N° 1935 - Rapport d'information de MM. Michel Diefenbacher et Jean Launay déposé en application de l'article 146 du règlement, par la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire sur la fiscalité écologique




N° 1935

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 23 septembre 2009

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE
ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE

sur la fiscalité écologique

ET PRÉSENTÉ

Par MM. Michel DIEFENBACHER

et Jean LAUNAY,

Députés.

——

INTRODUCTION 5

I.– LES GAZ À EFFET DE SERRE : DES ENJEUX ÉCOLOGIQUES ET ÉCONOMIQUES DÉSORMAIS CONNUS 7

A.– LES TRAVAUX DU GIEC SUR LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE ET SES CONSÉQUENCES NE SONT PLUS CONTESTÉS 7

1.– Un réchauffement climatique observable 7

2.– Un réchauffement climatique dû à l’activité humaine 7

3.– Un réchauffement climatique qui s’accélère 8

B.– LE RAPPORT STERN : IL SERAIT PLUS COÛTEUX DE NE RIEN FAIRE QUE D’AGIR 8

C.– LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE FAIT DE LA RÉDUCTION DES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE LE PRINCIPAL OBJET DES NÉGOCIATIONS SUR LE CLIMAT 8

II.– LES OBJECTIFS DU PROTOCOLE DE KYOTO : DES ENGAGEMENTS TRÈS AMBITIEUX 11

A.– LES ENGAGEMENTS DE LA FRANCE SERONT DIFFICILEMENT RESPECTÉS ET LE FACTEUR 4 EST AUJOURD’HUI HORS D’ATTEINTE 11

B.– LES PERFORMANCES DES AUTRES ÉTATS EUROPÉENS SONT TRÈS INSUFFISANTES 13

III.– LE SYSTÈME DES QUOTAS D’ÉMISSION : UN SYSTÈME ACTUELLEMENT PRIVILÉGIÉ DANS LE MONDE ET PLUS PARTICULIÈREMENT AU SEIN DE L’UNION EUROPÉENNE 15

A.– LES AVANTAGES DES QUOTAS D’ÉMISSION SONT MULTIPLES 15

B.– L’UNION EUROPÉENNE JOUE UN RÔLE PIONNIER DANS LA LUTTE CONTRE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE 16

1.– La directive « Emissions trading scheme » (ETS) instaure, dès 2005, le système des quotas 16

2.– Le « paquet énergie–climat » de décembre 2008 renforce le dispositif 17

C.– L’EUROPE N’EST PAS LA SEULE À S’ÊTRE ENGAGÉE SUR LA VOIE DES QUOTAS 17

D.– LE SYSTÈME DES QUOTAS CONNAÎT TOUTEFOIS DES LIMITES 18

1.– Les difficultés de mise en œuvre 18

2.– Les quotas ne s’appliquent pas au secteur diffus : transports, logements, agriculture. 19

IV.– UNE FISCALITÉ ÉCOLOGIQUE POURRAIT ACCÉLÉRER LE DÉVELOPPEMENT DURABLE DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE 21

A.– LA FRANCE A INTÉRÊT, EN TERMES DE SPÉCIALISATION INTERNATIONALE, À AMPLIFIER SON AVANTAGE COMPARATIF D’ÉCONOMIE À BASSE TENEUR EN CARBONE 21

B.– LA TAXE CARBONE ENTRE SIMPLICITÉ ET COMPLEXITÉ 23

1.– Les modalités générales de la taxe carbone 23

2.– Les taxes carbone en vigueur à l’étranger sont des taxes sur l’énergie modulées 23

C.– LE RÔLE CROISSANT, EN FRANCE, DE LA FISCALITÉ POUR LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT 25

1.– Les principales écotaxes en vigueur 26

2.– L’instauration d’une taxe carbone est constitutionnellement possible 27

3.– Les taxes sur les énergies fossiles sont nombreuses en France 27

4.– Les taxes sur l’électricité portent à la fois sur la distribution et la production 30

V.– L’INSTAURATION D’UNE CONTRIBUTION CLIMAT ÉNERGIE : HUIT QUESTIONS À RÉGLER 33

A.– QUESTION 1 : QUELLE ASSIETTE ? 33

1.– Choisir entre taxe carbone et contribution climat-énergie 33

2.– Définir les modalités d’une taxe carbone additionnelle sur l’électricité 34

B.– QUESTION 2 : QUEL PRIX DONNER AU CARBONE ? 36

C.– QUESTION 3 : QUELS REDEVABLES ? 38

D.– QUESTION 4 : QUELLES EXONÉRATIONS ? 38

E.– QUESTION 5 : QUELLES COMPENSATIONS POUR LES MÉNAGES ? 39

1.– Critère du revenu 39

2.– Critère du lieu de résidence 40

F.– QUESTION 6 : QUELLES COMPENSATIONS POUR LES ENTREPRISES ? 41

G.– QUESTION 7 : QUEL RENDEMENT ? 42

H.– QUESTION 8 : QUELLE HARMONISATION AU NIVEAU EUROPÉEN ? 43

CONCLUSION 45

EXAMEN EN COMMISSION 47

A.– COMMUNICATION DU MERCREDI 9 SEPTEMBRE À 11 H 30 47

B.– AUDITION DU MERCREDI 16 SEPTEMBRE À 17 H 30 58

C.– RÉUNION DU MERCREDI 23 SEPTEMBRE À 16 H 30 76

ANNEXE : LISTE DES AUDITIONS RÉALISÉES PAR LES RAPPORTEURS 85

INTRODUCTION

Plus personne ne conteste l’impérieuse nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Parmi les experts, même ceux qui mettent en cause le lien entre l’activité humaine et le réchauffement climatique ou qui doutent de la fiabilité des prévisions à long terme dans ce domaine, estiment qu’il est grand temps que les États et la communauté internationale s’engagent dans des politiques plus protectrices des ressources naturelles et de l’environnement.

Le problème est mondial. Il n’est donc pas surprenant que la communauté internationale s’y soit engagée plus rapidement que les États. Dès 1997, le protocole de Kyoto a prévu que des objectifs chiffrés soient fixés aux pays les plus développés et posé le principe des quotas pour les secteurs industriels les plus polluants.

Ces mesures sont toutefois sans incidences sur les pollutions diffuses, qui représentent 60 % des émissions totales en Europe et 70 % en France. C’est par la fiscalité que ces pollutions peuvent le plus efficacement être limitées. Et la fiscalité reste essentiellement de la compétence des États. C’est donc à eux qu’il incombe désormais de s’engager.

Certains l’ont déjà fait, et depuis longtemps. C’est le cas notamment des pays scandinaves, qui ont pris cette voie dès le début de la décennie 1990. Ni leur croissance, ni leur compétitivité, ni leur emploi n’en ont souffert. La France doit-elle leur emboîter le pas ?

Les uns estiment que c’est inutile voire dangereux. Grâce à son parc électronucléaire qui fournit près de 80 % de l’électricité du pays sans émission de CO2, la France n’est-elle pas « le bon élève » de l’Europe ? Et en ces temps de crise, la création d’une taxe nouvelle ne risque-t-elle pas de nuire à la compétitivité des entreprises et d’amputer le pouvoir d’achat des ménages ?

Mais d’autres observent que cette question de principe a déjà été tranchée lors du « Grenelle de l’environnement ». À cette occasion, le Gouvernement avait annoncé l’instauration d’une fiscalité écologique. Cet engagement a été confirmé par le Parlement. Il s’agit à présent de passer à l’acte en instaurant dès 2010 une taxe carbone.

Sur quelles bases ? À quel montant ? Avec quelles conséquences sur l’économie ? Et quelles compensations pour les contribuables ? C’est sur ces différents points que le présent rapport a pour ambition de faire avancer la réflexion et d’éclairer les décisions qu’il revient au Parlement de prendre.

I.– LES GAZ À EFFET DE SERRE : DES ENJEUX ÉCOLOGIQUES ET ÉCONOMIQUES DÉSORMAIS CONNUS

A.– LES TRAVAUX DU GIEC SUR LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE ET SES CONSÉQUENCES NE SONT PLUS CONTESTÉS

LE GROUPE D’EXPERTS INTERGOUVERNEMENTAL SUR L’ÉVOLUTION DU CLIMAT

Le GIEC a été créé en 1988 par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE).

Il a pour mission d’évaluer de manière objective les informations scientifiques, techniques et socio-économiques nécessaires à la compréhension des risques liés au changement climatique, d’en identifier les conséquences et d’envisager des stratégies pour atténuer ces conséquences négatives.

Il se compose d’une équipe spéciale chargée des inventaires nationaux des gaz à effet de serre.

En 2007, le GIEC a reçu le Prix Nobel de la paix conjointement avec M. Al Gore « pour leurs efforts de collecte et de diffusion des connaissances sur les changements climatiques provoqués par l’homme et pour poser les fondements des mesures nécessaires pour lutter contre ces changements ».

1.– Un réchauffement climatique observable

Les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), créé dès 1988 par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) pointent l’importance, les origines et les conséquences de l’effet de serre.

Dans son dernier rapport datant de 2007, le GIEC estime que « le réchauffement climatique est aujourd’hui sans équivoque » comme le montrent la fonte accélérée des glaces et l’élévation du niveau moyen des mers et des océans. La température a augmenté de 0,74°C entre 1906 et 2005 avec une vitesse moyenne qui a plus que doublé au cours des cinquante dernières années.

2.– Un réchauffement climatique dû à l’activité humaine

Les travaux du GIEC ont par ailleurs montré le rôle essentiel de l’activité humaine dans le réchauffement climatique. Le réchauffement climatique résulte en effet de la plus forte concentration de gaz à effet (dioxyde de carbone, méthane, peroxyde d’azote, hydrofluorocarbures, perfluorocarbures et hexafluorures) dans l’atmosphère. Or les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont augmenté de 70 % entre 1970 et 2004, 80 % pour le seul CO2. L’augmentation mondiale de la concentration en CO2 tiendrait pour l’essentiel à l’utilisation de combustibles fossiles.

3.– Un réchauffement climatique qui s’accélère

Le rapport Quinet sur la valeur tutélaire du carbone de juin 2008 estime dans son scénario le plus pessimiste que les émissions de gaz à effet de serre pourraient doubler d’ici 2050 et tripler d’ici 2100 du fait notamment de l’accroissement démographique et de la croissance économique mondiale. Dans ce cas, le réchauffement climatique se situerait entre 4,9°C et 6,1°C par rapport à la période préindustrielle. La raréfaction des ressources hydriques aura alors des conséquences désastreuses sur l’agriculture et par conséquent sur l’occupation des territoires, les échanges commerciaux et les migrations internationales.

B.– LE RAPPORT STERN : IL SERAIT PLUS COÛTEUX DE NE RIEN FAIRE QUE D’AGIR

Le Gouvernement britannique a chargé Lord Nicholas Stern de mesurer les implications économiques, sociales et environnementales du changement climatique en 2006. L’hypothèse de base était celle d’un réchauffement de 2 à 3°C sur un siècle.

Le rapport Stern montre que le coût de l’inaction en matière environnementale dépasse de très loin le coût de l’action. Les coûts du changement climatique pourraient représenter, à l’horizon 2050, entre 5 % et 20 % du produit intérieur brut (PIB) mondial de 2005 par an, alors que les dépenses nécessaires à une stabilisation des émissions de gaz à effet de serre ne coûteraient que 1 % du PIB mondial.

Ces coûts seraient dus à l’accélération des accidents climatiques (tempêtes, inondations), à la forte diminution des ressources hydriques avec ses conséquences sur les rendements agricoles, sur la santé publique (malaria, diarrhée, malnutrition…), ainsi que sur d’éventuels conflits pour l’accès aux ressources.

C.– LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE FAIT DE LA RÉDUCTION DES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE LE PRINCIPAL OBJET DES NÉGOCIATIONS SUR LE CLIMAT

La communauté internationale s’est saisie de ce dossier dès la fin des années 1980. La convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), adoptée au Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992, entrée en vigueur le 21 mars 1994 et aujourd’hui ratifiée par 189 États, constitue une première étape importante.

Elle impute le changement climatique à l’activité humaine et stipule que les États signataires s’engagent à stabiliser les émissions de gaz à effet de serre. Elle ne fixe toutefois aucun engagement chiffré.

Après deux ans et demi de négociations, le protocole de Kyoto a été signé en 1997. Il est entré en vigueur en 2005 après ratification par la Russie. Il apporte deux innovations majeures :

– il fixe des engagements chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour les pays industrialisés : 5 % des émissions mondiales durant la période d’engagement 2008-2012 par rapport à 1990 ;

– il pose le principe d’un marché d’échanges de quotas d’émission de CO2.

Le protocole de Kyoto expirant en 2012, une nouvelle négociation s’est ouverte à Bali en 2007 en vue de l’adoption d’un nouvel accord international sur « l’après Kyoto » avant la fin de l’année 2009. Ce sera l’objet des négociations de Copenhague prévues entre le 7 et le 18 décembre 2009.

II.– LES OBJECTIFS DU PROTOCOLE DE KYOTO :
DES ENGAGEMENTS TRÈS AMBITIEUX

L’Union européenne et la France sont formellement engagées dans un processus de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre depuis 2004, date à laquelle le Plan Climat 2004 a précisé les mesures prises pour respecter ses engagements du Protocole de Kyoto.

L’objectif global pour la période 2008-2012 est une réduction de 5 % des émissions de gaz à effet de serre des pays signataires. L’Union européenne s’est vue assigner un objectif d’une réduction d’ensemble de 8 %. Les objectifs varient selon les États membres en fonction du niveau de leurs émissions de CO2. La France, dont les émissions sont inférieures de 20 à 25 % par rapport à ses principaux voisins, s’est engagée à stabiliser ses émissions au niveau de 1990, l’Allemagne à réduire les siennes de 21 %, le Royaume Uni de 12,5 %, l’Italie de 6,5 %.

La principale mesure du Plan Climat 2004 est le plan national d’affectation des quotas (PNAQ) qui a imposé, à compter du 1er janvier 2005, des quotas d’émissions de CO2 aux entreprises intensives en consommation d’énergie et a mis en place un système d’échanges de ces quotas.

La France s’est par ailleurs donné un objectif à long terme, à savoir la réduction par 4 de ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050. C’est ce qu’on appelle le « facteur 4 ». Cet objectif a été intégré à la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique française.

Ces objectifs sont très ambitieux. Peuvent-ils être atteints ?

A.– LES ENGAGEMENTS DE LA FRANCE SERONT DIFFICILEMENT RESPECTÉS ET LE FACTEUR 4 EST AUJOURD’HUI HORS D’ATTEINTE

Alors que la France a pris l’engagement de stabiliser ses émissions totales de CO2, celles-ci sont passées de 374 millions de tonnes en 1990 à 381 millions en 2007, soit une augmentation de 1,9 % (1). Ces émissions devraient toutefois baisser en 2008 et 2009, du fait de la récession économique.

Source : CITEPA (centre interprofessionnel technique d’étude de la pollution atmosphérique).

L’augmentation la plus forte est due aux transports routiers qui ont vu leurs émissions de CO2 augmenter de plus de 19 % depuis 1990. Ce secteur représentait alors 33 % du volume total des émissions en 1990. Il en représente aujourd’hui près de 40 %.

ÉVOLUTION SECTORIELLE DES ÉMISSIONS DE CO2 DE LA FRANCE
ENTRE 1996 ET 2006

 

1990

(millions de tonnes de CO2)

2007

(millions de tonnes de CO2)

Taux d’évolution

Transports (hors soute)

125

149

19,2 %

Résidentiel et tertiaire

95

98

3,2 %

Industrie et agriculture

94

79

-16,0 %

Centrales électriques

39

34

-12,8 %

Autres (dont branche énergie)

22

20

-9,1 %

Total

374

381

1,9 %

Source : Commissariat général du développement durable (CGDD), MEEDDAT

Nota : données corrigées du climat

Le résidentiel tertiaire est le second secteur sur lequel doivent porter les efforts, ses émissions ayant augmenté de 3 millions de tonnes en 2007 par rapport à 1990 (+3,2%).

Mais, au-delà du CO2 qui représente à lui seul 70 % des émissions totales de gaz à effet de serre, les engagements de la France portent également sur d’autres gaz.

En 2006, les émissions de méthane (CH4) provenant essentiellement de l’agriculture et plus particulièrement de l’élevage étaient en baisse de 18,8 % par rapport à 1990, celles de protoxyde d’azote (N2O) – engrais azotés et industrie chimique – de 29,5 %, celles des fluorocarbures (PFC) utilisés dans les solvants de 61,1 %, d’hexafluorure de soufre (SF6) de 47 %. Les émissions d’hydrofluorocarbures (HFC) – transformateurs électriques – étaient, pour leur part, en hausse de 260 %, mais pour des tonnages relativement peu élevés.

PART DES DIFFÉRENTS GAZ DANS LES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE

 

CO2

NO2

CH4

Autres

Part dans les émissions de GES

70 %

16 %

13 %

1 %

En prenant en compte les effets des différents gaz (2), le pouvoir de réchauffement global (PRG) des émissions françaises de l’ensemble des gaz à effet de serre était, en 2007, en baisse de 6,3 % par rapport à son niveau de 1990.

Le problème est donc clairement celui de l’évolution des émissions de CO2. La France n’arrivera à diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050 qu’en ciblant et en accentuant ses efforts sur ce domaine.

La situation de plusieurs autres États membres par rapport à leurs engagements est encore plus défavorable.

B.– LES PERFORMANCES DES AUTRES ÉTATS EUROPÉENS SONT TRÈS INSUFFISANTES

Alors que l’Union européenne entend jouer un rôle de pionnier pour la lutte contre le changement climatique, la plupart de ses États membres ne seront pas en mesure d’atteindre leurs objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

L’Allemagne est diminué ses émissions de CO2 de 13,4 % entre 1990 et 2006. Ce succès est essentiellement dû à l’arrêt des unités de production d’électricité ou d’acier des anciens länder de l’Est. Il lui sera sans aucun doute plus difficile de progresser à l’avenir pour atteindre son objectif de réduction de 21 % du Protocole de Kyoto.

ÉVOLUTION DES ÉMISSIONS DE CO2 DUES À L’ÉNERGIE
DE DIFFÉRENTS ÉTATS MEMBRES DE L’UNION EUROPÉENNE

(en millions de tonnes de CO2 ou %)

 

1990

2006

Évolution 2006/1990

Objectif Kyoto 2008-2012

France

352

377

7,1 %

0,0 %

Allemagne

950

823

-13,4 %

-21,0 %

Royaume-Uni

553

536

-3,1 %

-12,5 %

Espagne

206

328

59,2 %

15,0 %

Italie

398

448

12,6 %

-6,5 %

UE-15

3 091

3 258

5,4 %

-8 %

UE-27

4 063

3 983

-2 %

 

Note : données relatives aux seules émissions de CO2 dues à l’énergie ; données non corrigées de variations climatiques

Source : CGDD – MEEDDAT

Il est également peu vraisemblable que le Royaume-Uni atteigne ses objectifs. Ceci est d’autant plus vrai que l’arrêt programmé avant 2020 de ses réacteurs nucléaires les plus anciens nécessitera la construction rapide de cycles combinés à gaz, qui, contrairement aux centrales nucléaires, émettent des gaz à effet de serre.

Globalement, l’Union Européenne à quinze a vu ses émissions de CO2 augmenter de 5,4 % entre 1990 et 2006. Son objectif est de les réduire de 8 % entre 2008-2012.

Le Protocole de Kyoto, dont les spécialistes du climat estiment déjà qu’il n’est pas assez ambitieux, ne sera selon toute vraisemblance pas respecté dans ses objectifs quantitatifs.

III.– LE SYSTÈME DES QUOTAS D’ÉMISSION : UN SYSTÈME ACTUELLEMENT PRIVILÉGIÉ DANS LE MONDE ET PLUS PARTICULIÈREMENT AU SEIN DE L’UNION EUROPÉENNE

LA THÉORIE ÉCONOMIQUE

En l’absence de toute politique environnementale, les agents économiques ne tiennent pas compte des dommages qu’ils causent à l’environnement. D’où la nécessité de l’intervention de la puissance publique.

L’environnement étant un bien public, sa préservation présente un intérêt commun. Mais aucun agent n’a d’intérêt particulier à en supporter individuellement le coût. Les agents se comportent donc tous en « passager clandestin ».

Par ailleurs, la notion d’externalité négative décrit la situation où un agent –dans son acte de production ou de consommation – influe négativement sur l’ensemble de la société – ici en rejetant des gaz à effet de serre – sans que son action ne soit prise en compte dans le mécanisme de fixation du prix. Il y a donc imperfection du marché. L’action publique dans ce cas consiste à « internaliser les externalités », c'est-à-dire à inclure le coût lié à ce dommage dans le prix.

Les pouvoirs publics disposent alors de trois outils pour que les agents prennent en compte les dommages causés à l’environnement :

1. La réglementation : Il s’agit de l’acte d’autoriser ou d’interdire. La réglementation s’avère adaptée dans certains domaines (déchets, sacs en plastique…) mais demeure inefficace dans le cas des émissions de gaz à effet de serre.

2. La fiscalité : L’analyse part du constat que « le coût privé » de la production ou de la consommation d’un bien est inférieur à son coût pour la société, dans la mesure où il n’intègre pas les dommages causés à l’environnement. Une première solution pour « internaliser » le coût des émissions de gaz à effet de serre consiste – selon l’économiste britannique Arthur Cecil Pigou – à taxer ce qui est à l’origine de la pollution. Cette taxe engendre un double dividende : ajustement des prix et à diminution des quantités.

3. Le système des quotas d’émission : Dans ce cas, l’État fixe une quantité maximale de pollution et attribue aux entreprises des permis d’émission. Ces permis sont négociables. Leur prix résulte du rapport en l’offre et la demande. Ce système a été théorisé par les économistes Coase et Dales.

A.– LES AVANTAGES DES QUOTAS D’ÉMISSION SONT MULTIPLES

Les quotas d’émission sont fixés en fonction des caractéristiques des secteurs industriels, ce qui permet de prendre en compte leurs spécificités techniques et leur compétitivité. Ils peuvent être réduits ou augmentés en fonction de l’évolution technique ou des objectifs en matière d’émissions.

