N° 3251
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 mars 2011.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
sur la fin de vie des équipements militaires
ET PRÉSENTÉ PAR
M. Michel Grall
Député.
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S O M M A I R E
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Pages
INTRODUCTION 9
PREMIÈRE PARTIE : LE NUCLÉAIRE : UN ENJEU MAJEUR ET MAÎTRISÉ 11
I. — UNE FORTE DIVERSITÉ DE MATÉRIELS 11
A. LES TÊTES NUCLÉAIRES 11
B. LES SOUS-MARINS ET BÂTIMENTS NUCLÉAIRES 12
C. LES INSTALLATIONS INDUSTRIELLES 14
1. Les sites concernés 14
2. Les opérations de démantèlement 16
3. Le recyclage des matières 17
D. LES DÉCHETS NUCLÉAIRES 17
II. — UNE RÉPARTITION PERTINENTE DES MISSIONS 18
A. UNE RÉPARTITION EFFICACE DES RESPONSABILITÉS 18
1. La direction des applications militaires du CEA, chef de file du nucléaire
militaire 19
2. Les rôles respectifs de la DGA et de l’état-major 19
B. LES ACTEURS INDUSTRIELS 20
1. Pour les installations, les têtes et les déchets nucléaires 20
2. Pour les chaufferies nucléaires 21
C. LES TUTELLES ET LES ORGANISMES DE CONTRÔLE 22
III. — UN PÔLE D’EXCELLENCE À MAINTENIR 23
A. PRÉSERVER L’ORGANISATION INSTITUTIONNELLE ET INDUSTRIELLE 23
1. Renforcer les synergies entre le civil et le militaire 23
2. Maintenir un pôle nucléaire français 24
B. POURSUIVRE LES EFFORTS FINANCIERS 25
1. Un effort financier très important 25
2. Les modalités du financement 26
a) Le recours à un fonds dédié 26
b) Le financement du fonds 26
IV. — ÉLÉMENTS DE COMPARAISON INTERNATIONALE 28
A. LA POLITIQUE AMÉRICAINE DE DÉMANTÈLEMENT DES ÉQUIPEMENTS
NUCLÉAIRES 28
1. Un programme engagé dès 1998 par le ministère de l’énergie 28
2. Des besoins financiers considérables 29
B. LE DÉMANTÈLEMENT DES INSTALLATIONS 30
1. L’organisation du site de Savannah River 30
2. Les différentes zones visitées 31
3. L’usine MFFF : un exemple de coopération franco-américaine 32
DEUXIÈME PARTIE : LA FRANCE A ADOPTÉ UNE POLITIQUE PRAGMATIQUE
DE DÉMANTÈLEMENT DES AUTRES ÉQUIPEMENTS MILITAIRES 33
I. — UN STOCK DÉJÀ CONSÉQUENT ET EN AUGMENTATION 33
II. — FACE À L’INÉVITABLE DIVERSITÉ DES ACTEURS, LE CHOIX D’UN PILOTAGE PAR MILIEU 35
A. LES ACTEURS DE LA DÉFENSE 35
1. Une responsabilité des services de soutien 35
2. Le rôle de l’état-major des armées 36
B. LES AUTRES ACTEURS INSTITUTIONNELS ET PRIVÉS 37
1. Les acteurs publics 37
2. Les partenaires privés 38
III. — UN CADRE JURIDIQUE CONTRAIGNANT 39
A. UNE COMPÉTENCE ET UNE RESPONSABILITÉ DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE 39
B. DES NORMES ENVIRONNEMENTALES DRASTIQUES 42
1. Un empilement de normes environnementales internationales 42
2. Une application trop extensive des règles relatives à l’amiante 43
3. L’inventaire et la cartographie des matières dangereuses 45
IV. — UN ENJEU FINANCIER ET COMPTABLE MAL APPRÉHENDÉ 46
A. LE FINANCEMENT DE LA FIN DE VIE DES ÉQUIPEMENTS DE DÉFENSE 46
1. Une nouvelle prise en compte budgétaire 46
2. L’anticipation des dépenses 47
a) Les matériels déjà en service 48
b) Pour les nouveaux équipements 48
3. Le démantèlement comme source de revenus ? 49
B. LES LIMITES DU TRAITEMENT COMPTABLE 50
1. Un régime d’inscription comptable insatisfaisant 50
a) La valorisation des actifs de la défense 50
b) Les modalités d’amortissement 51
2. Des provisions pour démantèlement encore insuffisantes 54
V. — ÉLÉMENTS DE COMPARAISON INTERNATIONALE 55
A. PANORAMA EUROPÉEN 55
1. Cadre général 55
2. Une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux 58
B. L’EXEMPLE AMÉRICAIN : VERS UNE GESTION GLOBALE DU CYCLE DE VIE 58
1. Un enjeu qui apparaît progressivement dans le débat public 58
2. Les acteurs institutionnels de la fin de vie 60
3. Le démantèlement des navires fédéraux civils 62
4. Les capacités industrielles : de l’artisanat à la gestion de processus
complexes 64
a) Le chantier d’International Shipbreaking Limited 64
b) L’unité de démantèlement des missiles d’Anniston 65
C. L’EXEMPLE BRITANNIQUE : LA CENTRALISATION POUR LA RENTABILITÉ 67
1. Une agence centralisatrice 67
2. Le démantèlement comme source de revenus 68
3. Une application pragmatique des normes environnementales 69
4. Le traitement comptable de la fin de vie au Royaume-Uni 70
D. L’EXEMPLE ALLEMAND : « PRENDRE DES ÉPÉES POUR EN FAIRE DES SOCS DE CHARRUES » 71
1. Les matériels de l’armée de l’ex-RDA 71
2. La fin de vie des matériels militaires dans les années 2000 72
3. Les acteurs 73
a) Pour les matériels civils 73
b) Pour les matériels de guerre 73
TROISIÈME PARTIE : LA FRANCE SE PRIVE DU LEVIER D’INFLUENCE QU’EST L’EXPORTATION DE MATÉRIELS D’OCCASION 75
I. — TROIS ÉLÉMENTS DE COMPARAISON INTERNATIONALE 75
II. — LE MARCHÉ FRANÇAIS : DES VOLUMES MODESTES MAIS UN POTENTIEL
IMPORTANT 78
A. UN MARCHÉ STRATÉGIQUE OÙ LA FRANCE EST PEU PRÉSENTE 78
B. LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES 79
C. QUELLE PERTINENCE ÉCONOMIQUE POUR LE MARCHÉ DE L’OCCASION ? 80
1. Les gains attendus 80
2. Un prix de vente déterminé par les services gestionnaires 80
QUATRIÈME PARTIE : POUR UNE APPROCHE STRATÉGIQUE DE LA FIN DE
VIE DES ÉQUIPEMENTS MILITAIRES 85
I. — FAIRE ÉVOLUER LE DISPOSITIF 85
A. MIEUX UTILISER LE CADRE RÉGLEMENTAIRE 85
B. PRÉSERVER UNE ORGANISATION PRAGMATIQUE 87
C. FAVORISER LES SYNERGIES AFIN DE LIMITER LES COÛTS 88
1. Les synergies avec le secteur civil 88
2. Des synergies avec l’étranger 90
II. — S’INSCRIRE DANS UNE GESTION DYNAMIQUE DU CYCLE DE VIE 91
III. — LES BÉNÉFICES ATTENDUS DES ÉVOLUTIONS PROPOSÉES 95
CONCLUSION : UNE STRATÉGIE AUTOUR DE TROIS AXES DE PROPOSITIONS 97
I. — OPTIMISER LES PROCÉDURES ET MIEUX ANTICIPER LES BESOINS 97
II. — UTILISER LA FIN DE VIE COMME UN LEVIER D’INFLUENCE ET UN
VECTEUR DE PARTENARIAT 98
III. — AFFIRMER UN PILOTAGE POLITIQUE 99
EXAMEN EN COMMISSION 101
ANNEXES 107
ANNEXE I : LISTE DES AUDITIONS ET DES DÉPLACEMENTS 107
1. Déplacement au Royaume-Uni du 5 juillet 2010 109
Ambassade de France 109
Disposal Service Authority 109
National Audit Office 109
2. Déplacement en Allemagne du 15 au 16 novembre 2010 109
Ambassade de France 109
Ministère fédéral de la défense 109
Visite du site de Rockensußra de l’entreprise Battle Tank Dismantling Koch GBmH 109
Autorités locales 110
3. Déplacement sur les sites de Pierrelatte et Marcoule du commissariat à
l’énergie atomique le 6 décembre 2010 110
4. Déplacement aux États-Unis du 13 au 18 décembre 2010 110
Ambassade de France 110
Congrès américain 110
Ministère de la défense 111
Ministère de l’énergie 111
Ministère des transports – Administration maritime 111
Visites de sites 111
ANNEXE II : EXTRAIT DU RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES SUR LA
CERTIFICATION DES COMPTES DE L’ÉTAT POUR 2009 113
ANNEXE III : DÉCRET DU 26 DÉCEMBRE 1996 RELATIF À L’AMIANTE 119
ANNEXE IV : DÉCISION DE RÉPARTITION DES COMPÉTENCES EN MATIÈRE DE FIN
DE VIE DES ÉQUIPEMENTS MILITAIRES 123
ANNEXE V : ARRÊTÉ DE RÉPARTITION DE COMPÉTENCES CONCERNANT LE
RETRAIT DU SERVICE ACTIF 124
La commission de la défense nationale et des forces armées a nommé M. Michel Grall rapporteur d’une mission d’information sur la fin de vie des équipements militaires, le 24 mars 2010.
L’épisode douloureux du démantèlement du porte-avions le Clemenceau, commencé en 2003, a mis en lumière les faiblesses du dispositif français de traitement des matériels en fin de vie. Cet épisode, qui restera comme un évènement marquant de l’histoire militaire récente, vient à peine de se terminer avec l’achèvement du démantèlement de la coque Q 790 au Royaume-Uni à la fin de l’année 2010.
La fin de vie est une question complexe car elle est à la confluence d’enjeux opérationnels, financiers, environnementaux, juridiques, industriels et commerciaux.
Compte tenu de l’ampleur du sujet et de la diversité des contributions, il revient au Parlement de dresser un état des lieux global sur la fin de vie des équipements, incluant non seulement leur démantèlement mais aussi leur possible exportation, sur le périmètre le plus large possible. Cette réflexion prend en compte le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, dont les préconisations, intégrées dans la loi de programmation militaire adoptée en 2009, conduisent à la réduction de format des armées et libèrent un nombre conséquent de matériels disposant encore de potentiel sur l’ensemble de la période concernée par la loi de programmation militaire (2009-2014).
Pour le rapporteur, il s’agit de partir de ce constat pour définir ce que pourrait être une stratégie optimale de gestion de nos matériels en fin de vie, qu’il s’agisse du démantèlement ou de la politique d’exportation d’équipements d’occasion, encore modeste au regard des opportunités. Il a pris en compte dans sa réflexion l’ensemble des équipements de la défense, navals, terrestres ou aéronautiques, ainsi que ceux de la dissuasion et les munitions.
Le rapporteur a non seulement mené un large panel d’auditions en France, mais s’est également efforcé d’étudier les dispositifs mis en place par nos principaux partenaires : États-Unis, Royaume-Uni et Allemagne.
Il apparaît que le nucléaire constitue un sujet spécifique qui doit être traité séparément, l’excellence française dans le domaine devant être conservée. En ce qui concerne les autres matériels, la France a adopté une approche pragmatique pour le démantèlement. Cependant, elle se prive du levier d’influence qu’est l’exportation de matériels d’occasion. Au final, le rapporteur préconise d’adopter une stratégie de la fin de vie inscrite dans une approche globale et optimisée du cycle de vie des matériels.
PREMIÈRE PARTIE : LE NUCLÉAIRE :
UN ENJEU MAJEUR ET MAÎTRISÉ
I. — UNE FORTE DIVERSITÉ DE MATÉRIELS
Le rapporteur a intégré à sa réflexion tous les matériels et tous les matériaux participant au processus de production ou d’exploitation des armes nucléaires, y compris les éléments qui ne relèvent pas directement de l’autorité du ministère de la défense. Au sens strict, les équipements militaires nucléaires sont constitués des têtes nucléaires, des missiles balistiques, des chaufferies nucléaires embarquées sur les sous-marins ou sur le porte-avions Charles-de-Gaulle et des installations de production et de recyclage des matières nucléaires.
La durée de vie moyenne est de 20 ans pour les têtes nucléaires, 30 ans pour les chaufferies et 40 ans pour les installations. Dès l’atteinte de la limite d’âge, les matériels sont démantelés : la France ne conserve aucun « stock » en sus de son arsenal déployé. Au-delà de la garantie initiale, les équipes du commissariat à l’énergie atomique (CEA) testent en permanence la conformité de toutes les composantes et en rendent compte au chef d’état-major des armées. Lors du démantèlement, chaque élément est testé pour en vérifier a posteriori les performances et la fiabilité.
Les têtes nucléaires françaises fabriquées par le centre du CEA du Valduc équipent les missiles balistiques de la force océanique stratégique (FOST) et ceux des forces aériennes stratégiques (FAS). Il s’agit respectivement des TN 75, progressivement remplacées par les têtes nucléaires océaniques (TNO), et des TN 81, progressivement remplacées par les têtes nucléaires aéroportées (TNA). La modernisation des têtes nucléaires s’inscrit dans un plan d’ensemble de modernisation des missiles balistiques avec l’entrée en service actif du sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) de nouvelle génération Le Terrible pour la composante océanique et l’admission au service actif du nouveau missile ASMP-A (air-sol moyenne portée amélioré) sur le Rafale.
Au fur et à mesure de la mise en service des M 51 et des ASMP-A équipés des nouvelles têtes, le CEA doit démanteler et recycler les têtes retirées du service. Une fois que l’état-major des armées a prononcé le retrait du service actif, c’est-à-dire lorsque l’arme a atteint sa durée de vie garantie, le CEA prend en charge la tête nucléaire et procède à sa déconstruction, c’est-à-dire à la séparation des différents éléments. Cette phase se fait à l’Île-Longue pour les missiles de la FOST et au centre spécial militaire du Valduc pour les missiles de la composante aéroportée. Les composants sont alors démantelés ou détruits dans les centres compétents (1).
Le CEA procède à leur démontage et à la séparation des différents constituants avant de détruire la partie pyrotechnique et de recycler les éléments contenant des matières fissiles. Dès lors que les éléments non nucléaires sont isolés, ils s’apparentent à des matériaux militaires ordinaires et pourraient être traités par un circuit similaire à celui des autres matériels militaires. Pour autant, ils ne sauraient entrer dans un circuit banalisé sauf à représenter un risque de divulgation de technologies très sensibles. Si la maîtrise des matières fissiles est un prérequis indispensable pour accéder au rang de puissance nucléaire, la capacité d’associer une tête nucléaire à un vecteur conditionne le caractère opérationnel de ces armements. Il importe donc de préserver la confidentialité des technologies pyrotechniques associées à la tête nucléaire, y compris dans la phase de démantèlement. Cette exigence justifie que le CEA et la direction générale de l’armement (DGA) soient directement responsables de ces opérations et qu’elles se déroulent pour l’essentiel au sein de sites étatiques.
Le nombre de têtes à démanteler est cyclique et directement corrélé au renouvellement des systèmes d’armes. L’activité restera soutenue jusqu’en 2025 avec le remplacement des têtes des deux composantes, étant entendu que la déconstruction et le démantèlement sont engagés le plus rapidement possible après le retrait du service actif. Le dernier lot de têtes TN 71 qui équipaient le missile M 4 de la FOST a par exemple été retiré du service en mars 2005 ; en novembre 2007, l’intégralité du stock avait été déconstruite et, à ce jour, près de 60 % des composants ont été démantelés ou détruits.
B. LES SOUS-MARINS ET BÂTIMENTS NUCLÉAIRES
La France possède quatre sous-marins lanceurs d’engins et six sous-marins nucléaires d’attaques (SNA) soit un total de dix sous-marins nucléaires. En outre la marine nationale est équipée d’un porte-avions à propulsion nucléaire, le Charles-de-Gaulle.
Les SNLE actuellement en service relèvent d’un programme initié en 1986 ; une modernisation de ces bâtiments est prévue pour qu’ils puissent tous accueillir le nouveau missile balistique M 51. Ces adaptations se feront sans qu’il soit nécessaire de construire de nouveaux bâtiments ni de déconstruire les bâtiments actuels. En outre, elles ne concerneront pas la chaufferie et n’auront donc aucune conséquence immédiate en matière de démantèlement.
Pour les SNA, le ministère a signé en décembre 2006 un contrat pour l’achat de nouveaux sous-marins Barracuda avec une première admission au service actif prévue en 2017. Ce système est appelé à remplacer l’intégralité du parc ; c’est-à-dire qu’à compter de 2017 la marine retirera du service actif les anciens SNA et qu’il faudra en assurer la déconstruction ou, à défaut, le stockage.
Par ailleurs, il appartient de traiter le stock de sous-marins nucléaires déjà retirés du service. Les opérations de déconstruction et de démantèlement des six SNLE M 4 ont été réalisées par la direction des chantiers navals, devenue DCNS, et s’organisent en quatre phases :
- la mise à l’arrêt définitif de la chaufferie qui se termine à l’issue du débarquement des éléments combustibles irradiés qui seront repris ultérieurement par le CEA ;
- la mise en sécurité du « flotteur » au terme de laquelle le navire est définitivement déclaré inemployable ;
- le démantèlement nucléaire proprement dit consistant à retirer le cœur nucléaire et les fluides associés ;
- la remise de la coque dans le domaine public avant d’en engager la déconstruction.
La troisième phase est la plus délicate. Elle se décompose elle-même en trois niveaux :
- le niveau I avec le retrait des fluides, ce qui nécessite une surveillance importante ;
- le niveau II assure la décontamination et le confinement de la tranche réacteur. À ce stade, la tranche réacteur isolée et sécurisée est séparée du reste de la coque qui est pour cela découpée en tronçons. Les éléments restants sont ensuite « rejonctionnés », cette étape étant appelée « raboutage ». Il s’agit de remettre le sous-marin, débarrassé de tout élément nucléaire, en état de flottaison pour pouvoir le stocker et le transporter aisément.
- Le niveau III permet de réaliser le démantèlement proprement dit de la tranche réacteur ; il peut intervenir après plusieurs dizaines d’années d’entreposage, période correspondant à une décroissance radioactive significative qui limite l’exposition radiologique des opérateurs.
Les phases I et II durent en moyenne deux ans et demi dont un et demi pour les seuls travaux de décontamination et de confinement.
À ce jour, aucune solution de démantèlement total pour les réacteurs confinés et de déconstruction pour les coques « raboutées » n’a été développée. Le ministère de la défense dispose donc d’un stock correspondant aux six SNLE déjà retirés du service. À compter de 2017, il faudra y ajouter les éléments des six SNA puis à partir de 2030 des quatre SNLE NG.
Le Royaume-Uni est également confronté à la question du démantèlement de ses sous-marins nucléaires. À ce jour, le cœur nucléaire des sous-marins déjà retiré du service n’est pas traité et avec l’arrivée de nouveaux démonstrateurs en 2016, le Royaume-Uni aura à traiter quelque 25 bâtiments. Pour la déconstruction des coques, aucun industriel n’apparaît spontanément. Les responsables de la Disposal Services Authority (DSA) ont souligné la sensibilité de cette question et indiqué qu’il n’était pas envisageable que la fin de vie d’équipements aussi sensibles se fasse n’importe où. Ils ont également fait valoir que ces opérations risquent d’être très coûteuses et doivent donc faire l’objet d’une analyse très précise.
Le Charles-de-Gaulle ne sera pour sa part potentiellement concerné par des opérations de déconstruction et de démantèlement qu’à compter de 2040. Dans la mesure où il s’agit du seul bâtiment de surface avec une chaufferie nucléaire, il est difficile de déterminer les modalités ou les spécificités de sa fin de vie, indépendamment des concordances de procédure et d’astreinte aux règles de sûreté nucléaire applicables pour les sous-marins.
C. LES INSTALLATIONS INDUSTRIELLES
Les matières nucléaires nécessaires aux besoins de défense (2) ont été produites et traitées dans des installations du CEA réparties sur les sites de Marcoule (Gard), Pierrelatte (Drôme), Valduc (Côte-d’Or), Bruyères-le-Châtel (Essonne), Cadarache et Miramas (Bouches-du-Rhône).
Pour se doter d’armes nucléaires, la France a développé plusieurs types d’installations spécifiques :
- un centre d’enrichissement de l’uranium par diffusion gazeuse ;
- des réacteurs plutonigènes permettant de transformer l’uranium en plutonium ;
- un réacteur de production du tritium ;
- une usine de traitement des combustibles (UP1).
Le plutonium à usage militaire se distingue du plutonium à usage civil par sa composition isotopique car il comporte une quantité très importante de l’isotope fissile 239Pu. Les mêmes modalités de production ne peuvent donc pas s’appliquer aux matières civiles et militaires.
Ces installations doivent aujourd’hui être toutes démantelées, la France ayant arrêté la production de matière fissile conformément à ses engagements internationaux. En même temps qu’elle signait le traité d’interdiction complète des essais nucléaires (3), la France a déclaré un moratoire sur la production de matières fissiles pour les armes et a entrepris le démantèlement de ses anciennes usines. Pour arrêter définitivement une installation, il faut retirer toutes les matières nucléaires et mettre l’installation en situation sûre. Une fois ces opérations achevées, il faut démanteler l’usine, c’est-à-dire démonter tous les équipements internes destinés à la production ou au traitement ainsi que tous les équipements de servitude (ventilation, refroidissement…). L’assainissement final intervient ensuite pour retirer toute trace d’activité nucléaire du bâtiment qui perd alors son statut d’installation nucléaire et peut être réutilisé, démoli ou conservé en l’état.
Le tableau suivant récapitule l’ensemble des installations nucléaires de défense à démanteler.
Installations nucléaires à démanteler | |
Lieu |
Type d’installation concernée |
Marcoule |
Usine de retraitement du plutonium (UP1) |
Réacteurs plutonigènes G2 et G3 | |
Réacteurs tritigènes Célestin | |
Pierrelatte |
Usines de diffusion gazeuse de Pierrelatte |
Installations annexes | |
Miramas |
Produits lithiés |
Valduc |
Fabrication d’armes |
Bruyères |
Engins expérimentaux |
Cadarache |
Réacteurs de la propulsion navale |
Source : CEA. |
2. Les opérations de démantèlement
Les opérations de démantèlement ont commencé dès les années 1990 avec l’interruption de la production de plutonium militaire en 1992 et avec une mesure similaire en 1996 pour ce qui concerne l’uranium hautement enrichi. L’usine de Marcoule a cessé toute activité sur les combustibles au profit de la défense en 1993 et a été définitivement arrêtée en 1996. Son démantèlement a commencé dès 1997 et sera pour l’essentiel achevé vers 2020, la reprise, le traitement et l’évacuation des déchets se poursuivant jusqu’en 2040. Le programme arrêt et démantèlement des usines de Pierrelatte (dit Ardemu) vient pour sa part d’être achevé, conformément au calendrier initial et dans le respect du budget annoncé. Les réacteurs G2 et G3 ont quant à eux fait l’objet d’une première phase de démantèlement dans les années 1990 pour les mettre en sécurité. Leur démantèlement reprendra dès que l’agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) aura ouvert un site de stockage pour les déchets de type graphite.
Enfin, les réacteurs Célestin ont été arrêtés à la fin de l’année 2009 et leur démantèlement a aussitôt commencé. Le schéma suivant détaille le calendrier prévisionnel des opérations de fin de vie de ces réacteurs.
Calendrier de la cessation définitive d’exploitation et du démantèlement des réacteurs Célestin |
Source : Areva. |
La cessation définitive d’exploitation nécessite le traitement des cibles irradiées résiduelles, l’évacuation des éléments combustibles irradiés, le conditionnement de l’eau lourde et la mise en configuration minimale, l’ensemble de ces étapes se faisant sous une surveillance permanente et approfondie. Le démantèlement de toutes ces installations génère d’importants stocks de déchets ou de matières irradiées à traiter.
Afin de recycler au maximum les matières nucléaires, Areva a développé des solutions permettant de récupérer 96 % des matières issues du combustible usé. Il s’agit d’utiliser l’uranium et le plutonium issus de ce combustible usé pour la fabrication de nouveaux combustibles, comme le mélange d’oxydes d’uranium et de plutonium (MOX).
Les combustibles militaires usés sont intégrés à cette chaîne, permettant de les transformer pour une utilisation civile. À ce jour, 21 réacteurs français sont équipés pour recevoir ce type de combustible. Ils produisent environ 7 % de la production électrique nationale.
La construction de cette usine (Melox) représente un avantage indéniable pour la France qui se positionne ainsi comme le chef de file du recyclage des matières nucléaires, civiles et militaires. Outre la maximisation des ressources, cette solution permet de limiter le stockage des matières irradiées puisqu’elles sont réutilisées à d’autres fins. C’est aussi une manière de maintenir et de faire vivre notre expertise et notre savoir-faire dans le domaine nucléaire.
Avant même le lancement des opérations de démantèlement, la France a dû créer des installations à même de traiter les matières irradiées ou contaminées lors de la production des matières fissiles. L’essentiel de la radiotoxicité de ces déchets est dû à quelques radioéléments d’une longue durée de vie. Il s’agit notamment d’actinides mineurs comme l’américium, le curium ou le neptumium et de produits de fissions comme l’iode 129, le technétium 99 ou le césium 135. La première étape du traitement des déchets consiste donc à isoler ces éléments et à en débarrasser les déchets ; ils pourront ensuite faire l’objet d’une transformation en réacteur nucléaire pour diminuer leur durée de vie. Les installations Atalante et l’institut de chimie séparative (ICSM) cherchent à maximiser ces opérations pour réduire autant que possible la durée de vie des déchets.
Les éléments restants doivent être stockés dans des conditions optimales de sécurité et de sûreté. Dès 1963, la France a expérimenté un processus de vitrification des radioéléments. Très vite la pertinence de cette solution a été confirmée : le processus permet de confiner durablement des radionucléides de natures chimiques très diverses. Les verres résistent par ailleurs à de nombreux types d’agression et ils ne s’altèrent pas sous l’effet de la radioactivité ou de la chaleur des déchets, ce qui constitue une parade très sûre contre la dissémination de la radioactivité. Les usines de Marcoule puis de La Hague sont en charge de ces opérations.
Le procédé permet de piéger les radionucléides dans du verre mis en fusion dans un creuset métallique chauffé par induction. Le verre ainsi obtenu est ensuite coulé dans un conteneur métallique. Une fois solidifié, le verre constitue un matériau de confinement extrêmement efficace sur de très longues durées, compatible avec un éventuel stockage géologique.
La recherche dans ce domaine progresse en permanence. Au printemps dernier, Areva a ainsi mis en œuvre un nouveau moyen industriel développé et créé par le CEA. Ce « creuset froid » permet la vitrification d’une gamme plus étendue de déchets de haute activité et améliore les performances de cadence de vitrification.
À côté des matières hautement radioactives, une solution doit être pérennisée pour des équipements ou des matériaux de faible ou de moyenne activité (FMA) qui ne peuvent pas être recyclés. La cimentation, comme le bitumage des effluents précédemment réalisé à Marcoule et encore utilisé pour quelques années, permet de bloquer ces déchets massifs ou d’enrober des déchets en solution comme les concentrats d’évaporation ou les résines d’échangeuses d’ions employées pour filtrer l’eau des piscines. La cimentation est généralement pratiquée à proximité des lieux de production des déchets, soit par malaxage en conteneur, soit par des procédés continus..
Le démantèlement programmé des installations de production et de traitement des matériels nucléaires de défense a donc favorisé le développement d’installations nouvelles dédiées aux déchets nucléaires. Si elles prenaient déjà en charge les déchets issus du circuit de production, ces usines vont devoir désormais traiter les déchets issus des opérations de fin de vie, ce qui pourrait nécessiter quelques adaptations.
II. — UNE RÉPARTITION PERTINENTE DES MISSIONS
Compte tenu des spécificités techniques et des contraintes de sûreté, la fin de vie des matériels nucléaires ne relève pas du même processus de gouvernance que les autres équipements militaires. L’interaction avec les industriels est beaucoup plus forte. Surtout le ministère de la défense n’est pas directement le maître d’ouvrage ni le maître d’œuvre principal. Ses services suivent toutefois avec attention les questions de démantèlement nucléaire, notamment au sein de la DGA et de l’état-major des armées. Depuis les années 1960, l’ensemble des efforts et des politiques nucléaires militaires est piloté par la direction des applications militaires du CEA, véritable chef de file dans le domaine.
A. UNE RÉPARTITION EFFICACE DES RESPONSABILITÉS
Au cours de ses auditions et des visites de sites, le rapporteur a pu mesurer la qualité de la collaboration entre le CEA, l’état-major des armées (EMA) et la direction générale de l’armement (DGA). Les rôles sont clairement répartis et le processus fonctionne de façon plus que satisfaisante depuis de nombreuses années.
1. La direction des applications militaires du CEA, chef de file du nucléaire militaire
Depuis les années 1960, la direction des applications militaires (DAM) du CEA est chargée de la maîtrise d’ouvrage de la conception, de la réalisation, de la maintenance et du démantèlement des têtes nucléaires et des installations associées, exception faite du démantèlement de l’usine UP1 qui relève de la direction de l’énergie nucléaire. Elle est également maître d’ouvrage des chaufferies nucléaires des bâtiments de la marine nationale. Elle mène par ailleurs certaines missions dans le domaine de la lutte contre la prolifération nucléaire.
Le pilotage des programmes relevant du champ du CEA est assuré par le comité mixte armées-CEA qui se réunit mensuellement et qui est présidé par le sous-chef « Plans » de l’état-major des armées, le directeur des applications militaires en étant le vice-président.
En matière de démantèlement, la DAM pilote les programmes pour les installations qui relèvent de sa compétence, à l’exception de l’usine UP 1 de Marcoule dont la maîtrise d’ouvrage a été transférée à la direction de l’énergie nucléaire du CEA.
Les têtes nucléaires restent toujours la propriété du CEA, même lorsqu’elles sont mises à la disposition des armées. Les chaufferies nucléaires sont en revanche la propriété des armées, seul le combustible qu’elles utilisent appartient au CEA. Cette partition est pertinente dans la mesure où il revient au propriétaire d’un bien d’en assurer le démantèlement : c’est donc au CEA qu’il revient de traiter les matières hautement irradiées et les déchets nucléaires. Le CEA est ainsi responsable de l’ensemble du cycle nucléaire ; il a donc intérêt à minimiser dès le départ les émissions de déchets car il lui appartiendra de les traiter au final.
2. Les rôles respectifs de la DGA et de l’état-major
Si la DAM est véritablement le chef de file du nucléaire militaire, elle travaille en étroite collaboration avec l’état-major des armées et la direction générale de l’armement.
En application de l’article R. 1411-4 du code de la défense, le chef d’état-major est chargé, pour ce qui concerne les forces nucléaires, « de préparer les plans d’emploi et les directives opérationnelles […], de s’assurer de la capacité opérationnelle des forces nucléaires et des communications associées […et ] de tenir informé le ministre de la défense et de rendre compte en conseil de défense et de sécurité nationale de l’état de ces moyens » (4). À ce titre, seul le chef d’état-major des armées peut décider du retrait du service actif d’une arme nucléaire. Il s’appuie pour cela sur les études de vieillissement réalisées par le CEA.
Parallèlement, la maîtrise d’ouvrage pour le démantèlement des sous-marins nucléaires a été confiée à la DGA depuis le mois de mai 2010. Auparavant cette responsabilité était partagée entre la DGA et le service de soutien de la flotte (SSF), la DGA ne pilotant alors que le démantèlement du réacteur, celui de la coque relevant du service de soutien de la flotte (SSF).
