N° 3142
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 février 2011
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
sur les modes de financement et de gouvernance des associations de protection de la nature et de l’environnement
PAR
Mme GENEVIÈVE GAILLARD, Députée |
M. JEAN-MARIE SERMIER, Député |
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SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 5
PREMIÈRE PARTIE : UN SECTEUR ASSOCIATIF COMPLEXE ET EN EXPANSION 11
I.— LES ORGANISATIONS DE PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT 12
A.— LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT DANS LE MONDE ASSOCIATIF 13
1. Un secteur en plein renouveau 13
2. Des sources de financement diversifiées 15
3. Des objectifs et des stratégies parfois opposés 16
B.— UNE DIVERSITÉ QUI EXCLUT DES RÈGLES UNIFORMES 18
1. L’enjeu de la vie associative locale 18
2. Le cas particulier des sociétés savantes 19
3. Les associations affiliées à une fédération 20
4. Les groupements associant des collectivités publiques 22
5. Les fondations, associations sans adhérent 24
II.— DES MÉCANISMES DE CONTRÔLE À AMÉLIORER 26
A.— LE REGARD PERFECTIBLE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE 26
1. La loi de 1901 : un cadre volontaire, celui de la liberté 27
2. Des contrôles multiples forcément lacunaires 28
3. La reconnaissance d’utilité publique : une procédure lourde et contraignante 32
4. L’agrément environnemental : un label aux yeux du public 33
B.— DES CITOYENS PAS TOUJOURS BIEN INFORMÉS 35
1. Une implication limitée des adhérents et des donateurs 35
2. Une communication insuffisamment accessible au grand public 37
SECONDE PARTIE : POUR UNE TRANSPARENCE ACCRUE 39
I.— GOUVERNANCE ET FINANCEMENT : DEUX VOLETS À AMÉLIORER 40
A.— UNE GOUVERNANCE MIEUX IDENTIFIÉE 40
1. Faire vivre la démocratie dans les associations 41
2. Renforcer le rôle prépondérant des élus 42
3. Contextualiser l’action des fondations 43
4. Prévenir un comportement d’entreprise 45
B.— UN SUIVI RENFORCÉ DES SOMMES MANIÉES 46
1. Tracer exactement les financements 47
2. Agréger les documents comptables des fédérations 48
3. Diminuer les sommes consacrées au fonctionnement 49
II.— POUR UNE PARTICIPATION VALORISÉE DANS LE DÉBAT 50
A.— UN SUIVI COLLECTIF DE L’ACTION DES ASSOCIATIONS 51
1. Évaluer : des observateurs qui valorisent la transparence 52
2. Labelliser : des contrôles qui garantissent une gestion rigoureuse 54
3. Surveiller : des représentants de l’État actifs 56
B.— UNE PARTICIPATION ÉQUILIBRÉE À LA DÉCISION PUBLIQUE 58
1. La refonte de l’agrément pour des acteurs plus crédibles 58
2. Un nécessaire respect de la diversité dans l’attribution de la représentativité 60
LES RECOMMANDATIONS DE VOS RAPPORTEURS 65
EXAMEN DU RAPPORT PAR LA COMMISSION 67
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 85
MESDAMES, MESSIEURS,
La France confère une valeur fondamentale à la liberté d’association. La loi du 1er juillet 1901 a octroyé aux citoyens le droit de se rassembler autour d’une cause commune qu’ils souhaitent faire progresser ensemble. Œuvre majeure de la IIIe République, elle prend place au côté de la liberté de conscience affirmée par la loi de 1905, ou encore de la liberté d’enseignement, parmi les fondations républicaines auxquelles les Français sont particulièrement attachés.
Le Conseil constitutionnel a pris acte de son importance. La décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971 l’élève au rang de principe fondamental reconnu par les lois de la République, c’est-à-dire de droit constitutionnel protégé des atteintes qu’un législateur mal inspiré pourrait souhaiter lui porter.
La loi de 1901 a fait la preuve de sa qualité. Patinée par le temps, elle s’est remarquablement adaptée à l’évolution des mentalités pendant plus d’un siècle. Elle a accompagné, sans difficulté, l’extraordinaire développement de la vie associative. Cette flexibilité n’est pas sans poser question, car les activités des associations de 2011 n’étaient évidemment pas imaginées par la Chambre des députés et le Sénat du début du XXe siècle.
Au-delà de leur fonction de création de lien social, les associations investissent désormais les champs dont elles étaient autrefois exclues. Les pouvoirs publics leur confient la mise en œuvre de pans entiers des politiques publiques, quand leur délégation n’atteint pas les phases de conception. Lorsqu’elles prennent part à des procédures d’appel d’offres, ou lorsqu’elles investissent le secteur marchand au-delà du cercle restreint de leurs adhérents, elles entrent en concurrence avec des sociétés à but lucratif soumises à un droit extrêmement contraignant. Les entreprises s’inquiètent à bon droit d’une inégalité dans la compétition économique, car les droits et le coût de leurs salariés demeurent naturellement bien supérieurs à ceux du bénévole associatif.
La commission des affaires culturelles, familiales et sociales s’est intéressée à ces évolutions au cours de cette législature, il y a un peu plus de deux ans. Le 1er octobre 2008, notre collègue Pierre Morange présentait les conclusions de la mission d’information dont il assurait la présidence, dans un rapport sur « la gouvernance et le financement des structures associatives » (1) dont vos rapporteurs saluent aujourd’hui la qualité et la pertinence des recommandations.
L’Assemblée nationale est donc en possession d’un document récent et complet sur les difficultés que soulèvent les associations. Pourtant, à l’été 2010, le bureau de la commission du développement durable a résolu de confier à vos rapporteurs une mission d’information sur le financement et la gouvernance des associations de protection de la nature et de l’environnement. Cette décision pourrait, de prime abord, apparaître comme une redite. En vérité, loin de se substituer aux travaux de la commission des affaires sociales, et plus encore d’entrer en conflit avec ses préconisations, ce travail constitue un complément rendu nécessaire par l’actualité politique et par nos choix législatifs.
Le Président de la République et le Gouvernement ont souhaité, à leur arrivée au pouvoir en 2007, susciter un débat d’envergure sur l’avenir de la planète et sur le comportement humain au regard de notre environnement. Cette démarche a trouvé son aboutissement dans une méthode, celle du Grenelle de l’environnement, et dans deux textes de loi d’importance, successifs et éponymes. (2)
La méthode du Grenelle de l’environnement a consisté en un débat organisé en groupes de travail rassemblant chacun quarante membres répartis en cinq collèges. Chaque collège avait vocation à représenter un acteur du développement durable. L’État, les collectivités locales, les employeurs et les syndicats transcrivaient les traditionnels intérêts économiques et sociaux ; les organisations non gouvernementales formaient le cinquième collège, voué à exprimer les intérêts environnementaux. Ainsi des associations et des fondations de protection de la nature se trouvèrent-elles intégrées au processus décisionnel public, ou tout au moins aux travaux préparatoires à la décision. Si ce fonctionnement ne présentait pas un caractère absolument novateur – les conseils et comités saisis pour avis à tous les échelons de l’État comportent fréquemment en leur sein des représentants du monde associatif – la qualité des discussions et le sérieux des propositions formulées à l’issue des débats ont fait impression. Le consensus atteint a joué un rôle dans le vote quasi-unanime par le Parlement des dispositions de la loi Grenelle I, promulguée le 3 août 2009.
Fort du succès de l’approche en collèges, le Parlement a fait le choix de la généraliser à l’ensemble de la politique de développement durable. L’article 249 de la loi portant engagement national pour l’environnement, devenu l’article L. 141-3 du code de l’environnement, établit la liste des organisations non gouvernementales qui peuvent être sollicitées dans le cadre d’une consultation préalable à la prise de décision.
Peuvent être désignés pour prendre part au débat sur l'environnement qui se déroule dans le cadre des instances consultatives ayant vocation à examiner les politiques d'environnement et de développement durable, sans préjudice des dispositions spécifiques au Conseil économique, social et environnemental :
- les associations œuvrant exclusivement pour la protection de l'environnement ;
- les associations regroupant les usagers de la nature ou les associations et organismes chargés par le législateur d'une mission de service public de gestion des ressources piscicoles, faunistiques, floristiques et de protection des milieux naturels ;
- les associations œuvrant pour l'éducation à l'environnement ;
- les fondations reconnues d'utilité publique ayant pour objet principal la protection de l'environnement ou l'éducation à l'environnement.
Ces associations, organismes et fondations doivent respecter des critères définis par décret en Conseil d'État eu égard à leur représentativité dans leur ressort géographique et le ressort administratif de l'instance consultative considérée, à leur expérience, à leurs règles de gouvernance et de transparence financière. Les associations doivent être agréées au titre de l'article L. 141-1.
La liste des instances consultatives ayant vocation à examiner les politiques d'environnement et de développement durable est établie par décret.
La mission d’information instituée par le bureau de la commission du développement durable trouve ici la raison de son existence. Cette participation systématique à l’élaboration des politiques publiques constitue une problématique spécifique au domaine environnemental. Elle soulève nombre de questions sur lesquelles le Gouvernement apprécierait de connaître la position de l’Assemblée nationale, notamment dans la perspective de la publication prochaine des décrets prévus par l’article L. 141-3 du code de l’environnement.
En outre et au-delà du seul aspect normatif, les dernières années ont montré une grande réceptivité de l’opinion publique aux interrogations relatives à la protection de l’environnement. Portée par des œuvres audiovisuelles fortement médiatisées sur les dérèglements climatiques (3) et par des personnalités rendues familières par le petit écran(4), la mise en garde sur les conséquences désastreuses d’un mode de vie peu respectueux de l’environnement naturel a permis une véritable prise de conscience. Hier peu au fait des recommandations du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), les Français ont fait de la protection de la nature une priorité pérenne, alors que les inquiétudes et les recommandations demeuraient auparavant cantonnées aux milieux écologique et scientifique, ou ne persistaient guère dans la mémoire collective(5). Le ralliement des principaux candidats à l’élection présidentielle de 2007 au « pacte écologique » promu par Nicolas Hulot traduit la force politique nouvelle du discours de protection de l’environnement.
Cet impact majeur provoque de légitimes interrogations. Il appartient aux différentes organisations de protection de l’environnement de porter le discours qu’elles souhaitent. C’est le fondement même de la liberté d’association. Ces idées entrent dans le débat pour y être discutées et évaluées à l’aune des conséquences qu’elles induisent. Tel est le libre jeu de la démocratie. Pour être appréhendé en connaissance de cause par les citoyens, le propos doit être entendu dans son contexte. Or comment s’assurer que les ONG environnementales portent un projet dénué de faux-semblant et à but non lucratif, si le processus de construction du discours demeure inconnu du grand public ? Comment vérifier qu’une parole douée d’une influence certaine sur l’opinion publique et, partant, sur la position officielle de la France, ne bénéficie pas indûment du label « protection de l’environnement » alors même qu’elle émane d’acteurs économiques, de puissances étrangères, d’intérêts moins avouables ?
Ces deux objectifs – préparation du cadre normatif découlant du Grenelle II et identification du discours associatif – auxquels il convient d’ajouter le respect absolu de la liberté associative, ont été au cœur des investigations menées par vos rapporteurs. La mission a procédé à plus de vingt auditions au cours de l’automne. Elle a reçu les principales ONG de protection de l’environnement, mais aussi des associations locales de taille modeste, des représentants de l’État et des observateurs extérieurs spécialisés dans le monde associatif. Elle est parvenue à dresser un panorama précis du « continent » environnemental du monde associatif, à cerner ses interrogations spécifiques et ses enjeux caractéristiques.
Ainsi, vos rapporteurs ne se sont penchés que marginalement sur les thèmes communs à l’ensemble des associations. Sans nier aucunement leur importance, ils ont considéré que des sujets tels que le statut du bénévole, le rôle des associations dans la vie sociale, ou encore le financement des permanents, ne relèvent pas de la mission qui leur a été confiée par la commission du développement durable, et que les réponses adéquates figurent déjà dans le rapport Morange de 2008. Les investigations ont plus volontiers porté sur les conditions de gouvernance et de financement dans la perspective d’une participation à la décision publique et au débat national.
Un mot s’est imposé, avec évidence, pour une légitimité parfaite de la parole associative : « transparence ». Transparence à l’égard des adhérents et des donateurs sur les objectifs et les choix politiques de l’association, transparence envers le grand public pour identifier ce qui justifie qu’une position soit privilégiée plutôt qu’une autre.
Bien sûr, vos rapporteurs sont conscients que la diversité extraordinaire du monde associatif français interdit de tracer une direction unique. Les différentes structures appellent des règles différentes, qui passent d’ailleurs pour beaucoup par une exemplarité du comportement plutôt que par une énième intervention législative – devant laquelle le Conseil constitutionnel serait d’ailleurs, et à raison, particulièrement sourcilleux.
Il reste que le secteur environnemental, dont l’influence politique n’est plus à démontrer, et dont les capacités de collecte financière ne laissent aucun doute, bénéficie d’une attention publique à la hauteur des enjeux du développement durable. Cette place d’honneur ne peut se concevoir sans une responsabilité renforcée, sans une veille des pouvoirs publics, sans une vision claire des citoyens sur les forces et les faiblesses des associations et des fondations de protection de la nature et de l’environnement.
UN SECTEUR ASSOCIATIF COMPLEXE ET EN EXPANSION
Les Français sont particulièrement enclins à faire vivre la liberté d’association dans tous les domaines de la vie collective, par la poursuite d’objectifs extrêmement diversifiés. Vos rapporteurs ont jugé utile, au cours de leurs investigations, de s’enquérir des chiffres essentiels du secteur associatif. La détention de ces données a permis de disposer d’un cadre de référence clair. Elle a surtout mis en perspective les positions des organisations de protection de l’environnement au regard des associations et fondations œuvrant dans d’autres domaines, dont l’expérience est souvent supérieure, et dont les erreurs passées enseignent des leçons pour l’avenir.
Eu égard à l’imprécision des informations détenues, les chiffres suivants tiennent lieu d’ordre de grandeur. Il existe en France en 2011 près de deux millions d’associations déclarées conformément aux prescriptions de la loi de 1901. Les services du ministère de l’intérieur ont indiqué considérer un tiers d’entre elles disparues dans les faits, sans que la procédure de dissolution ait été correctement suivie et signalée aux autorités préfectorales. Restent par conséquent quelque 1,2 million d’organisations actives, auxquelles s’ajoutent les associations de fait par nature indénombrables et qui ne détiennent pas la personnalité juridique.
Le budget cumulé dont dispose la totalité du secteur approche les 60 milliards d'euros, soit 3,4 % du produit intérieur brut français. Ces sommes permettent de réaliser l’objet social, mais les activités sont suffisamment importantes – et les ressources suffisamment pérennes – pour justifier le recours à des personnels salariés par une association sur six : ce sont ainsi près de deux millions de personnes qui occupent un emploi dans le monde associatif, soit 5 % de l’ensemble des salariés du pays. Cette ressource humaine bénéficie en outre du concours de 14 millions de bénévoles actifs.
Les deux tiers des associations gèrent un budget annuel inférieur à 10 000 euros, une sur dix contrôle plus de 50 000 euros, une sur vingt-cinq seulement dépasse les 200 000 euros. La moitié des ressources financières émane de la puissance publique : 63 % des communes, 22 % des départements, 10 % de l’État, le reliquat provenant des régions et de l’Union européenne. Cet effet de levier est remarquable : pour un euro provenant des ressources publiques, l’association apporte un euro de sources privées. La doctrine publique contemporaine récuse les subventions de fonctionnement, elle privilégie au contraire les financements liés à des actions et à des projets préalablement établis et acceptés.
Le monde associatif représente une réalité économique et humaine qui pose question à l’autorité politique. Celle-ci se trouve confrontée à deux impératifs relativement antinomiques.
D’une part, la liberté d’association constitue un droit inaliénable du peuple français, la satisfaction de l’intérêt général admet volontiers le concours de l’initiative privée au côté de l’action publique, et le lien social est facteur d’union dans une société moderne affligée par un désenchantement et une perte de confiance qui menacent la cohésion nationale. Il convient de respecter, de soutenir et d’accompagner les associations dans leur travail, les bénévoles dans leur engagement, les donateurs dans leur résolution. La liberté de décision, d’organisation et de fonctionnement revêt alors une valeur cardinale.
D’autre part, de malheureuses affaires ont montré qu’une nécessaire confiance ne saurait aller jusqu’au blanc-seing. Les associations ont évolué depuis 1901 pour acquérir une compétence et une capacité d’action qui n’ont plus rien à envier aux entreprises, aux administrations et même jusqu’aux gouvernements. L’État assure une mission de surveillance financière, qu’il s’agisse des sommes versées par des particuliers dans le cadre d’appels à la générosité publique ou de lignes de crédit ouvertes par des collectivités. Il lui revient également de vérifier le respect par une association de son objet social et de son caractère non lucratif, tant l’aménagement de la législation au bénéfice de la vie associative aboutit désormais à la constitution de véritables entreprises aux intérêts économiques certains.
Vos rapporteurs se sont interrogés sur la conciliation de ces deux principes, de liberté et de contrôle, dans le cadre spécifique des organisations de protection de la nature et de l’environnement. Ils en ont déduit une insuffisance de la fonction de contrôle qui, bien que présente et cohérente dans les textes, se révèle insuffisante en pratique.
I.— LES ORGANISATIONS DE PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT
La protection de la nature et de l’environnement apparaît comme un pan relativement neuf de l’activité associative, même si de vénérables organisations, désormais séculaires, trahissent un intérêt déjà ancien de la population pour la préservation du milieu naturel et des espèces qui le peuplent. L’environnement entre pour une part tout à fait dérisoire dans les ressources du monde associatif, les montants qu’il manie demeurant loin des sommes brassées par les organisations sociales, caritatives ou encore sportives.
Un examen du secteur associatif révèle un foisonnement et une disparité de situations qui ne présentent de points communs qu’à de rares occasions. Cette richesse s’explique par la diversité des objectifs poursuivis – qui peuvent d’ailleurs entrer en contradiction suivant les associations, sur des sujets tels que la politique énergétique ou la protection animale. Le dynamisme du domaine environnemental s’explique également par la prégnance dans le débat public des inquiétudes sur l’avenir de la planète à moyen terme, et notamment sur les conséquences du réchauffement climatique dont l’origine anthropique apparaît plus que probable. Les discussions internationales consécutives aux sommets de la Terre et au protocole de Kyôto expliquent partiellement le nombre d’associations environnementales ; elles justifient en revanche le sentiment maintes fois réaffirmé au cours des auditions d’une capacité importante de collecte de fonds auprès du grand public.
Il reste que toutes les organisations écologistes n’ont ni la même structure, ni la même dimension, ni la même philosophie d’action, ni la même préoccupation. Une réglementation uniforme, un cadre contraignant unique, n’auraient aucunement lieu d’être, sauf à encourir un double écueil : sevrer la vie associative de ses petites structures par des standards trop élevés, autoriser tous les dévoiements par des exigences trop faibles.
A.— LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT DANS LE MONDE ASSOCIATIF
Quelle est la spécificité des associations environnementales au regard du monde associatif décrit par le rapport Morange en 2008 ? Vos rapporteurs ont constaté de nombreux points de convergence, mais surtout un fait pour le moins troublant. La classification proposée alors par notre collègue distingue différents secteurs associatifs : humanitaire, social, sport, culture, loisir, pour ne citer que les principaux. L’environnement n’apparaît pas. Il se trouve relégué dans la catégorie « autres ». Ce constat est révélateur, car il a été formulé à l’identique par les différents observateurs auditionnés. La défense de l’environnement n’est pas encore – ou, plus exactement, n’était pas jusqu’à très récemment – une cause identifiable dans le paysage associatif
1. Un secteur en plein renouveau
Les associations et les fondations entendues par la mission d’information ont insisté sur la jeunesse de leur combat au regard de causes défendues de longue date. Presque toutes ont vu le jour dans les années 1960 et 1970, avec le développement du courant écologiste, alors que le mouvement caritatif et humanitaire apparaissait quelques décennies, sinon un siècle auparavant. A titre d’exemple, la création du WWF a lieu en 1961, celle de Greenpeace en 1971. La protection animale (6) paraît faire exception et témoigner d’une préoccupation plus ancienne, la Société nationale de protection de la nature remontant à 1854 et la Ligue de protection des oiseaux (LPO) à 1912. Sur 1,2 million d’associations actives, 20 000 seulement se rattachent à la protection de l’environnement. Plus de la moitié d’entre elles se limite à un regroupement de riverains dont l’ambition se borne à empêcher l’édification d’infrastructures dans le voisinage, ce qui semble exclure la qualification d’association environnementale.
L’émergence récente de la protection de l’environnement dans le monde associatif et sa communication jusqu’à récemment faible en direction du grand public expliquent son absence dans les typologies. Elles se traduisent aussi par une présence limitée dans les organisations d’associations vouées à solliciter la générosité du public qu’ont auditionnées vos rapporteurs, qu’il s’agisse de coordonner les actions de collecte ou d’exercer un contrôle de la bonne gestion des fonds. Ainsi France Générosités, qui réunit soixante et onze structures qui sollicitent les dons des Français, ne compte parmi ses membres que trois organisations environnementales. De même, le Comité de la Charte, qui propose un suivi externe des pratiques de gouvernance et de financement, ne s’est ouvert à l’écologie qu’en 2004 et intègre tout juste sa première association de défense de l’environnement.
Le caractère récent des associations de protection de la nature leur confère donc quelques handicaps que l’expérience ne manquera pas de corriger. Il leur octroie, surtout, un considérable potentiel de développement. Alors que le discours écologique est apparu avec les années 1960, il est longtemps resté mal vu des institutions et de la majeure partie de la population, qui lui octroient peu de poids au regard des préoccupations économiques, de la recherche de la croissance de la production et de la quête du profit immédiat. Cette mentalité a évolué au cours des années 2000, à la suite des alertes répétées de la communauté scientifique sur le risque climatique et de la prise de conscience de la dimension politique des enjeux soulevés. En France, l’élection présidentielle de 2007 marque également ce tournant que couronne le processus du Grenelle.
Vos rapporteurs ont constaté l’effet du retournement de l’opinion publique sur le fonctionnement des associations auditionnées. Sans faire état d’une manne déraisonnable, aucune ne s’est plainte de difficultés de financement, ni d’une diminution du nombre de ses adhérents, ni d’un défaut d’engagement des bénévoles. Le ministère de l’intérieur a relevé que la générosité publique dont bénéficient les organisations de protection de l’environnement s’est accrue de 14,8 % entre 2008 et 2009, contre 2 % pour le monde associatif dans son ensemble. Les observateurs extérieurs – auditeurs et universitaires – ont livré des sentiments concordants : les ressources des associations écologiques devraient continuer à se renforcer à l’avenir, probablement d’ailleurs au détriment d’autres secteurs.
La collecte des financements constitue une priorité pour les associations, même si les positionnements stratégiques peuvent induire un ciblage différent des contributeurs sollicités.
2. Des sources de financement diversifiées
Les organisations environnementales ont besoin de fonds pour exister. Les différences de structure expliquent des comportements différents, mais les sources de financement demeurent globalement identiques avec le commun des associations.
Les collectivités publiques contribuent pour moitié au fonctionnement des associations. La culture de la subvention tend néanmoins à reculer au bénéfice d’un partenariat, voire d’une délégation de l’action publique – les auditionnés ont particulièrement souligné de ce point de vue l’impact d’un programme européen sur les budgets.
Les personnes privées constituent l’autre source de financement majeure. Il convient ici de distinguer les cotisations versées par les adhérents, en échange de leur participation à la gouvernance de l’association et du bénéfice de services exclusifs, des dons et legs consentis sans contrepartie au soutien d’une cause estimée juste. L’ensemble des associations auditionnées réclame une participation de ses membres pour la réalisation de l’objet social ; beaucoup éditent en outre des revues et fabriquent des objets que les adhérents peuvent acquérir pour concrétiser leur engagement. Bénéficier de donations et de legs nécessite en revanche une capacité juridique étendue dont découlent des sujétions importantes, qui seront détaillées par la suite, et qui découragent les structures de faible dimension.
On notera que l’État contribue puissamment à la générosité du grand public envers les « œuvres de défense de l’environnement nature » à travers d’importants privilèges fiscaux. Le don d’un particulier entraîne une réduction de 66 % du montant dans la limite de 20 % du revenu imposable ; celui d’une entreprise d’une réduction de 60 % de la somme à concurrence de 5 % du chiffre d’affaire hors taxe. Les libéralités bénéficient d’une exonération totale de droits, et peuvent être déduites par le donateur de façon à passer en dessous du seul d’imposition sur la fortune. Ces dispositifs expliquent, pour partie, la générosité publique et le mécénat d’entreprise en direction de l’environnement : ils équivalent à une dépense fiscale évaluée à 1,5 milliard d’euros.
