N° 2762 - Rapport d'information de Mme Marie-Jo Zimmermann déposé par la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes sur le projet de loi portant réforme des retraites (n° 2760)



N° 2762

——

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 juillet 2010.

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES SUR LE PROJET DE LOI portant réforme des retraites (N° 2760),

PAR Mme Marie-Jo ZIMMERMANN,

Députée.

——

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Marie-Jo ZIMMERMANN, présidente ; Mmes Danielle BOUSQUET, Claude GREFF, Geneviève LEVY, Bérengère POLETTI, vice-présidentes ; Mme Martine BILLARD, M. Olivier JARDÉ, secrétaires ; Mmes Edwige ANTIER, Huguette BELLO, Marie-Odile BOUILLÉ, Chantal BOURRAGUÉ, Valérie BOYER, Martine CARRILLON-COUVREUR, Joëlle CECCALDI-RAYNAUD, Marie-Françoise CLERGEAU, Catherine COUTELLE, Pascale CROZON, Marie-Christine DALLOZ, Claude DARCIAUX, Marianne DUBOIS, Odette DURIEZ, M. Guy GEOFFROY, Mmes Arlette GROSSKOST, Françoise GUÉGOT, MM. Guénhaël HUET, Bruno LE ROUX, Mmes Gabrielle LOUIS-CARABIN, Jeanny MARC, Martine MARTINEL, Henriette MARTINEZ, M. Jean-Luc PÉRAT, Mmes Josette PONS, Catherine QUÉRÉ, MM. Jacques REMILLER, Daniel SPAGNOU, M. Philippe VITEL.

INTRODUCTION 5

I.– LA SITUATION DES FEMMES RETRAITÉES : DES INÉGALITÉS FORTES QUI NÉCESSITENT DES CORRECTIFS 6

A. LES ÉCARTS ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES SE CREUSENT AU MOMENT DE LA RETRAITE 6

B. LA GRANDE DISPARITÉ DES PENSIONS VERSÉES AUX FEMMES ET L’ÉVOLUTION DE LA CONJUGALITÉ 8

II.– LE RAPPROCHEMENT DES DURÉES D’ASSURANCE EST INSUFFISANT À RÉDUIRE LES ÉCARTS DE PENSION 10

A. LE RAPPROCHEMENT DES DURÉES D’ASSURANCE… 10

1. Les évolutions constatées sur les cotisants 10

2. Les projections en termes de durée d’assurance 11

B. …NE SUFFIT PAS À RÉTABLIR L’ÉGALITÉ CAR DES FACTEURS CONTRECARRENT CETTE ÉVOLUTION 11

1. La dégradation de la qualité de l’emploi 11

2. La persistance des écarts salariaux 12

3. La compensation incomplète opérée par les droits familiaux 12

C. …COMME LE MONTRENT LES PROJECTIONS DES NIVEAUX DE PENSION 13

III.– LE PROJET DE LOI DE RÉFORME DES RETRAITES ET SON IMPACT SUR LES PENSIONS SERVIES AUX FEMMES 15

A. LES DISPOSITIONS CONCERNANT PLUS SPÉCIFIQUEMENT LES RETRAITES DES FEMMES 15

1. Les missions du Comité de pilotage des organismes de retraite (article 1er) 15

2. La meilleure prise en compte pour les droits à la retraite du congé de maternité (article 30) 15

3. La sanction des entreprises pour défaut d’élaboration du Rapport de situation comparée (article 31) 17

a) Le bilan de la persistance des inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes et des carences de la négociation collective 18

b) La seule sanction du défaut de rapport de situation comparée n’est pas suffisamment efficace 19

4. La suppression du départ anticipé pour les fonctionnaires ayant eu trois enfants (article 23) 21

a) Les bénéficiaires du départ anticipé dans la fonction publique 21

b) La suppression du dispositif et le régime transitoire 23

B. LES AUTRES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI QUI SE RÉPERCUTERONT SUR LES PENSIONS DES FEMMES 24

1. L’indispensable mesure de l’impact de la réforme sur les pensions servies aux femmes 24

2. Ce sont les femmes qui vont devoir travailler jusqu’à 67 ans ou qui partiront avec des retraites incomplètes 26

a) Le recul de l’âge du taux plein à 67 ans pénalise les femmes (article 6) 26

b) Le relèvement de l’âge dans la fonction publique et l’alignement des règles applicables pour le minimum garanti (articles 11, 12 et 24) 29

3. La problématique de la prise en compte de la pénibilité au travail 30

a) Le maintien du départ à 60 ans pour les assurés à l’état de santé dégradé (article 26) 30

b) Le suivi des expositions de salariés aux facteurs de risques professionnels (article 25) 30

III.– LES POINTS NON RÉGLÉS PAR LE PROJET DE LOI 32

A. LES CONSÉQUENCES DU TEMPS PARTIEL SUR LES RETRAITES 32

1. Temps partiel et salaire de référence 33

2. Temps partiel ne permettant pas la validation de trimestres 33

3. Des correctifs indispensables pour anticiper des effets majeurs 34

a) Relancer la négociation sur la surcotisation à l’assurance vieillesse qui reste une pratique marginale, voire totalement ignorée 34

b) Prendre en compte les temps très partiels 35

B. LA RÉVERSION, L’ASSURANCE VEUVAGE ET LE VEUVAGE PRÉCOCE 36

1. La pérennisation de l’assurance veuvage 36

2. L’emploi des seniors et la réversion 37

3. Le partage des droits à la retraite 38

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION ET RECOMMANDATIONS ADOPTÉES 40

ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA DÉLÉGATION ET COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 47

ANNEXE 2 : PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR 117

Bien que les femmes aient massivement investi le monde du travail, qu’elles constituent ainsi des droits propres à pension et bénéficient de dispositifs en partie correcteurs liés au fait d’avoir eu des enfants, les femmes et les hommes ne sont toujours pas égaux au moment de la retraite. Des écarts considérables persistent en matière de pensions, écarts d’autant plus préoccupants que s’y ajoute la forte dispersion des retraites servies aux femmes qui placent certaines d’entre elles dans des conditions économiques précaires.

Ce constat a été mis en avant, de façon répétée, par la Délégation aux droits des femmes, en juin 2003 au moment de la discussion du projet de loi portant réforme des retraites, en juillet 2008 à l’occasion de l’ouverture du deuxième rendez-vous sur les retraites et en octobre 2009 lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 qui a réformé le dispositif des majorations de durée d’assurance pour enfant (MDA) (1).

Or, la réforme des retraites engagée au printemps 2010, n’a jamais abordé cette question en tant que telle. Comme l’a souligné la Présidente de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, Mme Danièle Karniewicz, lors de son audition : « On n’aborde pas aujourd’hui la question pourtant fondamentale du niveau des retraites, et donc encore moins du niveau des retraites des femmes » (2).

La réussite de cette réforme passe pourtant par la mise à plat d’un certain nombre de problèmes et suppose une évaluation de l’impact des mesures proposées sur le niveau des pensions servies aux femmes. En effet, des mesures, en apparence neutres, les affectent en réalité de façon différente, en raison des particularités des carrières professionnelles des femmes.

I.– LA SITUATION DES FEMMES RETRAITÉES : DES INÉGALITÉS FORTES QUI NÉCESSITENT DES CORRECTIFS

A. LES ÉCARTS ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES SE CREUSENT AU MOMENT DE LA RETRAITE

En 2004, le montant moyen des retraites perçues par les femmes a été de 38 % inférieur à celui des hommes, ou, pour le dire autrement, les femmes ont perçu un montant moyen de retraite égal à 62 % de celui des hommes (1020 euros contre 1636 euros), c’est-à-dire à peine des deux tiers.

Montants mensuels moyens bruts de la retraite globale selon l’âge et le sexe, pour 2004

 

60 à
64 ans

65 à
69 ans

70 à
74 ans

75 à
79 ans

80 ans et plus

Ensemble

(en euros)

           

Retraite globale Femmes

1 191

961

941

986

1 067

1 020

Dont :

- Avantage principal de droit direct

1 073

801

705

663

616

745

- Avantage principal de réversion

75

120

192

279

397

229

- Avantages accessoires

43

41

44

45

54

46

             

Retraite globale Hommes

1 672

1 674

1 604

1 612

1 609

1 636

Dont :

- Avantage principal de droit direct

1 603

1 599

1 519

1 514

1 498

1 550

- Avantage principal de réversion

6

8

10

17

26

13

- Avantages accessoires

64

67

75

82

85

74

Avantages accessoires : bonifications pour enfants, majoration pour conjoint à charge, majoration pour aide constante d’une tierce personne, minimum vieillesse.

Champ : retraités de 60 ans ou plus, nés en France, ayant au moins un avantage de droit direct. Les retraités ne percevant qu’une pension de réversion sont exclus.

Source : Drees, échantillon interrégimes de retraités 2004.

Ces écarts de pension résultent, pour beaucoup, des différences dans le déroulement des carrières professionnelles : périodes d’inactivité ou d’interruptions d’activité liées à l’éducation des enfants, exercice d’une activité à temps partiel subi ou choisi, inégalités salariales et moindre progression professionnelle, comme cela apparaît lorsque l’on compare les droits directs acquis par les hommes et les femmes (ce qui exclut principalement la prise en compte des pensions de réversion et le minimum vieillesse).

Les avantages de droits directs acquis par les femmes ne représentaient encore, en 2008, que 58 % de ceux des hommes (soit une retraite moyenne de droit direct de 825 euros mensuels contre 1426 euros pour les hommes)(3).

Malgré les dispositifs correcteurs, cette situation retentit sur le montant des retraites versées comme le montre le fait que les bénéficiaires du « minimum vieillesse » restent majoritairement des femmes.

Les allocataires du minimum vieillesse

 

Isolés (en milliers)

En couple (en milliers)

Ensemble (en milliers)

En 2008

Femmes

Hommes

Femmes

Hommes

Femmes

Hommes

             

60-64 ans

36,8

28,1

4,1

19,5

40,9

47,6

65-69 ans

40,2

23,2

5.8

33,6

46,0

56,8

70-74 ans

43,6

18,8

6,7

31,6

50,3

50,4

75-79 ans

46,5

15,4

6,4

24,6

52,9

39,9

80-84 ans

47,7

11,3

4,7

18,7

52,4

30,0

85-89 ans

44,5

6,4

2,5

9,4

47,0

15,7

90 ans ou plus

38,7

2,9

0,8

2,8

39,5

5,8

Ensemble

298,0

106,0

31,0

140,1

329,0

246,2

Source : INSEE, Regards sur la parité, 2008.

De même, les bénéficiaires du « minimum contributif » sont aussi très majoritairement des femmes : 70 % des cas parmi la population de prestataires au 31 décembre 2008 (4).

Les assurés bénéficiant d’une retraite à taux plein, mais ayant cotisé sur la base de salaires modestes au régime général, peuvent, en effet, voir leur pension de retraite du régime général portée à un montant minimum fixé par décret, dit « minimum contributif ». En tout, une femme sur deux voit sa pension de droit propre portée à ce minimum (5).

On retrouve un écart similaire, même en flux, pour 2008, comme le montre le tableau suivant :

Répartition des retraités du flux 2008 selon le genre

 

Ensemble

Hommes

Femmes

Parmi le flux 2008

100 %

53 %

47 %

Parmi les bénéficiaires du minimum contributif

100 %

36 %

64 %

Source : « Les principaux chiffres du régime général au 31 décembre 2008 », CNAV (Champ : métropole et DOM).

B. LA GRANDE DISPARITÉ DES PENSIONS VERSÉES AUX FEMMES ET L’ÉVOLUTION DE LA CONJUGALITÉ

Même en tenant compte des droits dérivés et des mécanismes de compensation que constituent les droits familiaux et conjugaux, les retraites servies aux femmes restent, en moyenne, inférieures à celles des hommes.

Surtout, ce chiffre cache en réalité des disparités très importantes au sein des pensions versées, entre les femmes qui ont eu une carrière complète (moins d’une femme retraitée sur deux en 2004) et celles qui ont travaillé de façon interrompue ou précaire et ont eu une carrière incomplète, parfois très courte.

Les travaux du Conseil d’orientation des retraites (COR) ont montré que, en 2004, près de la moitié des femmes avaient une retraite inférieure à 900 euros, contre 20 % des hommes.

Or, ce chiffre est à combiner avec les évolutions de la conjugalité et l’accroissement des séparations comme l’a souligné la Présidente de la CNAV, Mme. Danielle Karniewitz : « Les femmes, qui perçoivent les plus faibles salaires, bénéficient des dispositifs de solidarité, mais ceux-ci ne garantissent que des minima. Les femmes restent les premières victimes de la situation actuelle, d’autant qu’elles pâtissent de certaines évolutions sociologiques. De plus en plus de couples se séparent au moment de la retraite, ce qui place de nombreuses femmes dans des situations très difficiles. Et pourtant, le niveau de leur retraite n’est pas du tout au cœur du rendez-vous retraite 2010. »

À la montée des unions hors mariage depuis la fin des années soixante-dix, pour lesquelles le dispositif de la réversion ne jouera pas, s’ajoute la forte croissance des séparations.

Selon l’analyse effectuée par le COR des évolutions de la conjugalité (6) : alors que les femmes actuellement à la retraite (nées avant 1945) se sont presque toutes mariées et n’ont finalement connu que peu de divorces, souvent tardifs, les femmes qui vont prendre leur retraite dans les prochaines années (nées à partir de 1950 environ) se sont aussi mariées pour la plupart, mais ont été affectées par la montée du nombre de divorces.

Ainsi, l’arrivée à l’âge de la retraite des générations nombreuses du baby-boom s’accompagne d’un doublement soudain du nombre de femmes divorcées qui prennent leur retraite.

Pour les femmes nées vers 1950, les parcours matrimoniaux seront probablement les suivants : sur dix femmes, une sera restée célibataire, trois auront divorcé (dont une qui se sera remariée et deux qui conserveront le statut de divorcées au moment de la retraite), et les six autres se seront mariées sans jamais divorcer.

Pour celles nées vers 1970, les chiffres seraient les suivants : sur dix femmes, trois resteraient célibataires, trois se marieraient puis divorceraient (dont une remariée et deux qui seraient toujours divorcées au moment de la retraite), et quatre se marieraient sans jamais divorcer.

Globalement, la proportion d’hommes et de femmes vivant seuls à un âge donné tend à s’accroître au fil des générations.

Les représentantes du Laboratoire de l’égalité reçue par votre rapporteure ont particulièrement insisté sur ce point, car il retentit fortement sur le niveau de vie des personnes retraitées qui une fois seule se retrouvent confrontées à des charges fixes bien plus lourdes.

Compte tenu des évolutions de la conjugalité et de la multiplication des séparations qui affectent le niveau de vie des retraitées, les mesures de compensation des aléas de carrière, et particulièrement celles liées à l’éducation des enfants, doivent être préservées et adaptées, mais la constitution de droits directs par les femmes doit être privilégiée.

II.– LE RAPPROCHEMENT DES DURÉES D’ASSURANCE EST INSUFFISANT À RÉDUIRE LES ÉCARTS DE PENSION

On constate une convergence progressive des durées d’assurance qui s’explique par le fait que les femmes ont des carrières de plus en plus complètes au fil des générations.

A. LE RAPPROCHEMENT DES DURÉES D’ASSURANCE…

1. Les évolutions constatées sur les cotisants

Le constat que l’on peut faire aujourd’hui sur les cotisants montre que les écarts de durée d’assurance à l’âge de trente ans se resserrent. Il y a moins d’un trimestre d’écart entre les femmes et les hommes de la génération de 1970, en raison de l’entrée croissante des femmes sur le marché du travail.

Cette évolution appelle cependant deux remarques :

– les écarts de durée d’assurance à l’âge de trente ans sont peu significatifs dans la mesure où, à cet âge et, en moyenne, les femmes viennent seulement d’avoir leur premier enfant. L’effet découlant de la présence des enfants sur les carrières est encore minime, il se manifeste plus tard et augmente avec le nombre d’enfants ;

D’ailleurs, si l’on constate un raccourcissement de la durée d’interruption liée à l’éducation des enfants, qui est aujourd’hui de quatre ans et trois mois en moyenne, quand on l’ajoute aux périodes de chômage, la durée totale d’interruption d’activité des femmes reste bien plus élevée que celle des hommes : elle est de trois ans et trois mois en moyenne, contre un an et quatre mois.

– le resserrement de l’écart résulte d’une plus large participation des femmes au marché du travail, mais aussi du fait que, entre les générations de 1942 et 1966, les hommes ont « perdu » près de dix trimestres de durée d’assurance, en raison d’une entrée plus tardive dans la vie active et de plus grandes difficultés d’insertion sur le marché du travail, par rapport aux générations précédentes. Globalement, le nombre de trimestres validés à trente ans a en fait diminué : il est passé de 39,8 trimestres en 1950 (chiffre le plus haut pour la période considérée) à 30,8 en moyenne pour la génération de 1974 (7).

2. Les projections en termes de durée d’assurance

Les taux d’activité masculins et féminins se rapprochent (en trente ans on est passé d’un écart de près de 30 % à moins de 10 % entre les taux d’activité). À la différence des générations les plus anciennes qui ont peu ou pas travaillé, 83 % des femmes entre 25 et 49 ans sont aujourd’hui actives.

En conséquence, les écarts de durée d’assurance entre les hommes et les femmes se resserrent effectivement, au fil des générations : la durée d’assurance validée par les femmes s’accroît, tout en restant toutefois inférieure à celle des hommes : entre 40 et 50 ans l’écart de durée moyenne d’assurance passerait de 23 à 14 trimestres (8).

Il faut toutefois préciser que ces chiffres portent sur « la durée d’assurance validée » c’est-à-dire sur les trimestres effectivement cotisés, y compris les périodes assimilées. Ils ne prennent donc pas en compte les trimestres obtenus au titre des majorations de durée d’assurance (MDA) car ceux-ci ne sont intégrés à la durée d’assurance qu’au moment de la liquidation de la retraite. Par contre, ils prennent en compte les trimestres validés au titre de l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) dont les femmes sont pratiquement les seules bénéficiaires. Ils intègrent donc déjà un effet correctif de la non-activité.

B. …NE SUFFIT PAS À RÉTABLIR L’ÉGALITÉ CAR DES FACTEURS CONTRECARRENT CETTE ÉVOLUTION

Si les projections sur les durées d’assurance montrent un rapprochement des écarts entre hommes et femmes au fil des générations, l’évolution des niveaux de pension devrait cependant persister.

1. La dégradation de la qualité de l’emploi

De la progression du taux d’activité des femmes, il est souvent tiré la conclusion que le problème des retraites inférieures versées aux femmes va se résoudre de lui-même, avec l’entrée croissante des jeunes femmes sur le marché du travail.

Or, les formes de l’inactivité féminine ont changé et parmi les générations plus jeunes, si le taux d’activité continue de progresser, cette progression se fait plus lente.

L’analyse des conséquences immédiates de la crise est à cet égard éclairante, car le mode d’ajustement du marché du travail a été sensiblement différent pour les hommes et pour les femmes. Les hommes travaillant plus que les femmes dans l’industrie, ont été plus touchés par les suppressions d’emploi massives qui y ont eu lieu en 2009. Les femmes, davantage employées dans le tertiaire, ont subi moins massivement ce phénomène, mais ont connu à la fois des pertes d’emploi et des réductions d’horaires, alors même qu’elles étaient déjà employées à temps partiel (9).

Comme l’a indiqué à la Délégation M. Jean-Michel Hourriez, responsable des études au COR : « La progression du travail à temps partiel et le chômage sont venus annuler les effets de la hausse du taux d’activité féminin. Si l’activité féminine progresse régulièrement, celle du taux en équivalent temps plein (ETP) stagne à partir de la génération 1955 ».

2. La persistance des écarts salariaux

Les retraites reflètent les écarts de salaire de référence : depuis 1993, la pension du régime général dépend du salaire annuel moyen calculé sur les vingt-cinq meilleures années de la carrière et les pensions complémentaires prennent en compte les salaires de toute la carrière.

Or, depuis les années quatre-vingt dix, les écarts salariaux ne diminuent plus. Ils s’établissent toujours autour de 19 % en moyenne et sont encore plus marqués pour les femmes cadres qui perçoivent, en moyenne, un revenu de 23 % inférieur à celui de leurs homologues masculins dans le secteur privé.

Cet état de fait ne permet pas donc pour l’instant d’envisager une amélioration qui, en tout état de cause, ne pourrait avoir d’effet qu’à une échelle de temps extrêmement longue sur le niveau des pensions servies aux femmes.

3. La compensation incomplète opérée par les droits familiaux

Force est de constater que malgré la compensation opérée par les droits familiaux, les écarts de pensions servies aux femmes se creusent en fonction du nombre d’enfants.

En 2004, les femmes sans enfant ou avec un seul enfant touchaient une pension supérieure de plus de 25 % à la moyenne des pensions servies aux femmes (plus de 1000 euros par mois contre 825 euros en moyenne) alors que les femmes ayant eu trois enfants percevaient une pension de 15 % inférieure à cette moyenne.

Apport des droits familiaux à la pension de droit propre servie en 2004 aux femmes des générations 1934 et 1938 selon le nombre d’enfants

En euros

Pension moyenne mensuelle tous régimes 2004

 

Sans droits familiaux

Avec droits familiaux

0 enfant

1122

1122

1 enfant

995

1029

2 enfants

737

818

3 enfants

527

703

4 enfants et plus

320

627

Ensemble

693

825

DRESS, échantillon interrégimes de retraites 2004 et de cotisants 2001.

C. …COMME LE MONTRENT LES PROJECTIONS DES NIVEAUX DE PENSION

La seule convergence des durées d’assurance ne suffirait pas à combler les écarts de niveau de pension entre les hommes et les femmes.

Selon les projections effectuées à la demande du COR, pour les générations de 1965 à 1974, les pensions des femmes ne représenteraient encore que 63 % de celle des hommes (10).

Écarts de pension de droit propre et d’âge de liquidation
des hommes et des femmes projetés

Générations

Pension des femmes /
pension des hommes

Âge moyen de départ en retraite des femmes

Âge de liquidation [femmes -hommes]

% femmes liquidant
à 65 ans

1940-1944

49 %

62,5

+1,8 an

42 %

1945-1954

55 %

62,2

+1,3 an

38 %

1955-1964

58 %

62,0

+0,1 an

34 %

1965-1974

63 %

61,9

-0,3 an

33 %

Source : calculs COR à partir de INSEE, modèle de microsimulation Destinie ; Bonnet et al. (2006).

Le graphique suivant, montre que la pension moyenne des femmes resterait significativement inférieure à celles des hommes et suivant un écart constant.

note de lecture : pour les assurés qui partent en retraite en 2030, la pension servie par la CNAV serait en moyenne de 9146 euros chez les hommes et de 7705 euros chez les femmes.

Nb : Cette pension est calculée comme la moyenne des pensions de droit direct (donc hors pension de réversion) versées par la CNAV. Elle est présentée en euros constants, c’est-à-dire en ne prenant pas en compte la revalorisation des pensions.

Source : CNAVTS

M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale, a indiqué à la Délégation (11) que : « Il est clair que de grandes disparités existent entre hommes et femmes en termes de retraites, que ces écarts existent depuis des générations et qu’ils ne se résorbent que très lentement comme les projections le font apparaître. Au fil du temps, ces écarts de pensions vont être de moins en moins liés à des différences de durées de cotisation car de plus en plus de femmes auront des carrières complètes, mais ils subsisteront en raison des profils de carrière des femmes et des inégalités salariales. »

Au vu de ces projections, il est indispensable d’agir à la fois sur la réduction des inégalités entre les hommes et les femmes pendant la vie professionnelle, mais aussi adopter des mesures correctrices ayant des effets plus immédiats pour traiter la situation des femmes qui vont liquider leurs droits à la retraite dans les cinq à dix ans qui viennent et qui vont subir les conséquences d’une situation passée.

III.– LE PROJET DE LOI DE RÉFORME DES RETRAITES ET SON IMPACT SUR LES PENSIONS SERVIES AUX FEMMES

A. LES DISPOSITIONS CONCERNANT PLUS SPÉCIFIQUEMENT LES RETRAITES DES FEMMES

1. Les missions du Comité de pilotage des organismes de retraite (article 1er)

L’article 1er du projet de loi institue le Comité de pilotage des organismes de retraite qui vise à associer les partenaires sociaux au pilotage des régimes. Ce comité se voit confier plusieurs missions relatives à la pérennité financière des régimes de retraite, à l’équité du système de retraite et au maintien d’un niveau de vie satisfaisant des retraités. A cette fin, le comité suit notamment les conditions dans lesquelles s’effectuent : « la réduction des écarts de pension entre hommes et femmes ».

Le système actuel de retraite étant surtout adapté aux carrières linéaires et ascendantes, un creusement des inégalités est, en effet, à craindre et elles affecteront, en priorité, les retraites des femmes.

C’est pourquoi la Délégation approuve l’inscription, par la loi, de l’impératif d’équité et donc de réduction inégalités de pension entre les hommes et les femmes.

Il faut toutefois préciser que la réduction de ces inégalités est, en principe, déjà un objectif. Il figure, en effet, parmi les objectifs de qualité et d’efficience fixés dans la loi de financement de la sécurité sociale qui prône la réduction de ces écarts de pension (12).

2. La meilleure prise en compte pour les droits à la retraite du congé de maternité (article 30)

Les périodes de congé de maternité sont, au regard des droits à la retraite, des périodes dites « assimilées », c’est-à-dire qu’elles ouvrent droit à la validation de trimestres de la même façon que si la personne avait été en activité.

Par contre, la période de congé de maternité ne donnant pas lieu à versement de salaires mais à des « indemnités journalières de maternité », les sommes perçues par la salariée au titre de ces indemnités ne sont pas prises en compte dans le salaire annuel moyen qui va servir au calcul de la pension. En pratique, il n’y a pas de « report au compte » des sommes perçues pendant le congé de maternité au titre des indemnités journalières. Seules les sommes versées en complément par l’employeur lorsqu’il y a garantie de salaire pendant le congé de maternité font l’objet d’un report. Le salaire annuel moyen s’en trouve donc diminué.

Ces règles sont les mêmes que celles applicables aux périodes de maladie ou d’accident du travail ou de chômage. Il n’y a donc pas de prise en compte spécifique de la maternité, alors même que celle-ci constitue un « bien social »  selon les propres termes de Mme Brigitte Grésy (13), et a un impact sur le montant des pensions de retraite, non seulement en raison du mode de calcul retenu, mais aussi de l’effet de la maternité sur le déroulement de la carrière professionnel des femmes.

Le choc de l’arrivée d’un enfant sur l’activité féminine

L’arrivée d’un enfant marque le plus souvent une rupture dans les trajectoires professionnelles féminines. Pour certaines, cette rupture se traduit par un renoncement à « faire carrière », pour d’autres, par un renoncement à l’activité, en raison des difficultés rencontrées sur le marché du travail ou de leurs difficultés à concilier leur double vie. Les femmes les mieux insérées sur le marché du travail à la naissance, que ce soit par leur statut (CDI) ou leur niveau de diplôme, sont celles qui diminuent le moins leur activité professionnelle et quand elles la modifient, c’est plutôt par des passages à temps partiel ou des réductions d’activité que des sorties [Pailhé, Solaz, 2006]. En revanche, l’arrivée d’un enfant n’influence pas les trajectoires masculines, sauf rares exceptions. En résulte un mouvement général vers une plus forte spécialisation entre conjoints, les femmes dans la responsabilité familiale, les hommes dans la responsabilité professionnelle. Cette spécialisation visible dès le premier enfant, se creuse ensuite.(…)

Source : Brigitte Grésy, Rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, juillet 2009, p. 41.

En 2008, la Délégation, rejoignant alors les propositions formulées par le conseil d’administration de la CNAV visant à une meilleure prise en compte des périodes assimilées, avait demandé que les périodes de congé de maternité donnent lieu à une compensation intégrale par un report au compte des indemnités journalières de maternité, qui est reprise par le projet de loi.

Le coût de cette mesure, qui selon les termes du projet de loi sera applicable au 1er janvier 2012, sera pris en charge par le fonds de solidarité vieillesse.

La délégation se réjouit de cette mesure qui répond à une de ses demandes plusieurs fois formulée, mais souhaiterait qu’elle s’applique dès le 1er janvier 2011.

3. La sanction des entreprises pour défaut d’élaboration du Rapport de situation comparée (article 31)

Lors de la discussion de la loi du 23 mars 2006 sur l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, un débat avait eu lieu sur l’opportunité, ou non, de la fixation de sanctions applicables aux entreprises qui ne respecteraient pas leurs obligations en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Ces sanctions n’avaient pas été arrêtées et il avait été seulement décidé, que le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes établirait une évaluation à mi-parcours des négociations et que « au vu du bilan effectué à cette occasion, le Gouvernement pourra présenter au Parlement, si nécessaire, un projet de loi instituant une contribution assise sur les salaires, et applicable aux entreprises ne satisfaisant pas à l’obligation d’engagement des négociations » sur la suppression des écarts de rémunération entre les hommes et les femmes (14).

La Délégation avait alors regretté cette disposition et considéré que : « prévoir d’éventuelles sanctions est déjà préjuger d’une possibilité d’échec du texte, mettant ainsi en doute sa crédibilité dès le départ. » (15)

L’occasion d’arrêter en même temps que les mesures adoptées, le moyen de les faire respecter, a été manquée et, de ce fait, plusieurs années ont été perdues. Le bilan des négociations et de l’action des entreprises sur le sujet de l’égalité professionnelle qui a été dressé par le rapport de l’IGAS en juillet 2009 (16), en a malheureusement fait la démonstration éclatante. Selon les propres termes, M. Xavier Darcos, alors du ministre du travail au vu de ce rapport : « Cette réalité nous fait honte ».

L’insertion dans le projet de loi de réforme des retraites d’un article relatif à l’égalité professionnelle répond donc au louable souci de prendre en compte les conséquences des inégalités professionnelles sur le montant des pensions servies aux femmes.

Ce simple article ne doit cependant aboutir à évacuer tout autre mesure relative à l’égalité professionnelle et, dans la formulation retenue par le projet de loi, il est de toute façon insuffisant à atteindre cet objectif.

a) Le bilan de la persistance des inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes et des carences de la négociation collective

• La persistance des inégalités professionnelles

Le rapport de l’IGAS précité a mis en exergue que :

– plus de femmes que d’hommes sont rémunérées au SMIC (19 % des femmes salariées, contre 11 % des hommes) et les deux tiers des salariés à bas salaire sont des femmes ;

– les femmes occupent des emplois plus précaires, globalement moins qualifiés que les hommes ; pour 30 % d’entre elles ces emplois sont exercés à temps partiel ;

– leurs trajectoires professionnelles sont différentes de celles des hommes, car au cours de leur carrière, les femmes sont disqualifiées pour des raisons de mobilité ou de disponibilité (voire en raison de l’anticipation d’une maternité), à un âge auquel, au contraire, les hommes progressent ;

– les écarts de rémunération persistent. Les femmes touchent une rémunération brute inférieure de 27 % à celle des hommes et l’écart de salaire horaire avec les hommes s’établit à 16 %. L’écart augmente avec le niveau de diplôme et l’âge des salariés concernés puisqu’il est de 32 % entre salariés hommes et femmes titulaires d’un deuxième ou troisième cycle.

L’écart salarial ne diminue plus depuis le début des années quatre-vingt-dix.

• Les carences de la négociation collective

Les lois de 1983, de 2001 puis de 2006 relatives à l’égalité professionnelle ont posé l’obligation pour les partenaires sociaux de négocier sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, dans les branches comme dans les entreprises. Ces négociations, menées à partir du rapport de situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise, devaient permettre d’enclencher une dynamique réductrice des inégalités.

La loi du 23 mars 2006 a, en outre, spécifiquement posé l’obligation de négocier chaque année, pour programmer les mesures permettant de supprimer les écarts de rémunération injustifiés entre les femmes et les hommes, avant le 31 décembre 2010.

– 5 % seulement des 1082 accords de branche signés en 2008 et 5,2 % des accords d’entreprise abordent la question de l’égalité professionnelle.

– plus de la moitié des entreprises n’ont pas élaboré de rapport de situation comparée.

De surcroît, comme le précise le rapport d’évaluation précité, le contenu des accords est très hétérogène. « Les déclarations autour du principe de non-discrimination et de la volonté de respecter la loi constituent l’essentiel d’un tiers des accords spécifiques et 40 % des accords généraux. Les accords abondent en rappels de la loi et en déclarations de bonnes intentions et ne contiennent pas suffisamment de mesures concrètes, d’indicateurs et de diagnostics » (17).

b) La seule sanction du défaut de rapport de situation comparée n’est pas suffisamment efficace

Il est clair que le diagnostic sur la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise constitue le préalable à la définition de leviers d’action et la base sur laquelle peut s’engager la discussion sur l’égalité professionnelle dans l’entreprise et dans les branches. Il est tout aussi évident que celui-ci n’étant pas réalisé, aucune évolution n’est possible.

Le I de l’article 31 du projet de loi fixe en conséquence une sanction assise sur la masse salariale brute de l’entreprise en cas de défaut d’élaboration du RSC et le paragraphe III de cet article assortit cette sanction d’une obligation de transparence de l’employeur.

Cependant les entreprises qui n’auraient pas établi de RSC mais feraient valoir des efforts en matière de recherche de l’égalité professionnelle verraient cette sanction réduite et notamment en fonction des « motifs de leur défaillance ». Non seulement cette pénalité pourrait donc être diminuée par l’autorité administrative, mais en tout état de cause reste qu’une entreprise qui aurait élaboré un RSC faisant l’état des lieux sans adopter aucune mesure propre à réduire les écarts constatés ne serait pas sanctionnée.

Parmi les préconisations formulées par Mme Brigitte Grésy dans le rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux, figurait effectivement la création de sanctions, en cas de non remise du rapport de situation comparée comme un premier élément d’un dispositif complet. En particulier, des sanctions étaient également préconisées, dans un deuxième temps, en cas de non dépôt d’un accord ou d’un plan unilatéral destiné à résorber les écarts salariaux.

Se limiter à la sanction, modulable, du défaut de RSC n’aurait qu’une portée ruinant l’efficacité de la mesure. Au-delà même du fait de savoir qui, en pratique contrôlera la remise du rapport, si, une fois le RSC établi et quelle que soit la qualité de son contenu, les négociations ne sont pas engagées, le dispositif restera lettre morte.

