En théorie, vous devriez provisionner sur la base d’un taux d’un euro pour 1,2 franc suisse, selon le plus mauvais scénario que nous ayons connu – pour l’instant !
M. Xavier Martin-Le Chevalier. En finance internationale, ce qui est valable au jour J ne l’est plus le lendemain ! Pour le premier prêt, nous avons déjà provisionné 300 000 euros pour 2011, mais, quand nous faisons le budget, nous ne connaissons pas encore le taux d’intérêt, que nous découvrons le 15 juin. Le taux du second prêt, fondé sur la livre sterling, ne sera connu qu’au 1er décembre. Comment faire un budget dans ces conditions ?
M. le rapporteur. En majorant l’estimation, par exemple en retenant un ratio à 1,2.
M. Xavier Martin-Le Chevalier. Ce n’est possible que pour le premier taux. Nous provisionnons, bien entendu. Autant dire que nous ne pouvons rien faire pendant l’année. Cependant, si nous nous retrouvons en décembre avec des provisions trop importantes, la chambre régionale des comptes pourrait nous en demander la raison.
M. le rapporteur. Si vous ne le faites pas, vous faites un budget insincère.
M. Xavier Martin-Le Chevalier. C’est toute la difficulté.
M. le président. De quel personnel communal disposez-vous pour gérer votre budget ?
M. Xavier Martin-Le Chevalier. J’ai une seule personne, en plus de mon secrétaire général.
M. le président. À quelle catégorie appartient-elle ?
M. Xavier Martin-Le Chevalier. C’est un rédacteur, qui appartient au cadre B.
M. le président. Le rapporteur a raison : vous pouvez faire le calcul sur 1,2. Avez-vous consulté, pour les prochaines années, la projection du fixing concernant la parité euro/franc suisse ?
M. Xavier Martin-Le Chevalier. Nous restons sur une tendance à 1,2. Pour le CMS GBP à dix ans, j’ignore son évolution, car je n’ai pas accès à Reuter.
M. Philippe Verrier, maire de la communauté de communes du bocage d’Athis-de-l’Orne. Je n’étais pas élu, il y a trois ans et demi, et je ne préside la communauté de communes que depuis six mois, le prêt de Dexia ayant eu raison de la bonne volonté de la présidente précédente, qui a démissionné en mars. Depuis cette date, j’ai pris l’affaire à bras-le-corps, et je tente de construire pour 2012 le premier budget que j’aie jamais fait.
Dexia n’a pas démarché les élus de la communauté de communes d’Athis-de-l’Orne. Ce sont eux qui lui ont demandé de leur faire une proposition. Un emprunt de 3,8 millions euros souscrit pour vingt-cinq ans à un taux de 4,85 % constituait plus de 50 % de la dette de la collectivité, qui était en réseau d’alerte. En 2007, il a été remplacé par un nouveau prêt – TOFIX DUAL – sur trente ans, à 3,39 % pendant les cinq premières et les cinq dernières années, le taux des vingt années intermédiaires variant en fonction de la parité euro/franc suisse. Ce taux actif prend effet au 1er avril 2012. Depuis mars, je suis tous les jours la parité des deux monnaies, qui est descendue à 1,026 au mois d’août, ce qui aurait généré pour nous des intérêts supplémentaires de 700 000 euros. Comment trouver une telle somme sur le budget d’une communauté de communes déjà endettée ?
Ma première démarche d’élu a été de rencontrer les dirigeants régionaux de Dexia, qui m’ont proposé de racheter le prêt de 3,4 millions en versant une pénalité de 6,08 millions. Il fallait être hardi pour nommer « proposition » une offre aussi peu acceptable ! Nous nous orientons actuellement vers une proposition de gel des taux sur une année, ce qui ne signifie pas qu’on gèlerait le taux d’intérêt à son niveau actuel de 3,39 %, mais qu’il passerait à 6,65 %, à condition d’allonger de deux ans un prêt qui court déjà sur trente ans.
M. Daniel Boisserie. Monsieur Coigné, vous étiez maire quand le prêt a été contracté. Étiez-vous assisté d’un directeur général des services et d’un trésorier, ou bien une délégation générale vous permettait-elle de prendre la décision directement ? Par ailleurs, Dexia s’est-elle servie de sa mission officielle de conseil pour inciter la commune à faire de mauvaises affaires ? L’affichage d’un taux fixe, sur lequel vous avez tous insisté, ne constitue-t-il pas une tromperie ? Enfin, comment le contrôle de légalité a-t-il pu accepter que vous contractiez un engagement vous interdisant de présenter un budget sincère, faute de pouvoir calculer le montant des remboursements ?
M. Serge Janquin. Confiance et tromperie sont au cœur du dossier. Le dialogue entre les parties semble avoir été faussé par un déséquilibre d’information et une maîtrise inégale des modèles économiques. Les élus avaient-ils compris que le Crédit local de France, établissement public qui, tout en ménageant son intérêt, se comportait envers les collectivités en bon père de famille, s’était transformé en Dexia, banque hybride, binationale, recherchant le profit dans les pires conditions pour les collectivités ? Celles-ci savaient-elles qu’elles s’adressaient non plus à un conseil mais à un prédateur ? Vos collaborateurs et vous-mêmes étiez-vous préparés à de telles négociations ? Avez-vous reçu des conseils ou recommandations de la part de l’État ? Faut-il davantage encadrer pour éviter que les collectivités, qui ont besoin de stabilité, soient assurées de recevoir un service de qualité ? En économie politique, la confiance compte plus que les calculs. Comment la rétablir entre les collectivités, qui auront encore besoin de financements, et leurs pourvoyeurs de ressources ?
M. Marc Francina. Aviez-vous signé des accords précisant que Dexia vous fournissait une activité de conseil ? Celle-ci faisait-elle l’objet d’un contrat spécifique, indépendant du contrat de prêt ? Quant au franc suisse, les élus de ma région, qui est frontalière, savent tous qu’il est passé de 0,13 euro en 1970 à 1,20 euro aujourd’hui. Et encore ! La Banque nationale suisse achète tous les jours de l’euro, ce qu’elle ne pourra pas faire pendant vingt ans. Peu importe que le taux de votre emprunt soit fixe, si l’évolution du franc suisse peut le faire varier. Le tableau sur la stabilité du franc suisse par rapport au yen ou au dollar, qu’on vous a présenté en 2005, ne retraçait sans doute pas son évolution sur dix ans, car il n’a jamais cessé d’augmenter pendant cette période.
M. Dominique Baert. Le fait que M. Coigné ait signé – comme l’a fait, à la même époque, le maire de ma commune – une convention de conseil en bonne et due forme change la donne sur le plan juridique. Dès lors que la banque s’engageait à « accompagner durablement la commune pour s’afficher dans un partenariat étroit », ne devait-elle pas expliciter les avantages et les inconvénients du dispositif qu’elle proposait ? D’autres élus, parmi vous, ont-ils signé une convention de conseil ?
La renégociation est un enjeu majeur, dont le cœur est l’indemnité de remboursement anticipé (IRA), d’autant plus élevée que le prêt est récent, qui se rajoute au stock de dette, rendant la situation intenable. Je propose d’interdire les IRA, en cas de renégociation des emprunts structurés. Le caractère exceptionnel des circonstances justifie une telle mesure, dont je conviens qu’elle remet en cause le droit des contrats antérieurs. Aucune renégociation n’est possible, si l’on ne modifie pas ce point.
Enfin, ne faut-il pas prendre dans la loi de finances, avant donc le rapport de la Commission, une disposition pour plafonner le taux maximal, par exemple le double des obligations d’État à dix ans, en cas de renégociation du taux d’intérêt ? Je comprends que, face à un taux de 15 ou 20 %, on croie limiter le risque en signant à 8 ou 10 %, mais le taux de renégociation des emprunts conclus à telle période sur des index structurés ne doit-il pas être bordé ?