Vos rapporteurs ont été surpris de constater le degré élevé d’organisation qui préside à la collecte de fonds pour les associations, et combien les enseignements de la force de vente sont sollicités pour optimiser les sommes récoltées. Il est vrai que la demande aléatoire par voie postale génère des frais pour un taux de retour évalué à 1,5 %, quand la collecte de rue aboutit à des résultats bien plus rémunérateurs. Loin des images d’Épinal du jeune bénévole tendant une corbeille au coin d’une rue, une cellule coordonne aujourd’hui le placement des quêteurs aux endroits passants et stratégiques de Paris, pour réclamer non plus une pièce mais un prélèvement régulier sur un compte bancaire. Les thèmes retenus pour la communication font en outre l’objet d’une sélection de façon à émouvoir le grand public : un passant donnera plus facilement pour la protection des ours polaires et des tigres du Bengale, que pour la défense de l’habitat d’une musaraigne hexagonale. Tout est pensé pour déclencher l’acte de don, comme un commerçant rechercherait la pulsion d’achat. Dès lors que la cause poursuivie demeure juste, ce comportement peut demeurer admissible ; il serait toutefois préférable que les associations informent avec exactitude de l’affectation des fonds ainsi obtenus, non pas a posteriori par des rapports annuels, mais à l’instant même où la contribution est demandée.
Certaines associations ont en outre admis tirer un bénéfice de leurs actions en justice à l’encontre d’actes administratifs préjudiciables à l’environnement. Ce financement demeure néanmoins marginal et concerne surtout les groupements de défense du voisinage. Ces comportements peuvent retarder l’action d’une collectivité territoriale, néanmoins vos rapporteurs ne trouvent pas matière à les condamner : les structures en cause, de petite taille, n’ont pas les moyens de multiplier les plaintes dilatoires. Leurs requêtes sont souvent fondées et, lorsqu’elles ne le sont pas, leur pérennité est rapidement menacée. Il appartient aux collectivités attaquées de se prémunir par le simple respect de la loi.
Quel regard porter sur le financement des organisations de protection de l’environnement ? Cette question ne peut trouver sa réponse qu’en lien avec les objectifs de l’association. Cette dimension conditionne l’éthique attendue de la part des gestionnaires et leur comportement au regard des subventions publiques comme du mécénat privé.
3. Des objectifs et des stratégies parfois opposés
Toutes les associations ne poursuivent pas les mêmes buts. Dans son rapport de 2008, Pierre Morange distinguait :
- les associations dont le projet est articulé à l’action publique, qui représentent 15 % du monde associatif et 83 % de son budget ;
- les associations dont le projet présente un fort contenu militant, pour 29 % du monde associatif et 5 % du budget total, animées en majorité par des bénévoles ;
- les associations orientées vers la pratique d’une activité, qui représentent la moitié du tissu associatif et 12 % du budget global.
Les organisations environnementales correspondent à ces trois catégories, même si la répartition entre elles diverge évidemment. Le premier secteur transcrit le poids du secteur médico-social et le troisième celui des clubs sportifs, alors que les proportions du deuxième semblent demeurer entre associations en général et organisations environnementales en particulier. La typologie qui suit correspond naturellement à des idéaux-types, et il est fréquent qu’une même structure ne limite pas son activité à une seule catégorie.
Vos rapporteurs distinguent en premier lieu les associations de plaidoyer, dont l’objet social consiste à faire évoluer les mentalités pour une prise en compte renforcée du facteur environnemental. Ces structures cherchent à user d’une influence dans la définition des politiques publiques pour les orienter dans un sens plus écologique. Elles sont par conséquent les plus enclines à l’action médiatique et à la manifestation d’éclat, même si des projets de sensibilisation entrent également dans leur répertoire d’actions. Cette position induit une distance par rapport aux institutions, qui est particulièrement ressortie de l’audition de Greenpeace. L’association a indiqué refuser toute participation à la décision pour ne pas avoir à négocier ses convictions, et décliner de la même façon toute participation financière – des collectivités publiques comme des sociétés privées – afin de conserver son autonomie financière. Greenpeace reste ainsi volontairement en dehors de la démarche du Grenelle de l’environnement. Elle assure son fonctionnement par le recours exclusif aux donateurs individuels, qu’elle assimile automatiquement, et sans doute abusivement, à des adhérents. La reconnaissance par l’opinion publique est par conséquent primordiale pour la survie de l’association.
Proches des précédentes mais fondamentalement différentes par leur stratégie, certaines associations se vouent à une activité de formation et de pédagogie pour un meilleur respect de l’environnement dans la vie de tous les jours. Entretenant une relation revendiquée avec le monde scientifique, elles coopèrent volontiers avec les collectivités locales et avec l’ADEME pour éditer guides de bonnes pratiques et brochures de sensibilisation. Leur participation aux commissions consultatives instaurées par le Grenelle ne fait aucun doute, et leurs ressources procèdent en bonne part de contrats de projet confiés par les autorités. L’Union nationale des centres permanents d’initiative pour l’environnement illustre cette catégorie : réseau labellisé présent sur l’ensemble du territoire dont l’objet est l’éducation du citoyen et l’accompagnement local, il a même bénéficié un temps de la mise à disposition d’un fonctionnaire du ministère de l’environnement.
La mission d’information a également reçu des associations qui s’attachent à promouvoir l’environnement par le biais de technologies nouvelles, à travers une politique industrielle et commerciale déterminée. Parce qu’elles rassemblent des personnes morales et des entreprises intéressées au succès de leurs positions, vos rapporteurs rapprochent ces organisations de la notion de syndicat. Parce que leur action ne concerne que marginalement le grand public, ces associations ne sollicitent pas de contributions des particuliers. L’intérêt général de l’objet social ne soulève toutefois pas de doute, ce qui permet la sollicitation de subventions publiques. L’autre source majeure de financement provient des cotisations des membres, sociétés commerciales et collectivités territoriales, généralement fixées à une part du budget ou du chiffre d’affaires. La diversité des membres conduit fréquemment à une organisation en collèges. C’est ainsi qu’ont indiqué procéder le Comité de liaison des énergies renouvelables (CLER) et la Fédération des associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (ATMO).
Les associations gestionnaires d’un milieu ou protectrices d’une espèce constituent également une branche importante du mouvement associatif écologique. Directement liées à l’autorité publique et dûment rétribuées par elle, elles assurent la préservation d’un environnement naturel menacé avec compétence et désintéressement. Vos rapporteurs ont pu constater que les versements consentis ne couvrent pas toujours les frais de gestion, ce qui conduit l’association à solliciter ses membres et ses donateurs. C’est le cas de la Société nationale de protection de la nature qui prend en charge l’entretien et la préservation de la réserve nationale de Camargue, ou encore celui de la Ligue de protection des oiseaux qui administre la Réserve naturelle des Sept-Îles, dans les Côtes-d'Armor. Il s’agit ici d’une participation directe au service public qui devrait, en l’absence de concours privé, être exercé par les pouvoirs publics. Ces associations bénéficient d’une forte sympathie dans l’opinion qui leur permet de se financer correctement.
Enfin, les associations de riverains s’investissent dans la préservation de leur environnement immédiat, souvent pour faire échec à un projet d’infrastructure publique à l’impact jugé négatif sur le voisinage. Ces organisations poursuivent un objectif déterminé qui peut être atteint par le combat politique ou par l’action juridictionnelle. Elles se caractérisent par des frais limités et par une mobilisation très forte de leurs membres, dont l’intérêt particulier recoupe la visée environnementale.
Le poids des groupements associatifs ne saurait être négligé, tant par la puissance financière qu’ils représentent qu’en raison de l’influence qu’ils ont acquise dans la détermination des objectifs politiques de la nation. Mais ce premier aperçu démontre combien le secteur associatif présente une multitude de visages, combien il serait illusoire de prétendre régler par un instrument unique les diverses facettes de son action.
B.— UNE DIVERSITÉ QUI EXCLUT DES RÈGLES UNIFORMES
Au-delà de la typologie des actions et de ses conséquences en termes de financement, d’autres lignes de fracture apparaissent dans le mouvement associatif français. Certaines conditionnent le financement et la gouvernance bien davantage que les objectifs affirmés par les statuts.
Cinq considérations s’imposent pour mieux appréhender la problématique des organisations non gouvernementales de protection de l’environnement. Elles justifient des exceptions à des principes pourtant intangibles de prime abord tels que le contrôle rigoureux de l’usage des subventions publiques, la recherche d’une démocratie interne, ou encore l’autonomie de décision face à des influences extérieures.
1. L’enjeu de la vie associative locale
Préalable à tout éventuel encadrement réglementaire, la préservation de la liberté d’association demeure le fondement absolu de la réflexion de vos rapporteurs. Droit fondamental de premier ordre, elle est également nécessaire à la richesse de la vie sociale sur le territoire. L’investissement des citoyens dans leur environnement immédiat ne doit pas être découragé par une batterie de mesures liberticides car conçues pour les organisations de dimension nationale.
La loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 fait obligation à l'autorité administrative qui attribue une subvention à une association, lorsque celle-ci dépasse le seuil de 23 000 €, de conclure une convention en définissant l'objet, le montant et les conditions d'utilisation. Ces documents sont souvent qualifiés de « conventions d'objectifs » car ils tracent une véritable feuille de route qui justifie la suppression des financements en cas de transgression. Les collectivités sont ainsi incitées à opérer un contrôle systématique de l’usage des deniers publics, éventuellement sous le regard des juridictions financières. De plus, dès lors que le montant des subventions reçues dépasse le seuil de 153 000 euros, les associations sont soumises à l'obligation d'avoir un commissaire aux comptes.
Le législateur a fait preuve de sagesse en prévoyant un déclenchement de la procédure de contrôle à partir de sommes relativement élevées. Il applique le vénérable principe de droit romain « De minimis non curat praetor » selon lequel un risque faible ne justifie pas une surveillance étendue.
Cependant, la volonté – par ailleurs noble – de rationaliser la dépense publique a pu conduire des collectivités à généraliser la démarche de la convention d’objectifs à travers des formulaires-types. Cette initiative a conduit à une meilleure traçabilité des crédits et à une cartographie précise du secteur associatif, mais elle a surtout généré un effet d’éviction au détriment des associations les moins structurées qui sont, faut-il le rappeler, fortement majoritaires. Le coût d’une demande de subvention, en termes d’ingénierie de projet, est estimé à quelque 500 €. Cette somme excessive conduit logiquement à un renoncement des groupes les plus fragiles et, partant, à un appauvrissement de la vie associative sans qu’aucune fraude significative ne soit écartée.
Vos rapporteurs rappellent par conséquent que les commentaires qu’ils émettent, ainsi que les recommandations qu’ils préconisent, s’adressent aux organisations structurées, qui bénéficient d’une forme d’expertise administrative, qui rassemblent un nombre conséquent d’adhérents et qui manient des sommes importantes. Il est exclu de porter un coup d’arrêt aux rassemblements de faible envergure par des exigences draconiennes. Le lien social que tissent ces associations est essentiel à la vie de la collectivité et à l’investissement du citoyen dans la chose publique.
2. Le cas particulier des sociétés savantes
Les associations de taille modeste qui opèrent sur un territoire limité ne sont pas les seules qu’il convient d’exclure d’une réflexion sur financement et gouvernance des organisations. Certaines se caractérisent par un niveau intellectuel particulièrement élevé et des adhérents titulaires de titres académiques de haut rang. Les documents édités ne sont plus des brochures, mais de véritables revues scientifiques dont les contributions ne sont publiées qu’après l’aval d’un comité de lecture.
Vos rapporteurs se réfèrent notamment à la Société nationale de protection de la nature, doyenne d’âge des associations de conservation de la nature à l’échelle mondiale puisque sa fondation par Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, titulaire de la chaire de zoologie des mammifères et des oiseaux au Muséum d'histoire naturelle, remonte à 1854. Si cette Société impériale zoologique d'acclimatation a depuis fait évoluer sa dénomination originale vers un vocabulaire plus républicain, son orientation résolument scientifique a perduré.
Ce modèle d’association concourt à la politique de l’environnement en apportant bénévolement une expertise technique de grande valeur. Ses membres ont été sollicités bien avant le Grenelle pour délivrer d’utiles recommandations à l’administration. Si les financements afférents ne posent aucunement question, la gouvernance peut présenter – en fait, pas en droit – un enchevêtrement de la légitimité démocratique et du curriculum académique. Mais dans la mesure où la philosophie de société savante est affirmée, et où la plupart des membres peuvent se targuer de compétences d’ordre technique, ce point ne semble pas devoir poser question.
Vos rapporteurs tiennent surtout à ce que soit valorisée la parole ainsi exprimée dans le débat public, lorsqu’elle se confronte à des opinions opposées formulées par des acteurs plus imposants. La société contemporaine ne permet pas de réaliser un tri dans le tumulte médiatique, et il faut craindre alors que le discours d’une organisation prime sur l’autre. Ceci ne signifie pas qu’il faille s’abandonner à l’écueil de la technocratie : dans le domaine de la protection de l’environnement, comme dans toute matière scientifique, ni le nombre ni le diplôme ne sont la garantie de l’exactitude. Il convient seulement que toutes les voix soient audibles et que les consciences – parmi lesquelles le politique – se déterminent en connaissance de cause.
3. Les associations affiliées à une fédération
Certaines associations ont fait le choix de s’affilier à une structure fédérative qui leur offre une visibilité accrue et des moyens supplémentaires d’achever leur objet social.
Le cas le plus simple est celui des groupements qui constituent le relais territorial ou sectoriel d’un acteur national de la protection de l’environnement, ou qui s’agrègent volontairement à lui pour unifier la parole associative. Vos rapporteurs ont auditionné France Nature Environnement, qui rassemble 3 000 associations de protection de l’environnement et d’usagers de la nature, soit entre 500 000 et 700 000 personnes physiques. Le système de gouvernance adopté permet aux associations de participer à la position commune défendue à l’échelon central, mais aussi une animation du réseau par domaines thématiques ainsi que des positions locales à la demande des structures de terrain.
L’Union nationale des centres permanents d’initiative pour l’environnement entre dans une logique comparable, si ce n’est que la dénomination de CPIE se conçoit comme un label qui peut être retiré en cas de défaillance grave dans le fonctionnement de l’antenne locale. L’échelon national est financé par les cotisations des entreprises membres.
Vos rapporteurs estiment que cette démarche ne crée pas de difficulté dans la mesure où les règles de formation de la décision sont clairement établies, où l’appartenance à un réseau national est admise par les adhérents des territoires, et où les structures locales conservent une forme de liberté dans leurs actions de terrain – liberté qui comprend une marge financière suffisante pour fonctionner.
L’autre cas dans lequel une relation verticale s’instaure entre un échelon décentralisé et un niveau supérieur pose davantage question. Il peut s’agir des associations nationales qui se sont affiliées à un réseau international (la Ligue pour la protection des oiseaux représente Birdlife international en France). Plus souvent, les groupements français correspondent à des implantations nationales installées par une entité internationale déjà constituée : WWF France apparaît en 1973 soit douze ans après la création du mouvement en Suisse, Greenpeace France en 1977 soit six ans après la fondation réalisée à Amsterdam. L’intégration paraît alors plus avancée, dépasser le stade des réunions de concertation, pour finalement altérer le caractère parfaitement autonome de la gestion de leurs ressources financières ainsi que de la détermination des actions et des positions.
Les interactions financières et décisionnelles du bureau français avec la direction internationale interrogent évidemment davantage que celles unissant implantations locales et fédération nationale. La menace de voir se constituer une ligue bretonne pour désorienter l’économie lorraine, et réciproquement, semble plus que théorique. En revanche, comment ne pas craindre qu’une prise de position potentiellement lourde de conséquences pour la France ne soit, en réalité, dictée par des volontés étrangères ?
Les deux organisations entendues ont mis en avant leur autonomie financière et décisionnelle pour dissiper le risque envisagé. Greenpeace assure que le bureau de chaque nation décide par lui-même des actions qu’il conduit, et que la règle de l’autosuffisance budgétaire s’impose dans les pays développés. La redistribution de ressources ne s’opère qu’au profit des pays pauvres, à hauteur de 18 % du budget (soit deux millions et demi d’euros pour la France) pour abonder les fonds consacrés à la mise en œuvre de programmes décidés par consensus par l’entité internationale. WWF France suit une procédure assez similaire, reversant un million d’euros annuel en échange d’une participation au comité international de direction.
Vos rapporteurs se satisfont des précisions avancées, comme ils admettent les arguments en faveur d’une organisation transnationale. La lutte contre le changement climatique, pour la protection des espèces et la sauvegarde des milieux, doit être en mesure de s’affranchir des frontières. Une forme de solidarité au bénéfice des pays pauvres se justifie pleinement, sous réserve d’une information du donateur – or le caractère mondial des deux organisations en question est de notoriété publique. Il reste que la définition des priorités internationales, les mécanismes de vote au sein des « boards » internationaux, et la confluence d’intérêts qui peut s’y manifester restent entourés d’ombre. L’influence réelle des positions de la fédération sur les instances nationales n’a pu être établie, de même que l’accès aux statuts des maisons mères s’avère délicat, voire très délicat, pour l’individu non anglophone.
4. Les groupements associant des collectivités publiques
Si une association est forcément une personne privée aux termes de la loi de 1901, rien n’empêche les collectivités territoriales, personnes publiques, d’y adhérer. Le Comité de liaison des énergies renouvelables (CLER) réunit ainsi dans son premier collège des entreprises spécialisées dans les énergies nouvelles, dans le deuxième des associations et des organismes de formation, et dans le troisième les collectivités territoriales – qui constituent un quart des adhérents de l’association.
Cette configuration particulière a des implications naturelles sur les conditions de financement et de gouvernance. Une attention particulière est de mise puisque, sans préjudice du principe de libre administration des collectivités, une gestion hasardeuse pourrait susciter les interrogations des chambres régionales des comptes, voire des incriminations de nature pénale au titre de la prise illégale d’intérêt. La participation d’une commune à l’association jetterait la suspicion sur les subventions et les marchés que celle-ci souhaiterait lui attribuer. Vos rapporteurs ont constaté que la structure de financement du CLER prévient le risque, puisque les sommes en provenance des collectivités se limitent aux cotisations des membres, et que des partenariats ne sont conclus qu’avec les instances nationales (État, ADEME) et européennes.
ATMO, la fédération des associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (AASQA) constitue un cas plus particulier encore. Les AASQA sont constituées de quatre collèges (État, collectivités territoriales, émetteurs de pollution atmosphérique et personnalités qualifiées) pour un fonctionnement et une gouvernance similaire à ceux évoqués ci-dessus. Leur particularité tient à leur constitution originale, en contradiction avec un aspect important de la liberté d’association : elles ne résultent pas de la libre volonté de leurs membres, mais d’un commandement du législateur. En effet, la loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie a ordonné une composition équilibrée de l’organisme chargé de la surveillance de la qualité de l’air, avant qu’un décret d’application ne donne à cette instance la forme juridique d’une association. Ces deux dispositions figurent dans le code de l’environnement.
Article L. 221-3
Dans chaque région, et dans la collectivité territoriale de Corse, l'État confie la mise en œuvre de la surveillance prévue à l'article L. 221-2 à un ou des organismes agréés. Ceux-ci associent, de façon équilibrée, des représentants de l'État et de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, des collectivités territoriales, des représentants des diverses activités contribuant à l'émission des substances surveillées, des associations de protection de l'environnement agréées au titre de l'article L. 141-1, des associations agréées de consommateurs et, le cas échéant, faisant partie du même collège que les associations, des personnalités qualifiées. Les modalités d'application du présent article sont définies par un décret en Conseil d'État.
Article R. 221-9
Les organismes de surveillance de la qualité de l'air prévus à l'article L. 221-3 sont constitués sous forme d'associations régulièrement déclarées conformément à l'article 5 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ou, dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, à la législation locale sur les associations inscrites.
La gouvernance d’ATMO et des AASQA étant établie par un texte légal, il n’y a pas lieu de s’interroger sur leur compatibilité avec la législation générale. L’association ne sollicite pas les financements du grand public et ses ressources proviennent de cotisations et d’une affectation du produit de la taxe générale sur les activités polluantes. Elles se bornent enfin à l’exécution des missions confiées par l’État, tout en intégrant en son sein des représentants de celui-ci.
Vos rapporteurs saluent l’engagement des collectivités publiques auprès d’associations de protection de la nature et de l’environnement. Ils réitèrent toutefois les appels à la vigilance devant toute pratique, même involontaire, qui pourrait prêter à la critique médiatique et à l’intervention de la justice. Un prêt gracieux de locaux publics, la mise à disposition spontanée d’un agent public, placeraient les élus locaux dans des situations délicates et pourraient mettre en péril l’équilibre financier de l’association :
- l’article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques prescrit que « toute occupation ou utilisation du domaine public d'une personne publique (…) donne lieu au paiement d'une redevance » ;
- le décret n° 2008-580 du 18 juin 2008, relatif au régime de la mise à disposition applicable aux collectivités territoriales et aux établissements publics administratifs locaux, précise dans son article 2 que « l'organisme d'accueil rembourse à la collectivité territoriale (…) la rémunération du fonctionnaire mis à disposition ».
Alors même que les collectivités conservent la liberté d’agir au nom de l’intérêt local, voire sur le fondement d’une loi spéciale, les règles de bonne gestion des ressources publiques continuent à s’appliquer. Une grande précision dans la tenue des comptes ainsi qu’une séparation nette entre mandat électif et fonction associative s’imposent pour prévenir d’involontaires comportements répréhensibles.
5. Les fondations, associations sans adhérent
L’article 18 de la loi du 23 juillet 1987 porte définition de la fondation. Il s’agit de « l'acte par lequel une ou plusieurs personnes physiques ou morales décident l'affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d'une œuvre d'intérêt général et à but non lucratif ».
Fondations et associations sont les deux types d’organisations non gouvernementales qui interviennent dans le débat environnemental. Leurs actions se confondent d’un point de vue extérieur, mais gouvernance et financement divergent grandement. La fondation se distingue de l'association du fait qu’elle ne résulte pas d’une conjonction de volontés et de personnes (physiques ou morales, privées ou publiques) autour d’un objectif commun, mais d'un engagement financier irrévocable et non lucratif de ses fondateurs en faveur d’une œuvre d'intérêt général. Elle ne comporte donc pas d’adhérents : son fonctionnement est décidé soit par un conseil d'administration, soit par un directoire assisté d’un conseil de surveillance.
Au delà de l'aspect financier, la loi de 1987 encadre la création d'une fondation bien plus strictement que la loi de 1901 celle d’une association. Il est d’ailleurs courant qu’une association évolue vers le statut de fondation : ainsi WWF France en 2004 et Goodplanet en 2009. Dans le domaine environnemental, la fondation n'a d'existence qu’une fois reconnue d’utilité publique par décret en Conseil d’État. Contrairement aux associations, son utilité publique est consubstantielle à son existence : si elle vient à lui être retirée, sa dissolution est prononcée. Elle jouit donc toujours d’une capacité juridique étendue, avec possibilité de recevoir des libéralités, autorisation de solliciter la générosité publique et faculté de détention d’immeubles de rapport.
Une fondation reconnue d'utilité publique naît de la volonté d’un ou plusieurs individus affectant de manière perpétuelle, par donation ou par testament, des ressources à un objectif d’intérêt général. L’État reconnaît l’utilité publique dès lors que sont satisfaites trois conditions : la réalisation d’une œuvre d'intérêt général à but non lucratif, la possession de ressources suffisantes et l’indépendance vis-à-vis des fondateurs et de la puissance publique. Cette dernière exigence conduit à une composition du conseil d’administration telle que les fondateurs détiennent un tiers des sièges, des représentants ministériels un tiers également, et des personnalités qualifiées les droits de vote restant. Une alternative existe, dans laquelle l’État siège à travers un commissaire du Gouvernement.
La France compte 600 fondations reconnues d’utilité publique. 21 d’entre elles poursuivent un objectif en rapport avec la protection de la nature et de l’environnement. Les trois sièges de l’État dans les conseils d’administration sont toujours occupés par le ministère de l’intérieur pour le premier et par le ministère de l’environnement pour le deuxième. Vos rapporteurs ont constaté une grande diversité en ce qui concerne le troisième siège, qui est fonction du champ et des moyens d’action de l’organisation : la fondation Goodplanet spécialisée dans la sensibilisation aux enjeux écologiques et les publications pédagogiques accueille le ministère de l’éducation nationale ; la fondation Brigitte Bardot qui s’attache à la protection des animaux sollicite le ministère de l’agriculture ; WWF France qui se spécialise dans le partenariat vert avec les entreprises bénéficie d’une représentation du ministère de l’économie et des finances. Vos rapporteurs n’ont pas rencontré le cas d’un commissaire du Gouvernement.
L’investissement financier important des personnes privées à l’origine des fondations doit être salué. Vos rapporteurs se réjouissent de voir que la protection de l’environnement conduise à de tels engagements, même si des entreprises et le secteur bancaire contribuent souvent à la constitution de la mise de départ. Ils s’émeuvent toutefois de l’absence de démocratie qui préside par nature à la gouvernance d’une telle structure, dans laquelle le conseil d’administration est, les sièges étatiques exclus, composé au choix des fondateurs. WWF France a signalé lors de son audition avoir privilégié le statut de fondation sur celui d’association pour éviter toute forme d’entrisme. Cette préoccupation est évidemment légitime, mais la recherche d’une forme de démocratie interne l’est-elle moins ?
