N° 1772 - Rapport d'information de MM. Jean Glavany et Henri Plagnol déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des affaires étrangères "Afghanistan : un chemin pour la paix"




N° 1772

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 juin 2009.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

« Afghanistan : Un chemin pour la paix »

et présenté par

M. Jean GLAVANY

et

M. Henri PLAGNOL

Députés

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AVERTISSEMENT 7

INTRODUCTION 11

I – BATIR UN NOUVEAU CONSENSUS AUTOUR DES OBJECTIFS DE LA COALITION 15

A – DE LA VICTOIRE CONTRE LES TALIBAN AU RISQUE D’ENLISEMENT 15

1) Un front militaire initialement uni 15

2) Le risque d’enlisement dû à une présence prolongée : un consensus fragilisé 18

3) Une prise de conscience récente, et des efforts militaires accrus 20

B – LA CONSTRUCTION D’UN NOUVEAU CONSENSUS INTERNATIONAL AUTOUR D’OBJECTIFS MILITAIRES PLUS PRÉCIS 21

1) Un succès à confirmer : rendre impossible le retour au pouvoir des taliban 22

2) Poursuivre la lutte contre le terrorisme en Afghanistan 26

3) « Afghaniser » le conflit 28

4) L’action militaire au service du développement 31

Propositions 33

II – UN PROCESSUS DE RÉCONCILIATION NATIONALE QUI DÉPEND AUTANT DES AFGHANS QUE DES PAYS VOISINS 35

A – LE FAIT ETHNIQUE, FACTEUR D’UNE SOLUTION NATIONALE GARANTIE PAR UNE CONFÉRENCE INTERNATIONALE ? 36

1) Un Etat tampon indispensable à la stabilité de l’Asie du Sud et de l’Asie centrale 36

2) Bref rappel sur les ethnies afghanes 37

3) L’idée d’une conférence internationale garantissant un statut de neutralité 39

B - QUELLE GUERRE POUR QUELLE PAIX ? 41

1) A l’origine, une guerre asymétrique contre un homme et non contre un Etat 41

2) De la guerre contre Al-Qaïda à la guerre contre les taliban : la dérive d’un conflit initialement limité 41

3) D’Haqqani à Hekmattyar, un mouvement taliban largement enraciné dans la population 43

C – UNE SITUATION POLITIQUE DOMINÉE PAR UNE ÉCHÉANCE ÉLECTORALE QUI MET EN JEU LA CRÉDIBILITÉ DE L’OTAN 44

1) L’objectif principal : assurer la régularité de l’élection présidentielle 44

2) La situation du Président Karzaï 46

3) Négocier avec les taliban ? 47

4) Une nécessaire révision des objectifs de la présence de la FIAS 51

5) La mise en jeu de la crédibilité de l’OTAN 52

D – LA QUESTION DES DROITS DE L’HOMME 53

1) Des signaux encore inquiétants 54

2) La réalité d’une situation plus contrastée 55

3) Exiger un socle minimum de droits 56

Propositions 57

III – CONSTRUIRE UN ETAT POUR RELEVER LE DEFI DU DEVELOPPEMENT 59

A – AIDER L’ETAT AFGHAN À DÉVELOPPER LE PAYS 59

1) Sécurité, gouvernance et développement : des problèmes liés 59

2) Vers une approche intégrée du développement de l’Afghanistan ? 61

B – COMMENT MIEUX GÉRER L’AIDE INTERNATIONALE ? 61

1) Plusieurs critiques formulées depuis l’origine 62

2) Des progrès à accomplir 64

3) Le cas particulier de l’aide européenne 65

4) Les réfugiés : un problème humanitaire régional 66

C – LA QUESTION ESSENTIELLE DU DÉVELOPPEMENT AGRICOLE ET LE RÔLE DE LA FRANCE 67

1) Un effort indispensable pour réorienter l’économie afghane 68

2) Une position initiale déficiente, que la France peut contribuer à changer 69

Propositions 72

IV – INDE, PAKISTAN ET AFGHANISTAN : PASSER D’UNE LOGIQUE DE GUERRE À UNE LOGIQUE DE PAIX 75

A – DES RIVALITÉS ANCIENNES AVIVÉES PAR DE NOUVEAUX ENJEUX 75

1) Du conflit du Cachemire à la naissance d’un arc de crises 76

2) Des facteurs de paix mis à mal par les attentats de Guwahati et de Bombay 78

B – LE PAKISTAN, ACTEUR DEVENU VICTIME DE LA GUERRE D’AFGHANISTAN 81

1) L’Islam et l’armée, facteurs d’unité de la nation et instruments de soutien aux combattants afghans 81

2) Quand les taliban échappent à leurs créateurs… 83

3) Un risque inéluctable de déstabilisation ? 84

a) Facteurs de stabilité et facteurs de déstabilisation 85

b) Une situation de guerre civile au Nord-Ouest 86

c) Les accords locaux avec les taliban 87

d) La signification de l’offensive dans la vallée de Swat 90

C – LES TERRITOIRES DU NORD-OUEST, « MILLEFEUILLE DE TERRORISME » 90

1) Millefeuille et cercles terroristes 92

2) Des réactions douloureuses, mais sporadiques 93

D – « AFPAK, PAKAF, PAKIN », DES ACRONYMES SYMBOLISANT LA RECHERCHE D’UNE SOLUTION RÉGIONALE 94

1) L’administration Obama et la question afghano-pakistanaise 95

a) Un changement de priorités 95

b) Une politique spécifique à l’égard du Pakistan 98

c) Conditionnalité ou non conditionnalité de l’aide américaine? 99

2) Une politique à l’épreuve des réalités régionales 100

a) Restaurer la confiance avec le Pakistan 101

b) Peu de moyens de pression sur l’Inde 102

c) Chine et Russie, alliés objectifs de la politique américaine ? 103

Propositions 104

V – UN IMPÉRATIF : INTÉGRER L’IRAN DANS LE PROCESSUS DE PAIX 105

A – L’OUEST DE L’AFGHANISTAN, ZONE D’INFLUENCE DE L’IRAN 105

1) L’appui iranien au pouvoir local 105

2) La gestion des réfugiés 106

3) Une grande sensibilité aux problèmes du trafic de drogue 107

4) Une menace terroriste qui inquiète l’Iran 108

B – L’ANALYSE IRANIENNE DE LA SITUATION EN AFGHANISTAN 108

1) L’Occident et ses alliés sont perçus comme les premiers responsables de la situation 109

a) Les erreurs commises dans le passé 109

b) Une politique actuelle jugée contre-productive 109

2) L’Iran met en avant son aide civile en Afghanistan 110

a) Une aide à la reconstruction et au développement économique qui porte ses fruits 110

b) Une volonté affirmée de lutter contre le trafic de drogue 111

C – INTÉGRER L’IRAN DANS LE PROCESSUS RÉGIONAL DE PAIX, MALGRÉ DE NOMBREUSES INCERTITUDES ET AMBIGUÏTÉS 111

1) Un Iran indispensable pour les alliés 112

2) Mais un Iran qui hésite volontairement à s’engager dans un processus multilatéral 113

3) Les solutions proposées par l’Iran 113

4) Des ambiguïtés persistantes 115

CONCLUSION 117

25 PROPOSITIONS POUR L’AFGHANISTAN 121

EXAMEN EN COMMISSION 125

ANNEXES 131

Lettre de mission de M. le Président de la République à M. Pierre Lellouche, Député, représentant spécial de la France pour l'Afghanistan et le Pakistan 133

Cartes de la région 135

Personnalités entendues par vos rapporteurs 139

Remerciements 143

Chronologie de l’histoire afghane 145

AVERTISSEMENT

Nous remettons le présent rapport avec beaucoup d’humilité. L’Afghanistan est un pays complexe et le conflit que nous analysons est parfois difficile à comprendre, tant ses implications régionales sont nombreuses, notamment avec l’Inde et le Pakistan. Les répercussions internationales sont également considérables et touchent d’autres dossiers, comme les négociations avec l’Iran sur l’enrichissement d’uranium et les missiles balistiques de ce pays. Comme le rappelait le 8 juin dernier le chercheur et essayiste Gilles Kepel, « c’est le djihad dans l’Afghanistan des années 80, financé par les Etats-Unis et les Etats arabes du Golfe persique pour vaincre l’armée rouge, mais aussi pour offrir une alternative antisoviétique et philoaméricaine à la révolution iranienne en pleine expansion, qui a intégré cette région au Moyen-Orient au sens large. Et ce sont Oussama Ben Laden et Ayman Al Zawahiri, enfants de l’Arabie et de l’Egypte, passés par ce djihad, qui ont relié à leur manière l’Afghanistan, le Golfe, la Palestine avec les Etats-Unis dans le cataclysme du 11 septembre ».

L’histoire de l’Afghanistan nous incite à l’évidence à la modestie. Elle nous révèle la permanence des problèmes et des concepts stratégiques qui ont eu cours chez les responsables civils et militaires qui ont abordé ce pays. « Engagement durable, nécessaire afghanisation du conflit, construire des écoles et des routes » sont des termes utilisés sous la Grande-Bretagne impériale comme sous l’ère soviétique. La lecture de Churchill fait ainsi résonner en nous bien des analogies avec la situation actuelle dans cette région du monde, notamment au Pakistan. Correspondant de guerre à l’âge de 23 ans auprès de la Malakand field force dans la vallée de Swat, Churchill écrivait pour le compte du Daily Telegraph, à la fin du XIXème siècle, les quelques lignes qui suivent : « Sur près de 400 miles en largeur et 1600 miles en longueur, cette région montagneuse (les territoires du Nord-Ouest du Pakistan, ndlr) sépare les grandes plaines du Sud de celles d’Asie centrale… ». Après avoir décrit la luxuriance de la nature, Churchill ajoute : « Sous ce ciel bleu se met en scène un théâtre de guerre… Les habitants de ces contrées sauvages, mais riches, vivent dans des conditions similaires. Les récoltes abondantes provenant d’un sol fertile abritent une population nombreuse dans un état de guerre permanent. A l’exception des temps de semence et de récolte, querelles et dissensions prévalent à travers tout le territoire. Tribus contre tribus… Gens d’une vallée contre gens d’une autre vallée… Aux conflits communautaires s’ajoutent les conflits entre particuliers… Chacun a une querelle de sang avec son voisin. La main de chacun est l’ennemie de l’autre… Mais tous sont unis contre les étrangers ».

Après avoir décrit un code de l’honneur « à peine moins pointilleux que celui des Espagnols, soutenu par des vendettas aussi implacables que celles ayant cours en Corse », le futur Premier ministre britannique insiste sur le fait « que dans une telle société, toute propriété est détenue par la force. Chaque homme est l’obligé d’un Khan, à l’instar de nos barons féodaux. S’il soumet deux ou trois khans voisins, il devient un pouvoir… Sans doute, après tout, les Etats se sont ainsi constitués, et c’est par de telles étapes, souvent pénibles, que la civilisation a émergé des premiers âges. Mais dans ces vallées, la nature belliqueuse des gens et leur haine de tout contrôle a arrêté la marche du progrès. Le Khan qui s’est constitué un pouvoir sera bientôt détruit par une coalition qui se forme contre lui… » (1).

S’il est dangereux de faire de la psychologie des peuples, le texte de Churchill constitue toujours une référence quant à l’émiettement des pouvoirs dans un Afghanistan et un Pakistan du Nord constitués de hautes montagnes et de vallées jalouses de leurs particularismes, cimentées toutefois par une lecture de l’Islam « fondée sur l’épée » et peuplées d’hommes pour lesquels la guerre est un mode de vie si commun que leur aptitude au combat est une seconde nature.

Plus récemment, le général Aouchev, ancien officier soviétique en Afghanistan, tenait des propos qui ont la même résonance que les écrits de Churchill : « Nous ne nous attendions pas à ce que la guerre prenne cette tournure… A un certain moment, nous avons commis une erreur militaire qui a conduit à une erreur politique… ». Le général juge que l’expérience soviétique pourrait être utile aux occidentaux : « Si nous voulons un Afghanistan stable, nous devons donner aux Afghans l’opportunité de construire leur propre Etat ».

Notre modestie est renforcée par la rapidité d’évolution de la situation. Lorsque nous avons commencé nos travaux, en octobre 2008, le lien entre le conflit afghan et la situation du Pakistan faisait déjà l’objet d’études de la part d’éminents spécialistes pakistanais, indiens, anglo-saxons et dans une moindre mesure français, mais n’avait pas débouché sur la mise en place d’une stratégie globale, telle qu’elle apparaît notamment depuis l’élection du Président Barack Obama. Ce dernier a clairement pris acte de l’échec de l’administration Bush dans cette région (cette dernière avait bien perçu la nécessité de tenir compte du Pakistan dans ce conflit, mais trop tard pour initier un changement de stratégie) et s’est mis à l’écoute de ses partenaires pour poser toutes les bonnes questions… Il reste à apporter les bonnes réponses, mais de ce processus peuvent naître des initiatives qui pourraient rapidement rendre obsolète le présent rapport.

Pour autant, humilité et modestie ne signifient pas résignation. Le conflit en Afghanistan et plus largement en Asie du Sud engage la paix du monde. C’est pourquoi, plutôt que de rédiger une « énième analyse » destinée aux nobles étagères des vieilles institutions républicaines, avons-nous préféré prendre le risque d’émettre des propositions qui dégagent une logique de paix. Il s’agit peut-être de notre part d’une forme d’utopie, mais notre conviction est que le précepte « si tu veux la paix, prépare la guerre » doit être complété par un précepte parallèle : « Quand tu es en guerre, prépare la paix ».

Nous livrons donc au débat 25 propositions : Certaines sont de portée générale – les grandes orientations diplomatiques – d’autres sont plus particulières, précises et concrètes, notamment la mise en œuvre de l’aide internationale. Mais elles forment un ensemble afin de tracer un chemin pour la paix dans cette région du monde à la fois complexe et dangereuse.

Mesdames, Messieurs,

A ceux qui s’interrogent sur les raisons de notre présence en Afghanistan, aux côtés des forces de 41 autres nations, vos Rapporteurs tiennent à rappeler que la plupart des attentats islamistes, commis ou déjoués, visant le sol américain ou européen depuis 2005 ont été inspirés ou préparés en Afghanistan ou dans les sanctuaires taliban au Pakistan. Telle est l’origine de notre engagement en Afghanistan, où nous marquons à la fois notre solidarité à l’égard des Etats-Unis, victimes des attentats du 11 septembre 2001, et notre volonté d’aider les Afghans à reconstruire un pays au sein duquel ils pourront vivre librement et en paix.

Comme nous le constatons depuis plusieurs mois, l’Inde et le Pakistan, sont également les victimes d’un terrorisme qui a fait plusieurs milliers de morts dans ces deux pays, et qui donne au conflit d’Afghanistan une dimension régionale qu’il faut prendre en compte si l’on veut le résoudre.

Machiavel rappelait que « l’on commence une guerre quand on veut, on la termine quand on peut ». Si nous savons pourquoi nous combattons, de nombreuses interrogations demeurent sur les conditions qui autoriseront le retrait de nos forces d’Afghanistan. Nous n’avons en effet pas vocation à rester dans ce pays, mais nous ne pouvons le quitter sans qu’y soit rétablie la sécurité et sans que les Afghans ne retrouvent à la fois la maîtrise de leur destin et des conditions de vie décentes. La construction d’un Etat viable et les bases d’un développement économique, notamment en zone rurale, sont les préalables indispensables à la réalisation de ces deux objectifs. Le terrorisme et les multiples guérillas que nous affrontons sont alimentés par la pauvreté, les inégalités sociales et l’ignorance. Une victoire militaire contre les taliban n’aura donc de sens que lorsque les Afghans auront la certitude qu’ils vivront dans une société qui leur garantira la paix et le développement. Le succès des armes deviendra alors un véritable succès politique. A défaut, l’adage de Machiavel, si souvent vérifié dans l’histoire, signifiera pour la FIAS comme pour l’OTAN qui en est la principale composante une défaite qui aura de profonds retentissements.

La guerre en Afghanistan demeure une guerre contre le terrorisme (celui-ci n’est toujours pas éradiqué) mais le conflit a changé d’ampleur. Sous l’occupation soviétique de l’Afghanistan, il constituait déjà l’un des aspects de rivalités très anciennes en Asie du Sud, autant qu’il était le théâtre d’une lutte d’influence entre plusieurs Etats du Moyen-Orient. L’augmentation du niveau de violence en Afghanistan comme au Pakistan au cours de l’année 2008, le constat que le mouvement taliban n’est plus l’apanage de la seule ethnie pachtoune et la crise politique et identitaire que traverse le Pakistan, plongé dans la guerre civile au Nord-Ouest de son territoire, révèlent que ce conflit comporte un aspect social souvent passé sous silence, ainsi qu’un aspect culturel et psychologique mal perçu dans nos pays. Nous avons crevé une bulle terroriste, pour nous trouver ensuite face à une crise globale et régionale sur laquelle nous avons peu de prise.

La crise économique favorise la montée de la violence. Quant au sentiment anti-occidental largement répandu au Pakistan et sans doute en Afghanistan, gardons à l’esprit qu’il n’est pas dû aux seuls bombardements des forces de la coalition mais qu’il provient aussi de la persistance du conflit israëlo-arabe, qu’il est facile de lier au conflit afghan afin de donner aux populations une lecture simplifiée de ce qu’ils vivent, à savoir une croisade des Occidentaux contre l’Islam.

Le conflit d’Afghanistan est également, qu’on le veuille ou non, un test pour la solidarité des pays de l’OTAN membres de la FIAS comme pour leur capacité à combattre. Si chaque pays membre de l’Alliance a respecté l’engagement prévu par l’article 5 du traité de Washington lorsque les Etats-Unis ont subi les attaques du 11 septembre 2001, la mise en œuvre de cet engagement est si laborieux, politiquement et militairement, qu’il risque de déboucher sur une défaite militaire et politique si le changement de stratégie proposé par les Etats-Unis et accepté par leurs alliés n’est pas rapidement mis en œuvre. Cette guerre révèle à quel point nous vivons un changement d’époque. Alors que sous la guerre froide, la solidarité entre alliés était automatique face à l’ennemi soviétique, l’intervention en Afghanistan fait constamment l’objet d’âpres négociations sur le niveau d’engagement en hommes et en moyens financiers par chaque Etat. Depuis la chute de Kaboul en 2001, les forces de la FIAS se sont contentées d’affirmer leur présence en certains points du territoire afghan, mais n’ont pas réellement conduit une guerre. Nous en payons aujourd’hui le prix.

Il est vrai que les Etats-Unis portent une responsabilité indéniable dans cette situation, pour avoir trop longtemps privilégié l’Irak comme principal théâtre d’opération, alors que la véritable menace résidait en Afghanistan et dans la déstabilisation du Pakistan. Pour autant, il serait malvenu de la part de leurs alliés européens de faire porter sur les seuls Américains la responsabilité de l’échec actuel de la FIAS en Afghanistan. Il importe plutôt de rappeler que les Etats-Unis, victimes d’une attaque terroriste sans précédent dans l’histoire, forment la principale composante de la coalition, et que des perspectives nouvelles apparaissent depuis que l’administration du Président Barack Obama privilégie désormais une approche globale du conflit, dans laquelle les opérations militaires viennent en appui de la reconstruction civile. Les parties au conflit ont parfaitement conscience que cette guerre est alimentée par les tensions existant entre l’Inde et le Pakistan, avec, en arrière-plan, le jeu diplomatique de l’Iran et de l’Arabie saoudite. Cette vision qui était de longue date celle d’observateurs américains, européens, indiens, pakistanais et iraniens, permet d’aborder les problèmes d’Asie du Sud à la racine, pour s’efforcer de dégager une logique de paix, face à une logique de guerre.

Vos Rapporteurs, tout au long de leur travail, ont retenu cette perspective. De très nombreux rapports analysent la dégradation de la situation en Afghanistan et au Pakistan – celui-ci ne fera pas exception – mais si l’on rappelle que l’espace géographique qui unit l’Inde, le Pakistan, l’Afghanistan et l’Iran rassemble 1,404 milliard d’hommes auxquels il faut assurer des perspectives de développement économique et social, ce sont avant tout les chemins de la paix qu’il nous faut rechercher.

I – BATIR UN NOUVEAU CONSENSUS AUTOUR DES OBJECTIFS DE LA COALITION

L’opération militaire conduite en Afghanistan, dirigée actuellement par l’OTAN, a évolué. Initialement lancée pour renverser le régime taleb (2), accusé d’avoir aidé le réseau Al-Qaïda à organiser les attentats du 11 septembre 2001, objectif partagé par l’ensemble des forces politiques, notamment en France, l’intervention a ensuite dû assurer la sécurisation du territoire afghan, afin d’éviter que le pays ne redevienne un sanctuaire pour les groupes terroristes internationaux.

Cependant, dans les premières années, la coalition n’a pas su apporter de solutions suffisamment durables au conflit, ouvrant la voie à un renforcement, très net entre 2002 et 2008, d’une insurrection violente et multiforme. Du fait du risque d’enlisement des troupes internationales, le consensus politique d’origine s’est peu à peu fissuré.

Une volonté partagée d’accroître l’effort militaire en Afghanistan a toutefois émergé, notamment avec l’élection de Barack Obama. Ainsi, malgré une dégradation en 2008, la situation semble, du point de vue strictement militaire, sous le contrôle de la coalition.

L’intervention militaire en Afghanistan reste indispensable pour permettre le développement économique, social et politique du pays. Il n’est pas question de quitter brusquement le pays, ce qui reviendrait à laisser la place aux taliban. Il est donc nécessaire de fixer précisément les objectifs de la présence militaire internationale en Afghanistan, afin de bâtir un consensus, entre les Etats comme au sein des opinions publiques, sur la légitimité de notre intervention en Afghanistan. Sans cela, il sera de plus en plus difficile de consentir les efforts nécessaires au maintien d’un rapport de forces qui nous est favorable.

A – De la victoire contre les taliban au risque d’enlisement

1) Un front militaire initialement uni

Dès le 13 septembre 2001, à la suite des attentats perpétrés contre les tours du World Trade Center de New-York, les Etats-Unis envoient aux taliban, au pouvoir en Afghanistan depuis 1996, un ultimatum demandant notamment l’extradition d’Oussama Ben Laden, chef du réseau Al-Qaïda et responsable présumé des attaques menées sur le sol américain.

Face au refus des taliban, les Etats-Unis décident, le 7 octobre 2001, de lancer l’opération « Liberté immuable » (Enduring freedom). « Nouveau front de la guerre contre le terrorisme », selon l’expression de l’administration américaine, elle regroupe des forces issues d’une coalition ad hoc qui comptera jusqu’à une cinquantaine d’Etats. Sa mission est de détruire les installations d’Al-Qaïda présentes sur le sol afghan, et de démanteler l’appareil militaire taliban.

Les actions américaines sont soutenues par l’OTAN. Le Conseil de l’Atlantique Nord décide, au lendemain de l’attaque du 11 septembre, d’invoquer pour la première fois le recours à l’article 5, qui prévoit une clause de défense commune des membres de l’Alliance Atlantique, sous réserve que des preuves puissent être apportées que les attentats constituaient bien des attaques menées de l’extérieur. Après la déclaration, le 2 octobre 2001, du Secrétaire général de l’OTAN de l’époque, Lord Robertson, concluant en faveur de la mise en œuvre de cet article, le Conseil choisit, le 4 octobre 2001, d’apporter tout son soutien aux opérations américaines.

La position de la France, pendant cette période, a été d’une extrême clarté. Le Président de la République, Jacques Chirac et le Premier ministre, Lionel Jospin ont l’un et l’autre affirmé la solidarité de notre pays avec les Etats-Unis. Lors de la séance de questions au gouvernement du 9 octobre 2001, qui suivait les premiers bombardements en Afghanistan, le Premier ministre a d’abord rappelé qu’il était « logique de frapper le terrorisme là où était son premier sanctuaire », avant d’ajouter que « les principes qui président à notre action, celle du gouvernement et, je l’espère, celle des autorités publiques, sont la solidarité avec nos alliés américains, la lutte contre le terrorisme, la volonté d’épargner les populations civiles, le soutien à l’aide humanitaire ». Conscient de la complexité du dossier afghan, Lionel Jospin rappelait également qu’il fallait « nier tout lien entre les problèmes du monde et les motifs des terroristes, tout en étant conscient qu’il est des terrains favorables dans le monde. Nous devons travailler progressivement à les changer ».

Principalement formée par des soldats américains et britanniques, la force militaire qui intervient en Afghanistan dès octobre 2001 est soutenue par des troupes de nombreux autres Etats. Après une campagne de bombardements, utilisant des moyens aériens, maritimes et sous-marins, les forces spéciales de la coalition, accompagnant une vaste offensive menée par les soldats du Front uni islamique et national pour la libération de l’Afghanistan – également connu sous le nom de Ligue du Nord – entreprennent les premières opérations au sol. La chute du régime taliban intervient en moins de six semaines de combat.

Le 10 novembre 2001, la ville de Mazar e-Charif est reprise, et les responsables taliban décident de se retirer de Kaboul pour concentrer leurs forces dans les régions frontalières avec le Pakistan. Ainsi, la Ligue du Nord ne rencontre que peu de résistance lorsqu’elle entre dans Kaboul le 13 novembre. La ville de Kunduz, tombe le 26 novembre. Finalement, les forces talibanes de Kandahar, ville d’origine de plusieurs dynasties pachtounes et berceau du mouvement taliban, se rendent le 6 décembre. Dans le même temps, la coalition installe sa première base opérationnelle sur le sol afghan, près de Kandahar.

Ces opérations reçoivent ultérieurement l’aval des Nations Unies. Le Conseil de sécurité, dans sa résolution 1378 du 14 novembre 2001, ne s’était pas prononcé sur l’opération « Liberté immuable ». Il condamnait toutefois le régime taleb, coupable d’avoir abrité des réseaux terroristes internationaux, et affirmait dès lors son soutien au peuple afghan dans sa lutte pour le renversement du régime.

Une fois les combats terminés, l’ONU a organisé la réunion de Bonn, qui regroupait, du 27 novembre au 5 décembre 2001, de hautes personnalités afghanes pour préparer la reconstruction du pays et de ses institutions. L’accord définissant les arrangements provisoires applicables en Afghanistan en attendant le rétablissement d’institutions étatiques permanentes, signé au terme de cette conférence, prévoyait la création d’une commission constitutionnelle chargée de rédiger un projet de constitution, d’une commission chargée d’élaborer un système judiciaire conforme aux principes de l’Islam, des standards internationaux, des règles de l’Etat de droit et des traditions afghanes.

L’annexe I de l’accord de Bonn prévoyait également le déploiement d’une force internationale de sécurité afin d’aider les autorités afghanes à mettre en place, équiper et entraîner les futures forces de sécurité afghanes.

Le Conseil de sécurité a soutenu l’accord le 6 décembre 2001. Il a autorisé, par sa résolution 1386 du 20 décembre 2001, adoptée au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, la constitution d’une force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) dont le premier mandat, pour six mois, était de « maintenir la sécurité à Kaboul et dans ses environs, de telle sorte que l’Autorité intérimaire afghane et le personnel des Nations Unies puissent travailler dans un environnement sûr ». Ultérieurement, le Conseil de Sécurité de l’ONU décidera, par sa résolution 1401 du 28 mars 2002, de créer une mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA).

Conduite par les Etats-Unis, avec le renfort de nombreux alliés, la première étape des opérations militaires en Afghanistan a été menée avec l’appui de l’OTAN, puis des Nations Unies. La volonté de renverser les taliban et d’instaurer un régime plus démocratique en Afghanistan réunissait en effet l’ensemble de la communauté internationale. Néanmoins, les obstacles rencontrés pour atteindre cet objectif ont fait apparaître des dissensions au sein de la coalition, qui ont réduit l’efficacité de son action.

2) Le risque d’enlisement dû à une présence prolongée : un consensus fragilisé

Du point de vue purement militaire, les années 2001-2002 constituent un succès : le régime taliban rapidement vaincu, des institutions nationales, soutenues par la communauté internationale, chargées de poser les bases pour reconstruire le pays, aidées en cela par une force militaire internationale autorisée par l’ONU.

Le consensus régnant au sein de la coalition a permis de rationaliser le commandement de la FIAS. Initialement, la coexistence de l’opération « Liberté immuable » et d’une force internationale mandatée par l’ONU avait conduit à des situations complexes, chacun des deux groupes exerçant une responsabilité sur une partie différente du territoire, le commandement de la FIAS relevant en outre d’une nation cadre désignée par le Conseil de sécurité. Dès le 11 août 2003, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) a pris le commandement de la FIAS. De plus, son mandat a été élargi à l’ensemble du territoire par la résolution 1510 du 13 octobre 2003 du Conseil de sécurité de l’ONU.

Toutefois, malgré ces avancées, la coalition se trouve maintenant confrontée à une situation de plus en plus difficile sur le terrain, pour plusieurs raisons.

D’abord, la persistance d’une résistance talibane très active. L’insurrection a pu utiliser les régions frontalières avec le Pakistan pour se réorganiser. En effet, malgré sa victoire incontestée dans les régions considérées comme utiles, car fortement peuplées, la coalition a laissé échapper plusieurs milliers d’opposants, dont certains des responsables les plus importants de l’ancien régime, comme le Mollah Omar.

Il est ainsi probable que, lors de la bataille menée dans les montagnes de Tora Bora, quelques jours après la prise de Kandahar, des leaders du mouvement, dont Oussama Ben Laden, aient réussi à s’échapper. De la même manière, l’opération Anaconda, menée au début de l’année 2002 dans la province de Paktia, si elle a permis aux alliés de reprendre le contrôle de vallées importantes, a également suscité un mouvement massif de combattants taliban vers les zones frontalières situées en territoire pakistanais.

Autre raison des difficultés croissantes rencontrées par la coalition en Afghanistan, le déclenchement, en 2003, de la guerre d’Irak, qui a sensiblement modifié les équilibres, géopolitiques et militaires, rendant d’autant plus difficile la conduite de la mission des forces coalisées. Lancée le 20 mars 2003, l’invasion de l’Irak par une coalition menée par les Etats-Unis, et l’occupation du pays qui a suivi, ont coûté la vie à près de 5 000 soldats occidentaux, dont plus de 4 000 Américains. L’ampleur des forces mobilisées a nécessairement réduit l’effort consenti par les Etats-Unis sur le front afghan. Le président Bush affirmait ainsi, tout au long des années 2003 à 2006, que les opérations en Irak étaient le « front central de la guerre contre le terrorisme ». De facto, l’Afghanistan devenait un front secondaire.

Cette opération a également contribué à détériorer davantage l’image des Etats-Unis, dans le monde musulman et auprès des pays occidentaux ne participant pas à la guerre, rendant d’autant plus difficile l’action sur le théâtre afghan. En effet, la FIAS devait faire face à une insurrection radicalisée par l’intervention américaine en Irak, alors même que le front des alliés apparaissait désuni, du fait de divergences concernant les opérations en Irak. Bien qu’une telle image ne corresponde pas à la réalité de la coopération sur le terrain, elle a pu renforcer l’insurrection dans sa conviction qu’une victoire était possible.

Cette difficulté s’est doublée d’une très faible représentation des Etats musulmans au sein de la coalition, qui persiste aujourd’hui. Seuls deux Etats sur les 42 qui la composent sont en effet de confession musulmane : la Turquie et les Emirats arabes unis. Une telle disproportion continue de poser problème.

Du fait des difficultés rencontrées sur le terrain, les progrès enregistrés au plan politique, avec l’organisation d’une Loya Jirga – grande assemblée réunissant les chefs de clans pachtounes ainsi que d’autres personnalités – en mars 2002, et l’élection présidentielle de novembre 2004, dont Hamid Karzaï est ressorti vainqueur, n’ont pu être consolidés au plan sécuritaire.

Les années 2003 à 2007 ont ainsi permis aux taliban, soumis à une moindre pression et renforcés par les militants djihadistes fuyant le théâtre irakien, de prendre plusieurs initiatives sur le sol afghan. Le responsable taliban Gulbuddin Hekmattyar appelle ainsi, dès la fin de l’année 2004, à intensifier les attaques contre les forces alliées, au nom d’une « guerre sainte » à mener contre les Etats-Unis. Gilles Kepel rappelle que le nombre d’attentats suicides commis en Afghanistan est passé, entre 2005 et 2006, de 25 à 136 (3).

La dégradation de l’environnement sécuritaire en Afghanistan a fragilisé le consensus initial. La prolongation des opérations militaires, et leur intensité croissante, notamment à partir de 2005, ont fait craindre que le risque d’enlisement, envisagé dès le début de l’intervention, ne devienne réalité. Par ailleurs, les critiques toujours plus virulentes ciblées sur les institutions mises en place et soutenues par la coalition ont conduit à douter de la légitimité de son action. Enfin, la guerre d’Irak a sans doute contribué à accroître le sentiment, présent au sein de nombreuses opinions publiques occidentales, que la présence de leurs soldats sur un sol étranger ne pouvait se justifier.

En France, cette rupture du consensus initial s’est clairement manifestée lors du vote de l’Assemblée Nationale, le 22 septembre 2008 sur la prolongation de l’opération militaire française en Afghanistan, lors duquel un nombre important de députés a émis des doutes sérieux sur l’opportunité de cette décision, et la stratégie suivie par la France dans ce pays. Le consensus initial entre les gouvernements de la coalition n’a pas mieux résisté. Plusieurs Etats ont éprouvé des difficultés croissantes à accroître leurs efforts en faveur de la coalition, rendant difficile la mobilisation des moyens, en hommes et en matériels, pourtant urgents.

3) Une prise de conscience récente, et des efforts militaires accrus

La situation a évolué peu à peu. Les dernières années de l’administration Bush ont ainsi laissé apparaître une prise de conscience progressive de l’erreur stratégique commise en 2003. La nomination de Robert Gates au poste de Secrétaire à la Défense et les appels renouvelés à un renforcement des contingents alliés en Afghanistan, furent les premiers signes que le centre de l’action militaire américaine dans le monde allait être déplacé. Ce changement a été brusquement accéléré après l’élection de Barack Obama, qui s’était engagé avant la campagne présidentielle à renforcer le contingent américain en Afghanistan, et à retirer la majorité des troupes présentes en Irak.

Ces efforts ont été accompagnés par l’ensemble des alliés, dont la France, qui ont renforcé peu à peu leurs contingents déployés en Afghanistan. La force internationale de sécurité compte ainsi un nombre croissant d’hommes sur le théâtre : 5 581 en août 2003, 6 065 en 2004, 9 685 en juillet 2005, 19 597 en septembre 2006, 31 267 en novembre 2006, 42 332 en mars 2008 et 56 420 selon les estimations de l’OTAN en février dernier (4).

Le nombre de soldats français déployés a ainsi été continuellement renforcé, pour atteindre 3 400 aujourd’hui (5). Initialement représentée par le groupe aéronaval du porte-avions Charles-de-Gaulle, ainsi que par un détachement de forces spéciales, l’armée française a progressivement dépêché des avions de combat Mirage, puis Rafale, ainsi que des unités terrestres ou d’infanterie marine. La prise en charge, par la France, depuis le 14 juillet 2006, de la région Centre, qui comprend la capitale Kaboul, représente un effort d’environ 1 000 soldats. En 2007, la France a également accepté d’assurer la sécurité dans la vallée de la Kapisa, à l’Est de la Kaboul, mission au cours de laquelle dix soldats français ont perdu la vie le 18 août 2008 lors d’une embuscade.

Le renforcement des moyens militaires mis à la disposition de la coalition devrait se poursuivre dans les prochaines années. Le président Obama a ainsi annoncé, en février dernier, l’envoi de 17 000 soldats supplémentaires, et a évoqué l’envoi de 4 000 « instructeurs militaires » lors de son discours sur l’Afghanistan et le Pakistan du 27 mars 2009. Cette orientation prise par les autorités américaines a rapidement donné lieu à des appels appuyés à l’adresse de leurs alliés européens, formulés notamment à l’occasion du dernier sommet de l’OTAN, en avril 2009, à Strasbourg et Kehl. Les alliés se sont ainsi engagés à envoyer environ 5 000 soldats supplémentaires, ainsi que du matériel et des ressources financières pour soutenir l’armée afghane.

Mais le renforcement des moyens militaires ne saurait répondre à toutes les questions que l’intervention alliée en Afghanistan continue de poser. En l’absence de perspective de résolution durable du conflit, il sera difficile de lever les derniers obstacles à la pleine efficacité de la FIAS, comme la multiplication de caveats, terme consacré désignant les limitations fixées unilatéralement par les Etats membres de l’OTAN afin de préciser dans quel but leurs troupes ne pourront être utilisées. Les autorités alliées estiment ainsi que seuls cinq Etats fournissent des troupes réellement opérationnelles : la France, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada, ainsi que les Pays-Bas.

Ces difficultés ne pourront être surmontées sans que soit bâti un large consensus, portant sur les objectifs précis de la coalition en Afghanistan, et les conditions de son départ.

B – La construction d’un nouveau consensus international autour d’objectifs militaires plus précis

Vos Rapporteurs avaient déjà fait part, lors de leur audition par la commission des Affaires étrangères le 3 décembre 2008, de leur intime conviction que les opérations militaires internationales en Afghanistan étaient nécessaires, mais largement insuffisantes, pour pacifier et stabiliser l’Afghanistan à longue échéance.

Certes, l’intervention militaire a rapidement réussi à chasser les taliban du pouvoir. Ce premier objectif rempli, il importait d’empêcher ces mêmes taliban de revenir au pouvoir. Malgré le maintien d’une situation sécuritaire difficile, cet objectif est globalement atteint : en effet, si l’activité de l’insurrection a augmenté depuis deux ans, ses principales opérations relèvent plutôt de la guérilla que d’une stratégie de réoccupation du territoire visant à reprendre le pouvoir à court terme.

Un troisième objectif visait à éradiquer Al-Qaïda de la région afghano-pakistanaise. S’il est nécessaire et possible de porter les coups les plus sévères à Al-Qaïda sur les théâtres afghan et pakistanais, il faut être conscient que la victoire définitive contre cette nébuleuse ne se joue pas sur ce seul théâtre, tant cette organisation a des ramifications nombreuses dans le monde, et tant sont grandes ses capacités à se replier d’un théâtre pour mieux resurgir dans un autre.

De manière générale, le terrain et les liens, multiples et étroits, qui unissent les insurgés et la population rendent illusoire toute victoire strictement militaire en Afghanistan. Dès lors, les troupes internationales doivent devenir une force d’accompagnement des autorités afghanes, avant que ces dernières puissent reprendre la main sur l’ensemble de leur territoire.

L’action de la coalition doit permettre d’instaurer un rapport de force favorable au gouvernement et à ses alliés, afin de réussir dans les deux autres domaines indispensables à la stabilisation durable de l’Afghanistan : l’action humanitaire, et le processus, politique, de réconciliation nationale.

1) Un succès à confirmer : rendre impossible le retour au pouvoir des taliban

Le régime taliban s’est effondré en moins de six semaines de combat. Bien que nombre de ses chefs aient survécu, dès le début de l’année 2002, il était certain que les mouvements taliban n’étaient plus en mesure de reprendre militairement le pouvoir en Afghanistan.

Forte aujourd’hui d’environ 15 000 hommes, dont 5 000 à 6 000 permanents constituent le « noyau dur » (6), l’insurrection réunit plusieurs groupes aux objectifs divers, dont quatre mouvements principaux :

– les taliban du Mollah Omar, anciens leaders du pays entre 1996 et 2001, liés à la mouvance islamique du sous-continent indien, prônant l’instauration de la charia, opposés au suffrage universel ; leur recrutement est principalement pachtoune ;

– le Hezb-e-Islami, dit parti islamique de Gulbuddin Hekmattyar, ou HIG, parti politique au sens moderne du terme, à prédominance pachtoune ; ce mouvement n’est pas opposé au suffrage universel et recrute en milieu urbain et sur les campus universitaires de Kaboul et Jalalabad, ainsi que dans l’Est et parmi les Afghans réfugiés au Pakistan ;

– le réseau Haqqani, du nom de son fondateur Jalaluddin Haqqani, aujourd’hui décédé, proche des taliban historiques, très lié au djihad international et bénéficiant d’une forte implantation tribale, limitée au centre et au sud du pays ; quoique ses membres soient peu nombreux, il a fait preuve d’une capacité certaine à fédérer certains groupes isolés ;

– les mouvements étrangers et supranationaux, dont le nombre ne peut qu’être estimé mais qui ne dépasserait pas 5 % du total des insurgés ; ils sont essentiellement présents dans l’Est, en raison de la proximité avec le Pakistan, on y retrouve Al-Qaïda et les mouvements djihadistes pakistanais comme le Lashkar-e-Taiba.