Mme Valérie Fourneyron. Que les élus des petites communes se rassurent : la possibilité de nouer des relations de confiance avec les banques ne tient pas à l’importance des collaborateurs qui nous entourent ! Avez-vous pris des conseils juridiques avant d’engager des procédures contentieuses ? D’autres banques que Dexia ont-elles joué auprès de vous le double rôle de conseiller et de prêteur ? Sur quoi le contrôle de légalité a-t-il porté, lors de la souscription des emprunts ? S’exerce-t-il aujourd’hui, où l’on pourrait vous reprocher de présenter un budget insincère si vous ne provisionnez pas les sommes à payer ? Enfin, depuis que vous vous démenez pour tenter d’en sortir, les services de l’État vous ont-ils accompagnés ? Vont-ils vous imposer de payer ce qu’ils n’ont pas empêché ?
M. Jean-Louis Gagnaire. En matière de prêts, je salue le degré d’expertise des maires. Si la validation des acquis de l’expérience n’est pas un vain mot, ils ont devant eux un grand avenir professionnel dans ce domaine ! La banque Dexia s’est rendue coupable d’un abus de faiblesse en profitant des collectivités auprès desquelles elle était censée jouer le rôle de conseil. En tout cas, ce n’est pas à cause des collectivités qu’elle est en difficulté. Si elle disparaît, c’est donc manifestement à cause d’une mauvaise gestion. Faut-il interdire ou plafonner les indemnités de remboursement anticipé, en fonction de la part du nominal restant à rembourser ? Faut-il mettre en place une structure de défaisance ? Sous quelle forme ? Peut-on remonter les dettes pourries des collectivités et prévoir une garantie de l’État pour faire baisser les taux ? Pour parer aux urgences, de quel type de conseil avez-vous besoin ? Quel concours l’État peut-il vous apporter, puisqu’il est sûrement difficile de trouver à proximité de vos communes un expert ou un avocat apte à faire avancer votre cause ?
M. Patrice Calméjane. Pour la petite histoire, je rappelle que l’emprunt Pinay était à taux variable. Un banquier est un commerçant comme un autre, à ceci près qu’il fait le commerce de l’argent. Dès lors, sachant que l’inflation varie toujours sur une période, comment aurait-il promis des taux fixes sur trente ans, sans rattraper cet avantage d’une manière ou d’une autre ? J’ai déjà posé la question aux représentants de l’État, préfets ou trésoriers payeurs généraux, que nous avons reçus récemment. Quand on souscrit un prêt, il faut avant tout s’interroger sur l’intérêt de la banque.
L’argent emprunté a-t-il été investi ? Avez-vous identifié à long terme les besoins de financement réels de vos collectivités ? Les associations locales de maires vous ont-elles conseillés ? Avez-vous abordé le sujet avec d’autres maires ? Au cours des dernières années, vos communes ou communautés de communes ont-elles été contrôlées par la chambre régionale de comptes ? Celle-ci a-t-elle détecté la situation financière particulière de vos collectivités et vous a-t-elle alertés ?
M. le président. À les entendre, certains établissements bancaires n’ont proposé ces produits qu’à des collectivités qui avaient les moyens de les piloter. Votre témoignage montre ce qu’il en est. Avez-vous eu l’impression en relisant les contrats que la symétrie d’information, nécessaire à la confiance, était assurée ? Enfin, faut-il interdire les produits C3, C4 ou C5 de la charte Gissler ?
M. le rapporteur. La voie judiciaire dans laquelle vous vous engagez serait catastrophique si le premier perdait, car son cas fera jurisprudence. Dès lors que le même acteur était à la fois banquier et conseil, auquel des deux vous en prenez-vous ? Vous a-t-on fourni des informations tronquées, erronées ou mensongères, comme lorsqu’on nomme TOFIX un produit soumis à des variations ? Au reste, il arrive que la parité entre deux monnaies soit stable sur le long terme, si l’avantage constaté à une période se compense à un autre moment. J’insiste enfin sur un point : quand vous engagez en justice une procédure portant sur des montants précis, la loi vous oblige à les provisionner dans votre budget pour ne pas courir l’accusation de présenter un budget insincère.
M. Philippe Verrier. Pour l’instant, nous n’avons pas engagé de procédure contre Dexia, par crainte de couper le dialogue. Nous préférons négocier année par année, en espérant devoir le faire le moins longtemps possible. La communauté de communes était en réseau d’alerte, mais, quand le prêt à taux fixe de vingt-cinq ans a été remplacé par un prêt sur trente ans, dont vingt à un taux aléatoire, l’opération a passé sans difficulté de contrôle de légalité. En tant que néophyte, je considère que la loi devrait interdire aux collectivités de s’endetter à des taux autres que fixes.
M. Xavier Martin-Le Chevalier. Si nous n’avons jamais signé de contrat de conseil, Dexia nous propose, depuis qu’il existe des produits structurés, des chartes de partenariat. Je ne les signerai pas tant que je n’aurai aucun retour sur la demande de restructuration des prêts que j’ai adressée il y a trois ans. Les seules propositions que j’ai reçues sont équivalentes. Classées 4E, elles se contentent de remplacer le DUAL franc suisse par son équivalent, FIXIA, en dollar.
M. le président. L’emprunt s’appelle FIXIA ?
M. Xavier Martin-Le Chevalier. Oui ! Et les termes « taux fixe » apparaissent neuf fois sur le document : « taux fixe… taux fixe MS sur trente ans… Première phase de trois ans : taux fixe de 3,75 %... Deuxième phase de vingt-deux ans : taux fixe de 3,75 %… Arbitrage temporaire vers un taux fixe de 5,25 %… Troisième phase : taux fixe Euribor… Un produit du marché long terme à taux fixe, à des conditions de taux fixe décoté, et avec, en contrepartie, un passage temporaire sur un taux fixe à risque progressif. » Il s’agit en fait de taux variables.
M. le président. Vous nous laisserez le document que vous venez de lire.
M. Xavier Martin-Le Chevalier. Sur les conseils de notre avocat parisien, j’ai entamé une procédure pour défaut de conseil, mais surtout pour tromperie. Mon prédécesseur n’avait pas les moyens de connaître les risques qu’il prenait en souscrivant ce crédit.
À mon entrée en fonction, en 2008, j’ai alerté le TPG et le préfet sur les finances de la commune. Celle-ci étant surendettée, elle était en réseau d’alerte. La seule réponse des services de l’État a été que je ne pouvais pas prétendre à la dotation globale d’équipement (DGE). Samedi, le sous-préfet m’a demandé de lui transmettre le dossier. Il y a un an et demi, j’ai appris de manière indirecte que le TPG et le préfet avaient demandé à tous les trésoriers des Côtes-d’Armor la liste des communes ayant souscrit des emprunts toxiques, mais je n’ai eu aucun contact avec eux, et personne ne m’a proposé de l’aide.
La structure de défaisance peut être dans un second temps un outil intéressant, mais, dès lors que nous attaquons la banque pour tromperie, c’est l’annulation que nous demandons.
Depuis un mois, afin de provisionner les montants requis pour présenter un budget sincère, je supprime les emplois saisonniers pour l’année prochaine. Je ne renouvellerai pas la bibliothécaire. Je crains de ne pas pouvoir remplacer le policier municipal qui part en retraite, ce qui créera l’été prochain une situation sera très difficile. J’examine tous les dossiers article par article, dans le but de supprimer les dépenses qui ne sont pas incompressibles.
M. Jean Fernandez. Notre situation est un peu différente, puisque nous avons pu provisionner les 525 000 euros demandés cette année, mais, en l’absence d’aide de l’État, nous nageons seuls. La première audience de notre procès s’est tenue le 3 octobre au tribunal de grande instance de Nanterre ; la prochaine est fixée au 21 novembre. Le conseil municipal n’ayant pour l’heure pas d’autre choix que de prendre acte des prêts contractés, il me semble indispensable d’encadrer les responsables des collectivités. À cette fin, j’ai mis en place dans ma municipalité une commission des finances qui examine toutes les propositions. Pour ma part, je ne connais pas la méthode de calcul des intérêts à verser, dont le montant semble changer tous les jours. Je vous propose d’écouter la personne qui m’a aidé dans ce travail.