Tout au long de leurs auditions, vos rapporteurs ont constaté que l’organisation des fondations environnementales soulève d’importantes interrogations, qui pèsent sur leur crédibilité dans le débat public et qui rendent leur parole sujette à caution. Des liens troubles existent avec les grandes entreprises qui les financent, voire qui siègent à leur conseil d’administration – certaines directement concernées par les politiques publiques en matière d’environnement. L’identification d’une fondation à un individu accroît le risque de confusion entre intérêt général et action personnelle : les journaux de janvier ont ainsi annoncé puis démenti la démission de Nicolas Hulot de la présidence de la fondation FNH dans la perspective d’une candidature à la prochaine élection présidentielle.
Sans aucunement nier leur apport à l’action en faveur de l’environnement, vos rapporteurs formuleront par conséquent des préconisations spécifiques aux fondations afin de pallier le déficit de contrôle démocratique interne en leur sein, ou du moins une possibilité d’opposition bien plus restreinte que celle qui peut prévaloir dans l’assemblée générale d’une association traditionnelle.
II.— DES MÉCANISMES DE CONTRÔLE À AMÉLIORER
Contrairement aux idées reçues, les organisations non gouvernementales sont soumises à de nombreux contrôles à tous les stades de leur fonctionnement. Ils dépendent à la fois des sommes maniées, de la source des financements et du mode de gouvernance.
Les vérifications se sont accrues au cours des trente dernières années, alors que le paysage associatif se trouvait ébranlé à plusieurs reprises par des scandales financiers retentissants et restés dans la mémoire collective. Les malversations avérées dans la gestion de l’Association pour la recherche sur le cancer (ARC) ont notamment provoqué une vigilance renforcée, tant de la part des particuliers que de la puissance publique. Si les dispositifs de contrôle ont pu susciter un ressentiment face à une suspicion considérée injuste par les responsables associatifs honnêtes, la nécessité de l’exemplarité ne fait plus aujourd’hui l’objet de débat. Qu’il s’agisse de surveillance financière ou de procédures internes destinées à protéger l’association et ses dirigeants, cette évolution vers une transparence accrue a eu pour effet la professionnalisation d’instances de direction comptables de leur gestion.
Les organisations de protection de la nature et de l’environnement relevant du droit commun, il est nécessaire de rappeler les règles auxquelles elles se trouvent soumises. L’énumération s’avère rapidement impressionnante. L’accessibilité de l’information est pratiquement toujours garantie, de telle sorte qu’il semble que l’amélioration de la transparence ne passe ni par de nouvelles prescriptions législatives, ni par une réforme qualitative des instances de contrôle. La loi de 1901 est ici victime de son succès : un contrôle exhaustif, a posteriori, de centaines de milliers d’associations exigerait des moyens matériels et humains considérables que l’administration ne peut financièrement consentir. Quant au particulier, il ne dispose ni du temps, ni des compétences, ni même bien souvent de l’envie de s’attacher à une vérification rébarbative.
Vos rapporteurs ne nient pas l’utilité de contrôles ciblés à même de mettre à jour des pratiques condamnables. Mais pour assurer la transparence du financement et de la gouvernance des organisations de protection de la nature, ils considèrent que l’agrément sectoriel – délivré par le ministère de l’environnement – est le meilleur instrument de certification d’une gestion correcte. Aisément reconnaissable par le citoyen, et faisant l’objet d’un suivi administratif, il présente l’avantage de cibler les exigences sur le domaine environnemental et sur ses spécificités.
A.— LE REGARD PERFECTIBLE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE
Si la liberté d’association formulée par la loi de 1901 définit un cadre extrêmement lâche et permissif, réduisant au minimum le droit de regard de la puissance publique, cette situation cesse dès lors que le budget associatif fait appel à des versements publics ou à la générosité des particuliers. Les contrôles administratifs et juridictionnels ont pour mission d’assurer le respect de la volonté des donateurs et de prévenir l’usage abusif ou répréhensible des sommes collectées.
Une procédure particulièrement précise procure une sécurité renforcée quant à la bonne gestion des associations : il s’agit de la reconnaissance d’utilité publique, comparable aux vérifications opérées lors de la création d’une fondation. Mais les organisations auditionnées ont mentionné hésiter à la solliciter du fait des sujétions qu’elle entraîne dans le fonctionnement courant.
1. La loi de 1901 : un cadre volontaire, celui de la liberté
L'article 1 de la loi du 1er juillet 1901 définit l'association comme « la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d'une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. Elle est régie, quant à sa validité, par les principes généraux du droit applicable aux contrats et obligations ». Il convient de rappeler que l’association n’est soumise à aucune exigence d’ordre administratif : elle se forme librement, sans autorisation préalable. Sa capacité juridique est en revanche conditionnée par l’article 5(7) à la déclaration de son existence en préfecture. L’administration conserve le seul pouvoir de contester la légalité de l’association devant le tribunal de grande instance, si elle estime son objet illicite ou contraire aux bonnes mœurs.
Comme c’était l’usage alors, la loi de 1901 se borne à énoncer des principes sans entrer dans les détails. L’association est un contrat de droit privé établi entre au moins deux personnes. Ce contrat, qui institue une personne morale de droit privé, prend la forme de statuts qui précisent l'objet de la future association, ses organes dirigeants, ses représentants et son siège social.
Les membres de l’association participent de façon permanente à son activité par le moyen de leur choix. Il convient seulement d’assurer une activité pérenne de la structure, dont l’existence n’est pas liée à celle de ses fondateurs, et qui ne dispose d’aucun pouvoir de subordination sur ses adhérents.
Enfin, l’objet de l’association exclut la poursuite d’un but lucratif : elle ne peut enrichir directement ou indirectement ses membres. Pour autant, la pratique d’une activité génératrice de revenus n’est pas interdite. La loi requiert seulement que les bénéfices ne soient pas distribués entre les adhérents, et que les initiatives de l’association correspondent à son objet social. Une association peut également procurer des avantages matériels à ses membres dès lors que ceux-ci n'augmentent pas leur patrimoine. La conséquence du désintéressement de la gestion associative est l'exonération des impôts commerciaux, qui peut néanmoins se voir requalifiée par l’administration.
Les associations déclarées sont libres d’ester en justice et de posséder un patrimoine, dès lors que celui-ci est nécessaire à l’accomplissement de leur objet social. Elles peuvent également recevoir des subventions publiques et faire appel à la générosité du public. Les campagnes nationales de collecte de fonds doivent faire l'objet d'une déclaration préalable de l'autorité administrative.
Les associations de « défense de l’environnement naturel » bénéficient automatiquement des dispositions de l’article 200 du code général des impôts qui octroie une réduction fiscale à leurs donateurs particuliers. L’article 238 bis du même code énonce un dispositif comparable destiné aux entreprises. Cet avantage est considérable dans la perspective d’un appel à la générosité publique, et inconciliable avec la liberté d’organisation pratiquement absolue qu’octroie la loi de 1901. Des mécanismes de surveillance s’appliquent par conséquent dès lors que l’association cesse de fonctionner sur les seules cotisations de ses membres.
2. Des contrôles multiples forcément lacunaires
Instruite par de précédents scandales de la nécessité de contrôler l’usage des fonds gérés par le secteur associatif, la puissance publique a produit un véritable arsenal législatif et réglementaire destiné à prévenir les comportements répréhensibles. Au traditionnel contrôle a posteriori est désormais adjoint un contrôle préalable dont les contours ont été définis au cours de la dernière décennie.
Les autorités les mieux placées pour exercer un contrôle sur le fonctionnement des associations et sur l’emploi de leurs ressources sont celles qui octroient des subventions. Si une organisation peut tout à fait arguer de sa personnalité juridique privée et de son indépendance pour refuser de présenter ses documents comptables, elle se départit de son droit au secret dès lors qu’elle accepte – ou même dès lors qu’elle sollicite – une dotation d’origine publique. Le contrôle administratif et financier des collectivités publiques sur les organismes sans but lucratif trouve son origine dans le décret-loi du 30 octobre 1935, qui a été depuis codifié à l’article L. 1611-4 du code général des collectivités territoriales. Les subventions publiques utilisées en violation des objectifs définis à l'origine par les financeurs sont annulées et reversées à la collectivité donatrice.
Article L. 1611-4 du code général des collectivités territoriales
Toute association, œuvre ou entreprise ayant reçu une subvention peut être soumise au contrôle des délégués de la collectivité qui l'a accordée.
Tous groupements, associations, œuvres ou entreprises privées qui ont reçu dans l'année en cours une ou plusieurs subventions sont tenus de fournir à l'autorité qui a mandaté la subvention une copie certifiée de leurs budgets et de leurs comptes de l'exercice écoulé, ainsi que tous documents faisant connaître les résultats de leur activité.
Il est interdit à tout groupement ou à toute association, œuvre ou entreprise ayant reçu une subvention d'en employer tout ou partie en subventions à d'autres associations, œuvres ou entreprises, sauf lorsque cela est expressément prévu dans la convention conclue entre la collectivité territoriale et l'organisme subventionné.
La loi du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, ordonne à toute autorité administrative désireuse d'attribuer une subvention à un organisme de droit privé de procéder par voie de convention préalable lorsqu’une somme de 23 000 euros est atteinte. Le document précise les montants alloués et les conditions d’utilisation attendues ; il est commun que le budget prévisionnel de l’organisme soit également communiqué. L’association produit par la suite un compte rendu financier qui retrace les dépenses effectuées pour la satisfaction de l'objet de la subvention.
Une autre modalité de contrôle des associations est prévue à l'article 31 de l'ordonnance n° 58-896 du 23 septembre 1958 relative à des dispositions générales d'ordre financier. Un dispositif tout à fait similaire (8) existe à l'article 43 de la loi n° 96-314 du 12 avril 1996 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier. Le texte le plus ancien présente cependant l’avantage d’une plus grande clarté.
Article 31 de l'ordonnance n° 58-896 du 23 septembre 1958
(…) Tout organisme subventionné dont la gestion n'est pas assujettie aux règles de la comptabilité publique et, quelles que soient sa nature juridique et la forme des subventions qui lui ont été attribuées par l'État, une collectivité locale ou un établissement public, est soumis aux vérifications des comptables supérieurs du Trésor et de l'inspection générale des finances ainsi qu'au contrôle de la cour des comptes.
L'exercice de ces droits de vérifications et de contrôle reste limité à l'utilisation de ces subventions dont la destination doit demeurer conforme au but pour lequel elles ont été consenties. (…)
Les sociétés, syndicats, associations ou entreprises de toute nature qui ont fait appel ou font appel au concours de l'État, d'une collectivité locale ou d'un établissement public, sous forme d'apport en capital, de prêts, d'avances ou de garanties d'intérêt, sont soumises aux vérifications de l'inspection générale des finances dont les fonctionnaires ont les pouvoirs d'investigation nécessaires à l'examen, sur pièces et sur place des écritures, du bilan et des comptes dans leurs parties relatives à la gestion et à l'emploi de l'aide accordée conformément au but pour lequel elle a été sollicitée.
Les mêmes pouvoirs appartiennent à l'inspection de l'administration du ministère de l'intérieur en ce qui concerne ces sociétés, syndicats, associations ou entreprises de toute nature qui ont fait appel au concours des collectivités locales, départementales ou communales.
La volonté de surveillance de l’usage fait des deniers publics par les associations est donc exemplaire. L’ordonnance confère une compétence de contrôle tout à la fois à l'inspection générale des finances, aux comptables supérieurs du trésor et à l'inspection générale de l'administration. Les vérifications sont opérées de plein droit, sur pièces et sur place, auprès de tout organisme recevant un concours financier public, qu’il s’agisse du versement d’une subvention ou de l’affectation d’une contribution obligatoire. Les sanctions possibles sont la répétition de l’indu, c'est-à-dire la restitution des sommes employées en contradiction avec les objectifs affichés, ainsi qu’une amende de 15 000 euros.
L’ordonnance évoque également l’action des juridictions financières. La Cour des comptes contrôle les organismes non lucratifs financièrement soutenus par la puissance publique. Elle est assistée dans cette mission par les chambres régionales des comptes, qui suivent l’activité des structures locales percevant des sommes d’un montant supérieur à 1 500 €.
Code des juridictions financières
Article L. 111-7
La Cour des comptes peut exercer, dans les conditions fixées par voie réglementaire, un contrôle sur les organismes qui bénéficient du concours financier de l'État, d'une autre personne soumise à son contrôle ainsi que de la Communauté européenne et sur les organismes qui sont habilités à recevoir des taxes parafiscales, des impositions de toute nature et des cotisations légalement obligatoires, de même que sur les organismes habilités à percevoir des versements libératoires d'une obligation légale de faire.
Article L. 211-4
La chambre régionale des comptes peut assurer la vérification des comptes des établissements, sociétés, groupements et organismes, quel que soit leur statut juridique, auxquels les collectivités territoriales leurs établissements publics ou les établissements publics nationaux dont le contrôle leur a été délégué en application de l'article L. 111-9 apportent un concours financier supérieur à 1 500 euros ou dans lesquelles ils détiennent, séparément ou ensemble, plus de la moitié du capital ou des voix dans les organes délibérants, ou exercent un pouvoir prépondérant de décision ou de gestion.
Une procédure voisine vise les organisations faisant appel à la générosité publique par une collecte d’envergure nationale – c’est-à-dire, dans le domaine environnemental et en prenant en considération les sollicitations formulées à travers un site internet, la totalité du secteur à l’exception des associations de type syndical. La loi n° 91-772 du 7 août 1991, relative au congé de représentation en faveur des associations et des mutuelles et au contrôle des comptes des organismes faisant appel à la générosité publique, a institué un contrôle confié à la Cour des comptes. Une inadéquation de l’emploi des ressources avec les objectifs affichés est lourde de conséquences : sans préjudice d’éventuelles suites pénales, la méconduite de l’association est notifiée au ministre du budget ainsi qu’aux présidents des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat. Elle fait surtout l’objet d’une publication, ce qui met un terme à la collecte fallacieuse en portant à la connaissance des donateurs l’information de l’accaparement de leurs contributions. La disposition figure désormais à l’article L. 111-8 du code des juridictions financières.
Article L. 111-8
La Cour des comptes peut également exercer, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, un contrôle du compte d'emploi des ressources collectées auprès du public, dans le cadre de campagnes menées à l'échelon national par les organismes visés à l'article 3 de la loi n° 91-772 (…) afin de vérifier la conformité des dépenses engagées par ces organismes aux objectifs poursuivis par l'appel à la générosité publique. (…)
La Cour des comptes peut contrôler, dans des conditions fixées par un décret en Conseil d'État, la conformité entre les objectifs des organismes bénéficiant de dons ouvrant droit à un avantage fiscal et les dépenses financées par ces dons, lorsque le montant annuel de ceux-ci excède un seuil fixé par un décret en Conseil d'État.
Lorsque la Cour des comptes atteste, à l'issue du contrôle d'un organisme visé au présent article, de la non-conformité des dépenses engagées aux objectifs poursuivis par l'appel à la générosité publique ou de la non-conformité des dépenses financées par les dons ouvrant droit à un avantage fiscal aux objectifs de l'organisme, elle assortit son rapport d'une déclaration explicite en ce sens. Cette déclaration est transmise au ministre chargé du budget et aux présidents des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat. Elle est rendue publique.
Le code de commerce contient également une disposition destinée aux associations subventionnées pour un montant supérieur à 153 000 €. Son article L. 612-4 fait obligation à ces organismes d’établir des comptes annuels comprenant un bilan, un compte de résultat et une annexe dont les modalités d'établissement sont fixées par décret. La certification d’un commissaire aux comptes est requise, et le rapport de ce dernier fait l’objet d’une publication en même temps que les comptes annuels. Il en va de même pour les organisations non commerçantes ayant une activité économique qui dépassent, pour deux de ces critères, les seuils de 50 salariés, 1 550 000 euros au total du bilan et 3 100 000 euros du chiffre d'affaires ou des ressources.
Ces modalités de surveillance n’excluent pas des contrôles de droit commun réalisés par l’administration fiscale et, lorsque l’organisation emploie des salariés, par l’URSSAF.
Vos rapporteurs se félicitent de l’intention manifeste du législateur de prévenir les abus et les malversations par les organisations non gouvernementales. Il faut cependant craindre que l’allongement continu de la liste des instances de surveillance ne dissimule une efficacité toute relative de cette dernière, qui justifierait la promotion des conventions préalables en lieu et place des traditionnels contrôles sur pièces et sur place. Si les magistrats financiers, les délégués des collectivités, les inspections des finances et de l’administration, les comptables du trésor et le commissaire aux comptes venaient à étudier ensemble les documents comptables, comment croire que les locaux de l’association suffiraient les accueillir tous ? Le nombre d’organismes à contrôler et le faible nombre des contrôleurs ne permettent pas un contrôle régulier et performant. Parmi les organismes auditionnés, seul Greenpeace a indiqué faire l’objet d’investigations de la part de la cour des comptes.
Les dispositifs ponctuels ont leur utilité pour procéder à des levées de doute, mais il est peu probable qu’ils suffisent à assurer une transparence en termes de gouvernance et de financement.
3. La reconnaissance d’utilité publique : une procédure lourde et contraignante
La reconnaissance d'utilité publique (RUP) est la procédure définie par l’article 10 de la loi de 1901 par laquelle l'État reconnaît qu'une organisation présente une utilité publique, ce qui lui permet de bénéficier d’une capacité juridique élargie à la perception de libéralités, de représenter la collectivité en justice et d’obtenir un détachement de fonctionnaires ainsi qu’une légitimité accrue. Nécessaire à la constitution d’une fondation de protection de la nature, elle demeure une option ouverte aux associations environnementales.
L’association qui souhaite l’obtenir la sollicite auprès du ministère de l’intérieur (9) en présentant ses statuts et, le cas échéant, un compte rendu de ses précédentes activités. La reconnaissance de l’utilité publique prend la forme d’un décret en Conseil d’État. Mais la loi est comme précédemment peu précise sur les critères à satisfaire, si bien qu’il est revenu à l’institution du Palais-Royal de fixer un cadre au fil de ses avis. Il a ainsi formulé cinq exigences : un fonctionnement démocratique, une transparence financière, un objet social national, un nombre d’adhérents supérieur à deux cent et des ressources propres excédant 25 000 €. Ces caractéristiques rappellent celles observées pour la reconnaissance d’utilité publique des fondations ; une masse financière permet cependant à ces dernières de se dispenser du nombre minimal de membres.
Sur deux mille associations reconnues d’utilité publique, le ministère de l’intérieur en recense 86 qui se sont constituées autour d’une ambition de sauvegarde de la nature et de l’environnement. Une majorité d’entre elles s’attachent à la protection animale, ce qui réduit d’autant la part de l’environnement stricto sensu.
Les associations reçues par vos rapporteurs étaient pour la plupart dépourvues de l’utilité publique. Il est permis de penser que toutes n’en respectaient pas les exigences précises en termes de transparence et de démocratie interne. Cependant, vos rapporteurs admettent la pertinence de leurs explications quant à la lourdeur de la procédure et des sujétions qui s’attachent à la RUP : aval du Conseil d’État pour toute modification des statuts, communication des comptes à la préfecture et au ministère de l’intérieur, autorisation du préfet requise avant d’aliéner une part du patrimoine. Un comportement violant ces obligations entraînerait probablement (10) le retrait de la reconnaissance, ce qui aurait des conséquences très négatives pour le produit des appels à la générosité publique. La certification par un commissaire aux comptes est également imposée pour les associations reconnues d’utilité publique qui collectent des fonds pour d’autres organismes.
Ces contraintes excessives apparaissent contre-productives. Elles découragent les candidatures : seule une dizaine de nouvelles associations est admise chaque année. Comme précédemment, il est à craindre qu’elles submergent les effectifs insuffisants consacrés au contrôle des pièces comptables et des comptes rendus d’activité. Vos rapporteurs s’interrogent par exemple sur la double communication des bilans à la préfecture et au ministère, alors qu’un seul destinataire suffirait manifestement. Ils s’étonnent également de l’absence de clause de revoyure de l’utilité, alors qu’un examen régulier permettrait à la fois un point plus précis sur les pratiques de l’association et le retrait de la RUP aux groupements dépourvus d’activité.
La reconnaissance d’utilité publique n’est pas le bon moyen d’assurer un contrôle et une transparence aux yeux du grand public. Les associations et fondations de protection de la nature jouissent toutefois d’un instrument particulier : l’agrément ministériel.
4. L’agrément environnemental : un label aux yeux du public
Contrairement à la reconnaissance d’utilité publique et quoiqu’il en recoupe les caractéristiques principales, le principe de l’agrément est étranger à la loi de 1901. Plus récent et sectorisé, il formalise les relations privilégiées qu’un ministère souhaite entretenir avec une association – les fondations ne sont pas intéressées puisque toujours reconnues d’utilité publique.
L’agrément a pour effet de légitimer l’association dans le débat institutionnel, d’en faire un interlocuteur privilégié de l’administration. Dans le domaine environnemental, il confère également une capacité juridique étendue qui permet au récipiendaire de se constituer partie civile contre les auteurs d’atteintes à la nature. Il est enfin une condition d’accès aux emplois aidés et aux subventions de l’État.
Suivant la taille, l’objet et les ressources de l’association, il existe des niveaux d’agrément. Une structure locale sera agréée par la préfecture, tandis qu’une organisation d’envergure nationale présentera sa candidature directement auprès de l’administration centrale du ministère de l’environnement.
Code de l’environnement
Article L. 141-1
Lorsqu'elles exercent leurs activités depuis au moins trois ans, les associations régulièrement déclarées et exerçant leurs activités statutaires dans le domaine de la protection de la nature, de l'amélioration du cadre de vie, de la protection de l'eau, de l'air, des sols, des sites et paysages, de l'urbanisme, ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et les nuisances et, d'une manière générale, œuvrant principalement pour la protection de l'environnement, peuvent faire l'objet d'un agrément motivé de l'autorité administrative.
Dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, la procédure d'agrément est applicable aux associations inscrites depuis trois ans au moins.
Ces associations sont dites « associations agréées de protection de l'environnement ».
Cet agrément est attribué dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État. Il peut être retiré lorsque l'association ne satisfait plus aux conditions qui ont conduit à le délivrer. (…)
Article L. 141-2
Les associations de protection de l'environnement agréées au titre de l'article L. 141-1 ainsi que les associations mentionnées à l'article L. 433-2 sont appelées, dans le cadre des lois et règlements en vigueur, à participer à l'action des organismes publics concernant l'environnement.
Les critères d’agrément reprennent l’essentiel des exigences de l’utilité publique. Auparavant divergents suivant les ministères, ils ont été unifiés autour d’un « tronc commun » par l’annexe V de la circulaire 5439/SG du Premier ministre du 18 janvier 2010.
L’association doit répondre à un objet d’intérêt général, c’est-à-dire qu’elle ne se borne pas à défendre ses membres. Elle combat la discrimination et elle respecte la liberté individuelle. Dépourvue d’activité lucrative, gérée avec désintéressement par un bénévole, elle ne procure aucun avantage exorbitant à ses membres. Elle est enfin apte à agir en réseau.
L’association adopte un mode de fonctionnement démocratique à travers la réunion régulière de ses instances et le renouvellement périodique de ses dirigeants. Son assemblée générale, ouverte à tous les membres, procède à l’élection de l’équipe dirigeante et à l’approbation de rapports communiqués au préalable.
L’association promeut enfin la transparence financière en mettant ses comptes à la disposition de ses membres et en les communiquant à toutes les administrations avec lesquelles elle coopère. Son budget ne la place pas en situation de dépendance envers un financeur unique, privé ou public.
L’agrément suppose ainsi la transmission à l’autorité publique des pièces qui seraient réclamées lors d’un contrôle de l’usage des fonds recueillis auprès du grand public ou perçus par les concours financiers de personnes publiques. Vos rapporteurs approuvent cette procédure qui permet de crédibiliser un acteur devant l’opinion avec l’assurance de sa responsabilité, puisque cette reconnaissance est octroyée par des partenaires réguliers de l’association qui apprécient son comportement sur le terrain. Ils ne négligent cependant pas ses imperfections. Pertinent au moment de son octroi, l’agrément peut perdre sa justification au fil des ans en l’absence de clause de revoyure, pour bénéficier finalement à des structures moribondes ou inactives, et ne constituer finalement qu’un contrôle théorique supplémentaire.
Lors de son audition, la commissaire générale au développement durable Michelle Pappalardo a signalé être consciente de ces failles dans le dispositif du ministère de l’environnement. Une révision des critères d’agrément est en cours, en lien avec la circulaire précédemment mentionnée, pour accompagner la mise en œuvre de la loi Grenelle II.
B.— DES CITOYENS PAS TOUJOURS BIEN INFORMÉS
Sans nier l’importance du contrôle public, la bonne information des particuliers apparaît comme l’enjeu principal d’un débat riche et instructif sur les questions environnementales. Dans l’optique d’une participation des associations et des fondations à la décision publique, la capacité des citoyens à replacer un discours dans son contexte – au-delà des labels, reconnaissances et autres agréments – revêt une importance décisive.
