N° 2646
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 juin 2010.
RAPPORT D’INFORMATION
FAIT
AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES SUR LE PROJET DE LOI interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public (N° 2520),
PAR Mme Bérengère POLETTI,
Députée.
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La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente ; Mmes Danielle Bousquet, Marianne Dubois, Claude Greff, Geneviève Levy, Bérengère Poletti, vice-présidentes ; Mme Martine Billard, M. Olivier Jardé, secrétaires ; Mmes Huguette Bello, Marie-Odile Bouillé, Chantal Bourragué, Valérie Boyer, Martine Carrillon-Couvreur, Joëlle Ceccaldi-Raynaud, Marie-Françoise Clergeau, Catherine Coutelle, Pascale Crozon, Marie-Christine Dalloz, Claude Darciaux, Odette Duriez, M. Guy Geoffroy, Mmes Arlette Grosskost, Françoise Guégot, M. Guénhaël Huet, Mme Marguerite Lamour, M. Bruno Le Roux, Mmes Gabrielle Louis-Carabin, Jeanny Marc, Martine Martinel, Henriette Martinez, M. Jean-Luc Pérat, Mmes Josette Pons, Catherine Quéré, MM. Jacques Remiller, Daniel Spagnou, M. Philippe Vitel.
INTRODUCTION 5
I. LA DISSIMULATION DE LEUR VISAGE, MARQUE DE L’INFÉRIORISATION DES FEMMES 9
A. UN DÉNI DE CITOYENNETÉ 9
1. L’invisibilité des femmes dans l’espace public 9
2. La mise en cause de l’égale dignité des personnes et de l’égalité des sexes 10
B. UNE ATTEINTE À LA LIBERTÉ DES FEMMES 11
1. Le refus pour les femmes de la liberté de se vêtir 11
2. Le retour à une conception patriarcale des devoirs de la femme 14
C. UN REJET DU PACTE SOCIAL ET DE LA FRATERNITÉ 16
1. Une relation inégalitaire entre les hommes et les femmes 16
2. Une atteinte au vivre-ensemble 16
3. L’affirmation de dérives sectaires 17
II. LA DISSIMULATION DU VISAGE COMPROMET L’AUTONOMIE DES FEMMES 20
A. LA DISSIMULATION DU VISAGE REMET EN CAUSE L’ACCÈS AU TRAVAIL 20
B. L’ACCÈS À LA CONTRACEPTION PEUT S’AVÉRER PROBLÉMATIQUE 21
III. LE DISPOSITIF DU PROJET DE LOI : UN COUP D’ARRÊT À UNE PRATIQUE INTOLÉRABLE 23
A. L’INTERDICTION DE LA DISSIMULATION DU VISAGE DANS L’ESPACE PUBLIC 23
1. Une interdiction de principe dans l’espace public 24
2. Les exceptions au principe de l’interdiction 25
B. LA SANCTION DE LA DISSIMULATION DU VISAGE ET DE LA CONTRAINTE AU PORT DU VOILE INTÉGRAL 27
1. Une sanction adaptée et suffisamment dissuasive 27
2. La sanction de la contrainte au port du voile intégral 29
C. L’OUVERTURE D’UNE PHASE DE CONCERTATION ET DE MÉDIATION 30
TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 31
RECOMMANDATIONS ADOPTÉES 33
LISTE DES PERSONNES CONSULTÉES PAR LA RAPPORTEURE 34
Tolérer que des femmes circulent dans l’espace public le visage masqué, serait accepter une remise en cause intolérable de nos valeurs démocratiques et républicaines.
Ces femmes perdant ainsi toute identité et spécificité personnelles sont finalement réduites à l’état d’objet, alors que rien ne saurait justifier ce déni de droit dans l’espace public et de refus de la citoyenneté ?
Il faut, en outre, être clair sur le fait que ces femmes soient ou non volontaires, pour dissimuler leur visage ne constitue pas le cœur du problème. Cette pratique marque, en effet, en elle-même, l’infériorisation de la femme et remet en cause les règles du vivre-ensemble. En outre, elle est en réalité la manifestation la plus visible d’un mouvement beaucoup plus profond qui souhaite annexer l’espace public pour défendre des valeurs patriarcales et prétendument religieuses. Il s’agit au bout du compte de remettre en cause l’égalité des hommes et des femmes et la neutralité de la République.
La représentation nationale au travers de la mission d’information « sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national », présidée par M. André Gerin et dont le rapporteur était M. Éric Raoult a étudié en profondeur ce phénomène, en se faisant l’écho des positions des différentes associations et institutions confrontées à l’évolution de cette pratique.
En effet, initialement associé au régime taliban, la pratique du port du voile intégral s’est progressivement développée dans la plupart des pays occidentaux, au point de devenir, au début de l’année 2009, un sujet important du débat politique français justifiant une prise de position publique du Président de la République lors de son intervention devant le Congrès, à Versailles, le 22 juin 2009.
Plus d’une année s’est écoulée depuis la création par la Conférence des Présidents de l’Assemblée nationale de cette mission. Depuis, un vaste débat républicain s’est engagé qui s’est conclu, sur le plan des principes, par le vote à l’unanimité d’une résolution le 11 mai 2010. Le projet de loi qui a été déposé par le Gouvernement constitue donc la dernière étape de ces travaux.
Ceux-ci ont mis en évidence un certain nombre de points. L’étude menée par le ministère de l’Intérieur à la fin de l’année 2009 a permis de quantifier cette pratique (1), montrant sa forte croissance : alors que le port du voile intégral était inexistant en France, au début des années 2000, il y aurait actuellement 1 900 femmes y portant le voile intégral.
De surcroît, si le port du voile intégral touche l’ensemble des régions de métropole, il se concentre dans quelques régions : l’Île-de-France, qui regroupe la moitié des cas recensés en France, Rhône-Alpes (160 cas) et Provence-Alpes-Côte d’Azur (une centaine de cas). Par ailleurs, sur les 1 900 femmes portant le voile intégral, 270 vivent à la Réunion et 20 à Mayotte.
L’étude a également permis de dresser un portrait sociologique des personnes qui portent le voile intégral. Ce sont, en très grande majorité, des femmes jeunes, dans la mesure où la moitié d’entre elles a moins de 30 ans et 90 % a moins de 40 ans. 1 % d’entre elles sont des mineures, certaines ayant moins de 10 ans. Elles sont pour les deux tiers d’entre elles de nationalité française. Enfin, un quart des femmes intégralement voilées seraient nées dans une famille de culture, de tradition, ou de religion non musulmane et se seraient, par la suite, converties à l’islam.
Au travers des divers apports au débat, dont la presse s’est largement fait l’écho, s’est progressivement ancrée l’idée selon laquelle la dissimulation permanente du visage dans l’espace public constituait l’antithèse des valeurs républicaines et qu’il était nécessaire d’empêcher ces pratiques, voire de les interdire le plus généralement possible.
Un consensus existe pour recourir à la loi dans le but d’endiguer ce phénomène. Pour des raisons d’ordre public et de sécurité, la dissimulation du visage dans l’espace public doit être combattue.
Il est en effet apparu lors des travaux de la mission d’information (2) que la loi était l’outil normatif adapté pour interdire la dissimulation du visage, que cette interdiction soit générale ou limitée à certains lieux, l’article 34 de la Constitution attribuant compétence au législateur pour fixer les règles concernant « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».
Des divergences sont cependant apparues sur la marge d’appréciation dont disposait le législateur pour interdire cette pratique, fondant, pour les uns, la possibilité d’une interdiction dans l’ensemble de l’espace public et, pour les autres, la nécessité de la limiter aux services publics et à d’autres lieux en fonction des risques d’atteinte à l’ordre public. Le projet de loi a pris parti pour la première option.
Ce rapport de la Délégation aux droits des femmes a pour objectif de présenter les conséquences de la dissimulation du visage dans l’espace public pour le droit des femmes, pratique qui remet en cause leur autonomie et leur libre arbitre.
Imposer la dissimulation du visage dans l’espace public aboutit en fait à refuser à ces femmes le droit au travail et à les confiner dans leur foyer. Conjuguée avec la remise en cause du droit à la contraception, cette vision de la femme lui dénie sa liberté.
La rapporteure tient donc à analyser en quoi la dissimulation du visage est la marque d’un véritable « apartheid sexuel » et le symbole de l’infériorisation des femmes. C’est la raison pour laquelle cette pratique ne peut être tolérée même si elle demeure minoritaire. Des mouvements sectaires sont à l’œuvre dans notre pays pour morceler l’espace public et tenter d’en faire un lieu de prosélytisme pour des idées rétrogrades. Les valeurs démocratiques sont subrepticement minées par certains qui, sous couvert de liberté religieuse et de respect des différences, remettent en cause notre cohésion sociale. Nous devons aujourd’hui donner un signal fort pour exprimer clairement notre attachement à notre modèle politique.
