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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 octobre 2011.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 5 octobre 2010 (1),
sur « L’Iran après 2008 »
Président
M. Jean-Louis BIANCO
Rapporteur
M. Jean-Jacques GUILLET
Députés
__________________________________________________________________
(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.
La mission d’information « L’Iran après 2008 » est composée de : M. Jean-Louis Bianco, Président, M. Jean-Jacques Guillet, Rapporteur, MM. Jean-Michel Boucheron, Hervé Gaymard, Gaëtan Gorce (jusqu’à son entrée au Sénat le 1er octobre 2011), Jean-Claude Guibal, Mme Elisabeth Guigou, MM. Didier Julia, Jacques Remiller, François Rochebloine, Jean-Marc Roubaud.
INTRODUCTION 7
I – DES FAIBLESSES STRUCTURELLES QUI APPARAISSENT DE PLUS EN PLUS AU GRAND JOUR 11
A – UN RÉGIME FRAGILISÉ APRÈS LA RÉÉLECTION CONTESTÉE DU PRÉSIDENT AHMADINEJAD 11
1) La colère du peuple iranien après le « vol » des résultats de l’élection 12
a) Une campagne électorale exceptionnellement ouverte suivie de résultats manifestement faussés 12
b) Le vaste mouvement de protestation déclenché par l’annonce des résultats 14
c) Des protestations qui reflètent les évolutions de la société iranienne 17
2) Une répression ferme, suivie d’une dégradation de la situation des droits de l’Homme 19
a) Une répression extrêmement ferme 19
b) Des droits de l’Homme toujours bafoués 21
c) Des cas emblématiques qui attirent l’attention de la communauté internationale 24
3) Un régime qui traverse une grave crise 28
a) L’ébranlement des fondements de la République islamique 28
b) Une opposition ouverte entre le Guide suprême et le président de la République 30
c) Comment le régime peut-il évoluer ? 33
B – UNE ÉCONOMIE SOUS PRESSION 36
1) L’incontestable effet des sanctions sur l’économie iranienne 36
a) Un gâchis économique 37
b) Une asphyxie progressive 39
c) Des effets pervers 41
2) L’état paradoxal du secteur des hydrocarbures 42
a) Le poids du pétrole dans l’économie iranienne 43
b) Des besoins en gaz considérables 45
c) Un sous-investissement très pénalisant pour l’avenir 46
3) Des réformes économiques nécessaires aux conséquences imprévisibles 49
a) Une volonté réformatrice surprenante 49
b) Des conséquences imprévisibles 51
II – UN DOSSIER NUCLÉAIRE QUI CONTINUE À CRISTALLISER L’ATTENTION DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE 55
A – DES ESPOIRS D’AVANCÉES DÉÇUS 55
1) L’échec de la « main tendue » du président Obama 56
a) La « main tendue » américaine 56
b) Une main que les Iraniens n’ont pas saisie 58
2) Les avatars de l’offre relative au réacteur de recherche de Téhéran 60
a) Une offre visant à rétablir la confiance 60
b) Une tentative iranienne de manipulation 61
B – LA FUITE EN AVANT 63
1) Un programme nucléaire qui progresse en dépit des obstacles 63
a) Le refus de céder à la pression 63
b) Une accumulation de difficultés 65
c) Des progrès néanmoins considérables 67
2) Le resserrement progressif de l’étau des sanctions 69
a) Un nouveau train de sanctions des Nations unies 70
b) Le développement des sanctions unilatérales 71
c) Des perspectives d’évolution peu encourageantes 73
III – LE POSITIONNEMENT RÉGIONAL DE L’IRAN CONFRONTÉ AUX BOULEVERSEMENTS DU « PRINTEMPS ARABE » 77
A – UNE VOLONTÉ D’INFLUENCE RÉGIONALE TOUJOURS TRÈS VISIBLE 77
a) Une influence iranienne encore plus sensible sur le Liban 81
b) Un rôle de perturbateur rarement démenti 84
B – L’IRAN FACE AU « PRINTEMPS ARABE » 88
1) Une tentative de récupération peu crédible 88
a) Une lecture officielle des événements biaisée 88
b) Un Iran spectateur engagé 90
c) Le « mouvement vert » à l’unisson des révoltes arabes 92
2) Un équilibre régional profondément remis en cause 94
a) L’Egypte ralliera-t-elle le camp de l’Iran ? 94
b) L’Iran peut-il tirer profit de l’évolution de la situation des Palestiniens ? 96
c) L’Iran perdra-t-il son allié syrien ? 98
CONCLUSION 101
EXAMEN EN COMMISSION 107
ANNEXES 119
1. Liste des personnalités rencontrées 121
2. Chronologie : l’Iran de janvier 2009 à septembre 2011 125
3. Résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies sur la situation des droits de l’Homme en République islamique d’Iran 129
4. Résolution 1929 (2010) adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies 135
5. Décision 2011/235/PESC du Conseil de l’Union européenne du 12 avril 2011 157
Mesdames, Messieurs,
Le 16 décembre 2008, la commission des affaires étrangères autorisait la publication d’un rapport intitulé L’Iran à la croisée des chemins, en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 30 janvier de la même année sur « Iran et équilibre géopolitique au Moyen-Orient » (1). Le 5 octobre 2010, la Commission a décidé de charger une nouvelle mission d’information d’assurer le suivi des travaux de cette mission. Il s’agissait là d’une première, qui apparaissait alors parfaitement justifiée à la fois par la préoccupation vive et persistante de la communauté internationale sur le dossier nucléaire iranien et par les événements qui avaient ébranlé l’Iran à la suite de l’élection présidentielle de juin 2009. Cette décision s’est avérée encore plus pertinente au fil des mois, alors que le « printemps arabe » s’étendait à des pays toujours plus proches, à la fois géographiquement et politiquement, de l’Iran et remettait profondément en cause l’équilibre de la région.
A l’automne dernier, la Mission a pris le parti à la fois de limiter le champ chronologique de ses travaux à la période postérieure à la publication du précédent rapport d’information et d’approfondir l’approche amorcée par celui-ci de la situation intérieure du pays, dont le « mouvement vert » de l’été 2009 avait révélé la complexité. C’est dans cette logique qu’elle a sobrement intitulé l’objet de ses travaux « l’Iran après 2008 ».
L’idée était d’une part de rendre compte de ce qui s’était passé depuis décembre 2008 sur le dossier nucléaire et le positionnement régional de l’Iran, d’autre part d’essayer de mieux comprendre les ressorts des événements de l’été 2009. Le « printemps arabe » a éclairé d’un jour nouveau le « mouvement vert » et conduit la Mission à s’interroger sur les effets qu’il était susceptible d’avoir sur la situation intérieure iranienne comme sur la place du pays dans la région.
Pour nourrir sa réflexion, la Mission a reçu à Paris plus d’une vingtaine d’experts de l’Iran, spécialistes de géopolitique, excellents connaisseurs de la société et de la vie politique iranienne, et diplomates. Le Président et votre Rapporteur se sont rendus à Moscou, début avril, et à New York et à Washington, mi-mai. Le Président a effectué un déplacement à Londres, fin juin, et à Vienne, début septembre. Ils tiennent à remercier une fois encore les ambassadeurs de France en Russie, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, et les représentants permanents de la France auprès des Nations unies et de l’Agence internationale de l’énergie atomique, ainsi que leurs collaborateurs, pour la chaleur de leur accueil et la qualité des entretiens qu’ils ont organisés pour la Mission (2). Le choix de ces destinations doit être mis en relation avec celles qui avaient été retenues en 2008 : cette première mission, axée sur l’équilibre régional, était allée aux Emirats arabes unis, à Bahreïn, en Israël, dans les Territoires palestiniens, en Syrie et en Iran. La seconde mission a souhaité approfondir sa connaissance de la position des grands pays vis-à-vis de l’Iran et rencontrer des experts des questions nucléaires, régionales et intérieures.
La Mission regrette vivement de ne pas avoir pu effectuer un déplacement en Iran, ce que la mission précédente avait eu l’occasion de faire en novembre 2008. Mais ce regret porte sur les circonstances qui l’ont conduite à y renoncer, et non sur la décision de ne pas s’y rendre. En effet, la Mission a voulu éviter que ce déplacement, qui aurait pu se dérouler à la fin du printemps, ne soit instrumentalisé par les autorités iraniennes dans un contexte très délicat aux plans interne comme bilatéral et régional : les manifestations de soutien au « printemps arabe » venaient d’entraîner une nouvelle vague de répression, les autorités iraniennes n’avaient pas agréé notre nouvel ambassadeur – alors que son prédécesseur avait quitté son poste fin 2010 et que son nom avait été proposé à la partie iranienne à la mi-février ; les tensions entre l’Iran et ses voisins du Golfe étaient très fortes. Depuis, en dépit de l’agrément accordé à M. Bruno Foucher à la mi-mai et d’une détente très relative dans le Golfe, la situation intérieure n’a pas enregistré de progrès et le rôle que l’Iran joue en sous-main pour soutenir les forces de la répression en Syrie – de manière certaine – et en Libye – selon les informations rendues publiques par des services de renseignement occidentaux – n’a fait que renforcer la conviction de la Mission sur le caractère intempestif d’un déplacement à Téhéran.
Le rapport de décembre 2008 présentait d’abord les certitudes auxquelles les membres de la Mission étaient arrivés : puissance moyen-orientale dotée de voies d’influence plurielles, le pays connaissait des faiblesses structurelles qui ne l’empêchaient pas de mener un programme nucléaire dont les visées militaires ne faisaient plus de doutes. Après avoir analysé les raisons du blocage du dossier nucléaire, le rapport fixait l’objectif d’obtenir de l’Iran qu’il joue un rôle stabilisateur au Proche et au Moyen-Orient. Pour y parvenir, il excluait aussi bien l’acceptation du fait accompli nucléaire que le recours à des frappes préventives. Il émettait des doutes sur la possibilité et la pertinence d’un durcissement des sanctions économiques, et appelait à la négociation d’un accord global, sans condition préalable, incluant une solution à la question du nucléaire mais aussi des garanties en matière de sécurité régionale, des avancées politiques et économiques au profit de l’Iran. Dans leur conclusion, les auteurs du rapport exprimaient l’espoir que l’année 2009 offre des conditions plus favorables au dialogue avec l’Iran grâce au renouveau politique auquel on pouvait s’attendre, puisque, outre l’entrée en fonction du Président Obama en janvier, l’année devait être marquée par les élections législatives en Israël et le scrutin présidentiel en Iran. On était alors loin d’imaginer le « putsch électoral » qu’allait connaître l’Iran en juin 2009, et le raidissement des autorités iraniennes, dans tous les domaines, que les réactions populaires allaient déclencher.
I – DES FAIBLESSES STRUCTURELLES QUI APPARAISSENT DE PLUS EN PLUS AU GRAND JOUR
La mission d’information de 2008, dont le thème central était le positionnement régional de l’Iran, a évoqué rapidement, dans son rapport, les faiblesses structurelles du pays en décrivant la « mollesse » du soutien populaire à un régime, dont le fonctionnement était opaque et complexe, et les résultats décevants de son système économique très particulier.
Au cours des trois dernières années, malgré un prix du pétrole élevé, l’isolement de l’économie iranienne s’est renforcé, résultat de la mise en œuvre par la communauté internationale de sanctions plus sévères. Surtout, la République islamique iranienne traverse une crise, marquée par l’intensification des tensions entre les factions au pouvoir, qui a atteint un niveau critique depuis la réélection du Président Ahmadinejad. La force du mouvement de contestation des résultats du scrutin et l’intensité de la répression qui l’a suivi ont mis en lumière la perte de légitimité du régime.
A – Un régime fragilisé après la réélection contestée du président Ahmadinejad
Le rapport de décembre 2008 a présenté le caractère dual d’un système reposant à la fois sur une légitimité théocratique et sur une légitimité démocratique, la première l’emportant in fine sur la seconde en cas d’absence de consensus. Les auteurs du rapport considéraient que la contradiction entre ces deux logiques était la source des blocages politiques et économiques du pays. Tout en soulignant le faible soutien de la population iranienne au régime, ils avaient eu le sentiment que celle-ci n’était pas pour autant animée par la volonté d’en changer.
Six mois après la publication de ce rapport, le fort mouvement de protestation qui a fait suite à la réélection très contestée de M. Mahmoud Ahmadinejad à la présidence de la République a montré que les Iraniens n’entendaient pas se laisser voler leur vote sans réagir – sans pour autant que la majorité remette en cause les fondements du système, dont elle demandait seulement la réforme. La manière dont ce scrutin s’est déroulé, la répression du mouvement qualifié de « vert » et le maintien depuis lors d’une chape de plomb sur le pays témoignent très clairement des faiblesses d’un régime, dont les contradictions internes deviennent de plus en plus visibles.
1) La colère du peuple iranien après le « vol » des résultats de l’élection
Les auteurs du rapport de décembre 2008 formaient le vœu que l’élection présidentielle iranienne permette d’ouvrir une nouvelle page dans les relations entre l’Iran et la communauté internationale. Alors que la campagne électorale avait été brève mais riche et très suivie par les Iraniens, l’annonce de la réélection du président sortant dès le premier tour a constitué un choc pour les électeurs iraniens comme pour le reste du monde.
a) Une campagne électorale exceptionnellement ouverte suivie de résultats manifestement faussés
Dans la mesure où la participation aux élections est considérée comme témoignant de l’adhésion du peuple au fonctionnement du régime, et que la participation à la précédente élection présidentielle avait été relativement faible (60 % au second tour, selon les chiffres officiels toujours sujets à caution, car très probablement surestimés), les autorités ont laissé se dérouler une campagne électorale relativement libre. Bien qu’elle n’ait duré que quinze jours, elle a été marquée, pour la première fois, par l’organisation de débats publics entre les candidats admis à concourir. De l’avis de tous, ces débats, faisant croire à un nouvel air de liberté, ont encouragé les électeurs à participer en nombre à l’élection.
Selon M. Ahmad Salamatian (3), l’organisation de ces débats par la télévision iranienne, publique et contrôlée par l’Etat – et dont le directeur, nommé par le Guide suprême, était un ancien général des Gardiens de la révolution –, était surtout un moyen de contrer l’influence de la BBC, qui diffusait des émissions en persan depuis février 2009 et dont l’audience s’était envolée au printemps, ce qui a été confirmé au Président par le directeur régional de BBC World, qu’il a rencontré à Londres. Ces débats n’en ont pas moins joué un rôle considérable, au détriment du président sortant, qui est apparu agressif, présentant ses trois adversaires comme les agents d’un complot ourdi de l’étranger visant à maintenir « les privilèges et faire durer les pillages organisés par l’aristocratie corrompue », et au profit des candidats réformateurs qui se sont montrés unis contre son bilan. 50 millions de téléspectateurs, sur une population de 71 millions d’habitants, auraient assisté au débat entre MM. Ahmadinejad et Moussavi.
Le dernier sondage effectué à la veille du scrutin par les ministères de l’intérieur et de l’information prévoyait que l’élection conduirait à un duel entre MM. Ahmadinejad et Moussavi. Pourtant, selon les premiers résultats officiels annoncés dès le soir du 12 juin, le taux de participation était de l’ordre de 85 % et M. Ahmadinejad aurait obtenu 62,5 % de voix, soit près de 24,6 millions de votes. 13,34 millions de voix, soit un score de 33,9 %, sont attribuées à M. Moussavi, tandis que les deux autres candidats feraient un score quasiment nul : 1,7 % pour M. Rezai, 0,9 % pour M. Karoubi. M. Moussavi, dont plusieurs proches avaient annoncé la victoire au cours de la journée, a immédiatement évoqué des irrégularités massives et accusé le gouvernement d’avoir manipulé les votes du peuple. Il en appelait alors à l’arbitrage du Guide suprême.
Les moyens de fausser les résultats d’une élection sont nombreux et il apparaît qu’un grand nombre d’entre eux a été mis en œuvre à l’occasion de celle-ci, en amont, pendant son déroulement et avant l’annonce des résultats.
Si la campagne électorale avait semblé ouvrir le jeu, le pouvoir avait commencé à préparer l’élection présidentielle depuis longtemps. Pour M. Michel Makinsky, chargé d’enseignement sur l’Iran à l’Ecole supérieure de commerce et de management de Poitiers (4), il s’agissait avant tout d’effacer l’échec des fondamentalistes à l’élection, le 15 décembre 2006, de l’Assemblée des experts, qui a le pouvoir de désigner et de démettre le Guide. Mme Marie Ladier-Fouladi, chargée de recherche au CNRS (5), y voit une conséquence des résultats des élections législatives de 2008, qui n’avaient porté au Parlement que 72 proches du président de la République, sur 290 sièges, obligeant celui-ci à s’allier avec d’autres courants fondamentalistes, comme celui conduit par M. Ali Laridjani, le président du Parlement, pour obtenir une courte majorité. C’est au lendemain de ce scrutin que le ministre de l’intérieur avait été révoqué et que le président de la République avait obtenu du Guide suprême l’incorporation de 4 000 nouveaux « guides politiques » dans un corps qui en comprenait alors 12 000, tous Gardiens de la révolution ou membres de la milice des bassidjis, chargés officiellement d’inciter les électeurs à participer aux scrutins, officieusement de les appeler à voter pour les candidats fondamentalistes. Au début de l’année 2009, M. Ahmadinejad avait également remercié le directeur du Bureau national des élections du ministère de l’intérieur, pourtant un proche, pour le remplacer par l’un de ses lieutenants les plus fidèles.
Le processus de présélection des candidats a aussi été drastique. Alors que plusieurs centaines d’Iraniens avaient présenté leur candidature, quatre seulement ont passé le filtre du Conseil des gardiens de la constitution. Il s’agissait exclusivement de personnalités issues du régime, dont la fidélité à la République islamique ne faisait aucun doute, puisque, outre le président sortant, il y avait un ancien président du Parlement, M. Mehdi Karoubi, un ancien Premier ministre, M. Mir Hossein Moussavi, et un ancien responsable des Gardiens de la révolution, M. Moshen Rezai. L’ancien président Khatami avait annoncé sa candidature en février, en dépit des conseils du Guide qui lui recommandait de n’en rien faire, mais il s’était désisté à la mi-mars, en faveur de M. Moussavi.
Les conditions dans lesquelles se déroulent les opérations électorales dans le pays facilitent toutes les malversations. Comme plusieurs interlocuteurs de la Mission l’ont souligné, il n’existe ni carte d’électeur ni liste électorale en Iran, si bien que tout Iranien majeur peut, avec sa seule carte d’identité, voter dans n’importe quel bureau de vote de n’importe quelle circonscription. Il n’y a pas d’isoloir. Les bulletins de vote ne sont pas pré-imprimés : en principe, ils mentionnent uniquement la région où ils ont vocation à être employés, mais, à la veille du scrutin du 12 juin 2009, des bulletins susceptibles d’être utilisés dans tout le pays avaient été préparés. Alors que leur nombre total dépassait très largement celui des électeurs potentiels – lequel n’est pas connu exactement, en l’absence de listes électorales, mais simplement l’objet d’estimations, divergentes selon les sources –, les bulletins ont manqué dans certains bureaux de vote, privant une partie des électeurs de la possibilité d’exercer leur droit de vote. L’heure de fermeture des bureaux de vote a été reportée à plusieurs reprises. De nombreux bureaux de vote mobiles – près du tiers des 45 713 bureaux de vote – avaient été mis en place. En outre, le ministère iranien de l’intérieur avait soigneusement manœuvré pour que la majorité des représentants des rivaux de M. Ahmadinejad ne puissent accéder aux bureaux de vote afin d’observer l’opération de la collecte et surtout du décompte des voix, et les observateurs internationaux avaient été interdits.
Tous les spécialistes entendus par la Mission ont souligné l’importance, de la fraude à l’occasion de ce scrutin. M. Michel Makinsky, qui a souligné l’outrance des résultats annoncés, a estimé que, en l’espèce, la notion de fraude électorale était un euphémisme, et Mme Marie Ladier-Fouladi a fait le constat d’une fraude massive.
Plusieurs études détaillées des résultats officiels ont mis en évidence leurs incohérences et leur caractère invraisemblable. M. Maziar Parizi s’est même efforcé de comprendre comment ils avaient été manipulés afin de conduire à la réélection triomphale du président sortant (6). Il estime qu’ont été attribuées à ce dernier non seulement les voix qu’il avait obtenues, mais aussi une partie des votes issus des bureaux mobiles et une grande part des votes en faveur de MM. Karoubi et Rezai, afin de lui assurer une avance de 11 millions de voix par rapport à M. Moussavi. Rien n’aurait en revanche été changé au résultat de celui-ci, qui était le favori des enquêtes d’opinion. Il en conclut que le score de M. Ahmadinejad n’a certainement pas dépassé les 50 % et qu’un second tour aurait dû être organisé.
b) Le vaste mouvement de protestation déclenché par l’annonce des résultats
Après la contestation immédiate de M. Moussavi, M. Karoubi s’est étonné de la disparition de son électorat – il avait obtenu 5 millions de voix en 2005 – et a rapporté que ses observateurs avaient fait état d’urnes pré-remplies et d’opérations de collecte des urnes en l’absence de représentants officiels. Le Front de la participation, une coalition proche du président Khatami, ainsi que l’Association des religieux combattants, réformiste, ont appelé à l’annulation des résultats de l’élection et à la tenue d’un nouveau scrutin.
Dès le lendemain du scrutin, des milliers de personnes manifestaient à Téhéran leur mécontentement contre les résultats annoncés et affrontaient les forces de l’ordre, déjà de manière parfois violente. Une centaine de responsables réformateurs étaient arrêtés le soir même, tandis que les deux perdants contestataires étaient assignés à leur domicile « pour les protéger », selon les autorités. Le jour même, un vendredi, les envois de textos étaient bloqués et les principaux sites réformistes filtrés, tout comme les réseaux sociaux. Le principal réseau de téléphonie mobile était coupé dans la soirée du samedi, tandis que la presse avait reçu l’ordre de ne publier ni les réactions de MM. Moussavi et Karoubi, ni d’informations sur les manifestations.
Quelques heures après l’annonce des résultats, le régime avait déjà recours à l’ensemble des instruments qu’il allait utiliser pour venir, non sans mal, à bout du mouvement de protestation : la répression violente des manifestations, les arrestations, le blocage des moyens de communication et la désinformation.
Le 14 juin, à l’issue d’un entretien entre M. Moussavi et le Guide suprême, il est clair que, si ce dernier reconnaît la possibilité de fraudes pendant l’élection, il exclut que celle-ci soit annulée et un nouveau scrutin organisé. Le président proclamé réélu ayant traité ceux qui n’avaient pas voté pour lui « d’une poignée de détritus qui seront détruits », 3 millions de personnes défilent à Téhéran le 15 juin derrière des banderoles proclamant « Nous sommes les détritus ! » et des pancartes demandant « Où est mon vote ? ».
L’ampleur du succès de cette manifestation a surpris tout le monde. M. Ahmad Salamatian et Mme Sara Daniel en donnent l’interprétation suivante : « Le pouvoir islamique a perdu, ce jour-là, le contrôle politique de la rue qu’il utilisait depuis sa création pour légitimer sa souveraineté aussi bien à l’intérieur qu’à la face du monde. » (7) Ils rapprochent la succession des manifestations et des répressions qui se sont déroulées au cours des semaines et des mois suivants, des événements qui ont précédé la révolution de 1979. A cette époque aussi, les contestataires profitaient des fêtes religieuses et commémoratives pour manifester et la prière du vendredi était devenue l’occasion d’un bras de fer entre manifestants et forces de l’ordre.
En effet, si les manifestations de rue se sont étiolées au cours de l’été 2009, des manifestations très importantes se sont déroulées dans le cadre de la commémoration traditionnelle de l’Achoura – en mémoire de l’assassinat de l’imam Hussein –, en décembre 2009. Elles ont aussi été l’occasion de rendre hommage à l’ayatollah Montazeri, récemment décédé, qui avait longtemps été le dauphin de l’ayatollah Khomeiny avant d’être écarté de sa succession.
Le mouvement de protestation a pu s’organiser en recourant aux nouvelles technologies de l’information. Cela a été rendu possible par la très forte pénétration d’internet en Iran. En dépit du coût très élevé des connexions internet et de l’absence de haut débit – dont les autorités privent la population –, l’Iran compterait aujourd’hui près de 29 millions d’internautes, soit un taux de pénétration de 38 % de la population (8) – qui n’est que de 28 % dans la Turquie voisine et atteint 62 % en France. Avant que le « printemps arabe » confirme l’importance de ce média dans l’organisation de mouvements populaires, le « mouvement vert » en avait été la première expérience réussie.
Le nom de « mouvement vert », ou de « révolte verte », trouve son origine dans la campagne de M. Moussavi. Cette couleur, celle des descendants du Prophète, dont le candidat se réclamait, lui avait été associée dès le mois de mars, lorsqu’il avait lancé un quotidien portant le titre de La parole verte. N’ayant pas le droit de coller des affiches, certains de ses soutiens ont eu l’idée d’utiliser des vêtements et accessoires de couleur verte. C’est aussi la couleur que le sort a attribuée à M. Moussavi au moment où le ministère de l’intérieur a décidé que chaque candidat aurait un logo et une couleur pour les émissions télévisées.
Les interlocuteurs de la Mission ont tous souligné le rôle relativement modeste véritablement joué par M. Mir Hussein Moussavi dans l’organisation d’un mouvement dont il a été présenté comme l’incarnation. Ce pur produit du régime, qui a été Premier ministre pendant la guerre entre l’Iran et l’Irak et avait soutenu les violentes purges qui ont marqué cette période, avait refusé à plusieurs reprises d’être le candidat des réformateurs à l’élection présidentielle. Il semblerait qu’il n’ait changé d’avis que parce qu’il avait le sentiment que la personnalité du président Ahmadinejad mettait en danger la République islamique qu’il avait servie. Mme Fariba Abdelkhah, directrice de recherche au Centre d’études et de recherches internationales (9), a expliqué à la Mission que le « mouvement vert » l’avait très rapidement dépassé : « C’est avant tout l’absence de véritable meneur politique de l’opposition qui a permis à M. Moussavi d’être si populaire et soutenu. Il ne s’agit là que d’un report. Sa victoire principale fut en réalité cette défaite électorale qui l’a fait porter aux nues. Et c’est également pourquoi M. Moussavi ne pouvait pas réussir à concurrencer M. Ahmadinejad. La contestation est un mouvement disparate, portant des revendications diverses. »
L’ampleur rapidement prise par ce mouvement de protestation a surpris les autorités iraniennes comme les observateurs étrangers. Il doit pourtant être replacé dans la très ancienne tradition de vie politique en Iran. Comme M. Jean-Pierre Digard, directeur de recherche au CNRS, (10) l’a rappelé à la Mission, « le panislamisme de Jalal ed-Din al Afghani (qui malgré son nom était bien iranien), les loges maçonniques au XIXe siècle, la révolution constitutionnaliste de 1906-1911, la création du premier parti communiste au Moyen-Orient en 1920 sont autant de faits attestant d’une activité politique forte ». Il reflète surtout les évolutions qu’a connues la société iranienne depuis la révolution de 1979.
c) Des protestations qui reflètent les évolutions de la société iranienne
Le mouvement de protestation a conduit dans la rue des millions d’Iraniens, de tous âges et de toutes conditions. Mais les étudiants et les femmes ont joué un rôle décisif dans son déclenchement comme dans son organisation. Or, ces deux catégories ont acquis la capacité de s’affirmer au cours des dernières décennies. En trente ans, alors que la population doublait, le nombre d’étudiants a été multiplié par dix, pour atteindre aujourd’hui 3,85 millions de personnes sur 70 millions d’habitants. Il y a plus de 2 200 universités, chaque ville, même située dans les provinces les plus reculées, en ayant une, ce qui permet aux jeunes, même issus des classes moyennes et pauvres, de suivre des études supérieures.
Les différents interlocuteurs de la Mission ont insisté sur l’importance de ces évolutions qui ont été accélérées par les choix de la République islamique.
M. Jean-Pierre Digard en a fait la description suivante : « L’Iran est un pays qui, à côté d’aspects excessivement traditionalistes, montre tous les signes d’hypermodernité, d’occidentalisation et de mondialisation. Son évolution démographique se rapproche des standards occidentaux avec une majorité de la population urbaine depuis 1978, une fécondité passée de 6,2 enfants par femme avant la révolution à 3,5 en 1993, puis à 2 en 2006. De même, la population est scolarisée à plus de 80 % et la diffusion des nouvelles technologies est générale. L’omniprésence des femmes est également caractéristique de la société actuelle, et ce malgré ou à cause du hidjab. Elles sont désormais présentes dans la vie sociale, dans le monde du travail, dans les universités (60 % des étudiants sont des étudiantes), dans la fonction publique (un tiers des fonctionnaires sont des femmes), et il existe de nombreux mouvements et journaux féminins. La modernisation est également perceptible dans l’apparence des personnes (jeans et baskets, cheveux décolorés, rhinoplastie...), dans les goûts musicaux (premier festival pop en 1991), dans les sports pratiqués (football, karaté, sports d’hiver et de plein air, pratiqués aussi par les femmes), dans un cinéma original et de grande qualité, dans l’existence de lieux de loisir et de sociabilité américanisés (fast food et pizzerias,…). » Le développement de l’usage des nouveaux moyens de communication par la société iranienne, qui a joué un rôle déterminant depuis le printemps 2009, s’inscrit également dans ce mouvement.
M. Yann Richard, professeur à Institut d’études iraniennes de l’université Sorbonne nouvelle – Paris 3, (11) a lui aussi souligné la transformation « en profondeur » de la société depuis les années 1970 : apparaissant d’abord à travers l’urbanisation de la population, qui a conduit à une destruction des liens sociaux et à une certaine perte de repères, elle a contribué à la chute du régime impérial, et s’est poursuivie sous la République islamique. En effet, « le régime actuel a achevé l’alphabétisation de l’ensemble des classes sociales iraniennes, femmes et hommes confondus, un succès que la dynastie Pahlavi n’arrivait pas à obtenir. Par conséquent, c’est avec une grande curiosité que les jeunes Iraniens, friands des nouvelles technologies de communication et d’internet, abordent leur avenir. Les femmes font des études en Iran ; elles sont même plus nombreuses que les hommes à les poursuivre au niveau supérieur. Il est très commun qu’une femme ait un niveau d’éducation supérieur à son mari. Cette évolution a conduit à un recul important du taux de fécondité. Le mouvement féministe s’est affirmé avec force, se traduisant par une volonté d’accès à l’éducation, au monde professionnel, et au pouvoir politique. Mais rien de tout ceci n’est conçu comme contraire à l’islam, l’égale condition des femmes et des hommes étant partie intégrante de la religion musulmane selon les féministes iraniens. »
Il a estimé en outre que la jeunesse était en cours de « désislamisation » : « Après avoir subi nombre de programmes islamisants et de propagande chiite, [elle] est arrivée aujourd’hui au-delà du point de saturation : désormais la religion glisse sur elle, telle " l’eau sur les plumes d’un canard ". Cela peut apparaître paradoxal dans une société où la religion est si prégnante du point de vue culturel. Mais il est indéniable qu’aujourd’hui les jeunes se détachent de cette omniprésence du religieux, ou du moins des formes rigides de la religion institutionnelle. »
Mme Fariba Abdelkhah partage ces analyses. Elle voit dans la prise de distance de la jeunesse vis-à-vis de la pratique religieuse traditionnelle « un mouvement de résistance à l’Etat. Le mode d’expression religieux est le moyen idéal pour ne pas lui ressembler. » Elle a surtout mis l’accent sur le rôle déterminant du mouvement féministe dans le mouvement de contestation : « Le mouvement des femmes contre toutes les formes de discriminations dont elles pouvaient être victimes sans fondements religieux ou légaux prit naissance en 2003. Il est même à l’origine du mouvement vert, et lui a survécu. Il s’agit du tout premier mouvement de fond depuis la révolution. Cette donnée est intéressante, car ce mouvement ne s’élève ni contre la révolution, ni contre la religion, mais bien contre les discriminations. Les personnes concernées ont été en premier lieu les femmes, puis le mouvement s’est étendu à d’autres causes. Plusieurs cellules se sont développées, des branches régionales, disposant de structure d’organisation refusant de se confondre avec toute revendication politique. » Elle a aussi rappelé que, alors que le clergé s’était opposé au Chah lorsqu’il avait accordé le droit de vote aux femmes, la République islamique n’avait pas osé revenir sur cette avancée, en dépit de la répression du mouvement féministe.
Le mouvement qui a éclaté dans le monde universitaire en 1999 était un premier signe de l’évolution de la société et des nouvelles aspirations de la jeunesse. Il traduisait la déception de la jeune génération devant le blocage des réformes promises par le président Khatami. La force de la répression qu’il a subie (12) résultait probablement du fait que le régime avait déjà compris alors tout le potentiel de déstabilisation que les revendications de la jeunesse recelaient. A cette époque, le mouvement était resté limité au monde estudiantin. Le président Ahmadinejad a tenté d’étouffer ces revendications en facilitant l’arrivée massive à l’université d’étudiants membres des bassidjis par la mise en place de quotas en leur faveur. L’écrasement des mouvements de protestation s’est largement appuyé sur eux depuis l’été 2009.
2) Une répression ferme, suivie d’une dégradation de la situation des droits de l’Homme
Le mouvement de protestation s’est poursuivi pendant plusieurs mois en dépit du déploiement de force et de la violence mise en œuvre pour en venir à bout. Il faut néanmoins constater que la répression a fini par aboutir au résultat recherché puisque les manifestants ont cessé de descendre dans la rue sans avoir obtenu la satisfaction de leurs revendications. Le régime l’a emporté, mais il a eu très peur. Depuis, il maintient une forte pression contre ceux qui ont osé le défier et la situation des droits de l’Homme est particulièrement difficile.
a) Une répression extrêmement ferme
Le régime devait pressentir que le « coup d’Etat électoral » allait entraîner des réactions populaires puisque le déploiement de forces armées a commencé dès le milieu d’après-midi du 12 juin, jour de l’élection présidentielle. Dans toutes les métropoles et les villes universitaires, elles ont pris le contrôle des points névralgiques et ont commencé à arrêter les responsables de campagne des candidats réformateurs.
Le 13 juin au soir, plusieurs centaines de personnalités et de responsables politiques ont déjà été arrêtées : il s’agissait d’affaiblir les partis, les organisations intergouvernementales, la société civile et la presse afin de faire cesser immédiatement toute contestation des résultats du vote.
Au cours des premières semaines, 3 à 4 000 personnes ont été arrêtées dans tout le pays dans le cadre d’une politique de la terreur destinée à impressionner toute la population en réprimant une partie de la société. Mais comme le mouvement n’avait ni direction ni organisation hiérarchique, il pouvait difficilement être décapité. Aussi le pouvoir a-t-il décidé, dans un second temps, de mettre en place un système de répression massif dirigé contre tous les manifestants.
Les premiers coups de feu ont été tirés sur les protestataires par des bassidjis au cours de la manifestation massive du 15 juin à Téhéran, prétendument à la suite d’une attaque contre leur caserne : le bilan officiel était de sept tués et d’une trentaine de blessés ; il y aurait eu en fait plusieurs dizaines de morts et une centaine de blessés. La nuit suivante, les forces de sécurité ont fait des descentes dans les dortoirs de plusieurs grandes universités, considérées comme le bastion des manifestants ; les étudiants ont été tabassés ; au moins treize ont perdu la vie ; de nombreuses arrestations ont été effectuées. Un cycle infernal de manifestations et de répressions était enclenché.
Les images de la mort d’une jeune femme de 26 ans, étudiante en philosophie, abattue d’une balle en plein cœur le 20 juin au cours d’un rassemblement, ont rapidement fait le tour du monde grâce à internet, transformant la victime en symbole de la répression sanglante organisée par le pouvoir.
Entre 5 et 10 000 personnes ont été arrêtées entre le jour de l’élection présidentielle et la fin de 2009 et envoyées dans des prisons officielles ou des centres de détention ouverts à partir du mois de juillet. Une partie d’entre elles a été transférée dans un centre de redressement placé sous la responsabilité de la police de Téhéran, la prison de Kahrizak (13). Après que plusieurs étudiants y ont été battus à mort, ce centre a été fermé le 28 juillet 2009. De nombreux étudiants et manifestants y avaient été violés, torturés et tués par des prisonniers de droit commun utilisés pour les réprimer. Plusieurs centaines de détenus ont été libérées au bout de quelques jours ou de quelques semaines mais de nombreux autres ont été jugés pour des chefs d’inculpation aussi vagues que l’incitation à une « révolution de velours » ou la commission d’« actes nuisant à la sécurité nationale ».
C’est à partir du mois d’août que s’est ouverte la série de « procès pour l’exemple ». Le rapport 2010 d’Amnesty international a souligné l’iniquité flagrante de ces procès : les accusés n’avaient pas été autorisés à consulter un avocat, la plupart avait été maintenue au secret pendant plusieurs semaines, beaucoup avaient été torturés ou maltraités avant leur comparution. Les audiences se sont déroulées à huis clos, mais des extraits montrant les accusés en train de faire des aveux, apparemment sous la contrainte, ont été retransmis par la télévision d’Etat. Plus de quatre-vingts personnes ont été déclarées coupables et condamnées à des peines allant jusqu’à quinze ans d’emprisonnement ; cinq au moins ont été condamnées à mort. Deux d’entre elles étaient des monarchistes d’abord arrêtés au Kurdistan irakien par les services iraniens de renseignements, renvoyés dans leur pays, puis arrêtés après les manifestations. Les deux hommes ont été pendus publiquement le 28 janvier 2010. Le même jour, le parquet de Téhéran annonçait la condamnation à mort de onze autres personnes pour sédition pendant les événements post-électoraux.