La DGA est également en charge du démantèlement de tous les missiles complexes, y compris certains éléments des missiles nucléaires. La destruction du propergol des missiles balistiques se fait par exemple dans un centre de la DGA qui a mis au point un processus d’élimination naturel grâce à des bactéries. La DGA n’intervient que pour le vecteur, le démantèlement de la tête relevant exclusivement du CEA.
Pour assurer un contrôle optimal du circuit nucléaire, la France s’est dotée d’installations étatiques indépendantes. Les industriels privés ne sont apparus que progressivement et toujours avec une forte implication de l’État.
1. Pour les installations, les têtes et les déchets nucléaires
La maîtrise d’œuvre des chantiers de démantèlement est confiée à des industriels, essentiellement à Areva et à ses filiales. Cependant, à la demande des tutelles, un renforcement du rôle de pilote opérationnel du CEA est prévu à partir de 2011 sur le chantier UP 1, Areva se cantonnant à un rôle de coordonateur et de suivi des travaux pour le compte du CEA. Plus généralement, pour des raisons de sûreté nucléaire, les premières phases du démantèlement sont généralement confiées à l’entité qui assurait l’exploitation de l’installation. La mise en concurrence n’intervient qu’une fois que les questions de sûreté nucléaire ne sont plus structurantes. Les contrats sont construits sur une base pluriannuelle correspondant à des lots techniques.
La participation d’EDF et d’Areva ne constitue toutefois pas un changement radical puisque ces deux sociétés sont détenues majoritairement par l’État. Depuis la loi du 9 août 2004 (5), EDF est une société anonyme dont l’État détient au moins 70 % du capital et des droits de vote. Au 31 décembre 2010, le capital d’Areva est détenu, pour ce qui concerne les acteurs publics, à hauteur de 73,3 % par le CEA, de 10,20 % par l’État, de 3,3 % par la Caisse des dépôts et consignations et de 2,2 % par EDF.
Si le CEA assure la maîtrise d’ouvrage des programmes de démantèlement, il fait appel à des prestataires privés au premier rang desquels figure Areva. L’entreprise est par exemple maître d’œuvre et opérateur industriel du démantèlement du réacteur Célestin. En matière de traitement des déchets, Areva et le CEA travaillent en étroite collaboration : le nouveau moyen industriel, le « creuset froid » a ainsi été mis au point par les équipes du CEA avec le soutien d’Areva qui est désormais chargé de sa mise en œuvre.
Les échanges avec EDF sont également nombreux pour mutualiser les bonnes pratiques et profiter de retours d’expérience croisés. EDF menant des chantiers de démantèlement de réacteurs plutonigènes civils, elle pourra faire bénéficier le CEA de ses acquis lorsque le démantèlement des réacteurs G2 et G3 reprendra. À l’inverse, EDF profitera de l’expérience capitalisée par le CEA et Areva lors du démantèlement des usines d’enrichissement de Pierrelatte ; ces retours permettront d’aborder plus facilement le démantèlement de l’usine civile Georges Besse I construite sur la même technologie. De la même façon, le retour d’expérience accumulé depuis près de 15 ans sur le programme de démantèlement d’UP 1 pourra être mis à profit pour le programme de démantèlement d’UP 2 à la Hague.
2. Pour les chaufferies nucléaires
Le démantèlement des sous-marins nucléaires est intégralement assuré par DCNS. Ancienne administration de l’État en charge de ces questions au sein de la DGA, la direction est devenue une entreprise de droit privé à capitaux publics en 2001. En 2007 le groupe s’est rapproché de Thalès, devenant DCNS, dont le capital est toujours détenu à hauteur de 75 % par l’État (6).
Si la nature juridique de l’entreprise a changé, les liens privilégiés qu’elle entretient avec le ministère de la défense demeurent. Cette activité hautement stratégique ne peut en effet pas relever d’une mise en concurrence ouverte. Au-delà des questions de confidentialité, il est indispensable de connaître parfaitement le sous-marin et toutes les évolutions qu’il a pu connaître. Fabriquant les sous-marins et assurant leur MCO pour le compte du service de soutien de la flotte (SSF), DCNS est l’entité la plus légitime pour démanteler et déconstruire le bâtiment. En outre, elle dispose de toutes les installations pour abriter ces opérations. Le bâtiment abritant un réacteur nucléaire, des précautions spécifiques pour la sécurité des travailleurs doivent par ailleurs être prises ; DCNS est rompu à ce genre d’exercices.
Par ailleurs le site DCNS de Cherbourg présente des avantages indéniables en matière de maîtrise en amont de la stratégie réglementaire, d’infrastructures ad hoc et de gestion de la confidentialité. Le site permet aussi de maîtriser les risques, à commencer par celui de la prolifération ou celui de l’acceptabilité de la présence de navires nucléaires par la population.
Comme l’a souligné le directeur général du groupe lors de son audition par le rapporteur, cette activité, bien que marginale par rapport à la construction, permet d’entretenir les savoir-faire et habitue les salariés du groupe à travailler dans un environnement sécurisé.
Il convient de noter que DCNS agit seul pour les démantèlements. Pour les déconstructions, le groupe envisage un montage industriel associant sa compétence de maître d’œuvre du naval de défense à celle d’entreprises qui sont par exemple spécialisées dans le retraitement et la valorisation des déchets. Ce montage n’est encore qu’une hypothèse de travail car les coques sont actuellement stockées et le rapporteur ne dispose d’aucun élément prévisionnel concernant leur déconstruction.
Sur le plan juridique, les démantèlements sont des contrats distincts des contrats de programme. Le maître d’ouvrage est le même que celui des programmes de SNLE, c’est-à-dire la DGA. Ces contrats sont des contrats de gré à gré couverts par le secret de la défense nationale.
C. LES TUTELLES ET LES ORGANISMES DE CONTRÔLE
En application de l’article L. 332-1 du code de la recherche, le CEA est un « établissement de recherche à caractère scientifique, technique et industriel ». Il constitue à lui seul une catégorie spécifique d’établissement de l’État relevant de la classification des établissements publics à caractère industriel et commercial. Cinq ministères sont représentés au sein du conseil d’administration : le ministère de l’économie, le ministère de la recherche, le ministère du budget, le ministère de la défense et le ministère de l’écologie. L’administrateur général est nommé par décret en conseil des ministres, sur rapport du Premier ministre et du ministre de l’écologie. Pour le démantèlement il existe un comité de suivi de la couverture des charges d’assainissement et de démantèlement des installations de défense reprenant la même représentation ministérielle. Le positionnement du CEA est donc clairement interministériel et ne relève pas d’une tutelle unique.
L’article R. 1411-1 du code de la défense souligne encore cette dimension interministérielle en ce qui concerne le contrôle gouvernemental. Il précise que ce contrôle « est constitué de l’ensemble des mesures, protégées par le secret de la défense nationale, qui ont pour finalité de garantir au Président de la République qu’il dispose en toutes circonstances des moyens de la dissuasion nucléaire. Cette mission est confiée au Premier ministre qui en est garant devant le Président de la République ». Sur le plan opérationnel, le ministre de la défense est responsable du contrôle de l’engagement des forces et du contrôle de l’intégrité des moyens, que les moyens concernés dépendent du ministère de la défense ou du CEA. Le chef d’état-major des armées est quant à lui responsable « du contrôle gouvernemental de la conformité de l’emploi » (7). Pour remplir cette mission, le ministère de la défense dispose d’un organisme spécifique : l’Autorité de sûreté nucléaire défense (ASND). Par ailleurs, depuis 2001, le ministre de la défense et le ministre de l’industrie sont conseillés par un délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la défense (DSND).
III. — UN PÔLE D’EXCELLENCE À MAINTENIR
Le rapporteur a pu mesurer le haut niveau technique des équipes en charge du démantèlement des équipements nucléaires. Lors de ses visites à l’étranger, ses interlocuteurs ont d’ailleurs unanimement salué l’excellence française et ont indiqué s’appuyer très largement sur les acquis et l’expérience de la France. Fort de ce constat, le rapporteur estime que l’organisation actuelle doit être préservée et que les financements adéquats doivent être dégagés pour capitaliser les efforts déjà réalisés.
A. PRÉSERVER L’ORGANISATION INSTITUTIONNELLE ET INDUSTRIELLE
1. Renforcer les synergies entre le civil et le militaire
Si au premier abord le nombre des acteurs institutionnels peut apparaître comme un gage de complexité, les domaines d’intervention et de contrôle n’en demeurent pas moins parfaitement coordonnés. Sur le plan organisationnel, le CEA doit rester l’interlocuteur central vis-à-vis des autorités institutionnelles et des partenaires industriels.
La dimension interministérielle du CEA pourrait toutefois être mieux mise en valeur. Le démantèlement des armes et des installations militaires nucléaires est certes une responsabilité du ministère de la défense mais l’éventuel impact environnemental et le fait que les matériaux puissent être recyclés pour un usage civil montrent bien que l’enjeu dépasse le périmètre de ce seul ministère. Si le CEA est le garant de la cohérence d’ensemble de la politique nucléaire, et notamment des synergies entre le civil et le militaire, il doit pouvoir s’appuyer sur une instance d’arbitrage interministérielle. La difficulté concerne principalement les interactions entre les différents domaines du nucléaire. Les services civils et militaires ont tout intérêt à partager leurs expériences de démantèlement des installations.
Lors de sa création, le CEA était directement « placé sous l’autorité et le contrôle du président du Gouvernement provisoire » (8). L’exposé des motifs de l’ordonnance constitutive de 1945 soulignait d’ailleurs que « pour assurer une consécration indiscutable [à l’autorité de l’État sur le CEA…], le comité [qui joue le rôle d’un conseil d’administration actif] est présidé par le président du Gouvernement provisoire » (9). Cette spécificité a disparu puisque le CEA est désormais « placé sous l’autorité et le contrôle du ministre du développement industriel et scientifique » (10). Il pourrait être pertinent de revenir à l’esprit de l’ordonnance de 1945 en indiquant que le Premier ministre est l’autorité administrative de tutelle du CEA.
2. Maintenir un pôle nucléaire français
Le succès des opérations de démantèlement engagées en France tient d’une part à l’expertise technique et industrielle des opérateurs et d’autre part à la qualité de la collaboration entre le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre industriel. Areva et le CEA travaillent en étroite collaboration et dans une confiance réciproque très positive. Cet environnement n’est possible que si aucun risque ne pèse sur la gouvernance d’Areva : il n’est pas envisageable que le nucléaire français, civil comme militaire, puisse se trouver dépendant, directement ou non, d’un groupe industriel dont l’État n’aurait plus le contrôle.
De surcroît, Areva conforte sa position internationale et ses savoir-faire en s’appuyant sur les capacités de recherche du CEA. Il faut s’assurer que le soutien public à la recherche et au développement du nucléaire profite prioritairement à l’économie française.
L’État a donc une responsabilité déterminante dans le contrôle qu’il exerce sur ces entités stratégiques qui participent à la croissance endogène de notre pays. Il dispose pour cela d’un pouvoir régulateur qui passe par l’environnement réglementaire ; il peut aussi utiliser le levier financier, qu’il s’agisse du financement de la recherche et de l’innovation ou du financement du démantèlement.
B. POURSUIVRE LES EFFORTS FINANCIERS
1. Un effort financier très important
Comme le montre le tableau suivant, le coût de démantèlement des missiles nucléaires reste mesuré, de l’ordre de moins de 20 millions d’euros par an. Les dépenses de démantèlement des sous-marins sont également faibles puisqu’il ne s’agit que d’achever des programmes antérieurs. Il convient toutefois de souligner qu’à ce stade, la déconstruction des coques « raboutées » des sous-marins nucléaires n’est pas programmée et qu’aucun financement n’est prévu.
Crédits budgétaires alloués au démantèlement | ||||
(en millions d’euros) | ||||
2010 |
2011 | |||
AE |
CP |
AE |
CP | |
ASMP (missile uniquement) |
21,27 |
2,94 |
1,83 |
3,69 |
M45 (missile uniquement) |
4,56 |
12,64 |
57,78 |
15,15 |
SNLE |
14,88 |
5,28 |
9,40 |
8,19 |
SNA |
0 |
0,15 |
0 |
0,40 |
Total |
40,71 |
21,01 |
69,01 |
27,43 |
Source : ministère de la défense. |
Le démantèlement des installations demande des investissements beaucoup plus conséquents. Pour l’usine UP 1 de Marcoule, l’effort total est de 6 milliards d’euros. Pour Ardemu à Pierrelatte, le coût total du programme achevé fin 2010 s’établit à 676 millions d’euros. Au 1er janvier 2009, l’ensemble des opérations de démantèlement restant à effectuer représente une dépense de plus de 7,7 milliards d’euros. Le tableau ci-après en présente le détail.
Dépenses de démantèlement des installations nucléaires militaires (en millions d’euros) | ||
Lieu |
Type d’installation concernée |
Reste à faire |
Marcoule |
Usine de retraitement du plutonium (UP1) |
3 522 |
Réacteurs plutonigènes G2 et G3 |
448 | |
Réacteurs tritigènes Célestin |
913 | |
Pierrelatte |
Ardemu (arrêt et démantèlement des usines de Pierrelatte) |
73 |
Installations annexes |
321 | |
Miramas |
Produits lithiés |
65 |
Valduc |
Fabrication d’armes |
334 |
Bruyères |
Engins expérimentaux |
109 |
Cadarache |
Réacteurs de la propulsion navale |
310 |
Autres opérations connexes (dont élimination des déchets) |
1 622 | |
Total |
7 719 | |
Source : CEA. |
En 2009, les opérations de démantèlement ont représenté une dépense totale de 347 millions d’euros dont 266 millions d’euros pour le seul programme UP 1. Cette estimation ne prend pas en compte les investissements qui ont dû être réalisés pour retraiter les déchets.
2. Les modalités du financement
a) Le recours à un fonds dédié
Jusqu’en 2003, les dépenses de démantèlement des installations de défense étaient directement prises en charge sur le budget de la direction des applications militaires du CEA. En décembre 2004, l’État a créé un fonds dédié pour ces opérations qui ne couvraient alors que l’usine UP 1 de Marcoule et l’usine d’enrichissement de Pierrelatte. Ce choix restrictif était motivé par la nécessité de faire face dans l’urgence aux difficultés de financement de ces deux programmes.
En juin 2008, le périmètre du fonds a été étendu à l’ensemble des installations et des déchets associés. L’estimation du reste à financer s’appuyait sur une réévaluation des charges de démantèlement réalisée en 2007. Pour chaque programme, un coût à terminaison et un échéancier des dépenses a été établi sur la base d’un scenario technique. Le tableau suivant présente la valeur actualisée des coûts de démantèlement.
Actualisation des coûts liés au démantèlement (en millions d’euros 2008) | ||
Reste à faire |
Valeur actualisée | |
UP1 et ARDEMU |
3 595 |
2 004 |
Autres installations et déchets |
4 124 |
2 357 |
Total |
7 719 |
4 361 |
Source : CEA. |
La valeur actualisée correspond à la somme qui, placée aujourd’hui sur les marchés, permettrait par son rendement de financer, année après année, les opérations de démantèlement jusqu’en 2040.
Le recours à un fonds de démantèlement est pertinent car il stabilise les financements et permet d’optimiser le déroulement technique des opérations, ce qui en limite le coût total. Le bon déroulement des programmes de Marcoule et de Pierrelatte depuis la fin de l’année 2004 confirme la validité de cette décision.
À sa création en 2004, le fonds a été constitué d’une part par des soultes libératoires versées par EDF et Areva, et d’autre part par une contribution du fonds de démantèlement civil du CEA correspondant à l’utilisation partielle par ces industriels de l’usine UP1. Le reste du financement incombe à l’État.
Les versements des industriels n’ont toutefois permis d’assurer la trésorerie nécessaire aux opérations que jusqu’à l’été 2010, l’État n’ayant pas versé sa contribution. Le complément nécessaire est de l’ordre de 1,5 milliard d’euros d’ici à la fin de la programmation militaire en 2014. En juin 2009, l’État a donc autorisé le CEA à utiliser temporairement la trésorerie du fonds dédié au démantèlement des installations civiles, repoussant l’échéance au début de l’année 2011. Cette décision ne résout cependant le problème de fond lié à l’absence d’abondement du fonds par l’État.
La seule solution envisageable à ce jour est de recourir aux actions Areva détenues par le CEA, sous une forme directe ou indirecte. Le CEA considère que « cette solution est légitime, car sur la période 1952-1976, une partie du financement reçu du ministère de la défense a permis de développer certaines technologies à l’origine de la création d’Areva, dans les domaines de l’enrichissement de l’uranium, des réacteurs électronucléaires, du retraitement des combustibles irradiés et des réacteurs de propulsion navale. L’estimation du coût de cette R&D financée par la défense correspond à 25 % de la valeur de l’industriel lors de sa création en 1976 » (11).
Parallèlement, une convention est en préparation entre le CEA et l’État pour définir un financement sur trois ans. La stabilisation et la visibilité que cette convention induirait permettraient au CEA de poursuivre les discussions avec les industriels concernés.
Au final, le rapporteur considère que les modalités de financement doivent être précisées dans les meilleurs délais ; il serait regrettable que l’absence de l’abondement de l’État remette en cause l’avancement de ces projets et fragilise la position de chef de file mondial de la France.
IV. — ÉLÉMENTS DE COMPARAISON INTERNATIONALE
Lors de son déplacement aux États-Unis, le rapporteur a rencontré les responsables fédéraux du ministère de l’énergie en charge du démantèlement des installations nucléaires de défense. Il s’est également rendu sur le site de Savannah River où d’importantes opérations de démantèlement sont actuellement en cours.
A. LA POLITIQUE AMÉRICAINE DE DÉMANTÈLEMENT DES ÉQUIPEMENTS NUCLÉAIRES
1. Un programme engagé dès 1998 par le ministère de l’énergie
Le ministère de l’énergie est en charge du démantèlement des sites nucléaires militaires mais pas des armes nucléaires. Le programme de démantèlement des installations a été lancé en 1998 avec l’objectif d’apurer les sites et de les rendre aptes à accueillir d’autres activités industrielles. Dans un premier temps, le ministère a choisi de traiter les sites les plus faciles pour éprouver ces procédures. Maintenant qu’il dispose d’une certaine expérience, il lui reste à prendre en charge les sites les plus complexes où sont notamment stockées de grandes quantités de déchets. Dans l’attente d’un programme complet de démantèlement, le ministère engage les opérations indispensables pour assurer la pérennité et la sécurité des installations.
Le programme se fixe pour objectif de réduire l’empreinte des anciennes activités nucléaires de 40 % d’ici la fin de l’année fiscale 2011 et de plus de 80 % d’ici 2015.
Pour les États-Unis, la coopération internationale est précieuse dans ce domaine, notamment avec le commissariat à l’énergie atomique. Actuellement les États-Unis cherchent à identifier des projets communs avec la France pour partager connaissances et expériences.
Comme en France, le ministère de l’énergie doit prendre en charge les matériaux irradiés, les équipements, les installations et les déchets. Mais à la différence de notre pays, les États-Unis n’ont pas traité au fur et à mesure les déchets issus de la production nucléaire militaire. Ils disposent en conséquence d’un stock très conséquent de réservoirs de déchets liquides et solides (sous forme de cristaux pour l’essentiel) fortement irradiés. De même, il leur faut traiter tous les composants des têtes qui n’ont pas été retraités.
Les volumes sont très importants avec par exemple 239 réservoirs de déchets liquides confinés et 1 400 m3 de déchets solides moyennement et faiblement contaminés. Certains éléments ont déjà été traités pour pouvoir être stockés sur le long terme sans aucun risque ; sont concernés plus de 5 000 containers de plutonium ou d’oxyde de plutonium, près de 8 000 containers d’uranium enrichi et près de 110 000 kg de résidus de plutonium ou d’uranium. Sur le site de Savannah, il faut traiter 138 millions de litres de déchets liquides actuellement stockés dans 51 réservoirs, deux réservoirs seulement ayant déjà été traités. En ce qui concerne les matières fissiles à retraiter, le ministère fait état d’un stock de plus de 2 400 m3 de combustibles nucléaires irradiés.
Sur l’ensemble du territoire, 16 sites ont d’ores et déjà été démantelés ; le ministère doit encore en traiter 15 autres répartis sur 11 États. Le programme concerne au total environ 3 000 installations dont plus de 100 bâtiments nucléaires et radioactifs et plus de 100 réacteurs de test et de recherche.
Comme en France, le démantèlement suppose la cessation préalable d’activité de l’installation. Les éléments et matériaux non contaminés sont alors retirés avant de procéder au démantèlement des éléments contaminés. Le ministère cherche à décontaminer le plus d’éléments possibles pour permettre aux personnels de travailler dans des conditions optimales de sécurité, mais aussi pour limiter les risques de contamination et de transport et pour faciliter le traitement ou le stockage final.
Aussi souvent que possible, le ministère traite le sol ou les nappes phréatiques qui ont pu être contaminés. Conformément à cette doctrine, le site de Rocky Flats dans le Colorado a par exemple été transformé en réserve animale en juillet 2007. Pour apurer complètement la situation, le ministère estime que 6,4 milliards de m3 de terre devraient être traités. Il convient de souligner que tous les sites n’ont pas besoin d’être intégralement retraités soit parce qu’ils sont destinés à être réutilisés pour des activités industrielles soit parce qu’ils n’ont pas vocation à être utilisés pour un autre usage. Dans ce cas, le ministère assure une surveillance étroite des sites et s’assure qu’il n’y a aucun risque de dispersion ni de contamination.
2. Des besoins financiers considérables
Depuis 1997 et jusqu’au terme du programme, on estime que 275 à 329 milliards de dollars seront dépensés. À ce jour quelque 82 milliards de dollars ont déjà été consommés, soit un flux annuel de l’ordre de 6 milliards de dollars. À ce rythme, le programme devrait donc s’achever entre 2042 et 2052.
L’essentiel des besoins, soit 5,6 milliards de dollars par an, se concentre sur les sites de Savannah River et de Hanford. Le premier assure notamment la transformation du plutonium et la vitrification des déchets de haute activité. Il abritera également le futur centre de traitement des déchets contenus dans les solutions salines qui est actuellement en construction. Hanford abrite pour sa part neuf réacteurs de plutonium et 200 millions de litres de déchets liquides de haute activité actuellement stockés dans des cuves souterraines. Une usine doit y être construite pour vitrifier ces déchets, ce qui représente un effort de 740 millions de dollars.
Malgré l’importance stratégique de ces opérations, il n’existe aucun document pluriannuel stabilisant les ressources du programme ; ses crédits sont intégralement remis en jeu chaque année.
Le traitement comptable de la fin de vie Le bilan du ministère américain de l’énergie intègre l’ensemble des dépenses liées au démantèlement des installations nucléaires militaires. À chaque fois qu’une opération de démantèlement est achevée, elle vient réduire le passif du ministère. Cette pratique est vertueuse à deux titres : elle permet d’une part de connaître l’ensemble des engagements futurs de l’État en matière de démantèlement et d’autre part elle l’incite à mettre en place une politique volontariste de nettoyage des sites. Au-delà des aspects strictement financiers, c’est également un outil de contrôle et de transparence précieux, notamment dans le cadre du contrôle parlementaire. |
B. LE DÉMANTÈLEMENT DES INSTALLATIONS
Deux sites américains concentrent l’essentiel des installations à démanteler : Hanford dans l’État de Washington et Savannah River en Caroline du Sud. Le rapporteur a pu visiter le second site. Sans prétendre à l’exhaustivité, il a ainsi pu comparer les approches des deux pays et mesurer la complexité technique de ces programmes.
1. L’organisation du site de Savannah River
● Construit en 1950 par la société Dupont de Nemours, le site a été repris par la société Savannah River Nuclear Solutions (SRNS) en 1989 (12). Dès l’origine, la gestion du site a été confiée à un opérateur privé, sous le contrôle étroit du ministère de l’énergie. Environ 11 000 personnes travaillent sur le site sous le contrôle de 350 employés fédéraux, le prestataire principal employant à lui seul 6 700 personnes.
Le budget annuel du site est de l’ordre de 2 milliards de dollars dont 75 % sont consacrés aux opérations de nettoyage et de démantèlement. L’enjeu principal concerne les déchets nucléaires liquides. Si les besoins totaux ont été évalués et toutes les opérations listées, il n’existe aucun document budgétaire pluriannuel : la réalisation dépend donc des crédits budgétaires alloués chaque année. En 2009, 1,6 milliard de dollars supplémentaires a été versé, ce qui a permis d’accélérer de nombreux projets.
La réutilisation du nucléaire militaire à des fins civiles est soutenue pour des raisons environnementales et économiques. Cette transformation assure en effet de nouvelles missions au site et donne des perspectives aux employés. Leur âge moyen est de 52 ans, ce qui impose d’anticiper la transmission des savoirs et de l’expérience.
Le contrôle est permanent et assuré par le ministère de l’énergie et l’agence fédérale de protection de l’environnement.
● Le laboratoire national de Savannah travaille pour l’essentiel dans le domaine de la sécurité nationale et en particulier sur la non-prolifération et la surveillance de l’entrée et de la sortie de matériaux contaminés. La recherche se concentre sur les déchets contaminés : le laboratoire essaie de trouver de nouveaux dispositifs de traitement moins coûteux. Des progrès sensibles semblent possibles dans ce domaine et devraient ainsi permettre d’apurer plus rapidement et plus facilement le stock. La coopération internationale sur ce dossier est précieuse, notamment avec la France.
2. Les différentes zones visitées
À l’issue de la présentation générale, le rapporteur a pu visiter la zone H qui concentre les déchets les plus sensibles. Il s’agit de conserver ces éléments dans des conditions optimales de sécurité et sur le long terme. L’usine « H Canyon » sépare en effet les produits chimiques des produits contaminés. Les composants de haute activité sont ensuite transférés à l’usine de vitrification (située en zone S).
Construite en 1993, l’usine de vitrification est opérationnelle depuis 1996. Elle devrait arrêter son activité en 2022, date à laquelle elle aura produit quelque 12 000 « boîtes » de stockage (canister). Aujourd’hui 4 300 boîtes ont déjà été réalisées.
La zone P est un ancien réacteur (en activité entre 1963 et 1998). Les parties enterrées ont été remplies d’un ciment spécifique empêchant la diffusion des radiations. Le toit du bâtiment a également été coiffé d’un chapeau de ciment confinant la radioactivité. Les investissements représentent au total 140 millions de dollars auxquels il faut ajouter 200 millions de dollars de dépenses annexes. Il aurait été trop coûteux de détruire totalement l’installation d’autant que le site n’est pas destiné à un autre usage. Les opérations de démantèlement devraient être achevées en 2011 ; il suffira ensuite de maintenir une surveillance minimale du site. À ce stade, il reste à traiter les eaux de refroidissement qui doivent être vaporisées.
3. L’usine MFFF : un exemple de coopération franco-américaine
Lors de sa visite, le rapporteur a été invité à mesurer l’état d’avancement du projet MOX développé sur la zone F. Les États-Unis ont en effet fait appel à la technologie Melox développée par Areva pour réduire le stock de plutonium d’origine militaire et l’utiliser à des fins civiles au travers du combustible MOX, immobilisant ainsi les matières nucléaires militaires déclarées en excès.
La construction de l’usine baptisée MFFF (MOX Fuel Fabrication Facility) a commencé en 2007. Son exploitation devrait débuter en 2016 avec des premiers produits traités en 2018. Parallèlement une usine de cimentation des déchets est construite.
Grâce à ce projet, les Américains évoquent la « renaissance de la construction nucléaire » aux États-Unis. Aucun projet de cette envergure (8 milliards de dollars sur 20 ans) n’avait été engagé dans les 25 dernières années.
Areva apporte le savoir-faire français ; le groupe s’est associé à l’américain Shaw (13) pour ce projet. Il a été difficile de trouver des partenaires américains, les savoir-faire en matière nucléaire s’étant pour l’essentiel perdus. La législation américaine interdit de faire appel à des prestataires extérieurs ; toutefois compte tenu de l’impossibilité de trouver des prestataires américains, une dérogation législative a été accordée : 10 % des fournitures peuvent ainsi être importées de France. Ces équipements représentent un investissement de 500 millions de dollars, auxquels il faut ajouter 50 millions de dollars d’équipements produits en France.
*
Le démantèlement des équipements et des installations nucléaires militaires revêt donc bien un caractère exemplaire tant sur le plan technique qu’institutionnel ou financier. La France a montré sa capacité à mener à bien des programmes d’une rare difficulté dans le respect le plus strict des règles de sûreté et de sécurité ainsi que dans le respect des délais et des enveloppes budgétaires. Cette expertise est aujourd’hui reconnue mondialement et les industriels du domaine n’hésitent pas à exporter ce savoir-faire auprès des États-Unis, et demain vers d’autres puissances nucléaires. Le démantèlement est également un facteur positif pour notre recherche et notre innovation car les organismes et les industriels intéressés sont invités à rechercher des solutions plus simples, plus efficaces et moins coûteuses. Si la situation actuelle ne prête le flanc à aucune critique, il convient de s’assurer que cette organisation institutionnelle et industrielle sera préservée et que les financements seront maintenus, sauf à priver la France d’un atout déterminant.
DEUXIÈME PARTIE : LA FRANCE A ADOPTÉ UNE POLITIQUE PRAGMATIQUE DE DÉMANTÈLEMENT
DES AUTRES ÉQUIPEMENTS MILITAIRES
I. — UN STOCK DÉJÀ CONSÉQUENT ET EN AUGMENTATION
La majorité des matériels retirés du service actif sont destinés au démantèlement. Dans l’attente, ils sont généralement stockés sur des sites propres à chaque milieu : aéronautique, naval, terrestre ou encore électronique. Les stocks accumulés sont conséquents et devraient croître fortement au cours des années à venir.
A. LES MATÉRIELS EN FIN DE VIE
Le ministère de la défense a entrepris de centraliser les informations relatives aux stocks de matériels en attente de démantèlement, actuels et à venir. Ils se composent d’éléments très divers, comprenant aussi bien des matériels lourds et sensibles (avions, chars) que des batteries ou des ordinateurs.
Le tableau ci-après décrit l’ensemble des stocks actuels et à venir par grandes catégories.
Évolution du stock de matériels en attente de démantèlement | |||
Matériels |
Stock (en tonnes) |
Flux (en tonnes/an) |
Total 2015 (en tonnes) |
Sous-marin à propulsion nucléaire |
38 000 |
38 000 | |
Environ 170 coques, navires et engins portuaires |
100 000 |
10 000 |
140 000 |
Plus de 800 aéronefs |
3 300 |
800 |
6 500 |
Matériels armée de terre (toutes catégories) |
40 000 |
10 000 |
80 000 |
Munitions conventionnelles |
2 000 |
2 000 |
10 000 |
27 000 missiles et systèmes dont 22 000 MLRS |
6 600 |
50 |
6 800 |
Domaine des systèmes d’information et de communication |
1 500 |
1 500 |
7 500 |
Source : direction des affaires financières. |
En tonnage, l’essentiel du stock actuel relève des matériels navals.
Les flux sont en forte croissance, notamment du fait de la réduction de format des armées, décidé à la suite des préconisations du Livre blanc. Ainsi, à l’issue de la programmation en cours (2009-2014), l’ingénieur général de l’armement (IGA) Xavier Lebacq , en tant que chargé de mission ministériel sur la fin de vie des équipements, a anticipé une masse globale de matériels à démanteler s’élevant à 270 000 tonnes, soit trois fois le stock actuel.
Les matériels navals et aéronautiques en représentent la majeure partie, comprenant 850 aéronefs ainsi que 170 coques et objets flottants. Le nombre attendu de véhicules terrestres varie entre 10 000 et 15 000 appareils, avec un nombre conséquent de blindés (environ 1 500 unités).