En début d’année, chaque entreprise se voit remettre des quotas ou permis d’émissions pour un montant donné. Si elle diminue ses émissions, elle peut revendre sur le marché ses quotas excédentaires. Au cas où ses émissions dépassent le montant autorisé, l’entreprise s’acquitte une pénalité par tonne de CO2 émise en excédent.

Les marchés de permis d’émission permettent une optimisation des dépenses d’investissement pratiquées pour réduire les émissions de CO2.

Le marché des quotas incite à l’investissement. En effet, un industriel pour qui le coût d’un investissement visant à réduire les émissions est inférieur au coût du quota devra être logiquement incité à investir puis à céder une partie de ses droits à émettre à un autre industriel pour qui ce coût est supérieur.

Au plan mondial, le mécanisme de développement propre (MDP – CDM Clean Development Mechanism) permet une optimisation des dépenses. Il est en effet avantageux de commencer par moderniser les installations les plus polluantes, dont un nombre important se trouve dans les pays d’Europe orientale et dans les pays émergents, plutôt que par des installations plus avancées se situant dans l’Union européenne.

B.– L’UNION EUROPÉENNE JOUE UN RÔLE PIONNIER DANS LA LUTTE CONTRE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE

1.– La directive « Emissions trading scheme » (ETS) instaure, dès 2005, le système des quotas

L’Union européenne a mis en place un système d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre en vue de réduire celles-ci dans la Communauté de façon économiquement efficace avec la directive 2003/87/CE du Parlement et du Conseil, du 13 octobre 2003 qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2005.

Chaque État détermine avec la Commission européenne un niveau global d’émissions de gaz à effet de serre compatible avec ses objectifs de réduction souscrits dans le cadre du protocole de Kyoto. 12 000 établissements européens responsables de l’émission de 40 % des GES dans la Communauté sont concernés.

Chaque État membre élabore un plan national (PNAQ) indiquant les quotas qu’il a l’intention d’accorder et la manière de les attribuer. Pour la période 2005-2007, 95 % des quotas sont alloués gratuitement. Cette proportion est ramenée à 90 % pour la période 2008-2012.

De 2005 à 2007, les quotas ont été alloués d’une manière très large. Rares sont donc les entreprises qui ont eu besoin d’acheter des quotas supplémentaires sur le marché secondaire. Il en est résulté un prix à tonne quasi nul. Les allocations ont été moins généreuses pour la deuxième période – 2008-2012. En conséquence, le prix de la tonne sur le marché secondaire a augmenté s’élevant actuellement à 14-15 euros/la tonne.

2.– Le « paquet énergie–climat » de décembre 2008 renforce le dispositif

Un compromis a été trouvé sous présidence française avec le « paquet énergie–climat » des 11 et 12 décembre 2008. Un plan d’action a été prévu permettant à l’UE d’atteindre l’objectif ambitieux des « 3 fois 20 » :

– une réduction de 20 % des émissions de GES grâce à un mécanisme d’enchère des quotas d’émission ;

– une amélioration de 20 % de l’efficacité énergétique ;

– une part de 20 % d’énergies renouvelables.

Le « paquet énergie–climat » prévoit que jusqu’en 2013, la grande majorité des droits d’émission sera allouée gratuitement, mais qu’au-delà, un système d’enchère intégral sera instauré. Il est toutefois prévu que la mise en œuvre de ce nouveau dispositif se fasse très progressivement :

– des droits d’émission gratuits seront alloués aux industries énergétivores exposées aux délocalisations, tant qu’un accord international satisfaisant n’est pas trouvé ;

– seuls 20 % des quotas seront mis aux enchères à partir de 2013, puis 70 % en 2020 et enfin 100 % en 2027 pour laisser un temps d’adaptation.

Pour les secteurs non soumis aux quotas, chaque État membre s’est vu assigner un objectif mais laissé libre des moyens devant être mis en œuvre pour l’atteindre. L’objectif assigné à la France est de – 14 % d’émission en 2020 par rapport à 2005.

C.– L’EUROPE N’EST PAS LA SEULE À S’ÊTRE ENGAGÉE SUR LA VOIE DES QUOTAS

L’administration Obama a clairement choisi le système de « cap & trade » : quota d’émission « cap » et marché « trade », et a confirmé son intention de réduire les émissions de GES américain de 80 % d’ici à 2050.

La mise aux enchères de la totalité des quotas aurait rapporté 646 milliards de dollars, selon les prévisions. Pour faire droit aux États fédérés gros consommateurs de combustibles fossiles, en particulier de charbon qui permet de produire 50 % de l’électricité américaine, une allocation gratuite de 35 % des quotas est toutefois prévue.

Par ailleurs, la négociation en cours au sein de la Conférence des Nations Unis sur le changement climatique (CCNUCC) – United Nations Framework Convention on Climate Change (UNFCCC) – privilégie également les quotas et les permis d’émission.

Il semble peu probable que d’ici à la fin 2009, période à laquelle se déroulera la conférence de Copenhague sur la préparation du renouvellement du protocole de Kyoto, cette orientation fondamentale soit remise en cause.

L’enjeu de cette conférence de Copenhague réside pour une large part dans l’attitude de la Chine et de l’Inde qui représentent respectivement 18 % et 4,1 % des émissions mondiales de CO2 en 2005, et les émissions sont en augmentation.

L’Europe et la France ne pourront convaincre ces pays émergents de s’engager dans la voie des réductions des émissions de GES que si elles prennent elles-mêmes des engagements à la fois fermes et crédibles.

D.– LE SYSTÈME DES QUOTAS CONNAÎT TOUTEFOIS DES LIMITES

1.– Les difficultés de mise en œuvre

Elles sont au nombre de trois :

– la conduite du dispositif : il nécessite un appareil statistique, une réglementation, des contrôles et des sanctions. Il s’agit donc un dispositif lourd ;

– l’organisation du marché des permis d’émission : elle requiert la tenue des comptes, le contrôle des cours, et l’instauration de liens étroits entre les entreprises et les pouvoirs publics ;

– la création d’un marché des droits d’émission pourrait constituer une source de liquidités voire une bulle financière difficile à contrôler, au fur et à mesure de l’extension géographique des quotas d’émissions et de la croissance des montants des permis d’émission. Il peut en effet être tentant pour une entreprise en position dominante d’acheter des quotas dont elle n’a pas besoin dans le but, soit de freiner la croissance de ses concurrents, soit de réaliser une opération financière.

Dans la pratique, la France a créé le registre SERINGAS géré par la Caisse des dépôts et consignations.

Le plan national d’affectation des quotas (PNAQ) pour 2005-2007 a concerné 1 000 entreprises, chacune étant titulaire d’un compte dans le registre.

Le plan national d’allocation des quotas d’émissions (PNAQ II) pour la période 2008-2012, comporte une baisse de 5,4 % des dotations par rapport à la période précédente 2005-2007.

Les quotas sont répartis par secteurs puis par établissement à l’initiative de la direction de la Prévention des pollutions et des risques (DPPR) du MEEDDAT. Ces quotas sont définis annuellement et pour l’ensemble de la période considérée.

QUOTAS ANNUELS D’ÉMISSIONS POUR LES INSTALLATIONS EXISTANTES –
FRANCE : PNAQ II 2008-2012

Secteur d’activité

Quotas annuels
(milliers de tonnes)

En %
du total

Combustion levuriers

163

0,1

Combustion amylacés

1 734

1,4

Combustions autres agroalimentaires

4 073

3,3

Combustions autres agroalimentaires

2 883

2,3

Combustion chimie

9 796

7,8

Combustion externalisée

2 647

2,1

Chauffage urbain

5 462

4,4

Combustion énergie

378

0,3

Combustion industrie

1 110

0,9

Électricité

25 592

20,5

Transport de gaz

843

0,7

Raffinage

16 541

13,2

Cokeries

251

0,2

Acier

25 735

20,6

Ciment

15 402

12,3

Chaux

3 182

2,5

Verre

3 730

3,0

Céramique

19

0,0

Tuiles et briques

1 119

0,9

Papier

4 325

3,5

Total

124 985

100,0

Source : PNAQ II, MEEDDAT

Note : combustion amylacés : combustion de céréales ; combustion levuriers : combustion pour la fabrication de levures

Le registre français est connecté, comme les autres registres européens, à la plateforme européenne CITL. Le registre permet les échanges de quotas en France et avec les entreprises étrangères.

2.– Les quotas ne s’appliquent pas au secteur diffus : transports, logements, agriculture.

Ces secteurs représentent 60 % des émissions des gaz à effet de serre dans l’Union européenne et 70 % en France. La singularité française – industrie faiblement émettrice de CO2 – est essentiellement due à l’origine majoritairement nucléaire de notre électricité. En effet, l’électricité produite par les centrales électriques n’émet pas de CO2 contrairement aux centrales plus traditionnelles à charbon dont l’Allemagne, par exemple, tire une grande partie de son électricité.

Le secteur ne peut donc être efficacement touché que par la fiscalité. Or celle-ci demeure une compétence des États.

IV.– UNE FISCALITÉ ÉCOLOGIQUE POURRAIT ACCÉLÉRER LE DÉVELOPPEMENT DURABLE DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE

Les quotas ne pouvant s’appliquer à l’ensemble des secteurs économiques, le recours à la fiscalité est le seul moyen de donner un « signal-prix » à toutes les activités qui génèrent des gaz à effet de serre.

En France, c’est une condition sine qua non pour atteindre les engagements de Kyoto et l’objectif du « facteur 4 ».

La création d’une taxe carbone ne soulève pas de difficulté constitutionnelle, dès lors que le principe d’égalité devant l’impôt est respecté. Cette question a été tranchée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2000-441 du 28 décembre 2000.

Cette mesure pourrait être l’occasion de remettre de l’ordre dans les taxes sur l’énergie, les taux de la TIPP étant très disparates selon les sources d’énergie.

Compte tenu de l’impact d’une charge nouvelle sur la compétitivité des entreprises, il aurait été préférable que la taxe carbone soit instituée au niveau de l’Union européenne. Cette proposition s’est heurtée à l’opposition allemande et à la méfiance traditionnelle des pays à faible fiscalité sur tout projet d’harmonisation fiscale.

A.– LA FRANCE A INTÉRÊT, EN TERMES DE SPÉCIALISATION INTERNATIONALE, À AMPLIFIER SON AVANTAGE COMPARATIF D’ÉCONOMIE À BASSE TENEUR EN CARBONE

La France est, parmi les pays industrialisés, l’une des économies les moins intensives en CO2. Ceci vaut à la fois en termes d’émissions par tête et d’émissions par unité de PIB (voir tableau ci-dessous).

ÉMISSIONS DE CO2 PAR HABITANT
OU PAR UNITÉ DE PIB DE QUELQUES GRANDS PAYS
OU ZONES ÉCONOMIQUES

2 006

Émissions par habitant

t CO2/habitant

Émissions par unité de PIB

kg CO2 par millier d'unités de PIB en US$ et PPA 2 000

 France

6

223

 Allemagne

10

365

 Royaume-Uni

8,9

307

 Espagne

7,4

313

 Italie

7,6

292

 UE-15

8,3

307

 UE-27

8,1

333

 États-Unis

19

506

 Japon

9,5

343

 Russie

11,1

1 077

 Chine

4,3

634

 Inde

1,1

340

Source : Agence internationale de l’énergie (AIE-OCDE), CGDD, MEEDDAT

Les bonnes performances de l’économie française résultent en premier lieu de la production à hauteur de 77 % en 2007 de son électricité par le parc électronucléaire d’EDF et de 12 % par l’hydraulique, l’éolien et le photovoltaïque.

Si l’hydroélectricité reste prédominante dans la production d’électricité renouvelable avec 64 TWh produits en 2007, l’électricité éolienne, en forte croissance, a atteint à cette date une production de 4,05 TWh, le photovoltaïque 0,02 TWh et l’énergie produite à partir d’énergies renouvelables thermiques (3) 3,7 TWh.

La France dispose donc d’atouts importants dans le domaine des énergies sans carbone, des progrès sont toutefois nécessaires dans le domaine des énergies renouvelables. Parallèlement, notre pays ne saurait s’exonérer d’un effort en matière d’économies d’énergie, tant il est vrai que toute pause reviendrait à un recul.

Dans la concurrence internationale, il convient à l’évidence de capitaliser sur ces atouts. L’instauration d’une taxe carbone serait une incitation supplémentaire au redéploiement des consommations d’énergie et contribuerait aussi à consolider l’avantage comparatif de l’économie nationale.

B.– LA TAXE CARBONE ENTRE SIMPLICITÉ ET COMPLEXITÉ

1.– Les modalités générales de la taxe carbone

La taxe carbone a pour assiette la consommation d’énergie fossile – pétrole, gaz naturel, charbon. Elle prend en compte le contenu en carbone de l’énergie utilisée. Elle est perçue dans les mêmes conditions que la TIPP.

La taxe carbone présente, en réalité, le double intérêt d’inciter aux économies d’énergie et de favoriser les énergies non carbonées – hydraulique, nucléaire, énergies renouvelables (hydraulique, éolien, solaire, biomasse) – dans le cas où il existe une offre de substitution compétitive. La question de la compétitivité de l’offre doit désormais prendre en compte les externalités climatiques comme les externalités en termes d’impacts environnementaux et sanitaires.

Dans la pratique, en l’absence de taxe aux frontières de l’Union européenne, des réductions de taux voire des exonérations partielles doivent être accordées pour préserver la compétitivité de secteurs spécifiques de l’économie nationale, en particulier ceux qui sont fortement consommateurs d’énergie fossile (transports, agriculture, pêche…).

Au niveau national, la taxe carbone présente une grande facilité de mise en œuvre par rapport aux quotas et aux permis d’émission. Les circuits de collecte sont ceux de la fiscalité sur les carburants.

En revanche, sur le plan international, l’application d’une taxe carbone aux importations est souvent dénoncée par les pays émergents ou en développement comme une mesure potentiellement protectionniste.

2.– Les taxes carbone en vigueur à l’étranger sont des taxes sur l’énergie modulées

Plusieurs pays ont mis en œuvre une taxe carbone. Il s’agit le plus souvent, en réalité, d’une taxe sur l’énergie modulée en fonction de la nature de celle-ci (carburants ou électricité). Dans certains cas, le produit de la taxe est utilisé pour réduire les autres prélèvements obligatoires et pour financer des investissements dans les énergies renouvelables.

La Finlande dispose depuis 1990 d’une taxe sur l’énergie dont l’un des paramètres est son contenu en carbone (4). Cette taxe a été profondément réformée en 1997.

Initialement, la taxe sur le carbone pesait non pas sur la consommation mais sur la production d’électricité. L’ouverture du marché de l’électricité scandinave a placé le secteur électrique finlandais en porte à faux par rapport aux producteurs étrangers, qui n’étaient pas soumis à cette taxe. La taxation d’importation d’électricité est interdite par l’Union européenne. La taxe sur le carbone a été abandonnée et remplacée par une taxe sur la consommation d’électricité pour laquelle des abattements de 50 à 85 % sont consentis aux entreprises fortement consommatrices.

La taxe carbone joue à plein sur le chauffage et les carburants automobiles. Les taux sont différents selon le combustible. En 2002, pour le chauffage, ils variaient de 20 euros par tonne pour la tourbe à 80 euros par tonne pour le fioul léger. Le taux s’élevait à 410 euros par tonne pour le gaz naturel et à 880 euros par tonne pour l’essence sans plomb.

La Suède a introduit une taxe carbone en 1991, tout en diminuant simultanément les taxes sur l’énergie de 50 %. La fiscalité énergétique suédoise est organisée de la manière suivante :

● Une taxe sur l’énergie est appliquée d’une manière différenciée à tous les combustibles fossiles. L’industrie et la production d’électricité en étant exemptées, la taxe repose essentiellement sur les ménages qui ne bénéficient ni d’exonération ni de compensation ;

● La taxation des émissions de CO2 s’effectue au même titre que celle des émissions de soufre ou d’oxydes d’azote ;

● La production d’électricité est exemptée de la taxe carbone (5) ;

● L’industrie bénéficie d’une réduction de 50 % mais pas les ménages ;

● Une taxe spécifique s’applique à la production d’électricité nucléaire ;

● La consommation d’électricité est taxée, sauf dans l’industrie ;

● La consommation d’énergie, quelle que soit sa forme, est soumise à TVA.

La Suède considère que le principal effet de la taxe carbone a été de développer l’usage de la biomasse pour la production de chaleur utilisée dans les réseaux urbains (6).

La Norvège fournit l’exemple intéressant de la coexistence d’une taxe carbone et d’un marché de permis d’émission.

Créée en 1991 pour les combustibles liquides minéraux, la taxe sur le carbone – en réalité une taxe sur l’énergie – a été étendue au charbon et au gaz naturel. En 1999, cette taxe a été étendue aux secteurs précédemment exemptés (desserte des plates formes pétrolières en mer du Nord, transports aériens intérieurs, transports côtiers de marchandises). Simultanément, un marché de quotas d’émissions a été instauré pour les secteurs ou les usages exemptés (métallurgie, industries chimiques, cimenteries, raffinage, pêcheries, usages domestiques du gaz naturel).

La réforme de la fiscalité écologique en Allemagne a introduit, en 1999, une nouvelle taxation de l’énergie – combustibles fossiles et électricité – et une taxation spécifique des huiles minérales. Les taux de ces taxes ont été régulièrement augmentés afin de susciter des économies d’énergie, de réduire les émissions de CO2 et de favoriser l’emploi. Le produit de ces taxes permet en effet de réduire les cotisations retraites.

Des taux réduits sont en vigueur pour l’agriculture, les transports publics et l’industrie manufacturière qui bénéficie en outre d’un plafonnement du montant acquitté. Des exemptions sont également prévues pour l’autoproduction d’électricité renouvelable, la cogénération et les cycles combinés les plus performants.

Au Royaume-Uni, le Climate Change Levy ne concerne pas les ménages – touchés toutefois par une hausse des accises sur les hydrocarbures de 5 % par an entre 1993 et 2000. Il est assis sur la consommation d’énergie des entreprises et des administrations publiques en excluant toutefois les énergies renouvelables mais incluant l’électricité.

La Suisse a mis en place, depuis 2008, une taxe carbone sur le fioul et le gaz naturel utilisés pour le chauffage. Son montant est de 7,50 euros par tonne de CO2. Particularité intéressante de cette taxe, son taux variera en fonction des résultats obtenus par le pays pour la réduction de ses émissions de CO2. La Suisse a pris l’engagement de réduire ses émissions de CO2 de 8 % entre 1990 et 2010.

Compte tenu de l’absence de combustibles fossiles en Suisse, il s’agit d’une taxe pesant sur les importations. Le gouvernement helvétique a récemment refusé d’étendre cette taxe aux carburants automobiles.

C.– LE RÔLE CROISSANT, EN FRANCE, DE LA FISCALITÉ POUR LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT

Le conseil des Impôts, dans son rapport de 2005, avait estimé que les écotaxes en vigueur à cette date « n’avaient qu’un effet limité ». Il notait également que « les mesures fiscales à finalité environnementale n’avaient que peu d’effet ». Enfin, il soulignait que « les politiques en faveur de l’environnement privilégiaient les outils non fiscaux », c’est-à-dire la réglementation et les quotas d’émissions.

Depuis 2005, la fiscalité environnementale s’est développée en France. La mise en œuvre du principe pollueur-payeur pourrait se faire par de nouvelles mesures fiscales.

1.– Les principales écotaxes en vigueur

La taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) a été créée en 1999. Elle réunit, sous une même appellation, plusieurs taxes spécifiques (décharges de déchets ménagers, installation d’incinération de déchets, décharges de déchets industriels, huiles et préparations lubrifiantes, émissions polluantes atmosphériques, préparations pour les lessives, matériaux d’extraction, imprimés, installations classées). Elle a été étendue en 2000 à trois nouveaux secteurs – phosphates, phytosanitaires et granulats.

Le produit total de la TGAP devrait élever à 230 millions d’euros en 2009, montant auquel il faut ajouter 190 millions d’euros affectés à l’ADEME (7).

La composante de la TGAP portant sur les émissions polluantes est, pour sa part, d’un rendement faible (8).

Une autre écotaxe est la taxe sur les nuisances sonores provoquées par le décollage d’aéronefs. Cette taxe est destinée à lutter contre les nuisances sonores d’aéronefs en contribuant aux dépenses engagées par les riverains d’aérodrome. Elle est due par les exploitants d’aéronefs, ou les propriétaires, au profit de d’exploitant d’aérodrome.

S’agissant des véhicules, une taxe CO2 a été instituée pour les véhicules émettant plus de 200 g de CO2. Cette taxe a été en vigueur à partir du 1er juillet 2006.

Elle a été remplacée pour les véhicules neufs, à partir du 1er juillet 2008 par l’écotaxe (malus) ou taxe additionnelle à la taxe sur les certificats d’immatriculation prévue à l’article 1599 quindecies du code général des impôts9. Cette taxe est uniquement fonction des émissions totales de CO2 au kilomètre du véhicule. Conformément à son objectif, elle ne retient aucun autre paramètre correcteur comme la masse du véhicule.

Une redevance pour pollution diffuse, affectée aux agences de l’eau a été créée en en substitution à la composante produits antiparasitaires de la TGAP. Perçu à compter du 1er janvier 2008, le produit de la redevance est estimé à 43 millions d’euros au titre de 2008 (versés en 2009).

Enfin, la loi de finances pour 2009 a institué la taxe kilométrique sur les poids lourds empruntant le réseau routier non concédé. Il s’agit d’une écotaxe dont le produit sera affecté au financement des infrastructures de transport permettant un report modal. Cette taxe contribuera ainsi à la réduction des émissions de CO2 de l’économie nationale.

2.– L’instauration d’une taxe carbone est constitutionnellement possible

La loi de finance rectificative pour 2000 avait comporté une disposition étendant la TGAP aux consommations intermédiaires d’énergie dans l’industrie. Ce dispositif a été censuré par le Conseil constitutionnel(10), en raison des modalités d’application proposées (11) et non pas pour des raisons de principe.

Bien au contraire, à l’occasion de cette décision, le Conseil constitutionnel a affirmé la possibilité pour le législateur d’instituer des mesures fiscales à finalité dissuasive. Il a également vu dans la lutte contre l’effet de serre un objectif d’intérêt général de nature à justifier l’établissement d’impositions spécifiques à caractère incitatif. Il conviendra bien entendu de veiller au strict respect du principe d’égalité devant l’impôt.