Vos rapporteurs ont constaté au cours de leurs travaux que la législation en vigueur remplit correctement son rôle : elle offre à toute personne intéressée la faculté de se documenter substantiellement sur le mode de financement et de gouvernance de toutes les organisations environnementales relativement importantes. Plus que les moyens, c’est la volonté qui fait défaut. Par-delà les bénévoles et les dirigeants élus, dont le travail et l’investissement méritent d’être salués, beaucoup semblent considérer un versement financier – sous forme de don ou de cotisation – comme un geste suffisant pour formaliser leur engagement en faveur de la protection de la nature.
1. Une implication limitée des adhérents et des donateurs
Les particuliers les plus concernés par le fonctionnement d’une association sont naturellement ses adhérents. Parties au pacte d’association fondé sur une égalité entre les membres, ils sont en droit de réclamer – à condition de respecter eux-mêmes les obligations fixées par les statuts – un fonctionnement régulier des organes de direction et d’obtenir des informations sur la gestion au cours des assemblées générales. L’accès aux documents administratifs et comptables leur est garanti ; seul un candidat à des fonctions de direction peut, en revanche, se faire remettre le fichier nominatif des membres.
Disposition moins connue, un simple donateur jouit également d’un droit d’information étendu sur le fonctionnement de l’association ou de la fondation qu’il soutient financièrement. Il peut se faire communiquer, sur demande, les statuts et le règlement intérieur, la liste des dirigeants, le rapport moral ainsi que les rapports financiers et autres documents comptables et budgétaires. Depuis le 6 juillet 2009, le site internet du journal officiel met à la disposition des donateurs les comptes annuels et les rapports du commissaire aux comptes des organisations recevant chaque année plus de 153 000 € de subventions publiques pour les exercices clos depuis 2006.
Les deux dispositifs se confondent par leurs effets. Du reste, vos rapporteurs ont constaté que la pratique des organisations varie en ce qui concerne les donateurs. Greenpeace a indiqué assimiler ses donateurs à des adhérents, alors que la Ligue pour la protection des oiseaux a signalé maintenir une séparation stricte entre les deux catégories. Le débat demeure de toute façon théorique, du fait du faible exercice de leurs droits par les adhérents. Les plus imposantes associations environnementales rassemblent des dizaines voire des centaines de milliers de membres. Leurs assemblées générales, pourtant, ne réunissent que quelques dizaines, au mieux quelques centaines de personnes.
Vos rapporteurs déplorent ce qui est apparu, au cours des auditions, comme une forme de désintérêt pour le fonctionnement associatif au sein des grandes structures. Il est vrai que la publication sur internet des documents retraçant toutes les activités de l’organisation rend moins nécessaire d’assister à des assemblées générales tenues à une grande distance du domicile. Mais si le fonctionnement démocratique d’une association conditionne son statut de partenaire privilégié de la puissance publique, il reste déplorable que ce contrôle interne par la base demeure largement inexistant dans la pratique par manque d’investissement des adhérents. Vos rapporteurs considèrent également l’absence de base adhérente comme une faiblesse dans le statut des fondations, en ce qu’elle prive ces organisations d’un échelon de surveillance interne utile et gratuit. WWF France corrige cette faiblesse à travers une association éponyme qui regroupe les sympathisants de la fondation. Cette structure interroge quant à sa pertinence, mais elle présente le mérite d’apporter une réponse au déficit de contrôle démocratique des fondations.
Le défaut de participation – qui n’est d’ailleurs pas spécifique aux organisations de protection de la nature, en témoignent les faibles chiffres de participation aux élections politiques et professionnelles – menace d’ailleurs la pérennité des associations à terme. Si une interrogation n’est pas formulée et résolue, le risque existe qu’elle entraîne le départ de l’adhérent et l’arrêt des versements du donateur. Elle affaiblit également le débat d’idées au sein de la structure et le sentiment d’appartenance, donc le lien social qui en résulte. Certaines associations auditionnées ont fait état d’une durée moyenne d’adhésion de quatre ans : ce chiffre peut inquiéter, même si le dynamisme actuel du mouvement environnemental compense les départs par de nouvelles arrivées.
2. Une communication insuffisamment accessible au grand public
Les documents de gestion des principales organisations de protection de la nature, parce qu’elles reçoivent de l’argent public et parce qu’elles collectent des fonds par des appels à la générosité publique, sont consultables par tout citoyen même s’il ne contribue aucunement à leur fonctionnement. Vos rapporteurs se félicitent à nouveau que les pouvoirs publics organisent une transparence généralisée, même s’ils s’étonnent d’une situation dans laquelle l’adhérent et le donateur ne sont pas mieux informés que l’observateur extérieur.
En premier lieu, aux termes de l’article L. 2313-1 du code général des collectivités territoriales, le public dispose d'un droit d'information sur les concours financiers attribués par les communes de plus 3 500 habitants aux organismes sans but lucratif ayant reçu une subvention supérieure à 75 000 euros ou représentant plus de 50 % de son budget. Leur liste figure en annexe des documents budgétaires municipaux.
L'article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, impose aux organisations recevant annuellement un total de subventions supérieur à 153 000 € de déposer à la préfecture du département de leur siège social leur budget, leurs comptes, les conventions de subvention et les comptes rendus de l’utilisation de ces subventions. Ces documents peuvent être consultés par quiconque en exprime la demande.
Enfin, la loi n° 2006-586 du 23 mai 2006, relative au volontariat associatif, ordonne dans son article 22 que « les personnes morales de droit public tiennent à disposition du public par voie électronique, dans des conditions fixées par décret, le montant des subventions qu'elles ont accordées aux associations de droit français et aux fondations reconnues d'utilité publique. Un bilan annuel consolidé est disponible chaque année ». Le décret 2006-887 du 18 juillet 2006 a précisé les modalités d’application de cette disposition, dont la mise en œuvre demeure toutefois fort perfectible.
Dans le débat public, vos rapporteurs n’imaginent cependant pas que le citoyen se précipite en préfecture pour consulter les rapports d’activités et les documents financiers des organisations de protection de l’environnement. Il semble exagérément optimiste d’escompter des particuliers un sacrifice de temps et d’argent pour simplement appréhender les termes d’un débat qui, s’il les intéresse résolument, n’aura pas de conséquence directe et immédiate sur leur existence.
Vos rapporteurs se rallient par conséquent à la démarche publique engagée par la loi du 12 avril 2000 et poursuivie depuis par les gouvernements et les majorités successives. Une transparence renforcée est nécessaire pour organiser sereinement et efficacement le débat public autour de l’environnement, et pour impliquer avec succès les organisations écologiques dans la prise de décision publique en écartant une parole qui serait manifestement dictée par des intérêts extérieurs. Mais cette transparence ne peut résulter d’un énième accroissement des obligations de communication de comptes et de rapports par les associations et les fondations. Cette charge supplémentaire consommerait le temps et l’énergie des associations sans apporter la moindre information à des instances de contrôle déjà engorgées et à des particuliers peu disponibles.
Une transparence effective résultera de mécanismes en amont de l’action et de la subvention, formalisés par l’instrument majeur qu’est l’agrément environnemental. L’État et les collectivités territoriales, qui détiennent la responsabilité de la politique de la nation, ne peuvent être seuls chargés du contrôle des associations et des fondations. Le renforcement des contrôles internes, par une vie démocratique réelle qui permette l’expression d’une opposition, et des surveillances multilatérales par des organismes extérieurs et spécialisés, paraissent les solutions les plus réalistes, les moins coûteuses et les plus respectueuses des identités associatives.
La liberté d’association ne doit pas être ensevelie sous les exigences administratives et législatives. Plus que des amendements au droit, vos rapporteurs plaident en faveur de nouvelles pratiques et de nouveaux comportements. Dans un secteur environnemental en pleine expansion, dont les ressources financières devraient augmenter fortement au cours des prochaines années, ces quelques améliorations devraient permettre la perpétuation sur des bases saines des débats que connaît le pays.
Vos rapporteurs ont axé leurs travaux autour du principe d’une confiance réaffirmée dans les associations. Les évolutions souhaitables dans le fonctionnement des organisations environnementales passeront moins par la loi que par la perpétuation de l’engagement des citoyens dans le mouvement associatif, moins par de nouvelles contraintes réglementaires que par l’attachement des particuliers à l’investissement associatif qui leur est cher.
En matière de protection de l’environnement, le jugement de la population est par ailleurs sans appel. Un sondage (11) – extrêmement préoccupant pour les institutions politiques – a montré que 83 % du panel interrogé a foi dans l’action associative pour protéger la biodiversité. Les Français se détournent des sphères politiques (52 % de confiance envers l'Union européenne et 38 % envers le Gouvernement). Même les collectivités locales ne parviennent pas à susciter un élan aussi favorable : les communes recueillent 69 %, les départements et les régions tous deux 68 %.
Cette bonne perception des associations écologistes ne justifie pas de ne rien faire ; elle signifie simplement que les marges d’amélioration sont modérées. Vos rapporteurs l’ont constaté au cours de leurs auditions : parmi toutes les organisations entendues, la très grande majorité fonctionne selon un système démocratique classique d’assemblée générale régulière, d’élection pour un à trois ans des membres du conseil d’administration, et de diversification des sources de financement.
Les textes statutaires et les documents comptables transmis par les différentes organisations soulèvent, en vérité, fort peu de remarques. Ce sont davantage certaines pratiques qui posent question et qui pourraient jeter la suspicion sur tout un secteur associatif, a fortiori dans la mesure où celui-ci jouit d’une médiatisation élevée et d’une grande visibilité dans l’agenda politique. Ce point renforce incidemment le sentiment d’une utilité limitée des contrôles sur pièces, peu susceptibles de déduire des textes les comportements.
Plus qu’un supplément de réglementation, vos rapporteurs préconisent donc un renforcement de l’éthique de chacun, de façon à éviter que la recherche de l’intérêt général ne se trouve court-circuitée par la protection d’intérêts particuliers, de droits d’usage ou encore de profits potentiels. Eu égard aux enjeux de la diversification des ressources associatives par l’appel à la générosité des particuliers, il y a lieu d’appliquer ce que le droit anglo-saxon et la jurisprudence européenne nomment la « théorie des apparences » : les organisations ne doivent pas seulement être parfaitement honnêtes, elles doivent aussi le paraître ; elles ne doivent pas seulement suivre les commandements de la loi, elles doivent aussi suivre les recommandations de la morale et – ce qui est bien plus complexe – appréhender les conséquences médiatiques indésirables d’une prise de position pertinente.
Croire en la responsabilité associative ne signifie pas pour autant les abandonner à elles-mêmes. In fine, le rôle de structuration de la puissance publique ne saurait être négligé. Par l’attribution d’un agrément de protection environnementale, l’État apporte une crédibilité importante aux associations dont tous les secteurs associatifs ne bénéficient pas. Il reste à assurer et à conforter la valeur de cet agrément en profitant de la mise en œuvre de la loi Grenelle II pour corriger ses imperfections et faire émerger les organisations représentatives qui pourront apporter leur éclairage dans la décision publique.
I.— GOUVERNANCE ET FINANCEMENT :
DEUX VOLETS À AMÉLIORER
Les associations et les fondations de protection de la nature sont les premières actrices de l’amélioration de leur gouvernance et de leur financement. Elles en sont, aussi, les premières bénéficiaires en termes de crédibilité au moment de solliciter la générosité des particuliers. Les auditions conduites par vos rapporteurs ont fait apparaître une revendication des notaires pour une plus grande transparence des associations. En effet, ces officiers publics exercent une mission de conseil auprès de leurs clients. Il n’est pas rare que la rédaction d’un testament amène l’individu à rechercher les bonnes œuvres en faveur desquelles procéder à la dévolution d’une partie de son patrimoine, et à solliciter du notaire l’indication de l’organisme le plus à même de correspondre aux combats qui lui tiennent à cœur. Les notaires déplorent cependant une information insuffisante à propos du secteur associatif, ignorance qui les conduit à ne formuler aucune recommandation.
Il y a donc, sans doute, une communication perfectible de la part des associations environnementales. Mais il y a surtout la crainte, chez le notaire, de délivrer un conseil erroné qui engagerait sa responsabilité professionnelle. Plus que l’existence d’une liste des associations vertueuses – qui devrait s’assimiler, par l’action de l’État, à celle des organisations agréées – vos rapporteurs souhaitent une exemplarité complète du domaine de l’environnement. Il faut à cette fin éliminer les dernières scories en termes de gouvernance, et prendre garde aux impairs de gestion dans l’exercice budgétaire.
A.— UNE GOUVERNANCE MIEUX IDENTIFIÉE
Le contrôle exercé sur les associations ne se résume pas à une contrainte exercée depuis l’extérieur. Il passe aussi par l’exercice de contre-pouvoirs et, partant, par l’existence effective d’une démocratie interne fondée sur le principe électoral. Procéder vers une gouvernance plus transparente et plus lisible vise à prévenir les dérapages qui couperaient l’organisation de sa base comme de sa mission.
1. Faire vivre la démocratie dans les associations
Vos rapporteurs considèrent que le débat démocratique et la confrontation des positions apportent toujours un éclairage propre à faire avancer les positions de chacun. Les thèses en puissances sont ensuite logiquement départagées par un vote, qu’il s’agisse d’une élection des administrateurs par l’assemblée générale des adhérents ou d’une prise de décision stratégique dans un conseil d’administration.
Ce principe démocratique se trouve au cœur des statuts des associations auditionnées. Toutes pratiquent l’élection de leurs administrateurs et de leur bureau. Vos rapporteurs se réjouissent de cette prégnance de la démocratie, même si certains fonctionnements particuliers ont pu les étonner.
C’est notamment le cas du système électoral retenu par Greenpeace dans lequel les adhérents, qui ont préalablement communiqué leur intention de participer au vote, se réunissent en assemblée générale pour élire une moitié du conseil d’administration, cette moitié procédant ensuite à la désignation de l’autre. Si vos rapporteurs n’éprouvent aucune hostilité de principe quant à la nomination de membres ès qualité au sein des organes de direction, cette cooptation massive interroge sur ses effets et surtout sur la motivation de son institution.
Certaines associations ont fait part de leur difficulté à mobiliser les adhérents dans une procédure démocratique interne. Les quelque 45 000 membres de la Ligue pour la protection des oiseaux se trouvent réduits à 300 au moment de l’assemblée générale. Dans une structure qui compte par ailleurs plus de deux cents salariés, le rapprochement des chiffres peut susciter une inquiétude certaine sur la vitalité démocratique de l’association. Celle-ci, toutefois, ne peut être tenue comptable du défaut d’investissement de ses adhérents.
Les associations de taille réduite ont l’avantage de pouvoir fonctionner sur une base idéale – rousseauiste – de démocratie directe. L’association Ferus est spécialisée dans la protection du loup, du lynx et de l’ours. Par son objet social, elle est vouée à réunir un nombre raisonnable d’adhérents (3 000) par ailleurs concentrés dans des zones géographiques déterminées. Il est donc possible de solliciter fréquemment l’assemblée générale pour les décisions de gestion. Le bureau détient en outre peu de pouvoir de direction, le conseil d’administration se montrant particulièrement diligent.
Vos rapporteurs forment le vœu que les membres de l’association prennent part à la gestion de celle-ci, et non seulement à ses actions ou à son financement. Ils recommandent par ailleurs le développement de structures intermédiaires, qui peuvent être géographiquement décentrées du siège de l’association, pour faire vivre la discussion et le débat. Peu d’associations ont mentionné l’existence de commissions internes dotées de compétences spécialisées. La mise en place de délégations éthique, financière, prospective et autres facilite la responsabilité des détenteurs du pouvoir au sein de l’organisme, qu’il s’agisse des administrateurs élus ou des permanents salariés. Les groupes, antennes et démembrements territoriaux peuvent également remplir cette fonction de contre-pouvoir.
2. Renforcer le rôle prépondérant des élus
Parce que vos rapporteurs sont attachés à la vitalité de la liberté d’association, ils s’opposent à une mainmise des salariés sur la direction des organisations. L’irruption des permanents dans les associations constitue un phénomène relativement récent : alors que les années 1980 voyaient l’activité associative essentiellement soutenue par les bénévoles et dirigée par les élus, même les petites associations se dotent aujourd’hui de salariés. Ferus a indiqué disposer de quatre permanents auxquels s’ajoutent deux emplois aidés.
Ce développement du salariat associatif, encouragé dans les années 2000 par les autorités ministérielles, car conséquence directe des complexités de la gestion et de la logique de projet qui conditionne maintenant l’octroi de financements publics, peut avoir un effet négatif. Le lien entre activité associative et rémunération personnelle apparaissant, il y a lieu de craindre un effacement de l’intérêt général face aux intérêts particuliers. Si les postes de permanents ont d’abord été confiés à des emplois jeunes, l’action des associations pour leur pérennisation sous la forme de contrats à durée déterminée ou indéterminée mérite un satisfecit. La conclusion rapide d’une convention collective, synonyme de droits sociaux renforcés des salariés, vaut également d’être saluée.
Les organisations auditionnées ont toutes déclaré s’opposer à l’éventualité – par ailleurs légale et communément répandue dans d’autres secteurs associatifs – de la rétribution des administrateurs. Vos rapporteurs souscrivent avec vigueur à cette position. Les représentants élus de l’association n’ont pas vocation à y exercer un métier, mais une fonction. Il convient de ne pas les distraire de cette mission et de ne pas inaugurer une compétition électorale dont l’objectif réel serait la captation de privilèges plutôt que le service de la collectivité pour l’accomplissement de l’objet statutaire.
Il est essentiel que la responsabilité des dirigeants devant les adhérents ne soit pas vidée de sa substance par une emprise des permanents, experts et techniciens, sur les élus. Vos rapporteurs approuvent le fonctionnement de la Ligue pour la protection des oiseaux qui assigne à tout salarié un administrateur référent, qui coordonne son activité et qui a seul compétence pour porter le dossier devant le conseil d’administration. Ils sont en revanche plus circonspects devant l’organisation de Greenpeace où le conseil d’administration ne détient qu’un rôle de supervision des programmes d’action proposés par les 76 salariés de l’association. Le risque technocratique apparaît alors relativement élevé.
Enfin, la liberté des administrateurs suppose une indépendance d’action au sein du conseil d’administration vis-à-vis des autres membres, sans que leur parole ne mette en jeu d’autres intérêts. Les personnalités qualifiées peuvent avoir leur importance, mais vos rapporteurs constatent une similitude entre structures associatives et monde des affaires : des participations croisées au sein des conseils d’administration qui affaiblissent la gouvernance et les capacités de contrôle des instances. Cette pratique n’est évidemment pas illégale, mais elle jette la suspicion sur la bonne gestion des organisations. Ainsi, la fondation Goodplanet présidée par Yann Arthus-Bertrand accueille dans son conseil d’administration Serge Orru, le directeur général du WWF France. Yann Arthus-Bertrand est aussi administrateur des Amis du WWF, l’association qui fédère les sympathisants de la fondation WWF France et qui gère ses contentieux. Le contrôle réciproque n’a pas que des vertus. Sans dénier à quiconque le droit de multiplier les engagements associatifs bénévoles, la théorie des apparences plaide en faveur d’une clarification de la composition des conseils d’administration.
3. Contextualiser l’action des fondations
Contrairement aux associations, une fondation n’a pas la possibilité de solliciter un contrôle interne. Administrée par une dizaine de membres dont les deux tiers sont les fondateurs et leurs amis par eux désignés, la répartition des pouvoirs en son sein n’a pas vocation à évoluer. Elle interroge d’autant plus qu’elle est de nature à susciter des conflits d’intérêt. Encore une fois, ni la qualité ni l’engagement de ces personnes n’est en cause. Mais la sollicitation de la générosité des particuliers et des financements de la puissance publique entraîne un devoir d’exemplarité qui a conduit vos rapporteurs à s’interroger.
La fondation Goodplanet a pour ambition d’éduquer aux problèmes environnementaux. Elle bénéficie d’une faible part de subventions publiques, l’essentiel de ses ressources provenant des dons de particuliers et de mécénat d’entreprise. L’État compte trois sièges au sein du conseil d’administration, répartis entre les ministères de l’intérieur, de l’environnement et de l’éducation nationale. Cette attribution est conforme au droit, comme la nomination des personnalités qualifiées laissée au choix des fondateurs. Vos rapporteurs s’étonnent toutefois de trouver parmi eux un membre du gouvernement en exercice, Alain Juppé, ministre de la défense. Il est certain que celui-ci a intégré la fondation Goodplanet avant d’occuper la fonction qui est la sienne au sein de l’exécutif, et qu’aucun texte de loi ne proclame une quelconque incompatibilité. Il est néanmoins tout aussi certain que la présence du ministre en charge des forces armées dans l’instance dirigeante d’une organisation environnementale interpelle. Vos rapporteurs ne doutent pas que M. Alain Juppé s’apprête à abandonner son siège auprès de Goodplanet. Il conviendra d’en informer le webmestre de la fondation afin qu’il en fasse mention aux visiteurs du site internet (12).
Une autre affaire a conduit vos rapporteurs à se pencher sur les activités de Goodplanet et à lui adresser un courrier en décembre 2010 – dont la réponse est parvenue dans les derniers jours de janvier 2011. Elle concerne l’attribution au Qatar de la coupe du monde de football prévue en 2022. Plusieurs députés de la commission du développement durable de l’Assemblée nationale se sont émus de cette décision en termes de coût pour l’environnement, dans la mesure où les stades restent à construire et où le climat local extrêmement défavorable contraindra à climatiser les infrastructures sportives. La facture énergétique de l’événement promet d’atteindre des montants considérables, bien que les finances qataries permettent d’investir en masse dans des sources renouvelables. Dans ce contexte, le soutien publiquement apporté par Yann Arthus-Bertrand à la candidature du Qatar étonne. La rumeur répandue par la presse selon laquelle le Qatar comptait parmi les financeurs du film du photographe, Home, toujours mis à disposition sur la page d’accueil du site de Goodplanet, renforce les interrogations et les risques de discrédit. Vos rapporteurs ont pris note des précisions apportées par Yann Arthus-Bertrand dans sa réponse : la promesse d’un événement neutre du point de vue du carbone, la volonté de faire apparaître les préoccupations écologiques dans une partie du monde pour l’heure peu consciente des risques du réchauffement climatique, son espérance de voir le calendrier de l’épreuve déplacé de l’été à l’hiver. Il est possible, en effet, que l’impact de l’événement sur le Moyen-Orient s’avère positif. Sans doute l’effet désastreux de cette décision en Europe a-t-il, néanmoins, été grandement sous-estimé.
La composition du conseil d’administration de la fondation Nicolas Hulot pose d’autres questions. Trois entreprises y occupent un siège : TF1, EDF et L’Oréal. Ceci ne pose, en soi, aucune difficulté : le mécénat de puissantes sociétés en faveur de l’environnement doit être accueilli comme un moyen supplémentaire d’action. Néanmoins, les activités particulières de ces groupes semblent problématiques sans les dimensions environnementales. EDF est une entreprise de pointe dans le secteur nucléaire. Quant à L’Oréal, elle est classée parmi les groupes de cosmétiques dont les produits font l’objet de test sur les animaux, au grand désarroi des opposants à la vivisection. Dès lors, comment interpréter, par exemple, la position très mesurée de Nicolas Hulot sur l’énergie nucléaire ? Quel poids donner à sa parole sur les activités principales de ses deux administrateurs, dont vos rapporteurs ont appris que l’un d’eux finance la fondation à hauteur de 10 % de ses ressources ?
Il ne s’agit pas de jeter l’interdit sur la participation des individus et des entreprises aux causes qui leur paraissent justes. Dans un contexte de crise économique et environnementale, les financements en faveur de la protection de la nature sont tous bénéfiques. Mais la prudence et la sagesse ordonnent de ne pas transformer les partenaires en codécideurs. Dans le meilleur des cas, il en résulte une défiance à l’égard des défenseurs de l’environnement dont pâtit l’ensemble du secteur. Dans le pire des cas, que vos rapporteurs ne souhaitent pas imaginer, la parole de la fondation se trouve pilotée par ses administrateurs intéressés sur les sujets sensibles.
Les compositions des conseils d’administration sont disponibles dans les médias et sur internet. Vos rapporteurs souhaitent que les organisations accroissent davantage leur transparence sur ce thème éminemment central de l’indépendance des positions. Lorsqu’une personnalité s’exprime au nom d’une fondation, le grand public doit savoir qui s’associe à ce discours. Le message a parfois moins de sens que le messager.
4. Prévenir un comportement d’entreprise
La frontière entre objectifs et prestations de services, ou encore participation à une mission de service public, demeure dans la pratique bien incertaine même si elle a été, dans son principe, très clairement définie dans l'instruction du 9 septembre 2001 pour l'application du code des marchés publics : « Il y a marché public lorsque l'administration exprime de son initiative un besoin qui lui est propre et qu'elle demande à un prestataire extérieur de lui fournir les prestations de services de nature à satisfaire ce besoin en contrepartie d'un prix…En revanche, il y a subvention lorsqu'il s'agit pour une personne publique d'apporter un concours financier aux activités d'une association qui a bâti un projet spécifique ». Le critère de distinction ainsi proposé est essentiellement celui de l'initiative du besoin exprimé ou de l'action envisagée. On peut y ajouter l’absence de contrepartie spécifique pour l’autorité qui accorde une subvention.