Le bilan humain de la répression est très difficile à établir : Amnesty international parle de dizaines de personnes qui ont été tuées ou ont succombé à leurs blessures. L’association Human Rights Watch ne donne pas d’estimations chiffrées mais a consacré un rapport à ces « exactions post-électorales », qui rassemble un grand nombre de témoignages concordants. Dans leur livre (14), M. Ahmad Salamatian et Mme Sara Daniel expliquent que les personnes et les organismes qui ont tenté de répertorier les victimes ont été pourchassés. L’une d’entre elle, arrêtée fin décembre 2009, avait alors identifié 118 victimes, mais leur nombre serait nettement plus élevé car le pouvoir a fait tout son possible pour cacher ces assassinats en faisant délivrer de faux certificats de décès ou enterrer anonymement certains disparus. Un opposant en exil rencontré par le Président et votre Rapporteur a parlé d’au moins 200 morts.
L’Assemblée générale des Nations unie a adopté le 18 décembre 2009 une résolution sur la situation des droits de l’Homme en Iran (15) : cette résolution fait suite à la répression menée contre le mouvement de contestation de l’été précédent, mais les violations des droits de l’Homme dont l’Assemblée générale se déclare gravement préoccupée ne se limitent pas aux violences commises dans ce cadre. La situation ne s’est pas améliorée depuis, conduisant le Conseil des droits de l’Homme à créer un rapporteur spécial sur la situation des droits de l’Homme en Iran par une résolution du 24 mars 2011.
b) Des droits de l’Homme toujours bafoués
La situation des droits de l’Homme en Iran a fait l’objet, en 2010, de l’examen périodique universel des Nations unies. Les autorités ont présenté leur rapport en février 2010 devant le Conseil des droits de l’Homme, qui a adopté en juin son document final. M. Faraz Sanei, le spécialiste de l’Iran à Human Rights Watch (16), a souligné que le rapport des autorités était particulièrement dépourvu de substance. Elles ont finalement accepté les recommandations générales, mais rejeté celles qui préconisaient des réformes spécifiques, notamment en vue de mettre un terme aux discriminations fondées sur la religion ou le sexe ou relatives à la peine de mort.
Les différentes informations réunies à l’occasion de cet exercice conduisent à dresser un tableau bien peu flatteur de la mise en œuvre des droits de l’Homme en Iran, les problèmes dépassant de beaucoup le champ de la liberté d’expression, d’association et de réunion, dont les événements qui ont suivi le 12 juin 2009 ont permis de constater la négation.
Les mois qui ont suivi l’élection présidentielle ont été marqués, comme mentionné supra, par des mesures allant directement contre les libertés d’expression et de réunion, de nombreuses arrestations et détentions arbitraires, des procès inéquitables et la pratique de la torture et d’autres mauvais traitements. Ces procédés n’ont pas disparu au cours de l’année 2010 : le rapport 2011 d’Amnesty international estime que le gouvernement a encore renforcé les restrictions sévères imposées en 2009 à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Il rapporte que les forces de sécurité ont été déployées en grand nombre pour dissuader les gens de manifester et pour disperser des rassemblements de protestation. Si un certain nombre de personnes arrêtées en 2009 ont été libérées, des dizaines voire des centaines d’autres étaient encore en détention et nombre d’arrestations ont également eu lieu au cours de l’année 2010 ; elles ont touché des défenseurs des droits de l’Homme, des syndicalistes indépendants, des étudiants et des opposants politiques. Plusieurs dizaines de journalistes (entre 45 au moins et une centaine, selon les sources) sont actuellement sous les verrous. Le directeur général de l’Organisation des prisons a indiqué lui-même, en mars 2011, que le nombre de détenus avait augmenté de 55 000 au cours des dix-huit derniers mois, portant leur total à 220 000. Comme les capacités d’accueil sont limitées à 85 000 places, les conditions carcérales se dégradent, provoquant des tensions – actes de violence ou grèves de la faim.
MM. Moussavi et Karoubi ont continué à subir des restrictions sévères à leur liberté de mouvement – ils sont, encore actuellement, en résidence surveillée et l’objet d’un contrôle extrêmement étroit de la part des autorités. Des enseignants ont été exclus des universités et des étudiants qui avaient protesté se sont vus imposer des interdictions quant à leurs études. Les autorités ont continué à restreindre l’accès des sources d’information extérieures, et notamment d’internet. Les programmes des radios et des télévisions étrangères sont régulièrement brouillés. Les écoutes téléphoniques et l’interception des textos sont systématiques. Une forme de « cyberarmée », apparemment liée aux Gardiens de la révolution, mène des attaques contre des sites internet locaux ou étrangers considérés comme antigouvernementaux, tandis que l’accès à certains sites était filtré. Les autorités iraniennes, soucieuses de lutter contre ce qu’elles appellent la « guerre douce », c’est-à-dire la capacité de l’Occident de faire passer des idées opposées aux leurs par internet, souhaitent aller plus loin en mettant en place un réseau national fermé.
Les diplomates français observent depuis juin 2009 le maintien d’une politique de répression systématique et méthodique. Le régime iranien a développé un modèle de répression particulièrement efficace. Il s’agit en pratique d’une gamme d’actions successives et adaptées à toutes les étapes de la contestation : contrôle des médias en amont des défilés pour limiter la diffusion des appels, déploiement massif des forces de l’ordre, politique démagogique à l’égard des classes populaires pour qu’elles ne trouvent pas d’intérêt à se joindre à la contestation politique. Pendant les manifestations, les forces de l’ordre cherchent à limiter les affrontements violents et les décès de manifestants ; elles opèrent un quadrillage systématique des rues afin de diviser les contestataires en petits groupes et de les disperser plus facilement. Enfin, à l’issue de la manifestation, les autorités lancent les opérations de répression et de désinformation (arrestation d’un maximum de manifestants, dénonciation d’une instrumentalisation par l’Occident, responsabilité de la violence mise sur les manifestants).
Le bilan des exécutions capitales est particulièrement lourd. En 2010, en Iran, le nombre d’exécutions a été plus élevé que dans n’importe quel autre pays hormis la Chine, les autorités y recourant manifestement pour terroriser la population. Dans ce pays, 252 exécutions ont été enregistrées mais le nombre réel était probablement beaucoup plus élevé. Selon des informations jugées dignes de foi par Amnesty international, 300 autres exécutions auraient eu lieu, essentiellement dans la prison de Vakilabad, à Meched. Au moins 143 mineurs délinquants étaient sous le coup d’une condamnation à mort. La peine capitale est prononcée pour toute une série de crimes, dont le trafic de drogue, le vol à main armée ou le meurtre, mais aussi pour espionnage, actes de violence politique et infractions sexuelles. Les autorités les utilisent comme instrument politique.
Selon le décompte effectué par plusieurs ambassades européennes à Téhéran, au moins 142 prisonniers auraient été exécutés entre le début 2011 et la fin du mois de mars – soit plus qu’en 2009, quand Amnesty international avait recensé au moins 120 exécutions. La communauté internationale ayant dénoncé fin janvier l’accélération notable de l’application de la peine de mort – au moins 66 en un mois –, les informations sur les exécutions sont devenues de plus en plus rares. A la mi-juin 2011, l’ambassade de France décomptait 274 exécutions depuis le début de l’année, chiffre qui pouvait même atteindre 360 en incluant des pendaisons de masse de trafiquants de drogue, qui n’étaient encore que partiellement confirmées.
Dans ce contexte de répression généralisée, ceux qui défendent les droits des catégories de population victimes de discrimination, femmes et minorités ethniques ou religieuses, ont aussi été pris pour cibles. Les femmes sont toujours confrontées à la discrimination, dans la loi et dans la pratique, et le Parlement a même débattu d’un projet de loi sur la protection de la famille qui, s’il était adopté, réduirait encore davantage leurs droits. Les pressions se sont multipliées contre les militants des droits des femmes, et en particulier ceux qui ont participé à la Campagne pour l’égalité. Le Guide ayant réclamé un renforcement de la surveillance du respect du code vestimentaire imposé par l’Etat, a été lancée une campagne intitulée « chasteté et modestie ». Menée aussi sur les campus universitaires, elle aurait déjà conduit à une forte diminution du nombre de femmes inscrites à l’université, selon le rapport 2011 d’Amnesty international.
Le sort des minorités ne s’est pas non plus amélioré. M. Faraz Sanei en a fait la présentation suivante devant la Mission, en décembre 2010 : « Pour ce qui est des minorités religieuses, les Bahaïs sont les plus mal traités ; il leur est notamment interdit d’aller à l’université. Parmi les chrétiens, les convertis sont les plus mal lotis dans la mesure où l’apostasie est punie de la peine de mort ; un pasteur a récemment été condamné à mort sous cette accusation. Des lieux de culte soufis sont régulièrement fermés et des soufis sont arrêtés. Les sunnites, qui constituent pourtant 10 % de la population iranienne, sont victimes de discriminations : ils ne disposent d’aucune mosquée à Téhéran, bien que la République islamique se présente comme le défenseur des musulmans ; surtout, les postes à responsabilité dans l’administration leur sont interdits car ils n’approuvent pas le principe du velayat-e faqih qui sous-tend le régime. Les Baloutches et les Kurdes qui sont à la fois des minorités religieuses – ils sont sunnites – et des minorités ethniques rencontrent des problèmes. Certains groupes baloutches sont accusés de séparatisme et il est vrai que des attentats terroristes leur sont imputables. Mais cela ne saurait justifier la répression de toutes les revendications de ces peuples. »
Dans ces conditions, la création, au Conseil des droits de l’Homme, d’un rapporteur spécial sur la situation des droits de l’Homme en Iran apparaît pour le moins nécessaire. Cette résolution a pourtant été qualifiée d’« illégitime, injuste et injustifiée » par les autorités iraniennes ; un mois avant son adoption, le président Ahmadinejad avait en effet annoncé, à l’occasion de la première conférence nationale des droits de l’Homme, que la République islamique était « le meilleur exemple pour promouvoir les droits de l’Homme dans le monde » et son pays avait été candidat au printemps 2010 à un siège au sein du Conseil des droits de l’Homme – avant de retirer sa candidature, sous la pression internationale. On mesure l’importance du malentendu…
c) Des cas emblématiques qui attirent l’attention de la communauté internationale
La décision de charger un rapporteur spécial d’enquêter sur la situation des droits de l’Homme en Iran n’est pas une première : le mandat d’un précédent rapporteur avait expiré en 2002. Elle résulte à la fois d’une dégradation effective de la situation en Iran et d’une prise de conscience de la communauté internationale. La médiatisation – malgré les efforts du régime pour la limiter au maximum – du « mouvement vert » a joué un rôle certain. La dénonciation de cas individuels particulièrement choquants a achevé d’attirer l’attention de la communauté internationale.
Les Français ont d’abord suivi avec consternation l’arrestation de Mlle Clotilde Reiss et les différentes étapes de la procédure judiciaire à laquelle elle a été soumise. Agée de vingt-cinq ans, la jeune femme enseignait à Ispahan et préparait un mémoire de master sur l’enseignement de l’histoire et de la géographie dans les écoles iraniennes. Accusée d’espionnage pour avoir communiqué par courriers électroniques des informations sur les manifestations d’étudiants à Ispahan, elle a été arrêtée le 1er juillet 2009 et maintenue en détention jusqu’au 16 août suivant. Elle est ensuite restée en résidence surveillée à l’ambassade de France à Téhéran jusqu’à sa libération, le 15 mai 2010, après le versement d’une amende de 285 000 dollars. La France s’est évidemment fortement mobilisée pour obtenir sa libération ; elle aurait bénéficié du soutien de plusieurs chefs d’Etat étrangers.
M. Jean-Pierre Digard a replacé cette affaire dans le contexte des « pressions qui s’exercent sur les chercheurs, accusés d’espionnage dès lors qu’ils ne servent pas de faire valoir à la révolution islamique. Nombre de scientifiques furent malmenés ou expulsés du pays : expulsion de Yann Richard, refus des visas à Bernard Hourcade, interrogatoire de Rémy Boucharlat, confiscation du passeport de Stéphane Dudoignon et pressions sur Christian Bromberger, par exemple. »
M. Bernard Hourcade, directeur de recherche au CNRS (17), pourtant victime directe des pressions contre les chercheurs, insiste en revanche sur le « saut qualitatif » du traitement réservé à la jeune femme : « L’exemple de l’étudiante Clotilde Reiss est assez révélateur puisqu’il s’agit d’une arrestation politique inédite en deux siècles de coopération scientifique et culturelle. Son tort était de parler persan et d’avoir des amis iraniens. Le contact avec les sociétés extérieures est évité et redouté. »
Quelques mois après le retour en France de Mlle Reiss, c’est le sort de Mme Sakineh Mohammadi-Ashtiani qui a, à l’été 2010, suscité une émotion qui a gagné une grande partie de la planète. Iranienne de langue azérie, cette femme accusée d’avoir eu deux relations extraconjugales et d’avoir été complice de l’assassinat de son mari, avait été condamnée à la peine capitale par lapidation. Après le déclenchement d’une campagne internationale contre son exécution, son fils, son avocat, ainsi que deux journalistes allemands qui procédaient à un entretien ont été arrêtés au bureau de l’avocat, le 10 octobre 2010. Le discours des autorités iraniennes a beaucoup varié, tandis que l’absence d’informations conduisait à la multiplication de rumeurs annonçant tantôt l’exécution de la prisonnière, tantôt sa libération. En dépit de la diffusion de documentaires visant à démontrer sa culpabilité, sa peine semble avoir été commuée. Comme le souligne le rapport 2011 d’Amnesty international, son sort n’en demeure pas moins incertain. Elle pourrait échapper à la lapidation, mais pas à l’exécution capitale.
La très forte médiatisation de cette affaire peut être critiquée en ce qu’elle a attiré l’attention sur un cas particulier alors que des centaines d’autres condamnés à mort attendent leur exécution, le plus souvent par pendaison, dans les prisons iraniennes sans susciter de réaction internationale. M. Jean-Pierre Digard est apparu à la Mission particulièrement gêné par ce qu’il a qualifié de « battage ». Il y voit « le dernier épisode d’une campagne, permanente depuis 1978, de diabolisation de l’Iran, alors que dans le même temps, personne ne semble s’offusquer de la situation des femmes et des droits de l’homme en général en Arabie saoudite » et a insisté sur le fait que la lapidation était une pratique exceptionnelle et marginale, une peine seulement prononcée par des autorités judiciaires locales presque incontrôlables.
Force est néanmoins de constater que la vive émotion de la communauté internationale a évité que cette lapidation n’ait lieu et a, au moins temporairement, sauvé la vie de l’accusée. Comme l’a résumé M. Patrice Paoli, directeur Afrique du Nord-Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères et européennes (18), « la mobilisation internationale autour du cas de Sakineh Mohammadi-Ashtiani a porté ses fruits. Entre parler des droits de l’Homme et se taire c’est toujours la première option qu’il faut choisir. L’Iran n’est pas sourd aux pressions internationales dans ce domaine, contrairement à la Chine. »
Pour M. Faraz Sanei, « le changement incessant de discours des autorités iraniennes traduit leur gêne et reflète très probablement des désaccords en leur sein sur ce qu’il convient de faire. Il semble que certains soient en faveur de sa libération, pour en finir avec cette affaire. » Il a constaté en effet que les critiques de la communauté internationale sur la situation des droits de l’Homme suscitaient l’embarras des autorités iraniennes car elles portent un sérieux coup au discours du régime qui se veut le défenseur des opprimés. C’est pourquoi, en décembre dernier, il approuvait les sanctions prises par les Etats-Unis contre certaines des personnes les plus directement impliquées dans la répression des mouvements d’opposition de juin 2009 et appelait l’Union européenne à suivre cet exemple, inspiré de la pratique du « name and shame ».
Prises le 29 septembre 2010 par le président Obama, les sanctions américaines visent huit officiels iraniens désignés comme responsables ou complices de violations des droits de l’Homme en Iran – il s’agit de ministres, de procureurs et des très hauts responsables des forces de sécurité (19). Tous les intérêts américains liés à ces personnes sont bloqués et les transactions entre eux et les Etats-Unis sont interdites. Ils ne pourront obtenir de visa pour les Etats-Unis.
L’Union européenne s’est, depuis, inspirée de cette formule, en allant même plus loin. Le 12 avril 2011, le Conseil de l’Union européenne a décidé le gel des avoirs et l’interdiction de visa contre trente-deux responsables iraniens impliqués dans de graves violations des droits de l’Homme (20). Cinq d’entre eux figurent également sur la liste américaine. Aucun ministre n’est, à ce jour, inscrit sur la liste européenne, sur laquelle se trouvent principalement des magistrats et les chefs des très nombreuses forces impliquées dans la répression.
Preuve de la sensibilité des autorités iraniennes à cette pratique – dont la portée est évidemment beaucoup plus symbolique que pratique –, la commission parlementaire chargée de la sécurité nationale et de la politique étrangère du Parlement iranien a adopté, le 24 mai 2011, une liste de vingt-six personnalités américaines qui seraient interdites d’entrée sur le territoire iranien, dont les avoirs et biens en Iran seraient gelés et qui seraient l’objet de poursuites devant les tribunaux iraniens pour « violations des droits de l’Homme, crimes contre l’humanité et trafic de drogue ». Les personnalités visées ont pour la plupart été impliquées dans les guerres en Irak et en Afghanistan et la liste est entachée de nombreuses erreurs et inexactitudes. Elle ne pourra d’ailleurs entrer en vigueur, le cas échéant, qu’après une adoption en séance plénière et un examen par le Conseil des gardiens de la constitution. Il s’agit surtout d’une mesure d’affichage, qui témoigne de l’irritation et de la vexation des responsables iraniens après la publication des listes américaine et européenne.
M. Olivier Guérot, sous-directeur des droits de l’Homme et des affaires humanitaires au ministère des affaires étrangères et européennes (21), a précisé que la démarche communautaire de sanctions était accompagnée de deux autres éléments : l’idée de rétablir une forme de dialogue entre l’Union et l’Iran sur les droits de l’Homme, à un niveau inférieur à celui du dialogue interrompu par les autorités iraniennes en 2006, c’est-à-dire à destination des juges ou des acteurs du système de niveau intermédiaire – idée à laquelle la France ne croit guère – et le lancement de mesures positives à l’égard de la société civile afin de soutenir les défenseurs des droits de l’Homme et de contribuer à rompre l’isolement provoqué par le régime. Ce second volet, le plus prometteur, vise notamment à trouver des moyens de contourner la censure des chaînes de télévision et de l’internet, à aider le fonctionnement de sites internet alimentés depuis l’étranger, à accorder l’asile aux défenseurs des droits de l’Homme obligés de quitter l’Iran. Les résultats sont encore modestes, mais une réflexion est en cours dans ces domaines, aussi bien dans les grands pays européens, qu’au niveau du service européen pour l’action extérieure. Les Etats-Unis travaillent dans le même sens.
3) Un régime qui traverse une grave crise
L’ampleur des mouvements de protestation qui ont suivi l’annonce des résultats de l’élection présidentielle a mis en évidence le rejet du fonctionnement actuel de la République islamique par une partie de la population iranienne. Le régime a en effet connu des évolutions qui l’ont éloigné des principes sur lesquels il reposait à l’origine. Toutes ne sont pas récentes, mais le phénomène s’est amplifié depuis l’accession à la présidence de M. Mahmoud Ahmadinejad.
a) L’ébranlement des fondements de la République islamique
La double légitimité sur laquelle repose en théorie la République islamique est de plus en plus remise en cause, alors que le régime se transforme pour se « militariser » ou se « soviétiser ».
L’ayatollah Khomeiny avait fait du principe du velayat-e faqih, c’est-à-dire du « gouvernement du jurisconsulte », le fondement de la République islamique. Le pouvoir du Guide suprême, le sien donc, devait l’emporter in fine, même si les institutions élues disposaient de pouvoirs théoriquement équivalents à ceux qu’elles ont dans les démocraties libérales. Cette suprématie, présente dès la constitution de 1979, a été encore renforcée par la révision constitutionnelle de 1989 (22). Ce principe n’a jamais fait l’unanimité au sein même du clergé et l’accession à la fonction de Guide suprême de M. Ali Khamenei, un religieux d’un rang très inférieur à celui du fondateur du régime, lui a fait perdre une partie de la légitimité qu’il avait auparavant.
L’élection présidentielle de juin 2009 a mis en lumière la disparition de la barrière entre les deux sources de légitimité du régime : en prenant partie ouvertement en faveur de la réélection du président sortant, puis en refusant l’organisation d’un nouveau scrutin et même toute révision des résultats, le Guide suprême est intervenu directement dans le processus électoral. Ce scrutin n’était certes pas le premier à être entaché de fraudes, mais c’était la première fois que le Guide suprême apparaissait autant en première ligne. Pour M. Michel Makinsky, « ce n’est pas une crise politique mais bien une crise de régime suscitée non seulement par la confiscation d’un vote mais parce que l’ayatollah Khamenei a mis tout son poids religieux dans cette usurpation. La contestation populaire ne vise donc pas seulement le résultat frauduleux mais le régime qui l’a organisé et….béni. » Mme Fariba Abdelkhah estime pour sa part que le Guide s’est opposé aux contestations des résultats de l’élection présidentielle de 2009, car, en leur donnant du crédit, il aurait créé un précédent susceptible de conduire à la remise en question du régime lui-même.
Le système a longtemps fonctionné par consensus, mais celui-ci est devenu de plus en plus difficile à obtenir car le pouvoir est divisé en factions rivales. Il n’existe plus d’équilibre des pouvoirs. Mme Marie Ladier-Fouladi a rappelé que « selon la constitution, le Parlement iranien dispose de nombreux pouvoirs de contrôle et d’interpellation du gouvernement. Il est également l’autorité de décision en matière budgétaire. M. Ali Laridjani, le président du Parlement, a plusieurs fois interpellé le président de la République pour ses manquements à la constitution. En somme, le Majlès (23) représente aujourd’hui la dernière instance élective en Iran disposant d’un pouvoir de contrôle sur l’exécutif. Mais il est important de se rappeler que selon la constitution, le Guide dispose d’un pouvoir de décision en dernier ressort. En outre, la configuration est délicate pour le Parlement. En effet, dès qu’une opposition se fait jour à l’égard du gouvernement, le Parlement se doit de lui apporter son soutien. »
M. Patrice Paoli a expliqué qu’il y avait, « au cœur du pouvoir iranien, un triangle instable entre le Guide, arbitre théorique des institutions, le Président et le clan des Gardiens de la révolution, issus des générations héroïques de la guerre Iran-Irak, et enfin les religieux, qui sont les instigateurs de ce système. Dans ce triangle institutionnel, chaque partenaire soutient et a besoin du soutien des autres. Toutefois, on peut observer que M. Ahmadinejad tente de s’affranchir du pouvoir des religieux. C’est ce qui peut être perçu comme une " soviétisation " de l’appareil d’Etat iranien.»
M. Jean-François Daguzan, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) (24), observe la mise en place d’une bureaucratie théocratique qui « ressemble au régime staliniste en opérant une pénétration par l’Etat de toutes les couches de l’activité économique, politique et sociale, le verrouillage de la société et des mœurs, l’instauration de milices… »
Mais, comme cette bureaucratisation et ce verrouillage sont principalement le fait des Gardiens de la révolution, c’est le terme de « militarisation » du régime qui revient le plus souvent. Ce corps n’est pas monolithique, comme M. Bernard Hourcade l’a souligné, mais il a fortement consolidé son pouvoir au cours des dernières années, profitant de la faveur du Guide, qui cherchait par là à compenser son défaut de légitimité vis-à-vis du clergé, et de celle du président Ahmadinejad, lui-même ancien milicien bassidji. Dès 2008, un nouveau découpage militaire du pays a renforcé la mainmise des Gardiens de la révolution sur les bassidjis en intégrant ces derniers à leurs forces ; les centres militaires régionaux se sont vu accorder de nouveaux pouvoirs qui leur permettent de dominer les autres structures étatiques et religieuses. Tous les réseaux contrôlés par les Gardiens de la révolution sont intervenus à l’appui de la candidature du président sortant, puis ce sont les bassidjis qui ont assuré par la force la répression des manifestations pacifiques, tandis que les services de renseignement des Gardiens ont étendu leur pouvoir sur l’ensemble des services de sécurité et de renseignement du pays et effectué l’essentiel des arrestations politiques, dont les victimes ont ensuite été emprisonnées dans des sections particulières des prisons où ces services de renseignement étaient tout puissants. Les événements de l’été 2009 ont ainsi consacré la prise de pouvoir des Gardiens de la révolution.
Dans leur livre, M. Ahmad Salamatian et Mme Sara Daniel expliquent que la thèse selon laquelle les opposants au régime sont le produit d’un complot mené par l’Occident, la présence des Etats-Unis et de leurs alliés aux frontières du pays et les sanctions internationales sont utilisées par les cadres militaires pour consolider leur pouvoir au sein des rouages du régime. Ils concluent qu’ils « se cachent encore derrière le Guide suprême mais, même chez celui-ci, sous le turban de l’ayatollah, c’est le képi militaire qui apparaît ». (25)
Selon l’analyse faite par les diplomates français, le pouvoir est détenu par un groupe composé de quelques milliers de personnes tout au plus, laïcs, enfants de la révolution de 1979, issus de la province, anciens combattants de la guerre Iran-Irak, promus grâce à l’appareil militaro-sécuritaire de la République islamique. Après un passage par l’université, ils se sont lancés dans la politique locale au cours des années 1990, occupant des postes de maire ou de gouverneur. Ils détiennent désormais quasiment tous les centres de pouvoir : les institutions
– environ un tiers des députés et la moitié des membres du gouvernement ont servi parmi les Gardiens de la révolution –, ainsi que tout l’appareil militaro-sécuritaire.
Aujourd’hui plus que jamais, le régime iranien n’est plus ni une République, ni un système islamique. C’est pourquoi, à l’été 2009, les manifestants pouvaient brandir des banderoles proclamant « Ni contre l’islam, ni contre la République ! » alors qu’ils contestaient le fonctionnement du régime.
b) Une opposition ouverte entre le Guide suprême et le président de la République
Alors que le régime se militarise, les incarnations des deux sources de légitimité du régime apparaissent de plus en plus en opposition. Même si c’était à l’origine dans le but de consolider le régime que le Guide suprême a fait en sorte que le président sortant soit réélu, cette manœuvre a contribué à l’affaiblir. Surtout, bien qu’il ait permis sa réélection, il se trouve désormais apparemment en butte à une opposition ouverte de celui-ci.
En novembre dernier, M. Patrice Paoli constatait que « le verrouillage des postes clés par le biais du pouvoir de nomination du Président permet une influence accrue de la présidence sur de nombreux secteurs de la vie iranienne : économiques, sociaux, culturels, sécuritaires... (…) Du fait de la pénétration de toutes les instances par des fidèles du Président, le rapport de force, initialement prévu pour être au profit du Guide, pourrait se déplacer en faveur de Mahmoud Ahmadinejad. Le directeur de cabinet du Président, M. Rahim-Mashai, qui intervient de plus en plus en public et qui pourrait être amené à se présenter à l’élection présidentielle pour le clan Ahmadinejad, semble se rapprocher du pouvoir civil. »
A la même époque, M. Michel Makinsky signalait à la Mission l’existence de désaccords entre le Guide suprême et le président de la République. Deux mois plus tard, Mme Fariba Abdelkhah mettait l’accent sur le rôle du Président dans l’achèvement d’un cycle qui s’est enclenché au lendemain de la victoire révolutionnaire de 1979 : soulignant ses origines modestes, il met en avant ses qualités de serviteurs de l’Etat, en rupture avec les pratiques d’enrichissement personnel de nombre des personnalités du régime. En prétendant entretenir des liens directs avec l’Imam caché, il contribue au développement d’un pluralisme religieux qui accélère la déconnexion du religieux et du politique. Son arrivée au pouvoir a en outre fragmenté un échiquier politique caractérisé auparavant par son bi-factionnalisme.
M. Ahmadinejad et M. Khamenei se distinguent clairement à la fois par la place qu’ils jugent que le clergé doit jouer au sein de l’Etat et par la ligne directrice de la politique qu’ils entendent mener vis-à-vis de l’extérieur : le Guide suprême apparaît très attaché à la défense d’une forme d’unité du monde musulman, tandis que le président de la République adopte de plus en plus un discours nationaliste, qui semble gagner en popularité au sein de la population iranienne.
Depuis l’été 2009, les deux hommes sont apparus en opposition frontale à plusieurs occasions, mais principalement sur des questions de personne. Le Guide s’est d’abord opposé à la nomination de M. Esfandiar Rahim-Mashai comme vice-président. Il a ensuite désavoué le Président lorsque celui-ci a prétendu nommer des représentants spéciaux pour les différentes régions du monde – le ministre des affaires étrangères, M. Manouchehr Mottaki, qui avait critiqué le principe de ces nominations a été limogé par le Président en décembre 2010 et remplacé par M. Ali Akbar Saléhi, jusque-là chef du programme nucléaire iranien. Plus récemment, le ministre des renseignements, contraint à la démission par M. Ahmadinejad, a retrouvé son poste à la demande expresse du Guide. Cette dernière affaire a entraîné une grave crise au sein du camp des fondamentalistes. Le Président a disparu de la scène publique pendant une semaine, tandis que la presse se déchaînait contre M. Rahim-Mashai, dont l’annonce du départ de la tête de l’administration présidentielle, quelques semaines plus tôt, n’avait été qu’un trompe-l’œil. Accusé notamment de « déviationnisme » et de « sorcellerie », il est victime depuis d’une série d’attaques, tandis que les arrestations se multiplient dans l’entourage du Président – on en compterait plusieurs dizaines au cours des mois de mai et de juin 2011. Cela n’a pas empêché le président Ahmadinejad d’annoncer la fusion du ministère du pétrole avec celui de l’énergie et la mise à l’écart du ministre du pétrole, dont il a décidé d’assurer l’intérim. L’illégalité de cet intérim ayant été dénoncée par le Parlement et le Conseil des gardiens de la constitution, il a finalement dû céder l’intérim à son ministre de l’économie puis renoncer au projet de fusion (26). Fin juin, le Parlement a annoncé qu’il allait convoquer le président Ahmadinejad pour qu’il s’explique sur plusieurs « fautes », parmi lesquelles « sa résistance au Guide, le retard pris dans la présentation d’un candidat pour le ministère des sports et de la jeunesse, une croissance économique inférieure à 1 %, la non-application de la loi d’aide budgétaire pour le métro de Téhéran (2 milliards de dollars), la propagation d’une école religieuse iranienne plutôt qu’islamique (27) ». Si cette annonce était confirmée, ce serait la première fois dans l’histoire de la République islamique que cette procédure serait mise en œuvre.
Il semble donc que, s’appuyant notamment sur le Parlement, le Guide soit bien décidé à mettre un coup d’arrêt à l’extension du contrôle du clan du Président sur les rouages du pouvoir, même si cela met à mal l’unité du régime. Mais il sait aussi faire alterner périodes de tensions et périodes de trêve pour ne pas trop fragiliser le système et préserver une image de neutralité à l’égard des factions.
Plusieurs blocs politiques se distinguent actuellement :
– celui formé par le président Ahmadinejad et son entourage est sur la défensive et apparaît nettement affaibli. Les nombreuses accusations proférées contre ses membres, les dizaines d’arrestations dont ils ont été victimes et les mesures d’intimidation ont conduit le Président à faire relativement profil bas depuis quelques mois ;
– celui des conservateurs traditionnels critiques du gouvernement, dont font partie MM. Ali Larijani et Mohammed-Bagher Qalibaf, le maire de Téhéran, est en ordre de bataille. Un « comité unifié des fondamentalistes » a été mis en place récemment pour préparer les prochaines échéances législatives et désigner les candidats. Cette tendance regroupe des personnalités importantes du régime dont Ali-Akbar Velayati, conseiller du Guide pour les affaires étrangères, et Manouchehr Mottaki, l’ancien ministre des affaires étrangères limogé par le Président ;
– celui des réformateurs, très affaibli par deux ans de répression, cherche à pousser son avantage en exigeant des élections libres même si sa stratégie – participation ou non aux élections – n’est pas encore définie. Le commandant des Gardiens de la révolution, Mohammad-Ali Jafari, a annoncé que seuls seraient autorisés à participer aux élections les réformateurs qui n’ont pas été impliqués dans la « sédition » de 2009. Le régime aura toutefois sans doute besoin de légitimer les prochaines élections par une participation des réformateurs pour éviter un boycott massif des électeurs.
Enfin, après deux ans de discrétion et d’attaques contre sa famille et ses réseaux, l’ancien président Rafsandjani tente un retour politique en intervenant de plus en plus souvent dans les médias.
Il faut souligner que, jusqu’ici, malgré des désaccords ponctuels visibles et des différences d’approches sur certains sujets, les responsables du pays ont fait bloc. Les diplomates français parlent d’une profonde symbiose entre le Guide, le Président et les Gardiens de la révolution et d’une répartition des rôles entre eux : le Président serait chargé de faire advenir la « justice sociale » en assurant la création d’emplois, la construction de logements, de routes, en prenant des mesures en faveur des pauvres, le Guide fixerait le cap général tout en félicitant le Président à l’occasion, comme il l’a fait dans son discours du nouvel an iranien pour la mise en œuvre de la réforme des subventions, tandis que les Gardiens de la révolution apporteraient un cadre sécuritaire aux politiques du Président et du Guide, comme lorsqu’ils ont multiplié les avertissements à la population contre les « troubles sociaux » à la veille de la suppression des subventions. Très rares ont été les interlocuteurs de la Mission à estimer qu’il n’était pas exclu que le Guide suprême encourage le Parlement à démettre le Président, comme la constitution l’y autorise.
L’approche des élections législatives, en 2012, et présidentielle, en 2013, risque d’attiser les rivalités internes au camp des fondamentalistes, qui sont divisés sur la politique économique, la mainmise du clan du président Ahmadinejad sur les rouages du pouvoir et les valeurs socio-morales, mais ils restent d’accord sur l’essentiel : la préservation du régime, l’exclusion de l’opposition réformatrice, la poursuite de la répression, une politique étrangère révisionniste et le programme nucléaire.
c) Comment le régime peut-il évoluer ?
Les événements qui ont secoué le monde arabe depuis le début 2011 ont démontré, une fois de plus, qu’il était impossible de prévoir la chute d’un régime. Ce qui est vrai pour ceux de MM. Ben Ali et Moubarak l’est tout autant pour la République islamique. Tous les interlocuteurs de la Mission ont été extrêmement prudents sur le sujet. Certains sont néanmoins apparus plus confiants que d’autres sur la capacité du régime à assurer sa survie, si ce n’est à se réformer.
Après avoir rappelé la rapidité de l’instauration de la révolution islamique, dont aucun analyste international n’avait imaginé qu’elle interviendrait aussi brusquement, M. Jean-François Daguzan a observé que « les contradictions internes de la société iranienne, de la part des étudiants, de la classe moyenne et des cercles du pouvoir, amènent à se demander si l’Iran n’est pas en voie d’implosion. De nombreux arguments pourraient conforter cette thèse mais il convient de demeurer prudent tout en rappelant cependant le destin de l’Union soviétique. »
Il a insisté sur le fait que le régime semblait prêt à tout pour survivre et se maintenir et que les mouvements irrédentistes baloutches et azéris, considérés par les autorités comme le plus grand péril, étaient susceptibles de constituer des forces centrifuges entraînant des mouvements sociaux derrière elles, mais pas une véritable menace de déstabilisation du régime. Il en a déduit que « si transformation de l’Iran il y a, elle ne pourra se faire que dans le cadre du pouvoir iranien. Ce sera, de la même façon que cela s’est passé pour l’Union soviétique, le centre qui explosera. » Il a mis en garde contre toute tentation occidentale de précipiter les choses : lorsque les Etats-Unis ont essayé de le faire en soutenant ouvertement MM. Khatami et Rafsandjani en 2004, cela a été contre-productif et a entraîné un raidissement du régime. Les données sont encore plus complexes depuis l’arrivée au pouvoir de M. Ahmadinejad et le « verrouillage » du régime par ses proches.
Dans le même sens, M. Bernard Hourcade pense que, en dépit de leurs opinions divergentes et de leurs divisions en factions, « seuls les Gardiens de la révolution ont dans l’immédiat, la capacité politique et militaire d’accompagner une première étape de changement en contenant à la fois la société civile et les islamistes radicaux. »
M. Yann Richard doute qu’une telle évolution soit envisageable. Comme les diplomates français, il observe que le régime n’est pas monolithique mais qu’aucun des groupes constitués ne possède une marge de manœuvre très ample et que tous font front commun lorsque la survie du régime est en cause. Il en a donné l’explication suivante : « cela vient principalement du fait que tout relâchement de la mainmise sur le régime leur serait fatal, à la différence des hommes entourant le Chah qui possédaient des intérêts à l’extérieur de l’Iran, et qui donc n’avaient pas absolument besoin de garantir leur pouvoir contre toute atteinte. » M. Karim Sadjapour, un expert américain rencontré à Washington par le Président et votre Rapporteur, a fait la même analyse : le régime iranien réunit actuellement deux caractéristiques communes aux régimes des présidents Ben Ali et Moubarak, l’existence d’une opposition populaire et la division des élites, mais pas la troisième, qui est une perte de la volonté de se battre. Si la République islamique ne bénéficie pas d’un soutien numériquement plus fort que les deux régimes précités – plusieurs interlocuteurs de la Mission ont estimé autour de 20 % la part de la population iranienne qui lui restait dévouée –, ce soutien est plus déterminé car il repose sur une idéologie. Elle est décidée à réprimer autant que nécessaire car elle est relativement peu sensible aux sanctions internationales et parce que ses dirigeants voient cette lutte comme une nécessité existentielle, dans la mesure où ils n’ont nulle part où aller.
Globalement, les interlocuteurs américains de la Mission n’ont pas exclu une ouverture pacifique du régime sous la houlette des Gardiens de la révolution, mais ce scénario ne leur est pas apparu le plus probable.