Par ailleurs, la Charte de l’environnement consacre, dans son article 4, le principe « pollueur-payeur ».

3.– Les taxes sur les énergies fossiles sont nombreuses en France

À l’occasion du Grenelle de l’environnement, le président de la République s’est engagé à étudier la création d’une taxe climat énergie, considérant notamment que les actuelles écotaxes sont insuffisamment incitatives et qu’il convient d’accélérer la diminution de la consommation d’énergies fossiles.

Les taxes sur l’énergie sont d’ores et déjà nombreuses et importantes en France. Elles sont diversifiées selon le secteur d’activité.

Le tableau suivant présente les différentes taxes et leurs produits respectifs.

RECETTES FISCALES RELATIVES À L’ÉNERGIE

(en millions d’euros constants, base 2006)

Taxe

Recette 2006 – estimation révisée PLF 2007

Taxe intérieure sur les produits pétroliers

26 197

Taxes sur l’électricité

1 707

Taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN)

194

Autres taxes intérieures de consommation

6

Total

28 104

Source : INSEE, IFEN, ministère du Budget et ADEME

La taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP) (12) porte sur leur utilisation à titre de carburant ou de combustible de chauffage. La TIPP et la TVA représentent 66 % du litre d’essence et 56 % de celui du gazole.

Le tableau ci-après présente l’évolution du produit de cette taxe essentielle pour le budget de l’État et des collectivités territoriales.

PRODUIT DES TAXES SUR LES CARBURANTS

(en millions d’euros)

 

2003

2004

2005

2006

2007

I.- TIPP

 État

23 621

19 807

18 456

18 404

16 470

 Régions

0

0

454

1 046

2 776

 Départements

391

4 959

5 295

5 040

4 924

II.- Taxe spéciale °

 DOM

486

477

494

480

464

III.- Total

 Total

24 498

25 243

24 699

24 970

24 634

Source : Comptes des transports en 2007, juin 2008.

Il est important de noter que les recettes de TIPP participent au financement des politiques générales des pouvoirs publics. Il s’agit d’un impôt non affecté même si une part du produit a été transférée aux conseils généraux à la suite du transfert de charge qu’a constitué le transfert du RMI.

La TIPP peut difficilement être regardée comme une taxe carbone puisque les taux, différents selon les carburants, ne sont pas fonction de leur contenu en carbone.

Le tableau ci-après montre, pour chaque grand type de carburant, le décalage entre sa contribution à l’effet de serre, le niveau de la TIPP ou de taxation totale (13) qui lui est appliqué.

COÛTS EXTERNES, TIPP ET TAXATION TOTALE DE LA CIRCULATION AUTOMOBILE

 

Effet de serre

(en centimes/litre)

Niveau de la TIPP en 2004

(en centimes/litre)

Ratio TIPP 2004/coût externe

Niveau de la taxation totale en 2004

(en centimes/litre)

Ratio taxation totale 2004/coût externe

Véhicule particulier-essence

4,8

58,92

12,3

72,7

5,9

Véhicule particulier-gazole

5,3

41,69

7,9

58,2

7,4

Poids lourds-gazole

5,3

39,19

7,4

53,7

7,3

Source : DGTEP, Conseil des Impôts

Le coût externe en termes d’effet de serre est plus important pour le gazole que pour l’essence. En 2004, le niveau de la TIPP était pourtant moins élevé.

Cette anomalie n’est pas actuellement comblée. Le taux de la TIPP pour le gazole fixé pour 2009, à 42,84 c€/litre, demeure inférieur à celui fixé à 60,69 c€/litre pour les supercarburants, alors que sa contribution à l’effet de serre est supérieure.

L’écart de TIPP en faveur du gazole se justifie, selon les constructeurs automobiles français, par le fait que la consommation kilométrique des véhicules au gazole est inférieure à celle des véhicules essence, d’où des émissions de CO2 inférieures au kilomètre. Les émissions de particules à fort impact sur la santé liées au gazole sont une externalité négative non prise en compte sous forme de taxe, ce qui avantage un peu plus le gazole.

On notera enfin qu’un taux spécifique s’applique au fioul domestique pour des raisons sociales, le taux de la taxe sur le fioul domestique étant de 5,66 c€/l contre 42,84 c€/l pour le gazole.

La taxe sur la consommation de gaz naturel (TICGN) s’applique à l’utilisation du gaz naturel comme combustible.

Instituée en 1986, la TICGN ne concernait initialement que les grands consommateurs de gaz naturel (14). Pour mettre cette taxe en accord avec le droit communautaire, la loi de finances rectificative pour 2007 a décidé qu’à partir du 1er avril 2008, la taxe s’applique sans abattement et quel que soit le niveau de consommation de l’utilisateur, lorsque le gaz naturel est utilisé comme combustible, à moins qu’il n’entre dans un cas d’exonération. Le taux de la TICGN est de 1,19 €/MWh. L’exonération s’applique à la consommation des particuliers, y compris sous forme collective (15), et aux collectivités territoriales. D’autres exonérations sont prévues pour certains usages industriels du gaz naturel.

La taxe intérieure de consommation sur le charbon (TICC) s'applique aux houilles, lignites et cokes utilisés comme combustible.

La taxe est due par le fournisseur de charbon sur les livraisons qu'il effectue auprès de consommateurs finals en France, ou par le consommateur final lorsque celui-ci a lui même importé ou produit le charbon qu'il utilise. Plusieurs types d’exonération sont prévus.

Une taxe spéciale de consommation (TSC) dans les départements d’outre-mer est perçue sur les essences, les supercarburants, le gazole et les émulsions dans du gazole. Elle alimente le budget des conseils régionaux, qui fixent les taux et les exonérations applicables à ces produits.

La TVA sur les produits pétroliers obéit à des règles particulières fixées par l'article 298 du code général des impôts. Elle est perçue par l'administration des douanes au même moment que la TIC, lors du dépôt des déclarations de mise à la consommation des produits, généralement à la sortie des entrepôts fiscaux de stockage et des raffineries. Le taux de TVA est de 19,6 % en France continentale et de 13 % en Corse.

Les recettes de TVA sur les produits pétroliers perçues par la douane se sont élevées en 2007 à 8,6 milliards d'euros.

Une taxe versée au profit du comité professionnel des stocks stratégiques pétroliers a été instituée par la loi du 31 décembre 1992 portant réforme du régime pétrolier. Cette taxe est d’un faible montant.

Enfin, l’électricité fait également l’objet de plusieurs taxes.

4.– Les taxes sur l’électricité portent à la fois sur la distribution et la production

Les taxes sur l’électricité ont deux objectifs, d’une part le financement des réseaux de distribution, et, d’autre part, la production des énergies sans carbone.

Une contribution au fonds d’amortissement des charges d’électrification (FACÉ) est versée, chaque année depuis 1936, par les gestionnaires des réseaux publics de distribution – aujourd’hui EDF et les distributeurs non nationalisés – en fonction des kWh qu’ils distribuent. Le montant de la contribution est fixé par arrêté conjoint des ministres chargés du budget et de l’énergie. EDF assure 95 % de la charge totale correspondante. Le FACÉ a pour mission de verser des subventions aux collectivités maîtres d’ouvrage des travaux d’électrification rurale. Le montant collecté par le FACÉ s’est élevé à 468 millions d’euros en 2004 et à 345 millions d’euros en 2007.

La taxe locale sur l’électricité de faible ou moyenne puissance, créée par la loi du 13 août 1926, est acquittée par les consommateurs finaux, au profit des communes et des départements. Créée initialement pour financer les travaux d’électrification rurale, cette taxe a été maintenue malgré le quasi-achèvement des équipements correspondants. Cette taxe est régie par le code général des collectivités territoriales (CGCT), aux articles L. 2333-2 à 5 pour les communes, aux articles L. 3333-2 à 3 pour les départements et à l’article L. 5212-24 pour les syndicats de communes.

La directive européenne 2003/96/CE du 27 octobre 2003 impose des niveaux minimaux de taxation en différenciant les consommations professionnelles et les consommations domestiques. Les taux sont également plafonnés par les lois n° 2003-1312 du 30 décembre 2003 et n° 2004-809 du 13 août 2004.

Le produit de la taxe locale sur l’électricité de faible ou moyenne puissance s’est élevé à 1 235 millions d’euros en 2004, dont 820 millions d’euros pour les communes et 415 millions d’euros pour les départements.

Les deux autres taxes concernent la production d’électricité sans carbone proprement dite.

La taxe sur les installations nucléaires de base porte sur l’ensemble des installations du cycle électronucléaire. Sont concernés la recherche (réacteurs et laboratoires dits « chauds »), la fabrication du combustible, les réacteurs électronucléaires et les installations de l’aval du cycle (traitement-recyclage, entreposage ou stockage de déchets radioactifs).

Cette taxe résulte de la loi de finances n° 99-1172 pour 2000 qui a transformé en taxe annuelle une redevance introduite en 1975.

Le produit de la taxe sur les installations nucléaires de base s’est élevé à 374 millions d’euros en 2008.

Enfin, les consommateurs finaux d’électricité acquittent une contribution au service public de l’électricité (CSPE). Cette contribution a été créée par la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 sur la modernisation et le développement du service public de l’électricité, puis modifiée par la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l'électricité et au service public de l'énergie.

La CSPE finance les charges supportées par EDF, les distributeurs non nationalisés (DNN) et Électricité de Mayotte en raison des dispositifs de soutien aux énergies renouvelables et à la cogénération, de la péréquation tarifaire en faveur des zones non interconnectées et des dispositifs au bénéfice des personnes en situation de précarité. La CSPE finance également le budget du Médiateur national de l’énergie, ainsi qu’une partie des charges liées au tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché (TaRTAM).

Le montant total des charges constatées s’est élevé à 1 964,1 millions d’euros en 2008, dont 1 148,6 millions d’euros au titre des contrats d’achat en métropole continentale, 771,7 millions d’euros au titre de la péréquation tarifaire et 43,9 millions d’euros au titre des dispositifs sociaux.

La contribution au service public de l’électricité s’est élevée, en 2008, à 4,50 euros par MWh – autour de 10 % du prix de vente. Elle a été fixée au même montant pour 2009, soit un niveau insuffisant pour couvrir toutes les charges prévisionnelles.

*

On voit donc que tous les types de consommation sont couverts par les taxes actuelles.

Comme on l’a vu précédemment, les taxes « carbone » en vigueur dans différents pays sont essentiellement des taxes sur l’énergie. Les paramètres de ces taxes sont ajustés en fonction des objectifs de réduction des émissions mais aussi des contraintes de compétitivité des entreprises nationales.

Les taxes sur l’énergie sont nombreuses en France. Il existe des difficultés sérieuses pour modifier la hiérarchie des taux des différentes taxes. C’est ainsi le cas de la TIPP sur le gazole dont toute hausse rapide serait vivement contestée à la fois par les usagers et par les constructeurs automobiles craignant pour leur leadership dans les motorisations diesels. La taxe carbone peut être l’occasion d’harmoniser les taux des taxes sur l’énergie afin d’avoir une plus grande visibilité.

La création d’une fiscalité écologique pourrait emprunter plusieurs voies, toutes nécessitant au préalable des études d’impact détaillées.

V.– L’INSTAURATION D’UNE CONTRIBUTION CLIMAT ÉNERGIE :
HUIT QUESTIONS À RÉGLER

Après la loi d’orientation de la politique énergétique qui prévoit la division par 4 des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050 « facteur 4 » en 2005, tous les candidats à l’élection présidentielle de 2007 ont signé le pacte écologique de Nicolas Hulot qui prévoyait l’instauration d’une contribution climat-énergie.

À la suite du Grenelle de l’environnement, 2008 et 2009 ont vu la mise en place du bonus-malus automobile, de la taxe kilométrique sur les poids lourds sur le réseau non concédé mais aussi le rapport Quinet sur la valorisation de la tonne de carbone puis les conclusions du groupe d’experts présidé par Michel Rocard sur l’instauration d’une contribution climat-énergie.

Par ailleurs, la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement n° 2009-967 du 3 août 2009, dite « Grenelle 1 » qui dispose dans son article 2 que « L’État étudiera la création d’une contribution dite « énergie climat » en vue d’encourager les comportements sobres en carbone et en énergie. Cette contribution aura pour objet d’intégrer les émissions de gaz à effet de serre dans les systèmes de prix par la taxation des consommations d’énergies fossiles. Elle sera strictement compensée par une baisse des prélèvements obligatoires de façon à préserver le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises ».

Reste à apporter une réponse aux huit questions suivantes.

A.– QUESTION 1 : QUELLE ASSIETTE ?

1.– Choisir entre taxe carbone et contribution climat-énergie

Une première hypothèse consisterait à asseoir la taxe sur le contenu carbone de tous les produits mis sur le marché. Cette hypothèse est intellectuellement séduisante mais techniquement impossible et aujourd’hui, nul ne la met plus en avant. Il serait en effet, nécessaire de mesurer la quantité de CO2 émise à chaque étape du processus de fabrication et de transport du produit taxé pour mesurer son « impact carbone » et le soumettre à la taxe à hauteur. Compte tenu de la multiplication des produits, des techniques de production et des circuits de distribution, un tel dispositif est impossible.

La contribution ne peut donc être qu’une taxe sur les consommations d’énergie.

La taxe peut concerner soit la consommation d’énergies fossiles hors électricité – dans ce cas, il s’agit d’une taxe carbone – soit la consommation d’énergies fossiles et électriques (notamment la part de l’électricité produite à partir d’énergie fossile) pour prendre en compte le double défi de changement climatique et de tarissement programmé de la ressource énergétique – dans ce cas, il s’agit d’une contribution climat énergie. Dans les deux cas, il sera nécessaire de mettre en adéquation assiette et finalités pour respecter le principe d’égalité devant l’impôt (censure de l’extension de la TGAP par le Conseil constitutionnel le 28 décembre 2000).

L’inclusion de la consommation d’électricité dans la base fiscale aurait deux avantages :

– éviter un basculement du chauffage vers l’électricité en donnant un avantage comparatif décisif à cette source d’énergie ;

– encourager les comportements sobres en énergie.

2.– Définir les modalités d’une taxe carbone additionnelle sur l’électricité

Les émissions de CO2 générées par la production d’électricité sont très variables selon la filière considérée, ainsi que le montre le tableau suivant.

ÉMISSIONS DE CO2 DES CENTRALES ÉLECTRIQUES

(en grammes de CO2 par kWh produit)

Filière

 

Charbon

915

Fioul

676

Cycle combiné à gaz naturel

404

Cogénération à gaz

230 – 380

Usine d’incinération d’ordures ménagères

860 – 1 548

Nucléaire

0

Éolien

0

Hydraulique

0

Source : ADEME

La production électrique française est réalisée à près de 90 % sans émissions de CO2, ainsi que le rappelle le tableau ci-après.

STRUCTURE DE LA PRODUCTION TOTALE BRUTE D’ÉLECTRICITÉ EN FRANCE

(en pourcentage du total)

 

1973

2000

2006

2007

Thermique classique

65,5

9,8

10,5

10,9

Nucléaire

8,1

76,8

78,4

77,1

Hydraulique, éolien, photovoltaïque

26,4

13,4

11,1

12,0

Total

100,0

100,0

100,0

100,0

Source : DGEC, MEEDDAT

Une approche éco-environnementale stricte consisterait à appliquer la taxe carbone à la partie de la production électrique produite par les centrales (charbon, fioul ou gaz naturel) et à exonérer la production sans carbone (électronucléaire, hydraulique, éolien et photovoltaïque).

L’application de ce principe se révèle toutefois difficile. Les différents types de production ne peuvent être différenciés qu’à la source et non pas à la distribution. Ce qui suppose un suivi de la production – celle-ci étant en permanence adaptée à la demande, donc à la consommation – directement chez les opérateurs, à l’aide d’outils de suivi à l’image de ceux qu’utilisent les courtiers en énergie ou même les opérateurs eux-mêmes pour distinguer leurs offres « vertes » des offres classiques (fossiles ou nucléaire).

Selon le niveau de la demande, le contenu en carbone de la production électrique varie fortement. Lors des pointes de demande, l’appoint de production est fourni par l’hydraulique, mobilisable rapidement, puis par les centrales à charbon ou à fioul. Les importations et les exportations servent par ailleurs à l’ajustement final.

Une première solution consisterait à appliquer la taxe carbone aux émissions moyennes de CO2. Mais ces émissions connaissent d’une année sur l’autre des variations très substantielles, dues notamment aux conditions météorologiques : ainsi elles ont varié entre 124,4 gCO2/kWh en 1991 à 69,05 gCO2/kWh en 1994 et 75,79 gCO2/kWh en 1997.

La deuxième méthode consisterait à appliquer la taxe carbone au dernier kWh produit, dont le contenu en carbone varie fortement selon la saison. Les émissions marginales de CO2 correspondant au dernier kWh produit se sont établies en moyenne à 557 g de CO2/kWh en 1997, le minimum mensuel ayant été de 389 g de CO2/kWh en mai et de 741 de CO2/kWh en janvier.

Remarques de M. Diefenbacher :

La taxation de l’électricité présente toutefois des inconvénients réels :

– d’abord, la taxation de l’électricité n’a pas été prévue dans le « Grenelle de l’environnement » qui, d’une manière très explicite, évoque uniquement les énergies fossiles ;

– ensuite, la taxation de l’électricité conduirait à assimiler l’électricité à une énergie fossile et à détériorer son image d’énergie « propre » non émettrice de gaz à effet de serre ;

– enfin, s’il convient de donner un signal-prix aux pics de production, ce résultat peut aussi bien être obtenu par une modification des tarifs.

Remarques de M. Launay :

L’objectif de la contribution climat-énergie est de donner aux consommateurs finaux un signal-prix reflétant le coût des émissions de CO2 induites par leurs choix de consommation pour intégrer les enjeux écologiques globaux dans les décisions économiques individuelles. Il est donc écologiquement nécessaire, économiquement pertinent et socialement équitable que le consommateur d’électricité reçoive ce signal.

La contribution a également pour objectif d’induire une réduction de la consommation d’énergie. Alors qu’actuellement 75 % des logements neufs utilisent l’électricité, une exclusion de l’électricité de la base fiscale aboutirait à un report du consommateur vers cette énergie. Cela aggraverait encore les situations de pics de consommation notamment l’hiver.

En tout état de cause, les deux co-rapporteurs sont d’accord sur le point suivant.

Proposition n° 1 : Tenir compte, dans le prix payé par le consommateur, de l’émission de CO2 pour la production d’électricité aux heures de pointe.

B.– QUESTION 2 : QUEL PRIX DONNER AU CARBONE ?

Le prix du carbone doit être suffisamment élevé pour que la contribution soit efficace et suffisamment mesuré pour que son coût reste acceptable.

Pour calculer le montant d’une taxe carbone pesant sur les combustibles fossiles, il est d’abord nécessaire de valoriser la tonne de CO2.

Pour évaluer la rentabilité des investissements publics de transport, la valeur de référence utilisée en France, depuis 2001 (16), est de 27 euros par tonne de CO2, ce qui correspond à une valeur de 100 euros par tonne de carbone (17).

Afin de déterminer la valeur du carbone dans la perspective de la réduction d’un facteur 4 des émissions françaises de gaz à effet de serre, le Centre d’analyse stratégique a réalisé, à la demande du Premier ministre, une étude complète sur la valeur tutélaire du carbone (18).

L’hypothèse de base de cette étude est l’engagement de l’Union européenne de réduire ses propres émissions de 20 % à l’horizon de 2020. Ceci correspond au paquet énergie climat adopté fin 2008. Par ailleurs, l’Union européenne affiche l’objectif d’une réduction de 60 à 80 % de ses émissions à l’horizon 2050. L’effet d’entraînement des efforts européens serait alors de nature à permettre une réduction de moitié des émissions mondiales. Ainsi serait atteint l’objectif de plafonner le contenu en CO2 de l’atmosphère à la valeur de 450 parties par million équivalent CO2 (ppme).

La valeur tutélaire de la tonne de CO2 devrait alors croître selon le tableau ci-après.

LES VALEURS DU CO2 RECOMMANDÉES PAR LE RAPPORT QUINET

(en euros par tonne)

 

2010

2020

2030

2050

Valeur en euros de la tonne de CO2

32

56

100

200

(150-350)

Source : La valeur tutélaire du carbone, Conseil d’analyse stratégique, juin 2008

Sur la base de 32 euros par tonne de CO2, il est possible de calculer le montant de la taxe carbone pour un litre de supercarburant, selon le tableau ci-après.

CALCUL INDICATIF DE LA TAXE CARBONE SUR LE SUPERCARBURANT AVEC UNE VALEUR TUTÉLAIRE DU CO2 DE 32 EUROS / TONNE DE CO2

Paramètre

Équivalence

Source

Contenu en carbone du supercarburant

85 – 92 gCO2 / MJ

University of California, A Low-Carbon Fioul Standard for California, – Part I : Technical Analysis, Project managers : Alexander, E. Farrell (UC Berkeley) & David Sperling (UC Davis), August 2007

Valeur tutélaire du CO2 en 2010

32 euros par tonne de CO2

Rapport Quinet Conseil d’analyse stratégique

Taxe carbone pour un litre de supercarburant

8,95 – 9,69 centimes d’euros

 

La création de la taxe carbone entraînerait donc une augmentation de l’ordre de 7 % du prix du carburant à la pompe ce qui est important en période de crise et alors que les solutions de remplacement, notamment les véhicules électriques, ne sont pas encore disponibles. C’est dans ces conditions que le Gouvernement propose de limiter dans l’immédiat à 17 euros/tonne la valeur tutélaire du CO2, ce qui ramènerait l’augmentation des prix à 5,1 centimes d’euros par litre de super sans plomb 95 et 5,4 centimes par litre de gazole.

Cette position est compréhensible dans le contexte économique et social actuel mais elle n’est acceptable que si un échéancier pluriannuel est fixé permettant d’atteindre le plus rapidement possible le montant prévu par le rapport Quinet.

L’impact sur les prix à la pompe pourrait être limité si parallèlement les taux de TIPP applicables aux différentes sources d’énergie étaient progressivement harmonisés. Rappelons qu’en Suède, le prix à la tonne de CO2 est aujourd’hui fixé à 108 euros, sans pour autant que le prix du carburant à la pompe soit plus élevé qu’ailleurs, les autres taxes ayant été allégées.