La Délégation considère comme tout à fait insuffisant le dispositif prévu par l’article 31 et préconise de substituer à la sanction du défaut de rapport de situation comparée, une sanction applicable aux entreprises non couvertes par un accord sur l’égalité professionnelle ou, à défaut d’accord, par un plan unilatéral de réduction des inégalités.

En outre, l’adoption de cette disposition ne saurait constituer un dispositif complet de nature à garantir l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes qui repose sur bien d’autres facteurs : rénovation de la négociation collective, mesures relatives au temps partiel, orientation professionnelle…

Par ailleurs le dispositif proposé comporte des limites importantes.

En effet, il ne serait applicable qu’aux entreprises de plus de 300 salariés qui sont seules soumises à l’obligation d’établir le document spécifique sur ce sujet tel que prévu à l’article L. 2323-57 du code du travail.

L’inégalité de traitement entre les hommes et les femmes est pourtant probablement plus importante dans les TPE et les PME que dans les grandes entreprises. D’ailleurs les entreprises de 50 à 299 salariés ne sont pas dispensées de recueillir des informations portant sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, de les analyser et de réaliser des plans d’actions. En particulier, l’employeur est tenu dans les entreprises de moins de trois cents salariés, de remettre, chaque année, au comité d’entreprise un rapport sur la situation économique de l’entreprise. Ce rapport porte notamment sur la situation comparée des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes suivant des critères qui viennent d’être simplifiées pour les adapter à la réalité de ces entreprises

Enfin, l’affectation du montant des sanctions au financement des retraites via le Fonds de solidarité vieillesse (article 31 II) est difficilement justifiable voire contreproductif ; on pourrait préférer voir ce fonds abondé plutôt que d’inciter à ce que les entreprises remplissent leurs obligations en matière d’égalité professionnelle. Ce point a été soulevé par Mme Pascale Coton, Secrétaire générale adjointe de la CFTC : « Nous proposons que, dans le cas où le rapport de situation comparée démontrerait au bout d’un ou deux ans la persistance de l’inégalité salariale, un prélèvement représentant 1 % de la masse salariale soit versé à un fonds destiné à la formation des femmes ou à l’entreprenariat au féminin : seules les femmes, donc, auraient eu un droit de tirage sur cette enveloppe nationale, en toute transparence. En effet, dès lors que le but du rapport de situation comparée est de faire en sorte que les femmes, à compétence égale, aient le même salaire que les hommes, il n’est pas juste de vouloir utiliser cet argent pour combler des déficits qui ne concernent pas seulement les femmes. Le signal qui est ainsi donné n’est pas bon. » (18)

Pour l’ensemble de ces raisons, la Délégation considère que si cet article n’était pas modifié dans le sens d’une véritable efficacité de la sanction proposée, mieux vaudrait alors qu’il soit supprimé.

4. La suppression du départ anticipé pour les fonctionnaires ayant eu trois enfants (article 23)

Les fonctionnaires peuvent prendre leur retraite sans condition d’âge, dès lors qu’ils justifient de quinze ans de services et sont parents de trois enfants, ou bien ont élevé trois enfants pendant neuf ans.

L’article 23 vise à supprimer cette possibilité de départ anticipé et met en place un régime transitoire applicable au 1er janvier 2011.

a) Les bénéficiaires du départ anticipé dans la fonction publique

Depuis 2005, cette possibilité, qui était d’abord réservée aux femmes, a été ouverte aux hommes fonctionnaires pères de trois enfants. Pour les uns comme pour les autres, une nouvelle condition s’est alors ajoutée : celle d’avoir interrompu son activité, pour chacun des enfants, pendant au moins deux mois, pour l’un des motifs suivants : congé de maternité, congé de paternité, congé d’adoption, congé parental, congé de présence parentale et mise en disponibilité. L’interruption d’activité doit, en outre, se situer entre le premier jour de la quatrième semaine précédant la naissance ou l’adoption et le dernier jour de la seizième semaine suivant la naissance ou l’adoption

En 2006, 10 % des départs en retraite dans la fonction publique d’État relevaient du dispositif de départ anticipé, 11 % dans la fonction publique territoriale et hospitalière.

De fait, et en raison de l’exigence d’un arrêt d’activité de deux mois, cette possibilité de départ anticipé n’est, pratiquement, utilisée que par des femmes : 14 % des nouvelles retraitées ont fait valoir leurs droits à ce titre dans la fonction publique de l’État, 18 % à la CNRACL, contre respectivement 3 % et 1 % pour les hommes.

Dans les régimes spéciaux, le taux de recours au dispositif par les femmes est très variable : 18 % pour les anciennes salariées des Industries électriques et gazières (IEG), mais moins de 10 % à la SNCF et à la RATP.

Par contre, ce dispositif est fortement utilisé par les mères de trois enfants, comme le montre le tableau ci-dessous.

Proportion de mères de trois enfants ayant bénéficié du départ anticipé parmi celles parties en retraite en 2006

 

Flux

Stock

Fonction publique d’État

64,5%

64,3%

Collectivités locales (FPT et FPH)

59,7%

65,4%

Ouvriers d’État

ns

ns

Banque de France

nd

nd

IEG

79,2%

88,5%

RATP

36,8%

35,6%

SNCF

37,6%

36,5%


Source : COR, enquête auprès des régimes.

Champ : flux de nouvelles retraitées de droit propre en 2006.

Les bénéficiaires désignent les mères de trois enfants et plus parties à la retraite avant l’âge minimum légal de leur catégorie (60 ans pour les catégories sédentaires et, en général, 55 ans pour les catégories actives).

nd : non disponible ; ns : non significatif en raison de la faiblesse des effectifs.

Pour autant, le départ anticipé n’est pas utilisé dès l’ouverture du droit, quand les quinze ans de services effectifs sont accomplis comme le montre l’âge moyen des liquidations.

Âge moyen de liquidation des femmes partant en retraite en 2006,

selon le bénéfice ou non du départ anticipé pour trois enfants

 

Bénéficiaires

(mères de 3 enfants)

Non-bénéficiaires

dont

mères de 3 enfants

 

Flux

Stock

Flux

Stock

Flux

Stock

Fonction publique d’État

52,2

50,6

59,1

58,5

59,2

58,2

Coll. locales (FPT et FPH)

46,0

48,3

58,8

59,0

58,5

60,0

Ouvriers d’État

50,9

51,8

58,6

56,9

58,9

56,9

Banque de France

nd

nd

nd

nd

nd

nd

IEG

48,7

44,0

57,8

56,4

58,7

57,4

RATP

42,3

43,9

53,9

53,5

51,7

52,0

SNCF

48,2

45,3

55,2

54,8

55,6

55,2

Source : COR, enquête auprès des régimes.

Champ : retraitées de droit propre en 2006.

Les bénéficiaires désignent les mères de trois enfants et plus parties à la retraite avant l’âge minimum légal de leur catégorie (60 ans pour les catégories sédentaires et, en général, 55 ans pour les catégories actives).

nd : non disponible ; ns : non significatif en raison de la faiblesse des effectifs.

b) La suppression du dispositif et le régime transitoire

Les règles de liquidation appliquées au départ anticipé pour trois enfants sont aujourd’hui très favorables aux intéressés puisque sont appliquées celles en vigueur à la date à laquelle les droits au départ anticipé sont ouverts à l’assuré, c’est-à-dire lorsqu’il satisfait aux quinze années de services et a au moins trois enfants et ce, quelle que soit la date de départ à la retraite.

Or, depuis la loi portant réforme des retraites du 21 août 2003, les régimes de retraite des fonctions publiques appliquent une décote (de façon progressive depuis 2006 et jusqu’en 2015) quand la condition de durée d’assurance requise pour liquider au taux maximum n’est pas remplie. Le pourcentage maximum de la pension est diminué de 1,25 % par trimestre manquant, dans la limite de vingt trimestres. Parallèlement, la loi de 2003 a également mis en place une augmentation, par génération, de la durée d’assurance requise pour liquider au taux plein.

Comme précisé une note du COR : « L’une des conséquences de cette disposition est que l’intérêt du départ anticipé pour les bénéficiaires potentiels va croître de façon importante à l’avenir. Par exemple, selon la législation actuelle, les mères de trois enfants des générations nées dans les années 60 pourront liquider leurs droits sur la base de 37,5 annuités et sans décote, si elles ont atteint quinze ans de service et eu trois enfants avant 2003, alors que les autres assurées de leur génération devraient liquider leurs droits sur la base de plus de 41 annuités et une décote a priori de 5 % par an (paramètres qui seront en vigueur lorsque ces femmes auront 60 ans, dans les années 2020 (19)). »

Le régime transitoire prévu avant la suppression de ce dispositif va s’appliquer au 31 janvier 2011(et non comme initialement envisagé au 13 juillet 2010, date du dépôt du projet de loi) est très rigoureux puisqu’il est prévu que ce sont les règles en vigueur au moment de la demande qui seront applicables. De fait, pour les raisons qui viennent d’être exposées, la possibilité concrète du départ anticipé n’existe pratiquement plus.

C’est pourquoi, la Délégation considère que pendant le régime transitoire ouvert avant la suppression de la possibilité de départ anticipé pour les fonctionnaires parents de trois enfants et ayant au moins quinze ans de service, la non-application de la décote devrait rester la règle.

B. LES AUTRES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI QUI SE RÉPERCUTERONT SUR LES PENSIONS DES FEMMES

1. L’indispensable mesure de l’impact de la réforme sur les pensions servies aux femmes

Des mesures apparemment neutres, en ce sens qu’elles s’appliquent de façon identique à tous les assurés qui liquident leur retraite ont, en réalité, des effets différenciés selon la structure de leur carrière. Globalement, le système de retraite tel qu’il est conçu, favorise les carrières longues, linéaires et ascendantes. De ce fait, les femmes ayant une activité d’une durée plus courte, plus souvent interrompue, plus précaire et moins progressive que les hommes, subissent plus que ceux-ci le durcissement des paramètres.

Parmi les mesures du projet de loi dont l’impact sur les pensions des femmes doit être évalué avec précision figurent :

– les articles qui relèvent de deux ans l’âge légal de départ à la retraite et l’âge du taux plein pour le régime général ;

– les articles mettant en œuvre le relèvement de l’âge de la retraite pour le régime spécial de la fonction publique ;

– l’article 24 qui fait converger les règles applicables au minimum garanti dans la fonction publique sur celles du régime général ;

– les articles 25 et 26 qui visent à prendre en compte la pénibilité au travail pour la retraite.

L’analyse des effets de la réforme de 1993 permet de constater ces effets différenciés.

La réforme de 1993 a, à la fois, allongé la durée de cotisation et accru le nombre d’années pris en compte pour calculer le salaire de référence :

– le passage de 37,5 à 40 ans de cotisation pour bénéficier du taux plein de liquidation pénalise les femmes qui ont, en moyenne, des carrières moins longues que les hommes, notamment en raison des interruptions d’activité liées à l’éducation des enfants ;

– il en est de même pour le calcul du salaire annuel moyen qui a désormais lieu (par un allongement progressif de la période prise en compte) sur les 25 meilleures années, au lieu des 10 meilleures. En effet, plus la période de référence pour le calcul du salaire annuel moyen est longue et plus cela aboutit à y inclure des années pendant lesquelles l’activité a été moindre, en raison d’interruption de carrière ou de temps partiel. Cela aboutit à comptabiliser des années pour lesquelles le salaire est faible et qui parfois n’ont pas permis de valider quatre trimestres d’assurance cotisée (20).

La CNAV estime que 15 à 30 % des hommes et 36 à 49 % des femmes sont concernées par cette situation(21)

L’étude qui vient d’être réalisée sur les effets de la réforme de 1993 (22) qui fait apparaître que, en moyenne, pour près de six prestataires sur dix, la mise en œuvre de la réforme de 2003 a conduit au versement d’une pension moins importante, à la date d’effet, que celle à laquelle ils auraient pu prétendre sans réforme.

Parmi les prestataires partis en retraite entre 1994 et 2003, la réforme de 1993 a plus fréquemment touché les hommes : sept hommes sur dix et quatre femmes sur dix auraient perçu une pension supérieure sans la mise en place de la réforme. Cette différence s’explique par le fait que la pension des femmes étant souvent portée au minimum contributif, celui-ci a amorti, pour une partie d’entre elles, les effets de la réforme.

Par contre, parmi les retraités dont la pension varie avec la réforme, l’incidence de la perte est plus importante pour les femmes que pour les hommes (- 10,7 % pour les femmes contre - 9,7 % pour les hommes).

Incidence de la réforme de 1993 sur la pension perçue à la date d’effet

 

Variation de la pension pour l’ensemble de la population*

Pourcentage de population pour qui la réforme de 1993 a impliqué une baisse de pension

Variation de la pension pour les assurés concernés*

Hommes

- 6,9 %

70,9 %

- 9,7 %

Femmes

- 4,6 %

42,6 %

- 10,7 %

Ensemble

- 5,7 %

56,9 %

- 10,1 %

Source : Cnav, échantillon au 20e 2005.

Champ : pour les retraités ayant une date d’effet de leur pension comprise entre le 01/10/1994 et le 31/12/2003, et vivants fin 2005.

*La variation est calculée en comparant (pension perçue à la date d’effet – pension calculée sans réforme) / pension calculée sans réforme.

2. Ce sont les femmes qui vont devoir travailler jusqu’à 67 ans ou qui partiront avec des retraites incomplètes

a) Le recul de l’âge du taux plein à 67 ans pénalise les femmes (article 6)

Lors de son audition par la Délégation, Mme Danièle Karniewicz, Présidente de la CNAV, a fait valoir que : « De nombreux acteurs estiment qu’il serait plus juste d’augmenter le nombre d’annuités, car cela permettrait à ceux qui ont commencé à travailler plus tôt de partir plus tôt à la retraite. Or, cela ne me paraît pas juste. Cela nuirait en particulier aux femmes, car il arrive fréquemment qu’elles n’aient pas le nombre d’annuités requis. C’est l’âge de départ à la retraite qu’il faut augmenter, et non le nombre d’annuités. Puisque beaucoup de femmes attendent déjà d’avoir soixante-cinq ans pour prendre leur retraite, on peut plus facilement envisager d’aller jusqu’à soixante-deux ans en ce qui les concerne. »

Effectivement, l’âge moyen départ en retraite des femmes est plus élevé que celui des hommes. Pour l’ensemble des retraités tous régimes, les femmes nées en 1938, ont en moyenne liquidé leur droit à la retraite deux ans plus tard que les hommes : à 61,4 ans au lieu 59,5 ans.

Ceci tient au fait que les femmes, dans la mesure où elles ont des carrières plus courtes que les hommes, sont contraintes de liquider plus tard leurs droits afin d’éviter une diminution du montant de leur retraite. En effet, dans le régime général, le montant de la retraite proportionnel au nombre de trimestres validés est, en cas de carrière incomplète, amputé d’une décote si le départ a lieu avant 65 ans.

Pour la génération de 1943 (qui a donc eu 60 ans en 2003) on constate que :

– 67 % des hommes ont liquidé leur retraite à 60 ans et moins de 15 % des hommes ont dû attendre l’âge de 65 ans pour bénéficier du taux plein : les liquidations tardives n’ont donc que peu concerné les hommes ;

– seulement 48 % des femmes (bénéfice des MDA compris) ont liquidé leur retraite à 60 ans, alors que 37 % d’entre elles ont dû attendre l’âge de 65 ans pour bénéficier du taux plein. Parmi celles-ci, 30 % avaient moins de 35 ans de cotisations (MDA comprises).

Distribution des départs à la retraite au régime général (en %) selon l’âge de liquidation de la pension et la durée d’assurance validée tous régimes

Assurés nés en 1943 partis à la retraite à titre normal entre 2003 et 2009

HOMMES

Âge au départ à la

retraite

Durée d’assurance tous régimes à la liquidation (y compris MDA)

Total

< 35 ans

35 ans

36 ans

37 ans

38 ans

39 ans

40 ans

41 ans

42 ans

43 ans

44 ans

45 ans

46 ans

> 46 ans

60 ans

3,9

0,3

0,4

0,6

0,8

0,9

10,3

8,3

14,3

12,0

7,2

5,9

1,8

0,1

67%

61 ans

0,5

     

0,2

 

2,2

2,4

5%

62 ans

0,5

     

0,1

1,8

1,7

4%

63 ans

0,2

       

0,1

1,5

1,4

3%

64 ans

0,2

         

1,2

1,6

3%

65 ans

7,6

0,8

0,9

1,1

1,4

1,5

0,7

2,6

17%

66 ans

0,2

                       

0,1

1%

Total

13%

1%

1%

2%

2%

3%

18%

10%

16%

13%

9%

7%

3%

2%

100%

FEMMES

Âge au départ à la

retraite

Durée d’assurance tous régimes à la liquidation (y compris MDA)

Total

< 35 ans

35 ans

36 ans

37 ans

38 ans

39 ans

40 ans

41 ans

42 ans

43 ans

44 ans

45 ans

46 ans

> 46 ans

60 ans

4,3

0,3

0,4

0,6

0,7

0,8

6,6

4,9

5,3

6,8

5,2

4,2

3,0

5,3

48%

61 ans

0,4

0,2

1,5

1,9

4%

62 ans

0,3

         

1,3

1,4

3%

63 ans

0,3

         

1,1

1,1

3%

64 ans

0,2

         

0,8

1,1

2%

65 ans

29,8

1,2

1,2

1,4

1,4

1,4

0,6

1,8

39%

66 ans

0,4

   

0,1

                 

0,1

1%

Total

36%

2%

2%

2%

2%

2%

12%

6%

6%

8%

6%

5%

4%

7%

100%

Source : CNAV, calculs COR.

Champ : prestataires d’une pension normale enregistrés entre 2003 et 2009, nés en 1943.

Par souci de lisibilité, les valeurs inférieures à 0,1 % n’ont pas été mentionnées et des cellules ont été agrégées lorsque la somme dépassait 0,1 %, mais les cumuls en ligne et en colonne tiennent compte de toutes les valeurs. La durée d’assurance est exprimée en année entière, « 40 ans » correspondant à une durée de 160 à 163 trimestres.

La CNAVTS a procédé à une analyse en flux des âges de départ et des durées d’assurance correspondantes, sur les nouveaux prestataires du régime général de 2009 (642 000 nouveaux retraités) selon le genre.

Effectifs des nouveaux retraités de l’année 2009 selon l’âge de liquidation et le genre

Age à la liquidation

Hommes

Femmes

Ensemble

Moins de 60 ans

5,8%

2%

3,8%

60 ans

60,2%

60,7%

60,5%

Entre 61 et 64 ans

17,8%

11,9%

14,7%

65 ans

12,6%

22%

17,6%

66 ans et plus

3,6%

3,4%

3,5%

Total

100%

100%

100%

Source : Flux exhaustif de prestataires du Régime général en 2009.

Finalement,

- 18 % des hommes et 12 % des femmes sont « partis » entre 61 et 64 ans en 2009, avec en moyenne 160 trimestres d’assurance pour les hommes et 155 trimestres pour les femmes ;

- 13 % des hommes et 22 % des femmes sont partis à 65 ans en 2009, avec en moyenne 129 trimestres d’assurance pour les hommes et 102 trimestres pour les femmes.

Il faut préciser que l’expression "partir en retraite" ou "partir à " [tel âge] ne signifie pas pour autant que les personnes (les femmes en l’occurrence) travaillent forcément jusqu’à cet âge. Parmi les femmes liquidant leur pension à l’âge de 65 ans, la grande majorité est en fait éloignée du marché du travail depuis de nombreuses années. Elles liquident leur retraite à 65 ans pour éviter l’application d’une décote sur une pension faible, et qui sert de simple complément de revenu au couple.

En effet, plus de femmes que d’hommes ont dû attendre 65 ans pour obtenir le taux plein.

C’est le cas de 23 % des femmes ayant liquidé leur retraite en 2009 avec en moyenne 96 trimestres validés (contre 12 % d’hommes) :

- 20 % de femmes ont obtenu le taux plein à 65 ans (contre 10 % d’hommes)

- 3 % de femmes à 66 ans et plus contre 2 % d’hommes.

Il est donc prévisible que ce seront majoritairement des femmes qui devront attendre l’âge de 67 ans pour bénéficier du taux plein, ou alors partiront plus tôt mais avec une retraite amputée de la décote. La Présidente de la CNAV, Mme Danièle Karniewicz, l’a souligné devant la Délégation : « Si l’âge moyen de la retraite pour les femmes est aujourd’hui de 61,5 ans, c’est que les femmes n’ont pas cumulé suffisamment d’annuités pour prendre leur retraite à 60 ans : elles doivent attendre d’avoir 65 ans pour bénéficier du taux plein. Si l’on porte l’âge légal de la retraite à 62 ou 63 ans, le « taquet » restera-t-il à 65 ans, ou bien passera-t-il à 67 ou 68 ans ? C’est l’hypothèse retenue par les travaux du COR, le Conseil d’orientation des retraites. Si c’est le cas, la situation des femmes sera encore plus difficile. »

Cette question a également été soulevée par Mme Pascale Coton, secrétaire générale adjointe de la CFTC : « L’autre sujet sur lequel je veux appeler votre attention est celui de la période comprise entre 65 et 67 ans. Aujourd’hui, une femme qui peut prendre sa retraite à 60 ans peut choisir de faire encore des efforts pendant cinq ans pour obtenir 50 ou 100 euros de plus à 65 ans. Désormais, elle devra faire des efforts jusqu’à 67 ans ! C’est vraiment une injustice pour les femmes puisque, selon le ministre, elles représentent 60 % des salariés qui prennent leur retraite à 65 ans. »

L’automaticité entre le report de l’âge légal de deux ans et le report de l’âge du taux plein de deux ans également ne va pas de soi. La situation de personnes n’est pas la même ni surtout celle de ses possibilités d’être effectivement toujours inséré sur le marché du travail à 67 ans.

La Délégation considère donc que le report de 65 à 67 ans de l’âge auquel le bénéfice d’une retraite à taux plein est ouvert affectera particulièrement les femmes qui ont déjà des retraites inférieures aux hommes et qu’il conviendrait donc de maintenir à 65 ans l’âge du taux plein.

b) Le relèvement de l’âge dans la fonction publique et l’alignement des règles applicables pour le minimum garanti (articles 5, 11 et 24)

Le projet de loi de réforme des retraites prévoit de faire évoluer progressivement l’âge légal de départ à la retraite dans le régime spécial de la fonction publique parallèlement à celui fixé pour le régime général (article 5).

La limite d’âge des personnels sédentaires de la fonction publique sera ainsi porté de 65 à 67 ans, la limite d’âge constituant pour ceux-ci l’âge d’annulation de la décote (article 11).

En outre, le minimum garanti applicable dans la fonction publique va être soumis à la même condition de durée d’activité que le minimum de pension applicable aux salariés du secteur privé (article 24).

Il faudra donc désormais aux fonctionnaires, non seulement avoir atteint l’âge légal, mais comme pour les salariés du secteur privé, avoir atteint le nombre total d’annuités pour bénéficier du taux plein. À défaut, il leur serait nécessaire d’attendre l’âge d’attribution automatique du taux plein qui sera non plus de 65 mais de 67 ans.

Selon les informations fournies par le ministère du travail, de la solidarité et de la fonction publique, la quasi-totalité des départs dans la fonction publique a lieu dès l’âge minimal d’ouverture des droits à retraite (à 50 ou à 55 ans pour les catégories actives et, au plus tard, à 60 ans pour les agents de catégorie sédentaire). Les départs après l’âge minimal d’ouverture des droits sont marginaux.

Dès lors qu’une condition de durée d’assurance sera requise, une évaluation de l’impact de cette mesure sur le niveau des pensions, et, en particulier, sur le niveau des pensions servies aux femmes est cependant indispensable puisque, en moyenne, la durée de la carrière des femmes fonctionnaires est de huit trimestres plus courte que celle des hommes.

3. La problématique de la prise en compte de la pénibilité au travail

a) Le maintien du départ à 60 ans pour les assurés à l’état de santé dégradé (article 26)

Les débats sur la pénibilité se traduisent dans le projet de loi par le maintien de la possibilité de départ à soixante ans, à taux plein, quelle que soit la durée d’assurance effectivement accomplie par le cotisant.

Ce droit sera ouvert au regard de la constatation d’un taux d’incapacité (égal ou supérieur à 20 %), sous réserve que cette incapacité résulte soit d’une maladie professionnelle, soit d’un accident du travail ayant eu des effets similaires à une maladie professionnelle.

La définition de critères de pénibilité, sans référence à une liste d’emplois ou de métiers présente l’avantage, en ce qui concerne les droits à la retraite des femmes, d’éviter l’écueil d’une définition qui concernerait finalement des métiers dits « lourds » qui sont le plus souvent masculins, alors que la pénibilité est aussi présente sous d’autres formes dans les emplois majoritairement féminins.

b) Le suivi des expositions de salariés aux facteurs de risques professionnels (article 25)

Il reste que la visibilité de la pénibilité des emplois féminins est moindre que celle des emplois masculins, et elle est moins visible notamment parce qu’elle n’est pas spécifiquement étudiée.

La santé au travail

Si l’on aborde l’ensemble des secteurs professionnels, les données statistiques de la DARES montrent l’importance des inégalités dans les conditions de réalisation du travail entre femmes et hommes. Les conditions de travail des femmes sont souvent moins visibles et objectivées que celles des hommes, et pourtant marquées aussi par la pénibilité physique ou mentale : travail répétitif, à la chaîne, avec des postures contraignantes, exigeant une station debout ou un travail permanent sur écran, ou encore en relation constante avec le public, travail morcelé et comportant des interruptions. D’après les analyses de l’ANACT, la santé au travail des femmes et des hommes est étroitement liée à la nature des emplois occupés et donc à la répartition sexuée des salariés : traditionnellement emplois dits « lourds » pour les hommes et dits « légers » pour les femmes. Ainsi, la question de la santé au travail s’est d’abord posée dans les secteurs d’activités dits masculins où la pénibilité du travail est forte (industrie, bâtiment, transport…), et les études ne portent quasiment jamais sur les emplois occupés majoritairement par des femmes (5 thèses de médecine à ce jour).

Or, les indicateurs de santé des femmes indiquent que celles-ci, tous secteurs confondus, sont dans des emplois plus « astreignants » (plus de contrôle, tâches plus répétitives, moins d’autonomie) que les hommes et où la pénibilité est moins visible. Sans oublier le rôle des femmes dans le hors-travail, elles sont de fait plus exposées aux risques organisationnels et psychosociaux que les hommes : 58 % des troubles musculo-squelettiques (TMS) pour les femmes avec un risque TMS supérieur pour les femmes de 22%, mesure du stress de 40 % en moyenne supérieure pour les femmes par rapport aux hommes. Ainsi, la santé au travail a toujours été pensée sur un principe de neutralité de genre, basée sur la norme de « l’homme moyen », focalisée sur les accidents du travail et la pénibilité physique, et moins sur d’autres signaux d’alerte comme les maladies professionnelles ou l’absentéisme.

Source : Rapport Grésy précité, p.17.

C’est pourquoi, le suivi de la pénibilité qui est prévu par l’article 9 du projet de loi, ne doit pas laisser de côté des emplois principalement occupés par des femmes. Les critères retenus : « contraintes physiques marquées, environnement physique agressif ou certains rythmes de travail » qui figureront désormais au nouvel article L. 4121-3-1 du code du travail, couvrent en principe les horaires de travail atypiques et le travail morcelé fréquents dans la grande distribution et dans les services à domicile, emplois très majoritairement féminins.

Cette obligation ne vaudra toutefois que pour des « facteurs de risques professionnels fixés par décret ».

La Délégation considère que l’appréciation des risques professionnels qui va servir de support à la prévention de la pénibilité doit couvrir des risques qui, de fait, affectent également les femmes au travail, même si ces facteurs de pénibilité sont au premier abord moins visibles et doit déboucher sur des mesures de prévention effectives.

III.– LES POINTS NON RÉGLÉS PAR LE PROJET DE LOI

A. LES CONSÉQUENCES DU TEMPS PARTIEL SUR LES RETRAITES

L’exercice d’une activité à temps partiel est un facteur qui pèse déjà, et qui va peser de plus en plus fortement, sur les pensions des femmes dans les années à venir.

En effet, le temps partiel a véritablement commencé à se développer au début des années quatre-vingts, puis fortement au début des années quatre-vingt dix, sous l’effet de politiques incitatives (jusqu’en 2000, le temps partiel à ouvert des allègements de charge spécifiques aux entreprises), pour se stabiliser la fin des années quatre-vingt dix, à un niveau élevé.

L’emploi à temps partiel progresse rapidement au fil des générations. En vingt-cinq ans, la part des salariés à temps partiel a plus que doublé (18 % des salariés en 2007, contre 8 % en 1982 (23)) et ces salariés sont très majoritairement des femmes : 30 % des femmes actives occupent un emploi à temps partiel contre 5,7 % des hommes et 82 % des travailleurs à temps partiel sont des femmes.

Les effets du temps partiel sur la retraite commencent donc à s’observer et d’ici cinq à dix ans, vont accéder à la retraite des femmes ayant effectué la grande part, voire la majorité, de leur carrière à temps partiel avec un effet maximal pour les générations les plus jeunes.

Comme le souligne le rapport du COR, une rupture est intervenue autour des générations nées vers 1950. « On constate d’ores et déjà que le nombre d’heures travaillées avant l’âge de quarante ans s’est réduit entre les femmes nées vers 1950 et celles nées vers 1960, la durée travaillée en équivalent temps plein avant 40 ans passant de 16 à 15 ans entre les générations 1945-1954 et 1955-1963 »(24)

Le COR en conclut que désormais, il n’est plus certain que le volume d’emploi en équivalent temps plein continuera de progresser pour les cohortes récentes de femmes.

La Délégation a, dès en 2004, fortement souligné les conséquences du temps partiel sur le niveau des pensions servies aux femmes, en conclusion de ses travaux sur ce sujet  (25) et déplore que des correctifs ne soient pas apportés par le projet de loi.

1. Temps partiel et salaire de référence

Le travail à temps partiel n’affecte pas la durée d’assurance dans le régime général (lorsque l’activité rémunérée au SMIC est au moins exercée à mi-temps) en application de la règle dite « des 200 heures de SMIC » : toute personne ayant perçu pendant un trimestre, l’équivalent de 200 heures de SMIC, pourra valider ce trimestre (26).

Par contre, le temps partiel retentit de façon évidente sur le salaire de référence sur la base duquel la pension est calculée. Cet effet pèse d’autant plus sur le montant des pensions versées aux femmes que, depuis la réforme des retraites de 1993, le salaire moyen de référence est calculé non plus sur la base des 10 meilleures années, mais sur celle des 25 meilleures années. Cet allongement de la période de référence, aboutit à inclure nécessairement dans le calcul un nombre d’années à temps partiel plus grand et pour lesquelles les salaires cotisés ont été très faibles.

Cet effet n’est ni pris en compte, ni corrigé par les dispositifs existants. « La faiblesse des pensions féminines est corrigée par les droits familiaux. (…) Or les droits familiaux, qui permettent d’accorder des trimestres supplémentaires, appréhendent mal les conséquences du temps partiel : les femmes concernées peuvent valider quatre trimestres par an, mais la faiblesse de leur salaire de référence n’est pas compensée. L’une des pistes d’évolution, évoquée par le COR dans son rapport, serait, à long terme, de passer d’un système de majoration de durée à un système de majoration de montant. » a précisé devant la Délégation M. Jean-Michel Hourriez, directeur des études du COR.

2. Temps partiel ne permettant pas la validation de trimestres

La règle des « 200 heures SMIC » (validation de quatre trimestres pour 800 heures rémunérées au SMIC, soit entre cinq et six mois à temps plein, dans l’année) permet d’amortir, au moins en termes de durée d’assurance, les effets du temps partiel pour les personnes qui ont eu des carrières relativement longues.

En revanche, pour celles dont la carrière est plus précaire (temps très partiels inférieurs à un mi-temps), les règles de calcul des pensions s’avèrent doublement pénalisantes car d’une part leur salaire de référence est très faible et d’autre part ces personnes ne parviennent pas toujours à valider quatre trimestres par an (du fait du temps partiel, elles travaillent moins de 800 heures dans l’année).

3. Des correctifs indispensables pour anticiper des effets majeurs

a) Relancer la négociation sur la surcotisation à l’assurance vieillesse qui reste une pratique marginale, voire totalement ignorée

La possibilité, ouverte aux salariés à temps partiel, de cotiser à l’assurance vieillesse du régime général sur la base d’un temps plein, a d’abord été réservée aux seuls salariés qui passaient d’une activité à temps plein à une activité à temps partiel (article L. 241-3-1 du code de la sécurité sociale).

Ce dispositif a été étendu, par la loi du 20 août 2003, à compter du 1er janvier 2004, à l’ensemble des salariés à temps partiel, y compris à ceux cumulant plusieurs activités et à ceux dont la rémunération n’est pas établie selon un nombre d’heures travaillé (décrets n° 2005-1351 et n° 2005-1352 du 31 octobre 2005).

Cette même possibilité existe pour la retraite complémentaire dans les régimes AGIRC et ARRCO (délibérations 22 B ARRCO et D 25 AGIRC). Alors qu’elle est très largement méconnue, elle présente un intérêt certain pour les femmes cadres. En effet, l’impact d’une période d’emploi à temps partiel sur la retraite versée par les régimes complémentaires est directement proportionnel à la durée de travail à temps partiel et au niveau du salaire perçu, du fait de la forte contributivité de ces régimes. Le nombre de points acquis étant calculé au prorata des salaires soumis à cotisation, le temps partiel se répercute intégralement sur le montant de la retraite.

Pourtant, cette possibilité de cotiser à l’assurance vieillesse sur un temps plein, nécessitant l’accord de l’employeur, est très largement restée lettre morte.

Tout au plus ont été recensés quelques accords collectifs prévoyant cette possibilité :

Quelques dispositifs de ce type figurant dans des accords ont été identifiés par la Direction générale du travail :

—  L’accord national de la métallurgie du 7 mai 1996 qui prévoyait seulement qu’« en cas de transformation d’un contrat de travail à temps plein en contrat de travail à temps partiel, les entreprises examineront la possibilité de calculer les cotisations salariales et patronales pour l’acquisition des droits à la retraite sur un salaire reconstitué à temps plein, sur une période maximale de cinq ans avant que le salarié atteigne l’âge et la durée d’assurance lui permettant le bénéfice d’une retraite à taux plein. »

—  L’avenant sur l’emploi des seniors du 21 juin 2007 à la convention collective nationale pour les industries de produits alimentaires qui est plus prescriptif : « afin de limiter l’impact des aménagements d’horaires des salariés seniors sur leurs droits à retraite à taux plein et dans la mesure où la durée du temps partiel n’est pas inférieure à la moitié de la durée collective applicable dans l’entreprise, l’assiette de calcul des cotisations d’assurance vieillesse et de retraite complémentaire sera calculée sur le salaire correspondant à une activité exercée à temps plein. Le surplus des cotisations est pris en charge par l’employeur » (article 6.1 de l’accord).