Le franchissement d’un seuil de 23 000 € entraîne l’obligation légale de contractualiser le versement avec la puissance publique. Cette convention comporte des risques au regard des principes de la commande publique et de la législation fiscale applicable. En effet, elle intervient en dehors de toute procédure de mise en concurrence, mais elle relève du code des marchés publics dès lors qu’elle suppose un transfert de ressource et qu’elle intervient dans le champ concurrentiel.
Vos rapporteurs affirment être très attachés à ce que le but des associations consiste à satisfaire un objet social d’intérêt général, et non à s’abriter derrière un régime social et fiscal avantageux pour conduire des activités qui ressortissent à l’activité économique. Le droit de l’Union européenne se montre sourcilleux de ce point de vue et le domaine environnemental, contrairement aux activités sociales et aux politiques qui relèvent de la puissance publique, ne bénéficie aucunement d’une exemption des rigueurs du droit de la concurrence.
Bien sûr, il est loisible à une association de candidater pour l’obtention d’un marché public ou d’une délégation de service public. Mais il convient alors que la logique de projet ait été convenablement définie et, surtout, que l’autorité de commande respecte les prescriptions du code des marchés publics.
La même analyse prévaut pour ce qui concerne les activités conduites dans le champ économique à destination de personnes privées. Il est classiquement admis que des prestations commerciales soient servies aux adhérents et aux donateurs de l’association. Les ventes de brochures et d’objets labellisés ne soulèvent aucune difficulté. En revanche, les prestations offertes aux tiers pourraient poser problème. La fédération ATMO détient de la loi, par exemple, la mission de surveillance de la qualité de l’air ambiant. Mais les associations locales (AASQA) sont également actives pour le contrôle de l’air intérieur auprès d’industriels, domaine a priori ouvert à la concurrence. De plus, les AASQA sont partiellement financées par un prélèvement obligatoire sur les entreprises, la taxe générale sur les activités polluantes. Il n’existe apparemment pas encore d’activité économique pour le contrôle de l’air intérieur ; toutefois la plainte d’un futur concurrent n’est pas à exclure à l’avenir. Il revient à ATMO de prendre la situation en considération et de solliciter, le cas échéant et sur ce point précis, une modification de la loi.
Même si l’activité économique d’une association peut troubler l’observateur, elle constitue une source de recettes appréciables alors que la diversification des ressources est élevée au rang de nécessité de gestion. Il convient cependant que les organismes de protection de l’environnement accordent toujours une priorité à leur objet social d’intérêt général, et qu’ils respectent la réglementation économique lorsqu’ils agissent dans le champ commercial. Une association n’est pas une entreprise ; les avantages de fonctionnement et d’imposition que lui concède la loi de 1901 n’ont pas été rédigés pour lui permettre d’intervenir dans l’économie dans des conditions de concurrence favorables. Vos rapporteurs jugent ainsi que le WWF France a sagement agi en concentrant dans une société annexe, Panda EURL, dont la Fondation est l’associé unique, la charge de développer la marque Panda.
B.— UN SUIVI RENFORCÉ DES SOMMES MANIÉES
La gouvernance constitue le principal point sur lequel une clarté supérieure est escomptée de la part du mouvement associatif de protection de l’environnement. On ne négligera cependant pas les aspects relatifs au financement des organisations, car les scandales qui ont pu ébranler d’autres branches par le passé – le secteur médico-social notamment – ont trouvé leur source dans un maniement des fonds peu compatible avec une gestion désintéressée dans un but d’intérêt général. Une association sur quatre, dans tous les secteurs d’activité, fait un effort particulier pour adapter la présentation de ses documents comptables au grand public, notamment par la mise en avant de ratios significatifs sous forme graphique, afin de convaincre le donateur profane du sérieux de sa gestion.
Il convient de rappeler que les organisations de protection de l’environnement ne représentent qu’une faible fraction de la générosité nationale, en raison de leur sollicitation tardive des particuliers. Elles représentent aussi un des plus forts potentiels de progression qu’ont identifié les spécialistes de la collecte associative de France Générosités, auditionnés par vos rapporteurs. Les collectes de rue sont en effet organisées avec une attention toute spécifique, voire déléguées à des entreprises spécialisées comme ONG Conseil. Vos rapporteurs s’étonnent d’un tel degré de professionnalisation qui demeure très probablement ignoré des donateurs, sans doute convaincus de rencontrer des bénévoles et non des commerciaux. Il est certain toutefois que les masses en jeu et le nombre de sollicitations potentielles par différents organismes dans tous les domaines justifient un minimum de coordination.
Les collectes de Greenpeace méritent un développement particulier. Comme expliqué précédemment, l’association axe sa politique sur une indépendance absolue envers les pouvoirs publics et le mécénat d’entreprise. Cette position lève immédiatement toute ambiguïté et toute suspicion sur l’origine des fonds, puisque seuls les donateurs particuliers apportent leur contribution au budget de l’organisation. Elle induit toutefois la nécessité de rencontrer le succès au cours des opérations de collecte : si l’association vient à déplaire, sa pérennité financière se trouve menacée. Il en découle la nécessité d’actions particulièrement médiatiques destinées certes à revendiquer une position écologiste, mais aussi à se signaler au regard du donateur potentiel.
Les autres organismes reçus ont fait le choix d’une diversification des ressources dans des proportions qui varient en fonction de leur répertoire d’actions. Les petites structures et les associations de personnes morales sont beaucoup assises sur les cotisations des membres. Les fondations ont une plus grande facilité à solliciter le mécénat d’entreprise. Les gestionnaires de réserves reçoivent la contrepartie de leur participation au service public. La plupart fait aussi appel aux subventions publiques. Certaines enfin, dans les domaines les plus techniques, s’adonnent à des prestations de service facturées. ATMO est un cas particulier puisque les AASQA, instituées par ordre de la loi, peuvent prétendre à des ressources levées par l’impôt.
La conjoncture est favorable aux organisations environnementales, qui ont une plus grande facilité que les autres à convaincre les donateurs. Leur participation aux structures de concertation issues du Grenelle II va cependant engendrer des frais. Les représentants de FNE ont suggéré un financement public comparable à celui du monde syndical, estimant remplir désormais des missions de valeur comparable. Vos rapporteurs jugent cette demande peu recevable : les associations demeurent fondées sur un engagement volontaire de leurs membres, il n’est pas souhaitable d’accroître encore le pouvoir des permanents en leur sein, et la situation contrainte des finances publiques ne permet de toutes façons pas d’envisager cette nouvelle dépense.
1. Tracer exactement les financements
La question de la globalisation des dons reçus par les associations et de leur répartition par l’organisme bénéficiaire s’inscrit dans l’actualité, alors que la Cour des comptes achève son examen de l’emploi des sommes collectées à la suite de l’émotion suscitée par le raz-de-marée de 2004 en Asie.
Rien n’interdit juridiquement aux associations de réaffecter en partie un flux financier jugé excessif, quelle que soit la raison qui ait provoqué cet afflux, dès lors que leur estimation de la situation est correcte. Si un donateur souhaite que son don soit affecté à une action déterminée, l'association ou la fondation est tenue de respecter sa volonté ou de refuser sa contribution. Ce souhait doit être exprimé de manière expresse, en particulier lorsque l'organisme s'est explicitement réservé la possibilité d'utiliser le don à une cause autre que celle indiquée dans sa sollicitation.
Il reste que ces réaffectations financières ont un effet très négatif sur l’opinion publique, qui considère avoir été flouée. Vos rapporteurs ont noté que, dans le domaine environnemental aussi, les enseignements de la force de vente ont cours pour susciter l’acte de don. Il est facile d’attendrir le donateur en mettant en avant un tigre et un panda ; c’est plus délicat avec un requin et un grand hamster d’Alsace. Le loup fait partie des espèces reconnues mobilisatrices. WWF France ne disposant pas d’une expertise suffisante en la matière, la fondation acquitte le devoir né de ses collectes en versant à Ferus une dotation annuelle de 30 000 € pour la sauvegarde des populations des Alpes. Vos rapporteurs approuvent cette démarche, qui permet de bénéficier à la fois de l’expérience du WWF dans l’appel à la générosité publique et de la compétence de Ferus dans la protection lupine.
La question des partenariats doit enfin être évoquée. Les relations des organisations environnementales avec les entreprises, et notamment avec les sociétés reconnues comme peu vertueuses dans leur rapport avec la nature, jettent parfois le trouble sur la sincérité de leur action. Certaines associations ont indiqué ne pas croire à la possibilité d’une indépendance dès lors que des liens contractuels et financiers existent. D’autres, au contraire, prouvent que leurs engagements n’obscurcissent en rien leur vigilance écologiste : FNE a déclaré avoir déposé une plainte en justice contre son partenaire Réseaux ferrés de France. Vos rapporteurs affirment leur soutien à la démarche de partenariat, par laquelle un organisme environnemental permet à une organisation polluante de minimiser son impact sur le milieu extérieur tout en collectant des fonds nécessaires à d’autres actions. De la même façon qu’une promotion approfondie des droits de l’homme en Scandinavie présente un intérêt limité, la logique de protection de l’environnement conduit à se rapprocher des pollueurs les plus importants pour obtenir les avancées les plus sensibles. Seule condition à la persistance de l’autonomie de décision : il est nécessaire d’éviter une dépendance financière envers le partenaire. La recette recueillie ne doit pas constituer une source principale de financement, simplement un apport toujours appréciable.
2. Agréger les documents comptables des fédérations
La connaissance des budgets associatifs est chose complexe. Par les choix de gouvernance opérés, il n’est pas aisé pour le grand public de parvenir à identifier ce que représente réellement une association.
Vos rapporteurs ont relevé que les unions et fédérations reçues étaient souvent promptes à mettre en avant le nombre global de leurs membres, et à répondre à une question sur les finances ou les ressources humaines en se référant au seul échelon central. La différence de perspective est pourtant considérable. L’Union nationale des CPIE compte une poignée de permanents à l’échelon central, mais plus de mille dans l’ensemble du réseau ; le budget de un million d’euros au niveau supérieur atteint quarante millions d’euros une fois consolidé. France Nature Environnement avance quant à elle des ressources légèrement inférieures à trois millions d’euros, mais elle n’inclut pas à ce chiffre les finances des trois mille associations qui lui sont réunies.
Il n’est pas question pour autant de procéder à des calculs arithmétiques qui seraient forcément déraisonnables. Une fédération a une fonction de représentation et de coordination, elle ne jouit pas d’un pouvoir hiérarchique sur les entités qui la composent. Les associations locales et spécialisées conservent une large autonomie. Néanmoins, il serait bon pour le grand public – et pour les administrations sans doute également – de disposer des données consolidées afin d’estimer ce que pourraient représenter ces organisations dans l’hypothèse, certes théorique, d’une parfaire coordination du réseau.
3. Diminuer les sommes consacrées au fonctionnement
Comme pour l’ensemble du secteur associatif, le citoyen qui investit son temps dans un organisme de protection de l’environnement, ou qui lui consacre une part de ses revenus, souhaite que la part de sa contribution dissipée au titre des frais de gestion et de fonctionnement soit réduite au strict minimum. Une proportion excessive de consommation administrative prête immédiatement le flanc au soupçon d’une mauvaise utilisation des dons, voire d’un détournement de la générosité publique.
Les organismes entendus par vos rapporteurs ont subi le mouvement de professionnalisation qu’a connu le monde associatif au cours des deux dernières décennies. La multiplication des permanents, rendus nécessaires par les formalités administratives à acquitter et par la compétition pour l’accès au don, imposés aussi par les avancées permanentes de la technique en matière de protection de l’environnement, justifiées enfin par la présence obligatoire de personnels pour les opérations de sensibilisation et de pédagogie, aboutit à des frais de fonctionnement importants. La LPO a fait part de sa volonté de plafonner sa masse salariale à 45 % de son budget. Pour la fondation Nicolas Hulot, le taux est supérieur à 50 %. Quant à France Nature Environnement, les charges de personnels atteignent 1,6 million d’euros pour un budget de 2,7 millions d’euros, soit près de 60 %.
Vos rapporteurs jugent ces statistiques importantes mais pas déraisonnables au regard des activités des différentes associations. La difficulté à mobiliser des bénévoles aux compétences affirmées dans les fonctions de soutien technique explique la croissance du nombre des permanents : si l’expertise environnementale est toujours présente au sein du bénévolat, il n’en reste pas moins que le comptable, le juriste ou encore le webmestre doivent être salariés. En outre, plus l’association se veut proche du grand public, plus ses besoins humains augmentent : les masses salariales sont naturellement les plus faibles dans les associations de personnes morales, et les plus élevées dans les associations de sensibilisation.
Vos rapporteurs tiennent à achever leur développement sur la matière financière en mentionnant le cas des associations gestionnaires pour l’État de réserves naturelles. La LPO et la SNPN sont concernées. Cette dernière a la charge de la gestion de la réserve zoologique et botanique de Camargue ainsi que de la Réserve naturelle du lac de Grand-Lieu (Loire-Atlantique). Sur les vingt-cinq salariés employés par l’association, quinze sont consacrés à la gestion de ces territoires sur la base de conventions passées avec l’État. Les auditions ont appris à vos rapporteurs que les sommes versées par la puissance publique ne comblent pas les besoins d’entretien, et que l’association finance par conséquent sur ces deniers ce service public. Les dirigeants de la SNPN considèrent satisfaire leur objet social en consentant ces avances à l’État. Vos rapporteurs saluent un tel sens de l’intérêt général, mais ils appellent néanmoins la puissance publique à ses responsabilités dans ce qui est une délégation de service public méritant une juste rétribution, et non le cofinancement partiel d’un projet associatif par voie de subvention.
II.— POUR UNE PARTICIPATION VALORISÉE DANS LE DÉBAT
Les recommandations précédentes devraient permettre de clarifier les positions des organisations de protection de l’environnement dans le débat public et de prévenir d’éventuelles accusations de conflit d’intérêt, de possibles mises en cause par les autorités de la concurrence, et la crainte d’une captation de l’expression démocratique par la bureaucratie associative. Au reste, le secteur environnemental n’apparaît pas comme le plus menacé, ce qui ne lui interdit pas de viser l’exemplarité.
Dans la perspective de la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement et d’une participation accrue du monde associatif à la décision publique, cet effort d’organisation ne saurait se borner à une réorganisation interne des associations. Même si vos rapporteurs plaident avec vigueur pour que cette démarche volontaire et autonome prévale, elle ne peut constituer la seule évolution. Le changement doit nécessairement engager des acteurs extérieurs : des observateurs, des évaluateurs, des contrôleurs et, évidemment, la puissance publique.
La loi Grenelle II a bouleversé les conditions d’un débat, certes ancien, mais désormais formalisé. Elle commande une adaptation des acteurs : la légitimité de l’expression sera conditionnée par la légitimité des organisations et de leurs dirigeants. Ceux-ci l’ont bien compris. Lors de son audition, l’ancien président de France Nature Environnement a déclaré à vos rapporteurs avoir anticipé cette évolution en prenant pour base les conditions de représentativité des syndicats fixées par la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, qui figurent à l’article L. 2121-1 du code du travail. L’initiative paraît heureuse, car le domaine syndical s’est trouvé confronté à des interrogations similaires. Les critères retenus correspondent en outre à ce qui est attendue d’une association environnementale appelée à contribuer au processus de la décision publique.
Article L. 2121-1 du code du travail |
La représentativité des organisations syndicales est déterminée d'après les critères cumulatifs suivants : |
1° Le respect des valeurs républicaines ; |
2° L'indépendance ; |
3° La transparence financière ; |
4° Une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation. Cette ancienneté s'apprécie à compter de la date de dépôt légal des statuts ; |
5° L'audience établie selon les niveaux de négociation conformément aux articles L. 2122-1, L. 2122-5, L. 2122-6 et L. 2122-9 ; |
6° L'influence, prioritairement caractérisée par l'activité et l'expérience ; |
7° Les effectifs d'adhérents et les cotisations. |
A.— UN SUIVI COLLECTIF DE L’ACTION DES ASSOCIATIONS
Les bonnes pratiques recommandées précédemment constitueraient une avancée vers un monde associatif environnemental plus cohérent, plus démocratique et plus crédible pour la population comme pour ses interlocuteurs publics. Elles sont pourtant délicates à appliquer. Vos rapporteurs ont conscience que les systèmes théoriques idéaux ont pour caractéristique de se corrompre une fois en contact avec la réalité concrète. Les travers soulignés précédemment ne sont aucunement propres aux organisations non lucratives : ils se retrouvent tout autant dans la sphère publique et dans le monde de l’entreprise.
Pour faciliter les entreprises dans la définition d’une gouvernance et de modalités de financement adéquates, l’éthique personnelle des adhérents et des dirigeants – quoiqu’essentielle – ne peut suffire. La complexité de la gestion associative ne permet pas un comportement incontestable sur la seule base de principes moraux, particulièrement lorsque des centaines de milliers de donateurs et des millions d’euros sont en cause. Les recommandations d’observateurs et de contrôleurs, familiers des mécanismes de gouvernance et des travers fréquemment constatés, interviennent afin de réduire les difficultés de la structure et de lever les doutes du grand public. Leurs conseils sont précieux, et d’autant plus efficaces qu’ils interviennent en coopération avec les organisations.
1. Évaluer : des observateurs qui valorisent la transparence
Vos rapporteurs ont rencontré trois intervenants privés n’appartenant pas au monde associatif environnemental, mais dont l’expérience peut contribuer à la structuration des organisations de défense de l’environnement.
Mme Julie Rebatet a présenté les activités de la Chaire d’entreprenariat social de l’ESSEC sur les bonnes pratiques et la transparence associative. Prenant acte de la nécessaire professionnalisation de la gestion des organisations, cet institut forme depuis 2002 une quarantaine d’étudiants par an. Il invite les associations à se prémunir contre les conflits d’intérêt : une brochure est éditée à cette fin pour délivrer une marche à suivre, et les étudiants en cours de formation auditent une association de petite taille – partant du principe que les plus grosses structures possèdent déjà l’expertise nécessaire. Cette démarche présente le grand avantage de s’inscrire dans un cadre volontaire, extérieur à tout contrôle institutionnel et sans risque de sanction, à l’inverse d’un classique contrôle de fraude. Les corrections opérées suite aux recommandations le sont par la volonté de l’association et non suite à l’injonction du contrôleur, administratif ou juridictionnel.
Cette audition a renforcé le constat de la jeunesse du mouvement environnemental et son inexpérience relative devant les questions de gouvernance. En huit années d’expérience et huit promotions d’étudiants, l’ESSEC n’a été sollicitée qu’à une unique reprise par une organisation de protection de la nature – et d’ailleurs pour une analyse de l’influence de son action davantage que pour l’amélioration de sa gouvernance interne. Vos rapporteurs recommandent le recours à la ressource étudiante dans une démarche qui profite à tous : l’association bénéficie du conseil d’un observateur extérieur compétent, l’auditeur complète sa formation professionnelle, la transparence accrue renforce la confiance des donateurs dans les organisations de protection de la nature.
Le cabinet d’audit et de conseil KPMG a indiqué, pour sa part, avoir institué un observatoire de la transparence associative afin d’améliorer le service fourni aux associations et fondations qui font appel à lui. Cette transparence se formaliserait par la conjonction de critères de gouvernance, d’une information financière et d’une culture de l’évaluation. Du fait de la faible importance numérique et financière du domaine environnemental, celui-ci n’apparaît qu’à la marge : les trente organisations considérées figurent dans l’entrée « autres » qui compte 117 sur les 910 du panel, avec le sport, la chasse, le logement et le tourisme. L’originalité de l’approche tient à la distinction des attentes des différents intervenants identifiés (pouvoirs publics, organismes de contrôle, donateurs, bénévoles, banques et autres) dans l’appréhension de ces critères : ainsi les donateurs et les pouvoirs publics accordent-ils, par exemple, peu d’importance à la proportion des permanents salariés dans l’organisation des ressources humaines internes entre bénévoles et permanents, alors que ce point revêt une importance considérable pour les organismes de contrôle et pour les bénévoles concernés.
L’étude du cabinet KPMG confirme la grande diversité d’activités et de structures que compte le domaine environnemental. Elle implique également que l’évaluation portée soit grandement fonction de la taille de l’organisation, de l’importance de son budget et du nombre de ses salariés. Vos rapporteurs ont pris connaissance avec intérêt des conclusions de l’observatoire, qui recoupent en grande partie leur approche et qui formulent les mêmes interrogations sur les questions de représentativité et de sécurité juridique. Il est certain qu’un cabinet d’audit ne peut être sollicité que par des organisations déjà solides du point de vue financier. Néanmoins, sa présence dans le monde associatif réaffirme combien les intérêts en jeu dépassent désormais de beaucoup l’image traditionnelle de l’association de quartier ou de canton.
Enfin, vos rapporteurs soulignent la démarche originale de surveillance des organisations opérée par Prometheus, fondation créée en 2005 par nos collègues Jean-Michel Boucheron et Bernard Carayon à la suite du rapport commandé à ce dernier en 2003 par le Premier ministre sur l’intelligence économique, la compétitivité et la cohésion sociale. Cette structure, qui a pour objet d’encourager les secteurs de production stratégiques nationaux dans un contexte de guerre économique, a constaté que certaines organisations officiellement non gouvernementales destinées au contrôle de l’éthique des affaires sont suscitées par des États auxquels elles procurent un avantage d’image dans la compétition commerciale. Parmi ses activités, Prometheus publie depuis 2008 un baromètre de la transparence des organisations non gouvernementales suffisamment puissantes pour influer sur la compétitivité nationale. Bernard Carayon a souligné que le secteur de l’environnement constituait, après l’éthique des affaires, une priorité dans les investigations de la fondation qu’il préside.
La méthodologie retenue par Prometheus présente les défauts de ses qualités. Considérant qu’internet a acquis aujourd’hui le rang de premier médium d’information du public, la fondation a établi une liste de dix documents dont la publication en ligne représente, selon elle, la meilleure garantie de la transparence. Chacun de ses documents équivaut à un point dans la notation finale. La direction de Prometheus s’est déclarée consciente des limites d’une approche purement quantitative ; elle insiste néanmoins sur l’objectivité que procure sa méthode.
Vos rapporteurs saluent la démarche investigatrice présentée ici, même si des interrogations persistent nécessairement devant les modalités d’établissement du baromètre. En premier lieu, il apparaît arbitraire de fonder tout un jugement sur la qualité technique d’un site internet, bien que le budget des associations surveillées leur permette sans difficulté de se doter de webmestres performants. En second lieu, la fondation Prometheus encourt les mêmes critiques que celles que vos rapporteurs ont adressé aux fondations environnementales : constituée d’un rassemblement de grandes entreprises françaises (13) et de personnalités qualifiées, rien ne garantit l’absence de conflits d’intérêt dans son processus de décision. La rigueur de la méthodologie employée répond toutefois à cette interrogation.
Finalement, les auditions réalisées avec les organisations environnementales conduisent à délivrer un satisfecit à l’action de Prometheus. Si les commentaires des acteurs interrogés ont pu fluctuer entre le positif nuancé et le désintérêt complet, aucun n’a clairement rejeté la démarche. La majorité des associations et des fondations interrogées considèrent certes le baromètre peu utile, mais jugent également que la satisfaction de ses exigences ne coûte rien et qu’elle apporte un supplément d’information au grand public. Toutes ont donc sollicité leur webmestre pour mettre en ligne des documents autrefois disponibles par d’autres moyens. Prometheus reconnaît cette évolution positive puisque, dans l’ensemble du secteur associatif, une seule structure obtenait sa note maximale en 2008, contre quatre en 2009 et sept en 2010. Un dialogue s’est instauré entre l’évaluateur et les évalués qui devrait favoriser la mise à disposition des informations clefs.
Ces trois intervenants présentent pour caractéristique commune une volonté de généraliser les bonnes pratiques et la transparence sans passer par une démarche de sanction et dans une relation constructive avec les associations. D’autres organismes poursuivent le même objectif en y ajoutant une dimension essentielle dans un secteur qui vit de la sollicitation des particuliers et du secteur public : la labellisation.
2. Labelliser : des contrôles qui garantissent une gestion rigoureuse
Confrontées à la demande des donateurs et craignant l’impact forcément négatif d’un scandale financier, un certain nombre d’associations recherchent à renforcer la confiance du public à travers une démarche de labellisation.
L’organisation internationale de normalisation a créé en 2008 une norme ISO 9001, auditable et certifiable, sur les Systèmes de management de la qualité. Les organisations non gouvernementales peuvent y prétendre. Ce label est néanmoins onéreux et peu connu du grand public, d’où sa faible pénétration dans le secteur environnemental.
Gouvernance et certification conduit une démarche de certification pour distinguer les organisations dont l’objectif s’éloigne de l’intérêt général pour servir plus volontiers l’intérêt particulier. Ainsi que l’énonce son site internet : « l’opinion publique découvre que le pavillon associatif peut abriter de détestables pratiques, que certains gros employeurs et gros gestionnaires n’ont d’associatif que le statut, que leurs intérêts n’ont plus rien à voir avec ceux des associations de base soit 96 % de l’effectif, que de faux artisans, faux commerçants, faux nez des administrations et des corporations dénaturent l’idéal associatif. De l’association contre pouvoir par excellence de la société civile, ils font un outil de facilité budgétaire et fiscale au service des autres pouvoirs d’argent, des administrations et des corporations. » Ce label présente toutefois le défaut de s’apparenter davantage à la logique d’entreprise qu’à la philosophie associative.