Face à la supériorité militaire de la coalition, l’insurrection s’est concentrée sur des opérations de guérilla et de déstabilisation. Une telle situation peut difficilement être considérée comme une guerre dans le plein sens du terme. Elle n’en pose pas moins un défi sécuritaire de taille. Dans son rapport le plus récent (7), le Secrétaire général des Nations Unies estimait ainsi que « selon les statistiques des Nations Unies, l’année 2008 a été l’année la plus violente depuis 2001, avec une augmentation de 31 % des incidents depuis 2007 ». Des attaques de divers types ont ainsi été recensées, incluant des assassinats ciblés et des attentats suicides. Le comité international de la Croix Rouge estime pour sa part que les hostilités persistent dans 25 des 34 provinces – velayats – du pays.

En plus de ces opérations de faible envergure, les insurgés continuent de représenter une autorité légitime dans plusieurs provinces de l’Afghanistan. Associés aux trafiquants de drogue et d’armes, les taliban parviennent à maintenir une présence presque continue dans certaines régions. La coalition n’a pas, à ce stade, réussi à assurer son emprise sur la totalité du territoire afghan.

Comme l’illustre la carte ci-dessus, extraite du rapport de la FIAS sur la situation en Afghanistan de mars 2009, la coalition doit encore s’imposer dans deux régions difficiles, le Sud et l’Est, où les mouvements taliban bénéficient du soutien de leurs homologues pakistanais et peuvent ainsi concentrer leurs opérations de déstabilisation. Deux chouras (8) majeures se trouvent en effet sur le territoire pakistanais, à proximité de l’Afghanistan : Quetta, qui permet d’alimenter l’insurrection dans les provinces Sud de l’Afghanistan, et Peshawar, proche des provinces afghanes de l’Est.

Dans le Helmand, au Sud-Est, la coalition ne contrôle réellement que la seule capitale régionale, et son influence sur le reste de la province reste faible. La même situation se retrouve dans la province de Kandahar. Dans les autres provinces du Sud, notamment Zabol, Orozgan et Nimroz, l’insurrection conserve une liberté d’action importante.

Plusieurs sources estiment que les canaux d’approvisionnement de l’insurrection passent aussi par l’Iran, en direction de la ville afghane d’Herat. Des signes d’activité insurrectionnelle sont perçus au Nord, en particulier autour de la ville de Koundouz mais également, depuis peu, dans les provinces de Badghis et Faryab, au Nord-Ouest.

Du fait de ce bilan global très mitigé, de nombreuses voix se font entendre pour dénoncer une dégradation continue de la situation sécuritaire en Afghanistan. Le rapport intitulé « Le combat pour Kaboul : l’avance des taliban » (9) publié par un laboratoire d’idées canadien, largement commenté dans les médias, estimait ainsi que l’insurrection tenait plus des deux tiers du territoire afghan.

Il convient d’apprécier ce genre d’affirmations avec toute la circonspection nécessaire. L’évaluation de l’activité de l’insurrection reste difficile, et le nombre d’actes de violence commis par les insurgés n’est pas forcément un indicateur fiable de leur emprise sur un territoire, qui peut justement se caractériser par une certaine baisse des tensions dans ce lieu précis.

Vos Rapporteurs ont ainsi pu apprécier, lors de leurs déplacements en Afghanistan, une évolution marquée de l’état d’esprit des troupes françaises sur le terrain. Les soldats rencontrés à la fin de l’année 2008 semblaient sur la défensive, traumatisées par la tragique embuscade de Surobi, au cours de laquelle des militaires français ont été tués, subissant les initiatives des insurgés au quotidien, et doutant de la possibilité d’un succès en Afghanistan.

Quelques mois plus tard, lors de leur deuxième visite en Afghanistan et, en particulier, lors de la visite de la base française de Kapisa, les responsables militaires leur ont au contraire souligné leur confiance dans les capacités de la FIAS pour faire face aux défis qui l’attendent.

Le Colonel Le Nen, commandant le détachement français dans la vallée, leur a notamment exposé comment, quelques semaines auparavant et après de longues semaines de préparation, une vaste opération militaire des soldats français, appuyés par les forces aériennes de la FIAS, avait permis la « reconquête » de la Kapisa et la réinstallation des forces afghanes dans les villages de fond de vallée.

Menée en mars 2009, l’opération Dinner Out a ainsi permis à l’armée française d’installer deux postes avancés de l’ANA au sein de la vallée de l’Alasaï, contrôlée auparavant par les insurgés. Elle a nécessité la mobilisation de plus de 800 hommes, répartis à parts égales entre les compagnies issues du groupement tactique interarmées français de la Kapisa et deux bataillons (kandaks) de l’armée afghane, dont une partie opérera aux avant-postes. Un important soutien aérien a été apporté par les unités américaines situées à proximité.

Le bilan opérationnel de cette opération est largement positif. Si les forces françaises ont, hélas, laissé une victime dans cet affrontement de plusieurs jours, plus de 30 combattants insurgés ont été tués, les estimations globales montant jusqu’à 70 pertes ennemies. Cet épisode montre bien à quel point, si les insurgés peuvent provoquer de nombreux et douloureux dégâts humains et matériels aux forces de la FIAS dans une stratégie de harcèlement reposant sur l’embuscade et les attentats, suicides ou pas, toute situation plus « classique » rappelle leur infériorité militaire. C’est d’ailleurs pourquoi il est fort peu probable qu’ils provoquent beaucoup de ces affrontements ouverts. C’est la raison pour laquelle une victoire militaire au sens traditionnel du terme est peu envisageable en Afghanistan.

Dans les jours suivants le retrait des dernières forces talibanes du fond de vallée, la construction des bases opérationnelles avancées (FOB pour Forward operational base) de l’armée nationale afghane (ANA) a pu s’achever. Aux deux bases Alasay et Shekut a finalement été ajoutée une troisième infrastructure, baptisée Belda en hommage au caporal-chef Nicolas Belda, décédé lors de l’opération.

Si l’opération Dinner out a permis de renforcer l’autorité des forces de sécurité afghanes sur un territoire jusque là interdit, ce qui est déjà en soi un succès militaire notable, elle a également permis à l’armée française de démontrer sa connaissance de la complexité du théâtre afghan, et prouvé la nécessité de promouvoir systématiquement les autorités afghanes auprès de la population.

Sans verser dans le triomphalisme, le commandant du détachement français dans la vallée, le colonel Le Nen, a ainsi indiqué que ses soldats recevaient un accueil plus favorable de la part de la population. Celle-ci révélait désormais aux Français la localisation d’engins explosifs improvisés (IED : improvised explosive device). Selon lui, cette évolution souligne que les taliban, n’étant plus vus comme une force destinée à rester éternellement dans la région, n’inspirent plus la même crainte qu’auparavant.

Selon la mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA ou UNAMA dans son acronyme anglophone), seuls dix districts sur 398 sont considérés hors de tout contrôle gouvernemental, 165 continuant toutefois de poser des difficultés certaines. Les Nations Unies estiment ainsi que, si les districts entièrement sécurisés restent minoritaires sur l’ensemble du territoire, la plupart des autres provinces ne doivent pas pour autant être considérées comme perdues par la coalition, mais comme des régions où les efforts doivent se concentrer sur la qualité de l’administration et le renforcement des autorités légitimes.

Globalement, les forces coalisées ne craignent donc pas un retour des taliban au pouvoir. La volonté, pour les troupes internationales, de « tenir » le terrain afghan s’accompagne également d’actions plus ciblées visant à faire reculer le terrorisme dans la région.

2) Poursuivre la lutte contre le terrorisme en Afghanistan

Lors de son discours du 27 mars 2009, le Président Barack Obama a indiqué que l’effort militaire américain en Afghanistan avait un objectif « clair et précis » (« clear and focused ») : la destruction d’Al-Qaïda en Afghanistan et au Pakistan. Une telle déclaration pourrait laisser croire, malgré un vocabulaire différent, que la nouvelle administration américaine reprend à son compte les objectifs de l’ancien président Georges Bush et cherche à triompher dans une « guerre » contre le terrorisme international qui se jouerait sur le sol afghan.

Mais la stratégie adoptée contre le terrorisme a évolué. Le Président américain l’a lui-même rappelé, lors de sa rencontre avec les Présidents afghan et pakistanais organisée à Washington le 7 mai dernier, en présentant l’approche qu’il privilégiait afin de réduire l’influence des groupes djihadistes internationaux dans la région : la construction d’un Etat souverain, stable, en Afghanistan, et le soutien à la lutte menée par le Pakistan contre les groupes fondamentalistes violents agissant sur son sol.

En effet, les réseaux djihadistes couvrent de nombreuses autres zones dans le monde, en Afrique – le réseau Al Qaeda-Maghreb Islamique, les mouvements opérant aux frontières Sud du Sahel, les groupes implantés en Somalie – mais également en Asie et même au sein des pays occidentaux. Même si la plupart des attentats dirigés contre les pays européens ou les Etats-Unis continuent d’être planifiés depuis les zones frontalières entre l’Afghanistan et le Pakistan, il est certain que les groupes terroristes internationaux se reformeront ailleurs quels que soient les coups qu’ils auront reçus sur le théâtre afghan.

Cette prudence dans l’objectif affiché ne doit pas conduire à renoncer à lutter contre Al-Qaïda au Pakistan et en Afghanistan. Certes, le réseau a été affaibli par les opérations menées par la coalition, notamment les frappes de drones américains dans les zones tribales. Ses principales infrastructures sur le sol afghan ont été détruites, notamment les camps d’entraînement de Khos et de Jalalabad.

Toutefois, le réseau reste implanté dans la région, ses effectifs étant évalués autour de cent combattants. Par ailleurs, comme cela a été évoqué précédemment, les combattants d’Al-Qaïda ont réussi à exfiltrer leurs principaux responsables. La plupart des services de renseignement s’accordent sur le maintien de capacités opérationnelles d’Al-Qaïda, et ont reconstitué l’organigramme de sa direction, avec les réserves qui s’imposent à ce type d’exercice.

Organigramme de la direction d’Al-Qaïda (hypothèse)

Direction centrale du mouvement

Oussama Ben Laden

Ayman Al-Zawahiri

Saïd Al-Masri

Atigah Abd-Al

Commandements spécialisés

Communication

Entraînement

Opérations extérieures

Abou Yahya Al-Libi

Abdallah Saïd Al-Libi

Saleh Al-Somali

La destruction des bases d’Al-Qaïda doit donc rester un objectif prioritaire pour la coalition. Mais à long terme, l’objectif est bien de doter l’Afghanistan d’autorités suffisamment fortes, et légitimes, pour empêcher le retour de réseaux terroristes dans le pays.

Du point de vue stratégique, la difficulté principale, pour les Occidentaux, consiste à déterminer les conditions de leurs succès. Il s’agit en réalité de garantir que l’Afghanistan ne redevienne pas une base pour les réseaux terroristes internationaux, ce qui implique nécessairement, au-delà des opérations militaires, une action coordonnée permettant le développement et la stabilisation, par les Afghans, de leur propre pays. La coalition doit donc laisser la place, progressivement, à des forces de sécurité afghanes qu’elle aura formées afin de remplir sur le long terme les opérations de contre-insurrection qu’elle assure aujourd’hui.

3) « Afghaniser » le conflit

Dès les premières résolutions du Conseil de Sécurité, l’intervention militaire internationale a reçu pour mission d’aider l’Afghanistan à se doter d’une armée et d’une police. La coalition n’a pas vocation à assurer éternellement la sécurité de l’Afghanistan, mais doit assurer la transition jusqu’à ce que les Afghans puissent prendre en main leur sécurité.

Cette mission a été poursuivie de plusieurs manières, notamment en organisant la formation initiale des soldats afghans, mais également en insérant des militaires occidentaux au sein d’unités de l’armée afghane, dans les cadres des équipes opérationnels de liaison et de monitorat (OMLT pour Operational Mentoring Liaison Teams).

La France participe ainsi à la formation des officiers de l’armée afghane, en menant depuis 2003 l’opération EPIDOTE, composée de 35 soldats. Par ailleurs, une vingtaine de soldats français, avec l’aide d’autant de soldats américains, conduisent des cycles de formation de trois mois qui ont permis jusqu’à présent de doter l’armée afghane d’environ 700 unités de forces spéciales. De plus, la France commande, depuis 2008, une dizaine d’OMLT sur les 52 armées par l’OTAN en Afghanistan.

Parallèlement aux efforts menés en direction de l’armée nationale afghane (ANA), la force internationale d’assistance à la sécurité a également apporté son soutien aux autorités locales, et à la police, en participant à des opérations civilo-militaires au sein des équipes de reconstruction provinciales (PRT pour Provincial Reconstruction Teams) aux tâches diversifiées, allant de la réalisation de petits chantiers à l’aide apportée aux forces de police.

Toutefois, malgré l’existence des OMLT et des PRT, la présence des troupes occidentales sur le sol afghan continue trop souvent d’être considérée comme une occupation militaire étrangère, sentiment dont les taliban jouent habilement pour asseoir leur légitimité auprès de la population locale. Les nombreuses victimes civiles causées par des bombardements de grande ampleur sur des lieux supposés abriter des responsables de l’insurrection sont une raison essentielle de cette perception négative de la coalition par la population afghane. Le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies, Kai Eide, s’est ainsi déclaré préoccupé du nombre de victimes civiles lors d’une opération menée le 4 mai dernier par l’armée américaine dans la province de Farah, à l’ouest de l’Afghanistan, à la suite de laquelle le Président Karzaï a ordonné, pour sa part, une enquête concernant l’utilisation par la coalition de ses moyens aériens.

Entre 2001 et 2006, la coexistence de deux opérations, l’une menée par l’OTAN et encadrée par une résolution du Conseil de Sécurité lui conférant un large mandat, l’autre, conduite par les Etats-Unis et visant uniquement à la destruction des infrastructures utilisées par les groupes terroristes internationaux dans la région, a conduit sans doute à aggraver cette situation. Jusqu’en 2006, la coalition n’était pas présente sur l’ensemble du territoire afghan. Si la coordination des troupes américaines a pu être assurée par le commandement transitoire combiné pour la sécurité en Afghanistan (CSTC-A : Combined Security Tranition Command – Afghanistan), les commandements généraux des deux opérations n’étaient pas directement associés.

Cette difficulté est aujourd’hui résolue, puisque le commandant en chef de la FIAS, le général David Mc Kiernan, est également le commandant de l’opération « Liberté immuable ». Cette double autorité sera également dévolue à la personnalité désignée par l’administration Obama pour le remplacer, le lieutenant-général Stanley McChrystal

De plus, le défaut de vision globale a sans doute renforcé le décalage de perception des forces internationales par les Afghans. La population afghane est très réticente à accorder sa confiance à l’égard de ces soldats considérés comme occupants, voire affublés du terme de « croisés » de l’Occident.

Lors de son discours devant l’US Institute for peace de janvier 2009, le général David Petraeus, commandant en chef des forces américaines de la région Centre (USCENTCOM, qui couvre un territoire allant de l’Egypte au Kazakhstan) et disposant, à ce titre, de l’autorité sur les militaires américains engagés en Afghanistan, a ainsi affirmé que le but de la coalition était désormais d’apparaître comme « des partenaires, et non comme des occupants » (« partners, not occupiers »), ce qui impliquait à la fois des efforts militaires précis contre l’insurrection, mais également une participation au développement et à la stabilisation de l’Afghanistan par les Afghans.

La montée en puissance de l’armée nationale afghane (ANA) est un élément essentiel de la nouvelle stratégie de la coalition en Afghanistan. Environ 26 000 soldats ont ainsi été formés depuis 2007, et environ 29 000 devraient l’être en 2009, selon les prévisions de la FIAS (10). En septembre 2008, le bureau de coordination et de supervision (Joint Coordination and Monitoring Board), qui réunit les institutions gouvernementales afghanes et les principaux partenaires internationaux de l’Afghanistan, sous l’égide du gouvernement afghan et du Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU en Afghanistan, M. Kai Eide, a fixé comme objectif de faire passer les effectifs de l’ANA de 84 000 soldats aujourd’hui à 134 000 d’ici 2011. Une telle augmentation doit permettre à l’armée afghane de reprendre le contrôle de plusieurs régions.

La France, depuis longtemps, défend le principe d’une passation de pouvoir progressive, mais constante, aux autorités afghanes, et à leurs forces de sécurité. Ainsi, c’est dans la région centrale, celle de Kaboul, que les forces de sécurité afghanes – ANA et ANP – ont reçu, le 1er janvier 2009, pour la première fois le commandement général des opérations, assuré auparavant par l’armée française.

Organisé en trois phases, entre les mois d’août et décembre 2008, ce transfert des responsabilités a d’abord concerné la ville de Kaboul, puis les districts situés immédiatement au nord de la capitale, avant d’investir les forces afghanes d’une pleine autorité sur l’ensemble de la province. Cette initiative a permis une forte réduction, de l’ordre de 60 %, des incidents enregistrés dans la province. Son impact sur la population semble également avoir été positif. La FIAS affirme ainsi que plus de 30 % des habitants de la province estiment que la sécurité s’est améliorée à la fin de l’année 2008, contre 10 % qui considèrent que la situation s’est détériorée, chiffre inférieur à la moyenne nationale.

La montée en puissance des forces de sécurité afghanes devrait également concerner la police nationale afghane (ANP). Celle-ci souffre d’une image bien moins favorable que l’ANA, ses agents étant considérés comme très corrompus. La police afghane continue toutefois de payer le plus lourd tribut aux attaques menées par l’insurrection, puisque ses pertes représentent, selon les évaluations conduites par l’état-major de l’OTAN, plus de 60 % de l’ensemble des personnels de sécurité tués par l’insurrection depuis 2007, forces internationales comprises.

Afin de remédier à cette situation, la formation de la police a été ajoutée aux objectifs de la stratégie nationale de développement, en 2008. Une meilleure coordination de l’aide internationale en faveur de l’ANP est désormais possible au sein du bureau international de coordination de la police (IPCB : International Police Coordination Board), qui réunit les principaux acteurs de la formation des policiers afghans, parmi lesquels l’Union européenne (opération EUPOL Afghanistan), l’OTAN et les Etats-Unis (représentés par le commandement transitoire combiné pour la sécurité– CSTC-A).

Le soutien international à la police afghane a fait l’objet d’efforts renouvelés. L’OTAN a ainsi décidé, lors du sommet de Strasbourg-Kehl en avril dernier, de lancer une mission de formation (NTM-A : Nato Training Mission) concernant tant l’ANP que l’ANA. Dans le même ordre d’idées, la France a proposé que soit constituée une mission européenne de formation de la police composée de personnels issus de la Force européenne de gendarmerie. De telles initiatives doivent être soutenues, car elles permettent de faciliter le passage de témoin de la coalition aux forces de sécurité afghanes.

Toutefois, malgré les efforts fournis, les forces de sécurité afghanes ne sont pas encore en mesure d’assurer la sécurité sur la totalité du territoire. D’autres actions doivent donc être imaginées pour renforcer leur légitimité. Lors de leur visite de la base française implantée dans la vallée de la Kapisa, à l’Est de Kaboul, vos Rapporteurs ont pu constater que les soldats de la coalition avaient intégré cette nécessaire promotion de l’activité des forces afghanes, et l’ont mise en œuvre dans une mission de grande envergure.

Le colonel Le Nen a ainsi expliqué que les actions humanitaires, menées immédiatement après l’opération Dinner out avaient été conduites par les forces de sécurité afghanes. Ce sont elles qui ont procédé aux distributions de vivres et de fournitures scolaires, les soldats français n’assurant qu’un soutien logistique.

La mise en avant des forces de sécurité afghane constitue l’un des volets du rôle qui doit être réservé au dispositif militaire international en Afghanistan. Celui-ci ne peut retrouver sa pleine légitimité qu’en étant conçu comme une force d’accompagnement d’efforts portant sur les besoins immédiats de la population, à savoir le développement économique et la mise au point d’un processus de réconciliation nationale permettant d’associer toutes les forces politiques à la reconstruction du pays.

4) L’action militaire au service du développement

Une présence armée est indispensable pour assurer aux autorités afghanes la liberté d’action nécessaire à la reconstruction du pays. La coalition internationale doit donc œuvrer pour améliorer encore le rapport de forces entre l’insurrection et le gouvernement afghan. Elle doit être présentée comme l’un des éléments d’une stratégie plus globale, qui inclut des actions en faveur du développement et de la réconciliation nationale.

En effet, comme le souligne le Secrétaire général des Nations Unies (11), l’action militaire est insuffisante pour garantir que l’Afghanistan ne redevienne pas un sanctuaire terroriste, tant les besoins économiques et sociaux sont immenses. Le présent rapport revient sur les stratégies à mettre en œuvre dans ces domaines.

En plus de la reconstruction du pays, il est indispensable que les conditions soient réunies pour assurer le fonctionnement le plus démocratique des institutions actuellement en place. A court terme, la bonne tenue de l’élection présidentielle, le 20 août prochain, constitue un défi que tous les acteurs, tant afghans qu’internationaux, s’engagent à relever.

A plus long terme, un certain nombre d’avancées doivent être obtenues, dans le domaine des Droits de l’Homme et de la démocratie, avant que ne soit évoquée la possibilité de mettre fin à l’intervention militaire internationale en Afghanistan. Contrairement à ce qui a été parfois envisagé, l’élaboration d’un calendrier de retrait des troupes occidentales ne peut être basée que sur les progrès concrets enregistrés par la population afghane dans tous les domaines, politique, économique et social. Fixer une date de départ reviendrait à indiquer à nos adversaires le moment auquel ils pourraient entamer une offensive qui risquerait d’être décisive et de replonger le pays dans un long cycle de violences.

La nécessité d’associer l’action militaire aux autres efforts fournis par la communauté internationale en faveur de l’Afghanistan a été progressivement prise en compte, et a permis de multiplier les opérations civilo-militaires sur le terrain, comme celles que mènent quotidiennement les troupes françaises en Kapisa. Plus généralement, à la demande des Nations Unies, une approche plus intégrée des diverses dimensions du conflit afghan est aujourd’hui rendue possible par la création d’instances de coordination, comme le Joint Coordination and Monitoring Board déjà évoqué.

Cette nouvelle stratégie doit être poursuivie. Elle doit également s’accompagner d’un discours public à usage national et international, afin de convaincre la population afghane – et les opinions des pays de la coalition – que les actions qui sont menées sur ce territoire ont pour seul objectif d’aider l’Etat afghan à reprendre la main sur son avenir. Quelques arguments pourraient étayer ce nouveau discours et en particulier deux précisions nécessaires pour éclairer le sens de notre intervention :

– La coalition n’est pas une force d'occupation et ses soldats n'ont pas vocation à rester éternellement en Afghanistan. Nous souhaitons en sortir le plus vite possible.

– La coalition n’est pas en croisade contre l'Islam.

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L’histoire de l’intervention militaire en Afghanistan est celle d’un consensus, progressivement détérioré, et qu’il nous faut reconstruire si l’on veut ouvrir la voie à la paix dans la région.

Initialement, tous les Etats de la coalition, appuyés par leurs opinions publiques, ont souhaité apporter leur aide aux Etats-Unis, victimes d’attaques terroristes sur leur propre sol. Ce consensus initial a permis d’infliger une défaite indiscutable au régime taliban.

Mais la persistance d’un mouvement de résistance, se livrant à des opérations de guérilla meurtrières à défaut de pouvoir reprendre le pouvoir, a peu à peu usé la force de l’engagement sur le terrain. Face à des opinions de moins en moins convaincues de la nécessité d’une opération militaire en Afghanistan, la coalition n’a pas su proposer de stratégie claire, permettant d’affirmer les objectifs de sa présence et d’envisager, à long terme, un retrait.

Il est indispensable que le consensus initial soit rétabli, bien que cette unité de vues doive nécessairement reposer sur des fondements différents. En effet, si la lutte contre le terrorisme reste un but fondamental de notre présence en Afghanistan, elle ne peut suffire à justifier la prolongation de notre effort.

Aujourd’hui, les forces internationales en Afghanistan aident à instaurer un rapport de forces favorables à la reconstruction du pays, ce qui implique de porter des coups durs à l’insurrection talibane, et d’aider les autorités du pays à reprendre leur destin en main. Nous devons convaincre l’opinion afghane, et celle des Etats de la coalition, de la pertinence de cette stratégie, qui est à nos yeux le passage obligé d’un chemin pour la paix.

Propositions

Défendue depuis longtemps par la France, une nouvelle stratégie a été adoptée par la coalition internationale en Afghanistan, qui va dans le bon sens : renforcement de l’armée afghane et « afghanisation » de la sécurité, distinction entre les objectifs globaux de la lutte contre le terrorisme et le conflit afghan, intégration de l’outil militaire à une approche globale de la situation, incluant les problèmes politiques, économiques et sociaux.

Cette stratégie pourrait être complétée de plusieurs manières :

Proposition n°1 : Accompagner l'intervention de nos forces armées en Afghanistan d'un discours public à usage national et international, articulé comme suit :

– nous ne sommes pas une force d'occupation et nos soldats n'ont pas vocation à rester éternellement en Afghanistan. Nous partirons dès que l’Afghanistan ne sera plus un sanctuaire du terrorisme international.

– nous ne sommes pas, non plus, en croisade contre l'Islam. Celui-ci est la deuxième religion de France et la République laïque en protège le libre exercice.

– nous sommes en Afghanistan pour aider ce pays et ce peuple ami à construire son avenir sur la paix, la démocratie et le développement.

Proposition n°2 :  Aucun calendrier de retrait de nos troupes ne peut être annoncé sauf dans le cadre d'un règlement de paix négocié.

Proposition n°3 : Adresser un message, au sein de la FIAS aux forces armées américaines afin de ne plus recourir aux bombardements "aveugles" qui font tant de victimes civiles et qui provoquent un sentiment de révolte et de rejet à l'égard des forces de la coalition. Toute destruction doit être suivie le plus rapidement possible d’une phase de reconstruction et d’assistance mettant en valeur l’action de l’armée et de l’Etat afghans afin de légitimer le Gouvernement dans la population.

Proposition n°4 : Proscrire tout comportement de nature à accréditer le discours des taliban sur la « guerre de civilisations ». Par exemple, il faut proscrire toute atteinte à la laïcité du type de la très regrettable « diffusion de bibles » qui a eu lieu il y a quelques semaines.

Proposition n°5 : Donner la priorité à la communication à destination des populations sur le terrain en investissant davantage sur les modes de transmission traditionnels (« chouras », tracts parachutés dans la langue quotidienne, émetteurs radio sur courte distance, etc…) pour contrer le monopole des taliban dans les villages les plus reculés.

Proposition n°6 : Convaincre davantage de pays de religion musulmane d’envoyer des troupes pour mieux démentir toute accusation de « croisade »

Proposition n°7 : Poursuivre et amplifier « l’afghanisation » du conflit et accentuer l'effort de formation de l'Armée Nationale Afghane via les « Operational Mentor and Liaison Teams ». Inciter l’Union européenne à concrétiser rapidement ses engagements concernant l’envoi de gendarmes, afin de permettre la constitution d’un service de sécurité afghan adapté aux réalités des provinces rurales.

II – UN PROCESSUS DE RÉCONCILIATION NATIONALE QUI DÉPEND AUTANT DES AFGHANS QUE DES PAYS VOISINS

Le conflit en Afghanistan ne peut avoir de solution purement militaire, même si l’action des forces armées demeure indispensable pour créer les conditions d’un dialogue politique (comme l’a rappelé le général David Petraeus lors de la Conférence de Munich sur la politique de sécurité, le 8 février dernier).

La recherche d’une solution politique connaît quelques balbutiements plus ou moins discrets. Depuis plusieurs mois, l’ensemble des responsables politiques afghans comme pakistanais, ainsi que ceux des Etats de la FIAS appellent à une solution négociée et des tractations le plus souvent confidentielles se déroulent, d’après les protagonistes eux-mêmes. Mais, au-delà de ces tentatives plus ou moins brouillonnes, il importe de s’interroger sur ce que l’on a coutume d’appeler la « réconciliation nationale ». Pour vos Rapporteurs, celle-ci est un préalable incontournable au processus de paix car la société afghane est profondément divisée, et toute intervention étrangère entraîne ipso facto une alliance de certaines ethnies avec les forces d’invasion, tandis que d’autres sont rejetées dans l’opposition armée.

Le contexte a toutefois évolué au cours de l’année 2008. La recherche d’une sortie du conflit se limitait auparavant à un processus de réconciliation nationale. Mais avec l’intensification de la guerre dans les zones tribales du Nord-Ouest du Pakistan et des relations indo-pakistanaises qui oscillent entre rapprochement et méfiance, la paix ne pourra être instaurée sur la base d’un seul et unique accord entre le gouvernement de Kaboul et les insurgés. Il faudra d’autres accords, notamment entre le gouvernement pakistanais et les Pachtounes des territoires du Nord-Ouest, et s’assurer que l’ensemble de ces accords préserve les intérêts vitaux de l’Inde et du Pakistan, sans oublier ceux d’autres voisins de l’Afghanistan, notamment de l’Iran.

La solution de la question afghane exige donc ce que de nombreux acteurs du conflit appellent une approche globale, incluant le rétablissement de la sécurité, la reconstruction des principales infrastructures civile du pays, la lutte contre la pauvreté et l’éradication du trafic de drogue, pour ne citer que les problèmes les plus importants, tout en gardant conscience que la paix passe par un accord régional par lequel l’Inde comme le Pakistan trouveraient intérêt au rétablissement d’un Afghanistan stable. Cette équation est complexe et exige préalablement qu’un consensus émerge sur les buts de guerre comme sur l’objectif recherché pour le retour de la paix. Les Etats membres de la FIAS – dont beaucoup sont membres de l’OTAN – ont l’habitude d’évoluer dans des environnements complexes, où se mêlent maintien de l’ordre et reconstruction civile (Kosovo, Bosnie…) mais l’Afghanistan constitue un dossier autrement plus difficile, en raison de l’intérêt de certains belligérants à continuer la guerre
(Al-Qaïda, certaines forces talibanes, trafiquants de drogue..), en raison des erreurs commises par la FIAS dans la conduite de la guerre, en raison enfin des difficultés du gouvernement de M. Hamid Karzaï, qui ont donné par ricochet aux taliban un regain de popularité. De puissantes logiques de guerre s’opposent encore à la logique de paix, et les travaux des hauts représentants ou représentants spéciaux désignés pour trouver une solution politique au conflit (MM. Richard Holbrooke, Pierre Lellouche…) doivent intégrer cette donnée dans leur action, tout en améliorant notamment l’efficacité de l’aide civile.

A – Le fait ethnique, facteur d’une solution nationale garantie par une conférence internationale ?

1) Un Etat tampon indispensable à la stabilité de l’Asie du Sud et de l’Asie centrale

« L’aire culturelle afghane… est le carrefour des routes de la soie et des épices et abrite depuis la protohistoire une civilisation cosmopolite. L’Islam, arrivé là depuis dix siècles au moins, y est encore le ferment de l’unité nationale, en Afghanistan comme au Pakistan, créé en 1947, deux pays entre lesquels la question pachtoune suscita des crises répétées. La position de verrou continental de l’Asie qu’occupe l’Afghanistan lui confère une situation essentielle. Cette entité politique fondée en 1747 a précipité la chute de l’URSS… Comment expliquer que ce pays, grand comme la France, tienne un rôle historique aussi considérable ? »  (12)

Toute analyse de la situation politique afghane doit rappeler que l’Afghanistan est composé d’une mosaïque de peuples dont la caractéristique, pour les plus importants, est de vivre à la fois en Afghanistan et dans les pays qui le bordent. Les Pachtounes sont ainsi en Afghanistan et au Pakistan. Le sentiment national peut apparaître d’autant plus diffus que certaines ethnies sont traditionnellement ennemies, comme les Pachtounes et les Tadjiks, mais l’Etat afghan constitue bien une réalité, historiquement fondée sur l’autonomie de tribus attachées à leurs traditions, méfiantes à l’égard d’un pouvoir central essentiellement perçu comme un arbitre et sur l’intérêt des grands empires moghol, persan et chinois, puis plus tard britannique et russe, de disposer d’un Etat tampon en Asie centrale. L’Afghanistan n’est sans doute pas « la nation par excellence » comme la définissait Hannah Arendt pour qualifier l’Etat nation en France, mais il constitue bien une réalité historique.

Le fait ethnique explique en partie la dimension régionale du conflit, même si d’autres facteurs, comme la rivalité indo pakistanaise au Cachemire, l’obsession pakistanaise d’un axe de profondeur stratégique en Afghanistan ou le tracé du futur gazoduc entre le Turkménistan, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde, vital pour cette dernière, entrent également en jeu. La simple lecture d’une carte rappelle également que l’Afghanistan est frontalier ou se trouve à proximité de trois puissances nucléaires, la Chine, le Pakistan et l’Inde et que si l’Iran accédait définitivement au rang de puissance nucléaire militaire, il serait bordé à l’Ouest par un quatrième Etat disposant d’armes stratégiques.

Un tel contexte revitalise l’idée de revenir à la situation de l’Afghanistan avant l’invasion soviétique, quand il vivait sous un statut de neutralité sur lequel vos Rapporteurs reviendront dans la suite du présent rapport.

2) Bref rappel sur les ethnies afghanes

La population afghane, essentiellement rurale, s’élèverait à 31 millions d’habitants (il s’agit d’une estimation, faute de recensement) et peut être divisée en quatre principaux groupes ethniques : les Pachtounes (38 %), les Tadjiks (25 %), les Hazaras (19 %) et les Ouzbeks (6 %). On compte également quelques ethnies moins importantes: les Aïmaks (3,7 %), les Farsiwans (2,8 %), les Turkmènes (1,4 %), les Brahouis (1 %), les Baloutches (0,5 %) et les Nouristanis (0,5 %). Par ailleurs, le pays abrite une trentaine de petites ethnies comptant chacune moins de 10 000 personnes, voire moins de 2 000 ou 1 000 : Arabes, Achkoun, Darwazi, Grangali, Goujari, Jakati, Kamviri, Karakalpak, Kati, Kazak, Kirghizes, Malakhel, Mongols, Mounji, Pachayi, Prasoni, Sanglechi, Savi, Choughni, Choumachti, Tangchewi, Tregami, Ouïgour, Waigali, Wakhi, Wardouji et Wotapouri-Katarqala.

Avec 38% de la population, les Pachtounes disposent d’une majorité relative au sein du peuple afghan. Ils sont cultivateurs et éleveurs, implantés dans le Sud et le Sud-Est de l'Afghanistan (environ 8 millions), ainsi que dans les provinces pakistanaises (12 millions, appelés Pathans), de la frontière du Nord-Ouest et du Baloutchistan. Le Président Karzaï est originaire de cette ethnie qui domine de longue date la vie politique afghane.

Les Pachtounes sont fragmentés en tribus et clans, organisés en deux grandes confédérations: les Duranni et les Ghilzai. Il est intéressant de noter que ces deux confédérations se disputent le pouvoir d’Etat depuis le XVIIIème siècle. Elles ont donné plusieurs padishahs (souverains) à l’Afghanistan. Illustrant la prolongation de l’histoire afghane aux temps modernes, la tribu du mollah Omar comme celle de Gulbuddin Hekmattyar font partie des Ghilzai, tandis que le Président Karzaï est un Duranni, de la branche des Mohammadzai (clan Popalzai). Cet aspect du conflit ne doit jamais être oublié car il est fondamental aux yeux des Afghans. Il explique notamment le phénomène taliban, qui est d’abord un mouvement clanique avant d’être un mouvement religieux.

On rappellera que les Pachtounes n’ont jamais reconnu la ligne Durand, frontière artificiellement fixée entre l’Afghanistan et le Pakistan qui traverse leur zone tribale (13). La porosité de cette frontière située sur un relief montagneux et l’incertitude juridique sur son tracé ont toujours suscité la crainte du Pakistan quant à une éventuelle action déstabilisatrice de l’Inde (comme la création d’un Pachtounistan qui amputerait une nouvelle fois le territoire pakistanais, après la perte du Bengladesh en 1971).

Les Tadjiks (25 % de la population) sont des cultivateurs et des commerçants qui comptent parmi les descendants des plus anciens habitants du pays. Ils ne représentent plus aujourd'hui une véritable ethnie, mais plutôt un ensemble de peuples ayant une culture et une langue commune, le dari (ou persan), d'origine iranienne de l'ouest. (Le commandant Massoud en était le représentant le plus célèbre, ayant réussi à contrôler 15 des 24 provinces afghanes lors de la guerre contre les soviétiques). Le mot « Tadjik » désigne en Afghanistan les persophones sunnites du pays. Les Tadjiks sont plus dispersés que les Pachtounes et habitent surtout dans le Nord-Est, ainsi que plusieurs îlots vers l'Ouest. On trouve des Tadjiks en Afghanistan, mais aussi au Tadjikistan, en Ouzbékistan, au Kazakhstan, en Iran et en Chine, pour un total de quelque 11 millions de personnes, dont sept en Afghanistan.

On distingue deux familles de Tadjiks : les «Tadjiks montagnards» par opposition aux «Tadjiks des plaines». Les premiers sont des musulmans chiites, alors que les seconds, appelés Farsiwans, sont de rite sunnite. En Afghanistan, les Tadjiks comptent traditionnellement parmi les adversaires les plus déterminés des Pachtounes.

Les Hazaras forment 19 % de la population. Agriculteurs et éleveurs, leur principale caractéristique identitaire est d'être des musulmans chiites dans un pays majoritairement sunnite. Pourchassés par les Pachtounes sunnites, les Hazaras ont fini par s’établir dans les plateaux et les vallées des provinces centrales qu'on appelle le Hazaradjat. Cette région a toujours bénéficié d'une grande autonomie administrative, surtout depuis 1979, et officiellement depuis 1984. Beaucoup d’Hazaras ont émigré vers les grandes villes, notamment à Kaboul.

Traditionnellement soutenus par l’Iran, les Hazaras ont obtenu de nombreux postes dans l’administration afghane depuis l’arrivée de la FIAS. Ils sont en conséquence plutôt favorables à la présence occidentale, notamment américaine, qui leur a assuré une promotion sociale dans la société afghane.

Les Ouzbeks, minorité turcophone de 1,4 million d’habitants habite au nord de l'Afghanistan, près de la frontière avec le Turkménistan, l'Ouzbékistan et le Tadjikistan. Les Ouzbeks furent des envahisseurs turco-mongols au XVème siècle et restèrent maîtres du Turkestan jusqu'au XIXe siècle. En Afghanistan, les Ouzbeks sont généralement des cultivateurs et des artisans habitant des villages le long des canaux d'irrigation dans la plaine septentrionale. Ce sont, en principe, des musulmans sunnites de rite hanéfite, mais beaucoup sont non-pratiquants. C’est en Ouzbékistan qu’une partie des membres d’Al-Qaïda sont recrutés. Ils arrivent en Afghanistan via ce pays.

D'une origine ethnique similaire aux Ouzbeks (turcophones), les Turkmènes forment un peuple d'éleveurs estimé à environ 500 000 personnes. Ils sont arrivés de Russie pendant la première moitié du XXe siècle. Ils habitent aujourd'hui tout au Nord de l'Afghanistan, mais la plupart des six millions de Turkmènes résident au Turkménistan, au Nord-Est de l'Iran, en Turquie, en Russie et en Chine. Ce sont des musulmans sunnites divisés en de nombreuses entités claniques.

La plupart des Baloutches (5,6 millions au total) vivent au Baloutchistan, au Nord du Pakistan, mais il existe des communautés baloutches importantes en Afghanistan (environ 100 000), en Iran (environ un million) et au Turkménistan (environ 28 000). Les quelque 100 000 Baloutches de l'Afghanistan habitent dans le Sud-Ouest (provinces de Kandahar, Helmand et Nimrouz), près de la frontière pakistanaise. Les Baloutches afghans se réclament du sunnisme hanéfïte, bien qu'ils conservent de nombreuses croyances particulières et de cultes locaux. Ils parlent le baloutchi, une langue iranienne de la famille indo-européenne. Traditionnellement hostiles au pouvoir central au Pakistan, ils sont, semble-t-il, une des nouvelles cibles pour le prosélytisme des islamistes radicaux.

3) L’idée d’une conférence internationale garantissant un statut de neutralité

« L’Afghanistan est facile à déstabiliser, difficile à occuper et encore plus difficile à réintégrer dans la communauté internationale tant il est sujet aux influences de ses puissants voisins ou aux manipulations des Grands. Ses périodes d’indépendance, de neutralité ou de paix ont toutes été interrompues par la guerre » (14).

La stabilisation de l’Afghanistan dépend autant d’un processus de réconciliation nationale que de ses voisins, au premier chef du Pakistan avec lequel il partage l’ethnie pachtoune. Mais l’Iran, l’Inde et la Chine ont des intérêts importants en Afghanistan. Par ailleurs, la déstabilisation du Pakistan, à la fois sanctuaire des taliban et livré à une guerre civile, fait de l’Asie du Sud un nœud de problèmes entremêlés.