L’armée de terre, l’armée de l’air, la marine aussi bien que le reste du ministère de la défense se séparent également de matériels informatiques et électroniques, autonomes ou contenus dans un système d’armes. Leur traitement est généralement peu complexe, sauf s’ils contiennent des composants polluants ou s’ils relèvent de technologies sensibles.
Le renouvellement des stocks de missiles et munitions complète ce tableau. Leur nombre est estimé à 27 000 sur la période considérée, un ensemble essentiellement alimenté par les obus à sous-munitions (22 000), à la suite de la ratification de la convention d’Oslo.
La convention d’Oslo sur les armes à sous munitions La convention sur les armes à sous-munitions interdit l’emploi, la production, stockage et le transfert de ces armes. Aux termes de son article 2, « le terme arme à sous-munitions désigne une munition classique conçue pour disposer ou libérer des sous-munitions explosives dont chacune pèse moins de 20 kilogrammes, et comprend ces sous-munitions explosives ». Cette convention, adoptée le 30 mai 2008 à Dublin par 111 États, a été signée à Oslo les 3 et 4 décembre 2008. Elle est entrée en vigueur le 1er août 2010, et établit un délai de huit ans pour la destruction des stocks. La mise en œuvre de ces dispositions représente partout en Europe un flux exceptionnel de matériels à traiter. Certains États détenant des stocks d’armes à sous-munitions n’ont pas adhéré à la convention : États-Unis, Grèce, Israël, Pologne, Roumanie, Russie, ou encore la Turquie. |
Pour gérer l’ensemble de ces flux, le ministère de la défense va d’abord recourir au stockage. Il permet de faire face, le cas échéant, à des incertitudes capacitaires ou à des aléas industriels, mais également, comme c’est le cas actuellement, de gérer un afflux rapide et imprévu de matériels ou encore, de se donner le temps de la décision sur le devenir du matériel, notamment lorsqu’une cession peut être envisagée. En outre, cela laisse le ministère constituer des lots suffisamment importants pour négocier ensuite des prix de démantèlement plus avantageux.
Les principaux lieux de stockage sont Châteaudun pour les aéronefs ; les bases navales de Brest, Cherbourg et Toulon pour les navires ; celles de Nevoy (Loiret) ainsi que Neuvy-Pailloux (Indre) et Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) pour les autres matériels roulants. En ce qui concerne les matériels informatiques et électroniques, un projet de rationalisation des sites de stockage et de destruction est en cours. Ainsi, en 2013, un site unique de la direction interarmées des réseaux d’infrastructures et des systèmes d’information (DIRISI) remplacera l’ensemble des huit sites actuels. Les responsables des matériels sont généralement les chefs des bases où ils sont entreposés.
Le stockage est une solution d’attente incontournable, mais qui a un coût. Le rapporteur ne dispose pas du coût global des infrastructures de stockage, mais on peut noter, par exemple, que 70 millions d’euros doivent être dépensés pour construire des hangars à hygrométrie contrôlée pour l’armée de terre. C’est pourquoi des efforts importants ont été mis en œuvre pour diminuer au plus vite le stock de matériels en attente de démantèlement. L’armée de terre s’est montrée exemplaire, en traitant plus de 20 000 tonnes de matériels divers pour la seule année 2010.
Si les masses en jeu peuvent sembler importantes, il convient de relativiser leur poids. Les matériels militaires destinés au démantèlement demeurent faibles au regard du secteur civil et leur traitement n’est pas de nature à créer de nombreux emplois. On estime par exemple que le traitement annuel de 1 000 tonnes de déchets occupe une personne à temps plein sur un chantier mécanisé. Hormis le cas des matériels les plus complexes et sensibles, le traitement de 270 000 tonnes représente donc pendant cinq ans une activité pour une centaine de personnes seulement.
II. — FACE À L’INÉVITABLE DIVERSITÉ DES ACTEURS, LE CHOIX D’UN PILOTAGE PAR MILIEU
Les administrations, structures et entreprises intervenant dans le démantèlement des matériels militaires constituent un ensemble efficace mais dispersé auquel il n’a pas été jugé nécessaire de donner une cohérence particulière.
La répartition des responsabilités entre les différents acteurs de la fin de vie a été établie par une décision du cabinet du ministre intervenue à la mi 2009 (14). Elle a notamment pris le parti d’une gestion par milieu.
1. Une responsabilité des services de soutien
Sous la conduite des différents états-majors, les services de soutien décident au cas par cas de la façon dont les matériels en fin de vie doivent être traités.
La structure intégrée de maintenance des matériels aéronautiques de la défense (SIMMAD) gère la fin de vie des matériels aéronautiques. Le service de soutien de la flotte (SSF) a la charge des matériels navals (hors nucléaire). La structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) est responsable des matériels de milieu terrestre. De son côté, la DIRISI traite des matériels électroniques et informatiques. Enfin, le service interarmées pour les munitions (SIMu), créé le 1er janvier 2011, stocke les munitions.
Outre certains matériels dont elle assure la maintenance tout au long de leur période d’utilisation, tels que les missiles, la DGA est compétente pour tous les travaux de démantèlement nucléaire ainsi que pour les sous-marins lanceurs d’engins, les missiles et les munitions complexes.
De son côté, la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA), qui relève du secrétariat général pour l’administration (SGA), assure la mise en cohérence juridique. Elle veille en particulier au respect des contraintes environnementales.
Si les activités de démantèlement et de déconstruction sont généralement confiées à des entreprises privées, la passation des contrats ainsi que le suivi de leur exécution font appel à des compétences particulières, compte tenu notamment de la complexité du code des marchés publics, des contraintes sanitaires et environnementales, de la dépollution (et notamment du désamiantage), ou encore de la valorisation des déchets. Ces compétences existent, mais de façon dispersée. Il n’a pas été jugé utile de les regrouper en une entité unique, les activités de fin de vie des équipements étant généralement considérées comme incidentes. Les personnels en charge de la fin de vie des équipements consacrent en effet l’essentiel de leurs activités à des tâches de maintien en condition opérationnelle (MCO) ou à la passation de marchés publics.
Le démantèlement demeure toutefois une tâche très spécifique, qui s’inscrit comme un complément de l’activité de MCO, dans le prolongement du suivi particulier qui est assuré pour chaque matériel au long de sa vie. De fait, compte tenu du volume d’heures de travail relativement limité que cela représente ainsi que du suivi individualisé de chaque équipement, les gains d’une mutualisation ou d’un plus grand rapprochement des équipes ne semblent pas évidents.
2. Le rôle de l’état-major des armées
Suite à la mission Lebacq, un effort de mise en cohérence opérationnelle a été entrepris par l’état-major des armées (EMA). Il pilote les décisions de retrait du service actif (cf. annexe V) en veillant à leur impact des points de vue capacitaire, budgétaire et méthodologique.
Ainsi, la division « Cohérence capacitaire » de l’EMA est le correspondant des différents états-majors d’armées pour la bonne articulation des décisions de sortie de flottes avec le format général des armées. Elle veille en effet au respect du format des armées tel que défini par le Livre blanc et adopté par le Parlement dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM). Les décisions de retrait de service ne doivent pas affecter la capacité à satisfaire le contrat opérationnel, l’ensemble des équipements devant demeurer interopérable.
L’EMA joue également un rôle déterminant du point de vue budgétaire en tant que gestionnaire du programme 178 « Préparation et emploi des forces », dans lequel sont inscrites l’essentiel des dépenses de déconstruction (hors nucléaire qui relève du programme 146 « Équipement des forces »). Il s’agit donc de recenser et de coordonner les besoins en assurant les arbitrages budgétaires nécessaires. Les budgets concernés varient généralement entre 20 et 25 millions d’euros par an, hors nucléaire.
Sur le plan méthodologique enfin, on notera que l’IGA Xavier Lebacq, assurait la coordination globale des travaux jusqu’en mai 2010. Conformément à la décision de cabinet du 12 avril 2010 (15), cette fonction de coordination est désormais assurée par l’EMA et la DMPA.
B. LES AUTRES ACTEURS INSTITUTIONNELS ET PRIVÉS
En dehors des acteurs de la défense, d’autres administrations peuvent jouer un rôle clé :
- le ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement intervient en ce qui concerne la dimension environnementale. L’État doit en effet interpréter de façon cohérente la réglementation, en particulier ce qui a trait à la protection de l’environnement ;
- la propriété des matériels démilitarisés est transférée à France Domaine (cf. infra) ;
- ceux-ci émanent notamment de l’agence de l’OTAN d’entretien et d’approvisionnement, dite NAMSA (16). Cette agence complète le tableau des acteurs de la fin de vie. Créée en 1958, elle aide les États membres de l’organisation pour l’achat de matériels militaires, l’approvisionnement de rechanges, ainsi que pour la fourniture de services d’entretien de réparation nécessaires au soutien de systèmes d’armes. Elle permet de mutualiser les commandes et d’adresser des appels d’offres larges, s’adressant à tous les industriels référencés auprès d’elle. Il s’agit donc d’un vecteur de mutualisation et de baisse des coûts par la constitution de lots conséquents.
In fine, le degré de cohérence d’une politique de gestion de la fin de vie des équipements dépend de la coordination de l’ensemble de ces services décisionnaires en amont.
Or, le rapporteur constate que, jusqu’à présent, il n’a pas été jugé nécessaire d’organiser un rapprochement permanent des différentes administrations intéressées par la fin de vie des équipements, y compris pour traiter de sujets transversaux, tels que l’interprétation des dispositions environnementales ou les synergies avec le secteur civil. L’approche française reste spécialisée par domaine, ce qu’illustre le rapport du député Pierre Cardo, qui se concentre sur le seul démantèlement des grands navires (17), rapport élaboré dans le cadre du Grenelle de la mer.
En aval, le secteur privé conduit les opérations de démantèlement. Là encore existe un grand nombre d’acteurs et autant de stratégies.
Le démantèlement intéresse en effet les industriels français : l’essentiel du secteur est aujourd’hui occupé par des PME. Ce marché donne souvent une prime à la proximité, notamment dans le domaine terrestre, car il faut bien évidemment contenir le coût de transport de simples déchets.
Les PME offrent aussi l’avantage d’une certaine réactivité face à des masses variant relativement d’une année sur l’autre, en volume et en composition. Elles exercent généralement une activité duale, traitant indistinctement les matériels civils et militaires, notamment dans le domaine aéronautique.
Dans l’ensemble, les masses financières en jeu sont relativement contenues. Comme il a été indiqué précédemment, la loi de programmation militaire 2009-2014 consacre une enveloppe maximale de l’ordre de 150 millions d’euros pour l’ensemble des matériels à démanteler (hors dissuasion). Il s’agit donc bien d’une activité spécifique dont la force est de pouvoir se combiner avec le marché civil.
Phénomène intéressant, des industriels de grande taille se positionnent également sur ce marché. Ils entendent diversifier leur activité et surtout approfondir leurs connaissances des matériels. Ils souhaitent en effet suivre les matériels tout au long de leur vie. Il s’agit d’une démarche qui leur est souvent familière car les années 2000 ont vu une profonde transformation du soutien et notamment du MCO militaire. Celui-ci est désormais majoritairement confié à des entreprises partenaires de l’État. Certains opérateurs veulent donc aller au bout de la logique en participant à la conception et la fabrication des équipements, puis à leur MCO et, enfin, à leur démantèlement. Dans une perspective de renouvellement des gammes, ils se disent curieux de connaître le vieillissement ou encore l’adaptation réelle aux besoins opérationnels de ces matériels. La mutation du MCO étant récente, nombre d’entre eux souffrent aujourd’hui de connaissances lacunaires des matériels qu’ils ont développés voici plusieurs décennies. Il n’est donc pas certain que la manœuvre leur soit aisée, au moins dans un premier temps, sauf volonté stratégique de disposer d’une offre globale de solutions.
En termes de surface financière, le marché du démantèlement purement militaire reste limité. Mais il prend tout son sens dans une approche plus globale, incluant notamment une forme de couplage avec le civil, mais aussi et surtout l’objectif de maîtrise technique de l’ensemble du cycle de vie d’un matériel. Ainsi, dans son discours prononcé à Lorient le 4 mai 2010, le Président de la République a invité l’entreprise DCNS à se diversifier, en évoquant notamment le travail de déconstruction, en particulier de sous-marins.
III. — UN CADRE JURIDIQUE CONTRAIGNANT
Comme l’ensemble des services de l’État, le ministère de la défense est responsable du traitement des matériels retirés du service ; il doit veiller aux conditions dans lesquelles ceux-ci sont éliminés ou recyclés. Cet impératif revêt une importance et une complexité particulières pour la défense dans la mesure où de nombreux équipements contiennent des matières dangereuses. De surcroît, s’agissant de matériels de guerre, des précautions doivent être prises pour éviter qu’il n’en soit fait un mauvais usage.
A. UNE COMPÉTENCE ET UNE RESPONSABILITÉ DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE
Le code du domaine de l’État détermine les règles applicables aux biens mobiliers de l’État dont l’utilisateur n’a plus l’emploi ou lorsqu’il en décide la vente. Si le ministère de la défense est soumis aux règles de droit commun, la spécificité des matériels dont il a la charge justifie la mise en œuvre d’un régime dérogatoire.
L’article L. 67 du code précité dispose que « les objets mobiliers ou matériels quelconques détenus par un service de l’État, dès que ce service n’en a plus l’emploi ou en a décidé la vente », doivent être remis « au service des domaines, aux fins d’aliénation, spontanément ou sur sa demande ». En application de cette disposition, les armées devraient donc remettre aux domaines tous les équipements dont elles n’ont plus l’usage ainsi que tous les équipements que la France souhaite vendre sur le marché de l’occasion.
La nature des matériels militaires empêche cependant de les intégrer directement dans un circuit civil ordinaire. Le décret du 18 juin 2010 (18) a introduit une dérogation au principe général en prévoyant que le dispositif ne s’applique pas à trois catégories de biens mobiliers propres à la défense :
- les matériels de guerre et assimilés destinés à être vendus à l’exportation et les produits indissociablement liés à cette opération ;
- les « matériels de guerre, armes, éléments d’armes, munitions, éléments de munitions […] dont les spécificités justifient que la cession soit à la charge du ministère de la défense et qui sont inscrits sur une liste arrêtée conjointement par le ministre de la défense et le ministre chargé du domaine » (19) ;
- les biens et matériaux issus des opérations de démantèlement réalisées par le ministère de la défense.
Ces trois catégories renvoient à des situations très diverses : le traitement d’un char en fin de vie n’est pas le même que celui de stocks de munitions ou que celui d’un équipement électronique. Pour éviter d’enfermer le ministère dans un corpus juridique trop strict, le statut des biens dont il n’a plus l’emploi est fonction de leur nature. Ainsi les matériels retirés du service peuvent être considérés comme des déchets, comme des biens déclassés ou comme des biens réservés en vue d’une possible exportation. Cette différence de traitement est indispensable car les obligations liées diffèrent selon le statut considéré.
Par ailleurs, pour éviter de fixer de façon définitive le cadre juridique, le ministre de la défense et le ministre chargé du domaine (20) ont décidé que la liste des matériels de guerre visés par le 2° du II de l’article L. 67 du code du domaine de l’État serait arrêtée annuellement de façon à prendre en considération l’évolution des besoins et des contraintes. La protection nécessaire à un instant peut en effet perdre son intérêt au fur et à mesure de l’avancée des technologies. À l’inverse, certaines technologies ou matériaux peuvent devenir des enjeux stratégiques en cas par exemple de raréfaction d’une matière.
Si l’amélioration introduite par le décret de 2010 va dans le bon sens, elle soulève encore des interrogations pour les matériels à usage dual. L’application de l’article L. 67 impose au ministère de remettre aux domaines tous les équipements qui n’ont pas une vocation militaire avérée. Or, dans certains cas, le succès d’une vente sur le marché de l’occasion peut dépendre de la capacité du ministère à offrir un ensemble de matériels comprenant des équipements à usage principalement civil. Pour protéger les soldats français déployés en opérations extérieures (OPEX), il a par exemple fallu blinder ou renforcer le blindage des camions de transport. Le blindage constitue un élément militaire mais suffit-il à faire de l’ensemble du véhicule un matériel de guerre ? Faut-il appliquer les dispositions dérogatoires au seul blindage et ensuite remettre le camion au domaine ? Ne faudrait-il pas plutôt vérifier a priori que ce type de véhicule « surblindé » n’intéresse aucun autre pays ? De même, un camion militaire à usage civil peut être un complément indispensable à l’utilisation d’engins strictement militaires. Un véhicule suffisamment robuste pour transporter des blindés est-il un matériel de guerre ou simplement un matériel civil adapté à des besoins militaires ?
Il convient de s’assurer que la liste qui sera fixée par arrêté prendra bien en compte ces spécificités. Il serait regrettable qu’une possibilité d’export n’aboutisse pas faute de pouvoir proposer une offre globale incluant des matériels à usage civil.
Quel pilotage juridique pour la fin de vie ? Le ministère de la défense gardant le contrôle de la fin de vie de la plupart de ses équipements, il lui faut constituer une équipe à même de piloter cette activité et surtout d’assurer l’interface avec les domaines. Si la répartition des compétences en matière de démantèlement est identifiée clairement depuis la décision du 29 juin 2009 (1), elle est moins nette pour ce qui concerne les matériels destinés à l’exportation. Par ailleurs, le régime a dû être complété pour certains matériels spécifiques, notamment ceux qui sont liés à la force de dissuasion. Ainsi le démantèlement d’un missile relève de la compétence première de la direction générale pour l’armement à l’exception des têtes nucléaires qui relèvent du commissariat à l’énergie atomique. De manière générale, il est en effet prévu que le démantèlement soit de la responsabilité soit de l’organisme gestionnaire, soit du propriétaire. Le CEA étant propriétaire de toutes les matières fissiles, c’est à lui d’en assurer la fin de vie. Le régime applicable aux coques des sous-marins nucléaires a été arrêté durant la mission du rapporteur (2). Deux choix d’égal intérêt existaient : soit la direction du service de soutien de la flotte, gestionnaire et responsable du MCO de ces bâtiments, est en charge du démantèlement, soit on considère que la coque n’est que le prolongement de la force de dissuasion et que son démantèlement doit entrer dans le circuit propre au nucléaire placé sous l’autorité de la DGA. La seconde option a été privilégiée afin de conserver une unité de responsabilité pour la dissuasion. Ce choix est parfaitement justifié car il permet une unité dans les contrats de production, de maintenance et de démantèlement. (1) Décision n° 9362 du 29 juin 2009, cf. annexe IV. (2) Cette décision n’est pas encore publiée ; une version consolidée devrait l’être avant la fin du mois de juin prochain. |
B. DES NORMES ENVIRONNEMENTALES DRASTIQUES
Les matériels de guerre comprennent très fréquemment des matières dangereuses ou qualifiées comme telles après qu’elles ont été utilisées. Au titre de la protection des personnes et de l’environnement, le démantèlement ou la revente de ces équipements sont donc soumis à des contraintes fortes. La plupart de ces normes émanent des instances communautaires ; elles ont toutefois été diversement traduites dans les dispositifs juridiques nationaux.
1. Un empilement de normes environnementales internationales
Le démantèlement des matières dangereuses est soumis à des normes communautaires et à des conventions internationales complexes et parfois contradictoires. Comme le notait la députée Marguerite Lamour, « le cadre juridique […] est complexe et inadapté » (21) ; les équipements militaires en fin de vie peuvent en effet entrer dans le champ d’application des réglementations relatives aux déchets, aux matières dangereuses ou aux particularités propres aux matériels de guerre.
La convention de Bâle du 22 mars 1989, ratifiée par la France le 7 janvier 1991, organise les mouvements transfrontaliers de déchets dangereux. Elle a servi de base à la réglementation communautaire de 1993. L’Union européenne a souhaité en effet harmoniser les différentes normes au sein des États membres. Les différentes modifications ont ainsi pris en compte les stipulations de la convention de Bâle ainsi que les décisions prises par l’organisation de coopération et de développement économique (OCDE) en la matière (22). L’article 34 du règlement CE 1013/2006 du 14 juin 2006 (23) interdit toute exportation au départ de la Communauté de déchets destinés à être éliminés. Cette interdiction ne s’applique pas « aux exportations de déchets destinés à être éliminés dans des pays de l’AELE (24) qui sont également parties à la convention de Bâle ». L’article 40 étend cette interdiction pour l’exportation vers des pays ou territoires d’outre-mer. Pour les déchets destinés à être valorisés, l’article 36 du même règlement ne prévoit une interdiction d’exportation que vers les pays non-membres de l’OCDE. En d’autres termes et à titre d’exemple, la France ne peut pas envoyer de déchets à éliminer en Turquie ; elle peut en revanche y envoyer des déchets destinés à être valorisés, la Turquie étant membre de l’OCDE.
La défense est également concernée par la mise en œuvre de nouvelles règles environnementales internationales. Sans prétendre à l’exhaustivité, le rapporteur note que la défense est soumise aux stipulations du règlement REACH (25) en tant qu’acheteur de substances et de préparations chimiques. Le III de l’article L. 521-1du code de l’environnement prévoit toutefois que des dérogations peuvent être accordées en la matière (26). Un arrêté conjoint du ministre chargé de l’environnement et du ministre de la défense est en préparation à ce sujet.
Le règlement 1005-2009 (27) du 16 septembre 2009 découlant du protocole de Montréal restreint voire interdit la production des halons 1301 et 1211. Le ministère de la défense n’est cependant pas impacté par ces normes, ses besoins relevant d’utilisations critiques listées à l’annexe VI du texte.
L’ordonnance 2010-1579 (28) du 17 décembre 2010 n’a pas eu d’incidence spécifique sur la fin de vie des matériels, le texte se concentrant sur les déchets ordinaires.
2. Une application trop extensive des règles relatives à l’amiante
Outre les réglementations générales relatives à l’environnement, les équipements de défense sont particulièrement concernés par le cadre juridique propre à l’amiante.
La directive 76/769 du 27 juillet 1976 (29) concerne la « mise sur le marché des substances et préparations dangereuses ». Elle vise « la sauvegarde de la population et notamment des personnes qui les emploient » et doit contribuer « à la protection de l’environnement ». Parmi les matières listées par la directive apparaissent les fibres d’amiante dont « la mise sur le marché et l’emploi […] sont interdits » (30). Pour autant, la directive prévoit que « l’utilisation de produits contenant les fibres d’amiante […] qui étaient déjà installés et/ou en service avant la date de mise en œuvre de la directive […] par l’État membre concerné continue d’être autorisée jusqu’à leur élimination ou leur fin de vie utile », les États pouvant toutefois prendre des mesures plus draconiennes et interdire l’utilisation de ces produits sur leur territoire avant qu’ils n’atteignent « leur fin de vie utile » (31).
La France a transposé la directive et s’est appuyée sur les dispositions relatives à la protection des travailleurs et de l’environnement. Le I de l’article 1er du décret du 24 décembre 1996 (32) interdit, « au titre de la protection des travailleurs », « la fabrication, la transformation, la vente, l’importation, la mise sur le marché national et la cession à quelque titre que ce soit de toutes variétés de fibres d’amiante, que ces substances soient ou non incorporées dans des matériaux, produits ou dispositifs ». « Au titre de la protection des consommateurs », son II précise que cette interdiction s’étend également à « l’exportation, la détention en vue de la vente, l’offre, la vente et la cession à quelque titre que ce soit » de ces fibres d’amiante et de tout produit en contenant.
Le décret français va beaucoup plus loin que la directive puisqu’il interdit expressément toute exportation de matériel contenant des fibres d’amiante. L’article 2 de la directive 76/769 prévoit en effet que les limitations ne s’appliquent pas « aux substances et préparations dangereuses exportées vers des pays tiers ». En interdisant la moindre exportation, la France manifeste sa volonté de prendre en charge ses propres matériels contenant de l’amiante et se refuse à reporter sur un tiers ses responsabilités en termes d’élimination de matières dangereuses.
L’article 7 du décret précise que « l’interdiction de détention en vue de la vente, de mise en vente et de cession à quelque titre que ce soit ne s’applique pas aux véhicules automobiles d’occasion, ni aux véhicules, matériels et appareils agricoles et forestiers d’occasion […], mis en circulation avant la date d’entrée en vigueur du présent décret » pas plus qu’elle ne s’applique aux « véhicules automobiles [ou] aux véhicules, matériels et appareils agricoles et forestiers cédés en vue de leur destruction ». Il convient de souligner que les matériels de guerre n’ont pas bénéficié d’une dérogation similaire alors qu’ils ont des caractéristiques assez proches de celles des véhicules civils précédemment énumérés.
Le choix français de transposition est responsable mais extrêmement contraignant et parfois contre-productif. Le décret n’établit en effet aucune distinction en fonction de la nature et de la manière dont les fibres sont associées au matériel. Dans les appareils aéronautiques, les joints comprennent souvent des fibres d’amiante qui sont emprisonnées et ne peuvent pas s’échapper sauf à brûler lesdits joints. Or la seule présence de ces quelques fibres interdit d’exporter tout l’appareil. Cette interdiction générale avait un sens pour les matériels dont on ne connaissait pas la composition exacte : les armées ne disposaient pas toujours pour tous leurs matériels des inventaires des composants ni d’une cartographie exacte des matières. Cette exigence semble moins justifiée pour les nouveaux matériels qui disposent tous d’un inventaire et d’une cartographie des matières.
La seule façon d’éviter d’être soumis aux dispositions du décret est d’établir un accord intergouvernemental qui prévoit que l’État récepteur accepte de prendre en charge un ou des matériels contenant des fibres d’amiante. Cette solution reste extrêmement lourde et s’apparente plus à un contournement de l’obstacle qu’à une véritable résolution de la difficulté juridique.
Le cadre juridique du traitement de la coque Q 790 Le démantèlement de la coque Q 790 (coque de l’ancien porte-avions Clemenceau) a été réalisé dans le cadre d’un marché public qui comprenait en premier lieu une prestation de dépollution et de traitement de déchets, et en second lieu une prestation relative à la valorisation des matériaux. Dans la mesure où il n’y a pas eu de transfert de propriété de l’État vers l’opérateur industriel, il n’a pas été nécessaire de conclure un accord intergouvernemental. La France est restée responsable de tout le processus, se contentant d’en confier la maîtrise d’œuvre à un industriel étranger. Le transfert de la coque vers le Royaume-Uni s’est ensuite fait dans le cadre du règlement CE 1013/2006 (1) sur les transferts interfrontaliers de déchets. (1) Règlement (CE) n° 1013/2006 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant les transferts de déchets. |
3. L’inventaire et la cartographie des matières dangereuses
Pour améliorer la prise en compte des matières dangereuses, le ministère de la défense a décidé de renforcer l’inventaire et la cartographie des risques.
L’instruction générale 1516 du 26 mars 2010 (33) impose de prendre en compte « systématique[ment] et le plus en amont possible, […] l’environnement dans les documents relatifs aux opérations d’armement [afin …] d’anticiper les risques techniques et économiques liés à des restrictions futures d’emploi de matériaux ou composants et d’offrir des opportunités d’amélioration de performances ou d’innovation ». Pour cela, « la contractualisation de la solution inclut une cartographie des substances dangereuses ».
Désormais tous les équipements doivent être dotés d’un « passeport vert » qui identifie toutes les matières dangereuses et les localise précisément. Le risque est donc précisément cerné. Dans son rapport d’information consacré au démantèlement des navires en fin de vie, la députée Marguerite Lamour soulignait que « le passeport vert, en répertoriant les substances potentiellement dangereuses à bord du navire, permet de disposer d’un volume minimal d’informations à leur sujet » (34). Elle indiquait toutefois que ce passeport était difficile à établir d’une part en raison des modifications apportées à un navire durant sa vie et d’autre part en raison du caractère évolutif de la liste des matières qualifiées de dangereuses.
IV. — UN ENJEU FINANCIER ET COMPTABLE MAL APPRÉHENDÉ
La défense étant responsable de ses équipements, elle doit assurer le financement de leur fin de vie. Ces opérations parfois complexes peuvent demander un investissement budgétaire conséquent ; à l’inverse la valorisation des matériaux peut constituer une éventuelle source de revenus compensant partiellement le budget de cette action.
A. LE FINANCEMENT DE LA FIN DE VIE DES ÉQUIPEMENTS DE DÉFENSE
1. Une nouvelle prise en compte budgétaire
Sur le plan budgétaire, la fin de vie relève des programmes 178 « Préparation et emploi des forces » et 146 « Équipement des forces ». Néanmoins, malgré la prise de conscience de l’importance de l’enjeu, elle n’a été prise en compte dans le budget qu’à compter de la fin de l’année 2009. Jusqu’à cette date, le démantèlement n’était pas identifié à l’opération budgétaire d’investissement (OBI) à l’exception du matériel naval conventionnel et de la propulsion nucléaire. Le ministère considère que « la mise en place du progiciel Chorus a fait progresser le dispositif et permet désormais d’associer les dépenses de démantèlement à chaque activité » (35). Le tableau suivant retrace les crédits consacrés à la fin de vie des équipements en 2010 et 2011.
Financement de la fin de vie | |||||
(en millions d’euros) | |||||
Programme |
Contenu |
LFI 2010 |
PLF 2011 | ||
AE |
CP |
AE |
CP | ||
178 : Préparation et emploi des forces |
Matériels aéronautiques |
4,0 |
4,0 |
4,2 |
3,9 |
Matériels navals |
10,2 |
10,2 |
13,7 |
11,6 | |
Matériels terrestres |
6,0 |
6,0 |
7,8 |
5,3 | |
Total du programme (y compris munitions et missiles) |
20,2 |
20,2 |
25,7 |
20,8 | |
146 : Équipement des forces |
ASMP (missile uniquement) |
21,3 |
2,9 |
1,8 |
3,7 |
M 45 (missile uniquement) |
4,6 |
12,6 |
57,8 |
15,2 | |
SNLE (1) |
14,9 |
5,3 |
9,4 |
8,1 | |
SNA (2) |
0 |
0,2 |
0 |
0,4 | |
Missiles |
0 |
0 |
0 |
0 | |
Total du programme |
40,8 |
21,0 |
69,0 |
27,4 | |
Total des dépenses de fin de vie au sein de la mission « Défense » |
61,0 |
41,2 |
94,7 |
48,2 | |
(1) sous-marin nucléaire lanceurs d’engins. | |||||
(2) sous-marin nucléaire d’attaque. | |||||
Source : direction des affaires financières du ministère de la défense. |
Les sommes en jeu apparaissent modestes comparées au niveau global des dépenses du ministère (36). L’évolution des besoins ne devrait pas modifier structurellement l’équilibre actuel. Selon les estimations transmises au rapporteur par la direction des affaires financières (DAF), les dépenses pour le démantèlement s’élèvent à 143 millions d’euros d’ici à 2016 pour le programme 178, c’est-à-dire un flux annuel de 20 à 25 millions d’euros, soit autant qu’en 2010 et 2011. D’ici à 2016, cela représente un total compris entre 175 et 230 millions d’euros, cette fourchette devant être regardée avec précaution en raison des incertitudes sur le coût de déconstruction des matériels nucléaires. Le programme 146 devra en effet supporter la déconstruction des coques des sous-marins. À ce stade, la DGA estime que cela devrait coûter entre 6 et 20 millions d’euros par coque. La DAF souligne néanmoins que « ces chiffres sont à prendre avec précaution, aucun outil industriel de déconstruction n’existant actuellement pour ce type de bâtiment » (37).