La République se doit de réagir et d’adopter une loi interdisant ce comportement, sans omettre d’expliquer pourquoi il est contraire aux règles du vivre-ensemble et de la laïcité républicaine.
I. LA DISSIMULATION DE LEUR VISAGE, MARQUE DE L’INFÉRIORISATION DES FEMMES
Au-delà de la constatation de fait que la dissimulation du visage dans l’espace public remet en question l’autonomie des femmes, cette pratique a une portée symbolique considérable. Elle représente la négation du principe de liberté parce qu’elle est la manifestation d’une oppression et bafoue les principes républicains d’égalité des sexes et de mixité. Le développement de cette pratique qui manifeste le refus de tout contact avec l’autre est ressenti comme la contestation frontale de notre conception du vivre-ensemble et comme une atteinte à la cohésion sociale.
1. L’invisibilité des femmes dans l’espace public
Imposer aux femmes de dissimuler leur visage dans l’espace public est un déni de leur qualité de citoyenne. Elles deviennent interchangeables et sans plus de spécificité personnelle. En effet, selon les propres termes du rapport de la mission d’information : « la dissimulation presque totale efface la personne, la réifie, la réduit à n’être qu’un échantillon anonyme d’une communauté séparée. » La dissimulation du visage est un symbole qui anéantit les principes libéraux de la République.
La tolérance de cultures et de pratiques religieuses ne saurait justifier cette pratique qui conduit à un éclatement du lien social. Dissimuler le visage correspond à une dépersonnalisation, curieusement accomplie au nom de l’identité culturelle, qui entraîne en fait une véritable aliénation. Bien des femmes se sont insurgées contre un tel déni d’identité et de liberté, de singularité et d’égalité.
Lors des travaux de la mission parlementaire sur le voile intégral, M. Abdennour Bidar, philosophe, a insisté sur la portée symbolique de cette absence de communication : « Un argument très important que l’on peut opposer au port de la burqa est donc que le milieu culturel environnant ne saurait accepter une pratique que la majorité perçoit comme manifestant une certaine violence symbolique. » (3)
La pratique de la dissimulation du visage est également porteuse d’un message très fort sur la manière dont on considère les femmes, vues essentiellement comme facteur de désordre social. Elle sous-entend une conception des femmes dans laquelle le fait se montrer avec ce qui est considéré, comme ses attributs de séduction, serait nécessairement provoquer l’homme, comme s’il appartenait aux femmes d’éviter toute tentation et qu’elles en étaient finalement responsables du comportement des hommes.
Le voile intégral est donc un instrument de soumission des femmes, qu’il dessaisit de leur liberté, de leur visibilité assumée et de leur égalité de droit avec les hommes. Aliénées par une tenue qui les cache, les femmes ne peuvent plus exister comme sujet, se montrer en leur singularité.
2. La mise en cause de l’égale dignité des personnes et de l’égalité des sexes
La norme de dissimulation du visage conduirait à dénier à celle qui accepte, volontairement ou non, ce principe, toute individualité et, ce faisant, toute dignité. Or l’égale dignité des êtres humains est le fondement philosophique du principe d’égalité dans notre République.
C’est tout le sens des dispositions qui ouvrent le Préambule de la Constitution de 1946, au lendemain de la Seconde guerre mondiale : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ». Ce n’est pas non plus un hasard si l’un des premiers principes proclamé par ce Préambule est, comme on l’a vu, celui relatif à l’égalité des femmes et des hommes, dans tous les domaines.
Le principe de la dignité de la personne humaine n’apparaît pas comme tel dans la Constitution, mais a été déduit du Préambule de 1946 par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 juillet 1994 (4). Il n’en reste pas moins que les intentions du constituant du Préambule de 1946 étaient claires. La dignité, c’est le droit dont disposent également tous les êtres humains de n’être dominés et asservis par personne et c’est la prérogative de pouvoir refuser l’injonction d’un autre homme. Par voie de conséquence, c’est aussi la libre disposition de soi.
Au sens de 1946, la dignité associe égalité et liberté, et attribue le plus grand rôle au libre arbitre : chacun a le même libre arbitre, le même droit que son voisin de gouverner son propre corps et son comportement dans la cité.
Tolérer que des femmes soient contraintes de dissimuler leur visage dans l’espace public, constitue sans nul doute une atteinte au principe de dignité. En effet, ce principe implique tant la reconnaissance en chaque personne d’une même appartenance à l’humanité que l’interdiction de traiter un être humain en fonction d’une fin qui lui est étrangère. Cet enfermement et cette négation de leur identité constituent une forme d’atteinte à la dignité de ces femmes.
De même, le principe d’égalité est au fondement même de notre République et de nos textes fondamentaux. Est-il besoin de rappeler l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen selon lequel : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. » Ce principe est également proclamé dans tous les textes internationaux relatifs à la protection des droits. C’est ainsi que la Déclaration universelle des droits de l’homme votée par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies le 10 décembre 1948 proclame dans son préambule « la dignité de toute personne humaine quel que soit son sexe ou son origine sociale. » Le texte énonce aussi que « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et leurs droits égaux et inaliénables constituent le fondement de la liberté de la justice et de la paix dans le monde ».
Enfin, dans son troisième alinéa, le Préambule de la Constitution de 1946 proclame, comme un principe « particulièrement nécessaire à notre temps » celui de l’égalité des sexes. C’est ainsi que : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme. »
La Constitution de 1958 fait aussi toute sa place à ce principe puisque l’alinéa 2 de l’article 1er, dans sa rédaction révisée par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, dispose désormais que : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. »
L’une des valeurs fondamentales de la Constitution est bien l’égalité entre les femmes et les hommes, comme soubassement d’une autre valeur tout aussi fondamentale bien qu’elle n’apparaisse pas dans la législation en tant que telle, la mixité.
B. UNE ATTEINTE À LA LIBERTÉ DES FEMMES
1. Le refus pour les femmes de la liberté de se vêtir
● La liberté de se vêtir n’est pas absolue
Comment l’obligation de se dissimuler le visage ou d’adopter le port du voile intégral doit-elle être qualifiée ? La liberté de se vêtir n’est évoquée par aucun des textes fondamentaux de la République. Sans doute, parce qu’il n’est habituellement pas discuté que ce droit est une application élémentaire et évidente du droit naturel à la liberté, laquelle consiste, selon la Déclaration des droits de 1789, « à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (article 4).
Certains ont pu évoquer la possibilité de rattacher le port du voile intégral à la liberté de pensée, de conscience, voire de religion définie comme la liberté de manifester sa religion individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, les pratiques et l’accomplissement des rites (article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne entrée en vigueur le 1er décembre 2009).
La Déclaration de 1789 permet une protection très forte du droit de se vêtir de la manière que l’on veut en France. L’annulation récente par le juge administratif d’un arrêté du maire d’une station balnéaire en est une nouvelle preuve (5) : le maire avait cru pouvoir interdire aux hommes de se promener en tenue de bain dans les rues de sa commune, estimant cette tenue contraire à la décence. La juridiction administrative a jugé qu’aucun motif suffisant ne fondait cette interdiction. Comme on le constate, le droit de se vêtir comme on veut est très fortement protégé dans notre environnement juridique » (6).
La juridiction administrative a jugé, en l’espèce, qu’une telle mesure ne répondait à aucun impératif de sûreté, de sécurité ou de salubrité publique, et que la simple allégation d’immoralité d’une tenue vestimentaire, à la supposer établie, car il s’agit là d’une appréciation essentiellement subjective, ne pouvait fonder une telle interdiction.
Pourtant des restrictions à la liberté de se vêtir existent bien pour des raisons liées à la vie en collectivité, c’est d’ailleurs ce que laisse entendre ce jugement. Elle peut être, en droit français, limitée au nom d’objectifs constitutionnels comme la sécurité publique ou l’ordre public, ou le respect des droits d’autrui. Elle est d’ailleurs réglementée, le meilleur exemple étant la réglementation du naturisme dans les lieux publics.
Quand une personne sort sur la voie publique, elle entre dans des situations de relations juridiques avec les tiers, soit avec l’autorité publique, soit avec des personnes privées dans le cadre, notamment, des relations contractuelles. C’est dans ce domaine que peuvent intervenir les impératifs de sûreté publique, de protection des droits des tiers ou d’hygiène.
La liberté de se vêtir – comme toute liberté – peut donc se voir imposer des restrictions au nom de principes essentiels. Surtout, on doit constater que le développement de pratiques comme le port du voile intégral peut conduire, par le jeu de la pression communautaire, à restreindre la liberté de se vêtir des autres femmes. Ce phénomène de contrainte sociale et psychologique est aujourd’hui bien tangible. Il est inquiétant et inacceptable.