Les liens des différentes communautés afghanes avec les pays voisins constituent l’un des facteurs qui accrédite l’idée qu’un processus de réconciliation nationale puisse être garanti par une conférence régionale ou d’un format plus large, si l’on estime que les Etats-Unis, la Russie, l’Union européenne ou les principaux Etats européens de la FIAS, l’Arabie saoudite et les Etats du Golfe persique sont les garants indispensables d’une paix future. Une telle conférence pourrait permettre la négociation et la signature d’un nouveau traité qui tiendrait compte des préoccupations de sécurité de l’Afghanistan comme du Pakistan, notamment en fixant définitivement la frontière entre les deux pays, par reconnaissance ou aménagement de la ligne Durand. Cette frontière est un élément primordial des relations entre les deux pays. C’est notamment parce qu’il la contestait que l’Afghanistan, membre de l’ONU depuis 1946, a voté contre l’admission du Pakistan dans cette organisation en 1947.

Cette conférence pourrait également garantir à l’Afghanistan un statut de neutralité reconnu internationalement. L’Afghanistan en a bénéficié à plusieurs reprises au cours de son histoire (comme avec le traité soviéto–afghan de non agression et de neutralité en 1931). Cette garantie signifierait la renonciation par les puissances signataires à intégrer l’Afghanistan dans leur sphère d’influence. Elle n’est possible que si les pays frontaliers ou proches y trouvent intérêt. Or l’Afghanistan est une voie de transit pour l’ensemble des pays de la région, et si le volet politique et militaire d’un tel traité était complété par un dispositif favorisant les échanges commerciaux, l’Afghanistan deviendrait un facteur de progrès économique pour ses voisins. A la logique de guerre qui peut actuellement les animer succèderait une logique de paix.

Vos Rapporteurs sont évidemment conscients des nombreux obstacles qui se dressent devant ce processus, ne serait-ce qu’en raison de la situation politique au Pakistan ou du rôle que joue l’Iran tant dans le conflit afghan que dans tous les autres dossiers du Moyen-Orient. Une telle conférence ne semble pas en mesure de régler le problème du Cachemire, que l’Inde n’envisage que sous un angle intérieur, ou tout au plus bilatéralement avec le Pakistan… Mais de nombreux responsables politiques et analystes avancent cette idée de conférence régionale ou internationale, qui revient à ramener l’Afghanistan à son rôle séculaire d’Etat tampon entre de grands empires.

B - Quelle guerre pour quelle paix ?

1) A l’origine, une guerre asymétrique contre un homme et non contre un Etat

L’opération Enduring Freedom a été lancée en 2001 avec trois objectifs : détruire les sanctuaires terroristes, arrêter les leaders d’Al-Qaïda et prévenir le retour d’activités terroristes en Afghanistan. On relèvera que cette guerre n’a donc pas été officiellement conduite contre un Etat – l’Afghanistan – mais contre un homme, Oussama Ben Laden et contre les forces qui le soutenaient, ce qui constitue un fait rare dans l’histoire…

L’objectif de l’opération a automatiquement déterminé le type de guerre que les Etats de la FIAS étaient obligés de conduire : il s’agit d’une guerre asymétrique, dans laquelle après avoir remporté une victoire initiale (prise de Kaboul et rapide contrôle des provinces), la coalition s’est heurtée à des difficultés croissantes pour ramener la paix civile, faute d’avoir mesuré l’importance de l’aide au développement pour stabiliser le pays. Les forces de la FIAS n’affrontent pas une armée régulière, mais se livrent à des actions de contre guerilla contre plusieurs types d’ennemis (radicaux islamistes, nationalistes pachtounes, trafiquants) disposant d’appuis au sein de la population. Il est très difficile de conduire ce type de guerre, contre un ennemi mal défini, évanescent, se fondant dans la population.

L’histoire militaire offre de nombreux exemples des difficultés rencontrées par des Etats plongés dans des guerres asymétriques. Les Etats-Unis avaient en tête la première guerre d’Irak lorsqu’ils ont lancé l’opération Enduring Freedom, mais cette référence était peut-être inadéquate. Ils n’avaient pas à cette époque l’intention de se maintenir en Irak, mais se limitaient à libérer le Koweit, et comme l’a affirmé l’ancien général des Marines Anthony Zinni, «  notre offensive a été victorieuse dans le Golfe parce que nous avons eu la chance de tomber sur le seul méchant au monde assez stupide pour accepter d’affronter les Etats-Unis dans un combat symétrique ».

2) De la guerre contre Al-Qaïda à la guerre contre les taliban : la dérive d’un conflit initialement limité

Comme toutes les guerres asymétriques, celle d’Afghanistan a été facile à commencer. La victoire a été suivie d’une période de relative accalmie jusqu’en 2004, mais la situation a empiré depuis. La violence, d’abord sporadique, s’est généralisée. Même si une part du conflit est liée au contrôle de territoires servant à produire l’opium, constituant le volet mafieux de la guerre, il est indéniable que la guerre n’oppose plus principalement les troupes de la FIAS à Al-Qaïda, dont les effectifs sont désormais réduits, mais qu’elle a dérivé en un conflit infiniment plus dangereux, mettant aux prises la coalition à des tribus pachtounes vivant de part et d’autre de la frontière afghano-pakistanaise, et faisant courir au Pakistan un véritable risque de déstabilisation. La période qui s’est écoulée entre 2004 et 2007 a permis aux taliban pachtounes de se réarmer et d’adapter leur stratégie. Créés et armés par les Etats-Unis et les services secrets pakistanais dans les années 90, les taliban ont pris leur autonomie et font de la défense d’un Islam sunnite ultra-orthodoxe qu’ils pratiquent le socle idéologique de leur lutte.

La montée en puissance des taliban appelle plusieurs réflexions. Comme le rappelle l’universitaire et chercheur Jean-Luc Racine, « le mot taliban est aujourd’hui sujet à caution. S’il désigne, sinon les étudiants en religion sortis des écoles coraniques, du moins des islamistes convaincus prônant un Islam rétrograde qu’illustra le mollah Omar, que dire des violences attribuées à des conflits inscrits dans des logiques locales  Les taliban, combien d’hommes ? Quelques milliers ? Dix mille ? A temps plein ou pas ?». La difficulté principale de la FIAS est qu’elle affronte effectivement des combattants non sur un théâtre d’opérations, mais sur des centaines de micro théâtres. Les insurgés se diluent facilement dans la population, sont agriculteurs le jour et combattants la nuit. Certains concepts de guerre comme « tenir le terrain » n’ont aucun sens lorsque, après s’être retirés, les taliban reviennent dans des villages où ils imposent leur ordre social soit par l’argent, soit par la terreur.

Il n’existe actuellement aucune carte précise de l’emprise directe ou surtout indirecte – compte tenu de la nature du conflit – que les taliban ou insurgés exercent sur le territoire afghan. L’Est et le Sud constituent bien leur bastion, mais ils s’étendent vers le Nord et évoluent en toute liberté dans Kaboul même. Ils recourent à l’affrontement militaire direct mais aussi aux attentats à la bombe et aux attentats suicide, révélant par ces méthodes la coopération technique qui s’est instaurée avec Al-Qaïda.

Les observateurs ne s’accordent pas non plus sur les objectifs des taliban. Sans doute ces objectifs sont-ils différents d’une région à l’autre, d’une vallée à l’autre. Leur degré de centralisation ou de coordination est également un sujet de débat. Or, le fait pour la FIAS de ne pas bien connaître ses adversaires rend son combat moins efficace. En revanche, tous s’accordent sur le fait que les taliban ne sont pas de simples obscurantistes nostalgiques d’une société théocratique ancestrale. Ce sont des combattants modernes, qui ont des objectifs précis (militantisme islamique, maintien de leur autonomie, contrôle d’un territoire..) et qui usent de tous les moyens technologiques (téléphones portables, vidéos) pour conduire parallèlement à leurs opérations de guerre des campagnes de propagande justifiant leur combat. Ils administrent également les zones qu’ils contrôlent et leur gestion est souvent bien perçue par la population, notamment dans le domaine judiciaire où ils dirigent des tribunaux auxquels l’accès est gratuit et qui rendent une justice rapide. En résumé, ils mènent un combat global là où la FIAS ne mène pour l’heure que des opérations de contre guérilla.

Initialement limitée à la lutte contre le terrorisme, la guerre d’Afghanistan a donc changé de nature, et elle se révèle infiniment plus dangereuse pour les pays de la FIAS car son combat n’est plus contre une nébuleuse radicale mais contre une ethnie qui constitue la principale composante du peuple afghan, un élément également important du peuple pakistanais, animée d’un fort sentiment clanique, accrochée à ses traditions et disposant de l’avantage du terrain.

La dérive du conflit pose un problème politique majeur, dès lors que les pays de la FIAS recherchent la paix: avec qui négocier ? Par tradition, les Pachtounes vivent en larges clans, traditionnellement autonomes, et règlent leurs affaires dans les petites ou des grandes assemblées (Jirghas). Ainsi que vos Rapporteurs le soulignent au chapitre IV du présent rapport, les années de guerre ont en partie modifié la société pachtoune. Aux chefs coutumiers, khans ou maleks, investis par l’âge, ont succédé de jeunes chefs disposant de l’autorité gagnée au combat, et qui cherchent à fédérer les tribus. Ces chefs ont un pouvoir, mais leur légitimité est encore fragile alors que la tradition du consensus demeure vivace.

3) D’Haqqani à Hekmattyar, un mouvement taliban largement enraciné dans la population

Le vieil adage selon lequel on ne peut faire la paix qu’avec ses ennemis trouve tout son sens avec le problème posé par les taliban. Ces derniers ont trouvé depuis deux ans un regain de popularité au sein de la population qui garde de leur passage au pouvoir le souvenir d’une société d’ordre, où la criminalité était faible.

La question de la conduite de la guerre comme celle de la recherche de la paix rend inévitable une autre question : avec lesquels des taliban est-il possible de négocier ? Ce mouvement, perçu de manière globale en Occident, est en fait divisé en tendances qui n’ont pas les mêmes objectifs.

Le réseau Haqqani, du nom de son fondateur Jalleludin Haqqani (à la fois combattant, fin lettré et allié à des familles du Golfe persique), dirigé par son fils Sirajuddin, réunit environ 400 combattants implantés au Pakistan. Longtemps proche d’Oussama Ben Laden, il est difficile de déterminer actuellement s’il est actionné par le Pakistan pour déstabiliser l’Afghanistan ou s’il a pris son autonomie.

Le Hezb e Islami Kheles est dirigé par El Haq Mohamed. Principalement implanté dans la zone de Tora Bora, il rassemble une centaine d’hommes.

Le Hezb i Islami d’Hekmattyar, célèbre taliban qui a exercé le pouvoir à Kaboul où il fut Premier ministre, rassemble 400 hommes à proximité immédiate des forces françaises. Connu pour son radicalisme, il constitue un interlocuteur incontournable car il semble néanmoins prêt à accepter un accord politique. Gulbuddin Hekmattyar résume à lui seul la complexité de l’histoire afghane puisqu’il fut armé et financé par la CIA lors de la lutte contre les soviétiques, et fut à ce titre le principal bénéficiaire des 3,3 milliards de dollars alloués à la résistance afghane via des canaux saoudiens. Chassé du pouvoir et considéré comme terroriste par les Américains après avoir admis publiquement qu’il avait aidé Oussama Ben Laden et El Zawahiri à s’échapper, il demeure au cœur de l’échiquier politique afghan. L’une des questions le concernant est de savoir si les Etats-Unis accepteraient un accord politique qui en ferait à nouveau un acteur légal de la scène afghane. Ils ne peuvent en effet ignorer que des négociations entre ses émissaires et ceux du Président Karzaï se déroulaient le jour même de l’embuscade qui a coûté la vie à 10 soldats français

Les talebs du mollah Omar réunissent 7000 à 8000 combattants, auxquels s’ajoutent environ 10 000 sympathisants. Hostile au suffrage universel et partisan d’une théocratie, le mollah Omar conduit sa propre guerre. Il réside de notoriété publique dans la ville de Quetta, en territoire pakistanais, au Baloutchistan, et reçoit une abondante correspondance en provenance de Kaboul, notamment d’anciens ministres taliban qui y résident, comme Zahif. Son importance politique constitue sans doute la raison pour laquelle les services pakistanais n’ont pas procédé à son arrestation.

Il est indéniable que les mouvements taliban n’agissent pas uniquement dans la clandestinité, ni même par des moyens exclusivement militaires. Ils font de la politique selon les voies normales. Pour avoir exercé le pouvoir à Kaboul, et compte tenu de la nature clanique de la société pachtoune, Hekmattyar dispose ainsi de fonctionnaires qui lui sont dévoués tant au sein de l’administration centrale qu’au sein des administrations locales. Plusieurs députés au Parlement lui ont fait allégeance. Dans un tel contexte, il est difficile de parler de la construction d’un Etat afghan disposant de fonctionnaires impartiaux. Les caractéristiques de la société afghane empêchent d’atteindre à court terme un tel objectif.

C – Une situation politique dominée par une échéance électorale qui met en jeu la crédibilité de l’OTAN

La situation politique est dominée depuis plusieurs mois par l’échéance de l’élection présidentielle d’août 2009. Ce rendez-vous est capital pour l’avenir de l’Afghanistan. Si le scrutin ne pouvait se dérouler normalement, comme le souhaitent les taliban, l’ensemble du processus d’édification d’un Etat de droit et la crédibilité de l’OTAN comme force capable de stabiliser le pays seraient gravement altérés.

1) L’objectif principal : assurer la régularité de l’élection présidentielle

L’analyse de la situation politique en Afghanistan fait souvent l’objet de vives critiques, qui mettent en avant la corruption, la présence de trafiquants de drogue parmi les parlementaires, l’absence d’Etat de droit, d’administration efficace, etc… La plupart de ces critiques sont fondées, mais il faut rappeler que l’Afghanistan est en guerre depuis 30 ans et que sa société est principalement organisée autour de réseaux et d’allégeances ethniques et claniques. La notion de séparation des pouvoirs ne fait pas non plus partie de la manière dont les Afghans perçoivent la politique, dans un pays où les petites et grandes jirghas, réunis autour des anciens, ont pour objet de faire émerger un consensus. Il ne faut donc pas s’attendre à voir apparaître des partis politiques au sens où nous les entendons en Occident. La vie politique afghane continuera à avoir comme pivot des partis formés sur une base ethnique ou autour de chefs particulièrement puissants à l’échelle régionale.

La FIAS ne doit en aucun cas – elle ne le peut d’ailleurs pas – chercher à restructurer la vie politique afghane. Ce serait contraire à l’objectif consistant à ce que les Afghans reconstruisent eux-mêmes leur Etat. Elle peut en revanche conduire son action à partir de ce que tout observateur qui s’est rendu en Afghanistan peut aussi aisément constater : même si elle s’exerce de manière très différente que dans nos pays, la vie politique afghane n’en est pas moins active, avec de nombreux débats, une presse libre et souvent virulente dans ses critiques. Le seul fait qu’elle s’organise actuellement autour d’une échéance électorale – l’élection présidentielle du 20 août prochain – montre que la démocratie s’instaure progressivement en Afghanistan. Le 9 octobre 2004, les Afghanes et les Afghans s’étaient massivement rendus aux urnes pour la première élection présidentielle et si ce phénomène se renouvelle pour la seconde élection que connaîtra ce pays, la preuve sera apportée qu’il n’y a aucune incompatibilité entre société musulmane (même conservatrice) et démocratie, et que le peuple afghan est attaché à reprendre la maîtrise de son destin, malgré la violence dont il est victime quotidiennement.

Tel est l’enjeu du scrutin du 20 août. En conséquence, le défi de la FIAS est d’assurer la régularité du processus électoral, sans illusion excessive. Il est évident que des personnes illettrées voteront comme les chefs locaux le leur demanderont, et que des voix seront achetées. Mais parallèlement, la FIAS peut et doit exiger que la campagne électorale et le scrutin se déroulent dans le respect d’un cadre légal, dont les Afghans prendront progressivement l’habitude avec le temps. Là résident actuellement les principales inquiétudes de la communauté internationale. Les pouvoirs publics afghans n’ont en effet toujours pas, à ce jour, pris les mesures légales et pratiques qui permettront aux candidats de faire campagne, qu’il s’agisse d’un accès équitable aux médias, de leurs moyens de transport en province ou de leur protection physique.

Le dramatique exemple iranien, avec les fraudes lors de la récente élection présidentielle, nous montre à quel point un exercice démocratique dont la régularité ne peut être avérée avec rigueur et transparence est source de contestation, de violences et, in fine, éloigne de la démocratie.

2) La situation du Président Karzaï

Le Président Karzai est le favori de l’élection, même si certains observateurs jugent qu’il est isolé et affaibli. Les diplomates et les militaires considèrent que l’autorité du gouvernement légal ne dépasse guère la région de Kaboul – ses opposants le surnomment le maire de Kaboul – et certains grands axes routiers. Les taliban, pour montrer leur force et fragiliser son pouvoir, commettent de plus en plus d’attentats à Kaboul et sur les grands axes. La reconstruction de l'Etat afghan reste en conséquence précaire, la sécurité n’étant plus assurée, comme le démontre la forte recrudescence de la violence dans le Sud et l'Est depuis le début du printemps 2008, ainsi qu’à Kaboul. Il ne faut pas dissimuler que le pouvoir en place a perdu une grande partie de sa crédibilité.

La scène politique afghane continue de se caractériser par les relations difficiles entre les pouvoirs exécutif et législatif. Le Parlement, qui se sent marginalisé, tend à vouloir affirmer son rôle en s'opposant au Président Karzai. La mouvance d'opposition du Front National Uni, qui réunit des anciens membres de l'Alliance du Nord et ex-communistes, milite pour un régime parlementaire et décentralisé. Elle semble représenter une force importante au sein de la société, qui se manifeste dans le rejet du gouvernement et le souhait de renforcer le rôle du Parlement, représentatif des ethnies, par rapport à un exécutif considéré comme trop puissant (ce qu’il n’est pas, en réalité).

La perspective des élections présidentielles de 2009 avive par ailleurs les jeux de pouvoir. Hamid Karzai se représentera aux élections présidentielles, bien qu’il fasse l’objet de fortes et nombreuses critiques. Au plan intérieur, il est perçu comme trop dépendant des Etats-Unis. De nombreux Afghans lui reprochent en outre de n'avoir pas combattu la corruption qui gangrène tous les échelons de la société (gouverneurs ex seigneurs de guerre, élus, administration…) à commencer par son entourage proche (son frère est ouvertement accusé d’être un trafiquant de drogue). Au plan extérieur, plusieurs pays de la FIAS, notamment la Grande-Bretagne, critiquent son immobilisme et s’interrogent sur sa stratégie de réunification politique du pays. Il pourrait pourtant apparaître comme le seul candidat crédible car il est en position d’arbitre entre les différents partis afghans et même s’il a rompu avec les taliban, il a brièvement été proche de leur mouvance en 1995 et 1996 (avant de refuser un poste qui lui était proposé par le mollah Omar) et peut donc conduire des négociations avec ceux qui accepteraient de déposer les armes.

44 candidats se sont finalement déclarés avant le 8 mai, date de clôture de la période d’enregistrement. Si la plupart d’entre eux ne semblent pas bénéficier d’un soutien important, cinq candidats pourraient rassembler une nombre conséquent de voix. M. Abdullah Abdullah, qui fait figure de candidat du « Nord », paraît le concurrent le plus sérieux de M. Karzaï. MM. Ashraf Ghani, Hedayat Amin Arsala semblent également bénéficier d’un certain soutien. Deux candidats originaux pourraient également susciter un certain engouement : M. Sayyed Jalal Karim, revenu en Afghanistan après avoir fait fortune en Arabie Saoudite, et M. Bachar Dost, populaire à Kaboul.

L’absence de certains candidats sérieux est révélatrice des difficultés rencontrées pour organiser les élections. M. Anwaroulaq Ahadi, ancien ministre des finances, que vos Rapporteurs ont pu rencontrer, a finalement renoncé à concourir, mais pourrait être intégré au futur gouvernement. En revanche, M. Ali Ahmad Jalali et de M. Gul Agha Sherzoï semblent avoir perdu espoir de remporter le moindre succès dans cette élection, alors qu’ils auraient pu imaginer que leur importance politique leur garantirait un réel poids électoral.

La préparation de l’élection présidentielle de 2009, désormais fixée au 20 août, a été difficile mais le calendrier en est désormais fixé, avec un dépôt des candidatures le 15 juin et une campagne électorale du 16 juin au 18 août. Les inquiétudes portent sur les listes électorales. Après bien des hésitations, les autorités afghanes ont annoncé, en juillet 2008, leur choix de mettre à jour ces listes, établies en 2005 (le processus a été conduit entre octobre 2008 et février 2009, en quatre phases). Cette décision ne satisfaisait guère les Européens et les Américains, qui ne cachaient pas leur scepticisme : les listes électorales de 2005 laissaient en effet beaucoup à désirer. Actuellement, 17 millions de cartes électorales seraient en circulation alors que la population adulte est moindre. Aussi considéraient-ils que le choix de les actualiser, plutôt que de les refaire, risquait de détériorer encore la validité du scrutin à venir.

3) Négocier avec les taliban ?

C’est dans ce contexte qu’il faut analyser les tentatives du Président Karzaï de négocier avec les taliban qui accepteraient l’ordre constitutionnel (concrètement, des Pachtounes conservateurs). Cette proposition a été reprise, avec la prudence qui convient, tant par M. Robert Gates, secrétaire d’Etat à la défense des Etats-Unis que par M. Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères. Elle s’insère dans un schéma de solution afghane du conflit, souhaitée par la FIAS.

En fonction des ethnies auxquelles ils appartiennent, les interlocuteurs de vos Rapporteurs ont oscillé sur ce sujet entre l’intérêt, le scepticisme ou la franche hostilité. L’intérêt d’une solution nationale, d’un processus de réconciliation n’est guère contesté. La paix passera par un accord entre le pouvoir central, les régions dominées par les Pachtounes et les principales autres ethnies. L’essentiel est dans le contenu de ce futur accord. Certaines forces politiques estiment que les chances de succès passent par un accord préalable entre Delhi, Islamabad et Kaboul, justifiant ainsi une approche régionale pour la fin du conflit. Si l’Inde et le Pakistan arrivent à mettre de côté leur méfiance mutuelle sur le dossier afghan, l’une et l’autre disposent de leviers sur certains groupes afghans pour les convaincre de négocier.

La proposition du Président Karzaï est analysée par ses adversaires comme une tentative de s’attirer le soutien des Pachtounes les plus conservateurs. Ils rappellent qu’il a déjà tenté une médiation de ce genre en 2004 et contestent que ce soit son frère qui conduise, apparemment, ce processus de dialogue, alors qu’il n’a aucune légitimité politique. La récente loi votée discrètement par le Parlement afghan au début du mois d’avril 2009, avec l’appui du Président Karzaï – bien qu’il l’ait contesté – pour satisfaire certains membres de la communauté chiite, et tendant à rendre légitime le viol conjugal et à interdire aux femmes de sortir de leur maison sans l’autorisation de leur mari, procédait de la même logique : obtenir des suffrages supplémentaires. Sur ce point, la très vive réaction des Etats de la FIAS, après que le quotidien britannique The Guardian ait révélé la teneur de la loi, a conduit les autorités afghanes à retirer ce texte.

Par ailleurs, certains Afghans considèrent que les taliban, qui ne raisonnent qu’en rapport de force, voient dans la négociation l’aveu caché de la faiblesse de leur adversaire et qu’en conséquence, toute négociation doit être précédée d’une victoire militaire probante. Le mollah Omar a ainsi refusé officiellement toute approche de la part du gouvernement afghan.

Plus intéressante est la tentative de médiation saoudienne, initiée par un ressortissant algérien familier du Londonistan (communauté pakistanaise de Londres). L’Arabie saoudite et les monarchies du Golfe jouissent d’une capacité d’influence importante en Afghanistan, en raison de leur aide financière et du prestige spirituel de gardienne des Lieux saints de la famille royale saoudienne. Il convient de rappeler qu’elles ont soutenu, lors de la guerre du Koweit en 1991, les partis politiques pakistanais et les factions talibanes qui avaient pris parti contre Saddam Hussein. Ainsi le Jamah e Islami d’Hekmattyar, favorable au dictateur irakien, avait-il été temporairement privé de subsides, au profit du Jamaat Ulema al Islam. Le mouvement taliban, pendant la guerre contre les soviétiques, s’est largement développé grâce à l’argent saoudien, qui a permis la construction de nombreuses madrasahs (15). L’Arabie saoudite s’est ensuite trouvée dans l’obligation de rompre avec certains mouvements car elle était la cible d’Al-Qaïda, en raison de son alliance avec les Etats-Unis. Elle cherche actuellement à contrôler l’ensemble des mouvements salafistes, et à ce titre, espère dissocier le mollah Omar (qui appartient à la mouvance salafiste) d’Al-Qaïda, sans réel succès semble-t-il, mais les négociations demeureraient ouvertes.

C’est le frère du Président Karzaï qui a porté à Riyad la position du gouvernement afghan. Il semble que les négociations aient tourné court car son entrevue a été rendue publique, ce qui ne pouvait que mettre fin à la négociation.

Entretien avec deux anciens ministres taliban

Lors de leur déplacement en Afghanistan, vos Rapporteurs se sont entretenus, le 16 avril 2009, avec deux anciens ministres taliban. Cet entretien a eu lieu, pour des raisons bien compréhensibles, hors de la présence des diplomates français.

Nos interlocuteurs étaient M. Wakil Al-Moutawakil, ancien ministre des Affaires étrangères et M. Abdul Saleem Zahif, ancien ministre des Transports et ancien Ambassadeur au Pakistan, tous deux membres du Gouvernement taliban jusqu’en 2001.

Après la chute des taliban, M. Al-Moutawakil a été emprisonné à Bagram, tandis que M. Zahif a été transféré à Guantanamo. Il a relaté son expérience dans un livre intitulé « Prisonnier à Guantanamo ».

L’entretien a duré deux heures, avec une interruption pour la prière. Nos interlocuteurs ont fait preuve, au moins en apparence, d’une certaine franchise, même si l’atmosphère de cette conversation pouvait apparaître étrange, car ils ne nous ont jamais regardé dans les yeux…

Lors de leur rencontre avec les deux anciens ministres, vos Rapporteurs ont pu constater que les taliban semblaient ouverts à la possibilité d’une négociation future, bien qu’ils continuent de demander, pour le moment, un retrait préalable des troupes étrangères.

Niant que des négociations de haut niveau soient intervenues entre des responsables de leur mouvement et les autorités gouvernementales, les interlocuteurs de la mission ont toutefois souligné que les discussions de Riyad avaient permis de fixer les exigences des parties. A ce sujet, ces deux anciens membres du gouvernement afghan sont restés flous sur leurs conditions, insistant sur la nécessité de faire partir les troupes étrangères, et l’impasse dans laquelle l’Afghanistan se trouverait aujourd’hui, du fait d’une attitude trop interventionniste de la communauté internationale. Si l’action de certains pays, comme la France et l’Allemagne, n’a pas suscité de critiques de leur part, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis ont fait l’objet d’attaques virulentes, fustigeant une attitude comparée à celle d’une armée d’occupation.

Au-delà de ces considérations sur la situation actuelle, ils ont précisé que les responsables de leur mouvement, y compris le mollah Omar, seraient prêts à participer à des discussions si ces dernières ne réunissaient que des Afghans, et sous réserve que les poursuites actuellement lancées contre eux soient abandonnées. De plus, toute négociation sur le sort de l’Afghanistan incluant les taliban doit impliquer, pour ces derniers, la présence des hiérarques du mouvement situés au Pakistan.

Sur le long terme, les taliban s’affirment prêts à offrir à la communauté internationale la garantie que l’Afghanistan ne redeviendra pas un sanctuaire pour le terrorisme. Sans que leur projet d’avenir puisse être précisément décrit, les deux anciens ministres rencontrés par la mission ont également indiqué qu’ils étaient prêts à admettre que la Constitution soit rédigée en accord avec d’autres forces politiques afghanes, bien qu’ils rejettent le texte actuel, qu’ils considèrent dicté par les forces étrangères.

Rappelant fréquemment qu’ils n’avaient pas engagé les hostilités avec la communauté internationale, et qu’ils ne souhaitaient pas être associés aux groupes terroristes internationaux, qu’ils considèrent comme des étrangers imposés par les Occidentaux, les taliban rencontrés par vos Rapporteurs ont affirmé qu’aucun candidat ne leur paraissait meilleur qu’Hamid Karzaï. Bien que ne participant pas au processus électoral, ils ont précisé que leur mouvement n’entreprendrait aucune action visant à empêcher son bon déroulement.

La relation avec les taliban n’est pas appréhendée de la même manière par les principaux voisins de l’Afghanistan. Prenant acte du caractère transfrontalier de la guerre, l’Afghanistan et le Pakistan ont créé deux commissions mixtes pour régler certains problèmes, y compris les relations avec les taliban. Les lourdes pertes subies par l’armée pakistanaise dans les territoires du Nord Ouest jouxtant la frontière afghane rappellent que le conflit afghan est aussi un conflit pakistanais, qui a pris le caractère d’une guerre civile. Vos rapporteurs présentent au chapitre IV les relations entre le pouvoir pakistanais et les taliban.

L’Inde en revanche est hostile, officiellement, à toute discussion avec les taliban, en qui elle voit les auteurs des attentats commis sur son sol.

Le débat sur d’éventuelles discussions avec les taliban prend également place dans un contexte régional qui comprend le Pakistan. Les nouveaux objectifs de la FIAS sont aussi difficiles à atteindre que les anciens. Ils dépendent en grande partie du contexte régional. Le regain de violence constaté dans les territoires du Nord Ouest du Pakistan illustre la montée en puissance d’un mouvement taliban pakistanais qui a ses objectifs propres. La violence se propage désormais vers d’autres régions du pays (vallée de Swat, région d’Islamabad, Baloutchistan…). Les taliban n’ont aucun intérêt politique immédiat à faire la paix. Disposant de l’avantage d’un terrain sur lequel ils vivent, conduisant une guerre à moindre coût que les pays de la FIAS, qui subissent les contrecoups budgétaires de la crise financière, ils peuvent faire durer le conflit, jusqu’à ce qu’ils acceptent de déposer les armes en échange de l’obtention d’une partie du pouvoir d’Etat et d’une application de leur modèle social.

Le risque est réel et pose un problème politique et moral aux pays membres de la FIAS. L’accord du 16 février 2009 dans la vallée du Swat a été pendant un court laps de temps analysé comme le présage d’un accord plus large entre les gouvernements de Kaboul et d’Islamabad, chacun avec leurs différentes factions talibanes: la paix contre la charia. Face à ce qu’il considère comme une impossibilité de vaincre les taliban, face à une armée qui a subi de lourdes pertes sur son propre territoire, face à des partis religieux ou ethniques, représentés au Parlement, qui soutiennent ouvertement les taliban, le gouvernement d’Islamabad a semblé préférer abandonner le peu de souveraineté qu’il exerçait au Nord Ouest en renonçant à l’application du droit commun au profit de la seule charia, y compris pour l’exercice de la justice. Mettre fin à la guerre en échange d’une « paix talibane » a cependant été dénoncé comme un jeu très dangereux (le quotidien pakistanais Dawn s’est ainsi interrogé sur la nature de l’Etat pakistanais dans son éditorial du 17 février dernier en indiquant que l’accord de Swat était «un signal désastreux… Combattez l’Etat et il vous donnera ce que vous voulez »), les taliban disposant alors en toute légalité d’un véritable sanctuaire, leur permettant ensuite de déstabiliser le Baloutchistan et de renforcer en permanence les taliban d’Afghanistan. La communauté internationale, notamment les Etats de la FIAS, s’en est fortement inquiétée (intervention de Pierre Lellouche lors de la conférence de Tokyo le 17 avril dernier).

La situation est désormais considérée comme moins préoccupante, dans la mesure où les autorités civiles pakistanaises comme l’état-major de l’armée ont fini par en prendre conscience pour déclencher en mai dernier une contre offensive (dont les motifs ne sont pas toujours clairs selon certains observateurs, cf chapitre IV). On relèvera également la très vive réaction des populations pakistanaises non pachtounes, excédées par les exactions commises par les taliban dans le Swat et qui ont appelé le Gouvernement à intervenir militairement.

Le problème de Swat, comme celui, plus général, des territoires du Nord Ouest et des zones tribales, met les pays de la FIAS devant un dilemme chaque fois que le gouvernement pakistanais ou des autorités locales concèdent un abandon de souveraineté. Faut-il en réaction accentuer la pression sur le Pakistan, avec comme corollaire la radicalisation de l’ensemble de l’opinion pakistanaise ? Accepter la paix talibane, qui signifie un abandon de certaines valeurs, notamment la défense des droits des femmes ? Lorsque de tels accords ont été signés, la guerre a rapidement repris, comme avec les opérations talibanes dans la vallée de Buner, peu après les accords de Swat… La paix contre la charia, la paix sous l’égide des taliban n’est pas une solution. Elle constitue un risque qu’il convient d’écarter.

4) Une nécessaire révision des objectifs de la présence de la FIAS

Les déclarations des responsables des principaux pays de la FIAS (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Canada, Allemagne, France…) ont évolué ces derniers mois, abandonnant l’idée d’une victoire militaire totale – qui n’aurait d’ailleurs aucun sens si elle n’était pas accompagnée d’une politique de reconstruction – pour privilégier la recherche d’une solution entre Afghans. Les diplomates en poste dans le pays ont depuis longtemps appuyé cette idée.

L’idée d’une solution afghane oblige les Etats de la FIAS à reconsidérer le fondement même de leur présence. Si la lutte contre le terrorisme comme l’affirmation de droits fondamentaux, notamment en faveur des femmes, ne peuvent être abandonnées, la perspective de voir des forces talibanes radicales déposer les armes et réintégrer un jeu politique pacifique risque de susciter quelques difficultés au sein de la coalition. Mais il s’agit peut-être d’une réalité à laquelle il faudra se préparer, en application de la realpolitik.

A l’évidence, les Etats membres de la FIAS sont prêts à réviser les objectifs de leur présence pour se concentrer sur les points suivants :

• Abandonner l’idée d’instaurer la démocratie de type occidental à court terme dans une société très conservatrice. L’Occident est en Afghanistan non pour défendre ses idéaux ou son modèle d’organisation politique, mais pour que les Afghans reprennent en main leur destin, au travers d’institutions qu’ils auront choisies.

• Obtenir un rapport de force militairement favorable. Le gouvernement du Président Karzai propose chaque année de négocier avec les taliban, mais chaque initiative est restée sans suite. Or, la situation militaire est difficile, mais n’est pas si défavorable aux forces de la FIAS : 90 % de la violence se concentre sur 20 % du territoire, sur la ceinture pachtoune, ce qui permet d’affirmer que la guerre d’Afghanistan est surtout une guerre ethnique. Le problème est que les taliban ont changé de tactique en 2007 et donnent un caractère spectaculaire à leurs actions. L’adaptation de la tactique de la FIAS devrait permettre d’affaiblir les taliban pour les amener à une négociation sérieuse.

• Informer leur opinion publique que la FIAS conduit deux combats : elle affronte d’une part les taliban, qui sont principalement des Afghans en lutte contre le pouvoir central, d’autre part elle lutte contre le terrorisme. Il s’agit d’un combat contre des forces implantées à la fois en Afghanistan et au Pakistan et financièrement soutenues par différents canaux financiers dont certains proviennent de réseaux religieux en Arabie saoudite, dont l’Occident a encore mal pris la mesure.

• Enfin, la communauté internationale doit améliorer l’utilisation de son aide civile. Sans cette condition, la présence de la FIAS sera rejetée par les Afghans qui rappellent fréquemment à leurs interlocuteurs étrangers que sous les taliban, le gouvernement était moins corrompu et la sécurité était assurée.

5) La mise en jeu de la crédibilité de l’OTAN

L’élection présidentielle constitue un enjeu majeur pour la communauté internationale. La crédibilité de l'OTAN est directement engagée sur la réussite du processus électoral.

Il serait en effet difficile d’expliquer un échec du processus électoral pour des raisons sécuritaires après 8 ans de présence militaire de la FIAS. Les milliards de dollars d'aide internationale, alloués tant pour la reconstruction de l’Etat que de la société apparaîtraient comme un pur gaspillage. L’OTAN est en conséquence devant un défi considérable, car les élections de 2004 et de 2005 se sont déroulées dans un climat à peu près serein. Elle est au défi d’obtenir le même résultat en août 2009, alors que la sécurité ne règne plus dans le pays. La légitimité de ces élections serait remise en cause.

Les insurgés n’ont pour l’heure livré aucun indice de leurs intentions. Ils sont certainement en position de pouvoir perturber considérablement le déroulement des élections, voire les empêcher dans une partie des zones rurales de la moitié Sud du pays, ainsi que dans les zones frontalières avec le Pakistan. Les Britanniques sont particulièrement concernés par cette menace dans la mesure où la province de Helmand, dont ils ont la responsabilité, est un bastion de l'insurrection où les taliban contrôlent de nombreuses zones. La plupart des diplomates en poste à Kaboul estiment que les taliban chercheront à peser par la violence sur l’élection dans les autres provinces : Nouristan, Kunar, Paktika, Khost, Oruzgan, Helmand, Kandahar, Day Kundi. La gamme des méthodes pour intimider la population est vaste : distribution de tracts, menaces verbales ou physiques, enlèvement, exécution filmée et montrée à la population.

Dans ces régions, il est également probable que les fonctionnaires qui organiseront les bureaux de vote et livreront les urnes et le matériel équipant les bureaux de vote seront menacés ou pris pour cible. En outre, dans les régions où les anciens seigneurs de la guerre ont une forte influence (Ismaël Khan à Hérat, Rachid Dostum dans le Nord, Rabbani dans le Badakhshan...), des tentatives de fraude massive sont possibles.

D – La question des Droits de l’Homme

Si la principale raison de l’intervention de la FIAS à la fin de 2001 a pour origine le soutien du régime taliban au terrorisme, la plupart des analystes s’accordaient sur le fait que les Afghans semblaient satisfaits de l’éviction d’un pouvoir qui appliquait un Islam si rétrograde qu’il mettait en péril la vie des veuves, réduites à la misère, cloîtrait les femmes à leur domicile et les privait de l’accès aux soins, sans oublier les atteintes à la liberté d’expression et le droit des jeunes filles à l’éducation.

Lors de leurs missions à Kaboul, vos Rapporteurs ont pu s’entretenir avec les responsables locaux des principales organisations actives dans le domaine des Droits de l’Homme (16), ainsi que des représentants d’Etats qui ont donné une place importante à cette matière dans leur stratégie en Afghanistan (17).

Membre de l’ONU depuis 1946, l’Afghanistan est signataire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, qui garantit les libertés civiques, économiques, sociales et culturelles de la personne humaine. Cette déclaration n’est en rien incompatible avec les valeurs d’une société musulmane. Elle a d’ailleurs été rédigée avec soin pour lui conférer une portée universelle, afin de s’appliquer quelle que soient les valeurs laïques ou religieuses auxquelles adhère un pays.

L’on observera également que l’organisation politique de l’Afghanistan, avant l’intervention des soviétiques, puis de la FIAS, n’avait rien de fondamentalement choquante par rapport aux Droits de l’Homme. Ce pays était certes sujet à une instabilité chronique, avec de nombreux coups d’Etat (cf chronologie de l’histoire afghane en annexe du présent rapport), mais ce fait n’avait guère d’importance dans un pays où l’autorité du pouvoir central ne dépassait guère la région de Kaboul. En revanche, chaque ethnie afghane avait coutume de gérer les affaires courantes et de rendre la justice au moyen d’assemblées locales, composées de chefs coutumiers et de religieux. L’Afghanistan n’avait rien d’une démocratie mais son organisation politique reposait sur une gestion collective des affaires publiques, comme dans de nombreuses sociétés rurales en Asie ou en Afrique.

L’application des Droits de l’Homme est malaisée dans des sociétés où l’importance de l’individu s’efface derrière le groupe auquel il appartient. Ce point est très sensible en Afghanistan, chez les Pachtounes, où il est exigé une stricte adhésion à un mode de vie. L’universitaire français Laurent Dessart a décrit avec finesse les mécanismes complexes qui régissent les rapports entre les membres d’un même clan et entre clans dans son mémoire intitulé Une justice sans l’Etat, mécanisme des conflits et structures des lignages dans l’organisation politique et sociale pachtoune. Le code de l’honneur qui régit les Pachtounes est ainsi à l’origine des violences à l’égard des femmes, mais comme ce code constitue leur univers mental, les Droits de l’Homme sont perçus comme une atteinte à l’existence de la société pachtoune.

1) Des signaux encore inquiétants

De nombreux éléments semblent plaider en faveur de la thèse selon laquelle l’Afghanistan, pays marqué par un fort tribalisme et l’adhésion de 99 % de la population à la religion musulmane, notamment dans ses versions les plus traditionalistes, ne pourrait intégrer des normes politiques marquées par le respect de la démocratie, de l’Etat de droit et des libertés individuelles.