Vos rapporteurs ont entendu le président du Comité de la charte du don en confiance. Cette structure a été fondée en 1989 par les grandes associations et fondations sociales et humanitaires, conscientes de la nécessité d’une relation de confiance avec l’opinion pour espérer développer la générosité du public. Elle réunit aujourd’hui soixante-trois associations et fondations qu’elle agrée pour une durée de trois ans renouvelables, sur les trois cents qui sollicitent le public pour des ressources supérieures à 500 000 € – cette somme devrait se réduire prochainement à 153 000 € afin de correspondre à l’obligation de recours à un commissaire aux comptes.
La charte de déontologie dont s’est doté le Comité concerne la gouvernance comme le financement des organisations. Si les exigences de démocratie, de transparence et de respect de la loi présentent un caractère classique, l’originalité de la démarche tient à la présence au sein de l’association agréée d’un contrôleur qui vérifie la conformité des pratiques aux exigences statutaires et réglementaires. Ce suivi en temps réel de l’activité des associations, qui permet une surveillance continue, tranche avec les caractères ponctuel et textuel des contrôles induits par la reconnaissance d’utilité publique et l’agrément environnemental. A la suite d’une convention récente qui recommande à l’administration de se référer au Comité dans ses relations avec les associations, le secrétariat d’État à la jeunesse octroie 15 % du financement de la structure, les sommes restantes provenant des cotisations des membres.
Le Comité peut lever l’agrément de l’un de ses membres s’il juge que ses engagements n’ont pas été tenus. Cette possibilité n’a toutefois jamais été utilisée, les associations préférant alors quitter la structure de leur propre chef avant de s’en voir exclues. Le « contrôle par les pairs » ainsi pratiqué est soupçonné d’être moins efficace qu’un contrôle externe qu’il n’a d’ailleurs ni vocation ni avantage à remplacer. Toutefois, les récentes réformes du Comité (2008et 2010) ont conduit à une professionnalisation, notamment par la séparation des fonctions d’agrément et de contrôle et par l’entrée au conseil d’administration de personnalités qualifiées indépendantes du monde associatif.
Vos rapporteurs recommandent avec vigueur un rapprochement des organisations environnementales et du Comité de la charte. La protection de la nature se singularise par son caractère émergent, puisque ce n’est qu’au milieu des années 2000 que le Comité a accepté de les déclarer éligibles à un agrément jusqu’alors réservé à l’humanitaire et au médico-social. On peut ainsi fortement regretter qu’aucune organisation écologique ne soit encore membre du comité, et qu’une seule fondation ait fait le choix de déposer sa candidature.
3. Surveiller : des représentants de l’État actifs
Le renforcement des contrôles internes ne peut entièrement se substituer au contrôle externe. Loin de l’idée reçue d’une impunité face au regard de la puissance publique, les organisations de protection de l’environnement qui sollicitent la générosité des particuliers et qui bénéficient de subventions publiques font l’objet, on l’a vu, de nombreux contrôles. L’administration centrale, les juridictions financières, les services fiscaux et l’URSAFF exercent une vigilance sur la régularité des comptes et l’emploi des ressources. Le principe et la légitimité de ces contrôles sont parfaitement admis par les associations. L’investigation parlementaire est tout autant acceptée : les invitations à s’exprimer devant vos rapporteurs ont presque toutes reçu des réponses favorables, et toutes les pièces demandées ont été communiquées sans difficulté.
La volonté d’exemplarité des associations n’est donc pas en cause. Cependant, le poids des obligations réglementaires accuse un excès certain, particulièrement pour les structures de faible dimension à qui manquent le temps et les moyens humains à y consacrer. En dépit des textes relatifs aux simplifications procédurales et malgré la valorisation d’une démarche contractuelle préalable de préférence aux classiques vérifications a posteriori, les autorités qui financent et les corps qui contrôlent réclament la communication d’une masse de documents. Or ces transmissions s’effectuent à un tel rythme que leur exploitation ne peut être qu’exceptionnellement assurée par des services engorgés.
Selon le rapport Morange de 2008, les services administratifs au niveau central et déconcentré n’ont pas les moyens d’exploiter les documents qui leurs sont envoyés chaque année ni de faire des contrôles sur pièce et sur place. Il serait donc opportun de renforcer le rôle en la matière des corps de contrôle, dont la qualité des travaux est saluée par le secteur associatif dans son ensemble, en leur allouant des moyens supplémentaires. Les travaux de l’Inspection générale de l’administration (IGA) sur l’action des associations agréées en matière de sécurité civile sont cités en exemple. Le rapport public de 2000 du Conseil d’État, relatif aux associations cent ans après la loi de 1901, recommandait de renforcer les moyens de surveillance et de contrôle du ministère de l’intérieur en donnant explicitement compétence à l’IGA pour contrôler sur pièce et sur place les associations reconnues d’utilité publique. Quant à la Cour des comptes, elle fait montre d’une attention efficace sur la gestion des principales associations françaises : entre 1992 et 2008, 95 % des associations qui font appel à la générosité du public ont été examinées, ce à quoi il faut ajouter les enquêtes transversales comme celle portant sur les dons consécutifs au tsunami.
Vos rapporteurs partagent, sur ce point également, les conclusions du rapport Morange de 2008. Dans le champ de la protection de la nature, ils estiment en effet que l’expertise du corps ministériel de contrôle, le conseil général de l’environnement et du développement durable, pourrait utilement se voir sollicitée pour vérifier la bonne gestion des associations. La surveillance de la Cour des comptes se confirme, puisque l’institution prépare un rapport sur l’administration et le financement de Greenpeace.
Une recommandation complémentaire s’impose à l’issue des travaux effectués par vos rapporteurs. L’importance de la labellisation des bonnes pratiques a été évoquée précédemment. Or la certification opérée par l’État conserve une valeur particulière : le vocabulaire employé est reconnu de longue date par le grand public, que l’on mentionne la « reconnaissance d’utilité publique » ou les « associations agréées ». En outre, notre tradition nationale accorde une place importante à ce qui est approuvé par les pouvoirs publics. Dans l’ensemble du monde associatif, une organisation reconnue d’utilité publique sur deux communique sur cette caractéristique auprès de ses adhérents et de ses donateurs. Il convient donc de veiller particulièrement à ce que ces associations et fondations, qui bénéficient de cet avantage dans la sollicitation de la générosité des particuliers, adoptent un comportement conforme au droit, à l’intérêt général et à la protection effective de la nature. Une attitude inverse aurait des conséquences néfastes non seulement pour le groupement fautif, mais aussi pour tout le secteur associatif environnemental et pour la crédibilité de l’État.
Il convient de distinguer le cas des associations de celui des fondations. Dans les premières, la reconnaissance d’utilité publique va de pair avec des obligations en termes de communication, mais aucune représentation publique n’en découle au sein des organes de l’association. Vos rapporteurs estiment que la présence d’un commissaire du gouvernement, même dépourvu de voix délibérative, aurait un intérêt certain. Il pourrait exercer une surveillance doublée d’un conseil pour la bonne information des membres de l’association et de ses dirigeants. Vos rapporteurs souhaitent toutefois que son rôle demeure limité à une fonction d’aide et d’information – sauf s’il venait à prendre connaissance d’une irrégularité manifeste. La liberté de gestion de l’association par ses membres doit demeurer un principal cardinal et intangible.
Le rôle de l’État a vocation à être plus affirmé au sein des fondations. La représentation du gouvernement dans le conseil d’administration constitue déjà une obligation, que ce soit à travers un commissaire ou par la nomination de droit d’un tiers des membres. Vos rapporteurs ont été surpris d’apprendre que tous les ministères ne prennent pas le soin de nommer systématiquement un délégué lors des réunions. Or, à la différence des associations, les fondations ne peuvent compter sur un contrôle interne exercé par une opposition démocratique. Les modalités de constitution de la structure permettent à ses fondateurs d’exercer une domination incontestée sur son activité. Cette prépondérance se justifie par le sacrifice financier initialement consenti. Néanmoins, eu égard à l’importance du domaine et l’effort fiscal consenti, la puissance publique est tout autant légitime à porter et à défendre ce qu’elle identifie comme l’intérêt général.
Vos rapporteurs recommandent donc que les trois sièges ministériels au sein des conseils d’administration des fondations soient constamment occupés. Ils appellent également les délégués à ne pas se borner à un contrôle de légalité : la discussion de toutes les actions envisagées, y compris en opportunité, entre à la fois dans leur mandat et dans leur devoir.
B.— UNE PARTICIPATION ÉQUILIBRÉE À LA DÉCISION PUBLIQUE
Une réflexion spécifique aux associations environnementales n’aurait pas lieu d’être sans la systématisation de leur participation à la décision publique qui résulte de la loi Grenelle II. L’article 249 de la loi du 12 juillet 2010 conduit en effet à un changement d’échelle par rapport aux consultations informelles ou ponctuelles qu’opéraient jusque-là les administrations centrales et les collectivités territoriales : la représentation sera désormais institutionnelle et pérenne. Elle sera aussi génératrice de frais.
Vos rapporteurs insistent pour que la prise en charge des dépenses consenties par les associations évite le double écueil d’une professionnalisation et d’un appauvrissement. Ils écartent résolument l’option d’une rémunération du représentant associatif, qui ferait de la défense de l’environnement un métier et non un engagement. Ils s’opposent également à ce que la participation soit tout à fait gracieuse, au risque de limiter l’accès aux commissions consultées à des retraités aisés. La voie d’un défraiement, qui couvre les frais de transport et de bouche, apparaît comme la voie à suivre.
Ce sont quelque cent instances consultatives du ministère de l’environnement qui seront concernées par l’extension de la gouvernance à cinq, dont un peu moins de la moitié ne sont pas de nature technique et ne convient pas encore en leur sein des représentants des associations de protection de la nature et de l’environnement. Les commissions concernées aux échelons territoriaux n’ont pas été dénombrées.
Cette réforme de la représentativité donne aussi l’occasion de repenser le système de l’agrément environnemental. Le gouvernement considère que l’une procède de l’autre, et qu’il convient par conséquent d’en revoir les règles concomitamment. Vos rapporteurs approuvent cette démarche, car deux dispositifs mal coordonnés auraient généré une confusion néfaste à la bonne mise en œuvre de la réforme. Elle correspond par ailleurs aux préconisations formulées par notre collègue Bertrand Pancher dans son rapport final « Institutions et représentativité des acteurs » présenté en 2008 au nom du COMOP 24 du Grenelle de l’environnement.
1. La refonte de l’agrément pour des acteurs plus crédibles
L’agrément environnemental n’est pas forcément un signe de bonne gouvernance. S’il reprend partiellement les exigences définies par le Conseil d’État pour la reconnaissance d’utilité publique, il ne demeure qu’un filtre opéré par la puissance publique qui peut – et doit – être perfectionné. Cette amélioration s’inscrit dans une démarche d’ensemble, qui ne se borne pas au domaine de l’environnement : l’article 2 de la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, dite loi Boutin, a par exemple réformé les critères d’agrément des organismes agissant en faveur du logement des personnes défavorisées.
La méthode actuelle d’agrément, en dépit de ses avantages précédemment exposés, apparaît à la fois lacunaire et surannée. Les observateurs entendus par vos rapporteurs ont tous mis en doute sa pertinence au-delà du moment de son octroi. En effet, vos rapporteurs ont constaté qu’il se conserve sans considération des évolutions de son récipiendaire. Le nombre d’adhérents représentés peut se contracter dans des proportions conséquentes ; il est possible que la gouvernance dérive pour ne plus tenir compte des obligations légales et statutaires ; l’organisation peut simplement mettre fin à ses activités sans le signifier à l’administration. La faiblesse de l’examen sur pièces, du fait des moyens insuffisants des corps de contrôle, ne permet pas de détecter des errements préjudiciables à la bonne compréhension des enjeux environnementaux par le grand public.
Le rapport Pancher précité ne recommandait pas autre chose. « Les membres du comité opérationnel souhaitent que la procédure de l’agrément au titre de l’article L. 141-1 du Code de l’environnement soit revu. En premier lieu, cet agrément sera souvent un des critères de représentativité retenus. D’autre part, cet agrément donne un certain nombre de droits (facilités pour ester en justice, etc.) et une forme de reconnaissance importante aux associations qui l’obtiennent. Il est donc important que la rigueur de son octroi et de son contrôle soient bien établies. Ce point n’ayant pu être traité par le comité opérationnel, il devra l’être dans un autre cadre. »
Vos rapporteurs ont auditionné le commissariat général au développement durable, notamment la commissaire Michelle Pappalardo. La révision de l’agrément figure dans le dispositif du décret en cours d’élaboration et dont la publication ne devrait guère tarder davantage. L’objectif d’une réduction du nombre d’organisations agréées, au nombre d’une centaine aujourd’hui à l’échelon national, serait retenu ; les agréments locaux seraient également simplifiés.
Vos rapporteurs se satisfont de voir reconnus les mérites de l’agrément actuel, puisque les critères d’attribution ne devraient évoluer qu’à la marge, et de constater que le Gouvernement a convenablement identifié la principale lacune du dispositif que constitue l’absence de contrôle effectif à la suite de cette attribution. Les contrôles sur pièces et sur place demeurant trop rares, la communication des pièces administratives et comptables ne permettant pas un examen systématique, la meilleure solution consisterait à instituer une clause de revoyure. L’agrément serait octroyé pour une durée limitée – trois à cinq années paraissent un horizon satisfaisant – à l’issue de laquelle l’organisation serait tenue de le solliciter à nouveau. Il est impératif que cette reconduction soit dépourvue de caractère tacite, dans les textes comme dans les pratiques administratives, sans quoi le dispositif perdrait tout son intérêt.
2. Un nécessaire respect de la diversité dans l’attribution de la représentativité
Vos rapporteurs ont lu avec intérêt les conclusions du rapport Pancher. Notre collègue suggère de distinguer trois catégories d’organisations environnementales : les associations de protection de la nature et de l’environnement œuvrant exclusivement pour la protection de l’environnement, les « usagers de la nature » qui ont entre autres objets la protection de la nature et de l’environnement, et enfin les fondations reconnues d’utilité publique. Des critères différents de représentativité déterminent les caractères qui « donnent qualité pour parler ou agir au nom de l’intérêt environnemental » au sein des instances de concertation.
La procédure envisagée d’appréciation de la représentativité des acteurs environnementaux passerait par trois filtres :
– un socle commun de critères découlant directement de ceux retenus pour l’octroi de l’agrément, permettant de définir les acteurs susceptibles de prétendre à la représentativité : activités statutaires dans le domaine de la protection de la nature, activité depuis trois ans à compter de la déclaration, fonctionnement conforme aux statuts, garanties suffisantes de fonctionnement, activité désintéressée et indépendante de toute entité (économique, politique ou religieuse), attestation de la satisfaction des critères précédents par un nombre suffisant de membres cotisants et par la régularité des comptes, existence d’un contrôle financier obligatoire ;
– pour chacune des trois catégories, une liste de critères sélectifs, objectifs, obligatoires et cumulatifs permettant de définir les acteurs représentatifs éligibles ;
– au sein des acteurs éligibles, une série de critères complémentaires permettant de retenir les acteurs représentatifs légitimes qui assureront la représentation de tous.
Les critères obligatoires et cumulatifs permettant de définir les acteurs représentatifs éligibles sont donc différents suivant la structure de l’organisation concernée. En ce qui concerne les associations, il s’agit en plus des conditions exigées pour l’agrément :
– de valeurs associatives strictement environnementales, c’est-à-dire respect des valeurs républicaines et de la liberté d’association, strict respect de la liberté d'adhésion et absence de droit d’usage sur les intérêts défendus ou participation à une mission de service public ;
– d’une durée effective de détention de l’agrément supérieure à deux ans ou de la charge d’une mission de service public concernant la gestion des ressources piscicoles et faunistiques ;
– d’un fonctionnement démocratique impliquant, pour la représentativité nationale, au moins 2 000 adhérents dans la moitié des régions ;
– d’une transparence et d’une indépendance fondée sur le statut de bénévole d’administrateurs dont seule une minorité peut être élue ou représenter une entreprise, sur la pluralité des financements, et sur la certification des comptes par un commissaire aux comptes.
Pour ce qui concerne les fondations, l’obligation de recueillir la reconnaissance d’utilité publique emporte déjà un certain nombre de garanties. Les critères supplémentaires tiennent à la liberté de conscience et l’absence de droit d’usage sur les intérêts défendus, une ancienneté supérieure à trois ans, un nombre de donateurs dépassant 5 000 chaque année et une implication sur plus de la moitié du territoire. Les membres dirigeants – conseil d’administration et bureau – ne doivent pas être majoritairement des élus ou des représentants d’entreprises.
Vos rapporteurs saluent la pertinence des propositions du rapport Pancher. La conception d’une représentativité conditionnée par la détention de l’agrément apparaît comme la meilleure solution pour valoriser les deux dispositifs. Les critères d’éligibilité à la représentation proposés recoupent pour l’essentiel les préconisations partagées et déjà formulées, notamment la nécessaire diversité parmi les administrateurs et les financements. Toutefois, la distinction entre éligibilité à la représentation et légitimité à la représentation apparaît peu opératoire. La sélection des « légitimes » parmi les « éligibles » serait opérée par une notation complexe à partir de critères affectés de coefficients. Ces calculs semblent trop fins, et surtout s’appliquer à un cadre trop instable, pour être retenus dans la définition de la représentativité. Vos rapporteurs considèrent plus juste de se cantonner aux « critères d’éligibilité » définis par le rapport Pancher pour déterminer la représentativité d’une organisation.
Rapport Pancher « Institutions et représentativité des acteurs » |
Critères d’évaluation de la représentativité (p. 16) |
- Pour les associations de catégorie 1 et 2 |
Pour chaque critère qui suit, on attribue une note. Les différents critères sont ensuite pondérés en fonction de leur importance. La note en résultant permet de déterminer une proportion (note de la structure / somme de toutes les notes), qui correspond à la proportion de sièges attribués. |
* Nombre d’adhérents : Nombre d’adhérents directs ou indirects |
Note sur 10 points : |
Mode de calcul : |
La note est égale à la proportion du nombre d’adhérents de la structure par rapport au total des adhérents de toutes les structures éligibles. |
Exemple : |
3 associations éligibles, une a 100 000 membres, une autre 30 000, une enfin 5 000. La première aura 100/(100+30+5=135) soit 7,4 points, la seconde 30/135 soit 2,2, la dernière 0,4 point. |
* Implantation territoriale : Répartition des adhérents sur le territoire national |
Note sur 2 : |
Mode de calcul : |
Proportion de régions couvertes (sur 26), multipliée par 2 |
Exemple : une association présente dans 22 régions sur 26 aura (22/26)*2 = 1,7 points. |
Vos rapporteurs considèrent qu’il doit revenir à la puissance publique d’opérer un choix parmi les organisations reconnues représentatives, tout en respectant la pluralité des opinions, mais sans appliquer mécaniquement des critères arithmétiques. Deux raisons motivent principalement cette position.
D’une part, si une règle stricte et mathématique diminue les risques d’accusation d’opportunisme, son caractère strictement chiffré ne peut suffire à prendre en compte la valeur de ses propositions. Le nombre de membres est une garantie de démocratie, mais l’administration gagnera tout autant à solliciter les compétences que les opinions. Or, vos rapporteurs ont été sensibles aux arguments d’associations de taille moyenne, spécialisées sur une problématique particulière et dont le nombre d’adhérents a vocation à demeurer stable. Il serait inconcevable que l’administration renonce à appeler à la table des discussions les meilleurs connaisseurs au motif qu’ils sont, par nature, peu nombreux.
D’autre part, la structuration du paysage associatif français de protection de l’environnement autour de France Nature Environnement soulèverait une impasse dans la constitution des collèges de discussion. Il serait préjudiciable de limiter l’ouverture des commissions à une seule association, si puissante et représentative soit-elle.
Les auditions conduites par vos rapporteurs ont montré que leurs positions rencontraient un écho très favorable. Il semble que le Gouvernement ne projette pas de faire figurer un nombre minimal d’adhérents élevé dans les critères de la représentativité, en tous cas pas sans que la détention d’une expertise ne puisse être invoquée comme critère alternatif. Les auditions ont pu laisser entendre que le Gouvernement maintiendrait ce seuil quantitatif pour provoquer fusions et regroupements. Vos rapporteurs s’opposent à cette vision qui nierait l’histoire et l’identité propre des associations pour les diluer dans des ensembles plus vastes ne présentant aucune garantie de cohérence.
Le projet de décret a été discuté avec les différents collèges dont la participation a été très active, hormis – c’est une surprise pour vos rapporteurs – les collectivités territoriales.
Rien ne s’oppose, donc, à ce que la mise en œuvre du Grenelle II soit un succès.
LES RECOMMANDATIONS DE VOS RAPPORTEURS
UN PRINCIPE CARDINAL : LA LIBERTÉ D’ASSOCIATION
Parce que, selon le mot de Pierre Morange, la loi ne se substituera pas à la vertu des hommes, légiférer ne servirait pas la cause de la transparence administrative. Le dispositif réglementaire est apparu largement suffisant, même si son application ne donne pas entière satisfaction. Plus que des amendements au droit existant, une meilleure gouvernance passe par la valorisation de pratiques et de comportements qui empruntent à l’éthique et à la responsabilité des acteurs.
DIX-HUIT PRÉCONISATIONS
1. Favoriser la contractualisation avec les autorités publiques pour sécuriser les financements associatifs et faciliter le contrôle de la gestion dans une démarche a priori ;
2. Refuser la rémunération des administrateurs pour ne pas faire apparaître une logique de carrière, la participation à la décision publique donnant lieu à un défraiement ;
3. Réaffirmer que les associations poursuivent un objet social d’intérêt général et que la diversification des ressources ne justifie pas d’adopter un comportement purement entreprenarial ;
4. Combattre la dépendance économique envers un financeur unique pour garantir une autonomie de décision à l’égard de l’État, des collectivités, des sociétés privées et même du grand public ;
5. Garantir la traçabilité des dons et informer le donateur d’une réaffectation en cas d’excès de contributions à un projet déterminé ;
6. Présenter une version consolidée des documents comptables et de gestion des fédérations afin de mieux évaluer le poids de ces organisations ;
7. Maintenir à un niveau raisonnable les sommes consacrées au fonctionnement, même si la professionnalisation de l’action associative induit désormais des masses salariales élevées ;
8. Exiger de l’État l’indemnisation correcte des associations qui gèrent une réserve naturelle, car l’exercice d’une mission de service public exige une compensation intégrale ;
9. Faire vivre la démocratie dans les associations par des commissions internes portant le débat et par la sollicitation fréquente des adhérents ;
10. Assurer le rôle prépondérant des élus par rapport aux permanents en associant à tout salarié un administrateur référent seul qualifié pour porter un projet devant le conseil d’administration ;
11. Limiter les risques de collusion qui découlent de la présence des mêmes personnes dans les organes de direction d’organisations différentes, y compris pour les détenteurs de mandats électoraux ;
12. Favoriser les partenariats avec les entreprises, même les plus polluantes, pour faire avancer la responsabilité environnementale ;
13. Réserver les sièges des conseils d’administration des fondations à des personnalités et à des sociétés qui ne laissent craindre aucun conflit d’intérêts ;
14. Faire entendre la voix de l’État dans les organisations reconnues d’utilité publique, et notamment ordonner aux représentants ministériels de prendre une part active à la gouvernance des fondations pour y représenter une vision de l’intérêt général ;
15. Diffuser les recommandations et les guides de bonnes pratiques rédigés par les institutions académiques, les cabinets de conseil et les observateurs de la transparence associative ;
16. Rapprocher les organisations environnementales du Comité de la charte afin de bénéficier d’un contrôle suivi de leurs activités propre à assurer le public de la rigueur de leur gestion ;
17. Définir l’agrément environnemental comme première condition de la représentativité des organisations, en assurer sa pertinence par l’insertion d’une clause de revoyure ;
18. Déterminer la représentativité des organisations agréées non seulement par le critère du nombre aussi par celui de la compétence pour éviter un regroupement contraint qui nierait l’identité propre des associations pour les diluer dans des ensembles ne présentant aucune garantie de cohérence.
EXAMEN DU RAPPORT PAR LA COMMISSION
Lors de sa réunion du 2 février 2011, la Commission a procédé à l’examen du rapport d’information de Mme Geneviève Gaillard et M. Jean-Marie Sermier sur les modes de financement et de gouvernance des associations de protection de la nature et de l’environnement.
M. le président Serge Grouard. Nous allons procéder à l’examen des conclusions de la mission d’information sur le financement et la gouvernance des organisations de protection de l’environnement. Je remercie les rapporteurs d’avoir prévu et distribué une synthèse de leurs dix-huit recommandations sur le contrôle, la transparence, le financement et toutes les problématiques auxquelles sont confrontées les associations aujourd’hui.