Proposition n° 2 : Valoriser le carbone le plus rapidement possible au montant de 32 euros la tonne.

C.– QUESTION 3 : QUELS REDEVABLES ?

La contribution devrait toucher les émissions de CO2 du secteur diffus - transports, résidentiel, tertiaire, petite industrie, transports, agriculture, pêche – soit 70 % des émissions en France.

Quant aux secteurs soumis aux quotas, les rapporteurs estiment qu’aussi longtemps que les quotas sont gratuits, c’est-à-dire jusqu’en 2012, une exonération ne pourrait se justifier qu’au regard des contraintes particulières des activités les plus soumises à la concurrence internationale et aux risques de délocalisation. À partir de 2013, la contribution se limiterait à la différence entre le montant de la taxe carbone et la charge que constituera le prix des quotas.

Proposition n° 3 : N’exclure a priori aucun des secteurs couverts par les quotas.

D.– QUESTION 4 : QUELLES EXONÉRATIONS ?

Les pays ayant mis en place une fiscalité écologique ont tous prévu des exonérations. Au Royaume-Uni, les Climate Change Agreements permettent aux consommateurs intensifs en énergie d’obtenir une réduction de 80 % de la taxe en contrepartie d’un engagement à mettre en œuvre des mesures d’efficacité énergétique. Au Danemark, les entreprises ont la possibilité de conclure des accords volontaires de réduction de leurs émissions s’accompagnant d’une baisse de leur taxe. La Suède quant à elle, a prévu des réductions en faveur de l’agriculture, de l’horticulture et de l’aquaculture ainsi que pour les industries classées « intensives en énergie », c'est-à-dire celles pour lesquelles le coût de la taxe carbone représente plus de 0,5 % de la valeur ajoutée.

Les rapporteurs mettent tout de même en garde contre la tentation de multiplier les exonérations, qui affaiblirait le caractère incitatif du dispositif et menacerait le respect du principe d’égalité devant l’impôt.

Sur la base de 32 euros/tonne, selon une étude de l’ADEME, une contribution climat-énergie devrait avoir un faible impact global – de l’ordre de 0,08 % – sur la valeur ajoutée. Il ne s’agit là que d’une valeur moyenne. Certains secteurs étant beaucoup plus exposés, notamment les transports, l’agriculture et la pêche ainsi que l’industrie chimique pour lesquels l’impact serait respectivement de 2 %, 1,7 % et 0,78 %.

Conscients des difficultés graves que connaissent certains secteurs - agriculture et pêche – et des contraintes particulières qui résultent de la concurrence internationale – transport routier –, ils estiment toutefois que des dérogations ponctuelles et temporaires doivent être accordées. D’une manière générale, ils appellent à préférer les compensations aux exonérations.

Proposition n° 4 : Limiter strictement le champ et la durée des exonérations.

E.– QUESTION 5 : QUELLES COMPENSATIONS POUR LES MÉNAGES ?

La loi dite « Grenelle 1 » pose très explicitement le principe de la compensation intégrale de la taxe carbone. Celle-ci ne saurait donc être regardée comme un prélèvement supplémentaire.

Encore faut-il que les modalités de la restitution soient précisément fixées. Il ne s’agit pas de rendre à chaque contribuable ce qu’il aura acquitté au titre de la taxe, mais d’alléger globalement, à due concurrence, les sommes qui auront été versées par les ménages et par les entreprises. Avec une valorisation de la tonne de carbone à 17 euros, le produit attendu de la taxe carbone serait de l’ordre de 4 milliards d’euros, partagés à parts égales entre les ménages et les entreprises.

1.– Critère du revenu

Les ménages qui paieront les sommes les plus élevées sont ceux qui habitent les logements les plus vastes, roulent dans les voitures les plus puissantes et voyagent le plus souvent. La « jet society » sera, en valeur absolue, plus sollicitée que les contribuables les plus modestes... Mais si l’on prend en compte la part du revenu consacré aux dépenses énergétiques, on constate qu’elle se situe à 15 % pour les ménages situés dans le dernier quintile contre 6 % pour ceux se situant dans le premier quintile.

DÉpenses ÉnergÉtiques des mÉnages par type d'Énergie
selon leur quintile de revenu

(en % du revenu net d'impôt sur le revenu)

Source : ADEME, INSEE, Enquête budget des ménages 2006.

Si, en valeur absolue, les ménages les plus touchés seront les plus aisés, proportionnellement aux revenus, il s’agira des ménages les plus modestes. Les rapporteurs soulignent qu’il conviendra d’en tenir compte dans le calcul des restitutions. Les annonces gouvernementales font état d’une compensation globale de 160 euros, versée à tous les ménages.

Les rapporteurs sont favorables au mécanisme proposé par le Gouvernement qui consiste à consentir un abattement sur l’impôt sur le revenu, à faire un « chèque vert » aux ménages qui n’y sont pas assujettis.

Pour autant, ils estiment qu’une modulation devrait également être prévue en fonction des revenus des ménages. Le versement d’une somme de 160 euros présente peu d’intérêt pour une famille très aisée. Il aurait au contraire un impact significatif sur le pouvoir d’achat des familles à revenu modeste. Un abattement sur les restitutions accordées aux premières permettrait donc de majorer d’autant les restitutions aux secondes.

Proposition n° 5 : Moduler les restitutions en les réservant aux ménages à revenu modeste et moyen.

2.– Critère du lieu de résidence

Les ménages ruraux sont plus directement concernés que les autres par la variation du prix de l’énergie. Ils consacrent 12 % de leur revenu aux dépenses énergétiques contre 5 % pour les Franciliens – même si ce dernier chiffre masque de vraies disparités entre habitants de Paris intra-muros, habitants de la petite couronne et de la grande couronne – et 9 % pour les habitants d’une grande agglomération.

Or ce n’est ni dans le monde rural, ni dans la deuxième couronne des grandes villes que se trouvent, d’une manière générale, les titulaires de revenus les plus élevés. Et ce n’est pas dans le monde rural que les transports collectifs sont les plus denses. Les rapporteurs estiment donc que les restitutions de la taxe carbone aux ménages devraient être modulées en fonction du lieu d’habitation de manière à tenir compte de l’impact de cette charge sur les budgets. Il serait particulièrement injuste de faire des ruraux les victimes de la politique d’étalement de l’habitat pratiquée pendant des décennies.

Proposition n° 6 : Majorer les restitutions servies aux ménages des campagnes, des petites villes et des périphéries urbaines, non desservies par les transports en commun.

DÉpenses ÉnergÉtiques des mÉnages selon leur commune de rÉsidence

(en % du revenu net d’impôt sur le revenu)

Source : ADEME, INSEE, Enquête budget des ménages 2006.

F.– QUESTION 6 : QUELLES COMPENSATIONS POUR LES ENTREPRISES ?

Selon les informations actuellement disponibles, la réforme de la taxe professionnelle se traduirait pour les entreprises par un allégement de charges de 4 milliards d’euros. Cette somme est largement supérieure à la charge supplémentaire qui pèserait sur elles du fait de la taxe carbone, charge évaluée à 2 milliards d’euros. Globalement, l’avantage tiré de la réforme de la taxe professionnelle peut être regardé comme constituant pour les entreprises une compensation à la création de la taxe carbone.

Il reste que cette compensation ne sera que très partielle pour les secteurs et les professions les plus tributaires de déplacements routiers : transport terrestre ou fluvial de marchandises et de passagers, taxis, VRP… Il en va de même des secteurs fort consommateurs de carburants, au premier rang desquels l’agriculture et la pêche, qui connaissent par ailleurs des difficultés structurelles.

Il importe donc de veiller à ce que la création de la taxe carbone ne compromette pas la compétitivité de secteurs déjà fragilisés par la concurrence internationale. Dans ce cas, les mesures d’exonérations doivent être strictement limitées dans leur montant et dans le temps aux difficultés rencontrées par les entreprises de ces secteurs.

Proposition n° 7 : Considérer que le bénéfice tiré de la réforme de la taxe professionnelle constitue pour les entreprises une compensation globale à la création de la taxe carbone.

G.– QUESTION 7 : QUEL RENDEMENT ?

Les experts estiment que quel que soit le taux, la part ménage et la part entreprise représentent chacune la moitié du produit fiscal attendu. L’évaluation la plus fine possible de cette répartition devra être vérifiée chaque année dans l’optique d’une juste compensation.

RENDEMENT PRÉVISIBLE DE LA TAXE

Valeur du CO2(en euros/tonne)

32

21

17

15

Rendement attendu de la CCE
(en milliards d’euros)

8,3

5,5

4,5

4

S’agissant du produit global attendu de la taxe carbone, il est du fait que l’objectif étant d’inciter les consommateurs à changer de comportement, l’assiette du prélèvement fiscal aura tendance à diminuer. Certains font valoir que, pour la taxe carbone soit un succès, elle doit à terme en arriver à détruire elle-même son assiette et qui ne saurait donc être regardée comme une ressource pérenne.

Les observations faites dans les pays qui ont précédé la France sur ce terrain ne confirment pas cette analyse, l’impact de la baisse de la consommation sur le produit final étant dans l’ensemble compensé par l’augmentation progressive et régulière du taux d’imposition.

Le graphique ci-après fait apparaître que le produit de la taxe exprimé en proportion du PIB reste à peu près stable au fil du temps.

L'Évolution du produit de la fiscalitÉ carbone

(en % du PIB)

Source : ADEME.

Les rapporteurs estiment donc qu’il est impératif de faire évoluer sensiblement le taux de la taxe carbone en vue d’obtenir les résultats les plus probants possibles en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de l’annoncer dès l’instauration de la contribution.

Proposition n° 8 : Annoncer dès l’instauration de la taxe carbone le rythme prévu pour le relèvement de son taux.

H.– QUESTION 8 : QUELLE HARMONISATION AU NIVEAU EUROPÉEN ?

Même si elle est globalement compensée, même si elle donne lieu les premières années à des mesures d’exonération au bénéfice des secteurs les plus fragiles, la taxe carbone constituera au fil du temps une charge supplémentaire pour les entreprises qui ne réduiront pas leur consommation de carburants fossiles.

Il est donc important qu’en s’engageant à « verdir » sa fiscalité, la France ne place pas les secteurs économiques qui ne bénéficient pas de situation de substitution, dans une situation de fragilité par rapport à la concurrence internationale.

Cette concurrence est d’abord intra-communautaire. On ne peut donc que regretter que les propositions faites par la France en vue d’une harmonisation européenne ne soient pour le moment suivies d’aucun effet. Et on ne peut qu’espérer que le sommet de Copenhague marque dans ce domaine une avancée.

Cet effort, s’il était consenti par la totalité ou au moins une large majorité des États membres de l’Union, permettrait à l’Europe d’envisager l’instauration d’une taxe aux frontières. L’enjeu qui s’attache à une telle mesure est considérable.

L’instauration d’une taxe aux frontières est juridiquement possible. Les accords du GATT de 1995 permettent en effet que, en leur article XX, aux États membres de l’Organisation mondiale du commerce d’adopter des mesures de sauvegarde de l’environnement, selon des régimes respectant des conditions strictement définies.

Politiquement, l’Europe serait fondée à s’engager dans cette voie si elle acceptait elle-même d’amorcer une généralisation de la fiscalité écologique. L’enjeu d’une application de la taxe carbone à tous les pays européens est donc essentiel non seulement pour notre pays mais également pour les échanges extérieurs de tous les pays européens.

Proposition n° 9 : Harmoniser les dispositifs fiscaux des pays européens de manière à envisager ensuite une taxe aux frontières.

CONCLUSION

Reste à rendre « acceptable » cette réorientation de notre fiscalité vers l’écologie. C’est peut-être le plus difficile, d’autant que les mécanismes de restitution sont complexes et risquent d’être mal compris.

Il faudra donc faire un important effort de pédagogie. L’objectif est de bâtir un consensus durable sur les objectifs à long terme. Les rapporteurs ont conduit leurs travaux dans un esprit « transpartisan » et considèrent que la question environnementale est suffisamment grave pour l’avenir de l’humanité pour qu’elle ne soit pas l’otage de considérations d’une autre nature.

En vue de son acceptation par le public, le discours qui accompagne la mise en place de la contribution doit être clair, courageux et persévérant.

EXAMEN EN COMMISSION

A.– COMMUNICATION DU MERCREDI 9 SEPTEMBRE À 11 H 30

M. le président Didier Migaud. Le volet fiscal du projet de loi de finances pour 2010 s’annonçant chargé, notre Commission va anticiper ses débats sur deux thèmes importants : la contribution climat–énergie ainsi que la réforme de la taxe professionnelle. Ce matin, nos rapporteurs d’information sur la fiscalité écologique, qui avaient été désignés le 24 juin dernier, vont nous présenter les éléments généraux d’appréciation sur ce sujet.

M. Michel Diefenbacher, rapporteur. Il s’agit d’un sujet d’actualité polémique, mais Jean Launay et moi-même avons mené un travail serein et sommes parvenus à une position commune sur la plupart des questions. À la veille des arbitrages qui doivent être rendus par le Président de la République et le Premier ministre, nous ne proposons pas une solution toute prête mais plutôt des éléments pour réfléchir et réagir à ce qui va être proposé par l’exécutif.

Les enjeux économiques et écologiques au plan mondial sont désormais connus, et toutes les analyses convergent : le réchauffement climatique observé est dû de façon certaine à l’activité humaine. Ce réchauffement s’est accéléré au cours des cinquante dernières années, et risque encore de doubler d’ici à 2050, selon les scénarios les plus pessimistes. D’après le rapport Stern du 30 octobre 2006, le coût d’un statu quo en matière en matière environnementale pourrait représenter, à l’horizon 2050, entre 5 % et 20 % du PIB mondial par an. Si Claude Allègre met en cause la fiabilité des analyses, il a rappelé hier, lors d’une interview à la radio, qu’il est urgent de maîtriser les émissions de gaz à effet de serre. La génération du baby-boom, à laquelle nombre d’entre nous appartiennent, est parfois mise en cause pour son attitude peu responsable en matière de dette publique et d’écologie : elle tient là une occasion de se rattraper au moins en partie.

Le protocole de Kyoto est le fruit de discussions internationales qui ont commencé dans les années 80. En 1988 a été créé le Groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). En 1992, le sommet de Rio de Janeiro a abouti à l’adoption d’une convention cadre sur le changement climatique. Enfin, le protocole de Kyoto, signé en 1997, a fixé des objectifs de réduction des émissions de dioxyde de carbone, le CO2, ainsi qu’une méthode pour les atteindre : celle de quotas répartis par pays.

Toutefois, force est de constater qu’aujourd’hui, ces objectifs sont hors d’atteinte pour l’Union européenne et la France en particulier. Ainsi, la France, qui aurait dû stabiliser ses émissions de CO2 depuis 1990, les a augmentées de 1,9 %. L’Allemagne a réduit ses émissions de 13,4 %, alors qu’elle aurait dû les réduire de 21 %, et le Royaume-Uni de 3,1 %, contre un objectif de baisse de 12,5 %. Même si l’économie française est moins émettrice en valeur absolue que celle de ses partenaires, ses performances sont donc médiocres.

Signalons que les engagements de la France ne portent pas uniquement sur les émissions de CO2 mais sur l’ensemble des gaz à effet de serre. Globalement, le pouvoir de réchauffement de la France a baissé de 6,3 % depuis 1990 ; mais un élément de fragilité persiste : les émissions de CO2 qui représentent 70 % de l’ensemble des émissions et poursuivent leur croissance.

Une analyse détaillée montre que les deux secteurs responsables de ce dérapage en France sont les transports (+ 19,2 % d’émissions de CO2 entre 1990 et 2007) et, à un moindre degré, le secteur résidentiel et tertiaire (+ 3,2 %). Les autres secteurs ont réduit leurs émissions. Or, les quotas de CO2 ne portent pas sur ces deux secteurs mais uniquement sur l’industrie.

Des deux moyens de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, les négociations internationales ont privilégié les quotas par rapport à la fiscalité, car la souveraineté des États se heurte à toute velléité d’harmonisation fiscale. Par ailleurs, les quotas présentent des avantages : ils sont fixés en fonction des caractéristiques des secteurs industriels, ce qui permet de prendre en compte leurs spécificités techniques et leur compétitivité ; en outre, ils donnent lieu à la création d’un marché d’échange de quotas qui permet une optimisation des dépenses d’investissement en matière d’économies d’énergie.

Au sein de l’Union européenne, la directive ETS – Emission trading scheme – s’applique depuis le 1er janvier 2005. Elle a fixé le cadre du marché des quotas concernant les émetteurs intensifs de CO2, soit 12 000 grands établissements européens, en particulier des secteurs de l’énergie et de la chimie. Les quotas sont fixés par pays puis par établissement. À titre transitoire jusqu’au 31 décembre 2012, les quotas leur sont alloués gratuitement ; ils seront payants chaque année à partir de 2013.

De 2005 à 2007, les quotas ont été alloués à des niveaux élevés, de sorte que peu d’établissements dépassaient leur quota. Il en est résulté un faible prix sur le marché secondaire et un manque d’acheteurs. Les allocations ont été moins généreuses pour la deuxième période – 2008-2012. En conséquence, le prix de la tonne sur le marché secondaire est plus élevé. Il est clair que l’efficacité de ce système n’est pas encore à la hauteur des objectifs de Kyoto.

Le « paquet énergie – climat » qui a été adopté en décembre 2008 sous la présidence française de l’Union européenne fixe comme nouvel objectif la réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020 par la mise aux enchères des quotas (toutefois, des droits d’émission gratuits seront alloués aux industries exposées aux délocalisations, tant qu’un accord international n’est pas trouvé) et par la réduction des émissions des secteurs non soumis aux quotas : transports, bâtiments, agriculture… L’objectif assigné à la France pour ces secteurs est une réduction des émissions de 14 % par rapport à 2005. L’Europe n’est pas seule à s’être engagée dans le système des quotas : l’administration Obama a clairement choisi le système du marché de quotas. Les quotas d’émission seront au cœur du sommet de Copenhague de décembre prochain.

Le système des quotas connaît toutefois des limites. Il est lourd pour les administrations qui doivent calculer les émissions, les répartir et les contrôler. Un autre inconvénient est que les quotas ne sont répartis qu’entre grandes entreprises industrielles. Ils ne s’appliquent ni au transport ni au logement qui représentent pourtant 70 % des émissions de CO2 en France et 60 % au niveau européen. Ces « émissions diffuses » ne peuvent être touchées que par la fiscalité.

M. Jean Launay, rapporteur. S’ils ont prouvé leur intérêt pour des secteurs ciblés comme l’industrie, les systèmes de droit à polluer doivent donc être combinés avec des moyens nouveaux, comme la fiscalité écologique, afin de susciter des économies d’énergie.

Introduite en Finlande en 1990, la taxe carbone y atteint désormais un niveau élevé de 80 euros par tonne de dioxyde de carbone rejeté pour le fioul léger et de 880 euros pour l’essence sans plomb. Dans un pays comme la Suède, souvent citée en exemple, la taxe sur l’énergie a été introduite en 1991 à un niveau fixé à 27 euros par tonne tandis que les taux des autres taxes sur l’énergie étaient abaissés de moitié et de larges exonérations étaient octroyées.

M. le président Didier Migaud. Cette taxe atteint aujourd’hui près de 108 euros par tonne.

M. Henri Emmanuelli. Il serait intéressant de comparer ce chiffre avec la taxe intérieure sur les produits pétroliers payée par les consommateurs français…

M. Gilles Carrez, rapporteur général. À ce niveau, la taxe carbone représente vingt-deux centimes par litre de carburant. Lorsqu’a été introduite cette taxe en Suède, en 1991, le mécanisme de plafonnement de la fiscalité énergétique mis en place a justifié une réduction de la taxe intérieure sur les produits pétroliers qui existait déjà. En revanche, la taxe carbone a vu par la suite son poids dans la fiscalité énergétique être renforcé sans diminution des autres taxes. Aujourd’hui, la part de la fiscalité dans le prix des carburants en Suède est comparable à celle dont s’acquittent les consommateurs français.

M. le président Didier Migaud. Tout juste rentré d’un déplacement en Suède, j’ajoute que la fiscalité écologique repose là-bas sur deux éléments distincts : d’une part, la taxe carbone et, d’autre part, la taxe sur l’énergie. La fiscalité française, elle, ne distingue pas ces éléments.

M. Henri Emmanuelli. Seul le coût de l’énergie pour le consommateur final est réellement intéressant…

M. Michel Bouvard. En Allemagne, le secteur métallurgique bénéficie d’un régime fiscal adapté. Quelles exonérations sectorielles pourraient être envisagées ?

Mme Aurélie Filippetti. Comment a évolué le taux de cette taxe carbone en Suède, depuis sa création ?

M. le président Didier Migaud. Les comparaisons internationales sont très éclairantes. Il faut rappeler à cet égard qu’il existe en Suède une distinction entre le secteur des services et l’industrie, ainsi qu’une prise en compte spécifique des contraintes de l’agriculture et du secteur forestier.

M. Jean-Pierre Balligand. En Suède, aucune dérogation n’est ouverte en faveur des particuliers alors qu’il en existe de nombreuses pour les entreprises.

M. Jean Launay, rapporteur. Nos voisins allemands ont, depuis 1999, mis en place une taxe sur les combustibles fossiles et l’électricité dont le taux a été régulièrement augmenté. Le produit de ces taxes a permis de réduire les cotisations de retraite.

En France, dès 1999, la fiscalité écologique avait commencé à prendre forme avec la création de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, réunissant plusieurs taxes spécifiques, notamment sur les déchets, les incinérateurs ou les émissions polluantes. Il a cependant fallu attendre 2005 et la loi d’orientation de la politique énergétique pour que les prémices du Grenelle de l’environnement fussent posées. En 2008, le rapport Quinet a proposé une valorisation à 32 euros de la tonne de dioxyde de carbone ; ce chiffre est repris par la commission présidée par Michel Rocard qui vient de publier ses conclusions.

M. Michel Diefenbacher, rapporteur. La taxe carbone qui est projetée en France s’apparente à une taxe sur la consommation de pétrole, de charbon et de gaz. Notre pays est déjà en pointe en la matière, même si nos performances en matière de rejets de dioxyde de carbone sont en train de se dégrader, notamment sous l’effet du développement du transport routier.