—  L’accord relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes du 20 février 2007 de la Snecma, qui contient un article relatif à « la neutralisation de l’impact du temps partiel » prévoyant que : « Afin de contribuer à l’amélioration des droits à la retraite des salariés à temps partiel, Snecma s’engage à prendre en charge les cotisations de retraites sécurité sociale et complémentaire (part employeur) calculées sur la base d’un salaire reconstitué à temps plein dans la mesure où le salarié à temps partiel choisit de cotiser également, pour la part qui lui incombe sur le salaire reconstitué. Le paiement des cotisations sur la base d’un salaire reconstitué à temps plein sera formalisé dans le contrat ou dans un avenant au contrat de travail du salarié. ».

La possibilité de cotiser sur l’équivalent d’un temps plein est également freinée par les faiblesses des salaires perçus dans le cadre d’un temps partiel, qui rend peu vraisemblable la possibilité d’un effort de cotisation supplémentaire.

Il est donc indispensable, si l’on veut que cette disposition soit effectivement utilisée, qu’elle figure dans des accords collectifs prévoyants la prise en charge du surcoût par l’employeur.

C’est pourquoi, le Délégation réitère sa recommandation relative à la relance des négociations sur ce point pour que le dispositif voulu en 2003 ne reste pas lettre morte.

Les accords d’entreprise relatifs à l’égalité professionnelle et les conventions collectives de branches, devraient inclure des clauses relatives à l’application de la possibilité de surcotiser à l’assurance vieillesse et prévoir la prise en charge ou la compensation du surcoût qui en découle pour le salarié.

b) Prendre en compte les temps très partiels

La durée moyenne de travail des salariés à temps partiels est de 23,5 heures par semaine, soit les deux tiers de la durée légale. Pour un quart d’entre eux la durée de travail est cependant inférieure ou égale à 18 heures, elle ne leur permet donc pas de valider les trimestres correspondants.

Dès lors que l’équivalent de 800 heures Smic est atteint, la validation d’une année de cotisation, sans référence à l’année civile, devrait être rendue possible pour mieux prendre en compte les temps très partiels.

• Informer les salariés sur l’impact du temps partiel sur le montant de leur retraite

Ce n’est qu’au moment de la liquidation de leurs droits, où seulement quelques années avant, que bien des femmes réalisent les conséquences des périodes d’emploi qu’elles ont effectué à temps partiel sur le montant de leur retraite.

La Délégation avait déjà en 2004, attiré l’attention sur ce défaut d’information en conclusion de ses travaux sur le temps partiel. (27)

La Délégation réitère la recommandation, déjà formulée en 2004, puis en 2008 (28), relative à l’information des salariés : lors de l’embauche à temps partiel ou du passage d’un emploi à temps plein les salariés doivent être informés de ses conséquences en matière de retraite, ainsi que sur la possibilité de cotiser sur la base d’un temps plein.

B. LA RÉVERSION, L’ASSURANCE VEUVAGE ET LE VEUVAGE PRÉCOCE

1. La pérennisation de l’assurance veuvage

La loi sur les retraites de 2003 avait progressivement supprimé la condition d’âge pour le bénéfice de la réversion (qui était de 55 ans en 2003). À partir de 2011, tout veuf ou veuve aurait dû bénéficier de la pension de réversion de son conjoint décédé (dans le régime général car la condition d’âge demeurait pour les régimes complémentaires de l’AGIRC et de l’ARRCO)

Parallèlement, la même loi a supprimé le dispositif de l’assurance veuvage qui garantissait, pendant deux ans, aux veufs ou aux veuves n’atteignant pas l’âge minimum requis pour toucher la réversion, une allocation temporaire versée sous condition de ressources. Cette allocation leur permettait de bénéficier d’un délai pour faire face à cette situation nouvelle, et pour celles sans activité, de trouver ou retrouver un emploi.

La pension de réversion devait ainsi se substituer à terme à l’allocation veuvage, la rendant inutile.

Or, l’article 74 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009 a rétabli une condition d’âge (à 55 ans) pour bénéficier du droit à une pension de réversion.

Cette mesure visait au « ciblage » de la réversion vers les veufs et les veuves en ayant le plus besoin, suivant ainsi les conclusions du rapport d’information de MM. Claude Domeizel et Dominique Leclerc, fait au nom de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et de la commission des affaires sociales du Sénat (29). Elle a permis d’économiser 150 millions d’euros en 2008.

Dès le mois de juillet 2008, dès que le rétablissement de la condition d’âge avait commencé à être envisagé, la Délégation aux droits des femmes avait soulevé les difficultés qu’allait poser cette mesure, combinée à la suppression de l’assurance veuvage et demandé que : « la situation des veuves ayant des enfants à charge fasse partie de la réflexion sur les pensions de réversion ». (30)

Or, seule une solution provisoire a alors été retenue. Selon la circulaire de la CNAV du 9 février 2009, les personnes qui ne remplissent pas la condition d’âge pour ouvrir droit à la pension de réversion au titre du régime général, peuvent demander à bénéficier de l’assurance veuvage, jusqu’au 31 décembre 2010. (avant 51 ans si l’assuré est décédé avant le 1er janvier 2009, avant 55 ans si l’assuré est décédé à compter du 1er janvier 2009).

La Délégation considère qu’une solution adaptée doit être trouvée en urgence, pour permettre aux veufs et aux veuves précoces ayant des enfants à charge de disposer d’un dispositif de soutien temporaire.

2. L’emploi des seniors et la réversion

Il est aujourd’hui possible de cumuler sa pension de retraite avec des revenus du travail, mais seulement lorsqu’on dispose de droits propres à la retraite, et non quand on bénéficie de droits dérivés.

Mme Danièle Karniewicz, présidente de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) a soulevé ce point : « Une veuve qui a renoncé à travailler pour élever ses enfants touche une pension de réversion sous conditions de ressources. Si elle travaille, elle va perdre tout ou partie de sa pension de réversion. Le cumul emploi-retraite est donc impossible pour ceux qui sont le plus dans le besoin, notamment les femmes. Je rappelle que le montant des pensions de réversion versées par la CNAV ne dépasse pas 800 euros et qu’il y a aujourd’hui une volonté d’étendre la condition de ressources, qui aujourd’hui n’existe pas pour les retraites complémentaires. Sans être favorable au système des pensions de réversion en tant que tel, je considère que c’est aujourd’hui une nécessité et que nous devons absolument le préserver. » (31)

3. Le partage des droits à la retraite

À la suite d’un divorce, de nombreuses femmes se trouvent dans une situation économique très difficile, en particulier lorsqu’elles parviennent à l’âge de la retraite et n’ont pas exercé d’activité professionnelle, ou l’ont interrompue pour élever leurs enfants.

Les droits à la retraite des mères de familles sont, en effet, très limités : il s’agit des droits acquis au titre de l’assurance vieillesse des parents au foyer, à condition que les ressources du ménage ne dépassent pas un certain plafond ou bien, après une adhésion volontaire à titre onéreux. Dans les deux cas, les droits qui en découlent sont généralement très insuffisants.

Le système allemand du « splitting », mis en place en 2001, propose aux couples mariés d’opter entre le droit à la réversion et un partage égal des droits à la retraite acquis par les deux membres du couple au cours du mariage. Mais ce système s’opère dans le cadre d’un régime de retraite par point – on partage de façon aisée les points de retraite acquis – qui n’existe, en France que pour la retraite complémentaire.

En France, au moment du divorce, les biens du couple sont partagés et pour la fixation de la prestation compensatoire le juge, en application de l’article 271 du code civil « prend en considération, avec d’autres éléments, la situation respective des ex-époux en matière de pensions de retraite ».

Cette possibilité ouverte au juge s’avère, dans les faits, insuffisante à garantir un véritable partage des droits à la retraite qui viendrait compenser le fait que l’un des conjoints n’a pas exercé, ou a cessé d’exercer pendant la durée du mariage une activité professionnelle pour s’occuper de l’éducation des enfants du couple.

Dans cette hypothèse, la Délégation a considéré, sur le rapport de notre collègue Claude Greff (32), il convenait d’aller plus loin et de confier le soin au juge d’effectuer, au moment du divorce, un partage systématique de la pension qui sera perçue par l’un des conjoints au bénéfice de l’autre, tant que le droit à réversion n’est pas ouvert.

Le partage, opéré au moment du divorce, donnerait lieu au moment de la liquidation de la pension de celui ayant cotisé au versement à l’ex-conjoint d’une fraction de la pension. Cette fraction est déterminée par le juge en fonction de la durée du mariage et de celle de l’inactivité.

La Délégation recommande la mise en ouvre d’un partage des droits à la retraite entre ex-conjoints en cas de divorce afin que celui qui a interrompu son activité professionnelle ou n’en a pas exercé pour élever des enfants, ait droit à une partie des droits à la retraite de son ex-conjoint pour compenser les conséquences de cette période d’inactivité.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION ET RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

La Délégation aux droits des femmes s’est réunie le mardi 6 juillet 2010 et le mardi 13 juillet 2010, sous la présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann pour examiner le rapport d’information.

Un débat a suivi l’exposé de la rapporteure.

Mme Catherine Coutelle. A propos des études d’impact, les amendements déposés par M. Jean-Luc Warsmann lors de l’examen du projet de loi organique ont établit une longue liste de cas où la réalisation d’études d’impact doit obligatoirement être engagée. On peut ainsi citer, à titre d’illustration, les projets de lois relatifs aux petites et moyennes entreprises pour lesquels une étude d’impact concernant les conséquences sociales sur l’entreprise des modifications législatives préconisées doit être effectuée.

Mme la présidente Zimmermann. La réalisation d’études d’impact a, en effet, connu une certaine extension grâce au travail parlementaire. Cependant, il aurait été souhaitable que des études d’impact spécifiques à la question de l’égalité homme/femme soient expressément prévues par le législateur.

Mme Catherine Coutelle. Des propositions de lois en ce sens ont, par ailleurs, été déposées.

Mme la présidente Zimmermann. La volonté d’instaurer de telles études d’impact est également présente au sein des comités d’évaluation qui ont formulé des demandes spécifiques sur ce point. Monsieur Jean-François Copé et le groupe UMP de l’Assemblée Nationale ont émis le vœu que, lors de l’évaluation de chaque projet de loi, une évaluation des conséquences en matière d’égalité homme/femme soit effectuée. Au regard de ces différents éléments, on ne peut donc que regretter la suppression par le Sénat de la mention spécifique de l’évaluation en termes dl’égalité homme femme.

Mme Catherine Coutelle. L’article 13 n’a pas sa place dans le projet de réforme des retraites. Cette disposition ne fait allusion qu’à la loi de 1983 et non à celle loi de 2006. Or, celle-ci, qui fait expressément obligation de réduire les écarts entre les hommes et les femmes, avait fixé comme échéance le 31 décembre 2010. Elle prévoit qu’en l’absence d’évolution tangible, un autre texte créant sanction sera discuté. Par conséquent, l’adoption en l’état de l’article 13 risquerait d’avoir pour corollaire la disparition de cette obligation. Cet article est un article a minima qui n’est pas de nature à entraîner une réduction significative des inégalités. Sur ce point, il convient de noter que la sanction prévue n’est pas opportune. L’affectation des fonds résultants de la mise en œuvre de cette sanction au fond vieillesse est des plus critiquables. De même et comme vous le notiez, l’application des dispositions de l’article 13 aux seules PME de plus de 300 salariés obère considérablement la portée et l’efficacité de la mesure.

Mme la présidente Zimmermann. Il s’agit d’une remise en cause d’un processus législatif mis en œuvre depuis près de trente ans. De plus, le rapport « Grésy » a déjà parfaitement exposé les propositions pouvant être adoptées pour réduire de manière significative les inégalités dans ce domaine. Face à ce constat, il apparaît clairement que l’article 13 n’est nullement adapté aux impératifs de l’égalité homme - femme.

Mme Catherine Coutelle. Cette difficulté est accrue si on prend en considération la position du ministre sur cette question. Pour lui, il n’existe pas de problème lié à la retraite des femmes mais plutôt des difficultés relatives à leur carrière. Il n’en demeure pas moins que ce projet aura des conséquences pour les femmes qui arrivent au terme de leur carrière professionnelle qui seront privées de la possibilité de jouir d’une retraite complète.

Mme la présidente Zimmermann. L’ensemble de ces considérations nous conduit à souhaiter une profonde refonte des dispositions de l’article 31 et la mise en œuvre de vraies négociations concernant la question de l’égalité des hommes et des femmes. A défaut d’une telle modification, il faudrait supprimer cet article.

Il y a un autre point que je voudrais aborder : les dispositions qui ne figurent pas dans le projet et qu’il faudrait y ajouter. Ne figure notamment pas dans le projet, de mesure relative aux conséquences du temps partiel. Je déposerai des amendements en ce sens, sur l’information des salariés sur la possibilité de surcotiser à l’assurance vieillesse et sur l’obligation de négocier sur ce point.

Mme Catherine Coutelle. Je suis tout à fait favorable à l’adoption de ces recommandations qui sont en adéquation avec l’appréciation générale qui peut être faite du projet de réforme des retraites. Je ne peux en effet que constater l’insuffisance de la prise en considération des inégalités existantes entre les hommes et les femmes. Au-delà du caractère lacunaire de la réforme, ces dispositions sont de nature à accroître ces inégalités. Ce même constat avait déjà été dressé à propos des précédentes réformes des retraites issues des lois de 1993 et de 2003. Il nous appartient en conséquence d’être vigilant. Or l’instauration de la limite de 67 ans par ce projet de réforme est en elle-même une source d’aggravation de la situation des femmes. Il est ainsi impensable que des femmes exerçant des professions imposant une implication constante puissent poursuivre leur carrière professionnelle jusqu’à 67 ans. Je pense , par exemple, aux enseignantes de maternelle. Il est difficilement envisageable de les voir enseigner jusqu’à 67 ans.

Concernant le comité de pilotage, il me semble que ce système est en soit une bonne chose. Il conviendrait néanmoins que ce comité insiste de manière conséquente sur la question des inégalités afin de réduire les écarts entre les hommes et les femmes. Il serait souhaitable qu’il y est un ministre aux droits des femmes et qu’il fasse partie de ce comité. A l’heure actuelle, on manque d’analyses effectuées en amont, aucun état des lieux n’a été dressé concernant la situation des femmes avant l’élaboration de ce projet de réforme. Ce constat nous pousse donc à réitérer notre position concernant l’opportunité de disposer d’études d’impact relatives à la problématique de l’égalité homme/femme.

La situation des femmes est ainsi des plus préoccupante. Je peux citer l’exemple d’une femme travaillant pour l’Education nationale, certifiée au dernier échelon, elle perçoit actuellement un salaire de 2.500 euros par mois. Lors de son départ en retraite, elle ne percevra plus que la somme de 1.500 euros brut. Cette situation résulte du fait qu’elle a débuté sa carrière dans la fonction publique en tant qu’agent contractuel et qu’elle n’a pas été en mesure de procéder au rachat de ces années lors de son passage au statut d’agent titulaire de la fonction publique.

Mme la présidente Zimmermann. Sur l’article 31, je souhaiterais préciser qu’il est aussi indispensable de procéder à la suppression de la date du 31 décembre 2010. Cette suppression aura pour conséquence la pérennisation de l’obligation de réduction des écarts salariaux.

Il convient ici de noter que le ministre a précisé que les négociations demeuraient ouvertes jusqu’au 13 juillet. De même, des syndicats ont émis le souhait de me rencontrer afin de discuter plus avant de la question, ce qui semble corroborer cette hypothèse.

Mme Catherine Coutelle. On constate une véritable prise de conscience sur les questions touchant les femmes, y compris chez les partenaires sociaux, ce dont on ne peux que se réjouir.

Mme la présidente Zimmermann. En effet, l’émergence de ces questions est le résultat d’un travail de longue haleine dont on commence à entrevoir les fruits.

La Délégation adopte le présent rapport et les recommandations suivantes :

Les pensions servies aux femmes demeurent encore bien inférieures à celles des hommes et les causes en sont bien connues. Ceci est d’autant plus inacceptable que les différences de niveau au sein des retraites des femmes sont fortes (plus que pour les hommes) entre celles qui ont eu une carrière complète et les femmes qui ont travaillé de façon interrompue ou précaire.

L’augmentation de l’activité féminine va conduire, à terme, à un rapprochement des durées cotisées des femmes et des hommes. Cependant, outre le fait que cette évolution résulte pour partie du raccourcissement des durées validées par les hommes et ne se répercute que très lentement sur le niveau des retraites, l’allongement des durées cotisées ne suffira pas à combler les écarts des pensions en raison des conséquences de la précarité, des écarts de salaires, et du temps partiel qui s’est massivement développé à compter du début des années quatre-vingt.

I. LES DISPOSITIONS SUR LES RETRAITES ET LEUR IMPACT SUR LES PENSIONS SERVIES AUX FEMMES

La Délégation se félicite de l’inscription, dans la loi, parmi les missions du Comité de pilotage des régimes de retraite créé à l’article 1er du projet de loi, le suivi de la réduction des écarts de pensions entre les hommes et les femmes.

Le système actuel de retraite étant surtout adapté aux carrières linéaires et ascendantes, un creusement des inégalités est effectivement à craindre et elles affecteront, en priorité, les retraites des femmes.

C’est pourquoi la Délégation considère que :

- les mesures de compensation des aléas de carrière, et particulièrement de celles liés à l’éducation des enfants, doivent être préservées et adaptées, mais que la constitution de droits directs par les femmes doit être privilégiée compte tenu des évolutions de la conjugalité et de la multiplication des séparations qui affectent le niveau de vie des retraitées ;

- des mesures correctrices des inégalités doivent être apportées dès maintenant pour les femmes qui liquident leur retraite. À cet égard, la Délégation se félicite de l’amélioration de la prise en compte du congé de maternité, ce qui était une recommandation qu’elle a plusieurs fois formulée ;

- à plus long terme, l’impact sur les pensions servies aux femmes des mesures contenues dans le projet de loi doit être précisément évalué. Cette évaluation ne doit pas porter uniquement sur les mesures concernant le plus directement les femmes, mais sur l’ensemble des dispositions proposées, le niveau des pensions servies aux femmes étant affecté différemment des pensions servies aux hommes, en raison des caractéristiques des carrières professionnelles des femmes ;

- que le report de 65 à 67 ans de l’âge auquel le bénéfice d’une retraite à taux plein est ouvert affectera particulièrement les femmes qui ont déjà des retraites inférieures aux hommes et qu’il conviendrait donc de maintenir à 65 ans l’âge du taux plein ;

- que l’appréciation des risques professionnels qui va servir de support à la prévention de la pénibilité doit couvrir des risques qui, de fait, affectent également les femmes au travail, même si ces facteurs de pénibilité sont au premier abord moins visibles et doit déboucher sur des mesures de prévention effectives ;

- que pendant le régime transitoire ouvert avant la suppression de la possibilité de départ anticipé pour les fonctionnaires parents de trois enfants et ayant au moins quinze ans de service, la non-application de la décote devrait rester la règle.

II. SUR L’ÉGALITE PROFESSIONNELLE (ARTICLE 31)

La Délégation considère que l’insertion dans le projet de loi de réforme des retraites d’une mesure relative à la mise en oeuvre dans l’entreprise de l’égalité professionnelle est, en soi, un sujet de discussion.

En effet, l’adoption d’une disposition de cette nature ne saurait constituer un dispositif complet de nature à garantir l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes qui repose sur bien d’autres facteurs : rénovation de la négociation collective, mesures relatives au temps partiel, orientation professionnelle…

En tout état de cause, la délégation regarde comme tout à fait insuffisant le dispositif prévu par l’article 31 et préconise de substituer à la sanction du défaut de rapport de situation comparée, la sanction du non-engagement des négociations sur l’égalité professionnelle ou, à défaut d’accord, de la non-adoption d’un plan unilatéral de réduction des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes.

La non-modification de cet article conduirait à demander sa suppression.

III. LES POINTS NON TRAITÉS PAR LE PROJET DE LOI

Par ailleurs, la Délégation recommande que les points suivants, qui ne sont pas abordés dans le cadre de la réforme des retraites soient traités. Il s’agit :

- de la prise en compte des temps très partiels qui étant inférieurs au « 200 heures SMIC » (c’est-à-dire inférieurs à un mi-temps) ne permettent pas de valider de trimestres, par l’évaluation de la durée travaillée sans référence à l’année civile : dès lors que les « 200 heures » sont atteintes, le trimestre est validé ;

- de la pérennisation de l’allocation veuvage dont le régime va s’interrompre au 31 décembre 2010, puisque la réversion s’appliquant de nouveau sous la condition d’un âge minimum de 55 ans, les jeunes veuves ne bénéficieront plus d’aucun des deux dispositifs ;

- de l’information obligatoire des salariés, par l’employeur, des conséquences en matière de retraite d’une activité exercée à temps partiel au moment de la conclusion du contrat de travail ou du passage du temps plein au temps partiel ;

- de l’information des salariés de la possibilité de cotiser à l’assurance vieillesse sur l’équivalent d’un temps plein, pour le régime général, mais aussi pour les régimes complémentaires de l’AGIRC et de l’ARRCO ;

- de l’introduction obligatoire dans les négociations sur l’égalité professionnelle d’une clause relative à la possibilité de surcotisation en cas de temps partiel, sur sa prise en charge ou la compensation de son coût pour le salarié.

Enfin, la Délégation demande que soient étudiées :

- la prise en compte, pour la réversion, de la situation des concubins et des pacsés, au moins quand ils ont un enfant ensemble ;

- dans le cas où la séparation du couple, laisse les mères de famille - qui n’ont pas exercé d’activité professionnelle, ou l’ont interrompue pour s’occuper de l’éducation des enfants - sans droits sociaux suffisants au regard de la retraite, le partage systématique par le juge, au moment du divorce, des droits à la retraite constitués par celui qui a cotisé.

ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA DÉLÉGATION ET COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

Audition de M. Jean-Michel Hourriez, responsable des études au Conseil d’Orientation des Retraites 49

Audition de Mme Danièle Karniewicz, présidente de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) et secrétaire nationale de la CFE-CGC 59

Audition de Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu, secrétaire confédérale de la CGT-FO 71

Audition de Mme Mijo Isabey, conseillère confédérale en charge des retraites à la CGT, accompagnée de Mme Ghyslaine Richard, membre de la commission exécutive confédérale 77

Audition de Mme Christiane Poirier, présidente nationale de la Fédération d’associations de conjoints survivants (FAVEC) 85

Audition de M. François Fondard, président de l’Union nationale des associations familiales (UNAF), sur la réforme des retraites 91

Audition de M. Jean-Louis Malys, secrétaire national de la CFDT 95

Audition de Mme Pascale Coton, secrétaire générale adjointe de la CFTC 99

Audition M. Didier Horus, secrétaire national de la Fédération syndicale unitaire (FSU) et représentant FSU au Conseil d’orientation des retraites (COR) 105

Audition de Mme Brigitte Grésy, membre de l’IGAS, auteur du rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les homme 111

Audition de M. Jean-Michel Hourriez, responsable des études
au Conseil d’Orientation des Retraites

Réunion du 11 février 2010

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous accueillons aujourd’hui M. Jean-Michel Hourriez, responsable des études au Conseil d’orientation des retraites (COR).

Alors qu’il est indispensable que la réflexion en cours sur la réforme des retraites prenne en compte l’ensemble des problématiques liées à l’activité professionnelle féminine, il semble que la feuille de route occulte cette question et, en particulier, ignore le phénomène du temps partiel, apparu dans les années 1980. Les femmes qui avaient alors une trentaine d’années arrivent aujourd’hui à l’âge de la retraite, sans que les avertissements que notre délégation a lancés dès 2004 sur ce point aient été entendus.

Nous souhaiterions aborder avec vous les questions relatives à l’évolution démographique de la population féminine âgée et très âgée, à l’évolution du niveau de vie des femmes retraitées et à l’incidence sur celui-ci des séparations conjugales. En quoi les spécificités des carrières des femmes pèsent-elles sur le niveau des pensions qui leur sont servies ? De quel ordre est la compensation opérée par les droits familiaux et conjugaux ?

En termes de durée de cotisation, quels sont les écarts observés entre les hommes et les femmes ? Ont-ils tendance à se résorber ? Pourriez-vous dresser un premier bilan des effets de la réforme de 1993 et nous dire quelles sont les conséquences d’un allongement de la durée de cotisation sur les pensions des femmes ?

M. Jean-Michel Hourriez. Il est bien connu que les pensions des femmes sont sensiblement inférieures à celles des hommes. En 2004, les pensions de droit propre des générations de femmes actuellement à la retraite représentaient 48 % de celles des hommes. Même si l’on constate un net rapprochement des pensions moyennes des hommes et des femmes, cet écart n’est malheureusement pas appelé à disparaître. Les modèles de projection dont nous disposons, fournis notamment par l’INSEE, montrent que pour les jeunes générations les pensions des femmes demeureront inférieures d’environ un quart à celles des hommes.

Cet écart est dû à trois facteurs, le taux de participation au marché du travail des femmes, le temps partiel et les écarts salariaux.

L’activité féminine a progressé depuis la fin des années soixante, effectuant un bond pour les générations du baby boom. Parmi les générations plus jeunes, ce taux continue de progresser, mais plus lentement, car les formes de l’inactivité féminine ont changé.

Le modèle de la femme au foyer sans profession n’a pas complètement disparu, puisqu’il concerne encore 5 % des femmes, mais l’inactivité prend davantage la forme d’une interruption d’activité après la naissance d’un enfant, la fréquence de ces interruptions augmentant avec le rang des naissances : au troisième enfant, un peu plus d’une femme sur deux interrompt son activité professionnelle. La durée de l’interruption tend toutefois à se réduire. Si, par le passé, il n’était pas rare qu’une femme interrompe définitivement son activité après une naissance, ou qu’elle reprenne son activité après une dizaine d’années d’interruption, la durée d’interruption est désormais inférieure ou égale à trois ans, calée sur celle de l’allocation parentale d’éducation (APE).

Le temps partiel, apparu dans les années 1980, a beaucoup augmenté, notamment sous l’effet de politiques d’incitation, tant du côté de l’offre, avec l’APE, que de la demande, par des allègements de charges ciblés. A la fin des années 1990, le taux s’est stabilisé à un niveau élevé, 30 % des femmes étant employées à temps partiel. Les effets du temps partiel sur la retraite commencent à s’observer.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il est très important de prendre en compte ce problème et, surtout, de trouver une solution pour ces générations qui s’apprêtent aujourd’hui à liquider leur retraite.

M. Jean-Michel Hourriez. La progression du travail à temps partiel est venue annuler les effets de la hausse du taux d’activité féminine. Le COR a consacré, en 2008, son sixième rapport aux droits familiaux et conjugaux en matière de retraite. Il y figure une analyse qui montre à la fois l’évolution de l’activité féminine, celle du taux d’emploi moyen et celle du taux en équivalent temps plein (ETP). Si l’activité féminine progresse régulièrement, celle du taux d’ETP stagne à partir de la génération 1955. La progression de l’activité féminine est alors contrariée par le chômage et le temps partiel.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il est inquiétant que ce problème soit ignoré.

M. Jean-Michel Hourriez. La faiblesse des pensions féminines est corrigée par les droits familiaux. L’allocation vieillesse des parents au foyer (AVPF), la majoration de durée d’activité (MDA) et les majorations de pension pour trois enfants représentent en moyenne, 16 % des pensions pour les générations actuellement à la retraite. Sans l’apport de ces droits familiaux, la pension moyenne de droit propre des femmes représenterait non pas 48 %, mais seulement 42 % de celle des hommes.

Or les droits familiaux, qui permettent d’accorder des trimestres supplémentaires, appréhendent mal les conséquences du temps partiel : les femmes concernées peuvent valider quatre trimestres par an, mais la faiblesse de leur salaire de référence n’est pas compensée. L’une des pistes d’évolution, évoquée par le COR dans son rapport, serait, à long terme, de passer d’un système de majoration de durée à un système de majoration de montant.

Mme Catherine Coutelle. Je ne suis pas certaine que le phénomène du temps partiel soit en stagnation. Il tend plutôt à s’accentuer, avec la multiplication des emplois d’aide à domicile et d’aide à la personne, qui sont à temps ultra partiel et difficilement cumulables.

Par ailleurs, la prise en compte des 25 meilleures années au lieu des 10 meilleures a touché de plein fouet les femmes, qui connaissent de nombreuses interruptions dans leur carrière. Existe-t-il un bilan comparatif des effets de la loi de 2003 sur les retraites des hommes et des femmes ?

M. Jean-Michel Hourriez. Je n’ai pas dit que le taux des emplois à temps partiel tendait à diminuer. Nous nous situons sur un plateau, à un niveau élevé puisqu’un tiers des femmes sont employées à temps partiel. Il n’est pas impossible que le phénomène reprenne sa progression avec la promotion des emplois à domicile.

Mme Danielle Bousquet. Les chiffres montrent que, dans leur très grande majorité, les premiers contrats ne sont plus à durée indéterminée, et très rarement à temps complet. Nous sommes encore sur une courbe ascendante.

M. Jean-Michel Hourriez. Il est vrai que les générations récentes sont davantage concernées par le temps partiel. Le problème se pose moins pour les générations qui liquident leur retraite actuellement que pour celles qui prendront leur retraite dans cinq ou dix ans, avec un effet maximal pour les générations les plus jeunes.

Quel impact a eu la réforme de 1993 en matière de retraite des femmes ? Les effets sont multiples, parfois contradictoires et difficiles à analyser. A priori, l’allongement de 37,5 à 40 annuités a pénalisé les femmes puisqu’elles connaissent des durées d’activité plus courtes que celles des hommes. Le calcul du salaire annuel moyen (SAM) sur les 25 meilleures années, plutôt que sur les 10 meilleures, pénalise les carrières courtes, donc les femmes, mais également les carrières ascendantes, donc les cadres qui sont souvent masculins. Par ailleurs, les femmes sont assez nombreuses à bénéficier du minimum contributif, qui joue son rôle d’amortisseur. Isabelle Bridenne et Cécile Brossard, de la CNAVTS, ont publié dans Retraites et société de juin 2008 un bilan comparé de la réforme en matière de niveau de pension au régime général : contre toute attente, l’impact moyen est plus important pour les hommes parce qu’ils sont plus nombreux à être affectés par la réforme, mais parmi les personnes affectées, la baisse de la pension est plus importante pour les femmes que pour les hommes.

A ma connaissance, le bilan global des effets différentiés des nombreuses dispositions de la réforme de 2003 n’a pas encore été dressé. Si l’allongement de la durée d’assurance au-delà de 40 ans pénalise certainement les femmes, elles profitent plus largement de la baisse du taux de décote de 10 à 5 %. En revanche, l’instauration de la surcote puis sa majoration de 3 à 5 % avantage les hommes, plus nombreux à faire valoir des trimestres supplémentaires. Le dispositif de retraite anticipée a plutôt bénéficié aux hommes qu’aux femmes. Les règles relatives à la réversion ont été modifiées, une condition de ressources remplaçant désormais la condition de non-cumul. La loi prévoyait que la condition d’âge minimum pour qu’une veuve puisse bénéficier d’une pension de réversion disparaisse à terme, mais elle a été restaurée suite au rendez-vous de 2008.

Mme Catherine Coutelle. Le rapport de la délégation sur Les femmes et leur retraite soulignait qu’un grand nombre d’entre elles – 46 % – étaient contraintes de travailler jusqu’à 65 ans pour bénéficier d’une pension acceptable. Cela donne une idée des effets de la décote et des carrières incomplètes. Certaines d’entre elles, surtout quand elles ont travaillé en libéral, perçoivent une pension qui n’est pas plus élevée que celles des femmes n’ayant jamais travaillé.

M. Jean-Michel Hourriez. Les professions libérales et les métiers indépendants perçoivent de façon générale des pensions plus faibles.

Mme Danielle Bousquet. Il semble aussi que dans le calcul des droits, le cumul de petits temps partiels soit pénalisé. Une personne ayant travaillé trois heures par semaine chez cinq employeurs différents aura moins de droits qu’une personne ayant effectué quinze heures hebdomadaires.

M. Jean-Michel Hourriez. Le fait de cumuler plusieurs emplois ne pose pas de problème si l’on reste dans le cadre du même régime de retraite. C’est le total des salaires de l’année qui compte et la règle des « 200 heures SMIC » qui s’applique : pour valider 4 trimestres, il faut avoir travaillé 800 heures rémunérées au SMIC, soit entre cinq et six mois à temps plein, dans l’année.

Le COR a analysé cette règle dans son septième rapport, paru en janvier 2010. Elle est plutôt favorable aux personnes qui ont eu des carrières relativement longues, (d’une durée de plus de 25 ans), puisqu’à chaque trimestre supplémentaire validé sur la base des « 200 heures SMIC » s’applique un salaire de référence, celui des 25 meilleures années, qui n’est pas dégradé.

En revanche, pour les personnes dont la carrière est plus courte (moins de 25 ans) et plus précaire (temps très partiels), les règles de calcul des pensions peuvent s’avérer pénalisantes : d’une part ces personnes ne parviennent pas à valider 4 trimestres par an (du fait du temps partiel, elles travaillent moins de 800 heures dans l’année) ; d’autre part leur salaire de référence est faible dans la mesure où le salaire annuel d’une personne travaillant à temps partiel est faible (en effet le salaire de référence – ou SAM – est calculé comme la moyenne des salaires annuels des 25 meilleures années).. Ces personnes se trouveront pénalisées à la fois en termes de trimestres et de salaire de référence.

S’agissant de l’âge de départ à la retraite, le COR a demandé à la CNAVTS des statistiques croisées des durées validées et des âges de départ, en distinguant les hommes et les femmes. Pour la génération de 1943, on note plusieurs éléments de dissymétrie. Les femmes sont beaucoup plus nombreuses à avoir dû travailler jusqu’à 65 ans pour éviter la décote (femmes liquidant à 65 ans en ayant validé moins de 40 annuités) : elles sont 36 % dans ce cas, contre 12 % chez les hommes. Par ailleurs, deux tiers des hommes ont liquidé leur retraite à 60 ans alors que seulement la moitié des femmes y sont parvenues. Les personnes qui liquident entre 61 et 64 ans, exactement à l’âge où elles atteignent le taux plein, sont plus souvent des hommes. Enfin, les hommes sont plus nombreux à liquider au-delà de 60 ans pour bénéficier de la surcote : 10 % des hommes contre 7 % des femmes.