Mme Eliane Thierry, conseiller de la nouvelle équipe municipale pour la renégociation des emprunts toxiques. Actuellement à la retraite, je connais les systèmes de financement pour avoir travaillé dans une banque. C’est pourquoi, il y a deux ans, Jean Fernandez m’a demandé de l’aider dans ce dossier que nous avons décidé de porter devant les tribunaux. Pour éviter à la commune d’engager des frais importants en début de procédure, nous avons négocié un partage avec l’avocat en cas de succès.
Contrairement au Crédit agricole ou à d’autres établissements, Dexia n’est pas une banque de dépôt. Empruntant elle-même à taux variable, elle peut difficilement offrir des taux fixes. Si elle en a proposé, en période de baisse des taux, c’est en pensant se refinancer ensuite à taux plus bas. Quand elle n’a plus pu le faire, en 2007 et 2008, les prêts structurés sont arrivés car Dexia a envoyé des commerciaux dans les communes, notamment à Saint-Cast, pour transformer les prêts à taux fixe en prêts à taux variable. Ayant elle-même prêté à long terme et à taux fixe, elle était dans une situation infernale. Lors du changement de présidence, en 2008, elle n’avait devant elle que cinq jours de trésorerie. Soit elle avouait qu’elle n’avait plus de financement, soit elle manipulait les communes, particulièrement les plus faibles, pour les amener à substituer au taux fixe un taux variable.
Il y a effectivement eu tromperie, puisque l’appellation de taux fixe était appliquée à tort à des taux indexés sur des devises qui n’avaient aucun lien avec l’activité des communes. Quant à savoir s’il faut prévoir des taux fixes ou imposer un plafond, je considère, en tant qu’ancienne banquière, que tout établissement qui propose un taux à prêt variable devrait obliger le souscripteur à contracter une assurance – un complément d’assurance crédit public (CAP) – garantissant que, même si le taux monte, il ne dépassera pas un certain niveau.
M. le président. En vous écoutant, on comprend pourquoi nos amis belges considèrent que l’argent déposé dans la filiale belge a servi à financer les collectivités locales françaises. Vous avez rappelé l’époque où il ne restait en caisse que cinq jours de trésorerie. Pour comprendre ses difficultés actuelles, il suffit de convertir en nombre de jours de trésorerie les 517 milliards qui figurent à son bilan.
M. Christophe Faverjon. Quand nous établissons un budget primitif, avant mars, il nous est impossible d’anticiper une dépense dont le montant nous sera signifié en septembre. L’an dernier, à Unieux, nous avons dégagé en épargne nette 500 000 euros, quand il en aurait fallu 800 000 pour faire face au supplément d’intérêts ! Dès lors que le système de change flottant varie chaque jour en fonction des intervenants du marché, ce qui exclut les taux planchers et les valeurs plafonds, les collectivités sont incapables de déterminer les sommes à provisionner.
Avant tout, nous souhaitons négocier avec Dexia, ce qui n’a pas été possible depuis deux ans. La situation semble évoluer depuis quelques semaines. L’assignation serait pour nous une extrémité. Nous pourrions cependant la fonder sur trois motifs.
Le premier serait le défaut de conseil. À Unieux, il n’existe qu’un responsable des finances communales, compétent en matière de comptabilité, mais non de marchés financiers. La banque n’a pas joué son rôle en proposant un produit toxique à notre commune.
Par ailleurs, les contrats proposés par la Caisse d’épargne et par Dexia présentent un vice, au sens où ils ne contiennent ni le montant de la pénalité en cas de remboursement anticipé ni la formule qui permet de la calculer. Interrogée à ce sujet, la banque ne peut que nous fournir qu’un montant, qui varie selon les périodes. Il y a quelques mois, il se montait à plus de 7 millions pour un prêt de 4 millions. D’autre part, la formule de calcul du prêt TOFIX DUAL euro/franc suisse se prête à une lecture contradictoire. Il est dit que le calcul du taux d’intérêt résulte du taux de variation de l’euro par rapport au franc suisse, puis qu’il se fonde sur un coefficient multiplicateur, ce qui accroît l’amplitude des variations.
Le troisième élément pouvant justifier un recours tient au fait que le maire d’Unieux qui a signé le contrat n’avait pas la capacité juridique de le faire, le conseil municipal n’ayant à aucun moment délibéré sur le montant de l’emprunt. On relève à cet égard une triple faute : Dexia aurait dû s’assurer que le maire disposait de la capacité juridique de contracter l’emprunt, la commune d’Unieux aurait dû la lui donner, et le contrôle de légalité aurait dû vérifier que le maire avait été dûment habilité.
Nos collectivités sont face à une situation dramatique. Aucun d’entre nous ne décidera d’augmenter massivement la fiscalité locale ou de réduire des pans entiers du service public, si utiles en temps de crise. Parce que nous ne sortirons pas des discussions bilatérales avec les banques, l’État doit intervenir. La meilleure solution est de prévoir une structure de défaisance, pour aider les collectivités à se dessaisir des emprunts toxiques et à souscrire des emprunts à taux fixe dont la visibilité soit garantie. Que les banques qui ont proposé ces produits en assument le coût ! À court terme, c’est la meilleure solution. Pour l’avenir, il faut réglementer les crédits accessibles aux collectivités, en excluant les crédits spéculatifs. M. Calméjane l’a rappelé : la logique financière des banques privées étant de réaliser des profits, seul un pôle bancaire public peut offrir aux communes un crédit sélectif bon marché, qui permettra de répondre aux besoins des citoyens et de renforcer le rôle des services publics.
M. Christian Coigné. Nous avons signé en 2006 avec Dexia une convention officielle de partenariat pour « favoriser l’investissement et le développement durable dans un contexte de maîtrise des frais de fonctionnement et de prélèvement. » Je la cite : « Cette analyse et ce suivi s’effectueront chaque année à l’occasion de plusieurs rendez-vous. En début d’année, une réunion sera organisée avec la ville de Sassenage et Dexia afin de définir les objectifs que se fixe la ville de Sassenage pour la gestion de la dette. » Malgré cette convention, nous n’avons jamais été alertés sur les risques auxquels nous exposaient nos emprunts et n’avons jamais rencontré Dexia autrement qu’à notre initiative, alors même que Dexia local devait, aux termes du contrat, assurer « un suivi des marchés financiers, afin d’aider la ville de Sassenage à atteindre ses objectifs. ». Il y a donc eu défaut de conseil.
Le contrat que nous avons signé pour lisser la dette comprend une courbe précise accompagnée de ce commentaire : « La valeur de 1,44 franc suisse pour un euro n’a jamais été atteinte, même lors des attentats du 11 septembre 2001. La Banque nationale suisse conduit une politique durable de stabilité du change du franc suisse contre l’euro. Son objectif est le maintien du cours de change à 1,55 franc suisse pour un euro. La Suisse a comme premier partenaire commercial la zone euro. Son économie est donc fortement dépendante d’une parité de change favorable aux exportations. Le franc suisse est une valeur refuge. Les fortes tensions géopolitiques liées à l’Iran n’ont pas affecté le franc suisse ». La suite du document évoque la mise en place d’un taux fixe. Considérant qu’il y a tromperie dans les deux contrats, nous nous sommes entourés d’un expert juridique et d’un expert technique, pour envisager la possibilité d’un recours.
J’ai consulté le préfet pour savoir comment s’exercerait le contrôle de légalité, dès lors que, cette année, nous n’avions pas provisionné le surplus correspondant aux intérêts. Il m’a répondu que, le cas échéant, il ordonnerait un prélèvement d’office. On m’a conseillé de renégocier avec Dexia, et de remonter de l’échelon régional au niveau national, ce que je n’ai pas pu obtenir. La seule proposition que j’aie reçue visait à allonger l’emprunt de deux ans, en passant à un taux fixe de 8,2 %, après versement d’une indemnité de 9,8 millions.