Tous les experts entendus par la Mission ont le sentiment que l’opposition interne est encore trop faible pour renverser le régime. L’accent a été mis sur la diversité des objectifs poursuivis, qui vont du retour aux idéaux originaux de la révolution islamique à l’établissement d’une démocratie à l’occidentale, sur la faiblesse de son organisation, son atomisation, son affaiblissement à force de répression et son uniformité sociale. M. Mustafa Popal, le directeur pour l’Iran au National security council américain – c’est-à-dire à la Maison blanche –, a souligné qu’elle ne s’était étendue ni aux syndicats ni aux minorités et qu’elle n’était pas parvenue à rallier des personnalités proches du régime. M. Mehdi Khalaji, expert au Washington Institute for Near East Policy, a aussi observé qu’il fallait « un certain degré de naïveté et de romantisme pour faire une révolution », et qu’il était difficile pour les Iraniens de croire à un nouvel idéal. En outre, il a jugé que le clergé avait été trop phagocyté par le régime pour qu’on puisse espérer qu’en émergent des figures en mesure d’inspirer l’opposition.
La situation peut néanmoins évoluer rapidement car elle reste très volatile. Les éléments qui étaient déjà au cœur du « mouvement vert » en juin 2009 et qui ont provoqué les révolutions arabes ont tendance à s’aggraver : corruption, répression, malaise économique, hausse des prix des produits de base. Aussi, le mécontentement de l’opinion peut s’enflammer soudainement. M. Jean-Pierre Digard a dit n’envisager le dénouement de l’actuel paradoxe iranien, fait « d’un mélange d’espoir démesuré dans le " mouvement vert ", pouvant aller jusqu’à l’invraisemblance, et de lassitude, après trente années de révolution, d’une guerre meurtrière de huit années, de conflits, de tensions et de vie économique difficile », que « par l’intervention d’un facteur imprévisible », qui, en l’état actuel des choses, ne sera probablement pas une action militaire américaine ou israélienne. Certains pensent que le décès du Guide pourrait être ce facteur déclenchant. D’autres considèrent qu’un scénario chaotique et sanglant n’est pas à écarter car la violence exercée par le régime depuis deux ans génère aussi de la violence au sein de la société.
Plusieurs experts britanniques, d’origine iranienne, rencontrés à Londres par le Président, ont insisté sur le degré de pourrissement du régime iranien, qui finira par tomber « comme un fruit mûr » dès qu’une alternative crédible et cohérente se sera constituée et sera en mesure de proposer aux Iraniens un projet qui réponde à leurs véritables préoccupations (qui portent moins sur des questions institutionnelles que sur des thèmes économiques, sociaux, énergétiques et environnementaux).
Il n’est pas évident que la stratégie aujourd’hui élaborée par les proches des deux candidats malheureux à l’élection présidentielle de 2009 réponde à cette attente. Le Président et votre Rapporteur, qui ont aussi rencontré des opposants iraniens réfugiés aux Etats-Unis, se sont entretenus à Paris avec le secrétaire du Conseil de coordination du Green Path of Hope of Iran, structure fondée par MM. Karoubi et Moussavi peu de temps avant leur mise en résidence surveillée pour fédérer les mouvements d’opposition les plus représentatifs, dès lors qu’ils n’étaient ni monarchistes, ni violents – à l’instar des Moudjahidins du peuple, desquels tous les interlocuteurs de la Mission ont souligné qu’ils étaient à la fois dépourvus de toute base populaire en Iran et l’objet d’une vive détestation à cause des attentats dont ils se sont rendus coupables. Ce Conseil est donc pluraliste. Ceux qui y adhèrent acceptent de se placer dans le cadre de la constitution iranienne actuelle, combien même ils souhaitent qu’elle soit ensuite changée. Le but est d’obtenir le respect de la constitution, dont le chapitre consacré aux droits du peuple n’est aujourd’hui pas mis en œuvre, c’est-à-dire notamment de revenir à une limitation des pouvoirs du Guide suprême. Les membres du Conseil sont prêts à participer aux élections législatives de mars 2012 à certaines conditions : la libération des prisonniers politiques, et de MM. Karoubi et Moussavi, ainsi que le respect des libertés de manifestation, d’expression et de la presse. Si le scrutin pouvait se dérouler dans la liberté et la transparence, les élus auraient ensuite la légitimité pour décider s’il convient, ou non, de changer la constitution, et donc, éventuellement, la nature du régime.
Cette stratégie est incontestablement pragmatique. Reste à savoir d’une part si le régime actuel acceptera – spontanément ou, plus vraisemblablement, sous la pression populaire – de se soumettre aux conditions posées, d’autre part si elle apparaîtra suffisamment attrayante pour que le peuple la soutienne.
B – Une économie sous pression
L’Iran possède des atouts – vaste marché, population jeune et bien formée, niveau technologique élevé, recettes pétrolières… – qui pourraient faire de son économie l’une des plus prospères de la région. Mais le dirigisme économique, la part écrasante du secteur contrôlé par l’Etat, les liens étroits entre élite politique et élite économique l’ont empêché de développer un système économique dynamique. L’explosion de la rente pétrolière au cours des dernières années a permis de limiter les effets, notamment sociaux, de cette situation. Cette politique n’est pourtant pas viable à long terme. Les sanctions internationales ont encore accentué les difficultés structurelles de l’économie iranienne, rendant urgent un changement d’orientation.
1) L’incontestable effet des sanctions sur l’économie iranienne
Il est impossible de faire précisément la part des différents facteurs dans la situation économique de l’Iran. Les erreurs politiques y sont certainement pour beaucoup, mais les sanctions imposées contre le pays pèsent de plus en plus dans les difficultés que rencontre l’économie iranienne.
Votre Rapporteur ne reviendra pas ici sur la description d’un système économique qui se voulait hors modèle, en application de la formule chère à l’ayatollah Khomeiny « ni Est, ni Ouest ». Aujourd’hui encore, 80 % de l’économie formelle sont contrôlés par l’Etat, soit directement soit par l’intermédiaire de fondations religieuses, et les industries qui ont été privatisées sont entre les mains de proches des détenteurs du pouvoir politique ou du clergé. On ne s’étonnera donc pas que les Gardiens de la révolution occupent une place très importante dans l’économie iranienne, comme l’a notamment souligné M. Bernard Hourcade.
M. Ahmad Salamatian et Mme Sara Daniel (28) expliquent que la transformation d’une partie des anciens combattants en entrepreneurs s’est opérée après la fin de la guerre Iran-Irak, quand il a fallu passer d’une économie de guerre à une économie de paix. En parallèle, la constitution autorisait l’utilisation des équipements de l’armée en temps de paix pour la réalisation de grands travaux d’utilité publique. Dès 1990, un quartier général spécialisé dans le génie militaire s’est reconverti en entreprise du bâtiment et des travaux publics, constituant le premier noyau de ce qui est devenu en deux décennies l’empire économique du corps des Gardiens de la révolution. Fin 2009, il aurait contrôlé 800 sociétés actives dans les secteurs les plus variés : armements (production et négoce international), construction et infrastructures, pétrole et gaz, communication, finances. Les Gardiens de la révolution contrôlent aussi les secteurs qu’ils considèrent comme sensibles, ceux de la téléphonie mobile et d’internet, par exemple. Ce formidable développement a été permis par l’attribution de grands contrats et marchés conclus par l’Etat. Les Gardiens de la révolution disposent de leur propre banque, la banque Sepah, et en contrôlent de nombreuses autres.
Les fondations religieuses, au premier rang desquelles la Fondation des déshérités, sont les autres acteurs économiques importants. Fondées pour gérer les biens ayant appartenu à la monarchie, elles sont administrées par des personnes désignées directement par le Guide suprême et qui ne sont responsables que devant lui. Tout un réseau d’établissements bancaires respectant les principes islamiques leur est lié. Ces banques sont exemptées d’impôts et échappent aux réglementations de la Banque centrale.
M. Thierry Coville, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) (29), a insisté sur le traitement de faveur dont bénéficient ces entreprises, liées plus ou moins directement au Guide, sur la « corruption subtile » régnant dans l’économie iranienne et sur l’absence de système fiscal efficace. Il a parlé de logique de « prédation », tout en reconnaissant que ces entreprises étaient de plus en plus prises au jeu du capitalisme et que la logique de « prédation » laissait peu à peu la place à une logique de rationalisation et de modernisation.
Depuis la révolution islamique, le pays a ainsi connu dix années de guerre puis vingt années de « prédation » : son économie en paie encore le prix. Hors hydrocarbures, sur lesquels votre Rapporteur reviendra en détail, l’Iran continue à exporter principalement des tapis et des pistaches…
A l’automne 2008, lorsqu’une délégation de membres de la mission d’information sur « Iran et équilibre géopolitique au Moyen-Orient » s’était rendue en Iran, les autorités iraniennes se réjouissaient d’être épargnées par la crise financière dont le reste du monde découvrait soudainement l’ampleur. L’économie nationale n’était pourtant pas dans un état très brillant, avec un taux de croissance de 1,5 % et 25,5 % d’inflation. Elle a même connu une phase de récession en 2009, la croissance ayant été négative à hauteur de 1,5 % (30). Cette situation était le résultat de la chute du prix du pétrole – en lien avec la crise mondiale – et du brutal changement de politique économique. M. Thierry Coville a expliqué que le président Ahmadinejad avait opté, à partir de 2008, pour des politiques budgétaires et militaires plus restrictives afin de combattre la forte inflation provoquée par l’explosion des dépenses qui a marqué les premières années de sa présidence. La situation s’est redressée rapidement en 2010, sous l’effet de la hausse du prix du pétrole, et les réserves en devises du pays s’établiraient actuellement à 100 milliards de dollars américains (contre 82 milliards de dollars en 2008 (31)). L’inflation, qui avait diminué en 2009, pour s’établir à 13,5 % sur l’ensemble de l’année et 9 % au second semestre, est repartie à la hausse en 2010, et se situerait à 16 % sur l’année civile. Nous verrons que le phénomène s’est encore amplifié en 2011.
Il est évident que l’économie iranienne est aujourd’hui sauvée par le niveau élevé du prix du pétrole. Celui-ci compense en partie l’effet des sanctions internationales, mais cet effet n’en existe pas moins. Les autorités iraniennes ont naturellement tendance à le nier – certains vont même jusqu’à se féliciter de l’occasion qu’elles donnent aux Iraniens de faire la preuve de leur capacité d’adaptation, ce qui revient néanmoins à reconnaître qu’elles ont des effets – mais, en octobre 2010, un rapport confidentiel rédigé à l’attention du Guide suprême par des économistes de la Banque centrale et des ministères de l’économie et du pétrole aurait souligné les risques « substantiels d’un effondrement économique d’ici à moins d’un an » en raison des sanctions internationales, qui pèseraient considérablement sur les secteurs du commerce, de la finance et du pétrole.
Les premières sanctions décidées par le Conseil de sécurité des Nations unies dans le cadre du dossier nucléaire remontent à décembre 2006, tandis que l’embargo économique a été imposé par les Etats-Unis en 1996. Ces mesures n’ont cessé d’être renforcées depuis, et complétées par des décisions communautaires ou prises par d’autres Etats de manière unilatérale (voir infra). Votre Rapporteur reviendra sur les conditions de leur durcissement au cours des deux dernières années et sur leur effet sur le programme nucléaire iranien. L’important ici est de souligner, à la suite de M. Benoît Coeuré, le directeur général adjoint du Trésor (32), que les sanctions internationales – mises à part celles instaurées par les Etats-Unis, visant l’établissement d’un embargo à certaines exceptions près – n’ont longtemps ciblé que les activités proliférantes ; ce n’est que depuis l’automne 2010 – lorsque le nouveau train de sanctions communautaires entre en vigueur –, que l’objectif est plus clairement d’étouffer l’économie iranienne. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que l’impact des sanctions sur l’économie iranienne n’ait été ni immédiat, ni massif, et que les mesures décidées aux Etats-Unis aient été les plus efficaces.
Les auteurs du rapport de décembre 2008 jugeaient que l’impact sur l’économie iranienne des sanctions alors en vigueur était difficile à mesurer, mais que ces mesures accentuaient ses fragilités. Aujourd’hui, la réalité de l’effet des sanctions ne peut plus être mise en doute. Elle a été reconnue par l’ensemble des interlocuteurs de la Mission.
M. Bruno Tertrais, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), (33) a expliqué que « la situation avait bien changé depuis 2007. Les sanctions exercent une pression cumulative sur l’Iran, tel un goutte-à-goutte. Aux sanctions des Nations unies et américaines se sont ajoutées les sanctions européennes, les sanctions des banques et mêmes celles des pays asiatiques et du Golfe. Cette accumulation a dépassé un cap. Et bien qu’isolément elles ne grèvent pas les ambitions de l’Iran, ajoutées à la mauvaise gestion économique du gouvernement Ahmadinejad, elles contribuent fortement aux difficultés économiques du pays. »
Votre Rapporteur présentera plus loin les conséquences des sanctions sur le développement du secteur des hydrocarbures. Pour ce qui est du reste de l’économie, ce sont toujours les sanctions financières qui sont les plus efficaces. Elles affectent surtout le secteur bancaire. M. Thierry Coville a indiqué qu’elles gênaient l’Iran pour le financement de ses importations et le rapatriement du produit de ses exportations. Selon les informations fournies par le service économique régional français, un grand nombre d’acteurs bancaires européens a arrêté ses opérations en Iran, tandis que les banques émiriennes ont fortement réduit les leurs : plusieurs centaines de grands comptes de citoyens iraniens y auraient été fermées et ceux-ci n’obtiendraient plus le droit à domiciliation bancaire aux Emirats arabes unis s’ils n’y sont pas résidents. De nombreux intermédiaires ont désormais recours à des moyens de paiement beaucoup moins sécurisés que par le passé : passage par des bureaux de change indépendants – dont le nombre aurait été multiplié par vingt-cinq depuis janvier 2011 –, réapparition de relations de solidarité entre bazaris, réalisation d’opérations sur des comptes bancaires d’Iraniens résidant aux Emirats arabes unis.
D’après des statistiques de la Banque des règlements internationaux (BRI), il y a eu une baisse du montant des crédits des banques de la BRI à l’Iran de 3,4 milliards de dollars depuis la fin 2008. Ce chercheur a aussi rappelé que le pays avait connu en octobre 2010 une crise des taux de change qui avait conduit à un effondrement du cours du rial sur le marché noir et imposé le réajustement à la baisse de son cours officiel. Comme les établissements financiers liés aux Gardiens de la révolution sont victimes des sanctions (34), les petites banques privées se sont multipliées. D’après le livre de M. Ahmad Salamatian et de Mme Sara Daniel (35), le coût des transactions a été multiplié par trois ou quatre.
Le pays attire peu d’investissements étrangers. Selon les informations fournies par M. Thierry Coville, le gouvernement a prévu 27 milliards de dollars d’investissements étrangers dans le budget pour financer les besoins des entreprises publiques et il envisage d’ouvrir un fond d’investissement en euros émettant des obligations islamiques d’une valeur de 12,6 milliards d’euros. Mais, pour le moment, tous les économistes disent qu’il y a très peu d’investissements étrangers. En 2009, il y a eu, selon les Nations unies, 5,6 milliards de dollars de flux d’investissements étrangers en Iran – pour un PIB de 331 milliards de dollars –, ce qui représentait une petite hausse par rapport à 2008.
Mais cela ne veut pas dire qu’aucune entreprise occidentale ne fait plus d’affaires en Iran. Les entreprises françaises y sont même particulièrement actives. M. Benoît Coeuré a expliqué que la France veillait à assurer la continuité des flux existants lorsqu’ils sont non proliférants et financés par des canaux légaux – la France a mis en place un seul canal autorisé, afin de faciliter les contrôles, mais les entreprises françaises peuvent aussi recourir à des canaux relevant d’autres pays de l’Union. Les exportations françaises à destination de l’Iran, qui accompagnent souvent des investissements en Iran, ont quasiment doublé entre 2002 et 2004 avant de se stabiliser en moyenne autour de 2,3 milliards d’euros par an. Elles ont chuté en 2009 (à 1,4 milliard d’euros) sous l’effet des nouvelles règles résultant des premières sanctions européennes. Elles se sont redressées en 2010, les entreprises ayant adapté leurs procédures pour mettre en œuvre ces règles. Les groupes français sont ainsi très présents en Iran dans des secteurs qui ne posent pas de problème au regard des sanctions : l’automobile, avec Renault et Peugeot, pour lequel l’Iran est le deuxième marché après la France et dont les exportations vers l’Iran représentent 2 500 emplois en France, la grande distribution, avec Carrefour, qui emploie déjà 1 200 personnes à Téhéran et projette l’ouverture de dix autres magasins dans le pays, les produits laitiers, avec Danone et Bell, par exemple. Legrand, Systra et Bull sont aussi actifs en Iran. On voit donc que les entreprises françaises n’ont pas fui le pays. Les autorités françaises souhaitent le maintien de leur présence dans la mesure où elle n’enfreint aucune règle internationale ou communautaire. Alors que nos entreprises sont très appréciées dans le pays et que celui-ci constitue un marché de plus de 70 millions d’habitants, il est essentiel pour elles de continuer à y travailler.
Toute sanction économique a des effets pervers, tel est aussi le cas de celles qui ont été imposées à l’Iran. Les phénomènes de contournement des sanctions, mis en évidence dans le rapport de décembre 2008, existent toujours, mais ils ont en partie évolué. Il semble que les sanctions, désormais plus sévères, soient aussi, d’une manière générale, davantage respectées.
Lors de leur déplacement aux Emirats arabes unis en juin 2008, le président et le rapporteur de la précédente mission d’information avaient constaté que cet Etat mettait en œuvre les sanctions décidées par les Nations unies, mais sans faire le moindre zèle – pour le contrôle des cargaisons transitant par ses ports, notamment –, et ignoraient les sanctions financières émanant des Etats-Unis. Ces derniers ont renforcé leur pression auprès des autorités émiriennes, et il semble que cela n’ait pas été sans effet, même si Dubaï reste la principale plaque tournante du commerce iranien. La chute du rial fin septembre 2010 résultait ainsi de l’interruption des transactions financières entre les banques émiriennes et les banques iraniennes.
Rencontrée à New York par le Président et votre Rapporteur en mai 2011, Mme Salomé Zourabichvili, la coordinatrice du panel d’experts du Comité 1737, créé par la résolution 1929, a souligné combien les sanctions – au premier rang desquelles les sanctions financières américaines – rendaient la vie du régime plus difficile et plus coûteuse. Pour les contourner, l’Iran doit en effet recourir à des circuits de plus en plus sophistiqués : utilisation de sociétés écrans, méthodes de dissimulation dans le transport maritime, les transferts d’armes et les opérations financières. Elle a indiqué que la Turquie constituait l’une des vulnérabilités du système. Les autorités de ce pays reconnaissaient elles-mêmes être confrontées aux problèmes des sociétés écrans et des transbordements. La frontière turco-iranienne est poreuse.
Mme Fariba Abdelkhah a aussi observé que, conjuguée aux dix années de guerre et à la politique iranienne de subventionnement des produits de première nécessité, propice à la contrebande et à la fraude, les sanctions internationales avaient contribué à générer une économie spécifique de la frontière, avec ses réseaux d’intérêts tant dans la société que du côté des institutions politiques et auxquels la diaspora est liée. M. Ahmad Salamatian et Mme Sara Daniel parlent même d’un « développement exponentiel de l’économie informelle, dont profite essentiellement le pouvoir en place ».
M. Thierry Coville a également insisté sur l’importance et le développement de l’économie informelle, dont une étude de 1993 avait estimé qu’elle représentait alors déjà le tiers de l’économie officielle. Avec l’immobilier, les importations informelles sont le meilleur moyen de s’enrichir en Iran, selon lui, et, comme ce sont les Gardiens de la révolution qui contrôlent les points d’entrée dans le pays, ils en sont les premiers bénéficiaires.
En outre, les grands groupes qu’ils contrôlent ne sont guère gênés par les sanctions financières, car ils disposent de circuits de financement insensibles aux sanctions et ont les moyens de contourner les éventuelles difficultés. M. Coville juge que ce sont surtout les petites entreprises du secteur privé qui sont pénalisées.
La conclusion de M. Jean-François Daguzan sur les sanctions est encore plus sévère : elles « ne dissuadent jamais un pays de mener une politique particulière ; un tel résultat n’a jamais été atteint par le passé. Au contraire, cette répression draine des flux financiers qui se font le terreau de la corruption, et génère des effets psychologiques durables en attisant une antipathie profonde des opinions publiques envers les Etats-Unis, l’Europe et la France. »
L’analyse de M. Bernard Hourcade est tout aussi critique vis-à-vis de l’effet des sanctions, qui accroissent l’isolement du pays : « Pour le régime, l’ouverture du pays serait dramatique. Si le nombre d’expatriés passait de 2 000 à 2 millions, ce qui serait normal pour un tel pays, le régime ne pourrait pas tenir car il serait au contact direct d’étudiants, d’ingénieurs, de touristes qui mettraient en évidence ses vulnérabilités. (..) Aujourd’hui, le programme nucléaire iranien se poursuit, car les sanctions ne touchent que la société et l’économie. Elles servent même le régime en tenant éloignées les sociétés étrangères qui pourraient être tentées de s’implanter dans le pays. »
S’il est clair que les sanctions ne sont pas parvenues jusqu’ici à pousser les autorités iraniennes à renoncer au programme d’enrichissement de l’uranium, la réalité de leurs effets est tout aussi incontestable. Elle est particulièrement nette dans le secteur des hydrocarbures, qui est absolument vital pour l’économie du pays.
2) L’état paradoxal du secteur des hydrocarbures
Mme Fariba Abdelkhah a souligné devant la Mission que « le pétrole et le gaz occupent une place essentielle dans le maintien du régime. Leur rente donne à l’Etat central les moyens de sa politique et de sa survie, même si les cours connaissent de fortes fluctuations. »
Il est en effet évident que, aujourd’hui, le prix élevé des hydrocarbures assure une part très considérable des recettes du pays et donne au régime les moyens de gommer certaines des conséquences des sanctions. Mais celles-ci touchent de manière important ce secteur, dont elles fragilisent l’avenir.
a) Le poids du pétrole dans l’économie iranienne
L’Iran se place au deuxième rang mondial, aux côtés de l’Irak et derrière l’Arabie saoudite, en termes de réserves restantes de pétrole. Estimées entre 130 et 150 milliards de barils d’huile, ses réserves représentent entre 10 et 15 % des réserves mondiales. Comme M. Arnaud Breuillac, directeur Moyen-Orient à la direction générale Exploration et production de Total (36), l’a précisé, le pays possède encore de nombreux champs à exploiter et développer, en particulier dans la région montagneuse du Zagros.
Il reste le deuxième producteur de pétrole de l’OPEP, avec une production stabilisée autour de 4 millions de barils par jour (3,8 millions de barils par jour en 2009). Un pic de production, à 6 millions de barils par jour, avait été atteint avant la révolution islamique, avant que la production ne retombe à 2 millions pendant la guerre Iran-Irak.
Sur ces 4 millions de barils de pétrole brut produits chaque jour, l’Iran n’en exporte que 2,3 millions, volume qui baisse. En effet, la consommation intérieure est orientée à la hausse. Les sanctions, qui rendent plus difficile l’achat à l’étranger d’essence, expliquent cette évolution. Traditionnellement, l’Iran exportait du pétrole brut et importait de l’essence. M. Bernard Hourcade a indiqué qu’il s’agissait d’un choix stratégique fait par le gouvernement Rafsandjani après la guerre Iran-Irak : ne pas raffiner le pétrole iranien devait permettre de l’utiliser pour construire une industrie chimique de base génératrice d’emplois, même si cela fragilisait le pays dans le cas où un conflit conduirait à l’établissement d’un embargo sur l’essence. L’outil de raffinage en place présentait en outre la particularité d’être sur-capacitaire en production de fuel et sous-capacitaire en production d’essence. Mme Véra de Ladoucette, vice-présidente du Cambridge Energy Research Associates (CERA) (37), a rappelé que, il y a cinq ans, le pays consommait 450 000 barils d’essence par jour en raison du caractère obsolète de ses capacités de raffinage et du niveau très élevé de la consommation, qui croissait de 11 % par an. Depuis, l’Iran a agi sur l’offre en augmentant la part de l’essence de 17 % à 35 % dans sa production. Sept nouvelles raffineries ont été mises en projet et les raffineries existantes ont été reconfigurées ou améliorées. Le début du processus de désubventionnement de l’essence (cf. infra) et l’instauration de mesures en faveur de l’acquisition de véhicules plus économiques ont aussi contribué à diviser par deux en quatre ans les importations iraniennes d’essence, qui sont passées de 193 000 barils jour en 2006 à 90 000 barils jours en 2010. Le taux de dépendance vis-à-vis des importations d’essence est ainsi passé de 50 % de la consommation à environ 20 % en 2011 et l’Iran annonce qu’il sera en mesure d’exporter de l’essence en 2012, ce qui paraît tout de même optimiste à Mme de Ladoucette. Ainsi, l’Iran exporte moins de pétrole brut, mais il importe surtout beaucoup moins d’essence.
Ce tassement des exportations pétrolières iraniennes est d’ailleurs resté sans conséquences sur les recettes du pays, le prix du pétrole ayant nettement augmenté sur la même période. M. Breuillac a indiqué que, depuis cinq ans, les revenus pétroliers représentaient 75 milliards de dollars pour un PIB d’environ 350 milliards de dollars. Le montant des revenus pétroliers engrangés en vingt-six ans, entre 1979 et 2005, est sensiblement le même que celui obtenu en cinq ans, entre 2005 et 2010. Force est donc de constater que, au cours des dernières années, le pétrole a constitué plus que jamais une véritable manne pour l’Iran.
Cela se traduit par exemple dans l’évolution des échanges commerciaux de l’Iran avec ses principaux clients. Entre 2009 et 2010, les importations de l’Union européenne en provenance d’Iran ont ainsi progressé de 42,2 % en valeur, à 13,2 milliards d’euros, alors que le volume de pétrole brut iranien importé n’augmentait que de 2,19 % (soit 517 000 barils par jour). L’Union européenne était ainsi toujours, d’assez loin, le premier client pétrolier de l’Iran, devant le Japon et la Chine (autour de 450 000 barils par jour chacun), l’Inde (environ 375 000 barils par jour) et la Corée du Sud (entre 190 et 200 000 barils par jour). La hausse des importations européennes était surtout tirée par l’Italie (+ 81 % en volume, + 137 % en valeur) et l’Espagne (respectivement + 16,3 % et + 66 %). Ces deux Etats et les Pays-Bas assurent globalement 82 % des importations européennes d’Iran en volume et 77 % en valeur. Les importations françaises ont baissé de 15 % en valeur, se limitant à 850 millions d’euros, contre 4,7 milliards d’euros pour l’Italie. En dépit de prises de position politiques clairement défavorables au régime iranien, on ne peut que constater que l’Iran renforce sa position comme fournisseur stratégique de l’Union européenne. Celle-ci ne peut d’évidence pas se passer du pétrole iranien, même si, en l’achetant, elle contribue fortement à la pérennité du régime.
Les sanctions des Nations unies et de l’Union européenne ne visent pas à brider les exportations iraniennes de pétrole – ce qui aurait pour effet d’entraîner une hausse considérable des cours du pétrole, aucun autre pays n’ayant la capacité d’augmenter sa production pour compenser l’interruption des exportations iraniennes. Comme votre Rapporteur l’a expliqué supra, elles ont néanmoins pour effet de compliquer le rapatriement en Iran de la contrepartie financière de ses livraisons. M. Benoît Coeuré a ainsi signalé que la raréfaction des circuits de financement avait conduit l’Iran à « brader » son pétrole, en accordant une baisse du prix de l’ordre de 20 %. M. Arnaud Breuillac a confirmé l’existence de ce phénomène. Témoigne aussi de ces difficultés l’affaire révélée en avril dernier par la presse allemande : il s’agit du paiement d’une livraison de pétrole, qui aurait transité d’Inde en Iran par un compte domicilié en Allemagne au sein de la controversée Europäisch-iranische Handelsbank (EIH), avec l’aval de la Bundesbank, la banque centrale allemande ; les autorités allemandes auraient prêté main-forte à Téhéran pour contourner les sanctions internationales à son encontre, en échange de la libération de deux journalistes allemands retenus en Iran. D’une manière générale, l’Inde rencontre de plus en plus de difficultés pour régler le pétrole brut iranien qu’elle achète – 20 % des ventes iraniennes à l’étranger sont destinées à ce pays – à cause du blocage de ses canaux de paiement traditionnels, provoqué par les sanctions internationales : au cours de l’été 2011, l’Iran a menacé d’interrompre ses livraisons à New Delhi après sept mois sans règlement, conduisant l’Inde à conclure un accord avec l’Arabie saoudite afin que, le cas échéant, celle-ci compense partiellement l’arrêt des livraisons iraniennes (38).
Face à ces difficultés, l’Iran a plus que jamais besoin que le prix du pétrole reste à un niveau élevé. Elle s’oppose sur ce point à l’Arabie saoudite au sein de l’OPEP. Celle-ci juge qu’un prix compris entre 70 et 80 dollars le baril de brut est satisfaisant, alors que l’intérêt de l’Iran est dans le maintien du prix du baril au-dessus de 100 dollars. Cet objectif est d’autant plus vital pour le régime que la production nationale amorce son déclin faute d’investissements suffisants.
b) Des besoins en gaz considérables
Si les exportations de pétrole assurent à l’Iran 80 % de ses recettes d’importation, la place du gaz est infiniment plus modeste, bien que le pays en soit aussi très généreusement doté.
Les réserves iraniennes s’élèvent à 1 100 trillions de pieds cubes (28 000 milliards de mètres cubes), soit environ 10 % des réserves mondiales ; cela représente la moitié des réserves russes et le double de celles du Qatar. L’Iran possède les deuxièmes réserves mondiales de gaz conventionnel après la Russie mais les découvertes de gaz de schiste américains ont fait passer les Etats-Unis devant l’Iran en termes de réserves non conventionnelles. Le pays produit 200 milliards de mètres cubes par an, soit quatre fois la consommation française, mais il en exporte peu et en importe autant qu’il en exporte. Cette situation est due au retard qu’il a pris dans l’exploitation de ses ressources, votre Rapporteur y reviendra, et surtout à l’importance de sa consommation intérieure, qui est équivalente à sa production. Consommation et production ont plus que doublé en dix ans. Les principales utilisations du gaz iranien sont l’industrie, la consommation domestique et la réinjection pour l’extraction du pétrole.
Plusieurs interlocuteurs de la Mission ont rappelé que l’idée d’exporter du gaz n’avait jamais fait l’unanimité au sein du régime. Même le président de la commission du parlement iranien chargée de l’énergie a exprimé sa préférence pour la valorisation du gaz en interne plutôt que son exportation. Mme Véra de Ladoucette a dit que les autorités iraniennes tablaient sur une production de 450 milliards de mètres cubes par an à l’horizon 2025, ce qui semblait difficile à atteindre et pourrait en tout état de cause être encore inférieur au niveau de la consommation, estimée par certains à 500 milliards de mètres cubes par an à cette date.
Etant donné l’état des puits de pétrole iraniens, ils requièrent toujours plus de gaz réinjecté. La population en consomme aussi beaucoup et la baisse des subventions sur le prix du gaz (voir infra) a été très mal perçue. Elle devrait néanmoins pousser les Iraniens à modérer leur consommation.
Face à cette situation, les spécialistes entendus par la Mission ont reconnu que l’un des moyens les plus efficaces pour permettre à l’Iran d’être en mesure d’exporter du gaz serait, outre l’augmentation des investissements (voir infra), le recours au nucléaire pour produire de l’électricité. Le pays pourrait ainsi réduire sa consommation intérieure de gaz et développer ses exportations. Il serait par exemple en mesure d’alimenter en gaz un gazoduc comme celui prévu par le projet Nabucco à destination de l’Europe, projet qui ne saurait aboutir sans le gaz iranien.
Le chargement en combustible du réacteur de la centrale de Bouchehr a débuté en août 2010 et, après une série de problèmes techniques, elle a été raccordée au réseau électrique un an plus tard. Mais, au-delà de l’achèvement de ce projet, dont les travaux avaient commencé en 1974, il faut souligner que le pays n’a élaboré aucun plan de constructions de centrales nucléaires, en dépit de la pertinence économique d’un tel plan et surtout du discours justifiant l’enrichissement de l’uranium par les besoins de futures centrales.
c) Un sous-investissement très pénalisant pour l’avenir
Qu’il s’agisse de pétrole ou de gaz, l’Iran produit peu au regard des réserves dont il dispose. Avec des réserves supérieures d’un tiers à celles de l’Iran, l’Arabie saoudite produit déjà deux fois plus de brut et dispose d’un potentiel de production trois fois supérieur à l’actuelle production iranienne. La Russie a des réserves deux fois moindres, mais produit le double. Pour ce qui est du gaz, les réserves de la Russie sont deux fois supérieures, mais sa production correspond au triple de la production iranienne.
Cette situation est le résultat du manque d’investissements dans le secteur des hydrocarbures, que ces investissements soient financés en interne ou par des compagnies étrangères.
Des investissements seraient nécessaires pour accroître la capacité du pays. Ceux qui sont réalisés suffisent à peine à la maintenir à son niveau actuel. Mme Véra de Ladoucette a jugé que l’Iran devait tous les ans accroître sa capacité de production à hauteur de 350 000 barils de pétrole quotidiens afin de compenser la déplétion naturelle, c’est-à-dire la capacité de production perdue chaque année à mesure que la production de certains puits décline. Elle estime que, sans investissements massifs, la capacité de production iranienne pourrait diminuer jusqu’à 3,2 millions de barils par jour d’ici à 2020.
M. Arnaud Breuillac a cité une étude iranienne selon laquelle, pour arriver à une production pétrolière de 4,7 millions de barils par jour et doubler la production de gaz entre 2011 et 2016, il faudrait investir 150 milliards de dollars répartis entre 60 milliards d’investissements étrangers, 40 milliards provenant de banques iraniennes et 50 milliards de fonds investis par la NIOC, la compagnie nationale iranienne. L’investissement total devait permettre de financer l’exploitation, c’est-à-dire les forages, et les unités de production.
Le problème, c’est que ni les autorités, ni les investisseurs étrangers ne semblent disposés à réaliser de tels investissements. Comme l’a évoqué M. Michel Makinsky, les réserves destinées au financement de ces investissements, censées transiter par le fonds de stabilisation pétrolier, ont été utilisées par le régime à de tout autres fins, pour financer les subventions à la consommation notamment. Mme Véra de Ladoucette a souligné en outre que le secteur des hydrocarbures, qui n’était pas une industrie de main-d’œuvre, n’était pas prioritaire dans un pays où le taux de chômage officiel dépassait les 14 %.
Par ailleurs, le pays n’attire guère les investisseurs étrangers. Mme Véra de Ladoucette y voit trois raisons principales : « après un fort intérêt pour l’Iran dans les années 90 des sociétés européennes – les investissements américains étant interdits depuis l’Executive order de 1995 –, les investisseurs étrangers s’en sont détournés, les conditions contractuelles étant jugées peu attrayantes, malgré une tentative d’amélioration de la stratégie des " buy back " en 2007. D’autre part, l’organisation de l’industrie pétrolière et gazière est lourde et complexe et change très souvent. Enfin, les sanctions économiques internationales (Nations unies et Union européenne) liées au non-respect par l’Iran des résolutions des Nations unies sur la question nucléaire ont plus récemment provoqué le désengagement des sociétés européennes. »
M. Arnaud Breuillac a évoqué le problème de ces contrats de « buy-back ». En 1995, le groupe Total a été le premier à signer un contrat de ce type sur un champ de pétrole dans le Golfe persique : il s’agit de contrats de services qui respectent la constitution iranienne interdisant que des étrangers soient propriétaires des réserves. Le contrat de « buy-back » stipule que, pour le développement d’un champ donné, l’investissement et la rémunération sont fixés à l’avance pour une période de sept ans. Dans les années 1990, c’était une bonne protection contre la variation des prix du baril à la baisse afin d’assurer une rentabilité minimum en équilibrant les risques. Aujourd’hui, avec les fluctuations importantes du prix du baril à la hausse et les tensions relatives aux ressources humaines et aux équipements, ces contrats ne sont plus adaptés. M. Breuillac a indiqué que les Iraniens étaient de rudes négociateurs mais que, une fois le contrat signé, ils le respectaient.
A cette difficulté, s’ajoutent désormais les sanctions internationales. Depuis quelques années déjà, des grandes compagnies occidentales se sont désengagées d’Iran sous la pression des Etats-Unis et de ses menaces de représailles contre les groupes travaillant en Iran. En juillet 2008, M. Christophe de Margerie, le président-directeur général de Total, jugeait politiquement trop risqué que son groupe continue d’envisager d’investir en Iran ; il renonçait ainsi à poursuivre ses négociations sur la phase 11 de l’immense champ gazier South Pars, pour laquelle le groupe envisageait la construction d’une usine de gaz naturel liquéfié (GNL), en collaboration avec une compagnie malaisienne et une compagnie iranienne, la production devant être achetée par la Chine. Deux ans plus tard, après l’annonce de sanctions européennes, Total a mis un terme à toutes ses activités dans le pays : les quatre contrats de « buy-back » sont terminés et seuls quelques remboursements de coûts restent en suspens. Les Européens Shell, Statoil et Eni ont pris la même décision.
Le retrait des compagnies occidentales est très pénalisant pour l’Iran. Même si des compagnies d’autres pays, en particulier chinoises, sont prêtes à prendre leur place, elles n’offrent pas le même niveau technologique ni la même qualité de prestations. Par exemple, seules les compagnies occidentales maîtrisent la production de GNL. M. Arnaud Breuillac a signalé que la compagnie chinoise PétroChina a remplacé Total pour la phase 11 de South Pars mais que cette présence chinoise était assez frustrante pour les Iraniens car bien que le contrat fût signé depuis juin 2009, les compagnies n’assuraient qu’un service minimal pour garder leurs positions. Selon les diplomates français à Téhéran, le gouvernement chinois aurait officieusement demandé aux compagnies de leur pays de ralentir le rythme de leurs engagements en Iran. Au total, sur 17 milliards de dollars d’investissements dans le domaine des hydrocarbures iraniens annoncés par la Chine au cours des dernières années, seuls 3 milliards de dollars auraient été réalisés.