● Le port du voile intégral constitue bien une mise en cause de cette liberté
La liberté de se vêtir renvoie à d’autres aspects de la liberté beaucoup plus discutés : la liberté d’habillement proclame en creux la liberté des droits : le droit à une sexualité libre, le droit de ne pas être vierge quand on arrive au mariage et de n’avoir de comptes à rendre à personne. Le port du voile intégral remet en cause la maîtrise de leur corps par les femmes et a une portée symbolique très forte en terme de sexualité.
Plusieurs personnes auditionnées par la mission d’information ont attiré l’attention des députés sur le fait que la liberté de se vêtir n’existait plus depuis plusieurs années dans certains quartiers tellement la pression sociale est forte sur les jeunes filles. Mme Élisabeth Badinter a ainsi témoigné : « Je me suis trouvée un jour avec Sihem Habchi, que vous venez d’entendre, au collège Françoise-Dolto, à Paris, là où avait été tourné le film Entre les murs, pour y engager un dialogue avec les collégiens, après que le film La journée de la jupe leur eut été projeté. Une poignée seulement des collégiennes présentes portait une jupe. Alors que, me tournant vers l’une des autres, d’origine maghrébine, je lui faisais valoir qu’elle pourrait en faire autant, j’ai entendu une réponse qui m’a épouvantée : « Les Françaises le peuvent, mais pas les Arabes ». Assis à ses côtés, un adolescent âgé sans doute de 14 ans a ajouté : « Chez nous, on met le voile, pas la jupe »… » (7)
Elle a ainsi expliqué que peu à peu le voile semblait devenir un idéal ou un objet de comparaison avec des vêtements ordinaires dont il faut mesurer l’aspect acceptable par rapport à l’exigence de pudeur. Le risque est que cette banalisation s’observe aussi pour le voile intégral.
Mme Élisabeth Badinter a poursuivi en déclarant : « Si, donc, on laisse le voile intégral se banaliser, il deviendra peu à peu, inévitablement, l’uniforme de la suprême pureté que l’on réclamera des jeunes filles et, à son tour, il gagnera progressivement des adeptes au sein des milieux les plus traditionnels où, évidemment, les jeunes filles ignorent leurs droits. Pour dire les choses brutalement, on prend la voie du : « la burqa, c’est mieux que le voile » – et alors il sera toujours plus difficile aux jeunes filles concernées de dire « non » au voile et de lui préférer la jupe. Or, si nous avons une liberté de se vêtir à défendre, c’est celle-là. » (8)
Mme Sihem Habchi, présidente de l’association « Ni putes ni soumises » a dressé un constat tout aussi alarmant en rappelant que cette situation est déjà ancienne : « La soumission commence là : nous ne nous appartenions plus et notre vie quotidienne était rythmée par la routine du respect des horaires, puis du respect d’une tenue vestimentaire réglementaire où la jupe était bannie et, enfin, d’un contrôle de la sexualité avec l’établissement de la sacro-sainte virginité comme baromètre. » et elle ajoutait : « Les rumeurs sur les filles faciles constituent un autre moyen de pression : seul le port du voile garantit le respect. » (9)
Mais ces exigences enferment les femmes dans un engrenage : « Indéniablement, le voile ne nous permettait pas d’échapper aux chaînes machistes puisqu’il fallait respecter les règles : certaines n’allaient plus à la piscine, refusaient d’assister aux cours de biologie et disparaissaient lors des cours de sport. Elles étaient soumises à la loi des hommes, aux obscurantistes. Symbole de la société machiste et de l’exclusion assumée et revendiquée, le voile est un marqueur pour scinder la population française. L’avènement de la ségrégation a lieu quand les victimes intègrent l’oppression et revendiquent leurs chaînes. »
Au-delà de la liberté de se vêtir et d’affirmer ainsi sa féminité, d’autres principes tout aussi essentiels se jouent avec le voile intégral. Il s’agit d’un véritable déni de la personne dans ce qu’elle a de plus unique.
Cette coupure de tout lien social est particulièrement préjudiciable pour des adolescentes dont la personnalité est encore en devenir. Comment réussir son intégration sociale lorsque le monde extérieur vous est présenté comme impur et dangereux ?
Dans leur livre La république ou la burqa (10), Dounia et Lylia Bouzar montrent bien que le respect des valeurs « musulmanes » même si elles n’ont en fait aucun fondement religieux mais expriment des traditions patriarcales sont perçues généralement comme fondamentales car les transgresser revient à être traître à sa communauté. En effet, dès leur plus jeune âge, les enfants sont élevés avec l’idée d’un monde scindé en deux entre le monde incarné par la famille respectueux des règles religieuses et le monde extérieur dominé par des mécréants.
Imposer de se dissimuler le visage aux femmes participe d’un mouvement de portée plus large qui vise à instrumentaliser l’espace public pour en faire un outil de propagande religieux. Cette obligation n’est que la manifestation la plus ostensible ou la partie immergée de l’iceberg.
2. Le retour à une conception patriarcale des devoirs de la femme
Tolérer cette dissimulation du visage des femmes fait écho à la revendication de droits différenciés et à la montée des communautarismes, aux termes desquels une personne se définit d’abord par référence à une appartenance collective et ethnique. C’est l’illustration emblématique d’une régression des droits et de la dignité de la femme dans notre société.
Il est intéressant de reprendre les propos de Mme Élisabeth Badinter tenus devant la mission d’information parlementaire qui attire l’attention sur les dangers du différentialisme des droits. C’est ainsi qu’elle a déclaré : «… j’observe qu’il existe de l’égalité des sexes deux appréhensions opposées. L’une, la nôtre, celle des démocraties, est celle que l’on retrouve dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et que l’on peut résumer en quatre mots : mêmes droits, mêmes devoirs. Ici, la notion abstraite d’humanité l’emporte sur les différences biologiques, notamment sur la différence sexuelle. Puis il y a l’autre, celle des obscurantistes, celle aussi dont ont usé certains démocrates sincères, les naturalistes. Pour eux, droits et devoirs diffèrent selon les sexes ; les sexes sont égaux dans leurs différences. C’est le modèle de la complémentarité des sexes, où l’un est ce que l’autre n’est pas. L’idée fédératrice d’une humanité commune, d’une citoyenneté abstraite, n’a plus cours. Nos droits et nos devoirs sont différents, mais ils seraient équivalents. » (11)
Accepter de cacher son visage contrevient au principe constitutionnel d’égalité entre les sexes, mais plus fondamentalement, il signifie que les femmes qui acceptent cette attitude ont intégré leur propre infériorisation.
Parlant du port du voile intégral et de ses implications symboliques, Mme Élisabeth Badinter ajoute : « Que signifie la burqa ? Elle manifeste qu’une femme est la propriété de son mari, de son père ou de son frère, et qu’elle ne doit pas être vue par d’autres hommes ; que les femmes ne sont pas propriétaires de leur image, qu’elles ne sont pas libres de se montrer, d’exister pour l’extérieur, encore moins de séduire. Le port de la burqa est le premier maillon d’une chaîne conduisant au mariage arrangé, au mariage forcé et à tous les asservissements et aliénations qui s’en suivent ».
Mme Michèle Vianès, présidente de l’association Regards de femmes, a également insisté sur la portée symbolique de cette relégation des femmes : « Le voile, stigmate de discrimination, de séparation et de fantasmes sexuels, fait considérer les femmes comme propriété de leur mari et a pour objectif de les rendre intouchables par les autres hommes, même les médecins. L’affichage ostensible du marquage archaïque, possessionnel et obsessionnel du corps féminin est le cheval de Troie de l’islam politique, qui montre ainsi sa capacité à occuper les espaces et les esprits. Cette stratégie de prise de contrôle du corps des femmes par l’obéissance à un code vestimentaire céleste de bonne conduite est inacceptable ! » (12)
Toutes les personnes auditionnées par la mission d’information, lors de la table ronde réunissant les associations de défense des droits des femmes, ont insisté sur le caractère inacceptable de cette disparition imposée de l’espace public. Tolérer le voile intégral au prétexte que ces femmes appartiendraient à une autre culture n’est pas recevable. Le relativisme culturel ne saurait être utilisé pour interdire à des personnes l’accès aux principes universels de dignité et de droit humain, au prétexte que, dans leur pays de naissance ou d’origine, ces principes ne seraient pas respectés.
C. UN REJET DU PACTE SOCIAL ET DE LA FRATERNITÉ
1. Une relation inégalitaire entre les hommes et les femmes
Se cacher le visage derrière un voile intégral n’est pas un vêtement comme un autre : son port marque une rupture du pacte social, un refus d’intégration et un refus du dialogue et de la démocratie car cette pratique heurte une tradition profondément ancrée en Occident où il n’y a pas de vêtement du visage.