Un projet de loi, adopté par le Parlement afghan, portant sur le statut des femmes chiites, a ainsi suscité une réprobation marquée de la part de la coalition, mais également de l’ONU et des ONG intervenant dans le domaine des Droits de l’Homme. Certaines des dispositions de cette loi, que le Président Karzaï a signée en mars 2009 mais qu’il a affirmé ne pas vouloir promulguer, représentent en effet une négation absolue des droits les plus fondamentaux de la personne humaine : mariage dès l’âge de neuf ans (ultérieurement augmenté à 16 ans, par amendement), obligation de répondre favorablement aux demandes à caractère sexuel du mari, limitation de la liberté de mouvement des femmes, restriction des droits des femmes en cas de décès de leur mari.

De la même manière, les jeunes filles afghanes souhaitant se rendre à l’école ont été, comme au Pakistan, victimes d’attaques à l’acide, comme en novembre 2008 à Kandahar. Une vague d’attentats au gaz visant des écoles de filles a également été lancée au mois de mai dernier, sans que ceux-ci ne puissent être précisément attribués à un groupe identifié d’insurgés.

Enfin, il est difficile de parler de Droits de l’Homme sans justice digne de ce nom. Or la confiance des Afghans dans les institutions judiciaires reste limitée. Les tribunaux de l’Etat fonctionnent mal et la corruption y est généralisée. La justice traditionnelle exercée par les chefs de village, les maleks, dispose d’une plus grande autorité pour trancher les litiges, et elle présente l’avantage d’être gratuite et de fonctionner rapidement. Les taliban ont bien saisi l’intérêt qu’elle représente car pour asseoir leur pouvoir, ils se substituent dès qu’ils peuvent aux maleks pour rendre à leur tour la justice. Celle-ci est un enjeu de pouvoir dans les zones de conflit.

Dans ce contexte, les objectifs fixés par la communauté internationale peuvent apparaître en décalage avec la société afghane. Pour l’année 2009, la MANUA affirme se concentrer sur huit thèmes différents : la protection des civils, la lutte contre les violences faites aux femmes, le règlement judiciaire des conflits antérieurs à l’adoption de la nouvelle Constitution – parfois qualifié de justice transitionnelle – la liberté d’expression, les élections, la pauvreté et les droits individuels ainsi que l’assistance technique pour doter l’Etat afghan des structures nécessaires au respect de ces principes.

Plusieurs éléments montrent que les Afghans pourraient être sensibles à ce programme si leur principale préoccupation, la sécurité, est prise en compte. Le nombre important d’électrices et d’électeurs lors du premier scrutin présidentiel a prouvé que le suffrage universel était une notion qui pouvait s’enraciner dans la vie politique afghane. De nombreux journaux font preuve d’une grande liberté d’expression dans leur soutien comme dans la critique du pouvoir en place. L’Afghanistan n’est donc pas terra incognita pour les Droits de l’Homme. Il faut simplement que les institutions internationales veillent non à les imposer, mais à faire en sorte que les Afghans se les approprient.

2) La réalité d’une situation plus contrastée

Bien que des signes inquiétants continuent d’être envoyés, tant par les autorités que par la société civile, les efforts fournis afin de promouvoir la démocratie et les Droits de l’Homme peuvent trouver, en Afghanistan, un soutien important.

Tous les interlocuteurs rencontrés par vos Rapporteurs ont souligné la flexibilité de la position des autorités afghanes sur ce sujet et l’importance de l’implication des partenaires internationaux de l’Afghanistan. Le gouvernement afghan, loin de se poser systématiquement en adversaire des principes promus par les Occidentaux, y compris en période préélectorale, a régulièrement prouvé qu’il était prêt à soutenir des initiatives importantes lorsque la communauté internationale réussissait à se montrer unie et exigeante, sur certains points.

Les autorités afghanes peuvent donc constituer un relais efficace pour les actions visant à soutenir les Droits de l’Homme en Afghanistan. En outre, la population afghane n’est pas imperméable à ces principes. Ainsi, alors même que la situation des femmes reste alarmante, la proportion de députées siégeant au sein du Parlement afghan est supérieure à 25 % (68 élues pour 249 sièges au total). Selon les responsables de l’ONU, la société afghane serait ainsi « ouverte aux principes démocratiques, sans pouvoir l’exprimer dans le langage des droits de l’homme ».

Aucun acteur afghan ne semble donc souhaiter réellement que la communauté internationale ne renonce à ses objectifs en matière de Droits de l’Homme, malgré l’importance des défis à relever. Il semble toutefois illusoire de penser que les standards occidentaux pourront être imposés de l’extérieur à une société aux traditions encore vivaces. Dès lors, une approche nuancée pourrait être proposée, afin d’élaborer une liste de principes sur lesquels les partenaires de l’Afghanistan ne sauraient transiger, tout en laissant les autorités afghanes plus libres de leur action dans d’autres domaines.

3) Exiger un socle minimum de droits

Il est difficile, si ce n’est impossible, de faire émerger un ensemble de normes strictement définies dont la garantie effective par les autorités afghanes permettrait le retrait des troupes occidentales. De la même manière que la fixation préalable d’une date de départ, une telle solution offrirait sans doute plus d’inconvénients que d’avantages, en permettant notamment aux insurgés de critiquer les Droits de l’Homme comme une atteinte à leurs traditions.

Sans lier nécessairement les avancées en matière de Droits de l’Homme et la question du retrait des troupes, les pays de la FIAS ont toute légitimité pour exiger qu’un socle minimum de droits soit appliqué quand ils quitteront l’Afghanistan. Certains objectifs sont hautement prioritaires : scolarisation des jeunes filles, accès des femmes à la vie professionnelle et à des fonctions sociales et politiques, libre exercice du suffrage universel, régularité et sincérité des scrutins, liberté de la presse…

Dans ce contexte, la communauté internationale doit hiérarchiser ses priorités. Si la lutte contre la corruption est un impératif, la réalité nous impose la persistance d’une économie parallèle, fondée sur la production de pavot et sa transformation en opium, génératrice de violence. Combattre cette forme d’économie exige de mettre en route des actions de développement qui ne porteront leurs fruits qu’après plusieurs mois. En revanche, la mise en œuvre de droits civiques et civils peut s’effectuer indépendamment de la situation économique. Ainsi rien n’empêche la FIAS d’en affirmer le caractère prioritaire et de les mettre en œuvre.

Propositions

L’Afghanistan sera face dans les prochaines semaines au défi d’assurer, avec l’aide de la FIAS, une élection présidentielle libre et loyale. Parallèlement, le processus de réconciliation nationale est un préalable indispensable au retour de la paix. Nous estimons qu’il doit se dérouler en deux temps, avec la mise en œuvre de négociations à l’échelle nationale, puis une fois l’accord obtenu, par la garantie de celui-ci au travers d’une conférence internationale sous l’égide de l’ONU.

La mise en œuvre d’une négociation doit se fonder sur des principes politiques clairs : réaffirmation de la pleine et entière souveraineté de l’Afghanistan, acceptation par les forces politiques qui négocieront de l’ordre constitutionnel afghan, engagement de leur part à mettre en place une administration locale, libre exercice de leur culte par les sunnites et les chiites…

Proposition n°8 : S'assurer, par la délégation d'un très grand nombre d'observateurs, du caractère « libre et loyal » de l'élection présidentielle du 20 août prochain. La FIAS doit fournir ses meilleurs efforts pour assurer la sécurité du scrutin. Nous suggérons le soutien de la France à la fondation afghane chargée de l’observation des élections, pour faire en sorte qu’elle ait des observateurs afghans dans tous les bureaux de vote. Pour promouvoir la liberté du vote des femmes, une Ligue des femmes d’Afghanistan pourrait être subventionnée par l’Union européenne.

Proposition n°9 : Rayer du langage officiel et diplomatique le concept de « taliban modéré ». Cette expression n'a pas de sens car elle n'a pas de traduction concrète. Nous suggérons de parler des "insurgés" : c'est à eux, dans leur diversité, que doit s'adresser le processus de réconciliation nationale.

Proposition n°10 : Réserver la participation au processus de réconciliation nationale, que nous jugeons indispensable pour solidifier les bases afghanes d'un règlement de paix, aux Afghans eux-mêmes, fût-ce par l'entremise d'une médiation extérieure comme la médiation saoudienne. La communauté internationale doit se borner à rappeler nos exigences minimales concernant les droits fondamentaux ou la démocratie. En particulier, nous devons être attentifs aux droits de la femme afghane comme en témoigne le triste épisode du vote de la loi chiite. Sans prétendre imposer des "standards occidentaux" nous devons affirmer le droit à l'éducation des jeunes filles afghanes.

Proposition n°11 : Dans le prolongement de la Conférence de Paris, créer un groupe de contact permanent comprenant tous les pays frontaliers de l’Afghanistan ainsi que l’Inde, ayant pour objet de traiter les sujets d’intérêt commun. Les premiers travaux de ce groupe porteraient sur la sécurisation des frontières et des douanes, la lutte contre le trafic de drogue et les infrastructures de transports de biens, de marchandises et d’énergie.

A moyen terme, le groupe de contact aurait également pour objet de créer les conditions d’une meilleure transparence sur les arsenaux nucléaires et les forces militaires en présence dans la région, afin de prévenir le risque d’une attaque préventive et de limiter la course aux armements.

Proposition n°12 : Convoquer une conférence régionale parrainée par des représentants des Etats-Unis et de l’Union européenne pour définir précisément les conditions d’une paix durable en Afghanistan. Elle réaffirmera solennellement la neutralité de l’Afghanistan et le droit de ce pays au respect des principes de non ingérence et d’intangibilité de ses frontières.

Cette conférence se réunira sur la base des travaux du groupe de contact réunissant les 6 pays frontaliers de l’Afghanistan, y compris la Chine et l’Iran, ainsi que l’Inde et l’Arabie Saoudite.

Les conclusions de la conférence régionale devront être garanties par le Conseil de sécurité des Nations Unies.

III – CONSTRUIRE UN ETAT POUR RELEVER LE DEFI DU DEVELOPPEMENT

A la chute des taliban, l’Afghanistan s’est vu confronté à une situation économique et sociale particulièrement dégradée. La quasi-totalité des infrastructures vitales, en grande partie détruites lors de la guerre contre l’Union soviétique, n’a été que très partiellement reconstruite par le gouvernement fondamentaliste. Les besoins dans tous les domaines sont donc immenses.

Parallèlement à l’action militaire engagée par l’OTAN, un effort significatif a ainsi été fourni en matière d’aide au développement. Plusieurs dizaines de milliards ont été promis par les principaux donateurs mondiaux, au premier rang desquels les Etats-Unis et le Royaume-Uni, mais également l’Allemagne et l’Union européenne.

Initialement dispersée, cette aide doit permettre l’émergence d’un appareil étatique afghan capable de prendre en main le développement du pays. Cet objectif, aujourd’hui partagé par tous les acteurs internationaux présents sur le terrain, ne pourra être rempli qu’en améliorant le dispositif de l’aide au développement.

La France a un rôle particulier à jouer dans ce domaine, et son rôle doit être renforcé, en accentuant l’orientation opportunément proposée par Pierre Lellouche, représentant spécial pour l’Afghanistan et le Pakistan

A – Aider l’Etat afghan à développer le pays

1) Sécurité, gouvernance et développement : des problèmes liés

Après trente années de guerre, dont plusieurs années de guerre civile, la situation de l’Afghanistan nécessitait une intervention humanitaire d’urgence, à laquelle les grands Etats, les organisations internationales et les principales organisations non gouvernementales ont participé dès l’origine.

L’importance de l’effort consenti a permis de remédier aux difficultés les plus urgentes. D’importants succès ont été enregistrés au cours de la période 2002 – 2008, rappelés notamment par la MANUA (18) :

– Le PIB par habitant a augmenté de plus de 70% depuis 2002 ;

– 85% des Afghans vivent dans des districts où ils ont accès à la gamme élémentaire de services de santé ;

– 6 millions d’enfants sont inscrits à l’école ;

– 2,5 millions d’Afghans ont reçu un soutien social ;

– 13 150 km de routes ont été réhabilités, améliorés ou construits ;

– 75% des Afghans ont accès aux télécommunications ;

– 32 000 villages ont bénéficié de projets de développement ;

– 3 millions d’Afghans ont bénéficié de projets ruraux d’eau potable et d’assainissement ;

– 140 000 policiers et soldats ont été recrutés et entraînés depuis 2003 ;

– 7 700 000 mines et munitions non explosées ont été neutralisées depuis 2001.

Ces résultats n’ont pas permis d’améliorer significativement la perception par la population afghane de sa propre situation. Alors même que des initiatives concrètes étaient menées, avec succès, dans des domaines essentiels à la reconstruction du pays, l’Afghanistan continuait à souffrir de deux maux principaux : une insécurité flagrante, et l’incapacité des institutions afghanes à mobiliser des ressources internes suffisantes pour prendre une part prépondérante dans le processus de développement du pays.

Ces deux obstacles au développement du pays sont très largement liés. Sans institutions stables, la sécurité ne peut être assurée sur l’ensemble du territoire. A l’inverse, tant que les ressources sont concentrées sur le renforcement de la sécurité, il est difficile pour le gouvernement afghan de proposer des solutions de long terme à des régions qui échappent largement à son contrôle. Face à ce constat, l’aide internationale apparaît comme trop concentrée sur certains secteurs jugés indispensables, et manque de coordination globale.

Plusieurs conférences ont cherché à renforcer la coordination entre les différents bailleurs. La conférence de Londres en 2006 a notamment permis au gouvernement afghan de faire valider par la communauté internationale, à travers le « Pacte pour l’Afghanistan », sa propre stratégie de développement (ANDS : Afghanistan National Development Strategy).

Afin d’améliorer la coopération entre les autorités afghanes et les intervenants internationaux, une structure de liaison, le Joint Coordination and Monitoring Board, réunit régulièrement des ONG, des Etats donateurs et les autorités afghanes. La coprésidence de cette structure accordée au Représentant Spécial du Secrétaire général en Afghanistan, Kai Eide, permet également d’unifier l’action des contributeurs.

Mais le retard accumulé depuis les premières interventions humanitaires subsiste. Il est nécessaire d’aborder simultanément les difficultés rencontrées en Afghanistan ce qui passe, comme dans le domaine militaire, par une nouvelle approche.

2) Vers une approche intégrée du développement de l’Afghanistan ?

Dès le début de l’année 2008, la France a plaidé en faveur d’une approche abordant simultanément les trois dimensions essentielles de l’action internationale en Afghanistan : la sécurité, la gouvernance, le développement économique et social. Une telle démarche est d’autant plus facile qu’elle s’inscrit désormais dans le cadre de l’ANDS, programme de développement fixé par le gouvernement afghan.

Lors de l’un de leurs entretiens avec le représentant spécial de la France en Afghanistan et au Pakistan, vos Rapporteurs ont pu mesurer à quel point il était difficile d’associer toutes les initiatives afin de contribuer globalement à la prise de contrôle par l’Etat afghan de son propre destin. L’aide versée par les Etats-Unis, la plus importante, continue ainsi d’être organisée par différentes institutions, et la décision récente de nommer un coordonnateur de l’aide humanitaire démontre à quel point il est nécessaire de réformer les canaux d’allocation des fonds.

Toutefois, l’approche intégrée devrait pouvoir être admise, à terme, par tous les intervenants. Les Nations Unies en ont ainsi fait le maître mot de leur action sur le terrain. La mission d’assistance des Nations Unies pour l’Afghanistan établit ses priorités en fonction de la situation de chaque région. Dans les régions dites « sécurisées » ses efforts sont concentrés sur le développement. Dans une partie des provinces du Sud et de l’Est, appelées « régions critiques », ses interventions visent principalement à établir une nouvelle gouvernance. Enfin, dans les zones « critiques », c’est la sécurité qui est considérée comme le premier objectif à l’heure actuelle.

Le nécessaire développement d’une approche intégrée, associant action militaire, établissement de l’autorité de l’Etat sur le territoire et aide au développement, n’exonère pas pour autant les bailleurs de fonds des critiques dont ils continuent d’être l’objet.

B – Comment mieux gérer l’aide internationale ?

1) Plusieurs critiques formulées depuis l’origine

De nombreux documents, provenant de sources publiques comme d’ONG, ont régulièrement dénoncé le déséquilibre existant entre les engagements financiers pris par les différents intervenants et la réalité de l’aide versée en Afghanistan. Publié en mars 2008 par l’Agence de coordination de l’assistance à l’Afghanistan (ACBAR : Agency coordinating body for Afghan Relief) et Oxfam, largement repris dans la presse, le rapport intitulé « Manque à verser » (« Falling short ») rappelait ainsi que, de 2002 à 2008, certains donateurs n’avaient versé qu’un tiers des sommes qu’ils avaient promises pour aider à la reconstruction civile du pays, d’autres, dont les Etats-Unis, seulement la moitié. L’Union européenne et l’Allemagne, donateurs importants, avaient quant à eux respecté leurs engagements à hauteur des deux tiers.

Le rapport estimait ainsi à environ 40 milliards de dollars le montant total de l’aide versée, dont 25 milliards en faveur des forces de sécurité afghanes, excluant les dépenses effectuées par les membres de la coalition au titre de leur engagement militaire, très largement supérieures aux dépenses d’aide publique. Les 15 milliards de dollars réservés au financement du développement civil du pays ne représentaient qu’une faible part des 25 milliards promis initialement.

Plusieurs explications peuvent être apportées à cet état de fait, d’ailleurs rappelées par le rapport « Falling short ». En premier lieu, la réticence des donateurs à s’engager à aider des autorités publiques, notamment locales, considérées comme très largement corrompues. De très nombreuses sources s’accordent ainsi à décrire l’Afghanistan, 172ème sur 180 dans le classement de 2008 de Transparency International, comme un pays miné par la corruption de ses institutions. Le centre de recherche Integrity Watch Afghanistan publie régulièrement des études de cas montrant les risques que fait peser la corruption sur la bonne utilisation de l’aide internationale.

Le problème de la corruption est pris en compte par les donateurs. L’agence d’aide au développement américaine USAID a notamment publié, en mars dernier, un rapport appelant à un renforcement de l’action contre ce phénomène. Pour autant, ce constat n’exonère pas les donateurs d’une certaine responsabilité en matière de développement de la corruption.

Lors d’une réunion à l’ambassade de France à Kaboul avec les principaux contributeurs (19), vos Rapporteurs ont ainsi pu constater que les procédures actuellement suivies pour prodiguer une aide technique et financière à l’Afghanistan ont tendance à encourager la corruption. Les autorités locales ne sont que faiblement contrôlées par une institution récente, l’Independant Local Development Group, et certains ont pu affirmer que l’aide en direction de l’Afghanistan revenait trop souvent à remettre un « chèque en blanc » aux gouverneurs de province.

Or, ces derniers n’offrent pas aujourd’hui toutes les garanties quant au bon usage des fonds que l’aide internationale met à leur disposition. Peu habitués à la gestion de collectivités publiques locales, les gouverneurs ne sont pas entourés de personnels formés à ces tâches, et manquent dès lors de la formation nécessaire à l’accomplissement de leur mission.

La complexité des relations entre les autorités centrales et les provinces a été soulignée par tous les interlocuteurs rencontrés à Kaboul par vos Rapporteurs. Même si certaines régions semblent être gouvernées par des équipes plus stables, il reste difficile de contrôler l’usage des fonds qui leur sont attribués.

Dans une société largement marquée par l’existence de clans, les responsables locaux ont tendance à privilégier systématiquement les opérateurs économiques qu’ils contrôlent, directement ou par l’intermédiaire de membres de leurs familles, dans les domaines concernés par les programmes d’aide, notamment les travaux publics.

De manière générale, tous les rapports publiés sur le sujet de la corruption soulignent le risque que fait peser le déséquilibre entre les salaires versés par les organisations internationales et les ONG à leurs collaborateurs afghans par rapport aux traitements accordés aux fonctionnaires afghans. Un policier afghan touche environ 100 dollars par mois, et un général de police environ 1000 dollars, sommes sans commune mesure avec les grilles salariales pratiquées au sein de certaines organisations internationales et ONG. Les conditions d’accès de la population afghane à ces postes très convoités, font peser des soupçons d’opacité sur les méthodes de recrutement.

Par ailleurs, les méthodes de travail des ONG et des organisations internationales ont fait l’objet de nombreuses critiques. En plus des risques de corruption précédemment évoqués, le montant des salaires et le coût des études préalables à l’intervention humanitaire sur le terrain peuvent faire régner un sentiment de parasitage de l’aide internationale destinée, en priorité, à la population afghane.

Enfin, l’aide internationale en faveur de l’Afghanistan est longtemps apparue comme incohérente, du fait de la diversité des acteurs impliqués, incluant des Etats, des institutions financières internationales, des banques publiques de développement, des organisations internationales, chacun poursuivant des objectifs propres.

L’évaporation de l’aide, du fait de la corruption et de méthodes de travail considérées comme opaques, et la complexité d’un dispositif international d’une ampleur presque inégalée, ont conduit les divers intervenants, désireux de renforcer l’aide au développement de l’Afghanistan, à accompagner leurs nouveaux engagements de conditions plus claires.

2) Des progrès à accomplir

En plus d’une augmentation du montant global de l’aide versée, les conférences de Londres et de Paris ont permis de répondre partiellement à certaines de ces critiques, notamment celles concernant la coordination entre les bailleurs de fonds.

Lors de l’un de leurs déplacements à Kaboul, vos Rapporteurs ont ainsi pu constater que les travailleurs humanitaires de terrain considéraient dans l’ensemble que la coordination de l’aide internationale s’était améliorée. Les principales difficultés concernent actuellement les Etats-Unis, dont les multiples agences ont parfois du mal à agir en parfaite coopération.

Afin d’intégrer réellement l’ensemble des actions pouvant contribuer au développement de l’Afghanistan, d’autre obstacles doivent toutefois être levés, qui concernent la sécurité du pays, et la gouvernance interne.

L’articulation entre l’intervention militaire et les actions civiles reste le problème le plus aigu. Toutes les institutions actives sur le sol afghan rappellent que la sécurité constitue la première de leur préoccupation.

De plus, les travailleurs humanitaires ont souligné la faible capacité d’absorption de l’aide par l’Afghanistan, résultant principalement de difficultés de gouvernance, notamment le manque de compétences locales pour mener les projets de développement financés par les donateurs.

Une telle situation est aggravée par le décalage, déjà souligné, entre les salaires versés par l’Etat afghan et ceux que proposent les organisations internationales et les principales ONG. Le gouvernement afghan, qui rencontre déjà de grandes difficultés à former des experts compétents dans les domaines cruciaux pour l’avenir du pays, voit donc ses meilleurs fonctionnaires quitter son service et rejoindre des structures internationales.

Le ministre afghan de la réhabilitation rurale et du développement, M. Ehsan Zia, expliquait ainsi qu’il avait dû embaucher deux ingénieurs agronomes de nationalité tadjike, aucun candidat afghan n’acceptant les emplois proposés, pourtant rémunérés à hauteur de 1500 dollars par mois. Il serait souhaitable que les différentes organisations internationales et les ONG présentes en Afghanistan s’engagent à respecter des normes salariales interdisant que les rémunérations qu’elles proposent soient supérieures au double des plus hauts salaires publics locaux.

De la même manière, les problèmes rencontrés dans les provinces, déjà abordés dans ce rapport, soulignent la nécessité d’offrir aux responsables locaux une formation adaptée, permettant de faire des exécutifs locaux de véritables partenaires des différentes organisations oeuvrant au développement du pays. La création d’une école nationale, et/ou d’instituts régionaux, de formation des différents responsables administratifs afghans, sur le modèle de l’école nationale d’administration française et/ou des instituts régionaux d’administration, pourrait être envisagée.

L’action européenne en faveur du développement de l’Afghanistan illustre de manière particulièrement explicite les difficultés à coordonner les diverses actions conduites par la communauté internationale dans le pays.

3) Le cas particulier de l’aide européenne

Comme le rappelle la résolution du Parlement européen en date du 15 janvier 2009, le montant de l’aide versée par la Commission européenne en Afghanistan, 1,4 milliards d’euros pour la période 2002-2007, fait de l’Union européenne l’un des contributeurs majeurs des programmes de développement dans le pays.

Ces dépenses ont principalement visé cinq secteurs : la gouvernance, la lutte contre la drogue, la sécurité alimentaire, les infrastructures, la santé, l’aide aux réfugiés et les actions de déminage. Le document de stratégie pour 2007 – 2013 s’efforce de mieux cibler l’aide communautaire, en retenant trois secteurs principaux (gouvernance, développement rural et santé) et trois secondaires (protection sociale, déminage et coopération régionale). 90 % des 610 millions d’euros rendus disponibles pour la période 2007-2010 devraient être concentrés sur les trois objectifs prioritaires.

En plus de l’action humanitaire conduite par la Commission européenne, qui dispose depuis 2002 d’une délégation à Kaboul, l’Union européenne soutient la formation de la police afghane, à travers la mission EUPOL Afghanistan, dirigée depuis 2008 par M. Kai Vittrup. Prévue pour s’achever en 2010, cette mission bénéficie d’un budget global de 64 millions d’euros jusqu’en 2009, et a permis de lancer des actions de formation à Kaboul et dans seize provinces afghanes.

Renouvelé, à la fois dans son volet humanitaire et en matière de formation des forces de sécurité, l’engagement européen en faveur de l’Afghanistan reste significatif. Il continue toutefois de souffrir de profondes difficultés quant à la coordination de ses actions.

Le représentant spécial de l’Union européenne pour l’Afghanistan, qui fixe les orientations politiques pour l’action européenne dans la région, coexiste en effet avec les services de la Commission européenne. Malgré une coopération de fait entre ces deux instances, la persistance d’une double représentation de l’Union en Afghanistan nuit considérablement à la visibilité de l’aide européenne dans le pays. Le regroupement de ces services devrait être envisagé, pour mettre fin à cette situation.

De plus, les efforts européens en faveur de l’Afghanistan devraient faire l’objet d’une présentation plus claire. Actuellement, il n’existe aucun document qui retrace avec exactitude l’aide des Etats européens comme l’aide de l’Union européenne. Le total de ces aides est évalué à 8 milliards d’euros.

Lors de la présidence française de l’Union européenne, un projet de « livre bleu », recensant l’ensemble des initiatives financées par des acteurs publics européens, nationaux et communautaire, a été engagé. Une telle initiative vise à accroître la visibilité de l’aide européenne, en réunissant dans un même document l’ensemble de ces actions, et doit donc être menée à bien. Vos Rapporteurs regrettent que l’Union européenne n’ait toujours pas achevé ce travail alors qu’il serait utile, dans un deuxième temps, d’élargir cette idée à l’ensemble de l’aide internationale.

Plus généralement, l’Union européenne gagnerait à définir une stratégie générale pour la région. L’extension au Pakistan du mandat du représentant spécial pour l’Afghanistan, prévue par l’action commune du 4 juin dernier, représente un pas important.

Malgré cette avancée, une meilleure coordination entre l’Europe et les Etats reste nécessaire. Ainsi, le sommet Union européenne – Pakistan du 13 mars dernier a été organisé sans que les Etats membres ne soient invités, comme l’a indiqué le représentant spécial de la France en Afghanistan et au Pakistan. Une telle initiative est malheureuse. Il serait au contraire souhaitable que la stratégie européenne dans la région permette d’intégrer les objectifs des différents Etats membres afin, là aussi, de développer une approche plus intégrée des problèmes rencontrés en Afghanistan.

La nécessité de développer une stratégie concernant plusieurs pays, et de coordonner les actions relevant de différents domaines de l’aide humanitaire, se fait particulièrement sentir dans le domaine des réfugiés.

4) Les réfugiés : un problème humanitaire régional

Apparus dès le début de la guerre contre l’Union soviétique, les flux de réfugiés afghans ont représenté jusqu’à 6 millions de personnes, fuyant principalement vers le Pakistan et l’Iran.

Evalués aujourd’hui, par le Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies (HCR) à 3 millions, dont 2,1 millions au Pakistan et 915 000 en Iran, les réfugiés afghans qui restent présents dans ces pays souffrent de nombreuses difficultés. Environ 350 000 personnes sont également considérées comme déplacées au sein même du territoire afghan.

Présents depuis plus de vingt ans sur un territoire étranger, ils continuent de manquer de lieux d’habitation et de ressources en eau et en nourriture. Bien que disposant parfois de terres à cultiver, celles-ci suffisent rarement à assurer leur subsistance et celle de leurs familles. La majorité des réfugiés ne disposent pas de revenus, le revenu médian du reste de la population étant évalué entre 15 et 30 dollars par mois.

Le HCR a entrepris, avec l’Iran et le Pakistan, d’aider le retour des Afghans dans leur pays. Un accord tripartite a ainsi été signé avec le Pakistan, et l’Iran. Le HCR s’est fixé comme objectif le retour de 540 000 Afghans d’ici 2010. Afin de remplir cette mission, le HCR estime ses besoins à 50 millions de dollars par an environ, en 2008 et 2009.

Comme les autres questions relatives au développement de l’Afghanistan, la situation des réfugiés révèle l’étroite imbrication entre les différents problèmes que rencontre aujourd’hui ce pays, et la région dans son ensemble. Présents sur le sol pakistanais, les réfugiés ont ainsi contribué à modifier les équilibres ethniques au sein de certaines régions, comme le Sindh. De plus, les représentants du gouvernement pakistanais rencontrés par vos Rapporteurs ont indiqué que les réfugiés afghans constituaient des cibles de choix pour les recruteurs taliban.

Liées, les difficultés auxquelles est confrontée l’action humanitaire en faveur des réfugiés appellent donc une réponse qui associe plusieurs dimensions. Le HCR souligne ainsi que la situation sécuritaire en Afghanistan continue d’être le principal obstacle au retour des réfugiés chez eux.

De la même manière, la difficulté de mobiliser les ressources gouvernementales afghanes est pointée du doigt par le HCR. Enfin, le manque d’infrastructures de base, notamment les logements, complique la mise en œuvre du programme d’aide au retour que poursuit la communauté internationale.

L’exemple de l’aide aux réfugiés souligne à quel point il est nécessaire d’aborder de front toutes les difficultés posées par la situation en Afghanistan et dans la région.

Afin de soutenir l’approche intégrée de l’aide internationale, l’action de la France devrait être renforcée, car notre pays dispose d’une expertise particulière dans des domaines essentiels pour le développement de l’Afghanistan.

C – La question essentielle du développement agricole et le rôle de la France

La quasi-totalité de la population afghane occupe un emploi en lien avec les activités agricoles. Dès lors, il est logique de concentrer l’aide internationale sur ce secteur particulier, ce qui n’a pas été le cas ces dernières années. Une telle réorientation remplirait également un objectif majeur, puisqu’elle permettrait de réduire l’emprise de la production de drogue sur l’économie afghane dans son ensemble.

1) Un effort indispensable pour réorienter l’économie afghane

Alors même que la production de pavot avait été fortement réduite, voire éradiquée, par le régime taliban, celle-ci a connu une reprise importante au cours des années suivant l’intervention militaire internationale. L’Afghanistan est aujourd’hui le premier producteur mondial d’opium : selon l’office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC), environ 93 % des opiacés vendus dans le monde en 2007 étaient d’origine afghane. L’exportation d’opium, ou d’héroïne, depuis l’Afghanistan et le Pakistan voisin, emprunte traditionnellement quatre routes, par l’Asie centrale, la Russie, les Balkans ou la Somalie.

L’importance économique de cette production, évaluée à environ quatre milliards de dollars par l’UNODC en 2007, soit plus de la moitié du PIB afghan, a des conséquences dramatiques. En effet, ces ressources sont largement utilisées par l’insurrection pour financer ses opérations. De plus, le poids de cette activité génère une corruption touchant toutes les strates de l’administration, notamment les gouverneurs de provinces qui concentrent la production.

Au cours de leur entretien avec le ministre chargé de la lutte contre la production de narcotiques, le général Khodaidad, vos Rapporteurs ont pu apprécier les efforts fournis par l’Etat afghan, en lien avec les forces internationales, pour lutter contre la culture du pavot et les activités liées à la production de drogue.

Cette action a permis de remporter des succès significatifs. Selon le rapport de l’UNODC de janvier 2009, la production d’opium en Afghanistan a baissé d’environ 19 % en 2008. Le nombre de provinces ayant éradiqué la production de pavot – on parle ainsi de provinces « poppy free » – est passée de 3 en 2005 à 18 en 2009. 32 provinces ont actuellement une production faible voire nulle.

Afin de parvenir à ces résultats, plusieurs actions ont été entreprises. En premier lieu, une réglementation précise a permis de rendre illicites les activités de transformation et l’importation des « précurseurs chimiques » nécessaires à cette activité. En deuxième lieu, la destruction systématique de laboratoires a été poursuivie, avec le soutien des forces de l’OTAN, dont le mandat n’a été que récemment étendu à ce domaine. Ce type d’opérations reste malaisé, les laboratoires consistant généralement en un assemblage de quelques éléments de petite taille, faciles à dissimuler dans une arrière-cour.

Comme le rappelle l’UNODC, si la pression gouvernementale est la première raison pour laquelle les agriculteurs ne s’engagent pas dans la culture de l’opium, c’est la différence de prix entre ce dernier et les productions traditionnelles qui continue d’expliquer pourquoi des Afghans continuent de se livrer à une activité illicite. C’est donc en aidant l’agriculture afghane à se développer sur des bases plus solides qu’une solution durable pourra être apportée à ce problème majeur.

2) Une position initiale déficiente, que la France peut contribuer à changer

Le développement de l’agriculture afghane a souffert des décisions adoptées initialement par les principaux bailleurs de fonds. Le ministre afghan de l’agriculture, M. Assef Rahimin, a rappelé aux membres de la mission, lors de leur entretien avec lui à Kaboul, que la plupart des structures agricoles nationales avaient été démantelées à la demande des principales institutions financières internationales, qui considéraient les coopératives traditionnelles et les principales industries d’engrais et de semences comme des organisations anciennes et inefficaces. Une telle position, aux fondamentaux idéologiques évidents, est proprement ahurissante.

Depuis l’adoption de la stratégie nationale de développement et les récentes réorientations de l’aide internationale, qui font de l’agriculture l’une de leurs premières priorités, une nouvelle voie semble être suivie. Une assistance technique est désormais fournie par les diverses organisations, et même par les forces de la coalition, et le tabou des subventions agricoles pourrait être surmonté d’ici quelques années. La volonté de réformer et de moderniser l’agriculture afghane semble désormais s’être substituée à la politique classique d’éradication systématique des champs de pavot, pratiquée traditionnellement notamment par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.

La modernisation de l’agriculture afghane reste toutefois un objectif de longue haleine. Les principaux besoins, identifiés par les travailleurs humanitaires et par le gouvernement, concernent le regroupement d’exploitations souvent trop petites et très traditionnelles, la reconstruction d’une industrie afghane capable de fournir les produits agronomiques nécessaires à la production agricole – engrais, semences – et de transformer les productions locales en biens de consommation courante. L’exemple souvent cité dans ce domaine est celui des bananes qui, faute de capacités de conditionnement et de conservation suffisantes en Afghanistan, sont exportés au Pakistan pour y être transformées avant d’être réexportées vers l’Afghanistan, où elles sont vendues plus cher.

Dans tous ces domaines, ainsi qu’en matière de financement adapté aux activités agricoles, la France doit pouvoir proposer ses compétences et son savoir faire particuliers. Des membres du corps de l’inspection générale de l’agriculture pourraient ainsi venir épauler le gouvernement afghan, par le pilotage de projets locaux mais également l’organisation d’une formation adaptée pour les cadres afghans.

Grande puissance agricole, notre pays devrait ainsi consacrer à l’agriculture une part importante de l’aide qu’elle fournit à l’Afghanistan. Le montant de nos transferts devrait d’ailleurs être augmenté de manière significative. Le tableau figurant à la page suivante souligne que le montant de l’aide française reste largement en deçà des sommes offertes par nos principaux partenaires, notamment l’Allemagne ou la Grande-Bretagne, et même inférieur à la moyenne des Etats membres de l’Union européenne. Malgré l’importance du coût que représente notre dispositif militaire sur place, l’aide française reste insuffisante.

Grâce à l’action du représentant spécial pour l’Afghanistan et le Pakistan, des crédits supplémentaires ont été débloqués récemment. En effet, alors même que ses engagements en faisaient l’un des plus faibles donateurs, la France ne respectait pas ces promesses pourtant limitées. Avec un montant réellement versé inférieur à 10 millions d’euros par an, notre pays se classait parmi les plus faibles donateurs. Le Président de la République s’est engagé à faire passer le montant de l’aide française d’environ 10 millions d’euros par an à environ 40 millions.

Toutefois, cela ne permettra pas de porter notre effort à la hauteur de la moyenne européenne.

Un effort substantiel doit donc encore être réalisé. Il faudra veiller, s’il est nommé un successeur à M. Pierre Lellouche, à ce que cette passation de pouvoir ne s’accompagne pas d’un recul des engagements pris par notre pays, et que les promesses avancées soient effectivement tenues. De plus, la mobilisation d’équipes interministérielles, qui existe aujourd’hui sous l’autorité du représentant spécial, doit être poursuivie, car elle est nécessaire au renforcement du niveau et de l’efficacité de notre aide à l’Afghanistan.

Aide internationale à l’Afghanistan

Donateurs

Aide versée
(2002-2008)

Engagements
non versés
(2002-2008)

Aide promise
non engagée
(2002-2011)

Etats-Unis

5022.9

5377

12389.1

Japon

1393.5

16.9

0

Royaume-Uni

1266.3

188.8

0

Union européenne

1074.1

646.6

19.2

Banque mondiale

852.7

750.7

1023.7

Allemagne

767.8

458.2

0

Canada

730.7

48.12

338.8

BAD

547.8

1009.7

183

Italie

424.4

0

0

Pays-Bas

407.1

85.5

0

Norvège

277

122.3

0

Suède

217.2

41.1

11.2

Iran

213.8

13.9

126.2

ECHO (European Commission's Humanitarian Aid Office)

207.6

2.2

58.2

Inde

204.2

650.8

86.9

Australie

194.8

0

27.5

Agences de l’ONU

171

0

0

Danemark

152.7

59.3

63

Féd. de Russie

139

0

0

Aga Khan

119.3

0

0

France

79.9

29.4

0

Arabie Saoudite

76.9

30

113.1

Finlande

64

29.9

14

Conf. Helvétique

51.5

43.9

0

Chine

41

20.3

84.1

Espagne

25.6

37.1

190.5

Turquie

20.8

22.8

46.3

Source : ministère afghan des finances, fév. 2008 (en millions de dollars).

Propositions

Après plus de trente années de guerre, l’Afghanistan s’est trouvé, à la chute du régime taliban, plongé dans un drame humanitaire.

Parallèlement aux opérations militaires, la communauté internationale a su mobiliser une aide importante pour le développement du pays, qui a rencontré quelques succès et a su être réorientée pour répondre aux critiques. Toutefois, l’ampleur des besoins reste immense, et l’efficacité de l’action internationale peut encore être améliorée.

Proposition n°13 : Tenir les engagements pris par le Président de la République pour l'aide de la France à l'Afghanistan. Nous nous réjouissons de ce point de vue du changement de cap opéré par le Représentant spécial pour l'Afghanistan et le Pakistan, Pierre Lellouche. Il faut pérenniser cet effort, notamment l’existence d’un dispositif interministériel de veille sur l’Afghanistan, après sa nomination au poste de secrétaire d’Etat aux Affaires européennes.

Proposition n°14 : Achever dans les mois qui viennent le « livre bleu » de l'aide européenne, qui vise à recenser d'une manière exhaustive l'ensemble des aides européennes, qu'elles soient communautaires ou nationales. Confier à la Banque mondiale un audit de l'aide internationale.

Proposition n°15 : Afin de mieux contrôler l’usage et la destination de l'aide internationale, inscrire l’aide apportée par les bailleurs de fonds internationaux dans le cadre des priorités nationales définies par le gouvernement afghan. Il est en effet essentiel de légitimer et de renforcer l’Etat afghan.

Proposition n°16 : Maintenir l’écart des salaires entre la fonction publique afghane et les organisations internationales dans un rapport de 1 à 2 afin d’éviter la fuite des cerveaux vers les ONG et les organisations internationales. Engager la communauté internationale à doubler les salaires des cadres supérieurs de la fonction publique afghane sur cinq ans. Cet objectif devrait viser, en particulier, les forces de police afghanes dont la faiblesse des salaires explique en grande partie l'explosion des pratiques de corruption.

Proposition n°17 : Aider l’Etat afghan à créer un institut régional d’administration pour former les gouverneurs de province et les cadres territoriaux.

Proposition n°18 : Lancer une mission de l'inspection générale de l'agriculture chargée de définir une action continue et concrète pour aider les agriculteurs à abandonner le pavot et pour étudier d'autres chantiers de développement rural (micro-projets et politique d'ensemble) en s'adaptant concrètement à la réalité et la spécificité de l'agriculture de montagne afghane.