Les sanctions privent ainsi les Iraniens de l’accès à la technologie dont ils ont besoin pour optimiser le développement des champs. Par conséquent, le taux de récupération ultime de produit est moins bon. Ce phénomène est irréversible et représente une perte pour l’ensemble de la communauté internationale. En outre, toujours sous l’effet des sanctions, en l’absence des compagnies étrangères, les Iraniens « bricolent » une industrie locale, peu performante, mais qui risque de leur permettre, à terme, de se passer de la présence internationale.
On voit donc que, dans le secteur des hydrocarbures aussi, les sanctions ont une efficacité certaine, mais entraînent des effets pervers.
M. Arnaud Breuillac en a signalé d’autres qui sont particulièrement gênants pour les compagnies européennes. Selon son analyse, « les sanctions européennes, signées en juillet 2010, sont beaucoup plus contraignantes pour Total que les sanctions américaines le sont pour les compagnies américaines. En effet, jusqu’aux dernières sanctions, le groupe attribuait cinq à dix bourses par an à de jeunes ingénieurs iraniens pour qu’ils viennent étudier en France. Depuis lors, il n’a plus le droit de le faire alors que les Américains peuvent continuer. Cela procure aux Etats-Unis un avantage considérable en termes d’image. D’autre part, Total réalisait avec la NIOC des études géologiques lui permettant d’avoir des informations sur l’état des gisements et d’entretenir de bonnes relations entre techniciens et spécialistes. Cet échange a également été stoppé par les sanctions, alors que les Américains ont une franchise d’un million de dollars par an et par compagnie pour ces études. Concernant ce lien scientifique, les Européens sont très désavantagés par rapport aux Etats-Unis. » Cette situation est très paradoxale au regard des positions politiques et du discours très fermes des Etats-Unis vis-à-vis de l’Iran, mais elle traduit une forme de pragmatisme américain, dont les Européens auraient dû s’inspirer, ne serait-ce qu’afin de poser des jalons pour pouvoir renouer des relations dans ce domaine avec l’Iran une fois que les sanctions auront été levées.
3) Des réformes économiques nécessaires aux conséquences imprévisibles
Parmi les éléments de faiblesse de l’économie iranienne, figurent la faible efficacité du système fiscal et la politique de subventionnement des produits de base et de l’énergie.
Le président Ahmadinejad a pris des décisions qui devraient permettre d’améliorer la situation sur ces deux points. Leur mise en œuvre n’est pas encore achevée, et elle est entourée de précautions. Elle pourrait néanmoins avoir d’importantes conséquences, en particulier sociales.
a) Une volonté réformatrice surprenante
Alors que le président Ahmadinejad se présente comme un homme issu du peuple et resté proche de lui et tient volontiers un discours populiste, il est surprenant de voir qu’il a lancé des réformes qui vont se traduire par un renchérissement marqué des prix à la consommation. L’un des objectifs qu’il avait mis en avant pendant sa campagne de 2005 était pourtant de faire en sorte que l’argent du pétrole bénéficie directement aux plus modestes.
La première voie de réforme qu’il a suivie consistait à créer une taxe sur la valeur ajoutée. Les auteurs du rapport de décembre 2008 avaient mentionné ce projet, alors déjà modifié à plusieurs reprises. Ils indiquaient qu’il avait entraîné une grève du bazar en octobre 2008, les commerçants voyant d’un très mauvais œil l’obligation de déclarer leur chiffre d’affaires. Les autorités avaient alors reculé.
Le mois de juillet 2010 a été marqué par de nouvelles grèves du bazar, en réaction à l’annonce d’une hausse de 70 % des taxes sur le revenu des commerçants. Après quinze jours de grève, les autorités avaient annoncé que l’augmentation serait limitée à 15 %. Fin septembre, les bazaris étaient à nouveau en grève, pour la même raison.
L’autre réforme capitale concerne la suppression du subventionnement des produits de base et de l’énergie. Les subventions sur le pain, le lait, le sucre, les transports publics, l’électricité, le gaz et l’essence coûtent à l’Etat de l’ordre de 80 milliards d’euros par an (soit presque l’équivalent des réserves en devises du pays). Leur suppression ou au moins leur diminution est en débat depuis des décennies. Une première étape a consisté à réduire de moitié le volume d’essence accordé aux Iraniens au prix le plus bas (100 litres par mois à 0,11 dollar en 2007, 60 litres par mois à 0,39 dollar en janvier 2011). Dès 2008, le président Ahmadinejad avait exprimé la volonté de les réduire d’environ 25 milliards de dollars (moins de 20 milliards d’euros) et de les réserver aux 70 % des Iraniens les moins bien lotis. Une loi dite « de réforme économique » a été votée début 2010. Elle prévoit la suppression des subventions sur cinq ans.
M. Thierry Coville a insisté sur le caractère rationnel de ces mesures du point de vue économique ; Mme Véra de Ladoucette a fait de même, remarquant que l’Iran était le seul pays de la région à avoir entrepris une telle réforme. Les experts du FMI ont salué l’adoption de cette loi. En effet, le coût pour l’Etat des subventions est d’autant plus élevé que le prix des produits subventionnés augmente sur le marché international : il est donc accrû de manière importante sous l’effet de la hausse du prix du pétrole en particulier. En outre, les subventions, qu’ils évaluent à 4 000 dollars en moyenne par an et par ménage
– pour un revenu moyen annuel de l’ordre de 3 600 dollars –, profitent davantage à ceux qui consomment le plus, surtout à ceux qui consomment le plus d’énergie, c’est-à-dire aux plus aisés. Elles conduisent enfin à une consommation immodérée des produits bon marché et donc à du gaspillage.
Le caractère exceptionnel des enjeux de cette réforme a aussi été souligné par Mme Marie Ladier-Fouladi : « L’économie iranienne est basée essentiellement sur la rente pétrolière. Depuis 1979, la République islamique a élargi les subventions sur tous les services et produits de consommation, qu’ils soient importés ou fabriqués en Iran. Ces subventions constituent le socle de l’économie iranienne. » Elle a ensuite expliqué à la Mission que « le projet du Président était de substituer le versement d’une somme moyenne d’environ trente euros par adulte et par mois aux subventions des produits de consommation. Des études, des barèmes et des assiettes ont été réalisées dans ce but ». Alors que, à l’origine, la compensation devait tenir compte de la situation des bénéficiaires, il a été décidé que l’aide serait d’un montant identique pour tous.
Interrogé sur les raisons pour lesquelles le président Ahmadinejad prenait le risque de mener des réformes économiques impopulaires, M. Thierry Coville a présenté l’explication suivante : M. Ahmadinejad « veut probablement faire ce que personne n’a jamais fait, même si ça impose de passer en force. C’est le contraire de tout ce qu’il a toujours annoncé avant son arrivée au pouvoir. Mais il met en œuvre ces réformes avec prudence : il a reculé sur la TVA et a commencé à verser les aides directes avant de supprimer les subventions. »
Mme Ladier-Fouladi a aussi remarqué que le versement de l’aide avait été mis en place plusieurs mois avant le début du processus de libéralisation des prix, que les autorités repoussaient habilement, et que le Président rappelait à l’ordre toute personne critique à l’égard de ce programme de réforme. Elle a évoqué l’exemple d’un économiste iranien qui a été arrêté et emprisonné après avoir critiqué cette réforme sur un média étranger.
Les autorités ont en effet parfaitement conscience des risques sociaux que cette réforme comporte.
b) Des conséquences imprévisibles
Les effets positifs attendus de cette réforme ne font guère de doutes, et commencent à se faire sentir. Depuis que le processus de baisse des subventions sur l’essence a commencé, sa consommation a diminué, les Iraniens prenant enfin conscience qu’elle a une valeur.
Les inquiétudes les plus fortes concernent l’augmentation des prix des produits qui étaient auparavant fortement subventionnés, et ses conséquences sociales. Bien que fluctuant selon les années, le taux de l’inflation est tendanciellement élevé en Iran. Il était à un niveau relativement bas (inférieur à 10 %) en 2009, quand la réforme a été conçue, mais il s’est redressé depuis et l’augmentation va certainement se poursuivre, même s’il est difficile de prévoir dans quelle proportion. M. Thierry Coville a indiqué que, sur la période décembre 2010-janvier 2011, les prix étaient de 15,8 % plus hauts que sur la période décembre 2009-janvier 2010, la hausse atteignant 25,6 % pour les produits alimentaires et 18 % pour les dépenses de santé. En décembre 2010, les diplomates français estimaient à 10 points la hausse de l’inflation que le désubventionnement risquait d’entraîner en 2011.
L’aide directe que le président Ahmadinejad a décidé d’accorder à 40 millions de ses concitoyens en compensation de ce processus ne sera pas suffisante pour assurer le maintien de leur pouvoir d’achat. Mme Marie Ladier-Fouladi compare l’aide directe versée par les autorités, qu’elle estime à une trentaine d’euros en moyenne par adulte et par mois, au surcoût attendu. Selon elle, « on constate qu’un foyer qui paie aujourd’hui par exemple trente euros pour sa consommation d’énergie avec le régime de subventions, en paierait cent si les prix étaient libres ». Dans ce cas, l’aide directe correspondrait à seulement la moitié du coût supplémentaire. Reprenant la présentation officielle des autorités iraniennes, le FMI explique que 50 % de l’argent économisé par le désubventionnement sera versé en espèces à la population, ce qui compensera intégralement le surcoût et pourra être utilisé à d’autres fins. Cette présentation apparaît très optimiste car on ne voit pas très bien comment 50 % de l’économie peut couvrir la totalité du surcoût, toutes choses étant égales par ailleurs, d’autant que l’aide versée est forfaitaire quand les dépenses varient de manière importante selon les ménages.
Le risque que ce désubventionnement se traduise par des difficultés pour le peuple et des tensions sociales est évident, quand 60 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté. Le président Ahmadinejad ne s’y est pas trompé : le versement de l’aide directe a précédé de plusieurs mois le début du désubventionnement.
M. Michel Makinsky souligne ce risque : « l’inflation sévit, à hauteur de 17 à 25 % par an sur les biens de grande consommation, phénomène qui s’amplifiera avec la suppression progressive de subventions. L’issue de ces suppressions est de plus très incertaine, et l’on peut se demander comment le régime va se tirer de ce malaise social. L’électorat de M. Ahmadinejad est à l’origine constitué de ce petit peuple pauvre et religieux, portant une certaine rancune à l’égard du clergé puissant et riche et qui aime sa proximité populiste. Mais, même au sein de ces fidèles, le mécontentement gronde. »
M. Thierry Coville a estimé qu’il fallait reconnaître un certain courage au président iranien qui lançait cette réforme dans un contexte rendu difficile par les sanctions internationales et le mécontentement économique et social. Il observe aussi que, « appliquée depuis le dernier trimestre 2010, la réforme a provoqué une rapide accélération des prix sans pour autant déclencher de tensions sociales, du moins pour le moment ». Mais la mise en œuvre de la réforme est probablement aussi rendue plus facile par le bouclage de la société opéré depuis les manifestations de l’été 2009.
L’une des questions délicates évoquées devant la Mission a été celle de l’utilisation par le régime de l’argent économisé sur les subventions. La présentation officielle indiquait que, outre les 50 % versés sous forme d’aides directes, 30 % seraient utilisés pour aider les entreprises à investir dans des technologies renforçant leur efficacité énergétique tandis que les 20 % restant permettraient au gouvernement de faire face à la hausse du prix des énergies utilisées par les administrations. Pourtant, certains interlocuteurs de la Mission craignent que le recyclage des fonds économisés soit nettement moins vertueux.
Si MM. Thierry Coville et Bernard Hourcade pensent que le gouvernement iranien veut simplement faire des économies, Mme Marie Ladier-Fouladi craint que les sommes économisées (près de 100 milliards de dollars par an quand le processus sera achevé) soient « affectées au programme nucléaire ou à l’aide extérieure en faveur du Hezbollah libanais ou du Hamas, par exemple ».
On peut aussi penser que la corruption (39) et le clientélisme en seront encore renforcés. Telle est l’inquiétude exprimée par M. Clément Therme, spécialiste de l’Iran à l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève, dans un entretien accordé au quotidien Le Monde (40) : « Le projet était louable, mais demeure la question de savoir comment un pays aussi corrompu distribuera cet argent ».
II – UN DOSSIER NUCLÉAIRE QUI CONTINUE À CRISTALLISER L’ATTENTION DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE
Les rédacteurs du rapport de décembre 2008 avaient acquis la certitude que le programme nucléaire iranien avait des visées militaires. Ses développements au cours des dernières années et les progrès accomplis dans le domaine balistique notamment n’ont fait que renforcer cette conviction.
En conclusion de ses travaux, cette première mission d’information appelait à la négociation d’un accord. Cela supposait d’ouvrir un véritable dialogue, en levant toute condition préalable, c’est-à-dire sans subordonner l’ouverture des négociations à la suspension de toutes les activités liées au retraitement et à l’enrichissement de l’uranium (41), puisque les Iraniens refusaient absolument cette concession préalable. Une fois ce pas franchi, la méthode préconisée visait à élargir le champ de la négociation à d’autres domaines que le nucléaire, les concessions faites par l’Iran sur ce dernier pouvant être largement compensées par des avancées en matière économique, politique ou de sécurité régionale.
Ce schéma n’a pas pu être mis en œuvre, en dépit de la volonté américaine, aux lendemains de l’élection du président Obama, de rétablir des liens avec l’Iran. Devant le refus iranien des ouvertures occidentales et la poursuite de son programme nucléaire, avec des réussites évidentes, le Conseil de sécurité n’a eu d’autre choix que de renforcer ses sanctions, relayé par un nombre croissant de pays.
A – Des espoirs d’avancées déçus
Le rapport de décembre 2008 avait souligné à la fois le flou relatif des prises de position du futur président Obama pendant sa campagne électorale et les déclarations fermes de Mme Hillary Clinton sur l’Iran. Ses auteurs estimaient que la politique américaine dépendrait probablement à la fois du résultat des élections législatives israéliennes, prévues le 10 février 2009, et de celui de l’élection présidentielle iranienne.
Il faut reconnaître que le président Obama a eu le courage de faire des gestes d’ouverture en direction des Iraniens dès le printemps 2009, sans attendre l’issue du scrutin présidentiel, et malgré l’arrivée au pouvoir en Israël d’un Premier ministre appartenant au Likoud et tenant un discours particulièrement martial à l’égard de l’Iran.
Cette tentative courageuse n’a pourtant pas été suivie d’effet, pas plus que la proposition relative au réacteur de recherche de Téhéran, faite quelques mois plus tard.
1) L’échec de la « main tendue » du président Obama
La position de l’administration Bush vis-à-vis de l’Iran s’était progressivement assouplie, le vice-secrétaire d’Etat américain allant jusqu’à participer à la rencontre de Genève de juillet 2008 à l’occasion de laquelle le groupe des Six avait demandé à l’Iran de se prononcer sur le « double gel ». La suspension de l’enrichissement demeurait néanmoins un préalable à toute discussion.
Depuis le rapport Baker-Hamilton de décembre 2006, les appels des experts à l’ouverture du dialogue s’étaient multipliés, soutenus notamment en septembre 2008 par MM. Colin Powell, Warren Christopher, Henry Kissinger et James Baker, ainsi que Mme Madeleine Albright (42). Le président Obama n’a pas tardé à mettre cette préconisation en œuvre.
a) La « main tendue » américaine
Peu après son investiture, M. Barack Obama a promis de tendre la main à l’Iran si ses dirigeants acceptaient de « desserrer le poing ».
Il a rapidement nommé un conseiller spécial pour le Golfe et l’Asie du Sud-Ouest, M. Dennis Ross, entouré d’une équipe d’une dizaine d’experts de l’Iran, chargés de suivre aussi bien les dynamiques internes à l’Iran que le dossier nucléaire et les questions liées à la sécurité du Golfe.
En novembre 2008, le président Ahmadinejad avait adressé une lettre de félicitation au président américain nouvellement élu, dans laquelle il lui demandait un changement radical de la politique américaine. Le président Obama n’a pas souhaité répondre à cette lettre, mais a décidé de s’adresser à la fois au peuple et aux dirigeants iraniens par un message vidéo diffusé le 20 mars 2009, à l’occasion du nouvel an persan.
Au-delà des références obligées à la grandeur culturelle de la Perse, ce message ouvre la perspective d’un « jour nouveau » pour deux nations dont « les relations sont tendues depuis trois décennies ». Le président Obama place l’Iran devant un choix, celui de retrouver « sa juste place dans la communauté internationale », la reconnaissance de ce droit étant liée à la notion de responsabilité : l’Iran ne retrouvera cette place que par des actions pacifiques et non « par la terreur ou les armes » ou par les « menaces », seules allusions aux agissements de l’Iran, le mot « nucléaire » étant absent de ce message.
A travers deux mentions de la République islamique d’Iran, le nouveau président fait un premier pas vers une légitimation du régime iranien dans sa forme actuelle, mettant un terme aux velléités de « regime change » de son prédécesseur. Il évite néanmoins toute forme de contrition, se contentant d’évoquer les « sérieux différends qui se sont amplifiés avec le temps », que les deux pays doivent régler par la diplomatie.
Le 4 juin suivant, M. Barack Obama a précisé son offre de dialogue dans le cadre du discours qu’il a prononcé au Caire à l’attention du monde musulman. Il y a présenté la question des armes nucléaires comme l’une des sources de tension dans la région, après avoir évoqué « la violence extrémiste » et « la situation entre les Israéliens, les Palestiniens et le monde arabe ». Sans présenter d’excuse non plus, il a évoqué le rôle joué par les Etats-Unis « dans le renversement d’un gouvernement iranien démocratiquement élu » (celui de Mossadegh, en 1953), en le replaçant dans le contexte de la guerre froide, et avant de rappeler le rôle joué par l’Iran, « depuis la révolution islamique », « dans des actes de prises d’otages et de violences contre des Américains, militaires et civils ».
Tout en soulignant qu’il « sera difficile de surmonter des décennies de méfiance », il a présenté les Etats-Unis comme « prêts à aller de l’avant sans conditions préalables, sur la base du respect mutuel ». Il a réaffirmé le droit de toute nation, y compris l’Iran, « à accéder à l’énergie nucléaire à des fins pacifiques si elle respecte ses obligations dans le cadre du traité de non-prolifération ». C’est le risque de prolifération – déjà mentionné plus haut dans son discours (43) – et « l’engagement des Etats-Unis dans la recherche d’un monde sans armes nucléaires » qui sont mis en avant.
A propos du conflit israélo-palestinien, le président américain avait en outre qualifié d’ignorance et de haine la négation du génocide contre le peuple juif et constaté que « menacer Israël de destruction ou répéter des stéréotypes ignobles sur les juifs est profondément mal et ne sert qu’à rappeler aux Israéliens les plus douloureux des souvenirs tout en empêchant la paix que les gens de cette région méritent ». Il condamnait ainsi clairement les propos tenus par le président Ahmadinejad et d’autres responsables de la République islamique, sans les nommer.
Mais la tonalité générale des propos tenus par le président des Etats-Unis allait incontestablement dans le sens de l’ouverture, avec l’appel à aller de l’avant sans conditions préalables, même si l’obligation de respecter les engagements pris dans le cadre du traité de non-prolifération était clairement posée.
Le 3 juin, le New York Times signalait en outre que l’administration venait d’autoriser les missions diplomatiques américaines à inviter des fonctionnaires iraniens à la célébration du 4 juillet, information confirmée par les autorités américaines, soucieuses de témoigner, par ce petit geste supplémentaire, de leur esprit d’ouverture et de leur bonne volonté.
Devant la Mission, M. Jacques Audibert, le directeur général des affaires politiques et de sécurité au ministère des affaires étrangères et européennes (44), n’a pas caché que, tandis que le président Obama souhaitait temporiser pour donner toutes ses chances à sa politique de main tendue, les Européens étaient d’accord sur la nécessité d’exercer une pression sur Téhéran. Alors que Russes et Chinois ne voulaient pas entendre parler de nouvelles sanctions, le groupe des Six était donc affaibli, ce dont l’Iran profitait pour poursuivre impunément son programme nucléaire. La diplomatie française ne semble jamais avoir fondé de réels espoirs dans la démarche américaine de main tendue aux Iraniens, et la suite des événements lui a donné raison.
Pour le nouvel an perse 2010, le président américain a adressé un nouveau message aux Iraniens et à la République islamique, dans lequel il affirmait que son « offre de contacts diplomatiques et de dialogue rest[ait] valable » et appelait le régime à dire « à quoi [il était] favorable ». Mais, dénonçant le choix de l’isolement fait par le gouvernement iranien, il agitait clairement la menace de nouvelles sanctions contre le pays. L’amertume était donc perceptible.
En effet, non seulement les autorités iraniennes n’ont donné aucun signe de vouloir renouer une forme de dialogue avec les Etats-Unis, mais elles ont au contraire adopté une attitude nourrissant la défiance, notamment à l’occasion de l’offre relative au réacteur de recherche de Téhéran, élaborée à l’initiative des Etats-Unis dans le but de rétablir la confiance.
b) Une main que les Iraniens n’ont pas saisie
Le Guide suprême a répondu au message du président Obama dans le cadre du discours du nouvel an qu’il a tenu le 21 mars 2009 et dont un tiers environ portait sur la relation entre l’Iran et les Etats-Unis. Son message était le même que celui exprimé par les officiels iraniens depuis l’élection présidentielle américaine : l’Iran veut des preuves concrètes du changement de politique annoncé par le président américain ; la balle est donc dans le camp de celui-ci.
Le discours du Guide a en effet commencé par la liste des griefs iraniens contre les Etats-Unis : hostilité originelle fondamentale des Américains au régime islamique ; soutien américain aux opposants, aux séparatistes et aux terroristes (notamment au Sistan-Balouchistan) ; saisie de biens iraniens aux Etats-Unis et gel des avoirs ; soutien à Saddam Hussein pendant la guerre Iran-Irak et destruction d’un avion civil iranien en 1988 ; soutien aux terroristes (allusion aux Moudjahidins du peuple (45)), propagande anti-iranienne radiotélévisée, insultes de la part de tous les présidents américains, en particulier le précédent ; déstabilisation de la région, inondée d’armes américaines ; soutien inconditionnel au « régime sioniste » ; menaces militaires contre l’Iran ; imposition de sanctions depuis trente ans, qui se sont révélées être une « bénédiction déguisée » et involontaire en favorisant le progrès scientifique iranien.
Le Guide a ensuite exprimé son scepticisme sur une ouverture américaine. Il a mis en cause la sincérité du Président : « si la main qui nous est tendue est une main de fer dans un gant de velours, cela n’a rien de positif » ; celui-ci aurait, dans son message, accusé l’Iran de soutenir le terrorisme et de rechercher l’arme nucléaire, entre autres choses, et insulté la nation iranienne. M. Ali Khamenei a aussi mis en doute la capacité de décision du président américain, étant donné le rôle du Congrès voire de « gens anonymes qui tirent les ficelles », tandis que l’Iran agirait de manière « logique », « sur la base de calculs rationnels ».
Il a enfin exhorté les Etats-Unis à changer de manière réelle et pas seulement dans le discours, ce à quoi ils seront contraints « par les divines lois de la nature », en raison de la haine que leur comportement suscite dans le monde entier. Et de conclure : « Si vous changez, notre comportement changera également. Si vous ne changez pas, notre nation ne changera pas, car elle est devenue de plus en plus expérimentée, patiente et puissante au cours des trente dernières années. »
Si certains optimistes ont déduit de ce discours que le Guide ne disait pas non aux Américains, beaucoup y ont vu l’expression de sa préférence pour le statu quo. En effet, alors que, sous l’administration de George W. Bush, les Iraniens se disaient ouverts à un dialogue « sans précondition », ils énuméraient désormais les conditions, à savoir la résolution des griefs mentionnés. Le Guide suprême a surtout profité de ce discours pour poser la doctrine iranienne vis-à-vis des Etats-Unis et se placer clairement comme le décideur : l’administration américaine savait ainsi à qui elle devait s’adresser pour la suite du processus.
Le jour même du discours tenu au Caire par le président Obama, mais quelques heures avant, à l’occasion du vingtième anniversaire de la mort de l’ayatollah Khomeiny, son successeur avait déclaré que la volonté de changement de politique des Etats-Unis à l’égard de l’Iran devait se concrétiser par des actes, car la « haine » des Etats de la région à l’égard des Etats-Unis ne pouvait pas être enlevée « par des mots, discours et slogans ». Il balayait ainsi par anticipation tout espoir que le discours pouvait porter, avant même qu’il soit prononcé.
Il était clair que le régime iranien n’était pas prêt à renoncer à l’anti-américanisme, qui est l’un de ses fondements depuis la révolution islamique. En septembre 2009, les autorités iraniennes semblaient néanmoins prêtes à saisir l’offre faite par les Occidentaux sur le réacteur de recherche de Téhéran : cet espoir n’a hélas été que de courte durée.
2) Les avatars de l’offre relative au réacteur de recherche de Téhéran
Peut-être pour répondre à la demande iranienne de gestes concrets, en tout cas pour nourrir leur appel à l’ouverture, les Etats-Unis ont été à l’origine d’une proposition concernant le réacteur de recherche de Téhéran (TRR, pour Teheran Research Reactor), reprise par le groupe des Six.
a) Une offre visant à rétablir la confiance
M. Jacques Audibert a présenté cette offre dans les termes suivants :
« En effet, pour répondre au besoin de combustible du TRR et, surtout, pour aider à créer un climat de confiance entre les Six et l’Iran susceptible de faciliter l’engagement de négociations sérieuses, une proposition a été adressée à l’Iran pour permettre à ce réacteur de recherche de continuer de fonctionner et de produire des radio-isotopes médicaux. L’opération reposait sur la sortie d’Iran de 1 200 kilogrammes d’uranium faiblement enrichi (sur un stock total d’environ 1 600 kilogrammes à l’époque). Cette matière devait ensuite être ré-enrichie en Russie, puis transformée en combustible nucléaire par la France, avant de retourner en Iran. Ce schéma aurait permis de répondre au besoin en combustible de l’Iran et aurait conduit à une forme de reconnaissance implicite de son programme d’enrichissement ; surtout, la sortie d’Iran d’environ 75 % de son stock d’uranium faiblement enrichi aurait une mesure de confiance significative. »
L’objectif était donc clair : donner l’occasion aux deux parties de prouver leur bonne volonté par des actes. Cette offre n’aurait naturellement pas résolu le fond du dossier, mais elle visait à montrer à l’Iran que les Six n’entendaient nullement le priver des moyens de poursuivre ses recherches dans le domaine médical. Elle présentait l’avantage de ne laisser en Iran qu’une quantité d’uranium faiblement enrichi insuffisante pour permettre, une fois transformée, la fabrication d’une bombe.
Les négociations qui ont eu lieu le 1er octobre 2009, à Genève, ont été difficiles, notamment parce que la désunion persistante au sein du groupe des Six a permis aux Iraniens de mener le jeu. Un accord a minima fut cependant obtenu sur trois points : des techniciens devaient se réunir sous trois semaines pour discuter de la proposition sur le réacteur de recherche de Téhéran, le site de Fordou, près de Qom – dont l’existence avait été révélée par les chefs d’Etat occidentaux à l’occasion du sommet du G20 de Pittsburgh (voir infra) – serait accessible aux inspecteurs de l’AIEA et de nouvelles négociations, sur le fond, devaient s’ouvrir avant la fin du mois.
Les deux réunions annoncées se sont tenues, mais les représentants de l’Iran ont multiplié les manœuvres dilatoires, si bien que les modalités de mise en œuvre de la proposition n’ont jamais pu faire l’objet d’un accord. Finalement, le 27 octobre, les Iraniens ont rejeté les conditions de l’accord proposé par l’AIEA pour le transfert d’une partie de l’uranium enrichi à l’étranger ; ils voulaient notamment obtenir une exportation échelonnée de leur stock.
Comme l’a souligné M. Bruno Tertrais, « la proposition relative au réacteur de Téhéran était un véritable test de confiance pour les Iraniens et il s’est avéré non concluant ». Il a même estimé que « l’idée américaine d’un accord sur un réacteur de recherche de Téhéran, a peut-être été une erreur. En effet, elle a ouvert la voie à l’enrichissement à 20 % et a conforté les Iraniens dans leur détermination à tout produire par eux-mêmes ».
Erreur ou seulement prise de risque de la part des Etats-Unis, cette proposition a paradoxalement permis l’ouverture d’une nouvelle phase : les atermoiements iraniens pendant la négociation des modalités pratiques de l’échange, ajoutés à la découverte du site secret d’enrichissement de Fordou et à la poursuite des activités sensibles sur le terrain, ont conduit les Etats-Unis à mettre un terme à leur politique d’ouverture et à se ranger du côté de la fermeté défendue par les Etats européens.
Il est très probable que, dans ce cas comme dans les situations précédentes où les Iraniens apparaissaient sur le point d’accepter une concession sur le dossier nucléaire, des désaccords internes aient conduit à un retour en arrière pour assurer le maintien du statu quo, votre Rapporteur y reviendra.
b) Une tentative iranienne de manipulation
Mais cet échec du groupe des Six n’a pas conduit à la disparition de l’idée d’un échange de combustible. Celle-ci a été reprise au printemps suivant, dans un contexte marqué par de nouvelles discussions entre membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies à propos du renforcement des sanctions contre l’Iran.
C’est ainsi que, à la surprise générale, était annoncée ,le 17 mai 2010, la conclusion d’un accord entre l’Iran, le Brésil et la Turquie sur la fourniture de combustible au réacteur de recherche de Téhéran, accord désigné sous le nom de déclaration de Téhéran. L’échange prévu portait sur la même quantité d’uranium et les taux d’enrichissement étaient identiques ; il devait se dérouler sur le territoire turc. Mais c’est l’absence d’obligations claires mises à la charge de l’Iran qui a suscité la réaction négative du groupe des Six, notamment. En effet, le texte prévoyait une collaboration entre les trois Etats pour l’enrichissement de l’uranium iranien, sans pour autant contenir de contrainte spécifique ou d’obligation à la charge de l’Iran, lui permettant de dénoncer l’accord à tout moment et imposant une renonciation à toute sanction prise à son encontre.
En dépit des précautions prises par les Occidentaux pour ne pas se montrer trop sévères à l’égard de l’initiative de la Turquie et du Brésil, la tonalité générale a été très critique. M. Jacques Audibert a sobrement indiqué que cette réponse iranienne (sept mois après que l’offre avait été présentée) posait de nombreuses difficultés techniques et politiques.
Comme M. Bruno Tertrais, il a le sentiment que la conclusion de cet accord léonin avait été involontairement encouragée par une maladresse du président Obama : il avait envoyé une lettre ambiguë au Brésil, comprise comme un encouragement à s’engager dans des négociations avec l’Iran, Brasilia ayant ensuite entraîné Ankara avec elle. Le groupe des Six s’était pourtant vainement efforcé d’expliquer à la Turquie et au Brésil l’invraisemblance d’un pareil accord et les pièges qu’il contenait... M. Bruno Tertrais a ajouté deux autres éléments d’explication qui ont certainement joué un rôle déterminant : ce qu’il appelle « l’hybris » des deux pays émergents, soucieux de faire leurs preuves sur la scène internationale, et la personnalité de leurs dirigeants, le Premier ministre Erdogan et le président Lula.
Même s’il n’a pas été mis en œuvre, cet accord a été instrumentalisé par les Iraniens. Sa conclusion, au moment même où un consensus commençait à émerger au sein du Conseil de sécurité des Nations unies sur la nécessité de renforcer les sanctions, visait certainement, une fois de plus, à gagner du temps, voire à ébranler l’unité, encore fragile, des membres permanents du Conseil. Cette tentative a échoué, comme en atteste l’adoption d’un nouveau train de sanctions quelques semaines plus tard, mais elle a laissé des traces.
D’une part, les autorités iraniennes continuent à demander de temps en temps l’application de cet accord – comme ce fut encore le cas en février dernier. D’autre part, le Brésil et la Turquie restent marqués par l’accueil négatif qui a été réservé au résultat de leur initiative. Ils ont été les deux seuls Etats alors membres du Conseil de sécurité à voter contre l’adoption de la résolution 1929. Aujourd’hui encore, ils en éprouvent une certaine amertume.
Le Président et votre Rapporteur ont pu le constater lorsqu’ils ont rencontré, à New York, la représentante permanente du Brésil auprès des Nations unies et une diplomate de la représentation permanente de la Turquie. La première a rappelé que la négociation de la déclaration de Téhéran avait été menée avec le soutien des Etats-Unis et a estimé que son contenu était très proche de celui de l’offre du groupe des Six. Elle donnait l’impression que son pays n’avait pas compris l’accueil que la déclaration avait reçu. Elle a parlé d’une occasion manquée – l’accord trouvé ne pouvant être mis en œuvre faute du soutien des autres Etats –, qui rendait plus difficile la poursuite des négociations, surtout depuis l’adoption de nouvelles sanctions. La conseillère politique de la représentation permanente turque a aussi insisté sur l’objectif de l’initiative turco-brésilienne : rétablir la confiance et éviter de nouvelles sanctions, la voie du dialogue apparaissant comme la seule pouvant aboutir à une solution. Elle a évoqué la déception de son pays après que l’accord a été désavoué par la communauté internationale, alors même qu’il s’était coordonné avec les autres Etats impliqués dans le dossier. Une forme de malaise était ainsi perceptible chez les deux diplomates, qui regrettaient l’échec final de la tentative de leurs pays et le percevaient comme une forme d’injustice à leur égard. La bonne volonté de la Turquie et du Brésil dans cette affaire ne saurait être mise en cause : il semble qu’elle se soit heurtée à l’habileté des négociateurs iraniens, prompts à saisir tout ce qui peut apparaître comme une faiblesse de la communauté internationale.
L’échec patent de la politique d’ouverture tentée par le président Obama et les avatars de l’offre relative au réacteur de recherche de Téhéran ont ouvert une nouvelle séquence, marquée par l’adoption de sanctions supplémentaires contre l’Iran. Mais ils ont aussi permis à l’Iran de poursuivre son programme nucléaire, envers et contre tous.
Près de trois ans après les conclusions du rapport de décembre 2008, la Mission ne peut que constater que le règlement du dossier nucléaire n’a pas enregistré la moindre avancée : les sanctions n’ont pas conduit le régime iranien à modifier sa conduite et celui-ci se rapproche toujours plus du moment où il sera en mesure de se doter d’une arme nucléaire.
1) Un programme nucléaire qui progresse en dépit des obstacles
La mission d’information précédente avait acquis la conviction que, d’appel à la négociation en refus de discuter, l’Iran cherchait avant tout à gagner du temps dans son bras de fer avec la communauté internationale afin de pouvoir pousser le plus loin possible ses programmes de recherche. Il y est incontestablement parvenu et poursuit cette stratégie.
A l’issue de ses travaux, la Mission a le sentiment que le renforcement de la pression internationale – dont elle ne conteste pas le bien-fondé – contribue, pour l’heure, à accroître la volonté du régime de ne pas céder. Le programme nucléaire iranien a rencontré des difficultés, certaines liées à la mise en œuvre des sanctions ou à d’autres facteurs extérieurs, d’autres endogènes, mais il a progressé de manière importante au cours des dernières années.
a) Le refus de céder à la pression
Le rapport de décembre 2008 soulignait l’instrumentalisation du programme nucléaire par les autorités iraniennes auprès de la population du pays. En le présentant comme dépourvu de but militaire et comme un symbole de la capacité technologique iranienne – à laquelle les Occidentaux sont accusés de vouloir faire obstacle –, elles en ont fait un sujet de fierté nationale.
Il est extrêmement difficile de juger de l’état exact de l’opinion publique iranienne sur ce dossier. D’un côté, il est évident que les Iraniens ont de nombreuses autres préoccupations plus pressantes ; d’un autre côté, comme plusieurs interlocuteurs de la Mission l’ont souligné, ils ont un intérêt réel pour les sciences et techniques et sont, légitimement, fiers de leur histoire.
Selon M. Jean-Pierre Digard, la question nucléaire est un excellent révélateur de la vigueur du sentiment nationaliste. Mme Fariba Abdelkhah a aussi estimé qu’il n’y avait pas de débat à l’intérieur de l’Iran sur ce sujet, « tant en Iran il existe un unanimisme nationaliste autour de la question. La question nucléaire agit comme facteur de rééquilibrage entre les factions et d’unité de l’Etat en dépit de la crise postélectorale de 2009 ».
L’analyse de Mme Marie Ladier-Fouladi sur cette absence de débat est tout autre. Elle a contesté l’affirmation selon laquelle une union nationale existerait autour de cette question, dans la mesure où elle n’a jamais été publiquement débattue dans le pays. Elle a rappelé que, en 2005, après l’élection de M. Ahmadinejad à la présidence de la République, lorsque M. Ali Laridjani avait été nommé chef du Conseil supérieur de la sûreté nationale, il avait tenté de hisser le dossier nucléaire au même rang que la question de la nationalisation du pétrole. Des éditorialistes lancèrent alors un débat sur l’importance de cette question et sur le prix que le pays était prêt à payer pour ce programme. Mais rapidement le Guide et le Président décidèrent qu’il s’agissait d’une question d’ordre interne et d’une priorité du gouvernement, coupant court à tout débat plus avancé. Ainsi, il semble à Mme Ladier-Fouladi que les Iraniens n’ont, pour la plupart, aucunement conscience des enjeux ou des conséquences de cette question. Le directeur régional de BBC World a exprimé le même sentiment.
La question délicate du degré de soutien populaire au programme nucléaire se double de celle relative au positionnement de la classe politique. La plupart des bons connaisseurs du sujet pense qu’il existe un consensus sur la volonté d’acquérir au moins la capacité de construire une bombe nucléaire mais observe des nuances entre les différents clans au pouvoir sur le prix à payer. L’accroissement progressif de l’effet des sanctions sur l’économie nationale stimule le débat sur ce dernier point.