Pour ce qui est de la durée d’assurance, il apparaît que les femmes, qui participent de plus en plus au marché du travail et qui connaissent des interruptions de carrière plus courtes, vont valider de plus en plus de trimestres. A contrario, elles sont concernées, au même titre que les hommes, par des facteurs entraînant une diminution tendancielle du nombre de trimestres validés : entrée de plus en plus tardive sur le marché du travail – 22 ans pour les générations nées dans les années 1970, contre 19 ans pour les générations qui liquident actuellement leur pension –, montée du chômage et de la précarité. Les études citées par le COR dans son 6e rapport (simulations de la CNAVTS et de l’INSEE) montrent, cependant, que le rapprochement du nombre de trimestres validés par les hommes et par les femmes va se poursuivre. Pour les générations qui ont liquidé leur retraite en 2004 au régime général, l’écart était encore de l’ordre de 37 trimestres, hors MDA, et de 20 trimestres, MDA incluse.

Mme Danielle Bousquet. Cela représente une décote de quel ordre ?

M. Jean-Michel Hourriez. Cinq années d’écart représenteraient à terme 25 % de décote/surcote selon la législation issue de la loi de 2003. Cependant, il est difficile de faire ce calcul pour les personnes ayant liquidé en 2004 : l’écart entre la durée d’assurance moyenne des femmes et celle des hommes est bien de cinq ans, mais cela ne signifie pas que les femmes ont en moyenne cinq ans de décote ; par ailleurs les taux de décote et de surcote varient selon les générations.

Il convient de noter que les comportements féminins en matière de durée de carrière, très disparates pour la génération de 1943 – entre des femmes ayant définitivement interrompu leur activité professionnelle à la naissance du premier enfant et des femmes ayant travaillé entre 14 et 60 ans – tendent à devenir de plus en plus homogènes. Les carrières sont moins longues, mais les carrières courtes se font beaucoup plus rares.

L’écart entre les durées d’assurance tend à se résorber puisqu’il n’est plus, hors MDA, que de 20 trimestres, pour la génération de 1950. Les projections montrent que pour les générations nées entre 1970 et 1980, l’écart hors MDA devrait tendre vers zéro. Pour les femmes bénéficiant de la MDA, la durée d’assurance serait donc plus importante que celle des hommes. Les générations les plus jeunes n’auront alors plus besoin de trimestres supplémentaires, par contre le salaire de référence constituera toujours un facteur d’écart.

Mme Catherine Coutelle. Pourtant, bien des facteurs d’inégalité demeurent : précarité, salaires, temps partiel. Il semble que cela ne s’améliore guère !

M. Jean-Michel Hourriez. Nous avons bien noté une panne du rapprochement entre hommes et femmes sur le marché du travail, qui reflète d’ailleurs l’évolution au point mort du partage des tâches domestiques au sein du couple.

Mme Pascale Crozon. Il faut aussi prendre en compte le facteur de paupérisation que représente le divorce pour les femmes retraitées. J’ai reçu dans ma permanence une femme qui a travaillé pendant quinze ans auprès de son mari sans être déclarée. Elle touche aujourd’hui une retraite de 480 euros et doit attendre le décès de son ex-conjoint pour toucher la pension de réversion.

Notre délégation avait recommandé dans son rapport de 2008 de mettre en oeuvre un partage des points entre ex-conjoints lors du départ à la retraite. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Michel Hourriez. Un chapitre du rapport du COR est consacré à ces questions importantes.

Un problème se posera de plus en plus à l’avenir : la montée des divorces ou, plus généralement, la fragilisation des unions conjugales.

Si l’on observe une progression des pensions personnelles des femmes et une diminution progressive des écarts entre les hommes et les femmes au fil des générations, la fragilisation des unions se développe avec, d’une part, la montée des divorces, d’autre part, la baisse des mariages chez les plus jeunes générations – et le grand succès du PACS, lequel n’ouvre pas droit à réversion, ni à prestation compensatoire. Par ailleurs, les femmes se remettant moins souvent en couple que les hommes, elles risquent plus de finir leur vie isolée au moment de la retraite, avec des problèmes de niveau de vie.

Mme Pascale Crozon. Si l’on veut être cynique, le veuvage est la meilleure solution pour les femmes, car elles touchent une retraite au prorata des années durant lesquelles elles ont vécu avec leur mari.

M. Jean-Michel Hourriez. Nous avons comparé le niveau de vie des veuves à celui des femmes divorcées ou célibataires au moment de la retraite.

Le divorce était peu fréquent chez les générations nées avant 1945 : neuf personnes sur dix se mariaient et c’est surtout le veuvage qui posait problème. Les générations du baby-boom ont davantage divorcé : sur dix femmes nées en 1950, une ne s’est pas mariée, trois ont divorcé, les six autres se sont mariées et n’ont pas divorcé. D’après les projections des démographes, le parcours matrimonial des femmes plus jeunes, nées en 1970, serait le suivant : trois femmes sur dix ne se marieraient pas – vivraient en union libre, éventuellement se pacseraient et n’auraient donc pas de droit à réversion dans le cadre de la législation actuelle –, trois divorceraient, et quatre auraient un parcours de mariage jusqu’à la fin de la vie ou de veuvage.

Il est indispensable d’alerter sur cette évolution des unions conjugales, car elle risque d’entraîner une dégradation des niveaux de vie des femmes au moment de la retraite.

Les veuves de plus de soixante-cinq ans ont peu de problèmes de niveau de vie. Si leur niveau de vie est en retrait par rapport à celui des couples à la retraite, l’écart n’est que de 16 % et il est surtout dû à des effets de structure : le risque de veuvage est plus important pour les femmes de catégorie sociale modeste, les hommes ouvriers mourant plus jeunes.

En outre, le conjoint survivant conserve à peu près le niveau de vie antérieur si l’on se réfère à la convention standard utilisée par les statisticiens, selon laquelle les besoins d’un couple seraient 1,5 fois ceux d’une personne seule, ce qui revient à considérer qu’une veuve qui conserve deux tiers des revenus du couple antérieur a le même niveau de vie.

Certes, les personnes devenues veuves ressentent spontanément une dégradation de leur niveau de vie, surtout celles qui désirent – et elles sont nombreuses – conserver leur logement, les charges d’habitation demeurant inchangées.

Mme Pascale Crozon. Des femmes m’ont expliqué être obligées de vendre leur appartement, acheté depuis très longtemps, à cause de travaux de copropriété. C’est un vrai drame pour celles dont les retraites sont minimes.

Mme Danielle Bousquet. Il faut rétablir les choses : si les femmes sont fragilisées, c’est parce qu’elles n’ont pas la même vie professionnelle que les hommes – la perte de leur mari ne fait qu’augmenter cette fragilité.

M. Jean-Michel Hourriez. Des cas types sont présentés dans le rapport. À la suite du décès de son mari, si la femme n’a pas travaillé, elle subit une perte de niveau de vie ; au contraire, son niveau de vie est comparable, voire supérieur à celui du couple antérieur, s’il y a eu parité de salaire ou de retraite dans le couple.

Ayant vérifié que le niveau de vie moyen des veuves n’est pas très inférieur à celui des couples, nous nous sommes posé la question de savoir si le divorce allait engendrer des situations où des femmes âgées se retrouveraient avec un niveau de vie très faible.

Aujourd’hui, les femmes célibataires ou divorcées à la retraite ont un niveau de vie légèrement inférieur à celui des couples, mais à peu près comparable à celui des veuves. Cela s’explique par le fait que le divorce, peu fréquent pour les générations nées avant 1945, a d’abord touché des milieux sociaux relativement favorisés, où les femmes étaient plus diplômées ou davantage intégrées au marché du travail que la moyenne. Par conséquent, aujourd’hui les femmes de plus de soixante-cinq ans, divorcées à la retraite, compensent les effets du divorce par une carrière personnelle relativement favorable.

Ce constat ne se vérifiera sans doute plus à l’avenir, car les divorces, les séparations et la vie en couple sans mariage concernent aujourd’hui tous les milieux sociaux. Ainsi, de plus en plus de femmes cumuleront le double handicap de leur divorce et d’une pension personnelle relativement faible par rapport à celle d’un homme. On peut alors se demander si, dans les générations les plus jeunes – celles nées dans les années cinquante jusqu’aux années quatre-vingt –, un certain nombre de femmes divorcées ou isolées, célibataires, divorcées ou séparées au moment de la retraite, ne seront pas confrontées à un faible niveau de vie.

Dans nos travaux de simulation, le modèle Destinie de l’INSEE nous a aidés à y voir plus clair. Les deux mouvements contraires – progression des pensions féminines et fragilisation accrue des situations conjugales au fil des générations – semblent se compenser, plus ou moins, écartant dans l’absolu une franche dégradation du niveau de vie moyen de l’ensemble des femmes vivant seules au moment de la retraite. Néanmoins, ces estimations sont fragiles, et la question reste posée d’un risque accru pour les générations futures d’une paupérisation d’une partie des femmes isolées au moment de la retraite.

Mme Pascale Crozon. J’ai rencontré les responsables du Secours catholique : sur le terrain, cette paupérisation commence déjà. Dans dix ans, les pauvres dans ce pays seront principalement les femmes parce qu’elles sont mères célibataires et ne trouvent pas de travail. Florence Aubenas a parfaitement décrit cette situation dans son livre Quai de Ouistreham

M. Jean-Michel Hourriez. Le taux de pauvreté est aujourd’hui important parmi les familles monoparentales, qui sont essentiellement des femmes. Ces générations de parents isolés risquent d’être pauvres à l’avenir.

Mme Pascale Crozon. Un certain nombre n’a aucune ressource et dépend totalement de l’aide sociale.

M. Jean-Michel Hourriez. Le veuvage précoce chez les femmes plus jeunes fait partie du problème général des familles monoparentales ou des parents isolés. Autant les veuves à l’âge de la retraite sont bien protégées par le système social français, autant les personnes de moins de soixante ans qui deviennent veuves connaissent de réels problèmes de pauvreté – leur taux de pauvreté est de l’ordre de 30 %. En effet, en dehors des régimes spéciaux, le système de retraite ne fournit pas, ou très peu, de pension de réversion dans ce cas-là. Les dispositifs de prévoyance des entreprises peuvent accorder des pensions à ces femmes ou à ces hommes. Au total, la prise en charge de ce risque est très disparate, et il y a là un problème spécifique à traiter soit par des dispositifs publics, soit par des dispositifs de prévoyance.

Mme Pascale Crozon. Hier, j’ai reçu une femme de vingt-sept ans dont le conjoint militaire a été tué : elle a un enfant et se retrouve démunie car elle ne touche rien.

M. Jean-Michel Hourriez. Ces situations de veuvage précoce sont assez fréquentes – 12 % des hommes et 6 % des femmes décèdent avant l’âge de soixante ans –, les décès précoces des hommes étant en partie liés aux conditions de travail ou aux accidents.

Mme Catherine Coutelle. Face à cette situation, quelles sont vos pistes de réflexion ?

M. Jean-Michel Hourriez. Il est possible de faire évoluer, d’une part, les droits familiaux, d’autre part, les droits conjugaux – c’est-à-dire la réversion – et de réfléchir au splitting, terme désignant le partage des droits à la retraite entre conjoints.

Les droits familiaux, liés aux enfants, sont essentiellement la majoration de durée d’assurance, l’assurance vieillesse des parents au foyer et les majorations de pension pour trois enfants et plus, mais dont je ne parlerai pas car elles concernent autant les hommes que les femmes.

La troisième partie du rapport du COR évoque des pistes d’évolution de ces droits, à court et à long termes.

À court terme, le droit complexe de l’AVPF gagnerait à être simplifié afin de le rendre plus lisible, car les femmes qui valident actuellement des droits au titre de cette prestation ne semblent pas toujours bien informées. En effet, pour en bénéficier, plusieurs conditions se superposent : interruption de son activité professionnelle, sauf pour les parents isolés et perception de certaines prestations familiales, auxquelles s’ajoute une condition de ressources du ménage.

S’il était nécessaire d’adapter la MDA à la jurisprudence, notamment aux principes formels d’égalité de droits entre hommes et femmes et donc d’ouvrir cette prestation au père, à plus long terme, le COR propose, à plus long terme, une évolution consistant à mieux articuler la MDA et l’AVPF.

Actuellement, l’AVPF peut permettre aux mères de trois enfants de valider un grand nombre d’années. Le COR propose de recentrer cette prestation sur des interruptions courtes d’activité, de moins de trois ans, la tendance actuelle étant que les femmes s’interrompent moins de trois ans après la naissance d’un enfant. Cela éviterait un système où certaines femmes (mères de trois enfants ou plus) valident beaucoup de trimestres au titre de cette prestation.

Concernant la MDA, les femmes des générations futures ayant davantage besoin d’une majoration du salaire de référence que de trimestres supplémentaires, il faudrait réfléchir à des dispositifs de majoration de pension.

On peut s’inspirer de l’exemple étranger de majoration de pension ouverte, au choix, au père ou à la mère. Ainsi, au moment de la naissance, le couple pourrait choisir entre le père ou la mère pour l’octroi de ce droit supplémentaire, ou un panachage des deux. Dans son sixième rapport, le COR évoquait plutôt des majorations forfaitaires de montants de pension, car une majoration proportionnelle est plus avantageuse pour le père dont la pension est plus élevée.

S’agissant des dispositifs de réversion ou de droits conjugaux, la question de leur adaptation à l’évolution des nouvelles structures conjugales se pose. Deux types d’évolution sont possibles : soit on reste dans le cadre de la réversion, que l’on aménage pour tenir compte de l’évolution des parcours conjugaux ; soit on va vers des formules novatrices, comme le partage des droits.

Le splitting existe dans certains pays, notamment en Allemagne où il a été instauré pour le régime général en cas de divorce. Il consiste à partager, au moment d’un divorce, les droits à retraite acquis par l’homme et par la femme durant le mariage pour que, au moins pour cette période, l’homme et la femme aient acquis autant de droits. Le partage des droits vient alors se substituer à la réversion.

Ces techniques de partage des droits sont beaucoup plus faciles à mettre en œuvre dans un système de retraite par points ou en comptes notionnels, comme en Suède, que dans un système d’annuités comme le nôtre. Il faudrait alors réfléchir à des réformes structurelles de notre système de retraite : c’est l’objet du 7ème rapport du COR paru en janvier 2010.

Dans ces dispositifs de « splitting », les hommes sont souvent perdants car, dans la mesure où ils gagnent plus que les femmes, dans au moins trois quarts des couples, ils doivent rétrocéder des droits à leur femme. Pour autant, les gagnants ne seraient pas systématiquement les femmes, mais plutôt les régimes de retraite qui feraient des économies dans la mesure où ils n’auraient plus de pensions de réversion à verser. En effet, un dispositif de partage des droits n’est pas forcément plus avantageux pour les femmes : si elles optent pour le partage des droits, elles ont une meilleure pension en droits propres, mais n’ont plus droit à la réversion.

Selon les cas, les femmes peuvent être gagnantes ou perdantes. Actuellement, une femme divorcée n’a droit à rien tant que son ex-mari est vivant. Au décès de celui-ci, elle perçoit une réversion, sous réserve d’un partage entre plusieurs ex-épouses. Il n’y a pas de système automatiquement plus avantageux pour les femmes : si le décès de l’ex-mari est précoce, la femme a plus intérêt au système de réversion actuel ; si le décès de l’ex-mari est tardif, elle a plus intérêt au partage des droits. Tout dépend aussi des écarts de pension ou de salaires qui existaient entre l’ex-mari et la femme. Les systèmes de partage des droits sont surtout avantageux pour les femmes de cadre dépendant financièrement de leur mari. En raison de la diversité des situations, il n’y a pas de règle générale.

Afin de rendre le partage des droits plus attractif pour les assurés, il serait intéressant de réfléchir à un dispositif où chaque conjoint obtiendrait plus de 50% de la somme des droits acquis par l’homme et la femme au cours du mariage, en contrepartie de l’abandon du droit à réversion.

Au total, les membres du COR ont jugé, en l’état actuel des réflexions, qu’il serait prématuré d’instaurer en France un dispositif de partage des droits.

Par conséquent, en matière de droits conjugaux, les réformes consisteraient plutôt à aménager les dispositifs de réversion actuels. Plusieurs pistes ont été évoquées dans des rapports, notamment du Sénat.

Par exemple, sachant que le PACS connaît un grand succès, se pose la question de l’extension éventuelle de la réversion aux couples non mariés. Elle n’est pas simple car, cette mesure pouvant entraîner des effets d’aubaine, dont des PACS de complaisance, il faudrait limiter les conditions dans lesquelles la réversion serait ouverte aux pacsés. Un rapport de la mission parlementaire d’information sur la famille et les droits des enfants de 25 janvier 2006, ainsi qu’un rapport de la MECSS du Sénat du 22 mai 2007 évoquaient des conditions pour obtenir le droit à réversion : durée de PACS minimale, union libre avec enfant en commun. Le Conseil d’orientation des retraites suggère, en contrepartie de l’ouverture de la réversion aux pacsés, un engagement de solidarité plus important de la part des conjoints, par exemple une prestation compensatoire en cas de rupture du PACS. En effet le mariage permet d’accorder des droits en matière de protection sociale, comme la réversion, en contrepartie d’une solidarité financière entre ex-époux qui se concrétise lors de la rupture par le versement éventuel d’une prestation compensatoire. Un renforcement de la solidarité entre ex-conjoints pacsés est donc une piste de réflexion.

Par ailleurs, les règles de réversion en cas de divorce, très différentes d’un régime à l’autre, gagneraient à être simplifiées et homogénéisées. Aujourd’hui, le droit à réversion acquis par une femme divorcée dépend du parcours matrimonial ultérieur de son ex-mari : s’il se remarie, la durée respective des mariages joue car le droit à réversion est calculé au prorata du nombre d’années de mariage. Par exemple, si un homme a eu deux épouses successives, l’une pendant dix ans, l’autre pendant vingt ans, la réversion est partagée un tiers – deux tiers. Il serait plus simple qu’une certaine durée de mariage offre droit à une réversion pleine, et, qu’en cas de durée du mariage inférieure à cette durée pleine, la réversion soit systématiquement proratisée.

Telles sont les pistes d’évolution développées par le COR dans son rapport.

Mme Danielle Bousquet. Le COR a traité uniquement la partie retraite : il n’a pas fait de propositions en ce qui concerne le travail des femmes.

M. Jean-Michel Hourriez. Il n’est pas de notre compétence de faire des propositions relatives au marché du travail. Néanmoins, comme le rappelle notre rapport, nous étudions les corrections susceptibles d’être apportées en aval dans le cadre du système de retraite, mais cela ne dispense pas d’un effort, en amont, de rapprochement des carrières des hommes et des femmes. Les systèmes des droits familiaux et conjugaux se limitent à corriger ce qui n’a pas pu l’être en amont.

M. Jean-Luc Pérat. Si une femme est plusieurs fois veuve, les pensions de réversion se cumulent-elles ou y a-t-il un plafond ? Et si une femme divorce, se remarie et que son premier mari décède, a-t-elle droit systématiquement à la pension de réversion ?

M. Jean-Michel Hourriez. Dans certains régimes, se remarier fait perdre le droit à réversion acquis du premier mariage. Depuis la loi de 2003, le régime général a supprimé la condition de non-remariage, mais l’a remplacée par une condition de ressources : la femme a droit à une réversion en provenance de son ex-mari si les ressources de son nouveau couple sont faibles ; si elles sont suffisamment élevées, elle ne perçoit plus la réversion du régime général.

M. Jean-Luc Pérat. Des ex-conjoints peuvent ne plus se parler depuis des années. Pour le versement de la pension de réversion, la première épouse est-elle systématiquement recherchée ou est-ce à elle de faire la démarche ?

M. Jean-Michel Hourriez. Il est possible qu’un problème d’information existe en la matière, et que des droits ne soient pas réclamés.

M. Jean-Luc Pérat. S’agit-il du « pactole » de retraites non réclamées, évoqué il y a quelque temps ?

M. Jean-Michel Hourriez. Je ne dispose pas de suffisamment d’éléments pour être affirmatif, mais c’est possible. Dans le cas du veuvage précoce, il est possible que les femmes ne connaissent pas toujours leurs droits : la caisse de retraite de la CNAVTS leur indique qu’elles n’ont pas de droits à réversion du régime général en dessous de cinquante-cinq ans ; elles peuvent alors oublier qu’elles ont des droits au titre de la retraite complémentaire et ceux-ci peuvent ne pas être réclamés.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie de cet éclairage très important. Cela conforte ma déception de voir que la feuille de route sur les retraites n’a jamais mentionné celles des femmes.

M. Jean-Michel Hourriez. Effectivement, nous espérions que les choses bougent un peu. Tout au long de nos travaux, nous avons cependant noté un certain conservatisme de la plupart des membres du Conseil sur ces questions.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci beaucoup, monsieur Hourriez.

Audition de Mme Danièle Karniewicz, présidente de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) et secrétaire nationale de la CFE-CGC

Réunion du 11 mai 2010

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous sommes heureux d’accueillir Mme Danièle Karniewicz, Présidente de la CNAVTS.

La question de la retraite des femmes qui est depuis longtemps une préoccupation de la délégation aux droits des femmes n’est pas du tout abordée dans le débat actuel, ce qui me paraît tout à la fois déplorable et extrêmement préoccupant.

On nous dit que c’est un problème d’égalité au travail et que les retraites ne peuvent, en tant que telles, régler toutes les difficultés en la matière. C’est sans doute vrai, mais force est de constater qu’un grand nombre de femmes, aujourd’hui âgées de cinquante à soixante-cinq ans, encourent, pour différentes raisons – les aléas de carrières ou encore le travail à temps partiel – un risque important de précarité et de paupérisation.

Mme Danièle Karniewicz, Présidente de la CNAVTS et secrétaire nationale de la CFE-CGC. Plus généralement, on n’aborde pas aujourd’hui la question pourtant fondamentale du niveau des retraites, et donc encore moins du niveau des retraites des femmes. Si l’on demande aux Français des efforts pour équilibrer les régimes de retraite – ce qui me semble une nécessité –, il faut aussi se poser la question du niveau des pensions pour lesquelles on cotise. Or, les trente millions de salariés du privé ne jouissent d’aucune visibilité en la matière.

Si le niveau des pensions a augmenté en valeur absolue depuis l’après-guerre, il a diminué en valeur relative depuis la réforme de 1993. Le taux de remplacement, qui se définit comme le rapport entre la première pension de retraite et le dernier salaire d’activité - sachant d’ailleurs qu’aujourd’hui, le dernier salaire d’activité n’est plus forcément le salaire le plus élevé perçu au cours de la carrière - n’a pas cessé de baisser pour les salariés du privé, sans qu’il existe la moindre garantie et la moindre visibilité à terme. Les seules exceptions concernent des personnes qui ayant fait toute leur carrière au SMIC, touchent 85 % de celui-ci à la retraite et celles qui bénéficient du « minimum contributif ». Ces dernières ont effectué une carrière complète, mais la retraite à laquelle elles devraient avoir droit étant inférieure à un montant minimal, aujourd’hui fixé à environ 690 euros, leur pension est portée à hauteur de celui-ci.

Les femmes, qui perçoivent les plus faibles salaires, bénéficient de ces dispositifs, mais ceux-ci ne garantissent que des minima. Elles restent les premières victimes de la situation actuelle, d’autant qu’elles pâtissent de certaines évolutions sociologiques. De plus en plus de couples se séparent au moment de la retraite, ce qui place de nombreuses femmes dans des situations très difficiles. Et pourtant, le niveau de leur retraite n’est pas du tout au cœur du rendez-vous Retraite 2010.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Comment peut-on y remédier ?

Mme Danièle Karniewicz. La vraie question ne consiste pas à demander aux Français s’ils veulent travailler plus. Il faut, avant tout, s’interroger sur notre pacte social : de quel niveau de vie doit-on bénéficier une fois qu’on est à la retraite ? Cette question n’étant jamais posée, elle ne sera pas réglée et l’on va continuer à réduire considérablement le niveau des pensions.

On invoque sans cesse le principe d’égalité de traitement entre les salariés du privé et ceux des autres régimes, mais il n’existe déjà pas en termes de lisibilité.

Il faudrait donc commencer par poser la question du niveau des retraites, puis celle des moyens permettant de le garantir. On ne parle du niveau des retraites que dans la fonction publique. Dans la perspective d’un calcul des pensions sur la base des vingt-cinq dernières années, et non plus du salaire perçu au cours des six mois précédant la retraite – mesure destinée à faire croire que la question de l’inégalité de traitement sera ainsi résolue –, les fonctionnaires demandent que l’on raisonne en termes de taux de remplacement. Afin d’obtenir un taux proche de 75 %, ils souhaitent en particulier que l’on intègre leurs primes, parfois d’un montant élevé, sur lesquelles ils n’ont pas cotisé. Si l’on pose aujourd’hui la question de la lisibilité, on le fait seulement dans le secteur public, là où elle existe déjà, et non dans le secteur privé.

Nous demandons, pour notre part, l’instauration d’un « bouclier retraite » en s’entendant sur un niveau minimal de pension. Je pense notamment aux jeunes, de plus en plus nombreux à commencer à travailler après trente ans. Mais il faut être conscient que ce serait une mesure coûteuse, exigeant des efforts supplémentaires.

Il est aujourd’hui question de modifier l’âge de la retraite et/ou la durée de cotisation et de ne toucher que très peu aux recettes. Comme cela ne suffira pas, le niveau des pensions diminuera nécessairement. Cela rend, en outre, toute réflexion sur la solidarité du système plus difficile. On ne sait déjà plus très bien, aujourd’hui, si l’on cotise en vue de sa propre retraite ou pour financer des efforts de solidarité.

Le cumul emploi-retraite mérite aussi réflexion. Il est aujourd’hui possible de cumuler sa pension de retraite avec des revenus du travail, mais seulement lorsqu’on dispose de droits propres à la retraite, et non quand on bénéficie de droits dérivés. Une veuve qui a renoncé à travailler pour élever ses enfants touche une pension de réversion sous conditions de ressources. Si elle travaille, elle va perdre tout ou partie de sa pension de réversion. Le cumul emploi-retraite est donc impossible pour ceux qui sont le plus dans le besoin, notamment les femmes. Je rappelle que le montant des pensions de réversion versées par la CNAV ne dépasse pas 800 euros et qu’il y a aujourd’hui une volonté d’étendre la condition de ressources, qui aujourd’hui n’existe pas pour les retraites complémentaires. Sans être favorable au système des pensions de réversion en tant que tel, je considère que c’est aujourd’hui une nécessité et que nous devons absolument le préserver.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Comme je l’indiquais, je suis très inquiète pour la tranche d’âge qui va bientôt prendre sa retraite. Je pensais que les difficultés allaient progressivement se résoudre, mais nous avons appris au cours de précédentes auditions qu’elles allaient, au contraire, s’aggraver du fait de la multiplication des emplois précaires.

Mme Danièle Karniewicz. Il existe une forme de solidarité dans le système actuel, car les périodes de maternité et de maladie sont prises en compte. Cependant, elles ne sont pas valorisées de la même façon que les salaires, ce qui pose problème quand le calcul de la pension repose sur les vingt-cinq meilleures années.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. On ne s’était pas rendu compte, en 1993, des problèmes auxquels cette réforme allait conduire.

Mme Catherine Coutelle. Loin de se résoudre, les problèmes pourraient se poursuivre jusqu’en 2040. En effet, les inégalités de retraite résultent de trois facteurs : la précarité, le temps partiel et les interruptions d’activité.

Comment faire en sorte que les femmes bénéficient d’un niveau de pension décent sans grever le budget ? Un tiers d’entre elles perçoit le minimum vieillesse, y compris des femmes qui ont travaillé. J’ai récemment rencontré une femme, ancienne travailleuse indépendante, qui percevait la même retraite que sa mère alors que celle-ci n’avait jamais eu d’activité.

Mme Danièle Karniewicz. Il existe deux formes de minimum : le minimum vieillesse, versé aux personnes ayant travaillé, mais pas suffisamment pour avoir accumulé les annuités requises, et le minimum contributif, destiné aux personnes ayant travaillé pendant 41 annuités, sans pour autant atteindre le seuil minimal des retraites. Bien qu’ils aient été récemment réévalués, comme le gouvernement s’y était engagé, les montants en cause sont inférieurs à 700 euros, et il n’y a pas plus de 50 euros de différence entre eux.

Il existe en parallèle d’autres mécanismes de solidarité, plus classiques, comme la majoration de durée d’assurance pour enfant. Pendant longtemps, seules les femmes pouvaient en bénéficier, mais il a fallu ouvrir le système aux hommes pour respecter le principe de non-discrimination issu du droit européen. Nous avons obtenu un certain nombre de garde-fous en faveur des femmes, mais un couple peut désormais partager ce droit s’il le souhaite. À cela s’ajoutent la prise en charge des périodes de maternité, l’assurance vieillesse des parents aux foyers (AVFP) ainsi que la bonification de pension accordée aux femmes ayant élevé trois enfants.

Ces différents mécanismes étant limités, on ne parviendra pas à faire progresser la solidarité tant que le débat ne portera pas sur le niveau des retraites des salariés du secteur privé, notamment ceux qui contribuent beaucoup.

Mme Catherine Coutelle. Quelle serait la différence si l’on prenait en compte le niveau des retraites ?

Mme Danièle Karniewicz. Le rapport entre la première pension versée et le dernier salaire est aujourd’hui d’environ 72 %, mais ce n’est qu’une moyenne : ceux qui ont touché le SMIC pendant toute leur carrière percevront 85 % du SMIC, et d’autres entre 55 et 60 % de leur dernier salaire. L’éventail est très large. Le système actuel offre davantage de garanties aux bas salaires, et donc aux femmes, mais nombre d’entre elles risquent de percevoir moins de 700 euros – soit le minimum – si elles ont arrêté de travailler.

C’est pourquoi la question du seuil est essentielle. On ne peut pas dire aux jeunes qu’ils vont cotiser pendant toute leur vie pour toucher 40 % de leur dernier salaire, voire moins. Il faut redonner confiance dans le système des retraites.

Mme Catherine Coutelle. Il y a effectivement de grandes inquiétudes : il faut maintenant cotiser toute sa vie sans avoir la moindre idée de la retraite qu’on percevra plus tard.

J’ai lu que le système suédois permettait d’indiquer aux jeunes, dès l’âge de vingt-huit ou de trente ans, de quelle retraite ils pourront bénéficier. Qu’en pensez-vous ?

Mme Danièle Karniewicz. C’est un système qui repose sur des comptes notionnels et qui dépend donc de la durée de la vie. Il fait, en outre, appel à des retraites complémentaires sous forme de placements financiers. Dans ces conditions, la lisibilité offerte peut changer très vite. Vous comprendrez que ce n’est pas un système que je défends. On peut obtenir les mêmes résultats dans un système par répartition, pour un coût moindre et en protégeant mieux les personnes, même si cela nécessite des efforts supplémentaires de notre part, notamment en matière de recettes.

Il est beaucoup question d’assurer une égalité de traitement entre le public et le privé en rapprochant les modes de calcul. Or ce n’est pas la question pertinente ; seul compte le résultat. Les enseignants, par exemple, ont des salaires très réguliers et partent à la retraite avec 75 % de leur dernière paie, alors que les salariés du privé n’ont aucune certitude sur le niveau de leur retraite : ils peuvent très bien partir avec 50 % de leur dernier salaire et demain encore moins. En outre, de nombreux salariés perdent leur emploi entre cinquante et cinquante-cinq ans pour retrouver, par la suite, un travail moins bien rémunéré. Le taux de remplacement n’a donc pas grand sens dans le secteur privé. Quitte à demander un effort aux salariés, il faudrait introduire un peu de transparence dans le système actuel afin d’apaiser les inquiétudes.

Il faudrait, en particulier, donner aux femmes une lisibilité sur les niveaux de retraite. Pour dégager du temps pour leurs enfants, elles continuent souvent leur activité professionnelle de façon moins intense, sans imaginer les conséquences que cela aura. En général, elles n’envisagent pas qu’elles pourraient se retrouver seules pendant cette période de leur vie, ce qui est souvent le cas aujourd’hui. Je rappelle également que les femmes qui vivent en PACS ou en concubinage ne bénéficient d’aucune protection, les pensions de réversion étant réservées aux personnes mariées. On peut envisager une évolution du système, mais elle coûterait cher et pourrait conduire à une baisse des pensions versées – comment faire autrement compte tenu des déficits actuels ?

Pour ma part, je suis plutôt favorable à la construction de droits propres par les femmes, au cours de leur carrière, y compris pendant les périodes où elles arrêtent de travailler. Je suis hostile au système de la réversion, car il ne rend finalement pas service aux femmes. Il reste toutefois à inventer un autre système, ce qui n’est pas l’objet du débat actuel.

Mme Edwige Antier. Les femmes cotisent pendant leur congé de maternité, mais seule est prise en compte la durée de cotisation, et non leur salaire. Leur retraite diminue donc. Ne trouvez-vous pas que c’est injuste ?

Mme Danièle Karniewicz. Un même principe vaut pour toutes les périodes prises en compte au titre de la solidarité, comme la maladie et le chômage, et cela pour tout le monde.

Mme Edwige Antier. Sauf que la maternité n’est pas une période de maladie ou de chômage. Ne faudrait-il pas prendre en compte les indemnités journalières au prorata du salaire, comme nous l’avions envisagé ?

Mme Danièle Karniewicz. C’est techniquement possible, mais qui paiera ? C’est un choix politique.

Mme Edwige Antier. Les jeunes mamans ne pensent pas nécessairement à leur retraite. Celles d’entre elles qui sont des cadres supérieures négocient parfois des indemnités pour quitter leur entreprise, avant de s’apercevoir qu’elles n’ont pas cotisé. Pourraient-elles le faire volontairement sur la base de leur ancien salaire, ou bien vaudrait-il mieux qu’elles souscrivent une assurance-vie ?

Mme Danièle Karniewicz. Il existe des mécanismes de rachat permettant de compenser les périodes d’activité manquantes, mais ils coûtent cher – d’autant plus cher qu’on s’y prend tard.