Proposition n°19 : Créer une seule ambassade regroupant l’antenne de la Commission et celle du Représentant spécial de l’Union européenne, qui dépend du Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune. Le budget de l’Union européenne consacré à l’aide civile et à la coopération avec l’Afghanistan et le Pakistan, doit faire l’objet d’un pilotage politique avec une capacité d’intervention rapide dans les situations de crise humanitaire.

Proposition n°20 : Offrir une assistance aux centaines de milliers de personnes déplacées par les conflits dans les zones tribales et de ne pas laisser le monopole des secours aux Taliban. L’Union européenne doit prendre l’initiative d’un programme d’aide à l’éducation et au logement des sans abris. Il faut également insister auprès du haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies pour qu’il assure la scolarisation des enfants des millions de réfugiés en Iran et au Pakistan.

IV – INDE, PAKISTAN ET AFGHANISTAN : PASSER D’UNE LOGIQUE DE GUERRE À UNE LOGIQUE DE PAIX 

Pour beaucoup d’observateurs rencontrés par vos Rapporteurs, les relations entre le Pakistan, l’Inde et l’Afghanistan constituent l’une des clés de la résolution du conflit en Afghanistan. Ce conflit a été attisé par les effets de la rivalité entre les deux puissances nucléaires de l’Asie du Sud, l’Inde et le Pakistan, mais a également constitué le révélateur de l’ensemble des tensions qui affectent l’Asie du Sud et l’Asie centrale.

A – Des rivalités anciennes avivées par de nouveaux enjeux

L’Inde, le Pakistan et l’Afghanistan, trois Etats à la longue histoire commune et dont les civilisations comme les sociétés partagent de nombreuses similitudes, présentent actuellement un visage très différent. L’Afghanistan est un Etat ravagé par 30 ans de guerre, et sur le territoire duquel les troupes de la FIAS ont beaucoup de difficultés à ramener la stabilité. Depuis leur indépendance, l’Inde et le Pakistan ont connu pour leur part des évolutions contrastées. L’Inde est demeurée une démocratie parlementaire, et forte du poids de sa démographie et de son développement économique, constitue la puissance politique et militaire dominante de l’Asie du Sud. Son attractivité est telle qu’elle a obtenu des Etats-Unis un accord nucléaire civil très avantageux que Washington avait refusé jusqu’alors à tout autre pays, y compris à son allié pakistanais. Le Pakistan est également une démocratie – ce fait est incontestable, malgré les critiques dont ce pays fait souvent injustement l’objet – mais constitue un Etat fragile politiquement, humainement et financièrement, en proie au terrorisme, que son actuel Premier ministre, M. Asif Ali Zardari, n’a pas hésité à qualifier « d’homme malade de l’Asie », le 14 décembre 2008.

L’Afghanistan est au contact direct de l’Iran, de l’Asie centrale (Ouzbékistan et Tadjikistan), de la Chine et du Pakistan. Il n’a pas de frontière avec l’Inde mais entretient avec elle des relations séculaires. Il n’est donc pas étonnant qu’un pays qui relie l’Asie centrale à l’Asie du Sud, le monde chinois au monde persan soit le champ de plusieurs conflits. Mais à la rivalité traditionnelle entre l’Inde et le Pakistan, se sont ajoutés de nouveaux enjeux : présence croissante d’un Islam radical, risque de déstabilisation du Pakistan, transit gazier et prolifération nucléaire…

1) Du conflit du Cachemire à la naissance d’un arc de crises

L’état actuel des relations entre l’Inde, le Pakistan et l’Afghanistan est l’héritage d’un double problème :

– L’incapacité des dirigeants civils et militaires pakistanais, depuis l’indépendance, à envisager leurs relations avec l’Inde sous un autre angle que la crainte d’être pris en tenaille au Nord de leur pays par l’Inde et par un régime afghan pro indien. L’obsession avec laquelle les responsables politiques pakistanais dénoncent la taille, selon eux démesurée, de l’ambassade et des consulats indiens en Afghanistan est à cet égard très révélatrice.

– Le choix d’un Islam conservateur comme ciment de la société, la religion devenant un élément central de la politique intérieure et extérieure du Pakistan, et étant la source du soutien aux taliban.

La tension indo-pakistanaise s’est longtemps résumée au conflit du Cachemire, issu de la partition de 1947. Les guerres qui ont suivi entre les deux pays (1947, 1965) étaient la conséquence de la rivalité des deux pays sur cette région. La guerre de 1971, qui a présidé à la naissance du Bengladesh, a permis à l’Inde d’affaiblir le Pakistan et de concentrer ses troupes sur sa frontière du Nord-Ouest. Malgré plusieurs cessez-le-feu et accords bilatéraux (1966 à Tachkent, 1972 à Simla), le dossier du Cachemire n’est pas réglé, avec de nombreux incidents frontaliers et des phases d’insurrections dont certaines sont très récentes (1993, 1994, 1999, 2008).

L’essai nucléaire de l’Inde, en 1974, qui a eu pour effet d’engager le Pakistan dans la recherche de l’arme atomique, a exacerbé la rivalité entre les deux pays mais a surtout ouvert un nouveau foyer de prolifération. Le Pakistan a en outre rapidement tiré parti de l’invasion soviétique en Afghanistan en 1979, en devenant le point d’appui des Etats-Unis pour soutenir les combattants afghans en lutte contre l’URSS. Ce positionnement lui a permis d’étendre son influence en Afghanistan, face à son traditionnel rival indien, tout en bénéficiant de la passivité américaine alors qu’il mettait au point l’arme nucléaire. Le principal instrument du soutien aux combattants afghans a été l’armée pakistanaise et plus particulièrement les services secrets (Inter Services Intelligence, ISI), dont le renforcement permettait simultanément au général Zia Ul Haq, installé à la tête du Pakistan par le coup d’Etat de septembre 1978, de consolider son pouvoir. On rappellera également – c’est un épisode peu connu – que les Etats-Unis avaient promis au général Zia de nouveaux territoires au Nord-Ouest, pour compenser la perte du Bengladesh.

A partir de 1993, le Pakistan s’est engagé dans une voie dont on mesure les conséquences encore aujourd’hui : l’instrumentalisation de l’Islam à des fins politiques. Cette démarche était en phase avec le retour à un Islam très traditionnel au Pakistan sur ordre du général Zia Ul Haq : interdiction des prêts à intérêt, aumône obligatoire, port du voile à la télévision…Alors que l’Islam pakistanais était plutôt d’obédience soufie, laquelle usait rarement du concept de djihad (guerre sainte), Islamabad a formé de jeunes combattants pakistanais pour les envoyer au Cachemire, qui connaissait une nouvelle phase d’insurrection, puis en Afghanistan, où ils ont contribué à l’émergence du mouvement taliban, avec le soutien des Etats-Unis. Cette stratégie a été couronnée de succès, avec la prise de Kaboul par les taliban en 1996, qui a mis fin au régime prosoviétique.

La fin des années 90 a montré les limites de la stratégie pakistanaise. Tout en dialoguant avec l’Inde (accord de Lahore en février 1999 pour prévenir un conflit nucléaire), le Pakistan a néanmoins essayé, sans succès, de faire basculer le Cachemire, lors du conflit de Kargil, en 1999. On rappellera que cette courte guerre (du 9 mai au 12 juillet) qui s’est déroulée à plus de 5000 m d’altitude (d’où son surnom de guerre des glaciers) a été déclenchée par le Pakistan qui a infiltré des centaines de combattants islamistes. Après avoir pris le contrôle de la route reliant Srinagar à Leh, les Pakistanais ont dû reculer face à la contre offensive indienne. Soucieux de ne pas aggraver un conflit entre deux puissances nucléaires, ni la Chine, ni surtout les Etats-Unis, tous deux alliés traditionnels du Pakistan, ne l’ont soutenu. Le Pakistan a retiré ses troupes. Malgré la détention de l’arme nucléaire, le Pakistan ne pouvait se poser en rival de l’Inde avec une armée conventionnelle inférieure en effectifs comme en équipements Cette défaite est à l’origine du coup d’Etat du 12 octobre 1999, par lequel le général Moucharraf a renversé le gouvernement civil de Nawaz Sharif.

Les attentats du 11 septembre 2001 ont modifié la nature du conflit en Afghanistan. Ils ont révélé qu’un lent rapprochement s’était effectué entre le talibanisme pachtoune et le radicalisme, avec notamment le recours à l’attentat suicide, inconnu auparavant dans cette région du monde. Ce rapprochement n’était pas forcément idéologique, il pouvait se limiter à une coopération technique, par convergence d’intérêt. La guerre en Afghanistan est ainsi devenue pour les Américains, puis pour l’ensemble des pays membres de la FIAS, une guerre aux enjeux plus élevés que la seule lutte contre le terrorisme puisqu’elle concerne tant la stabilité de l’Afghanistan que celle, désormais, du Pakistan. Mais elle concerne également la crédibilité des pays de la FIAS.

L’Occident a mis en jeu sa capacité militaire et politique à ramener la paix, à reconstruire un pays, à le réformer et à jeter les bases d’une modernisation de la société. En résumé, sa capacité à assumer un leadership sur toute partie du monde lorsque cela s’avère nécessaire. Les Etats-Unis ont en conséquence exigé du pouvoir pakistanais qu’il cesse de soutenir les taliban et tout mouvement radical religieux. De nombreux observateurs ont la certitude (écoutes radio) qu’Islamabad a joué un double jeu et que l’armée et l’ISI ont poursuivi leur aide aux mouvements taliban qu’ils avaient constitués et équipés. Il semble effectivement logique que tout en combattant des taliban pakistanais qui menacent son pouvoir, le gouvernement d’Islamabad poursuive son soutien à des taliban afghans, pour contrecarrer notamment le jeu de l’Inde en Afghanistan via la fragilisation du Président Karzai.

Quels que soient les liens entre Islamabad et les taliban afghans et pakistanais, le rapprochement temporaire entre ces derniers et des combattants étrangers (arabes, ouzbeks, maghrébins) formant la nébuleuse Al-Qaïda a créé un arc de crise qui, par l’élargissement du cadre géographique du conflit aux zones du Nord-Ouest du Pakistan, fait désormais courir à ce pays un réel risque de déstabilisation.

2) Des facteurs de paix mis à mal par les attentats de Guwahati et de Bombay

Il existe une autre lecture des relations entre l’Inde, l’Afghanistan et le Pakistan depuis trente ans, dès lors que l’on considère que l’ensemble des facteurs qui nourrissent cet arc de crises n’a pas dégénéré en conflit généralisé. La lutte d’influence à laquelle se livrent l’Inde et le Pakistan en Afghanistan, pays que les Pakistanais considèrent comme leur axe de profondeur stratégique, n’a donné lieu qu’à des escarmouches ou des attentats, mais n’a jamais débouché sur une guerre conventionnelle aux frontières des deux Etats. La détention de l’arme nucléaire par les deux parties a atténué les risques de conflit direct : l’Inde a acquis cette arme non pour se défendre contre le Pakistan, dont les forces conventionnelles ne peuvent rivaliser avec les siennes, mais pour accéder au statut de puissance mondiale. La nucléarisation de l’Inde a donné au Pakistan le prétexte politique de disposer à son tour de l’arme atomique, pour garantir ses intérêts vitaux, par l’application du principe de la dissuasion du faible au fort. Comme en de nombreuses parties du monde, l’arme nucléaire a été un facteur de stabilisation des relations bilatérales indo-pakistanaises.

En réalité, la traditionnelle rivalité des deux pays ne revêt pas la même importance qu’auparavant. A leur indépendance, l’idée d’une compétition entre un Etat hindou et un Etat musulman pour le leadership sur l’Asie du Sud pouvait avoir un sens, surtout dans un contexte de guerre froide. Mais le poids démographique et économique de l’Inde est désormais tel que le Pakistan ne peut plus se poser en compétiteur. Les Etats-Unis tissent à nouveau des liens avec l’Inde, conscients, comme l’a affirmé à plusieurs reprises l’ancien Président George W. Bush, que ce pays représenterait dans un proche avenir le premier marché des entreprises américaines.

De puissants facteurs de paix sont également apparus dans les deux pays, au sein de leur société et plus particulièrement au sein des milieux économiques. L’Inde du Nord et le Pakistan ont en partage l’Ourdou, langue littéraire dont le prestige est grand dans les milieux intellectuels, ainsi que des rapports sociaux similaires. Les responsables économiques dans les deux pays aspirent plus à la coopération qu’à la confrontation. L’Inde préfère désormais avancer son poids économique pour faire valoir son influence auprès d’un Pakistan qui dispose également d’atouts grâce à son tissu très dense d’entreprises. De nombreux entrepreneurs, responsables politiques et universitaires des deux pays parient sur l’ouverture des frontières (tel était le sens des discussions entre Delhi et Islamabad sur le Cachemire, avant les attentats de Bombay) pour faire de l’Asie du Sud une zone de croissance des échanges.

Cette logique de paix était récemment partagée par les deux gouvernements, si l’on se réfère aux déclarations des Premiers ministres indiens et pakistanais au cours de l’année 2008. Les propos de M. Ali Zardari, déclarant en octobre 2008 au Wall Street Journal que « l’Inde n’avait jamais été une menace pour le Pakistan », puis qualifiant les séparatistes cachemiris de « terroristes » étaient inconcevables jusqu’à présent dans la bouche d’un dirigeant pakistanais, tandis que l’Inde répondait positivement à un début de dialogue. Le Premier ministre pakistanais semble en effet convaincu que l’islamisme radical menace les fondements de la société et de l’Etat, rejoignant ainsi les préoccupations de l’Inde, régulièrement victime d’attentats islamistes depuis 2005 (cf tableau ci-après). Cette prise de conscience d’un intérêt commun a été encouragée par le Président américain Barack Obama, avant même son investiture, afin qu’un rapprochement indo-pakistanais sur le Cachemire permette à l’armée pakistanaise de se redéployer au Nord Ouest, dans les zones d’action des taliban.

L’attentat commis à Guwahati, dans l’Assam, au Nord-Est de l’Inde, le 30 octobre 2008 (77 morts, plus de 300 blessés après les explosions de bombes sur deux marchés et un centre commercial) n’était hélas que la suite d’une longue série d’actes terroristes « classiques » et n’a pas entamé la volonté de coopération entre les deux Etats, malgré la très forte émotion qu’il a suscité en Inde. En revanche, le caractère militaire de l’attaque terroriste sur plusieurs hôtels de Bombay le 26 novembre 2008, a arrêté le processus de réchauffement diplomatique entre les deux pays. Il semble évident que tel était l’objectif de ses auteurs.

L’attentat de Bombay a, en quelque sorte, remis en lumière les fractures qui séparent l’Inde du Pakistan, et rappelé que ces fractures imprégnaient toujours les sociétés de ces deux pays. Les exigences de l’Inde envers le Pakistan – mettre hors d’état de nuire le mouvement Jamaat Ut Dawa, vitrine politique du Lashkar-e-Taiba, qui a commis les attaques sur Bombay – ont provoqué un réflexe nationaliste au sein de l’opinion pakistanaise et réveillé les vieux antagonismes. Le Jawaat Ut Dawa est en effet un mouvement qui, à l’instar des Frères musulmans en Egypte ou du Hezbollah au Liban, accomplit des actions caritatives dans de nombreux domaines (hôpitaux, aide sociale, éducation). En se substituant à des services publics défaillants, il s’est attiré le soutien d’une grande partie de la population pakistanaise. Réprimer sous la pression de l’Inde une association jouissant d’une grande popularité a mis en difficulté le pouvoir civil d’Islamabad, déjà fragilisé par la crise financière et l’obligation de recourir au Fonds monétaire international. En revanche, l’armée, garante de l’indépendance du pays, a retrouvé une certaine popularité ainsi que du pouvoir. Le meilleur témoignage en est le limogeage de M. Mahmoud Ali Duranni, ancien conseiller du Premier ministre pour la sécurité, qui souhaitait accéder à la demande indienne de la venue à Bombay du directeur général des services secrets, alors que le général Kayani, chef d’état-major des armées, s’y refusait…

Il est intéressant d’analyser la réaction de la presse pakistanaise en décembre 2008 au regard de la réalité militaire. Plusieurs journaux, notamment ceux de langue ourdoue, ont amplifié les réactions nationalistes de l’opinion publique et fait état de mouvements de troupes des Federal Agencies of Tribal Areas (FATA) vers la frontière du Cachemire. Ainsi, la 14ème division aurait quitté les territoires du Nord-Ouest, notamment dans la zone tribale de Bajaur, où les taliban sont très puissants. Le quotidien pakistanais The News a également évoqué le retrait de troupes qui opéraient au Nord comme au Sud du Waziristan, là où les combats étaient très virulents. Après vérification, les mouvements de troupes se sont produits dans le cadre des rotations normales des effectifs, sans modification, in fine, de l’équilibre des forces dans les FATA et au Cachemire. Les combats dans les FATA continuent toujours, avec une grande intensité. Les articles de la presse pakistanaise s’apparentaient plutôt à une manœuvre politique visant à soutenir les Pachtounes et à faire pression sur le gouvernement pour alléger la pression qui s’exerce sur eux. Du côté indien, aucun renfort significatif n’a été massé au Cachemire. L’armée indienne continue de consacrer 60 % de ses effectifs, soit 700 000 hommes, à la défense de sa frontière avec le Pakistan, comme par le passé.

Ce décalage entre la presse et l’opinion publique d’un côté, et les deux gouvernements de l’autre, montre bien la profondeur du clivage psychologique qui demeure entre l’Inde et le Pakistan. Exprime t-il parallèlement toute la mesure dont les gouvernement de ces deux pays font preuve afin d’éviter l’escalade ? L’on peut répondre par l’affirmative, tout en gardant à l’esprit que le Pakistan, englué dans une crise financière et obligé de conduire une guerre au Nord Ouest de son territoire, n’a pas intérêt à ouvrir un nouveau front avec l’Inde.

Cette volonté d’apaisement, même si elle peut n’être que de façade, doit cependant être soutenue par l’ensemble des puissances, notamment les pays membres de la FIAS. Il est vital que le Pakistan soit rassuré sur les intentions indiennes et puisse combattre les taliban avec le plein concours de ses alliés. Encore faut-il qu’il en ait les moyens et surtout la volonté… Ce dont de nombreux observateurs doutent…

Attentats islamistes en Inde (2005 – 2008)

Date

Lieu

Morts

Blessés

28 juillet 2005

Train à Jaunpur

14

79

7 mars 2006

Temple Sankat Mochan et gare de Benares

20

100

14 avril 2006

Tribunal de Delhi

0

13

11 juillet 2006

Trains régionaux à Bombay

150

300

8 septembre 2006

Malegaon

38

100

18 février 2007

Express Lahore Samjhauta

68

125

18 mai 2007

Hyderabad

16

50

25 août 2007

Hyderabad

42

50

11 octobre 2007

Khwaja Moinuddhin

2

17

15 octobre 2007

Cinéma à Ludhiana

7

32

19 novembre 2007

Tribunaux de Benares, Lucknow et Faizabad

13

40

1er janvier 2008

Poste de police de Rampur

8

0

25 juillet 2008

Bengalore

1

8

26 juillet 2008

Ahmedabad

56

0

13 septembre 2008

Delhi

30

100

27 septembre 2008

Mehrauli/Delhi

2

17

29 septembre 2008

Malegaon et Modasa

6

0

30 octobre 2008

Guwahati

77

305

26 novembre 2008

Bombay

124

301

Total

654

1937

Sources : Indian Times, AFP, Reuters.

Ravivées par les attentats de Bombay, les rivalités anciennes, qui semblaient s’estomper, rendent difficile la mise en œuvre d’un processus de paix à l’échelle de la région, qui aurait pu apporter un début de solution à la question afghane. Le conflit s’est en outre déplacé sur un autre terrain : il est autant pakistanais qu’afghan, ce qui signifie que le Pakistan, en guerre civile au Nord-Ouest de son territoire, court désormais le risque d’une déstabilisation.

B – Le Pakistan, acteur devenu victime de la guerre d’Afghanistan

1) L’Islam et l’armée, facteurs d’unité de la nation et instruments de soutien aux combattants afghans

Toute analyse des rapports entre l’armée pakistanaise et la nation qu’elle défend doit partir des origines du Pakistan, dont la création est une réaction à l’indépendance de l’Inde, pour donner un Etat aux musulmans du sous-continent indien. L’Islam est la raison comme le ciment du Pakistan, dont l’armée est le garant. La grande question qui néanmoins est à la source de tous les débats internes à ce pays pourrait être ainsi posée : Le Pakistan est-il un Etat rassemblant des musulmans, ou est-il un Etat islamique ? De la manière dont ses habitants définissent leur identité découle pour une grande part l’orientation de la politique étrangère du Pakistan.

Pour cette jeune nation pluriethnique, la menace est toujours venue d’Inde, et la crainte permanente des militaires est de voir un régime pro-indien s’installer à Kaboul, qui pourrait, en cas de crise majeure, prendre en tenaille le Pakistan sur ces frontières septentrionale et occidentale. Cette crainte est devenue réalité en 1979, avec l’invasion soviétique de l’Afghanistan. A cette époque, l’Inde et l’URSS étaient de proches alliés.

En raison de son statut dans la société, l’armée constitue un Etat dans l’Etat, avec près de 1 million d’hommes et un budget dont la part oscillerait entre 30 et 45% du budget de l’Etat. Elle constitue également une force économique qui dispose d’entreprises et de relais financiers, dont personne n’a évalué les avoirs. Le pouvoir civil n’a d’ailleurs jamais cherché à la contrôler : le premier débat du Parlement sur son budget, depuis l’indépendance, a eu lieu en 2008, lors d’une discussion à huis clos. Le lobby militaro-industriel dispose ainsi et de son autonomie et de sa logique propre de développement, qui échappent pour l’essentiel au contrôle démocratique.

L’invasion de l’Afghanistan a changé le contexte stratégique dans lequel oeuvrait l’armée pakistanaise : à l’installation d’un régime prosoviétique et pro indien à Kaboul, s’est ajoutée la crainte d’une contestation de la ligne Durand, frontière qui sépare les deux pays mais qui n’a jamais été formellement reconnue et que les tribus pachtounes, peu contrôlées par le pouvoir central, ont toujours librement franchie. Dans le contexte de guerre froide qui prévalait, l’URSS n’avait jamais caché son objectif d’accéder à l’Océan indien. Aussi la contestation de la ligne Durand pouvait constituer le premier pas d’une déstabilisation du Pakistan.

Le recours à la religion comme moyen de lutter contre le régime prosoviétique de Kaboul est donc apparu comme un moyen opportun. La guerre sainte (Djihad) avait déjà été utilisée au Cachemire et pouvait d’autant plus facilement être transposée en Afghanistan que les différentes ethnies avaient en commun d’être des sociétés traditionalistes, profondément musulmanes, largement autonomes, qui ne pouvaient accepter l’idée d’un pouvoir central athée qui mettait en cause la propriété privée. C’est donc en toute conscience que les Pakistanais et les Américains ont instrumentalisé la religion pour en faire le fondement idéologique de la lutte contre l’URSS et contre le régime de Kaboul, puis qu’ils ont équipé les taliban.

Cette politique n’a guère fait l’objet à l’époque de contestation car aucun des partenaires d’Islamabad ne voyait dans le djihadisme une adhésion du Pakistan à un Islam radical expansionniste. Le mouvement taliban était censé avoir un objectif précis – la chute du régime prosoviétique de Kaboul – et en conséquence, n’avoir qu’une durée limitée. D’après certains observateurs, la Chine, pays frontalier de l’Afghanistan, aurait néanmoins mis en garde le Pakistan, avec lequel elle nourrit d’étroites relations, contre une montée en puissance des groupes religieux par crainte de subir les effets du radicalisme dans ses provinces les plus occidentales, où vit une importante minorité musulmane ouïgoure.

Au début des années 2000, le gouvernement pakistanais, à nouveau dirigé par des militaires depuis le coup d’Etat du 19 octobre 1999 qui avait porté au pouvoir le général Moucharraf, a pris acte d’un changement considérable en Asie du Sud, qui risquait de l’isoler. La Chine et l’Inde engageaient la normalisation de leurs relations. Le développement considérable de leurs échanges économiques – la Chine était devenue le deuxième partenaire de l’Inde, après l’Union européenne – reléguait à l’arrière plan la question du tracé de la frontière entre les deux pays, dans l’Himalaya. Delhi souhaitait également opérer un rapprochement avec les Etats-Unis, avec lesquels apparaissaient de notables convergences d’intérêt (commerce, lutte contre le terrorisme, négociation d’un accord sur l’énergie nucléaire civile). Or la Chine comme les Etats-Unis étaient des alliés traditionnels du Pakistan.

2) Quand les taliban échappent à leurs créateurs…

Les attentats du 11 septembre 2001 ont obligé le Pakistan à rejoindre les Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme. Le Pakistan n’avait aucune possibilité de choix, son armée étant dépendante de la technologie américaine. Ce positionnement a mis politiquement et militairement le Pakistan dans une position dangereuse, car il l’a amené à combattre les taliban qu’il avait auparavant soutenus et à se trouver en porte à faux par rapport à une partie de son opinion publique, très sensible à la défense de l’Islam. Or les taliban étaient (et sont toujours) très populaires au Nord du Pakistan.

En décembre 2001, le Parlement indien (Lok Sabah) a été victime d’un attentat qui a fait 14 morts, attentat attribué aux services secrets pakistanais. L’Inde, en réaction, a déclenché la mobilisation de ses troupes à partir de janvier 2002, pour une durée de 10 mois. Pour éviter la prise en tenaille tant redoutée par les militaires pakistanais au Nord de leur pays, ces derniers avaient intérêt à maintenir leur appui aux taliban en Afghanistan.

Le pouvoir pakistanais a donc été contraint de mettre en place une double politique : La lutte contre Al-Qaïda a été lancée par une campagne d’explication auprès de la population, dont le point d’orgue a été un discours du général Moucharraf le 14 janvier 2002, au cours duquel il a condamné le terrorisme sur le territoire pakistanais et le recours au Djihad, y compris au Cachemire, alors que le gouvernement n’était pas censé, officiellement, soutenir les groupes armés dans cette région. Parallèlement, il a informé par de discrets canaux les taliban du revirement d’alliance qui allait survenir. Cette politique a déclenché de vives oppositions au sein de l’armée, dont certains éléments n’ont pas hésité à attenter à la vie du général Moucharraf.

Quand il a été évident que les Etats-Unis et leurs alliés allaient intervenir en Afghanistan, des milices pakistanaises, principalement composées de Pachtounes, sont allées combattre en Afghanistan pour soutenir les taliban et ont été rapidement vaincues par les troupes de la FIAS. Le Pakistan a néanmoins poursuivi une politique ambiguë d’un point de vue occidental, mais obéissant à une certaine logique d’un point de vue pakistanais : négocier avec les Pachtounes pour qu’ils se séparent des combattants d’Al-Qaïda. Cette politique a sans doute porté ses fruits car la menace d’Al-Qaïda est devenue résiduelle. Elle a en revanche ouvert un nouveau front car l’armée pakistanaise a pénétré dans les FATA, ce qu’elle n’avait jamais fait depuis l’indépendance. Les tribus pachtounes ont pris les armes en réaction pour défendre leur autonomie, marquant la fin de l’alliance entre le pouvoir d’Islamabad et les taliban. La guerre civile dans les territoires du Nord-Ouest est devenu le principal problème politique du Pakistan.

L’instrument principal de la politique pakistanaise en Afghanistan est toujours l’ISI. Dirigé (en théorie secrètement) par le général Mahmoud Sultan qui dispose d’un accès direct au chef de l’Etat, l’ISI a mis en place une cellule afghane d’une cinquantaine d’agents principalement basés à Rawalpindi, qui travaillent avec les insurgés. L’hypothèse selon laquelle certains agents agiraient indépendamment du pouvoir ne peut être retenue puisque plusieurs des agents de la cellule afghane sont en fait des retraités qui bénéficient de contrats du gouvernement, en raison de leur connaissance étroite des réseaux taliban.

L’armée pakistanaise est intervenue une première fois dans les zones tribales en 2004, puis a intensifié son action en 2005 et 2006. A l’instar des troupes de la FIAS en Afghanistan, elle n’était pas préparée à des opérations de contre guérilla et a subi de nombreuses pertes en raison du recours aux attentats suicides par les insurgés. En 2007, tandis que le pouvoir pakistanais combattait de front la mouvance radicale à Islamabad en réduisant militairement les occupants de la Mosquée Rouge, l’insurrection a gagné en intensité, démontrant que l’alliance entre taliban pachtounes et islamistes était peut-être ravivée, mais apportant surtout la preuve de la montée en puissance d’insurgés pachtounes autonomes. Les pertes de l’armée ont atteint près de 1000 morts cette année là.

3) Un risque inéluctable de déstabilisation ?

Le Pakistan est un Etat… Est-il définitivement une nation ? Certains en doutent, mais il ne faut pas oublier qu’il constitue un espace de civilisation cohérent et qu’il rassemble des populations unies par un socle idéologique commun. Créé en réaction à l’indépendance de l’Inde par des élites musulmanes qui craignaient d’être en minorité face à une immense masse hindouiste, le Pakistan a pour ciment l’Islam. Pachtounes, Baloutches, Pendjabis, Sindhis sont certes des peuples différents, mais d’autres pays sont également pluriethniques sans que cela affecte la paix civile. La diversité n’est pas la cause des maux du Pakistan. La crainte d’un séparatisme par l’un de ces peuples est néanmoins permanente – justifiée historiquement par l’indépendance du Bengladesh – et explique, entre autre, pourquoi les autorités civiles ont eu tant de mal à exercer le pouvoir depuis l’indépendance face à une armée garante de l’unité du pays.

Ce pays est incontestablement confronté à un risque de déstabilisation, mais celle-ci n’est pas inéluctable. Le risque provient autant du terrorisme que de facteurs économiques et sociaux propres à la société pakistanaise.

a) Facteurs de stabilité et facteurs de déstabilisation

Allié de l’Occident sous la guerre froide, le Pakistan, en instrumentalisant avec d’autres la religion pour qu’elle devienne un moyen de lutte contre les troupes d’occupation soviétiques en Afghanistan, a créé sur son territoire un nouveau conflit. La stratégie consistant à créer, financer et armer des groupes conduisant une guerre sainte contre l’URSS a certes réussi, mais elle a laissé des milices extrémistes, dotées de leur propre dynamique, qui agissent désormais contre l’Etat pakistanais. Or le Pakistan traverse actuellement une crise économique et sociale très profonde.

Il est devenu fréquent de parler ces derniers mois, dans la presse occidentale, de la faillite du Pakistan. Guerre civile au Nord-Ouest, terrorisme au Baloutchistan et dans le Sindh, délitement financier du pays, manque criant de services publics et absence d’un système éducatif primaire digne de ce nom, composent un tableau effrayant d’un pays qui s’effondre… Mais un Etat de 170 millions d’habitants offre obligatoirement une situation contrastée. De nombreux Pakistanais rappellent qu’ils sont trop nombreux pour que la minorité talibane du Nord-Ouest puisse prendre le pouvoir… Tout au plus peut-elle contraindre par la terreur la société à adopter un comportement respectant la charia dans sa lecture la plus traditionnelle. Mais pour prendre un simple exemple dans le domaine culturel, il n’est pas sûr que des musulmans radicaux puissent interdire à la grande majorité des Pakistanais d’écouter le Qawalli, la musique soufie dont Nusrat Fateh Ali Khan fut le chantre et qui l’a fait devenir de son vivant le Pakistanais le plus connu dans le monde…

L’Occident perçoit le Pakistan sous l’angle du terrorisme et de la sécurisation de ses arsenaux nucléaires. Mais si l’on interroge par sondage les Pakistanais, leurs préoccupations premières sont l’inflation, puis le chômage (à 70 % pour ces deux thèmes) et le terrorisme ne vient qu’en troisième position, en ne rassemblant que 10 % des réponses. Voilà qui les rapproche singulièrement des Occidentaux, d’autant que le dernier sondage qui a confirmé de telles réponses a été conduit après que l’armée eut déclenché son offensive dans la vallée du Swat. Le Pakistan traverse bien une période de crise mais ses habitants la vivent moins comme une atteinte à leur sécurité et s’inquiètent bien plus de leurs conditions de vie.

La crise que connaît ce pays est incontestablement une crise économique et financière profonde, née sous la conjonction de plusieurs facteurs : structure sociale féodale qui concentre la richesse sur quelques grandes familles de propriétaires terriens, détournement de fonds par une partie de la classe politique qui place des capitaux à Dubaï et Londres, sous-investissement dans le secteur de l’énergie, au point de freiner le développement économique du pays, poids de l’armée dans le pays, qui ponctionne une part notable (mais tenue confidentielle) du PIB pour des « dépenses militaires », terrorisme qui dissuade les investisseurs étrangers de s’implanter dans un pays dont le marché est pourtant prometteur…

Le Pakistan a en outre accueilli sur son sol, depuis 1979, plusieurs vagues de réfugiés afghans qui ont culminé jusqu’à 6 millions de personnes. C’est une lourde charge pour un pays encore pauvre. Si 3,5 millions de personnes, majoritairement pachtounes, sont retournées en Afghanistan, un million demeure au Pakistan où les conditions de vie sont meilleures. La grande majorité s’est installée dans la région du Sindh et dans la ville de Karachi, première zone économique du Pakistan. Par leur afflux, les réfugiés ont amené une pression à la baisse sur les salaires, provoquant la paupérisation de travailleurs sindhis déjà mal rémunérés. Ces derniers reprochent en outre aux immigrants pachtounes afghans de leur avoir pris leurs emplois dans les secteurs de l’assainissement, des transports publics (bus) et privés (taxis et minibus).

Insécurité et crise économique se nourrissent, au point que les Pakistanais s’interrogent sur leur identité et sur les finalités de leur société. Ainsi critiquer les taliban équivaut pour certains à critiquer l’Islam, ce qui constitue un pas difficile à franchir… Mettre en avant l’insécurité permet aux élites de masquer leurs responsabilités dans la gestion du pays… Adopter en réaction à la crise un Islam dont la pratique est austère crée un conflit culturel avec la tradition d’un Islam soufi qui vénère les saints et qui préconise une relation personnelle avec Dieu… La société pakistanaise s’interroge en permanence, ce dont les pays occidentaux devraient se réjouir car ces interrogations sont la marque d’une société riche intellectuellement, dotée d’un sens de la liberté, consciente de ses insuffisances… Est-elle pour autant disposée à se réformer ? Les facteurs de conservatisme ne manquent pas, qui alimentent une pauvreté source de bien des frustrations et terreau idéal du terrorisme. Plus pessimiste que vos Rapporteurs, le journaliste Ahmed Rachid, rendu célèbre par ses articles sur le phénomène taliban et son livre « Descente vers le chaos » ne parle plus de talibanisation rampante mais de talibanisation galopante, le recours à l’Islam radical devenant la seule solution d’une société qui dénie ses responsabilités et qui trouve commode de faire porter la responsabilité de la situation actuelle sur l’étranger non musulman, notamment l’Inde et les Etats-Unis.

b) Une situation de guerre civile au Nord-Ouest

La crise au Nord Ouest du Pakistan diffère de celle qui affecte le reste du pays. Elle est un effet de la guerre d’Afghanistan, avant qu’apparaissent des conflits internes au Pakistan dus à l’émergence de taliban pakistanais dotés de leurs objectifs propres. Le Nord Ouest est ainsi devenu le champ de plusieurs conflits parallèles, qui ont des répercussions dans le reste du pays :

– Le développement d’un Islam radical, qui trouve dans la pauvreté et l’impopularité de la guerre d’Afghanistan un terreau favorable. On ne peut qualifier le développement de cet Islam de lame de fond, mais il se diffuse dans plusieurs régions du pays. Dans un pays où l’enseignement scolaire public ne représente que 0,8 % du budget, les écoles coraniques (madrasahs) sont le seul lieu d’éducation des enfants pauvres, qui y reçoivent un repas gratuit par jour et y apprennent par cœur le Coran (en Arabe littéraire alors que leur langue natale est en général l’Ourdou ou le Pendjabi), la lecture et le calcul. Les milliers de madrasahs (elles seraient au nombre de 22000 environ) ne sont pas toutes, loin s’en faut, des foyers d’islamisme radical, mais certaines ont été identifiées comme des centres de recrutement. Du Nord Ouest pachtoune, sa zone traditionnelle d’implantation, le fondamentalisme gagne le Baloutchistan où des camps d’entraînements au terrorisme ont été localisés, et le Sindh, à Karachi, où certains éléments de la communauté pachtoune fournissent accueil et logistique. A l’instar de l’Inde, le Pakistan subit sur son sol de nombreux attentats islamistes qui ont causé plusieurs milliers de morts.

– Des affrontements entre l’armée pakistanaise et les tribus pachtounes du Nord Ouest, qui font désormais du conflit d’Afghanistan une guerre civile pakistanaise. La grande crainte de l’armée est que les mouvements deobandis, les taliban pakistanais et Al-Qaïda unissent leurs forces dans ce combat, une telle jonction étant très dangereuse politiquement et militairement.

Ainsi que l’ont évoqué vos Rapporteurs, des interrogations demeurent sur le rôle réel de l’armée, alors que le pouvoir civil, sous la direction du Président Zardari, a été rétabli à la tête du pays. Des interlocuteurs indiens comme pakistanais affirment que l’armée et l’ISI ont intérêt à ce que le conflit se poursuive à la frontière afghano-pakistanaise, afin de maintenir son influence dans le jeu politique.

Les taliban pakistanais, pour leur part, ne se contentent plus d’opérations militaires. Ils se livrent à une administration des territoires qu’ils conquièrent pour améliorer leur image de marque auprès de la population. Si la guerre que livre contre eux l’armée pakistanaise au Swat retient l’attention, il ne faut pas oublier qu’elle constitue la seule opération contre les taliban et que ceux des autres zones au Nord Ouest ne sont pas inquiétés. Ces derniers ont récemment décidé, dans le cadre d’un modus vivendi, de ne plus attaquer l’armée pakistanaise et de concentrer leurs opérations en Afghanistan. Il semble qu’ils aient noué des liens avec des mouvements du Baloutchistan pour établir un réseau d’infrastructures médicales pour soigner les taliban blessés.

Le risque de basculement de l’ensemble du Pakistan dans la mouvance radicale islamiste par talibanisation du pays est réel, même s’il n’est pas inéluctable. Le gouvernement pakistanais a longtemps cherché à circonscrire cette menace en négociant des accords avec des taliban, à l’échelle locale.

c) Les accords locaux avec les taliban

La signature d’une dizaine d’accords locaux avec certaines tribus talibanes a été une tactique utilisée par le gouvernement d’Islamabad depuis au moins deux ans. Elle obéissait à deux objectifs : stabiliser certaines régions et les soustraire à la guerre, au prix de l’abandon partiel ou total de la souveraineté de l’Etat, et couper les relations entre les taliban et Al-Qaïda. Avec cette stratégie, Islamabad espérait à nouveau utiliser les taliban dans sa lutte d’influence contre l’Inde en Afghanistan. De leur côté, les taliban constataient que s’ils gênaient considérablement les forces de la FIAS en créant un climat d’insécurité permanente au Sud Est de l’Afghanistan, ils ont été incapables d’atteindre certains de leurs objectifs, comme reprendre Kandahar. Ils peuvent mener une guérilla mais ne peuvent espérer plus de résultats sans l’aide d’un Etat.

En mars 2007, Islamabad a signé un accord avec le mollah Dadullah, qui contrôle 12 districts et plusieurs mouvements opérant en Afghanistan dans les provinces de Zabol, Orozgan, Kandahar et Helmand, ainsi qu’au Nord Ouest du Pakistan, jusqu’au Baloutchistan. Ce mollah jouit d’un prestige certain pour avoir perdu une jambe dans la lutte contre les soviétiques. Il a toujours fait preuve de pragmatisme, n’hésitant pas à négocier avec le gouvernement pakistanais des trêves temporaires, comme au printemps 2006, et s’est écarté du mollah Omar dont il fut un temps l’émissaire, ce dernier refusant tout accord avec Kaboul (du moins officiellement). Il peut être considéré comme l’un des instruments d’Islamabad pour influer sur un processus de paix qui soit favorable au Pakistan, en freinant l’influence indienne en Afghanistan.

D’autres accords similaires ont été passés au printemps 2008, après l’élection de M. Zardari à la présidence du Pakistan, avec des chefs taliban du Nord Waziristan, de Bajaur, de Khyber et d’Orakzai.

Dans tous les cas, l’armée pakistanaise était officiellement opposée à ces accords, signés par des civils. Toutefois, certains chefs taliban ont été vus à la télévision ou sur des photos en compagnie d’agents de l’ISI.