Confronté à un autre totalement impersonnel, celui qui reste à visage découvert dans sa vulnérabilité se sent agressé et cette manière de refuser tout dialogue avec autrui rend impossible toute vie sociale et toute empathie interpersonnelle.
Cette absence délibérée de contact avec autrui ruine toute fraternité et empathie avec autrui. Mme Élisabeth Badinter a beaucoup insisté sur cet aspect du problème :
« Le port du voile intégral est contraire au principe de fraternité … et, au-delà, au principe de civilité, du rapport à l’autre. Porter le voile intégral, c’est refuser absolument d’entrer en contact avec autrui ou, plus exactement, refuser la réciprocité : la femme ainsi vêtue s’arroge le droit de me voir mais me refuse le droit de la voir. Outre la violence symbolique de cette non-réciprocité, je ne peux m’empêcher d’y voir l’expression d’une contradiction pathologique : d’une part, on refuse de montrer son visage au prétexte que l’on ne veut pas être l’objet de regards impurs – incidemment, c’est avoir une singulière vision des hommes que de penser que tout homme regardant une femme ne pense qu’à la violer –, d’autre part, on se livre à une véritable exhibition de soi, tout le monde fixant cet objet non identifié. En suscitant ainsi la curiosité, on attire des regards que l’on n’attirait peut-être pas quand on allait à visage découvert – bref, on devient un objet de fantasme. »
Les femmes qui portent le voile intégral essaieraient de passer inaperçues alors qu’on ne voit qu’elles.
2. Une atteinte au vivre-ensemble
Dans la République, la réciprocité et l’échange sont deux notions essentielles et société française profondément marquée par la notion de « civilité ». Derrière ce terme, il y a l’idée que, dans une société, les mœurs doivent être policées, et qu’il faut respecter des règles afin de permettre un échange civilisé entre les individus.
Se dissimuler le visage y est perçu comme une atteinte à notre code social qui correspond à un ensemble de normes qui font consensus et dont la finalité est de faciliter l’harmonie des rapports sociaux.
Comme le soulignait M. Guy Carcassonne devant la mission d’information « nous sommes en droit de considérer que ce qui nuit à autrui, aux termes de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, est le fait qu’on lui cache son propre visage, lui signifiant ainsi qu’il n’est pas assez digne, pur ou respectable pour pouvoir le regarder. » (13)
La dissimulation intentionnelle du visage est une atteinte manifeste à notre code social. Ce code social ne traduit pas la volonté d’imposer à chacun les mœurs d’une catégorie donnée de la population française. Il permet d’assurer dans notre société des règles minimales pour vivre ensemble.
Cette attitude est synonyme de rejet, de négation, d’exclusion, de repli, de fermeture, de refus de l’autre.
Il n’y a ici pas de transaction possible. La condamnation doit être unanime sous peine de conduire à terme à la remise en cause de notre modèle politique et de notre pacte social. C’est pourquoi il paraît légitime de voter une loi portant interdiction de se masquer le visage dans l’espace public.
3. L’affirmation de dérives sectaires
Imposer la dissimulation du visage dans l’espace public ne correspond pas à une évolution sociologique naturelle. Comme l’a souligné la mission d’information, des courants de pensée très prosélytes cherchent de cette façon à imposer une démarche rigoriste de recherche de pureté par la pratique du voile intégral. Un certain consensus est apparu pour affirmer que des organisations sectaires sont à l’œuvre dans de nombreuses communes de France, tout particulièrement les plus défavorisées.
En revanche, des divergences ont été exprimées sur la portée de cette dimension sectaire, certains mettant en avant le caractère peu organisé de cette mouvance, d’autres au contraire, soulignant que ces actions avaient véritablement pour but de saper les fondements démocratiques des sociétés occidentales.
Le port du voile intégral est à rapprocher d’une démarche sectaire, avec tout ce que cela comporte d’aliénation volontaire, sachant qu’il est éminemment complexe de faire la part entre les femmes qui le portent délibérément et celles qui le portent par choix.
Lors de la première audition organisée par la mission parlementaire Mme Dounia Bouzar a analysé très précisément les caractéristiques du discours sectaire (14) et la volonté d’exclusion de ceux qui se pensent appelés à une pratique pure et rigoriste de leur religion : « Cette affirmation n’est ni un procès d’intention ni un jugement de valeur, mais le résultat de l’étude de l’effet du discours : alors que le mot « religion » vient du latin relegere et religare, c’est-à-dire « accueillir » et « relier », le mot « secte » signifie « suivre » et « séparer ». C’est donc bien l’effet du discours qui me permet de le qualifier de sectaire : lorsque la religion provoque de l’auto-exclusion et l’exclusion des autres, on peut parler de secte. On utilise la religion pour construire une frontière infranchissable entre l’adepte et les autres, frontière matérialisée, dans notre cas, par le niqab, ce drap noir qui a au moins le mérite d’être sans ambiguïté sur sa fonction : celle d’être une coupure, une frontière infranchissable. » (15)
Ce sont les salafistes qui se réclament de l’école juridique et théologique hanbalite, qui souhaitent revenir à une interprétation littéraliste du Coran.
Mme Dounia Bouzar a très bien expliqué comment ces jeunes sans racines ni ancrage territorial arrivaient à croire à cette adhésion à une grande communauté virtuelle des croyants : « Le discours salafiste diabolise le monde extérieur et propose aux jeunes un monde virtuel. On uniformise leur vision du monde. Tous ceux qui sont contre eux le sont pour diviser et pour mieux régner. Ces jeunes en arrivent ainsi à subir des modifications psychiques au point qu’ils semblent être en état de quasi-hypnose, animés par un mimétisme effrayant.
« Alors que le lien territorial, quel qu’il soit, semble protéger les jeunes, le discours salafiste explique au contraire que se sentir de nulle part signifie que l’on est élu, que l’on est supérieur aux Arabes, aux Européens, aux Asiatiques et, bien entendu, aux Américains. » C’est en cela qu’il propose un territoire de substitution virtuel. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que 99 % de l’endoctrinement se fait par un moyen de communication virtuel : Internet.
Le discours salafiste rend tout-puissant et conduit à contester l’autorité des imams. Sous prétexte que seul le Coran fait autorité, qu’il n’y a pas de clergé et que l’imam ne sait pas, ils décident qu’eux seuls savent ce que Dieu a dit puisqu’il n’y a personne au-dessus d’eux à part Dieu.
Face à ces comportements sectaires, des divergences de vues demeurent : certains mettent en avant l’inorganisation de ces mouvements alors que d’autres y voient une manière souterraine de remettre en cause la laïcité de l’espace public, de procéder à une conquête des territoires et, dès lors, de saper les fondements de la République.
Selon M. Farhad Khosrokhavar, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, « le voile n’est pas un phénomène sectaire dans la mesure où n’existent pas d’organisation identifiable, ni de personnage charismatique fédérant les personnes autour d’un certain nombre de normes. Pour autant, on y décèle une dimension sectaire : en portant le voile, je suis une bonne musulmane et je me sépare des autres qui ne le sont pas. Le voile intégral est une façon de souligner primordialement la séparation des purs et des impurs, des musulmans et des non musulmans, ou des vrais musulmans et des musulmans inauthentiques » (16).
Cette analyse est partagée par M. Samir Amghar qui souligne que les salafis ne pratiquent pas de lobbying politique. Il estime ainsi que les salafis « ne se situent pas du tout dans la logique entriste qui peut être celle des Frères musulmans ou de l’UOIF (Union des organisations islamiques de France). La sphère politique ne les intéresse pas du tout. » (17)
Même si leur prosélytisme est très dynamique, ils ne semblent pas avoir d’intention de s’engager dans l’organisation de la cité. M. Samir Amghar a insisté sur le fait que le courant salafiste « est le seul à n’être pas organisé et hiérarchisé à l’échelle nationale » (18).
D’autres personnes auditionnées n’ont pas eu la même appréciation. M. Abdelwahab Meddeb, enseignant à l’Université Paris X, estime, quant à lui, qu’il existe une stratégie pour influer sur l’ordre juridique des pays européens : « Nous estimons aussi qu’avec la burqa, nous nous confrontons à une stratégie du grignotage » (19).