Mme Edwige Antier. Pour éviter ces rachats, effectivement coûteux, ne serait-il pas préférable que les femmes continuent à cotiser au titre de la part salariale et de la part patronale, le cas échéant avec un effort conjoint de leur mari ? C’est une solution qui ne coûterait rien à la société.

Mme Danièle Karniewicz. Un tel système permettrait aux femmes d’obtenir des droits propres à la retraite, mais il a un coût pour les intéressées : il faut cotiser davantage. La collectivité pourrait cependant apporter une contribution à cet effort. On peut en effet penser que les mécanismes de solidarité devraient, avant tout, être mis au service de l’acquisition de droits propres.

La situation que vous décrivez est théoriquement compensée grâce aux majorations pour enfant, mais on se contente en réalité de prendre en compte les périodes de cotisation, et non les valeurs. La situation risque, en outre, d’être de plus en plus compliquée pour les femmes : pour avoir une pension de retraite à taux plein, elles doivent non seulement avoir soixante ans, mais aussi avoir cotisé pendant 40 annuités – 41 en 2012.

Deux solutions sont envisageables dans le cadre de la réforme à venir : on peut soit reporter l’âge de la retraite, soit augmenter le nombre d’annuités nécessaires. Si l’âge moyen de la retraite pour les femmes est aujourd’hui de 61,5 ans, c’est que les femmes n’ont pas cumulé suffisamment d’annuités pour prendre leur retraite à 60 ans : elles doivent attendre d’avoir 65 ans pour bénéficier du taux plein. Si l’on porte l’âge légal de la retraite à 62 ou 63 ans, le « taquet » restera-t-il à 65 ans, ou bien passera-t-il à 68 ans ? C’est l’hypothèse retenue par les travaux du COR, le Conseil d’orientation des retraites. Si c’est le cas, la situation des femmes sera encore plus difficile.

Mme Edwige Antier. Imaginons une mère travaillant à mi-temps ou à temps partiel. Pourquoi ne cotiserait-elle pas pour compenser la différence ?

Mme Danièle Karniewicz. Il n’est pas facile de payer davantage, surtout quand on est seul.

La vraie question du rendez-vous de 2010 est de savoir si l’on doit allonger la durée d’activité pour tout le monde. De nombreux acteurs estiment qu’il serait plus juste d’augmenter le nombre d’annuités, car cela permettrait à ceux qui ont commencé à travailler plus tôt de partir plus tôt à la retraite. Or, cela ne me paraît pas juste. Cela nuirait en particulier aux femmes, car il arrive fréquemment qu’elles n’aient pas le nombre d’annuités requis. C’est l’âge de départ à la retraite qu’il faut augmenter, et non le nombre d’annuités. Puisque beaucoup de femmes attendent déjà d’avoir soixante-cinq ans pour prendre leur retraite, on peut plus facilement envisager d’aller jusqu’à soixante-deux ans en ce qui les concerne.

Tous sexes confondus, il manque déjà, à l’âge de trente ans, sept voire huit trimestres de cotisation aux salariés non qualifiés, car ils ne parviennent pas à s’insérer dans le marché du travail. Ils ne partiront pas à la retraite avant soixante-dix ans si on les oblige à cotiser pendant 43 annuités ! Il faut donc jouer sur l’âge, ce qui d’ailleurs est le facteur qui rapportera le plus. Les travaux du COR montrent qu’on ne finance pas mieux le système en combinant des mesures portant sur l’âge de la retraite et sur le nombre d’annuités. La situation sera peut-être différente en 2050, mais nous n’y sommes pas encore.

Mme Catherine Coutelle. Vous voulez dire qu’on pourrait prendre sa retraite à soixante-deux ans, quel que soit le nombre de trimestres de cotisation ?

Mme Danièle Karniewicz. En application de la loi « Fillon » de 2003, il faudra cotiser pendant 41 annuités en 2012 et 41,5 annuités en 2020. Il convient de s’arrêter là si l’on fait jouer un critère d’âge en même temps. Il faut cesser d’augmenter le nombre d’annuités pour agir plutôt sur l’âge. Cela permettrait de ne pas opposer les parcours professionnels, notamment ceux des femmes et ceux des hommes. On peut très bien imaginer de garder les 41 annuités actuelles et de porter le critère d’âge de soixante à soixante-deux ou soixante-trois ans.

Mme Catherine Coutelle. Vous garderiez donc le nombre d’annuités prévu ?

Mme Danièle Karniewicz. Oui, sans continuer à l’augmenter. Les travaux du COR jouent sur les deux tableaux et il semble que cela corresponde aux intentions du Gouvernement, mais cela pénaliserait les femmes.

Elles ont été moins fréquemment touchées que les hommes par la réforme de 1993 : pour 77 % des hommes, les pensions versées auraient été supérieures sans cette réforme, contre 44 % de femmes. Mais ces dernières ont perdu davantage, alors même que les montants perçus sont plus faibles – la baisse est de 9 % pour les hommes et de 10 % pour les femmes. Dans les deux cas, la réforme de 1993 a fait baisser les pensions de retraite.

Mme Edwige Antier. Les femmes qui ont le plus d’enfants sont les plus pénalisées, ce qui est une injustice profonde : plus il y aura d’enfants, mieux on préparera les retraites, et plus on s’occupera des enfants, mieux ces retraites seront financées – ce n’est pas avec des enfants qui toucheront plus tard le RSA qu’on avancera.

Mme Danièle Karniewicz. C’est vrai, mais il existe déjà beaucoup de compensations, surtout dans les régimes de retraite complémentaires. Les avantages familiaux et conjugaux seront d’ailleurs la cible du prochain rendez-vous des retraites complémentaires.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ne pensez-vous pas que la situation sera pire encore lors du prochain rendez-vous, dans dix ans, si l’on ne prend pas en compte la question du niveau des retraites dès maintenant ?

Mme Danièle Karniewicz. Il faut agir. Si on ne le fait pas, ce sera à l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) et à l’Association pour le régime de retraite complémentaire (ARRCO) d’y veiller lors du rendez-vous qui aura lieu cet automne.

Nous devons jouer à la fois sur l’âge et sur les recettes – il faudra bien s’y résoudre, à moins de consentir à une baisse du niveau des pensions. Les travaux du COR montrent que l’on ne couvrira que la moitié des besoins de financement si l’on se contente de porter l’âge de la retraite à soixante-trois ans et d’augmenter le nombre des annuités demandées.

L’âge de la retraite étant de soixante-cinq et non de soixante ans dans les régimes complémentaires, qui revêtent une importance considérable pour les salariés du secteur privé, il faut un accord entre les partenaires sociaux pour permettre les départs à la retraite avant cet âge. Or, on risque fort de ne pas avoir d’accord à la fin de l’année si le Gouvernement n’avance pas de son côté. On félicite souvent les partenaires sociaux pour la bonne gestion des régimes complémentaires, mais elle consiste en réalité en une baisse des pensions : l’AGIRC et l’ARRCO se heurtent aux mêmes problèmes démographiques que les autres régimes, mais elles n’ont pas la faculté de recourir à la dette. Avec la crise actuelle, elles sont obligées de ponctionner sur les réserves depuis le début de l’année.

Je le répète, les négociations sur les retraites complémentaires risquent d’être très difficiles. Le problème est que l’État ne négocie que pour la CNAV et non pour les retraites complémentaires des salariés du secteur privé.

Mme Catherine Coutelle. Avez-vous des propositions précises à faire en ce qui concerne les retraites des femmes ?

Mme Danièle Karniewicz. Comme on ne parvient pas à financer les retraites à l’heure actuelle, il n’est pas question de se demander ce que l’on peut faire de plus en matière de solidarité. Or, les retraites des femmes relèvent très souvent de la solidarité. C’est pour cette raison que nous devons inventer un autre système leur permettant de construire elles-mêmes leurs droits à retraite. Ce n’est malheureusement pas l’objet du débat actuel.

Mme Edwige Antier. Celles et ceux qui prennent maintenant leur retraite courent-ils le risque que leurs pensions ne soient pas honorées dans les années à venir ?

Mme Danièle Karniewicz. Je ne le pense pas. Ce n’est jamais arrivé en France, même en cas de crise.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Vos propos ne nous ont guère rassurées, bien au contraire. Selon vous, le débat actuel ne pourra pas intégrer la problématique des femmes et le rendez-vous suivant, qui aura lieu à l’automne, ne fera que dégrader leur situation.

Mme Danièle Karniewicz. Si l’on ne règle pas la question de l’âge, ce sera à l’AGIRC et à l’ARRCO de le faire. Je rappelle, en outre, que les travaux préparatoires de l’AGIRC et de l’ARRCO envisagent aussi une évolution des avantages familiaux et conjugaux. Si on opère un alignement des majorations pour enfant versées par la CNAV, l’AGIRC et l’ARRCO, il se fera naturellement vers le bas. Il a même été envisagé, dans certains travaux, de ne plus verser les pensions de réversion qu’au prorata de la durée du mariage – ce n’est aujourd’hui le cas que s’il y a eu plusieurs conjoints. C’est un raisonnement purement assuranciel qui pénalisera celles qui se marient tard.

Mme Catherine Coutelle. Afin de protéger les femmes en cas de divorce tardif – à cinquante ou cinquante-cinq ans – nous avions envisagé de partager les droits à la pension en fonction de la durée du mariage.

Mme Danièle Karniewicz. Certains pays considèrent que les couples acquièrent des droits à la retraite ensemble, qu’ils soient mariés ou non, et qu’il faut donc tout diviser quand ils se séparent – le patrimoine, mais aussi les droits à la retraite. Il est vrai que compte tenu du nombre considérable de divorces au moment de la retraite, certaines femmes risquent de se retrouver sans rien.

Il n’est certes pas absurde de partager les droits acquis, mais on peut choisir une autre solution, qui est de faire en sorte que chacun puisse les acquérir – on entre alors dans un autre système. Il me semble indispensable, pour ma part, que l’on cesse de dépendre de la retraite de son conjoint : le droit à la retraite ne doit plus constituer un droit dérivé. Mais je le répète, c’est une évolution à terme, car la réversion est aujourd’hui toujours indispensable.

Mme Catherine Coutelle. Nous ne prenons pas assez en compte les évolutions de la société – les divorces, par exemple, ou encore l’existence des familles monoparentales. C’est un premier problème.

Je trouve également regrettable que l’on envisage une réforme engageant les vingt, voire les cinquante prochaines années. Certains pays parviennent à faire des réformes en se fixant un cap de cinq ans, avec l’idée que des ajustements sont possibles.

L’essentiel est e savoir si nous pourrons bénéficier de pensions de retraite jusqu’à la fin de notre vie et si elles ne risquent pas d’être insuffisantes. Peut-on, dans ces conditions, garantir un niveau de retraite ? Avec l’allongement de l’espérance de vie, la durée de la retraite devient aussi longue que celle de la vie active. C’est d’autant plus vrai que l’on entre tard dans la vie active.

Mme Danièle Karniewicz. Il manque certains éléments dans le débat actuel, mais il y en a d’autres qui ne devraient pas être abordés. Selon certains acteurs, la prise en compte de la pénibilité du travail devrait être la contrepartie de l’évolution des conditions d’âge. Or, c’est une question étrangère à celle des retraites : la pénibilité se définit comme une usure professionnelle empêchant de continuer à travailler au-delà d’un certain âge dans certains métiers, comme le bâtiment. Or, l’inaptitude relève de la santé au travail, et les mécanismes correspondants, qui sont financés par les entreprises, n’entrent pas dans le cadre de la retraite. Si l’on envisage de prendre en compte ce facteur, c’est avant tout pour mieux faire accepter les évolutions relatives à l’âge de la retraite.

Existe aussi la notion de pénibilité différée consistant en une réduction de l’espérance de vie. Mais c’est oublier que la retraite par répartition ne dépend pas de l’espérance de vie. L’assurance privée et l’assurance-vie peuvent prendre en question ce type de paramètre, mais ce n’est pas l’objet de la retraite par répartition. Ce n’est pas un droit de tirage par année de vie.

En outre, comme on ne pourra pas prendre en compte tous les cas en raison du coût que cela impliquerait, il faudra se résoudre à ne compenser que certaines formes de pénibilité – celles qui frappent les personnes exposées à certains produits cancérigènes, par exemple, ou celles qui exécutent un travail posté. Or, c’est une solution très contestable, car on pourrait considérer qu’il s’agit d’une discrimination. On peut aussi estimer qu’en autorisant des départs précoces à la retraite parce que l’on meurt plus tôt dans certains métiers, on instaure une sorte de « permis de tuer ».

Si l’on veut bien faire jouer la solidarité, hier pour les carrières longues, et aujourd’hui pour la pénibilité, c’est exclu pour les femmes et l’on oublie, dans le même temps, que la pénibilité n’a rien à voir avec la question des retraites : c’est une affaire de santé, de conditions de travail et de prévention. On ne peut pas laisser des salariés dans de telles situations.

Mme Catherine Coutelle. Si l’on avance la question de la pénibilité, n’est-ce pas pour se dédouaner ? On recule sur l’âge, mais pas pour ceux qui exercent les métiers les plus pénibles.

J’observe, par ailleurs, que nous n’entendons jamais tenir un discours tel que le vôtre. Comment l’expliquer ?

Mme Danièle Karniewicz. Une première raison tient au poids des syndicats représentant les métiers où se posent des problèmes de pénibilité. Il existe, en outre, une demande de prise en compte de la pénibilité et de l’espérance de vie sur le « marché politique ». Le problème est qu’on ne peut pas financer de telles mesures, et qu’elles ne relèvent pas de la problématique des retraites.

Pendant ce temps, la question des femmes reste en dehors du débat. L’augmentation de la durée d’activité par l’intermédiaire du nombre d’annuités requis est une solution plus douloureuse pour les femmes. Il semble que le Gouvernement en soit conscient et qu’il souhaite prendre en compte l’âge de la retraite plutôt que le nombre d’annuités, mais il y a une forte demande des syndicats en faveur de ce dernier critère, y compris dans ma confédération qui regroupe, pour l’essentiel, des cadres. La raison en est qu’il y a aujourd’hui beaucoup de salariés ayant commencé à travailler tôt mais ce phénomène va se réduire. On se prépare donc à faire une réforme des retraites pour les jeunes, avec des seniors, et l’on risque d’oublier que la solidarité n’implique pas forcément de permettre à ceux qui ont commencé à travailler tôt de partir plus tôt à la retraite.

Mme Catherine Coutelle. Si l’on en croit les sondages, 70 % des Français ne souhaitent pas que l’on porte l’âge de la retraite au-delà de soixante ans. Les trentenaires et les quadragénaires nous disent, en revanche, que c’est un faux débat : ils sont convaincus qu’ils seront obligés de travailler jusqu’à soixante-dix ans sans avoir de retraite pour autant.

Mme Danièle Karniewicz. Quand on est en apprentissage, on cotise pour la retraite, même si cela ne compte pas forcément pour beaucoup. Ceux qui font des études et des stages, eux, ne cotisent pas et sortent du cycle des études à vingt-cinq ou vingt-six ans en étant persuadés qu’ils ne partiront pas à la retraite à soixante ans et qu’ils n’auront pas grand-chose de toute façon. Ils seraient sans doute prêts à travailler plus longtemps si cela leur permettait d’avoir une quelconque garantie.

Mme Catherine Coutelle. Pour avoir participé à des programmes Erasmus, j’ai pu constater que les enseignants français étaient seuls à partir à la retraite à 60 ans, qui plus est avec une pension calculée sur les six derniers mois de leur salaire. Ce n’était pas le cas, par exemple, des Islandais, des Britanniques, des Allemands, des Danois et des Espagnols que j’ai pu rencontrer : ils partaient à la retraite à soixante-cinq, voire soixante-dix ans pour les Islandais, et ne percevaient que 50 ou 55 % de leur dernier salaire. Cela ne paraissait pourtant pas leur poser de problème particulier, sans doute parce que les rythmes de travail étaient adaptés en fin de carrière. Il faut non seulement éviter que la retraite soit un couperet, mais aussi veiller à ce que l’on introduise plus de souplesse au travail à partir d’un certain âge.

Mme Danièle Karniewicz. Certaines entreprises proposent déjà à leurs salariés de réduire la durée de leur travail quotidien pourvu qu’ils acceptent de partir plus tard à la retraite.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Cela favorise le passage de relais au sein des entreprises. La disparition de la mémoire et de l’expérience peut poser de graves difficultés.

Mme Danièle Karniewicz. Cela dit, il est sans doute nécessaire de mener une réflexion sur le cumul emploi retraite. Les infirmières du secteur public peuvent prendre leur retraite au bout de quinze ans si elles ont trois enfants, mais on constate qu’elles exercent ensuite une activité libérale. Il me semble difficile d’accepter que l’on parte plus tôt à la retraite grâce à des mécanismes de solidarité prenant en compte la pénibilité tout en permettant de continuer à travailler.

Mme Catherine Coutelle. Les militaires sont dans le même cas. Il paraît normal de toucher une retraite quand on a travaillé, mais à partir de quand ? C’est une question qui peut légitimement se poser.

Mme Danièle Karniewicz. Tous les militaires sont assurés de faire une seconde carrière et il existe des systèmes de calcul en fonction des heures de vol et des sauts en parachute, par exemple. Il y a de nombreux dispositifs très généreux dans la fonction publique, ce qui rend le système difficile à comprendre dans son ensemble.

Comme il faudra beaucoup de temps pour assurer une égalité entre les différents régimes, il vaudrait mieux, au lieu d’opposer les salariés, essayer d’offrir une garantie aux salariés du privé. Pour cela, il faudrait que plusieurs acteurs s’engagent en même temps, mais ce serait bien la première fois que cela poserait un problème à l’État.

Le débat ne portant que sur l’âge, sur la pénibilité et, dans une faible mesure, sur les recettes, nous sommes exposés à un ajustement par la baisse des pensions.

Mme Catherine Coutelle. Quelles mesures faudrait-il adopter en ce qui concerne les recettes ?

Mme Danièle Karniewicz. Il faut distinguer les recettes contributives – les cotisations sociales – et celles qui relèvent de la solidarité. Pour financer ces dernières, il conviendrait d’élargir l’assiette des recettes au-delà des salaires – on l’a déjà fait partiellement grâce à la CSG, mais ce n’est pas suffisant. Il faudra consacrer demain beaucoup plus que 13 % du PIB aux retraites, car on ne peut pas continuer à accuser dix milliards d’euros de déficit par an.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Tout cela n’est guère rassurant.

Mme Danièle Karniewicz. Il y a au moins une bonne nouvelle : on vit plus longtemps en bonne santé. Reste à savoir avec quels moyens financiers.

Mme Catherine Coutelle. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi il ne serait pas financièrement préférable d’augmenter simultanément l’âge de la retraite et le nombre d’annuités ?

Mme Danièle Karniewicz. Il y a une revendication qui consiste à demander que l’on puisse partir plus tôt quand on a commencé à travailler plus tôt. Cela revient à oublier que les étudiants ne peuvent pas cotiser, alors qu’il n’y a pas lieu d’opposer les uns aux autres. Tous participent à la production de la richesse. Il y a malheureusement de telles pressions sur ce sujet que le Gouvernement utilisera certainement aussi le levier des annuités. Ce ne serait pas la première fois qu’une telle erreur se produit : les mesures relatives aux carrières longues, qui coûtent plus de deux milliards d’euros par an, n’étaient certainement pas opportunes à une période où l’on ne parvient pas à financer les retraites.

Mme Catherine Coutelle. Avez-vous le sentiment d’être entendue et suivie aujourd’hui ?

Mme Danièle Karniewicz. Le Gouvernement nous a fait savoir que notre réflexion sur le seuil minimal était très intéressante, mais il n’a communiqué aucun chiffrage malgré nos demandes. Le COR, de son côté, n’a fait porter ses travaux que sur l’âge de la retraite et sur la durée de cotisation, ce qui est normal puisque le rendez-vous Retraite 2010 a été présenté comme une réforme portant sur l’âge de la retraite.

Or, que se passerait-il si l’on n’agissait que sur un seul paramètre ? Il faudrait, selon le COR, augmenter de cinq ans l’âge de la retraite, augmenter de 8 % les cotisations, ou bien réduire de 20 à 30 % le niveau des retraites. Si l’on ne veut pas se résoudre à cette dernière extrémité, il faudra agir à la fois sur les recettes et sur l’âge de la retraite. Il n’y a pas de recette miracle : il faudra consacrer un peu plus de la richesse produite aux retraites et travailler un peu plus longtemps.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il me reste à vous remercier.

Audition de Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu, secrétaire confédérale de la CGT-FO

Réunion du 18 mai 2010

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu, secrétaire confédérale de la CGT-FO.

Madame, vous savez que la question de la retraite des femmes est actuellement l’une de nos grandes préoccupations. Nous avons reçu la semaine dernière la présidente de la CNAV, Mme Karniewicz, qui a déploré que la réforme des retraites en préparation n’aborde pas la question, pourtant fondamentale, du niveau des pensions, et en particulier de celles des femmes. Qu’en pensez-vous ? Que vous inspire le document d’orientation ? Votre fédération a-t-elle évoqué le sujet avec M. Woerth ? Certes, la retraite n’a pas pour fonction de corriger l’ensemble des aléas de la carrière, mais j’attends que le problème des femmes soit au moins posé.

Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu, secrétaire confédérale de la CGT-FO. La position de FO sur les retraites des femmes n’a pas varié. Pour nous, il ne s’agit pas tant d’un problème de retraites que d’un problème de carrières et de salaires. Tant que celui-ci ne sera pas réglé, l’inégalité en matière de retraites perdurera. C’est pourquoi, sur ce thème, nous renvoyons à la négociation sur l’égalité professionnelle et à la question des sanctions à prendre contre les entreprises dans lesquelles persistent des écarts de salaires entre hommes et femmes, la loi de 2006 ayant en la matière fixé un rendez-vous au 31 décembre 2010.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Avez-vous abordé le sujet dans les négociations ?

Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu. Nous avons été les seuls – avec la CFTC – à mettre cette question sur la table. Nous estimons cependant qu’elle est trop importante pour être traitée dans le cadre des négociations sur les instances représentatives du personnel, comme l’ont proposé les délégués du patronat. Il faut une négociation spécifique sur l’égalité professionnelle. Nous n’avons pas de date, même si M. Darcos avait en principe fixé l’échéance limite à fin avril. Il y a incontestablement un manque de volonté pour régler ce problème. Il s’agit notamment de la question du temps partiel contraint et de celle de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Quant aux sanctions, nous considérons qu’elles relèvent de la compétence de l’État, non de la négociation entre partenaires sociaux ; nous avons été entendus sur ce point, mais nous attendons toujours que des décisions soient prises. Le Premier ministre a déclaré, à l’occasion des États généraux de la femme organisés par le journal Elle, qu’il fallait mettre en place ces sanctions financières d’ici le 31 décembre 2010.

La persistance de fortes inégalités est confirmée par une récente étude de la DARES, qui montre que le taux d’activité féminine dépend à la fois du nombre et de l’âge des enfants, les femmes les moins diplômées étant à cet égard les plus pénalisées. S’ajoutent à cela les problèmes du temps partiel contraint, du chômage, des familles monoparentales, ainsi que la réforme de la majoration de durée d’assurance. Mais si notre système de retraite est inégalitaire au détriment des femmes, c’est le système économique qui est à l’origine de cette inégalité.

Bien entendu, il n’est pas question pour nous que les femmes soient encore davantage pénalisées par la réforme des retraites. Or le Gouvernement s’appuie sur les données démographiques et l’évolution de l’espérance de vie pour proposer un allongement de la durée de cotisation et un recul de l’âge légal de départ à la retraite. Mais au nom de quoi les femmes devraient-elles travailler plus longtemps que les hommes sous prétexte que leur espérance de vie est plus longue ? Elles ont déjà des carrières hachées, s’arrêtant souvent pour s’occuper de leurs enfants, et des chances inférieures à celles des hommes en termes d’emploi et d’évolution professionnelle. Nous insistons donc pour que la question de la retraite des femmes soit abordée dans le cadre de la réforme.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Et que vous a-t-on répondu ?

Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu. Nous ne sommes encore que dans la première phase des discussions entre le ministre du travail et les organisations syndicales – nous venons de recevoir le document d’orientation. Pour nous, la question qui se pose est celle du financement ; il ne s’agit pas de remettre le système en cause.

Pour ce qui concerne les femmes, nous sommes favorables au maintien de la pension de réversion telle qu’elle existe aujourd’hui, que ce soit pour la fonction publique ou pour le secteur privé. Pour le reste, le règlement du dossier des retraites passe par le règlement de celui de l’égalité salariale ainsi que de celui de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Le maintien de la pension de réversion serait donc menacé ? Je croyais que l’objectif était de faire passer son taux de 54 % à 60%. La suppression de la demi-part fiscale a déjà une incidence importante sur les revenus des femmes retraitées seules.

Certes, il faut se pencher sur la question de l’égalité salariale. Mais il y a toute une génération de femmes pour qui c’est déjà trop tard.

Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu. Nous considérons que la pension de réversion dans le secteur privé doit être confortée, d’autant que l’allocation veuvage est faible et plafonnée. Dans la fonction publique, le risque de voir toucher à la pension de réversion est réel. C’est pourquoi nous avons réaffirmé notre attachement à ce système et notre souhait qu’il soit, au contraire, amélioré. D’une façon générale, il faut éviter d’opposer systématiquement public et privé. On oublie trop souvent, par exemple, que les primes ne sont pas prises en compte pour le calcul de la retraite des fonctionnaires, et que les fonctionnaires retraités qui doivent prendre un « petit boulot » ne sont pas si rares…

Mme Marie-Françoise Clergeau. Une remise en cause de la pension de réversion signifierait un nouvel appauvrissement de personnes à faibles revenus. Cela paraît tout de même un peu invraisemblable…

Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu. Nous n’en sommes qu’au stade des propositions, mais la tentation de revenir sur les dispositions en vigueur dans la fonction publique, qu’il s’agisse de la pension de réversion ou de l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) – qu’il conviendrait elle aussi de revaloriser –, est bien là. Nous restons donc très vigilants.

La question posée est celle du financement. Nous avons fait des propositions et certaines ont été prises en compte dans le document d’orientation. Ce n’est hélas pas le cas de celle sur la CSG. Pour l’instant, la piste privilégiée semble être un allongement de la durée de cotisation, ce qui est une démarche de court terme puisqu’on ne peut connaître les évolutions démographiques à 30 ou 50 ans.

Nous avons aussi rappelé notre proposition d’instituer une rente pour l’éducation des enfants – déjà en vigueur dans certaines grandes entreprises par le biais de la prévoyance – en cas de décès d’un des conjoints.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je suis convaincue qu’il faut être beaucoup plus ferme sur le thème de l’égalité, et je le redirai à M. Woerth. Mais il est très inquiétant que l’on ne se préoccupe pas de la retraite des femmes aujourd’hui âgées de 50 à 70 ans qui ont travaillé à temps partiel ou interrompu leur activité professionnelle. Les avez-vous évoquées ? Que se passera-t-il pour celles qui vont partir à la retraite d’ici cinq ans, sans avoir assez cotisé ?

Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu. C’est une question que nous soulevons régulièrement : il faut prendre des mesures qui permettent d’assurer une retraite décente à ces femmes. Nous l’avions dit lors de la réforme de la majoration de durée d’assurance (MDA).

Mme Claude Greff. Qu’appelez-vous une retraite décente ?

Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu. Ce qui est prévu par les textes, c’est 85 % du SMIC. Mais une retraite décente, c’est ce qui permet de vivre dignement, sans avoir besoin de recourir aux aides diverses ou aux « petits boulots ». Nous remettrons le sujet sur la table. Pour l’instant, c’est surtout l’allongement de la durée de cotisation et le financement qui ont été abordés avec le ministre. Nous en sommes au stade des rencontres bilatérales : M. Mailly et M. Devy – en charge du dossier des retraites – doivent faire part aujourd’hui à M. Woerth des propositions de FO. Le processus ne fait que commencer : nous avons eu le document d’orientation hier soir ! Mais nous avons déjà appelé à une grève nationale interprofessionnelle sur les retraites, car nous voulons des réponses concrètes, notamment sur la question des inégalités entre les hommes et les femmes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mettez-vous l’accent sur le niveau des retraites ?

Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu. Oui, le niveau des pensions est une question clé. Nous demandons un taux de remplacement de 75 % du salaire moyen ainsi que l’indexation des pensions sur les salaires, et par ailleurs le maintien des droits familiaux et conjugaux – je pense par exemple à la possibilité pour les femmes fonctionnaires qui ont eu trois enfants de partir à la retraite après 15 ans de cotisations.

Mme Claude Greff. Tout cela va être remis en cause par le droit européen.

Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu. La question est de savoir si l’on veut maintenir le niveau de solidarité qui existe en France et s’en donner les moyens. Quelle société voulons-nous ? Acceptons-nous de continuer à creuser les inégalités entre individus, notamment au détriment des femmes, des familles monoparentales et des salariés à temps partiel ?

Nous refusons l’allongement de la durée de cotisation – 40 ans, c’est déjà trop – et nous demandons le calcul de la pension sur les dix meilleures années pour les salariés du privé – même si c’est un vœu pieux – et le maintient du calcul sur les six derniers mois pour les fonctionnaires.

M. Guénhaël Huet et Mme Claude Greff. Autrement dit, vous ne voulez toucher à rien… Nous aimerions cependant entendre vos propositions.

Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu. Elles concernent le financement ! C’est de ce côté qu’il faut agir. Déjà, le système fonctionnerait mieux si l’État payait ce qu’il doit à la Sécurité sociale au titre des exonérations de cotisations. Et nous avons fait d’autres propositions. Je n’entrerai pas dans le détail, n’étant pas spécialiste du dossier, mais c’est une question de choix : la question est de savoir si l’on veut revenir sur notre système fondé sur la solidarité et aller vers un système par capitalisation.

M. Guénhaël Huet. Le Gouvernement a dit et redit que son objectif était de sauvegarder le système par répartition. Ne lui faites pas de procès d’intention !

Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu. C’est en effet ce qu’il dit. Encore faudrait-il savoir comment il entend procéder. Il ne parle pour l’instant que de remettre en cause l’âge légal de départ à la retraite et d’allonger la durée de cotisation, mais cela ne garantit pas que le système pourra être sauvegardé. La durée de cotisation a déjà été portée de 37,5 à 40 annuités par la réforme Balladur, et cela n’a pas réglé le problème. Je crains que le scénario ne se répète.

Mme Claude Greff. La situation s’explique par l’augmentation de l’espérance de vie. De 75 ans dans les années soixante-dix, elle est passée à 84 ans aujourd’hui. Il est évident que l’on ne peut rester à la retraite pendant 24 ans au lieu de 15 sans coût supplémentaire !

Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu. C’est vraiment le financement qui est au cœur du problème mais on a tendance à toujours faire payer les mêmes…

Mme Claude Greff. J’aimerais savoir ce que vous proposez pour les femmes qui ont des carrières hachées. Que proposez-vous pour leur assurer une retraite décente, étant entendu que celle-ci ne peut être équivalente à celle d’une femme qui a travaillé toute sa vie ?

Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu. Quand nous demandons l’ouverture de négociations sur la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, notre but est aussi de régler ce problème. Et dans le cadre des discussions sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, nous proposons que les femmes qui interrompent leur activité pour s’occuper de leurs enfants voient leurs années de cotisation validées.

Mme Edwige Antier. Qui finance ?

Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu. La solidarité nationale.

Mme Edwige Antier. C’est-à-dire la caisse de retraite, ou bien l’État ? Nous partageons votre analyse sur le fait que les femmes sont pénalisées, mais quelles solutions proposez-vous ? Vous nous parlez de valider les années d’interruption d’activité : qui doit financer ?

Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu. Je ne peux pas entrer dans les détails techniques, qui ne relèvent pas de mes compétences, mais le financement doit être assuré par la solidarité nationale.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Le Président de la République a ouvert des pistes, en évoquant la taxation des hauts revenus.

Actuellement, les périodes de congé parental sont validées mais non cotisées. Si j’ai bien compris, vous proposez qu’elles soient désormais cotisées ?

Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu. D’une façon ou d’une autre, l’État est amené à intervenir pour aider ces femmes à subvenir à leurs besoins.

S’agissant du temps partiel contraint, qui touche en majorité des femmes, nous estimons qu’il faut un minimum de 20 heures par semaine, afin qu’il y ait validation.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Actuellement, il faut travailler 200 heures pour valider un trimestre. Comment prendre en compte les années non travaillées des femmes sans faire de même pour les hommes ?

Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu. Nous demandons les mêmes droits pour les hommes et les femmes, notamment le partage du congé parental.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ce n’est pas à l’ordre du jour, le Haut Conseil de la famille a refusé ce partage.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Plus précisément, il a refusé le raccourcissement du congé parental et son partage à parts égales.

Mme Danielle Bousquet. J’ai défendue il y a deux mois une proposition de loi à ce sujet...

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le congé parental devrait être obligatoirement partagé, comme en Suède.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Le problème vient peut-être de la composition du Haut Conseil de la famille, où l’UNAF est surreprésentée. Mais c’est un autre débat…

Mme Edwige Antier. Les femmes sont très nombreuses à avoir eu une carrière hachée. Nous aurions aimé vous entendre proposer des solutions.

Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu. Sur la question du niveau des pensions, c’est à M. Devy qu’il faudrait vous adresser. Je suis davantage compétente sur celle de l’égalité.

Mme Edwige Antier. Thème sur lequel vous avez dit que vous aviez refusé de négocier.

Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu. Non, c’est le patronat qui a refusé d’ouvrir une négociation spécifique sur l’égalité comme nous le demandions, parce qu’il préférait aborder ce thème dans le cadre des négociations sur les institutions représentatives du personnel. La question de l’égalité professionnelle est pourtant au cœur des priorités du Président de la République ! Nous allons donc interpeller M. Woerth par écrit sur ce sujet. Faute de l’ouverture de négociations, le Gouvernement devra s’en saisir. Il est indispensable que ce thème ne soit pas confondu avec d’autres : ce serait le meilleur moyen de tuer l’égalité.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie.

Audition de Mme Mijo Isabey, conseillère confédérale en charge des retraites
à la CGT, accompagnée de Mme Ghyslaine Richard, membre de la commission exécutive confédérale

Réunion du 8 juin 2010

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est parce qu’il est très peu question des femmes dans le dossier des retraites que notre Délégation a souhaité entendre le plus possible de partenaires sociaux à ce propos.