Plus récemment, le 16 février 2009, le gouvernement provincial qui siège à Peshawar a accepté l’imposition de la charia dans la vallée de Swat (district de Malakand, dans les provinces du Nord-Ouest) en échange du retour à la paix. La manière dont les taliban ont procédé est révélatrice de leur stratégie en trois axes :

– Le premier a consisté à interdire l’éducation des filles, par des actes d’intimidation, par des menaces à l’encontre des personnels d’éducation et des jeunes filles, par des atteintes à leur intégrité physique (jet d’acide sur le visage) ou à leur vie avant de détruire les écoles. A la mi janvier 2009, environ 100 écoles de filles ont été détruites dans la vallée de Swat, et 150 écoles dans le reste des FATA, privant 100 000 jeunes filles d’éducation.

– Le second visait à remodeler les relations sociales dans les zones qu’ils contrôlaient, selon des règles qui étaient rarement en usage dans la société pakistanaise, et qui révèlent l’influence du wahabisme : interdiction faite aux femmes de se déplacer dans des lieux publics sans un membre masculin de leur famille, interdiction d’émettre des cartes d’identité pour les femmes, menaces et meurtres sur les femmes exerçant des fonctions publiques ou sociales, qualifiées d’activités immorales, usage généralisé de la charia.

– Le troisième portait sur la création ou la prise de contrôle des tribunaux locaux, qui rendent la justice. Dans des zones isolées comme les FATA, le droit est un subtil mélange de règles coraniques et de traditions ancestrales. En contrôlant ces tribunaux, généralement respectés par la population pour leur facilité d’accès et la gratuité des procès, les taliban sont en mesure d’appliquer la charia telle qu’ils l’interprètent. Les rapports des services pakistanais indiquaient que 70 tribunaux appliquaient désormais strictement la charia dans la seule vallée de Swat.

L’accord est révélateur de la complexité de la situation au Nord Ouest. Il a été signé avec l’une des factions talibanes, et non avec toutes. Le ministre provincial de l’information, M. Mian Iftikhar Hussein a indiqué que le principal signataire était le maulana Sufi Mohammed, chef historique du tehreek Nifaz e Shariat, alors que la vallée est principalement sous le contrôle de son gendre, le maulana Fazlullah, qui avait signé en 2007 un accord similaire qui n’était jamais entré en vigueur. Le programme de Sufi Mohammed est d’instaurer la charia, alors que son gendre, tout en poursuivant cet objectif, cherche à fédérer l’ensemble des taliban du Nord Ouest (ce qui le placera en conflit avec Baitullah Mehssoud)..

Pourquoi les pouvoirs locaux ont-ils signé de tels accords ? Pourquoi ont-ils été entérinés par le pouvoir central à Islamabad alors que le chef d’état-major de l’armée, le général Kayani, s’y est opposé ? On relèvera en effet que le gouvernement de Peshawar est composé à majorité de représentants de partis laïques et nationalistes pachtounes, peu enclins à recourir à la charia dans une lecture traditionaliste. S’ils ont signé cet accord, c’est en raison de l’incapacité de l’armée à tenir le terrain chaque fois qu’elle en a chassé les taliban. En l’absence d’un véritable pouvoir civil, le pouvoir retourne aux insurgés chaque fois que l’armée quitte les zones qu’elle reconquiert, par manque d’effectifs.

Il semble que les autorités de Peshawar aient espéré affaiblir le plus dangereux des chefs taliban en échange d’une importante concession, l’application de la seule charia aux personnes vivant dans la vallée de Swat. Il s’agit de la charia étendue à l’ensemble des règles sociales (et non limitée aux personnes et aux familles), incluant la justice, dans une zone où prédominait jusqu’alors un islam d’obédience soufie.

L’accord a inquiété autant la FIAS que les forces politiques pakistanaises laïques. La vallée de Swat n’est qu’à 250 km d’Islamabad et l’expérience montre qu’aucun accord n’a amené de paix définitive dans les zones où ils étaient signés. Les taliban en profitent à chaque fois pour se renforcer, sans que l’on sache réellement s’ils ont pour objectif la conquête de l’Etat (cela exigerait un niveau de coordination politique qu’ils ne semblent pas être en mesure de réaliser pour l’heure) où s’ils se limitent à vouloir imposer leur modèle social en zone pachtoune. En tout état de cause, les deux attentats commis à la fin du mois de mars 2009 à Islamabad contre les écoles de formation de militaires ont illustré la fragilité de cette stratégie pour le gouvernement pakistanais, et a contrario le degré de confiance qui a gagné les radicaux islamistes, qu’ils soient taliban ou d’une obédience différente.

Un commencement de talibanisation a également été observé au Baloutchistan, renforçant l’inquiétude du gouvernement pakistanais comme celle des pays membres de la FIAS. En effet, elle crée une insécurité sur les lignes d’approvisionnement de l’OTAN vers les troupes opérant en Afghanistan.

d) La signification de l’offensive dans la vallée de Swat

Depuis le début du mois de mai 2009, le gouvernement pakistanais a lancé une offensive dans la vallée de Swat, qui a conduit à des centaines de victimes et provoqué une nouvelle catastrophe humanitaire, avec le déplacement de 1,7 million de civils.

Ce revirement vient de la perception du danger représenté par la poussée talibane. Loin de s’arrêter à Swat, ces derniers ont poussé leur avantage jusqu’à Buner, avant de s’approcher de la route stratégique du Karakorum. Là s’est sans doute située la ligne rouge à ne pas franchir tant pour le gouvernement que pour l’armée, ne serait-ce que parce que celle-ci dispose de propriétés foncières à Buner… Parallèlement, une large partie de l’opinion publique pakistanaise s’est émue de pratiques qui s’instauraient dans la vallée de Swat : flagellations de femmes, pendaisons pour l’exemple… L’armée a donc décidé la reconquête de la vallée, mais pour beaucoup d’observateurs, il s’agit d’une réaction à une crise, qui n’obéit cependant à aucune stratégie d’administration du territoire. 300 000 maisons ont déjà été détruites dans les combats, ce qui a déjà provoqué une nouvelle catastrophe humanitaire que les taliban ne manqueront pas d’exploiter en cas de carence administrative de l’Etat.

Les Etats-Unis considèrent que la lutte contre les taliban pakistanais est désormais leur priorité en politique étrangère. La loi Biden-Lugar, du nom des deux sénateurs qui en étaient les auteurs, votée en 2008, prévoit un triplement de l’aide civile annuelle au Pakistan pour la porter à 1,5 milliard de dollars. Elle devrait être prochainement renforcée par un projet Kerry-Lugar, qui a le soutien du Président Obama.

C – Les territoires du Nord-Ouest, « millefeuille de terrorisme »

Le territoire qui englobe la zone du Nord-Ouest au Pakistan et l’Est de l’Afghanistan, peuplé de Pachtounes, est la principale zone de conflit pour les deux pays. La ligne Durand qui sépare juridiquement les deux pays est le fruit de l’époque coloniale et n’est nullement reconnue par les Pachtounes, pour qui l’Est afghan et l’Ouest pakistanais ne forment qu’un territoire, dont ils sont les maîtres.

Zone montagneuse dont les cols sont à plus de 3000 m d’altitude, les territoires du Nord Ouest pakistanais sont propices à tous les trafics possibles. Il est aisé d’y faire livrer des armes ou circuler de la drogue, de part et d’autre d’une frontière de 2600 km de long. Les trafics ne sont pas nés de la guerre, celle-ci les a simplement amplifiés. Ils sont traditionnels dans une région qui n’a reçu aucun investissement du pouvoir central, et dont la population vit dans un environnement difficile. Si Winston Churchill faisait état de la richesse de ce pays, l’explosion démographique l’a rendu pauvre : 7 % seulement des terres sont cultivables, l’eau manque… 17 % seulement des hommes sont alphabétisés, ce taux tombant à 3 % pour les femmes. 60 % de la population vit avec moins d’un dollar par jour. Dans ce contexte, trafiquer ou faire la guerre sont des moyens nécessaires pour survivre. Peshawar est un marché d’armes de tous genres, du petit calibre au lance roquette, et une plaque tournante pour la drogue.

Cette zone comprend deux territoires :

– Les territoires du Nord Ouest (North West Federal Province, NWFP), composés d’une vingtaine de districts qui échappent à l’autorité du gouvernement d’Islamabad, et où l’armée pakistanaise livre de difficiles combats.

– Les FATA (zones tribales sous administration fédérale), au nombre de 8, toutes frontalières avec l’Afghanistan, sauf Malakand et Orakzai.

Malakand : 1,5 millions d’habitants.

Bajaur : 600 000 habitants des tribus Tarkani et Utman Khel. Zone de terrorisme dominée par Fakir Mohammad.

Khyber : 500 000 habitants, des tribus Afridi et Shinwari. Zone de terrorisme dominée par Ustad Yasir.

Mohmand : 350 000 habitants de la tribu éponyme. Mouvement taliban d’Abdul Wali.

Khurram : 450 000 habitants, des tribus Turi et Bangash, dont la caractéristique est d’être Chiites. Conflits entre chiites et sunnites.

Orakzai : 240 000 habitants de la tribu éponyme, Sunnites et Chiites. Zone de terrorisme sous la direction du mouvement taliban Nur Jamal Messoud.

Nord Waziristan : 375 000 habitants des tribus Wazir et Dawar. Zone de terrorisme dominée par le réseau Haqqani, le groupe Nazir et le groupe Hafiz Gul Bahadur.

Sud Waziristan : 425 000 habitants des tribus Wazir et Mehsud. Fief de Baitullah Messoud.

Les territoires du Nord-Ouest et les zones tribales, souvent dénommés ceinture pachtoune, sont devenus un sanctuaire tant pour les taliban afghans et pakistanais que pour les membres d’Al-Qaïda. En vertu de l’ancestrale loi de l’hospitalité, les taliban afghans y ont trouvé refuge à la chute de Kaboul, ainsi que leurs alliés d’Al-Qaïda, sans que le nouveau gouvernement afghan, le gouvernement pakistanais et les Etats-Unis aient mesuré à l’époque les conséquences que cette fuite engendrait. Leur territoire d’élection était et demeure le Waziristan, dont le relief montagneux dissimule les bases arrières de leurs attaques en Afghanistan et au Pakistan, provoquant en réaction l’intervention de l’armée pakistanaise à la demande de Washington et l’invocation d’un droit de suite américain (bombardements au Waziristan) qui a soudé entre elles les tribus, quel qu’ait été leur degré de connivence avec les radicaux. Les interventions américaines ont également suscité la colère d’une large partie de l’opinion publique pakistanaise, forçant le gouvernement d’Islamabad à réagir fermement devant la violation de sa souveraineté alors qu’officiellement, son intérêt réside dans la victoire des forces de la FIAS.

1) Millefeuille et cercles terroristes

On doit au journaliste pakistanais Ahmed Rachid l’expression « millefeuille de terrorisme » pour décrire les mouvements insurrectionnels qui affectent le Nord Ouest. Shuja Nawaz, journaliste et analyste de la situation politique pakistanaise (et frère de l’ancien chef d’état-major de l’armée) préfère parler de cinq cercles indépendants, mais qui coopèrent parfois lorsqu’ils ont un intérêt commun.

• Les taliban afghans : Divisés en plusieurs mouvances dont les principales sont dirigées par le mollah Omar et par les chefs de guerre Haqqani et Hekmattyar, les taliban afghans sont désunis, mais ont un objectif commun : la prise de Kaboul. Il est de notoriété publique que le mollah Omar réside paisiblement au Baloutchistan car il a eu l’intelligence de ne jamais attaquer l’armée pakistanaise, avec laquelle l’unissent des liens de coopération.

• Le Terreq e taliban Pakistan (TETP) : Il s’agit de taliban pakistanais qui se regroupent progressivement sous l’autorité d’un jeune chef dynamique, Baitullah Mehssoud. Depuis son fief du Sud Waziristan, il tente d’opérer la jonction des mouvements taliban de Bajaur, du Nord Waziristan, d’Orakzai, de Khyber et de Khurram. S’il aboutissait, ce regroupement serait une menace sérieuse pour l’intégrité du Pakistan. Il est difficile de définir les objectifs de Baitullah Mehssoud. Veut-il faire du Nord Ouest un fief ou conquérir le pouvoir d’Etat au Pakistan ?

• Les insurgés du Swat, mouvement qui ne semble pas dépasser la recherche d’un modèle social traditionaliste.

• Les militants pendjabis : moins connus, ils ont été formés et armés par l’ISI pour combattre au Cachemire. Ils ont tissé quelques liens avec Al-Qaïda.

• Al-Qaïda : Le mouvement d’Oussama Ben Laden, qui réside sans doute au Nord du Pakistan, est extrêmement cloisonné. S’il se tient à l’écart des taliban pakistanais, il lui apporte son aide logistique comme il en bénéficie. Rassemblant des Ouzbeks et des Tadjiks sous l’autorité de chefs arabes, ses effectifs sont en diminution. Il est arrivé aux deux entités de se combattre car les Pachtounes supportent mal la présence d’étrangers sur leur territoire.

A ces cinq cercles incontestablement politiques s’ajoutent des centaines de groupes constitués pour contrôler un territoire, s’adonner à la contrebande ou au trafic de drogue. Le fait de se qualifier de taliban confère une légitimité politique à leurs activités criminelles.

2) Des réactions douloureuses, mais sporadiques

La réaction du gouvernement pakistanais est difficile à analyser. Incontestablement, Islamabad a envoyé des forces pour combattre les taliban et y subit des pertes largement supérieures aux troupes de la FIAS opérant en Afghanistan. Ce point est à souligner. Il est malaisé pour l’armée pakistanaise, entraînée à combattre l’armée indienne selon des formes de combats classiques, d’intervenir contre sa propre population par des méthodes de contre guérilla. Aussi la guerre n’est-elle pas menée continuellement. Elle alterne avec des phases de paix à l’échelon local. L’armée pakistanaise cherche également, moyennant argent, à dresser certains groupes taliban les uns contre les autres, comme celui d’Hafiz Gul Bahadur au Nord Waziristan, ou à former des milices tribales, dont l’efficacité est faible, car elles ne sont que peu armées. Pour beaucoup d’observateurs, y compris pakistanais, cette politique n’est qu’une diversion, car Islamabad souhaiterait le maintien d’un mouvement taliban puissant en Afghanistan, par crainte de voir ce pays basculer sous influence indienne.

Le Nord Ouest et les FATA sont ainsi devenus les zones non d’un seul conflit (FIAS contre Al-Qaïda), comme on pourrait le croire, mais d’une véritable guerre. Certains observateurs qualifient cette guerre de civile, d’autres y voient des opérations de maintien de l’ordre car les insurgés n’auraient pas d’objectif politique. La guerre contre Al-Qaïda est considérée de plus en plus comme marginale. Les opérations sont la superposition de trois conflits :

– Affrontements de l’armée pakistanaise contre les tribus pachtounes talibanes, à la demande de la FIAS et pour tenter d’établir un semblant d’autorité du gouvernement central au Nord-Ouest. Ce conflit, difficile à gagner militairement, est très impopulaire dans l’opinion pakistanaise et divise la classe politique, plusieurs partis conservateurs ayant la même conception de la société que les taliban.

– Affrontements des tribus pachtounes conservatrices contre les membres d’Al-Qaïda (islamistes radicaux), qui sont souvent étrangers (Arabes, Ouzbeks, Maghrébins venus d’Europe) et qui mettent en cause l’ordre social des tribus. La plupart des analystes estiment que les effectifs d’Al-Qaïda ne dépassent guère 1200 militants, mais le relief du terrain rend difficile leur neutralisation.

– Affrontements contre des entités qui se disent talibanes, mais qui sont des criminels armés n’hésitant pas à combattre les forces armées ou de police et à leur infliger de lourdes pertes.

L’ensemble de ces conflits se déroule dans un contexte mouvant, où chiites et sunnites s’affrontent sporadiquement, où des tribus pachtounes sous-traitent des missions pour le compte d’Al-Qaïda certains jours, avant de combattre des radicaux le lendemain. La pacification de cette zone et le retour à la paix civile, avec une présence minimale, mais effective, du pouvoir pakistanais est la clé de la fin du conflit en Afghanistan. Elle est loin d’être acquise.

D – « Afpak, Pakaf, Pakin », des acronymes symbolisant la recherche d’une solution régionale

En rédigeant le présent rapport d’information, vos Rapporteurs ont souhaité opérer la synthèse d’évènements qui ont montré que le conflit d’Afghanistan avait toujours eu une dimension régionale dont l’épicentre est désormais le Pakistan. Le jeu des acronymes dont les responsables politiques et les diplomates sont friands le prouve :

Afpak désigne le fait que l’on considère que la solution du conflit afghan passe par la résolution des problèmes du Pakistan au Nord Ouest de son territoire.

Pakaf fait référence à la situation du Pakistan, considérant qu’il est prioritaire de stabiliser un pays en crise, menacé par le radicalisme religieux alors qu’il dispose d’armements nucléaires. Le conflit d’Afghanistan sera résolu par le retour du Pakistan à la paix civile.

Pakin rassemble les analyses qui considèrent que la clé du conflit en Afghanistan réside dans l’amélioration des relations entre le Pakistan et l’Inde.

Rappelons d’emblée que ces acronymes, inventés par les Américains, ne rencontrent guère l’approbation des Afghans, des Pakistanais et des Indiens qui y voient le gommage de leur identité et une façon simpliste pour les Occidentaux de traiter des problèmes complexes…

Le Pakistan est au centre du jeu dans les trois cas. Mais une fois le problème mis en lumière, les solutions pour stabiliser le Pakistan ne sont nullement évidentes. Il existe en effet des logiques de guerre, conduisant au maintien du conflit tant en Afghanistan au Pakistan :

• Tant que l’armée pakistanaise et certaines forces de ce pays ne verront dans l’Afghanistan que leur axe de profondeur stratégique, dont l’objet est de barrer la route à l’influence de l’Inde, les taliban bénéficieront d’un soutien occulte, mais constant et non négligeable de la part des militaires pakistanais. Les faibles ressources économiques du Pakistan seront ponctionnées pour des desseins militaires, au détriment du développement économique et social du pays.

• Si les forces de la FIAS ne rétablissent pas la sécurité en Afghanistan, le Pakistan continuera à parier secrètement sur leur retrait, ce qui ne peut que renforcer son soutien actuel aux taliban afin d’avoir la certitude qu’un régime pro pakistanais sera rétabli à Kaboul après le départ des occidentaux.

• Tant que l’aide civile internationale n’apportera pas de réel progrès dans la vie quotidienne des Afghans, recourir aux armes, de part et d’autre de la ligne Durand, sera un moyen de subsistance comme un autre pour des milliers de Pachtounes, quelles que soient leurs motivations.

Ce constat emporte la définition d’une nouvelle stratégie, qui se met en place dans les principaux pays de la FIAS, à commencer par les Etats-Unis.

1) L’administration Obama et la question afghano-pakistanaise

La nomination de plusieurs envoyés spéciaux et hauts représentants d’Etats engagés dans la FIAS pour les questions d’Asie du Sud montre que les Etats-Unis, le Canada et l’Europe ont parfaitement saisi la dimension régionale du conflit. Le poids prééminent des Etats-Unis dans la coalition exige que l’on s’arrête sur la mise en place de la nouvelle stratégie américaine telle que la met en place, progressivement, l’administration du président Obama.

a) Un changement de priorités

Alors que le Président George W. Bush s’appuyait sur le concept de guerre contre la terreur et globalisait le conflit irakien et le conflit afghan comme un même combat, le Président Obama, avant même son accession au pouvoir, a dissocié les deux conflits. Il avait deux bonnes raisons :

• La guerre en Irak était illégitime au regard des principes du droit international, les Etats-Unis ayant falsifié des documents pour démontrer que l’Irak disposait d’armes de destruction massive. La guerre en Irak est un échec, qui a altéré l’image des Etats-Unis dans le monde, et qui a stérilisé des forces américaines dans ce pays alors qu’elles auraient été plus utiles en Afghanistan.

• La manière dont la guerre a été conduite en Afghanistan constitue un échec. Les Etats-Unis et leurs alliés de la FIAS ne se sont pas suffisamment engagés, ni militairement, ni civilement. Les taliban afghans ont repris le contrôle du terrain et ont noué des alliances objectives avec les taliban pakistanais.

Dans une interview au magazine Foreign Affairs, lors de l’été 2007, le futur Président a récusé la notion d’axe du mal et a considéré que le conflit en Afghanistan était régional, incluait le Pakistan et exigeait d’être traité en combinant des opérations militaires à des actions sociales et économiques qui priveraient les taliban de leurs bases dans la société. Son analyse a été renforcée par celle de M. Robert Gates, ancien secrétaire d’Etat à la Défense de l’administration républicaine et reconduit par le Président Obama : « Bien que portés par une idéologie transnationale, nos adversaires sont en fait une addition de groupes extrémistes locaux et régionaux. Les revendications locales et régionales alimentent le conflit qui s’amplifie dans les zones non gouvernées, sous gouvernées et mal gouvernées. L’usage de la force (pour vaincre les taliban, ndlr) joue un rôle. Cependant, les efforts militaires pour capturer ou pour tuer des terroristes devraient être subordonnés aux mesures promouvant la participation locale au gouvernement et aux programmes économiques stimulant le développement, ainsi qu’aux efforts pour comprendre les revendications qui sont souvent au cœur des insurrections… Pour ces raisons, on peut dire que la composante militaire la plus importante dans le combat contre les extrémistes violents n’est pas le combat que nous menons nous-mêmes mais la façon dont nous savons aider et préparer nos partenaires » (20).

Cette analyse n’était pas fondamentalement novatrice. Elle était déjà exprimée par l’administration républicaine, mais cette dernière voulait conduire de front les guerres en Irak et en Afghanistan. La novation de l’administration Démocrate est d’écarter l’Irak des priorités stratégiques américaines et de faire du dossier afghan et pakistanais la priorité absolue de la politique étrangère des Etats-Unis.

Dans son discours à Chicago, le 5 novembre 2008, peu après l’annonce de sa victoire, le Président américain a prononcé à plusieurs reprises le mot leadership, indiquant qu’il ne renoncerait pas à la position dominante des Etats-Unis sur l’échiquier mondial, mais annonçant qu’il renouvellerait la manière dont les Etats-Unis conduisent leur politique étrangère. Si les Etats-Unis ne proclament pas, à l’instar de la France, que le monde est multipolaire – cela signifierait pour eux accepter la parité stratégique avec la Russie et la Chine – ils admettent tacitement la réalité d’un tel monde. Ils constatent aussi que leurs moyens sont limités et les empêchent de mener plusieurs guerres à la fois. Enfin, les milliards de dollars dépensés pour bâtir un outil militaire sophistiqué permettent certes au pays de disposer d’une avance technologique sur le reste du monde, mais donnent des résultats limités au plan politique surtout lorsqu’ils sont engagés dans des guerres asymétriques.

La nouvelle stratégie peut se résumer en 5 points :

• Augmenter l’effectif des forces en Afghanistan.

• Remettre au cœur de l’intervention de la FIAS la lutte contre le terrorisme, en prenant soin de ne pas qualifier ce terrorisme d’islamiste.

• Mettre en œuvre une politique ambitieuse de reconstruction en Afghanistan, et d’assistance au Pakistan.

• Prendre au mot le Président Zardari et contribuer à la consolidation du pouvoir civil au Pakistan.

• Impliquer l’ensemble des acteurs parties directement ou indirectement au conflit à son règlement politique, ce qui inclut les Etats de la FIAS, les pays voisins de l’Afghanistan et du Pakistan, au premier rang desquels la Chine, l’Inde et l’Iran, ainsi enfin que la Russie.

Dès la prise de fonction du Président Obama, la nouvelle administration a réfléchi à la manière de mettre en œuvre cette stratégie, en lui donnant pour base une doctrine. La révision stratégique du 27 mars 2009, avec le document intitulé white paper of the interagency policy group’s report on U.S. policy toward Afghanistan and Pakistan, recense les objectifs, le mode d’action et les recommandations de politique étrangère à l’égard de l’Afghanistan et du Pakistan.

Les objectifs sont au nombre du cinq : réduire le terrorisme, instaurer un Etat afghan plus efficace , développer les forces afghanes de sécurité afin de réduire la présence américaine, consolider le pouvoir civil au Pakistan et aider ce pays économiquement, enfin impliquer la communauté internationale pour mettre en œuvre ces objectifs.

Le mode d’action mentionne aussi bien les moyens militaires que les campagnes de communication. Il met également pour la première fois au premier rang de la coopération économique l’agriculture, ce qui est une évidence dont les alliés auraient dû s’apercevoir depuis 2001, dans un pays où 70 % de la population est rurale…

Les recommandations sont au nombre de 12 :

• Réformer la stratégie civile et militaire de contre insurrection.

• Encourager le gouvernement afghan à négocier avec les insurgés qui acceptent l’ordre constitutionnel et légal afghan.

• Associer les autorités provinciales et locales à l’effort de reconstruction.

• Rompre le lien entre narco trafiquants et insurgés.

• Mobiliser la communauté internationale au soutien des objectifs des Etats-Unis en Afghanistan.

• Vivifier la coopération afghano-pakistanaise via la médiation américaine.

• Convaincre Islamabad que le terrorisme est une menace pour la sécurité de toutes les nations, y compris le Pakistan.

• Aider le Pakistan à combattre les extrémistes.

• Accroître et élargir l’aide au Pakistan.

• Réfléchir à toute forme de coopération avec le Pakistan.

• Renforcer les moyens d’action du gouvernement pakistanais.

• Enfin, demander aux alliés d’accroître leur aide en Afghanistan.

On observera que les recommandations concernent autant le Pakistan que l’Afghanistan, preuve s’il en est que l’administration américaine intègre définitivement la stabilisation d’un Pakistan démocratique au cœur de sa stratégie anti terroriste.

b) Une politique spécifique à l’égard du Pakistan

Sur le dossier pakistanais, la position du Président Barack Obama ne constitue cependant pas une véritable rupture, dans ses principes. Le Président George Bush avait théoriquement obtenu que le Pakistan cesse ses soutiens aux taliban peu après les attentats du 11 septembre 2001. Mais on a vu supra que le Pakistan a en fait conduit un double jeu. Le changement que souhaite apporter le Président Barack Obama constitue un mélange de pression et de diplomatie, là encore décrit dans son entretien à Foreign Affairs en 2007 :

• Faire pression sur le Pakistan pour qu’il s’en prenne sérieusement aux taliban et pourchasse les dirigeants d’Al-Qaïda. En cas d’inaction du pouvoir pakistanais, agir directement en territoire pakistanais.

• Encourager le dialogue entre l’Inde et le Pakistan pour qu’ils résolvent leur différend sur le Cachemire.

• Encourager un dialogue similaire entre le Pakistan et l’Afghanistan pour fixer les frontières entre les deux pays et amorcer le développement économique des régions limitrophes de la ligne Durand.

L’administration américaine a donc bien dégagé une vision régionale du conflit, dont le cœur est l’apaisement des relations entre l’Inde et le Pakistan. Si l’Inde n’était plus perçue comme le pays qui vise à démembrer le Pakistan, ce dernier pourrait alléger son dispositif militaire à la frontière du Cachemire et concentrer ses forces pour rétablir l’autorité de l’Etat dans ses provinces du Nord Ouest.

Il reste que l’inquiétude américaine à l’égard du Pakistan – et de manière plus large sur les chances de résoudre le conflit – est réelle. M. Richard Holbrooke a récemment déclaré (Foreign Affairs, octobre 2008) que la guerre en Afghanistan pourrait être plus longue que celle du Vietnam, et que définir une bonne politique à l’égard d’Islamabad « sera absolument critique pour la prochaine administration, et très difficile. De tous les défis auxquels la politique afghane est confrontée, le plus rude est celui des sanctuaires d’insurgés établis dans les zones tribales du Pakistan ».

c) Conditionnalité ou non conditionnalité de l’aide américaine?

La stratégie militaire que les Etats-Unis proposent au Pakistan se double d’une assistance financière civile prévue par la loi Biden-Lugar, votée en juillet 2008. L’actuel Vice-Président des Etats-Unis est à l’initiative de ce texte bi partisan (le Sénateur Lugar est Républicain) qui accorde sur cinq ans au Pakistan 7,5 milliards de dollars, soit 1,5 milliard par an. Cette loi est accompagnée de deux clauses de conditionnalités : le Pakistan doit s’engager à poursuivre Al-Qaïda et à réduire les sanctuaires taliban. L’armée pakistanaise doit en outre s’abstenir d’interférer dans les affaires politiques et judiciaires.

Un nouveau projet est en cours de discussion au Congrès, au moment où vos Rapporteurs achèvent la rédaction du présent rapport. Le Congrès apparaît très pointilleux sur les conditionnalités qu’il souhaite y voir figurer, car il craint que le Pakistan ne détourne l’aide pour accroître le nombre de ses têtes nucléaires, afin d’atteindre la parité avec l’Inde (de 100 à 120 têtes environ). Il souhaite également des critères précis pour le renouvellement annuel de l’aide là où le gouvernement américain préfèrerait une certaine souplesse, permettant d’évaluer globalement les progrès du Pakistan dans la lutte contre le terrorisme.

Il n’appartient pas à vos Rapporteurs de s’immiscer dans le débat qui a cours au Congrès. Tout au plus peuvent-ils rappeler que « homme malade de l’Asie » comme l’a qualifié le Président Ali Zardari, le Pakistan doit faire l’objet, tout autant que l’Afghanistan, d’une approche internationale respectueuse de sa souveraineté, de son ancienne civilisation et de sa population, qui constitue par son effectif la 3ème communauté musulmane du monde après l’Indonésie et l’Inde. Ne pas aider ce pays constituerait une lourde erreur stratégique. Telle est la vision des pays de la FIAS et d’autres pays, comme la Chine, l’Iran, la Russie, le Japon ou les Emirats arabes unis. Le Pakistan a donc bénéficié, parallèlement à la conférence des donateurs qui se penchait le 17 avril 2009 à Tokyo sur le développement de l’Afghanistan, d’un examen de sa situation au sein d’une instance similaire. Le débat sur la conditionnalité s’inscrit dans ce contexte. Il est normal que le législateur américain veille à ce que l’argent des contribuables soit dépensé conformément aux objectifs politiques des Etats-Unis. Mais on ne peut simultanément demander le renforcement d’un pouvoir civil démocratique à Islamabad pour ensuite lui marchander une assistance indispensable à son édification. Au moins devrait-on distinguer l’aide militaire, à accorder sous condition, de l’aide économique, qui par son caractère d’urgence, doit être allouée sans condition.

Il n’existe pas de solution miracle pour redresser le Pakistan. L’aide à ce pays passe par la relance des investissements pour combler des décennies de retard dans la construction d’infrastructures, par l’édification d’un système scolaire primaire et secondaire qui n’a jamais réellement existé et dans la diminution du poids des dépenses militaires dans le PIB, au profit de dépenses civiles. L’ensemble de ces mesures a pour objectif de remettre le Pakistan sur la voie de la croissance économique et d’améliorer le niveau de vie de ses habitants. Mais la croissance ne peut se décréter, surtout lorsque la sécurité publique n’est pas assurée et lorsque les pays donateurs traversent eux-mêmes de graves difficultés budgétaires. Diminuer les dépenses militaires n’est peut-être pas non plus souhaité par les autorités américaines, qui espèrent un engagement supplémentaire des forces pakistanaises dans les FATA. En résumé, le Pakistan est un nœud de contradictions, et pour tenter de résoudre les principaux problèmes qui l’affectent, les Etats membres de la FIAS et les principaux pays donateurs sont engagés dans une course contre la montre contre les sources du terrorisme, telle la pauvreté, mais se doivent également de rassurer le Pakistan sur son intégrité et sa sécurité, en encourageant le rapprochement devenu indispensable avec l’Inde, pour passer d’une logique de guerre à une logique de paix.

2) Une politique à l’épreuve des réalités régionales

Définie sous le sceau du pragmatisme, et marquée par la volonté de résoudre des conflits qui ont cours depuis plusieurs décennies, la stratégie américaine mérite incontestablement d’être soutenue par les alliés. Ces derniers ne doivent d’ailleurs pas se satisfaire du retour américain sur la scène afghane mais prendre également leur part dans le combat commun contre le terrorisme, alors que Washington, comme tous les Etats de la planète, est confrontée à une grave crise financière et ne peut supporter seule le fardeau humain et budgétaire du conflit. Les attentats du 11 septembre ont été suivis d’autres attentats, à Londres, Madrid, Istanbul et Bombay notamment. La guerre en Afghanistan est l’un des éléments d’une stratégie internationale de lutte contre le terrorisme, ce qui oblige chaque Etat à accentuer son effort militaire ou à contribuer à la reconstruction civile de l’Afghanistan.

Il reste que l’effort diplomatique que les Etats-Unis et de leurs alliés en Asie du Sud va se heurter à de nombreux obstacles.

a) Restaurer la confiance avec le Pakistan

La politique américaine à l’égard du Pakistan a été rendue publique depuis plusieurs mois. Le respect qu’elle affiche à l’égard d’Islamabad n’a pas comblé pour l’heure le déficit de confiance entre Islamabad et Washington, et plus encore entre l’opinion publique pakistanaise et les Etats-Unis. Il convient de rappeler quelques éléments, que vos Rapporteurs ont observé au Pakistan, à savoir la nature profondément musulmane des habitants et de la société de ce pays, qui les conduisent à observer sinon avec sympathie, du moins avec une certaine compréhension, le combat des taliban. Or autant les Etats de la FIAS peuvent agir pour améliorer la situation militaire et l’efficacité de l’aide civile internationale, autant il est très difficile d’agir sur des mentalités, surtout dans une société pauvre, fragilisée par une crise économique autant que morale. De ce point de vue, l’anti américanisme s’est beaucoup développé ces dernières années dans la société pakistanaise, reposant sur des préceptes incontournables : les Etats-Unis sont perçus comme les envahisseurs de l’Irak (pays sunnite et chiite à la fois) tout autant que les principaux soutiens à Israël, contre des Palestiniens eux aussi majoritairement musulmans. Ils sont globalement considérés comme hostiles à l’Islam, ce qui empêche le gouvernement pakistanais d’opérer trop ouvertement avec eux un rapprochement pour affronter les taliban. Ces derniers bénéficient d’un large soutien, au moins jusqu’au Sud du Baloutchistan ainsi que dans de nombreux quartiers de Karachi.

L’Europe est perçue différemment, mais cette nuance psychologique n’est d’aucun intérêt dans le dossier afghan et pakistanais car elle dispose de peu de leviers au Pakistan, à la différence des Etats-Unis, principal fournisseur militaire de ce pays. Mais les Etats-Unis ne retrouveront de crédibilité auprès de l’opinion publique pakistanaise qu’à la condition d’améliorer leur image.

Il ne suffit pas de proclamer son respect pour l’Islam – même si cette proclamation était indispensable – pour rallier le gouvernement comme l’opinion publique pakistanaise à la politique américaine. Historiquement, la Pakistan a toujours été sensible au problème palestinien (la Ligue musulmane de Jinnah a été créée dans les années 30 avec deux objectifs : donner un Etat aux musulmans de l’Empire des Indes et créer un Etat pour les Palestiniens) et seule une volonté américaine, traduite dans des actes aboutissant à la création d’un Etat palestinien, restaurera l’image des Etats-Unis.

Outre le volet psychologique, le rééquilibrage avec l’Inde voulu par le Président George W. Bush, qui voyait en ce pays le premier marché des entreprises américaines, a altéré les relations entre Washington et Islamabad. L’accord nucléaire entre les Etats-Unis et l’Inde constitue non une marque d’amitié, mais une marque d’intérêt que Washington a jusqu’à présent refusé à son allié pakistanais, dans le domaine jugé le plus sensible pour sa sécurité.

b) Peu de moyens de pression sur l’Inde

L’Inde est dans une situation ambivalente à l’égard du Président Obama. Elle approuve l’engagement contre le terrorisme, étant hélas régulièrement visée par des attentats. Elle approuve également l’ouverture américaine vers l’Iran, car elle n’a jamais proposé l’isolement de Téhéran à laquelle l’unissent de puissants intérêts. Mais bénéficiant d’une supériorité stratégique sur le Pakistan, elle ne voit aucune raison de ne pas accroître son influence en Afghanistan, alors que ce point provoque ire et inquiétude au Pakistan.

En outre, l’Inde a pour objectif constant, en politique étrangère, de sécuriser ses frontières et d’éviter toute influence étrangère trop marquée dans l’Océan indien. Elle est en conséquence très réticente à un règlement du conflit qui instaurerait une prééminence des Etats-Unis depuis l’Asie centrale jusqu’en mer d’Oman. Bénéficiaire de l’accord avec les Etats-Unis sur l’énergie nucléaire civile, elle s’est empressée de signer des accords de coopération nucléaire avec d’autres pays, dont la France. Si les Etats-Unis avancent régulièrement leur amitié retrouvée avec Delhi, l’Inde met en avant ses intérêts et n’hésite pas à afficher ses distances avec Washington. Or il existe au minimum deux grandes divergences de vue :

• Sur le Cachemire : les Etats-Unis semblent appeler à une médiation entre le Pakistan et l’Inde, ce que Delhi rejette absolument. Il s’agit pour l’Inde d’un élément de politique intérieure qui, le cas échéant, peut être discuté avec Islamabad, mais en aucun cas hors de ce cadre. La forte participation des électeurs cachemiris aux élections locales alors que les séparatistes avaient appelé à un boycott a renforcé la position de l’Inde sur ce dossier.

• Sur les relations avec le Pakistan : la politique de George W. Bush a consacré pour les Indiens une réalité : leur prééminence politique et économique en Asie du Sud, qui conduit désormais les Etats-Unis à vouloir massivement investir dans leur pays. Ils observent avec réserve une politique qui replacerait le Pakistan au premier rang des préoccupations américaines.

Les réserves de l’Inde sont d’autant plus préoccupantes pour les Etats-Unis qu’ils n’ont que peu de moyens de pression sur Delhi. Il leur faudra accomplir, sans doute avec l’aide de leurs alliés européens, un effort diplomatique consistant à rassurer l’Inde sur leurs intentions et à contribuer discrètement à un règlement du conflit au Cachemire, puisque aucune démarche ne peut publiquement être conduite sur cette question.

c) Chine et Russie, alliés objectifs de la politique américaine ?

Il est possible en revanche que Washington trouve des alliés objectifs de sa politique à Pékin et Moscou. Ces deux pays sont respectivement des alliés du Pakistan et de l’Inde, qui peuvent relayer ses positions. La Chine tient à la stabilité du Pakistan en raison de nombreux liens commerciaux, le dernier étant constitué par le port en eau profonde de Gwadar, non loin du détroit d’Ormuz, et dont elle a financé la construction. La Russie est engagé dans un dialogue stratégique avec les Etats-Unis sur de nombreux dossiers (renégociation du traité START, missiles anti missiles, Géorgie, Kosovo). Si les désaccords avec les Etats-Unis sont nombreux, on observera qu’elle a toujours été solidaire de la FIAS en Afghanistan, ouvrant notamment son espace aérien pour l’approvisionnement des troupes engagées sur le terrain. Cette « route du Nord » est infiniment plus sûre que le couloir qui passe par le Baloutchistan.

Propositions

Proposition n°21 : Remplacer les références au « conflit d’Afghanistan » par celle de « conflit en Afghanistan et Pakistan » (en évitant la terminologie « Afpak », très mal ressentie par les peuples concernés) tant les deux pays sont liés dans ce drame et tant le « coeur du problème » est bien situé à la frontière des deux pays (la ligne Durand). De ce point de vue, la nomination du Représentant spécial pour l'Afghanistan et le Pakistan a apporté une amélioration notoire de l'action diplomatique de la France.

Proposition n°22 : Dénoncer publiquement la décision du gouvernement pakistanais concernant la vallée de Swat comme l'exact opposé de ce qu'il faut faire; une régression inacceptable des droits et libertés fondamentaux. A l'inverse, doit être encouragée l'attitude plus claire de l'armée pakistanaise depuis quelques semaines visant à rétablir l'autorité de l'Etat dans cette région.

Proposition n°23 : Soumettre l'aide militaire internationale apportée au Pakistan à un régime de conditionnalité liée à son usage véritable. Les échanges entre nos armées et l’armée pakistanaise doivent être intensifiés, notamment en ce qui concerne la formation des officiers supérieurs aux techniques de la guerre contre insurrectionnelle. La France doit également proposer son savoir-faire pour la sécurisation du nucléaire, militaire et civil.

Proposition n°24 : Adresser un message collectif et officiel "des amis du Pakistan" au gouvernement de ce pays pour l'avertir que son plus grand ennemi n'est pas, n'est plus l'Inde mais le terrorisme et qu'il est temps qu'il adapte sa stratégie militaire à cette nouvelle donne. En particulier, il est temps que ses services secrets, l'I.S.I., cessent leur double jeu vis-à-vis des taliban"

Proposition n°25 : Encourager discrètement la normalisation progressive des relations entre l’Inde et le Pakistan, en commençant par la coopération sur la lutte contre le terrorisme et la prévention d’un conflit nucléaire.