Il me paraît fondamental de s’attarder sur l’article 2 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement, dite « Grenelle 1 ». Il prévoit en effet que l’État étudiera la création d’une contribution dite « énergie climat » en vue d’encourager les comportements sobres en carbone et en énergie. Cependant, la phrase suivante est plus ambiguë en disposant que cette contribution aura pour objet la taxation des consommations d’énergies fossiles. Enfin, le principe d’une compensation par une baisse des prélèvements obligatoires, de façon à préserver à la fois le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises, est clairement affirmé.

L’instauration de cette contribution permettrait le redéploiement des consommations d’énergie et la consolidation de l’avantage comparatif de l’économie nationale en incitant les particuliers à réduire leur consommation d’énergie, en incitant les industriels à privilégier des produits plus économes en énergie, en rééquilibrant l’assiette des prélèvements obligatoires qui pèseraient moins sur le travail et, enfin, en anticipant dans l’aménagement du territoire les contraintes futures sur la gestion de l’énergie, en particulier par le développement des transports collectifs.

M. Jean Launay, rapporteur. Parmi les questions sur lesquelles le Parlement devra se prononcer, trois nous semblent de première importance. Quelle sera l’assiette de la contribution climat énergie ? Quel en sera le taux ? Comment sera employé son produit ?

Deux assiettes alternatives pourraient être retenues pour cette contribution. La première hypothèse qui consisterait à asseoir la taxe sur le contenu en carbone des produits est séduisante mais, de l’aveu des experts que nous avons rencontrés, elle paraît peu praticable sur le plan technique. La seconde hypothèse repose sur l’idée de taxer directement les consommations d’énergies, soit fossiles avec une taxe carbone, soit fossiles et électriques sous la forme d’une contribution climat – énergie.

Dans tous les cas, il sera nécessaire de mettre en adéquation l’assiette et les finalités de cette nouvelle contribution afin de satisfaire aux exigences du juge constitutionnel, garant du respect du principe d’égalité devant l’impôt. Rappelons à cet égard la censure de l’extension de la TGAP par le Conseil constitutionnel le 28 décembre 2000.

Une deuxième série de choix à opérer portera sur le prix du carbone, qui devrait évoluer en fonction des objectifs de réduction des émissions que s’est fixés l’État, soit, par rapport à 2005, 14 % en 2020 et 75 % en 2050. La commission Quinet sur la valeur tutélaire du carbone avait évalué la tonne de CO2 à 32 euros en 2010, avec une trajectoire croissante, à 56 euros en 2020, 100 euros en 2030 et 200 euros en 2050. Le rapport Rocard, remis cet été, a repris la valeur du carbone à 32 euros la tonne, ce qui représente, pour les carburants, une augmentation de 7,7 centimes par litre pour le super et de 8,5 centimes pour le gazole.

Se posera ensuite la question des redevables de la taxe. Celle-ci touchera d’abord le « secteur diffus » – transports, résidentiel, tertiaire, petite industrie, artisanat, agriculture, pêche. Mais faut-il assujettir aussi les secteurs concernés par le marché des quotas, qui représentent 93 % des émissions de l’industrie, fortement exposée à la concurrence internationale ? Trois solutions sont envisageables : l’exonération, l’assujettissement jusqu’en 2012, tant que les quotas sont alloués gratuitement, ou la contribution différentielle. L’impact de la contribution serait faible, selon les études de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Pour un taux de 32 euros la tonne de CO2, elle représenterait globalement 0,08 % de la valeur ajoutée, même si certains sous-secteurs seraient plus exposés : 0,78 % de la valeur ajoutée pour l’industrie, 2 % pour les transports, 1,7 % pour l’agriculture et la pêche.

Il convient ensuite de s’interroger sur la nécessité de prévoir des exonérations pour certains secteurs exposés. En effet, au Royaume-Uni, des Climate Change Agreements permettent aux consommateurs intensifs en énergie d’obtenir une réduction de 80 % de la taxe en contrepartie d’un engagement à mettre en œuvre des mesures d’efficacité énergétique. Au Danemark, les entreprises ont la possibilité de conclure des accords volontaires de réduction de leurs émissions s’accompagnant d’une baisse de leur taxe. Il serait en tout état de cause souhaitable de limiter les exonérations pour ne pas désactiver la contribution climat énergie avant son instauration et ne pas parasiter le débat.

M. Michel Diefenbacher, rapporteur. Quel serait l’impact d’une telle contribution sur les ménages ? On sait en effet que le poids des dépenses énergétiques est plus fort chez les ménages modestes. En combinant les critères du revenu et du lieu de résidence, on aboutit à la conclusion que ce sont les ménages les plus pauvres et les ménages ruraux qui seront les plus touchés, notamment parce que les ménages ruraux consacrent 12 % de leur revenu à des dépenses énergétiques contre 5 % pour les Franciliens et 9 % pour les habitants des grandes agglomérations.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. S’agissant des Franciliens, il faut préciser que les disparités sont fortes en termes de coût de transport, surtout entre les Parisiens et les Franciliens de la première couronne d’une part et le reste des Franciliens d’autre part.

M. Jean Launay, rapporteur. On peut ensuite s’interroger sur le rendement immédiat d’une telle contribution. Les chiffres rendus publics par l’ADEME montrent que le rendement de la contribution climat énergie s’établirait entre 4 et 5,5, voire 8,3 milliards d’euros, selon que la valeur de la tonne de CO2 serait fixée à 15, à 21 ou à 32 euros.

M. le président Didier Migaud. Il serait toutefois intéressant de connaître la part respective des ménages et des entreprises dans ces rendements, au vu de mécanismes de compensation différents, et cela, afin de mieux évaluer la portée du dispositif.

M. Michel Diefenbacher, rapporteur. En effet. La part des ménages devrait être très proche de la moitié du rendement attendu. Il faut également savoir quel serait le rendement de la contribution dans la durée. Une question se pose souvent : la fiscalité sur le carbone peut-elle conduire à une disparition de sa base fiscale ? L’exemple des autres pays montre que les variations sont peu importantes : la mise en place d’une fiscalité sur le carbone conduit à une diminution de la consommation largement compensée par une augmentation des taux, ce qui explique une certaine stabilité des courbes du rendement de ce type de fiscalité.

M. Jean Launay, rapporteur. Enfin, quelles compensations prévoir s’agissant de la contribution climat énergie ? Pour favoriser la transition énergétique, pour les entreprises, il peut être envisagé de baisser d’autres prélèvements pesant sur le travail ou sur l’investissement. On peut toutefois se demander si la baisse de la taxe professionnelle ne constitue pas déjà une compensation pour les entreprises. Il serait également possible de renforcer les incitations fiscales ou les aides budgétaires pour encourager les comportements sobres en énergie. Par ailleurs, pour les ménages, un chèque vert universel ou sous condition de ressources peut être envisagé. Des transferts budgétaires ou une incitation fiscale pourraient également représenter une modalité de compensation.

Pour conclure, il conviendrait avec cette nouvelle fiscalité de favoriser la transition énergétique, en réorientant l’industrie de notre pays : cela pourrait d’ailleurs représenter un avantage de compétitivité économique pour nos entreprises.

Le problème principal d’une contribution climat énergie reste son acceptabilité. Il convient, d’une part, d’assurer un équilibre fiscal entre les ménages et les entreprises, et d’autre part, de s’interroger sur le principe du maintien des prélèvements obligatoires à un niveau constant. Je regrette quant à moi que le verdissement de la fiscalité se fasse dans un cadre figé alors qu’il serait possible d’envisager une véritable réorientation de la fiscalité vers les enjeux environnementaux. Pour finir, il ne s’agit pas de punir, mais de motiver. Et il faut prendre garde à l’importance de la parole qui accompagnera la mesure.

M. le président Didier Migaud. Ce travail permet d’éclairer les termes du débat, et je remercie nos deux rapporteurs pour la qualité de cette présentation. Par ailleurs, je rappelle que la Commission auditionnera dès la semaine prochaine Mme Lagarde et M. Borloo sur cette question, alors que les arbitrages auront vraisemblablement été rendus.

M. Jean-Pierre Gorges. La taxe carbone n’aura pas, à mon sens, d’influence sur le réchauffement climatique : en effet, la France est l’un des meilleurs élèves en Europe en termes d’émission. Par comparaison, l’augmentation annuelle de la consommation de carbone en Chine est égale à la production annuelle totale en France. Il faudrait plutôt regarder du côté des émissions de méthane, qui sont plus importantes et qui relèvent d’un processus naturel. Deuxièmement, la taxe carbone ne fera pas diminuer la consommation, car à un niveau de l’ordre de 3 à 4 centimes sur des produits d’ores et déjà taxés, le seul effet sera une légère augmentation des prix. Enfin, cela ne rapportera rien à l’État, car cette taxe n’a qu’une finalité redistributive. La solution à ce problème doit donc être internationale. Il convient de développer d’autres idées, par exemple en réfléchissant à une meilleure prise en compte de la consommation d’énergie éolienne.

M. Pierre-Alain Muet. La vocation d’une taxe écologique est précisément de permettre une prise en compte du coût de l’activité économique sur l’environnement. Il faut justement que cela se répercute dans les prix : c’est le but de ce type de fiscalité. Il s’agit d’influer sur les prix, quitte à ensuite prévoir des dispositifs de compensation pour certains consommateurs. En revanche, il convient de savoir comment, dans ce dispositif, on peut prendre en compte les importations, dont l’acheminement est coûteux en énergie.

En outre, il ne faut pas oublier que si le poids de la TIPP est important en France, notre taux d’imposition de la fiscalité écologique reste relativement faible comparativement avec les autres pays européens : ainsi, elle représente 1,5 % du PIB en France contre 2,5 % au Danemark ou en Suède.

Il est en tout état de cause indispensable que cette taxe soit entièrement reversée.

M. Jean-François Lamour. Cette taxe doit normalement inciter nos compatriotes à changer de culture. Certains secteurs seront donc affaiblis face à la concurrence, en particulier les transports routier et aérien. Quelles mesures préconisez-vous, essentiellement en matière de transport de passagers, pour qu’on ne voie pas les tarifs augmenter au-delà d’un seuil concurrentiel ? Si la tonne passe de 14 à 100 euros, comment pouvez-vous assurer que l’usager aura une vraie alternative en matière de transports en commun, et que l’on ne trouvera pas un tarif SNCF légèrement inférieur à celui de la route ou de l’avion ? Il existe en effet des mécanismes qui permettent une taxe non pas punitive mais incitative, pour favoriser le changement de comportements.

Le deuxième secteur totalement délaissé est celui des services à la personne. On sait qu’il est très consommateur de déplacements et par ailleurs créateur d’emplois. Aura-t-on là aussi des aménagements ? On ne peut pas demander de moins se déplacer – ou de se déplacer autrement – et en même temps alourdir les charges.

Le troisième secteur qui échappe à toute fiscalité est celui du réseau d’intérêt général, constitué en particulier par le million d’associations actives en France. L’éventualité de « chèques verts » ou de réductions fiscales leur serait donc sans intérêt. Cela constituerait une charge supplémentaire et un pouvoir d’achat écorné pour des personnes bénévoles. Est-ce que les rapporteurs ont vu, lu ou imaginé un dispositif permettant le maintien du pouvoir d’achat ?

M. Alain Rodet. Ce débat serait plus facile si les statistiques des tribunaux de commerce n’étaient pas aujourd’hui si inquiétantes pour l’industrie et les services – seule la grande distribution se portant bien. Que faire pour la fiscalité sur la grande distribution, qui n’est pas à un niveau très élevé ? Le prochain débat sur la taxe professionnelle permettra d’aborder ce sujet.

M. Michel Bouvard. Le rapport est clair et les rapporteurs doivent en être remerciés. Sur la taxation de l’énergie, il faut éviter les erreurs commises lors de la réforme de la taxe générale sur les activités polluantes – TGAP –. Il faut différencier les taxations énergétiques dès l’origine. Un certain nombre d’entreprises font des choix relatifs à l’origine de l’électricité, avec une traçabilité grâce à la norme ISO – International organization for standardization – 14001 de l’Organisation internationale de la normalisation, qui signifie qu’elles n’utilisent pas d’électricité en provenance de centrales thermiques, même en période de pointe. Il faut encourager ces choix de production d’électricité propre et conforter les règles de compétitivité. La taxation doit aussi répondre à des principes temporels, car on rémunère peu la capacité des industriels à interrompre la production durant les périodes de pointe, pendant lesquelles on recourt à des centrales thermiques, les plus polluantes du réseau.

Le problème français est essentiellement le transport routier. Nous dépassons de 1,9 % les objectifs de Kyoto, avec, pour le seul secteur des transports qui représente plus du tiers de l’ensemble, une croissance de 19,2 % de la pollution. Cette dérive nécessite des mesures plus fortes sur les transports que, par exemple, sur l’habitat. Il faut aussi se poser une question non traitée par le Grenelle de l’environnement, à savoir l’absence de retour sur investissement des travaux dans le bâtiment, en particulier sur une partie du parc social. C’est contraire à toute logique économique.

Les contraintes géographiques doivent également être prises en compte, car certaines zones sont plus consommatrices d’énergie et certains secteurs sont plus éloignés. Il faudra trouver des mécanismes adaptés car on ne devra pas aboutir à une taxation de la ruralité. L’affectation de la ressource peut poser un problème de nature constitutionnelle au regard du principe de l’universalité budgétaire contenu dans la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF. Une ressource qui serait affectée à un opérateur ou à un compte spécial au sein du budget de l’État serait une contrainte supplémentaire dans la construction budgétaire, a fortiori si elle venait en substitution de diminutions d’autres ressources. Une recette fiscale ordinaire aujourd’hui affectée à des dépenses compensée par une dépense affectée aboutirait à une impasse totale.

Il serait utile de disposer d’un tableau comparatif des régimes de taxation dans les pays de la zone euro et de l’Union européenne. Il est en effet important pour notre pays de se situer car les enjeux industriels sont tels que l’absence de convergence et d’actions communes nous exposerait à de grandes difficultés, sauf à multiplier les exonérations et à vider de tout sens la démarche.

M. Gérard Bapt. Pour compléter le propos de M. Michel Bouvard, l’affectation du produit de la contribution énergie climat ne suppose-t-elle pas la mise en place d’un compte d’affectation spéciale ?

Le Président Didier Migaud. On peut respecter le principe de non affectation au sein du budget général avec une recette nouvelle d’un côté et des dépenses de l’autre. La neutralité économique pour les ménages et les entreprises est le résultat d’une volonté politique. Elle n’impose pas de créer un compte d’affectation spéciale ou tout autre support budgétaire d’une affectation de recette. Nous aurons à prendre des décisions politiques de dépenses ou d’atténuation de recettes, parce que nous avons la volonté de faire en sorte que ce soit à prélèvement constant. Il s’agit d’une réorientation de la fiscalité, réorientation qui devrait d’ailleurs s’étendre à la prise en compte des sujets de justice fiscale.

M. Michel Bouvard. Le problème de la réaffectation des subventions doit être soulevé.

M. Gérard Bapt. Dans le cas d’une restitution au nom de l’équité sociale, comment distinguera-t-on entre deux foyers également modestes celui qui doit être dédommagé parce qu’il a consommé plus d’énergie ?

M. Jean-Yves Cousin. L’exposé des rapporteurs est clair. Nous serons soumis à deux logiques contradictoires : la volonté de soumettre les émissions de carbone à une taxation, en soi parfaitement légitime, et les dispositions du Grenelle de l’environnement prévoyant des exonérations et des abattements en faveur des régions périphériques. Comme on l’a rappelé, les transports ont augmenté leur pollution d’environ 19 % depuis 1990. Comment va-t-on prendre en compte les importations ? Ce sujet ressemble à une pelote de laine : plus on tire le fil et plus les questions se posent. Un accord fondamental existe sur cette fiscalité et je partage toutes les conclusions des rapporteurs. Mais tant de réflexions sont suscitées et tant d’interrogations se posent… Il s’agit d’un débat difficile mais passionnant.

Mme Aurélie Filippetti. Le travail bipartisan des rapporteurs est remarquable sur un sujet touchant à la transition écologique de notre économie. Il faut assurer l’acceptabilité sociale de la fiscalité écologique en rappelant les objectifs recherchés et l’urgence écologique à laquelle nous sommes confrontés : augmentation de 2 à 4 degrés de la température d’ici 2050 et nécessité de diviser au moins par quatre nos émissions de CO2 d’ici là, faute de quoi nous nous exposerions à des conflits sociaux ou géopolitiques pour l’accès aux ressources naturelles. Ce problème de justice sociale touche particulièrement les populations les plus précaires, au sein de nos sociétés comme dans les pays du Sud. Il faut poser la question de la « taxe Cambridge » pour l’industrie afin d’engager une réflexion sur la fiscalité sur les importations, pour décider ce que l’on fait aux frontières de l’Europe.

C’est parce que les populations précaires, ou les plus pauvres, sont celles dont la part du budget consacré à l’énergie est la plus forte – 15 % –, que cette taxe est en elle-même un objectif de justice sociale. Elle incitera au changement des comportements, avec une diminution de la consommation énergétique et une baisse des factures de ceux qui actuellement paient le plus. Le principe même de fiscalité écologique est un principe de justice sociale, en faisant que « ceux qui paient le plus paient le moins » demain.

On considère toujours plus nos concitoyens comme des consommateurs que comme des travailleurs ou des acteurs économiques. Il y a un intérêt à ce que la France soit un bon élève en matière écologique en ce sens que la contribution climat-énergie renchérira le coût des produits non vertueux du point de vue énergétique. On développera ainsi un marché de masse pour des produits « verts », dont la diminution des prix les rendra accessibles au plus grand nombre, et dont la production contribuera au développement de notre économie et à la transition énergétique.

M. Henri Nayrou. Si l’exposé des rapporteurs était clair, le débat montre la complexité des enjeux. Quelle est la vraie finalité d’une telle contribution : émettre moins de dioxyde de carbone ou rapporter plus de recettes ? Comment pourra-t-on prendre en compte les équilibres territoriaux pour taxer les émissions ? Les campagnes ne sont certainement pas les plus gros pollueurs. Ne vaudrait-il pas mieux en revenir au principe du pollueur-payeur ?

M. Marc Goua. On se plaint à juste titre du manque de compétitivité de nos entreprises. Ne faudrait-il pas exonérer celles-ci pour leur consommation d’électricité, dont on sait qu’elle est à 70 % d’origine nucléaire et qu’elle n’émet donc pas de dioxyde de carbone ?

M. Michel Diefenbacher, rapporteur. Il me semble que les mécanismes de compensation doivent être à la fois simples et compréhensibles par tous. S’agissant de la taxation de l’électricité, il ne me paraît pas envisageable de l’exonérer totalement dans la mesure où une partie de l’électricité demeure en France produite à partir d’énergies fossiles.

M. Jean Launay, rapporteur. Je forme le vœu que nos travaux communs permettent d’éclairer les choix de la Représentation nationale dans son ensemble. Il faut surtout se garder de deux illusions que sont, d’une part, la confiance dans la pérennité de la ressource pétrolière et, d’autre part, l’idée selon laquelle le changement climatique n’aurait de conséquences néfastes qu’à long terme.

——fpfp——

B.– AUDITION DU MERCREDI 16 SEPTEMBRE À 17 H 30

M. le président Didier Migaud. Nous accueillons M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi, et Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État chargée de l’Écologie, pour évoquer la contribution énergie climat qui constituera une disposition majeure du projet de loi de finances pour 2010.

Afin de guider sa réflexion, la commission a désigné deux rapporteurs d’information issus de la majorité et de l’opposition, Michel Diefenbacher et Jean Launay. La semaine dernière, ils nous ont présenté les enjeux et les grandes options de la contribution climat-énergie dans un esprit de consensus. Selon les objectifs que se sera fixés le législateur, c'est-à-dire une taxe carbone ou une taxe climat-énergie, l’assiette de cette contribution devra être limitée à la consommation de combustibles fossiles ou étendue à celle d’électricité, notamment d’origine nucléaire. Nos rapporteurs nous ont rappelé que le Conseil constitutionnel avait annulé en 2000 l’extension à l’énergie de la taxe générale sur les activités polluantes – la TGAP – qui faisait l’objet d’une motivation inappropriée.

Par ailleurs, le rapporteur général et moi-même avons mis à profit une rencontre interparlementaire à Stockholm pour nous informer sur l’expérience de la Suède, pays pionnier dans la taxation des émissions de carbone, qui comporte des réussites indéniables, mais n’apporte pas de solution définitive. En taxant la tonne de CO2, de 27 euros en 1991 à 108 euros en 2008, la Suède a réduit ses émissions de 9 % tandis que son PIB augmentait de plus de 40 %. Mais cette réduction a été obtenue en partie à l’aide de délocalisations vers des pays aux règles moins contraignantes. De plus, le système est complexe, les exonérations multiples et les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des attentes. Si les modes de chauffage de l’habitat se sont modifiés, la lutte contre la pollution dans les transports s’est révélée plus décevante.

S’agissant des redevables de la future contribution, la commission s’est accordée sur les risques liés à une multiplication des exonérations. Pour autant, la question des secteurs exposés devra être examinée, en particulier pour les établissements industriels qui, à compter de 2013, devront payer leurs quotas annuels d’émissions. Les questions des commissaires ont été nombreuses et devraient l’être aussi après vos exposés.

M. le rapporteur général Gilles Carrez. Auparavant, je souhaiterais appeler l’attention des membres du Gouvernement sur les difficultés que la commission des finances de l’Assemblée nationale rencontre dans la préparation de ce projet de loi de finances. La présentation en Conseil des ministres a été repoussée au 30 septembre, ce qui réduit encore les délais dont nous disposons pour examiner des réformes colossales : suppression de la taxe professionnelle, introduction de la taxe carbone,… Il faut absolument que nous soient communiquées dans les jours qui viennent des simulations concernant l’impact de la réforme de la taxe professionnelle sur les collectivités territoriales, sur les contribuables perdants. Il nous faudrait aussi, pour pouvoir nous prononcer, des éléments précis sur les modalités de compensation, les exonérations, et l’impact de la contribution énergie-climat sur les différents secteurs.