Les contrats des banques doivent être plus lisibles, sincères et honnêtes, et leur contenu devrait être préalablement validé par l’Autorité des marchés financiers, peut-être avec l’aide de l’Association des maires de France, selon la procédure en vigueur pour l’information donnée aux particuliers par les sociétés cotées. Les banques doivent fournir des simulations extrêmes, notamment des tests de sensibilité, ce qu’elles ne font pas aujourd’hui. Enfin, il faut créer une instance de conseil en gestion de dette, composée de représentants détachés de la Caisse des dépôts et consignations, des anciennes missions d’expertise économique et financière du Trésor public et de fonctionnaires des autres fonctions publiques.
Aujourd’hui, la confiance est perdue. Pour nous financer, allons-nous nous tourner vers l’État, vers des conseils indépendants ou vers d’autres banques ? Pour l’instant, nous nous enfonçons, faute de pouvoir payer, et nous cherchons tous les moyens de nous en sortir. L’expertise dont nous devons faire preuve augmente sans cesse. Quand j’ai pris la mairie, en 2001, nous étions sous contrôle de la tutelle. J’en suis sorti en 2006, au prix de beaucoup d’efforts, et voilà que nous retombons dans les difficultés. Je gère une commune de 11 000 habitants avec quelques cadres. Tous étaient favorables, à l’époque, à la signature du contrat, et nul n’éprouvait le moindre doute. Le maire d’une commune voisine, qui présidait alors la Commission des finances à l’Assemblée nationale, a signé un contrat comparable tant pour sa commune que pour la communauté d’agglomération qu’il présidait. À qui pourrons-nous faire confiance, si une instance ne peut nous aider et interdire les dérives ? Les élus que nous sommes doivent, sans être techniciens, prendre des décisions importantes en termes de gestion. De ce fait, ils doivent pouvoir s’appuyer sur d’autres instances, notamment l’État. Je sais que les préfectures emploient des experts de la finance. Ceux-ci devraient pouvoir intervenir dans de tels dossiers, quitte à les bloquer, comme c’est le cas dans d’autres pays.
M. le président. En matière de compétence, les élus n’ont aucun complexe à avoir : lors de la dernière audition, un TPG nous a avoué qu’il n’avait reçu aucune formation pour ce type de produits.
M. Bernard Chesneau. Nous aussi, nous avons assigné la banque Dexia pour défaut de conseil – alors même que mon prédécesseur avait signé avec elle un contrat de conseil –, et pour non-validité du contrat, le maire de l’époque n’ayant pas autorité pour signer un contrat de plus de 1,5 million, qui, de ce fait, n’aurait pas dû passer le contrôle de légalité. Cela dit, nous aurions préféré négocier.
Il va de soi qu’une vieille dame aurait signé le même contrat que nous, la justice se serait portée à son secours. Quel que soit le niveau remarquable des employés de l’État à la préfecture de Loire atlantique, qui nous ont aidés, le premier avocat de Dexia a tout de même été l’État – notamment par la voix de M. Gissler, que j’ai eu plusieurs fois au téléphone – qui nous a toujours poussés à négocier. Mais, dans une discussion, il faut être deux. La commune de Thouaré était prête à faire un pas, sachant que l’opération ne pouvait être neutre, mais l’indemnité de remboursement constitue une barrière infranchissable. De plus, il faut que la personne avec qui l’on négocie ait la main sur les produits, ce qui n’était pas le cas avec Dexia. Dès lors, il ne sert à rien de discuter. Il faut passer à une autre échelle. Sans doute l’État pèsera-t-il plus que nous sur les banques. Le problème est l’absence non de compétence, mais de décideur. Puisque nos interlocuteurs de Dexia nous disent être soumis aux mêmes pressions que nous, négocier revient à reculer pour mieux sauter.
Comment présenter un budget sincère quand on annonce qu’on va geler un coupon pendant deux ans, sans pouvoir préjuger de ce qui se passera dans trois ou quatre ans ? Cela revient à repousser la charge sur les nouvelles générations et les futurs élus. Si nous acceptons de porter une part de la peine, il est impossible de l’assumer en totalité. Dans une négociation, il faut toujours proposer quelque chose. Dexia ne l’a jamais fait. La structure de défaisance paraît la seule solution, pourvu qu’on prévoie différentes strates de traitement. Je rappelle que, dans ma commune, un point de fiscalité représente 35 000 euros, contre 17 000 ailleurs. Si le préfet nous impose de payer, je lui donnerai les clés de la commune. L’État n’aura qu’à faire lui-même ce qu’il nous impose.
Mme Anne Auffret. La situation de notre commune est moins dramatique, mais je me garderai bien d’imiter la personne qui, en tombant du vingtième étage, répète à chaque niveau pour se rassurer : « Pour l’instant, tout va bien. » L’encours de notre dette est moins élevé. Nous avons été informés par la chambre régionale des comptes du fait les prêts structurés atteignaient environ 60 % de notre endettement. Nous avons réagi en signant un contrat de conseil avec Finance active, société spécialisée, reconnue pour l’assistance qu’elle apporte aux collectivités territoriales. Nous avons également missionné le cabinet Michel Klopfer, pour qu’il procède à une analyse rétrospective et prospective de nos finances.
M. le rapporteur. Comment se comportent les préfets quand vous entamez une procédure ? Avez-vous l’impression que celle-ci prend un caractère suspensif, qui vous dispense de provisionner les sommes, comme le prescrit la loi, ou déclenche-t-elle au contraire le mécanisme de provision ?
M. Christophe Faverjon. Je n’entretiens pas les mêmes rapports que mes collègues avec les représentants locaux de l’État. D’entrée, nous avons informé le préfet de notre décision de fixer l’été dernier, de manière unilatérale, un taux à 3,9 %, et d’assigner Dexia. Il a été à l’écoute, et s’est engagé à ne pas inscrire le supplément éventuel d’intérêts en dépense obligatoire, puisque nous avions engagé une procédure jetant un doute sur la légalité du contrat. Cette position compréhensive a été confirmée. Dans le budget primitif, nous avons voté sur une ligne spécifique le montant des intérêts calculés à 3,9 %, qui a passé le contrôle de légalité.
M. Christian Coigné. Dès lors que les préfets représentent l’État, ils devraient tous adopter la même position, ce qui permettrait de trouver des solutions. Le nôtre a refusé catégoriquement de discuter. Nous n’avons pas provisionné l’augmentation des intérêts en 2011 : nous ne savons pas comment payer.
M. le président. Madame Auffret, tant qu’une commune est dans la période de taux bonifiée, elle ne s’inquiète pas, mais nombre d’élus auront bientôt une mauvaise surprise.
M. Christian Coigné. La période de taux bonifiée commence pour nous le 15 décembre. Les experts de la préfecture nous ont dissuadés de regarder les taux tous les jours, en attendant cette date. Mais que ferons-nous alors, si nous ne pouvons pas payer ?
M. le président. Si vous consultez le fixing de Londres, vous connaîtrez déjà les projections pour décembre. Je le sais, pour être moi aussi concerné.
M. Jean Fernandez. Dans mon cas, le préfet n’est pas intervenu, alors même que nous connaissons depuis deux ans des taux majorés.
M. le président. Oui, mais vos moyens financiers vous permettent de payer… Je remercie chacun d’entre vous.
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Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème : « Le recours aux prêts structurés dans les hôpitaux » avec la participation de : M. Frédéric Boiron, président de l’Association des directeurs d’hôpital, M. André Bury, directeur du centre hospitalier de Saint-Dizier, M. Dominique Perrier, directeur du centre hospitalier de Decazeville, M. Philippe Collange, directeur du centre hospitalier spécialisé de Sevrey (Saône-et-Loire), M. Pierre-Charles Pons, directeur général du centre hospitalier régional universitaire de Dijon et M. André-Gwenaël Pors, directeur général du centre hospitalier d’Ajaccio
(Procès-verbal de la séance du mercredi 5 octobre 2011)
(Présidence de M. Claude Bartolone, président de la commission d’enquête)
M. Claude Bartolone, Président. Cette table ronde sera consacrée aux emprunts structurés souscrits par les établissements hospitaliers, sur lesquels la Cour des comptes a attiré l’attention dans son rapport public de 2009, consacré aux risques pris par les collectivités territoriales et les établissements publics en matière d’emprunts.