M. Jean-Marie Sermier, rapporteur. Geneviève Gaillard et moi avons travaillé à un rythme relativement soutenu pour ce rapport d’information. Son principe a été décidé à l’été dernier, nous avons commencé nos auditions le 5 octobre pour les achever le 22 décembre. Entre-temps, nous avons rencontré près de vingt-cinq spécialistes du monde associatif dans le secteur de la protection de l’environnement : les principales associations et fondations bien sûr, mais aussi les hauts fonctionnaires en charge du dossier au ministère de l’environnement et des observateurs, des auditeurs, des organismes de contrôle.
En préalable à notre propos, je tiens à dire que nous avons abordé la mission qui nous a été confiée avec la plus grande humilité. Un sondage vieux de quelques mois a indiqué que les associations bénéficient de la confiance de 83% des Français sur la question de la biodiversité, contre 68% pour les collectivités locales et seulement 32% pour le Gouvernement. Je ne doute pas que les chiffres nationaux vont s’améliorer rapidement puisque notre commission a lancé récemment une mission d’information sur la biodiversité : mission brillamment rapportée par Geneviève Gaillard et tout aussi brillamment présidée par le Président Grouard. Mais enfin, les faits sont là : en matière environnementale, les associations ont une cote d’amour qui ne doit rien au hasard et qui mérite le respect.
Nous nous sommes intéressés aux conditions de gouvernance et de financement de ces associations et fondations. L’ensemble du secteur associatif avait été étudié, de façon très approfondie, par notre collègue Pierre Morange au nom de la commission des affaires sociales il y a deux ans. Nous nous référons souvent à ses travaux, dont nous partageons les conclusions. Cette base nous a permis de travailler davantage à la spécificité des associations environnementales.
Il y a une particularité des organisations environnementales ; elle résulte de notre vote : c’est leur participation, en vertu de la loi Grenelle II, à la décision publique. Nous avons créé un nouveau droit, il crée à son tour de nouvelles obligations en termes d’exemplarité et de représentativité. Notre collègue Bertrand Pancher a déjà réfléchi à la question dans son rapport au nom du COMOP 24 du « Grenelle de l’environnement ».
Les organisations environnementales vont avoir un poids, plus que les associations actives dans d’autres domaines, plus même que dans les ministères qui agréent eux aussi des associations. Nous reviendrons à cette question de l’agrément environnemental qui a pour le secteur une importance capitale.
Nous avons en particulier cherché à nous assurer que la parole des organisations reflétait bien l’intérêt général, que leur organisation respectait les principes de l’intérêt général, et que leur financement ne les mettait pas en porte-à-faux par rapport à l’intérêt général.
Nous avons mis le doigt sur des situations assez étonnantes. Ainsi, nous avons rencontré une fondation de protection de l’environnement – celle de Nicolas Hulot – dont EDF et L’Oréal sont des administrateurs et des financeurs importants. Peut-on, dans ces conditions, tenir un discours neutre sur les choix énergétiques et sur les pratiques de vivisection dans l’industrie des cosmétiques ? Nous avons appris que Yann Arthus-Bertrand, président de la fondation Goodplanet, soutient l’organisation de la coupe du monde de football de 2022 au Qatar, gâchis énergétique plusieurs fois évoqué en ces lieux. Le Qatar a par ailleurs financé la traduction en arabe de son film Home. Est-ce une bonne politique ?
Je ne vous le cache pas : autant Geneviève et moi avons relativement peu à dire sur les associations, qui représentent leurs adhérents et qui sont une expression de la démocratie, autant nous sommes plus circonspects sur le poids médiatique acquis par les fondations qui ne représentent souvent qu’une dizaine de personnes et leurs amis.
Je voudrais conclure cette brève présentation en disant un mot des financements. Le budget total des associations dans notre pays, c’est 60 milliards d’euros. C’est un chiffre impressionnant. La protection de l’environnement, là-dedans, pèse très peu : c’est un secteur qui est héritier des sociétés savantes de zoologie, mais qui s’est orienté récemment, dans les années 1970, vers le grand public et vers l’appel à la générosité des particuliers. Il apparaît à peine dans les organisations d’associations qui organisent un contrôle entre elles – le Comité de la Charte – et qui planifient les opérations de collecte – France Générosités.
Mais de l’avis général, parce que les problèmes environnementaux sont majeurs et médiatisés, c’est un secteur qui a une marge de progression importante. Les dons qu’il reçoit augmentent plus vite que la moyenne des associations : + 14 % entre 2008 et 2009 contre + 2 %. Il y a donc beaucoup d’argent en jeu. Nous formulons des propositions pour éviter l’irruption de margoulins. Il n’y a pas besoin de rappeler le désastre de l’ARC. Nous souhaitons éviter que des scandales ne ruinent la cause de l’environnement dans l’opinion.
Nous avons pris soin de regrouper les dix-huit propositions que contient le rapport à la fin de celui-ci. Je vais céder la parole à ma collègue Geneviève Gaillard pour qu’elle vous expose la démarche qui a été la nôtre, et qui tranche, je crois, car nous concluons à l’absence de nécessité d’une loi. C’est pour moi l’occasion de la remercier directement, et au compte-rendu, du travail que nous avons effectué ensemble. Il a été long et passionnant. Nous n’avons pas toujours été d’accord dans nos approches, mais nous avons su mettre en avant nos convergences.
Mme Geneviève Gaillard, rapporteur. Je vais à mon tour remercier Jean-Marie Sermier. Nous avons bien travaillé malgré des approches initiales différentes, mais la discussion a permis d’aboutir à ce rapport qui nous rassemble.
Nous avons effectivement été humbles dans notre regard sur le fonctionnement des associations, mais nous avons surtout été respectueux de cette grande liberté républicaine, le droit d’association de la loi de 1901. Il n’a jamais été question de la restreindre car les associations créent du lien sur notre territoire, et nous savons à quel point c’est essentiel dans nos collectivités et pour nos concitoyens. C’est une représentation de la démocratie qu’il n’est pas question d’enfermer pour que s’expriment seulement les opinions qui confortent les nôtres. Les associations critiquent le politique : c’est légitime, c’est souvent mérité, reconnaissons-le.
Nous avons axé notre travail sur les questions de gestion, de gouvernance et de financement. Nos auditions et nos recherches nous permettent de tordre le cou à une rumeur. La loi de 1901 pose une liberté pratiquement totale, mais les associations sont contrôlées, très contrôlées, excessivement contrôlées parfois : parce qu’elles reçoivent des dons du public, parce qu’elles reçoivent des subventions, parce qu’elles candidatent à des marchés, parce qu’elles emploient des salariés, parce qu’elles sont agréées, parce qu’elles sont reconnues d’utilité publique, parce qu’elles doivent avoir un commissaire aux comptes.
Des contrôles, il y en a beaucoup, presque trop. Les fonctionnaires et les autorités qui en ont la charge reçoivent tellement de documents sur les comptes et les activités que le classement vertical succède à la lecture diagonale. En fait, tout le monde peut savoir exactement ce que fait et comment dépense une association de taille importante. Mais c’est un travail prenant et peu de gens sont prêts à l’assumer.
Il était hors de question pour nous d’en rajouter. Nous avons préféré appeler à la responsabilité des acteurs. Personne ne contrôle mieux les associations que les membres qui assistent aux assemblées générales. Jean-Marie a parlé des fondations, c’est vrai qu’elles posent un problème : elles n’ont pas d’adhérent. Leur action est légitime, elles font beaucoup pour la promotion de l’environnement. Mais on ne peut se satisfaire d’un conseil d’administration coopté dans lequel les représentants de droit de l’Etat ont parfois l’attitude des muets du sérail et ne réclament surtout aucune responsabilité supplémentaire.
Nos recommandations tiennent, chacun choisira le mot qui lui convient le mieux, à l’éthique, à la morale et à la vertu. Notre enquête n’a révélé aucune faute, mais elle nous a placés face à des conflits d’intérêt dont la persistance est préjudiciable à la bonne réputation des organisations associatives. Des guides de bonnes pratiques existent. C’est à chacun de s’y référer, pour un secteur plus juste.
Les associations et les fondations bénéficient d’un régime fiscal particulièrement favorable qui se justifie par leur engagement désintéressé. Parce qu’elles doivent diversifier leurs ressources financières et ne plus dépendre de subventions, beaucoup se lancent dans des activités économiques. Attention ! Il ne s’agit pas de créer des entreprises libérées du droit des sociétés. Une activité économique complémentaire, c’est légitime ; une activité économique à titre principal, c’est un dévoiement de la loi de 1901.
Il aurait été possible de durcir les contrôles a priori et a posteriori. Jean-Marie Sermier et moi n’y sommes pas favorables : d’abord parce que ce n’est pas efficace, ensuite parce que ça revient à tuer les petites structures, sans expertise technique, qui font la richesse du tissu associatif. Une convention d’objectif, c’est bien pour tracer la dépense publique, mais ça représente 500 euros de frais pour l’association. Les petites renoncent avant même de demander. Ce n’est pas le modèle que nous voulons.
Je vais conclure sur l’agrément environnemental qui est décerné par les autorités, ministère ou préfecture suivant la taille. C’est un outil fantastique, qui permet au public d’identifier immédiatement la crédibilité d’une association, et à l’Etat de vérifier sa bonne gestion. Cet agrément a permis de structurer le secteur associatif de l’environnement. Il est aujourd’hui critiqué, notamment parce qu’il est dans la pratique acquis une fois pour toutes.
Les décrets prévus par la loi Grenelle II devraient le réformer pour introduire une clause de revoyure. C’est une bonne chose. Ce sera aussi la base de la représentativité qui appellera des organisations à participer à la décision publique dans des instances consultatives de façon systématique.
Le gouvernement s’oriente sur une représentativité fondée sur le nombre d’adhérents et de donateurs. En tant que démocrate, je suis d’accord avec ce principe. Mais je trouve dommage qu’il vienne à exclure des associations de taille modeste qui détiennent une expertise appréciable dans un domaine précis. Je pense à des sociétés savantes. Je pense aussi à cette association de protection du loup, de l’ours et du lynx que nous avons entendue : en toute logique, elle compte peu de membres qui, pour des raisons évidentes, se concentrent dans les Alpes et les Pyrénées. Cette association ne rassemblera jamais des dizaines de milliers de personnes, mais c’est un acteur majeur. Il faut que le décret reconnaisse cette dimension d’expertise à côté de la force du nombre. Évitons un regroupement forcé des associations, chacune a son objectif et sa légitimité : il n’est pas question d’en faire un ensemble unique pour des raisons de commodité.
Enfin, je précise que notre rapporteur n’a pas abordé les associations de riverains, dont nous jugeons qu’elles poursuivent un objectif extérieur à la protection environnementale.
Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.
M. le président Serge Grouard. Il sera nécessaire d’être prêts, car votre présentation suscite l’intérêt des membres de la commission.
M. Jean-Paul Chanteguet. Nous avons consulté les conclusions que nous ont remises les rapporteurs. Je les remercie évidemment pour leur excellent travail.
Avez-vous le sentiment qu’il existe aujourd’hui des associations de protection de la nature et de l’environnement qui ne sont pas indépendantes au regard des financements qu’elles mobilisent ?
En ce qui concerne le comportement purement commercial de certaines organisations, la commission a reçu il y a peu le directeur du WWF France. Nous avons eu un échange intéressant. Cette structure finance des acquisitions de zones humides et leur gestion. Considérez-vous que cette pratique relève d’une activité entreprenariale ?
Une de vos propositions laisse entendre que les associations qui gèrent des réserves naturelles ne sont pas correctement indemnisées par l’État. Pouvez-vous me confirmer cette lecture ?
Vous soutenez le partenariat avec les entreprises polluantes : cela me surprend. Je ne m’oppose pas à ce que des sociétés financent des associations, mais j’aimerais que leurs efforts en matière écologique soient pris en compte. Il serait bon que votre douzième proposition soit un peu tempérée.
M. Yanick Paternotte. En tant que membres de cette commission, nous connaissons tous les principales associations de protection de l’environnement. Beaucoup d’entre nous en ont également été membres.
Je suis assez frappé de lire vos recommandations. Vous affirmez d’abord votre volonté de ne rien changer, mais les dix-huit propositions qui suivent ainsi que votre propos introductif laissent entendre que des évolutions sont nécessaires. Peut-être faut-il faire évoluer les règles du jeu autrement que par des modifications législatives ? Votre quatrième proposition suggère, par exemple, d’éviter que le financement d’une structure repose sur un donateur prépondérant. On ne peut que vous suivre. Ne pourrait-on pas fixer un plafond aux participations ? Cela permettrait d’avoir une structure de gouvernance assise sur des collèges diversifiés.
Votre septième proposition fait état d’un niveau « raisonnable » des frais de fonctionnement. Pouvez-vous préciser cette estimation ?
L’éthique me paraît fondamentale. Les associations de riverains ne sont que des regroupements d’intérêts personnels sous le label environnemental. Le problème est celui du régime déclaratif de la loi de 1901. Je suis frappé de voir qu’une association peut se limiter à trois personnes et que rien n’interdit aux membres d’une même famille d’occuper tous les postes. Quand il y a un financement public intégral, on peut légitimement se poser des questions. Nous avons entendu récemment Mme Nicole Notat sur la question de la notation éthique ; est-ce un dispositif qui pourrait être étendu au secteur associatif ?
Enfin, la presse s’est fait l’écho d’associations qui débouchent sur des candidatures électorales en contradiction avec la législation en vigueur sur le financement des campagnes. C’est une manière de communiquer qui a été employée avec succès lors des dernières élections européennes et régionales. Je m’interroge sur la légitimité d’une éventuelle incompatibilité entre candidature politique et présidence – ou direction générale – d’une grande organisation environnementale.
M. Stéphane Demilly. Je formulerai quelques observations sur les propos que je viens d’entendre. Les ONG environnementales sont de plus en plus influentes, c’est un fait. Elles constituent un pivot de la société civile ; elles jouent un rôle de contre-pouvoir appuyé sur la presse et sur internet ; leur influence dépasse parfois celle des parlementaires eux-mêmes dans les processus normatifs. Nos débats sur le Grenelle de l’environnement l’ont suffisamment montré.
Ces ONG exigent – et c’est légitime – une transparence accrue des entreprises et des pouvoirs publics. Il est tout aussi légitime d’attendre de leur part le même degré de transparence. Tzvetan Todorov le disait déjà : « Donner des leçons de morale n'a jamais été une preuve de vertu ». Les comportements moralisateurs s’arrêtent ainsi au seuil des portes de ces associations, et il n’est pas toujours facile d’en connaître les statuts, la gouvernance et les sources de financement. Par leurs salariés et leurs activités, certaines sont d’ailleurs de véritables entreprises dans les revenus peuvent surprendre. Le baromètre mis en place en 2008 par la fondation Prometheus pour mesurer la transparence associative montre l’étendue des efforts qu’il reste à consentir.
Il ne s’agit pas pour moi de jeter la pierre aux ONG françaises, qui sont encore jeunes, mais une réflexion sur leurs modes de gouvernance et de financement est indispensable. Qui représente qui ? Qui finance qui ? Ces questions ne concernent d’ailleurs pas seulement les associations. Je serais très désireux de connaître le montant des subventions annuelles qui leur sont versées par l’État et par les collectivités territoriales. Ce sont des chiffres parfois entourés de mystère. Je lirai donc avec intérêt le rapport de nos deux collègues.
M. Jean-Marie Sermier, rapporteur. La question de l’indépendance a été notre principal centre d’intérêt quand nous avons commencé notre mission. Il convient en effet de s’assurer que les associations – et les fondations – ne sont pas contrôlées par des forces politiques ou économiques dans notre pays, en Europe et dans le monde. Greenpeace a par exemple un fonctionnement international qui mérite d’être connu pour analyser ses prises de position.
Aujourd’hui, on peut affirmer que les associations sont bien indépendantes. Mais on sait aussi que certaines limites floues sont faciles à franchir. J’ai cité tout à l’heure l’exemple précis d’une fondation dont le président s’exprime en faveur d’un pays alors que ce pays agit au profit dudit président. Toutefois, nos travaux n’ont pas permis de déceler des cas de dépendance flagrante.
Mme Geneviève Gaillard, rapporteur. Notre travail nous permet de tordre le cou à des rumeurs. Le résultat de nos investigations est que, clairement, l’indépendance des associations environnementales ne fait pas de doute.
M. Jean-Marie Sermier, rapporteur. La limite peut cependant être franchie rapidement. Les propositions que nous faisons visent à l’empêcher.
Nous ne considérons pas que les acquisitions foncières au bénéfice d’une réserve faunistique ou floristique entre dans le champ des activités entreprenariales, bien au contraire. Nous évoquions plutôt les ventes d’objets à la marque des associations qui capitalisent sur une image forte auprès du grand public. Les prestations de services progressent aussi fortement. Il faut s’assurer que cette activité commerciale n’occupe pas la majeure partie de l’activité, profitant de la bonne image d’un président ou d’une cause sensible aux cœurs de nos compatriotes.
En ce qui concerne l’opportunité de légiférer, nous jugeons qu’il est surtout nécessaire que le droit positif – qui sera encore renforcé par les décrets d’application du Grenelle II – soit parfaitement connu et respecté. Des observateurs doivent s’assurer que c’est le cas. Une nouvelle loi ne ferait que compliquer la théorie sans rien apporter à la pratique.
Il y a eu une remarque sur les frais de fonctionnement. Chez certaines ONG, ils dépassent 50 %, voire 60 %. C’est beaucoup. Par ailleurs, quand on agrège les documents de fédérations comme France Nature Environnement, on passe de 3 000 associations au fonctionnement relativement modeste à un total national de plus d’un demi-million d’adhérents et de plusieurs milliers de collaborateurs. Nous faisons d’ailleurs une recommandation en faveur de la consolidation de ces données.
Mme Geneviève Gaillard, rapporteur. A propos du contrôle des comptes des associations, on voit apparaître des formes nouvelles de surveillance par des cabinets d’audit, par des fondations privées ou encore par des mécanismes de suivi par des pairs. Nous avons constaté que les associations sont volontaires pour s’engager dans ces démarches novatrices qui tirent le niveau général de transparence vers le haut.
Yanick Paternotte souhaitait une limitation de la quote-part budgétaire que peut amener un financeur unique. Les nouveaux textes issus du Grenelle II devraient limiter à 50 % la part de financement public des associations agréées. J’ajoute que les dotations octroyées par l’État sont non seulement publiques, mais de surcroît commentées tous les ans par notre collègue Philippe Plisson à l’occasion de son rapport pour avis sur le projet de loi de finances. L’apport étatique au secteur de l’environnement reste faible comparé à d’autres domaines associatifs, le social et le caritatif par exemple.
M. Jean-Marie Sermier, rapporteur. Je confirme que les versements publics sont tout à fait connus et identifiés. Il faut cependant leur adjoindre les réductions fiscales dont bénéficient les particuliers quand ils donnent aux associations, et qui représentent un milliard et demi d’euros chaque année. Ainsi, quand Greenpeace dit ne rien devoir aux pouvoirs publics parce que cette association ne sollicite aucune subvention, la majeure partie de leurs dons est néanmoins concernée par ce dispositif fiscal. Je signale au passage que nous étions circonspects d’apprendre que Greenpeace considère automatiquement ses donateurs comme des adhérents, d’où un chiffre annoncé de 140 000 membres. Il n’est guère étonnant, dans ces conditions, que la dernière assemblée générale ait rassemblé moins d’une centaine de personnes.
Mme Geneviève Gaillard, rapporteur. Le problème se pose avec une plus grande acuité encore pour les fondations, qui mènent des combats justes, mais dans lesquelles aucun adhérent ne vient exercer un contrôle démocratique. Il est vrai que de nombreux donateurs soutiennent la cause environnementale en général sans ressentir l’envie de participer au fonctionnement d’une association en particulier. C’est aussi une difficulté, y compris d’ailleurs pour les associations qui souhaiteraient compter sur des membres plus actifs. Les combats menés gardent toute leur valeur, mais une clarification serait nécessaire pour que les citoyens sachent ce pour quoi ils donnent.
M. le président Serge Grouard. Je propose que nous passions à la seconde salve de questions.
Mme Catherine Quéré. Les rapporteurs viennent de répondre à une partie de mes interrogations sur les fondations. Je reste très circonspecte à leur sujet.
Avec la baisse des subventions des collectivités, les associations se tournent vers des activités économiques : n’y a-t-il pas une contradiction avec leur objet non lucratif ?
Quant aux financements étatiques, les associations bénéficiaires ne mènent-elles pas des actions redondantes ? Ne serait-il pas possible d’optimiser les dotations pour les orienter vers des domaines autonomes ?
M. Jean Lassalle. Je suis agréablement surpris de ce rapport et de la qualité du travail parlementaire que conduit notre commission. Ce travail est tout à fait central.
J’ai bien entendu les présentations de nos rapporteurs. Je suis satisfait qu’ils distinguent les petites associations, actives sur nos territoires, et les grosses structures dont les budgets et les objectifs sont très différents. Ensuite, il faut faire la part des choses entre les associations et les fondations. Les chiffres que vous avez mentionnés sont importants : soixante milliards d’euros. Vous avez aussi signalé que ces associations ont la confiance des Français ; en témoigne la présence de leurs dirigeants au sommet des palmarès de popularité que publie régulièrement la presse.
Il me semble que nous, élus de la nation, avons une responsabilité morale et politique majeure. C’est bien de porter des combats avec ses moyens ; encore faut-ils que ces moyens soient assumés. Quand Veolia et EDF financent Nicolas Hulot, que sait-on de leurs actions et que pensent les Français d’un tel mécénat d’entreprise ? La législation actuelle lui est très favorable après la loi TEPA : la défiscalisation peut atteindre 66 %. C’est considérable, d’autant plus que le sujet tient aujourd’hui une place importante pour l’opinion et qu’il détermine en partie l’agenda politique national. Vous auriez d’ailleurs pu auditionner sur ce point M. Alain Lambert qui avait, il y a quelques années, commandé un rapport à l’inspection générale des finances fortement critique.
En tout cas, je ne crois pas que ces éléments permettent de conclure à l’opportunité de laisser la législation en l’état. Je soutiens les propositions que vous formulez, mais c’est soit trop, soit pas assez. Je demande, M. le Président, la création d’une commission d’enquête sur les activités et les financements des associations et des fondations de grande dimension. Il y a là tous les prémices d’un scandale majeur qui ne manquera pas d’éclater dans les années à venir.
M. Bertrand Pancher. Il faut rendre hommage aux associations et à leur bénévolat exceptionnel. Je me réjouis que le rapport le fasse et qu’il échappe à la tentation du « jeu de massacre ». Les associations ne sont jamais qu’à l’image des partis politiques avant la réglementation : sans finances publiques, chacun tente de se débrouiller seul. Certaines reposent entièrement sur des bénévoles ; d’autres sollicitent des entreprises et on voit bien les limites de cette stratégie ; d’autres enfin utilisent des moyens plus obscurs qu’il faut clarifier.
Je trouve les propositions très intéressantes. Il y a un besoin de renforcement du financement public car les associations n’ont pas toujours les moyens de mener leurs actions. Quand on compare les moyens de l’environnement avec les ressources des organisations de chasse et d’agriculture, le différentiel est patent. A la création des associations familiales, celles-ci recevaient un millième du montant total des allocations familiales soit approximativement vingt-cinq millions d’euros annuels ; France Nature Environnement, ce n’est que sept millions d’euros. Je pense stratégique d’inscrire ce financement dans la loi.
Vous avez peu insisté sur le statut du bénévole responsable. Il pourrait prendre pour modèle celui des sapeurs-pompiers volontaires pour permettre de siéger dans des organismes représentatifs.
Il y a la question du défraiement des bénévoles associatifs, avec une rémunération dans certains conseils d’administration. Je suis frappé de constater que le représentant d’une association de locataire est défrayé pour siéger dans les instances d’un organisme HLM. Qu’en est-il des bénévoles environnementaux ? Il ne faut pas s’étonner de ne rencontrer que des personnes âgées retraitées.
Il faut aussi envisager la formation du bénévole pour mieux structurer les actions.
M. Jean-Pierre Giran. J’ai apprécié ce rapport qui a le grand avantage d’exister. La diffusion de l’information qu’il contient doit être la plus large possible. Mais je suis plus réticent en ce qui concerne vos conclusions. Ainsi, quand vous parlez d’indépendance, qui en est juge ? De quel droit interdirait-on à M. Hulot de présenter sa candidature à l’élection présidentielle au motif qu’il anime une fondation environnementale ? Il appartient simplement aux Français de juger de son indépendance vis-à-vis d’intérêts extérieurs.
Vous évoquez la dimension commerciale. Tant mieux si une association, dans le prolongement de son activité, parvient à labelliser des produits qui lui assureront des revenus permettant de développer son activité ! Si d’aventure elle débordait hors de son objet social, il appartiendrait aux tribunaux de faire évoluer son régime fiscal.
Je ne me sens pas la capacité de juger ; en revanche, je sollicite la plus grande transparence. L’opinion est seule juge, non pas tel ou tel tribunal parlementaire dirigé par Jean Lassalle. La loi de 1901 instaure la liberté. La moralité doit l’encadrer ; il ne revient pas à une cour de l’ériger.
Pour en revenir au rapport, je le considère fondamental. Il devrait être mené chaque année pour permettre à chacun d’être informé du paysage associatif et de ses pratiques.