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'Écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer. Je prends très à cœur les remarques de votre rapporteur général qui seront transmises au plus vite au Premier ministre et au Président de la République car il faut éviter les erreurs et les malentendus. La contribution climat-énergie est un élément du compromis historique sur la nécessité d’opérer une mutation de l’économie dans le sens d’une plus grande sobriété. Cet axe de croissance stratégique implique en même temps tous les acteurs de la société réunis dans le Grenelle de l’environnement. Mais la contribution climat-énergie n’est que la partie d’un tout qui nous a fait prendre de l’avance sur nos obligations et nos objectifs en matière d’émissions de gaz à effet de serre.

Souvenez-vous, le bonus-malus écologique vous a été présenté au départ comme un message adressé en fait aux constructeurs, mais ses détracteurs ont nié son impact en n’y voyant qu’une vignette déguisée. Le résultat est que le nouveau parc français réduit ses émissions de gaz à effet de serre douze fois plus vite que le parc européen, soit un gramme par mois contre un gramme par an. Encore plus important, les constructeurs européens ont pris conscience que la voiture décarbonée était la condition de leur survie à une échéance de trois ou quatre ans. Alors que les rapports des constructeurs français tablaient sur un déplacement de 2 % du marché, nous en sommes à 52 %. Il s’est passé quelque chose : qui aurait imaginé que le dispositif présenté il y a un an et demi, et considéré par certains comme une simple niche fiscale, permettrait, dès 2013, de faire du véhicule décarboné un produit de marché de masse ?

La contribution climat-énergie était un des éléments du compromis historique conclu entre les syndicats, les collectivités, le Parlement et dont je suis le notaire scrupuleux pour préserver la confiance dont ont été empreints les débats. En vertu de l’article 2 de la loi, voté à l’unanimité, « l’État étudiera une contribution climat-énergie qui pèsera sur les énergies fossiles et qui sera compensée de telle manière qu’elle n’affectera pas le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises. » Nous nous sommes efforcés de la rendre aussi simple que possible. La conférence de consensus présidée par Michel Rocard, qui apporte à l’action publique l’éclairage des experts, a conclu d’abord que cette contribution était nécessaire ; ensuite, qu’il fallait aller vite ; enfin, que l’important était la progressivité dans le temps. Par ailleurs, il ne fallait pas toucher à la compétitivité des entreprises et accorder aux ménages une sorte d’allocation universelle qui tienne compte des réalités de terrain, notamment de la desserte en transports en commun, dont l’absence oblige les couples à avoir deux voitures.

Nous vous proposons donc qu’une commission composée de parlementaires garantisse que les sommes collectées seront intégralement redistribuées et que l’écologie n’est pas un prétexte pour alourdir les prélèvements obligatoires. Dans un souci de crédibilité, nous commencerons par verser les restitutions sous la forme d’un chèque ou d’une baisse forfaitaire du premier acompte de l’impôt sur le revenu, de façon à ce que les gens se rendent compte que l’on taxe le carbone, et pas les ménages. C’est la raison pour laquelle nous avons écarté l’idée d’un fonds dédié à des actions d’accompagnement en faveur des économies d’énergie. Avec la possibilité d’utiliser l’argent à autre chose, le risque aurait été trop grand de susciter la défiance. La contribution énergie-climat doit être neutre, et elle n’est destinée qu’à nous préparer au pétrole cher qui finira de toute façon par nous rattraper.

M. le président Didier Migaud. Les notaires sont des gens précis. Nous attendons donc plus de détails…

Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi. En voici quelques-uns.

S’agissant du champ d’application, il sera très vaste mais en seront exclues les entreprises éligibles au marché des émissions de CO2, pour ne pas leur infliger une sorte de « double peine » ; le transport maritime et aérien, soumis à une réglementation communautaire les exonérant d’accises ; et l’agriculture ainsi que la pêche qui seront assujetties progressivement pour leur laisser le temps de s’adapter. Le transport routier bénéficiera d’un mécanisme particulier et novateur destiné à faire finalement peser la taxe sur les chargeurs. Les routiers paieront donc le supplément de 4,1 centimes par litre, se le feront rembourser comme la TIPP, et le refactureront ensuite aux chargeurs qui régleront l’État. Le dispositif sera le même, que le transporteur soit français ou étranger.

M. Charles de Courson. À condition que le carburant soit acheté sur le sol français.

Mme la ministre. Nous avons imaginé le système le moins pénalisant pour les constructeurs routiers, qui doivent néanmoins être soumis à la taxe puisqu’ils sont à l’origine d’une grande partie des émissions de CO2.

S’agissant du niveau, nous avons retenu un prix moyen, 17 euros par tonne, pour avoir un point de repère. Cela revient à majorer le litre de gazole de 4,52 centimes et celui de super ou d’essence de 4,1 centimes. Il s’agit avant tout d’un signal prix, destiné à évoluer sous l’autorité d’une commission « verte » dans laquelle les parlementaires devraient être nombreux.

Le projet sera inscrit dans le projet de loi de finances que vous examinerez à partir du 15 octobre, après sa présentation en conseil des ministres le 30 septembre, soit une semaine plus tard que d’habitude. Des simulations par catégorie d’entreprises seront disponibles avant la fin de la semaine prochaine. Le mécanisme entrera en vigueur le 1er janvier 2010 et le versement aux ménages prendra la forme soit d’un crédit d’impôt à valoir sur le premier tiers provisionnel, soit d’un chèque vert pour les non-imposables, de façon à prouver que l’État ne prend rien au passage. Le calcul tiendra compte à la fois de la composition de la famille et de la zone d’habitation, selon que la commune bénéficie ou non d’un plan de transport. C’est le critère le moins contestable pour différencier les urbains et les ruraux, même s’il n’est pas parfait.

Le climat n’a pas été retenu comme critère parce que, dans les régions chaudes, on chauffe moins mais on climatise plus.

M. Jérôme Cahuzac. Surtout dans les logements sociaux ! C’est une plaisanterie.

Mme la ministre. L’électricité a été exclue dans la mesure où, sauf en période de pic de consommation, elle est produite sans émettre de CO2, à partir du nucléaire et de l’hydraulique surtout, qui relèvent en outre des quotas.

M. le rapporteur général Gilles Carrez. Comme l’a dit notre président, il faut examiner le dispositif dans ses détails. Il est très important de réussir l’intégration de la taxe carbone dans notre paysage fiscal car ce n’est pas une taxe comme les autres. Elle n’a pas vocation à fournir des ressources pérennes au budget de l’État. Par exemple, en Suède où elle a été introduite en 1991, elle a frappé d’abord les carburants, mais, dans un premier temps, le prix à la pompe n’a pas été modifié grâce à un abaissement de l’équivalent de notre TIPP. Ce n’est que dans un deuxième temps que la taxe a été relevée progressivement pour arriver aujourd'hui à 108 euros par tonne. Nous avons choisi un autre système, celui d’une restitution intégrale aux ménages et d’un allégement concomitant de 8 milliards d’euros de la taxe professionnelle pour les entreprises. Comment envisagez-vous, Monsieur le ministre d’État, l’évolution de cette contribution climat-énergie ? Y aura-t-il des dispositions précises sur ce point dans le texte ou dans l’exposé des motifs ?

En Suède toujours, dès l’origine, l’industrie a été exonérée totalement – même si elle a été rattrapée ensuite par les quotas –, l’agriculture à 75 %, de même que l’industrie forestière. Le débat porte aujourd'hui sur l’opportunité d’aller plus loin dans les exonérations des secteurs non éligibles aux quotas, en particulier l’agriculture. Face aux risques de délocalisation et de perte de compétitivité, la considération économique l’a emporté sur la préoccupation environnementale, même en Suède. Quel sera, madame la ministre, le régime applicable à des secteurs vulnérables comme l’agriculture ou le transport routier ? Quelles modulations faut-il apporter ?

Dans le cadre de la restitution aux ménages, le Gouvernement a choisi un système simple ne retenant que deux critères : la taille de la famille et la zone d’habitation. Je m’attends à voir déposer des dizaines et des dizaines d’amendements pour corriger les imperfections. Jusqu’où êtes-vous prête à aller, madame la ministre, pour prendre en compte les situations particulières ?

M. le président Didier Migaud. Je donne maintenant la parole à nos rapporteurs d’information.

M. Michel Diefenbacher. Je tiens, avant de vous interroger, à souligner la convergence des deux rapporteurs de la mission d’information sur l’intérêt de cette taxe.

Sommes-nous en présence d’une taxe carbone ou d’une contribution climat-énergie ? Il s’agit là d’une question de fond, qui détermine l’assiette. Jean Launay et moi-même sommes plutôt favorables à l’inclusion de l’électricité car il s’agit d’inciter à un changement de comportement. Le chauffage électrique étant dispendieux, il n’est pas certain que l’orientation retenue soit satisfaisante. Ensuite, les pics de consommation sont de plus en plus pointus, et il serait logique de soumettre cette énergie d’origine thermique à la contribution. Enfin, comment inciter les Français à un comportement plus vertueux en excluant la consommation d’électricité ? D’ailleurs, la loi de programme parle bien de contribution « climat-énergie » et non de taxe carbone.

Nous nous interrogeons ensuite sur les conséquences pour la compétitivité de nos entreprises. La taxe carbone créera bel et bien une charge supplémentaire. Le Gouvernement veut éviter la « double peine » en exonérant de la taxe les entreprises relevant des quotas. Or, ils resteront gratuits jusqu’en 2013 et les entreprises assujetties ne supporteront de charge supplémentaire que si elles doivent acheter de nouveaux droits, ce qui est rare car les quotas ont été calculés largement. Peut-on dès lors parler d’un traitement équitable par rapport à celles qui paieront la taxe ? La réforme de la taxe professionnelle va certes alléger les prélèvements sur les entreprises, mais pas forcément sur celles qui seront les plus touchées par la taxe carbone, je pense en particulier à l’agriculture, à la pêche et aux transports. Il existe par ailleurs des professions qui exigent de se déplacer : les VRP, les infirmières libérales, les taxis, les aides à domicile…

Se pose également la question de l’harmonisation européenne. Pour le moment, la règle n’est pas la même dans tous les pays membres. La taxe carbone existe dans les pays scandinaves, en Grande-Bretagne et, dans une certaine mesure, en Allemagne, mais pas en Europe du Sud. Le Gouvernement entend-il prendre une initiative allant dans le sens de la convergence ? Et quelles sont ses chances de succès ?

Nous n’avons pas encore évoqué la taxe aux frontières de l’Union. Est-elle envisageable ? Dans quel délai ?

Je conclus en soulignant l’extrême sensibilité du problème dans nos départements d’outre-mer. N’oublions pas que les événements aux Antilles se sont déclenchés après une augmentation des prix du carburant.

M. Jean Launay. Choisir de fixer pour 2010 le taux de la taxe à 17 ou 32 euros la tonne n’est pas neutre. Comment atteindre l’objectif de 100 euros en 2020 ? On ne peut guère imaginer autre chose qu’une progression linéaire. Une courbe exponentielle signifierait un transfert de la charge environnementale aux générations futures. Demander plus de visibilité se justifie dans le cadre de la programmation pluriannuelle des finances publiques et au regard de notre engagement politique, dit « facteur 4 », de diviser par quatre nos émissions à l’horizon 2050.

S’agissant des compensations aux ménages, pourquoi ne pas les avoir ciblées sur les bas revenus qui, eux, n’ont pas le choix, alors que les ménages aisés choisissent leur mode de vie ? Pourriez-vous détailler davantage le mode de calcul ? Cette compensation sera-t-elle assortie, ou non, de conditions liées à la performance énergétique ? Un effort particulier sera-t-il consenti en faveur des ménages ruraux ? Comment différencier les locataires et les propriétaires ?

Par ailleurs, je crains que les 2 milliards d’euros récupérés sur les entreprises au titre de la contribution climat-énergie ne soient considérés comme une ressource budgétaire classique, au détriment du financement de la transition énergétique. Le signal prix adressé aux entreprises en perdra de sa force.

La France plaidera-t-elle à Copenhague pour une taxe carbone harmonisée au niveau européen ? Quelles sont nos marges de manœuvre face à des pays comme la Chine et l’Inde qui représentaient en 2005 respectivement 18 % et 4,1 % des émissions mondiales de CO2 ?

M. le ministre d'État. L’électricité est un problème, incontestablement, mais, M. Diefenbacher, force est de constater que l’article 2 de la loi parle d’une « taxation des consommations d’énergies fossiles ». Sur le fond, notre choix se justifie aussi par l’existence des quotas pour les industries électriques qui sont au cœur du paquet climat énergie européen. Enfin, on se bat tous pour la voiture électrique décarbonée, pour le photovoltaïque. L’idée de base, c’est l’énergie renouvelable au coin de la rue à laquelle je crois beaucoup. Ayant été ministre du logement, je connais le problème des pointes et des convecteurs. Il sera traité de manière ciblée, au moyen d’une part d’une réforme de la tarification EDF des heures de pointe, et d’autre part grâce à un plan pour l’habitat collectif que le Gouvernement annoncera dans le cadre du congrès de l’Union sociale pour l’habitat.

S’agissant de la tarification des routiers, ma collègue Christine Lagarde lèvera le malentendu.

Oui, nous défendons une extension de la taxe au niveau européen. Elle est inévitable, c’est le sens de l’histoire. Nous défendons également le mécanisme d’inclusion carbone, autrement dit la taxe aux frontières, qui incorpore le coût des quotas d’émission dans le prix des produits en provenance de pays qui n’auraient pas adhéré à des traités internationaux. Mais il ne s’agit pas d’une taxe contre eux. Les Britanniques qui, en Europe, étaient les plus réticents avec les Suédois, viennent de changer d’avis. Nous devrions donc parvenir à un accord.

Oui aussi à la progressivité qui est le vrai sujet – pas le taux. C’est elle qui constitue le signal prix qui sera diffusé pour les vingt ou trente ans à venir. Rien n’est parfait mais, surtout, il faut en rester aux idées simples. Les personnes aisées consommant beaucoup plus – les chiffres le prouvent – que la moyenne, il y aura une redistribution incidente et ceux qui sont en dessous de la moyenne y gagneront dans un premier temps. L’objectif, c’est de changer les comportements.

S’agissant de la conditionnalité de la restitution, nous l’avons exclue, pour écarter la tentation de tricher. Le financement des trams ou des économies d’énergie par le biais de fonds relève du droit commun. Entreront en considération deux paramètres, familial et territorial.

Mme la ministre. Évitons de faire fausse route. Le cœur de cette réforme importante, c’est le signal prix. Mais elle nous fournit aussi l’occasion de redessiner le paysage fiscal par un transfert d’assiette en allégeant la charge qui pèse sur le travail et l’investissement, et en pénalisant la consommation de carbone, afin d’inciter nos compatriotes à des comportements plus vertueux.

À propos des allégements et des compensations, la commission Rocard nous a mis en garde contre un « gruyère fiscal », la multiplication des exceptions risquant de vider le mécanisme de sa substance. Cela étant, des aménagements ne sont pas exclus. Mais il faut veiller à conserver la position la plus cohérente possible.

Quant à la taxe aux frontières, c’est un chapitre essentiel du projet. Être vertueux chez soi, c’est bien, harmoniser, c’est mieux. Le Président de la République est un ardent défenseur de la mise en place d’une taxation aux frontières, que devrait faciliter une lecture attentive du rapport de l’OMC publié au mois de juillet. Et le président américain vient de prendre des mesures à l’encontre des camions mexicains et des produits chinois fabriqués sans considération du réchauffement climatique. Nous aurions tort de nous priver de la possibilité d’instituer une telle taxe aux frontières de l’Union.

L’impact sur la compétitivité des entreprises a été appréhendé par grandes masses, et non secteur par secteur. En tout état de cause, les entreprises seront gagnantes avec la suppression de la taxe professionnelle sur les biens et équipements mobiliers, de l’ordre de 5 milliards d’euros nets d’impôt sur les sociétés, la taxe carbone devant rapporter 3 milliards d’euros hors taxes. Nous avons porté une attention particulière à des branches qui pourraient y perdre, comme le secteur financier. En 2010, il est prévu de rembourser au secteur primaire 75 % de la taxe carbone, en étalant la progressivité qui reste à cadencer. S’agissant des transports routiers, si le transporteur s’approvisionne en France, il paiera la taxe carbone, se la fera rembourser et la refacturera au chargeur. Celui qui aura fait le plein de l’autre côté de la frontière ne paiera pas la taxe carbone, mais il ne se la fera pas rembourser non plus.

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État chargée de l’écologie. Deux précisions. Premièrement, la Suède avait à l’origine exclu l’électricité du champ de la taxe, notamment les biocombustibles. Deuxièmement, pour inciter aux économies d’énergie, il existe, à côté de la tarification heures creuses-heures pleines, le mécanisme des certificats d’économie d’énergie sur lesquels il faudrait mettre l’accent. La Suède est en passe de nous rattraper puisqu’elle prévoit qu’en 2015, les entreprises paieront 60 % de la taxe carbone.

Venons-en à la dimension sociale de la taxe. Une analyse par décile de la population des dépenses de chauffage et de carburant montre que le chèque vert reçu en février profitera aux sept ou huit premiers déciles dans les milieux ruraux, et aux cinq premiers en zone urbaine. Même si ce n’est pas l’objectif visé, la taxe aura un effet redistributif. La Suède n’avait pas pris en compte cet aspect dans sa taxation car elle assigne la fonction de redistribution à d’autres outils, comme l’impôt sur le revenu.

M. le président Didier Migaud. Le problème, c’est que, chez nous, il ne remplit plus ce rôle !

M. Marc Le Fur. Cinq observations. D’abord, la comparaison entre le bonus-malus automobile et la taxe carbone ne me paraît pas très pertinente dans la mesure où le premier intervient dans une décision d’achat alors que la seconde frappe des éléments difficilement modifiables à court terme : la distance domicile-travail, la présence ou non de transports collectifs…

Deuxièmement, la taxe sera mise en place à un moment où le prix à la pompe ne sera pas excessif. S’il devait augmenter sensiblement, je mets en garde mes collègues contre les réactions de l’opinion.

Troisièmement, on distingue les grandes entreprises, qui seront soumises au marché des quotas, un système autrement plus intelligent, soit dit en passant ; et les autres relevant du droit commun. Pourquoi ce qui est bon pour les grandes entreprises ne le serait-il pas pour de plus petites ?

Quatrièmement, la taxe transport obéit à la même logique que la taxe carbone. Quel est l’intérêt de combiner les deux pour les entreprises de transport et de leur infliger une sorte de double peine ? Vous ne me rassurez pas, madame la ministre, en disant que l’affréteur paiera puisque, de toute façon, ce seront les produits transportés qui seront plus chers, en particulier ceux qui viendront des régions éloignées des centres de consommation et qui ne sont desservies que par camion.

Cinquièmement, le chauffage est payé par les locataires, mais ils n’ont aucune prise sur la décision du mode de chauffage qui revient aux propriétaires. Que proposez-vous ?

M. Jérôme Cahuzac. Cette taxe supplémentaire, qui a vocation à modifier les comportements, soulève deux questions. M. Borloo a dit que peu importait son niveau pourvu qu’elle soit progressive. Madame la ministre, madame la secrétaire d’État, qu’en pensez-vous ? Plus important et plus grave, autant on peut espérer modifier le comportement des particuliers, autant votre présentation de la réforme montre qu’il est inutile d’en attendre autant des entreprises puisqu’elles n’auront aucune incitation, 2 milliards d’euros ne servant qu’à boucher une partie du trou creusé par la réforme de la taxe professionnelle.

Les modalités de restitution aux ménages sont sujettes à caution. Vous avez exclu des critères les revenus pour ne retenir que la famille et la localisation géographique. Or il existe des communes étendues, notamment en zone rurbaine, dont une partie est desservie par les transports collectifs, et l’autre pas. Comment seront-elles classées ? Jusqu’où affinerez-vous la segmentation ? Appliquer un même régime serait profondément injuste. Le climat non plus n’a pas été pris en compte au motif que, dans le Nord, on se chauffe et que, dans le Sud, on climatise. Mais dans le premier cas on utilise souvent du fioul et, dans le second, exclusivement de l’électricité qui échappe à la taxe. Il n’y a donc pas d’équité.

Enfin, il semble qu’il y ait une niche fiscale pour ceux qui se chauffent au gaz. Si tel est le cas, qu’envisagez-vous ? Pour pouvoir baisser la TVA sur la restauration, le Gouvernement s’est engagé à renoncer à toute baisse de TVA sur les produits écologiques. À la lumière des résultats obtenus, estimez-vous ce choix judicieux ?

M. Charles de Courson. Le Gouvernement déclare s’être inspiré du bonus-malus dans la conception de cette taxe. On pourrait le suivre, à quelques réserves près, pour les ménages, mais certainement pas pour les entreprises puisqu’il n’existe aucun lien entre la réduction de taxe professionnelle et la taxe carbone. En s’inspirant d’exemples étrangers, il aurait été possible de subordonner le remboursement aux entreprises de la taxe carbone à la signature de conventions, au niveau de la branche ou de l’entreprise, pour modifier les comportements. Qu’en pensez-vous, madame la ministre ?

Le dispositif prévu handicape considérablement la compétitivité de certaines branches. À 17 euros la tonne, le prélèvement représente pour le transport routier 1 % du chiffre d’affaires, soit le résultat net de l’ensemble de la branche. Un tiers de l’activité du transport routier provient de l’international, contre 55 % ou 60 % il y a vingt ans, et cette part va s’effondrer. La situation des entreprises françaises et étrangères ne sera absolument pas équivalente parce que les Polonais, les Portugais, qui sont les plus performants, se sont équipés de super-réservoirs qui leur permettent de traverser la France sans s’approvisionner. La « répercutabilité » est un concept juridique mais pas économique. De toute façon, les chargeurs pourront s’adresser à des Polonais ou à des Tchèques.

Incidemment, êtes-vous si sûre, madame la ministre, que la convention de Chicago interdit d’instaurer la taxe carbone sur le transport aérien ?... Non. L’idéal serait tout de même un système international. Vous avez évoqué le transport maritime. Mais quid du transport fluvial ? Et des transports ferroviaires qui consomment beaucoup de carburants fossiles ? Toutes les lignes ne sont pas électrifiées, celles qui servent au fret notamment.