Nous accueillons donc M. Frédéric Boiron, président de l’Association des directeurs d’hôpital et directeur du CHU de Saint-Étienne ; M. André Bury, directeur du centre hospitalier de Saint-Dizier ; M. Dominique Perrier, directeur du centre hospitalier de Decazeville ; M. Philippe Collange, directeur du centre hospitalier spécialisé de Sevrey ; M. Pierre-Charles Pons, directeur général du centre hospitalier régional universitaire de Dijon ; et M. André-Gwenael Pors, directeur général du centre hospitalier d’Ajaccio.
MM. Frédéric Boiron, André Bury, Dominique Perrier, Philippe Collange, Pierre-Charles Pons, André-Gwenael Pors prêtent successivement serment.
M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Je voudrais avant tout comprendre comment les hôpitaux ont été amenés à souscrire des emprunts structurés. Qui a décidé ? Le conseil de surveillance ou les autorités de tutelle ont-ils été consultés ? Qui a négocié avec les banques ? Avez-vous fait appel à des conseils ? Qu’est-ce que ce type d’emprunt a « rapporté » à la gestion des hôpitaux ? Voilà toutes ces questions que je me pose en tant que président, depuis dix ans, du conseil d’administration d’un hôpital.
M. le président. Pourriez-vous préciser le montant de vos emprunts structurés ? Et la proportion qu’ils représentent dans l’endettement total ?
M. Frédéric Boiron, président de l’Association des directeurs d’hôpital. Le CHU de Saint-Étienne a un encours de dette de 297 millions d’euros, pour un budget de fonctionnement de 470 millions. Aujourd'hui, 55 % de l’endettement est à taux sécurisé, et 45 % est constitué de produits dits toxiques, soit 150 millions d’euros environ. Pour en sortir, il faudrait verser pratiquement 160 millions d’euros, ce qui n’est pas à notre portée. Ces emprunts ont tous été souscrits en quelques années auprès d’un seul établissement, Dexia, qui a fortement incité le CHU à s’engager dans cette voie.
Pourquoi avoir agi ainsi ? Pour plusieurs raisons, la première étant d’abaisser les charges financières à court terme à un moment où l’établissement finançait sa reconstruction, en quasi-totalité par emprunt. Plusieurs entités anciennes, voire vétustes, ont été regroupées sur un seul site, pour répondre aux besoins de l’ensemble de la Loire en matière de santé publique. Au moyen de ces crédits devenus toxiques et très préoccupants, le CHU a pu aplanir ses charges immédiatement, pour un montant que nous estimons à 10 ou 11 millions sur la période de bonification des taux, qu’il faut rapporter à ce qu’il faudrait payer pour sécuriser ces produits, ou au dérapage potentiel qui nous menace. D’ores et déjà, notre taux d’intérêt moyen progresse.
Le souci de minimiser les charges s’est combiné avec celui d’élargir les possibilités d’investir. Nous, directeurs d’hôpital, devons d’abord et avant tout nous préoccuper de mettre des soins à disposition de la population. Nous ne sommes pas des traders, nous sommes des femmes et des hommes de service public. Peut-être avons-nous aussi le tort de faire confiance aux partenaires qui ont une coloration « publique », ou qui la revendiquent. Les hospitaliers y sont sensibles, car ils sont attachés à certaines valeurs. Sans qu’il s’agisse de faire le procès de quiconque, certains partenaires financiers ont entretenu l’ambiguïté vis-à-vis des hôpitaux, et même de certaines collectivités.
Qui fait le choix de l’endettement ? Depuis 2005, c’est le directeur. Auparavant, la décision était soumise à une délibération du conseil d’administration. Aujourd'hui, cette compétence appartient au chef d’établissement, mais après une strate de contrôles et de vérifications, notamment par le biais de la procédure budgétaire. Le plan global de financement pluriannuel – le PGFP – retrace les stratégies d’endettement. Après, il remonte aux autorités sanitaires et il est transmis au Trésor. Si, juridiquement, c’est le chef d’établissement qui décide, c’est avec les instances de pilotage. Ensuite, les documents sont soumis à approbation formelle ou au contrôle de légalité a posteriori.
Avec un mois de recul – depuis ma nomination en tant que directeur général à Saint-Étienne –, il m’apparaît que la relation avec les banques est déséquilibrée, et je le dis aussi au nom de l’Association des directeurs d’hôpital. Les établissements bancaires ont des capacités d’expertise et d’ingénierie financières que nous n’avons pas, ni n’aurons jamais individuellement. Nous avons d’ailleurs du mal à imaginer que la capacité d’un hôpital à offrir des soins à la population puisse dépendre des choix d’un trader, qui, dans une salle des marchés fort éloignée, joue des sommes d’argent pour optimiser son profit à court terme. Nous sommes là très loin de nos valeurs. Il est donc indispensable que les hôpitaux s’associent des compétences. L’un des élus présents tout à l’heure a cité Finance Active, qui intervient beaucoup dans les hôpitaux. Si elle doit continuer, il faudrait s’assurer durablement qu’aucun actionnaire futur ne puisse peser sur ses choix, de façon à garantir l’indépendance de son conseil, a fortiori si elle doit, telle une agence de notation, apprécier nos décisions financières. Avec mon collègue du CHU de Dijon, nous pensons à la possibilité, quand se mettent en place des communautés de territoire, d’introduire dans les structures communes une cellule d’expertise financière pour mutualiser cette compétence, ce qui ne doit pas empêcher de faire appel à des cabinets extérieurs.
Pourquoi ces emprunts ont-ils été choisis ? Sans vouloir, ni pouvoir, parler à la place de mes prédécesseurs, il m’apparaît que ces décisions ont été prises en faisant, peut-être parfois imprudemment, le pari d’un gain financier. Il était une époque où tout le monde, y compris les autorités publiques, nous encourageait à financer nos investissements par emprunt. Le plan Hôpital 2007 en est un exemple. Il répondait à un incontestable besoin de modernisation, mais il incitait les gestionnaires à rechercher les meilleures solutions possibles à l’aune de la rentabilité immédiate, auprès d’établissements financiers qui vantaient avec aplomb la sécurité de leurs produits. C’est dans ce contexte que les choix ont été faits.
Mais, aujourd'hui, ce qui prouve une réactivité assez forte, 100 % des emprunts souscrits par les hôpitaux sont classés 1A, ou quasiment, c'est-à-dire sans risque, et très majoritairement à taux fixe. Ainsi, 80 % du stock de dette sont sains.
M. André Bury, directeur du centre hospitalier de Saint-Dizier. Le centre hospitalier de Saint-Dizier a reconstruit l’hôpital – bâtiments et équipements – pour un montant total de 100 millions d’euros, toutes dépenses confondues. Pour financer pareil investissement, l’établissement s’est endetté à hauteur de 60 millions d’euros environ, entre fin décembre 2006 et mars 2007, avec une consolidation de ses emprunts au 30 juin 2008. Par la suite, nous avons encore souscrit deux emprunts à taux fixe, de respectivement 3 millions et 2,1 millions, si bien que le total des emprunts est de 64 757 000 euros, la différence avec le montant de l’opération correspondant à de l’autofinancement.