2. L’anticipation des dépenses
L’apparition de la fin de vie dans le champ budgétaire intervient au moment où le ministère cherche à optimiser ses dépenses et rationaliser ses structures. Pour éviter de devoir faire face à des dépenses incontrôlées et imprévues, l’ensemble des directions travaille à la définition d’un nouveau référentiel budgétaire et financier pour anticiper les besoins. Il convient de distinguer la situation des matériels déjà en service de celle des nouveaux matériels.
a) Les matériels déjà en service
Pour les matériels déjà retirés du service actif ou prévus de l’être, les besoins financiers sont exprimés par les organismes responsables de la maîtrise d’ouvrage à savoir les services de soutien, la DIRISI et la DGA. Chaque service est chargé de la notification des contrats adéquats et de présenter régulièrement au cabinet du ministre de la défense un état des lieux de la situation en indiquant le calendrier et les crédits engagés. Chaque service dispose pour cela d’une enveloppe dédiée : le service de soutien de la flotte reçoit par exemple environ 10 millions d’euros par an pour assurer la fin de vie des matériels navals.
Cette évaluation financière se fait par étapes : à chaque changement de stade, une évaluation du coût de démantèlement est établie par le service compétent. Un coût prévisionnel de référence est ensuite établi dans le dossier de retrait du service actif. Son approbation marque le début de la fin de vie. Le coût réalisé final figure quant à lui dans le dossier de clôture qui termine le stade du retrait du service.
Les auditions de l’ensemble des services de soutien et des responsables opérationnels ont permis de souligner le schéma ordinaire d’évolution des dépenses au travers d’une courbe « en U ». L’entrée en service d’un nouvel équipement demande en effet d’importantes dépenses pour déployer sa chaîne logistique et le mettre en oeuvre. Ces besoins diminuent très rapidement dès lors que le matériel est pleinement opérationnel ; ils augmentent de nouveau de façon très conséquente en fin de vie en raison de l’usure de l’équipement. La détermination du prix des opérations de fin de vie est très dépendante du moment où la décision de retrait du service est prise : si elle intervient en toute fin de vie, alors que le matériel est très usé, elle est plus importante, ne serait-ce que parce que les matières dangereuses ne sont plus aussi bien confinées qu’elles l’étaient. De même, la technologie ayant parfois fortement évolué depuis l’entrée en service du matériel, les industriels ne disposent plus forcément de l’expertise et du savoir-faire pour traiter des matériaux ou des conceptions anciens. De ce fait, la fin de vie est plus coûteuse et le potentiel d’export plus faible.
b) Pour les nouveaux équipements
L’entrée en vigueur de la nouvelle instruction 1516 (38) marque une rupture nette dans la prise en compte et l’anticipation des dépenses de démantèlement. Elle introduit en effet la notion de « coût de possession » définie comme « la somme des dépenses de l’ensemble de la vie du produit », ce qui inclut notamment les dépenses liées au retrait du service actif. Ces dépenses comprennent les coûts de démantèlement, les coûts d’élimination et les coûts de décontamination ou de dépollution desquels il faut déduire les éventuels gains de cession.
Jusqu’à cette date, les instructions 1514 du 7 mai 1998 et 800 du 20 décembre 2000 ne mentionnaient qu’une notion de démantèlement. Il convient de souligner que par dérogation aux principes budgétaires d’universalité, le produit des cessions de produits militaires ainsi que celui de la vente de matériaux issus du démantèlement est attribué au ministère de la défense (39).
3. Le démantèlement comme source de revenus ?
Lors de ses visites à l’étranger, le rapporteur a été frappé de constater que la fin de vie des équipements était souvent considérée pas seulement comme une source de dépenses mais aussi souvent comme une source de revenus. Trois exemples le montrent bien.
Pour démanteler leurs navires militaires, les États-Unis confient par exemple pour un penny symbolique la déconstruction des bâtiments à un prestataire privé, charge à lui de financer l’opération grâce à la revente ultérieure des matériaux démantelés. Ce schéma peut toutefois être révisé en fonction des cours de l’acier. Si les cours sont trop faibles et ne permettent pas d’équilibrer l’opération pour le prestataire, la Navy peut financer une partie du démantèlement. Il n’y a pas de transfert de propriété tant que le démantèlement n’est pas achevé, la Navy souhaitant conserver le contrôle des opérations.
En Allemagne, les véhicules terrestres sont vendus à des entreprises spécialisées qui gagnent ensuite de l’argent en revendant les matériaux. Cette activité représente un revenu pour l’État fédéral de l’ordre d’un million d’euros par an qui viennent en général en déduction du prix des prestations effectuées par ces industriels pour le compte des armées.
De même, l’usine américaine de démantèlement des munitions d’Anniston revend sur le marché un certain nombre de composants et notamment le métal ; les gains ainsi retirés reviennent à l’armée de terre américaine à condition qu’elle utilise cette ressource pour réaliser des investissements dans un délai de cinq ans. Si les crédits ne sont pas utilisés durant ce délai, ils sont reversés au budget fédéral général.
Ces opérations ne modifient pas structurellement l’économie de la fin de vie, mais elles contribuent à son rééquilibrage. La France ne s’est pas engagée dans cette voie à ce jour, se privant de cette source complémentaire de revenus.
B. LES LIMITES DU TRAITEMENT COMPTABLE
1. Un régime d’inscription comptable insatisfaisant
a) La valorisation des actifs de la défense
Le ministère de la défense, en association avec la direction générale des finances publiques, a mis en place un recueil de normes comptables plus détaillé que le recueil général déclinant les instructions comptables interministérielles. Le guide établi et diffusé en octobre 2009 « présente un compromis entre le rappel des principes normatifs de portée générale et la présentation de modes opératoires concrets, adaptés aux cas pratiques rencontrés par les directions et services du ministère » (40). Il détaille 17 procédures comptables qui précisent les modalités de valorisation des équipements du ministère de la défense : dépréciation des immobilisations et des stocks, dépenses de gros entretiens, de grandes visites, amortissement des immobilisations…
Ce guide constitue une première base de travail et devrait être prochainement actualisé pour tenir compte des fonctionnalités mises en place par Chorus.
Malgré ses demandes, le rapporteur n’a pas obtenu de précisions complémentaires sur les modalités précises de cette valorisation ; il n’est donc pas en mesure d’apprécier la sincérité et la pertinence de l’inscription comptable des matériels de défense.
Le bilan comptable de la défense Dans son rapport sur la certification des comptes de l’État pour 2009 (cf. annexe II), la Cour des comptes estime qu’au 31 décembre 2009, hors patrimoine immobilier, les actifs du ministère de la défense s’élèvent à 176 milliards d’euros en valeur brute et à 110 milliards d’euros en valeur nette. Ces actifs se caractérisent par leur extrême diversité, leur ancienneté très variable et les limites des systèmes d’information qui permettent d’en assurer le recensement et la valorisation. En termes de procédure, les actifs en service restent, pour une part importante, valorisés sur le fondement d’une méthode dite « forfaitaire détaillée », c’est-à-dire en dérogation par rapport aux normes comptables ordinaires. Certains « développements militaires qualifiés » sont quant à eux valorisés par le « cumul de dépenses budgétaires ». La Cour a donc émis des réserves sur ces modes de valorisation, refusant de valider les procédures du ministère de la défense. Compte tenu des réserves de la Cour, le montant final des actifs doit donc être appréhendé avec précaution ; en tout état de cause, le ministère doit améliorer son régime et ses méthodes comptables. |
Les difficultés comptables s’expliquent en partie par le fait que jusqu’en 2009 le ministère ne disposait d’aucun outil informatique adapté : le traitement comptable se faisait alors sur des tableaux de type Excel avec plusieurs dizaines de milliers de lignes et de colonnes, chaque case étant remplie manuellement. De surcroît, les données n’étaient pas échangées entre les différents services, multipliant les sources d’erreurs.
b) Les modalités d’amortissement
i. Les règles applicables
Outre les interrogations portant sur la première inscription comptable, le rapporteur a souhaité analyser les modalités d’amortissement des matériels. Il est en effet indispensable de disposer d’un référentiel comptable permettant de déterminer la valeur d’un bien à chaque instant de sa vie, ladite valeur prenant en compte son prix initial mais aussi l’ensemble des dépenses faites depuis son entrée en service pour le maintenir à niveau.
Actuellement la défense a retenu un mode d’amortissement linéaire ; c’est-à-dire que la dotation est répartie également sur la durée d’amortissement qui commence à la date de mise en service du bien. La durée d’amortissement est fondée sur la durée d’utilisation probable du matériel, chaque catégorie bénéficiant d’une durée potentielle propre. Pour les matériels non militaires, les plages de durées d’amortissement ont été définies sur la base des orientations interministérielles arrêtées par la direction générale des finances publiques, contrairement aux matériels militaires pour lesquels le référentiel des catégories et durées d’amortissement est mis à jour par le ministère.
En parallèle, si l’actif cesse d’être utilisé (détruit ou mis au rebut), le ministère peut décider de mesures complémentaires d’amortissement constatant une consommation définitive et irréversible des avantages économiques ou du potentiel de services.
Les mesures de remise à niveau sont intégrées dans la valorisation comptable et font elles-mêmes l’objet d’un amortissement dès lorsqu’elles atteignent un montant supérieur à 1 million d’euros par actif ou supérieur à 10 millions d’euros pour des opérations de série. Ces opérations s’inscrivent dans un programme pluriannuel ayant pour but de vérifier le bon état de fonctionnement des installations et de leur apporter un entretien, « sans prolonger la durée de vie au-delà de celle prévue initialement ».
Ces opérations se distinguent des dépenses ultérieures immobilisables qui permettent un allongement de la durée de vie d’utilisation, l’augmentation de la capacité d’utilisation ou la diminution du coût d’utilisation.
Le rapporteur a demandé la communication d’exemples significatifs de la manière dont les opérations de remise à niveau sont intégrées dans la valeur nette des actifs. La direction des affaires financières lui a simplement communiqué quelques exemples de grands entretiens. Pour le service de soutien de la flotte, les opérations de grand entretien ou de grande révision ont représenté 469 millions d’euros en 2009 et concerné le porte-avions Charles-de-Gaulle et les sous-marins Perle et Saphir. Pour la SIMMAD, la modernisation des flottes d’Atlantique et de Super Étendard représente un effort de 47 millions d’euros en valeur brute.
Depuis le déploiement de Chorus, le calcul des amortissements est assuré directement par le progiciel. Les services peuvent consulter en cours d’exercice le montant de l’amortissement rattaché à une fiche d’immobilisation, cette consultation s’opérant au cas par cas. Le comptable des immobilisations peut quant à lui consulter le calcul des amortissements en cours et en fin d’exercice pour l’ensemble des fiches immobilisations en service du ministère de la défense.
L’agence pour l’informatique financière de l’État exécute en fin d’exercice le programme de calcul des amortissements en mode réel pour assurer la prise en compte effective des schémas d’écriture comptables associés aux amortissements.
ii. Le champ d’application de l’amortissement
Comme le relève la Cour des comptes, le ministère a décidé de fixer le seuil d’immobilisation à 10 000 euros, écartant de ce fait, des biens « qui ont pourtant toutes les caractéristiques d’un actif et qui ont été financés sur des crédits d’investissement ». Cette mesure écarte dès lors du champ de l’amortissement des matériels militaires comme par exemple certaines munitions.
Le ministère indique qu’il a adopté ce seuil en accord avec la direction générale des finances publiques et fait observer qu’il doit déjà gérer près de 150 000 fiches d’immobilisations corporelles. La direction des affaires financières estime que « la modification de ce seuil, dans les conditions actuelles de fiabilisation des immobilisations et d’intégration dans l’outil Chorus, serait délicate et périlleuse. Les avantages avancés par la Cour des comptes en faveur d’un abaissement du seuil d’immobilisation ne paraissent pas établis, alors que les inconvénients sont nombreux et appelés à se prolonger à long terme ».
Pour les munitions, elle précise que « les munitions dont la valeur unitaire est supérieure à 150 000 euros […] sont comptabilisées en immobilisations (missiles stratégiques et tactiques notamment) » tandis que les « munitions dont la valeur unitaire est inférieure [à ce seuil…] sont comptabilisées en stocks ».
Pour les munitions immobilisées, leur traitement comptable est conforme aux règles afférentes aux autres immobilisations. S’agissant néanmoins d’équipements soumis à un régime de confidentialité, les données sont présentées dans Chorus de manière globalisée avec une convention concernant la date de mise en service et un calcul des amortissements recensé manuellement.
iii. L’accès aux données comptables
Lors des auditions, le rapporteur a mesuré une certaine divergence d’appréciation des normes comptables entre d’une part les services gestionnaires et d’autre part les services comptables du ministère. Interrogée, la direction des affaires financières souligne que « chaque responsable d’inventaire, habilité en tant que responsable de comptabilité auxiliaire (RCAI) dans Chorus, dispose de l’ensemble des données comptables et notamment de la valeur nette comptable des équipements inscrits sur son périmètre ». Elle considère qu’il « appartient donc aux différents gestionnaires de bien de se rapprocher de leurs correspondants RCAI afin de disposer des informations qui les concernent car seuls ces derniers disposent des habilitations nécessaires dans Chorus pour effectuer les transactions et requêtes relatives à la gestion des actifs » (41).
Si la protection des données comptables et la séparation entre ordonnateur et comptable justifient que les services gestionnaires ne puissent pas intervenir dans le système comptable, il est regrettable que l’accès à des données précieuses en termes d’analyse des coûts et d’optimisation de la dépense ne soit pas plus facile. En outre, cette pratique ne semble pas s’inscrire dans la mise en place d’une comptabilité analytique, seule à même d’éclairer le Gouvernement et Parlement et permettant un compte rendu pertinent.
2. Des provisions pour démantèlement encore insuffisantes
L’article 27 de la loi organique relative aux lois de finances dispose que l’État « tient une comptabilité des recettes et des dépenses budgétaires et une comptabilité générale de l’ensemble de ses opérations. En outre, il met en œuvre une comptabilité destinée à analyser les coûts des différentes actions engagées dans le cadre des programmes ». La mise en œuvre de ces dispositions a fait l’objet de plusieurs arrêtés définissant les normes comptables applicables à l’ensemble des services de l’État. Pour autant, lors de ses auditions, le rapporteur a constaté que le traitement comptable de la fin de vie, et plus largement de l’ensemble du cycle de vie, des équipements militaires n’est pas encore optimal et ne permet donc pas d’appréhender de façon objective et satisfaisante les coûts induits par le démantèlement.
La mise en place d’un système comptable patrimonial impose de provisionner les dépenses futures liées à la fin de vie des équipements. L’inscription comptable peut se faire de façon immédiate ou progressive en fonction de l’usage de l’équipement. Cette mesure comptable est sans incidence sur l’éventualité d’une vente à l’export : la disparition d’un matériel du bilan de l’État s’accompagne de la disparition des provisions correspondantes.
Si le principe de ces provisions semble relativement bien acquis, leur mise en œuvre est beaucoup plus délicate. Dans son rapport sur la certification des comptes de l’État pour 2009, la Cour des comptes estime que « les provisions pour charges de démantèlement n’ont pas été recensées de manière exhaustive par certains services gestionnaires d’immobilisations (direction centrale du matériel de l’armée de terre (DCMAT), DGA, SSF) ». Interrogée sur ce point, la direction des affaires financières du ministère déclare partager le constat de la Cour « concernant l’incomplétude du périmètre de recensement des provisions pour démantèlement. Le constat de l’absence d’actifs de démantèlement en regard de certaines provisions est également partagé ». Pour autant, elle fait valoir que le montant des provisions pour démantèlement a été porté à la fin de l’année 2009 de 747,75 millions d’euros à 753,46 millions d’euros avec notamment la prise en compte du démantèlement pour la frégate Chevalier Paul et la reprise de provisions de certains matériels de l’armée de terre et de la DIRISI.
Pour la clôture des comptes 2010, des travaux ont été engagés par la SIMMT sur le démantèlement de certains véhicules blindés. Des études sont également engagées par la SIMMAD, le SSF et la DGA.
Le rapporteur souligne qu’il est extrêmement difficile de déterminer avec plusieurs dizaines d’années d’avance les coûts de démantèlement d’autant que les matériels militaires comprennent de nombreux matériaux dangereux. Il aurait été par exemple impossible d’anticiper les coûts du désamiantage 30 ou 40 ans à l’avance. L’inscription d’une provision répond à une démarche saine et doit être menée à son terme. Elle ne peut résoudre cependant l’ensemble des difficultés ni permettre de faire face à tous les risques. La solution consisterait peut-être à inscrire une provision pour risque qui permettrait, au moins sur le plan comptable, d’anticiper une nouvelle contrainte ou l’apparition de nouvelles difficultés.
V. — ÉLÉMENTS DE COMPARAISON INTERNATIONALE
Le rapporteur a interrogé les parlements des pays membres de l’Union européenne afin de disposer d’éléments de comparaison sur la fin de vie des équipements militaires. Il s’est par ailleurs rendu au Royaume-Uni et en Allemagne où il a pu rencontrer les responsables institutionnels et des acteurs industriels. Il a également effectué un déplacement aux États-Unis en décembre 2010.
Les réponses transmises par les parlements de l’Union européenne montrent une grande diversité dans l’appréhension de la fin de vie des équipements. Comme le montre le tableau ci-après, deux modèles principaux apparaissent :
- le démantèlement relève de la responsabilité de l’organisme gestionnaire, c’est-à-dire souvent de l’état-major ou de la direction du matériel. Dans ce cas, il n’existe pas de processus unique pour tous les équipements, chaque service l’adapte à ses besoins spécifiques. Ce modèle est actuellement celui de la France ;
- le démantèlement est pris en charge par un organisme unique qui centralise tous les matériels. Dans ce cas de figure, l’organisme est généralement aussi responsable de la revente sur le marché de l’occasion.
Gestion de la fin de vie des équipements militaires dans l’Union européenne | |||||
Pays |
Existence d’une politique globale sur la fin de vie |
Organisme en charge |
Intervention sur le marché de l’occasion |
Prise en compte budgétaire de la fin de vie | |
de la déconstruction |
de la vente sur le marché de l’occasion | ||||
Allemagne |
Oui en déclinant les stipulations du traité sur les forces armées conventionnelles |
Pour les matériels à usage civil : agence fédérale VEBEG Pour les matériels de guerre : direction générale de l’armement |
Oui avec 270 millions d’euros de revenus en 2009 |
nr | |
Chypre |
La destruction est privilégiée. La gestion de la fin de vie se fait en association avec l’OSCE |
Direction du matériel de la garde nationale en général et plus particulièrement l’unité de démantèlement des explosifs de la garde nationale |
nr |
Non |
Informations non disponibles |
Danemark |
Non |
Organisation pour l’achat et la logistique de défense |
Oui avec un catalogue disponible en ligne |
nr | |
Estonie |
Non |
Chaque état-major |
Ministère de la défense |
Très peu (peu de matériels disponibles) |
Pas de prise en compte mais des travaux sont en cours pour l’intégrer dans le cycle de vie des programmes |
Grèce |
Chaque état-major décide pour ses matériels. Les choix s’inscrivent toutefois dans un modèle global de cycle de vie |
Chaque état-major avec décision finale du chef d’état-major des armées |
nr |
Au cas par cas |
Intégration durant les travaux d’approbation du retrait |
Finlande |
Une politique d’ensemble a été mise en place autour de la notion de cycle de vie qui impose une cohérence économique des programmes (en maximisant le bénéfice pour l’État) et qui prend en compte l’enjeu de développement durable |
Le service logistique de chaque armée pilote le démantèlement qui est généralement externalisé |
Ministère de la défense avec parfois une assistance externalisée |
Rarement malgré des donations (Estonie, Afghanistan) |
Intégration dès le lancement du programme et intégration dans le plan global d’équipement de la défense |
Hongrie |
La procédure 75/2008 du ministère de la défense fixe les règles relatives à la fin de vie |
Secrétariat d’État à la défense et aux infrastructures |
Régie par la procédure 4/2010 |
Estimation dans le budget prévisionnel | |
Italie |
Non |
Organismes en charge du matériel (directions générales pour l’armement de chaque secteur) puis validation par une commission technique |
Organisme qui détient les matériels |
Possible |
Rapport au Parlement sur la vente, l’acquisition ou le commerce des armements |
Pays-Bas |
Non |
nr |
Direction de la propriété d’État et direction du matériel de défense |
Fréquemment en association avec les ministères des finances, des affaires étrangères et des affaires économiques |
Les recettes prévisionnelles des ventes figurent dans le budget prévisionnel de la direction du matériel de défense |
Portugal |
Non |
Chaque état-major et une entreprise privée (IDD) pour les armes, munitions et explosifs |
Ministère de la défense nationale |
Oui (290 millions d’euros prévus pour 2007-2023) mais il reste encore beaucoup à réaliser pour atteindre cet objectif |
Les dépenses prévisionnelles doivent figurer dans le budget annuel |
Royaume-Uni |
La politique de fin de vie est définie au travers du cycle d’acquisition. La norme du ministère de la défense « The Disposal of Materiel » détermine l’ensemble des règles à suivre |
Service central : Disposal Service Authority |
Fréquemment avec site Internet (montants des ventes disponibles depuis 1981) |
Rapport annuel du ministère de la défense | |
Slovaquie |
Non |
Chaque état-major |
Le ministère de la défense pilote le projet. La loi de 1998 prévoit que le choix se fait en lien avec les ministères des affaires étrangères et de l’économie, la décision finale appartenant au ministre des affaires étrangères |
Rare car le ministère privilégie une utilisation maximale équipements |
Pas intégré à ce jour ; la notion de cycle de vie n’apparaissant pas prioritaire |
nr : non renseigné. Source : parlements de l’Union européenne. |
2. Une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux
Au-delà des enjeux organisationnels évoqués dans les tableaux précédents, les réponses des parlements européens montrent que la prise en compte des enjeux environnementaux progresse dans tous les pays et qu’elle a souvent été à l’origine de la définition d’une politique coordonnée pour les matériels militaires. Par ailleurs, les conséquences financières de la fin de vie sont désormais mieux intégrées, et ce dès le lancement des opérations d’armement.
L’exemple finlandais (42) est révélateur de cette évolution : dès la définition des programmes, les conditions de fin de vie doivent être arrêtées avec un chiffrage aussi précis que possible du coût ainsi induit. Si des incertitudes existent et peuvent avoir des conséquences sur le processus ou sur les montants, elles doivent être précisément listées. Dans tous les cas, l’équilibre économique doit être démontré, c’est-à-dire qu’il faut que les choix de fin de vie soient le moins coûteux, voire permettent de dégager des ressources. L’État finlandais a clairement indiqué que l’objectif est de mettre en place une politique responsable de fin de vie des équipements qui prend en compte les principes du développement durable.
Dans le même temps, le ministère fait appel au marché pour démanteler ses matériels ; chaque service logistique définit le cahier des charges et rédige un appel d’offres. Il peut également prendre directement en charge certaines opérations. L’entreprise Millog est par exemple un partenaire important du ministère finlandais de la défense puisqu’elle intervient désormais pendant toute la durée de vie, que ce soit pour assurer la maintenance ou le démantèlement. Elle a également vendu sur le marché de l’occasion certains matériels militaires retirés du service.
B. L’EXEMPLE AMÉRICAIN : VERS UNE GESTION GLOBALE DU CYCLE DE VIE
Lors de sa visite aux États-Unis, le rapporteur a rencontré les responsables du ministère de la défense en charge de la fin de vie des équipements, les responsables de l’administration maritime qui pilotent le démantèlement des navires de l’État fédéral ainsi que les fonctionnaires des commissions parlementaires compétentes.
1. Un enjeu qui apparaît progressivement dans le débat public
La question de la fin de vie des équipements apparaît progressivement dans les débats parlementaires relatifs à la défense mais essentiellement à l’occasion de discussions portant sur le renouvellement d’un parc ou d’une flotte. Pour les parlementaires, il importe de maintenir un stock suffisant de matériels prêts à être employés ; ils répugnent donc à soutenir une politique active de destruction et privilégient plus souvent une politique de stockage et de retrait progressif du service actif. Les armées ne partagent pas cette position, considérant que le maintien en condition opérationnelle (MCO) ou le stockage de tels matériels sont très onéreux ; elles militent plutôt pour une modernisation des équipements. Ce désaccord s’est par exemple manifesté à propos des ravitailleurs KC 135 : le Congrès s’est opposé à leur destruction tant que les appareils qui doivent les remplacer n’étaient pas opérationnels.
La coopération internationale en matière de fin de vie est aujourd’hui difficile à envisager, voire impossible à mettre en œuvre. Des tentatives ont eu lieu dans les années 2000 mais elles ont été arrêtées net pour des questions liées au coût et à l’exposition à des risques environnementaux. À ce jour, les Américains considèrent par ailleurs que les équipements militaires doivent être démantelés aux États-Unis, par des entreprises américaines et sous le contrôle des autorités fédérales. C’est également un enjeu économique pour certains États comme le Texas : même si peu d’emplois dépendent de cette activité, elle se fait souvent dans des zones déjà défavorisées où la moindre suppression d’emploi est fortement ressentie par la population.
Seule la fin de vie des armes chimiques semble avoir créé des emplois de long terme de l’ordre d’une centaine de personnes pour chacune des neuf usines ouvertes. Les normes sont en effet drastiques pour ces matériels qui exigent un processus de déconstruction très robuste et relativement long.
Les normes environnementales sont désormais plus contraignantes, notamment pour les navires ; pour les équipements terrestres et aéronautiques, l’impact environnemental est considéré comme marginal.
Les fonctionnaires de la commission de la défense du Sénat ont insisté sur le fait que désormais les armées et le Congrès essaient de mettre en place un véritable cycle de vie des équipements reposant sur quatre étapes principales : la recherche, la production, l’exploitation et la fin de vie. Défini il y a dix ans, ce concept impose de calculer dès le départ le coût de possession. Il faut désormais lister l’ensemble des matériels potentiellement dangereux, indiquer leur localisation et estimer leur durée de vie.
Pour autant, la durée de vie de certains équipements peut être prolongée grâce à des remises à niveau ; dès lors la question de leur élimination devient moins urgente.
Concernant l’élimination, les procédures apparaissent très complexes et varient beaucoup selon les matériels. Les sénateurs essaient de trouver un équilibre entre les positions divergentes de leurs électeurs soucieux de la protection de l’environnement, de la sûreté publique et de la libre concurrence entre les industriels.
Si les procédures sont globalement satisfaisantes, il convient de ne pas sous-estimer la portée émotionnelle et affective de ces sujets, notamment pour ce qui concerne les équipements rejoignant les musées. Par ailleurs, certains dossiers peuvent être mal perçus aussi bien en interne que par les médias. L’armée de l’air a par exemple retiré du service des avions Hercules C130 qui ont été cannibalisés. Les pièces de rechange ont été cédées à un prestataire privé qui les a ensuite revendues à l’armée de l’air qui en avait besoin pour les appareils restants.
2. Les acteurs institutionnels de la fin de vie
Au sein du ministère de la défense, le sous-secrétariat d’État à la défense en charge des acquisitions, de la technologie et de la logistique est directement placé sous l’autorité du secrétaire d’État à la défense. Parmi les sept directions principales qui le composent, la direction de la logistique et de la préparation opérationnelle des équipements comprend une sous-direction en charge de la fin de vie des équipements. L’agence de logistique de la défense (DLA) dépend elle aussi de la direction de la logistique et de la préparation opérationnelle des équipements, ce qui facilite les échanges avec la sous-direction.
La politique de fin de vie est déterminée par la sous-direction et pilotée au quotidien par la DLA. Sont concernés tous les équipements « consommables » qu’il s’agisse par exemple de matériel informatique ou de camions ; n’entrent pas dans cette catégorie les navires, les équipements nucléaires ou les armes chimiques.
Au début des années 2000, le Congrès a exigé qu’un processus robuste soit mis en œuvre pour la fin de vie des équipements et a donné six mois au ministère pour trouver une solution. Le ministère a relevé ce défi. La sous-direction a harmonisé les pratiques et défini une politique structurée. Bien que la DLA ait été créée en 1975 pour harmoniser la gestion, chaque service avait en effet conservé ses propres règles, ce qui était source d’inefficacité. La gestion de fin de vie est désormais stabilisée en sept étapes pour une durée maximale de 50 jours.
Le schéma ci-après présente ce circuit.
Fin de vie des équipements militaires « consommables » |
Source : ministère américain de la défense. |
Une fois que les services ont décidé le retrait du service actif, le matériel est confié à la DLA qui en devient propriétaire. Elle va alors l’inventorier, répertorier tous les matériaux dangereux et le démilitariser si besoin est. Au terme de ce travail, la DLA détermine ce qui est réutilisable et ce qui doit être détruit. Pour les matériels réutilisables, elle va privilégier un nouvel usage interne au ministère de la défense, puis rechercher un possible transfert à d’autres services fédéraux ou une éventuelle donation à des organismes publics avant d’envisager une vente à des prestataires privés. Les autres matériaux sont confiés à des prestataires privés pour être détruits, les éléments comme le métal pouvant être recyclés dans certains cas.
À chacune de ces étapes, la DLA cherche à maximiser le recyclage de tout ou partie du matériel. Actuellement, environ 50 % des équipements ou de leurs composants sont réutilisés et 50 % détruits. Ce ratio est notamment lié à la très forte sollicitation de certains équipements en OPEX empêchant leur réutilisation.
Cette politique permet de réinvestir et de faire vivre d’autres équipements à des coûts réduits. Pour améliorer la prise en charge de la fin de vie, la DLA intervient au plus près des forces. Elle dispose pour cela de 35 sites dont quatre en Irak, deux en Afghanistan, un à Djibouti, un au Royaume-Uni, un en Allemagne et un en Espagne. Cette proximité évite de démilitariser des équipements qui pourraient être utilisés pour d’autres fonctions sur le théâtre.
Le délai global a été réduit au maximum pour minimiser les coûts de possession et de stockage. La DLA arrive aujourd’hui à traiter en 45 jours en moyenne les matériels qui lui sont confiés. La revente est strictement encadrée par les normes ITAR (International Traffic in Arms Regulation) et EAR (Export Administration Regulations).
Pour tous les matériels, et en particulier pour les équipements nucléaires, le contrôle et l’inventaire sont des enjeux permanents. La centralisation de la base de données a été une avancée considérable mais il faut vérifier que seuls ceux qui ont besoin de connaître les données les plus sensibles y ont accès. La préservation de la confidentialité est déterminante, surtout pour les armements stratégiques.
3. Le démantèlement des navires fédéraux civils
Le démantèlement des navires étant souvent envisagé sous un angle dual, le rapporteur a rencontré les responsables de l’administration maritime qui pilote la fin de vie des navires fédéraux civils. Il souhaitait notamment savoir si les États-Unis ont jugé utile de développer une filière industrielle capable de traiter aussi bien les navires militaires que les bâtiments civils.
L’administrateur général adjoint de l’administration maritime, James Caponiti, estime que les navires civils et les navires militaires diffèrent dans leur conception, dans leur maintenance et dans leur fin de vie. La qualité des aciers employés et des systèmes associés varie beaucoup. Les bâtiments civils apparaissent aujourd’hui très anciens et contiennent beaucoup de matières toxiques, notamment du PCB (interdit depuis 1982), ce qui interdit toute exportation. Pour autant, les chantiers traitent aussi bien de matériels civils que de bâtiments militaires. Les spécificités des navires militaires sont avant tout liées à la présence de systèmes d’armes ; une fois ces derniers retirés, les différences avec les navires civils apparaissent faibles, la spécificité des aciers et des procédures n’étant pas très marquée.
Le démantèlement de navires militaires est généralement beaucoup plus complexe, ce qui explique que la marine ait longtemps privilégié l’océanisation qui ne pouvait toutefois se faire qu’après avoir retiré tous les matériaux dangereux.