De manière assez paradoxale, certains – notamment au sein de l’administration américaine – ont l’impression que le président Ahmadinejad serait plus ouvert à la conclusion d’un accord sur le dossier nucléaire que nombre de ses adversaires politiques, qui veulent l’empêcher de remporter un succès diplomatique sur ce sujet. M. Patrice Paoli a indiqué que les rivalités internes entre le président du Parlement Laridjani et M. Ahmadinejad minaient toute possibilité d’évolution, car le premier ne voulait pas d’un accord qui donnerait au second les clés d’un succès sur le dossier nucléaire. Aux difficultés de la prise de décisions inhérentes au système de la République islamique, analysées dans le rapport de décembre 2008, s’ajoute ainsi l’exacerbation des jeux de rivalités politiques entre clans au pouvoir.
Ce sont eux qui expliquent certainement le revirement du négociateur nucléaire à propos de l’offre des Six sur le réacteur de recherche de Téhéran. L’accord a minima obtenu le 1er octobre 2009 a suscité des réactions de désapprobation nombreuses. Tout en indiquant que M. Mir Hossein Moussavi avait évolué depuis, M. Bernard Hourcade a rappelé qu’il avait lui aussi critiqué la perspective d’un accord sur les modalités de l’échange de combustible pour le réacteur de recherche. Selon lui, s’il était élu, M. Moussavi signerait le protocole additionnel au traité de non-prolifération mais encouragerait la progression du nucléaire civil iranien. Et de conclure que « les choses ne changeraient pas fondamentalement » sur ce point. Cette conclusion est surprenante car ce que la communauté internationale demande à l’Iran, c’est justement de respecter ses engagements internationaux et de mettre en œuvre le protocole additionnel : s’il le faisait, la poursuite du programme nucléaire – dont les visées exclusivement civiles pourraient alors être garanties – ne poserait plus de problèmes. Par cette formule, M. Hourcade voulait certainement affirmer l’attachement des Iraniens à la dimension scientifique du programme nucléaire, lequel ne fait guère de doute.
Chaque session de négociations est en tout cas l’occasion d’entendre les représentants de l’Iran répéter leur discours relatif à la souveraineté iranienne et à son droit à l’enrichissement de l’uranium – lequel n’est pourtant nullement garanti par le traité de non-prolifération, qui accorde tout au plus un droit à l’accès au nucléaire civil.
b) Une accumulation de difficultés
Avant de présenter les avancées considérables enregistrées par le programme nucléaire – dans le volet de l’enrichissement de l’uranium, comme dans ceux de la militarisation et de la balistique –, votre Rapporteur doit mettre en lumière les difficultés qu’il a rencontrées et qui ont ralenti sa progression.
Ces éléments ont été détaillés par M. Bruno Tertrais, qui était interrogé par le Président sur les raisons pour lesquelles les prévisions qu’il avait présentées dans son ouvrage sorti en 2007 (46) ne s’étaient pas réalisées. Il y annonçait qu’à la fin 2008, l’Iran pourrait être en possession de suffisamment d’uranium enrichi pour développer une arme nucléaire.
M. Bruno Tertrais a expliqué que, dans une prévision de date, on tenait compte de divers paramètres et des données dont on disposait à un moment donné. Il y a des présupposés techniques et des présupposés politiques. Les dates les plus alarmistes supposent que l’Iran aurait décidé de franchir coûte que coûte le seuil nucléaire, irait aussi vite que possible et ne rencontrerait pas de difficulté technique particulière. Il est dès lors facile de comprendre pourquoi la date possible d’accession de l’Iran à la bombe semble « glisser ». Les Iraniens ne vont jamais aussi vite qu’ils le pourraient. En outre, ils rencontrent des difficultés techniques et des obstacles ont été placés en travers de leur chemin. La course de l’Iran vers le nucléaire semble davantage relever de la course de fond que du sprint. Dès lors, les prévisions les plus catastrophistes, notamment émanant des autorités israéliennes, paraissent a posteriori exagérées. Mais il faut noter que les prévisions américaines (2010-2015) n’ont pas changé depuis 2005.
Selon M. Tertrais, aujourd’hui, si les Iraniens décidaient d’accéder à la bombe nucléaire le plus rapidement possible, ce ne serait qu’une question de mois (soit moins de deux ans) et non une question d’années.
Mais ils font effectivement face à de nombreux problèmes techniques depuis deux ans.
Une partie des difficultés est causée par les sanctions internationales, dont l’un des objectifs principaux était justement de gêner la poursuite du programme nucléaire. La première résolution établissant des sanctions, la résolution 1737 du 23 décembre 2006, a en effet interdit la fourniture à l’Iran de tout matériel et de toute technologie « que l’Iran pourrait utiliser pour ses activités liées à l’enrichissement et ses activités de retraitement et pour ses programmes de missiles balistiques ». Même si, comme votre Rapporteur l’a évoqué supra, le respect des sanctions n’est pas absolu, il est évident qu’elles compliquent l’accès à ces matériels et à ces techniques.
Il faut aussi signaler la décision prise par la Russie, s’appuyant sur la résolution 1929 du Conseil de sécurité, de ne pas livrer à l’Iran les missiles sol-air S-300 qu’il lui avait commandés (47). Le S-300 est un missile anti-aérien ultra-moderne, mobile et à longue portée, qui peut traquer et détruire des missiles balistiques, des missiles de croisière et des avions volant à basse altitude. La vente de telles armes aurait donné à l’Iran le moyen de contrecarrer des attaques aériennes contre ses installations nucléaires.
Ces obstacles officiellement mis en place par la communauté internationale ont été complétés par ce que M. Bruno Tertrais a considéré comme constituant « très vraisemblablement une véritable campagne organisée », consistant en sabotages d’avions et de laboratoires nucléaires, assassinats de scientifiques, virus informatiques, démobilisations de scientifiques… Selon lui, il serait surprenant qu’Israël n’y ait pas un rôle prépondérant. Si, aux premières annonces concernant le virus Stuxnet, il avait eu quelques doutes, il avait désormais la conviction qu’il s’agissait d’un acte délibéré.
Aucun Etat n’a reconnu avoir joué un rôle dans ces événements, mais il est probable que les services israéliens ont collaboré avec ceux d’autres pays occidentaux, les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou la France notamment.
C’est ce qui ressort clairement d’un article publié le 15 janvier 2011 dans le New York Times et consacré au virus Stuxnet, dont le président Ahmadinejad avait lui-même, en novembre 2010, dénoncé les effets « mineurs » sur le fonctionnement des centrifugeuses iraniennes. Testé dans un complexe militaire situé dans le désert de Néguev, ce virus extrêmement sophistiqué aurait été introduit en Iran par l’intermédiaire d’ordinateurs Siemens utilisés pour contrôler des cascades d’enrichissement de l’uranium. Bien qu’il soit aussi apparu en Inde et en Indonésie notamment, il n’y a pas fait de dégâts car il a été conçu pour n’entrer en action que dans certaines conditions, qui sont réunies dans une usine de centrifugation. Il est aussi en mesure de dissimuler son effet destructeur en envoyant de fausses informations faisant croire au système que tout fonctionne normalement.
C’est certainement le succès de cette campagne visant à ralentir le programme nucléaire iranien, et la part que ses services y ont pris, qui expliquent que l’ancien chef du Mossad, M. Meir Dagan, ait déclaré le 6 janvier 2011, en quittant ses fonctions, que l’Iran ne serait pas en mesure de posséder d’arme nucléaire avant 2015.
Alors que l’Iran cherche à gagner du temps, ces opérations lui en ont très certainement fait perdre.
c) Des progrès néanmoins considérables
Comme l’a souligné M. Bruno Tertrais, en dépit de ces difficultés, le programme a enregistré des avancées réelles. Les experts sont unanimes sur ce constat et les rapports de l’AIEA fournissent très régulièrement des informations précises sur ces avancées. Si le cœur des préoccupations de l’Agence l’a d’abord conduite à centrer ses rapports sur les activités d’enrichissement et de retraitement de l’uranium, elle s’intéresse de plus en plus aux indices d’une possible militarisation du programme nucléaire.
L’enrichissement de l’uranium porte sur des quantités de plus en plus importantes et un niveau d’enrichissement toujours accru, le cap de l’enrichissement à 20 % ayant été franchi. Or, de l’avis de tous les experts, une fois ce seuil franchi, on arrive très vite au seuil militaire.
Selon les informations dont dispose M. Bruno Tertrais, les activités de l’usine de Natanz se sont de tout temps poursuivies : il est vrai qu’un nombre plus faible de centrifugeuses fonctionne, mais le rythme de production de l’uranium enrichi s’est accéléré. Il a précisé qu’il s’agissait de centrifugeuses de première génération ; il estime probable que soient bientôt opérationnelles des centrifugeuses de deuxième génération, mais certainement pas de quatrième génération comme l’a annoncé fin 2010 l’ambassadeur iranien auprès de l’AIEA.
M. Nicolas Spassky, le directeur général adjoint de ROSATOM pour les relations internationales, que le Président et votre Rapporteur ont rencontré lors de leur déplacement à Moscou début avril, a indiqué que l’Iran disposait de 8 à 9 000 centrifugeuses, dont le déploiement, bien que ralenti, est en cours. Même si le taux de déchets est important, les Iraniens disposaient de plus 3 100 kilogrammes d’uranium faiblement enrichi de 3,37 % à 3,4 % selon les informations fournies par l’AIEA en février. Sachant qu’il faut 900 kilogrammes d’uranium faiblement enrichi pour produire 50 kilogrammes d’uranium hautement enrichi, les Iraniens pourraient en principe, avec 3 000 centrifugeuses fonctionnant bien, avoir assez de matières pour produire trois ogives par an. En admettant qu’ils disposent déjà de 40 kilogrammes d’uranium enrichi, ils pourraient produire deux charges en un an ou une charge en six mois. Si la décision politique de construire la bombe était prise, il serait réaliste de compter entre un an et dix-huit mois environ pour y parvenir. Cette estimation correspond tout à fait à celle de M. Tertrais, qui jugeait, en janvier 2011, que les Iraniens disposaient largement des quantités requises pour la production de deux armes.
Dans son rapport du 24 mai 2011, l’AIEA indique que l’Iran disposait, à la mi-mai, de plus de 4 100 kilogrammes d’uranium faiblement enrichi, On mesure ainsi l’accélération du rythme de sa production : 970 kilogrammes auraient été produits entre mi-octobre 2010 et mi-mai 2011, contre 3 100 kilogrammes entre février 2007 et octobre 2010. L’Iran produirait de l’uranium enrichi à 20 % depuis février 2010 : il en possèderait près de 57 kilogrammes, dont plus de 31,5 kilogrammes fabriqués entre septembre 2010 et mai 2011. Dans ce domaine aussi, une meilleure maîtrise de la technologie permet d’accélérer le processus.
M. Vladimir Valériévitch Evseev, chercheur à l’Académie des Sciences de Moscou, a néanmoins estimé que les Iraniens n’étaient pas encore techniquement en mesure de fabriquer une arme. Il a évoqué un double problème : la faible quantité de l’hexafluorure et des difficultés à convertir l’hexafluorure en uranium métal. Mais il a estimé ce n’était qu’une question de temps : ces difficultés pourraient être résolues en moins de deux ans si le régime décidait d’y consacrer tous les moyens nécessaires.
Pour ce qui est du volet de l’enrichissement de l’uranium, la poursuite des inspections de l’AIEA permet de disposer d’informations fiables, du moins sur l’activité des sites qui ont été déclarés. Cette réserve est loin d’être anodine : M. Bruno Tertrais a rappelé que, de nouvelles installations ayant été régulièrement découvertes depuis 2003 (année de la découverte du site d’enrichissement de Natanz), il est très vraisemblable que d’autres sites cachés soient encore à découvrir, par exemple une deuxième usine d’enrichissement. Il s’inquiète aussi d’une éventuelle coopération avec la Corée du Nord : la découverte du réacteur en construction en Syrie et des activités d’enrichissement clandestines de la Corée du Nord amène à évoquer l’hypothèse d’un axe de coopération Syrie-Iran-Corée du Nord, que l’on peut considérer comme raisonnable. L’AIEA ne connaît pas non plus l’état d’avancement exact des recherches sur la voie du plutonium, qui a pris du retard, mais reste à l’ordre du jour, comme en atteste le fait que le réacteur nucléaire d’Arak soit en phase de finition.
Pour ce qui concerne les volets de la militarisation et balistique du programme iranien, la situation est encore plus incertaine, faute d’informations publiques. M. Bruno Tertrais a exprimé l’hypothèse que le volet de la militarisation, c’est-à-dire de la conception de la charge, suspendu en 2003, ait été repris depuis 2007. Quant au volet balistique, il a affirmé que le régime maîtrisait désormais la séparation des étages et la propulsion à combustible solide.
Dans le même sens, M. Evseev a indiqué que les fusées Shahab-3 à carburant liquide étaient mal adaptées à l’emport d’une charge nucléaire mais que l’Iran allait prochainement mettre en service de nouvelles fusées à carburant solide, plus faciles à charger et d’une portée de 2 300 kilomètres, c’est-à-dire susceptibles d’atteindre le Caucase Nord.
Le rapport de l’AIEA de fin mai 2011 revient sur les « dimensions militaires possibles » du programme nucléaire iranien. Il dresse une liste de sept domaines de préoccupations sur lesquels, entre autres, l’Agence demande à l’Iran des éclaircissements. Figurent parmi eux la conversion et la métallurgie de l’uranium, la fabrication et les essais d’explosifs brisants, les études relatives à un détonateur à fil explosant, à l’amorçage multipoint d’explosifs et au déclenchement de charges hémisphériques, des dispositifs de mise à feu à haute tension pour des essais d’explosifs sur de longues distances et des activités de modification de la conception du corps de rentrée de missile pour une nouvelle charge déterminée comme étant de nature nucléaire.
L’Agence réitère ces questions dans son rapport du 2 septembre 2011, soulignant la cohérence et la crédibilité des informations qui fondent ses préoccupations, lesquelles ont été obtenues à la fois par des Etats membres et par les moyens de l’Agence elle-même.
La ferme conviction de la dimension militaire du programme nucléaire iranien que s’étaient forgée les membres de la mission d’information sur « Iran et équilibre géopolitique au Moyen-Orient » et qui était exprimée dans le rapport de décembre 2008 est donc encore renforcée par l’évolution constatée au cours des dernières années.
2) Le resserrement progressif de l’étau des sanctions
Les diplomates qui ont eu à discuter avec des représentants iraniens au cours des différentes réunions qui se sont tenues au fil des ans expriment la frustration qu’ils ont ressentie face à des interlocuteurs répétant les mêmes antiennes et d’évidence fermés à tout dialogue réel. Les membres de la mission sur « Iran et équilibre géopolitique au Moyen-Orient » en avaient eu un aperçu lors de leur séjour à Téhéran, à l’automne 2008.
Les trois premières résolutions du Conseil de sécurité comportant des sanctions avaient été adoptées entre décembre 2006 et mars 2008, à un rythme soutenu donc. La quatrième n’est intervenue qu’en juin 2010 : elle a résulté du retour de tous les membres permanents du Conseil de sécurité vers une position de fermeté, lequel retour s’expliquait à la fois par le refus iranien de la « main tendue » américaine, par la poursuite d’un programme nucléaire de plus en plus inquiétant, et par la révélation de l’existence d’un autre centre d’enrichissement près de Qom.
a) Un nouveau train de sanctions des Nations unies
Quelques semaines avant la publication du rapport de décembre 2008, le Conseil de sécurité avait adopté la résolution 1835, qui se contentait de réaffirmer le contenu des résolutions précédentes, sans mettre en place de nouvelles sanctions. Elle faisait suite au refus (ou plutôt à l’absence de véritable réponse) de l’Iran de la proposition de « double gel ».
En dépit des rapports réguliers de l’AIEA, qui apparaît toujours plus préoccupée par le programme nucléaire iranien, plus aucune discussion n’a eu lieu jusqu’à l’automne 2009 et aux rencontres mentionnées supra sur l’offre relative au réacteur de recherche de Téhéran. Mais un événement décisif est intervenu le 25 septembre : la révélation par MM. Barack Obama, Nicolas Sarkozy et Gordon Brown, en marge de la réunion du G20 de Pittsburgh, de l’existence d’un site secret d’enrichissement d’uranium, doté de 3 000 centrifugeuses et situé à Fordou, près de Qom.
M. Jacques Audibert a expliqué à la Mission pourquoi cette révélation était intervenue à l’occasion de ce sommet du G20 : plusieurs services de renseignements, mis à part les services russes, savaient alors que les Iraniens disposaient d’un second site d’enrichissement d’uranium secret dans la région de Qom ; les Occidentaux se demandaient comment utiliser au mieux cette information pour disposer d’un levier sur les Iraniens et les amener à engager de véritables négociations avec les Six. Fin septembre, dans une lettre adressée à l’AIEA, les Iraniens ont mentionné l’existence de ce deuxième site. Ce courrier, dont l’Agence ne semble pas avoir perçu immédiatement l’importance, a précipité la révélation publique du site de Qom lors du sommet du G20 à Pittsburgh, quelques jours plus tard, et a ruiné en partie l’effet de surprise qui en était attendu.
Le directeur politique a formulé l’hypothèse selon laquelle les Iraniens avaient peut-être fait allusion à ce site dans leur courrier à l’AIEA afin de donner l’impression qu’ils respectaient leurs engagements de déclaration des projets futurs à de l’Agence : tel n’était pas du tout le cas, un site devant être déclaré dès que la décision de le construire est prise, et c’était maladroit à la veille de l’Assemblée générale des Nations unies.
La révélation de l’existence de l’usine d’enrichissement de Fordou a été lourde de conséquences. Elle a d’abord témoigné très clairement du fait que la communauté internationale ne pouvait pas faire confiance à l’Iran. Elle a ensuite, selon M. Audibert, affecté les autorités russes, qui pensaient avoir une relation privilégiée avec les Iraniens. Leur positionnement sur le dossier nucléaire iranien a alors commencé à évoluer vers davantage de fermeté. La déclaration irano-turco-brésilienne sur le réacteur de recherche de Téhéran leur est ensuite apparue comme une manœuvre d’atermoiement de plus, n’ayant d’autre objectif que de repousser l’échéance des sanctions supplémentaires.
Le projet de nouvelle résolution a été déposé sur le bureau du Conseil de sécurité le jour même de la déclaration de Téhéran, et adopté trois semaines plus tard, le 9 juin 2010, sous le numéro 1929 (48). Comme mentionné supra, la Turquie et le Brésil s’y sont opposés, tandis que le Liban s’abstenait.
Alors que les auteurs du rapport de décembre 2008 s’inquiétaient du risque que la Russie et la Chine opposent un veto à l’instauration de nouvelles sanctions contre l’Iran, l’adoption de cette résolution peut sembler d’autant plus surprenante que les sanctions décidées sont particulièrement sévères : la résolution interdit à l’Iran tout investissement à l’étranger dans des mines d’uranium et dans toute activité nucléaire ainsi que toute activité liée aux missiles balistiques susceptibles d’emporter une charge nucléaire ; elle prohibe la vente à l’Iran d’armements lourds et autorise le contrôle en mer des chargements à destination ou en provenance d’Iran ; elle allonge la liste des personnes et entités dont les avoirs financiers sont gelés et celle des individus interdits de voyager.
En acceptant ces nouvelles mesures, la Chine et la Russie ont montré leur exaspération face au refus iranien de discuter sérieusement des voies de règlement du dossier nucléaire. Les membres permanents du Conseil de sécurité apparaissaient à nouveau unis face à la menace que le programme nucléaire iranien fait peser sur la stabilité régionale.
b) Le développement des sanctions unilatérales
L’adoption de la résolution 1929 a déclenché la mise en place d’une série de mesures unilatérales, qui, bien que dotées d’un champ d’application géographique limité, vont, sur le fond, souvent beaucoup plus loin que les sanctions des Nations unies. Alors que celles-ci restent centrées sur le programme nucléaire et la fourniture d’armes lourdes, les sanctions prises unilatéralement ont une portée plus large.
Le Conseil de l’Union européenne a pris une décision renforçant les sanctions contre l’Iran le 26 juillet 2010 (49) ; leurs modalités de mise en œuvre ont été précisées par un règlement du 25 octobre suivant (50).
Le Conseil élargit le champ des produits dont la fourniture est interdite à l’Iran ; il appelle les Etats membres à la retenue dans la souscription de nouveaux engagements à court terme d’appui financier public ou privé fourni aux échanges commerciaux avec l’Iran et interdit tout engagement à moyen et long terme ; il prohibe la fourniture de services d’assurance à toute entité iranienne et interdit les nouvelles implantations de banques iraniennes en Europe et de banques européennes en Iran. Pour la première fois, le Conseil européen interdit toute fourniture d’équipements et de technologies et toute aide technique ou financière à l’Iran au profit des secteurs du pétrole et du gaz naturel, ainsi que tout nouvel investissement dans ces secteurs.
Les sanctions imposées par les Etats-Unis ont aussi été durcies à la suite de la résolution 1929. Sont interdites les importations et les exportations de tout bien, service ou technologie en provenance ou à destination de l’Iran, ainsi que toute participation à une transaction liée à un bien ou service d’origine iranienne. Tout échange, tout partenariat ou service bancaire au profit de l’Iran est prohibé, de même que tout investissement dans des entités liées au gouvernement iranien. Des sanctions sont imposées aux entreprises fournissant à l’Iran du pétrole raffiné d’une valeur marchande supérieure ou égale à un million de dollars.
Un certain nombre d’autres pays ont suivi ce mouvement. Tel est le cas du Canada, dont les sanctions, imposées en juillet 2010, sont proches de celles de l’Union européenne : sont notamment interdits les investissements dans les secteurs gazier ou pétrolier iraniens et l’exportation de matériaux utilisés dans ces secteurs, l’établissement de relations bancaires avec des institutions financières iraniennes, l’implantation de celles-ci au Canada comme des banques canadiennes en Iran. Comme le président des Etats-Unis d’Amérique, le ministre canadien des affaires étrangères a la faculté de délivrer un permis autorisant des activités ou des transactions interdites par les sanctions. La Suisse a elle aussi pris des mesures inspirées de celles décidées à Bruxelles.
Outre des restrictions sur les transactions financières de certains individus et entités et des interdictions de voyage, l’Australie a mis en place une liste de produits dont l’exportation vers l’Iran est interdite plus longue que celle découlant des résolutions des Nations unies.
Le Japon et la Corée du Sud ont aussi pris des sanctions à titre unilatéral. Au final, ces mesures visent à isoler l’Iran et à renforcer la pression sur ses dirigeants.
Les listes des entités visées par les sanctions sont régulièrement revues à la hausse. Lors de leur déplacement aux Etats-Unis, le Président et votre Rapporteur ont pu sentir la volonté de durcir encore les sanctions tant du côté de l’administration que du côté du Congrès, au sein duquel les différentes sensibilités politiques sont d’accord sur ce sujet. Si les modalités restent à discuter, l’objectif fait consensus. Plusieurs projets de loi ont été déposés, visant notamment à limiter les cas dans lesquels le président des Etats-Unis peut accorder une dérogation aux interdictions légales, à renforcer les contrôles et les mesures de rétorsion contre les entreprises qui ne respectent pas ces interdictions et à imposer des sanctions (extra-territoriales) à toute société effectuant des transactions avec des entreprises dépendant des Gardiens de la révolution dans le secteur de l’énergie. Le but est de peser sur ces entreprises, au premier rang desquelles les groupes chinois accusés de ne pas jouer le jeu des sanctions. Mais ces projets ont essentiellement une vocation d’affichage ; le dispositif final sera probablement sensiblement différent et ne sera pas adopté à court terme.
Pour ce qui est de l’Union européenne, M. Benoît Coeuré n’a pas caché aux membres de la Mission que les réflexions se poursuivaient sur les sanctions supplémentaires qui pourraient être envisagées.
Si le renforcement des sanctions unilatérales est à l’étude, c’est que l’instauration de nouvelles mesures par le Conseil de sécurité apparaît très improbable étant donné les positions défendues par la Russie et la Chine, membres permanents du Conseil de sécurité et membres du groupe des Six.
c) Des perspectives d’évolution peu encourageantes
Comme en décembre 2008, la situation apparaît bloquée : les sanctions ont un effet croissant, mais le programme nucléaire iranien, bien que ralenti, progresse régulièrement ; les autorités iraniennes n’apparaissent guère disposées à négocier sur le dossier nucléaire, tandis que le Conseil de sécurité n’est pas en mesure d’imposer de nouvelles sanctions.
Comme M. Jacques Audibert l’a rappelé, une nouvelle réunion a été organisée à Genève en décembre 2010 à la suite d’appels réitérés au dialogue émanant du groupe des Six. Mais la position des Iraniens est restée identique et est même apparue provocante : le négociateur iranien est allé jusqu’à remercier le groupe des Six pour les sanctions imposées car elles permettaient à son pays d’avancer par lui-même et de croître dans la difficulté, ce qui renforçait la cohésion nationale, alors que le monde était ravagé par le chômage et la crise ! Une nouvelle réunion a néanmoins été fixée au mois de janvier suivant.
Elle s’est tenue à Istanbul. Selon M. Audibert, le négociateur en chef avait sans doute reçu comme instruction d’obtenir un accord ambigu sur les droits iraniens au nucléaire et de faire émerger des failles dans la cohésion du groupe des Six. Il n’y est pas parvenu car, en retour, les Six ont présenté un front uni et un message de fermeté. Une offre révisée sur le TRR a été proposée, pour tenir compte de l’augmentation de ses stocks d’uranium faiblement enrichi et du lancement de l’enrichissement de l’uranium à 20 %. Les Iraniens ont répondu qu’ils disposaient désormais de la technologie nécessaire à la production d’isotopes médicaux – bien que ce ne soit pas le cas en réalité. Ils ont donc rejeté l’offre révisée sur le TRR, et ont, une fois encore, exigé comme préalable au dialogue la levée des sanctions internationales et la reconnaissance d’un droit iranien à l’ensemble du cycle nucléaire, et donc en particulier à l’enrichissement et au retraitement.
Si aucune avancée n’a été obtenue, le groupe des Six est apparu uni, ce qui constituait déjà un succès. Il faut néanmoins souligner que cette unité, réelle lorsqu’il s’agit de discuter avec les Iraniens, s’effondre sur la stratégie à mettre en œuvre. Bien qu’ils aient voté en faveur de la résolution 1929, Russes et Chinois ne semblent pas avoir l’intention d’aller au-delà. Le Président et votre Rapporteur ont pu s’en rendre compte à l’occasion des entretiens qu’ils ont eus à Moscou puis à New York.
Tous leurs interlocuteurs russes et chinois ont clairement dit qu’un Iran doté de l’arme nucléaire n’était pas une hypothèse acceptable pour leur pays, mais la plupart a aussi exprimé ses doutes sur les intentions iraniennes. M. Serguei Ryabkov, le vice-ministre russe des affaires étrangères, a souligné que la Russie ne disposait ni de preuve ni d’éléments d’information montrant que Téhéran avait pris la décision de s’engager dans la production de l’arme nucléaire ou de convertir son programme nucléaire civil en programme militaire. M. Vladimir Evseev a indiqué que, pour lui, la ligne rouge serait une rupture des relations de l’Iran avec l’AIEA : si l’Iran prenait la décision de construire une bombe, elle devrait rompre ces relations pour empêcher les inspecteurs de l’Agence d’être témoins de la construction ; la poursuite des inspections prouverait donc que ce processus n’est pas encore lancé.
Ce doute persistant n’a pas empêché la Russie et la Chine d’approuver les trains de sanctions internationales successifs. Les représentants des deux pays n’en critiquent pas moins leur effet. Après avoir qualifié d’« optimale » la politique actuellement conduite par le groupe des Six, le vice-ministre russe a jugé que la multiplication des sanctions internationales n’apporterait pas plus de résultats dans la mesure où ces pressions consolideraient le régime en agrégeant l’élite et une partie de la population autour de lui ; en outre, un nouveau jeu de sanctions risquerait de déboucher sur une rupture des négociations alors que le potentiel diplomatique n’était pas épuisé. Le représentant permanent chinois auprès des Nations unies a déclaré que les sanctions ne fonctionnaient pas : pour lui, elles ne permettent pas d’atteindre l’objectif principal, qui doit être de rétablir la confiance, lequel ne peut être obtenu que par le dialogue.
Le désaccord est patent : pour les Occidentaux, les Iraniens ne feront des concessions que si une forte pression les y contraint ; pour les Russes et les Chinois, les sanctions constituent un frein au dialogue, seule voie vers l’obtention de concessions.
Les interlocuteurs russes de la Mission se sont efforcés de préciser les modalités que devraient prendre et les objectifs que devraient poursuivre les discussions conduites par le groupe des Six. M. Ryabkov a souligné que le processus de négociation devait reposer sur la stricte réciprocité et l’offre de concessions symétriques, dans le cadre d’une politique « de petits pas ». Il a proposé de définir des actions équilibrées et simultanées pour éviter ce qu’il a appelé des discussions sur « la poule et l’œuf ». Il a aussi évoqué la possibilité d’indiquer à Téhéran des lignes rouges à ne pas dépasser, sous peine de sanctions. Enfin, il a estimé qu’il fallait inviter Téhéran à discuter sur des sujets d’intérêt régional ou international, comme l’Afghanistan, la lutte contre le trafic de stupéfiants ou la sécurité dans le Golfe persique, par exemple.
M. Vladimir Evseev a estimé qu’il n’était pas possible de faire confiance aux Iraniens et que les propositions devaient en priorité viser à faire sortir de l’ombre le maximum d’uranium enrichi. Parmi elles, pourrait figurer la proposition de créer une usine de fabrication de combustible nucléaire sous contrôle international, quitte même à l’installer en Iran si c’est la condition imposée par les Iraniens. L’analyse développée par M. Nicolas Spassky repose sur la même défiance à l’égard du régime iranien et sur le souci d’assurer à la fois le respect du traité de non-prolifération et celui de l’autorité du Conseil de sécurité. Pour cela, il a fixé trois objectifs : obtenir des Iraniens qu’ils se conforment aux exigences du Conseil de sécurité, « ne serait-ce que trente secondes », imposer le maintien du contrôle des activités de l’Iran par l’AIEA, pour éviter toute « mauvaise surprise », et faire en sorte que l’Iran respecte toutes les stipulations du traité de non-prolifération, mais aussi celles de son protocole additionnel (51) et celles du code 3.1 (52). Selon lui, la divergence entre la Russie et les Etats-Unis porte sur l’interprétation de ces conditions, que les seconds conçoivent comme des préalables.
Dans ses conclusions, la mission d’information sur « Iran et équilibre géopolitique au Moyen-Orient » insistait sur la nécessité de renoncer à poser quelque préalable que ce soit aux négociations avec l’Iran et sur celle d’inclure la résolution du problème nucléaire dans un accord plus large.
Mais la possibilité d’arriver à un accord global dépend de la volonté de négocier des parties en présence. Le groupe des Six a fait la preuve de cette volonté, exprimée même par ceux dont le discours est le plus ferme – les Américains, les Britanniques et les Français. Les intentions iraniennes sont beaucoup moins claires : dans la mesure où les plus hauts dirigeants du régime, et singulièrement le Guide suprême, ne semblent pas désireux d’arriver à un accord dans un contexte intérieur agité, il est à craindre que l’appel à la négociation constitue surtout un moyen de se garantir d’une opération militaire contre les sites nucléaires iraniens – laquelle apparaît moins probable, notamment après les propos tenus par l’ancien directeur du Mossad – et de continuer à gagner du temps. Tel est le sentiment des administrations française et américaine, renforcé par l’expérience des récentes rencontres de Genève et Istanbul.
De nombreux experts ont observé que l’Iran n’avait par le passé fait des concessions que lorsqu’il se sentait menacé et en position de faiblesse. Il a ainsi accepté de suspendre l’enrichissement de l’uranium à l’automne 2003 (53), lorsque les Etats-Unis étaient en position de force en Irak et en Afghanistan et que le pays craignait d’être leur prochaine cible. M. Robert Einhorn, le conseiller spécial de Mme Clinton pour la non-prolifération et le contrôle des armes, a établi un lien entre le nouvel appel iranien à la négociation, lancé pendant l’été 2010, et le prix du pétrole, alors situé autour de 75 dollars le baril de brut, niveau auquel les sanctions, qui venaient juste d’être renforcées, ont beaucoup plus d’effets que lorsqu’il voisine les 100 dollars le baril.
La réalité de la volonté iranienne de négocier pourrait donc directement dépendre, au cours des prochains mois, de l’évolution de la situation régionale, fortement marquée par le devenir du « printemps arabe », et des répercussions qu’elle pourrait avoir sur l’Iran. Ce contexte a certainement beaucoup joué dans les récentes décisions iraniennes d’affirmer la volonté d’ouvrir une « nouvelle ère de coopération » avec l’AIEA (54), pour reprendre l’expression du représentant de l’Iran auprès de cette agence, et d’adresser à Mme Catherine Ashton, l’émissaire du groupe des Six, une nouvelle lettre proposant une reprise du dialogue.
III – LE POSITIONNEMENT RÉGIONAL DE L’IRAN CONFRONTÉ AUX BOULEVERSEMENTS DU « PRINTEMPS ARABE »
Bien que l’Iran compte environ quatre-vingts ethnies différentes et que près du quart de sa population soit azérie, son identité perse est très marquée et valorisée par le régime. Elle place le pays dans une position de distance vis-à-vis des Arabes – dont les Perses ont toujours eu à cœur de se distinguer –, desquels il se rapproche en revanche par la nature islamique de son régime. La République islamique d’Iran se présente en effet comme le défenseur des musulmans dans leur ensemble, à quelque ethnie qu’ils appartiennent, qu’ils soient sunnites ou chiites, même si elle se sent naturellement plus proche de ces derniers.
Votre Rapporteur ne reviendra pas ici sur les voies d’influence utilisées par l’Iran dans la région, présentées dans le rapport de décembre 2008. Il s’attachera en revanche à montrer comment l’Iran les a mises en œuvre depuis, au service d’une volonté d’influence qui semble n’avoir nullement fléchi, et qui a continué de susciter une peur devenue de plus en plus patente.
Lors de son audition par la mission, à la mi-décembre 2010, M. Jean-François Daguzan faisait le constat de la « place primordiale » occupée par l’Iran « dans l’espace géopolitique s’étendant du Proche au Moyen-Orient », avant de se demander s’il s’agissait là « d’une place pérenne » ou si nous assistions « à l’apogée de la puissance iranienne ». Bien qu’il soit impossible de prévoir exactement l’évolution à venir, en bouleversant la donne régionale, le « printemps arabe » pourrait bien avoir déclenché un processus susceptible d’entraîner un déclin de l’influence iranienne.
A – Une volonté d’influence régionale toujours très visible
Le rapport de décembre 2008 avait mis en évidence le statut de l’Iran comme puissance moyen-orientale et la crainte qu’il suscitait chez une partie de ses voisins. Il avait souligné que, si l’Iran avait actuellement choisi de jouer un rôle plutôt déstabilisateur dans la région, il avait aussi intérêt à la préservation de certains équilibres : dans ces conditions, il n’apparaissait pas impossible de le conduire à adopter des positions plus constructives.
Force est de constater que, depuis 2009, aucune inflexion de la politique régionale iranienne n’a pu être observée.
1) Une défiance vis-à-vis de l’Iran qui se confirme
Si les avancées réalisées dans le programme nucléaire iranien ne sont pas pour rassurer les pays de la région, les courroies de transmission de la politique étrangère iranienne que sont, à un certain degré, les minorités chiites hors d’Iran et surtout les groupes d’activistes qu’il soutient ont aussi continué d’alimenter les peurs des régimes en place.
La publication, à partir de la fin novembre 2010, dans plusieurs journaux occidentaux de référence, de très nombreux télégrammes diplomatiques américains a été l’occasion de mesurer le degré de défiance des dirigeants arabes vis-à-vis du régime iranien.
Il est vrai que les propos rapportés ont été tenus à des diplomates américains, mais une partie d’entre eux date du printemps 2009, alors que les Etats-Unis pratiquaient la politique de la « main tendue » : on ne peut donc pas seulement y voir, de la part des responsables qui les ont eus, la volonté d’aller dans le sens de la politique américaine ; certains veulent même la pousser à plus de radicalité.
Selon les citations de télégrammes américains publiées dans le quotidien Le Monde le 30 novembre 2010, le roi d’Arabie saoudite aurait déclaré en mars 2009, devant le conseiller de la Maison blanche pour l’antiterrorisme, qu’« on ne peut pas faire confiance aux Iraniens » ; « l’objectif de l’Iran est de causer des problèmes » ; l’Iran est « un aventurier dans un sens négatif ». Il aurait par ailleurs invité les Etats-Unis à « couper la tête du serpent », ce dernier étant l’Iran. La rivalité irano-saoudienne trouve là une expression particulièrement radicale.
Le sentiment du roi de Bahreïn n’est pas différent. Il aurait dit au général David Petraeus, le 1er novembre 2009, à propos du programme nucléaire iranien : « ce programme doit être stoppé » ; « le danger de le laisser se poursuivre est supérieur à celui de le stopper ». Début 2009, Bahreïn avait à nouveau été qualifié de « quatorzième province de l’Iran » par certains dirigeants de la République islamique.
Même le prince héritier d’Abou Dabi aurait répondu, en février 2010, au chef des états-majors américain qui lui faisait part de son doute sur l’efficacité d’opérations seulement aériennes contre les sites iraniens, qu’« il faudrait alors des troupes au sol ». Selon les diplomates américains, le prince considère qu’une « logique de guerre domine la région », ce qui explique son souci de renforcer les forces armées de l’émirat. Cette préoccupation s’est notamment traduite pas l’implantation récente d’une base française à Abou Dabi – inaugurée en mai 2009 – et la conclusion d’un accord relatif à la coopération en matière de défense incluant un engagement de la France à participer à la défense de la sécurité, de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance des Emirats arabes unis, laquelle vise clairement à dissuader l’Iran de toute menée hostile contre cet Etat. Il ne fait guère de doute que les accords du même type
– mais secrets – signés entre celui-ci et les Etats-Unis d’une part, le Royaume-Uni d’autre part, comportent la même clause.