Sur l’encours de 64 millions, 61,4 % sont des emprunts classés 1A ou 1B, 24,7 % 3E et 13,9 % 6F, c'est-à-dire hors charte Gissler. Les deux emprunts classés 3E sont respectivement de 9 millions et de 7 millions. Le premier, de 9 millions a été souscrit auprès de Dexia, sur trente ans. Il comprend trois périodes : les deux premières années à un taux fixe très avantageux – 2,99 % – alors qu’un taux fixe sur trente ans aurait coûté autour de 4 % ; les quinze années suivantes, le taux est indexé sur les CMS – swaps de maturité constante – à 1 an et à 30 ans. Tant que le CMS 1 an reste inférieur au CMS 30 ans, nous bénéficions du taux de 2,99 %. C’est toujours le cas aujourd'hui mais, au moment de la crise des subprimes, il y a eu 111 jours de dépassement, ce qui aurait signifié pour nous, si nous avions été dans cette phase de l’emprunt, un taux de 5,63 %, et le surcoût annuel pour 365 jours de dépassement aurait été de 225 000 euros, ce qui représente un risque modéré. Pour les treize dernières années, ce sera de nouveau le taux fixe de 2,99 %. Le second prêt, classé 3E, était de 7 millions d’euros, sur quinze ans, et a été consenti par la Caisse d’épargne. Après deux ans à taux fixe – 3,09 % –, la rémunération est indexée sur le CMS 10 ans et 1 an. À ce jour, nous en sommes toujours à 3,09 %. À supposer que l’écart entre le CMS 10 ans et le CMS 2 ans atteigne 0,2 point, le taux serait de 7,5 %. Ainsi, sur la base du capital restant dû, soit environ 5,9 millions, le surcoût s’élèverait à 262 000 euros.
Enfin, l’emprunt classé 6F a été contracté auprès de la Caisse d’épargne. Il comporte deux périodes : la première à taux fixe – 3,05 % – sur quinze ans, c'est-à-dire jusqu’en 2023 ; la seconde à taux variable, en fonction de taux de change dollar/franc suisse. Si celui-ci tombe en dessous de 0,98 CHF, la formule, en retenant le cours le plus bas atteint le 10 août dernier, donnerait un taux de 20,17 %. Si l’on retient toutes les périodes où le taux de change a été inférieur à 0,98 depuis le 29 septembre 2010, date où le plancher a été crevé, le taux moyen sur la période eût été de 7,87 % au lieu de 3,05 %. Mais, pour l’instant, le taux est fixe jusqu’en 2023.
Nous avons panaché les différents types d’emprunt auprès de trois organismes bancaires pour limiter les risques sur une période donnée. Ainsi, jusqu’en 2023, nous ne sommes exposés que sur 24 % de l’encours. Ce n’est qu’ensuite que l’emprunt de 9 millions, classé 6F, portera un taux variable, étant entendu que le capital restant dû à ce moment ne sera plus que de 5,4 millions et que la dette actuelle aura diminué des deux tiers, ce qui se ressentira sur les intérêts. Aujourd'hui, nous payons 2 millions d’intérêts par an ; nous n’en serons plus, en 2023, qu’à 850 000 euros. Si nous devions alors acquitter un taux moyen de 7,9 %, le surcoût serait de l’ordre de 259 000 euros. Le panachage auquel nous avons procédé permet de lisser les risques.
Depuis ma prise de fonction en 2008, nous avons renégocié un prêt qui est passé de 3E à 1B. Renégocier actuellement l’emprunt toxique, indexé sur l’évolution du taux de change USD/CHF serait extrêmement difficile. Il faudra s’entourer des conseils avisés d’un analyste financier car, dans un établissement aussi petit que le nôtre, nous ne disposons pas en interne des ressources nécessaires. C’est pourquoi nous ne pouvons que souscrire à l’idée de mettre en place, au niveau régional ou autre, une cellule d’ingénierie partagée, d’autant que les services du Trésor n’étaient pas, à l’époque, très au fait des prêts structurés. Depuis, le personnel a été formé.
Pourquoi avoir eu recours à des emprunts structurés ? Comme le disait M. Boiron, nous étions dans une logique d’optimisation des frais financiers. Contracter un prêt à taux bonifié constituait un avantage à court terme.
La décision d’emprunter incombe, depuis 2005, au directeur qui en informe le directoire et le conseil de surveillance. La présentation du plan global de financement pluriannuel est l’occasion de préciser les montants, les taux et les durées, mais sans aller au-²delà. Il faut souligner l’asymétrie entre le prêteur et l’emprunteur qui ne dispose ni de la formation, ni de l’information nécessaire lors de la négociation ou de la renégociation. Le suivi des prêts structurés nécessite une veille quotidienne que nous ne sommes pas en mesure d’assurer. D’où la nécessité de mettre en place un dispositif de mutualisation des compétences pour pouvoir réagir rapidement.
Nous avons constitué des provisions au compte 158-4 « Autres provisions pour frais financiers », mais d’un montant modeste : 621 000 euros. Si tous les risques se réalisaient, elles ne suffiraient sans doute pas, ce qui nous amène au débat qui va nous occuper dans les années à venir, celui de la certification des comptes. Il va falloir s’entourer d’avis éclairés, que nous n’avons pas en interne.
M. Dominique Perrier, directeur du centre hospitalier de Decazeville. Les prêts structurés ont été souscrits par l’hôpital de Decazeville en 2007, dans le cadre d’une gestion active de la dette et le souci d’un retour à l’équilibre des comptes. Les deux prêts incriminés ont été renégociés en 2011.
Le premier, le plus préoccupant, est hors charte car il est indexé sur le taux de change euro/franc suisse. Au 31 décembre 2011, l’encours sera de 2,6 millions d’euros, soit 38 % de la dette de l’hôpital qui est de 6,9 millions. Le second, classé 3E selon la nomenclature Gissler, est indexé sur le CMS 30 ans et le CMS 2 ans.
Faute de solution, le premier emprunt devrait entraîner, à compter du 1er mars, un surcoût de 240 000 euros. Le second est assorti, jusqu’en 2013, d’un taux fixe de 4,47 % qui, pour l’instant, évolue bien. Nous envisageons cependant de le racheter, l’indemnité réclamée, de l’ordre de 300 000 euros, pouvant être financée. Cela nous ferait faire des économies en frais financiers parce qu’il nous est proposé un prêt de 3,60 %.
Ces prêts ont permis de réaliser, sur trois ans, des économies qui tournent autour de 85 000 euros, mais elles sont dérisoires eu égard au risque auquel nous expose l’indexation sur le cours de change euro/franc suisse.
Le processus de décision est le même qu’ailleurs. Dans un établissement de la taille de celui de Decazeville, il y a deux autres cadres de direction et le directeur s’occupe directement des questions financières. Nous n’avons pas fait appel à un conseil financier car nous considérions que la banque avait une mission de conseil. Je regrette qu’elle ne l’ait pas exercée entièrement et nous avons des documents qui présentent le produit sans décrire les risques assortis, et le vantent comme « bien fondé au niveau historique et porteur d’économies ».
Depuis, nous avons recours à un conseil financier, et pris l’attache d’un avocat pour étudier l’emprunt à taux indexé sur le cours du franc suisse. Nous avons aussi constitué dans le budget une provision pour risque de l’ordre de 350 000 euros.
La solution réside dans une mutualisation des compétences au niveau des communautés hospitalières de territoire, pour suppléer les banques dans leur rôle de conseil.
M. Philippe Collange, directeur du centre hospitalier spécialisé de Sevrey (Saône-et-Loire). L’hôpital de Sevrey est un établissement psychiatrique. Il a donc la particularité d’en être resté à un budget reposant sur la dotation globale de financement, c'est-à-dire qu’il n’a aucun moyen d’action sur ses recettes. La dotation annuelle qui nous est versée par l’Agence régionale de santé représente 90 % de nos ressources, et toute augmentation des taux d’intérêt déséquilibre immédiatement notre budget. L’Agence est notre seul recours.
L’encours de prêts est modeste – 6,6 millions – et comporte un emprunt de 2 550 000 euros, dit TOFIX DUAL dollar/franc suisse, qui a été proposé à mon prédécesseur en juin 2007. Il n’était pas destiné à construire un service nouveau – il aurait mieux valu car la situation serait sans doute moins problématique – mais à se substituer à un autre emprunt, OVERTEC celui-là. Il s’agissait d’une sorte d’opération de cavalerie. Le nouvel emprunt a eu le mérite d’offrir à court terme – comme toujours – une solution moins onéreuse et un allongement de la durée d’amortissement de quinze à vingt ans. L’hôpital est abrité dans des locaux qui ont quarante ans d’âge et, n’ayant que très peu investi, il dispose de ressources d’amortissement très faibles. Dès lors, réduire les annuités de remboursement avait l’avantage de donner un peu de marge.