À ce jour, la plupart des bâtiments américains sont démantelés aux États-Unis, la communauté environnementale américaine estimant que le pays doit s’occuper de ses propres déchets. Jusqu’en 1994, le ministère des transports éliminait ses navires sur le marché international. La réglementation relative au PCB a mis un terme à cette pratique. Une tentative a été faite en confiant quatre bâtiments à Able (Royaume-Uni) en 2003 (avec une dérogation législative) mais cette expérience n’a pas été renouvelée. Les crédits nécessaires au démantèlement des navires n’ont toutefois été débloqués qu’en 2001, créant un stock à apurer et comprenant nombre de navires très anciens et en très mauvais état. Pour éviter de saturer ou de déséquilibrer le marché, le ministère ne donne à démanteler que 10 000 à 16 000 tonnes par an. En 2010, cela représente pour l’essentiel 12 navires de grande taille. Les bâtiments les plus abîmés sont traités en priorité et au plus près de leur lieu de stockage pour éviter les dépenses de remorquage. À titre d’exemple, le remorquage d’un navire stationné en Californie jusqu’au Texas coûte plus d’un million de dollars.
Les capacités industrielles sont limitées : il n’existe que six installations à même de traiter de pareils navires. Pour développer cette activité, il faut faire apparaître un intérêt commercial et des perspectives de long terme. Or à ce jour les chantiers de démantèlement travaillent essentiellement pour l’État fédéral (donc dépendance forte) et les gains éventuels sont très liés au cours de l’acier. En fonction du cours de l’acier, le Gouvernement peut être amené à percevoir de l’argent ou à en verser à ses contractants.
Les emplois créés sont de faible valeur ajoutée et n’ont pas de point commun avec l’activité de chantiers navals de construction. Il est primordial de maintenir un flux d’activité pour éviter le chômage technique. Les chantiers préfèrent toutefois traiter des grands bâtiments et privilégient les navires militaires dont l’acier se revend mieux (l’acier militaire est désigné par l’acronyme HY80).
Les normes environnementales se sont considérablement durcies ; elles imposent par exemple de procéder aux dernières opérations en cale sèche, ce qui élimine nombre de sites. Pour évacuer les déchets ou les matériaux, il faut également disposer d’un réseau routier ou ferroviaire de bonne qualité.
L’administration maritime déplore le manque d’anticipation de la fin de vie des bâtiments civils, ce qui reporte le problème et finira par représenter des dépenses importantes. En l’absence de décision politique forte, on tente de prolonger la durée de vie des bâtiments fédéraux civils, la faisant passer de 20 à 50 ans en moyenne.
4. Les capacités industrielles : de l’artisanat à la gestion de processus complexes
Le rapporteur s’est rendu à Brownsville au Texas pour visiter le chantier d’International Shipbreaking Limited et à Anniston en Alabama pour visiter la base de l’armée de terre abritant les installations de démantèlement des munitions et des missiles.
a) Le chantier d’International Shipbreaking Limited
Installée à Brownsville au Texas, à la frontière mexicaine, l’entreprise International Shipbreaking Limited démantèle exclusivement des navires et notamment des navires militaires.
Les 250 employés traitent environ 50 000 tonnes par an dont 24 000 tonnes d’acier. Le site accueille actuellement quatre bâtiments en même temps mais il est en mesure d’en traiter plus (un maximum de huit navires en même temps a déjà été atteint). Les responsables de l’entreprise ont un objectif de 10 000 à 12 000 tonnes d’acier par mois, soit 120 000 à 144 000 tonnes par an. La France doit en comparaison traiter un flux annuel de l’ordre de 10 000 tonnes.
Les infrastructures permettent d’accueillir en toute sécurité des bâtiments de grande taille (y compris un porte-avions). Pour ce faire, un canal artificiel a été creusé (le golfe du Mexique se situant à environ 12 miles). Cette construction donne plus de souplesse aux chantiers qui contrôlent parfaitement le niveau de l’eau, évitant les risques liés aux crues ; cela minore les contraintes environnementales : le site étant artificiel, il n’a pas à respecter la faune et la flore préexistantes.
Le site dispose par ailleurs de connexions routières et ferroviaires de bonne qualité permettant de transporter facilement les matières retirées des navires.
Lorsque la marine souhaite démanteler un navire, l’entreprise le prend en charge à partir de son point de stationnement. Le transport jusqu’à Brownsville est à la charge d’International Shipbreaking qui fait alors appel à un sous-traitant spécialisé.
Il n’y a pas de transfert de propriété ; il n’intervient que pour les pièces et le métal démantelé : jusqu’à la fin des opérations de déconstruction, le navire reste la propriété de la marine, ce qui l’autorise à contrôler à tout moment le chantier. International Shipbreaking n’achète pas les navires : la marine la paie un penny pour le démantèlement, le gain pour l’entreprise étant tiré de la revente des matériaux. L’entreprise estime que 94 à 96 % d’un navire militaire peut être recyclé. Lorsque le cours de l’acier ne suffit pas à couvrir les coûts de démantèlement, la marine finance une partie de l’opération. À l’inverse lorsque les cours sont favorables, elle cède le navire pour un penny symbolique.
Il semble qu’il n’existe pas de cartographie des matériaux composant les navires militaires : l’expérience des responsables de l’entreprise, qui ont exercé des responsabilités dans la marine auparavant, est dès lors déterminante. Trois personnes détiennent cette expertise, le reste des employés, pour la plupart mexicains, exerçant des fonctions à faible valeur ajoutée.
Les navires ne sont pas nécessairement démilitarisés lorsqu’ils arrivent sur le site : c’est le prestataire qui effectue ces opérations. Pour cela, il a été certifié par la marine. Seuls deux sites disposent de cet agrément. À tout moment, la marine ainsi que l’agence fédérale de l’environnement (Environmental Protection Agency – EPA) peuvent contrôler le site. Un inspecteur de la marine est d’ailleurs spécifiquement attaché au site.
À l’arrivée d’un bâtiment, un état des lieux est réalisé, puis le navire est démilitarisé et progressivement démantelé, la dernière étape nécessitant d’échouer la coque.
L’entreprise a récemment été rachetée par EMR USA (43) ; des discussions avaient été ouvertes avec Veolia. Le rapporteur ne dispose d’aucun élément sur leur contenu ni sur leur champ.
b) L’unité de démantèlement des missiles d’Anniston
L’unité de démantèlement des missiles installée à Anniston relève de l’armée de terre et plus spécifiquement du commandement interarmées des munitions. Sur l’ensemble du territoire, il existe huit sites de ce type (bientôt seulement sept sites). Ces unités sont en charge de la destruction de quelque 600 000 tonnes de munitions conventionnelles et d’environ 550 000 tonnes de missiles et de leurs composants. Si la destruction par détonation ouverte ou par combustion ouverte reste la méthode le plus simple et la moins coûteuse, elle se heurte de plus en plus aux contraintes environnementales.
Le site emploie actuellement 146 personnes relevant du ministère de la défense (essentiellement des civils) ; il fait intervenir de nombreux sous-traitants (environ 7 000 contractants pour tout le site, c’est-à-dire incluant les prestataires pour la remise à niveau des engins blindés). Si les prestataires effectuent les opérations proprement dites, ils restent sous le contrôle et la surveillance des fonctionnaires de la défense. Cette organisation assure une sécurité élevée et permet d’utiliser au mieux les structures existantes. Le sujet reste en effet délicat à traiter avec les populations locales ; il importe donc de travailler en collaboration pour limiter les risques.
Le ministère a décidé de rationaliser les procédures et de partager les bonnes pratiques. Si le site d’Anniston traite essentiellement de munitions de l’armée de terre, il est aussi amené à prendre en charge des munitions venant des autres armées. Dans les années à venir, il va falloir démanteler des missiles complexes comme les MLRS (44) (même si les États-Unis n’ont pas signé la convention d’Oslo prévoyant leur destruction). Environ 60 000 MLRS seront à détruire en 2012. Pour les autres missiles, il est difficile de prévoir au-delà de 2013 les stocks à détruire, la durée de vie de chaque missile étant réévaluée tous les dix ans. L’absence de signature du traité d’Oslo ne permet pas, à ce stade, le démantèlement de missiles étrangers aux États-Unis.
Les responsables du site ont souhaité mettre l’accent sur deux installations spécifiques :
- la chaîne manuelle de démantèlement des missiles TOW. 98 % du poids total du missile peut être recyclé avec une forte valeur ajoutée pour le métal ; seuls les éléments de propulsion et la batterie posent problème. Cette dernière comprend en effet des matériaux dangereux particulièrement coûteux et difficiles à traiter.
Les gains tirés de la revente du métal des TOW reviennent à l’armée de terre en vertu d’une disposition législative spécifique qui dispose que ces sommes doivent être réinvesties dans des opérations de recyclage. Si au bout de cinq ans l’armée n’a pas consommé ces crédits, ils reviennent au budget fédéral ;
- la future chaîne robotisée de démantèlement des MLRS. Les opérations de démantèlement doivent commencer en 2014. À ce jour, trois usines sont en mesure de traiter ces missiles : deux usines fédérales et une usine achetée par General Dynamics à une entreprise allemande. Des négociations ont été engagées avec la NAMSA afin de mutualiser et de partager les connaissances, mais ces ouvertures ont échoué.
Le contrat de démantèlement des MLRS à Anniston porte sur plus de 80 000 missiles avec une option supplémentaire de 58 000, avec un traitement annuel de 12 000 à 16 000 missiles. Compte tenu de la durée du contrat, il est primordial de s’appuyer sur des sous-traitants solides et fiables.
Des travaux sont en cours pour maximiser le recyclage notamment des propulsifs. En revanche, le choix de la destruction est déterminant : une destruction à ciel ouvert (open burn ou open detonation) coûte 0,5 à 2 dollars par livre d’explosif. Le recyclage coûte quant à lui de 3,5 à 20 dollars la livre.
Au total, le démantèlement d’un missile coûte environ 1 000 dollars quand la NAMSA fait état d’environ 700 à 800 euros (soit un montant équivalent).
Le démantèlement de MLRS européennes aux États-Unis se heurterait au coût du transport et aux difficultés de certification et de sécurité des bâtiments de transport.
C. L’EXEMPLE BRITANNIQUE : LA CENTRALISATION POUR LA RENTABILITÉ
Le Royaume-Uni a choisi de confier la fin de vie de tous les équipements à une agence unique : la Disposal Services Authority (DSA). Ses 88 personnels sont en charge à la fois de la vente des équipements sur le marché de l’occasion et des opérations de déconstruction.
Pour la déconstruction, la DSA cherche à maximiser la réutilisation et le recyclage ; les pertes nettes, c’est-à-dire les éléments devant être détruits, sont réduites le plus possible. Le tableau ci-après présente les volumes traités par la DSA depuis 2007 : il montre que le pourcentage d’éléments perdus est en constante diminution.
Traitement des matériels en fin de vie par la DSA | |||
(en tonnes) | |||
|
2007-2008 |
2008-2009 |
2009-2010 |
Volume collecté |
49 940 |
55 512 |
43 677 |
Volume réutilisé |
26 627 |
23 700 |
23 780 |
Volume recyclé |
20 240 |
30 236 |
19 685 |
Pertes (éléments à détruire) |
3 038 |
2 233 |
964 |
Soit |
6,08 % |
4,02 % |
2,21 % |
Source : Disposal Services Authority. |
Cette politique volontariste repose sur des partenariats pragmatiques conclus par la DSA avec l’ensemble des acteurs concernés. Dès le retrait du service décidé par les autorités militaires d’emploi, la propriété et la responsabilité du matériel sont transférés à la DSA. L’agence dispose d’une situation monopolisitique en la matière : le ministère de la défense ne peut pas directement faire appel à des partenaires privés, il doit passer par la DSA. Cette exigence ne s’applique pas aux autres ministères : ils peuvent passer par la DSA, charge à cette dernière de les en convaincre. L’agence a en effet intérêt à traiter le plus de matériels possibles de façon à réaliser des économies d’échelle.
Les équipements collectés sont alors stockés dans l’attente soit de leur revente (cf. infra), soit de leur déconstruction. Cette étape doit être réduite au minimum : le stockage est souvent coûteux d’autant qu’il faut assurer une maintenance minimale voire assurer le maintien des capacités opérationnelles de l’équipement. La DSA a pour cela signé des partenariats avec les industriels spécialistes des matériels. Ils connaissent parfaitement les équipements et sont donc à même de les stocker et de commencer à les traiter dans les meilleures conditions. À ce stade, il s’agit soit de supprimer sur les équipements les références aux armées britanniques, d’en retirer les éléments dangereux, soit de les placer dans une position d’attente satisfaisante au regard des exigences opérationnelles.
2. Le démantèlement comme source de revenus
Pour le démantèlement, la DSA en maximise la rentabilité en revendant tous les éléments possibles. Cela suppose un traitement initial destiné à identifier les composants de l’équipement et à établir une cartographie précise des matériaux dangereux. Ce diagnostic permet de savoir ce qui a de la valeur et qui peut être revendu. Pour les matériaux dangereux, la DSA est responsable de leur identification et doit s’assurer qu’elles sont prises en charge par des prestataires qualifiés. La DSA dispose pour cela de chantiers propres qui abritent ce travail d’expertise. À Porthmouth, on retire les matériels les plus dangereux et on veille au traitement de l’amiante. Le site de Liverpool abrite des opérations plus lourdes de déconstruction.
Jusqu’à la création de la DSA dans les années 1990, chaque armée menait sa propre politique en la matière, ce qui empêchait d’une part de créer des synergies, et d’autre part, de disposer d’une vue d’ensemble à l’échelle du ministère. Cette politique permet à la DSA de dégager des revenus non négligeables.
Le tableau ci-après présente les gains engrangés par la DSA grâce à la valorisation des matériels démantelés.
Revenus tirés de la vente des matériels ou composants démantelés | |||||
(en millions d’euros) | |||||
2006-2007 |
2007-2008 |
2008-2009 |
2009-2010 | ||
Matériels militaires |
Revenus nets |
16,03 |
11,48 |
21,04 |
15,11 |
Revenus bruts (1) |
19,45 |
20,98 |
23,46 |
22,74 | |
Coûts de démantèlement |
3,13 |
3,18 |
2,78 |
2,95 | |
Autres matériels |
Revenus nets |
1,46 |
0,76 |
0,59 |
0,33 |
Revenus bruts (1) |
2,26 |
1,00 |
0,85 |
0,51 | |
(1) avant rémunération des intermédiaires. | |||||
Source : Disposal Services Authority. |
Ces gains ne sont pas reversés au budget général de l’État ; ils restent au ministère de la défense. C’est une incitation supplémentaire à maximiser la rentabilité de la fin de vie des équipements. Le recours à des opérateurs industriels est nécessaire et utile : ils interviennent dans des domaines spécifiques pour lesquels la DSA n’a pas intérêt à développer de capacités propres. À ce jour, cette activité industrielle représente environ 300 emplois pour une douzaine d’entreprises. Ces opérateurs travaillent également dans le domaine civil, surtout pour les matériels terrestres.
Les dépenses nettes correspondent pour l’essentiel à l’élimination des déchets. Ces composants sont enfouis ou incinérés selon les normes en vigueur, ces opérations étant confiées à des spécialistes du domaine, c’est-à-dire à des grandes sociétés de traitement des déchets. L’incinération apparaît souvent comme la solution la moins coûteuse mais elle pose des problèmes par rapport à l’environnement et parce qu’il n’existe pas nécessairement des capacités industrielles suffisantes en la matière.
3. Une application pragmatique des normes environnementales
Les responsables de la DSA ont souligné la proximité des situations au Royaume-Uni et en France : les équipements sont similaires et les deux pays sont soumis aux mêmes normes communautaires en matière d’environnement. Pour autant, le Royaume-Uni considère que la France a interprété de façon très restrictive la réglementation : rien n’interdit en effet de confier à une entreprise ressortissant d’un autre État de l’Union, voire de l’OCDE, les opérations de déconstruction d’équipements militaires. Le Royaume-Uni vient par exemple de confier à une entreprise turque la fin de vie de son porte-avions HMS Invincible.
La DSA souligne que ce choix s’est fait après une analyse poussée des capacités des chantiers turcs qui répondent désormais aux meilleurs standards internationaux. Par ailleurs, il n’est pas envisagé ni envisageable de confier de telles opérations à n’importe quelle société et il n’est pas possible d’envoyer ces équipements dans des pays non membres de l’OCDE et non signataires de la Convention de Bâle.
Des discussions sont actuellement en cours pour organiser le démantèlement des munitions complexes. La DSA n’est pas directement en charge de ce dossier, le ministère privilégiant à ce stade des échanges avec les fabricants et notamment avec des fournisseurs norvégiens.
4. Le traitement comptable de la fin de vie au Royaume-Uni
Le traitement comptable des actifs de la défense est particulièrement abouti au Royaume-Uni. Tous les actifs de la défense sont intégrés dans la comptabilité de l’État, ce qui a demandé initialement de tous les recenser et de les valoriser. Ce travail est désormais systématisé avec une logique d’amortissement annuel de 3,5 %, soit un amortissement sur 28 ans. La valorisation initiale d’un bien est déterminée par l’équipe en charge du projet. Cette opération est relativement bien maîtrisée et ne semble pas poser de difficulté à ce stade.
L’amortissement et surtout la prise en compte de la fin de vie sont plus délicats. L’amortissement n’a pas d’impact sur les liquidités du ministère mais il est difficile d’afficher une réduction constante de la valeur des actifs du ministère dans un contexte budgétaire contraint. Par ailleurs, il est difficile de mettre en place un amortissement optimal lorsque le comptable ne dispose pas des informations adéquates sur la durée de vie de l’équipement. Un système commun à tous les véhicules a par exemple été acquis avec une durée de vie prévisionnelle de 12 ans. Cependant après trois ans d’utilisation, il est apparu obsolète et il a fallu le remplacer. Pour ne pas interrompre le processus d’amortissement, il a été décidé que les nouveaux matériels seraient amortis sur 9 ans, c’est-à-dire qu’au terme des 12 années initialement prévues les matériels en service seraient totalement amortis. Dans le même temps, les matériels retirés du service font l’objet d’une revente ou d’une maximisation de leur démantèlement.
Le provisionnement de la fin de vie est difficile car les équipes en charge du lancement d’un équipement ne sont pas capables de définir les charges liées au démantèlement. À ce jour, il n’est pas obligatoire de prévoir le démantèlement lors de la conception de l’équipement, ni dans ses processus ni dans ses coûts. Ce travail n’est fait qu’informellement par les armées ; il n’est retracé dans aucun compte et aucune provision pour risque n’apparaît. Des réflexions sont engagées pour améliorer ce point. La difficulté est liée en grande partie aux équipements nucléaires, le Royaume-Uni ayant à traiter prochainement 25 sous-marins nucléaires.
Comme le soulignent les responsables du National Audit Office, le système comptable est aujourd’hui satisfaisant dans sa conception, sous réserve de l’intégration prochaine des provisions pour le démantèlement. Grâce à cet outil, le Parlement dispose d’un état des lieux très précis des actifs de la défense et peut voter le budget en toute connaissance de cause. En revanche, les services opérationnels du ministère ne se sont pas encore approprié l’outil comptable : il n’y a pas encore de concordance entre les demandes des armées, les disponibilités financières et l’inscription comptable. En d’autres termes, le cycle de vie n’est pas appréhendé globalement : les questions opérationnelles, financières et comptables sont toutes maîtrisées mais de façon parallèle et non transverse.
D. L’EXEMPLE ALLEMAND : « PRENDRE DES ÉPÉES POUR EN FAIRE DES SOCS DE CHARRUES » (45)
Lors de son déplacement en Allemagne, le rapporteur s’est particulièrement intéressé aux solutions dégagées par nos voisins pour prendre en charge l’armée de l’ancienne république démocratique d’Allemagne (RDA). Au contexte de la réunification s’ajoutaient les stipulations du traité sur les forces armées conventionnelles en Europe. Signé le 19 novembre 1990, le traité s’applique « aux pays membres de l’OTAN et à ceux qui appartenaient au Pacte de Varsovie ». Chaque partie « s’engage à limiter, voire réduire, certains types d’armements afin de rendre impossible toute possibilité de lancer une attaque par surprise ou d’amorcer des opérations offensives à grande échelle. Cinq catégories d’armes sont prises en considération : chars, véhicules blindés, artillerie, avions de combat et hélicoptères » (46).
1. Les matériels de l’armée de l’ex-RDA
Le volume de matériels à éliminer, par démantèlement ou destruction, est très important. Le tableau ci-après présente l’état du parc allemand au début des années 1990.
Matériels militaires à éliminer en Allemagne au début des années 1990 | ||
Matériel concerné |
Total à éliminer |
Dont part issue de l’armée de l’ex RDA |
Avions de combat |
140 |
140 |
Chars de bataille |
2 566 |
1 914 |
Véhicules de combat blindés |
4 257 |
4 145 |
Armes d’artillerie |
1 632 |
1 344 |
Source : ministère fédéral allemand de la défense. |
Outre ces équipements lourds, il a fallu traiter plus de 300 000 tonnes de munitions ainsi que de nombreux équipements civils comme des poids lourds ou des engins de chantier.
Au total, le démantèlement des matériels de l’ex RDA a nécessité environ 917 millions d’euros dont 440 millions d’euros pour les munitions, carburants et explosifs, 121 millions d’euros pour le gardiennage et le stockage, 71 millions d’euros pour l’élimination des déchets et des matières résiduelles et 25 millions d’euros pour les matériels spécifiquement visés par le traité FCE. Parallèlement la vente de ces équipements a permis de dégager environ 180 millions d’euros de recettes, soit un ratio de 11 %.
Cet effort conséquent a permis d’apurer les stocks dans un délai rapide puisque comme le montre le tableau suivant, le volume des matériels réformés en 1996 dépasse les objectifs initiaux.
Matériels militaires réformés en 1996 | |
Matériel |
Volume réformé |
Matériels aéronautiques |
767 |
Chars de bataille |
2 761 |
Véhicules blindés |
9 467 |
Armes d’artillerie |
2 199 |
Bâtiments et vedettes |
208 |
Véhicules à roues |
Environ 133 900 (1) |
Munitions |
Environ 303 000 tonnes |
Liquides dangereux |
Environ 62 535 tonnes |
Armes portatives (armes d’infanterie) |
Environ 1,376 million |
Habillement et équipements personnels |
Environ 19 000 tonnes |
Matériel de santé |
Environ 15 600 tonnes |
(1) L’armée allemande comptait à cette date 160 000 hommes. Source : ministère fédéral allemand de la défense. |
Ce résultat a été atteint sans que les exigences environnementales n’aient été revues à la baisse. Ces contraintes expliquent d’ailleurs pour l’essentiel le montant des dépenses nécessaires. Sur le plan politique et médiatique, le démantèlement a été très bien perçu, d’autant que certains matériels ont été donnés à des collectivités locales, à des organismes de sécurité civile ou de bienfaisance comme la Croix Rouge. La formule alors utilisée par la presse mettait en avant l’évolution positive consistant à « prendre des épées pour en faire des charrues ».
Cette politique d’ensemble n’a toutefois pas permis de créer beaucoup d’emplois. Les entreprises qui ont traité ces équipements restent de taille modeste, de l’ordre de 50 à 100 personnes au plus. L’activité apparaissant peu pérenne, peu de sociétés se sont constituées pour répondre spécifiquement à cette offre.
2. La fin de vie des matériels militaires dans les années 2000
À partir de 2000, la Bundeswehr s’est engagée dans un nouvel exercice visant à adapter ses matériels à ses nouvelles missions. Contrairement aux matériels issus de l’ex-RDA, la réforme concernait cette fois des équipements modernes et correspondant aux normes de l’OTAN, c’est-à-dire des équipements réutilisables par d’autres armées. L’objectif économique a été identifié très rapidement ; il fallait minimiser les coûts de démantèlement et de stockage et procéder au plus vite soit à la vente soit à l’élimination. Le tableau ci-après présente les volumes de matériels déjà traités.
Matériels militaires réformés depuis 2000 | |
Matériel |
Volume réformé |
Matériels aéronautiques |
400 |
Chars de bataille |
1 238 |
Véhicules blindés |
2 676 |
Bâtiments et vedettes |
94 |
Véhicules à roues |
41 984 |
Munitions |
63 195 tonnes |
Armes portatives (armes d’infanterie) |
63 0825 |
Habillement et équipements personnels |
Environ 185 tonnes |
Matériel de santé |
Environ 2 250 tonnes |
Source : ministère fédéral allemand de la défense. |
Il ne faudrait cependant pas considérer que la fin de vie des matériels militaires peut être bénéficiaire : les coûts de démantèlement de certains équipements sont particulièrement importants. Selon la direction générale de l’armement allemande, le bilan est au mieux équilibré, la revente permettant de couvrir les autres dépenses.
Créée dans les années 1950 l’agence fédérale de récupération VEBEG est chargée de gérer les stocks des matériels des forces alliées de la Seconde guerre mondiale. Avec la réunification, elle prend en charge une part conséquente du démantèlement des équipements militaires de l’ex-RDA. Aujourd’hui elle est en charge de la fin de vie de tous les équipements militaires retirés du service qui peuvent avoir une utilité civile.
L’Allemagne a en effet choisi de distinguer parmi les équipements détenus par les armées ceux qui ont un usage strictement militaire et ceux qui ont une utilité duale. Dans le premier cas, la fin de vie, incluant une éventuelle revente sur le marché de l’occasion, reste de la responsabilité exclusive du ministère de la défense au travers de sa direction générale de l’armement. Dans le second cas, le matériel est remis à la VEBEG, charge à elle de procéder à la destruction ou à la revente.
Cette agence est une société de droit privée avec un conseil de surveillance présidé par le directeur général de l’armement. L’État fédéral détient 100 % de son capital et ses recettes sont intégralement reversées au budget de l’État. En 2009, elle a ainsi engrangé quelque 47 millions d’euros de recettes.
b) Pour les matériels de guerre
Pour les matériels relevant de la catégorie des matériels de guerre, la direction générale de l’armement (BWB) et plus particulièrement les sous-directions II et III gardent la main. La première est en charge de la « désaffectation et de l’aliénation des matériels militaires » ; la seconde des « activités internationales d’armement ».
Pour le démantèlement, le ministère fait appel à des opérateurs privés certifiés et étroitement contrôlés. Le rapporteur a eu l’opportunité de visiter le site de l’entreprise Battle Tank Dismantling GmbH Koch situé à Rockensußra en Thuringe. Depuis sa création en 1991, l’entreprise a traité près de 16 000 véhicules terrestres. Pour pouvoir stocker des matériels militaires, l’entreprise a obtenu une certification et fait l’objet de contrôles permanents de la part des autorités fédérales.
Le démantèlement d’un char s’opère généralement en 16 étapes allant de la réception des véhicules à la commercialisation des déchets récupérables en passant par le démontage de tous les composants et la destruction de tous les éléments militaires sensibles. La déconstruction totale d’un char représente entre deux et trois jours d’activité. Cette activité permet aujourd’hui de faire vivre une trentaine d’employés, essentiellement des ouvriers sidérurgistes et des mécaniciens. Lors de la visite, les responsables de la société ont souligné l’importance et les contraintes induites par le transport des chars. Les déplacer de leur lieu d’utilisation jusqu’à l’usine de démantèlement représente souvent le coût le plus important, plus que les opérations de déconstruction proprement dites. Cet élément est déterminant car il montre que l’activité de démantèlement terrestre ne peut pas être regroupée sur un seul site ; elle doit rester régionale, sauf à générer des coûts exorbitants de transport.
Pour faciliter le traitement et la valorisation des matériaux issus de la déconstruction, la société est devenue en 2006 une filiale du groupe international Scholz AG (47), spécialiste du recyclage de la ferraille acier et de la ferraille métallique.
TROISIÈME PARTIE : LA FRANCE SE PRIVE DU LEVIER D’INFLUENCE QU’EST L’EXPORTATION
DE MATÉRIELS D’OCCASION
L’Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis exportent leurs matériels d’occasion dans des quantités plus importantes et de façon plus systématique que la France. Notre pays est présent sur ce marché mais de façon relativement modeste, pour des raisons d’organisation, de gestion des matériels mais également de réglementation. Le changement de format des armées peut être l’occasion de dynamiser son offre.
I. — TROIS ÉLÉMENTS DE COMPARAISON INTERNATIONALE
Au cours de ses travaux, le rapporteur s’est plus particulièrement intéressé à l’organisation allemande, britannique et américaine.
En sus du démantèlement, les Allemands ont facilité la revente sur le marché de l’occasion de certains matériels comme des poids lourds ou des chars Léopard 2. Ce char est un bon exemple d’une politique efficace d’exportation : comme le montre le tableau suivant, les armées allemandes avaient un surplus de 1 651 chars et ont réussi à en revendre 1 525 à d’autres pays.
Réforme du Léopard 2 | |
Nombre total de chars Léopard 2 dans l’armée de terre en 2000 |
2 123 |
Besoin opérationnel de chars Léopard 2 à la fin de l’année 2010 |
350 |
Besoins divers (travaux de modification, réserve pour l’armée de terre, direction de l’armement) |
122 |
Surplus |
1 651 |
Cession à des industriels (notamment pour de la cannibalisation) |
116 |
Cession à des musées |
10 |
Cession à d’autres pays |
1 525 |
Source : ministère fédéral allemand de la défense. |
Cette politique de revente est donc un succès : l’Allemagne a vendu des chars supplémentaires à des pays qui en étaient déjà dotés mais elle a aussi équipé des pays qui disposaient d’autres types de matériels comme la Pologne. Au total, pas moins de 15 pays ont ainsi été livrés. En général, cette vente est globale, c’est-à-dire qu’elle comprend les chars mais aussi des pièces de rechange, des outils de simulation, des sessions de formation… Cette politique de ré-export constitue un outil diplomatique très fort et renforce l’influence allemande dans le monde. Elle a notamment permis à l’Allemagne de contribuer à la restructuration des armées de l’Europe de l’Est.
En 2009, l’ensemble des ventes sur le marché de l’occasion a généré plus de 270 millions d’euros de recettes. Pour la période allant de 2000 à 2009, cette pratique a permis de dégager plus de 1,35 milliard d’euros.
Pour l’export sur le marché de l’occasion, la procédure se déroule sous le contrôle de la BWB et s’articule généralement en 14 étapes. L’État intéressé adresse une demande au bureau compétent au ministère de la défense qui vérifie que le produit demandé est disponible. Après de premiers contacts ministériels, le BWB détermine une valeur de cession et demande les autorisations de vente aux autorités compétentes (qui peuvent varier en fonction du matériel et du pays concerné). Le produit est alors réservé pour le client potentiel qui reçoit une offre. Une fois l’offre acceptée, le ministère de la défense rédige un ordre de cession, charge à la BWB de rédiger le contrat qui précise notamment la destination finale du produit. Le contrat est alors soumis pour validation à l’office fédéral de l’économie et de contrôle de l’exportation puis signé par les parties. Le BWB est alors responsable de l’exécution du contrat, c’est-à-dire de la livraison, de la facturation… Les prestations de soutien annexes fournies par l’industriel sont négociées en parallèle et n’entrent pas dans le champ de compétence du ministère.
Les Britanniques, de leur côté, ont choisi de créer une agence en charge de la valorisation des matériels retirés du service actif, la Disposal Service Authority (DSA). L’objectif est de diminuer au maximum les coûts de fin de vie en valorisant ce qui peut l’être : extraction de pièces détachées, recyclage de métaux et, bien évidemment, revente à des acheteurs étrangers. La DSA publie en ligne l’état du stock des matériels à vendre, avec généralement leur prix de vente, ce qui permet à tout acheteur de passer commande, y compris de nombreux collectionneurs.
D’après les éléments communiqués au rapporteur, la DSA est parvenue à vendre la moitié des matériels navals qui lui ont été confiés, dont, par exemple, trois vaisseaux au Bangladesh, ou un au Chili. Les bâtiments revendus ont généralement un âge compris entre 17 et 18 ans, ce qui relativement jeune.