Il a attiré l’attention de la mission sur les risques de pression pour que les prescriptions coraniques deviennent la norme applicable aux musulmans, ce statut personnel primant les lois des démocraties. C’est ainsi qu’il a déclaré : « Au-delà des cas isolés et singuliers, au-delà des converties zélées, il ne faut jamais perdre de vue que des islamistes, mais aussi de pieux salafistes, appliquent les recommandations du Conseil européen de la fatwa – dirigé par le prédicateur al-Qardhâwî, ex-frère musulman égyptien qui agit à l’horizon du monde en parlant depuis le Qatar, précisément de la tribune que lui offre la chaîne satellitaire al-Jazira. » (20)
Face à ces comportements sectaires, les démocraties ne sont pas impuissantes. La France dispose ainsi d’une législation contre les dérives sectaires assez élaborée. Il serait possible de s’inspirer de cette législation pour combattre cette forme de fondamentalisme religieux qui utilise les mêmes moyens d’oppression que les sectes. Il s’agirait, en effet, d’éviter de punir les victimes alors que ce sont les instigateurs qui doivent être combattus.
La France s’est dotée d’une telle législation avec la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales.
La pratique du port du voile intégral est bien une atteinte portée au principe de liberté. Parce qu’elle résulte, bien souvent, de pressions plus ou moins diffuses, explicites, on ne saurait l’assimiler à la simple volonté de se faire remarquer. Le voile intégral est bien le symbole d’un asservissement, l’expression ambulante d’un déni de liberté qui touche une catégorie particulière de la population : les femmes. En cela, il constitue aussi une négation du principe d’égalité.
II. LA DISSIMULATION DU VISAGE COMPROMET L’AUTONOMIE DES FEMMES
Le port du voile intégral, non seulement manifeste une conception des femmes que les principes de la République ne sauraient admettre, mais il entraîne aussi inévitablement des difficultés concrètes et quotidiennes qui entravent l’autonomie des femmes qui le portent.
A. LA DISSIMULATION DU VISAGE REMET EN CAUSE L’ACCÈS AU TRAVAIL
La question de la permission ou non, dans une certaine mesure, de la mixité entre hommes et femmes est loin de faire l'unanimité au sein du monde musulman. Il reste que le port du voile intégral, et même le fait d’être simplement voilée, sont autant d’obstacles à un travail à l’extérieur du domicile.
À la connaissance de la rapporteure, il n’existe pas d’étude sociologique sur l’accès au travail des femmes entièrement voilées mais des témoignages recueillis par voie journalistique font état des difficultés rencontrées.
Ces témoignages concernent essentiellement des femmes portant le foulard islamique et il est certain que le port du voile intégral conduirait à une exclusion de l’emploi. La dissimulation du visage s’accompagne souvent du port de gants et de chaussettes montantes afin qu’aucune partie du corps ne puisse être visible. La rigueur de cette pratique rend impossible bien des activités aussi bien professionnelles, sportives ou ludiques.
Certaines initiatives récentes doivent être saluées pour améliorer l’intégration des jeunes femmes issues de quartiers en difficulté. On peut ainsi citer « IMS Entreprendre pour la cité » qui a été créé en 1996 par M. Claude Bébéar et qui fédère un réseau de 200 entreprises. Sa vocation est de les aider à intégrer, dans leur politique de responsabilité sociale, des démarches d’engagement sociétal innovantes, répondant à la fois à leurs enjeux de développement et aux attentes de la société.
Les entreprises sont ainsi épaulées pour mettre en place des politiques d’embauche favorables à la diversité et à la féminisation de certains métiers traditionnellement masculins.
Selon M. Benjamin Blavier, responsable du pôle diversité à l’IMS « les managers ont l’impression que l’entreprise est un lieu laïc mais c’est une confusion. La loi sur la laïcité ne s’applique qu’au service public. » (21)
Pour Mme Inès Dauvergne, responsable projets à l’IMS, « la discrimination dont ces jeunes femmes sont victimes est une grande perte pour l’entreprise. » Il n’est donc pas faux de dire que les managers se privent d’un vivier de compétences. La question de l’acceptation des signes religieux ou d’identification communautaire est particulièrement délicate mais souvent les entreprises ont une « interprétation caricaturale qu’ils se font du voile » souligne M. Benjamin Blavier. Il déplore, d’ailleurs, que les recrutements concernent souvent les postes de bas niveau de qualification ou en « back office ». Les femmes voilées et surdiplômées sont fréquemment embauchées dans les métiers du télémarketing ou du nettoyage là où elles restent peu visibles, le voile étant rédhibitoire pour les activités en contact avec la clientèle.
On assiste donc en France à l’émergence d’une main d’œuvre qualifiée, non utilisée et le phénomène risque encore de s’accentuer. De nombreux témoignages expliquent que ces jeunes préfèrent s’expatrier en Grande Bretagne ou dans les pays du Golfe, où les jeunes Français issus de l’immigration sont très appréciés par les recruteurs locaux en raison de leur double culture.
Pourtant, selon M. Benjamin Blavier il faut rester optimiste sur l’évolution des entreprises. L’IMS rappelle d’ailleurs à celles-ci qu’elles ne doivent pas interférer dans les capacités d’un collaborateur à tenir un poste et que les réelles incompatibilités entre port du voile et activité sont rares (à l’exception des obligations de sécurité). De nombreuses entreprises ont aujourd’hui un responsable chargé de la politique de diversité. Ces cadres doivent rappeler les termes de la loi sur la laïcité et surtout de favoriser l’intégration interne des jeunes recrutés issus des minorités visibles.
Il n’en reste pas moins que cette question s’inscrit dans le contexte problématique plus général de l’insertion professionnelle des jeunes des quartiers en difficulté surtout de celle t des jeunes femmes.
Cette dépendance est encore accrue si les femmes sont non seulement dépendantes des revenus de leur mari mais si elles ne peuvent décider de leur manière de concevoir une famille par le recours à la planification des naissances.
B. L’ACCÈS À LA CONTRACEPTION PEUT S’AVÉRER PROBLÉMATIQUE
De multiples témoignages recueillis auprès des permanents du Planning familial ou d’autres associations en charge de la contraception font état de blocages, tant culturels que religieux, pour accéder à la contraception.
Un article paru dans la revue Sociologie santé (22) fait ainsi écho aux difficultés des femmes maliennes immigrées en France, pour maîtriser leur fécondité. Il retrace les résultats d’une enquête qui a permis d’interroger un panel de femmes vivant dans la région parisienne. Il a été beaucoup plus difficile d’accéder aux hommes de la communauté, mais une centaine d’entre eux ont tout de même donné leur avis.
Cette enquête révèle que le sujet de la contraception est très conflictuel entre les époux. Interrogées sur la position de l’islam au sujet de la contraception seules, 2 % de femmes ont répondu qu’elles étaient autorisées à utiliser la contraception alors que 45 % ont répondu que l’islam s’y opposait catégoriquement. Pourtant 70 % des femmes reconnaissent avoir recouru de manière temporaire à une forme de contraception.
De manière générale, les hommes seraient plutôt défavorables à la contraception et mettent en avant les interdits religieux. Il est aussi frappant de constater que de nombreuses femmes ayant accepté de répondre ont refusé que leur mari soit interrogé craignant des représailles de sa part !
Les auteurs de l’article ont aussi interrogé les professionnels de santé qui ont confirmé que de nombreuses femmes prennent une contraception à l’insu de leur conjoint. Ils ont fait état de difficultés à accéder au domicile des femmes ayant récemment accouché car les conjoints considèrent que les assistantes sociales et les travailleuses familiales ont une influence défavorable sur leur épouse en les incitant à faire valoir leurs droits au risque de « détruire les liens familiaux ».
L’article de la revue précité rapporte que devant ces interprétations divergentes des règles religieuses, certaines associations, comme l’Association pour la promotion du Soninké ont fait venir un imam de leur pays d’origine pour éclaircir la position de l’islam sur la contraception. Les représentants religieux ont eu des positions très modérées expliquant que la contraception était acceptée pour une période de temps restreinte et sous certaines conditions comme la maladie de la mère, le manque de logement ou l’extrême précarité. Malgré cette prudence, de nombreux hommes n’ont pas accepté qu’un imam aborde cette question publiquement et remette ainsi en cause l’autorité masculine dans les foyers.
Parmi les hommes interrogés de grandes différences sont apparues selon leur génération, les hommes jeunes étant beaucoup plus ouverts à la discussion. Il est certain que l’arrivée à l’âge adulte de jeunes filles élevées en France et ayant reçu une éducation partiellement à « l’occidentale » changera la perception des problèmes d’autonomie des femmes et de recours à la contraception.
La mission parlementaire d’information sur le voile intégral a cependant été interpellée par plusieurs responsables associatifs sur les difficultés croissantes de l’accès à la contraception qui semblent liées à la montée de certains intégrismes religieux. C’est ainsi que Mme Olivia Cattan, présidente de l’association « Paroles de femmes », a témoigné des rencontres organisées par son association dans les collèges. Il est frappant de constater que de plus en plus de garçons considèrent la virginité comme obligatoire pour les filles et le port de la jupe comme un signe ostensible de conduite débridée. Elle a fait part de sa préoccupation de voir des adolescentes qui ont eu accès au système éducatif laïque et qui ont un niveau d’instruction correct revenir à des traditions ancestrales où la femme est dévalorisée. Elle a, d’ailleurs, appelé l’attention des parlementaires sur l’importance de la prévention, sur l’éducation à la mixité et sur la nécessité de travailler en lien avec les autorités religieuses, pour éviter que sous prétexte d’interdits religieux les préjugés culturels les plus discriminatoires ne cherchent à trouver une légitimité.