Je n’étais pas là au moment des négociations, mais l’analyse des documents révèle une stratégie commerciale, s’apparentant à de la manipulation, puisqu’elle met en avant la sécurité pour mieux rassurer le client. Il s’agit tout au plus de lui donner le sentiment de devenir intelligent en invoquant des arguments de géopolitique qui le propulsent dans la sphère de la haute finance.
Avec Dexia, nous sommes dans une impasse totale. En mars 2009 – à l’époque, nous avions déjà recruté Finance Active –, nous avons eu un premier contact pour surveiller de très près le produit en question. À ma grande surprise, mes interlocuteurs ont convenu qu’il fallait le garder à l’œil et ils nous ont proposé, pour sécuriser les intérêts, de passer à un emprunt indexé sur le taux de change euro/franc suisse. Déjà, la conjoncture incitait à la méfiance. Et les deux dernières réunions que nous avons eues avec eux n’ont rien donné. Ils admettent eux-mêmes n’avoir que très peu à concéder même si nos demandes leur paraissent maintenant légitimes. Ils admettent que la situation n’est pas normale pour un acteur à vocation sociale, mais le constat n’y change rien. On nous propose de payer une soulte de 1,9 million d’euros alors que le capital restant dû est de 2,55 millions. C’est infaisable. En outre, on ne connaît pas le mode de calcul puisque, d’après le contrat, ce sont les établissements bancaires auxquels Dexia est lié qui en fixent le montant. C’est ainsi que l’indemnité est passée en quelques mois de 1,4 million à 1,9 million. La proposition alternative me paraît aussi sujette à caution : sécuriser deux ans avec, au lieu de 4,30 %, 6 % la première année et 8 et quelques la seconde ; et rallonger de deux ans la durée d’amortissement à l’EURIBOR 12 mois. Je suis réticent parce que je ne voudrais pas tomber dans un nouveau piège et enrichir Dexia, d’autant que notre nouveau conseil financier, Riskedge de Lyon, estime la commission de Dexia pour ce nouvel emprunt à 120 000 euros. En outre, allonger la durée de remboursement revient, en réduisant l’amortissement en capital, à prendre des risques plus longtemps sur des sommes plus importantes.
Ayant l’impression de ne pas être compris, j’ai fait une dernière demande : sortir définitivement de l’emprunt. Des représentants de Dexia au niveau national sont venus à Sevrey le 14 septembre. Ils nous ont proposé de geler le coupon 2011 au niveau de celui de 2010 et de signer une convention de sortie, c'est-à-dire une convention d’objectif et de moyens pour sortir de l’emprunt. Elle stipule que l’hôpital fixe le taux auquel il veut sortir et le traitement de la pénalité. Ensuite, Dexia s’engage à mettre tous les moyens en œuvre pendant la durée du contrat pour se conformer aux conditions de l’hôpital en fonction des conditions de marché. Nous ne signerons pas et nous leur avons envoyé ce matin une lettre les informant que les coupons resteront bloqués au taux de 5 et quelques pour cent. Sinon, nous irons en justice puisque nous n’avons pas d’autre moyen pour défendre nos intérêts.
L’hôpital de Sevrey est soumis à la même législation que les autres et le processus de décision est identique. Dès 2006, à cause de la dérive de l’emprunt OVERTEC, l’établissement était soumis à la procédure de budget administré, c'est-à-dire que le conseil d’administration avait refusé le budget qui était en déficit structurel de 1,8 million d’euros, et n’était bouclé que grâce à une enveloppe nationale du même montant. Dexia, qui disposait des comptes, savait dès le départ que la situation financière était totalement dégradée et que la décision qui a été prise n’était pas bonne.
Pour la suite, je suis d’accord avec une mutualisation à la fois des compétences et des moyens d’intervention, mais je penche surtout pour une interdiction claire, nette et précise de ce type d’emprunt, pour que la dette publique ne serve pas aux banques à spéculer.
M. Pierre-Charles Pons, directeur général du centre hospitalier régional universitaire de Dijon. La question fondamentale, M. le rapporteur l’a posée : pourquoi les hôpitaux ont-ils fait appel à des emprunts structurés ?
Avant de répondre, il faut se souvenir du contexte. Le plan Hôpital 2007 était indispensable pour relancer, après quinze ans de stagnation, l’investissement hospitalier. Dans mon établissement, il y avait encore des chambres à trois lits avec les toilettes sur le palier. Le financement reposait d’abord sur l’emprunt, avec des aides de l’État à la contractualisation versées par l’intermédiaire des agences régionales pour compenser l’impact des frais financiers, et sur des subventions à travers le Fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés – FMESPP. Mais il s’est tari peu à peu. Ne restait plus que l’emprunt.
Nous avons été nombreux à avoir en même temps des besoins importants. Et comme il n’y a en France que trois entreprises qui savent construire un hôpital en entreprise générale – Bouygues, Eiffage et Vinci –, les prix ont monté. Quand nous avons ouvert les plis, les offres affichaient entre 20 % et 25 % de plus que les sommes prévues initialement. En réalité, il n’y avait souvent qu’une seule offre ayant manifestement fait l’objet d’une étude technique approfondie, l’autre pouvant être qualifiée « de formelle ». Localement, pour faire baisser un peu l’addition, nous avons négocié une avance qui a exigé un appel de fonds important. Et c’est à ce moment-là que le CHRU de Dijon a contracté deux emprunts hors charte Gissler, pour un montant total de 75 millions d’euros. Leur montage correspondait bien à notre besoin du moment.
Le CHRU de Dijon avait, sur la période 2004-2012, un programme d’investissement de 400 millions d’euros destiné à construire un hôpital neuf regroupant les services de court séjour sur un site unique. La maternité a été rénovée, un plateau technique de biologie installé, ainsi qu’une plate-forme hospitalière d’approvisionnement et une stérilisation qui répond aux besoins non seulement du CHU mais aussi de l’ensemble des cliniques de Dijon. Nous avons donc été logiquement séduits par la perspective d’un taux d’intérêt de 1 %, valable jusqu’à l’année prochaine, d’autant que le retour sur investissement pour une opération aussi lourde n’est pas attendu avant cinq ans. Grâce à ces deux emprunts, et à un troisième qui est référencé dans la charte Gissler, nous aurons économisé entre 2007 et 2011 plus de 9,6 millions d’euros.
La décision était dans la main de la direction même si elle s’est entourée de conseil.
Au moment où sont apparus ces nouveaux emprunts, nous n’avions probablement pas les compétences en interne, mais, aujourd'hui, à Dijon, nous les avons. Il y a trois ans, nous avons recruté quelqu’un qui gère activement notre dette et exerce une veille continue sur les marchés financiers pour rechercher en permanence l’occasion de se désengager. Le capital initial des deux emprunts hors charte représentait 20 % de l’encours actuel, et 4 % aujourd'hui parce qu’ils ont été « désensibilisés » à hauteur de 60 millions. Il reste donc 15 millions de produits à risque sur un encours de 372 millions d'euros.
Je suis bien conscient que le CHU a pu agir ainsi parce qu’il était engagé dans un programme d’investissement important et qu’il était vraisemblablement plus attractif que d’autres aux yeux des établissements bancaires. En quelques mots, j’insiste sur le fait que nous avons toujours joué la concurrence en sollicitant systématiquement plusieurs organismes bancaires. Dexia a rempli sa fonction de conseil, au moins depuis deux ou trois ans, en nous aidant à nous désengager. Nous n’avons pas toujours accepté ses offres parce que, parfois, le remède était pire que le mal. Mais nos relations sont restées correctes.