On ne s’étonnera pas que la publication des télégrammes diplomatiques américains ait confirmé l’absolue défiance de l’Egyptien Hosni Moubarak vis-à-vis des Iraniens (il les aurait traités de « menteurs » devant les diplomates américains, qui écrivent qu’il « éprouve une haine viscérale pour la République islamique ») et la vive préoccupation jordanienne. En avril 2009, un télégramme soulignait que « la métaphore la plus utilisée par les officiels [jordaniens] en parlant de l’Iran est celle d’une pieuvre étendant ses tentacules », qui doivent être « coupés ». Le président de la Chambre haute du Parlement aurait « prédit que le dialogue avec l’Iran ne mènera nulle part » et présenté l’alternative suivante : « Bombardez l’Iran ou vivez avec un Iran nucléaire, les sanctions, les carottes, les incitations, n’ont pas d’importance. »
Même les dirigeants du Qatar auraient mis en garde les Américains contre les mensonges des Iraniens. En février 2010, le Premier ministre du Qatar aurait affirmé à M. John Kerry que le président iranien lui avait dit « nous avons battu les Américains en Irak, la bataille finale sera livrée en Iran ».
La publication de ces informations a révélé, a posteriori, le trouble que la « main tendue » du président Obama a suscité chez les voisins de l’Iran et l’ampleur de leurs craintes.
M. Michel Makinsky a jugé que « la paranoïa de l’Arabie Saoudite et des monarchies du Golfe à l’égard de l’Iran », révélée par ces télégrammes, était « bien plus sérieuse et profonde qu’elle ne le lui paraissait de prime abord. Le clivage entre sunnites et chiites, doublé des frictions arabo-perses, s’est sensiblement affirmé. Les monarchies n’ont cessé d’enjoindre les Etats-Unis de recourir à la force depuis l’arrivée au pouvoir de M. Barack Obama, jugeant que le nouveau président a affiché une posture de faiblesse en étant incapable d’imposer à Israël le gel des colonisations ».
Il a aussi souligné que ces révélations ont montré « un saisissant contraste entre deux types de discours : d’un côté les propos officiels en particulier des Emirats arabes unis, demandant aux Etats-Unis de ne pas pousser trop loin la défiance à l’égard de l’Iran car ils sont en première ligne et que les répercussions d’un affrontement ouvert les affecteraient de près. Le second, tenu en privé, est celui, plus dur, encourageant les puissances européennes et nord-américaines à empêcher à tout prix l’Iran de devenir une puissance régionale. Les injonctions les plus dures viennent d’Arabie saoudite (mais la nervosité est perceptible chez plusieurs autres monarchies), dont les inquiétudes se font sentir principalement à l’égard de leurs dynamiques internes. En effet, la piètre situation sociale des chiites dans ces Etats pourrait conduire les plus désespérés d’entre eux à se tourner vers Téhéran, qui se veut incarner toutes les revendications des plus faibles ». Il y a trois ans, les membres de la mission d’information précédente qui s’étaient rendus dans le Golfe avaient déjà perçu l’inconfort de la situation de ces Etats, partagés entre un discours officiel visant à maintenir des relations de bon voisinage avec l’Iran, et tenant compte d’intérêts économiques évidents, et un discours officieux dans lequel une vive inquiétude perçait.
M. Jean-François Daguzan a observé que « la diffusion de télégrammes diplomatiques par Wikileaks a illustré la peur qui s’est emparée des monarchies au sujet de leur voisin perse, renforçant une fois encore le pouvoir iranien dans sa dénonciation d’un complot international qui se tramerait contre lui ».
Les réactions officielles des autorités iraniennes à la publication de ces télégrammes ont visé à en minimiser la portée en les présentant comme le résultat d’un complot américain pour « semer la discorde au sein du monde musulman et saper les relations bilatérales entre les pays de la région », selon le porte-parole du ministère iranien des affaires étrangères. La presse réformatrice a néanmoins mis en doute cette présentation des faits, en soulignant que cette affaire ne rapportait rien aux Américains et que le fait de ne pas être capable de contrôler ses propres documents ne pouvait que nuire au prestige du pays. Elle s’est aussi émue de l’approfondissement du fossé entre Téhéran et ses voisins du Golfe, mis en lumière par ces révélations.
Les relations difficiles entre l’Iran et la plupart des pays arabes, dont les origines sont antérieures à la révolution islamique mais qui se sont aggravées depuis, sont aujourd’hui alimentées par le discours du régime. Comme l’a souligné M. Michel Makinsky, « nonobstant leurs propres contradictions, les Iraniens s’attachent à mettre le doigt sur les problèmes internes aux sociétés sunnites, c’est-à-dire notamment la distance que beaucoup de souverains sunnites ont prise dans leur vie personnelle par rapport à leur foi, qui est du pain béni pour le discours chiite, pour lequel tout pouvoir est nécessairement suspect et cherche à usurper le bien commun. Chez les sunnites, au contraire, l’homme de pouvoir représente Dieu. Il est donc aisé pour les Iraniens de se faire les avocats de la lutte contre les injustices. Le discours iranien à l’égard des monarchies du Golfe est souvent lourd de sens à cet égard. A la conférence de la Mecque, M. Ahmadinejad avait ainsi appelé à rayer non seulement Israël de la carte, mais aussi tous ceux qui lui apportent de l’aide, c’est-à-dire potentiellement les régimes arabes voisins de l’Iran. »
Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que les hauts dirigeants de ces Etats défendent une ligne d’extrême fermeté comparable à celle préconisée par Israël. La position de l’Etat hébreu n’a pas changé sur le fond au cours des dernières années : l’idée que l’Iran puisse se doter de l’arme nucléaire est inacceptable et Israël ne permettra pas qu’elle se matérialise, quitte à employer la force pour l’empêcher. Pour délicate qu’elle soit, une intervention militaire israélienne contre les sites nucléaires iraniens serait réalisable – selon M. Bruno Tertrais, même en l’absence de F35 américains, dont Israël attend la livraison dans deux ans, et d’avions furtifs israéliens. Cette éventualité demeure, mais apparaît moins d’actualité qu’il y a trois ans : le président Obama serait certainement moins disposé à y donner son aval que le président Bush aurait pu l’être ; surtout, les Israéliens apparaissent moins préoccupés par le programme nucléaire iranien qu’ils l’étaient alors, notamment grâce aux résultats de la campagne souterraine menée avec succès pour le ralentir. Le renforcement des sanctions, multilatérales et unilatérales, a aussi répondu à leurs vœux. Ainsi, contrairement à ce que l’on pouvait craindre fin 2008, la présence à la tête d’Israël d’un Premier ministre du Likoud ne semble pas avoir conduit à un durcissement de la posture du pays face à l’Iran. Certains interlocuteurs de la Mission ont estimé que les autorités israéliennes continuaient néanmoins à étudier des scénarios de frappes contre les installations nucléaires iraniennes.
L’Iran inspire de la défiance à ses voisins car il poursuit dans la région des objectifs peu clairs et qui vont à l’encontre des intérêts de la puissante Arabie saoudite. Derrière un discours de solidarité à l’égard des peuples musulmans, se cache un jeu trouble qui s’est poursuivi ces dernières années.
2) Un jeu iranien toujours trouble
De nombreux événements sont venus alimenter les doutes sur les intentions iraniennes dans ses relations avec les pays de la région. L’étroitesse des liens entre l’Iran, la Syrie et le Hezbollah a été largement médiatisée, faisant du Liban une zone où l’influence iranienne est toujours plus visible. Les interventions iraniennes dans la région visant à entretenir l’instabilité se sont poursuivies, même si l’intensité des perturbations est restée mesurée.
a) Une influence iranienne encore plus sensible sur le Liban
Les auteurs du rapport de décembre 2008 soulignaient l’influence considérable que l’Iran exerçait au Liban, principalement par l’intermédiaire de ses alliés syriens et du Hezbollah, tout en reconnaissant qu’elle était parfois constructive, comme ce fut le cas pour la conclusion de l’accord de Doha, en mai 2008, qui a permis de sortir d’une crise politique sur le point de conduire à une nouvelle guerre civile. Ils souhaitaient que l’Iran poursuive dans cette voie, notamment à l’occasion des élections législatives qui devaient se tenir au printemps 2009.
La commission des affaires étrangères a été amenée, dans le cadre du rapport qu’elle a consacré à la Syrie (55), à s’interroger sur les raisons pour lesquelles ces élections avaient pu se dérouler dans des conditions satisfaisantes et conduire à la victoire de la coalition du 14 mars, ouvertement anti-syrienne. M. Jean-Claude Cousseran, ancien diplomate français et excellent connaisseur de la région, avait notamment émis l’hypothèse que « la Syrie et l’Iran aient pu se persuader qu’une victoire de leurs alliés libanais aurait été plus embarrassante qu’utile dans un contexte marqué par la puissance des Etats-Unis, par les menaces israéliennes sur l’Iran, par l’hypothèse d’une grave crise régionale ».
Le gouvernement constitué non sans mal en novembre 2009 par M. Saad Hariri était d’ailleurs un gouvernement d’union nationale dans lequel des membres du Hezbollah détenaient des portefeuilles importants et la capacité de provoquer la démission du président du Conseil, ce qui s’est produit le 13 janvier 2011. Depuis, un nouveau président du Conseil a été désigné, notamment avec les voix de la coalition pro-syrienne du « 8 mars », et des alliés de la Syrie détiennent les postes clés dans le cabinet constitué à la mi-juin. Le nouveau ministre des affaires étrangères a été ambassadeur à Téhéran, ce qui laisse craindre à nos diplomates que le Liban, actuellement membre non permanent du Conseil de sécurité, ne se place désormais clairement du côté de la Syrie et de l’Iran dans cette enceinte – alors qu’il s’était seulement abstenu en juin 2010, lors du vote de la résolution 1929.
Les soubresauts de la vie politique libanaise jouent actuellement en faveur de l’Iran, mais l’influence de celui-ci est bien plus durable que ne le sera ce gouvernement et s’ancre de plus en plus profondément dans la société libanaise, le cœur de la « cible » de l’Iran étant la communauté chiite et son instrument – même si ce terme est inexact, le « Parti de Dieu » n’étant pas dans la main de l’Iran – d’influence, le Hezbollah.
Les auteurs du rapport précité avaient insisté sur la médiatisation du dîner partagé le 25 février 2010 par les présidents syrien et iranien et M. Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, à l’occasion d’une visite officielle du M. Mahmoud Ahmadinejad à Damas. Ils ont proposé trois explications principales : la volonté syrienne de faire preuve de fermeté dans la négociation avec les Etats-Unis, le souci de rassurer l’Iran dans un contexte d’ouverture diplomatique vers l’Occident et les autres pays de la région, la volonté de mettre en garde Israël contre toute tentation d’intervention armée contre l’un des participants. Il semblait en tout cas que c’était le président iranien qui avait imposé la publicité faite autour de cette rencontre, qui n’avait en elle-même rien d’exceptionnel.
Un autre événement a symbolisé le rôle que l’Iran entend jouer au Liban : il s’agit de la visite que M. Ahmadinejad a effectuée au Liban en octobre 2010.
M. Michel Makinsky a dit avoir été frappé par cette visite. MM. Ahmadinejad et Nasrallah ont, à cette occasion, massivement distribué de l’argent donné par l’Iran pour des écoles, des hôpitaux, de la recherche et développement… – mais, selon lui, ces flux financiers se seraient réduits depuis du fait des difficultés financières de l’Iran. Il a estimé que les foules qui ont applaudi le président iranien témoignaient du fait que l’audience du Hezbollah dépassait largement la seule clientèle chiite. Les discours nationalistes et unificateurs s’inscrivant dans l’agenda politique libanais suscitent l’enthousiasme. Il s’agit là, malgré l’isolement de l’Iran, d’un véritable retour sur la scène moyen-orientale.
Au-delà de cet événement, le chercheur a jugé que les conséquences de la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah avaient été sous-estimées par de nombreux analystes. Le « Parti de Dieu » en est sorti bien plus grandi que l’on ne l’imaginait et a fait la preuve de son habilité en tenant un discours centré sur l’unité du Liban. Mais surtout, il se serait « précipité à cette occasion dans les bras de l’Iran ». Selon lui, une chose est assez nouvelle : le durcissement de certains responsables du Hezbollah vers un alignement plus marqué sur l’Iran. M. Hassan Nasrallah pourrait apparaître comme légèrement en retrait à cet égard. Il est devancé dans cet alignement par des membres plus durs du bureau exécutif, notamment avec la montée en puissance de M. Naïm Kassem, ancien Gardien de la révolution et numéro deux du Hezbollah. La mise en cause du Hezbollah dans l’attentat contre Rafic Hariri obligerait tous ses dirigeants à un durcissement général et dangereux.
Ils peuvent compter sur la totale solidarité du régime de Téhéran dès que le tribunal spécial sur le Liban est évoqué. En décembre 2010, le Guide suprême a déclaré que « ce tribunal est fantoche et, quel que soit son verdict, il sera rejeté ». Après la confirmation que quatre membres du Hezbollah étaient visés par les actes d’accusation du tribunal, le président du Parlement iranien a nié, début juillet 2011, toute importance à ces actes d’accusation émis par un tribunal « politique et sans honneur », actes qui résultent de « la colère des Etats-Unis qui ont échoué à empêcher la formation du gouvernement libanais » et « essayent désormais de déstabiliser les projets du gouvernement et le pays ».
M. Makinsky a fait part de faits corroborant l’intensification des relations du Hezbollah avec l’Iran, qui conduirait le premier à une relative perte d’autonomie vis-à-vis du second. La coopération militaire a changé d’échelle, comme en atteste la présence de davantage de Gardiens de la révolution sur le territoire libanais. Il a évoqué les accrochages qui ont eu lieu aux abords d’un camp palestinien entre islamistes, appuyés par des éléments jordaniens d’un côté et des Gardiens de la révolution de l’autre. Le voyage de M. Ahmadinejad a été l’occasion d’une démonstration de force du Hezbollah. Ce dernier aurait d’ailleurs géré l’intégralité de la visite, la présidence de la République libanaise ayant été totalement évincée et les représentants du pouvoir libanais n’ayant fait que de la figuration. M. Patrice Paoli a estimé que le renforcement des liens entre l’Iran et le Hezbollah gênait même les autorités syriennes.
Mme Fariba Abdelkhah a présenté une analyse plus nuancée. Elle a d’abord rappelé les liens historiques entre l’Iran et le Liban, qui pourraient remonter à plus de six siècles, le chiisme ayant été importé en Iran par des religieux libanais – ce que Mme Sabrina Mervin, chargée de recherche au CNRS (56), a aussi souligné –, et cité les échanges de conseillers entre les deux pays parmi de nombreux exemples de collaboration et de solidarité – par exemple, des conseillers libanais entouraient M. Khatami lors de sa présidence. Pour elle, « le Liban est en quelque sorte une zone " off-shore " pour l’Iran. Et cela ne se limite ni à des velléités d’exportation de la révolution, ni au Hezbollah. Ce dernier se tient par ailleurs à un agenda politique strictement libanais et ne profite que de l’expérience et des fonds iraniens ». Elle a ajouté que, d’un point de vue stratégique, il apparaissait préférable au Hezbollah de donner l’impression de se détacher de l’Iran, tant la mauvaise réputation de celui-ci pourrait l’affecter.
Il ne fait aucun doute que le Hezbollah n’est pas aux ordres de Téhéran. Cela ne l’empêche pas d’entretenir des liens extrêmement étroits avec les autorités iraniennes et d’être leur allié. M. Patrice Paoli est allé jusqu’à estimer que, par l’intermédiaire du Hezbollah, l’Iran était devenu « une puissance méditerranéenne ». En juillet 2011, les diplomates français en poste à Téhéran n’excluaient pas que les autorités iraniennes tentent, à mesure que leur propre situation se détériore, de jouer de leur capacité de nuisance et d’opportunisme sur le terrain libanais.
Par son soutien marqué au Hezbollah, le régime iranien s’assure un puissant vecteur d’influence au Proche-Orient. Mais cela ne traduit pas un intérêt particulier du peuple iranien au sort des Libanais. Mme Marie Ladier-Fouladi a rappelé que, par exemple, le 1er mai 2007, des manifestations avaient été organisées par des ouvriers, des féministes et des étudiants contre le soutien iranien au Hezbollah et au Hamas. Des banderoles où était inscrit le slogan « Nous aussi, nous sommes libanais » avaient alors été déployées. En effet, l’aide financière apportée par l’Iran au Hezbollah à la suite de la guerre contre Israël de 2006 a été estimée à 12 000 dollars par foyer.
En aidant financièrement ces mouvements, les autorités iraniennes avancent leurs pions dans la région au service de leurs ambitions, bien plus que dans le souci de l’opinion publique intérieure ou des intérêts des peuples voisins.
b) Un rôle de perturbateur rarement démenti
Cela est tout aussi vrai vis-à-vis des Palestiniens que des Libanais, comme la réaction iranienne à la crise de Gaza, au tournant de 2008 et de 2009, en a fait la démonstration. Les frappes israéliennes ont été qualifiées de « génocide » ; après avoir dénoncé « le silence complice de certains gouvernements arabes qui se prétendent musulmans », l’ayatollah Khamenei a décrété le 29 décembre journée de deuil national et l’envoi d’une aide humanitaire massive a été annoncé. La poursuite des opérations militaires a été l’occasion d’une surenchère idéologique au sein du régime et de l’organisation de manifestations d’étudiants bassidjis devant plusieurs ambassades, la première visée étant l’ambassade d’Egypte, des manifestants appelant à l’assassinat du président égyptien.
Les diplomates égyptiens estimaient alors que l’Iran avait provoqué la crise en poussant le Hamas à rompre la trêve, dans l’espoir de lui permettre de remporter une victoire contre Israël comparable à celle du Hezbollah à l’été 2006, objectif dont ils doutaient de la réalisation. Les diplomates français en poste à Téhéran avaient plutôt le sentiment que le régime était opportuniste et exploitait la situation pour poursuivre sa politique de captation de la cause palestinienne. Ils soulignaient aussi que le contexte profitait aux plus radicaux : alors que la crise de Gaza occupait tout le discours politique, on avait renoncé à une motion de censure contre un ministre, susceptible d’entraîner la chute du gouvernement, et l’attention était détournée de la fermeture d’un journal proche de Rafsandjani et de celle du centre de Mme Shirin Ebadi, toutes les deux justifiées par une complaisance supposée envers Israël.
In fine, les diplomates français ont estimé que le positionnement iranien dans cette crise n’avait pas entraîné de bénéfices pour le régime, si l’on excepte le gain remporté dans la « rue arabe » grâce au discours relatif à la défense des opprimés : malgré ses gesticulations, l’Iran n’avait remporté aucun succès dans les enceintes multilatérales, alors que l’Arabie saoudite avait joué un rôle central dans le sommet de Koweït ; le pays n’avait pas été en mesure d’aider concrètement le Hamas ; personne ne s’était adressé à lui, tandis que l’Egypte, la Turquie et même la Syrie avaient été appelées à intervenir ; la population iranienne avait été, de toutes celles de la région, la plus indifférente au sort des Gazaouis. Début février 2009, M. Khaled Mechaal, le chef du bureau politique du Hamas, était reçu par les plus hauts dignitaires du régime et sa visite était l’objet d’une couverture médiatique très dense, comme pour montrer que le Hamas restait un allié de premier plan de l’Iran en dépit du peu de soutien opérationnel que celui-ci avait pu lui apporter pendant les combats. Certains y ont vu une tentative pour convaincre l’administration Obama que l’Iran était incontournable dans le règlement de toutes les crises régionales, y compris le dossier palestinien.
M. Michel Makinsky notamment a souligné l’instrumentalisation de la cause palestinienne par l’Iran : « L’Iran utilise le dossier palestinien pour exister dans la zone. L’Iran, puissance du Moyen-Orient, paraît en effet bien peu efficace et il n’a en fait pas de position claire sur le dossier palestinien : tantôt les responsables iraniens défendent un Etat unique rassemblant Israéliens et Palestiniens, tantôt ils se disent prêts à soutenir toute solution qui conviendrait aux Palestiniens, y compris, donc, celle des deux Etats. »
A la suite de l’arraisonnement sanglant par la marine israélienne, le 31 mai 2010, d’une flottille de six navires à destination de Gaza, les autorités iraniennes ont encore exprimé leur « solidarité avec les martyrs morts lors d’une mission d’assistance humanitaire aux Palestiniens encerclés à Gaza », mais c’est surtout l’image du Premier ministre turc qui en est sortie renforcée dans le monde musulman, tandis que l’Iran avait annoncé l’envoi de bateaux qui n’ont jamais été affrétés.
Quelques semaines avant la crise de Gaza, le régime iranien avait très clairement pris le parti des rebelles houthistes, à nouveau en conflit ouvert contre le régime yéménite dans le cadre de la « sixième guerre de Saada ». Sous couvert du soutien aux fidèles traditionalistes d’une branche du chiisme (57), les Iraniens ont surtout nourri leurs vindictes anti-saoudiennes, l’Arabie saoudite, inquiète des effets de ce conflit sur son propre territoire, ayant participé à la répression. Le soutien politique, religieux et financier de Téhéran aux rebelles ne fait guère de doute mais l’implication directe ou indirecte de l’Iran dans des livraisons d’armes n’a en revanche pas été démontrée.
Si, sur le dossier palestinien comme pendant la « sixième guerre de Saada », le discours iranien, nourri d’anti-impérialisme, a le mérite de la franchise, les choses sont moins claires quand il s’agit de l’Afghanistan et surtout de l’Irak. Depuis les interventions américaines dans ces deux pays, et la grande peur qu’elles ont provoquée en Iran, les Iraniens appellent au retrait des armées étrangères et au retour à la souveraineté nationale, tout en s’efforçant de renforcer leur influence sur ces deux pays, notamment d’un point de vue économique. Cela ne les empêche pas d’entretenir une certaine instabilité dans ces deux pays, par l’intermédiaire des Gardiens de la révolution, dans le but de priver l’Occident du succès qu’un retour au calme constituerait. Début juillet 2011, les Etats-Unis ont ainsi indiqué qu’ils disposaient de preuves que des armes et du matériel militaire provenant d’Iran étaient utilisées par les milices chiites d’Irak contre les troupes américaines. M. Patrice Paoli a vu dans le maintien de M. Nouri Al-Maliki au poste de Premier ministre la preuve de l’influence iranienne en Irak et indiqué que l’Iran avait aussi « des cartes à jouer en Afghanistan, y compris en s’alliant à ses anciens ennemis ».
Les interlocuteurs de la Mission ont surtout mis l’accent sur l’intensification de la présence économique de l’Iran dans ces deux pays. M. Michel Makinsky s’est dit impressionné par la manière dont, « depuis quatre ou cinq ans, les Iraniens font main-basse sur l’économie irakienne. Et ce sont principalement les entreprises des Gardiens de la révolution qui sont aux avant-postes, par le biais notamment du BTP. Elles ont également opéré des investissements massifs dans le secteur automobile, bancaire, industriel et des services, et investi le marché foncier ». Les Iraniens ont donc mis en œuvre ce que M. Makinsky a décrit comme une technique de « l’arrosage généralisé », mobilisant un ensemble de moyens, financiers, militaires, etc. pour atteindre leurs fins, c’est-à-dire étendre leur influence sur les populations chiites, mais également sunnites de la région. Cette technique inclut aussi le domaine culturel et celui de l’éducation.
Les relations bilatérales sont globalement bonnes, en dépit d’incidents, comme l’occupation, par quelques soldats, iraniens d’un puits de pétrole situé en territoire irakien, à la mi-décembre 2009, et de désaccords persistants sur des questions frontalières et de gestion des eaux notamment. Les deux Etats se sont récemment engagés à renouer des relations diplomatiques « normales ». Si un démantèlement du pays créerait un précédent régional fâcheux – notamment eu égard à la situation des Kurdes –, le retour à la paix en Irak, même mise au crédit d’un pouvoir majoritairement chiite, ne présenterait pas que des avantages pour l’Iran. Pour ne citer que deux exemples, le rétablissement de la production de pétrole irakien à son niveau d’avant-guerre, c’est-à-dire à celui de la production iranienne, devrait conduire à une baisse du prix du baril, quand l’Iran est extrêmement dépendant du niveau de ses recettes pétrolières ; dans un tout autre domaine, la paix pourrait ramener vers Nadjaf une partie des étudiants qui, depuis plusieurs années, privilégiaient les centres religieux iraniens, au premier rang desquels Qom, privant l’Iran d’un vecteur d’influence.
La même méthode de « l’arrosage généralisé » est appliquée en Afghanistan, en particulier dans la région d’Herat, où la présence économique iranienne est très marquée. M. Yann Richard a évoqué la culture iranienne de cette ville que la Perse avait cherché à conquérir au milieu du XIXème siècle, puis rappelé que M. Ahmadinejad était le seul chef d’Etat musulman qui se soit rendu deux fois à Kaboul depuis 2005. Preuve du renouveau des liens politiques entre l’Iran et l’Afghanistan et de la volonté d’influence du premier dans la région, un sommet s’est tenu à Téhéran en mai 2009, réunissant les présidents iranien, afghan et pakistanais, qui a posé les fondements d’une coopération tripartite. Cette initiative iranienne a été présentée par le ministre des affaires étrangères comme une « réponse aux appels de la communauté internationale pour que la République islamique contribue à résoudre le problème » de l’instabilité en Afghanistan, laquelle n’avait cessé de s’aggraver au cours des huit années de présence militaire étrangère. Les diplomates français alors en poste à Téhéran y voyaient un signe de pragmatisme de l’Iran, cohérent avec l’inquiétude exprimée par le régime à l’égard de la détérioration de la situation en Afghanistan et au Pakistan. Il n’en demeure pas moins que, il y a quelques mois, les Britanniques ont apporté les preuves de livraisons d’armes en provenance d’Iran aux talibans, après des saisies intervenues en Afghanistan en février 2011.
Il faut d’ailleurs souligner que l’influence perturbatrice de l’Iran ne se limite pas au Proche et au Moyen-Orient, où elle est naturellement la plus visible. Elle tend à gagner d’autres continents. C’est ainsi que le Maroc a justifié la rupture de ses relations diplomatiques avec l’Iran, en mars 2009, par l’activisme de la République islamique en Afrique sub-saharienne : des mollahs africains formés à Qom étaient accusés de propager le chiisme à leur retour dans leur pays d’origine, contribuant, avec le développement parallèle du salafisme, à l’ancrage d’un islam extrémiste dans la région, quand le roi du Maroc se veut le défenseur de l’islam modéré propre aux sociétés maghrébines et africaines. On peut d’ailleurs signaler l’excellence des relations entre le Sénégal et l’Iran, le premier étant le point d’entrée privilégié du second pour sa stratégie d’influence en Afrique.
Par ailleurs, le représentant permanent de la Colombie auprès des Nations unies a signalé au Président et à votre Rapporteur, qui l’ont rencontré à New York, le renforcement, au cours des dernières années, des relations entre l’Iran et le Venezuela, ce dernier entraînant à sa suite les pays qui lui sont proches – Bolivie, Guatemala, Nicaragua et Cuba. Téhéran est ainsi un maillon important d’une forme de réseau des régimes anti-impérialistes.
B – L’Iran face au « printemps arabe »
Fin 2010, l’Iran apparaissait en position de force dans la région. Il avait su tirer profit des guerres en Irak et en Afghanistan, et de l’affaiblissement de l’Egypte, notamment victime de l’usure du pouvoir du président Moubarak. Comme l’a souligné M. Jean-François Daguzan, « l’ombre du nucléaire » lui permettait de susciter prudence et inquiétude et ainsi d’atteindre ses fins plus facilement. La chape de plomb qui pesait sur le pays assurait le calme intérieur.
Il semble que les bouleversements qui ont touché la région depuis la mi-décembre 2010 pourraient remettre en cause cette position et mettre un terme à ce que le chercheur a qualifié de « moment iranien ».
En effet, en dépit d’un discours officiel qui a visé à « récupérer » le « printemps arabe » en le présentant comme le triomphe de la révolution islamique, ce mouvement est plutôt inspiré par la « révolte verte » de juin 2009. En outre, il remet profondément en cause l’équilibre régional : il est loin d’être sûr que la place de l’Iran n’en sortira pas ébranlée.
1) Une tentative de récupération peu crédible
Le « printemps arabe » a d’abord touché la Tunisie, l’Egypte, Bahreïn et le Yémen, c’est-à-dire des pays proches de l’Occident et perçus par l’Iran comme des adversaires. C’est surtout la chute du président Moubarak qui est apparue comme une victoire pour l’Iran, mais, jusqu’à ce que le phénomène atteigne la Syrie, les autorités ont applaudi l’ensemble des mouvements populaires, sans percevoir la contradiction profonde qu’il y avait entre cette prise de position et la répression de toute opposition interne.
a) Une lecture officielle des événements biaisée
La « propagation » de la vague de contestation des régimes en place au sein du monde arabe a officiellement été accueillie avec satisfaction par les autorités iraniennes.
Les manifestations populaires en Tunisie et en Egypte ont reçu leur soutien ; la chute du président Ben Ali puis celle du président Moubarak ont été saluées avec enthousiasme et présentées comme la conséquence de la proximité de ces dirigeants vis-à-vis de l’Occident. Tous les régimes oppressifs proches de l’Occident et d’Israël apparaissent promis au même sort. Si la référence à l’islam n’est apparue que tardivement dans le cas de la Tunisie, elle a été immédiate en ce qui concerne l’Egypte.
Les événements en Egypte ont été analysés comme le réveil d’une « nation musulmane » face au régime du « dictateur-pharaon », appuyé par les « forces de l’hégémonie » – les Etats-Unis – et les « sionistes ». Fin janvier, le ministère des affaires étrangères iranien a appelé les autorités égyptiennes « à écouter la voix de la nation musulmane » et à « éviter toute répression violente de la part des forces de sécurité et de police contre la vague d’éveil islamique ».
Par la voix de son président, le Parlement a exprimé son « soutien aux révolutions égyptienne et tunisienne ». M. Ali Laridjani a présenté les événements en Egypte comme le début d’une « grande révolution en train de se produire au Proche-Orient et dont la portée s’étendra à toute la région ». L’Ouest avait imposé des personnalités « inauthentiques » aux peuples du Moyen-Orient et « l’essence de la révolte » des Egyptiens et des Tunisiens se situerait dans leur besoin de « retour à leur identité originelle et à l’islam ». La vague de révoltes dans le monde arabe est comparée à la révolution islamique iranienne et le soutien occidental au président Moubarak à celui alors apporté au Chah.
La réaction au soulèvement populaire en Libye a suivi la même logique, les relations entre Téhéran et Tripoli étant historiquement mauvaises (58). Le président Ahmadinejad a dénoncé le colonel Kadhafi « pour avoir bombardé et tué son propre peuple » et « les attaques abjectes dans certains pays contre les populations civiles ». Il a même recommandé aux dirigeants de ces pays « de laisser leurs peuples s’exprimer. Si ces peuples ont des revendications et des griefs à l’encontre de leurs gouvernements, ceux-ci doivent les écouter et se tenir de leur côté ». Et de conclure : « J’espère que Kadhafi va se soumettre à la volonté de son peuple » car, sinon, « l’issue est connue d’avance ». L’intervention occidentale n’en a pas moins été dénoncée comme une « nouvelle forme de colonialisme ».
Les réactions officielles à la chute du régime du colonel Kadhafi, fin août, ont tenté, de même, de concilier félicitations au « peuple musulman de Libye » et appel répété au rejet des ingérences étrangères. Les premiers contacts officiels de haut niveau entre les autorités iraniennes et le Conseil national de transition ne sont intervenus que postérieurement à l’arrivée au pouvoir de ce dernier, même si Téhéran a alors laissé entendre qu’il avait auparavant envoyé de l’aide humanitaire aux insurgés.
Les événements à Bahreïn ont été l’occasion de dénoncer le « double standard » appliqué par la communauté internationale, qui n’a pas réagi à l’intervention des forces saoudiennes et a laissé se perpétrer des violations massives des droits de l’Homme alors que les revendications du peuple pour la démocratie et le respect de ses droits étaient jugées « légitimes ». Rejetant toute présentation confessionnelle des événements à Bahreïn, les autorités iraniennes ont affirmé s’être toujours abstenues de favoriser une guerre entre chiites et sunnites, « contrairement à l’Arabie saoudite », et ont proposé leur contribution pour arriver à une solution pacifique.
En revanche, les manifestations contre le régime de Bachar el-Assad seraient le résultat d’un complot étranger, votre Rapporteur y reviendra.
Biaisées de manière évidente, les prises de position officielles des autorités iraniennes apparaissent nettement déconnectées de la réalité des mouvements du monde arabe. Les manifestants n’ont nulle part exprimé la moindre volonté de s’inspirer du régime iranien et la dimension religieuse des revendications est restée très marginale. Les « révoltes arabes » ne sont apparues dirigées ni contre l’Occident, ni même contre Israël, tandis que le cœur des aspirations était relatif à davantage de démocratie et d’opportunités économiques.
Elles ont mis en évidence la perte de la capacité d’influence idéologique de la République islamique. La grande popularité auprès de la « rue arabe » qui était prêtée au président Ahmadinejad par les experts du fait de ses positions antioccidentales s’est avérée superficielle. Le régime aurait en outre essayé de nouer des contacts avec les principaux responsables des mouvements islamistes de Tunisie et d’Egypte, mais ces offres de soutiens, notamment matériels, auraient été rejetées.
Le régime de Téhéran a vu dans le « printemps arabe » ce qu’il avait envie d’y voir, au prix d’incohérences majeures eu égard à la répression à l’intérieur de l’Iran puis à la situation en Syrie.
Il faut en tout cas souligner qu’il a été bien plus spectateur qu’acteur dans le déclenchement de ces événements. Il semble qu’il soit de plus en plus tenté d’utiliser ses capacités perturbatrices pour entretenir le désordre actuel.
Les autorités de Bahreïn, relayées par les Etats du Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe (CCEAG), ont été promptes à voir la main de l’Iran derrière le mouvement de révolte qui a embrasé l’île au motif que la plus grande partie des manifestants appartenaient à la communauté chiite, majoritaire dans le pays mais maintenue à l’écart du pouvoir et dans une situation économique inférieure à celle de la minorité sunnite, dont la monarchie est issue. Le discours virulent de l’Iran a néanmoins accentué les tensions entre Téhéran et les Etats du Golfe, qui ont réagi en tenant une réunion extraordinaire des ministres des affaires étrangères du CCEAG le 3 avril 2011 pour évoquer les « ingérences de l’Iran ». Un diplomate américain a d’ailleurs signalé au Président et à votre Rapporteur que la tension avait atteint un tel niveau que le ministre iranien des affaires étrangères s’efforçait depuis de la faire baisser en s’adressant aux membres du CCEAG avec lesquels ses relations étaient les moins mauvaises – c’est-à-dire exception faite de l’Arabie saoudite et de Bahreïn.
De l’avis des interlocuteurs de la Mission, diplomates en poste dans la région et experts, ces accusations sont exagérées, l’Iran apparaissant à Bahreïn plus comme un « spectateur engagé » que comme un acteur de premier plan.
M. Bernard Hourcade a expliqué que l’image de l’Iran était généralement bonne parmi les communautés chiites des autres pays à cause de la popularité du président Ahmadinejad – perçu comme le seul à s’opposer de front à l’Occident – et venait également du fait qu’il était le seul État chiite – avec l’Irak dans une certaine mesure. Selon, lui, « l’Iran aura donc toujours un statut de protecteur des chiites, mais cela ne signifie pas qu’il soit en mesure de dicter ses volontés. L’exemple de Bahreïn, qui est à majorité chiite vient de le montrer. Téhéran n’a pu que constater qu’il était dépassé par les évènements. Les arabes chiites de Bahreïn, du Qatar, du Koweït et surtout d’Arabie saoudite suivent depuis les années 1920 les idées et réseaux de l’ayatollah Shirazi et de ses fils, opposés au dogme khomeyniste du Guide » . On comprend donc que les Chiites n’aspirent pas unanimement – loin s’en faut – à vivre sous une république islamique.
Mme Sabrina Merville a rappelé la dimension historique des luttes d’influence entre puissances sunnite et chiite dans la région, dont les accusations formulées contre l’Iran à propos des événements à Bahreïn ne sont qu’une résurgence : « Certaines des accusations selon lesquelles l’Iran aurait fomenté les troubles de Bahreïn, sont formulées comme des " manigances de l’Etat safavide ", créé en opposition à l’Empire ottoman, majoritairement sunnite, avec, de part et d’autre, des mouvements de populations et des conversions. Les deux blocs, toujours rivaux aujourd’hui, se sont en quelque sorte reformés, avec d’un côté l’Arabie saoudite et ses alliés, et de l’autre, l’Iran et ses alliés. »
Si l’Iran n’a certainement pas provoqué la révolte à Bahreïn, il n’a pas non plus pris la moindre initiative pour résoudre la crise, ce qui lui vaudrait une certaine rancune de la part des opposants bahreïniens. Il a assisté impuissant au rétablissement de l’ordre par l’armée saoudienne, alors qu’il se prétend toujours le « gendarme du Golfe ». Les Etats du Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe ont en effet démontré leur capacité à s’occuper de leurs propres affaires sans l’aide de l’Iran, ni d’ailleurs de quiconque.
Téhéran est apparu tout aussi en retrait sur le dossier palestinien. Il semble qu’il ait été mis devant le fait accompli de la conclusion de l’accord inter-palestinien du 27 avril, obtenu grâce à l’Egypte et rendu possible par les événements de Syrie, votre Rapporteur y reviendra.