Mme Dounia Bouzar a attiré l’attention de la rapporteure en insistant sur le fait que des pressions grandissantes existaient pour remettre en cause le droit à la contraception : les mouvements salafistes actuels contestent ce droit, prétendant qu’il s’agirait d’une forme dissimulée d’avortement. L’être humain n’aurait pas à interférer avec l’ordre naturel en perturbant le corps des femmes en utilisant des moyens contraceptifs.
III. LE DISPOSITIF DU PROJET DE LOI : UN COUP D’ARRÊT À UNE PRATIQUE INTOLÉRABLE
La rapporteure soutient pleinement l’initiative du Gouvernement de faire adopter une loi à la fois coercitive, puisqu’elle porte interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public, mais aussi pédagogique, dans la mesure où la sanction sera différée de six mois pour permettre des actions de médiation et un suivi des personnes en infraction destinés à les sensibiliser aux valeurs républicaines d’égalité et de mixité.
Cette loi a pour fondement juridique des impératifs d’ordre public et de sécurité car les arguments présentant l’obligation de la dissimulation du visage comme une atteinte à la dignité de la femme ne pouvaient justifier une interdiction générale de cette pratique dans l’espace public.
A. L’INTERDICTION DE LA DISSIMULATION DU VISAGE DANS L’ESPACE PUBLIC
L’article 1er du projet de loi énonce une interdiction de principe de porter, dans l’espace public, « une tenue destinée à dissimuler son visage ». Sa violation serait passible d’une contravention de deuxième classe, conformément à l’article 3.
1. Une interdiction de principe dans l’espace public
L’article 1er du projet de loi pose l’interdiction de porter, dans l’espace public, une tenue destinée à dissimuler son visage.
Non seulement, le port, dans l’espace public, d’une tenue ayant pour objet de dissimuler le visage de manière permanente est susceptible de porter atteinte à l’ordre public matériel (notamment à la sécurité publique) mais cette pratique est contraire au pacte social qui s’incarne dans la notion française de fraternité impliquant que chacun accepte de montrer son visage, et aux principes d’égalité des sexes et de dignité lorsque cette tenue est portée sous la contrainte de l’entourage, en raison du sexe de la victime.
Cette interdiction de principe est rendue nécessaire par le caractère parcellaire et complexe du droit en vigueur. L’expression de « dissimulation du visage » présente l’avantage de ne viser expressément aucune pratique ou coutume religieuse et de ne pas focaliser la définition de l’infraction sur les femmes contrevenantes, ce qui risquerait de constituer une rupture du principe d’égalité.
La caractérisation de l’infraction reposerait sur la réunion de trois éléments :
— le premier réside dans le fait de se trouver dans l’espace public. Cette notion est définie par le I de l’article 2 du projet de loi ;
— la deuxième repose sur le port d’une tenue dissimulant le visage. Le terme de « tenue » doit être compris comme regroupant l’ensemble des vêtements portés par une personne. La dissimulation du visage, si elle ne peut être définie de manière abstraite, doit être comprise comme le fait de rendre non reconnaissable le visage de la personne qui la porte;
— le dernier élément constitutif de cette interdiction est intentionnel. Il repose sur la volonté, par le port de cette tenue, de dissimuler son visage, en le dérobant aux regards d’autrui. Ceci exclut du champ de l’interdiction les tenues qui ont pour effet de dissimuler visage mais qui n’y sont pas destinées. On peut penser, par exemple, au port d’un casque intégral. À l’inverse, un voile intégral est, par nature, destiné à dissimuler le visage.
Dès lors que l’on souhaite, pour les raisons qui ont été exposées, ne pas admettre le port d’un voile intégral dans l’espace social, c'est-à-dire dans les relations qui fondent notre pacte social, cette interdiction se doit d’être suffisamment large.
Cette interdiction est aussi le moyen d’adresser un signal fort aux jeunes filles victimes de la pression sociale qui s’exerce dans certains quartiers et qui pourront s’appuyer sur son principe même.
La notion d’espace public, qui détermine le champ d’application de l’interdiction, est définie par le paragraphe I de l’article 1er comme regroupant les voies publiques, les lieux ouverts au public et les lieux affectés à un service public.
L’étude d’impact précise que les lieux ouverts au public doivent être compris comme des lieux qui accueillent du public et qui recouvre les lieux « dont plusieurs personnes, étrangères les unes aux autres, ne peuvent revendiquer l’exclusivité de la fréquentation. » (23)
La notion de lieu ouvert au public est présente dans un grand nombre de lois. L’occurrence la plus intéressante se trouve à l’article 10 la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité, dans la mesure où elle a trait à la vidéosurveillance, domaine qui n’est pas sans rapport avec la dissimulation du visage, ainsi que l’a rappelé le Conseil d’État (24). Cet article autorise la vidéosurveillance dans des « lieux et établissements ouverts au public ».
Or, la jurisprudence judiciaire a défini la notion de lieu ouvert au public comme un « lieu accessible à tous, sans autorisation spéciale de quiconque, que l’accès en soit permanent et inconditionnel ou subordonné à certaines conditions. » (25) Ainsi, le caractère public ou privé d’un lieu n’a pas de conséquence sur le fait qu’il puisse être, ou non, ouvert au public. Si l’on s’en tient à cette définition jurisprudentielle des lieux ouverts au public, l’interdiction s’appliquerait par exemple, ainsi que le prévoit l’étude d’impact, dans les parcs, les cafés, les transports collectifs et les commerces.
S’y ajoutent, les lieux affectés à un service public. Comme le souligne l’étude d’impact, sur le fondement de ce critère, l’interdiction serait valable dans les principaux services publics, qu’ils soient administratifs ou industriels et commerciaux, tels que « les mairies, les écoles, les hôpitaux ». Si l’on se fonde sur la jurisprudence administrative, elle le serait également dans un garage souterrain d’une gare ou d’un aéroport, dans les ports ou dans les palais de justice, par exemple.
2. Les exceptions au principe de l’interdiction
Il va de soi qu’une interdiction de porter une tenue destinée à dissimuler son visage dans l’espace public doit comporter quelques exceptions tenant compte des circonstances qui justifient que le visage soit dissimulé.
Ces exceptions sont au nombre de quatre mais elles fondent la possibilité de se dissimuler le visage uniquement avec une tenue adaptée à la teneur de l’exception.
a) Les tenues prescrites par la loi ou par le règlement
Certaines dispositions législatives et réglementaires prescrivent le port d’une tenue destinée à dissimuler le visage. L’exemple le plus connu est certainement celui du port du casque par les conducteurs et les passagers de deux roues, qui est imposé par l’article R. 431-1 du code de la route : « En circulation, tout conducteur ou passager d'une motocyclette, d'un tricycle à moteur, d'un quadricycle à moteur ou d'un cyclomoteur doit être coiffé d'un casque de type homologué. Ce casque doit être attaché. »
b) Les tenues autorisées pour protéger l’anonymat de l’intéressé
Dans certaines circonstances, la dissimulation du visage se justifie par la volonté de préserver l’anonymat de la personne.
Le cas qui est visé par cette exception est celui des témoins dans certains procès pénaux. Les articles 706-57 et suivant du code de procédure pénale prévoient ainsi que l’identité d’un témoin puisse ne pas apparaître dans le dossier de la procédure. Cependant, il peut également s’avérer nécessaire, pour sa protection, de l’autoriser à dissimuler son visage dans l’espace public en dépit d’une interdiction de principe.
c) Les tenues justifiées par des raisons médicales ou des motifs professionnels
La troisième catégorie d’exceptions regroupe les motifs d’ordre médical et professionnel.
Sous l’appellation de « raisons médicales », le projet de loi vise deux situations principales. La première concerne les personnes qui, pour préserver leur santé, seraient contraintes de porter une tenue dissimulant leur visage. Elle regroupe, par exemple, les masques respiratoires ou les bandages qui peuvent recouvrir l’ensemble du visage ainsi que les protections spécifiques recouvrant le visage de personnes qui ne peuvent pas l’exposer aux rayonnements solaires. La seconde ménage la possibilité de porter des protections sur le visage (notamment des masques) en cas de menace généralisée pour la santé publique.