V – UN IMPÉRATIF : INTÉGRER L’IRAN DANS LE PROCESSUS DE PAIX

Avec 900 km de frontière commune, la présence au sein de la communauté nationale afghane de citoyens persophones (Tadjiks) et chiites (20 % de la population, principalement des Hazaras), ainsi que celle, sur son sol, de millions de réfugiés afghans, avec enfin une guerre difficile contre les trafiquants de drogue, l’Iran a un intérêt direct à ce que l’Afghanistan soit un pays stable et pacifique. Pour Téhéran, l’Afghanistan est une route vers le sous-continent indien et vers la Chine.

L’intervention américaine en Afghanistan, à la fin de 2001, en renversant le régime des taliban, a débarrassé l’Iran de l’un de ses principaux ennemis, mais a aussi attisé le sentiment éprouvé par les Iraniens d’un encerclement par les forces américaines, sentiment accru par la présence américaine en Irak.

Au cours de leur déplacement à Téhéran, vos Rapporteurs ont pu mesurer combien les responsables iraniens se sentaient directement concernés par l’évolution de la situation en Afghanistan, laquelle constitue à leurs yeux la première préoccupation internationale – quand elle ne serait qu’une préoccupation parmi d’autres pour les Français. Ils ont eu l’impression que les Iraniens étaient relativement ouverts à l’idée de coopérer avec d’autres Etats de la région et les pays occidentaux afin de stabiliser ce pays.

A – L’Ouest de l’Afghanistan, zone d’influence de l’Iran

Si le cœur du conflit en Afghanistan se déroule à l’Est et au Sud, dans les territoires pachtounes, la situation militaire à l’Ouest n’est pas complètement sécurisée. Elle a connu un fort niveau de violence en 2005 et 2006, car la zone de Farah a constitué une base de repli des taliban de la province de Helmand, harcelés par les troupes britanniques. La dégradation de la sécurité a été accentuée par l’extension des cultures de pavot au Helmand, autour de Kandahar et à Farah. Frontalière de l’Iran, cette province a donc concentré des taliban et des groupes armés de narco-trafiquants.

1) L’appui iranien au pouvoir local

Il est clair que les taliban ont deux objectifs dans l’Ouest : Kandahar, car cette ville est le berceau historique des grandes dynasties pachtounes, et Herat, car cette ville commerçante tire des revenus financiers considérables des taxes douanières perçues sur les échanges commerciaux entre l’Iran et l’Afghanistan. Contrôler Herat équivaut à pouvoir équiper une petite armée…

La FIAS dispose de trop peu d’effectifs dans l’Ouest pour bien contrôler ce territoire. Si la violence n’a toutefois pas atteint le niveau observé dans l’Est, on le doit à la force du pouvoir local d’Ismail Khan (surnommé « le lion d’Herat »), tadjik, ancien moudjahiddin, combattant acharné des soviétiques, puis des taliban entre 1995 et 2000. Son pouvoir a toujours été largement plus étendu que celui du représentant officiel de Kaboul, le gouverneur de la province. Ismail Khan a en effet mis en place un réseau lui permettant de percevoir les taxes douanières. Le Président Karzaï a rencontré de nombreuses difficultés à gérer le pouvoir d’Ismail Khan. Il l’a nommé à plusieurs reprises ministre, en le limogeant dans l’intervalle, avant d’admettre de lier le droit à la réalité en le désignant gouverneur d’Herat. Ismail Khan est l’exemple type du seigneur de guerre qui maintient l’ordre public selon le vieux système clanique, mais en commandant une milice de plusieurs milliers d’hommes, il est dépositaire de la réalité du pouvoir.

Les liens entre Ismail Khan et l’Iran ont toujours été cordiaux. Pendant la guerre contre les Soviétiques, puis celle contre les taliban, Téhéran lui a fourni des armes, des munitions et du carburant en échange de l’utilisation de la base aérienne de Shindand pour la communauté chiite. Téhéran a accordé de tout temps une grande importance à la province d’Herat, qui abrite 200 000 chiites, soit 20 % de la population de la province et qui constitue un axe de propagation de son influence politique et religieuse. L’Iran donne son aval à la nomination de clercs chiites, finance le parti d’Ismail Khan (le Jami at-islami) et donne son accord à la nomination des pouvoirs publics locaux. Il est certain que Téhéran, bien plus que Kaboul, détient un vrai pouvoir d’influence dans l’Ouest du pays.

Les Iraniens usent toutefois de leur influence avec finesse car leur objectif n’est pas de déstabiliser l’Afghanistan. Si l’Iran a tissé quelques liens avec Al-Qaïda dans le but évident de gêner les Etats-Unis (mise à la disposition
d’Al-Qaïda d’un camp d’entraînement par des pasdarans, fourniture d’armes….) il s’est violemment opposé aux taliban sunnites qui opprimaient les chiites. Dans ce contexte, Téhéran souhaite la paix dans les provinces d’Herat et de Farah, qu’il veut voir débarrassées de toute présence talibane. L’Iran contribue très activement à la reconstruction civile du pays en concentrant évidemment son aide dans l’Ouest : construction d’un chemin de fer entre Sangan (Iran) et Herat, dons financiers (500 millions de dollars entre 2002 et 2006, 560 millions pour la seule année 2007) qui font de Téhéran l’un des principaux pourvoyeurs de l’aide internationale. L’Iran cherche, comme tout donateur, à favoriser ses entreprises au point, si l’on en croit Alhaj Qulam Qader Akbar, directeur de la chambre de commerce d’Herat, de faire une concurrence déloyale aux entreprises afghanes.

2) La gestion des réfugiés

Conséquence de la guerre qui sévit en Afghanistan, plus de 3 millions de réfugiés afghans vivent aujourd’hui en Iran, dont 1 million de personnes bénéficiant du statut de réfugiés, souvent depuis une trentaine d’années, et 2 millions en situation irrégulière.

Les premiers sont installés dans des camps, situés principalement, mais pas exclusivement, à l’Est de l’Iran. Ils y bénéficient de logements en dur, d’écoles et de services sociaux ; ils sont autorisés à travailler à l’extérieur des camps.

La situation des personnes arrivées plus récemment et maintenues dans l’illégalité est plus difficile : il y a un grand nombre familles qui ont fui leur pays pour des raisons de sécurité et les hommes ne trouvent que des emplois très pénibles et sous-payés. Ils ont mauvaise réputation et sont volontiers accusés de tous les maux par les Iraniens. Si la présence d’un certain nombre d’entre eux est acceptée car elle assure une main-d’œuvre bon marché sur les chantiers en particulier, l’intensification des flux pose problème.

En 2007, il était prévu d’expulser 1 million d’Afghans en situation irrégulière ; 300 000 ont effectivement été chassés, mais la plupart est revenue. Actuellement, environ 20 000 personnes rentrent chez elles chaque mois, tandis que 80 000 rejoignent l’Iran, ce qui conduit à un solde positif considérable de 60 000 Afghans par mois. L’Iran offre plus de possibilités de travail aux réfugiés que le Pakistan et attire en conséquence beaucoup de réfugiés.

Les autorités iraniennes estiment entre 4 et 5 milliards de dollars le coût annuel des réfugiés afghans. Le représentant du HCR que vos Rapporteurs ont rencontré a indiqué craindre que le renforcement annoncé des troupes de l’OTAN en Afghanistan ne se traduise, au moins dans un premier temps, par un regain de violence, et donc un accroissement des flux de réfugiés vers l’Iran. Or le HCR rencontre beaucoup plus de difficultés pour collecter des fonds destinés aux réfugiés afghans en Iran que pour obtenir des dons en faveur de leurs compatriotes fuyant vers le Pakistan. Il serait pourtant normal que la solidarité internationale soulage la charge qui pèse sur l’Iran.

3) Une grande sensibilité aux problèmes du trafic de drogue

Environ 90 % de la drogue produite en Afghanistan transite par l’Iran pour rejoindre la Turquie, puis l’Europe. Les autorités iraniennes mettent en avant la source de financement des taliban que ces trafics constituent. Elles sont aussi très sensibles à ce problème en raison de la jeunesse de la population iranienne
– 40 millions d’Iraniens ont moins de trente ans – dont la consommation de stupéfiants progresse de manière importante : le pays compterait entre 4 et 5 millions de toxicomanes.

Dans ces conditions, l’Iran mène effectivement une lutte intense contre le trafic de drogue. Trois mille Iraniens ont perdu la vie en menant cette lutte au cours des dernières années, tant les combats contre les convois de trafiquants s’apparentent à de véritables actes de guerre.

L’accès à la frontière irano-afghane étant très restreint, il est difficile de se faire une opinion précise des dispositifs de surveillance mis en place. Il existe incontestablement un système d’observation et de contrôle du passage des marchandises à la frontière. Des tranchées ont été creusées, dans lesquelles des soldats sont postés. Un mur, long de 120 kilomètres, est même en cours de construction au Nord de cette frontière. Un projet d’un coût estimé à 350 millions de dollars a été évoqué, visant à améliorer, d’ici deux ans, les moyens de surveillance de la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan, alors que les contrebandiers sont de mieux en mieux équipés.

Il faut néanmoins souligner que les responsables iraniens rencontrés par vos Rapporteurs ont nié l’existence de laboratoires de transformation de l’opium sur leur territoire, alors que, selon de nombreux diplomates, de l’opium entre en Iran tandis que de la drogue transformée en sort. Pour les Iraniens, les trafics qui transitent par leur territoire concernent l’opium, mais aussi de l’héroïne et du « cristal », une drogue mortelle.

4) Une menace terroriste qui inquiète l’Iran

Si l’Iran n’a pas connu sur son sol d’attentat commis par Al-Qaïda, les responsables politiques n’en expriment pas moins une grande inquiétude à l’égard de la menace terroriste. Ils ne font pas de différences entre taliban et terroristes et mettent l’accent sur la propagation du terrorisme depuis l’Afghanistan jusqu’en Inde, n’excluant pas la perspective d’attentats sur le sol iranien.

L’Iran déclare empêcher le passage par son territoire de jeunes gens venus d’Asie centrale, désireux de se former dans les madrasas pakistanaises, et susceptibles de devenir des terroristes.

Depuis quelque temps, la menace terroriste s’incarne, pour les Iraniens, dans la personne d’Abdelmalek Rigi et de ses compagnons, membres de Jundullah (« Les soldats de Dieu »), un groupe armé sunnite basé au Baloutchistan, qui a causé de lourdes pertes à des unités des gardiens de la révolution, lors d’une série de coups de main dans le Sud-Est du pays. Ces activistes franchissent la frontière irano-pakistanaise pour commettre leurs forfaits, avant de retourner se mettre à l’abri au Pakistan, parmi les taliban. Selon les services de l’ambassade de France, ce groupe est surtout un bouc émissaire, dont les agissements servent de prétexte à l’interdiction de la frontière irano-pakistanaise.

B – L’analyse iranienne de la situation en Afghanistan

Chacun connaît la perception de l’Iran par les pays occidentaux. Il était parallèlement intéressant pour vos Rapporteurs de connaître la perception iranienne de l’action occidentale en Afghanistan.

Les autorités iraniennes rappellent volontiers qu’elles ont joué un rôle important, en coopération avec les Etats-Unis, dans la chute des taliban et la constitution de l’administration Karzaï : elles ont soutenu les forces de la Ligue du Nord contre les taliban, puis ont participé à la conférence de Bonn. Leur opposition au régime des taliban date de 1995 ; elle reposait alors à la fois sur l’idéologie extrémiste sunnite des taliban et sur le fait qu’ils étaient soutenus par le Pakistan et l’Arabie saoudite. L’Iran est même passé au bord de la confrontation militaire avec eux en 1998, à la suite de l’assassinat de neufs « diplomates » iraniens (en fait, des membres des services de renseignement) à Mazar-e-Sharif.

Les hommes politiques iraniens rencontrés par vos Rapporteurs mettent l’accent sur la responsabilité de l’Occident – Grande-Bretagne et Etats-Unis en tête – et de leurs alliés – Pakistan et Arabie saoudite en particulier –, avant de souligner les menaces qu’un Afghanistan instable fait peser sur l’Iran, et donc la volonté de celui-ci à œuvrer en faveur de sa pacification.

1) L’Occident et ses alliés sont perçus comme les premiers responsables de la situation

Depuis la Révolution islamique de 1979, l’Iran a développé un discours antioccidental, qu’il applique naturellement à la situation en Afghanistan. S’il faut reconnaître que tous les reproches faits à la Grande-Bretagne et aux Etats-Unis ne sont pas dépourvus de fondement, les autorités iraniennes en donnent une présentation sans nuance et excessive, qui revient à les tenir pour responsables de tous les maux dont souffre l’Afghanistan.

a) Les erreurs commises dans le passé

Les Iraniens voient les taliban comme le produit de la politique antisoviétique des années 1980. L’ambassadeur du Pakistan à Téhéran a d’ailleurs reconnu, devant vos Rapporteurs, que le général Zia, qui a exercé le pouvoir au Pakistan de 1978 à 1988, a aidé au développement des taliban afin de disposer d’un outil efficace et bon marché pour exercer son influence en Afghanistan.

L’Occident a ensuite encouragé la prise du pouvoir par ces extrémistes, dont la capacité de nuisance dépasse aujourd’hui largement les frontières de l’Afghanistan, pour toucher durement le Pakistan lui-même, et atteindre désormais l’Inde.

b) Une politique actuelle jugée contre-productive

Mais, selon les responsables iraniens, loin de se repentir de ses erreurs passées, l’Occident persiste dans cette voie dangereuse : d’un côté, la présence des forces de l’OTAN en Afghanistan est accusée d’attiser le développement de l’extrémisme ; d’un autre côté, l’Occident appelle à un dialogue avec certains taliban, alors même que ce sont des terroristes et que toute forme de terrorisme doit être combattue.

Le bilan de l’intervention de l’OTAN est perçu comme particulièrement négatif : l’accent est mis sur la dégradation des conditions de sécurité, sur le caractère limité des progrès de la démocratie – même si la tenue d’élections démocratiques et la mise en place d’une constitution sont jugées positives – et de la société, et surtout sur l’explosion de la production de drogue. Des accusations directes sont même formulées contre l’armée britannique : en dépit d’un déploiement de force considérable, la plus grande partie de l’opium serait produite dans la région dont elle a la charge, ce qui ne serait possible qu’avec sa complicité . Certaines autorités iraniennes ont même été jusqu’à affirmer, devant vos Rapporteurs, que la drogue emprunterait des avions militaires britanniques pour rejoindre la Somalie ; les produits pétrochimiques nécessaires à la transformation de l’opium seraient fournis par son intermédiaire ; elle laisserait un grand nombre de taliban s’échapper des prisons placées sous son autorité.

L’Iran dénonce « l’occupation » de l’Afghanistan par les Américains et les Britanniques, et leurs desseins « néo-coloniaux ». En outre, il insiste sur le fait que les groupes terroristes sont financés à la fois par une forme d’impôt sur le trafic de drogue et par le soutien d’ONG islamistes, financées depuis l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, alliés de l’Occident.

2) L’Iran met en avant son aide civile en Afghanistan

a) Une aide à la reconstruction et au développement économique qui porte ses fruits

Tous les interlocuteurs iraniens de vos Rapporteurs ont mis l’accent sur l’efficacité de l’aide à la reconstruction apportée par l’Iran – qui « a toujours satisfait le gouvernement comme la population afghane », selon le vice-ministre iranien des affaires étrangères pour l’Asie –, quand les efforts de l’Occident ou de la communauté internationale en général sont présentés comme sans effet réel sur la vie des populations. La proximité culturelle et linguistique entre les deux pays, ainsi que l’existence de réseaux d’influence mis en place de longue date, expliquent certainement l’adéquation de l’aide aux besoins des populations et la rapidité de ses traductions sur le terrain.

Téhéran joue un rôle majeur dans le désenclavement économique du Nord-Ouest de l’Afghanistan, frontalier de l’Iran. C’est vers des projets d’infrastructures qu’est principalement dirigée l’aide iranienne, qui s’est élevée à 560 millions de dollars entre 2002 et 2005 et à 50 millions de dollars par an environ au cours des trois dernières années. Elle a ainsi financé la construction de ponts et de routes, de lignes électriques, d’une ligne de chemin de fer de 120 kilomètres de long, d’une centrale électrique de 55 mégawatts… S’y ajoute la fourniture à titre gracieux de 150 mégawatts d’électricité par an. L’Iran contribue aussi au développement de la culture du safran iranien, comme alternative à celle du pavot, le safran ayant un prix au gramme plus élevé que celui de l’opium.

L’Iran apporte une aide plus limitée dans les secteurs de la santé et de l’éducation et une aide sociale, difficile à chiffrer mais considérée comme massive par les diplomates français, à travers l’assistance apportée par les fondations religieuses iraniennes, comme la Fondation Imam Khomeyni, et les fonds envoyés en Afghanistan par les réfugiés afghans en Iran.

Encouragé par le désenclavement permis par les aides iraniennes, le commerce courant s’est fortement développé : les exportations iraniennes ont atteint 440 millions d’euros en 2007-2008 (dont 250 millions au titre de l’agroalimentaire, 50 pour les matériaux de construction, 30 en produits pharmaceutiques et 20 en produits chimiques). L’Afghanistan est ainsi le neuvième client de l’Iran et absorbe 3 % de ses exportations non pétrolières.

b) Une volonté affirmée de lutter contre le trafic de drogue

Grâce à un système dit « système avancé de contrôle intégré des frontières », l’Iran a effectué, en 2006, les plus importantes saisies au monde d’opiacées (80 %) et d’héroïne ; il est incontestablement celui des Etats voisins de l’Afghanistan le plus activement et efficacement engagé dans la lutte contre la drogue.

Les responsables politiques iraniens reprochent aux Occidentaux comme aux Afghans de ne pas s’impliquer suffisamment dans cette lutte – voire d’aider les trafics, comme mentionné supra – et de ne pas soutenir suffisamment les efforts consentis par l’Iran.

En juin 2007, a néanmoins été lancée l’initiative triangulaire Iran-Pakistan-Afghanistan, qui commence à se traduire concrètement : des bureaux de liaison frontaliers vont être créés, les renseignements sur les trafics devraient être échangés au sein d’une cellule en cours de mise en place à Téhéran. Les diplomates français estiment néanmoins qu’une volonté d’approfondissement de la coopération irano-afghane dans ce domaine se heurterait à de fortes réticences de la part des partenaires de l’Afghanistan et de l’Afghanistan lui-même, ce dernier étant peu désireux d’encourager une montée en puissance de l’influence iranienne.

C – Intégrer l’Iran dans le processus régional de paix, malgré de nombreuses incertitudes et ambiguïtés

Les Iraniens sont-ils sincères lorsqu’ils affirment être disposés à contribuer à la stabilisation de l’Afghanistan et à collaborer davantage avec la communauté internationale sur ce dossier ? Le sentiment de vos Rapporteurs est que toute évolution des relations avec l’Iran qui crédibiliserait cette sincérité sera utile au processus de paix.

Les pays occidentaux, notamment les Etats-Unis, peuvent-ils intégrer l’Iran dans le processus de paix en Afghanistan, malgré le dossier nucléaire iranien ? Le sentiment de vos Rapporteurs est qu’ils le doivent, car un règlement régional du conflit sans l’Iran serait très fragile.

Telles sont les deux principales questions qui apparaissent d’emblée quant à la participation de l’Iran au processus de paix. Après 30 années de méfiance et de forte tension, il ne peut y avoir de coopération entre Téhéran et les pays occidentaux que sur la base d’un intérêt stratégique commun en Afghanistan. Or cet intérêt existe, puisque les deux parties ont besoin de la pacification du pays : la FIAS, pour s’en désengager, l’Iran pour sécuriser sa frontière orientale et exercer son influence sur les chiites. Il reste que cet intérêt de principe n’est peut-être pas l’intérêt du moment. L’Iran peut trouver avantage aux difficultés des Etats-Unis et de leurs alliés dans le cadre de futures négociations sur son programme nucléaire et son rôle au Moyen-Orient. De leur côté, les Occidentaux peuvent hésiter à intégrer l’Iran dans un jeu diplomatique dont il sortirait doublement gagnant, en apparaissant comme une puissance stabilisatrice indispensable en Asie centrale tout en disposant de la technologie nucléaire à des fins militaires. Cette équation à deux inconnues connaîtra, à l’évidence, un début de réponse avec les résultats de l’élection présidentielle iranienne de juin 2009.

1) Un Iran indispensable pour les alliés

Si le conflit afghan se concentre principalement dans l’Est et le Sud du pays, et non à l’Ouest, c’est grâce à la stratégie de soutien de l’Iran aux chefs de guerre qui, comme Ismail Khan, protègent les chiites. Cette réalité n’est sans doute pas satisfaisante au regard des objectifs de la construction d’un Etat à la fois efficace et appliquant le droit, mais elle est incontournable. Sans le rôle stabilisateur de l’Iran, l’Ouest de l’Afghanistan, si proche des zones de production de pavot, serait sans doute aussi dangereux que l’Est.

En d’autres termes, l’Iran peut se passer des forces de la FIAS pour stabiliser sa frontière et pacifier l’Ouest afghan, tandis que la FIAS serait dans une situation plus délicate sans l’Iran. Ce constat rend l’Iran indispensable pour les alliés. Le droit de Téhéran de s’asseoir à la table des négociations ne provient pas uniquement de la géographie mais des résultats obtenus par la politique iranienne dans l’Ouest afghan. Il en va de l’intelligence des pays de la FIAS d’associer l’Iran au processus de paix, d’autant qu’il pourra rallier la communauté chiite à ce processus, et en conséquence de déconnecter le dossier nucléaire du règlement du conflit afghan.

Telle a été l’attitude des pays occidentaux ces derniers mois, qui ont pris soin d’inviter l’Iran à l’ensemble des initiatives multilatérales pour un règlement du conflit : l’Iran était convié à la conférence du 14 décembre 2008 à la Celle Saint-Cloud, à l’initiative de la France – mais il ne s’y est pas rendu – de même qu’il ne s’est pas rendu à La Haye en mars 2009.

2) Mais un Iran qui hésite volontairement à s’engager dans un processus multilatéral

Il existe clairement un décalage entre le discours iranien – y compris lors de la visite de vos Rapporteurs – et ses actes. Téhéran se dit prêt à une solution issue d’un processus multilatéral, mais ne répond pas aux invitations qui lui sont lancées pour y participer. Téhéran poursuit sans doute le double objectif d’un Afghanistan pacifié et loin de toute influence occidentale, ce qui donnerait à l’Iran la prééminence dans cette région, en raison de l’ancienneté de son Etat, de sa civilisation, de son poids démographique et de l’importance de son économie.

Les appels ne manquent pourtant pas. Outre la France, le Qatar et la Turquie ont souligné publiquement le rôle important de Téhéran au Moyen-Orient et en Asie du Sud. L’Iran a chaque fois souligné combien il appréciait ces analyses… sans y donner suite. Le 21 mars dernier, à Mazar-e-Sharif, lors de la conférence trilatérale réunissant l’Afghanistan, l’Iran et le Tadjikistan, M. Mottaki, ministre iranien des Affaires étrangères, a même invité l’Afghanistan à s’éloigner de « ceux qui sont venus de loin et n’ont rien compris à cette région » pour s’appuyer sur « des personnes proches plus à même de comprendre les problèmes de l’Afghanistan ». De tels propos dénoteraient une hostilité de principe de l’Iran à un processus multilatéral, si on ne les reliait pas aux luttes de pouvoir qui se déroulaient à Téhéran, à l’approche de l’élection présidentielle. Le courant conservateur du pouvoir, attaché aux principes de la révolution de 1979, ne veut pas d’un rapprochement trop marqué avec les Etats-Unis.

Washington, qui souhaite que l’Iran soit présent à la table des négociations, dispose néanmoins d’un argument solide pour convaincre la République islamique de changer d’attitude : l’Iran ne peut à la fois revendiquer un rôle régional, voire mondial, et fuir ses responsabilités au prétexte qu’il ne veut pas d’un dialogue avec les Etats-Unis.

3) Les solutions proposées par l’Iran

Si la manière dont Téhéran fait peser sur l’Occident la responsabilité de tous les maux dont souffre d’Afghanistan traduit avant tout sa posture antioccidentale et antiaméricaine, l’analyse iranienne de ce qu’il faut faire pour améliorer la situation dans ce pays repose sur une bonne connaissance des réalités afghanes. Vos Rapporteurs la partagent sur bien des points.

Le président de la commission de la politique étrangère et de la sécurité nationale du Majles, le Parlement iranien, a souligné très pertinemment devant nous quatre impératifs :

– il faut convaincre les Afghans que l’intervention militaire ne vise pas la conquête, sans quoi elle entraîne des réactions de résistance, et non de reconstruction ;

– l’intervention ne doit pas viser à saper les fondements islamiques de la société, même si l’Iran désapprouve certaines des pratiques qui ont cours en Afghanistan à ce titre, comme la place des femmes, l’interdiction de la scolarité pour elle ; il faut néanmoins respecter la culture afghane ;

– la population doit sentir les effets positifs de la présence militaire et des conférences internationales : ce n’est pas le cas, ce qui explique les flux de réfugiés ;

– il faut lutter davantage contre la production de drogue.

Les priorités présentées par le président du groupe d’amitié Iran-France ne peuvent de même qu’être approuvées : empêcher le retour au pouvoir des taliban, assurer le respect de la démocratie et des droits de l’Homme, aider à l’aménagement territorial du pays. Le vice-ministre des affaires étrangères pour l’Europe y ajoute la nécessité de renforcer le gouvernement afghan et son armée et préconise le développement économique comme seul moyen de mettre un terme à la production de drogue et à la corruption.

Pour tous, comme pour vos Rapporteurs, il ne saurait y avoir de solution purement militaire à la situation en Afghanistan.

Deux aspects apparaissent moins clairs : la question du retrait des forces occidentales et celle de l’ouverture du processus de réconciliation nationale à certains taliban modérés.

« Puisque la présence de l’OTAN attise les violences, son retrait devrait contribuer à les apaiser » : les responsables rencontrés par vos Rapporteurs n’ont pour autant pas insisté très fortement sur ce point, comme s’ils avaient conscience du risque d’un retour au pouvoir des taliban en cas de départ rapide des Occidentaux. Le président du groupe d’amitié a par exemple demandé que la présence militaire soit l’occasion non seulement de former l’armée afghane, mais aussi d’améliorer les infrastructures du pays. Le vice-ministre des affaires étrangères pour l’Europe cite, parmi les causes de la situation actuelle, la faiblesse du gouvernement afghan, l’absence de développement économique, la drogue et la corruption, et, « en dernier lieu », la présence de forces étrangères. Il estime que, si le gouvernement est renforcé et doté d’une armée puissante et le pays équipé d’infrastructures, la drogue et la corruption régresseront d’elles-mêmes, tandis que les forces étrangères pourront quitter le pays. Leur retrait n’apparaît donc pas comme un préalable à l’amélioration de la situation.

Les Iraniens soulignent volontiers que le processus démocratique en Afghanistan doit inclure tous les groupes ethniques et ne pas favoriser excessivement les Pachtounes. Mais ils s’opposent à l’ouverture d’un dialogue avec les taliban : étant donné leur extrémisme, ils doivent être tenus à l’écart du gouvernement et ne sauraient constituer des interlocuteurs. Pour le vice-ministre des affaires étrangères pour l’Europe, « il n’y a pas de bons ou de mauvais taliban, il n’y a que des terroristes. S’ils abandonnent leur idéologie, ce ne sont plus des taliban, mais des Pachtounes ». Les diplomates français ont néanmoins perçu les signes d’une discussion au sein du régime iranien sur le concept de réconciliation nationale et la possibilité d’identifier parmi les insurgés des « modérés », avec lesquels il serait possible de discuter. Le conseiller diplomatique du Guide de la révolution semble défendre une telle éventualité.

4) Des ambiguïtés persistantes

En dépit de ces discours relativement ouverts à la coopération, le passage aux actes pose jusqu’ici problème. Ainsi, après avoir, dans un premier temps, accepté de participer à la réunion informelle des pays voisins de l’Afghanistan qui s’est tenue à Paris le 14 décembre 2008, les autorités iraniennes y ont finalement renoncé, mettant en avant une déclaration du Président Sarkozy relative au Président Ahmadinejad. Les diplomates français analysent ce refus final comme la traduction de l’absence de consensus sur la stratégie à mener vis-à-vis de l’Afghanistan au sein du régime, comme indiqué supra.

La coopération internationale dans le domaine de la lutte contre le trafic de drogue, pourtant vivement souhaitée par l’Iran, se heurte aux réticences de celui-ci. Il ne facilite pas le travail de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), a laissé se tarir le dialogue avec le groupe de Dublin (21), avant de sembler à nouveau ouvert à une reprise des contacts avec lui, et ne développe pas les coopérations bilatérales dans ce domaine : seule l’Italie a un officier de liaison chargé de la drogue à Téhéran et l’un des programmes les plus ambitieux est le programme cynophile que conduit la France.

Cette faible appétence pour la coopération internationale est attribuée à des facteurs idéologique, sécuritaire et interne. L’Iran veut éviter qu’une coopération trop visible avec l’ONUDC et les Occidentaux ne vienne contredire la rhétorique du régime relative à l’isolement du pays face au trafic de drogue et à la responsabilité des « occupants » dans le développement de la production de pavot en Afghanistan. Il craint qu’une coopération renforcée avec l’ONUDC ou avec ses voisins ne conduise à la communication de renseignements aux Etats-Unis. Au sein du régime, la suspicion pèse sur tous ceux qui sont favorables à la coopération internationale, méfiance encore plus forte dans le milieu des services de sécurité.

Malgré leur soutien officiel au Président Karzaï et leur hostilité affichée à tous les terroristes, les Iraniens sont en outre suspectés d’apporter un soutien tactique à différents groupes, y compris taliban, afin de fragiliser et de décrédibiliser la présence occidentale.

Si le chaos en Afghanistan constitue un réel danger pour la sécurité de l’Iran, ce dernier ne souhaite pas véritablement avoir, à ses portes, un Afghanistan en paix dans lequel l’influence occidentale serait trop forte.

Parvenir à nouer un dialogue politique global avec l’Iran serait évidemment pour l’Occident le meilleur moyen de poser les bases d’une coopération en faveur de la stabilisation de l’Afghanistan. Même avec l’arrivée de M. Barack Obama à la tête des Etats-Unis, il ne faut pas surestimer les chances de succès : le dossier nucléaire ne sera pas facile à résoudre et il n’est pas sûr que l’Iran veuille réellement normaliser ses relations avec le « Grand Satan ».

Un moyen de contourner cette difficulté tout en stimulant les initiatives en faveur de la paix en Afghanistan pourrait plus modestement consister, pour la communauté internationale, à soutenir davantage les actions conduites par l’Iran en partenariat avec ses voisins, comme l’initiative triangulaire de lutte contre la drogue ou les programmes de développement lancés dans le cadre de l’organisation ECO (22), dont le siège est à Téhéran.

*

* *

Bien entendu, l’ensemble de ces réflexions et analyses concernant l’Iran dans son environnement régional et sa capacité à agir pour contribuer à la paix et à la stabilité en Afghanistan sont fragiles et sujettes à caution face à la situation de tension extrême qui règne dans ce pays après l’épisode – dramatiquement raté – de l’élection présidentielle. De ce point de vue, il faut bien être conscient que l’instabilité de l’Iran fait régresser non seulement la démocratie dans ce pays, mais aussi tout espoir de paix dans cette région du monde. Le Président Obama, comme l’ensemble des démocraties occidentales, est confronté à un dilemme : d’un côté, marquer notre solidarité avec le peuple iranien ; de l’autre, toute ingérence risque de compromettre les maigres chances de voir l’Iran participer au règlement de plusieurs dossiers essentiels pour la paix.

CONCLUSION

Après huit années de présence en Afghanistan, les pays membres de la FIAS ont pris conscience, ces derniers mois, qu’ils avaient perdu beaucoup de temps dans leur politique de stabilisation et de reconstruction du pays. Initialement limitée à une guerre contre le terrorisme, leur intervention prend désormais place dans un environnement géopolitique complexe, où l’édification de l’Etat afghan et la restauration de la société civile dépendent de l’évolution de la politique intérieure pakistanaise et des relations entre l’Inde, le Pakistan, l’Afghanistan et l’Iran.

L’approche qui consiste à régler simultanément les problèmes de l’Afghanistan et du Pakistan est la conséquence des multiples crises politiques, économiques et sociales qui secouent l’ensemble de l’Asie du Sud. Elle ne présente pas un caractère novateur. Elle constitue simplement la prise de conscience que sans le règlement de quatre questions internationales majeures
– l’instauration de relations confiantes entre l’Inde et le Pakistan, la fixation d’une frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan acceptée par les deux parties et garantie par la communauté internationale, la réintégration de l’Iran dans le concert des nations et le règlement du conflit israëlo-palestinien, qui donne un extraordinaire motif d’action au terrorisme – il sera extrêmement difficile d’instaurer la paix en Afghanistan. Mais il faut garder à l’esprit que ces questions ne sont pas les seules clés de la paix. Pour commode qu’il apparaisse, l’acronyme Afpak recouvre deux réalités très différentes : d’un côté, en Afghanistan, il faut construire un Etat multiethnique qui n’a jamais existé au sens où nous entendons un Etat moderne ; de l’autre, au Pakistan, il faut porter assistance à une jeune nation dont la population a sextuplé depuis son indépendance, dont l’Etat est en faillite, dont la société, multiséculaire et héritière de brillantes civilisations, traverse une crise identitaire et qui a rang de puissance nucléaire.

A moins d’accepter par lassitude et manque de volonté politique que s’instaure un espace d’anarchie et de guerre civile en Asie du Sud, la communauté internationale n’a pas le choix. Elle doit contribuer au redressement de ces deux pays. Tel doit être le sens de sa présence. En conséquence, les responsables politiques ont un devoir d’explication envers les citoyens des pays de la FIAS, qui posent légitimement les questions de la durée et du sens de notre engagement. La lutte contre un terrorisme idéologiquement très marqué, et le combat contre des insurgés dont les motivations vont du nationalisme au mercenariat sont à l’évidence de longue haleine. Nos huit années de présence n’arrivent pas à leur terme… Or, pour les prolonger, il est nécessaire de convaincre nos concitoyens que nous demeurons en Afghanistan pour notre sécurité comme pour rendre aux Afghans la maîtrise de leur destin. L’adhésion de nos concitoyens et leur compréhension des problèmes qui se jouent en Asie du Sud donnent à nos forces le sens politique de leur action.

Cette politique d’explication doit être illustrée par des résultats. Or, le moins que l’on puisse dire est que le bilan de la reconstruction de l’Afghanistan est mitigé. De nombreuses actions ont été accomplies, qu’il faut soutenir et amplifier, mais le maintien d’un niveau élevé de violence rappelle que les principaux problèmes politiques ne sont pas résolus. Bien que la présence de la FIAS rassure et protège une population contre la frange la plus radicale des taliban, les Afghans n’ont pas encore choisi leur camp, redoutant des représailles en cas de retour des islamistes au pouvoir. Ces derniers ne sont plus en mesure de gagner militairement le conflit, mais ils demeurent en mesure de le faire durer sur une période si longue qu’elle peut entraîner la lassitude des opinions publiques occidentales. Les insurgés ont du temps, qui d’Alexandre le Grand aux Soviétiques, ont vu passer au long de leur histoire des forces étrangères qui ne sont jamais restées dans leur pays plus de quelques années. Il ne faut pas oublier que pour certains, la guerre est un mode de vie…

Eviter l’enlisement dans une lutte sans résultat, qui perdrait progressivement son sens politique, constitue le principal défi auquel est confrontée la FIAS. L’approche volontariste qu’elle affiche et le recours à une méthode par laquelle l’action militaire vient en appui d’un programme de construction de l’Etat afghan et du développement constituent une première réponse à ce défi. Si la fermeté de l’action militaire s’accompagne d’une ouverture politique envers les insurgés, qu’ils soient ou non taliban, et si la population afghane recueille directement les fruits de l’aide civile, il y a de fortes chances que les taliban perdent du terrain et que leurs chefs trouvent avantage à réintégrer la vie politique afghane par des voies pacifiques. Reste le problème d’Al-Qaïda. Cette nébuleuse terroriste est largement implantée hors d’Afghanistan, aussi bien au Maghreb qu’en Asie du Sud Est les défaites que la coalition pourra lui infliger dans les sanctuaires afghans ou pakistanais ne signifiera pas sa disparition définitive.

A côté du travail qu’il faudra accomplir au plus près des populations afghanes, seul un consensus international garantira un avenir de paix à l’Afghanistan. Vos Rapporteurs ont évoqué une conférence internationale, rassemblant à la fois les pays frontaliers de l’Afghanistan et les pays parties au conflit, les pays qui contribuent à sa reconstruction et ceux enfin qui exercent une influence en Asie du Sud. Comme l’a indiqué Henry Kissinger, cette conférence aurait pour objet de convaincre les voisins de l’Afghanistan de cesser leurs interférences dans ce pays et de lui rendre son statut de neutralité. La participation de 80 pays et organisations internationales à la récente conférence de La Haye est le signe encourageant qu’une telle conférence est envisageable. Elle constituera sans nul doute un vaste marchandage entre les Etats-Unis, l’Inde, la Chine, la Russie, le Pakistan, l’Iran, l’Union européenne, l’Arabie saoudite et les Etats du Golfe persique, signant, en ce début du XXIème siècle, le retour d’un grand jeu aux réminiscences de XIXème siècle.

C’est dans cette perspective que vos Rapporteurs ont délibérément voulu s’inscrire, en essayant d’imaginer ce que pourrait être concrètement un chemin de paix pour l’Afghanistan. Ils ont avancé des propositions, conscients d’être, au mieux, en avance sur leur temps, au pire, des utopistes. Sur la base de ce travail, ils ont voulu affirmer leur volonté, politique, de reconstruire, en France, le consensus qui doit régner sur les questions de défense, et qui a malheureusement été mis à mal ces dernières années concernant notre implication en Afghanistan.

En effet, toutes les forces politiques avaient approuvé l’intervention de 2001, qui visait, à la suite des terribles attentats du 11 septembre, à renverser un régime soutenant le terrorisme internationale. Ces premières opérations ont permis de mettre fin au règne des taliban sur l’Afghanistan, et ont affaibli le mouvement au point que celui-ci ne paraît plus en mesure de reprendre le pouvoir.

Malheureusement, la coalition n’a pas su faire face aux défis posés par la reconstruction du pays. Dans tous les domaines, militaire évidemment, mais également politique et humanitaire, les efforts déployés par la communauté internationale sont apparus, au mieux mal organisés, au pire insuffisants. Du fait du manque de résultats, les opinions publiques ont commencé à craindre l’enlisement dans un conflit interminable. Cette évolution est à l’origine de la rupture du consensus au sein de la classe politique en France. Il est indispensable, pour rebâtir le consensus sur lequel repose notre intervention, de clarifier à nouveau les objectifs de notre présence et de tracer un chemin vers la paix.

Il est indispensable de rebâtir un consensus à l’échelle internationale autour d’objectifs précis pour sécuriser le territoire afghan, poursuivre le processus de réconciliation entre les forces politiques acceptant les principes d’un régime démocratique, accélérer le développement économique et social du pays et promouvoir les droits de l’homme.

Seule une définition approuvée par tous des conditions de notre intervention permettra de garantir le soutien du peuple Français, nécessaire au maintien d’un effort soutenu en faveur de l’Afghanistan, sans lequel aucune perspective positive n’est imaginable pour la pacification de la région.

25 PROPOSITIONS POUR L’AFGHANISTAN

Proposition n°1 : Accompagner l'intervention de nos forces armées en Afghanistan d'un discours public à usage national et international, articulé comme suit :

– nous ne sommes pas une force d'occupation et nos soldats n'ont pas vocation à rester éternellement en Afghanistan. Nous partirons dès que l’Afghanistan ne sera plus un sanctuaire du terrorisme international.

– nous ne sommes pas, non plus, en croisade contre l'Islam. Celui-ci est la deuxième religion de France et la République laïque en protège le libre exercice.

– nous sommes en Afghanistan pour aider ce pays et ce peuple ami à construire son avenir sur la paix, la démocratie et le développement.

Proposition n°2:  Aucun calendrier de retrait de nos troupes, ne peut être annoncé sauf dans le cadre d'un règlement de paix négocié.

Proposition n°3 : Adresser un message, au sein de l'ISAF aux forces armées américaines afin d'éviter absolument les bombardements "aveugles" qui font tant de victimes civiles et qui provoquent un sentiment de révolte et de rejet à l'égard des forces de la coalition. Toute destruction doit être suivie le plus rapidement possible d’une phase de reconstruction et d’assistance mettant en valeur l’action de l’armée et de l’Etat Afghans afin de légitimer le Gouvernement dans la population.

Proposition n°4 : Imposer d’éviter tout comportement de nature à accréditer le discours des taliban sur la « guerre de civilisations ». Par exemple, il faut proscrire toute atteinte à la laïcité du type de la très regrettable « diffusion de bibles » qui a eu lieu il y a quelques semaines.