Sans influence idéologique sur les mouvements de protestation, le régime de Téhéran semble avoir décidé d’intervenir en recourant à ses habituels relais. Si l’aide matérielle qu’il apporte à son allié syrien n’est pas surprenante (voir infra) et apparaît cohérente avec son discours officiel, celle qu’il aurait accordée au régime du colonel Kadhafi relève d’une logique paradoxale, étant donné la fermeté de la condamnation exprimée par les autorités iraniennes à son encontre. Pourtant, selon les informations rendues publiques par les services de renseignements occidentaux début juillet et relayées par la presse, le Guide suprême aurait chargé la force al-Qods du corps des Gardiens de la révolution d’apporter une assistance militaire au colonel Kadhafi dans sa guerre contre les forces internationales, perçues comme occidentales. Des transferts d’armes auraient eu lieu, via l’Algérie et le Soudan, et de hauts gradés des Gardiens de la révolution auraient entrepris de conseiller le régime libyen en matière de surveillance des communications et de renseignements. L’objectif aurait été de faire durer le conflit libyen, de manière à détourner l’attention de la communauté internationale de la répression en Syrie. Affaiblir l’adversaire par tous les moyens, y compris si cela implique des actes en opposition frontale avec les discours, on retrouve là les vieux réflexes déjà à l’œuvre en Afghanistan et en Irak.
Les sources occidentales précisent que cette décision aurait été prise par le Guide suprême en dépit de l’avis contraire du président Ahmadinejad, qui aurait été favorable à un soutien à l’insurrection contre le colonel Kadhafi. L’idée que le Président ait pu envisager de soutenir le même camp que les Occidentaux laisse pourtant songeur. Il est néanmoins possible que les divisions qui apparaissent à la tête de la République islamique aient aussi, dans une certaine mesure, des traductions en politique étrangère et qu’elles introduisent un facteur d’incertitude supplémentaire dans ce domaine.
c) Le « mouvement vert » à l’unisson des révoltes arabes
Les tentatives de récupération du « printemps arabe » par le régime iranien apparaissent d’autant plus vaines que les méthodes employées par les mouvements de protestation étaient largement celles mises en œuvre par le « mouvement vert » et que leurs revendications étaient du même ordre.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les responsables du « mouvement vert » aient perçu les révoltes arabes comme le prolongement de leurs actions et aient été tentés de s’appuyer sur elles pour donner un second souffle à leurs revendications.
Fin janvier, M. Moussavi s’est félicité des événements en Tunisie, en Egypte, en Jordanie et au Yémen et s’est employé à comparer les slogans du « mouvement vert » (« Où est mon vote ? ») à ceux des Egyptiens. Il faisait un parallèle entre « la répression, les exécutions quotidiennes, les arrestations d’opposants et le climat policier en Iran après l’élection de 2009 » et ce qui se passait alors, notamment en Egypte. Il voyait même dans le mouvement iranien « les racines de se qui se pass[ait alors] dans les rues d’Egypte, de Tunisie et du Yémen ».
Alors qu’aucune grande manifestation d’opposition n’était intervenue depuis décembre 2009, un appel à descendre dans la rue le 14 février 2011 « en solidarité avec les peuples tunisien et égyptien et contre la dictature » a été lancé. Plusieurs dizaines de milliers de personnes – voire 350 000 selon l’opposition – ont tenté de manifester ce jour-là à Téhéran, déclenchant une nouvelle fois l’intervention violente des policiers anti-émeutes et des forces de sécurité massivement déployés en ville. Des manifestants ont été blessés, deux au moins ont été tués et des dizaines ont été arrêtées. Des bassidjis auraient tiré à balles réelles sur les manifestants. Des incidents ont aussi éclaté à Ispahan et des cortèges ont défilé à Chiraz.
Une vaste campagne de propagande contre MM. Moussavi et Karoubi a immédiatement été déclenchée par les autorités iraniennes. Dès le lendemain, 223 députés sur 290 ont signé un communiqué véhément dénonçant leurs actions comme préparant « le terrain au complot des Moudjahidins du peuple, des monarchistes et autres mercenaires de la contre-révolution ». Les discussions parlementaires sur la formation d’un comité d’enquête sur les événements du 14 février se sont conclues par la scansion, par les députés, de la formule « mort à Karoubi, mort à Moussavi, mort à Khatami ! ».
Le vendredi 18 février, une manifestation « de la haine et de la colère » contre MM. Moussavi et Karoubi n’a réuni que quelques milliers de personnes. Deux jours plus tard, la mobilisation de l’opposition en mémoire à la mort de deux manifestants le 14 février a dû faire face à un déploiement massif des forces de sécurité et a rassemblé un nombre de manifestants bien inférieur à celui du 14 février. L’information a été totalement verrouillée tandis que l’opposition a dénoncé des centaines d’arrestations et que les deux dirigeants symboliques du mouvement étaient coupés de tout contact avec l’extérieur – le bruit de leur emprisonnement ayant même couru sur internet. Les appels à manifester lancés pour les 1er et 15 mars ont eu un succès moindre et décroissant.
Si la répression a empêché l’expression des protestations, il semble que l’atmosphère créée par le « printemps arabe » ait entraîné une certaine radicalisation. M. Jean-Pierre Digard a ainsi observé que, alors que les manifestants de 2009 ne demandaient pas le renversement du régime, le 14 février 2011, pour la première fois, était apparu le slogan « Ben Ali, Moubarak, maintenant Seyed Ali ! » (Khamenei, le Guide). A la question de savoir si les événements de Tunisie et d’Egypte allaient relancer le « mouvement vert » en Iran, il a répondu que ce ne serait probablement pas le cas.
M. Bernard Hourcade a quant à lui souligné, en mai dernier, le calme de l’opposition, l’attribuant à la fois à l’efficacité de la répression et surtout au fait que le mouvement cherchait à s’organiser et s’enraciner, tirant les leçons de son échec de 2009. Il a aussi remarqué que le régime iranien voulait garder son image de République islamique et ne pas être assimilé à celui du colonel Kadhafi ou de Bachar el-Assad – même s’il les aide en sous-main. Il est certain que ses méthodes de répression sont plus discrètes – et apparemment plus efficaces – que les leurs.
2) Un équilibre régional profondément remis en cause
La récupération des révoltes arabes par le régime de Téhéran ne repose donc sur aucun élément qui permette de les rattacher effectivement à une influence de la révolution islamique. Elle relève d’une opération de désinformation à destination de la population iranienne, qui n’est probablement pas dupe.
Il est en revanche clair que le « printemps arabe » a eu, au moins dans un premier temps, des effets favorables aux intérêts des autorités iraniennes. Outre la chute du président Moubarak, il a conduit à une hausse du prix du baril de pétrole dont l’Iran a profité de manière importante, d’autant plus que les livraisons en provenance de Libye ont été interrompues et que le pétrole iranien s’y est en partie substitué. Il a aussi détourné l’attention de la communauté internationale de l’Iran vers le monde arabe en révolte : cela a notamment permis à Téhéran d’accentuer sa politique répressive sans susciter de campagnes internationales à son encontre. Dans ce contexte, on ne peut que saluer l’initiative prise par M. Alain Juppé d’exprimer dans le journal Le Monde du 20 juin son soutien, et celui de la France, aux aspirations de liberté du peuple iranien à l’occasion du deuxième anniversaire du début du mouvement de contestation sous le titre « La France n’oublie pas l’Iran ».
Sur le fond, le régime iranien, malgré son aveuglement apparent, ne peut que s’inquiéter de la propagation des mouvements de contestation, dont le champ géographique ne cesse de se rapprocher de ses frontières, tandis qu’il refuse en interne la moindre voix discordante.
En outre, en dépit des incertitudes évidentes, il est loin d’être sûr que la position régionale de l’Iran sortira renforcée de l’actuelle phase de bouleversements du monde arabe. C’est même plutôt le sentiment inverse qui domine, même si l’Iran cherche à exploiter les faiblesses des pouvoirs, anciens et surtout nouveaux, pour les rallier à ses idées anti-occidentales et anti-israéliennes.
a) L’Egypte ralliera-t-elle le camp de l’Iran ?
La réaction enthousiaste des autorités de Téhéran à la chute du président Moubarak était bien naturelle, puisque son régime était l’un de leurs adversaires principaux. L’Egypte était non seulement accusée d’avoir trahi la cause des musulmans en signant un traité de paix avec Israël – raison pour laquelle une rue de Téhéran porte le nom de l’assassin du président Sadate –, mais, plus généralement, lui était reprochée sa proximité vis-à-vis de l’Occident. L’hostilité marquée du régime de M. Moubarak au Hamas alimentait aussi les tensions.
Mais, dans le même temps, l’affaiblissement de la voix de l’Egypte dans le monde arabe, qui résultait de sa proximité vis-à-vis de l’Occident, profitait à l’Iran qui pouvait se présenter comme le seul défenseur des musulmans. Il est peu probable qu’il souhaite être concurrencé dans ce domaine par une Egypte dont la diplomatie aurait retrouvé une aura dans le monde musulman, mouvement qui semble déjà s’amorcer, même si cette concurrence pourrait aussi affaiblir l’influence saoudienne.
Quelques semaines après la chute du président Moubarak, le nouveau ministre égyptien des affaires étrangères, M. Nabil al-Arabi (59), a, à l’occasion d’une conférence de presse, clairement exprimé sa volonté de prendre ses distances vis-à-vis des pratiques et des positions de « l’ancien régime ». Il a expliqué que des contacts avaient déjà été noués avec le Hamas, qu’il n’avait pas d’objection à faire de même avec le Hezbollah si celui-ci le souhaitait, et qu’il fallait ouvrir une nouvelle ère dans les relations avec l’Iran.
Les Egyptiens ont fait, au cours des derniers mois, des gestes pour montrer cette volonté. M. Nabil al-Arabi, a rencontré le chef de la section d’intérêts de la République islamique au Caire et le pays s’est abstenu de tout commentaire sur les événements dans le monde arabe, en particuliers du Golfe, susceptible de heurter les sensibilités iraniennes.
Les ministres des affaires étrangères d’Iran et d’Egypte se sont rencontrés le 26 mai dernier dans le cadre de la 16ème conférence ministérielle du Mouvement des non-alignés, à Bali. Le premier a plaidé la normalisation de la relation bilatérale et tenté de souligner la bonne volonté de Téhéran vis-à-vis des Etats de la région – dans un contexte de fortes tensions avec les Etats du CCEAG. Son homologue a affirmé que la décision d’une restauration complète des relations entre l’Egypte et l’Iran ne pourrait être prise qu’après les prochaines élections égyptiennes. Il a aussi demandé que l’Iran fasse cesser les diffusions prosélytes chiites en provenance de Qom et à destination de l’Egypte. Tout en feignant d’ignorer totalement ce type d’activités, M. Saléhi a promis, si les faits étaient avérés, d’y mettre un terme.
Parallèlement aux canaux officiels, les autorités iraniennes s’efforcent d’établir des liens avec la société civile égyptienne. La représentation de l’Iran au Caire a organisé au cours de l’été, de sa propre initiative et sans recourir au ministère égyptien des affaires étrangères, la visite à Téhéran de plusieurs délégations de la société civile égyptienne. La première s’est déroulée début juin, Selon les informations recueillies par notre ambassade, les interlocuteurs de la délégation de quarante-cinq personnes, parmi lesquels le président Ahmadinejad et M. Saléhi, ont tenu le discours officiel iranien sur le lien de filiation entre la révolution islamique et la révolution égyptienne, entraînant des réactions de contestation de la part des membres de la délégation. Le récit de cette visite paru dans la presse égyptienne a souligné l’étroite surveillance sous laquelle la délégation avait été placée et surtout l’écart entre son discours – la jeunesse égyptienne s’est soulevée contre l’oppression – et celui des autorités iraniennes. L’opération de séduction pourrait bien avoir eu l’effet inverse de celui espéré par le régime de Téhéran. Trois autres délégations ont été reçues au mois de juillet, constituées respectivement d’hommes d’affaires, de notables et de personnalités du monde intellectuel et de journalistes, et de personnalités du monde du cinéma. Le ministre des affaires étrangères s’est abstenu d’évoquer devant elles le « réveil islamique » mais il s’est heurté aux questions embarrassantes de ses interlocuteurs.
Si les relations entre les deux pays devraient logiquement s’améliorer au cours des prochains mois, le passage de l’Egypte dans le camp de l’Iran apparaît assez improbable, à la fois pour des raisons idéologiques et à cause des liens, toujours étroits, entre Le Caire et Washington. Les Etats-Unis ont ainsi, en dépit d’un contexte budgétaire difficile, préservé l’enveloppe financière destinée à l’Egypte, qui atteindra 1,5 milliard de dollars, dont 300 millions de dollars pour des projets civils et 1,2 milliard de dollars à destination de l’armée. Tant que celle-ci joue un rôle central dans le pays, il n’y a pas lieu de s’inquiéter outre mesure d’un rapprochement entre l’Egypte et l’Iran.
b) L’Iran peut-il tirer profit de l’évolution de la situation des Palestiniens ?
L’un des domaines dans lesquelles la nouvelle diplomatie égyptienne a déjà fait ses preuves est la question palestinienne, thème particulièrement cher aux autorités iraniennes.
Si le « printemps arabe » ne s’est propagé que modestement aux territoires palestiniens, il a joué un rôle décisif dans la conclusion de l’accord de réconciliation interpalestinienne conclu le 27 avril et signé formellement le 5 mai, au Caire.
Plusieurs milliers de Palestiniens ont manifesté le 15 mars pour demander « la fin de la division » entre la Bande de Gaza et la Cisjordanie, à la suite d’appels lancés sur internet. Seulement quelques milliers de personnes
– 12 000 selon les sources les plus optimistes relayées par les diplomates français – se sont rassemblés dans les principales villes de Cisjordanie. Elles étaient plus nombreuses à Gaza, où le mouvement a débuté dès le soir du 14 mars afin de contrer les velléités des autorités d’empêcher le rassemblement : en fin de matinée le 15 mars, entre 10 et 20 000 personnes manifestaient. Le Hamas a tenté de récupérer le mouvement avant que ne se déclenchent des affrontements entre les deux camps. Le lendemain, la police a violemment réprimé une manifestation organisée par les étudiants d’une université rattachée à l’autorité palestinienne. Le président Abbas s’est déclaré prêt à se rendre à Gaza pour « mettre fin à la division ».
Si le nombre de manifestants en Cisjordanie a été très inférieur aux attentes des organisateurs, le mouvement a probablement joué un rôle en faveur d’un accord qui a surtout été rendu possible par les changements de l’environnement régional. L’action de l’Egypte a été décisive par deux canaux : d’une part, en envisageant l’ouverture du point de passage de Rafah, les autorités du Caire ont attiré le Hamas ; l’accord a en outre été conclu sur la base d’un document élaboré par la diplomatie du président Moubarak ; d’autre part, les Frères musulmans auraient convaincu le bureau politique du Hamas de faire preuve de flexibilité afin de s’attirer les faveurs du nouveau régime. La détérioration de la situation en Syrie a beaucoup pesé : elle a effrayé le Hamas, jusque là tiraillé entre le discours des Frères musulmans et celui de Damas ; elle a contribué à fissurer l’axe Téhéran/Damas/Doha, alors que les événements à Bahreïn conduisaient le Qatar à se rapprocher de l’Arabie saoudite et que l’Iran espérait que le Hamas lui ouvre la porte de la nouvelle Egypte.
Les réactions officielles de l’Iran à la conclusion de l’accord interpalestinien ont été très sobres, ce qui a contrasté avec l’importance que la question palestinienne occupe généralement dans la propagande du régime. Ainsi, M. Sahéli a été le seul à aborder le sujet, pour se féliciter de l’accord, le lendemain de sa conclusion. Il a indiqué espérer « que cet accord permettrait d’accélérer les développements en Palestine », « de rouvrir les voies d’accès à Gaza » et « de remporter de grandes victoires face aux occupants ». Selon lui, il s’agissait d’une « étape positive vers l’achèvement des buts historiques du peuple palestinien ». Il a salué au passage « le rôle positif de facilitation joué par Le Caire ». Ni le Guide suprême, ni le président de la République islamique n’ont évoqué ce sujet.
Quelques jours plus tard, c’est une certaine défiance vis-à-vis de l’accord qui était exprimée dans un quotidien traditionnellement porteur des messages du Guide suprême. Un éditorial intitulé « Le Hamas ne doit pas écrire son nom sur le mur du Fatah » s’étonnait que la diplomatie iranienne se soit félicitée d’un accord qui montre que « le Hamas et Khaled Mechaal sont tombés dans un piège (…) qui est l’œuvre d’Israël, des Etats-Unis et de la réaction arabe » et « mis en place par Mahmoud Abbas » ; en effet, « accepter la proposition de Mahmoud Abbas pour la création de l’Etat de Palestine revient à reconnaître de facto Israël ». On voit là clairement les réticences iraniennes de fond sur cet accord. Elles se sont déjà traduites par l’exercice de pressions sur le Hamas afin qu’il durcisse ses positions, ce qui contribue au blocage dans la formation du prochain gouvernement.
Pour certains analystes, en renforçant la position des Palestiniens contre les Israéliens, une réconciliation interpalestinienne jouerait en faveur de l’Iran, qui verrait ses ennemis en position plus délicate. Mais il semble surtout que, en rapprochant le Hamas de l’Autorité palestinienne, l’accord éloigne le premier de son allié iranien et pourrait le conduire à des concessions décisives. L’Iran n’apparaît d’ailleurs pas pressé de le voir mis en œuvre.
Evidemment, si un gouvernement d’union était formé dans le cadre de l’accord interpalestinien mais qu’il ne permettait pas d’avancer vers une solution acceptable du conflit israélo-palestinien, l’Iran aurait beau jeu de rappeler que la seule voie est dans la résistance, éventuellement armée.
c) L’Iran perdra-t-il son allié syrien ?
Le sentiment de gêne qui apparaît côté iranien en ce qui concerne l’accord interpalestinien est encore plus marqué quand il s’agit de la situation en Syrie, le seul véritable allié de Téhéran.
Les premières manifestations ne se sont déroulées en Syrie qu’à la mi-mars, et la violence de la répression s’est progressivement accrue. Lorsque plusieurs membres de la Mission ont déjeuné avec l’ambassadeur d’Iran en France, le 12 avril, le mouvement n’en était qu’à ses débuts. M. Miraboutalebi a évoqué la situation en Syrie en toute fin de repas, mais assez longuement.
Il a indiqué que, s’il existait des problèmes réels dans le pays, 80 % des messages (des textos) appelant à manifester avaient été envoyés depuis le territoire israélien. Il relayait donc, chiffre à l’appui, la théorie du complot étranger
– israélien en l’espèce. Il a ensuite insisté sur le fait que l’influence israélienne avait mis de l’huile sur le feu, le « feu » ayant pris parce que Bachar el-Assad n’avait pas su, à son arrivée au pouvoir, « relâcher la pression sur le système politique ». Après avoir rappelé que l’intervention militaire conduite en 1982 par son père à Hama avait permis de mettre un terme à un coup d’Etat militaire des Frères musulmans, il a indiqué que le fils pouvait encore résoudre les problèmes en « répondant aux véritables aspirations de son peuple ». L’ambassadeur a surtout insisté sur les risques énormes que ferait courir à la région l’instabilité en Syrie, des risques bien supérieurs à ceux liés à la situation de l’Egypte à cause des conséquences que cette instabilité aurait sur les Kurdes, les Alaouites, les Frères musulmans, le parti Baas… Les risques de dérapage étant réels, la France ne devait pas s’accommoder de l’agitation dans le pays. Selon lui, cette instabilité ne profitait qu’à Israël, qui pouvait ainsi faire ce qu’il voulait en Palestine.
En Iran même, le discours officiel a progressivement évolué depuis début mai, le silence pudique cédant la place à une certaine gêne et à l’expression de critiques, d’abord par l’intermédiaire de la presse. Un ancien ambassadeur d’Iran au Liban a ainsi fait part, dans un quotidien, de l’opinion suivante : « Même si nous sommes persuadés que ces événements sont dus en partie aux ingérences des puissances étrangères hostiles, les réformes proposées par Bachar el-Assad semblent insuffisantes et il est impératif qu’il prenne au sérieux les aspirations de son peuple. »
Le président Ahmadinejad s’est progressivement rallié à ce discours plus nuancé. Fin août, il a disqualifié la solution sécuritaire et affirmé la nécessité « d’aider le régime syrien à répondre aux demandes de son peuple », avant de redire avec force son « rejet total de l’ingérence malfaisante de l’Occident et de certains pays arabes dans les affaires intérieures syriennes ». Sur la même ligne, le ministre des affaires étrangères a fustigé les appels à la démission du président el-Assad et mis en garde contre le fait que, « en cas de chute de l’Etat syrien, la région sera soumise à des troubles ». Il a affirmé que, si l’OTAN intervenait, elle « s’enliserait dans un bourbier d’où elle ne réussirait jamais à sortir ».
La question de savoir si Téhéran apporte une aide matérielle au pouvoir syrien dans son entreprise d’étouffement du mouvement de protestation ne fait guère de doute. Mme Sabrina Mervin a souligné que les Gardiens de la révolution étaient suspectés par certains de participer à la répression des manifestations contre le régime syrien, mais que cela était très difficile à prouver. L’interception, le 15 mars 2011, par les autorités israéliennes du navire « Victoria » transportant des armes iraniennes à destination de la Syrie, puis la saisie, le 21 mars, d’une cargaison d’armes transportées par voie aérienne en Turquie afin d’être livrées à Damas, étayent les suspicions d’un soutien opérationnel de l’Iran à son allié, lequel passerait aussi par l’envoi de renforts, issus des bassidjis. Ce n’est pas un hasard si l’Union européenne a placé, le 20 juin 2011, trois Iraniens (60), dirigeants des Gardiens de la révolution, accusés d’avoir fourni à la Syrie des armes destinées à la répression, sur la liste des personnes soumises à l’interdiction de voyager dans l’Union et au gel de leurs avoirs en Europe – liste qui comprenait alors trente noms.
Des diplomates arabes vont même jusqu’à laisser entendre que Téhéran favoriserait sur le terrain, y compris par certaines provocations, une répression sans concession des autorités syriennes afin de préserver à tout prix le régime actuel.
Il est clair que la perte de l’allié syrien serait extrêmement lourde de conséquences pour l’Iran. Toute évolution du régime pourrait le conduire à infléchir sa politique libanaise et ses liens avec la République islamique. Celle-ci pourrait perdre sa principale plateforme d’action au Proche-Orient, par laquelle transite son soutien au Hamas et au Hezbollah. Elle aurait aussi probablement pour effet de relancer les mouvements de protestation en Iran même. De même, si la communauté internationale prenait des mesures de soutien aux opposants au régime syrien, cela pourrait encourager les protestataires iraniens.
En revanche, si le régime de Bachar el-Assad survit aux mouvements populaires qui s’opposent à lui, il existe le risque qu’il se rapproche encore davantage de l’Iran dans la mesure où les pays occidentaux ne pourront plus, après la répression violente qu’il conduit actuellement, poursuivre la politique d’ouverture menée depuis quelques années. C’est notamment pour limiter ce risque que l’Arabie saoudite a adopté une position modérée vis-à-vis de la Syrie, qui a en outre soutenu son intervention pour ramener le calme à Bahreïn. Cette position est néanmoins critiquée par le Qatar et le Koweït, qui ont appelé à plus de fermeté à l’encontre du régime syrien.
Alors que la Turquie est de plus en plus inquiète de la tournure que prend la répression en Syrie, de laquelle elle s’était nettement rapprochée depuis quelques années, et tente de faire pression sur le président el-Assad pour qu’il consente aux réformes demandées par les manifestants, Téhéran apparaît de plus en plus isolée dans son soutien à Damas. Plus la situation se dégrade en Syrie, plus le « double standard » de l’Iran devient intenable et affaiblit les critiques qu’il fait aux Occidentaux quant à leur attitude contrastée vis-à-vis de la Libye et de Bahreïn.
Il faut espérer que l’Iran prenne conscience du risque que le « printemps arabe » conduise à renforcer son isolement régional et que cela le pousse à revenir à la table des négociations du dossier nucléaire avec une véritable volonté de discuter pour résoudre les problèmes. Mais on peut aussi craindre que l’affaiblissement du poids de Téhéran dans la région ne renforce sa hâte à atteindre le seuil nucléaire voire à construire une arme nucléaire afin de bénéficier, en interne, d’un succès à mettre à son actif, et, au niveau régional, d’une arme de dissuasion vis-à-vis de toute menace extérieure.
Alors que les travaux de cette mission d’information s’achèvent, presque trois ans après la publication du rapport sur « Iran et équilibre géopolitique au Moyen-Orient », l’évolution de la situation en Iran et de la place de l’Iran dans la région apparaît comme considérable sur certains points et très limitée sur d’autres. Elle est en tout cas en cours de redéfinition, alors que le pays connaît un bouleversement de son environnement immédiat sans précédent depuis la guerre d’Irak de 2003. De nombreux événements ont eu lieu en Iran et au Proche et Moyen-Orient durant cette période, sans entraîner – du moins pour le moment – de changements de grande portée ni sur la situation politique intérieure en Iran, ni sur la posture nucléaire du régime. Ils ont en revanche introduit des ferments qui pourraient, à terme, produire des effets décisifs. A quelques mois des élections législatives de mars 2012 et à un an de la prochaine élection présidentielle qui devrait ouvrir l’ère de l’après Ahmadinejad, l’Iran se trouve, dans un contexte régional instable, à la croisée des chemins.
Au plan intérieur d’abord, si le régime a repris le contrôle de la situation après la forte contestation qui a suivi la réélection frauduleuse du président Ahmadinejad en juin 2009, la situation n’est pas stabilisée et les prochaines échéances électorales pourraient rebattre les cartes.
Le mouvement de réaction aux résultats faussés de l’élection présidentielle de juin 2009 a fortement impressionné le régime de Téhéran et l’a en grande partie délégitimé en obligeant le Guide à sortir de son rôle habituel d’arbitre pour soutenir la candidature du président sortant, alors considéré par les conservateurs traditionnels comme le seul rempart face à la « sédition » interne. La communauté internationale a en outre découvert, au printemps 2009, les aspirations de la société iranienne au changement. Pour l’heure, le régime a réagi en scellant son unité dans une logique répressive et repris le contrôle de la situation politique intérieure au prix d’un verrouillage sécuritaire du pays et d’une forte dégradation de la situation des droits de l’Homme. Pour très affaibli qu’il soit, le « mouvement vert » n’est pas mort et pourrait réapparaître, comme l’a montré la reprise des manifestations à la faveur du « printemps arabe ». Ce dernier s’est d’ailleurs inspiré des méthodes utilisées en Iran en juin 2009. Comme l’a souligné un diplomate auditionné par la Mission, certes le régime contrôle aujourd’hui la situation – grâce au verrouillage des médias et à la destruction systématique, massive et méthodique de la société civile – et sa base sociale est réelle, mais « le ver est dans le fruit » et la contestation interne existe, même si elle ne s’exprime pas de la même manière que dans les autres pays de la région.
Si, face à la contestation des réformateurs, le régime, soucieux avant tout de sa propre conservation, a su refaire son unité, les tensions internes au sein du clan conservateur au pouvoir se sont de nouveau aiguisées et pourraient se renforcer dans la perspective des prochaines échéances électorales, à la faveur des intérêts personnels mais aussi des stratégies différentes pour se maintenir au pouvoir. De l’avis de la plupart des observateurs, jamais la rivalité entre le Guide suprême et le président de la République n’a été aussi visible qu’au printemps dernier ; jamais les tensions politiques internes au sein du clan conservateur n’ont atteint un point aussi aigu, touchant par moments à la crise politique interne. Le point de non-retour n’a pas encore été atteint mais ces tensions témoignent d’un affaiblissement marqué du régime dans son fonctionnement actuel.
Pour ce qui est du dossier nucléaire, les sanctions internationales et nationales ont été progressivement renforcées. Elles n’ont pas encore conduit le régime à lever les doutes sur les possibles dimensions militaires de son programme nucléaire – lesquels ont été renforcés par de nouvelles découvertes, comme celle du site secret d’enrichissement de Fordou – mais, combinées à des opérations menées par les services secrets occidentaux et israéliens, elles ont gêné l’avancée de ce programme. La mise en place de sanctions non onusiennes portant sur les secteurs pétrolier et gazier se traduit déjà et se traduira davantage encore dans l’avenir par des difficultés pour l’économie iranienne, en dépit du prix élevé du baril de pétrole, dont elle profite pleinement.
Il y a fort à craindre que l’Iran profite de la relative baisse d’attention actuelle de la communauté internationale sur le dossier nucléaire pour persister sur la même voie et tenter de diviser le groupe des Six, tout en essayant d’apparaître comme plus modéré et ouvert au dialogue.
Le « printemps arabe » place l’Iran face à ses propres contradictions. Il n’a pas affecté directement la stabilité du pays, où les soutiens populaires au mouvement ont été immédiatement réprimés, mais il est à l’origine de profonds bouleversements dans la région qui auront forcément des conséquences sur le positionnement de Téhéran. En dépit de tentatives de récupération, le discours des autorités comme leurs actes (officiels ou officieux) traduisent un profond malaise face aux changements en cours. Partagé entre son anti-occidentalisme et un soutien de façade aux aspirations populaires pourtant écrasées en interne, le régime iranien est surtout très inquiet, en particulier de ce qu’il pourrait advenir du régime syrien, son allié dans la région et un maillon nécessaire de son influence.
Alors que la situation est encore incertaine dans la plupart des pays touchés par le « printemps arabe », il est difficile de dire aujourd’hui si la remise en cause de l’équilibre régional va, à terme, profiter à l’Iran ou lui nuire. Au cours des dernières semaines, les autorités iraniennes ont fait des signes en faveur de l’apaisement, notamment en appelant le président el-Assad à écouter son peuple et en exprimant la volonté de reprendre des discussions sur le dossier nucléaire. Il est probable que cela ne traduise aucune véritable inflexion dans les fondamentaux de leur politique, mais cela témoigne certainement d’un sentiment d’affaiblissement de la part du régime.
Au final, il ne fait pas de doute que le « printemps arabe » met le régime iranien à l’épreuve, malgré des discours de façade qui ont tenté de présenter les événements de la région comme confortant le « modèle iranien ». Confronté à des mutations qui se font sans lui (en Egypte et en Libye par exemple) ou contre lui (en Syrie) et à la crainte ravivée de l’intervention occidentale dans la région
– comme en 2003 en Irak –, le régime de Téhéran peine à répondre aux évolutions sans précédent de son environnement immédiat en dehors de l’usage habituel de son potentiel de nuisance et de l’activation de ses liens avec ses relais habituels (le Hezbollah, le Hamas). En outre, la volonté iranienne de « récupérer » à son profit les mouvements de contestation ne trompe plus personne – même pas en Iran –, après deux ans de répression intérieure ininterrompue.
*
Face à des équilibres mouvants, dans le pays comme dans la région, dégager une ligne directrice pour l’action de la communauté internationale est particulièrement délicat.
Un point qui semble faire consensus auprès des experts rencontrés par la Mission est la nécessité de ne pas « oublier l’Iran ». Le risque existe en effet que les bouleversements régionaux conduisent la communauté internationale à détourner son attention du dossier iranien, ce qui reviendrait à faire le jeu du régime tant sur la question nucléaire – où la pression doit être maintenue et où le temps joue en faveur de Téhéran – que sur celle des droits de l’Homme – la pression intérieure se renforçant alors que, partout dans la région, les aspirations au changement s’expriment.
Au moment où la France s’engage en faveur de la démocratie et de la liberté dans la région, il serait paradoxal qu’elle ne renforce pas son action en direction des droits de l’Homme en Iran, premier pays où se sont exprimées en 2009 des aspirations au changement.
L’un des experts américains, d’origine iranienne, rencontrés par le Président et votre Rapporteur à Washington, a présenté trois analogies historiques pour aider à la compréhension du régime iranien et orienter l’attitude de la communauté internationale à son égard. Selon les points de vue, l’Iran d’aujourd’hui est rapproché soit de la Chine des années 1970, régime pragmatique dont on pourrait espérer la conclusion d’un grand bargain avec les Etats-Unis ; soit du régime nazi, en cela qu’il serait prêt à tout, y compris au pire, pour imposer son idéologie ; soit à l’Union soviétique, mélange d’idéologie et de pragmatisme lorsque ce dernier est nécessaire à la survie du système. L’absence de résultats après deux années de « main tendue » américaine fait douter d’une sortie de crise à la chinoise. Les néo-conservateurs américains et Israël redoutent toujours un scénario catastrophe qui justifierait une intervention militaire, mais le régime de Téhéran ne présente aucun signe de tendance suicidaire, alors qu’entreprendre une action violente directe contre Israël ne manquerait pas d’entraîner des réactions destructrices pour lui. Un scénario à la soviétique apparaît plus crédible : il n’est pas exclu que le régime fasse des concessions si c’est la condition de sa préservation. Dans cette perspective, la démarche la plus sage devrait consister à maintenir à la fois la pression et le dialogue. Le précédent soviétique montre en effet qu’il est indispensable de dialoguer avec l’adversaire, même si les chances d’arriver à un règlement des contentieux sont limitées, pour éviter toute escalade dangereuse.
Le Président et votre Rapporteur partagent largement cette analyse. L’existence de volets militaires dans le programme nucléaire iranien ne fait pas de doutes. Il n’est en revanche pas évident que la décision d’aller jusqu’à la construction d’une arme nucléaire ait été prise, et il est en tout état de cause invraisemblable que l’Iran utilise jamais une telle arme, quand bien même elle en possèderait une. Cela ne veut pas dire que le dossier nucléaire est un sujet mineur, tant les enjeux en termes de prolifération nucléaire dans la région et de capacité de nuisance de l’Iran sont importants. Les sanctions ont des effets pervers – c’est inévitable –, mais elles ont aussi un impact certain sur l’économie iranienne, et cet impact va croissant. Les alléger ou les lever sans avoir obtenu au préalable que l’Iran se conforme aux résolutions du Conseil de sécurité n’est pas envisageable : il en va de la crédibilité du droit international et du Conseil de sécurité. L’AIEA doit ainsi absolument poursuivre et accentuer ses efforts pour obtenir de l’Iran des réponses satisfaisantes aux questions qu’elle lui pose.
Si un changement de régime en Iran ne peut constituer un objectif de la communauté internationale, la manière dont la République islamique bafoue ouvertement les droits de l’Homme ne peut pas pour autant être acceptée. Les manifestations de l’été et de l’automne 2009 ont conduit à la mise en place d’un système de répression qui étouffe les libertés d’expression et d’information. Il a fait la preuve de son efficacité pour mettre un terme aux manifestations de soutien aux peuples arabes soulevés contre des régimes non démocratiques. Les Etats-Unis puis l’Union européenne ont réagi en interdisant de visa un certain nombre de personnes ayant contribué à cette politique de répression et en gelant leurs avoirs. La diplomatie française travaille actuellement, avec les Allemands et les Britanniques, à l’allongement de la liste des personnes sanctionnées, sur laquelle elle propose d’inscrire notamment les responsables gouvernementaux présents sur la liste américaine.
Cette démarche, essentiellement symbolique, mais qui touche néanmoins les autorités iraniennes au point qu’elles se sentent tenues d’y répondre, doit s’accompagner d’actions concrètes en faveur de la société civile. Ces actions peuvent être conduites au niveau des Etats mais aussi au niveau communautaire, où la mutualisation des moyens permet un effet de levier plus fort.
Le ministère français des affaires étrangères et européennes s’efforce de défendre une ligne politique comprenant deux volets complémentaires :
– le soutien à la société civile, qui devrait passer par le développement des échanges universitaires, notamment en obtenant qu’une place spéciale soit accordée aux étudiants iraniens dans le cadre d’Erasmus Mundus, des programmes d’invitation en Europe de journalistes et d’artistes iraniens et l’amélioration de l’accueil des réfugiés politiques, qui, généralement très éduqués, souffrent d’un sentiment de déclassement à leur arrivée en Europe (61) ;
– le soutien à la liberté d’information et d’expression, qui peut prendre différentes formes : davantage d’informations provenant de l’Europe devraient pouvoir être mises à la disposition des Iraniens dans leur langue, en particulier à travers internet et les réseaux sociaux ; il est très souhaitable que l’Union européenne accorde un soutien financier et matériel aux médias iraniens libres en s’inspirant des bonnes pratiques de certains Etats, qui contribuent par exemple au financement des sites Rooz online ou Iranianstories ; des moyens de lutter contre le brouillage des émissions diffusées depuis l’étranger doivent être trouvés, même si les voies juridiques sont limitées et qu’il faut éviter des mesures de rétorsion pouvant être interprétées comme de la censure. En mars 2010, les protestations fermes du Conseil européen avaient entraîné une interruption du brouillage, ce qui montre, une fois encore, la sensibilité iranienne aux pressions extérieures. Des démarches pourraient aussi être entreprises auprès de la société Eutelsat, qui est le relais de diffusion de ces programmes, afin qu’elle mette en œuvre les moyens dont elle dispose dans ce domaine (62).
Ces orientations, qui convergent avec les actions conduites par les Etats-Unis, apparaissent très pertinentes au Président et à votre Rapporteur. Elles ne vont certes pas changer le paysage politique iranien du jour au lendemain, mais elles témoignent du souci d’aider les Iraniens à rester en contact avec le monde extérieur. Il semble que nos partenaires européens ne soient pas tous aussi favorables que la France à des actions de ce type et que le service européen d’action extérieure ne leur accorde pas toute l’attention et la diligence nécessaires. Il serait souhaitable que le ministre des affaires étrangères et européennes insiste sur l’importance de ces mesures de soutien à la société civile iranienne.
La commission examine le présent rapport d’information au cours de sa séance du mercredi 5 octobre 2011.
Après les exposés du rapporteur et du président, un débat a lieu.
M. Jean-Louis Bianco, président. Je voudrais d’abord saluer la pertinence de la démarche qui a été adoptée pour la création de cette mission d’information, qui visait à faire le point, deux ou trois ans après, de l’évolution d’une situation décrite dans un premier rapport présenté devant la Commission fin 2008, dont le thème était « Iran et équilibre géopolitique au Moyen-Orient ».
Je tiens à remercier les membres de la Mission qui, en dépit d’agendas chargés, ont assisté à nos travaux, ainsi que les diplomates du ministère des affaires étrangères et européennes qui ont été très disponibles et efficaces, à Paris comme dans les pays où nous nous sommes rendus.
Je rappellerai rapidement les conclusions du rapport de décembre 2008 : l’Iran nous était apparu comme une puissance moyen-orientale disposant de voies d’influence multiples, mais qui souffrait de faiblesses structurelles ; nous n’avions pas de doutes sur l’existence d’un programme nucléaire ayant des visées militaires mais nous nous interrogions sur l’effet des sanctions.