Ce week-end, M. François Chérèque a toutefois déclaré que si l’on repoussait à soixante-deux ans l’âge de la retraite, on passerait ensuite à soixante-sept ans pour bénéficier du taux plein et que les femmes en seraient les premières victimes. Pour sa part, Mme Karniewicz nous a expliqué que la réforme de 2010 n’aborde pas la question du niveau des pensions, et encore moins du niveau de celles servies aux femmes.

Nous souhaiterions donc connaître votre analyse sur ces points ainsi que sur les conséquences, pour les femmes, des premières propositions qui ont été formulées – en matière de temps partiel, d’âge de liquidation et de réversion.

N’avez-vous pas l’impression que l’on met davantage l’accent sur la pénibilité et sur les carrières longues que sur les inégalités de pension entre les hommes et les femmes ?

Mme Mijo Isabey, conseillère confédérale en charge des retraites à la CGT. Certes, les réformes des retraites concernent tout le monde, hommes et femmes. Mais elles touchent de façon plus particulière ces dernières parce que leur situation est différente au cours de la vie active. Je vous propose donc que Ghyslaine Richard, qui est responsable des questions relatives aux femmes à la CGT, resitue le contexte général avant que j’en vienne plus spécifiquement à la réforme des retraites.

Mme Ghyslaine Richard, membre de la commission exécutive confédérale de la CGT. S’il est vrai que l’on parle peu des femmes, notre centrale traite pour sa part de la problématique de leur retraite, mais peut-être ne nous entend-on pas assez…

En effet, les inégalités que l’on constate en matière de retraite sont le fruit des inégalités tout au long de la carrière.

On oublie trop souvent, y compris dans les travaux du COR, de parler spécifiquement du taux d’activité des femmes, qui est plus faible que celui des hommes, la crise n’incitant guère à penser que la situation pourrait s’améliorer, tant le temps partiel prévaut aujourd’hui pour les femmes.

On sait bien par ailleurs que les interruptions d’activité liées aux enfants concernent avant tout les mères : 1,5 % des pères seulement cessent ou réduisent leur activité au moment de la naissance.

Les femmes sont en outre plus frappées par le chômage que les hommes. En 2007, le taux de chômage des femmes âgées de 25 à 49 ans était encore supérieur de 1,5 point à celui des hommes. Si les hommes jeunes sont aujourd’hui plus frappés que les femmes, ce phénomène est ponctuel.

Les emplois à temps partiel sont majoritairement occupés par des femmes. La situation continue à s’aggraver et certaines mesures, comme le RSA, ne favorisent pas l’emploi à temps complet.

Si une partie de l’écart de salaire entre hommes et femmes est liée aux interruptions de carrière, au plafond de verre et aux promotions manquées, on estime néanmoins qu’un écart de 7 à 10 % demeure inexpliqué. L’écart de carrière, qui avait été reconnu au cours de la négociation de 2004, subsiste, tout comme l’inégale répartition, au sein du couple, des tâches domestiques et de celles liées aux enfants.

Enfin, la précarité touche davantage les femmes que les hommes : les deux tiers des salariés à bas salaire sont des femmes et deux fois plus de femmes – 20 % contre 11 % – sont au SMIC.

Cela a bien sûr des conséquences sur les retraites. En 2004, seulement 44 % des femmes retraitées avaient validé une carrière complète, contre 86 % des hommes, et un tiers des femmes avaient validé moins de 24 ans d’assurance, ce qui explique pourquoi tant d’entre elles perçoivent une si faible pension. Par ailleurs, la réforme de 2003 qui a fait porter le calcul des droits non plus sur les 10 mais sur les 25 meilleures années, pénalise davantage les carrières courtes ou fragmentaires, donc particulièrement celles des femmes.

En 2005, les femmes disposaient d’un montant de pension de base inférieur de 23 %, et même de 38 % avec la retraite complémentaire. En prenant en compte l’ensemble des droits propres, des droits dérivés et du minimum vieillesse, les femmes retraitées de 60 ans et plus percevaient, en 2004, une retraite moyenne de 1 020 euros par mois, soit 62 % de celle des hommes – 1 636 euros. Les premières données relatives à 2008 montrent que la situation ne s’est pas améliorée. Enfin, 60 % des allocataires du minimum vieillesse sont des femmes.

En 2004, la pension de droit propre des femmes représentait moins de 40 % de celle des hommes pour les anciens salariés du secteur privé, 50 % pour les non-salariés et 80 % pour les anciens fonctionnaires civils de l’État. Dans ces conditions, les avantages familiaux jouent un rôle déterminant pour compenser les inégalités de montants de retraite. Le Conseil constitutionnel lui-même a ainsi considéré, à propos de la majoration de durée d’assurance pour enfants, que tant que la situation serait inégalitaire, une compensation serait nécessaire. En 2005, 9 femmes sur 10 parties à la retraite ont bénéficié d’avantages familiaux leur apportant un supplément de pension de 30 %. Sans ces avantages, la situation serait donc encore plus catastrophique.

Le départ effectif à la retraite des femmes est plus tardif que celui des hommes : en 2009, dans le régime général, les femmes sont parties à 61,8 ans, contre 61,4 ans pour les hommes. Certes, le COR envisage, dans ses projections, que ces données s’inversent dans les années qui viennent, mais, je l’ai dit, il ne tient pas compte du taux d’activité.

La réforme en discussion nous inquiète beaucoup. Les travaux menés en 2006 par Carole Bouquet, Sophie Buffeteau et Pascal Godefroy, de l’INED et de l’INSEE, montrent que les réformes de 1993 et de 2003 ont freiné la réduction des écarts de pensions. Le calcul sur les 25 meilleures années, l’indexation sur les prix et non plus sur les salaires, ont fait que la baisse des pensions est plus importante pour les femmes que pour les hommes. Ces travaux font la démonstration chiffrée de ce que nous avions prévu : les interruptions de carrière, plus fréquentes chez les femmes, aboutissent à des salaires annuels moyens plus faibles.

Or, ces inégalités sont appelées à perdurer.

Outre que nous sommes bien sûr tout à fait opposés à la suppression des avantages conjugaux et familiaux, nous nous inquiétons beaucoup des projets d’allongement de la durée de cotisation, comme de report de l’âge légal de la retraite, qui repousseront le moment où l’on aura une pension complète : d’ores et déjà, en effet, c’est pour éviter la décote que les femmes partent plus tard.

Il y a d’autres solutions à long terme, qui passent notamment par la suppression des inégalités dont les femmes sont victimes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. En matière d’égalité salariale, une correction devait être apportée au plus tard le 31 décembre 2010. M. Darcos avait lancé des négociations, qui auraient du aboutir avant la fin février. Mais le remaniement ministériel est intervenu et M. Woerth n’en a jamais parlé. Où en est-on ?

Mme Ghyslaine Richard. La loi de 2006 dispose qu’au 31 décembre 2010, il ne doit plus y avoir d’écart de salaires entre les femmes et les hommes dans les entreprises. Cela nous avait semblé très ambitieux… Cela dit, des rencontres ont eu lieu, et M. Darcos nous a envoyé, fin décembre ou début janvier, une lettre d’orientation dans laquelle il nous proposait de discuter d’un certain nombre de questions. Mais il n’y a rien eu depuis et je vois mal le MEDEF, la CGPME ou l’UPA enclencher ces discussions... Pour notre part, nous avons dit que nous étions d’accord pour échanger autour du temps partiel et de la précarité, considérant que, pour le reste, l’arsenal juridique était suffisant. Mais aujourd’hui, c’est le statu quo et aucune rencontre n’est en vue

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il suffirait peut-être d’appliquer le s sanctions que prévoit la loi de 2001, qui n’a pas été abrogée !

Mme Ghyslaine Richard. C’est ce que nous avons dit à M. Darcos : vous disposez d’un arsenal législatif, tout au plus suffirait-il qu’un décret fixe la sanction. Nous avons même proposé que l’on supprime les exonérations de cotisations à tous les employeurs qui n’auraient pas abouti à un accord permettant de réduire les écarts salariaux, ce qui est possible à partir des textes existants. Mais nous n’avons pas eu de réponse.

Mme Mijo Isabey. Les retraites sont le reflet de la vie active puisque l’on y retrouve, de façon plus ou moins atténuée, les discriminations dont souffrent les femmes dans la vie active. Il conviendrait donc pour le moins que l’on conserve les avantages familiaux, qui ont été largement réduits dans la fonction publique, et que l’on renforce le système contributif de solidarité en matière de retraite.

Avant d’engager une nouvelle réforme, on aurait dû faire le bilan détaillé et concret des conséquences des réformes antérieures, de 1993, de 2003 et de 2008, ce qui aurait permis de corriger les effets négatifs qu’elles ont eus pour les salariés, notamment sur les femmes.

Nous nous sommes penchés plus particulièrement sur la constitution des droits à retraite en fonction du nombre de trimestres et en fonction des salaires, paramètres essentiels du montant de la retraite. Les femmes, qui sont davantage au chômage, sont pénalisées. Les trimestres assimilés sont comptabilisés dans la durée d’assurance, mais sans qu’un salaire soit porté au compte.

La situation des jeunes générations nous montre par ailleurs que l’élévation du taux d’activité des femmes n’a pas permis de gommer les inégalités. Le taux d’activité global et la rémunération des moins de trente ans sont moindres que ceux des générations précédentes. En moyenne, les femmes des générations 1964-1973, ont passé, avant leur trentième anniversaire, sept ans en emploi, qu’elles aient ou non un diplôme ; les hommes six ans s’ils sont diplômés et dix ans s’ils ne le sont pas. Et, bien que l’allongement des études ait accru le niveau de qualification – surtout des femmes, qui sont plus diplômées que les hommes –, le niveau des rémunérations s’est dégradé.

Par ailleurs, les salaires portés au compte atteignent moins souvent le plafond de la sécurité sociale pour les générations plus jeunes. Dans la génération 1950, 13 % des salariés des moins de trente ans étaient au-dessus du plafond, ils ne sont plus que 7 % dans la génération 1966.

Enfin, non seulement les salaires sont moins élevés mais, du fait du développement de la participation et de l’intéressement, une partie d’entre eux n’est pas cotisée et n’emporte donc pas de droit à retraite.

Mme Danielle Bousquet. C’est vrai pour les hommes comme pour les femmes.

Mme Mijo Isabey. Certes, mais surtout pour les femmes en raison du plus fort taux de chômage et de la plus forte proportion de temps partiel.

Dans les réformes antérieures, on n’a pas eu conscience des effets que produirait le passage des 10 aux 25 meilleures années. Les trimestres validés et non cotisés sont plus nombreux chez les femmes en raison des périodes de chômage, d’invalidité et de maladie – y compris de maternité et d’allaitement. Nous demandons d’ailleurs que la maternité et l’allaitement ne soient pas considérés, de fait, comme des maladies.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous ferai parvenir la recommandation en ce sens que nous avons envoyée à M. Woerth.

Mme Mijo Isabey. Cela vaut aussi pour les périodes d’accidents du travail, qui concernent aussi bien les hommes que les femmes.

Concrètement, le montant de neuf mois de salaires sera porté au compte d’une salariée si elle s’est arrêtée trois mois pour raison de maternité. Si cela se produit lors d’une des 25 meilleures années, la moyenne de son salaire baissera. Ce problème, qui se posait beaucoup moins lorsqu’étaient seulement prises en compte les dix meilleures années est d’autant plus aigu que les femmes n’ont pas toujours leurs quarante annuités et qu’elles ont des enfants de plus en plus tard. Quoi qu’il en soit et au-delà des effets que cela peut avoir sur les retraites, il ne faut plus considérer la maternité comme une maladie !

Mme Catherine Coutelle. Les périodes de maternité entrent même dans les statistiques d’absentéisme des entreprises !

Mme Mijo Isabey. Nous demandons également la validation des périodes de recherche d’emploi, à laquelle les jeunes, en raison de la précarité, consacrent de plus en plus de temps à la fin de leur scolarité.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ce serait une mesure globale…

Mme Mijo Isabey. Certes, mais ce sont les femmes qui ont le plus de difficulté à accéder au marché du travail. Tous les problèmes se posant à elles avec plus d’acuité, les régler de manière globale contribue à améliorer leur situation.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il faudrait déjà que l’on obtienne des mesures très spécifiques aux femmes, comme la prise en compte des périodes de maternité et d’allaitement. En la matière, nous devrons être intransigeants. En 2003, lorsque l’on a validé l’année de service militaire il n’y a eu aucune difficulté.

Mme Danielle Bousquet. C’est un peu le service militaire des femmes…

Mme Ghyslaine Richard. Faire des enfants rend service à la société…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Notamment en payant les retraites…

Mme Mijo Isabey. Je voudrais insister sur les nouveaux dispositifs qui se développent, notamment ceux destinés aux jeunes comme le « RSA jeunes » ou le service civique. Car il n’y a pas de droit à retraite sur la partie RSA, et seulement sur une partie de la période du service civique, lequel concerne maintenant les femmes.

De la même manière, les apprentis et les stagiaires peuvent percevoir une rémunération, mais qui n’entre pas dans le calcul des droits à retraite. Pour les apprentis, on se base sur une cotisation forfaitaire inférieure à la rémunération perçue, à laquelle le nombre de trimestres validés ne correspond pas. Les cotisations forfaitaires sont de plus en plus appliquées pour les stages, pour certaines formations et pour les emplois à domicile.

Mme Catherine Coutelle. Alors que le taux de fécondité est de 2 enfants par femme, dans ses dernières simulations le COR semble en être resté à 1,7. Quelle importance cela peut-il avoir ?

Mme Ghyslaine Richard. J’ai en effet relevé dans le rapport deux taux différents : 1,7 et 1,9 et l’on peut se demander si le COR tient compte du taux de natalité dans ses prévisions. Mais ce qui est sûr, c’est qu’un certain nombre de mesures sont de nature à modifier le taux de natalité, en tout cas la position des hommes et des femmes vis-à-vis de la maternité.

On entend dire qu’il n’est pas évident que les écoles maternelles aient un impact sur socialisation, alors que toutes les études disent le contraire. Les femmes sont de plus en plus conscientes de la difficulté de concilier activité professionnelle et vie familiale ou personnelle. La position des femmes et des couples risque donc de changer beaucoup en fonction des services que la société pourra leur offrir. C’est une question à ne pas négliger. Si le taux de fécondité est de 2 enfants par femme aujourd’hui, c’est précisément parce que, pendant une longue période, la France a tablé sur l’accueil des jeunes enfants.

M. Jean-Luc Pérat. Disposez-vous d’un tableau qui retrace les formations, les contrats et les métiers qui n’ouvrent pas droit à cotisations de retraites ? De nombreux jeunes débutant de la sorte leur carrière professionnelle, c’est un domaine dans lequel il serait bon d’agir.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Depuis que j’ai entendu Mme Milewski, je ne crois plus à un rapprochement entre les hommes et les femmes en matière de retraite...

Mme Ghyslaine Richard. Le rapport du COR fait état d’un tel rapprochement pour les générations qui sont sur le point de prendre leur retraite. J’attends de voir…

Mme Mijo Isabey. Le taux d’activité des femmes s’est élevé, mais ce progrès est neutralisé par la politique des salaires et de l’emploi, qui s’appuie sur le développement des temps partiels et sur l’intéressement – comme à Auchan ou à Carrefour. Les caissières peuvent avoir un salaire de 1 400 euros. Mais, avec 400 euros d’intéressement, leur pension sera calculée sur 1 000 euros seulement !

Mme Pascale Crozon. De la même façon, le développement des services à la personne n’a fait qu’accroître la précarité.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. J’ai présenté un rapport sur le temps partiel, qui n’a pas été suivi d’effet. Je reviendrai sur ce thème car, tant que l’on ne résoudra pas les problèmes posés par les emplois à temps partiels, par ces emplois précaires, on ne pourra pas résoudre le problème de la retraite.

Mme Catherine Coutelle. Les femmes ignorent ce qu’elles auront comme retraite et ne le découvrent qu’au dernier moment. Ne pourrait-on pas imaginer qu’au moment de l’embauche et de la signature du contrat, on indique à la personne concernée, par exemple la future caissière de chez Auchan, ce qu’elle touchera comme retraite si elle reste à ce poste ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’était une de nos recommandations.

Mme Ghyslaine Richard. Nous préférerions que l’on travaille davantage sur la question du temps partiel, qui, au prétexte que cette façon de travailler peut intéresser les femmes en raison de leurs charges de famille, est devenu une méthode de gestion des effectifs dans certaines entreprises. La CGT préconise que l’on renchérisse le temps partiel et que l’employeur supporte des cotisations sociales équivalentes à celles d’un temps complet.

Mme Catherine Coutelle. Même l’éducation nationale est concernée : un inspecteur d’académie m’a appris hier qu’avec les soixante postes dont il dispose, il envisageait d’embaucher 75 auxiliaires de vie scolaire, qui ne travailleront que trente heures.

Mme Mijo Isabey. Au cours des réunions de concertation bilatérale, nous avons insisté sur la nécessité de rassembler plusieurs lois, pour poser de façon plus efficace la problématique des inégalités entre les hommes et les femmes.

Parallèlement, nous avons engagé des procédures juridiques, dont certaines pour discrimination salariale entre hommes et femmes. Nous en avons gagné quelques unes. Cela a rapporté à la salariée une prime de préjudice pour les années antérieures et le rétablissement, pour les années à venir, du salaire qu’elle aurait dû toucher. Mais on n’a pas reconstitué pour autant le salaire qu’elle aurait dû avoir. Elle retrouvera donc cette discrimination au moment de sa retraite. Voilà pourquoi il faudrait inscrire dans la loi le principe du versement de la cotisation patronale pour les années antérieures et prendre les dispositions nécessaires pour que la CNAVTS accepte des arriérés de cotisations en cas de discrimination. Cela dynamiserait le combat contre les inégalités hommes-femmes et ferait réfléchir les employeurs.

Si jamais on recule l’âge de la retraite, les femmes seront à l’évidence plus pénalisées que les hommes. Reculer l’âge d’ouverture des droits fera reculer parallèlement l’âge pour obtenir le temps plein. De nombreuses femmes attendent déjà plus longtemps que les hommes pour partir à la retraite. Quel âge devront-elles attendre pour ne pas subir de décote ?

Nous ne sommes pas du tout d’accord avec Mme Karniewicz, qui a selon nous une attitude corporatiste. La prochaine réforme aura moins de conséquences sur les carrières des cadres, qui poursuivent un peu plus longtemps leur activité et qui sont entrés plus tard sur le marché du travail. Mais les effets seraient très douloureux pour les femmes, qui ne représentent pas la majorité des cadres.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci beaucoup.

Audition de Mme Christiane Poirier, présidente nationale de la Fédération d’associations de conjoints survivants (FAVEC)

Réunion du 8 juin 2010

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous accueillons Mme Christiane Poirier, présidente nationale de la FAVEC.

Merci, madame, d’avoir répondu à notre invitation. Nous aimerions connaître votre opinion sur la question des retraites des femmes, de la prise en compte du veuvage – puisque l’assurance veuvage est appelée à disparaître à la fin de l’année 2010 – et de la pension de réversion. Quelles seraient, selon vous, les évolutions nécessaires ?

Mme Christiane Poirier, présidente nationale de la Fédération d’associations de conjoints survivants (FAVEC). Les représentants de notre organisation ont été auditionnés à l’Assemblée nationale voilà quinze jours. Il est dommage qu’à cette occasion ait surtout été abordée la question de la réversion, et peu celle des retraites.

En cette matière, les femmes sont toujours défavorisées. Leurs carrières sont souvent incomplètes et elles ont fréquemment occupé des emplois à temps partiel. Nombre d’entre elles n’ont même jamais travaillé, ou se sont arrêtées pour garder leurs enfants ou pour suivre leur mari. Quant aux veuves, elles sont obligées de travailler ou de retravailler, mais on sait qu’à l’heure actuelle, cela demande un certain temps – d’autant que, depuis 2000, elles ne font plus partie des publics prioritaires du Pôle Emploi.

Quant à la pension de réversion, elle risque un jour d’être supprimée parce que l’on estime que les femmes travaillant de plus en plus, leur retraite sera suffisante pour les faire vivre. Cela nous inquiète beaucoup, d’autant que la réversion est soumise à des conditions déjà drastiques : la condition d’âge a été de nouveau fixée à cinquante-cinq ans et le plafond de ressources à 1 535, 73 euros. Résultat : les veuves qui risqueraient de dépasser ce plafond ne vont pas chercher du travail. Nous sommes très mal à l’aise quand il nous faut expliquer à une femme, dont le mari a travaillé quarante ou cinquante ans, qu’elle n’a pas droit à une pension de réversion parce qu’elle touche plus de 1 535 euros par mois !

La disparition des droits familiaux qui avaient été accordés aux femmes ne constitue bien évidemment un recul. Enfin, le report de l’âge légal de départ à la retraite de deux ans concerne également les veufs et les veuves, qui devront eux aussi travailler plus longtemps.

Nous ne sommes pas un syndicat. Nous défendons simplement des droits. Mais nous vivons très mal le fait que les veufs et nos veuves soient pénalisés.

Des questions mériteraient d’être examinées : la disparité de traitement des veufs et des veuves en matière de réversion, selon que leur conjoint travaillait dans le secteur public ou le secteur privé ; la récupération de l’allocation personnalisée d’autonomie – APA – sur la succession, dont on parle depuis la semaine dernière ; la suppression de la demi-part fiscale supplémentaire pour les personnes seules ne pouvant justifier avoir élevé seules leur enfant pendant au moins cinq ans; l’avenir de l’assurance veuvage, sur laquelle nous nous penchons très régulièrement avec le groupe de travail sur les droits du conjoint survivant.

Nous avons écrit au ministre du travail pour exprimer notre inquiétude devant la disparition de l’assurance veuvage. Le dernier courrier que nous ayons reçu sur ce sujet émanait de M. Xavier Darcos, lequel nous écrivait qu’il ne pouvait pas nous donner de réponse, mais qu’il ne nous oublierait pas. Entre-temps, M. Eric Woerth l’a remplacé, et nous n’avons pas encore eu de rendez-vous. Je crains fort que cette absence de réponse ne s’explique par le fait que l’on a décidé de ne rien faire et de renvoyer les personnes concernées vers le dispositif du RSA. Les salariés continuent à payer 0,10 % sur les salaires pour l’assurance veuvage. Pourquoi la faire disparaître ?

Notre assemblée générale se tiendra à la fin de la semaine : elle traduira certainement mon inquiétude. Cette assemblée générale se tiendra à Épinal, sous l’égide de notre association des Vosges qui a une très bonne audience.

Par ailleurs, nous avions commencé à rencontrer les députés, mais depuis la suppression de la demi-part fiscale supplémentaire, nous n’avons plus obtenu aucun rendez-vous, ce qui peut paraître compréhensible...

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Dans ma circonscription, je n’ai jamais été sollicitée.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Nous sommes plusieurs députés qui intervenons régulièrement, dans le cadre du PLFSS, pour faire avancer la situation des conjoints survivants. Or, depuis deux ans, on nous répond systématiquement qu’il faut attendre le débat sur les retraites pour aborder le sujet. N’hésitons donc pas à nous en saisir aujourd’hui.

Près de 4 millions de veuves, dont une grande partie est jeune, connaissent des situations financières très difficiles. Un rapport de force pourrait s’établir car les arguments ne manquent pas : la différence de traitement entre le privé et le public – où il n’y a pas de plafond et où le conjoint survivant touche une pension de réversion atteignant 50 % du traitement ; l’insuffisance du plafond de cumul emploi-retraite ; l’incertitude concernant les huit trimestres pour enfant qui, l’année dernière, ont été partagés à égalité entre la mère et le père : ne faudrait-il pas que le conjoint survivant puisse récupérer ces huit trimestres ? Quant à la suppression de la demi-part fiscale supplémentaire, elle constitue une injustice qui ne touche pas la retraite, mais joue sur les revenus.

M. Daniel Spagnou. Les hommes comme les femmes sont concernés.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Des gens qui étaient exonérés de l’impôt sur le revenu vont y être assujettis, avec tout ce que cela implique : la taxe d’habitation, la redevance …

Mme Marie-Françoise Clergeau. ...et une partie de la taxe foncière.

Mme Christiane Poirier. Les revenus du veuf ou de la veuve augmentant, la partie APA restant à charge va augmenter. Déjà, je trouve qu’elle est lourde. Je vous donnerai l’exemple d’une personne âgée grabataire, qui, sur 1 000 euros de retraite et 115 euros d’allocation personnalisée au logement – APL – doit payer 600 euros pour son loyer et 89 euros pour son APA. Si la demi-part supplémentaire est effectivement supprimée dans deux ans, on ne pourra plus vivre correctement !

Mme Marie-Françoise Clergeau. Il faut intervenir en ciblant quelques points bien précis. La situation des veufs et des veuves est d’une injustice flagrante.

Mme Christiane Poirier. Nous avons préparé un document – que je vous remettrai – retraçant les propositions de la FAVEC. Celles-ci sont les suivantes :

- rétablissement de la demi-part fiscale supplémentaire pour toutes les personnes touchées par le veuvage et ayant eu des enfants ;

- suppression du plafond de ressources, pour l’attribution de la pension de réversion du régime général, et le relèvement du taux de la réversion. Au moment des élections présidentielles, le candidat Nicolas Sarkozy nous avait envoyé une lettre affirmant que s’il était élu, ce taux serait porté à 60 %. Or ce taux, qui était passé en 1982 de 52 à 54 %, n’a toujours pas bougé ;

- remplacement de l’assurance veuvage ;

- réintroduction des veufs et des veuves parmi les publics prioritaires du Pôle Emploi ;

- enfin, plafonnement de l’abattement fiscal pour les gros travaux avec prise en compte du foyer fiscal et non du nombre de personnes. Alors que les frais engagés sont les mêmes, et que les revenus sont moindres, une personne veuve ne peut déduire que la moitié de l’abattement calculé pour le couple.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Le problème est un peu lié à la demi-part fiscale supplémentaire. Ne pourrait-on pas compter une part et demie pour toute personne qui vit seule, et deux parts pour un couple ? Les frais d’électricité et de chauffage sont proportionnellement plus importants pour une personne seule. Effectivement, par exemple, en cas de remplacement de la chaudière, une personne seule ne peut déduire, au titre des économies d’énergie, que la moitié de l’abattement calculé pour un couple, alors que la chaudière vaut le même prix quel que soit le nombre de personnes vivant dans la maison.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous avons prévu une réunion, où l’on reprendra tous les points à aborder afin d’être prêts à déposer des amendements.

M. Daniel Spagnou. Le ministre viendra-t-il devant la Délégation ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il était prévu que M. Xavier Darcos vienne le 18 mai. Après le remaniement ministériel, nous nous sommes adressés à M. Eric Woerth, mais nous n’avons pas encore de réponse.

Mme Huguette Bello. Les femmes travaillent de plus en plus, mais elles constituent le bataillon des travailleurs précaires. En outre-mer, leur situation est même pire car elles sont davantage touchées par le chômage. Alors que leurs retraites sont déjà inférieures de 40 % à celles des hommes, on sait que ce sont elles qui pâtiront le plus de la réforme en cours.

M. Christiane Poirier. À ce propos, si nous parlons beaucoup des femmes, qui représentent la grande majorité de nos adhérents et qui s’en sortent moins bien financièrement que les veufs, nous n’oublions pas pour autant ces derniers.

Mme Huguette Bello. En tout cas, les femmes, qui portent l’avenir de la nation, sont victimes d’inégalités et de discriminations. Si la France est le pays des droits de l’Homme, elle n’est pas, fondamentalement, le pays des droits des femmes !

Si des progrès avaient été accomplis dans les années soixante-dix, leur situation aujourd’hui régresse et cela partout sur la planète. Lors de nombreuses conférences – à Pékin, Mexico, Le Caire, etc. –, les États signent bien de belles déclarations, mais celles-ci en sont jamais mises en application.

M. Christiane Poirier. Il est vrai que nous sommes un peu démotivés. La situation n’avance pas. On peut même dire qu’elle recule. Quant à nos adhérentes, elles ne sont pas toujours assez mobilisées.

Mme Marie-Françoise Clergeau. En Loire-Atlantique, il y a toujours beaucoup de monde aux assemblées générales. Mais il est vrai que cela ne se traduit pas par un mouvement revendicatif.

M. Daniel Spagnou. Je suis maire de Sisteron, dans les Alpes de Haute Provence, et je n’ai jamais entendu parler de votre association.

Mme Christiane Poirier. Pourtant, je me rends dans quinze jours à Digne-les-Bains, pour fêter les vingt ans de l’association départementale actuellement présidée par Mme Duval – j’ai fait cette année 70 000 kilomètres en voiture et en train !

Mme Huguette Bello. Les associations sont le moteur de notre société et leur action a permis l’aboutissement de nombreux textes – par exemple, sur le planning familial ou la parité. Voilà pourquoi il ne faut pas vous décourager. Les politiques sont à l’écoute des associations et les Français leur font confiance. On ne vous connaît pas beaucoup à La Réunion, mais je vous encourage à tenir.

Mme Christiane Poirier. Il faudrait que nous puissions avoir un contact à La Réunion, pour nous y implanter. Nous sommes allés à Fort-de-France pour essayer de monter une association et nous sommes en pourparler avec la Guadeloupe. Nous sommes partantes, car nous voulons aller partout.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Combien y a-t-il d’adhérents à la FAVEC et de quand date votre association ??

Mme Christiane Poirier. Nous avons 28 000 adhérents, mais leur nombre a baissé depuis dix ans. Nous étions alors 100 000. Notre association a fêté ses soixante ans l’année dernière.

Mme Huguette Bello. Elle fait partie de ces associations qui sont nées sur la base du programme du Conseil National de la Résistance.

Mme Christiane Poirier. Il faut en effet se rappeler qu’en 1946, les femmes n’avaient aucun droit. Voilà pourquoi je dis aux jeunes qu’il leur faut se battre.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le problème est que les plus jeunes ne se rendent pas compte des combats menés par les aînés.

Mme Marie-Françoise Clergeau. J’en reviens à la disparité des pensions de réversion entre le public et le privé. Avez-vous mené une réflexion approfondie sur ce point et appelé l’attention du Gouvernement ? Une veuve dont le conjoint gagnait 2 000 euros par mois dans la fonction publique touchera 1 000 euros, sans aucun plafond. Une veuve, dont le conjoint travaillait dans le privé pour 2 000 euros par mois et qui gagne elle-même 1 500 euros par mois, ne touchera rien comme réversion. Il s’agit de rendre la situation plus équitable. Cela fait partie des questions qu’il faut évoquer.

Mme Christiane Poirier. Les situations sont en effet très diverses. Je connais une jeune femme qui vit avec 300 euros par mois, avec trois enfants. Elle a placé son petit capital décès sur la tête de ses enfants, mais comme les intérêts sont intégrés à ses revenus, elle dépasse le plafond de ressources, et on lui a retiré son RSA.

Mme Marie-Françoise Clergeau. La prise en compte de certains revenus, qui date de 2003, a contribué à aggraver la situation des veuves.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. À l’époque, nous l’avions dit. Cela figure dans le rapport de la Délégation.

Madame la présidente de la FAVEC, je vous remercie.

Audition de M. François Fondard, président de l’Union nationale des associations familiales (UNAF), sur la réforme des retraites

Réunion du 8 juin 2010

Présidence de Mme Marie-Zo Zimmermann

Mme la présidente Marie-Zo Zimmermann. Nous accueillons à présent M. François Fondard, président de l’Union nationale des associations familiales (UNAF).

Depuis plusieurs semaines, la Délégation aux droits des femmes travaille à faire entrer la question des femmes dans le débat sur les retraites.

Nous aimerions connaître la position de l’UNAF sur les retraites des mères de famille, mais également ses propositions relatives aux avantages familiaux, la validation des périodes peu travaillées, les périodes de congé – de maternité et parental – et le veuvage précoce.

M. François Fondard, président de l’Union nationale des associations familiales (UNAF). J’ai présenté en détail les positions et les propositions de l’UNAF sur les retraites, le 30 mai dernier, lors de mon audition par votre commission des affaires sociales.

Dans un système par répartition, la dimension démographique est essentielle et la politique familiale doit être considérée comme contribuant à la viabilité du système de retraite.

Par ailleurs, dans un système contributif, les mères de famille qui connaissent des interruptions de carrière liées à la présence d’enfants au foyer sont pénalisées dans la validation de leurs droits à pension. Aujourd’hui, le montant des retraites des femmes est inférieur de 40 % à celui des hommes, précisément parce qu’elles ont consacré plusieurs années à l’éducation de leurs enfants à une époque où ces périodes n’étaient pas valorisées, des améliorations non négligeables étant intervenues après 1973, à travers l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF).

Les droits familiaux en matière de retraite constituent des éléments de politique familiale et nous y sommes attachés car les majorations, qu’elles interviennent dans le régime général ou dans les retraites complémentaires, sont un juste « retour sur investissement » pour les familles qui ont élevé des enfants.

De façon générale, le vieillissement de la population pèse fortement sur notre système de protection sociale, obligeant à des choix collectifs quant à l’affectation des moyens que l’on y consacre.

L’UNAF va prendre position sur les retraites : nous sommes légitimes à intervenir dans ce domaine, non pas sur la question de l’âge de la retraite, de la durée d’assurance ou du niveau des cotisations qui relèvent des partenaires sociaux, mais sur les droits familiaux et les majorations car ils ont des conséquences sur la vie des familles.

J’en viens donc à la situation des mères de famille.

L’AVPF est la question essentielle : parce que le temps consacré à l’éducation des enfants n’est pris en compte qu’à partir du troisième enfant et pour les bénéficiaires du complément familial, aujourd’hui la retraite d’un très grand nombre de mères de famille n’excède pas le montant versé par le Fonds national de solidarité.

Par ailleurs, dans le régime général, les années de cotisations sont valorisées sur la base du SMIC, ce qui pénalise les femmes. C’est pourquoi nous proposons que la référence soit désormais le salaire moyen ou le salaire perçu avant l’interruption de travail.

Enfin, si la majoration de durée d’assurance de deux ans par enfant est maintenue, le partage entre hommes et femmes instauré par le PLFSS 2010 ne nous convient pas car ce sont surtout aux mères, et non aux pères, que des années font défaut au moment du départ à la retraite.

S’agissant du veuvage précoce, nous sommes en phase avec la Fédération des associations de conjoints survivants. La question est de savoir par quoi sera remplacée l’allocation veuvage, qui sera supprimée le 1er janvier 2011. En cas de décès d’un des conjoints, faute d’une couverture prévoyance, les familles peuvent se trouver sans aucune ressource, donc au RSA.