De nombreuses tenues dissimulant le visage sont justifiées par des motifs professionnels. Certaines d’entre elles le sont en vertu d’une loi ou d’un règlement et entrent également, de ce fait, dans le cadre de la première exception. C’est le cas notamment pour les travaux de soudage, de rivetage et de sablage de désamiantage.
Enfin, cette catégorie d’exception engloberait les agents des forces de l’ordre qui doivent dissimuler leur visage pour des raisons professionnelles.
d) Les tenues qui s’inscrivent dans le cadre de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles
En dernier lieu, il est nécessaire de ménager l’hypothèse des fêtes et manifestations artistiques et traditionnelles. Au cours de certaines fêtes, il est de tradition de porter des tenues dissimulant le visage. On peut notamment penser aux fêtes de fin d’année, qui voient proliférer les pères Noël ou aux fêtes pour lesquelles il est de coutume de se déguiser, au besoin en masquant son visage, qu’elles soient d’ampleur nationale ou locale, l’exemple le plus célèbre étant celui du carnaval.
Le cas des manifestations artistiques est également à considérer, dans la mesure où des acteurs de cinéma, de cirque ou de théâtre, dont le masque est l’un des emblèmes, peuvent avoir besoin de dissimuler leur visage. Il faut noter que ces manifestations peuvent se tenir tant sur la voie publique que dans des lieux ouverts au public ou affectés à un service public. En ce qui concerne les manifestations traditionnelles, devraient notamment entrer dans ce cadre les processions, notamment religieuses, durant lesquelles certaines personnes sont susceptibles de porter des tenues destinées à dissimuler leur visage.
B. LA SANCTION DE LA DISSIMULATION DU VISAGE ET DE LA CONTRAINTE AU PORT DU VOILE INTÉGRAL
L’article 3 fait de la violation de l’interdiction établie à l’article 1er une contravention de deuxième classe, punie d’une amende d’un montant maximal de 150 euros, à laquelle peut s’ajouter, ou se substituer, l’obligation d’effectuer un stage de citoyenneté.
La sanction retenue satisfait une double condition : elle est adaptée à la nature de l’infraction et elle est applicable, garantissant l’effectivité de l’interdiction.
1. Une sanction adaptée et suffisamment dissuasive
La sanction proposée comporte, d’une part, un aspect répressif, à travers le paiement d’une amende, qui est dissuasif sans être disproportionné et, d’autre part, un versant pédagogique, avec l’obligation d’effectuer un stage de citoyenneté.
a) Une peine d’amende proportionnée à la nature de l’infraction
L’article 3 du projet de loi prévoit de punir la dissimulation du visage dans l’espace public par une contravention de deuxième classe. Son montant ne pourrait donc pas excéder 150 euros, en vertu du 2° de l’article 131-13 du code pénal, qui fixe le montant des cinq catégories de contraventions. Seules les contraventions de cinquième classe pouvant être punies plus sévèrement en cas de récidive, le montant de l’amende encouru serait identique qu’il s’agisse d’une première infraction ou d’une récidive.
En outre, le fait de retenir une contravention de deuxième classe permet de fixer une amende, conformément à l’intention exprimée par le Gouvernement dans l’étude d’impact (26), non forfaitaire, au sens des articles 529 et suivants du code de procédure pénale. Pour qu’elle le soit, il faudrait qu’elle figure dans la liste des contraventions des quatre premières classes dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État au sens du premier alinéa de cet article. Ainsi, le ministère public et le juge de proximité auront l’opportunité d’adapter la sanction au contexte de l’infraction.
b) Le stage de citoyenneté, une sanction pédagogique
Le présent article prévoit que l’amende puisse s’accompagner ou être remplacée par l’obligation d’accomplir un stage de citoyenneté. Le fait d’accompagner, à titre de peine complémentaire, une peine contraventionnelle d’un stage de citoyenneté est prévu par l’article 131-16 8° du code pénal.
Ce stage a pour objet de « rappeler les valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité humaine sur lesquelles est fondée la société » (27). Ses objectifs sont précisés par l’article R. 131-35 du même code : le stage a pour but de « faire prendre conscience [à la personne qui le suit] de sa responsabilité pénale et civile ainsi que des devoirs qu’implique la vie en société. »
Ce stage, qui peut aussi concerner des mineurs, est réalisé en groupe, à l’occasion de sessions collectives, sa durée ne pouvant pas excéder un mois, conformément à l’article R. 131-36 du code pénal. Il est généralement réalisé par des associations agréées par le ministère de la Justice, sous le contrôle du procureur de la République ou du service pénitentiaire d’insertion et de probation. Son coût peut être mis à la charge du condamné et ne doit pas, en toute hypothèse, excéder 450 euros. Il ne peut pas être prononcé contre un prévenu qui le refuse.
La rapporteure tient à souligner son attachement à ce dispositif qui pourra, dans certains cas, constituer la seule sanction. Il est en effet primordial que les personnes contrevenantes aient l’opportunité de réfléchir au sens de leur comportement et puissent apprécier la portée des principes républicains de laïcité et d’égalité hommes femmes.
c) Une sanction suffisamment dissuasive
Afin de garantir l’effectivité de la future loi sur l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public, il est indispensable de sécuriser le déroulement de la procédure pénale, depuis le constat de l’infraction jusqu’au prononcé d’une sanction. À ce titre, la procédure telle qu’elle peut être envisagée à ce stade comprendrait deux phases successives, la première étant policière et la seconde, judiciaire.
Lorsque qu’un officier ou un agent de police judiciaire constatera qu’une personne porte dans l’espace public une tenue destinée à dissimuler son visage, ils pourront procéder à un contrôle d’identité sur le fondement de l’article 78-2 du code de procédure pénale.
En cas de refus persistant de montrer son visage pour être identifié le procureur de la République peut autoriser la prise d’empreintes digitales ou de photographies (28) dans la mesure où elles constitueraient alors « l’unique moyen d’établir l’identité de l’intéressé » sur le fondement du quatrième alinéa de cet article. Si la personne obtempère à la demande de vérification d’identité ou à la prise de photographies, elle ne se rend coupable que de la seule contravention prévue à l’article 3 du projet de loi.
Une fois que le procès-verbal constatant l’infraction a pu être établi, s’ouvre la phase judiciaire.
Du fait de sa catégorie, la contravention prévue à l’article 3 relève de la juridiction de proximité, qui est compétente pour les contraventions des quatre premières classes, conformément au deuxième alinéa de l’article 521 du code de procédure pénale, sauf si cette contravention figure parmi les contraventions qu’un décret en Conseil d’État attribue au tribunal de police.
2. La sanction de la contrainte au port du voile intégral
L’article 4 du projet de loi crée un délit d’instigation à la dissimulation du visage, puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Il vise à protéger les femmes qui sont contraintes de porter le voile intégral. Cette disposition traduit, en droit, le cinquième point de la résolution sur l'attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte, qui préconise que « tous les moyens utiles soient mis en œuvre pour assurer la protection effective des femmes qui subissent des violences ou des pressions, et notamment sont contraintes de porter un voile intégral. » (29)
Pour cela, il est nécessaire de créer un délit spécifique, qui porte directement sur la contrainte à la dissimulation du visage. L’article 4 du projet de loi introduit ce nouveau délit dans la partie du code pénal qui est consacrée aux atteintes à la dignité de la personne. En effet, si la dissimulation volontaire du visage n’est pas forcément constitutive, au sens juridique, d’une atteinte à la dignité de la personne humaine, tel n’est pas le cas lorsque c’est par la contrainte qu’est imposée cette dissimulation. Tous les constitutionnalistes entendus par la mission d’information ont souligné ce point.
Les personnes dissimulant leur visage pourraient ne pas être sanctionnées, sur le fondement de l’article 3 du projet de loi, si elles apportent la preuve qu’elles dissimulent leur visage dans l’espace public, sous l’empire de la contrainte. En effet, l’article 122-2 du code pénal, énonce que « n’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pas pu résister. ». L’auteur de l’instigation que ce soit par menace, violences ou contrainte sera, lui, condamné.
En outre, la création de ce délit ouvre aux magistrats de nouvelles possibilités. On peut, en effet, craindre que si la dissimulation du visage est imposée, celle-ci ne soit pas la seule forme de violence exercée à l’encontre de la victime. Dès lors, dans l’hypothèse où les faits seraient commis sur la personne du conjoint, du concubin ou des enfants de l’un des membres du couple, il sera possible au procureur, dans le cadre d’alternatives aux poursuites, et au juge pénal, de prendre des mesures visant à renforcer la sécurité des victimes. Pourront alors être décidées l’éviction du domicile ou de la résidence du couple et l’obligation de s’abstenir d’y paraître ou encore celle de faire l’objet d’une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique.