La DSA coordonnée une véritable stratégie d’exportation des matériels d’occasion. La vente de trois aéronefs de transport Hercules à l’Australie participe ainsi d’une démarche de pénétration de marché, visant à positionner les constructeurs britanniques pour des prochaines commandes de matériels neufs, notamment d’avions de combat. C’est véritablement l’équipe « Royaume-Uni » qui est mobilisée. La répartition des tâches entre civils et militaires est souple, les premiers ayant naturellement vocation à gérer des ventes, tandis que les seconds sont volontiers mobilisés pour les porter. En outre, des partenariats avec des revendeurs privés sont souvent conclus, avec un partage des bénéfices entre la DSA et ces entreprises.
La DSA semble avoir généré des gains de près d’un milliard d’euros sur la période s’étalant de 1994 à 2007.
Aux États-Unis, la politique d’exportation de matériels d’occasion est soumise aux mêmes règles que les équipements neufs (ITAR). Il existe principalement deux procédures de cessions.
Les procédures de vente dites FMS (Foreign Military Sales) peuvent être également utilisées pour les produits d’occasion. La part de l’occasion est non négligeable, évaluée à un peu moins d’un milliard de dollars par an, montant qu’il convient de relativiser, les ventes FMS représentant près de 60 milliards de dollars chaque année.
Il s’y ajoute un certain nombre de cessions de matériels excédentaires, effectuées dans le cadre de la procédure dite EDA (Excess Defence Article). Gérés par la DLA, ces articles sont très nombreux, mais généralement de faible valeur commerciale et sont cédés par FMS ou, plus généralement, à titre gracieux. Il s’agit principalement d’armements de petit calibre. Un rapport de l’inspection générale du ministère de la défense américain (48) a ainsi relevé qu’entre octobre 2001 et mars 2006, 321 000 articles avaient été transférés à des gouvernements étrangers, pour une valeur initiale d’acquisition de moins de 300 millions de dollars (ce qui correspond à une valeur moyenne de 1 000 dollars par article).
Si l’ensemble de ces cessions représente des montants relativement faibles, il s’agit avant tout d’un levier de coopération et de pénétration de marché. Ainsi, après une mise en concurrence ayant notamment impliqué Saab et le consortium Eurofighter, la Roumanie a annoncé en mars 2010 opter pour l’acquisition de 24 avions de combat américain F-16 d’occasion. La presse a fait état d’un contrat d’une valeur de près de 1,3 milliard d’euros, montant finançant essentiellement une assistance technique américaine, la formation de pilotes, ainsi que l’acquisition de simulateurs et de munitions. La cession des avions en elle-même représenterait un coût faible, voire nul. À travers cette opération, les Américains souhaitent accompagner le processus d’intégration de la Roumanie dans l’OTAN, mais ils veulent également s’implanter sur ce marché. De fait, les autorités roumaines ont également annoncé envisager l’acquisition de 24 appareils neufs du même modèle, puis, à plus long terme, de 24 F-35 (49).
II. — LE MARCHÉ FRANÇAIS : DES VOLUMES MODESTES MAIS UN POTENTIEL IMPORTANT
Il est difficile de cerner précisément les volumes concernés par l’exportation. Il s’agit en effet d’un marché d’opportunité, qui dépend des stocks que libèrent les armées, de leur état, de la possibilité d’anticiper, et, bien évidemment, des besoins d’autres États partenaires.
A. UN MARCHÉ STRATÉGIQUE OÙ LA FRANCE EST PEU PRÉSENTE
Très différent du marché de l’armement classique, le marché de l’occasion intéresse principalement deux types de clients : les États disposant de moyens limités et ne pouvant s’équiper de matériels neufs d’une part, ainsi que, d’autre part, les États souhaitant se doter de capacités intérimaires d’occasion mais disposant de moyens permettant l’acquisition ultérieure ou parallèle d’équipements neufs.
Le Bangladesh, les Philippines mais aussi des pays africains ou d’Amérique latine ont l’habitude de s’approvisionner quasi exclusivement sur le marché de l’occasion. Les cessions sont généralement de montants modérés. Pour la France, il s’agit certes de céder des matériels dont la possession n’est plus justifiée, mais aussi, le plus souvent, d’accompagner un pays ami, dans une démarche éminemment politique. Ainsi, si le prix des cessions peut être souvent faible, elles sont généralement d’un intérêt politique supérieur. Par exemple, chacun comprendrait aujourd’hui l’utilité de céder à nos alliés du Sahel du matériel permettant à leurs forces armées et de sécurité de renforcer la surveillance de leurs territoires. Aux économies permises par la cession de matériels devenus inutiles, il faut donc ajouter l’atout politique et stratégique que peut revêtir chaque cession.
En dépit de moyens bien supérieurs, d’autres pays ont choisi de se doter de nouvelles capacités en se fournissant sur le marché de l’occasion (Pologne, Roumanie, Brésil, etc.). Mais, dans leur cas, cela n’exclut pas l’achat de matériels sur le marché des équipements neufs, dont la France demeure l’un des principaux acteurs. Hormis des cessions d’opportunité, ponctuelles, l’objectif pour notre pays est donc différent : à la fois politique et commercial, il consiste à « prendre pied » sur un marché dans une perspective de long terme. Céder des matériels à ces pays, y compris lorsque le marché est conclu à un prix reflétant le niveau d’amitié entre les deux pays, permet non seulement de diffuser l’excellence des technologies françaises, mais aussi d’espérer accompagner ces cessions de contrats de MCO, de les assortir de prestations de formations, de mettre en avant l’interopérabilité des matériels anciens avec les gammes neuves. L’ensemble permet une promotion à haut niveau et soutenue dans le temps du savoir faire français. Cela ménage un environnement de négociation naturellement plus favorable lorsqu’il s’agira d’aborder la conclusion de contrat pour des matériels neufs : des équipes françaises se trouveront sur place depuis plusieurs années pour accompagner le client dans la formulation de son besoin opérationnel et pourront, en temps réel, contribuer à l’adaptation de l’offre française aux besoins du client. Il s’agit ici du second type de partenariat que permet la cession de matériels d’occasion. Il s’est illustré notamment dans le cas du rapprochement avec le Brésil, auquel la France a cédé de nombreux équipements au cours des années 2000, y compris des systèmes d’armes dimensionnants tels que le porte-avions Foch vendu en 2000 et rebaptisé depuis le Sao Paulo ou encore 12 avions de combat Mirage 2000 en 2005. La France poursuit aujourd’hui ses efforts vers d’autres pays, tels que le Kazakhstan.
Contrairement aux matériels neufs, les équipements d’occasion créent peu de difficultés de mise en service, ne demandent pas forcément de développer une chaîne logistique nouvelle et surtout les acheteurs connaissent exactement leurs capacités sans avoir besoin de procéder à des tests opérationnels. Il s’agit simplement de maîtriser le MCO des matériels en question, ce qui n’est pas toujours acquis s’agissant des systèmes d’armes les plus sophistiqués.
B. LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES
L’arrêté du 16 novembre 2005 (50) fixe les limites des compétences de directeurs d’administrations centrales du ministère de la défense. Les services de soutien ont une délégation de pouvoir pour signer toute cession de matériels à titre onéreux. Seul le ministre a le pouvoir de signer une cession à titre gratuit. Ministre et services de soutien ont donc la main sur la décision finale.
Généralement, la décision de cession est prise à la suite du travail de la DGA, dont la direction du développement international (DDI) a la charge de la prospection et de la négociation des contrats d’exportation. La décision d’exporter un matériel suppose tout d’abord la convergence d’une offre et d’une demande. Sauf exception, ni l’une ni l’autre n’apparaissent spontanément. La DDI dispose de l’expertise nécessaire pour identifier les besoins, voire les susciter en amont. Au même titre que pour l’achat de matériels neufs, le client doit identifier et préciser son besoin, afin de l’inscrire dans ses budgets. La vente requiert l’accord des armées : se séparer d’un matériel ne doit pas entamer leur capacité à répondre au contrat opérationnel, ni à l’instant examiné, ni à l’avenir, ce qui suppose un maximum de visibilité sur le renouvellement des matériels. Il aurait par exemple été fâcheux de céder des avions de transport Transall ces dernières années compte tenu des incertitudes entourant la livraison de l’A400M.
Elle implique enfin l’accord des acteurs gouvernementaux représentés en commission interministérielle pour l’étude des exportations des matériels de guerre (CIEEMG), qui adresse un avis motivé au Premier ministre pour la délivrance des agréments préalables ainsi que des autorisations d’exportation. En particulier, les services du secrétaire général pour la défense et la sécurité nationale (SGDSN) sont chargés de coordonner le ministère des affaires étrangères et européennes, les représentants du ministère de la défense (EMA, DAF, DGA), ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, voire, selon les dossier examinés, d’autres ministères.
C. QUELLE PERTINENCE ÉCONOMIQUE POUR LE MARCHÉ DE L’OCCASION ?
Si l’ensemble de ces conditions juridiques est réuni, se pose la question de la pertinence économique d’une intervention sur le marché de l’occasion. Les gains attendus sont directs (produit de la cession) et indirects (annulation des coûts de MCO, généralement croissants en fin de vie, ainsi que des coûts de démantèlement). Cela signifie qu’une cession à titre gratuit peut être une source d’économie.
Ces gains doivent être mis au regard des coûts de la cession. Ils se composent systématiquement des coûts de prospection, de négociation, de transport, et ils incluent généralement la remise en état des matériels, croissante à mesure qu’ils ont perdu en potentiel. Il faut également tenir compte, pour les matériels les plus anciens, des dépenses occasionnées par le recensement des matières dangereuses. Il s’agit de les cartographier pour délivrer un « passeport vert » indispensable à l’exportation, sauf à pouvoir conclure un accord intergouvernemental permettant l’exportation d’un matériel spécifique, le client acceptant le matériel sans cette cartographie.
Malgré ces contraintes, la vente de matériels d’occasion est un marché attractif sur lequel de nombreux acteurs privés se sont positionnés. Ils sont évidemment des acteurs clefs, même si leur rôle peut fortement varier d’un contrat à l’autre, selon que les autorités gouvernementales ont vocation ou non à piloter la cession en directe. Certaines entreprises, telles que la SOFEMA, jouent un rôle de prestataires de service entre la France et des États partenaires, des entreprises étrangères, voire des organisations internationales. Il s’agit encore d’acteurs relativement confidentiels, mais il est souhaitable que leur rôle se développe à l’avenir, malgré un contexte réglementaire contraignant.
2. Un prix de vente déterminé par les services gestionnaires
L’ensemble des données comptables peut utilement servir aux services pour déterminer le prix de vente de l’équipement. Les gestionnaires disposent pourtant en la matière d’une liberté totale, charge à eux de décider quel est le prix qui permet d’assurer un retour financier conforme à leurs attentes.
Ainsi, lors de la sortie définitive des biens, la valeur pouvant être prise en compte est la valeur nette comptable. Cette valeur correspond pour les immobilisations à la valeur d’achat moins l’amortissement et les dépréciations et pour les stocks au coût unitaire moyen pondéré moins les dépréciations.
Toutefois, pour les cessions de biens intégralement amortis, les services gestionnaires peuvent également prendre en considération la valeur vénale des biens. Cette valeur correspond au montant qui pourrait être obtenu de la vente d’un actif lors d’une transaction conclue à des conditions normales de marché, net de coûts de sortie. Enfin, il est possible que les services gestionnaires retiennent pour déterminer la valeur d’un bien cédé le coût d’acquisition tant pour les immobilisations que pour les stocks.
La variété des pratiques n’est pas préjudiciable pour l’État : elle ne permet pas simplement de vérifier si cette vente ne se fait pas au détriment de la France. En d’autres termes, il n’est pas possible de savoir si on vend au bon moment l’équipement, c’est-à-dire lorsque d’une part les investissements nécessaires à son développement, à son achat et à son entretien ont été couverts et lorsque d’autre part le matériel dispose encore d’un potentiel suffisant pour être vendu sur le marché de l’occasion. Si la notion de retour sur investissement est difficile à appliquer strictement à des matériels militaires, il est regrettable qu’elle ne soit pas au moins utilisée dans son principe pour optimiser le cycle financier de la vie d’un matériel.
D. UNE APPLICATION A MAXIMA DES NORMES INTERNATIONALES
L’exportation de matériels de guerre, même vendus d’occasion, répond à un certain nombre de contraintes réglementaires.
Ces matériels ne peuvent quitter le territoire que s’ils sont assortis d’un « passeport vert » recensant les composants problématiques sur les plans sanitaire et environnemental. Il s’agit notamment d’identifier l’amiante, dont la circulation internationale est particulièrement réglementée. C’est une procédure coûteuse mais indispensable, les matériels les plus anciens n’ayant pas été livrés avec une cartographie des éléments les composant.
La France est allée plus loin que la réglementation européenne, interdisant l’exportation de tout matériel militaire qui contient de l’amiante (indépendamment de la nature et de la quantité), quand bien même ce matériel est utilisé par nos forces en toute sécurité. L’export n’est alors possible que dans le cadre d’un accord intergouvernemental et à condition de doter chaque équipement d’un passeport vert qui cartographie exactement toutes les zones amiantées et qui rappelle les risques potentiels liés à l’amiante.
Les matériels les plus récents étant livrés avec cette cartographie, l’intérêt financier de la cession devrait croître au cours de la décennie. Cela rend d’autant plus utile de fluidifier les procédures. La conclusion de la vente est soumise à un examen par la commission interministérielle pour l’étude des exportations des matériels de guerre. Malgré un effort de simplification, l’examen en commission conserve quelques pesanteurs. Par exemple, il n’est pas possible d’obtenir un accord multi-pays pour un matériel. En cas d’échec d’une négociation, il est donc difficile de se repositionner aussitôt sur un autre pays sur lequel aucune demande de CIEMMG n’a été faite.
L’examen en cours du projet de loi de transposition du paquet défense (51) pourra être l’occasion d’apporter des améliorations au dispositif, en permettant notamment sa simplification, par l’instauration d’un système de contrôle a posteriori.
L’article L. 69 du code du domaine de l’État prévoit que les ventes de matériels « ne peuvent être effectuées que par des agents assermentés du service des domaines [… et] doivent être faites avec publicité et concurrence ». Des cessions amiables peuvent toutefois être consenties par le service des domaines « pour des considérations de défense nationale, d’utilité publique ou d’opportunité ». Le dernier alinéa de l’article L. 67 du même code dispose cependant que « par dérogation aux dispositions de l’article L. 69, le ministre de la défense fixe les modalités de cession de ces matériels et désigne les services chargés de les réaliser ». À ce jour, le ministre n’a pas encore pris de décision désignant le service compétent, un arrêté est en cours d’élaboration.
La direction du développement international de la direction générale de l’armement apparaît a priori la plus à même de conduire ces projets, elle doit pouvoir s’appuyer sur les services compétents au plan juridique qui relèvent de la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives du secrétariat général pour l’administration ainsi que sur les services financiers du ministère, notamment pour déterminer la valeur comptable des matériels et les modalités financières des cessions.
E. DYNAMISER L’OFFRE FRANÇAISE
Depuis plusieurs années, les exportations françaises de matériels d’occasion se situent donc à un niveau modeste et procurent à nos forces armées un retour annuel, en produit de cession, de l’ordre de 10 à 15 millions d’euros, flux en grande partie permis par la cession des Mirage 2000 intervenue en 1996. D’après les éléments communiqués au rapporteur, les cessions de matériels de l’armée de terre sont inférieures au million d’euros par an. Il s’agit d’un montant faible au regard des investissements que nécessiterait une politique d’exportation plus ambitieuse, notamment en termes de stockage.
Ces sommes ne rendent toutefois pas compte de l’intérêt de ces ventes pour le commerce extérieur. Les clients sont en effet incités à souscrire un marché de MCO ou de remise à niveau auprès des industriels français qui ont conçu le matériel en question. Une cession pour quelques centaines de milliers d’euros peut ainsi conduire à la conclusion d’un contrat de MCO de plusieurs millions d’euros.
Dans l’ensemble, l’offre française est faible, les équipements disponibles étant souvent totalement usés. À l’exception de quelques opérations très symboliques comme la vente du Foch ou des 12 Mirage 2000 au Brésil, la France ne vend d’occasion pratiquement que des pièces de rechange et des équipements légers. Tandis que l’essentiel des besoins en matière d’armement concerne des matériels de milieu de gamme et de prix moyen, l’offre française se concentre en grande partie sur le haut de gamme à des prix élevés. Cette situation est d’autant plus complexe que le marché ne produit plus toujours les munitions compatibles avec certains systèmes d’armes. C’est par exemple le cas s’agissant des chars Leclerc : l’industrie française ne produit plus les AUF1, seules munitions compatibles avec ce système d’armes. Il devient donc difficile de le vendre d’occasion.
Cela s’explique avant tout par le choix qu’a fait notre pays d’utiliser ses matériels jusqu’au bout de leur potentiel, au détriment d’une politique de renouvellement en deuxième moitié de vie, évidemment plus favorable au marché de l’occasion. Mais d’autre facteurs agissent : certains industriels craignent ce type de ventes, qui risque de cannibaliser les débouchés pour les matériels neufs. De même, la prospection du marché de l’occasion n’est toujours pas une priorité pour l’administration.
Le rapporteur considère pourtant qu’il s’agit d’un levier politique et industriel majeur, utilisé jusqu’à présent de façon modeste. Il considère que, libérant de nombreux matériels disposant encore de potentiels, la réduction de format des armées constitue une opportunité à saisir.
Une opportunité à saisir Le changement de format prévu par le Livre blanc doit libérer certains matériels plus tôt que prévu, ce qui offre une chance de dynamiser la politique d’exportation. Ces matériels (VAB, VBL, équipements individuels, artillerie), disposent encore de potentiel. Pour la période 2010-2015, l’EMA recense les matériels potentiellement cessibles suivants : - 40 navires ; - 130 hélicoptères, - 150 avions de tous types ; - 1 500 engins blindés ; - 15 000 camions et véhicules. |
L’ensemble de ces matériels n’a certes pas vocation à être cédés. Certains peuvent être valorisés au titre du maintien en condition opérationnelle (MCO) de matériels du même type en service. Les matériels peuvent être exportés pour partie seulement (pièces détachées). Mais il n’en reste pas moins que bon nombre de ces équipements quittera le service actif en disposant encore d’un potentiel intéressant.
Au delà des clients étatiques décrits précédemment, le ministère pourra également céder ses équipements à des prestataires privés agréés par le Gouvernement et disposant d’une autorisation de commerce et de fabrication. Il s’agit soit des fabricants initiaux (Eurocopter rachète certains appareils pour les céder à d’autres clients en attendant la livraison d’hélicoptères neufs), d’équipementiers (tels que Thalès) qui remettent à niveau les matériels ou encore d’opérateurs commerciaux (comme la SOFEMA). Pour autant, les industriels qui dépensent une grande partie de leur chiffre d’affaires en recherche et développement sont naturellement enclins à favoriser le développement technologique, considérant que la régénération de matériels plus anciens, ainsi que la vente d’occasion, hypothèquent la vente de matériels neufs.
QUATRIÈME PARTIE : POUR UNE APPROCHE STRATÉGIQUE
DE LA FIN DE VIE DES ÉQUIPEMENTS MILITAIRES
L’organisation actuelle de la fin de vie des équipements militaires français semble à même de répondre aux enjeux immédiats mais risque de ne pas pouvoir faire face à l’évolution des besoins, notamment avec le retrait programmé de nombre de matériels dans le cadre du nouveau format des armées voulu par le Livre blanc. Si des ajustements peuvent être faits, ils doivent préserver le caractère opérationnel des structures actuelles et surtout il faut qu’ils s’inscrivent dans une politique globale de la fin de vie, elle-même associée à une politique d’ensemble en matière d’investissement de défense.
I. — FAIRE ÉVOLUER LE DISPOSITIF
Le fonctionnement et le cadre actuels permettent de répondre efficacement aux enjeux à condition de mieux utiliser toutes les possibilités qu’ils offrent. Le cadre réglementaire doit ainsi devenir un facteur de facilitation et un appui alors qu’il est encore trop souvent aujourd’hui une limite. De même, l’organisation pragmatique doit être consolidée et les synergies avec le civil ou avec des partenaires étrangers sont à rechercher, ainsi qu’un rôle accru des industriels de défense.
A. MIEUX UTILISER LE CADRE RÉGLEMENTAIRE
Le cadre juridique actuel, pour contraignant qu’il soit, n’appelle pas de remise en cause structurelle : la plupart des normes sont justifiées et permettent de protéger efficacement l’environnement et les personnes. La politique française consistant à traiter en interne l’ensemble des déchets n’appelle pas non plus de changement radical. En revanche, l’interprétation des normes communautaires, voire des dispositions nationales, présidant à la fin de vie des équipements doit être revue.
La France se distingue en effet par une lecture très extensive des obligations environnementales et notamment des contraintes liées aux matières dangereuses, au premier chef desquelles l’amiante. À ce titre, elle s’interdit d’exporter le moindre équipement comportant de l’amiante, quelle qu’en soit la forme, vers un autre pays de l’Union ou de l’OCDE. Cette lecture empêche ainsi de confier la déconstruction d’un navire ou autre matériel à un prestataire privé ressortissant d’un autre État sauf si la France a préalablement retiré sur son territoire toutes les matières dangereuses. Il en est de même pour l’exportation. Cette équation ne tient compte ni de la dangerosité de l’amiante en question ni de la quantité concernée. En d’autres termes, la présence d’un seul joint emprisonnant quelques fibres d’amiante empêche tout un navire de quitter le territoire national.
Pour éviter une telle dérive, il serait pertinent que les dérogations accordées aux véhicules automobiles ou agricoles par le décret de 1996 précité soient étendues aux matériels de guerre.
La réglementation européenne n’interdit pas d’exporter dès lors qu’il s’agit bien de retraiter et non d’éliminer le matériel concerné. Pour distinguer ces deux catégories, il convient de déterminer quelle opération intervient en premier.
Pour comprendre cette difficulté, on peut prendre l’exemple d’un équipement naval contenant quelques éléments amiantés, dans un volume faible, représentant moins de 5 % du total. Le Royaume-Uni considérerait que l’essentiel de l’opération est une opération de valorisation de l’acier et de déconstruction, sous réserve que les parties amiantées soient, le moment venu, traitées avec toutes les précautions adéquates. Le volume de matériel à recycler est en effet largement plus important que les quelques parties amiantées. Il autoriserait donc le navire à quitter son territoire et à être traité par un prestataire étranger, à condition d’une part que ce soit au sein d’un pays de l’Union européenne ou de l’OCDE, et d’autre part que le chantier réponde aux normes environnementales britanniques, ce que l’autorité adjudicatrice du marché aura vérifié. À l’inverse la France ne retiendrait que la présence d’amiante et considérerait que les précautions relatives à sa destruction prévalent sur tout le reste : elle interdirait donc au bâtiment de quitter son territoire et n’envisagerait même pas la valorisation de l’acier restant. Ce faisant, et faute de crédits pour engager le désamiantage, elle se contenterait de stocker des navires et n’apurerait pas son stock.
Le modèle britannique n’est pas à reprendre intégralement, ni à reproduire strictement. Pour autant une réflexion pourrait utilement s’engager sur l’optimisation de la déconstruction. Lors des auditions, l’ensemble des interlocuteurs ont souligné que les prestations offertes par la plupart des chantiers de l’OCDE répondent parfaitement aux exigences de sécurité et peuvent tout à fait assurer le désamiantage de nos navires. Renoncer à cette possibilité ne constitue-t-il pas, pour la France, une charge financière lourde alors que le démantèlement de ces navires pourrait être au contraire une source de revenus ?
Le cadre juridique actuel limite également les possibilités d’export de matériels d’occasion qui sont soumis aux mêmes règles que les équipements à démanteler. Il conviendrait de distinguer le traitement réservé à l’export de celui du démantèlement ; dans le premier cas, le client achète un matériel dont il connaît la composition, les éventuels risques et accepte d’assumer les responsabilités liées. Il est regrettable qu’une application excessive des normes environnementales impose de trouver des artifices juridiques complexes, comme un accord intergouvernemental, pour contourner la difficulté.
Un décret devrait prochainement assouplir le dispositif en ce qui concerne l’amiante, mais sans que le rapporteur ne dispose du contenu final des avancées telles qu’elles ont été arrêtées par les arbitrages interministériels.
B. PRÉSERVER UNE ORGANISATION PRAGMATIQUE
La prise en charge de la fin de vie des équipements s’est organisée de manière peu ordonnée et dans un contexte de tension avec les difficultés liées à la fin de vie de l’ancien porte-avions Clemenceau. La marine a dû gérer ce dossier et essuyé des critiques parfois très vives alors même qu’aucun service de l’État n’était en mesure de proposer des solutions abouties au problème. Les retours d’expérience ont ainsi permis de constituer une véritable expertise et ont permis d’affiner les procédures. La marine détient désormais une compétence en matière de fin de vie reconnue par l’ensemble des acteurs. Ce phénomène s’est répété pour les autres domaines et a été consacré par la décision de 2009 confiant la fin de vie aux services de soutien.
À ce jour, il ne semble pas pertinent de revenir sur cette répartition des compétences. Les modèles britanniques ou américains pourraient en effet inciter la France à créer une structure centralisée prenant en charge à la fois les opérations de démantèlement et les éventuelles ventes sur le marché de l’occasion, et ce, pour l’ensemble des matériels militaires. Ce schéma, pour séduisant qu’il soit, présenterait l’avantage de la centralisation et faciliterait l’émergence d’une politique commune de la fin de vie. Cette création risquerait cependant de complexifier les processus et pourrait même poser des difficultés dans la gestion des parcs. Les pratiques en cours au sein de chaque armée répondent en effet à des logiques de milieu et s’appuient sur l’expérience des personnels de soutien. La durée de vie d’un équipement informatique est difficilement assimilable à celle d’un navire, d’un aéronef ou d’un blindé. La création d’une structure unique pourrait alors se résumer à la suppression de postes dans les services de soutien pour les regrouper sous une même autorité. Cette réorganisation interviendrait alors que le ministère est déjà engagé dans une réforme importante de ses structures. Par ailleurs, il serait difficile d’identifier précisément le nombre d’emplois et le temps consacré à la fin de vie par chaque service de soutien, les personnels chargés de ces questions étant également en charge du MCO ou de la préparation des contrats.
La structure centrale ne pourrait de surcroît pas traiter l’ensemble du spectre : les équipements militaires nucléaires s’inscrivent dans un parcours spécifique et sauf à intégrer le CEA dans ladite structure, il semble impossible de lui confier la responsabilité de ces équipements. La question peut également se poser pour certains missiles complexes ou pour des munitions anciennes : est-il possible de dessaisir la DGA de ces programmes très lourds et qui ont demandé des années de mise au point ?
Au final, cette création marquerait une rupture nette avec la logique actuelle consistant à confier la fin de vie aux services qui connaissent le mieux les matériels, c’est-à-dire aux services qui assurent leur maintenance. Ce raisonnement a fait jusqu’à présent la preuve de son efficacité et il serait peu pertinent de vouloir le remettre en cause pour organiser une structure opaque, technocratique et peu efficace, l’exact opposé du pragmatisme et du bon sens qui ont prévalu jusqu’à aujourd’hui.
Pour autant, les services de soutien ne peuvent pas travailler de façon étanche ; ils doivent mettre en commun leurs expériences et surtout inscrire leurs actions dans un cadre plus large. L’EMA peut certes jouer un rôle de coordinateur plus marqué, mais il ne pourra pas imposer ses vues à la DGA ou au CEA. Cet enjeu doit s’intégrer dans le pilotage global du cycle de vie. Compte tenu des enjeux financiers, avec un niveau annuel moyen d’investissement de 20 milliards d’euros pour la défense, cette responsabilité doit être exercée par un échelon politique, permettant ainsi au Parlement de jouer pleinement son rôle.
Sur le plan industriel, trois scenarii apparaissent : le concepteur et producteur prend en charge le démantèlement et garde ainsi la main sur l’ensemble du cycle de vie de l’équipement ; le maître d’ouvrage du soutien et du démantèlement reste l’industriel producteur mais il confie la maîtrise d’œuvre à des sous-traitants, essentiellement des PME ; de grands groupes spécialisés dans le recyclage ou le traitement des déchets prennent en charge le démantèlement, alors considéré comme une opération qui peut être déconnectée des phases de production et de soutien. Ces trois options ne sont nullement exclusives l’une de l’autre. Elles peuvent au contraire se combiner et ainsi répondre plus efficacement à la diversité des besoins et des situations.
C. FAVORISER LES SYNERGIES AFIN DE LIMITER LES COÛTS
Le seul marché militaire étant de taille modeste en France, il convient de favoriser la convergence de cette demande avec celle du secteur civil voire avec celle de partenaires étrangers.
1. Les synergies avec le secteur civil
Le secteur du démantèlement gère des matériels aussi bien civils que militaires. Lorsqu’un matériel de guerre est retiré du service actif, les services en charge de son démantèlement s’occupent de les « démilitariser », c’est-à-dire d’en extraire toutes les installations destinées à l’action de guerre, et notamment les substances explosives. L’objectif est de transformer ces matériels en simples déchets : démilitarisé, le porte-avions Clemenceau n’était plus qu’une coque, connue comme la Q970. Il s’agit, au final, de séparer et de valoriser les métaux, d’isoler d’éventuelles pièces détachées valorisables ou encore de détruire des ordinateurs devenus obsolètes.
L’usage initial des matériels étant de peu d’importance, il faut concevoir le démantèlement selon une approche globale. En dehors du nucléaire, le contribuable n’a donc pas vocation à financer la mise en place d’installations spécifiques. Les matériels militaires doivent alimenter un secteur dont le plan de charge est majoritairement alimenté par le civil.
Il en va ainsi s’agissant des matériels terrestres. Au cours des années 2010, la SNCF devrait être confrontée à une problématique équivalente à celle de l’armée de terre, avec une estimation d’environ 80 000 tonnes de matériels à démanteler. D’autres acteurs alimenteront également le marché, tels que les différents matériels roulants de la RATP ou le flux constant de véhicules individuels ou encore de matériels de travaux publics. Au-delà, les douanes, la gendarmerie, la police nationale ou encore la sécurité civile sont autant de services de l’État confrontés à des problématiques similaires et qui pourront donc trouver un intérêt à se coordonner avec le ministère de la défense pour gérer le démantèlement de leurs équipements à moindre coût, quel que soit d’ailleurs le type de matériel envisagé : aéronautique, naval ou terrestre.
Le démantèlement de matériels aéronautiques a devant lui un avenir assuré. Les aéronefs civils et militaires ayant des durées de vie longues, généralement proches de 40 à 50 ans, ce marché offre donc une certaine visibilité, avec un cours de l’aluminium se maintenant à de hauts niveaux (plus de 1 000 euros la tonne). Au contraire des chars ou d’autres matériels a priori peu mobiles et ayant donc vocation à alimenter des marchés locaux, les aéronefs destinés au démantèlement peuvent effectuer leur dernier vol vers un nombre large de destinations à l’échelle du continent. Disposer d’un tissu industriel réactif et expérimenté permettra à la France de capter une partie de ces marchés, aux volumes prometteurs. Notre pays comprend des PME de qualité dans ce domaine. On recense ainsi, à Châteauroux, Bartin Aerorecycling, filiale de Veolia Propreté depuis février 2008, pour le broyage et la découpe, associée à Europe aviation pour la récupération des pièces détachées, la dépollution et la préparation au recyclage, ou encore, à Tarbes, le groupement industriel composé de SITA, Airbus et Sogerma.