Certes, l’allocation de soutien familial permet de les aider, mais elle est limitée dans le temps. Nous préconisons donc que ces familles bénéficient d’une allocation différentielle, d’un montant supérieur au RSA. On manque de statistiques quant au nombre de familles qui se trouvent dans ces situations extrêmement difficiles. Le Haut conseil de la famille débattra jeudi prochain d’un de nos avis relatif aux ruptures familiales, c’est-à-dire à ces accidents de la vie que sont la perte d’emploi et la séparation, dans lequel nous posons la question du veuvage. Il est urgent que débute la concertation que nous avons demandée si l’on veut que les dispositifs de substitution puissent être intégrés au PLFSS pour 2011, afin d’être effectifs dès le 1er janvier prochain.

M. Daniel Spagnou. Quel est le ministre compétent et qui préside le Haut conseil de la famille ?

M. François Fondard. Si ces mesures s’intègrent dans la politique familiale, elles relèvent de Mme Nadine Morano  et de M. Éric Woerth si elles s’intègrent dans la politique sociale.

Le Haut conseil de la famille est présidé par Bertrand Fragonard, qui connaît parfaitement la politique familiale. Il a été directeur de la Caisse nationale d’allocations familiales, directeur-adjoint au cabinet de Mme Simone Veil dans les années 1970 puis directeur de cabinet. Il fut aussi l’un des initiateurs de la rénovation du congé parental d’éducation, en 1994 et délégué interministériel au RMI.

Mme la présidente Marie-Zo Zimmermann. Qu’attendez-vous de notre Délégation ?

M. François Fondard. Pour améliorer la retraite des mères de famille qui se consacrent à l’éducation de leurs enfants, il faudrait revaloriser l’AVPF et aussi prendre en compte le temps partiel. La prise en compte du temps partiel éviterait que les mères soient pénalisées, d’autant plus qu’elles sont souvent séparées ou divorcées au moment de faire valoir leurs droits à la retraite.

Actuellement dans le régime général, pour valider un trimestre au titre de la retraite, il faut justifier de cotisations versées au titre de 200 heures rémunérées au Smic, ce qui pose un vrai problème à un certain nombre de mères qui ont élevé leurs enfants et travaillé à temps partiel : si elles n’ont travaillé que 180 heures, elles ne bénéficient d’aucune valorisation pour l’année considérée. Certaines ont ainsi perdu dix ans !

Dans le cadre d’une évolution du système de retraite, nous proposons la transformation du système de calcul des droits en annuités en un système par points ou en comptes notionnels, en valorisant les périodes d’arrêt d’activité et de travail à temps partiel. Cela éviterait à une majorité de mères de famille des décotes de 5, 10, 20, voire 50 % au moment de la retraite ! Une comptabilisation par points, par exemple, permettrait une valorisation automatique du congé parental et du temps partiel. Cela aurait certes un coût –l’AVPF a déjà coûté 4,5 milliards d’euros à la branche famille en 2009 –, mais améliorerait considérablement le niveau des retraites des femmes.

Cela étant dit, la situation de la prochaine génération de mères de famille et de la suivante sera considérablement améliorée. Aujourd’hui, les trois années de congé des 600 000 bénéficiaires du congé parental d’éducation sont automatiquement valorisées – ce qui n’existait pas avant pour le deuxième enfant, et pas forcément pour le troisième en raison de la barrière du complément familial. Compte tenu des barèmes, avec trois enfants ou plus, 97 % des femmes voient automatiquement valoriser le temps consacré à l’éducation de leurs enfants jusqu’à vingt ans.

Malheureusement, un certain nombre de mères de famille ayant élevé trois enfants et plus méconnaissent leurs droits et ne réclament pas le bénéfice de ce dispositif. C’est pourquoi nous faisons des opérations d’information et de communication en la matière. Les systèmes informatiques ont considérablement amélioré les choses depuis quinze ans, mais, avant 1995, la comptabilisation n’était pas automatique. La période de valorisation de trimestres peut être de vingt ans pour des mères de famille ayant eu trois enfants des années 1980 jusqu’aux années 2000 et qui se sont arrêtées de travailler pendant une vingtaine d’années pour les élever !

La branche famille a malheureusement été déficitaire, pour la première fois, en 2009. Le retour à l’équilibre est attendu pour 2015 s’il y a une reprise de la croissance, ou 2017. Malheureusement, la réduction du chômage attendue pour le premier trimestre 2010 n’est pas intervenue. Néanmoins, les 500 000 créations nettes d’emplois aux États-Unis en mai peuvent avoir un impact en Europe en fin d’année.

Mme la présidente Marie-Zo Zimmermann. Merci beaucoup, monsieur Fondard.

Audition de M. Jean-Louis Malys, secrétaire national de la CFDT, sur la réforme des retraites

Réunion du 15 juin 2010

Présidence du Marie-Jo Zimmermann

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous souhaitons recueillir votre point de vue sur la réforme des retraites en cours et, en particulier, sur ses conséquences sur les pensions servies aux femmes.

M. Jean-Louis Malys, secrétaire national de la CFDT. La réforme a été présentée comme inévitable mais chacun espère qu’elle ne touchera que son voisin, car finalement cette réforme revient à « travailler plus pour cotiser plus ».

Par ailleurs, même si ce n’est pas le cœur du problème, je comprends qu’il soit difficile pour les élus d’avoir à décider de mesures qui affecteront les pensions des Français, sans toucher à leur propre régime.

En outre, ce dossier n’intéresse véritablement que ceux qui sont proches de la retraite. Pourtant, ce sont bien les générations suivantes qui ont lieu d’être inquiètes. Il y a heureusement toujours des personnes qui ont cotisé les durées requises, en ayant des carrières linéaires et dynamiques, et parmi ces personnes de plus en plus de femmes. Le problème naît de ce que les écarts se creusent, de plus en plus, entre ces carrières et des carrières précaires qui sont surtout le fait de femmes, bien qu’elles réussissent mieux que les hommes dans les cursus de formation et qu’elles soient de plus en plus qualifiées. Les bénéfices de cette évolution sont, en fait, ruinés par la précarité.

Alors que la réforme lancée par le Gouvernement est une réforme dure, sans considération pour les plus fragiles, pour notre syndicat, le bon angle d’approche aurait dû celui de la réduction des inégalités, que ce soit celles liées aux travaux pénibles, aux carrières longues ou à la précarité. Or, les plus précaires ce sont les femmes.

S’y ajoutent les effets d’évolution qui s’avèrent pénalisantes. Par exemple, les jeunes gens entament de plus en plus tard une carrière professionnelle stable. Aujourd’hui, c’est vers l’âge de trente ans ce qui est justement l’âge de la première maternité. Or, les années passées loin du travail, pour élever ses enfants, ce qui est un souhait parfaitement légitime, coûtent de plus en plus cher en termes de carrière. En fait, elles ne se rattrapent jamais.

Enfin, il existe des inégalités qui mériteraient d’être corrigées, dans la répartition même des avantages familiaux et dont personne ne parle jamais, à l’exception de notre syndicat. Les majorations de durée d’assurance, par exemple, ne servent à rien pour 20 % des femmes, celles qui ont cotisé suffisamment longtemps pour avoir assez d’annuités. Mais le dispositif le plus injuste qui soit reste celui de la majoration de pension de 10 % octroyée, aux pères comme aux mères, qui ont eu trois enfants. D’abord, il bénéficie aux retraités et non aux familles mais surtout, cet avantage est proportionnel au montant de la pension et il est de surcroît défiscalisé. Le problème est que toucher à cette majoration provoquerait une levée de bouclier de la part des associations familiales. Cette mesure qui avait à l’origine une finalité nataliste est d’ailleurs financée par la CNAF et non par les régimes de retraites. Chaque fois que l’on évoque ce sujet, devant le COR notamment, il est évacué sans qu’aucun argument valable ne soit avancé. Pour FO et pour la CGT, c’est un avantage acquis, il ne faut donc pas y toucher. Pourtant, c’est un avantage acquis qui opère une redistribution à l’envers puisqu’elle profite essentiellement aux hommes aisés.

M. Yves Canevet, secrétaire confédéral en charge du dossier des retraites. Cette majoration de pension coûte environ 6 milliards d’euros par an. Les hommes ayant en moyenne des pensions plus élevées que les femmes, ils en captent environ 60 %.

M. Jean-Louis Malys. Les hommes n’ont pourtant aucunement vu leur carrière professionnelle affectée par le fait qu’ils ont eu des enfants. Au contraire, cela leur donne une image de responsabilité et de sérieux valorisée dans l’entreprise. Nous pensons donc que les sommes aujourd’hui consacrées au financement de ces majorations de pension devraient être redéployées vers un dispositif plus juste. À tout le moins, la majoration devrait être forfaitisée et fiscalisée. Pour prendre un exemple extrême, une femme qui s’est arrêtée de travailler pour élever ses enfants ou a travaillé à temps partiel, qui a été rémunérée au SMIC et qui va toucher une pension d’environ 7 00 euros, verra celle-ci majorée de 70 euros. Un homme cadre, qui lui aussi a eu trois enfants et n’en a nullement été pénalisé dans sa vie professionnelle, s’il touche une retraite de 6 000 euros, verra celle-ci majorée de 600 euros ! Ses enfants vaudraient donc plus chers que ceux des autres.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les propositions de la délégation relatives aux retraites des femmes vous ont été communiquées. Quelles sont vos réactions ?

M. Jean-Louis Malys. Nous approuvons l’essentiel d’entre elles. Vous préconisez d’abord d’adapter les mécanismes de solidarité à la réalité des besoins sociaux. Cela rejoint l’analyse que je viens de faire de la majoration de pension pour trois enfants. Pourtant, la réforme n’en dit mot. Seule l’Assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) est mentionnée dans le document d’orientation.

Ensuite, privilégier la constitution de droits directs par les femmes est un élément clef. La question des parcours professionnels est primordiale dans la constitution de droits propres qui constitue une voie importante dans la réduction des inégalités de niveau de pension.

Votre proposition de report des salaires au compte des indemnités journalières (IJ) pour les périodes validées non cotisées, comme les périodes de congé maternité, est également soutenue par la CFDT. La question se pose alors du niveau de report au compte. Ce peut être soit une cotisation sur la base du montant des IJ (maximum : 2.15 SMIC) comme vous le proposez, ou bien une cotisation forfaitaire sur la base du SMIC (comme pour l’AVPF) potentiellement plus égalitaire. Des études complémentaires sont à réaliser sur ce point.

Pour les temps partiels, il est effectivement souhaitable d’étendre les possibilités de cotisations sur la base d’un temps plein. Cela passerait notamment par une contribution de l’employeur pour permettre aux salariés qui travaillent moins de 17 heures par semaine de valider quatre trimestres dans l’année. Mais l’extension des possibilités de surcotisation doit être privilégiée par rapport au rachat de cotisation. Il serait, en effet, paradoxal de devoir « racheter » des trimestres pour des périodes travaillées !

La reconduction de l’assurance veuvage au-delà du 31 décembre 2010 va également se poser, comme vous le soulignez. En effet, alors que la loi de 2003 avait supprimé la condition d’âge pour l’accès à la réversion, celle-ci a été rétablie en 2009 à 55 ans. Or on sait que le veuvage précoce est souvent source de difficultés économiques : le taux de pauvreté des veuves de moins de 55 ans est de 28 %, contre 12 % pour l’ensemble de la population. La réintroduction de la condition d’âge est d’autant plus négative que l’assurance veuvage n’est pas à ce jour remplacée par une politique publique abordant efficacement la question du veuvage précoce, par exemple sous forme d’amélioration du capital décès, de développement de la prévoyance obligatoire, etc…

Développer l’information des salariés sur les possibilités de cotiser à l’assurance vieillesse sur la base d’un temps plein pour les régimes de base et complémentaires et rendre obligatoire dans les branches et les entreprises l’introduction d’une clause relative à la possibilité de surcotisation en cas de temps partiel et sur sa prise en charge par l’employeur nous paraît, à nous aussi une piste très intéressante à creuser.

Sur la réforme de la demi-part de quotient familial supplémentaire, il faut préciser que cette demi-part a été créée afin d’aider d’abord les veuves et les femmes divorcées ayant eu des enfants. Elle génère une réduction d’impôt mais n’apporte aucun avantage aux revenus les plus faibles et à ceux qui ne sont pas imposés. La CFDT a acté lors de son récent congrès que « le barème de l’impôt doit être appliqué au revenu des personnes, et non plus à ceux des ménages. Rien ne peut justifier que l’aide fiscale apportée aux ménages par le biais du quotient familial soit d’autant plus importante que leurs revenus sont élevés. Il doit être remplacé par une allocation forfaitaire par enfant. ».

Pour la CFDT, la question posée est donc celle du maintien d’un avantage fiscal forfaitaire par enfant, aux parents ayant élevé seuls un enfant, afin d’aider ceux ayant eu des charges de famille après le décès du conjoint, un divorce ou une séparation.

Le mécanisme du quotient familial ne bénéficie, par hypothèse, qu’aux personnes qui sont imposables.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Certes, mais la perte du bénéfice de la demi-part aboutit à rendre certaines personnes imposables, ce qui a des effets en cascade sur la redevance et la taxe d’habitation…

M. Jean-Louis Malys. En ce qui concerne la proposition qui consiste à demander au juge d’opérer, en cas de divorce, un partage des droits à la retraite de celui qui a cotisé, nous avons quelques réticences. L’implication du juge suppose une logique de conflit et cette disposition pourrait indirectement encourager les femmes à ne pas constituer de propres droits. Nous ne voulons pas inciter à l’inactivité féminine.

Globalement, nous sommes assez positifs sur vos propositions.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Pour l’instant, nous n’avons pas reçu de réponse du Ministre.

Mme Odette Duriez. Ni de réponse à nos questions en séance.

M. Jean-Louis Malys. Il reste trois jours pour négocier avec le Ministre. Le projet de loi sera examiné en Commission des affaires sociales avant le 20 juillet, et par l’Assemblée nationale, le 7 septembre. Je pense cependant que la question des femmes n’est pas au programme. Le document d’orientation n’a pas posé une seule fois cette question. Ce qui nous attriste, c’est que les plus modestes seront les plus touchés, et parmi eux, les femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Le ministre considère qu’on ne peut par corriger les aléas de carrière au moment de la liquidation des droits.

M. Jean-Louis Malys. Cela va même au-delà : le système des retraites amplifie les inégalités au lieu de les corriger.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Je note l’attente de la CFDT par rapport à la question des femmes. Je compte sur ceux qui ont une conscience claire de ce problème pour le faire avancer.

M. Jean-Louis Malys. Dès que l’on parle du problème des femmes, il faut faire attention à ne pas tomber dans le piège qui consiste à assimiler les femmes aux handicapées, aux personnes issues de l’immigration... Les femmes ne sont pas une minorité, mais une majorité ! À la CFDT, nous avons pris l’habitude, dès que nous abordons un dossier, de traiter parallèlement l’impact spécifique que ce dossier aura pour les femmes. Lorsque nous avons abordé la question de la souffrance au travail, nous avons pu constater que les femmes subissaient des violences bien particulières, comme les viols ou le harcèlement sexuel. Il existe une rupture d’égalité entre les hommes et les femmes dont il faut tenir compte.

Par ailleurs, sur la question de la pension de réversion pour les couples pacsés, nous avons quelques réticences. Ce serait juste, mais le surcoût serait immense.

M. Jean-Luc Pérat. Il me semble que nous avons un problème d’information sur la question des retraites et des droits de chacun. Pourrions-nous imaginer que toute personne soit informée chaque année des droits qu’il a acquis et puisse recevoir des évaluations relatives au montant de sa pension ?

M. Jean-Louis Malys. Je partage ce point de vue. Le problème, c’est la complexité du système qui empêche toute anticipation dans les comportements.

Par exemple, très souvent les personnes qui ont été fonctionnaires ne savent pas que si elles n’ont pas cotisé au régime spécial de la fonction publique pendant une durée minimale de quinze ans, elles ne bénéficieront pas d’une retraite de la fonction publique. Elles seront affiliées au régime général et au régime complémentaire des non-titulaires de la fonction publique auquel elles devront verser des rattrapages de cotisations élevés.

C’est pourquoi il faudrait travailler sur une réforme systémique. La logique par points est la plus lisible. Elle permet de connaître les droits correspondant à telle somme cotisée. Il faudrait un système par répartition dans lequel générateur de droits de façon continue, comme le système suédois, qui adapte en plus le lien entre espérance de vie et retraite. À chaque cotisation versée serait ouvert un droit à pension qui serait identifié. Par exemple, à un an de cotisation correspondrait un montant x de pension. La réforme actuelle produit l’effet inverse car elle complexifie encore le système. Jusqu’à présent, on avait un système qui se comptait en annuités et en trimestres et désormais on va parler de quadrimestres...

Mme Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie.

Audition de Mme Pascale Coton, secrétaire générale adjointe de la CFTC

Réunion du 22 juin 2010

Présidence de Mme Geneviève Lévy

Mme Geneviève Lévy, présidente. Je suis heureuse d’accueillir Mme Pascale Coton, secrétaire générale adjointe de la CFTC, en charge de la protection sociale, accompagnée de M. Patrick Poizat, secrétaire confédéral.

Madame, nous avons souhaité vous entendre sur la réforme des retraites. Dans un premier temps, la question pourtant fondamentale des pensions des femmes n’a pas été abordée dans les discussions. Cette situation a évolué puisque le ministre a annoncé, d’une part, une meilleure prise en compte des périodes de congé de maternité et, d’autre part, des sanctions pour les entreprises qui ne respecteraient pas la loi les obligeant à élaborer un rapport de situation comparée (RSC). Ces mesures n’épuisent cependant pas le sujet : il reste d’autres points importants à traiter, tels que le temps partiel, en particulier les temps très partiels, ou encore la situation des jeunes veuves, en raison de la suppression de l’allocation veuvage malgré le rétablissement d’une condition d’âge pour bénéficier de la réversion. Sur tous ces points, nous aimerions connaître votre position.

Mme Pascale Coton, secrétaire générale adjointe de la CFTC. Commençons par le plus facile : nous ne pouvons que nous féliciter qu’il soit prévu de tenir compte, pour le calcul de la retraite, des indemnités journalières de maternité. C’est la juste reconnaissance de périodes qui doivent bel et bien être considérées comme du temps de travail, à l’instar des périodes de service militaire pour les hommes.

Deuxième point : le rapport de situation comparée des hommes et des femmes. Nous savons bien qu’en ce domaine, les entreprises ne remplissent que très rarement leurs obligations. C’est donc une bonne chose de prévoir des sanctions, comme le fait l’article 13 de l’avant-projet de loi qui nous a été transmis. Le problème vient de ce que la sanction est liée au fait que l’entreprise n’a pas publié de rapport de situation comparée, et non pas à sa situation objective en matière d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes… Cela n’a pas de sens.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Actuellement, environ 60 % des entreprises n’établissent pas ce rapport.

Mme Pascale Crozon. Qui sera chargé de vérifier le respect de cette obligation ?

Mme Geneviève Levy. Il va nous falloir préparer des amendements sur cet article.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. En effet, il ne faut pas en rester aux bonnes intentions.

Mme Pascale Coton. Si les entreprises peuvent se contenter de publier des documents, voire de ne pas les publier et de payer le prélèvement de 1 %, l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes risque de ne pas beaucoup progresser...

Mme Catherine Coutelle. En plus, les entreprises concernées par ces dispositions sont seulement celles qui comptent plus de 300 salariés, soit une minorité.

Mme Pascale Coton. L’inégalité de traitement entre les hommes et les femmes est pourtant probablement plus importante dans les TPE et les PME que dans les grandes entreprises, où les syndicats peuvent jouer un rôle.

Par ailleurs, il est précisé dans l’exposé des motifs que « la sanction, qui prendrait la forme d’un prélèvement de 1 % sur la masse salariale brute, serait affectée au Fonds de solidarité vieillesse. Pourquoi prévoit-on d’affecter ce prélèvement au financement des retraites. Pour notre part, nous avions proposé que, dans le cas où le rapport de situation comparée démontrerait au bout d’un ou deux ans la persistance de l’inégalité salariale, un prélèvement représentant 1 % de la masse salariale soit versé à un fonds destiné à la formation des femmes ou à l’entreprenariat au féminin : seules les femmes, donc, auraient eu un droit de tirage sur cette enveloppe nationale, en toute transparence. En effet, dès lors que le but du rapport de situation comparée est de faire en sorte que les femmes, à compétence égale, aient le même salaire que les hommes, il n’est pas juste de vouloir utiliser cet argent pour combler des déficits qui ne concernent pas seulement les femmes. Le signal qui est ainsi donné n’est pas bon.

Mme Catherine Coutelle. Nous avons d’ailleurs bien vu, dans le cas des partis politiques, que l’existence de sanctions financières ne faisait pas beaucoup avancer la parité. Mais de quels autres moyens d’action disposons-nous pour faire avancer l’égalité salariale dans les entreprises ?

Mme Pascale Coton. Pour les entreprises de 300 salariés et plus, le RSC est un bon outil ; mais une fois que ce document a été établi, il faut obliger les entreprises à tendre vers l’égalité, en leur donnant un délai d’un an ou deux. Il serait absurde qu’une entreprise puisse se contenter d’établir un RSC, pendant qu’une autre serait sanctionnée pour ne pas l’avoir établi, alors qu’elle réalise un travail de fond pour donner toute leur place aux femmes.

Par ailleurs, le ministre nous a dit, lors de notre dernière réunion, qu’avant la fin de l’année, ou au plus tard début 2011, le Président de la République prévoyait une nouvelle loi sur l’égalité hommes-femmes.

Mme Pascale Crozon. De fait, certaines des dispositions figurant à l’article 13 du texte proposé n’ont rien à faire dans un projet de loi portant réforme des retraites.

Mme Pascale Coton. La justification avancée par le Gouvernement est que l’inégalité entre les hommes et les femmes en matière de retraites résulte des inégalités dans le déroulement de carrière.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Selon le dernier alinéa de cet article , « l’employeur qui, au plus tard le 31 décembre 2011, n’a pas respecté les dispositions du précédent alinéa, communique à toute personne qui en fait la demande, les indicateurs et les objectifs mentionnés à l’alinéa précédent » – c’est-à-dire les indicateurs et objectifs relatifs à la situation comparée des femmes et des hommes. Mais quel effet cela peut-il avoir ?

Mme Pascale Coton. Voici ce qu’indique l’exposé des motifs : « L’entreprise qui souhaite maîtriser sa communication sur ce sujet organise elle-même, après consultation du comité d’entreprise, la publicité de ces données, par exemple en les publiant annuellement sur son site Internet, dans la presse ou sur un site spécialisé. A défaut de publicité organisée par l’entreprise, elle devra transmettre à toute personne qui en fera la demande (salarié, journaliste, association, etc.) les données précisées par décret. » Je suis bien d’accord avec vous : ce n’est pas cela qui fera évoluer la situation des femmes dans l’entreprise ...

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. On se demande en effet ce que ces dispositions font dans ce texte.

Mme Pascale Coton. Il faut souligner, en outre, que rien n’est prévu pour les entreprises de moins de 300 salariés.

J’en viens au temps partiel, sur lequel, en dépit des promesses qui nous avaient été faites, il n’y a rien dans ce projet de loi.

Nous avions proposé de prendre exemple sur des entreprises comme la SNECMA, qui cotisent pour l’assurance vieillesse, à 100 % pour tout salarié, même à temps partiel, en lui laissant le choix d’en faire autant ou non. Cela ne coûte rien à l’État et ne semble pas coûter des sommes démesurées aux entreprises. Nous n’avons donc pas compris pourquoi cette solution ne figurait pas dans ce texte. On va sans doute nous répondre que des négociations vont avoir lieu sur le temps partiel subi, mais il y a si longtemps qu’on nous les promet… Pour notre part, nous considérons que le temps partiel est le poison des femmes.

Mme Catherine Coutelle. Dans votre proposition, que se passe-t-il si la salariée à temps partiel décide de ne pas cotiser davantage ?

Mme Pascale Coton. Si l’employeur cotise pour elle à 100 %, sa retraite sera déjà améliorée ; mais si elle-même ne le fait pas aussi, l’amélioration sera moindre.

M. Patrick Poizat, secrétaire confédéral de la CFTC. Ce dispositif existe dans les régimes complémentaires, du moins l’AGIRC et l’ARRCO. Il peut être mis en place dans une entreprise, soit après négociation entre les partenaires sociaux, soit, depuis quelques années, de manière volontaire.

M. Catherine Coutelle. Les femmes ne sont pas assez informées sur le sujet. Cela existe-t-il ailleurs qu’à l’AGIRC et l’ARRCO ?

M. Patrick Poizat. A ma connaissance, l’IRCANTEC n’applique pas ce système.

Vous avez par ailleurs soulevé le problème de la réversion, dans le contexte de disparition de l’assurance veuvage. Certaines organisations syndicales considèrent que les reports au compte dont bénéficient les femmes permettraient de supprimer la réversion : ce n’est pas l’avis de la CFTC. Certes il y eu une amélioration du niveau des pensions, mais elle est à la fois très faible et très mal répartie. Peut-être les choses auront-elles réellement évolué dans dix ou quinze ans… Pour le moment, il nous paraît indispensable de maintenir le système de la réversion ; j’espère que vous partagerez cette conviction.

Mme Pascale Coton. Je voudrais vous interpeller au sujet de la possibilité actuellement offerte dans la fonction publique aux parents d’au moins trois enfants de bénéficier d’une retraite à jouissance immédiate au bout de quinze ans de service actif. Ce dispositif – utilisé à 99 % par des femmes – ne concerne que 0,18 % des femmes fonctionnaires. Le ministre nous dit que parmi elles, nombreuses sont celles qui expriment des regrets et souhaiteraient pouvoir revenir sur leur choix. Pour ma part, je n’ai aucun moyen de le savoir. Ce que je sais en revanche, c’est que cette retraite constitue souvent un complément de salaire – en général entre 450 et 600 euros – pour des femmes qui prennent un autre emploi, aussi bien dans le privé que dans la fonction publique. Le ministre avait ajouté que si la famille devenait monoparentale, cette situation de retraitée pouvait être un handicap ; or ce n’est pas le cas si la retraite est un complément de salaire.

Nous n’avons donc pas bien compris la décision de supprimer ce dispositif au 1er janvier 2012. Pour les femmes, ce geste est brutal. À supposer que l’on arrive à prouver que ce dispositif pèse trop lourd sur les comptes de la branche vieillesse, pourquoi ne pas étaler la mesure dans le temps ?

L’autre sujet sur lequel je veux appeler votre attention est celui de la période comprise entre 65 et 67 ans. Aujourd’hui, une femme qui peut prendre sa retraite à 60 ans peut choisir de faire encore des efforts pendant cinq ans pour obtenir 50 ou 100 euros de plus à 65 ans. Désormais, elle devra faire des efforts jusqu’à 67 ans ! C’est vraiment une injustice pour les femmes puisque, selon le ministre, elles représentent 60 % des salariés qui prennent leur retraite à 65 ans.

La CFTC, pour sa part, est favorable à un système de retraite à la carte, dans lequel le salarié, homme ou femme, prend sa retraite au moment où il le décide entre 60 et 65 ans. En reportant l’âge du droit à la retraite, on déplace le curseur pour tout le monde, y compris pour bénéficier de la surcote ; or c’est souvent parce qu’ils ont à la maison un jeune qui fait des études ou qui n’a pas de travail que les salariés travaillent encore deux ans de plus. Il serait vraiment nécessaire d’amender le projet sur ce point. On ne peut pas viser spécifiquement les femmes car ce serait contraire aux principes européens de non-discrimination, mais cela n’empêche pas, en défendant des amendements, d’insister sur le fait que les femmes sont les premières concernées.

Mme Catherine Coutelle. Un article de ce matin faisait état d’une augmentation de l’âge moyen de la paternité : les hommes d’un certain âge qui fondent une deuxième famille vont vouloir eux aussi partir plus tard à la retraite pour pouvoir faire face aux dépenses d’éducation de leurs enfants…

Il faut également se préoccuper des conséquences des divorces – qui posent des problèmes de réversion ou de partage des droits acquis. Y avez-vous réfléchi ?

Mme Pascale Coton. Dans le cadre d’un des groupes de travail sur les solidarités, il nous avait été dit que, dans la mesure où c’est souvent la femme qui est chargée de l’éducation des enfants en cas de séparation, il était envisagé de donner davantage de trimestres à la femme qu’à l’homme – en quelque sorte, une MDA (majoration des durées d’assurance) à l’envers. Je ne m’étends pas sur le sujet mais la CFTC, notamment dans ses communiqués de presse, a été assez dure dans ses prises de position face au ministère du travail : nous considérons qu’on ne peut pas, au risque d’oublier les enfants, négocier le partage des trimestres entre le réfrigérateur et la gazinière…

De façon plus globale, le dossier des retraites peut se résumer ainsi : il n’y a pas d’argent et il faut en trouver. Nous avons interrogé par mail nos adhérents à ce sujet : 71 % nous ont répondu qu’ils étaient prêts à accepter une augmentation de la CSG de 1 % si on leur prouvait que l’argent irait vraiment à la branche vieillesse, et à la condition que tout le monde cotise – c’est-à-dire que l’on fasse contribuer aussi bien les bénéficiaires de stock options ou de retraites chapeau que les entreprises qui ne réinvestissent pas leurs bénéfices au profit de l’emploi.

Au lieu d’une solution financière de ce type, le Gouvernement veut imposer à tout le monde de travailler deux ans de plus, quelles que soient les conséquences. Mais soyez sûrs qu’il y aura beaucoup de monde dans la rue le 24 juin ! Les distributeurs de vuvuzelas, en région parisienne, sont en rupture de stocks ! Et sans signe positif de la part du Gouvernement, en septembre ce sera pire ! Vous pensez bien que les 600 000 jeunes qui vont arriver sur le marché de l’emploi au mois de juin ne vont pas avoir envie d’attendre encore, au motif que leurs parents doivent rester deux années de plus au travail – ou au chômage, d’ailleurs, puisque 38 % seulement des seniors ont un emploi…

Et dans ce projet de loi, il n’y a rien pour les jeunes.

Mme Catherine Coutelle. Et pour les seniors ?

Mme Pascale Coton. On nous parle du tutorat, qui permettrait d’intégrer les jeunes, mais il n’y a rien de concret dans le projet de loi. La semaine dernière, lors d’une émission, j’avais en face de moi des représentants de la CGPME et du MEDEF : devant tous les téléspectateurs, ils n’ont pas hésité à dire que les deux tranches d’âge qui les gênaient dans les entreprises étaient les moins de 30 ans – parce qu’ils ne ils ne sont pas encore très efficaces – et les plus de 55 ans – parce qu’ils coûtent trop cher… On peut toujours inventer des dispositifs sur le papier, mais tant que l’on ne sanctionnera pas les entreprises qui écartent les compétences des seniors et qui refusent d’intégrer celles des jeunes, on n’avancera pas !

Mme Catherine Coutelle. Pourquoi la situation est-elle différente chez nos voisins – qui embauchent davantage les jeunes et gardent les seniors ? Certains ont fait des efforts considérables : la Finlande, par exemple, a augmenté de 10 % l’emploi des seniors. Pourquoi les entreprises françaises seraient-elles inaptes aussi à intégrer les jeunes au travail ?

Il ne faut pas demander au système de formation de fournir des personnes directement opérationnelles. Son rôle est de former des gens qui sont ensuite capables de s’adapter à des métiers différents ; c’est aux entreprises qu’il revient de prendre en charge la formation pratique et technique. Elles n’ont pas à se décharger de cette responsabilité sur la société.

Mme Pascale Coton. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Beaucoup de responsables n’ont pas encore compris qu’une vraie GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) est la sauvegarde de leur entreprise – et non une punition ! Les entreprises n’en font pas, ou en font à contrecœur. Voyez ce qui s’est passé avec les accords seniors : les entreprises avaient le choix entre en signer et passer des accords de bonnes pratiques. Elles ont pratiquement toutes choisi la deuxième solution !

En agissant comme cela, les entreprises perdent tout ce qui relève de l’humain. Il faut s’attendre à ce qu’un jour, les jeunes ne puissent plus supporter ce manque de reconnaissance – d’autant qu’on ne sait pas s’ils auront droit, eux, à une seconde vie au moment de la retraite. Les organisations syndicales constituent une soupape de sécurité, mais tant qu’elles seront considérées comme des fauteurs de troubles, les choses ne risquent pas de s’arranger…

Mme Catherine Coutelle. Il est en effet malheureux de ne pas comprendre que dans une entreprise, on a besoin d’interlocuteurs !

Mme Pascale Coton. Nous sommes réalistes, déçus et en colère. L’année dernière, quand le débat sur les retraites a été lancé, nous avons vraiment beaucoup travaillé. Nous avons commencé au mois de juillet dans le cadre d’un groupe de travail technique et d’un groupe de travail politique. Nous avons pris le temps de nous organiser, de participer à des intersyndicales et de présenter notre projet à d’autres organisations, de le faire valider par le conseil confédéral et par le bureau confédéral. Chaque groupe de travail a formulé en moyenne une quarantaine ou une cinquantaine de propositions CFTC. Nous y avons cru … et pour finir nous nous sommes heurtés à un mur ! Pourquoi a-t-on décidé le report d’âge ? Pourquoi ne veut-on pas discuter du financement ? On ne nous a rien expliqué, et nous ne comprenons pas. Pour nous, le texte du Gouvernement manque vraiment de sens. Mais nous ne renonçons pas à tenter d’obtenir l’adoption d’amendements…

La dernière fois que nous avons vu le ministre, nous lui avons officiellement remis un carton rouge – sans la presse – pour lui faire comprendre la gravité de la situation et lui montrer que le dialogue social ne pouvait pas se passer de cette façon. Tant qu’on nous oppose une fin de non-recevoir sur les principaux sujets, on ne peut pas négocier sur la pénibilité, les seniors, les jeunes ou les femmes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. On me dit souvent que les Français ont compris le principe de la réforme…

Mme Pascale Coton. Ils n’ont pas admis, en premier lieu, le procédé. Et samedi et dimanche à Grenoble, où j’étais aux « Journées du Renouveau », organisées par Libération et le Nouvel Observateur, je peux vous dire que, lorsque je suis intervenue sur les retraites, j’ai senti les inquiétudes monter dans la salle !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci pour ce nouvel échange.