Proposition n°5 : Donner la priorité à la communication à destination des populations sur le terrain  en investissant davantage sur les modes de transmission traditionnels (« chouras », tracts parachutés dans la langue quotidienne, émetteurs radio sur courte distance, etc…) pour contrer le monopole des taliban dans les villages les plus reculés.

Proposition n°6 : Convaincre davantage de pays de religion musulmane d’envoyer des troupes pour mieux démentir toute accusation de « croisade ».

Proposition n°7 : Poursuivre et amplifier « l’afghanisation » du conflit et accentuer l'effort de formation de l'Armée Nationale Afghane via les « Operational Mentor and Liaison Teams ». L’Union européenne concrétiser rapidement ses engagements concernant l’envoi de gendarmes, afin de permettre la constitution d’un service de sécurité afghan adapté aux réalités des provinces rurales.

Proposition n°8 : S'assurer, par la délégation d'un très grand nombre d'observateurs, du caractère « libre et loyal » de l'élection présidentielle du 20 août prochain. La FIAS doit fournir leurs meilleurs efforts pour assurer la sécurité du scrutin. Nous suggérons le soutien de la France à la fondation afghane chargée de l’observation des élections, pour faire en sorte qu’elle ait des observateurs afghans dans tous les bureaux de vote. Pour promouvoir la liberté du vote des femmes, une Ligue des femmes d’Afghanistan pourrait être subventionnée par l’Union européenne.

Proposition n°9 : Rayer du langage officiel et diplomatique le concept de « taliban modéré ». Cette expression n'a pas de sens car elle n'a pas de traduction concrète. Nous suggérons de parler des "insurgés" : c'est à eux, dans leur diversité, que doit s'adresser le processus de réconciliation nationale.

Proposition n°10 : Réserver la participation au processus de réconciliation nationale, que nous jugeons indispensable pour solidifier les bases afghanes d'un règlement de paix, aux Afghans eux-mêmes, fût-ce par l'entremise d'une médiation extérieure comme la médiation saoudienne. La communauté internationale doit se borner à rappeler nos exigences minimales concernant les droits fondamentaux ou la démocratie. En particulier, nous devons être attentifs aux droits de la femme afghane comme en témoigne le triste épisode du vote de la loi chiite. Sans prétendre imposer des "standards occidentaux" nous devons affirmer le droit à l'éducation des jeunes filles afghanes.

Proposition n°11 : Dans le prolongement de la Conférence de Paris, créer un groupe de contact permanent comprenant tous les pays frontaliers de l’Afghanistan ainsi que l’Inde, ayant pour objet de traiter les sujets d’intérêt commun. Les premiers travaux de ce groupe porteraient sur la sécurisation des frontières et des douanes, la lutte contre le trafic de drogue et les infrastructures de transports de biens, de marchandises et d’énergie.

A moyen terme, le groupe de contact aurait également pour objet de créer les conditions d’une meilleure transparence sur les arsenaux nucléaires et les forces militaires en présence dans la région, afin de prévenir le risque d’une attaque préventive et de limiter la course aux armements.

Proposition n°12 : Convoquer une conférence régionale parrainée par des représentants des Etats-Unis et de l’Union européenne pour définir précisément les conditions d’une paix durable en Afghanistan. Elle réaffirmera solennellement la neutralité de l’Afghanistan et le droit de ce pays au respect des principes de non ingérence et d’intangibilité de ses frontières.

Cette conférence se réunira sur la base des travaux du groupe de contact réunissant les 6 pays frontaliers de l’Afghanistan, y compris la Chine et l’Iran, ainsi que l’Inde et l’Arabie Saoudite.

Les conclusions de la conférence régionale devront être garanties par le Conseil de sécurité des Nations Unies.

Proposition n°13 : Tenir les engagements pris par le Président de la République pour l'aide de la France à l'Afghanistan. Nous nous réjouissons de ce point de vue du changement de cap impulsé par le Représentant spécial pour l'Afghanistan et le Pakistan, Pierre Lellouche. Il faut pérenniser cet effort, notamment l’existence d’un dispositif interministériel de veille sur l’Afghanistan.

Proposition n°14 : Achever dans les mois qui viennent le « livre bleu» de l'aide européenne, qui vise à recenser d'une manière exhaustive l'ensemble des aides européennes, qu'elles soient communautaires ou nationales. Confier à la Banque mondiale un audit de l'aide internationale.

Proposition n°15 : Afin de mieux contrôler son usage et sa destination de l'aide internationale, inscrire l’aide apportée par les bailleurs de fonds internationaux dans le cadre des priorités nationales définies par le gouvernement Afghan. Il est en effet essentiel de légitimer et de renforcer l’Etat Afghan.

Proposition n°16 : Maintenir l’écart des salaires entre la fonction publique afghane et les organisations internationales dans un rapport de 1 à 2 afin d’éviter la fuite des cerveaux vers les ONG et les organisations internationales. Engager la communauté internationale à doubler les salaires des cadres supérieurs de la fonction publique afghane sur cinq ans. Cet objectif devrait viser, en particulier, les forces de police afghanes dont la faiblesse des salaires explique en grande partie l'explosion des pratiques de corruption.

Proposition n°17 : Aider l’Etat afghan à créer un institut régional d’administration pour former les Gouverneurs de province et les cadres territoriaux.

Proposition n°18 : Lancer une mission de l'Inspection Générale de l'Agriculture chargée de définir une action continue et concrète pour aider les agriculteurs à abandonner le pavot et pour étudier d'autres chantiers de développement rural qui doivent être lancés (micro-projets et politique d'ensemble) en s'adaptant concrètement à la réalité et la spécificité de l'agriculture de montagne afghane.

Proposition n°19 : Créer une seule ambassade regroupant l’antenne de la Commission et celle du Représentant spécial de l’Union européenne, qui dépend du Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune. Le budget de l’Union Européenne consacré à l’aide civile et à la coopération avec l’Afghanistan et le Pakistan, doit faire l’objet d’un pilotage politique avec une capacité d’intervention rapide dans les situations de crise humanitaire.

Proposition n°20 : Offrir une assistance aux centaines de milliers de personnes déplacées par les conflits dans les zones tribales et de ne pas laisser le monopole des secours aux Taliban. L’Union Européenne doit prendre l’initiative d’un programme d’aide à l’éducation et au logement des sans abris. Il faut également insister auprès du haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies pour qu’il assure la scolarisation des enfants des millions de réfugiés en Iran et au Pakistan.

Proposition n°21 : Remplacer les références au « conflit d’Afghanistan » par celle de « conflit en Afghanistan et Pakistan » (en évitant la terminologie « Afpak », très mal ressentie par les peuples concernés) tant les deux pays sont liés dans ce drame et tant le « coeur du problème » est bien situé à la frontière des deux pays (la ligne Durand). De ce point de vue, la nomination du Représentant spécial pour l'Afghanistan et le Pakistan a apporté une amélioration notoire de l'action diplomatique de la France.

Proposition n°22 : Dénoncer publiquement la décision du gouvernement pakistanais concernant la vallée de Swat comme l'exact opposé de ce qu'il faut faire; une régression inacceptable des droits et libertés fondamentaux. A l'inverse, doit être encouragée l'attitude plus claire de l'armée pakistanaise depuis quelques semaines visant à rétablir l'autorité de l'Etat dans cette région.

Proposition n°23 : Soumettre l'aide militaire internationale apportée au Pakistan à un régime de conditionnalité liée à son usage véritable. Les échanges entre nos armées et l’armée pakistanaise doivent être intensifiés, notamment en ce qui concerne la formation des officiers supérieurs aux techniques de la guerre contre insurrectionnelle. La France doit également proposer son savoir-faire pour la sécurisation du nucléaire, militaire et civil.

Proposition n°24 : Adresser un message collectif et officiel "des amis du Pakistan" au gouvernement de ce pays pour l'avertir que son plus grand ennemi n'est pas, n'est plus l'Inde mais le terrorisme et qu'il est temps qu'il adapte sa stratégie militaire à cette nouvelle donne. En particulier, il est temps que ses services secrets, l'I.S.I., cessent leur double jeu vis-à-vis des taliban".

Proposition n°25 : Encourager discrètement la normalisation progressive des relations entre l’Inde et le Pakistan, en commençant par la coopération sur la lutte contre le terrorisme et la prévention d’un conflit nucléaire.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine le présent rapport d’information au cours de sa deuxième séance du 23 juin 2009.

Après l’exposé des rapporteurs, un débat a lieu.

M. Jacques Myard. Je remercie les rapporteurs pour leur travail très intéressant. Concernant la première partie du rapport, il me paraît primordial de se demander pour qui et contre qui nous, Occidentaux, nous battons sur place. La reconquête du terrain offre un succès de durée forcément limitée puisque nos troupes n’ont pas vocation à rester. Quant à la nouvelle stratégie développée par l’administration Obama, elle pose la question inquiétante de l’engrenage : porter la guerre au Pakistan et y multiplier les frappes comporte un réel danger de ce point de vue. En définitive, on voit mal comment sortir de la situation par des moyens militaires.

Sur la partie du rapport consacrée au contexte régional, n’oublions pas que le Pakistan a triplé sa population en peu d’années pour parvenir à 180 millions d’habitants. L’Inde compte 1,3 milliard d’habitants. Dès lors, la vision occidentale, qui culmine dans l’attitude de l’OTAN, et qu’incarne également M. Pierre Lellouche, n’est pas tenable : on ne peut prétendre mettre de l’ordre dans un tel contexte, qui dépasse largement les capacités militaires pouvant être déployées sur le terrain. Le risque est fort que, victimes de la dialectique des sectes islamistes, les Occidentaux ne voient se former une coalition contre eux. Je préconiserais donc une proposition supplémentaire pour le rapport : « allons-nous en ! ». Enfin, l’absence des États membres principaux contributeurs de troupes lors du sommet UE-Pakistan du 17 juin dernier à Bruxelles ne doit pas surprendre : ce n’est que l’application des traités…

M. Jean-Michel Boucheron. Je salue le travail clair et juste des rapporteurs. L’enjeu fondamental du moment se situe dans la vallée de Swat car la preuve est faite là-bas qu’il est possible d’inverser le cours des choses, en l’occurrence contre Al-Qaïda et contre les taliban les plus guerriers, affidés au mollah Omar.

Les Rapporteurs ont-ils ressenti, depuis l’élection de Barack Obama, un changement concernant l’opération américaine « Enduring Freedom » menée dans le sud de l’Afghanistan ? Les relations entre cette opération et la force internationale d’assistance à la sécurité, commandée par l’OTAN, ont-elles également évolué depuis l’arrivée de la nouvelle administration américaine ?

M. Loïc Bouvard. Je partage l’avis de mon collègue Jacques Myard sur l’extrême difficulté qu’il y a à pacifier l’Afghanistan. Bien que la bonne tenue des élections présidentielles soit évidemment nécessaire au maintien de la crédibilité de l’OTAN, croyez-vous réellement que celles-ci puissent avoir lieu dans des conditions transparentes et loyales ?

J’ai été surpris de ne pas vous entendre sur le rôle des anciennes Républiques soviétiques d’Asie centrale en Afghanistan. L’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan sont voisins de l’Afghanistan et ont sans doute des liens importants avec ce pays.

M. Jean-Michel Ferrand. Je salue le remarquable travail de mes collègues et je souhaiterais savoir comment se financent les taliban : via les wahhabites ? grâce à l’Arabie saoudite ? au moyen du trafic de drogue ? Par ailleurs, quelle intervention de l’Iran peut-on attendre ? Enfin, l’armée afghane a-t-elle, à court ou moyen terme, les moyens de contenir seule les taliban ?

M. Jean-Louis Bianco. Merci pour la clarté du propos et l’audace modeste des propositions. Il est vrai que la paix ne se gagnera pas par la guerre mais l’action des Occidentaux en Afghanistan répond tout de même à une stratégie : le général Petraeus ambitionne de « gagner les cœurs » dans la population. Toutes proportions gardées, nous avons connu l’échec des sections administratives spéciales en Algérie…

Concernant le processus de réconciliation nationale, s’il n’y a pas de taliban modérés et seulement des insurgés, sur quels critères choisir les interlocuteurs d’un tel processus politique ? L’approbation de la Constitution paraît un préalable, mais quelles autres conditions peut-on fixer ?

Enfin, le fait que l’armée nationale afghane soit, comme vous l’avez mentionné, construite sur une base pluriethnique, doit être salué comme il se doit. Au vu de l’histoire de l’Afghanistan, il s’agit même d’un accomplissement miraculeux.

M. Axel Poniatowski, Président. J’adresse également mes félicitations aux Rapporteurs. Les taliban semblent être à la fois des islamistes radicaux, des trafiquants en tout genre, des terroristes…Y a-t-il, derrière le terme de taliban, une grande variété d’intérêts divergents ? Si tel était le cas, comment peut-on faire la paix avec ce mouvement ?

Enfin, serait-il possible qu’émerge, au sein des communautés pachtounes afghane et pakistanaise, une revendication visant à l’édification d’un Etat pachtoune, parfois désigné par le terme de « Pachtounistan » ?

M. Jean Glavany, Rapporteur. Les taliban comprennent plusieurs cercles. Le « noyau dur » est constitué de la mouvance appartenant à Al-Qaïda et rassemble quelques centaines de personnes au maximum, installées à cheval sur la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan. On les dénomme aussi parfois « les Arabes », car ils viennent des pays arabes. Le deuxième cercle regroupe des groupes taliban de caractère tribal. Divers, ils poursuivent des objectifs tout aussi divers, mais peuvent se coaliser contre l’Occident. Le troisième cercle est celui des « unhappy brothers », c’est-à-dire des mercenaires prêts à prendre les armes contre quelques dollars, ou à cultiver le pavot parce que cette activité est plus lucrative que l’agriculture irriguée. Quant à savoir qui les finance, les trois sources citées par M. Ferrand y contribuent. On peut mutatis mutandis comparer cette situation à celle des FARC, les Forces armées révolutionnaires de Colombie, qui mêlent revendications politiques et activités de narcotrafic. Ce « troisième cercle » représente une mouvance de la population que les experts des services de renseignements, comme les diplomates et les militaires, nous incitent à regarder comme des insurgés bien plutôt que des taliban.

Nous n’avons pas entendu, au cours de nos déplacements et auditions, de revendication tendant à former un Pachtounistan. Nous avons en revanche posé la question au Président Karzaï, qui nous a répondu que cette aspiration existait mais qu’elle n’était pas envisageable spontanément… à moins que le Pakistan ne continue à se désagréger jusqu’à un point tel que cette éventualité devienne plausible.

Jacques Myard pose la bonne question : pour qui et contre qui se bat-on ? Ce qui était clair au début tend à se brouiller. Néanmoins, il est patent que la lutte contre les taliban au pouvoir à Kaboul et contre Al-Qaïda a été un double succès, même si les coups portés n’ont pas été suffisamment décisifs. Aujourd’hui, devant le risque d’enlisement, affrontés à des intérêts divergents, aux prises avec une frontière très poreuse, les Occidentaux se trouvent dans une situation de plus en plus difficile. Il est vrai que l’anti-occidentalisme existe, au Pakistan peut-être plus que partout ailleurs, en raison des frappes aériennes aveugles. Et pourtant, on sait que dans d’autres circonstances des frappes précisément guidées ont permis d’atteindre efficacement certains chefs terroristes.

Le discours de Barack Obama est important car nous devons des explications aux opinions publiques. Il faut proclamer que nous n’avons pas vocation à maintenir une présence qui serait celle de troupes d’occupation. Certes, plus vite ces troupes seront retirées et mieux cela vaudra. Il ne s’agit pas d’une croisade contre l’islam, dont je rappelle qu’il est la deuxième religion de France, République laïque qui protège son libre exercice. Il s’agit d’une lutte contre des forces terroristes dont l’Afghanistan et le Pakistan ne doit pas devenir un sanctuaire. Il serait parfaitement irresponsable pour quelque gouvernement que ce soit de se retirer du jour au lendemain ; pour autant, c’est bien à la perspective d’un retrait qu’il faut travailler.

Sur les élections, nous avons dit ce que nous en pensons. Ce ne sera pas un processus parfait ni une consultation parfaitement libre et loyale ; ce sera plus contraint, pour des raisons de sécurité évidente. Néanmoins, des éléments positifs sont à souligner, qui semblent montrer une attente de la part de la population : par exemple, dans le cadre de la nouvelle stratégie du général Petraeus, de recherche de la confiance des populations, de contact avec les chefs de village, les militaires français travaillent à la reconstruction, développent des relations avec les populations, les incitent à aller voter et les gens leur montrent leurs cartes d’électeurs avec enthousiasme. Encore une fois, ce ne sera pas un processus parfaitement rigoureux au sens des démocraties sophistiquées, mais il doit en tout cas y avoir un effort important de la communauté internationale et du pays lui-même pour surveiller les opérations car beaucoup de choses fondamentales pour la poursuite du processus de paix en découleront.

M. Henri Plagnol. Il est difficile de garantir que la campagne électorale soit équilibrée, mais il est possible de garantir la sincérité du vote ; il faut notamment souligner que la Fondation afghane a réalisé un travail considérable de formation de milliers d’observateurs qui seront répartis dans tout le pays pour observer le déroulement des opérations électorales. Il y a une société civile à soutenir.

Quant à l’Asie centrale, nous avons fait une escale à Douchanbe, brève mais instructive. Ces petits Etats jouent à la fois un double jeu et un rôle important. La corruption y est importante, au moins aussi forte qu’en Afghanistan ; il est par ailleurs clair que rien ne s’y décide sans le feu vert russe. La frontière reste une véritable passoire pour les contrebandes de drogues et d’armes, malgré tous les efforts de la communauté internationale, et l’approche régionale, bien évidemment indispensable, ne se fera pas sans les Russes, notamment en ce qui concerne les questions douanières et la sécurisation des frontières.

La nomination du nouveau patron de la FIAS est un signe de la part de l’administration Obama de l’évolution de l’approche vers un commandement intégré, qui se dessinait déjà à la fin de l’ère Bush. Il faut éviter les frappes aveugles des drones qui suscite des réactions dans la population. Je suis d’accord avec Jacques Myard : Le scénario cauchemar est celui où le Pakistan échapperait à tout contrôle, mais une intervention directe est exclue ; il faut réussir à éviter l’engrenage et repartir la tête haute, tout en restant entre temps lucide sur les difficultés de la tâche. C’est le sens du rapport. L’hostilité est vive au Pakistan où le moindre prétexte est mis à profit pour raviver les accusations d’ingérence dans les affaires intérieures : c’est le dilemme auquel Obama et l’Occident sont confrontés, chaque fois qu’ils demandent quelque chose, cela déchaîne l’hostilité de la presse talibane très puissante. Il faut à la fois les aider sans trop assortir d’exigences.

Pour répondre à Jean-Michel Ferrand, ce sont évidemment les wahhabites qui financent les taliban. Nous consacrons un long développement sur le rôle de l’Iran dans notre rapport. Si l’Iran ne peut être un acteur militaire, il reste un acteur clef qui pourrait encore troubler la donne. La région ouest est à peu près stable grâce à leur présence. On ne pourra pas sécuriser la frontière en ce qui concerne le trafic de drogue sans l’Iran.

M. Jean Glavany. L’attitude des Iraniens lorsque nous sommes allés à Téhéran a été très positive dès lors qu’il s’est agi d’évoquer le rôle que l’Iran pouvait jouer pour aider à la résolution de la crise afghane. Sur la question de la réconciliation nationale, il faut privilégier ceux qui jouent le jeu, que ce soit au plan institutionnel, en faveur de ceux qui soutiennent le processus constitutionnel, ou vis-à-vis des agriculteurs, par exemple, qui sont prêts à sortir de la culture du pavot. Mais cela a un coût. Le reste, c’est par la négociation qu’on l’obtiendra. Deux anciens ministres taliban, qui l’un avait fait un séjour de plusieurs années à Guantanamo, l’autre à Paghram, nous ont fait clairement part des tendances au sein de leur mouvance, qui montrent que dans le monde taliban, certains sont conscients que les liens avec Al-Qaïda avaient causé leur perte et sont prêts à entrer dans des négociations.

La commission autorise, à l’unanimité, la publication du rapport d’information.

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ANNEXES

– Lettre de mission de M. le Président de la République à M. Pierre Lellouche, Député,

Représentant spécial de la France pour l'Afghanistan et le Pakistan 133

– Cartes de la région 135

– Personnalités entendues par vos rapporteurs 139

– Remerciements 143

– Chronologie de l’histoire afghane 145

Lettre de mission de M. le Président de la République
à M. Pierre Lellouche, Député,
Représentant spécial de la France pour l'Afghanistan et le Pakistan

Cartes de la région

Personnalités entendues par vos rapporteurs

Afghanistan

M. Hamid Karzaï, Président de la République islamique d’Afghanistan.

Général Stollsteiner, commandant en chef du contingent français en Afghanistan.

Colonel Le Nen, commandant du groupement tactique interarmes Kapisa

M. Yunus Qanooni, Président de la Wolesi Jirga (chambre basse du Parlement).

M. Mohamed Jalil Shams, ministre de l’économie.

M. Assef Rahimi, ministre de l’agriculture.

M. Ehsan Zia, ministre de la réhabilitation rurale et du développement.

Général Khodaidad, ministre du contre narcotiques.

Dr Zalmai Rassoul, conseiller du Président pour la sécurité nationale.

Dr Zafar, vice-ministre de la lutte contre le trafic de drogue.

M. Daoud Soultanzoy, Député, Président de la Commission des finances.

M. Noorulhaq Olomi, Député, Président de la Commission de la défense

M. Sardar Raman Oghli, Député.

Dr Abdullah Abdullah, ancien ministre des affaires étrangères.

M. Anwaroulaq Ahady, ancien ministre des finances.

M. Wakil Al-Moutawakil, ancien ministre taliban des affaires étrangères.

M. Abdul Saleem Zaeef, ancien ministre taliban des transports et ancien Ambassadeur au Pakistan.

M. Ewen Mac Leod, représentant du HCR à Kaboul.

M. Mohammed Daud Daud, vice-ministre de l’intérieur.

M. Ahmad Wali Shairzay, ingénieur, vice-ministre de l’énergie.

M. Farhadi, vice-ministre de l’industrie.

M. Sultanzoy, Président de la commission économique du Parlement.

M. Claudio Glaentzer, ambassadeur d’Italie en Afghanistan.

M. Ron Hoffmann, ambassadeur du Canada en Afghanistan.

M. Hansjoerg Kretschmer, ambassadeur de la Commission européenne en Afghanistan.

M. Christopher Dell, DCM des Etats-Unis en Afghanistan.

Dr Christian Buck, ministre-conseiller de l’ambassade d’Allemagne en Afghanistan.

M. Romain Poirot-Lellig, conseiller du RSUE en Afghanistan.

M. Guillaume Limal, coordinateur régional pour la MANUA.

M. Berrend de Groot, chef des opérations de la Commission européenne à Kaboul.

M. Nader Nadery, commissaire à la Commission indépendante des Droits de l’Homme

Mme Norah Niland, responsable du bureau des Droits de l’Homme de la MANUA.

M. Achraf Bouali, responsable des Droits de l’Homme à l’ambassade des Pays-Bas

M. Andreas Lovold, responsable des Droits de l’Homme à l’ambassade de Norvège

Inde

M. Jaswant Sinha, ancien ministre des affaires étrangères.

M. Vivek Katju, directeur général des affaires politiques et multilatérales au ministère des affaires étrangères.

M. Satendra Lambah, envoyé spécial du Premier ministre, ancien représentant du gouvernement indien pour l’Afghanistan.

M. K. S. Bajpai, ancien ambassadeur d’Inde au Pakistan, en Chine et aux Etats-Unis.

M. Lalit Mansingh, ancien secrétaire d’Etat.

M. Kanwai Sibal, ancien secrétaire d’Etat, ancien ambassadeur d’Inde en France

M. Amit Barua, journaliste.

Mme Indrani Bagchi, rédactrice de politique étrangère au Times of India.

M. Siddarth Varadajan, rédacteur de politique étrangère au journal Hindu.

Mme Ravni Thakur, professeur à l’université Nehru.

M. Gulchan Sachdeva, professeur, ancien collaborateur de la Banque asiatique de développement à Kaboul.

Mme Ummu Salma Bava, professeur à l’université Nehru.

M. Shahid Malik, ambassadeur du Pakistan en Inde.

M. Manod Joshi, rédacteur en chef du Mail Today.

M. T.C.A. Rangachari, ancien ambassadeur d’Inde en France et en Chine.

M. Homayoun Madjrouh, directeur de Sanofi Pasteur à New Delhi.

Pakistan

Mme Fehmida Mirza, Présidente de l’Assemblée nationale (Pakistan people’s party).

M. Jan Mohammed Jamali, vice-président du Sénat (Pakistan muslim league).

M. Arbab Muhamad Zahir, député de Peshawar (Awami national party), ministre fédéral.

M. Nisar Ali Khan, Député (Pakistan muslim league), leader de l’opposition à l’Assemblée nationale.

M. Raja Zafar Ul Haq, Président de la Pakistan muslim league.

M. Javaid Laghari, Sénateur de Karachi (Pakistan people’s party).

M. le Maulana Fazlur-Rehman, Député, chef du Jamiat Ulema-e-Islam, Président de la commission spéciale sur le Cachemire.

M. Muhammad Haroun Shaukat, secrétaire général adjoint chargé de l’Afghanistan et de l’Asie centrale au ministère des affaires étrangères.

M. Mahmoud Ali Durrani, conseiller du Premier ministre pour la sécurité (a quitté son poste après les attentats de Bombay).

Mme Ayesha Siddiqa, ancienne haut fonctionnaire, analyste politique et militaire, journaliste au quotidien Dawn.

M. Syed Talat Hussein, journaliste à Addj TV.

Général Talat Massoud, analyste politique.

M. Barth Magne, chef de mission adjoint au comité international de la Croix-Rouge.

Mme Françoise Chippaux, chef de bureau pour l’Asie du Sud du Monde.

M. Emmanuel Giroud, chef du bureau de l’AFP à Islamabad.

M. Fayyaz Chaudryé, éditeur, Associated press of Pakistan.

M. Navid Akbar, reporter au Daily express.

Iran

M. Mehdi Akhoundzadeh, vice-ministre des affaires étrangères pour l’Asie.

M. Hassan Kamran, président du groupe d’amitié Iran-France.

M. Alaeddine Boroudjerdi, président de la commission de la politique étrangère et de la sécurité nationale du Madjles.

M. B. Abbasi, ambassadeur du Pakistan à Téhéran.

M. Mehdi Safari, vice-ministre des affaires étrangères pour l’Europe.

M. Mohammad Yahya Maroufi, Ambassadeur d’Afghanistan à Téhéran.

M. Bruce Koepke, représentant de la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (UNAMA).

M. Carlos Zaccagnini, représentant du Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR).

Etats-Unis

M. Dan Burton, membre de la Chambre des Représentants.

M. Mark Walker, collaborateur de M. Dan Burton.

M. Jonathan Blank, collaborateur du Sénateur John Kerry.

M. Derek Chollet, directeur adjoint, cellule de planification au Département d’Etat.

Mlle Herro Mustafa, conseillère du Vice-Président Joe Biden pour le Moyen-Orient et l’Asie du Sud.

M. David Sedney, adjoint du Secrétaire d’Etat à la défense.

M. Paul Jones, adjoint de M. Richard Holbrooke, coordinateur pour l’Afghanistan.

M. Donald Camp, directeur pour l’Asie du Sud au Conseil national de la sécurité.

Colonel John Wood, directeur pour l’Afghanistan au Conseil national de la sécurité.

M. Bruce Riedel, chargé de recherches à la Brookings institution sur le Moyen-Orient et l’Asie du Sud.

M. Stephen Cohen, chargé de recherche à la Brookings institution sur la prolifération et les forces militaires indiennes et pakistanaises.

M. Shuwa Nawaz, directeur au Conseil atlantique pour l’Asie du Sud.

France

M. Pierre Lellouche, Député, Représentant spécial pour l’Afghanistan et le Pakistan

M. Jean-Luc Racine, professeur et chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales.

M. Laurent Dessart, ethnologue et professeur à l’université de Versailles.

Remerciements

Vos rapporteurs adressent leurs remerciements les plus chaleureux aux diplomates et militaires français qui les ont assistés dans l’organisation de leurs missions et qui leur ont apporté de précieux éclairages sur la situation en Asie du Sud et au Moyen-Orient :

– Son Exc. M. Jérôme Bonnafont, ambassadeur de France en Inde, et M. Guillaume Bazard, Premier conseiller chargé des affaires politiques.

– Son Exc. M. Jean de Ponton d’Amécourt, ambassadeur de France en Afghanistan et M. Christian Testot, conseiller chargé des affaires politiques.

– Son Exc. M. Daniel Jouanneau, ambassadeur de France au Pakistan, M. Sylvain Riquier, Premier conseiller et M. Philippe Casenave, ministre conseiller.

– Son Exc. M. Henry Zipper de Fabiani, ambassadeur de France au Tadjikistan, M. le lieutenant-colonel Pierret, chef du détachement de l’armée de l’air à Douchanbé et M. le colonel Samara, attaché de défense à l’ambassade de France.

– Son Exc. M. Bernard Poletti, ambassadeur de France en Iran, M. Jean Graebling, Premier conseiller et M. David Cvach, Deuxième conseiller.

– Son Exc. M. Pierre Vimont, ambassadeur de France aux Etats-Unis, M. Etienne de Gonneville, deuxième secrétaire en charge des affaires asiatiques et M. Antoine Bauzin.

– M. François Descoueytes, Directeur Asie au ministère des affaires étrangères.

Ils ont également une amicale pensée pour les policiers et les militaires qui ont assuré leur protection à Kaboul et dans la vallée de la Kapisa.

Chronologie de l’histoire afghane

Antiquité

- VIème au IVème siècle avant J.C. : L’Afghanistan est une province (Bactriane) de l’empire iranien des Achéménides.

- 329 avant J.C. : Prise de Bactres par Alexandre Le Grand

- 250 – 125 avant J.C. : L’Afghanistan fait partie de l’empire de Bactriane.

- 160 avant J.C. : Invasion des Scythes.

- 50 après J.C. : Prise de Kaboul par les Kouchans, venus de Chine.

Moyen-âge

- 651 : Arrivée des Arabes à Herat.

- 698 : Arrivée des Arabes à Kaboul.

- 1221 : Invasion des Mongols de Gengis Khan.

- 1370 – 1384 : Tamerlan prend et ravage Balkh, Herat et Kandahar.

- 1404 – 1506 : Règne de la dynastie timouride de Herat.

XVIème – XVIIIème siècles

- 1520 : Baber, roi de Kaboul, fonde la dynastie des grands Moghols d’Inde du Nord.

- 1707 : Mir Wais, chef sunnite afghan, envahit l’Iran.

- 1747 : Ahmad Chah Durrani, chef pachtoune du clan des Sadozays, fonde un royaume dont la capitale est Kandahar.

- 1793 : Mort de Timour Chah, fils d’Ahmad Chah Duranni. Morcellement du royaume pachtoune.

XIXème siècle 

- 1819 : Dost Mohammad, chef pachtoune (clan des Barakzais) prend le pouvoir à Kaboul.

- 1836 : Dost Mohammad prend le titre de commandeur des croyants.

- 1839 – 1842 : 1ère guerre anglo-afghane.

- 1842 : Accord du 1er janvier, par lequel 4500 militaires et 12 000 civils britanniques quittent Kaboul.

- 1863 – 1878 : vacance du pouvoir à Kaboul, période d’anarchie.

- 1878 – 1879 : 2ème guerre anglo-afghane.

- 1879 : Signature du traité de Gandomak au mois de mai, par lequel les britanniques contrôlent la politique extérieure de l’Afghanistan et versent une pension au roi.

- 1881 : Abdur Rahman, chef pachtoune duranni (clan des Barakzais) prend le pouvoir à Kaboul.

- 1893 : Signature le 12 novembre du traité délimitant la ligne Durand, par Abdur Rahman et Sir Mortimer Durand, représentant l’empire britannique.

Période contemporaine

- 1901 : Habiboullah Khan succède à son père Abdur ahman.

- 1919 : Assassinat d’Habiboullah Khan. Son neveu Amanoullah Khan lui succède.

- 1919 : 3ème guerre anglo-afghane. Le traité du 8 août confirme la ligne Durand et l’Afghanistan reprend le contrôle de sa politique étrangère.

- 1929 : Abdication d’Amanoullah, remplacé par Anayatoullah, qui abdique à son tour quelques mois après. Prise du pouvoir par Mohammad Nadir Chah, pachtoune descendant de Dost Mohammad.

- 1933 : Assassinat de Mohammad Nadir Chah par Mohammad Zaher Chah.

- 1939 – 1945 : Statut de neutralité de l’Afghanistan.

- 1946 : Entrée de l’Afghanistan à l’ONU.

- 1947 : L’Afghanistan vote contre l’entrée du Pakistan à l’ONU.

- 1964 : Instauration d’une monarchie parlementaire.

- 1973 : Renversement de Mohammad Zaher Chah par le prince Daoud.

Intervention soviétique, guerre civile et FIAS

- 1978 : Coup d’Etat militaire pro soviétique. 3000 morts, dont le prince Daoud. L’Afghanistan devient une République dont le Président est Nour Mohammad Taraki (parti du peuple, Khalq) et le Premier ministre Hafizoullah Amin.

- 1979 : Coup d’Etat d’Hafizoullah Amin, qui fait étrangler Taraki le 16 septembre. Intervention soviétique le 24 décembre. Exécution d’Amin le 27 décembre et remplacement par Babrak Karmal.

- 1986 : Le Pachtoune Mohammad Najibullah succède à Babrak Karmal comme chef du gouvernement.

- 1979 – 1989 : la guerre contre les soviétiques conduit à des pertes humaines de 1,24 million de personnes du côté des Afghans (80% de civils) et 13 800 personnes du côté russe. 800 hélicoptères et avions, 1500 blindés et 3000 camions sont détruits. Le coût financier oscille entre 2 et 3 milliards de dollars par an.

- 1988 : Accord du 4 avril à Genève entre les Etats-Unis, l’URSS, le Pakistan et l’Afghanistan sur le retrait soviétique.

- 1989 : Retrait soviétique total en février. La Choura des résistants élit Ahmed Chah chef de l’Etat.

- 1989 – 1996 : Guerre civile opposant entre autre les Pachtounes à l’Alliance du Nord du commandant Massoud (40 000 morts).

- 1991 : Par l’accord du 13 septembre, les Etats-Unis et l’URSS suspendent leur aide militaire aux groupes armés afghans.

- 1992 : Destitution de Najibullah de la tête du gouvernement, auquel succède Sibgatoullah Modjaddedi, président du Conseil islamique intérimaire.

- 1993 : Accord de paix entre les factions combattantes. Gulbuddin Hekmattyar, chef pachtoune Ghilzai, devient Premier ministre.

- 1994 : Création, au Pakistan, en octobre, du mouvement taliban par des membres des clans Durrani et Ghilzai, avec à leur tête le mollah Mohammad Omar Akhunzadah, plus connu sous le nom de mollah Omar. Prise de Kandahar, berceau des dynasties pachtounes, dès le 5 novembre.

- 1995 : Profitant de la concentration des forces talibanes dans le Sud, Massoud s’empare de Kaboul, détruite à 40% par les combats. Hekmattyar fuit Kaboul et se rallie aux taliban, qui prennent Herat en septembre.

- 1996 : Prise de Djallalabad par les taliban. Instauration de la charia dans les zones qu’ils contrôlent. En septembre, ils s’emparent de Kaboul, en chassent les forces de Massoud et exécutent Najiboullah. Le mollah Omar prend le titre de commandeur des croyants et dispose du pouvoir d’Etat.

- 1997 : Piège de Mazar-i-Charif, dans lequel les taliban perdent 3000 hommes.

- 1998 : Reprise de Mazar-i-Charif par les taliban qui massacrent plusieurs dizaines de milliers d’Hazaras chiites, y compris des femmes et des enfants. Ils contrôlent 90% du pays à la fin de l’année. Massoud conserve seulement le contrôle du Nord-Est. Le 20 août, les Etats-Unis lancent 12 missiles de croisière sur des camps d’entraînement d’Oussama Ben Laden, en représailles aux attentats contre leurs ambassades de Nairobi et de Dar Es Salam.

- 1999 : Le conseil de sécurité des Nations Unies met en place des sanctions à la suite des exactions des taliban et crée le Comité des sanctions contre Al-Qaïda et les taliban le 15 octobre.

- 2001 : Les taliban s’emparent de Bamyan et font sauter en mars les deux statues géantes représentant des bouddhas. Le 9 septembre, assassinat du commandant Massoud. Le 11 septembre, attaques contre le World Trade Center et le Pentagone, planifiées depuis l’Afghanistan. 7 octobre : Les Etats-Unis lancent l’opération Enduring Freedom. Chute de Kaboul le 12 novembre à la suite de l’intervention des alliés. Résolution de l’ONU le 14 novembre sur l’administration intérimaire de l’Afghanistan. Prise de Kandahar en décembre. Accord de Bonn le 5 décembre. Résolution 1386 de l’ONU instaurant le 20 décembre la FIAS sous l’égide de l’OTAN. A la fin de l’année, 2000 soldats américains sont déployés sur le sol afghan.

- 2002 : Retour de Zaher Chah de son exil d’Italie. Il renonce rapidement à toute fonction.

- 2004 : Election le 9 octobre d’Hamid Karzai à la présidence de la République. Le contingent américain atteint 13 500 hommes.

- 2005 : Elections législatives.

- 2006 : Résurgence de la violence, émeutes anti américaines à Kaboul. Le contingent américain est porté à 23 000 hommes.

- 2008 : La FIAS comprend 50 800 hommes de 41 pays, dont plus de 35 000 Américains.

- 2009 : Annonce en février du déploiement de 17 000 soldats américains supplémentaires et en mars, d’une nouvelle stratégie sur l’Afghanistan et le Pakistan.

1 () Winston Churchill, Daily Telegraph et histoire de l’infanterie de Malakand, 1898.

2 () taleb au singulier, taliban au pluriel, mot désignant en Arabe classique un étudiant en religion

3 () Gilles Kepel, Terreur et martyre, Flammarion, 2008.

4 () Ces chiffres sont extraits du rapport 2009 de l’OTAN sur les opérations en Afghanistan.

5 () Source : ministère de la défense.

6 () Comme rappelé par le Général Benoît Puga, directeur du renseignement militaire, lors de son audition par les Commissions des Affaires étrangères et de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, le 17 septembre 2008.

7 () Rapport du Secrétaire général des Nations Unies au Conseil de Sécurité du 10 mars 2009 sur la situation en Afghanistan.

8 () Le mot « Choura » fait initialement référence à un système institutionnel complet, proche du régime parlementaire. Par extension, il sert parfois à désigner, dans les pays musulmans, une assemblée représentative, à laquelle une communauté reconnaît des pouvoirs décisionnels.

9 () The International Council on security and development : The struggle for Kabul : The Taliban advance, dec. 2008.

10 () Rapport annuel de la FIAS précité.

11 () Rapport précité.

12 () Laurent Dessart, l’Afghanistan à l’orée des temps du libre jugement, L’Harmattan 1985.

13 () Signée le 12 novembre 1893 entre l’Emir Abdoul Rahman et Sir Mortimer Durand, représentant l’empire britannique, la ligne Durand passe au milieu de tribus pachtounes qui parlent la même langue et ont le même mode de vie.

14 () Jocelyn Coulon, Afghanistan, une présence à long terme, 1er mai 2009, Centre d’études et de recherches internationales de l’université de Montréal.

15 () En Arabe classique, une madrasah désigne une école, qu’elle soit religieuse ou non. Dans le présent rapport, les madrasahs sont surtout des écoles où est principalement dispensé l’enseignement du Coran, ainsi que d’autres matières (lecture, arithmétique…). Certaines madrasahs sont connues pour être des foyers de radicalisme.

16 () Notamment le bureau des Droits de l’Homme de la MANUA, la Commission indépendante des droits de l’homme afghane, voir en annexe la liste des personnes rencontrées.

17 () A savoir les Pays-Bas et la Norvège, voir en annexe la liste des personnes rencontrées.

18 () Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Afghanistan.

19 () Notamment la Commission européenne, la MANUA et le Représentant Spécial de l’Union européenne en Afghanistan, voir liste des personnes rencontrées en annexe.

20 () National defence strategy, 2008.

21 () Créé en 1990, il regroupe les Etats Membres de l’Union européenne, la Commission européenne, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, la Norvège et le Japon ; il s’agit d’un mécanisme de coordination informel et flexible permettant de discuter des questions globales, régionales ou spécifiques à un pays que posent les problèmes de la production de drogues illicites, du trafic et de la réduction de la demande.

22 () Economic Cooperation Organization, qui compte dix membres : Afghanistan, Azerbaïdjan, Iran, Kazakhstan, Kirgizistan, Pakistan, Tadjikistan, Turquie, Turkmenistan et Ouzbekistan.


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