Cette taxe respecte-t-elle le principe constitutionnel d’égalité entre redevables et non-redevables ? Entre les entreprises sous quotas et les autres, même si le taux initial que vous avez retenu est cohérent avec le prix des quotas d’émission, encore qu’ils soient gratuits pour le moment ? Le problème, qui a d’ailleurs été soulevé dans le rapport Rocard, ne fera que croître et embellir au fur et à mesure que la taxe augmentera et s’écartera des prix de marché. Êtes-vous sûre aussi que les exonérations de tel ou tel secteur pourront se justifier ? Le cabotage peut-il être exonéré quand, sur un trajet comparable, le transport routier ne l’est pas ?

Enfin, sur les produits auxquels elle s’applique, cette taxe revient à une majoration de TIPP dont le niveau est, selon les pays européens, extraordinairement varié, et particulièrement élevé en France. Ne commet-on pas une énorme faute de raisonnement en s’abstenant d’additionner les deux taxes dans nos comparaisons avec nos partenaires ? Où est la cohérence européenne ? La taxe carbone est-elle compatible avec le droit communautaire ?

M. Jean-Pierre Brard. Je m’inquiète de notre calendrier de travail. Comment étudier des réformes extrêmement complexes que vous improvisez, au moins en partie, parce qu’il a été décidé ailleurs de passer à la vitesse supérieure, et au forceps le cas échéant ? Il ne suffit pas d’y aller à l’esbroufe, les questions de nos collègues le montrent. Vous avez plus d’une semaine de retard sur le calendrier usuel, madame la ministre, puisqu’il est arrivé que le projet de loi de finances soit présenté en conseil des ministres le 15 septembre. En dehors de toute polémique, la discussion sera longue parce que le sujet est compliqué. Vous allez assister à un déluge d’amendements. Comment allons-nous nous en sortir ?

Sous un égalitarisme de façade, en ignorant les réalités, vous allez promouvoir de graves inégalités. Et, madame la secrétaire d’État, je vous invite à venir expliquer vos déciles aux familles qui habitent les HLM de Montreuil. Prévoyez un certain temps et venez avec votre décodeur ! Déjà, vous avez perdu la bataille de l’opinion. Votre système crée l’inégalité sous prétexte de simplicité. Vous avez vu où la simplification pouvait mener… L’exemple suédois, vous avez eu raison de le mettre en avant, madame la secrétaire d’État. Là-bas, on corrige avec l’impôt sur le revenu ! En France, on fait l’inverse.

Par ailleurs, le tout électrique mène à la catastrophe. Or, EDF, qui réalise des profits substantiels, lesquels vont encore grossir avec les hausses de tarif que vous avez autorisées, a beaucoup poussé en ce sens. À ce titre, elle devrait être mise à contribution en tant que telle même si ce n’est pas simple.

Sur un même territoire, les inégalités existent, par exemple entre un Parisien qui habite à la station de métro Châtelet et un habitant de Meaux. Vous n’allez pas les corriger, au contraire. Et ce sera comme la TVA : plus on sera pauvre, plus on sera taxé.

M. Nicolas Perruchot. L’exemple suédois est intéressant puisque ce dispositif a été mis en place en 1991 et que nous disposons d’un certain recul : la taxe s’y élevait initialement à 30 euros ; elle est aujourd’hui de 108 euros pour les ménages et de 23 euros pour les entreprises. Telle que vous l’avez élaborée chez nous, ne constitue-t-elle donc pas une nouvelle imposition pour les ménages que la progressivité, d’ailleurs, ne manquera pas de pénaliser ?

En outre, le système des quotas ayant fait ses preuves pour faire changer le comportement des grandes entreprises, sa généralisation aux PME et aux TPE ne serait-elle pas à la fois plus simple et plus efficace ?

S’agissant de l’électricité, je suis d’autant plus à l’aise pour m’associer aux propos de M. Brard que dans ma bonne ville de Blois, les bailleurs sociaux ont prévu d’installer le « tout électrique » dans l’ensemble des programmes immobiliers des zones à urbaniser en priorité – les ZUP. Nos débats permettront-ils de changer cette situation ?

Enfin, si nous avons l’ambition de modifier les comportements des Français, le Gouvernement changera-t-il quant à lui son comportement à l’endroit des amendements des parlementaires dans le cadre de l’examen du PLF pour 2010 ? Il faut bien le dire : en commission, nous ne parvenons à faire varier la masse budgétaire que de façon infinitésimale. J’espère qu’en séance il n’en sera pas de même et qu’un travail conjoint entre les pouvoirs législatif et exécutif portera ses fruits.

M. François de Rugy. J’entends dire trop souvent que l’opposition n’a pas de projet. Or, dès le mois de mai, j’ai déposé avec trois autres collègues une proposition de loi sur la contribution climat-énergie dans laquelle nous avons défendu l’idée d’une assiette plus large incluant l’électricité : en effet, les pires ennemis de la taxe carbone sont les exemptions, les exonérations, les exceptions : en l’occurrence, l’exclusion de l’électricité, comme l’a dit M. Diefenbacher, est très grave. En effet, contrairement à de ce que prétend M. Borloo, votre objectif n’est pas de tendre vers la sobriété énergétique mais vers le tout électrique – son plaidoyer pour le passage à la voiture électrique, de ce point de vue, m’a effrayé. J’ajoute que les locataires ne pourront pas, eux, changer de comportement, le propriétaire ou le bailleur leur transférant les charges, ce qui ne fera qu’aggraver la situation sociale.

S’agissant de la redistribution, la délimitation entre ruraux et urbains est on ne peut plus floue : je suis moi-même élu d’une communauté urbaine dans laquelle des ruraux habitent dans des hameaux que les transports en commun ne desservent pas. Qu’en sera-t-il pour eux ? Et quid des personnes qui habitent en ville dans un périmètre desservi par des transports en commun mais qui travaillent à la campagne ? Combien de chômeurs, en effet, décrochent des emplois à temps partiel – cueillette des fruits et légumes, services à la personne ?

Enfin, sans vouloir particulièrement défendre les Parisiens, il serait possible de gloser à l’infini sur ceux qui bénéficient ou non de l’éco-prêt à taux zéro ou du crédit d’impôt pour les énergies renouvelables : ne vivent-ils pas plus souvent dans les zones rurales qu’en ville ou en zone pavillonnaire ? In fine, le critère du revenu aurait été beaucoup plus juste que celui du lieu de résidence.

M. Pierre-Alain Muet. L’efficacité de la taxe carbone repose essentiellement sur son montant. Or, selon les experts, le respect du facteur 4 implique un montant de 100 euros en 2030. Pour ce faire, il devrait être aujourd’hui de 45 euros environ, la « commission Rocard » ayant quant à elle proposé un minimum de 32 euros. Le Président de la République a commis une série d’erreurs en ne la suivant pas, en se fondant sur le prix moyen des quotas d’émission et en refusant de taxer les entreprises soumises à ce régime. Nous savons que le marché des quotas ne reflète en rien les objectifs de la société quant à la réduction des gaz à effet de serre (GES). Si l’on avait voulu qu’il en soit autrement, il aurait fallu instituer un prix plancher et taxer les entreprises sous quota de manière différentielle – 32 euros moins 17 par exemple. De surcroît, le système des quotas n’est pas efficace dès lors qu’il ne permet pas de taxer les stocks accumulés de pollution. Une taxe dite écologique fondée sur le marché – quand elle devrait plutôt l’orienter – ne joue pas son rôle.

Par ailleurs, la mise en place d’une véritable taxe implique une réforme fiscale digne de ce nom comme l’ont faite en leur temps les Suédois. Je cite le rapport Rocard : « N’aurions-nous pas beaucoup à gagner à repenser profondément nos prélèvements obligatoires plutôt que de traiter séparément une partie des problèmes posés par le climat ? » Outre que notre système fiscal a longtemps ignoré l’écologie, il est profondément injuste ; sa réforme permettrait de mettre en place une compensation très importante pour les ménages les plus modestes quand, pour les entreprises, la taxe est plus que compensée par la disparition de la taxe professionnelle. À ce propos, qu’en sera-t-il pour les collectivités territoriales ?

Enfin, la non-application de la taxe au transport aérien constitue une aberration même si cela relève de l’Union européenne.

Mme la ministre. L’Europe, précisément, doit montrer la voie comme nous nous y employons, y compris au sein du G20. Les Suédois, cela a été dit, ont ouvert la route et Mme Merkel a jugé positivement la taxe carbone.

S’agissant de la détermination du prix, le rapport Quinet – sur lequel s’est appuyée la « commission Rocard » – préconisait en effet un seuil de 32 euros. En ce qui concerne le signal prix, la somme la plus élevée aurait été bien entendu la meilleure, mais changer les comportements implique de tenir compte d’un seuil d’acceptabilité, raison pour laquelle nous avons choisi 17 euros. Je souhaite, en tout cas, que nous reconnaissions tous le bien-fondé du signal prix dont le rapport Stiglitz souligne également la vertu citoyenne. J’ajoute que l’établissement de signaux de prix différents ouvre la porte à des écarts qui, immanquablement, suscitent un risque de spéculation – d’où la nécessité de se situer au plus près du marché, même si ce n’est pas l’idéal. Enfin, le texte établira le principe de la progressivité de la taxe dans le temps ainsi que les objectifs à atteindre.

Concernant les transports, M. Le Fur, mon exemple était sans doute imparfait mais je vous confirme, ainsi qu’à M. de Courson, que le chargeur paiera, quoi qu’il arrive, la contrepartie de la taxe carbone : il recevra donc du transporteur français l’information sur ce que ce dernier aura dû payer de même qu’il connaîtra le kilométrage parcouru par le transporteur qui n’aura pas fait le plein de gazole sur notre territoire.

M. Charles de Courson. Rien n’oblige à choisir un chargeur français.

Mme la ministre. Par exemple, La Redoute, établie à Roubaix, paiera la taxe carbone dans tous les cas de figure, qu’elle utilise un transporteur qui aurait fait le plein en Belgique ou en France.

M. Charles de Courson. Comment ?

Mme la ministre. L’entreprise devra faire une déclaration indiquant le kilométrage réalisé sur le territoire français ou fournir la facture de la taxe carbone donnée par le transporteur.

M. Marc Le Fur. Il s’agit donc bien d’une taxe transport bis.

Mme la ministre. Je propose que le directeur adjoint de mon cabinet vous apporte les précisions techniques.

M. Yohann Bénard, directeur adjoint du cabinet de Mme la ministre. Il ne faut pas confondre la taxe kilométrique sur les poids lourds, répercutée en « pied de facture », avec la charge qui pèse sur les chargeurs français, qu’ils aient recours à un transporteur polonais, allemand ou portugais par exemple. Le transporteur étranger ne bénéficiera donc d’aucun avantage comparatif par rapport au transporteur français, de même que le transporteur qui fait le plein à l’étranger par rapport à celui qui le fait en France. J’ajoute qu’aucune obligation déclarative n’est créée puisque la distance parcourue est connue.

M. Charles de Courson. Admettons que je possède une entreprise dans la Marne et que j’exporte des marchandises à Berlin. Si je fais appel à un transporteur allemand, belge ou luxembourgeois, comment la taxe carbone sera-t-elle perçue alors qu’un transporteur français, lui, ferait le plein en France et me demanderait immanquablement de la répercuter ?

M. le directeur adjoint. Le chargeur français paiera la taxe au titre de la partie du transport effectuée en France, qu’elle le soit par un transporteur belge ou portugais.

M. Charles de Courson. Comment envisagez-vous de procéder dans le domaine des importations où le coût du transport est intégré dans le prix de la marchandise ?

M. le directeur adjoint. Le transporteur étranger vous facturera ses services, en tant que chargeur français. Rappelons que le terme « chargeur », qui peut prêter à confusion, équivaut à « affréteur » ou « donneur d’ordre ».

M. Charles de Courson. Mais je ne connais pas le coût des services !

M. le directeur adjoint. Vous connaîtrez forcément le kilométrage parcouru.

M. Charles de Courson. Admettons que je fasse livrer de Berlin des machines outils port inclus, comment déterminer le coût du transport ? La rupture d’égalité est flagrante !

M. le directeur adjoint. La distance de transport figurera sur la « lettre de voiture », laquelle servira de base à la taxation.

M. Charles de Courson. Calculer la distance entre Berlin et mon entreprise et estimer une consommation moyenne relève, c’est le cas de le dire, de l’usine à gaz !

M. Marc Le Fur. Autant organiser un transport aérien !

Mme la ministre. Outre que nous continuerons de réfléchir tous ensemble à ces questions fort complexes, je suis très sensible à votre travail pour améliorer ce projet : croyez bien que le Gouvernement restera à votre écoute.

Les entreprises, M. Cahuzac, accéderont à une forme de bonus : à l’instar des ménages, elles pourront tendre à une réduction de leur consommation de carbone en changeant leurs comportements et bénéficier ainsi de ce que j’appelle « le super-bonus ». Par ailleurs, l’exonération de taxe professionnelle des biens et équipements immobiliers favorisera leurs investissements.

M. Charles de Courson. Le conventionnement constituerait une bonne solution.

Mme la ministre. Mme la secrétaire d’État vous répondra sur ce point.

M. de Rugy a eu raison d’insister sur l’inégalité entre urbains et ruraux ainsi que sur la difficile distinction des zones. C’est précisément pour cette raison que nous avons retenu le principe des périmètres de transports urbains (PTU) – critère qui nous a semblé le moins imparfait –, lequel s’applique à des villes et à des communes entières.

M. Jérôme Cahuzac. Toute la commune doit-elle être desservie par les transports urbains ou bien une partie seulement ?

Mme la ministre. Les PTU s’appliquent sur une base communale, non sur des parcelles de communes.

M. Jérôme Cahuzac. Les réseaux de transport en commun ne desservent parfois qu’une partie de la commune !

M. Charles de Courson. Quid des personnes qui quittent leur travail dans la nuit alors qu’il n’y a plus de transports en commun ? Les femmes qui finissent de travailler à onze heures ou minuit seront-elles obligées de prendre ce type de transports ?

Mme la ministre. Nous réfléchirons ensemble à ces questions.

S’agissant par ailleurs de la constitutionnalité du texte, nous avons réalisé un certain nombre de consultations et d’études ; j’espère, en particulier, que le projet est conforme au principe d’égalité devant l’impôt, de même qu’il l’est au droit communautaire.

Enfin, convention de Chicago ou pas, la directive communautaire de 2003 exclut les transports aérien ou maritime du principe des accises.

Mme la secrétaire d’État. Sans investissement lourd, il est possible de réduire notre consommation d’énergie de 15 % à 20 % en modifiant par exemple l’utilisation du chauffage : un degré de moins représente 7 % d’économie d’énergie.

Nous avons par ailleurs souhaité l’installation d’une « commission verte » comprenant des parlementaires, des représentants d’ONG ainsi que les partenaires sociaux afin d’évaluer et d’adapter la progressivité de la taxe en cas d’évolution importante du prix de l’essence à la pompe.

À ce jour, 1 100 établissements, représentant 80 % des émissions de gaz à effet de serre, sont sous le régime des quotas. Les autres émissions, dites de « diffus », doivent quant à elles baisser de 14 % d’ici 2020, mais cela suppose de déterminer le bon niveau de quotas d’origine et de prendre en compte la forte volatilité de ce marché, laquelle est moins supportable pour des PME et des TPE.

Nous estimons que les évolutions de prix de la tonne de CO2 seront comprises entre 18 et 24 euros jusqu’à 2010 et proche de 32 euros en 2 012. À partir de 2013, aucun quota ne sera gratuit et un système d’enchères sera mis en place, le système devenant ainsi beaucoup plus juste.

M. Charles de Courson. Jusqu’en 2013, la rupture d’égalité est patente.

Mme la secrétaire d’État. Elle l’est tout autant aujourd’hui entre les secteurs relevant du marché de quotas, dit « ETS » –prévu par la directive Emission trading scheme – et les autres.

M. Charles de Courson. Il est toujours possible de se protéger au regard du droit communautaire.

Mme la secrétaire d’État. Plusieurs pays européens appliquent la taxe carbone sans qu’il y ait rupture d’égalité : elle s’élève à 20 euros au Danemark, entre 30 et 50 euros en Finlande, 10 et 40 euros en Norvège, 17 et 34 euros au Royaume-Uni. Je note par ailleurs que la Suède, progressivement, dispense les secteurs soumis au marché ETS de la taxe carbone.

M. le président Didier Migaud. La Suède assume le fait qu’il s’agit là d’un impôt pour les ménages.

Mme la secrétaire d’État. En effet.

M. le rapporteur général. Le taux de TVA s’élève tout de même à 25 %.

Mme la secrétaire d’État. De plus, les Suédois n’ont pas déterminé de critères sociaux.

M. le président Didier Migaud. Leur système fiscal diffère également du nôtre.

M. le rapporteur général. Et l’impôt sur le revenu y est très progressif.

Mme la secrétaire d’État. Si la TIPP française est en effet plus élevée que la moyenne européenne, notre fiscalité énergétique – notamment en raison d’exonérations sur le charbon, le fioul lourd et le gaz – est globalement plus basse puisque nous nous situons au vingt-et-unième rang européen.

M. Charles de Courson. En ce qui concerne le gaz, nous continuons à financer une politique visant à développer l’exploitation du gaz de Lacq alors qu’il n’y en a plus.

Par ailleurs, on peut vous reprocher de ne pas avoir différencié le taux de la taxe carbone par rapport au taux de TIPP sur le gaz et le charbon. Avez-vous réalisé des simulations afin de réduire cet écart ?

Mme la secrétaire d’État. Elles figurent dans le Livre blanc avec les hypothèses de taxe additionnelle et différentielle, l’application de cette dernière étant très délicate.

M. Charles de Courson. Pourquoi ?

Mme la secrétaire d’État. Non seulement cela ne donnerait pas un bon signal aux consommateurs mais elle est quasiment inapplicable en raison de sa complexité.

Le secteur aérien échappe quant à lui à la taxe carbone et au marché ETS en vertu de la convention de Chicago.

M. le président Didier Migaud. Si le président Chirac avait réussi à mettre en place une taxe spécifique sur les billets d’avion, il serait possible de taxer davantage ce secteur.

Mme la secrétaire d’État. En tout état de cause, le système des quotas, qui en l’occurrence sera payant à partir de 2013, pourra inclure l’ensemble des vols internationaux.

En ce qui concerne les transports fluviaux, aucun système de compensation n’est en revanche prévu malgré les importants problèmes de pollution qui se posent. Le fret ferroviaire, quant à lui, bénéficiera du plan d’investissement de 7 milliards d’euros, afin notamment de remettre à niveau le matériel roulant.

Par ailleurs, les normes de construction à l’horizon de 2012 dites de « basses consommations » – 50 kWh par m² et par an – permettront aux locataires de n’utiliser l’électricité que comme chauffage d’appoint.

M. Jérôme Cahuzac. Qu’en est-il de ceux qui ne vivront pas dans ce type de logement ?

Mme la secrétaire d’État. Il est vrai que le chauffage électrique est présent dans 70 % des constructions mais, dans ce cas-là, il existe des dispositifs d’incitation à la rénovation même si les ménages souffrent aujourd’hui du prix erratique de l’électricité : pour le premier décile de revenus, la dépense est passée de 10 % à 15 % des revenus entre 2001 et 2006.

M. Charles de Courson. Comme l’a fait valoir M. de Rugy, en tant que propriétaire, il est toujours possible d’investir dans les économies d’énergie mais tel n’est pas le cas d’un locataire qui verra la taxe répercutée dans ses charges. De quelle marge de manœuvre dispose-t-il ? Il est piégé !

Mme la secrétaire d’État. L’éco-prêt à taux zéro a été étendu aux propriétaires, avec une dotation de 1,2 milliard d’euros et des prêts à taux super-bonifiés, et nous avons mis en place un plan important de rénovation des HLM, en particulier pour les 100 000 logements sociaux les plus dégradés. La « loi Boutin » du 25 mars 2009 a également créé un dispositif d’incitation à la réalisation de travaux. Quoi qu’il en soit, il est vrai que les marges de manœuvre des locataires demeurent étroites.

Outre que tous les pays n’utilisent pas le principe du conventionnement pour les entreprises, nous ne nous situerions plus dans la logique d’un transfert de fiscalité des investissements productifs aux activités polluantes. Il est certes toujours possible d’en parler mais il faudrait mettre en place un encadrement très contrôlé.

M. Charles de Courson. C’est l’État qui en serait le garant.

Mme la secrétaire d’État. Nous n’y sommes guère favorables.

M. Charles de Courson. Vous ne pourrez pas expliquer longtemps aux transporteurs routiers qu’ils doivent payer la taxe alors que le transport aérien, responsable de 3 % des gaz à effet de serre, en est exonéré.

Mme la secrétaire d’État. Le transport aérien ne sera pas exonéré puisqu’il passera dans le secteur ETS.

M. Charles de Courson. Parlons-en en 2013 et, d’ici là, exonérez les transporteurs routiers !

Mme la secrétaire d’État. Le transfert modal entre les secteurs routier et aérien est très faible.

M. Charles de Courson. Tel n’est pas le cas avec le secteur maritime.

Mme la secrétaire d’État. Cela dit, il est toujours possible de trouver un système transitoire pour le secteur aérien.

Quoi qu’il en soit, nous devons en revenir aux fondamentaux et si l’on exclut de la taxe carbone le secteur du transport, autant ne rien faire ! Il faut garder à l’esprit l’objectif de cette réforme.

M. le président Didier Migaud. Je vous remercie.

——fpfp——

C.– RÉUNION DU MERCREDI 23 SEPTEMBRE À 16 H 30

M. le président Didier Migaud. Le premier des rapports d’information soumis à notre examen cet après-midi porte sur la contribution climat-énergie. Il représente le point d’aboutissement d’un travail d’instruction préalable conduit depuis que Michel Diefenbacher et Jean Launay ont été chargés le 24 juin dernier d’une mission d’information sur la fiscalité écologique. Il s’agissait de préparer notre examen des dispositions annoncées dans le projet de loi de finances pour 2010. Désormais, le sujet est délimité : ces dispositions porteront sur la contribution climat-énergie, dont l’intitulé semble rester sujet à débat.

Le 9 septembre, ils nous ont donc présenté les enjeux de cette contribution, les choix politiques à exercer et les paramètres à déterminer. Le 15 septembre, au cours de l’audition de Jean-Louis Borloo, Christine Lagarde et Chantal Jouanno, nous avons poursuivi nos échanges sur la base des options annoncées par le Gouvernement.