En ce qui me concerne, je crois vain de vouloir désigner des coupables. La responsabilité est collective, même si les banquiers sont sans doute plus responsables que les autres. Pas plus que nous, les pouvoirs publics n’ont vu venir le danger. Les services du Trésor n’avaient sans doute pas non plus les compétences pour apprécier ces nouveaux produits.
Pour l’avenir, je reste attaché à l’autonomie de nos établissements. C’est à ce niveau qu’il faut chercher des solutions, en fixant des seuils ou en prenant en compte la situation de chaque établissement. Des erreurs ont été commises, j’en revendique ma part, mais, ce qui est important pour un hôpital comme celui que je dirige, c’est de pouvoir utiliser toute la palette des instruments financiers – taux fixe ou variable, et même structuré sous certaines conditions. En 2009 et 2010, les CHU ont fait appel au marché obligataire qui constitue une solution pourvu que ce type d’emprunt ne représente qu’une faible part de l’endettement. La solution réside, à mon avis, dans la variété des sources de financement, et dans celle des prêteurs. Aujourd'hui, le CHU de Dijon est endetté vis-à-vis d’une banque à hauteur de 140 millions. Trois autres banques nous ont prêté entre 87 millions et 58 millions chacune, et d’autres banques se partagent 20 millions. Hors charte, il reste 15,4 millions, soit 4,1 % de la dette.
M. André-Gwenaël Pors, directeur du centre hospitalier d’Ajaccio. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, l’hôpital d’Ajaccio que je dirige depuis dix-huit mois est un cas particulier. Depuis une vingtaine d’années, il caresse le projet de construire un nouvel hôpital, mais il est confronté à des difficultés financières particulièrement sérieuses.
Le budget d’exploitation est de 100 millions d’euros et il présente un déficit structurel, difficile à résorber, de 10 millions, ce qui pèse sur le fonds de roulement. Au bilan de l’hôpital, on trouve une dette de 50 millions, dont 78 % d’emprunts structurés, et 25 millions de dettes institutionnelles, c'est-à-dire de charges patronales – IRCANTEC, Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales… On peut donc parler d’un établissement surendetté, et même en cessation de paiement théorique depuis quatre ans, puisque, de toute façon, il n’a aucune capacité d’autofinancement. À partir de l’été, la trésorerie est nulle et nous devons recourir aux subventions de l’État–Fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés (FMESPP). N’ayant aucun moyen d’investir, l’hôpital recherche des subventions d’investissement. Bref, la situation est bloquée, sur le plan financier, mais aussi social car la motivation serait plus grande avec la perspective d’une reconstruction que les Ajacciens réclament depuis une vingtaine d’années.
La dette bancaire atteint aujourd'hui 50 millions, après avoir explosé entre 2001 et 2006, passant de 20,6 millions à 64 millions ; et ce, en l’absence d’investissement notable. Ces montants recouvrent une multitude de petits prêts dont l’objectif était de satisfaire le besoin de trésorerie. Des consolidations ont eu lieu à partir de 2006-2007, avec l’aide de Dexia et de la Caisse d’épargne, si bien que les prêts structurés ont représenté jusqu’à 84 % de la dette.
M’étant vu fixer deux objectifs – le redressement financier et la reconstruction, qui peuvent paraître antinomiques compte tenu de la quasi-faillite de l’hôpital –, l’une de mes premières tâches en arrivant, après la fin de l’administration provisoire, a été de m’atteler à la dette. Évidemment, il y avait eu des enquêtes et des études : de la chambre régionale des comptes en 2007, en particulier, de Finance Active qui travaille avec l’hôpital depuis plusieurs années, et surtout un rapport demandé par l’Agence régionale de l’hospitalisation en juin 2008. Pendant l’administration provisoire, une demande de subvention a été faite pour couvrir le risque que recèle la dette, à hauteur de 1,6 million, et elle a été obtenue.
Pendant cette phase, aucune renégociation n’a eu lieu. Aussi m’y suis-je mis dès février d’autant que deux échéances importantes se profilaient, l’une en avril et l’autre en mai, concernant deux emprunts hors charte Gissler contractés auprès de Dexia. J’ai demandé au ministère la nomination pendant quatre mois d’une collègue spécialiste des questions financières et bancaires qui était en recherche d’affectation, et au cabinet Klopfer de faire le diagnostic de la situation. Une fois rassemblés ces éléments, nous avons entamé la négociation pendant un mois, de fin février à fin mars. Mais, l’échéance arrivant et devant l’impossibilité de négocier avec Dexia – dont les propositions étaient insatisfaisantes –, je l’ai assigné. L’effet a été immédiat : le ministère de la santé m’a demandé de surseoir car la Direction de l’hospitalisation envisageait une négociation globale, dans laquelle entraient deux emprunts du centre hospitalier d’Ajaccio. Deux nouveaux contrats m’ont été proposés par Dexia début septembre : deux emprunts initialement de 3F et 6F se sont transformés en 1E et 2E – moins risqués – et un report de quinze ans supplémentaires de façon à réduire les annuités. J’ai signé et me suis désisté de la procédure contentieuse.
Au mois de septembre, j’ai mené une négociation avec la Caisse d’épargne, qui s’est montrée plus réceptive, sur 7 millions d’euros. De 6F, l’emprunt est passé à 1A, c'est-à-dire un taux fixe avec une pénalité de 800 000 euros. Aujourd'hui, l’encours de la dette du centre hospitalier est de 50 millions d’euros, dont 78 % d’emprunts structurés. Un seul d’entre eux est hors Gissler. Il est souscrit auprès de la Caisse d’épargne, et sa période variable commence l’année prochaine. Il va donc falloir à nouveau négocier.
Faire ou ne pas faire de la gestion active de la dette dans un hôpital ? J’en suis à ma troisième négociation. Au début de 1990, j’étais directeur financier du CHRU de Lille. À l’époque, j’avais mis en place une coordination régionale entre vingt-trois hôpitaux pour gérer et restructurer la dette. En face de nous, il y avait le Crédit local de France. La discussion n’avait pas abouti et je n’avais pas osé aller jusqu’au contentieux. En revanche, nous avons fait une défaisance avec Indosuez, qui nous a permis de nous sortir de nos difficultés en souscrivant un emprunt global du tour de table duquel le Crédit local de France avait été exclu. Dans un gros établissement, comme un CHU, il est possible et même souhaitable de laisser au directeur la capacité d’optimiser la dette, sous réserve qu’il ait les compétences en interne ou qu’il soit assisté d’un cabinet suffisamment indépendant – et ce n’est pas toujours facile – pour le conseiller utilement. En revanche, un établissement de taille moyenne ou réduite n’en a pas les moyens. Il faut alors trouver un partenaire bancaire fiable, et se limiter à des produits classiques, avec une faible part de taux variable.
Quant à l’avenir, je suis persuadé, à la lumière de mes expériences, que la notion de défaisance peut être utile pour certains hôpitaux. À Ajaccio, il est impensable de conserver une dette risquée jusqu’en 2045, d’autant que, si tout va bien, un nouvel hôpital sera construit en 2017. Il n’est pas possible de conserver une structure de dette aussi désastreuse. Il faut trouver une solution qui pourrait être a priori la défaisance.
Dans les cas où, comme à Ajaccio, le bilan est complètement déséquilibré, il faut se tourner vers l’État pour obtenir une recapitalisation. Devant les syndicats, je présente l’hôpital d’Ajaccio comme la Grèce des hôpitaux. Je ne peux pas imaginer continuer ainsi sachant que je n’ai aucun moyen de le redresser. Si on retient la piste budgétaire, l’amélioration ne pourra être qu’extrêmement lente : de 10 millions de déficit, je dois passer cette année à 8 millions. Situé dans un bassin enclavé, avec des équipements mal dimensionnés, l’établissement nécessite une restructuration totale.
M. le président. En somme, vous tous avez été contraints de faire avec ce qui vous était proposé compte tenu de vos besoins d’investissement respectifs. Ne pensez-vous pas qu’il vaudrait mie