S’agissant des matériels navals la question semble plus complexe. Ici encore de nombres PME se sont spécialisées dans le démantèlement de navires de taille petite et moyenne. À plus long terme, une option intéressante pourrait être de profiter des inévitables aménagements que réclamera le démantèlement des coques des sous-marins pour assortir le site retenu des quelques installations supplémentaires que nécessite le démantèlement des gros navires. Cela doterait notre pays des capacités de démantèlement dont elle manque aujourd’hui, sous réserve que le prestataire en charge du futur chantier pratique des prix compétitifs.
Les Britanniques souhaitent eux aussi développer un site à même de prendre en charge les sous-marins nucléaires, qu’il s’agisse du cœur nucléaire ou de la coque. L’accord de coopération conclu entre nos deux pays incluant la dissuasion, il pourrait être possible de mutualiser cette compétence. La France dispose d’ores et déjà d’installations capables d’abriter cette activité après quelques investissements, notamment à Cherbourg. Indépendamment des valeurs intrinsèques du site, sa proximité avec le Royaume-Uni constitue un facteur positif fort.
Au final, l’un des principaux enjeux réside dans la construction des appels d’offres et notamment de la dimension des lots. Leur taille correspondra soit aux capacités de PME, soit à celles de grands groupes. De même, rien n’interdit de concevoir des demandes groupées, par exemple pour réunir du matériel de transport de fret ferroviaire et d’anciens véhicules de l’armée de terre. De même, le coût unitaire de démantèlement d’aéronefs de l’armée de l’air décroît dès lors que l’appel d’offres est large. Il faut tenir compte de cet élément pour calculer l’intérêt du stockage en attente de traitement.
2. Des synergies avec l’étranger
En sus de synergies avec le secteur civil, une coordination du besoin peut être envisagée avec des partenaires étrangers, et notamment européens. C’est le cas par exemple du démantèlement des munitions, qui ne trouve pas d’équivalent sur les marchés civils, mais pour lesquelles les besoins doivent être conçus au niveau européen.
Cette logique suppose que la France n’exclut pas de démanteler une partie de ses matériels à l’étranger, au même titre que nos industriels doivent être disposés et autorisés à démanteler des matériels étrangers. L’ensemble des déchets non sensibles est concerné. On a vu que l’enjeu en termes d’emploi était limité, et, le démantèlement représentant un coût pour le contribuable, il revient aux autorités de faire en sorte que celui-ci soit le plus limité possible.
Cette logique est particulièrement marquée pour les navires de très grande taille et notamment pour les portes avions qui requièrent des installations spécifiques et notamment des bassins de très grande dimension dont la France ne dispose pas actuellement. Il pourrait être coûteux pour le client, l’État, d’en financer l’aménagement compte tenu du faible nombre de bâtiments concernés. C’est ce qui avait conduit les autorités à engager le démantèlement du Clemenceau au Royaume-Uni après l’échec de l’opération indienne. Dans de tels cas, la décision de confier cette tâche à des prestataires étrangers est la bonne, l’opération étant de peu de valeur ajoutée, avec 92 à 95 % de recyclage. Il convient d’observer la décision du Royaume-Uni, soumis à la même réglementation communautaire, de confier le démantèlement de deux frégates à des chantiers turcs. Les Britanniques ont également décidé de confier le démantèlement du porte-avions HMS Invincible à un chantier turc. Les autorités gouvernementales se sont félicitées de la qualité d’un travail accompli dans le respect des normes sanitaires et environnementales les plus exigeantes. La valorisation des matériaux a permis au Gouvernement britannique de retirer un gain de cette opération. Sous réserve du respect des normes sanitaires et environnementales, la France doit donc songer à permettre le démantèlement de ses matériels dans d’autres pays de l’OCDE, y compris pour permettre celui d’équipements situés outre-mer.
Inversement, le tissu industriel dont nous disposons, en partie entretenu par les appels d’offres de l’État, doit bien évidemment se positionner pour capter des marchés internationaux.
De ce point de vue, il est important que l’ensemble des prestataires soient agréés et enregistrés auprès de la NAMSA, afin de pouvoir se porter candidate à ses appels d’offres. Il faut s’attendre à une demande relativement élevée de la part de la NAMSA au cours des prochaines années, en particulier dans la perspective du démantèlement des munitions de type MLRS. Cela pourrait être un levier intéressant de développement de notre industrie. En effet, les capacités françaises actuelles ne permettent pas de traiter dans des délais raisonnables les stocks à venir (quelques milliers d’unités par an). Il serait souhaitable que le secteur privé investisse afin de se positionner sur le marché des munitions, pour lequel il existe une forte demande pour une offre limitée (deux industriels en Allemagne et un en Italie). Il s’agit notamment de se doter de capacités suffisantes pour traiter le perchlorate d’ammonium afin de maîtriser l’ensemble du processus industriel de démantèlement.
II. — S’INSCRIRE DANS UNE GESTION DYNAMIQUE DU CYCLE DE VIE
L’amélioration de la gestion de la fin de vie ne permettra pas de résoudre toutes les difficultés. Elles doivent être anticipées : la fin de vie ne constitue en effet que la dernière étape de la vie d’un équipement. Optimiser la fin de vie ne peut se faire que si l’ensemble du cycle de vie est piloté et organisé autour de principes forts et clairs.
L’introduction de la fin de vie dans les dispositions de l’instruction 1516 (52) relative à la conduite des programmes d’armement constitue une avancée très significative. Il importe de s’assurer que cet enjeu est bien pris en compte dans la durée et de la façon la plus complète possible. Le rapporteur ne sous-estime pas les difficultés d’anticipation ; néanmoins il faut prévoir précisément les possibilités et surtout identifier les éventuels points de blocage, à l’image de la procédure finlandaise.
La plupart des difficultés rencontrées actuellement tiennent à l’extrême vieillesse des matériels et à la disparition des compétences et des outils industriels qui ont permis leur production. Le retrait du service pourrait donc intervenir avant la fin de vie, une fois que les investissements ont été amortis. Cette pratique séduisante est déjà en cours au Royaume-Uni ou aux États-Unis ; elle pourrait être mise en place en France sous deux conditions :
- la durée minimale d’amortissement non seulement des dépenses d’acquisition mais aussi des dépenses de recherche et de développement doit être précisément déterminée ;
- le retrait du service actif de l’équipement doit s’accompagner de son remplacement corollaire par un matériel plus récent de façon à ne pas fragiliser le potentiel opérationnel des forces. Une durée de « tuilage » suffisante doit d’ailleurs être prévue.
Il importe d’organiser la vie de l’ensemble des parcs en fonction d’un calendrier dynamique et glissant. Aujourd’hui les équipements de défense souffrent d’à coups irréguliers qui ne sont fonction que de la conclusion de marchés et surtout des crédits disponibles. De ce fait, le renouvellement des matériels n’est pas lissé et engendre des variations très conséquentes dans les dépenses de MCO.
Le retrait du service actif d’équipements encore pleinement opérationnels suppose également un changement culturel à la fois interne et externe : les armées doivent accepter l’évolution permanente des matériels et ne pas s’habituer à disposer toujours des mêmes matériels. Le grand public et les responsables politiques doivent aussi admettre cette gestion dynamique, moins facile à saisir dans un premier temps, mais au final plus respectueuse des deniers publics et du contrat opérationnel des armées.
Cette évolution plus diffuse est très difficile à mettre en place car elle passe par de multiples canaux ; elle demande du temps et une volonté politique forte.
B. DÉVELOPPER LE LEVIER D’INFLUENCE QU’EST L’EXPORT
Dès lors que le ministère s’engagera dans une gestion dynamique de ses équipements, il disposera d’un stock de matériels à revendre sur le marché de l’occasion. Il s’agit de s’appuyer sur nos acquis pour développer une stratégie de long terme. Comme indiqué précédemment, la situation actuelle ne laisse que peu de place pour une véritable politique d’exportation des matériels d’occasion qui aille au-delà de la revente classique de pièces de rechange. Les volumes concernés sont limités, le calendrier de leur mise à disposition est difficile à anticiper –d’autant qu’un tuilage est nécessaire – et, d’une certaine façon, la chose n’est pas ancrée dans la culture de gestion des parcs.
Dans ce contexte, quels objectifs raisonnables assigner à cette politique ? Le rapporteur considère que l’exportation de matériels d’occasion peut devenir un levier d’influence de la France, mais aussi un outil de modernisation de l’outil de défense.
L’exportation est d’abord un rapport à des États partenaires. Il s’agit de pénétrer des marchés nouveaux (Brésil, Kazakhstan, etc.), ou ne disposant pas des moyens ou de la volonté d’acheter neuf (véhicules légers cédés à des pays du Sahel, ou encore 40 jeeps P4 à Madagascar, etc.). Exporter ces matériels permet donc de diffuser la technologie française et de consolider des partenariats de défense.
La cession de matériels d’occasion au Brésil (porte-avions, avions de combat) a ainsi contribué à démontrer l’excellence de notre industrie de défense, et a certainement joué un rôle favorable dans le rapprochement des deux pays en matière de défense. Celui-ci s’est déjà concrétisé par d’importants contrats dans le domaine naval notamment (53), et pourrait également aboutir dans le domaine aéronautique, par la vente d’avions de combat neufs et par la conclusion de contrats de MCO de la flotte Mirage.
Utiliser l’exportation comme un soutien à un pays ami peut également favoriser nos intérêts économiques dans d’autres secteurs que la défense. C’est la démarche qu’a entreprise la Corée du Sud. Dans le cadre d’un rapprochement global, ce pays a ainsi cédé deux corvettes au Kazakhstan, obtenant parallèlement un accord d’exploitation de gaz.
La France déploie des troupes et des matériels en grandes quantités sur de nombreux théâtres d’opérations extérieures (OPEX). Nombre des équipements déployés n’ont pas nécessairement vocation à retourner en métropole, qu’il s’agisse de matériels informatiques, d’équipements du service de santé des armées ou encore, par exemple, de véhicules légers. La cession de ces matériels, y compris à titre gratuit, permet d’économiser les coûts de transport vers la métropole, les coûts de MCO, ainsi que le coût de leur démantèlement. L’opération permet également de communiquer favorablement sur l’apport de nos forces armées à la reconstruction du pays, voire de diffuser nos technologies et notre savoir-faire pour préparer l’avenir.
L’exportation est ensuite un levier pour la modernisation de l’équipement des armées. Elle suppose en effet une approche financière rigoureuse du cycle de vie des matériels, pour savoir en particulier comment évoluent leurs courbes de MCO. De plus, au-delà des gains, directs et indirects qu’elle engendre, elle invite à s’interroger sur la pertinence économique qu’il y a à utiliser des équipements jusqu’en fin de potentiel. En somme, la politique d’exportation trouve tout son sens dès lors qu’elle contribue à optimiser la gestion du cycle de vie des équipements. Bien anticipée, la revente peut accompagner le renouvellement de gamme, en assurant quelques revenus aux armées. Cependant, cette opération suppose de vendre des matériels disposant encore de potentiel. Au final, cela revient donc à considérer que l’une des solutions au coût de la fin de vie des équipements consiste précisément à s’en séparer avant la fin de leur vie.
Dynamiser les exportations de matériels d’occasion reposera sur une stratégie à double détente. À court terme, la France doit en faire une priorité. Nos postes diplomatiques doivent disposer d’une sorte de catalogue des matériels dont les armées vont se séparer et notamment de ceux qui, disposant encore de potentiels, seront néanmoins retirés du service actif à la suite de la réduction de format. Sur le plan réglementaire, une évolution de la législation relative aux matières dangereuses est souhaitable et notamment pour l’exportation de matériels contenant de l’amiante (cf. supra).
Il faudra également systématiser la façon de nouer des partenariats avec des prestataires privés. Certains d’entre eux se proposent de conduire les opérations de revente, certains acteurs envisageant, par exemple, la constitution de parcs destinés à la location. Tout en demeurant formellement propriétaire de ses équipements, la défense délègue à un intermédiaire ce qui ne relève pas de son cœur de métier, la prospection et la conclusion de contrats de vente. Cet intermédiaire doit être connu du ministère, jouir d’une assise financière satisfaisante et pouvoir s’engager sur des délais de cession relativement précis. Parallèlement, l’administration doit faciliter la conclusion de ce type de contrats, par exemple en accordant des autorisations d’exportation multi-pays et a priori. Des initiatives existent déjà dans ce domaine mais elles restent ponctuelles. Elles doivent en outre bénéficier d’un cadre juridique plus lisible et plus robuste.
À plus long terme, en s’appuyant sur les outils de suivi comptable, la revente de matériels en deuxième moitié de vie dynamisera fortement l’offre française. Mais cela prendre du temps. Il pourrait être utile de procéder par expérimentation, en identifiant un ou deux programmes, d’importance économique intermédiaire, pour mieux identifier les avantages et les inconvénients d’une telle évolution dans le cas français.
III. — LES BÉNÉFICES ATTENDUS DES ÉVOLUTIONS PROPOSÉES
Les préconisations du rapporteur, si elles demandent des adaptations parfois importantes, ne dépossèdent aucun service de ses prérogatives. Elles visent au contraire à donner encore davantage de lisibilité à l’action des différents acteurs. La fin de vie peut être un élément moteur valorisant à condition que tout le monde participe pleinement à cette politique et la décline aux différents niveaux.
A. POUR LES ARMÉES ET LES SERVICES DE SOUTIEN
La mise en place d’un cycle de vie optimisé minimisant les dépenses de MCO grâce à une sortie de certains équipements en deuxième moitié de vie représenterait un avantage important pour les armées. En effet elles bénéficieraient d’un renouvellement plus régulier de leurs matériels et ne seraient pas obligées de trouver des solutions parfois originales pour prolonger la vie de certains matériels. Cette solution n’est envisageable que si les matériels retirés du service sont effectivement remplacés au fur et à mesure. Le Parlement a un rôle majeur à jouer sur ce dossier, à l’image du Sénat américain qui a interdit la revente d’avions ravitailleurs tant que leurs remplaçants n’étaient pas livrés.
Le recours à des intermédiaires pour l’export pourrait également soulager les armées de certaines charges de stockage qui ne relèvent pas de leur cœur de métier. Cela permettrait également de rendre purement commerciale une opération de cession. On peut noter par exemple que l’armée de terre assure à ses frais la conservation de 30 AMX 30 B2 depuis deux décennies dans l’attente d’une vente à Chypre. Il faudra instaurer un système garantissant aux armées qu’elles ne devront pas conserver de matériels au-delà d’un certain délai, sauf à engager la responsabilité de la société intermédiaire.
Les conséquences sont différentes selon que l’on étudie la solution du démantèlement ou celle de l’exportation.
S’agissant du démantèlement, le rapporteur identifie trois hypothèses possibles d’évolution du secteur privé :
- le maintien du statu quo : les services de soutien, maître d’ouvrage, s’adresseront toujours à un ensemble de PME dispersées pour assurer la maîtrise d’œuvre ;
- la montée en puissance d’industriels concepteurs de matériels souhaitant se diversifier afin de mieux connaître le cycle de vie de leurs productions ;
- l’expansion sur ce marché d’entreprises globales de traitement des déchets.
Il n’appartient pas au Parlement de décider dans le détail de la façon dont l’offre industrielle doit se structurer. Pour autant, la question n’en demeure pas moins politique, la façon dont le démantèlement sera traité à l‘avenir n’étant pas sans impact pour les industriels. De fait, bien combiné à la demande civile, l’afflux attendu de matériels devra permettre le renforcement de la base industrielle française, selon une approche ciblée sur le plan géographique. Concrètement, la France doit compter un certain nombre de pôles pour le démantèlement des matériels aéronautiques, terrestres, navals, etc.
Ainsi, le démantèlement des MLRS offrira l’occasion d’aménager un site permettant de traiter ces munitions complexes. Cela suppose un investissement initial, qui relève non pas de l’État mais de l’industrie. Celle-ci pourra l’amortir sans peine compte tenu des stocks très importants à démanteler à travers l’Europe, notamment via les appels d’offre de la NAMSA.
Le moment venu, un pôle de démantèlement des sous-marins nucléaires sera certainement aménagé avec un soutien financier de l’État. La question se posera d’amortir cet investissement en assortissant les installations de capacités de traitement de gros navires.
Par ailleurs, dès lors que des pays partenaires de l’OCDE offrent toutes les garanties d’un bon traitement des déchets, il ne faut pas exclure la possibilité d’y faire traiter des éléments.
En ce qui concerne la politique d’exportation, la France devra disposer d’un réseau d’entreprises crédibles et capables de peser sur les marchés internationaux. Cela peut assurer des marchés en termes de MCO, de prestations de services ou de vente de pièces de rechange. En outre, l’effet de pénétration de nos technologies ne doit pas être négligé. Les contrats d’exportation permettent un ancrage durable de l’équipe France dans de nouveaux marchés : ils sont le terreau permettant aux techniciens de la DGA et aux industriels de cultiver des relations de long terme avec les décideurs politiques et militaires des pays acheteurs. Ils sont alors en position favorable pour accompagner leurs partenaires dans la définition de leurs besoins futurs, y compris en équipements neufs.
CONCLUSION : UNE STRATÉGIE
AUTOUR DE TROIS AXES DE PROPOSITIONS
Les difficultés du traitement de l’ancien porte-avions Clemenceau combinées à l’émergence des enjeux environnementaux ont conduit à une meilleure appréhension de la fin de vie des équipements militaires sur les plans opérationnels, financiers et industriels. La France a développé une organisation pragmatique, répondant aux besoins immédiats et faisant face à ses obligations juridiques nationales et internationales. Les solutions dégagées relèvent toutefois essentiellement de logiques de milieu et ne s’inscrivent pas dans une approche globale. L’adoption du plan environnemental du ministère améliore certes la vision d’ensemble mais il n’est pas décliné sur le plan pratique ni dans les textes.
Les limites actuelles vont devenir des éléments de contrainte particulièrement forte avec le changement de format des armées. Le ministère va devoir traiter un nombre beaucoup plus important de matériels dans un délai plus réduit et dans un contexte budgétaire très contraint. L’exigence de rationalisation et de maximisation de la rentabilité économique de la fin de vie va devenir plus prégnante et doit conduire le ministère de la défense à optimiser ses structures et à revoir ses pratiques.
Parallèlement, une réflexion conséquente doit être engagée en ce qui concerne l’exportation de matériels d’occasion, la France se privant trop souvent de ce levier d’influence et laissant ses partenaires occuper un marché pourtant stratégique. Les gains ne sont pas financiers à court terme ; il s’agit plus de construire et d’entretenir une relation de confiance avec d’autres États pour permettre ensuite aux industriels nationaux de prendre position, d’être présents sur un marché, d’assurer des prestations de MCO, de formation…
Partant de ce constat, le rapporteur recommande la mise en œuvre d’une véritable stratégie de la fin de vie des matériels militaires autour de trois axes d’effort.
I. — OPTIMISER LES PROCÉDURES ET MIEUX ANTICIPER LES BESOINS
Le ministère de la défense souffre à ce jour d’une lecture trop extensive de ses obligations environnementales et n’arrive pas à inscrire la gestion de la fin de vie dans une approche dynamique structurée du cycle de vie. Il ne faut pas revenir sur le niveau d’exigence ni sur les critères de sécurité applicables aux matériels militaires, mais il ne faut pas refuser par principe des partenariats avec des industriels ou avec d’autres États. Si cette solution assure une meilleure rentabilité du projet, tout en respectant l’ensemble des normes, elle ne doit pas être écartée.
Ce changement culturel doit prendre sa source en amont : la fin de vie ne constitue que l’ultime étape de la vie d’un équipement. Elle doit être prise en compte dès le lancement du programme, aussi bien sur le plan opérationnel que financier. Une inscription comptable optimisée de cette responsabilité doit permettre de suivre son évolution et surtout d’adapter le niveau de la provision en fonction de l’évolution des risques associés. Cet effort de transparence deviendra un outil de gestion pour les services en charge du MCO, mais aussi un outil de contrôle pour le Parlement. S’il est difficile d’anticiper tous les besoins sur une période longue, il est en revanche possible d’identifier tous les risques et de les suivre avec précision.
Cette évolution ne demande aucune création de structure ni de modification des compétences des différents services. Elle suppose seulement de mieux coordonner les actions au sein du ministère et de faciliter la circulation de l’information. L’outil informatique financier doit soutenir cette évolution sans la contraindre sur le plan technique. Chaque service doit s’approprier les données comptables et financières pour en faire de véritables outils de pilotage.
II. — UTILISER LA FIN DE VIE COMME UN LEVIER D’INFLUENCE ET UN VECTEUR DE PARTENARIAT
Dès lors que le cycle de vie des matériels sera optimisé, une réflexion devra s’ouvrir sur, d’une part, le moment optimal du retrait de service, et d’autre part, sur la structuration des capacités industrielles de démantèlement.
La France se prive pour le moment du levier de l’export de matériels d’occasion, faute de disposer de stocks suffisants et faute d’anticiper suffisamment les retraits du service de matériels ayant encore du potentiel. Le fait d’utiliser les équipements jusqu’à leur extrême limite, et parfois au-delà, a des conséquences importantes en termes de MCO. Il pourra être pertinent d’envisager une sortie en deuxième moitié de vie de certains matériels remplacés par des équipements neufs. Les matériels plus anciens pourraient être vendus à d’autres pays qui n’ont pas nécessairement les besoins ni les moyens d’avoir des équipements de dernière génération. Pour cela, le ministère doit inscrire sa politique d’équipement dans le temps et dans le mouvement : les matériels seront constamment en train d’évoluer, ce qui impliquera également une plus grande réactivité des armées dans l’appropriation des matériels par les militaires. Ce sera aussi l’assurance d’une modernisation constante et maîtrisée.
Sur le plan industriel, les besoins en matière de démantèlement restent mesurés, relevant le plus souvent d’une activité de PME. Certains domaines, comme le nucléaire, demandent en revanche des installations plus importantes et ont besoin d’investissements publics. Pour traiter les coques des sous-marins nucléaires, il sera certainement nécessaire de développer des installations contrôlées par l’État. Il serait pertinent que cette capacité soit également utilisée pour des bâtiments de surface ou pour des bâtiments étrangers, notamment britanniques. La France n’a pas forcément intérêt à disposer d’une offre industrielle pléthorique en la matière, ce serait entretenir l’illusion de la rentabilité de cette activité qui reste à faible valeur ajoutée et dans des volumes limités. Pour autant, des opportunités industrielles existent et les acteurs nationaux doivent s’en saisir : le démantèlement des MLRS offre par exemple des possibilités de construction d’une structure de démantèlement pertinente compte tenu du volume à traiter.
III. — AFFIRMER UN PILOTAGE POLITIQUE
Les évolutions proposées par le rapporteur comportent une dimension politique forte : il faudra en effet opérer des arbitrages permanents entre les contraintes opérationnelles, les exigences financières et les impératifs juridiques. Les services, pour compétents et engagés qu’ils soient, ne seront pas en mesure de porter ces changements. Comme l’a rappelé le délégué général pour l’armement devant la Commission, il ne lui appartient pas de définir la politique industrielle de la France ; il lui revient de mettre en œuvre au mieux les orientations fixées par le ministre et approuvées par le Parlement. Cette analyse vaut pour l’ensemble des grands acteurs de la défense ; seule une autorité politique peut conduire ce changement.
Dans la plupart des États partenaires de la France, la politique d’acquisition et de gestion de la fin de vie est placée sous l’autorité d’un responsable politique, en général un secrétaire d’État. Au Royaume-Uni, le ministre de la défense est directement assisté par un secrétaire d’État chargé des équipements, du soutien et de la logistique. Aux États-Unis, ces questions relèvent du sous-secrétaire d’État à la défense chargé des acquisitions, de la technologie et de la logistique. L’OTAN a également adopté cette logique en confiant les questions relatives à l’investissement à un secrétaire général adjoint.
En France des avancées ont déjà été enregistrées pour redonner à l’autorité politique les moyens de peser sur le cycle de vie et de définir une véritable stratégie en la matière. La création du comité ministériel d’investissement (CMI), présidé par le ministre, s’inscrit dans cette logique. Pour positive qu’elle soit, cette structure ne permet cependant pas un pilotage continu et régulier. Il faut que les services répondent à une autorité politique permanente et responsable devant le Parlement de ses choix.
La création du CMI a permis de redonner toute leur place aux décisions stratégiques du ministre et a instauré un mécanisme extrêmement positif de compte rendu. Tous les dossiers d’importance sont désormais soumis à un examen contradictoire poussé avant d’être présenté au ministre, et ce, à chaque étape majeure de la vie du programme. Pour autant, si cette procédure améliore le fonctionnement interne du ministère, il ne renforce pas la lisibilité ni ne facilite le contrôle parlementaire, sauf à ce que le ministre vienne présenter les principales orientations qu’il arrête après chaque CMI, ce qui serait particulièrement lourd et contraignant.
Il faut en effet que le Parlement renforce plus encore son contrôle sur le cycle de vie en demandant aux responsables politiques de venir justifier leurs choix et d’en indiquer toutes les conséquences. Il ne peut en effet pas tenir des agents civils et militaires de l’État pour responsables des arbitrages politiques ; il doit en revanche contrôler l’action du Gouvernement et s’assurer qu’elle correspond bien aux orientations votées par le Parlement à l’occasion de la loi de programmation militaire. Ces échanges permettraient de renforcer le ministère de la défense dans ses relations avec les ministères financiers, mais aussi vis-à-vis de ses partenaires industriels ou étrangers. La politique française d’équipement serait ainsi plus claire, plus lisible et plus efficace.
Il n’appartient pas au Parlement de se prononcer sur la concrétisation de cette évolution. Pour autant, les avancées induites par la création du CMI pourraient être prolongées et amplifiées à l’image de ce qu’ont fait les principaux partenaires de la France.
La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné le présent rapport d’information au cours de sa réunion du mercredi 16 mars 2011.
Un débat a suivi l’exposé du rapporteur.
M. Philippe Vitel. J’aimerais revenir à votre deuxième proposition relative aux synergies avec le domaine civil. Je prendrai l’exemple de la remise à niveau des hélicoptères des armées françaises. Alors que nous disposons de compétences en France, nous ne parvenons pas à répondre efficacement à la demande en raison du morcellement des tâches et du manque de coordination des acteurs. Eurocopter conçoit, construit et entretient des hélicoptères mais ne dispose pas de filiale pour assurer leur remise à niveau. Le service industriel de l’aéronautique (SIAé) intervient en parallèle dans ce domaine et dispose de compétences reconnues. Par ailleurs, de petites entreprises commencent à aborder ce marché mais sans pouvoir l’absorber intégralement. Cette situation a conduit la France à confier la remise à niveau de deux Puma à une entreprise portugaise le mois dernier.
De manière plus large, les pôles de compétitivité ont vocation à faire face à ces enjeux industriels. C’est ce que nous essayons à travers le projet Pégase qui répond à une logique industrielle performante capable de traiter tout le stock français. Il est en effet stupide de perdre des milliers d’heures de travail en envoyant ces matériels à l’étranger.
Quels ont été vos contacts avec les pôles de compétitivité intéressés par ces opérations de démantèlement et de reconstruction, qu’il s’agisse du pôle mer en Bretagne et en Provence-Alpes Côte d’Azur, du pôle Pégase pour les hélicoptères ou des pôles traitant des matériels terrestres ?
Mme Marguerite Lamour. Je souhaiterais interroger le rapporteur sur les modalités de traitement des navires, ce sujet me tenant particulièrement à cœur. Lorsque la France a renoncé à faire démanteler le Clemenceau en Inde, il a été proposé d’engager une réflexion sur le cycle de vie des navires. L’idée du rapporteur d’élargir cette analyse à l’ensemble des matériels me semble intéressante mais en période de contrainte budgétaire, la marine, pour ne citer qu’elle, doit utiliser ses navires jusqu’à leur extrême limite, et parfois même au-delà. Dans ces conditions, il semble difficile d’envisager de les vendre en deuxième partie de leur vie.
J’adhère totalement à l’idée de créer une synergie entre le secteur civil et le secteur militaire, bien qu’elle soit difficile à mettre en œuvre. Je faisais d’ailleurs cette recommandation dans mon rapport sur la fin de vie des navires militaires. Le traitement des matériels militaires est bien réglementé mais ce n’est pas le cas des matériels civils. Les impératifs pesant sur le propriétaire du bâtiment diffèrent en effet assez sensiblement. Lorsqu’on sait par ailleurs qu’un navire civil a changé en moyenne sept fois d’utilisateur, je crains que nous n’arrivions pas à identifier précisément la personne responsable de la fin de vie de cet équipement. En l’absence d’une réglementation, qui pourrait passer par un système d’écotaxe, nous ne progresserons pas sur ce sujet. Ne faudrait-il pas introduire ce type de mécanisme dès la vente du matériel, anticipant les coûts de démantèlement, à l’instar de ce qui se fait aujourd’hui pour les biens électroménagers ?
Avez-vous des informations sur la qualification juridique des équipements en fin de vie : comment et quand passent-ils du statut de matériels de guerre à celui de déchets ? Ce changement est important car il ouvre la voie au traitement ou à l’élimination des matériels.
Comment envisagez-vous la dimension européenne de l’activité de démantèlement ? Il semble difficile de se cantonner au seul secteur français : au-delà de la dimension réglementaire communautaire, la dimension du marché national semble trop modeste au plan économique. Que pensez-vous de la pérennité d’une telle filière et quels emplois peut-elle procurer ? Contrairement à ce qui est souvent affirmé, ce secteur ne peut créer que peu d’emplois, avec une pérennité incertaine et une faible valeur ajoutée.
En dernier lieu, avez-vous étudié les problèmes de santé des travailleurs et les répercussions environnementales des sites de déconstructions ?
M. Michel Grall, rapporteur. Les pôles de compétitivité n’ont pas été contactés car ils étaient trop éloignés du périmètre exact de ma mission. Comment organiser les synergies ? La France a fait le choix d’une gestion par milieu : les différents services de soutien organisent le démantèlement industriel de leurs matériels en négociant avec des PME ou des groupes, sans lien véritable avec les pôles de compétitivité. Ce système a l’avantage d’être souple. En revanche, on peut noter un manque de coordination politique. Il faudrait renforcer le rôle du comité ministériel d’investissement sur ce dossier.
Sur la gestion du cycle de vie, je précise qu’un matériel militaire n’est considéré en fin de vie qu’à partir de sa sortie du service actif. Il peut alors être soit démantelé, soit exporté comme matériel d’occasion. Il n’est pas envisagé de le sortir à l’exacte moitié de sa vie mais, sur arbitrage de l’état-major, de le faire durant la deuxième moitié de celle-ci. Au-delà, les équipages sont en situation de risque, parce que les équipements sont vétustes.
Concernant le démantèlement des navires, il convient d’être très pragmatique. Un chantier militaire peut démanteler un navire civil, mais l’inverse n’est pas vrai. Un chantier qui peut prendre en charge un grand bâtiment peut le faire pour un petit. Le contraire n’est pas vrai non plus. Nous avons par exemple à traiter les coques des sous-marins nucléaires déclassés. Le site de DCNS à Cherbourg se prêterait bien à ce type d’activité. Pourquoi ne pas envisager d’y traiter aussi des navires de surface ?
S’agissant de l’emploi, il faut mettre fin à cette idée qu’il existera demain une filière dans le démantèlement. Le stock actuel de 190 000 tonnes, nourri par un flux annuel de 25 000 tonnes, générera difficilement plus de 100 à 150 emplois.
Au plan de la santé et des répercussions sur l’environnement, les opérations conduites tant en France qu’aux États-Unis, au Royaume Uni ou en Allemagne sont toutes conformes aux normes en vigueur.
M. Philippe Folliot. La France a-t-elle signé la convention de Hong-Kong sur la déconstruction des navires ? Peut-on envisager de mutualiser les opérations de démantèlement à l’échelle européenne pour pallier la faiblesse des volumes à traiter ? Nous devrions créer avec nos voisins allemands et anglais des filières spécialisées en fonction des traditions de chacun et en complémentarité avec les filières civiles.