M. Philippe Tourtelier. La distinction entre associations et fondations est fondamentale. Je suis d’accord avec les rapporteurs qui, en ce qui concerne les associations, refusent de « jeter le bébé avec l’eau du bain » et s’élèvent contre la rumeur, même si des dysfonctionnements peuvent exister.
Le cas des fondations est plus intéressant : elles disposent de moyens, elles ont une aura médiatique, elles ont une crédibilité qui interroge. Leur représentativité se limite à leur conseil d’administration composé en tiers, comme le rappelle votre rapport : des représentants de l’État, les fondateurs et des personnalités qualifiées. Mais comme ce troisième tiers est désigné par le deuxième, l’équilibre est déstabilisé. Je considère que c’est parfaitement anormal.
Qui contrôle, en outre, les conflits d’intérêt ? Les exemples cités par les rapporteurs sont très parlants. Quelle sanction reçoivent-ils ? Est-ce le retrait de la reconnaissance d’utilité publique ? Est-ce un avertissement ? Quel est l’organe compétent ? J’ai le sentiment que l’administration laisse filer et qu’il n’y a pas de suivi de l’utilité publique, donc que les fondations peuvent basculer vers l’intérêt privé sans subir la moindre conséquence.
Jean-Paul Chanteguet a déjà exprimé son étonnement en ce qui concerne votre position sur les partenariats. Je crois qu’ils devraient être assis sur la responsabilité environnementale et sociale, car trop de sociétés se dédouanent de leur responsabilité sociale par du mécénat écologique.
M. Pierre Lang. Je voudrais d’abord corriger une affirmation inexacte sur les associations de chasse : elles ne touchent rien de l’État ; c’est même une des rares activités dont l’exercice est assujetti au paiement d’une redevance annuelle. Même si les fédérations de chasseurs sont des associations de protection de la nature, elles ne reçoivent aucune subvention.
Je suis choqué par le principe de la réduction fiscale dont bénéficient les dons aux associations. Quand on veut faire un cadeau, on le fait avec son argent et pas avec celui des autres – en l’occurrence avec les deniers publics. L’État n’a pas à sponsoriser. Ce devrait être une question de moralité.
Je souhaite vous interroger sur les associations environnementales dont l’unique but est de déférer les arrêtés municipaux et préfectoraux devant les tribunaux. C’est le cas de l’ASPAS, spécialisée dans la protection des animaux, qui saisit tous les ans les juridictions administratives de la presque centaine d’arrêtés qui dressent la liste des espèces nuisibles. Cette structure vit des dommages et intérêts qu’elle amasse, qui sont sa ressource principale. Je trouve cela choquant.
Enfin, je suis confronté à une forme de « racket » dans mes fonctions d’élu local. Il y a sur mon territoire des amphibiens protégés, et des friches industrielles que nous voulons réhabiliter. Chaque fois qu’une autorisation est requise auprès de la DREAL, celle-ci prend l’attache d’une association spécialisée qui établit un rapport d’analyse. Et chaque fois que nous souhaitons une dérogation, nous devons nous aussi solliciter cette même association, à titre onéreux évidemment, sans quoi notre dossier n’a aucune chance de recevoir l’aval de la DREAL. C’est proprement scandaleux.
M. Jacques Le Nay. Je suis surpris par la recommandation n° 12 qui prend le parti des partenariats avec les entreprises les plus polluantes. On met le doigt sur la question des conflits d’intérêt.
Les maires sont souvent confrontés à des associations de riverains qui se forment pour protéger leurs résidences secondaires d’un quelconque voisinage. Leur lien avec l’intérêt général ne me paraît pas évident.
Comment s’est effectué le choix des associations auditionnées ? Je m’étonne de l’absence des associations de pêcheurs et de chasseurs, dont l’action en faveur de la protection de la nature n’est plus à démontrer.
M. Bernard Lesterlin. Comme Bertrand Pancher, je rends hommage à l’action des associations. Mais j’ai des difficultés avec les fondations, que j’illustrerai avec un exemple récent. Je note que nos rapporteurs ne souhaitent pas provoquer une inflation législative, ce qui est louable, mais le droit des fondations d’entreprise appelle clarification.
L’environnement est un terrain privilégié pour le mélange des genres entre philanthropie et marketing d’entreprise. Il y a bientôt un an, j’ai suivi le cheminement de la proposition de loi rapportée par Mme Claude Greff sur la mise en place du service civique. Majorité et opposition se sont entendues pour exclure les fondations d’entreprise du dispositif : il est impossible de justifier que le nettoyage de plages mazoutées incombe à des jeunes effectuant leur service civique qui arborent le logo d’une entreprise pétrolière. Ca n’a d’ailleurs pas de lien avec la structure de capital, puisque les mêmes objections sont portées à l’encontre d’entreprises publiques.
Plus largement, je suis choqué par les campagnes de communication publique cofinancées par le ministère de l’écologie et des entreprises comme GDF Suez. On est, de mon point de vue, dans la confusion des genres. Une loi pourrait prouver son utilité.
Mme Fabienne Labrette-Ménager. Je félicite moi aussi les rapporteurs pour leur travail. Notre intérêt est évident, nos discussions en sont la preuve.
Votre huitième recommandation demande le financement intégral par la puissance publique des associations qui gèrent des réserves naturelles. Je rappelle que la taxe départementale sur les espaces naturels sensibles (TDENS) peut justement aider à financer les acteurs. Dans mon département, elle rapporte 1,2 million chaque année : c’est efficace et apprécié. Les moyens juridiques existent, ce n’est pas toujours le cas de la volonté politique des conseils généraux.
Les partenariats avec les entreprises ne me dérangent absolument pas. Nous sommes dans la logique de la liberté associative. Il faut simplement que cela soit dit et connu de l’opinion publique. Le grand public apprécie les associations et les fondations environnementales ; il peut comprendre comment elles sont financées.
M. Philippe Plisson. Une réflexion sur l’indépendance et la moralité des associations est impérative. Geneviève Gaillard a mentionné mes travaux sur la gestion budgétaire du ministère de l’environnement. J’ai été étonné des sommes accordées et je me suis demandé l’indépendance était assurée par rapport aux pouvoirs publics. Peut-on être sûr que les crédits de l’État ne subissent pas une modulation en fonction du degré de complaisance, et que la parole associative est libre de se faire contestataire ?
M. Philippe Meunier. Nous avons un vrai problème avec les ONG qui prennent toujours plus de place dans nos délibérations.
J’aurais aimé que la recommandation d’une plus grande traçabilité des dons inclue la proposition d’une diffusion de l’identité des principaux financeurs. Pour contextualiser le propos associatif, savoir qui paie est une nécessité. Lorsque la commission auditionne les dirigeants de ces organisations, j’aimerais que nous disposions de leurs données financières et comptables. Je suis fatigué des leçons de morale qui s’adressent tous les jours aux élus – et c’est normal – mais puisque ces associations ont décidé de faire de la politique, elles doivent aussi justifier publiquement de leurs ressources.
M. Martial Saddier. Je voulais insister sur la transparence, mais tous l’ont fait avant moi. Le don peut avoir une conviction pour origine, mais les motivations fiscales jouent aussi leur rôle. Je souhaite une plus grande séparation entre la notion de don et celle d’adhésion.
En ce qui concerne la TDENS, certains départements la mettent correctement en œuvre et il faut les saluer. D’autres sont moins performants. D’autres enfin la tiennent pour une ligne de trésorerie. Un contrôle est nécessaire sur son affectation, ou peut-être faut-il un ajustement de la réglementation.
Enfin, les collectivités locales versent souvent aux associations une subvention annuelle de fonctionnement. Les décisions en matière d’urbanisme conduisent à les solliciter comme membres des comités de pilotage. Et elles candidatent enfin aux appels à projet des inventaires faunistique et floristique. Autour de la table, on retrouve donc d’un côté les salariés de l’association qui restituent le compte-rendu de l’inventaire, et de l’autre côté le président de l’association qui vote au même titre que les élus. Je ne remets pas en cause la compétence de ces organisations, qui est réelle, mais je souhaite qu’elles soient astreintes aux règles d’indépendance qui ont été édictées à destination des élus.
M. André Chassaigne. Il faut souligner combien la vie associative est importante pour notre démocratie. Dans le domaine environnemental, les associations apportent un angle d’analyse différent et un approfondissement. Elles ont favorisé des prises de conscience qui ne seraient pas venues aussi rapidement en leur absence.
Cela n’empêche pas les difficultés, qui peuvent aller jusqu’à l’instrumentalisation – consciente – des grandes associations environnementales. En premier lieu, elles sont utilisées comme filtre démocratique : au lieu de solliciter le peuple, on considère que la parole des associations vaut expression de la parole démocratique. C’est un faux-semblant qui arrange, évidemment, ceux qui craignent le peuple.
Je vois une seconde instrumentalisation, qui consiste à limiter les politiques publiques dans le domaine de la recherche. L’expertise des associations – qui est réelle, en témoigne la présence parfois en leur sein de scientifiques de très haut niveau – est utilisée en substitution d’une expertise publique qui disparaît faute de moyens.
Enfin, je considère que ces associations sont le moyen, pour le système capitaliste, de masquer les effets dévastateurs de son fonctionnement sur les équilibres naturels. Ce tour de passe-passe se manifeste par le « capitalisme vert » et par l’hypocrisie des grandes entreprises polluantes qui, avec force mécénats et fondations, tentent de dissimuler les dommages que causent leurs activités.
L’identification de la parole environnementale aux grandes ONG environnementales nuit enfin aux associations généralistes qui poursuivent un objectif pédagogique d’éducation populaire. Elles n’obtiennent plus de financement public car tous les fonds sont dirigés vers les structures médiatiques. Je n’ai pas été choqué par la demande de Jean Lassalle : il faut que cette commission dispose d’un guide des financements de ces associations et de ces fondations.
M. David Douillet. Nous avons tous compris les effets pervers du financement public sur les associations. Je pense qu’il est temps de faire du ménage dans le secteur environnemental. Toutes les associations sont différentes. Une mission parlementaire transversale devrait établir une typologie du paysage associatif, qui est pour l’heure totalement désorganisé.
Je lance l’idée d’un plafonnement des financements publics. Il faudrait aussi identifier les objectifs, les actions, la gouvernance. On diminuerait l’acuité des problèmes. La transparence permettrait de donner aux petites associations les moyens d’exister, car je ne crois pas que les grosses en aient le plus besoin. Cette classification devrait venir de nous, le Parlement, car les associations sont un des ciments de notre société. Il est temps d’y mettre de l’ordre.
M. le président Serge Grouard. Avant de donner la parole à nos rapporteurs pour conclure cette réunion, je voudrais saluer la qualité des interventions et du débat. Je sens qu’il existe une convergence dans les propos de chacun et j’aimerais exposer ce que je ressens comme les principaux points de convergence.
Tout le monde reconnaît l’importance du tissu associatif dans notre pays, au-delà de la seule sphère environnementale. Les élus locaux savent quel travail exceptionnel il accomplit, travail sans lequel nous aurions d’ailleurs bien du mal à fonctionner au quotidien.
Beaucoup de ce qui a été dit pose la question du « passager clandestin », c'est-à-dire du détournement d’un système par quelques acteurs vers d’autres fins que les siennes. J’ai bien ressenti un doute sur la nécessité de légiférer ou pas, et la volonté d’inviter une inflation législative.
Il y a une distinction entre les petites associations, qui oeuvrent au quotidien en s’appuyant sur des bénévoles, et de grandes associations, qui disposent de personnels salariés et d’une envergure au moins nationale. Les problématiques sont très différentes. Vous avez établi une seconde différence entre les associations et les fondations.
La commission s’est accordée sur le besoin d’une transparence accrue, qui est d’ailleurs rappelé dans le rapport sur la base d’éléments précis. Les problèmes du financement et de la fiscalité lui sont liés, je pense. Enfin, nous sommes tous d’accord pour prévenir les conflits d’intérêt.
Je pense que ce débat appelle d’autres développements. Nos rapporteurs, qui ont fourni un travail remarquable et qui connaissent bien le sujet, pourraient prolonger leurs investigations pour fournir des éléments d’appréciation à la commission sur les interrogations que la discussion a suscitées et sur les propositions qu’ils ont formulées. Le règlement le permet. Ces informations complémentaires collectées, nous nous réunirions pour refaire un point.
Il y a une possibilité alternative, c’est la saisine du comité d’évaluation et de contrôle qui est placé auprès de la présidence de l’Assemblée nationale. Le sujet serait abordé de manière beaucoup plus large, avec la transversalité qui nous fait défaut puisque nous sommes limités au secteur de l’environnement. En tant que président de commission, je peux suggérer ce thème de travail au Président de l’Assemblée.
Quel est le sentiment de nos rapporteurs ? Ont-ils la volonté de poursuivre leur mission ?
M. Jean Lassalle. Avant la réponse de nos rapporteurs, je tiens à exprimer mon soutien à votre très juste analyse. La gravité de certains faits qui ont été portés à ma connaissance me conduit toutefois à demander, dès maintenant, la constitution d’une commission d’enquête parlementaire. J’adhère parfaitement à tout le reste de votre intervention.
M. le président Serge Grouard. Indépendamment du fond, nous avons abordé le secteur associatif environnemental alors que les problématiques soulevées concernent la totalité du tissu associatif. Du point de vue de la méthode, il me semblerait dommageable que les investigations se concentrent sur une petite partie seulement du dispositif. On pourrait évoquer par exemple les masses financières qui sont brassées par le secteur sportif. Les clubs gèrent des millions d’euros alors qu’ils ont une structure juridique associative, à l’exception des grands clubs professionnels qui se rencontrent dans quelques sports bien déterminés. C’est aussi un sujet, y compris au plan local, avec toute la logique du sponsoring.
Je ne voudrais pas que le débat se trouve polarisé sur les seules structures environnementales. Nos débats ont des conséquences sur la perception des sujets de société par nos concitoyens. On ne peut pas laisser entendre qu’il y a des moutons noirs dans un secteur et pas dans les autres. C’est pourquoi l’approche transversale s’impose de mon point vue, et le comité d’évaluation et de contrôle est tout désigné pour la mettre en œuvre.
Mme Geneviève Gaillard, rapporteur. Je pense que nous ne pourrons pas répondre à toutes les questions, mais je voudrais dire ma surprise devant certains propos qui ont été tenus au cours du débat. On pourrait croire que les associations de protection de l’environnement, qui ne sont pas très nombreuses, seraient totalement opaques et que leur gouvernance serait insatisfaisante. Nous prouvons le contraire. Il suffit d’aller sur leurs sites internet : vous saurez tout. Les associations sont conscientes des efforts à consentir pour améliorer la situation.
Il faut faire attention dans les comparaisons. Les associations environnementales ont la particularité de « gêner » les élus, parce qu’elles ne vont pas toujours dans le même sens. Un club sportif arrange toujours la municipalité ; une association qui attaque ses décisions ne l’arrange pas. Je répète tout de même que les associations – je parle bien des associations et pas des fondations – ont une gouvernance claire, que les comptes sont publics et à la disposition de tous les citoyens. Un commissaire aux comptes est même obligatoire à partir d’un certain montant de subventions.
Il est possible qu’une petite structure à l’action locale déroge à ce schéma. Mais pour ce qui est des grandes associations, j’ai pu constater tout au long de nos travaux qu’elles sont dans une logique de transparence. Je ne serai pas en tant que rapporteur le « fossoyeur » des associations de protection de l’environnement, qui sont utiles.
Sur les fondations en revanche, nous avons une véritable réflexion à entamer. C’est un autre sujet. Mais nous nous sommes là aussi cantonnés aux fondations environnementales. De même, nous n’avons pas abordé le secteur de la protection des animaux, ni le statut des bénévoles. Ce n’est pas la mission qui nous a été confiée.
En ce qui concerne les partenariats avec les entreprises les plus polluantes, je signale que c’est la seule façon de faire progresser la cause de l’environnement. On ne peut promouvoir les bonnes pratiques qu’auprès de ceux qui en ont de mauvaises. N’accepter de travailler qu’avec les sociétés parfaitement vertueuses reviendrait à promouvoir les droits de l’homme en Scandinavie, pays où les standards sont déjà très élevés. Je conçois que certains puissent être interloqués en première analyse, mais cette approche s’impose par la stricte analyse logique.
Il y a eu des remarques sur la part de financement public. Je rappelle que les associations exercent des missions qui leur sont demandées par les collectivités territoriales et par l’État. Il n’y a quasiment plus de subventions de fonctionnement ; ce sont les projets conduits qui font l’objet d’une rétribution. Parfois, la dotation publique ne suffit pas et il faut chercher l’argent ailleurs : de là naissent les partenariats et les activités commerciales.
Le cas des associations de locataires, pour lesquelles la participation à des réunions est indemnisée, a été abordé. Il ne s’applique pas aux associations environnementales. Celles-ci sont exemplaires puisque leurs dirigeants refusent d’admettre que les fonctions qu’ils accomplissent bénévolement puissent faire l’objet d’une rémunération, alors que la pratique en est ailleurs généralisée. Seuls les défraiements sont acceptés.
Il faut donc prendre garde aux opinions exprimées. On ne peut condamner tout un secteur sur des préjugés.
M. Jean-Marie Sermier, rapporteur. Je vous remercie de la variété des questions posées. Nous avons compris que des interrogations existent, mais le problème ne réside pas dans les associations locales même si elles perturbent parfois l’action de l’élu local. Elles font avancer leurs idées ; ce sont les règles du jeu démocratique.
Les problèmes que nous avons identifiés concernent les fondations et quelques rares associations internationales. Nous avons alors des difficultés pour bien comprendre les relations en termes de gouvernance et de financement. Le directeur de Greenpeace nous les a expliquées en détaillant les organes internationaux et la répartition des droits de vote : la France occupe ainsi un siège parmi vingt-huit même si elle représente plus dans la structure des financements.
Nous n’avons décelé ni prise illégale d’intérêt ni collusion qui mériteraient d’être immédiatement communiquées. Mais tout le monde sent combien la limite est floue. L’image médiatique d’une marque ou d’une personnalité permet à des acteurs économiques étrangers de peser sur des décisions nationales stratégiques : non pas le tracé d’une déviation départementale, mais la réglementation des organismes génétiquement modifiés, des ondes ou encore du nucléaire. Il faut faire attention et délivrer un cadre pour que le public soit informé.
Aujourd’hui, toutes les fondations et toutes les associations respectent leurs obligations légales. Une brève recherche sur internet permet de connaître l’essentiel. Ce n’est peut-être pas suffisant dans la mesure où tout le monde ne fait pas les deux clics nécessaires. Les donateurs refusent de s’investir en profondeur : ils se soucient de l’ours blanc ou du tigre du Bengale, mais pas forcément des modalités de fonctionnement des organisations qu’ils financent. Il faudra trouver des solutions pour préciser la légitimité de prises de position effectuées dans les médias.
En ce qui concerne les partenariats, je souscris pleinement aux propos de Geneviève Gaillard. Les entreprises qui polluent doivent pouvoir financer des associations environnementales. Chaque fois que RFF trace une nouvelle ligne, il crée un fonds spécifique à l’environnement pour compenser la dégradation des milieux qui en découle. On ne peut pas le lui reprocher.
Ce débat nous a fait sentir que le sujet n’est pas totalement épuisé. J’ai entendu la sollicitation du président. Nous serions heureux de continuer notre démarche si la commission le souhaite.
M. le président Serge Grouard. Je mets maintenant aux voix la question de la publication de ce rapport, après avoir remercié nos rapporteurs pour la qualité du travail qu’ils ont accompli et qu’ils vont poursuivre.
La Commission autorise à l’unanimité le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
ASSOCIATIONS DE PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT
ATMO (RÉSEAU NATIONAL DES ASSOCIATIONS AGRÉÉES POUR LA SURVEILLANCE DE LA QUALITÉ DE L'AIR) :
– M. Bernard Jourdain, président ;
– M. Alain Gazeau ;
COMITÉ DE LIAISON ÉNERGIES RENOUVELABLES (CLER) :
– M. Raphaël Claustre, directeur ;
FERUS :
– M. Gilbert Simon, vice-président ;
FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT (FNE) :
– M. Sébastien Genest, vice président ;
– Mme Morgane Piederrière, chargée du suivi législatif et des relations institutionnelles ;
GREENPEACE FRANCE :
– M. Pascal Husting, directeur exécutif ;
LES AMIS DE LA TERRE :
– M. Claude Bascompte, président sortant, membre du conseil fédéral ;
« LES AMIS DU PAYS ENTRE MÈS ET VILAINE » ET « LES AMIS DES CHEMINS DE RONDE » :
– Mme Marie-Armelle Échard, présidente ;
LIGUE POUR LA PROTECTION DES OISEAUX (LPO) :
– M. Michel Métais, directeur ;
– Mme Sylvie Flatrès, chargée des relations avec le Parlement ;
SOCIÉTÉ NATIONALE DE PROTECTION DE LA NATURE (SNPN) :
– M. Jean Untermaier, président ;
– M. Michel Echaubard, secrétaire général ;
UNION NATIONALE DES CENTRES PERMANENTS D'INITIATIVES POUR L'ENVIRONNEMENT (CPIE) :
– M. Yvon Bec, président ;
– Mme Brigitte Giraud, directrice ;
FONDATIONS DE PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT
GOODPLANET :
– M. Yves Mansillon, directeur général ;
NICOLAS HULOT :
– Mme Cécile Ostria, directrice générale ;
– Mme Sylvie Marmol, responsable administrative et financière ;
WWF :
– M. Serge Orru, directeur général ;
– Mme Catherine El Arouni, directrice administrative et financière ;
POUVOIRS PUBLICS
ASSEMBLÉE NATIONALE :
– M. Pierre Morange, député, vice-président de la commission des affaires sociales
MINISTÈRE DE L'ÉCOLOGIE, DU DÉVELOPPEMENT DURABLE, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT :
– Mme Michèle Pappalardo, commissaire générale au développement durable ;
– Mme Michèle Rousseau, adjointe de Mme Pappalardo ;
MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR, DE L’OUTRE-MER, DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET DE L’IMMIGRATION :
– M. Patrick Audebert, chef du bureau des associations et fondations ;
OBSERVATEURS EXTÉRIEURS
CHAIRE ENTREPRENARIAT SOCIAL DE L’ESSEC « BONNES PRATIQUES ET TRANSPARENCE ASSOCIATIVE » :
– Mme Julie Rebattet, chargée de projet ;
COMITÉ DE LA CHARTE :
– M. Gérard de La Martinière, président ;
FONDATION PROMETHÉUS :
– M. Bernard Carayon, député du Tarn, président ;
– M. Thomas Janier, directeur ;
FRANCE GÉNÉROSITÉS :
– M. André Hochberg, président ;
– Mme Gwenaëlle Dufour, directrice juridique et fiscale ;
KPMG :
– M. Bernard Bazillon, directeur national du secteur non marchand ;
– M. Pierre Marcenac, ancien directeur national secteur non marchand.
1 () Rapport n° 1134, treizième législature.
2 () Loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement et loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement.
3 () On citera notamment un documentaire comme Une vérité qui dérange de Al Gore (2006), ou encore Home de Yann Arthus-Bertrand (2009), voire le film à grand spectacle hollywoodien Le jour d’après de Roland Emmerich (2004).
4 () Nicolas Hulot, animateur de télévision, reste le meilleur exemple de ce discours écologiste porté par des personnalités non scientifiques ni même politiques.
5 () Les préconisations fleuries avec le Sommet de la Terre de Rio (1992), l’agenda 21 notamment, avaient rapidement été oubliées.
6 () Il existe un débat sur l’appartenance de la protection animale à la mouvance environnementale. Il est certain que les associations engagées pour la protection de la faune sauvage participe de la protection de l’environnement, mais est-ce encore le cas des institutions destinées à recueillir des animaux domestiques ? Et comment considérer les organismes qui se consacrent à la lutte contre la cruauté envers les animaux, qu’ils soient sauvages ou domestiques ?
7 () Toute association qui voudra obtenir la capacité juridique prévue par l'article 6 devra être rendue publique par les soins de ses fondateurs.
8 () Les deux textes prévoient quasiment les mêmes procédures. Leur coexistence est étonnante, encore qu’elle ne pose pas de difficulté en droit.
9 () Les départements d’Alsace et de Moselle constituent des cas particuliers. Ces territoires étaient soumis à l’administration allemande à la promulgation de la loi de 1901. La liberté d’association est apparue dans le droit local sur la base d’une loi impériale de 1908 qui ne prévoit pas l’utilité publique. Celle-ci est donc reconnue par le préfet après avis du tribunal administratif.
10 () L’hypothèse reste tout à fait théorique, puisque pareil évènement ne s’est jamais produit.
11 () Sondage TNS-Sofres du 22 mai 2010.
12 () http://goodplanet.org/spip.php?article69 visité le 1er février 2011. Il faut préciser que la page ne mentionne que la fonction de maire de Bordeaux à côté du nom de M. Juppé.
13 () Alstom, CDC Entreprises, Dassault-aviation, EADS, Laboratoires Pierre Fabre, Safran, Sanofi-Aventis et Thales d’après le site internet de Prometheus.
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