C. L’OUVERTURE D’UNE PHASE DE CONCERTATION ET DE MÉDIATION
L’article 5 du projet de loi repousse l’entrée en vigueur des articles 1er à 3 six mois après la publication de la loi. En revanche, il est prévu que les autres articles du projet de loi, et notamment l’article 4 portant sur l’instigation à dissimuler son visage, soient d’application immédiate.
Cette entrée en vigueur différée a pour but d’ouvrir une phase de concertation et de médiation avec les personnes qui dissimulent leur visage dans l’espace public. Cette période devrait permettre à tous les acteurs impliqués dans cette problématique de mettre en œuvre les actions nécessaires pour expliquer les termes de la résolution parlementaire et de la loi et pour faire régresser cette pratique avant même son entrée en vigueur. Elle doit rendre possible ce travail d’information, de persuasion et de dialogue avec les personnes qui seront concernées par l’interdiction. Elle sera également l’occasion de faire connaître les nouvelles dispositions, notamment par voie de circulaire, à tous les agents publics qui seront chargés de les mettre en application.
Ce projet de loi parvient à un équilibre entre volonté de sanctionner clairement une pratique contraire aux valeurs républicaines et l’incitation à la médiation qui permettra aux personnes contrevenantes de réfléchir aux motivations profondes de leur comportement.
La Délégation aux droits des femmes s’est réunie le mardi 22 juin 2010, sous la présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, pour examiner le rapport d’information.
Un débat a suivi l’exposé de la rapporteure.
M. Jean-Luc Perat. Même si je vois rarement dans ma région des femmes intégralement voilées, ce phénomène m’interpelle. A-t-on idée de l’origine de ces femmes, portent-elles le voile intégral à leur arrivée en France ? A-t-on évalué le nombre de personnes qui se dissimulent le visage pour des fins non avouables ou des comportements délictueux ?
Mme Bérengère Poletti. Les services de police ont évalué à 2 000 le nombre de femmes qui portent le voile intégral mais sans que l’on connaisse précisément la méthodologie employée pour arriver à ce chiffre. Il ne s’agit pas d’une pratique importée de l’étranger et 25 % de ces femmes sont d’origine européenne et se sont converties. Ce comportement est prôné par un courant radical de l’Islam qui s’appelle le courant Salafiste. Il faut être conscient que cette pratique n’est qu’un élément visible des pressions exercées sur les femmes comme, par exemple, des interdictions de sortir ou de recourir librement à la contraception. La République Française doit réagir et elle en a les moyens.
Que dire des pressions exercées sur les jeunes filles contraintes de cacher leur féminité en portant des vêtements amples ou contraintes d’observer certains interdits. Comment peut-on prôner l’égalité des salaires et la parité et en même temps tolérer la pratique du voile intégral ? C’est un ensemble d’éléments qui sont inadmissibles.
Mme Catherine Coutelle. Cette pratique du voile intégral est une question très délicate mais je m’interroge sur les possibilités concrètes d’interdire ces comportements. Si ce phénomène résulte de l’influence d’un mouvement sectaire, pourquoi ne pas l’interdire au titre de la législation anti-sectes ? Est-il vraiment nécessaire d’adopter une nouvelle loi alors qu’il est possible de demander à ces femmes de s’identifier lorsqu’elles accèdent aux services publics ? Si les sectes testent la République et la démocratie, il faut évidemment y apporter une réponse et la loi est un moyen de le faire. En outre, les femmes attendent un signe de soutien de notre part.
Mme Bérengère Poletti. Je comprends très bien vos interrogations et il s’agit là d’une question difficile. Il faut avoir conscience que ces pratiques cherchent effectivement à tester la solidité de nos valeurs républicaines. Si nous ne réagissons pas, il y aura de plus en plus de provocations et d’atteintes à la neutralité de l’espace public. L’autre jour par exemple, j’ai été témoin d’un comportement intolérable : un groupe de jeunes gens a refusé de montrer son titre de transport à un contrôleur de la SNCF, au motif que c’était une femme. Nous devons éviter toute mauvaise conscience devant l’argument selon lequel il ne faut pas interdire le voile intégral car cela aurait pour conséquence de contraindre les femmes à ne plus sortir de chez elles. Je ne le crois pas car elles devront nécessairement sortir, ne serait-ce que pour aller chercher les enfants à l’école. L’interdiction par la loi fera évaluer les mentalités comme ce fut le cas lors de l’interdiction du voile dans les établissements scolaires.
M. Jean-Luc Perat. Peu de personnes se sont servies du voile intégral pour réaliser des actes délictueux. Je comprends bien que ces comportements représentent une provocation contre la République mais il ne faudrait pas que les femmes soient à nouveau la victime des hommes : ce sont des hommes qui sont à l’origine de ces pratiques et qui contraignent les femmes.
Mme Bérengère Poletti. Il ne faut pas oublier que le seul argument juridique valable pour justifier l’interdiction générale est celui de la sécurité. Le recours au voile intégral rend inutile les caméras de surveillance installées dans nos villes pour veiller à notre sécurité. Concernant les contraintes exercées sur les femmes il ne faut pas majorer ce phénomène. Certaines femmes décident de porter le voile intégral et certaines ont des comportements totalement intégristes, beaucoup plus radicaux que les hommes.
Les services publics doivent prendre leurs responsabilités alors qu’actuellement certains accommodements recommandés par l’Éducation nationale sont tout à fait inacceptables. On conseille par exemple, aux femmes entièrement voilées de broder leur nom sur leurs vêtements pour être identifiées lorsqu’elles viennent chercher leur enfant à l’école.
La Délégation a adopté le rapport présenté par Mme Bérengère Poletti et les recommandations suivantes :
La Délégation aux droits des femmes recommande de se prononcer en faveur de l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public qui permettra de sanctionner des pratiques que l’on ne saurait tolérer tout en prévoyant des actions de sensibilisation pour les faire évoluer.
Elle considère qu’il est indispensable que ce projet s’accompagne également de la mise en place dans les établissements scolaires, de façon planifiée et organisée, d’actions d’éducation à la mixité, à l’égalité entre les filles et les garçons et au respect mutuel.
LISTE DES PERSONNES CONSULTÉES
PAR LA RAPPORTEURE
Pour ses travaux dans le cadre du présent rapport, la rapporteure a sollicité l’avis des personnes suivantes sur le droit des femmes :
— Mme Anne Levade, professeur de droit public à Université Paris Est - Créteil Val-de-Marne ;
— M. Ferdinand Melin-Soucramanien, professeur de droit public à Bordeaux ;
— Mme Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux, auditrice de l'I.H.E.D.N, chercheur associé à Cultes et Cultures Consulting ;
— Mme Kadijia Azougach, juriste et anthropologue, bénévole au Planning familial ;
— Mme Bénédicte du Chaffaut, sociologue, théologienne et islamologue.
1 () Rapport n° 2232 fait au nom de la mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, janvier 2010, Voile intégral : le refus de la République.
2 () Idem, p. 167-171.
3 () Audition du 8 juillet 2009 par la mission d’information.
4 () Conseil constitutionnel, décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994 sur la loi relative au respect du corps humain et au don d’organes, rec. p.176 et décision n° 94-359 DC du 19 janvier 1995 sur la loi relative à la diversité de l'habitat, rec. p.175.
5 () Tribunal administratif de Montpellier, 18 décembre 2007, Commune de la Grande Motte.
6 () Audition du 9 décembre 2009.
7 () Audition du 9 septembre 2009.
8 () Idem.
9 () Idem.
10 () Dounia et Lylia Bouzar, La république ou la burqa, Editions Albin Michel, 2009.
11 () Audition du 9 septembre 2009.
12 () Audition du 15 juillet 2009.
13 () Audition du 25 novembre 2009.
14 () Audition du 8 juillet 2009.
15 () Audition du 8 juillet 2009.
16 () Audition du 21 octobre 2009.
17 () Audition du 4 novembre 2009.
18 () Idem.
19 () Idem.
20 () Idem.
21 () Entretien paru sur le site Internet “business Bondy blog”, site consacré à l’économie des banlieues, le 16 février 2009.
22 () Article de Carolyn Sargent et Dorra Mamer-Chaabi, mars 2010.
23 () Étude d’impact, p. 17.
24 () Conseil d’État, Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, 25 mars 2010, p. 33 et 34.
25 () TGI Paris, 23 octobre 1986, confirmé par la cour d’appel de Paris, 19 novembre 1986.
26 () Étude d’impact, p. 19.
27 () Art. 131-5-1 du code pénal.
28 () Pour l’application de cette procédure, il est évident que la personne dont l’identité est contrôlée doit accepter de se faire photographier tête nue. Le fait d’accepter d’être photographié uniquement avec le visage dissimulé devrait être regardé comme un refus de la prise de photographies.
29 () Résolution sur l'attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte, adoptée par l'Assemblée nationale le 11 mai 2010, TA n° 459.
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