Audition M. Didier Horus, secrétaire national de la Fédération syndicale unitaire (FSU) et représentant FSU au Conseil d’orientation des retraites (COR)

Réunion du 29 juin 2010

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous vous remercions d’avoir accepté l’invitation de la Délégation. Nous souhaitons connaître votre avis sur l’avant-projet de réforme des retraites pour ce qui concerne, dans la fonction publique, la situation des femmes retraitées par rapport aux hommes. Le texte contient en effet des dispositions qui ont un impact sur la retraite des femmes fonctionnaires. Il s’agit d’une part de la fin du départ anticipé après quinze ans de services pour ceux – et surtout celles – qui ont eu trois enfants, d’autre part de l’introduction de nouvelles conditions pour bénéficier du minimum garanti : désormais, les fonctionnaires devront non seulement avoir atteint l’âge légal mais aussi, comme les salariés du secteur privé, avoir le nombre d’annuités total, ou bien attendre l’âge du taux plein, porté de 65 à 67 ans. Qu’en pensez-vous ?

Mme Elizabeth Labaye, secrétaire nationale de la Fédération syndicale unitaire (FSU). Nous croulons sous les appels de nos collègues mères de trois enfants et nous ne sommes pas les seuls : il en va de même dans les rectorats, les services des impôts, de la santé et d’autres administrations encore. Tous sont submergés d’appels de femmes qui se demandent si elles doivent partir en sacrifiant la fin de leur carrière sans l’avoir choisi, ou rester et se trouver alors dans une situation dramatique. Nous n’avons jamais connu une telle indignation.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Pourquoi « dramatique » ?

Mme Elizabeth Labaye. En quelques jours, sans avoir le temps de réfléchir, ces femmes doivent prendre une décision très lourde de conséquences : pour bénéficier d’une pension déterminée selon les anciennes modalités, celles en vigueur jusqu’à la date du dépôt du projet de loi, elles doivent déposer leur dossier de demande de mise à la retraite avant le 13 juillet ! Nous sommes extrêmement choqués. Les réformes précédentes avaient déjà ciblé les femmes – la loi Fillon en particulier, qui a supprimé la bonification pour enfants nés à partir de 2004, une bonification dont nous continuons d’exiger le rétablissement. En effet, on parle beaucoup d’« équité » entre fonction publique et secteur privé, mais on oublie de dire que la majoration de durée d’assurance supprimée dans la fonction publique a été maintenue, la première année, dans le secteur privé !

De plus, de manière générale, malgré les bonifications, la pension des femmes est inférieure à celle des hommes. Dans la fonction publique, elle s’établit à 77 % de celle des hommes. C’est mieux que dans le secteur privé car femmes et hommes ont passé les mêmes concours, mais si les traitements de départ sont identiques, les discriminations apparaissent ensuite, si bien que les carrières des femmes sont moins bonnes que celles des hommes. Ce matin même, au cours d’une réunion sur la régime additionnel de la fonction publique il a été indiqué que dans la fonction publique d’Etat, les hommes ont 22 % de points de plus que les femmes. On sait très bien pourquoi : meilleures carrières, plus d’heures supplémentaire, davantage d’indemnités diverses… La FSU juge ces graves inégalités scandaleuses, et les femmes tout autant.

Le dispositif contenu dans l’avant-projet est profondément injuste. Alors qu’il y a tant d’inégalités et de richesses dans notre pays, le Gouvernement, qui se glorifie de la natalité française, donc de tous ces enfants que portent les femmes, ne trouve rien de mieux à faire que de supprimer un droit dont bénéficient chaque année 15 000 femmes dont le plus grand nombre a eu un petit salaire, une petite carrière, et dont la pension sera affectée par une décote. Cette politique est indigne. Le Gouvernement n’aime pas les femmes ! La loi Balladur n’était pas une bonne loi, mais au moins prévoyait-elle un dispositif progressif, prévu pour s’étaler sur une vingtaine d’années. Cette fois, rien de ce genre. Nous comptons sur les députés pour réagir ? Il existe d’autres inégalités à corriger avant de s’en prendre – au nom de l’équité ! – à ces femmes.

Certains paieront très cher cette mesure inique et brutale, qui est, de plus, incohérente, puisque l’on nous répète à l’envi qu’il faudra travailler plus longtemps : en effet, cela va avoir pour résultat une marée de départs précipités à la retraite pour éviter le durcissement des règles qui a été annoncé. A l’Education nationale, le 1er janvier prochain, des milliers d’enseignantes et de chefs d’établissement manqueront à l’appel, et des milliers d’autres dans d’autres ministères ; comment M. Chatel et ses collègues les remplaceront-ils ? On comprend qu’ils supprimeront ces postes, mais alors, qui assurera le service public ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Avez-vous fait savoir votre indignation à MM. Georges Tron et Luc Chatel ?

Mme Elizabeth Labaye. M. Luc Chatel ne nous a jamais reçus pour traiter de ce sujet mais nous avons saisi ses prédécesseurs. Nous avons aussi évoqué cette question avec le directeur de cabinet de M. Eric Woerth, qui avait avancé des propositions dont l’une consistait à relever progressivement l’âge de départ à la retraite. Dans l’optique du Gouvernement, on peut considérer que les fonctionnaires mères de trois enfants âgées d’une quarantaine d’années peuvent encore envisager un cumul emploi-retraite, mais il paraissait censé de ménager au moins les femmes déjà cinquantenaires. Nous en avions précédemment parlé avec un membre du cabinet de M. Xavier Bertrand, alors ministre du travail, et je me rappelle avec précision l’avoir entendu nous dire que si des mesures de ce type étaient prises, elles seraient très progressives ! Nous nous attendions à ce que des discussions permettent de prendre en compte les dernières années de carrière des femmes. Au lieu de quoi, on leur lance un ultimatum, et on leur donne huit jours pour se déterminer ! Cette manière de procéder est inconcevable.

Mme Pascale Crozon. Toutes les organisations syndicales alertent les femmes.

Mme Elizabeth Labaye. Pour notre part, nous avons diffusé cette information par tous les canaux possibles, et la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. Les rectorats commencent à envoyer des courriels à ce sujet, indiquant une liste de numéros de téléphone permettant que les collègues concernées puissent se renseigner. En tant que femmes, en tant que citoyens, il faut réagir. Une retraite, c’est un projet de vie ; il ne se prépare pas en étant contraint de déposer un dossier avant le 13 juillet pour être sans doute rayé des cadres le 31 décembre prochain !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. J’ai moi-même sonné l’alerte, sans succès à ce jour.

M. Didier Horus, secrétaire national de la Fédération syndicale unitaire (FSU) et représentant au Conseil d’orientation des retraites (COR) sur la réforme des retraites. La question est d’autant plus compliquée que l’on demande à ces femmes de prendre une décision grave, de manière précipitée, sans même savoir à la lecture de l’avant-projet de loi, à quelle date elles peuvent demander leur mise à la retraite ! Personne ne le sait, car le texte est suffisamment flou, avec effet le 31 décembre 2010 ou le 13 janvier 2011 ou le 30 juin 2011… Or, chaque date a un impact différent sur le fonctionnement des établissements.

Cela laisse augurer de multiples contentieux, qui coûteront très cher à l’Etat. On peut aussi s’interroger sur la compatibilité avec le droit communautaire d’une mesure prise dans de telles conditions.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La rédaction de l’avant-projet vous semble donc floue.

M. Didier Horus. Nous ne sommes pas les seuls à la trouver floue ! On impose à ces femmes un choix qui implique de renoncer à un métier, à une possibilité de promotion, à un traitement de fonctionnaire en activité, sans qu’elles puissent déterminer le montant de leur pension, ni même qu’elles sachent à quelle date demander cette mise à la retraite.

Mme Elizabeth Labaye. Le bruit court que ce serait au 31 décembre 2010 ; or les dossiers de mise à la retraite anticipée doivent être déposés le 13 juillet au plus tard, et un décret prévoit pourtant que six mois sont nécessaires entre la date de dépôt d’un tel dossier et celle du départ effectif. De plus, à l’Éducation nationale, pour éviter que les enfants ne changent d’enseignants en cours d’année, ces départs à la retraite se font le plus souvent le 30 juin mais on semble vouloir leur imposer de partir le 31 décembre. Cela ne s’est jamais vu.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il me paraît nécessaire d’évoquer la question sinon avec le ministre.

M. Didier Horus. Il serait bon de rappeler que 20 % des enseignantes ont trois enfants.

Mme Danielle Bousquet. Un départ à la retraite après quinze années de service, même en tenant compte des bonifications pour enfants, entraîne une très faible pension, n’est-ce pas ?

Mme Elizabeth Labaye. Très peu de mères de trois enfants usent de leur droit à une retraite anticipée après quinze ans de service seulement. Elles le font plus tard. A titre personnel, j’ai 56 ans et trois enfants, mais je n’ai pas envie de partir maintenant car j’ai encore des projets à mener à bien avec les lycéens. Mais, ce texte signifie que j’aurai, à terme, une pension avec une petite décote. Pour beaucoup, c’est un crève-cœur de devoir partir maintenant, mais rester signifie pour elles un départ en retraite à 62 ans au minimum.

Mme Danielle Bousquet. De ce que rapportait la presse j’avais conclu que le dispositif se mettrait en place en six mois et que les femmes concernées disposeraient de ce délai pour se déterminer. Qui a imposé ce changement de règle ?

Mme Elizabeth Labaye. Avec une brutalité qui nous a surpris, le ministre a arrêté la date du 13 juillet, celle de la présentation du texte en conseil des ministres – avant même, donc, que la disposition ne soit votée et la loi adoptée.

Mme Danielle Bousquet. Si le Parlement adopte cette mesure…

Mme Elizabeth Labaye. Les députés doivent entendre que les mères, quel que soit leur bord politique, prennent très mal cette disposition.

Mme Danielle Bousquet. Je m’interroge : une loi peut-elle véritablement être ainsi modifiée par anticipation ?

M. Didier Horus. Le cas s’est déjà produit en 2003 : alors que la loi n’a été votée que le 21 août, c’est la date de présentation du projet au conseil des ministres, le 28 mai, qui a été retenue comme date butoir pour bénéficier des anciennes modalités de la bonification - et cette date a été validée par le Conseil constitutionnel. La loi peut avoir un effet rétroactif. Mais la question n’est pas juridique, elle est politique.

Mme Danielle Bousquet. Ne peut-on concevoir que le Conseil supérieur de la fonction publique rende un avis appelant à amender cet article ?

M. Didier Horus. J’ignore la position de FO et de la CGC à ce sujet, mais les autres organisations syndicales ne sont pas dans l’esprit de proposer des amendements à un texte qu’elles estiment inamendable. Mais, en l’état, aucun service des pensions d’un ministère n’est capable de traiter cette disposition.

Mme Elizabeth Labaye. Sur le fond, la mesure est scandaleuse ; dans la forme, elle est d’une grande brutalité ; il n’y aura pas suffisamment d’agents pour traiter correctement ces dossiers, ce qui laisse entrevoir de sérieux risques d’erreurs graves. Enfin, on devra gérer une fonction publique vidée de ce personnel, sans qu’il soit prévu de le remplacer, après avoir mis à la retraite par ce biais des femmes qui ne le souhaitaient pas toutes, au moment où on les enjoint de travailler plus longtemps.

Mme Danielle Bousquet. Ce qui est l’objectif de fond.

M. Didier Horus. C’est en effet une mesure d’un cynisme absolu. Plus généralement, depuis la réforme de 2003, on ne vise pas l’accroissement de la participation des femmes au marché du travail.

Mme Elizabeth Labaye. En effet, car la bonification a été remplacée par la validation du congé parental dans la durée d’assurance, ce qui n’est pas même chose : on valorise davantage les femmes qui se sont arrêtées de travailler pour élever leurs enfants que celles qui ont continué de travailler.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il est bon d’avoir au moins obtenu cela !

M. Didier Horus. Dans ses projections, le COR considère que le taux de participation des femmes à l’emploi total est le même jusqu’en 2050 ; il est bien d’avoir des objectifs ambitieux en termes d’emploi des seniors, mais si on ne fixe pas le même objectif pour les femmes et pour les hommes, on se trouve face à un problème de société. Nous considérons qu’une partie du problème de financement des retraites se traite par la masse salariale ; cela signifie que l’emploi des femmes est un élément déterminant. Dans ce contexte, il est singulier de prendre des mesures qui poussent les femmes à se retirer de la vie professionnelle – outre que ces mesures ne sont pas favorables à leurs droits.

La FSU n’a eu de cesse de souligner que la réforme de 2003 a particulièrement pénalisé les femmes, comme toute réforme jouant sur l’allongement de la durée d’assurance pénalise les carrières interrompues ou accidentées. Dans la fonction publique, la décote concerne essentiellement les femmes – par exemple, 30 % des enseignants du premier degré, dont 85 % sont des femmes. Outre cela, le taux de liquidation des pensions des femmes de la fonction publique diminue beaucoup plus vite depuis la réforme de 2003. Or l’effet maximal de la décote prévu par cette réforme ne sera atteint qu’en 2020. Cela signifie que les femmes fonctionnaires prendront de plein fouet les conséquences de deux réformes : celle de 2003 et celle qu’annonce l’avant-projet. Je ne connais pas un seul autre pays européen dans lequel la régression soit telle.

Il y a autre chose : le minimum garanti. Dans la fonction publique territoriale, une femme sur deux partant à la retraite est concernée, et seulement un homme sur trois.

Nous contestons l’exposé des motifs de l’avant-projet. Comment prétendre comparer le minimum garanti – conçu pour assurer un minimum de pension aux personnels de la fonction publique qui ont une carrière courte – et le minimum contributif spécifique au régime général, prévu pour relever les pensions de gens qui ont eu une carrière complète mais de faibles revenus ? En partant du principe qu’il faut harmoniser les règles, on en vient à traiter de manière identique des situations qui n’ont rien de commun. Ce faisant, on crée forcément des inégalités, plutôt au détriment des femmes – alors même que la réforme de 2003, nous l’avons dit, n’a pas atteint ses pleins effets.

Mme Elizabeth Labaye. La réforme creuse les inégalités entre hommes et femmes, entre les métiers… Même avec le minimum contributif, on arrive à moins de 1 000 euros mensuels. Les choix qui sont faits sont honteux. Pour bénéficier du minimum garanti, il faudra avoir toutes ses annuités, alors que le dispositif a précisément été conçu pour ceux et celles qui ne pourront jamais les avoir ! Dire que le minimum garanti est désormais subordonné à une carrière complète, c’est dire que celles et ceux pour qui il a été conçu ne l’auront jamais. Or, dans la fonction publique territoriale, 50 % de la catégorie C part dans ces conditions ! On parle de femmes qui auront eu de petits salaires toute leur vie. Comment ne pas comprendre que l’on ne peut pas proposer une réforme des retraites à ce point inique ? Il faut faire pression pour obtenir que ces dispositions soient modifiées.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous ai entendus. Je vous remercie.

Audition de Mme Brigitte Grésy, membre de l’IGAS, auteur du rapport préparatoire
à la concertation avec les partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle
entre les femmes et les hommes

Réunion du 29 juin 2010

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Madame, nous vous remercions d’avoir répondu à l’invitation que vous a faite la Délégation dans le cadre de ses travaux sur la réforme des retraites. Dans l’avant-projet qui a été soumis à la concertation avec les partenaires sociaux figure en effet un article visant à sanctionner les entreprises qui n’élaboreraient pas le rapport de situation comparée. Cette disposition, quelque peu surprenante dans ce projet, vise à remédier aux inégalités dans la vie professionnelle qui affectent ensuite les pensions de retraite des femmes. Mais, applicable au 1er janvier 2012, elle ne vise que les entreprises de plus de 300 salariés - qui sont tenues d’élaborer ce rapport - et ne sanctionne que le défaut d’élaboration du rapport, sans que l’existence ou l’absence de mesures visant à réduire les inégalités professionnelles ne soit véritablement prise en compte.

Vous êtes l’auteur du rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, rapport que vous avez rédigé à la demande du ministre du travail. Quel dispositif aviez vous préconisé pour mettre un terme aux inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes ?

Mme Brigitte Grésy, membre de l’IGAS, auteur du rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. En décembre 2009, le ministre du travail a invité les partenaires sociaux à négocier sur quatre sujets : le temps partiel, notamment le temps partiel familial ; un entretien de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale ; les conditions de la négociation collective ;et la place des femmes dans les institutions représentatives du personnel. Il leur était demandé de réagir avant la fin avril 2010 et le ministre avait annoncé que, faute d’accord, il présenterait un projet de loi sur l’égalité professionnelle au second semestre 2010. Apparemment, le ministre n’a pas reçu des partenaires sociaux une réponse conjointe sur ces quatre points. Mais la séquence prévue par le droit du travail – invitation à la négociation en vue d’un accord, projet de loi uniquement si l’accord ne s’est pas fait – a été respectée.

Apparaît maintenant dans l’avant-projet de loi portant réforme de retraites un article 13 tendant à sanctionner les entreprises qui n’élaboreraient pas le rapport de situation comparée. La question se pose de savoir si cet article tiendra lieu de loi sur l’égalité professionnelle ou si un projet en ce sens sera présenté ultérieurement. Cet article semble dicté par l’impératif juridique fixé par la loi du 23 mars 2006, selon lequel les entreprises doivent avoir annulé l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes avant le 31 décembre 2010, sous peine d’une sanction financière qui serait fixée par la loi. Nous sommes donc arrêté en quelque sorte au milieu du gué.

Les conditions de l’égalité professionnelle effective, telles que je les ai exposées dans mon rapport, supposent trois piliers que je définirai dans un instant. Si ces piliers ne fondent pas, ensemble, la démarche, on passe à côté des trois conclusions importantes du rapport, que je rappelle : en équivalent temps plein, l’emploi des femmes ne progresse plus ; il existe une bipolarisation croissante, très dangereuse, des emplois féminins, entre des emplois peu qualifiés et des emplois qualifiés, avec une précarité grandissante de l’emploi des femmes ; la parentalité est toujours très bancale.

Les trois piliers de l’égalité professionnelle effective sont la simplification et le cadrage de la négociation collective sur l’égalité professionnelle ; la correction de la précarité du travail des femmes induite notamment par le temps partiel ; le renforcement de la place des femmes dans les conseils d’administration des entreprises et dans les institutions représentatives du personnel.

A ce jour, la question de la place des femmes dans les conseils d’administration a été traitée par la proposition de loi de M.Jean-françois Copé et de vous-même, Madame la Présidente mais celle de leur place au sein des institutions représentatives du personnel est laissée de côté. La précarité n’est pas traitée pour l’instant et la négociation collective le serait par cet article 13 de l’avant-projet de loi portant réforme des retraites.

Les services de l’Etat et les chercheurs étaient tous d’accord pour recommander en premier lieu de simplifier le code du travail en fusionnant les deux mécanismes de négociation sur l’égalité professionnelle que sont le dispositif spécifique prévu par la loi Génisson de 2001 d’une part, et d’autre part la négociation relative à l’égalité salariale qui dit prendre place dans la négociation annuelle obligatoire prévue par la loi de mars 2006. Outre que ces deux négociations se font à des rythmes différents, le contrôle de leur application est très difficile en l’état : pour l’une, il est fait ex post à la fois par la DARES et les directions du travail. Comme on ne sait jamais clairement s’il s’agit de la négociation spécifique sur l’égalité ou de l’égalité salariale, le contrôle et l’évaluation sont délicats et il devient impossible de sanctionner. La première chose à faire devrait donc être de simplifier le code du travail, en prévoyant une seule négociation obligatoire sur l’égalité professionnelle réintégrant l’égalité salariale.

Encore faut-il, dans le même temps, travailler sur les leviers d’action, en s’inspirant du décret concernant l’emploi des seniors. A ce jour, en matière d’emploi, il existe trois manières de sanctionner : pour ce qui concerne l’emploi des handicapés, soit il y a versement d’une amende, soit on embauche ; pour ce qui est des seniors, on paye, sauf si l’on démontre qu’on emploie des seniors ; pour ce qui est de l’égalité professionnelle, on fait ce que l’on doit, et si on ne le fait pas, on est sanctionné.

Or, quelle est la réalité ? Sur 1089 accords de branche signés en 2008, à peine 5 % ont intégré l’égalité professionnelle, et seules 7,5 % des entreprises aptes à négocier – celles qui ont déclaré un délégué syndical – ont signé un accord d’égalité professionnelle. Si l’on se réfère aux sanctions prévues dans la loi de mars 2006, on lit que s’il n’y a pas d’accord sur l’égalité professionnelle dans un accord de branche, la direction générale du travail refuse d’étendre cet accord. Or, pas un seul refus d’extension d’un accord de branche n’a été prononcé depuis mars 2006.

D’autre part, la campagne de contrôle lancée en août 2008 prévoyait que les inspecteurs du travail devaient contrôler mille entreprises ; un an plus tard, ils n’en avaient contrôlé que 415, soit moins de la moitié. Quand les contrôles portent sur la sécurité qui est un contrôle plus facile, les objectifs sont réalisés à 200 %, et parfois à 300 %. En d’autres termes, la loi de mars 2006 n’a pas pris corps, ni sur le plan quantitatif comme on l’a vu, ni sur le fond. En effet, la plupart des accords de branche se limitent à renvoyer à ce sujet aux accords d’entreprise, dont la teneur, sauf dans les très grandes entreprises, est bien souvent : « Nous ferons nos meilleurs efforts pour »…

Aussi faut-il travailler sur des leviers d’action, qui devront être assortis d’objectifs chiffrés de progression et d’indicateurs de suivi. Il convient en même temps de préciser la teneur du rapport de situation comparée, le RSC. Il a actuellement un statut hybride – à la fois outil de diagnostic, de comptage et de plan. Il doit être défini comme un outil de diagnostic des écarts salariaux et d’indicateur d’objectifs chiffrés. La fonction « plan » devrait en être dissociée.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il a déjà été simplifié pour les petites entreprises.

Mme Brigitte Grésy. C’est vrai, mais on continue de ne pas appréhender sa nature exacte. Pour l’instant, c’est trop souvent un immense fourre-tout qu’une accumulation de chiffres rend incompréhensible. Il faut donner une vocation précise : le suivi de l’accord pour les années N, N+1 et N+2.

Je considère qu’il faut définir des leviers d’action. J’en avais déterminé une dizaine, étant entendu qu’il faudra évidemment faire une différence entre les PME et les grosses entreprises, celles-ci pouvant mobiliser de plus nombreux leviers que celles-là. Ces leviers, définis par décret, devraient obligatoirement figurer dans l’accord sur l’égalité ou, à défaut, dans le plan unilatéral proposé par l’employeur si aucun accord n’est intervenu ou en l’absence de délégué syndical. Nous avons retenu quatre leviers de mixité, purement quantitatifs : l’embauche de femmes, leur accès à la formation qualifiante, leur accès aux promotions et leur accès aux postes de direction ; un levier relatif au temps partiel et des leviers liés à la parentalité : l’offre de services aux familles et la gestion du temps, mais aussi le travail sur les process de ressources humaines. En effet, l’évaluation des compétences des femmes, censée être neutre, se fait en réalité sous le prisme de critères masculins, puisqu’elle est fondée sur la présence permanente, sur une carrière linéaire, sur la détection des hauts potentiels entre 25 et 35 ans alors que c’est l’âge où les femmes font les enfants et sur les rôles modèles dans l’entreprise, où l’on organise l’invisibilité des femmes aux postes de direction… Il faut donc revoir l’évaluation des performances et des compétences en tenant compte de ce que l’effectif salarié est mixte et que la présence au travail des hommes et des femmes n’est pas la même parce que leurs rôles sociaux ne sont pas les mêmes. Enfin, les autres domaines où les choses doivent changer sont les rémunérations, la politique de communication et la différence de valorisation des métiers majoritairement féminins et majoritairement masculins.

Leviers, objectifs chiffrés et indicateurs de suivi sont indispensables, car il n’est pas de politique d’égalité efficace sans convaincre et sans contraindre, et pour contraindre il faut des chiffres, qui seuls font preuve. L’analyse des politiques d’égalité professionnelle suivies en Europe montre que leur succès dépend de quatre conditions : la prise en compte de cette politique au plus haut de l’organisation ; le comptage par des objectifs chiffrés et des indicateurs ; l’évaluation périodique et systématique de ces objectifs et de ces indicateurs ; en cas de manquement, la sanction de la personne responsable de l’inapplication de cette politique, et de l’organisation elle-même si ce n’est pas fait. Autant dire que la définition dans les accords de leviers de changement assortis d’objectifs chiffrés a une importance cruciale.

L’article 13 (IV) se lit ainsi : « Dans les entreprises de plus de 300 salariés, l’employeur organise, après consultation du comité d’entreprise, la publicité d’indicateurs et d’objectifs de progression, fixés par décret, permettant d’analyser la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise et son évolution. L’employeur qui, au plus tard le 31 décembre 2011, n’a pas respecté les dispositions du précédent alinéa, communique à toute personne qui en fait la demande les indicateurs et objectifs mentionnés à l’alinéa précédent. »

Sont fixés ici l’embryon de la définition de leviers et une obligation de publicité, mais sans sanction.

Outre la simplification du code du travail et la définition de leviers d’action, j’avais proposé deux types de sanction : la conditionnalité des allègements de charge, système un peu compliqué, ou une sanction de 1 % de la masse salariale.

Le I de l’article 13, fait porter la sanction sur le défaut d’élaboration du RSC. L’écart avec ma proposition tient à ce que j’avais proposé une sanction en deux temps : une sanction en cas de défaut de production du RSC la première année après la promulgation de la loi ; une autre l’année suivante en cas de non négociation d’un accord ou en l’absence de plan unilatéral fourni par l’employeur portant sur des mesures relevant des dix leviers de l’égalité et assortis d’objectifs chiffrés et d’indicateurs, en fonction de la taille de l’entreprise.

Par ailleurs, l’article 13 n’est applicable qu’aux entreprises de plus de 300 salariés. Jusqu’à présent, les exigences concernant les entreprises employant de 50 à 300 salariés sont moindres, mais elles sont néanmoins tenues de présenter un rapport sur l’égalité professionnelle. On peut donc craindre qu’elles ne s’exonèrent de cette obligation, qui doit être rappelée.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Toutes les dispositions prévues dans l’article sont manifestement faites a minima.

Mme Brigitte Grésy. La simplification du code du travail quant à la négociation relative à l’égalité professionnelle avait fait l’unanimité. Elle permettrait l’exercice d’un contrôle véritable – à condition, bien sûr, que des leviers aient été définis. Actuellement, faute de disposer d’éléments chiffrés, un inspecteur du travail doit s’investir considérablement pour parvenir à démontrer qu’une salariée a été victime d’une discrimination sexiste. Si des leviers d’action sont fixés par décret et assortis d’objectifs chiffrés, le contrôleur pourra déterminer en un coup d’œil, comme pour les seniors, sans juger du fond, si un accord existe bien et si les objectifs fixés ont ou n’ont pas été remplis les années N, N+1 et N+2. Que l’on sanctionne dix entreprises et que l’on donne une forte publicité médiatique à ces sanctions, et les résultats seront là.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. De fait, dans un autre domaine, la progression du nombre de femmes au sein des conseils d’administration, en six mois, a été spectaculaire !

Mme Catherine Coutelle. A-t-on intérêt à enrichir cet article ? On s’exonère ainsi de l’obligation prévue par la loi de mars 2006, qui était de parvenir à l’égalité salariale fin 2010 ! Ne faut-il pas plutôt demander la suppression de ce cavalier introduit dans le projet de réforme des retraites ? Qu’adviendra-t-il de la conférence tripartite de bilan annoncée par M. Xavier Bertrand et dont la tenue a été confirmée par le Président de la République ?

Mme Brigitte Grésy. Je ne puis évidemment me prononcer sur la procédure parlementaire qui vous semble la meilleure, mais si l’article vient à être voté, mieux vaudrait qu’il ait été enrichi par des amendements.

Mme Pascale Crozon. Des amendements seront de toute façon nécessaires, car il faut aussi déterminer où aboutira le produit des sanctions, afin qu’ils ne servent pas à combler le déficit de la sécurité sociale.

Mme Brigitte Grésy. J’avais proposé que ce produit soit versé à un fonds spécifique de solidarité pour la formation des partenaires sociaux à l’égalité.

Mme Catherine Coutelle. Pensez-vous qu’il y a assez d’inspecteurs du travail pour procéder aux contrôles ?

Mme Brigitte Grésy. Il n’y aura jamais un inspecteur dans chaque entreprise, mais je crois à l’exemplarité. La menace de la sanction suffira si l’on fait des exemples, comme l’a montré l’interdiction du tabac dans les lieux affectés à un usage collectif.

Mme Pascale Crozon. En réalité il n’y a pas de pilote dans l’avion. On nous parle d’un projet, mais nul ne sait qui en a la charge.

Mme Brigitte Grésy. L’égalité professionnelle fait partie des attributions de M. Eric Woerth. C’est son cabinet qui a préparé cet article avec la direction du travail, aidé par le service des droits des femmes et de l’égalité, qui réunira le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle la semaine prochaine.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je souhaitais que le projet de réforme des retraites contienne une partie spécifiquement relative aux femmes. Je m’en suis ouverte, à l’époque, à M. Darcos ; mais, comme son successeur, il considérait que la question de la retraite des femmes avait été réglée par la réforme des majorations de durée d’assurance.

Mme Brigitte Grésy. Une idée communément admise veut que l’on réglera le problème de la retraite des femmes en renforçant l’égalité professionnelle. Or, les projections du COR montrent, en 2040 encore, une différence de niveau irréductible de 30 % entre les pensions des femmes et celles des hommes.

En matière de retraite, certains pays de l’Union, tels l’Italie ou la Grande-Bretagne, continuent de traiter différemment les hommes et les femmes. Si, en réformant, on ne veut pas faire cette distinction en France par crainte de la jurisprudence communautaire – mais, à mon sens, il convenait d’en faire établir une nouvelle – pourquoi ne pas prévoir un traitement spécifique pour les hommes et, en grande majorité, les femmes, éligibles au minimum contributif ? Ce sont de petites pensions, et beaucoup attendent d’avoir 65 ans avant de prendre leur retraite pour avoir une pension à taux plein. On pourrait, pour eux, maintenir à 65 ans l’âge de la retraite à taux plein ; rien n’oblige à lier le report de l’âge de la retraite et le recul de l’âge de la retraite à taux plein.

Quant au minimum contributif majoré, instauré par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 uniquement pour les carrières longues, c’est un dispositif extrêmement défavorable aux femmes, qui ont pour beaucoup une carrière discontinue. Cette mesure n’a pas fait l’objet d’une étude d’impact.

Mais le problème de fond que pose aux femmes le projet de réforme, c’est le recul de l’âge de la retraite à taux plein à 67 ans. Il faut reconnaître que, les enfants étant un bien social, la solidarité doit jouer pour les femmes qui les portent et les élèvent.

Mme Pascale Crozon. D’autant que le Gouvernement se félicite des bienfaits de sa politique sur le taux de natalité et le taux d’activité des femmes en France… Quelle politique à courte vue !

Mme Brigitte Grésy. Comme les femmes travailleront difficilement jusqu’à 67 ans, leur pension subira une décote considérable. Le moyen de remédier à cette situation pourrait être de maintenir à 65 ans l’âge de la retraite à taux plein pour toutes celles et tous ceux qui sont éligibles au minimum contributif.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Madame, je vous remercie.

ANNEXE 2 : PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR

Mmes Olga TROSTIANSKY, Corinne HIRSCH, Cécile DAUMAS du Laboratoire de l’égalité

1 () Rapport d’information n° 892, juin 2003, Claude Greff, Réforme des retraites ; Rapport d’information n°1028, juillet 2008, Claude Greff, Les femmes et leur retraite ; Rapport d’information n°1985, octobre 2009, Marie-Jo Zimmermann, Les retraites des mères de famille.

2 () Audition du 11 mai 2010.

3 () Etudes et résultats, les retraités et les retraites en 2008, avril 2010.

4 () Les retraités de droit direct du régime général sont composés de 51 % de femmes et de 49 % d’hommes.

5 () Montant du minimum contributif non majoré au 1 avril 2010 : 595,64 euros mensuels.

6 () Rapport du COR, Retraites : droits familiaux et conjugaux, 2008, p.116 et suivantes.

7 () Drees, Etudes et résultats, Les durées d’assurance validées par les actifs pour leur retraite, n° 692, mai 2009.

8 () DREES, échantillon interégimes de cotisants 2003.

9 () Françoise Milewski, OFCE, Une crise peut en cacher une autre, 2 mars 2010.

10 () Rapport du COR précité, p 90.

11 () Audition du mardi 6 octobre 2009.

12 () Loi de financement de la sécurité sociale pour 2010. Objectif n° 1 : assurer un niveau de vie adapté aux retraités ; indicateur 1-4 : réduction des écarts de pension entre hommes et femmes.

13 () Audition du mardi 29 juin.

14 () Article 5, III, de la loi n° 2006-340 du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.

15 () Rapport d’information n° 224. mai 2005.

16 () Brigitte Grésy, Rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, juillet 2009.

17 () Annie Dusselier, Laurence Sotelie, Les accords d’égalité professionnelle de branches et d’entreprises, analyse comparative sur la période 2005-2008, étude réalisée pour l’ANACT par le cabinet Sotelie, septembre 2008.

18 () Audition du 22 juin 2010.

19 () Départs anticipés des parents de trois enfants et plus dans la fonction publique. Secrétariat général du COR, Séance plénière du 24 septembre 2008.

20 () Il est rappelé que pour valider un trimestre dans le régime général et les régimes alignés, il faut que des retenues au titre des cotisations vieillesse aient été appliquées sur une rémunération égale à 200 heures de SMIC.

21 () CNAV, 12 pistes d’action pour consolider et pérenniser les retraites du privé, 20 novembre 2007.

22 () Isabelle Bridenne et Cécile Brossard, Les effets de la réforme de 1993 sur les pensions versées par le régime général, Retraites et société, juin 2008.

23 () DARES, Premières synthèses, septembre 2007, n°39-3.

24 () Rapport précité, p.76.

25 () Rapport d’information n° 1924, novembre 2004.

26 () Dans le régime de la fonction publique et dans de nombreux régimes spéciaux, la durée d’assurance est calculée sur la base de l’activité réelle.

27 () Rapport d’information n° 1924, novembre 2004.

28 () Rapport d’information n° 1028, juillet 2008.

29 () Rapport n° 314, 2006-2007

30 () Rapport d’information n° 1028. Juillet 2008.

31 () Audition du 11 mai 2010.

32 () Rapport n °1028, juillet 200, et proposition de loi n ° 1074 de Mme Claude Greff.


© Assemblée nationale