Aujourd’hui, il convient de nous prononcer sur la publication du rapport reprenant ces différents éléments, après les remarques de récapitulation des rapporteurs. C’est sur la base des dispositions du projet de loi de finances que la discussion pourra ensuite véritablement s’engager.

Peut-être les rapporteurs pourront-ils également se prononcer sur l’opportunité de poursuivre leur mission d’information après le vote de la loi de finances, tant pour assurer le suivi des mesures prises que pour poursuivre la réflexion sur la fiscalité écologique.

M. Jean Launay, rapporteur. Au cours de nos réunions des dernières semaines, le sujet a été largement débattu, mais il reste d’actualité, puisqu’il sera à l’ordre du jour de nos travaux sur le prochain projet de loi de finances.

On constate une prise de conscience de la nécessité de la contribution climat-énergie. Le consensus scientifique est bien établi : d’une part, le réchauffement et les perturbations climatiques sont dus à l’activité humaine. D’autre part, les réserves de pétrole et de gaz naturel sont en voie d’épuisement, alors même que la demande d’énergie est appelée à s’accroître du fait de la croissance démographique et du développement économique, notamment dans les pays émergents. En effet, le GIEC mis en place dès 1988 par l’Organisation météorologique mondiale estime dans son dernier rapport que le réchauffement climatique est sans équivoque une réalité. Pourtant, comme l’a dit le précédent Président de la République, « la maison brûle et nous regardons ailleurs ». Nous vous proposons de regarder le problème en face, dans sa double dimension écologique et économique.

Un rappel historique n’est pas inutile. M. Rocard, auditionné ce matin par la commission du Développement durable et par la commission des Affaires économiques, rappelait l’appel de La Haye, lancé en 1989 par 24 pays industrialisés pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ensuite, il y a eu Rio de Janeiro et des objectifs non chiffrés avant Kyoto, entré en vigueur en 2005 et qui vise une réduction de 5 % des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2012 grâce à la mise en œuvre d’un système de quotas.

Au cours de nos précédents débats en Commission, il a été dit que nous aurions déjà les outils de lutte contre les changements climatiques avec la réglementation et le système des quotas – système que M. Rocard a critiqué en redisant à quel point il fonctionnait mal, notamment en suscitant des transactions spéculatives, et à quel point il avait « encombré » le travail de son groupe d’experts. Même s’ils ont leur pertinence, ces outils ne suffiront pas à atteindre les objectifs du « facteur 4 » ni l’objectif français de réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020. En effet, ces outils ne permettent pas de lutter contre les émissions dues au secteur diffus – transport et chauffage – qui représente 70 % des émissions françaises. Il faut ajouter à ces outils un dispositif fiscal qui permettra de changer les comportements par le biais d’un signal prix.

Concernant l’assiette de la contribution climat-énergie, nous avons débattu entre nous et nous souhaitons le moins d’exonérations possible en vue de ne pas dénaturer la taxe. J’assume ici une divergence avec mon collègue Michel Diefenbacher sur l’inclusion de l’électricité dans l’assiette. L’ère de l’abondance énergétique est derrière nous et nous devons encourager un comportement sobre en énergie, électricité comprise. Agir autrement risque de conduire à des transferts importants de consommation vers l’électricité et, en tout état de cause, n’incite pas à la réduction de la consommation.

En ce qui concerne la compensation, la mise sous conditions de ressources de la compensation me paraît indispensable. Il faut une redistribution en faveur des ménages « captifs » et des familles nombreuses.

M. Michel Diefenbacher, rapporteur. Globalement, nos travaux ont été consensuels.

Je voudrais revenir sur cinq points qui à mon sens font débat.

D’abord la question de l’assiette et de l’électricité. Il faut un signal-prix essentiellement sur les pics de consommation. Mais faut-il donner ce signal par une taxe ou par le biais du tarif de l’électricité ? Ma position n’est pas arrêtée, mais je pencherais plutôt vers le tarif.

S’agissant du montant de la taxe, il semble difficile de remettre en cause le montant de 17 euros par tonne de CO2, mais il faudra être attentif ultérieurement aux modalités de sa réévaluation.

L’articulation de la taxe et des quotas a été soulevée. Nous sommes tombés d’accord sur le fait que tant que les quotas sont gratuits pour les entreprises qui n’ont pas besoin de suppléments – c'est-à-dire jusqu’au 31 décembre 2012 –, il n’y a aucune raison de les exonérer de la contribution. Au-delà, une taxe différentielle devra s’appliquer.

Sur la compensation aux entreprises, la suppression de la taxe professionnelle suffit à mon sens, même si l’agriculture ou d’autres professions devront bénéficier de dispositions spécifiques. Pour les ménages, une compensation globale est prévue par le Grenelle, mais elle est modulée en fonction du lieu d’habitation. Nous sommes favorables à une modulation en fonction des ressources. Cela va compliquer le système, mais je préfère un système moins lisible à un système injuste.

Enfin, la taxation aux frontières est une idée séduisante, mais il s’agit d’une entrave au développement du commerce international. Il s’agira d’abord de convaincre nos partenaires européens avant de rechercher une harmonisation mondiale.

M. Jean Launay, rapporteur. Je souhaiterais compléter mon propos par quelques éléments de réflexion sur le taux de la contribution ainsi que sur les objectifs intermédiaires de 2020.

Le Gouvernement propose 17 euros par tonne de CO2. Or, le rapport Quinet sur la valeur tutélaire du carbone comme la commission d’experts présidée par Michel Rocard ont recommandé de fixer la valeur de départ à 32 euros. En effet, pour tenir nos engagements au regard du « facteur 4 », il faudra porter la taxe à 56 euros en 2020, 100 euros en 2030 et 200 euros en 2050. Si l’on démarre avec une taxe à 17 euros, le chemin sera long à parcourir et la pente sera raide pour atteindre ces montants. Il conviendra aussi de neutraliser les effets de l’inflation.

M. Jean-Marie Binetruy. Je souhaite mettre l’accent sur un élément qui, jusqu’à présent, a été passé sous silence, à savoir les disparités régionales très importantes en matière de consommation pour le chauffage domestique, compte tenu de la diversité des contraintes climatiques.

Pour prendre un exemple, les températures peuvent descendre à un très bas niveau en Franche-Comté (à -25 ou -30°) et donner lieu à des consommations de fioul pouvant atteindre 2 500 litres pour un ménage, soit l’équivalent de carburants permettant de parcourir 30 000 kilomètres. Or, même s’il est possible de se chauffer au bois dans ces régions, certains ménages, comme les personnes âgées, sont obligés d’utiliser un combustible qui nécessite moins de manutention que le bois. Je pense que ces situations particulières doivent être prises en compte.

M. Jacques Pélissard. Le projet annoncé par le Gouvernement pose le principe d’une compensation ou d’un chèque vert dont les collectivités territoriales et les hôpitaux ne bénéficieront pas. Ceux-ci sont les « grands oubliés » de la réforme et je considère qu’ils devraient bénéficier d’une compensation au même titre que les ménages ou les entreprises. En effet, pour prendre l’exemple des communes, elles chauffent des écoles, des crèches ou des maisons de retraites, elles effectuent des transports de personnes et ne bénéficieront pas de compensation à ce titre. Quant aux hôpitaux, leur situation financière n’est pas brillante et la taxe carbone sans compensation risque d’accroître encore leurs difficultés.

M. François De Rugy. Il faut faire un sort à l’expression « compensation » qui introduit de la confusion vis-à-vis du grand public, lequel imagine que ceux qui paieront le plus seront compensés à due concurrence. L’expression « redistribution » apparaît donc plus appropriée, puisqu’il conviendrait de redistribuer plus à ceux qui font le plus d’efforts pour réduire leur consommation d’énergie, y compris les collectivités territoriales.

De plus, il me paraît nécessaire d’inclure l’électricité dans l’assiette de la contribution climat-énergie. Je regrette l’usage de l’expression « taxe carbone », car elle a pour effet d’exclure l’électricité du champ de la taxe. En effet, l’énergie est un bien qui devient rare et cher et l’exclusion de l’électricité du champ de l’assiette aura pour effet de favoriser le passage des énergies fossiles au « tout électrique ». Or, le but de la réforme doit être de responsabiliser le grand public et de l’inciter à réduire ses consommations énergétiques quelles qu’elles soient. Exclure l’électricité de l’assiette favorisera en outre le gaspillage. Je rappelle que les pics de consommation ne peuvent être absorbés que par la production de centrales thermiques, émettrices de gaz à effet de serre. Enfin, je vous mets en garde sur les risques tenant à la sécurité du réseau de transport d’électricité, alors même qu’actuellement 45 % du coût de l’électricité est directement lié à son transport.

M. Jérôme Cahuzac. En premier lieu, je souscris entièrement aux remarques de M. Pelissard concernant l’exclusion des collectivités territoriales et des hôpitaux du principe de la compensation. En deuxième lieu, il me semble que ne pas inclure l’électricité dans l’assiette de la taxe oblige à des contorsions. Même si je comprends l’argument selon lequel il faudrait préférer à la taxe une modulation des tarifs de l’électricité, en particulier en période de pointe, un tel mécanisme contreviendrait à l’objectif de la réforme, qui est de modifier les comportements individuels par un signal fort : une imposition. En dernier lieu, sur la modulation géographique, je vous invite à être vigilants sur le critère de la desserte par des transports collectifs. En effet, de très nombreuses communes bénéficient d’un réseau de transport collectif sur une partie seulement de leur territoire et non sur l’ensemble : comment seront donc traités les habitants non desservis ?

M. Christian Eckert. Je souhaiterais que les Rapporteurs éclairent la commission sur la réutilisation du produit de la contribution climat-énergie. Il semble que la totalité de ce qui sera payé par les ménages sera redistribuée, alors que ce que paieront les entreprises sera reversé au budget général. Mais qu’en sera-t-il de ce qui sera payé par les collectivités territoriales et les hôpitaux ? Est-ce que les Rapporteurs ont réfléchi à l’utilisation de ces fonds ? Ne pourraient-ils pas être affectés à des grands projets de recherche ou à des travaux permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre ? Par ailleurs, la répartition entre les fonds redistribués aux ménages et ceux versés au budget général me semble insatisfaisante.

M. Michel Diefenbacher, rapporteur. Il est vrai que la contribution climat-énergie représentera une charge supplémentaire pour les collectivités locales et les hôpitaux, mais le montant choisi de 17 euros par tonne équivaut à 4 centimes par litre de fioul, ce qui est relativement faible, inférieur par exemple à la hausse enregistrée l’an dernier à la même époque par le simple jeu des marchés. Les collectivités territoriales et les établissements publics doivent participer à l’effort collectif et évoquer une compensation dès l’instauration de la taxe me semble déplacé. Toutefois, nous mentionnerons la question dans le rapport car le problème se posera effectivement dans quelques années lorsque le montant de la taxe sera plus élevé.

Il est possible, en effet, que le terme « redistribution » soit meilleur que « compensation ». Je pense toutefois que cette redistribution doit être globalement intégrale, aussi bien pour les ménages que pour les entreprises. Fallait-il prévoir l’affectation des recettes pour inciter à la recherche et à l’équipement en matière d’économies d’énergie ? D’abord, il existe déjà un dispositif d’aide aux économies d’énergie. Ensuite, une telle affectation serait injuste à l’égard des locataires qui paieront la taxe mais n’auront pas la possibilité d’effectuer, comme les propriétaires, des travaux dans leur logement.

Pour ce qui concerne la question de la taxation de la consommation électrique en période de pointe, j’ai pris bonne note des arguments avancés qui vont enrichir la réflexion, même si je continue à penser qu’une hausse des tarifs en heures de pointe constitue la meilleure solution.

Enfin, concernant les transports en commun, la question reste ouverte pour les réseaux situés en zone rurale. Peut-être faudra-t-il raisonner au niveau infra communal.

M. Jean Launay, rapporteur. La question du paiement de la taxe par les collectivités locales a déjà été posée au ministre : nous n’avions pas obtenu de réponse. Il est probable que le Gouvernement opposera la nécessité de faire participer les collectivités aux économies d’énergie.

Il me semble par ailleurs que le Gouvernement avait indiqué lors de la réforme de la taxe professionnelle que 1,9 à 2 milliards d’euros provenant des recettes de la contribution climat-énergie seraient utilisés pour combler le manque à gagner issu de la réforme. Certes, il serait possible de mobiliser une autre partie de cette ressource pour la recherche sur les nouvelles technologies et les économies d’énergie. Pour autant, je ne crois pas qu’il faille affecter cette ressource, ce qui contreviendrait au principe juridique français de non affectation des recettes, réaffirmé par la LOLF.

M. Louis Giscard d’Estaing. Les collectivités territoriales et les hôpitaux paient déjà une contribution sur les transports dans les agglomérations dotées de transports collectifs. Ne pourrait-on pas imaginer que le versement transport vienne en déduction de la contribution climat-énergie due par les collectivités concernées ?

M. Marc Le Fur. Comment va s’articuler la contribution climat-énergie et le marché des quotas de CO2 pour les mille entreprises qui sont assujetties à ce mécanisme ? Puisque le marché des quotas est vertueux, pourquoi ne pas l’étendre à d’autres entreprises et à d’autres secteurs à qui l’on pourrait demander un effort en matière environnementale comme l’agriculture, par exemple ?

Comment vont s’articuler la contribution climat-énergie et la taxe sur les transports récemment instituée ? La ministre de l’Économie, madame Christine Lagarde, nous a indiqué que ce ne sont pas les transporteurs qui paieront, mais les affréteurs. Mais, in fine, ce sont les consommateurs qui seront mis à contribution. Certains secteurs, comme les pondéreux ou ceux dont les marchandises ont besoin d’un transport réactif et rapide comme le camion, seront défavorisés.

Autant l’instauration du bonus-malus automobile se comprend car il s’appliquera au consommateur au moment du choix d’un nouveau véhicule, autant la contribution climat-énergie va s’appliquer à des individus qui n’auront aucune possibilité de modifier leur comportement : le locataire qui ne peut pas changer de système de chauffage ou le propriétaire qui a réalisé des travaux et doit les amortir pendant plusieurs années avant d’envisager de changer de mode de chauffage.

M. le président Didier Migaud. Je me réjouis de l’intérêt porté par les membres de la commission à ce sujet, ce qui promet des débats longs et passionnés lors de l’examen du projet de loi de finances...

M. Jérôme Cahuzac. Les propos de Louis Giscard d’Estaing sont intéressants, mais ne doivent pas apparaître comme contradictoires avec les objectifs poursuivis, puisque l’objectif reste que les transports en commun représentent une alternative. Je constate que nous sommes nombreux à nous préoccuper de la contribution des collectivités territoriales et l’argument de la faiblesse de la taxe n’est pas convaincant : cette taxe a vocation à augmenter de manière à devenir suffisamment douloureuse pour modifier les comportements !

Enfin, les quotas de CO2 sont gratuits pour quelques années encore ; leur extension à d’autres entreprises ou à d’autres secteurs ne coûterait rien aux entreprises. Ce n’est cependant pas en les exonérant de la contribution que nous ferons évoluer les comportements.

M. Michel Diefenbacher, rapporteur. Les rapporteurs vont examiner l’idée de M. Giscard d’Estaing. La remarque de M. Le Fur sur la coordination entre les quotas et la contribution climat-énergie est un vrai sujet, d’ailleurs soulevé également par Michel Rocard. Les quotas ne s’appliquent qu’aux grandes entreprises fortement émettrices de CO2. Elles représentent 40 % des émissions de CO2 en Europe, mais seulement 30 % en France. Ces entreprises doivent-elles pour autant échapper à la contribution climat-énergie pour éviter une sorte de « double peine » ? Non, car les quotas de CO2 sont gratuits jusqu’en 2012. L’égalité entre les entreprises exige donc que celles qui sont soumises aux quotas de CO2 ne soient pas exonérées de la nouvelle contribution. M. Rocard a évoqué une taxe différentielle qui semble une solution équitable, surtout à partir de 2013. Mais devons-nous appliquer jusqu’en 2012 la contribution de droit commun ou instaurer directement une taxe différentielle ? Le Gouvernement semble ouvert à la discussion.

La taxe sur les transports et la contribution climat-énergie peuvent, également, être regardés comme constituant une « double peine » pour le secteur du transport qui, de toute évidence, mérite d’être examiné d’une manière particulière. Les propos de la ministre de l’Économie selon lesquels la contribution climat-énergie ne s’appliquera pas aux transporteurs mais aux affréteurs ne nous rassurent pas complètement.

M. Jean Launay, rapporteur. En début de réunion, le président a soulevé la question du suivi des conclusions du rapport que nous examinons. Ce suivi est nécessaire pour trois raisons. D’une part, il conviendra d’étudier de plus près la situation des entreprises soumises au régime des quotas d’émission de CO2, afin de s’assurer que le système tendant à la réduction des émissions n’est pas perverti dès sa création. D’autre part, il faut rappeler que notre rapport traite de 70 % du sujet seulement, puisque les émissions de méthane et de protoxyde d’azote n’y sont pas étudiées. Enfin, le calendrier nous invitera naturellement à assurer un suivi de nos travaux, non seulement lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2010, mais aussi à l’occasion de la conférence de Copenhague en décembre prochain, et, plus globalement, à moyen et long terme.

M. le président Didier Migaud. Les rapporteurs peuvent donc considérer que leur mission se poursuit, et qu’ils pourront présenter à la Commission un nouveau rapport après cette première étape.

La rupture d’égalité entre les entreprises soumises au régime des quotas et celles qui ne le sont pas est un réel problème. Le Gouvernement en a bien conscience, mais il n’a pas, à ce stade, trouvé de solution appropriée. Pour l’heure, les entreprises sous quotas ne payent rien, puisque les quotas sont gratuits. Le « rapport Rocard » suggère donc la mise en place pour ces entreprises d’une taxe différentielle, ou la soumission à la contribution climat-énergie tant que les quotas demeurent gratuits.

M. Marc Le Fur. Il serait intéressant de connaître, pour chaque mode de transport, le niveau de CO2 émis par kilomètre et par passager. Je rappelle que le transport aérien doit en principe échapper à la taxe carbone ; il nous faut savoir si ce mode de transport est plus ou moins polluant que les autres.

M. Laurent Hénart. La redistribution du produit de la contribution climat-énergie est un sujet essentiel. Il serait utile de faire le point sur les crédits d’impôt existant actuellement, et sur les avantages supplémentaires dont pourraient bénéficier nos concitoyens du fait de la redistribution. Les rapporteurs ont-ils pu étudier cette question ?

M. Michel Diefenbacher, rapporteur. L’observation de notre collègue Laurent Hénart est très intéressante, et nous partageons sa préoccupation. Toutefois, il ne sera pas possible de réaliser cette étude avant la publication du présent rapport. Par ailleurs, je précise que le produit de la contribution ne sera pas directement affecté, mais alimentera les recettes du budget général.

La Commission autorise la publication du rapport d’information.

——fpfp——

ANNEXE :
LISTE DES AUDITIONS RÉALISÉES PAR LES RAPPORTEURS

Ministère de l’Écologie, de l’énergie et du développement durable et Commissariat général du développement durable

– Mme Michèle PAPPALARDO, commissaire général du développement durable

– Mme Françoise MAUREL, chef du service de l’évaluation environnementale et de l’intégration du développement durable

Ministère de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi

– Mme Annick LEPETIT, directrice de la législation fiscale

Sénat

– Mme Fabienne KELLER, présidente du groupe de travail sur la fiscalité écologique

Fondation Nicolas Hulot

– M. Alain GRANDJEAN, économiste consultant, membre du comité de veille écologique

– M. Benoît FARACO, coordinateur changements climatiques et énergie, responsable du programme Économies d’énergie

Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

– M. Jens LUNDSGAARD, économiste fiscalité au sein du Centre de politique et d’administration fiscale de l’OCDE.

——fpfp——

1 () Statistiques hors UTCF (utilisation des terres, leur changement et la forêt). Source : CGDD, MEEDDAT.

2 () CO2 : 1 ; CH: 21 ; N2O : 310 ; hydrofluorocarbures : de 140 à 11 700 selon la molécule considérée ; fluorocarbures : de 6 500 à 9 200 selon la molécule ; SF6 : 23 900.

3 () Déchets et biomasse.

4 ( Ministère de l’environnement, Finlande ; OCDE.

5 () Cette exemption a été d’autant plus aisée à accorder que l’électricité produite en Suède est à 50 % hydraulique et à 50 % nucléaire.

6 () Source : OCDE.

7 () Projet de loi de finances pour 2009.

8 () Elle prévoit la taxation de plusieurs composés chimiques : les oxydes de soufre et autres composés soufrés, l’acide chlorhydrique, le protoxyde d’azote, les oxydes d’azote, les hydrocarbures non méthaniques, les solvants et les composés organiques volatils, les poussières en suspension.

9 () La taxe CO2 reste en vigueur pour les véhicules d’occasion.

10 () Conseil constitutionnel, 28 décembre 2000, n° 2000-441, loi de finances rectificative pour 2000.

11 () Le projet de loi prévoyait des modalités de taxation allégée des entreprises les plus consommatrices d’énergie et donc les plus polluantes. Le Conseil constitutionnel a considéré que les différences de traitement qui en résultaient n’étaient pas en rapport avec l’objectif que s’était assigné le législateur, et, en conséquence, portaient atteinte au principe d’égalité devant l’impôt.

12 () La dénomination exacte de la TIPP est taxe intérieure de consommation (TIC) sur les produits pétroliers.

13 () La taxation totale comprend la TIPP, la taxe à l’essieu, les péages autoroutiers et les contrats d’assurance.

14 () Consommation de gaz naturel supérieure à 5 GWh sur 12 mois, après un abattement mensuel de 400 000 kWh.

15 () Les particuliers titulaires d’un contrat de gaz individuel et les gestionnaires des chaufferies d’immeubles collectifs d’habitation sur site ou via un réseau de chaleur bénéficient de l’exonération. Les collectivités territoriales bénéficiaires de l’exonération sont les communes, les départements, les régions, les groupements de collectivités locales et leurs établissements publics.

16 () Commission « Transports : choix des investissements et coût des nuisances », présidée par Marcel Boiteux.

17 () 1 tonne de carbone est égale à 11/3 tonnes de CO2.

18 () La valeur tutélaire du carbone, rapport de la commission présidée par Alain Quinet, Centre d’analyse stratégique, Premier ministre, juin 2008.


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