M. Christian Ménard. Est-ce que la vente des matériels à mi-vie financera leur renouvellement sans danger pour l’équilibre des finances ? Une telle politique ne coûterait-t-elle pas plus cher au final ? A-t-on procédé à une projection financière de cette hypothèse ?
M. Michel Grall, rapporteur. Le rapport évoque effectivement une éventuelle complémentarité au niveau européen. Il convient de noter que le traitement du matériel terrestre souffre d’une barrière de transport, qu’il s’agisse d’un transport par voie routière ou ferroviaire. Nous avons l’exemple en Allemagne de l’énorme chantier de démantèlement des blindés du pacte de Varsovie qui occupe un espace immense. Pour acheminer les blindés sur le site, il a fallu organiser des transports de nuit sécurisés et très onéreux. Je relève qu’au final cette opération n’a permis de créer que 35 emplois.
La complémentarité au plan européen peut en revanche être envisagée pour les navires et les matériels aéronautiques. Pour autant, rien dans les entretiens que nous avons eu avec nos partenaires ne laisse croire qu’il y ait une volonté politique pour mutualiser ces opérations, contrairement au souhait exprimé parfois par certains industriels. Pour des raisons économiques, le Royaume-Uni vient par exemple de décider de faire démanteler en Turquie son porte-avions HMS Invincible, alors qu’il aurait pu poursuivre cette activité commencée avec le Clemenceau.
Je précise que je ne préconise pas la vente des matériels à la moitié de leur vie, mais seulement en deuxième moitié de vie et en fonction d’un arbitrage de l’état-major des armées. S’il n’y a pas eu de simulation financière pour évaluer la capacité de refinancement que pourraient représenter ces ventes, la courbe en « U » des coûts de MCO de ces matériels est bien connue. Se séparer des matériels avant l’augmentation des dépenses de MCO en fin de vie du programme serait donc une source d’économies substantielles. À titre d’exemple, la France doit assurer le stockage des 40 000 tonnes de matériels terrestres à démanteler. Plutôt que de vendre certains chars, elle a décidé de les conserver dans des hangars à hygrométrie contrôlée, dont la construction a coûté 70 millions d’euros. Ce montant aurait pu être économisé par une meilleure gestion de vie des matériels.
M. Franck Gilard. Avez-vous réfléchi à une démarche intégrant la gestion des déchets, à l’instar de l’industrie automobile, ou sera-t-il fait appel à des PME spécialisées dans le cadre d’une filière dédiée ?
M. Christophe Guilloteau. Est-ce que le savoir-faire qui a été développé en France en matière de démantèlement peut s’exporter ? Par ailleurs, quel est l’état d’avancement du démantèlement de la coque du Clemenceau ?
M. Pierre Forgues. Je suis persuadé qu’il est possible de développer une filière de démantèlement des avions à la fois civils et militaires, comme le prouve l’exemple de Tarbes. Alors que se profile un marché pour 6 000 gros-porteurs dans les prochaines années, le site a récemment reçu un appareil indien pour qu’il soit démantelé. Je crois que le prix de la main-d’œuvre n’est pas le seul critère en la matière. Le site, qui a répondu à un appel d’offre européen, est un site propre, en mesure de récupérer jusqu’à 90 % des matériaux. S’agissant des avions militaires français, les lenteurs administratives sont incompréhensibles. Plus de deux ans après les démarches entreprises auprès de la ministre de la défense, le dossier relatif à leur traitement par le centre de Tarbes n’est toujours pas bouclé ! On nous dit que les avions désactivés ne relèvent plus de l’armée mais des Domaines. Je ne comprends pas cette inertie !
M. Michel Grall, rapporteur. Il existe des opérateurs du monde du traitement des déchets qui sont intéressés par les marchés de démantèlement militaire. Une majorité d’entre eux sont bien évidemment ferrailleurs. Mais on observe une évolution de ce secteur avec l’intérêt que lui portent désormais certains grands groupes. Veolia a par exemple racheté la société Bartin et le groupe Scholz, spécialisé dans l’environnement et le ferraillage, vient également d’acquérir la société allemande Koch dont je vous parlais et qui a démantelé les engins terrestres de l’armée de l’ex-RDA.
Le nucléaire est un savoir-faire français qui s’exporte bien avec Areva et le CEA, notamment aux États-Unis ; la France apparaît comme le chef de file du secteur. Pour le reste, on ne peut pas à proprement parler de métiers à fort savoir-faire. Il n’y a donc pas de barrière technologique concernant ces activités, elles sont donc le fait de petites entreprises dont le champ ne dépasse pas les frontières nationales. L’aéronautique est un peu à part car on recycle jusqu’à 90 % des appareils et certaines pièces récupérées ont une haute valeur ajoutée.
Je tiens à préciser que par dérogation, la défense n’est pas tenue de remettre aux Domaines ses matériels lorsqu’ils sont retirés du service actif. Les difficultés relevées par M. Forgues montrent bien que nous avons besoin d’un pilotage politique renforcé. Cette compétence ne relève ni de la DGA, ni de l’état-major des armées. Comme je le soulignais, le comité ministériel d’investissement présidé par le ministre pourrait agir sur ce sujet.
En ce qui concerne la coque du Clemenceau, son démantèlement a été achevé il y a environ un mois.
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La commission a décidé, en application de l’article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.
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ANNEXE I : LISTE DES AUDITIONS ET DES DÉPLACEMENTS
Le rapporteur a entendu, par ordre chronologique :
– M. l’ingénieur général de l’armement Christian Chabbert, directeur du service industriel de l’aéronautique (SIAé) ;
– M. Pierre Mayaudon, adjoint au directeur du développement international de la DGA ;
– M. le général Jean-Tristan Verna, directeur central du matériel de l’armée de terre (DCMAT) ;
– M. le général Jean-Jacques Verhaeghe, directeur de la structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de la défense (SIMMAD), accompagné de M. le colonel Marc Montel, chef de la composante logistique ;
– M. l’ingénieur général de l’armement Gilles Fernandez, directeur-adjoint renseignement et maîtrise des armements et chargé de mission développement durable au sein de la DGA ;
– M. l’ingénieur en chef des études et techniques d’armement Thierry Largeay, adjoint au chef de bureau en charge des questions de démantèlement de la division logistique de l’état-major des armées ;
– M. Denis Lizandier, président du comité 7 de la session 2006-2007 du centre des hautes études de l’armement (CHEAR) accompagné de MM. Pascal Prophète et Paul Fournet ;
– M. l’ingénieur général de l’armement Xavier Le Bacq ;
– M. Bernard Planchais, directeur général délégué de DCNS, accompagné de M. Sylvain de Mullenheim, directeur des affaires publiques ;
– M. Yves Basset, directeur de RIC Environnement, Bartin Group à Châteauroux ;
– M. Guillaume Giscard d’Estaing, PDG de SOFEMA ;
– M. l’ingénieur général de l’armement Jean-Michel Labrande, directeur du service de soutien de la flotte, accompagné de M. Didier Lépine, chargé de mission sur le démantèlement ;
– M. Stanislas Prouvost, conseiller pour le développement durable au cabinet du ministre de la défense et M. Vianney Basse, conseiller diplomatique adjoint ;
– M. Jean-François Gombeaud, Vice President Financial Engineering Strategy & Marketing Organisation d’EADS, accompagné de M. Olivier Malavallon, chef de projet PAMELA, affaires environnementales d’AIRBUS, de M. Stanislas de Lauriston, vice-président programmes défense en coopération européenne d’EADS et de Mme Annick Perrimon Du Breuil, directrice des affaires publiques d’EADS ;
– M. le colonel Thierry Barnabé, responsable du département soutien exploitation de la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information de la défense (DIRISI) ;
– M. Jean-Louis Rotrubin, président-directeur général de DCI ;
– M. Éric Lucas, directeur de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA), accompagné du capitaine de vaisseau Dominique Leroy ;
– M. Daniel Verwaerde, directeur des applications militaires du commissariat à l’énergie atomique, accompagné de MM. François Bugaut, directeur matières et environnement et Jean-Pierre Vigouroux, chef du service des affaires publiques du CEA ;
– Mme Françoise Saliou, conseiller-maître de la Cour des comptes et M. Denis Soubeyran, conseiller référendaire ;
– MM. Julien Porcher et Patrice Bourges, chargés du programme de démantèlement des équipements de MBDA, accompagnés de Mme Patricia Chollet, chargée des relations avec le Parlement,
– M. Jean-Marie Durand, directeur adjoint de cabinet de la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement ;
– M. Jean-Pierre Baillet, directeur général délégué NEXTER Systèmes, accompagné de M. Jean-François Nédélec, directeur soutien et services clients et de Mme Laetitia Blandin, responsable de la communication externe de NEXTER ;
M. Jean-Paul Bodin, directeur adjoint du cabinet civil et militaire du ministre de la défense, accompagné de MM. Charles Moreau, conseiller pour la mise en oeuvre territoriale de la réforme et le développement durable, et Arnaud Marois, conseiller parlementaire.
1. Déplacement au Royaume-Uni du 5 juillet 2010
– M. le contre-amiral Charles-Édouard de Coriolis, attaché de défense ;
– M. Gaël Denis, attaché d’armement adjoint.
– M. Richard Norris, directeur des achats et des équipements ;
– M. Trevor Smith, adjoint au directeur.
– M. Andy Hamer, chef de la mission d’audit du ministère de la défense.
2. Déplacement en Allemagne du 15 au 16 novembre 2010
– M. l’ingénieur en chef des études et techniques de l’armement Patrick Lefort, attaché d’armement adjoint.
Ministère fédéral de la défense
– M. Armin Schmidt-Franke, directeur adjoint chargé des affaires économiques et juridiques de la direction générale de l’armement ;
– M. le colonel Thomas Hönig, chef du bureau en charge des matériels en fin de vie de la direction générale de l’armement ;
– M. Gerard Dahm, chef de bureau à l’office fédéral d’acquisition de la Bundeswehr, chargé des contrats et du suivi des activités de démantèlement) ;
– M. Udo Sahm, responsable du bureau de coopération France de la direction générale de l’armement ;
– M. Jacques Dreyer, conseiller France auprès de la direction générale de l’armement.
Visite du site de Rockensußra de l’entreprise Battle Tank Dismantling Koch GBmH
– M. Peter Koch, président-directeur général ;
– M. Christian Krug von Einem, avocat, conseil de l’entreprise ;
– M. Haro Adt, ancien ambassadeur, conseiller pour les relations publiques ;
– M. Ronald Kirschner, directeur technique.
– M. Peter Hengstermann, Landradt (préfet) du Kreis Kyffhäuser ;
– M. Hans-Dieter Dörrbaum, président du district de Mülhausen.
3. Déplacement sur les sites de Pierrelatte et Marcoule du commissariat à l’énergie atomique le 6 décembre 2010
– M. François Bugaut, directeur matières et environnement à la direction des applications militaires ;
– M. Jean-Pierre Vigouroux, chef du service des affaires publiques et chargé des relations avec le Parlement ;
– M. Christian Bonnet, directeur du site de Marcoule ;
– M. Christian Leprunier, chef de département Tritium, Areva NC.
4. Déplacement aux États-Unis du 13 au 18 décembre 2010
– M. François Rivasseau, ministre conseiller ;
– M. le général Gratien Maire, attaché de défense ;
– M. l’ingénieur en chef de l’armement Étienne Charpentier, attaché d’armement adjoint ;
– M. Jacques Figuet, conseiller nucléaire ;
– M. Jeremy Mell, adjoint au conseiller développement durable et transports ;
– M. Cameron Griffith, chargé des relations avec le Congrès.
Chambre des Représentants
– Mme Vickie F. Plunkett, conseiller senior ;
– Mmes Lynn Williams, Cathy Garman et Jamie Lynch, conseillers de la commission de la défense de la Chambre des représentants.
Sénat
– MM. William G. P. Monahan et Bill Sutley, conseillers de la commission de la défense du Sénat.
– M. Paul Peters, sous-directeur au ministère de la défense en charge de l’approvisionnement ;
– M. Robert McCullough, responsable du circuit d’approvisionnement.
– Mme Inés Triay, Secrétaire d’État adjointe à la politique environnementale ;
– Mme Merle L. Sykes, directrice de la politique environnementale ;
– M. Andrew Szilagyi, directeur des programmes de désactivation et de démantèlement.
Ministère des transports – Administration maritime
– M. James Caponiti, administrateur général adjoint de l’administration maritime ;
– M. Gregory Hall, directeur des affaires internationales ;
– M. Kevin Tokarski, administrateur associé pour la sécurité nationale ;
– M. William Cahill, directeur des opérations maritimes ;
– M. Paul Gilmour, chef de la division de la maintenance et des réparations.
Brownsville, Texas : visite du chantier d’International Shipbreaking Limited
– M. Robert L. Berry, président directeur général ;
– M. Jason Glascock, directeur de l’environnement ;
– M. Michael Donovan, fondateur.
Site nucléaire de Savannah River, Caroline du Sud
– Mme Helen L. Belecan, directrice adjointe du programme de confinement du ministère de l’énergie ;
– Mme Sheron H. Smith de la direction des affaires publiques du ministère de l’énergie ;
– Mme Teresa Haas, directrice des affaires publiques de SRNS ;
– Mme Laurie Posey, chargée des relations publiques de SNRS ;
– M. Doug Kintze, directeur administratif et financier adjoint de SNRS ;
– M. Jeff Griffin, directeur adjoint de la direction de l’environnement du laboratoire national de Savannah River.
Site de démantèlement des munitions d’Anniston, Géorgie
– M. le lieutenant-colonel Randall S. DeLong, commandant le centre de démantèlement des munitions d’Anniston ;
– M. Anthony L. Burdell, commandant en second, ;
– M. Larry Gunter, commandement des missiles de l’armée de terre.
ANNEXE II : EXTRAIT DU RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES SUR LA CERTIFICATION DES COMPTES DE L’ÉTAT POUR 2009
ANNEXE III : DÉCRET DU 26 DÉCEMBRE 1996 RELATIF À L’AMIANTE
DECRET
Décret no 96-1133 du 24 décembre 1996 relatif à l’interdiction de l’amiante, pris en application du code du travail et du code de la consommation
NOR: TAST9611675D
Le Premier ministre,
Sur le rapport du garde des sceaux, ministre de la justice, du ministre de l’équipement, du logement, du transport et du tourisme, du ministre du travail et des affaires sociales, du ministre de l’économie et des finances, du ministre de l’industrie, de la poste et des télécommunications et du ministre de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation,
Vu la directive (CEE) du Conseil no 76/769 du 27 juillet 1976 modifiée relative à la limitation de la mise sur le marché et de l’emploi de certaines substances et préparations dangereuses ;
Vu le code du travail, notamment les articles L. 231-1, L. 231-6, L. 231-7 et L. 263-2 ;
Vu le code de la consommation, notamment l’article L. 221-3 ;
Vu le code pénal, notamment l’article R. 610-1 ;
Vu le code des douanes, notamment l’article 38 ;
Vu le code de la route ;
Vu le décret no 88-466 du 28 avril 1988 modifié relatif aux produits contenant de l’amiante ;
Vu le décret no 96-98 du 7 février 1996 relatif à la protection des travailleurs contre les risques liés à l’inhalation de poussières d’amiante ; Vu la saisine de la Commission des Communautés européennes par le Gouvernement français, en date du 29 octobre 1996, selon la procédure d’urgence prévue à l’article 9, paragraphe 7, de la directive 83/189/CEE modifiée prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques ;
Vu l’avis de la Commission nationale d’hygiène et de sécurité du travail en agriculture en date du 26 septembre 1996 ;
Vu l’avis de la commission de la sécurité des consommateurs en date du 2 octobre 1996 ;
Vu l’avis du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels en date du 16 octobre 1996 ;
Après consultation des organisations professionnelles d’employeurs et de salariés intéressées ;
Le Conseil d’Etat (section sociale) entendu,
Décrète :
Art. 1er. - I. - Au titre de la protection des travailleurs, sont interdites, en application de l’article L. 231-7 du code du travail, la fabrication, la transformation, la vente, l’importation, la mise sur le marché national et la cession à quelque titre que ce soit de toutes variétés de fibres d’amiante, que ces substances soient ou non incorporées dans des matériaux, produits ou dispositifs.
II. - Au titre de la protection des consommateurs, sont interdites, en application de l’article L. 221-3 du code de la consommation, la fabrication, l’importation, la mise sur le marché national, l’exportation, la détention en vue de la vente, l’offre, la vente et la cession à quelque titre que ce soit de toutes variétés de fibres d’amiante et de tout produit en contenant.
III. - Les interdictions pévues aux I et II ne font pas obstacle à l’accomplissement des obligations résultant de la législation relative à l’élimination des déchets.
Art. 2. - I. - A titre exceptionnel et temporaire, les interdictions édictées à l’article 1er ne s’appliquent pas à certains matériaux, produits ou dispositifs existants qui contiennent de la fibre de chrysotile lorsque,
pour assurer une fonction équivalente, il n’existe aucun substitut à cette fibre qui :
- d’une part, présente, en l’état des connaissances scientifiques, un risque moindre que celui de la fibre de chrysotile pour la santé du travailleur intervenant sur ces matériaux, produits ou dispositifs ;
- d’autre part, donne toutes les garanties techniques de sécurité correspondant à la finalité de l’utilisation.
II. - Ne peuvent entrer dans le champ d’application du I du présent article que les matériaux, produits et dispositifs qui relèvent d’une des catégories figurant sur une liste limitative établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la consommation, de l’environnement, de l’industrie, de l’agriculture et des transports. Afin de vérifier le bien-fondé du maintien de ces exceptions, la liste fait l’objet d’un réexamen annuel qui donne lieu à la consultation du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels et de la Commission nationale d’hygiène et de sécurité du travail en agriculture.
Art. 3. - I. - La fabrication, la transformation, l’importation et la mise sur le marché national de l’un des matériaux, produits ou dispositifs relevant d’une des catégories mentionnées sur la liste prévue à l’article 2 donnent lieu à une déclaration, souscrite selon les cas par le chef d’établissement, l’importateur ou le responsable de la mise sur le marché national, qui est adressée au ministre chargé du travail. Cette déclaration est faite chaque année au mois de janvier ou, le cas échéant, trois mois avant le commencement d’une activité nouvelle, ou la modification d’une production existante, selon un formulaire défini par arrêté des ministres chargés du travail, de la consommation, de l’industrie et de l’agriculture.
Elle est obligatoirement assortie de toutes les justifications en la possession du déclarant permettant d’établir, compte tenu des progrès scientifiques et technologiques, que l’activité faisant l’objet de la déclaration répond, à la date à laquelle celle-ci est souscrite, aux conditions énoncées au I de l’article 2.
II. - Une activité qui n’a pas fait l’objet d’une déclaration complète dans le délai prescrit ne peut bénéficier de l’exception prévue à l’article 2.
III. - A tout moment, le ministre chargé du travail peut transmettre à l’auteur de la déclaration les informations lui paraissant établir que le matériau, produit ou dispositif en cause, bien que relevant de l’une des catégories énumérées par la liste de l’article 2, ne satisfait pas aux conditions énoncées au I du même article. Après avoir sollicité les observations du déclarant, il peut le mettre en demeure de cesser cette fabrication, transformation, importation ou mise sur le marché national et de se conformer à l’interdiction énoncée à l’article 1er. Il peut rendre publique cette mise en demeure.
Art. 4. - La fabrication et la transformation des matériaux, produits et dispositifs qui relèvent des catégories figurant sur la liste mentionnée à l’article 2 du présent décret doivent s’opérer conformément aux règles posées par les chapitres Ier et II et la section 1 du chapitre III du décret du 7 février 1996 susvisé.
L’étiquetage et le marquage doivent être conformes aux exigences de l’article L. 231-6 du code du travail et aux règles posées par le décret du 28 avril 1988 susvisé.
Art. 5. - Sans préjudice de l’application des sanctions pénales prévues à l’article L. 263-2 du code du travail en cas de violation des dispositions du I de l’article 1er du présent décret, le fait de fabriquer, importer, mettre sur le marché national, exporter, offrir, vendre, céder à quelque titre que ce soit ou détenir en vue de la vente toutes variétés de fibres d’amiante ou tout produit en contenant, en violation des dispositions du II de l’article 1er, est puni de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe.
Art. 6. - I. - Les articles 1er, 2, 3 et le I de l’article 6 du décret no 88-466 du 28 avril 1988 susvisé sont abrogés.
II. - Au premier alinéa de l’article 4 du même décret, les mots : << des mesures d’interdiction prévues à l’article 2 ci-dessus >> sont remplacés par les mots : << de mesures d’interdiction >>.
III. - Au II de l’article 6 du même décret, les mots : << autres que ceux visés à l’article 2 >> sont remplacés par les mots : << qui ne font pas l’objet de mesures d’interdiction >>.
Art. 7. - A titre transitoire, jusqu’au 31 décembre 2001, l’interdiction de détention en vue de la vente, de mise en vente, de cession à quelque titre que ce soit ne s’applique pas aux véhicules automobiles d’occasion, ni aux véhicules et appareils agricoles et forestiers visés à l’article R. 138 du code de la route, mis en circulation avant la date d’entrée en vigueur du présent décret.
Art. 8. - Le présent décret entrera en vigueur le 1er janvier 1997.
Art. 9. - Le garde des sceaux, ministre de la justice, le ministre de l’équipement, du logement, des transports et du tourisme, le ministre du travail et des affaires sociales, le ministre de l’économie et des finances, le ministre de l’environnement, le ministre de l’industrie, de la poste et des télécommunications, le ministre de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation, le ministre délégué au budget, porte-parole du Gouvernement, et le ministre délégué aux finances et au commerce extérieur sont chargés,
chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 24 décembre 1996.
ANNEXE IV : DÉCISION DE RÉPARTITION DES COMPÉTENCES EN MATIÈRE DE FIN DE VIE DES ÉQUIPEMENTS MILITAIRES
ANNEXE V : ARRÊTÉ DE RÉPARTITION DE COMPÉTENCES CONCERNANT LE RETRAIT DU SERVICE ACTIF
ARRÊTÉ
Arrêté du 16 novembre 2005 fixant les limites de l’exercice de certaines compétences confiées aux autorités appartenant à l’administration centrale du ministère de la défense
NOR: DEFD0501547A
Version consolidée au 23 octobre 2010
La ministre de la défense,
Vu le décret n° 2000-1178 du 4 décembre 2000 modifié portant organisation de l’administration centrale du ministère de la défense ;
Vu le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement,
Arrête :
Article 1
Les autorités militaires et civiles placées à la tête des organismes énumérés par le décret du 4 décembre 2000 susvisé exercent certaines des compétences qui leur sont confiées par le ministre de la défense dans les limites et selon les modalités définies en annexes :
-en matière de gestion financière (cf. annexe 1) ;
-en matière de gestion du matériel (cf. annexe 2) ;
-en matière d’opérations domaniales (cf. annexe 3) ;
-en diverses matières (cf. annexe 4).
Article Annexe 2
COMPÉTENCES EN MATIÈRE DE GESTION DU MATÉRIEL
ACTES (1) |
AUTORITÉS CONCERNÉES |
CONDITION DE L’EXERCICE |
1° Décisions de retrait des approvisionnements des matériels sans emploi, périmés ou en excédent des besoins. |
Dans la limite de 180 000 euros correspondant à la valeur inventaire des matériels. Au-delà du seuil de compétence ainsi établi, les décisions sont prononcées par : | |
Le directeur du service de la poste interarmées relevant du chef d’état-major des armées. |
Le chef d’état-major des armées. | |
Le directeur des ressources humaines dont dispose le délégué général pour l’armement. |
Le délégué général pour l’armement. | |
Le sous-chef d’état-major “soutiens et finances” de l’état-major de la marine et l’ensemble des directeurs et chefs des organismes centraux relevant des chefs d’états-majors d’armée à l’exception, d’une part, des directeurs centraux des ressources humaines de l’armée de terre, de l’armée de l’air et du directeur central du personnel militaire de la marine non compétents en la matière et des directeurs centraux du service du soutien de la flotte et de la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle du matériel aéronautique du ministère de la défense et du service industriel de l’aéronautique, d’autre part, non concernés par la limitation de l’espèce. |
Le chef d’état-major d’armée concerné. | |
Le directeur des affaires juridiques, le directeur du service national, le directeur central du service d’infrastructure de la défense et le chef du service parisien de soutien de l’administration centrale dont dispose le secrétaire général pour l’administration. |
Le ministre de la défense. |
1 () Les armées utilisent indifféremment les termes de déconstruction ou de démantèlement pour désigner les opérations de fin de vie des équipements. En matière nucléaire, les deux termes renvoient en revanche à des étapes distinctes du processus.
2 () L’uranium 235 et le plutonium sont les deux constituants privilégiés des armes atomiques françaises.
3 () Le traité d’interdiction totale des essais nucléaires (TICE) a été ouvert à la signature en 1996. La France l’a signé le 24 septembre 1996 et ratifié le 6 avril 1998. Même s’il n’est pas encore entré en vigueur, ses institutions existent déjà à Vienne, charge à elles de mettre au point un système de vérification du respect du traité.
4 () Article R. 1411-4 du code de la défense.
5 () Loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.
6 () L’accord prévoit que la participation de Thalès peut aller jusqu’à 35 %.
7 () Article R. 1411-9 du code de la défense.
8 () Article 1er de l’ordonnance n° 45-2563 du 18 octobre 1945 modifiée portant création du commissariat à l’énergie atomique.
9 () Exposé des motifs du décret n° 45-2563 précité.
10 () L’ordonnance n° 45-2563 a été abrogée par l’article 7 II de l’ordonnance n° 004-545 du 11 juin 2004 qui dispose néanmoins que l’abrogation des « dispositions de l’ordonnance relatives à la désignation de l’autorité administrative compétente, ne prend effet qu’à compter de la publication des dispositions réglementaires du code de la recherche ». La partie réglementaire n’ayant pas encore été publiée, le rattachement administratif prévu à l’article 1er de l’ordonnance de 1945 reste donc valable.
11 () Audition du directeur des applications militaires par le rapporteur.
12 () SRNS a été constituée par le regroupement des activités nucléaires de trois entreprises importantes : Fluor Corporation, spécialisée dans l’ingénierie, le soutien, la construction et la maintenance ; Northorp Grumman, entreprise de défense et de sécurité ; Honeywell international, entreprise développant et produisant des technologies de pointe dans les domaines de la sécurité, de la défense et de l’énergie.
13 () L’entreprise Shaw Construction est une société de construction, essentiellement tournée vers les travaux publics et vers la construction de bâtiments à usage professionnel.
14 () Décision n°009362/DEF/CAB du 29 juin 2009.
15 () Décision n°0056DEF/CAB/C2C/GNE du 12 avril 2010.
16 () NAMSA : NATO Management and Supply Agency.
17 () Rapport sur le démantèlement des navires du comité opérationnel n°2, portant sur quatre engagements du Livre bleu du Grenelle de la mer, présenté par M. Pierre Cardo, le 28 juin 2010.
18 () Décret n° 2010-675 du 18 juin 2010 relatif à la cession des matériels de guerre, armes et munitions et portant application de l’article 61 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010.
19 () Article 1er du décret n° 2010-675 intégré au 2° du II de l’article L. 67 du code du domaine de l’État.
20 () C’est actuellement le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État.
21 () Rapport d’information n° 3609 du 24 janvier 2007 de Mme Marguerite Lamour sur le démantèlement des navires de guerre.
22 () Le Règlement CE 1013/2006 fait explicitement référence à la décision du conseil de l’OCDE concernant la révision de la décision C(92)39/final sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets destinés à des opérations de valorisation du 21 mai 2002.
23 () Règlement n° CE 1013/2006 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant les transferts de déchets.
24 () L’association européenne de libre échange réunit à ce jour la confédération suisse, l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège. Ces quatre pays sont signataires de la Convention de Bâle.
25 () Règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) n° 793/93 du Conseil et le règlement (CE) n° 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission.
26 () Le III de l’article L. 521-1 dispose : « Si les intérêts de la défense nationale l’exigent, l’autorité administrative peut accorder des exemptions au règlement (CE) n° 1907/2006, dans des cas spécifiques pour certaines substances, telles quelles ou contenues dans un mélange ou un article ou au règlement (CE) n° 1272/2008 dans des cas spécifiques pour certaines substances ou certains mélanges ».
27 () Règlement (CE) n° 1005/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone.
28 () Ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine des déchets.
29 () Directive 76/769/CEE du Conseil, du 27 juillet 1976, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la limitation de la mise sur le marché et de l’emploi de certaines substances et préparations dangereuses.
30 () Annexe 1 de la directive 76/769/CEE.
31 () Ibid.
32 () Décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996 relatif à l’interdiction de l’amiante, pris en application du code du travail et du code de la consommation.
33 () Instruction générale n° 125/DEF/EMA/PLANS/COCA – n° 1516/DEF/DGA/DP/SDM du 26 mars 2010 relative au déroulement et la conduite des opérations d’armement.
34 () Rapport d’information n° 3609, op. cit.
35 () Extrait des réponses de la direction des affaires financières au questionnaire adressé par le rapporteur en novembre 2010.
36 () Dans la loi de finances initiale pour 2011, le budget de la défense représente près de 42 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 37,5 milliards d’euros en crédits de paiement.
37 () Extrait des réponses de la direction des affaires financières au questionnaire adressé par le rapporteur en novembre 2010.
38 () Instruction 1516 du 26 mars 2010 précitée.
39 () Ce régime est notamment défini par le décret n° 2006-1004 du 10 août 2006 portant attribution du produit des cessions de biens mobiliers provenant des services de l’État.
40 () Extraits des réponses de la direction des affaires financières, op. cit.
41 () Ibid.
42 () La Finlande consacre entre 1,4 et 1,6 % de son PIB à sa défense, soit un effort annuel de l’ordre de 2 milliards d’euros. Les armées comptent environ 35 000 militaires.
43 () L’entreprise European Metal Recycling (EMR), créée en 1994, est spécialisée dans le domaine du recyclage. Elle emploie 2 300 personnes dans le monde avec une centaine de sites. Son chiffre d’affaires est d’environ 3 milliards de livres en 2008.
44 () Multiple Launch Rocket System.
45 () Cette expression utilisée par la presse allemande est reprise du verset 4 du chapitre 4 du Livre d’Ésaïe de l’Ancien Testament « Il sera juge entre les nations, l’arbitre de peuples nombreux. Martelant leurs épées, ils en feront des socs, de leurs lances ils feront des serpes. On ne brandira plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à se battre.», La Bible, traduction œcuménique, Les éditions du Cerf, Paris, 10e édition, 2004.
46 () Extrait de la présentation du traité sur le site du parlement européen : http://www.europarl.europa.eu/workingpapers/poli/w23/cfe_fr.htm.
47 () L’entreprise Scholz AG emploie 6 500 personnes sur plus de 600 sites. Son chiffre d’affaires a atteint 4,6 milliards d’euros en 2008.
48 () Rapport D-2009-052.
49 () Depuis lors, le processus d’acquisition a été suspendu pour des raisons budgétaires.
50 () Arrêté DEFD0501547A du 16 novembre 2005 fixant les limites de l’exercice de certaines compétences confiées aux autorités appartenant à l’administration centrale du ministère de la défense,
51 () Projet de loi relatif au contrôle des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense dans l’Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité, actuellement en cours d’examen au Sénat.
52 () Instruction 1516, op. cit.
53 () En particulier, le groupe DNCS a conclu des contrats portant sur la conception et la réalisation en transfert de technologies de quatre sous-marins conventionnels, l’assistance pour la réalisation de la partie non nucléaire d’un sous-marin à propulsion nucléaire, ainsi que le soutien à la réalisation d’une base navale et d’un chantier de construction navale.
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