Je dois dire que les événements qu’a connus l’Iran depuis lors ont largement confirmé les analyses que nous avions faites. Je vais laisser au Rapporteur le soin de présenter l’évolution de la situation intérieure au cours des dernières années, évolution qui a été particulièrement forte.
M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Dans ce rapport, nous avons souhaité aller au-delà des questions nucléaires et géopolitiques, qui sont elles aussi traitées, naturellement, en approfondissant l’étude de la situation politique, économique et sociale de l’Iran. Contrairement à la Mission précédente, nous n’avons pas effectué de déplacement dans le pays, craignant que l’accueil des autorités iraniennes ne soit doublé d’un encadrement de notre programme qui nous aurait empêchés de mener des investigations utiles. Nous avons donc tiré nos informations de nombreuses auditions à Paris et dans les villes où nous nous sommes rendus, Moscou, New York et Washington, Londres et Vienne. Nous sommes arrivés à la conclusion que l’Iran avait des forces et des faiblesses, mais que ces dernières l’emportaient actuellement, tant au plan politique qu’au plan économique.
La situation intérieure iranienne peut être qualifiée de « bipolaire » au sens où elle est marquée par la conjonction d’un champ politique clos issu de la révolution islamique et d’une société qui a beaucoup changé au cours des dernières décennies, la distance entre les deux étant apparue au grand jour à l’occasion des événements de juin 2009, même si les manifestations étudiantes de 1999 puis les mouvements sociaux actifs pendant la présidence de M. Khatami en étaient les premiers témoignages.
Depuis la révolution islamique et surtout depuis la fin de la guerre Iran-Irak, le pays a connu une urbanisation rapide, s’éloignant rapidement de la société rurale que le Chah voulait moderniser par sa « révolution blanche », et la société présente désormais des caractéristiques occidentales, en matière d’éducation (le taux d’alphabétisation est très élevé, le pays compte 2 200 universités, le nombre d’étudiants a explosé et la part des femmes atteint 60 % parmi eux), de place de la femme (éduquées, les femmes ont acquis une place importante dans le monde du travail, représentent 30 % des fonctionnaires, ont développé des mouvements féministes et une presse féminine), d’utilisation des techniques de l’information (38 % des Iraniens sont des internautes, contre 28 % des Turcs, dont le pays est pourtant plus développé économiquement), de modes de vie (qui sont « mondialisés », sinon occidentalisés).
Mais, dans le même temps, la classe politique est restée fermée sur elle-même, animée par des luttes de pouvoir déconnectées à la fois des aspirations de la société et de la réalité du monde extérieur. Il est clair que l’accession à la fonction de guide suprême de l’ayatollah Khamenei, dont la légitimité religieuse et politique est très inférieure à celle de l’ayatollah Khomeiny, a contribué à attiser les luttes pour le pouvoir, qui étaient déjà très visibles sous la présidence de M. Khatami et le sont plus encore depuis l’arrivée au pouvoir de M. Ahmadinejad. Ce dernier a été réélu en juin 2009 dès le premier tour, à l’issue d’un scrutin entaché de fraudes massives, mais il aurait très bien pu être élu au deuxième tour si le scrutin s’était déroulé normalement. Les fraudes visaient certainement à conférer une légitimité incontestable à sa réélection ; elles ont eu l’effet inverse, sapant encore plus la position du Guide, qui en étaient à l’origine, et accentuant les luttes entre clans. Celles-ci ont atteint une visibilité nouvelle depuis le printemps dernier, autour de nominations de ministres, en particulier celle du ministre en charge du pétrole, mais aussi sur des questions de fond, comme le rôle de l’Iran dans le monde.
Le pouvoir repose actuellement sur trois pieds : le Guide, qui est à la tête de l’armée, des Gardiens de la révolution et de la politique étrangère du pays, le président de la République, qui utilise régulièrement son pouvoir de désignation pour placer des proches aux postes clés du régime, et le corps des Gardiens de la révolution, dont la légitimité s’est forgée pendant la guerre Iran-Irak, qui contrôle la quasi-totalité de l’économie, en dirigeant à la fois les entreprises publiques et celles qui ont été privatisées et forme ainsi une classe de privilégiés très attachés au maintien du système. Des experts nous ont indiqué que, en cas de décès du Guide, les Gardiens de la révolution obtiendraient probablement la nomination d’un homme de faible envergure qui se contentera de servir leurs intérêts.
Progressivement, la République islamique issue de la révolution de 1979, qui avait des attributs démocratiques réels, s’est transformée en un régime proche de l’Union soviétique de Léonid Brejnev, entré dans une phase de glaciation à l’issue incertaine car menacé d’implosion par le centre.
Au plan économique, l’Iran est un pays riche dont les atouts sont peu exploités. Deuxième producteur mondial de pétrole, il tire 70 % de ses revenus de la rente pétrolière. Ses autres produits d’exportation sont encore les tapis et les pistaches, ce qui témoigne de son faible degré d’industrialisation, qui contraste avec le développement industriel de la Turquie. Les industries sont rares, même si certaines sont françaises ! Les exportations de pétrole sont nécessaires à la survie du régime : le budget de l’Etat repose actuellement sur un baril de brent à 80 dollars ; comme celui-ci est actuellement à 100 dollars, le pays, qui est en équilibre budgétaire, garde des marges de manœuvre, mais son développement est lent. Alors qu’il possède les deuxièmes réserves mondiales de gaz, il en est importateur net, faute d’investissements suffisants dans ce secteur. L’ensemble du secteur des hydrocarbures aurait besoin de 150 milliards de dollars d’investissement au cours des cinq prochaines années, niveau qui ne pourra être atteint en l’absence des grandes compagnies occidentales, que les sanctions des Nations unies empêchent d’intervenir en Iran ; les compagnies chinoises, qui ne sont pas aussi respectueuses de ces sanctions, ne sont pas très pressées d’investir en Iran et elles ne détiennent pas toutes les technologies, comme celle du gaz naturel liquéfié (GNL) dont le pays a besoin. Je signalerai le récent raccordement au réseau électrique de la centrale nucléaire de Busher, la première du pays : un parc nucléaire civil contribuerait aussi à mettre l’Iran en position d’exporter du gaz.
Le pays est en outre confronté à la question de l’utilisation de sa rente pétrolière, et de sa redistribution. Comme souvent dans les pays pétroliers, l’Iran a longtemps pratiqué le subventionnement des produits de première nécessité et de l’énergie. Le Président Ahmadinejad a engagé un programme de réformes économiques qui incluait la création d’une taxe sur la valeur ajoutée, la hausse de la taxe sur le commerce et la suppression des subventions en cinq ans. La pression des bazaris a conduit à l’abandon du premier chantier et à la limitation de la taxe sur le commerce, mais le désubventionnement a commencé, même si le régime a eu la prudence d’accorder au préalable une aide directe aux personnes les plus modestes. Cette aide ne compensera pas intégralement les surcoûts et les conséquences sociales de la mesure sont incertaines, bien qu’elle soit rationnelle du point de vue économique. On peut aussi légitimement s’interroger sur l’utilisation qui sera faite de l’économie (de plusieurs dizaines de milliards de dollars) que cette réforme va générer : alimentera-t-elle la corruption si répandue dans le régime ? financera-t-elle l’aide de l’Iran à des mouvements étrangers comme le Hezbollah ? contribuera-t-elle à l’accélération du programme nucléaire ?
Avant de conclure sur la situation intérieure, je dirai un mot de la présence des entreprises françaises en Iran : Peugeot, dont l’Iran est le deuxième marché mondial après la France, Renault, Carrefour, qui y emploie 1 200 personnes, Systra, Legrand sont implantés en Iran et en sont satisfaits. Dans la mesure où leurs activités restent à l’écart du champ des sanctions (c’est-à-dire les technologies ou produits d’usage dual et le secteur des hydrocarbures), leur maintien est souhaitable, notamment pour préparer l’avenir.
Au final, alors que le Président de la République est vivement critiqué, en particulier sur le faible rythme de la croissance, qui reste inférieur à 1 %, et que le risque social est important, la situation est très fragile dans ce pays déchiré entre une société prête à l’ouverture et des systèmes politiques et économiques qui n’ont pas évolué avec elle.
M. Jean-Louis Bianco, président. Concernant le dossier nucléaire et les relations internationales, auxquels je vais consacrer mon intervention, notre rapport de décembre 2008 s’achevait sur la recommandation suivante : ouvrir un véritable dialogue avec l’Iran en levant toute condition préalable, c'est-à-dire sans poser comme condition l’arrêt des activités liées au retraitement et à l’enrichissement de l’uranium, dans la mesure où l’Iran avait systématiquement refusé cette voie.
Force est de constater que le Président Obama a accompli cette démarche d’ouverture, y compris dans son discours du Caire, et il a, entre autres choses, évoqué par deux fois la « République islamique », signifiant que son intention ne serait pas un changement de régime, au contraire de l’administration précédente. Pour résumer, les Iraniens n’ont pas saisi cette main tendue.
Il est patent, lorsque l’on discute avec des responsables de l’AIEA de différentes époques ou avec des négociateurs français et étrangers, que les Iraniens n’ont fait que gagner du temps. Quelques pseudo avancées ont été enregistrées, des hésitations ont pu traverser la classe dirigeante, mais dans l’ensemble le régime poursuit imperturbablement un programme nucléaire qui a évidemment des visées militaires.
Il est frappant de constater le relatif consensus qui existe au sein de la classe politique iranienne sur le dossier nucléaire, y compris ses visées militaires. La différence réside sans doute dans le fait que certains le placent plus bas que d’autres dans l’agenda. C’est le cas des conservateurs autour des Gardiens de la révolution, pour qui la priorité serait l’ouverture économique, en vue d’un développement du pays et des gains qu’ils pourraient en tirer. Au sein de la population, il existe un consensus sur le droit de l’Iran au nucléaire civil, mais sans bien distinguer les visées militaires du programme des visées civiles.
Les Iraniens ont connu des difficultés dans la conduite de leur programme. Les experts débattent de l’ampleur des retards. Indiscutablement, les virus informatiques, les pressions, les enlèvements et les assassinats, dont on devine l’origine, ont compliqué la tâche. Cependant les Iraniens avancent, avec des quantités d’uranium enrichi qui leur permettraient, quoiqu’ils ne disposent pas de toutes les étapes de la technologie, de fabriquer à échéance de deux ou trois ans des têtes nucléaires. Ils développent par ailleurs un programme balistique devant notamment permettre d’emporter des têtes nucléaires.
Il nous semble, comme à nos interlocuteurs, que l’Iran n’a pas forcément, à ce jour, décidé la fabrication d’une arme nucléaire, mais il se dote des moyens de pouvoir la fabriquer. Cela constituerait pour l’Iran, qui a la mémoire du conflit avec l’Irak, un facteur de dissuasion et cette possibilité lui fournit une arme politique lui permettant d’exercer une influence sur les affaires de la région et au-delà.
L’AIEA a confirmé dans ses différents rapports le fait que les Iraniens ne répondent pas à de nombreuses interrogations. Des documents, provenant probablement des services secrets, font état d’instructions précises sur le développement de l’uranium métal à partir de l’hexafluorure d’uranium et sur le développement du programme balistique. L’ambassadeur d’Iran auprès de l’AIEA à Vienne, dans cette façon typique de mentir qu’ont les responsables iraniens, m’a fait la remarque selon laquelle ces documents sont des faux puisqu’ils ne portent pas la mention « confidentiel défense ». Je ne suis pas sûr qu’une telle mention serait portée pour attirer l’attention de tout le monde…
On ne voit donc pas d’avancées dans les négociations mais le temps passe. Je rappelle brièvement l’épisode autour du réacteur de recherches à Téhéran produisant des radio-isotopes radioactifs, pour lesquels les Américains avaient proposé que l’uranium soit enrichi à l’étranger, en Russie et en France. Les Iraniens ont refusé. La Turquie et le Brésil ont ensuite formulé une proposition analogue mais avec deux différences majeures : il n’était pas prévu de contrôles et il était demandé la levée des sanctions. Cette proposition n’était évidemment pas recevable pour le groupe des Six.
Concernant le rôle régional de l’Iran, la société iranienne est plus ouverte, plus moderne, notamment dans la sphère privée qui constitue un espace de refuge. Cette société iranienne n’est en aucun cas antisémite ni antisioniste. Le « mouvement vert » a été le précurseur des révolutions arabes, avec 2 millions de personnes dans la rue, mais le régime a été particulièrement brutal et sophistiqué dans la répression en ciblant les personnes, les familles, les enfants, sans être nécessairement obligés de tirer sur les manifestants. Des conseils en ce sens au régime syrien ont probablement été prodigués au cours des derniers mois.
L’Iran a été embarrassé par les révolutions arabes et a tenté de récupérer ces mouvements. Mais nulle part, ni en Tunisie, ni en Libye, ni même à Bahreïn et au Yémen, les manifestants n’ont fait référence au modèle de régime iranien. Bien au contraire. L’Iran n’a pas pesé sur les évènements, sauf peut-être en Syrie en donnant des conseils « techniques » en matière de répression et sans doute quelques conseils de modération ou d’ouverture au régime. A Bahreïn, le soulèvement a une dimension chiite, mais ce n’est pas une dimension chiite pro-iranienne. Les Iraniens n’ont été que des spectateurs.
Le jeu iranien est subtil et marqué par une volonté de puissance. Ce pourrait être un rôle positif compte tenu de son influence en Afghanistan, en Irak, au Liban et Palestine ; mais tel n’est pas le cas. L’Iran a acquis un pouvoir politique et économique important en Irak et en Afghanistan, au moins dans la région de Herat, ce qui est à relier avec le rôle croissant des Gardiens de la révolution, dans le pays comme à l’extérieur.
En réponse à la situation, la communauté internationale a accentué les sanctions. La résolution 1929 qui les durcit a été votée – c’est important de le noter – avec le soutien de la Russie et de la Chine, mais l’opposition du Brésil et de la Turquie et l’abstention du Liban. S’y ajoutent des sanctions unilatérales, sans base juridique internationale, de l’Union européenne, des Etats-Unis et de plusieurs autres pays, qui ont une certaine efficacité économique mais n’ont pas fait bouger le régime d’un pouce dans sa détermination à poursuivre son programme nucléaire.
On est donc assez désarmé. Mais n’est-ce pas une illusion prométhéenne de croire que grâce à notre génie et nos valeurs nous forcerons les évolutions du monde ? On peut comprendre, accompagner des évolutions, mais pas les forcer. Un certains nombre d’initiatives peuvent toutefois être prises.
D’abord, de nouvelles sanctions nominatives pourraient être adoptées concernant le gel des avoirs ou l’interdiction de visa. Elles ont certes un effet moindre qu’en Syrie car il n’y a pas la même communauté d’hommes d’affaires souhaitant développer leurs activités à l’international. Les Iraniens sont cependant gênés par ces sanctions, brimés et irrités au point par exemple d’avoir envisagé des mesures de rétorsion contre des Américains. Il s’agit de cibler des ministres, des chefs de la police, des chefs de prison qui prennent part à la répression de toute opposition.
Par ailleurs, un certains nombre d’associations, notamment des ONG américaines, travaillent pour permettre aux internautes d’échapper à la police d’internet, qui est en Iran aussi forte qu’en Chine. De la même manière, les autorités brouillent en Iran les émissions qui proviennent du reste du monde, notamment de France, du Royaume-Uni et des Etats-Unis. Il n’y a pas de moyens juridiques de demander à Eutelsat, le principal diffuseur, d’exiger qu’il soit mis un terme au brouillage des émissions étrangères. Cependant, il s’agit d’une question politique : peut-on accepter que des entreprises profondément connectées au monde occidental se fasse complice d’un régime qui brime sa population en matière d’accès à l’information ?
Telles sont donc les pistes – modestes – proposées : continuer d’abord à être attentif, sur le dossier nucléaire, sachant que l’AIEA, avec une nouvelle équipe, fait très sérieusement son travail ; ensuite poursuivre une politique de sanctions nominatives et, enfin, mettre tout en œuvre pour accroître la liberté d’information que ce soit sur internet ou par l’accès aux télévisions non iraniennes.
M. le président Axel Poniatowski. L’Iran exporte du pétrole brut et importe une partie importante de son essence. La croissance du pays n’est pas supérieure à 1 %. Le système de raffinage est dans un état de délabrement avancé. Considérant que les sanctions empêchent les groupes étrangers d’investir dans les structures d’extraction, avez-vous pu mesurer à partir de quel moment l’exploitation chutera très fortement ? Avez-vous une estimation de l’impact économique que cela aura sur le pays dont les matières premières représentent 70 % des revenus ?
M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Une évaluation sur la durée est difficile à faire. Le pays importe effectivement une partie de son essence. Le président Rafsandjani avait fait le choix politique, lors de la guerre Iran-Irak, de privilégier l’industrie de transformation du pétrole sur le raffinage, malgré le risque que pouvait faire peser un embargo sur les importations d’essence. C’est pourquoi les infrastructures de raffinage en Iran sont relativement limitées. Actuellement, une raffinerie est en cours de construction avec l’aide des Chinois, dans les environs de Téhéran. Il y a donc une volonté de s’équiper dans ce domaine.
De plus, la politique de désubventionnement entreprise par le président Ahmadinejad va dans le sens d’une meilleure efficacité énergétique, ce qui montre que le régime est sensible à la dépendance du pays. Avec la fin des subventions, les Iraniens auront certainement plus le souci d’économiser l’essence.
Les besoins en investissements pour les infrastructures s’élèvent de 150 à 200 milliards de dollars mais, malgré leur vétusté, les infrastructures fonctionnent encore, bien que de manière non optimale. La Compagnie nationale iranienne du pétrole, la NIOC (National Iranian Oil Company) fonctionne, avec des ingénieurs compétents, même s’ils ne disposent pas toujours d’une formation de pointe.
Il est intéressant de noter à ce sujet la différence entre la nature des sanctions américaines et européennes. Par exemple, Total ne peut plus faire venir en France des ingénieurs iraniens pour les former, ce qui aurait l’avantage de créer un flux d’informations, de connaissances et une ouverture pour ce milieu particulièrement éduqué, alors que les Américains le peuvent car les sanctions n’ont pas la même portée pour leurs entreprises. Les Américains invitent donc, et c’est paradoxal, des ingénieurs iraniens pour se former aux Etats-Unis.
Le principal problème des infrastructures iraniennes se pose pour le gaz, qui ne peut être exploité que de façon insuffisante. Le pays n’a pas la capacité d’exploiter ses très importants gisements et il ne peut produire de gaz naturel liquéfié (GNL). L’Iran a signé avec l’Indonésie un contrat d’exportation de GNL, qui doit être mis en oeuvre à partir de 2013, mais il ne dispose pas des capacités pour construire les infrastructures de production, très coûteuses et complexes, de GNL. En réalité, seuls les Occidentaux maîtrisent cette technologie, que ni les Russes, ni les Chinois, ne peuvent fournir aux Iraniens.
Pour répondre directement à votre question, l’extraction d’hydrocarbures en Iran peut durer encore assez longtemps, même si elle déclinera progressivement.
Pour revenir aux sanctions et à leurs effets, une véritable économie des frontières a émergé depuis quelques années. C’est le cas avec la contrebande à la frontière afghane, notamment le trafic de drogue. D’ailleurs, les ravages de la drogue en Iran sont importants notamment au sein de la jeunesse, ce qui explique que les trafiquants de drogue soient passibles de la peine capitale.
Mais il y a également une économie des frontières avec l’Irak, notamment un gazoduc entre les deux pays, qui constitue un lien autant politique qu’industriel. Enfin, la contrebande avec la Turquie est un problème ancien qui perdure.
M. Jean-Marc Roubaud. L’Iran est un pays important pour la stabilité de la région et son évolution est extrêmement inquiétante. Deux évènements importants sont intervenus depuis la précédente mission d’information : l’élection présidentielle iranienne et l’élection du président américain. Depuis lors, constate t-on une volonté des Iraniens de s’engager davantage dans la politique intérieure de leur pays ? Le taux de participation au scrutin de juin 2009 était nettement supérieur à celui de 2005. L’opinion publique iranienne s’est ensuite mobilisée et aspire à un changement. Peut-on assister aux mêmes évènements qu’en Tunisie et en Egypte ?
Enfin, les sanctions sont-elles efficaces ? Lors du précédent rapport, nous avions conclu que leurs effets étaient limités mais le rapporteur a semblé nous dire que leurs conséquences étaient désormais importantes.
M. Jean-Louis Bianco, président. Il faut en effet souligner le taux de participation considérable à cette élection, même si les sources officielles sont sujettes à caution. Il y a un désir de cette société à se diriger vers un système plus démocratique. Cela rejoint l’interprétation de certains chercheurs que nous avons rencontrées. Avant d’être brouillée, la BBC avait diffusé des programmes en persan informant les citoyens iraniens sur les candidats et leurs positions. Il semblerait qu’à la suite de cette initiative, la télévision iranienne ait voulu faire de même dans le but d’orienter le vote. Mais cela a déclenché, au contraire, une grande attente de la part des électeurs.
Sur l’évolution future, nous avons rencontré des militants courageux et déterminés mais qui n’ont pas d’espoir à court terme. L’opposition ne dispose pas d’un chef reconnu, M. Moussavi n’étant qu’un leader par défaut, et la répression reste très efficace. Le développement d’un nouveau mouvement de rue en Iran est, à notre sens, peu probable.
Il existe des contradictions à l’intérieur même du système, donc l’équilibre peut durer ou se rompre à tout moment. Mais là encore, il paraît difficile d’imaginer l’avènement d’un réformateur issu du système, à l’instar du rôle joué par Mikhaïl Gorbatchev en Union soviétique.
Concernant les sanctions, celles-ci n’ont pas atteint la détermination du régime et le programme nucléaire continue. Tant que le prix du pétrole restera au niveau actuel, l’Iran poursuit à peu près son développement à un rythme lent et bien qu’il accumule un retard important sur la modernisation nécessaire des infrastructures pétrolières et gazières.
M. Jean-Michel Ferrand. Il a été dit qu’il n’y avait pas d’antisémitisme de la part de l’Etat iranien mais nous n’avons pas abordé l’attitude de l’Etat vis-à-vis des minorités chrétiennes. Y a-t-il une minorité chrétienne et quel est le statut des chrétiens dans ce pays ?
M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Je reviens sur la question de M. Roubaud. Il y aura des élections législatives en 2012 et des élections présidentielles en 2013. Nous verrons comment se manifeste la société iranienne en retenant bien que le système est très contrôlé : les candidatures sont filtrées, les bureaux de vote sont mobiles, il n’y a pas de bulletins de vote imprimés, pas de listes électorales. Il est difficile d’estimer la participation, même s’il semblerait effectivement qu’elle ait été forte en 2009.
Concernant les minorités en Iran, celles-ci sont en général opprimées, mais il faut distinguer entre plusieurs types de minorités. Comme vous le savez, le chiisme est religion d’Etat en Iran. Les sunnites représentent 10 % de la population, ce qui n’est pas négligeable, mais sont marginalisés. Ils sont localisés principalement dans le Sud et dans le Baloutchistan, où il existe une rébellion baloutche, qui suscite la crainte du régime.
Les Kurdes sont une deuxième minorité qui ont posé des problèmes, à l’époque du Chah et restent brimés. Ils ont des liens avec le Kurdistan irakien et le Sud-est de la Turquie.
Les Azéris représentent, eux, une partie significative de la population, et sont plus un groupe qu’une simple minorité.
Enfin, les chrétiens se composent de deux catégories : les Arméniens, qui sont bien implantés et intégrés – je rappelle que les relations de l’Iran avec l’Arménie sont excellentes – et les convertis récents, qui sont, eux, largement persécutés.
M. Jean-Michel Boucheron. Il n’y a pas d’antisémitisme en Iran, je le confirme. Il suffit par exemple de rappeler qu’il y a trois ans, deux députés juifs au parlement iranien ont obtenu l’interdiction de la diffusion d’un feuilleton antisémite à la télévision. C’est un signe.
Cela étant, je suis d’accord sur le fait que l’Iran travaille sur l’arme atomique, il n’y a aucun doute là-dessus. Mais le véritable danger nous vient du lobby américain qui nous fait croire à un risque balistique iranien ! Il faut en être bien convaincu ! Il s’agit pour les Etats-Unis de vendre aux Européens leur système antimissile et leur technologie, rien d’autre. Le danger missilien iranien ne fait peur à personne et nous sommes les dindons de la farce ! N’oublions pas que les entreprises américaines n’ont rien perdu des sanctions contre l’Iran, puisqu’elles n’avaient plus de relations économiques avec lui depuis 1979. Alors que nous, Européens, avons beaucoup perdu, et nous Français, en particulier !
On a dit à juste titre que les Iraniens ne pouvaient plus exporter beaucoup de gaz et de pétrole, faute de technologie et d’ingénieurs, qu’ils ne peuvent plus former. Mais nous sommes, nous, les véritables victimes de cette situation, car nous ne pouvons pas utiliser le gazoduc Nabucco qui nous donnerait une autonomie par rapport à la Russie de Poutine. Il faut donc sortir de ce jeu enfantin, d’autant plus que l’embargo renforce clairement le régime qui craint de s’ouvrir sur le monde occidental.
M. le président Axel Poniatowski. Votre position a le mérite de la cohérence, et je voudrais avoir les mêmes absolues certitudes que vous !
M. Jean-Michel Boucheron. Laissez-moi vous emmener à Washington !
M. Robert Lecou. On a l’impression d’un vase clos. Comment le couvercle
va-t-il sauter ? L’économie est artificielle, le système politique archaïque, les pressions n’aboutissent pas. L’ouverture viendra-t-elle du pouvoir législatif ? De la pression populaire ?
M. Jean-Louis Bianco, président. Les ingrédients sont effectivement réunis pour que ça saute, mais quand ? Et comment ? Personne ne le sait. Il faudra suivre ce qui se passera au moment des prochaines élections. Si le poids des Gardiens de la révolution diminue, il y aura sans doute une ouverture économique, et peut-être une évolution sur le dossier nucléaire aussi. Je ne crois pas vraiment à l’effet des mouvements de la rue, compte tenu de l’efficacité de la répression et du manque de leaders. On ne sait pas vraiment par quoi tout cela va passer. Il y a une « désislamisation » certaine de la société, le poids des religieux diminue et la religion, comme nous l’a dit un chercheur, glisse sur les jeunes comme l’eau sur les plumes d’un canard. Le statu quo est intenable.
M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Des experts disent que les Gardiens de la révolution seront peut-être un des éléments de l’évolution, mais il est impossible d’être affirmatif.
Mme Marie-Louise Fort. Comment le « printemps arabe » est-il perçu en Iran ? De quelle manière la montée en puissance de la Turquie, sa démocratie sont-elles vues ? Est-ce que cette comparaison importe en Iran ?
M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. En ce qui concerne le « printemps arabe », la principale préoccupation des dirigeants iraniens, c’est l’Arabie saoudite. Et vice-versa, d’ailleurs ! Ils observent les choses : il ne faut pas oublier qu’il s’en passe beaucoup, comme l’octroi récent du droit de vote aux femmes, par exemple. Quant à la Turquie, il n’y a pas de comparaison avec l’Iran. Ce sont deux pays dont les dirigeants se rencontrent et qui font des affaires ensemble, mais cela ne se pose pas en termes de comparaison.
M. Jean-Louis Bianco, président. Wikileaks a montré à quel point les pays du Golfe étaient totalement paniqués par la perspective d’un Iran nucléaire. Et ce qui passe dans les pays arabes se traduit par un peu d’espoir pour la société civile. Quant à la Turquie, dans la mesure où elle se sent rejetée par l’Union européenne, elle s’affirme comme une puissance géostratégique dans la région et elle est plus ouverte à l’Iran. D’autre part, il y a eu des gestes forts en direction de l’Egypte, dont le gouvernement de transition est moins hostile à l’Iran que le régime d’Hosni Moubarak. Il est néanmoins peu probable que les Egyptiens deviennent de proches alliés des Iraniens. D’une manière générale, l’Iran comme Israël d’ailleurs, s’inquiète de tout changement.
M. Jacques Remiller. Qu’en est-il de l’opposition entre le Président de la République et les mollahs ? Il semble que les relations se soient aggravées depuis l’été entre le président et les autres autorités.
M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Oui, il est effectivement dans une situation fragile, mais c’est une situation où tout le monde se tient par la barbichette et où chacun a besoin des autres. L’équilibre est fragile. Le Guide est lui-même inquiet pour sa position ; il a été mis en minorité en 2006 à l’élection du Conseil des experts. On est dans une lutte de clans. Le parlement a récemment convoqué le Président de la République pour lui demander des explications sur la croissance, entre autres choses, et notamment sur ses relations avec la Guide. On est dans un équilibre totalement instable, comme on a pu le voir aussi lors de l’épisode de la nomination de ministres où le Guide et les fondamentalistes du parlement se sont opposés.
M. Jean-Pierre Kucheida. Votre rapport est extrêmement intéressant. J’aurais aimé savoir quelles sont les relations entre l’Iran et les taliban afghans ou avec ceux qui se trouvent au Baloutchistan, qu’ils soient iraniens ou pakistanais ?
M. Jean-Louis Bianco, président. Lors de la mission précédente, les Iraniens avaient insisté sur le fait qu’ils étaient victimes des taliban. On n’entend plus ce discours aujourd’hui et on se situe désormais davantage dans la logique « les ennemis de nos ennemis deviennent nos amis ».
M. Jacques Myard. Sur le programme nucléaire, l’Iran n’est entouré que de puissances nucléaires et il y a un consensus national sur la volonté d’arriver au seuil nucléaire. Il faut se garder d’anathème hâtif et ne pas céder à la propagande en croyant que l’Iran nucléaire est une menace pour la région. Sur l’antisémitisme, ce pays est certainement plus antisunnite qu’antisémite. Il n’y a qu’un député juif au Parlement iranien, que j’ai rencontré à Paris, et qui m’a affirmé qu’Ahmadinejad lui-même avait subventionné l’hôpital juif de Téhéran, ce que n’ai pas pu vérifier. Je rappelle que la communauté juive compte seulement 30 000 personnes dans le pays.
Je voulais vous interroger sur le déclin de la religiosité. En conclusion, j’estime que la meilleure sanction est l’ouverture. Plus on sanctionne ce pays, plus il se va refermer sur lui-même et plus la cohésion nationale va primer. En définitive, pour l’équilibre de cette région, les Anglais ne se seraient-ils pas lourdement trompés en disant qu’il fallait « nourrir les Arabes et affamer les Perses » ?
M. Jean-Louis Bianco, président. Je ne reviens pas sur la question de l’antisémitisme mais je rappelle les propos scandaleux et inacceptables du président Ahmadinejad, au point même que le Guide s’est senti obligé de les modérer. Deuxièmement, nous ne jetons pas l’anathème sur l’Iran : j’ai rappelé les raisons logiques de leur position sur la question nucléaire et notamment l’importance de dissuasion pour eux. Troisièmement, ils ne veulent pas de l’ouverture car ils savent que cela remettrait en cause l’équilibre du système. Ce serait une manière de défendre les intérêts légitimes français et européens mais le régime ne l’accepterait pas, même si nous levions les sanctions.
M. Jacques Myard. Où en est M. Halliburton dans le commerce avec l’Iran à travers les sociétés « soviétiques », pour parler français ?
M. Jean-Louis Bianco, président. On nous a expliqué qu’il y avait eu des progrès dans la détection et l’élimination des sociétés offshore. Cela continue à exister, malgré des résultats sensibles. Je ne sais pas ce qu’il en est pour Halliburton en particulier.
M. Jean-Paul Lecoq. Je trouve regrettable le parallèle avec l’Union soviétique, ça nous rappelle une histoire du siècle dernier. Pourriez-vous préciser les relations économiques ? Vous dites que Peugeot et Renault sont présents en Iran. Est-ce qu’ils produisent en Iran et vendent ensuite leur production en France ? Dans ce cas, la sanction serait pour les travailleurs français et pas pour l’Etat iranien !
Sur les questions liées au nucléaire, je partage ce qu’a dit Jacques Myard. La question n’est pas nucléaire. Je rappelle qu’il y a trois ou quatre ans, nous étions au bord de la guerre et la commission des Affaires étrangères a eu la sagesse de faire une mission pour examiner la situation plus en détail.
J’aimerais en savoir plus sur le rôle de Total. Quelles sont ses activités en Iran ? Total prétend qu’il était juste de rester dans le pays, sinon les Américains ou les Britanniques auraient pris la place.
J’aimerais enfin savoir qui sont ces Moudjahidins du peuple qui essaient de nous faire signer des pétitions devant l’Assemblée ou au Conseil de l’Europe et nous envoient leur documentation. Comment sont-ils perçus par le peuple iranien et quel rôle jouent-ils ?
M. le président Axel Poniatowski. Je vous encourage à vous méfier de ces personnes.
M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Sur la présence industrielle française, Renault et Peugeot produisent des voitures sur place, principalement pour le marché intérieur et un peu pour les exportations vers l’Asie. Total n’est plus du tout présent, à part un représentant sur place, et a dû abandonner le travail accompli au cours des trente dernières années en Iran. Les Chinois sont relativement peu présents et n’ont pas autant profité du vide occidental qu’on pouvait le craindre ; ils sont davantage intéressés par l’Afrique.
En ce qui concerne les Moudjahidines du peuple, ils n’ont aucune implantation en Iran et ont une très mauvaise image. Ils avaient en effet fomenté des attentats au lendemain de la révolution islamique. Ils étaient alliés du premier président de la République islamique et sont ensuite entrés dans l’opposition violente. Ils ont également été alliés de l’Irak lors de la guerre Iran-Irak. Les Iraniens ne l’ont pas oublié. Pour eux, il s’agit d’une organisation terroriste. Je suis donc plus que réservé sur l’action qu’ils mènent en France et ailleurs. Lorsque nous étions au département d’Etat à Washington, ils manifestaient devant les bureaux.
M. Jean-Louis Bianco, président. Cette organisation n’est en aucun cas démocratique. Ils se présentent à l’Assemblée et aux congrès des partis politiques. Méfiez-vous car des collègues ont donné leur signature de bonne foi à ces gens.
M. Jacques Myard. Leur seule action a été de fournir les premiers renseignements sur le programme nucléaire.
M. le président Axel Poniatowski. Je dirais même que leur fonctionnement s’apparente à celui d’une secte. La personne à la tête de cette organisation a poussé au suicide un certain nombre de gens qui l’entouraient.
M. Jean-Claude Guibal. Ma question porte sur les relations entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, c'est-à-dire entre les deux écoles du monde musulman, les chiites et les sunnites. Est-ce que la prégnance moindre de la religion, en particulier en Iran, risque à terme de modifier cet antagonisme d’adversaires préférés ou y a-t-il d’autres raisons à cet antagonisme ?
M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Il y a des raisons géographiques. Chacun est sur une rive du Golfe arabo-persique. Mais il ne faut pas oublier qu’en Arabie Saoudite, le sunnisme prend une forme particulière, le wahhabisme, complètement étranger au chiisme, qui est sur le fond assez libéral. Cette opposition existera toujours. Il y a incontestablement un recul de la pratique religieuse chez la jeunesse iranienne, qui ne profite pas au sunnisme mais correspond bien à une société chiite assez libre au fond, si on excepte les excès révolutionnaires. La société saoudienne est plus rigoriste. Il ne faut pas oublier non plus qu’il y a une minorité chiite en Arabie Saoudite, en particulier dans la région pétrolière.
Puis la commission autorise la publication du rapport d’information.
1. LISTE DES PERSONNALITÉS RENCONTRÉES
(par ordre chronologique)
1) A Paris
– M. Patrice Paoli, directeur d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères et européennes, et M. Jean-Baptiste Faivre, sous-directeur du Moyen-Orient (16 novembre 2010)
– M. Michel Makinsky, chargé d’enseignement sur l’Iran à l’Ecole supérieure de commerce et de management de Poitiers, collaborateur scientifique à l’université de Liège (30 novembre 2010)
– M. Jean-François Daguzan, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) (14 décembre 2010)
– M. Faraz Sanei, spécialiste de l’Iran à Human Rights Watch, accompagné de Mme Eva Cosse, assistante plaidoyer, et M. Jean-Marie Fardeau, directeur du bureau de Paris (16 décembre 2010)
– M. Bruno Tertrais, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) (11 janvier 2011)
– M. Yann Richard, professeur à Institut d’études iraniennes de l’université Sorbonne nouvelle - Paris 3 (19 janvier 2011)
– Mme Fariba Adelkhah, directrice de recherche au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) (26 janvier 2011)
– M. Jean-Pierre Digard, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) (16 février 2011)
– M. Jacques Audibert, secrétaire général adjoint du ministère des affaires étrangères et européennes, directeur général des affaires politiques et de sécurité, accompagné de M. Philippe Bertoux, sous-directeur chargé du désarmement et de la non-prolifération (2 mars 2011)
– Mme Marie Ladier-Fouladi, chargée de recherche au CNRS (9 mars 2011)
– M. Thierry Coville, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) (15 mars 2011)
– M. Seyed Mehdi Miraboutalebi, ambassadeur de la République islamique d’Iran à Paris, accompagné de M. Mohammad Taheri, troisième secrétaire, responsable du service politique, et M. Ali Reza Khalili, chef de cabinet et interprète (12 avril 2011)
– Mme Véra de Ladoucette, vice-présidente du Cambridge Energy Research Associates (CERA) (13 avril 2011)
– M. Bernard Hourcade, directeur de recherche au CNRS (11 mai 2011)
– M. Benoît Cœuré, directeur général adjoint du Trésor, accompagné de M. Julien Denormandie, conseiller économique, chef du bureau de la Turquie, des Balkans, de la CEI et du Moyen-Orient, et de M. Denis Lefers, responsable Irak/Iran et des questions nucléaires (25 mai 2011)
– M. Ardechir Amir Arjomand, conseiller juridique de M. Mir Hossein Moussavi et secrétaire du Conseil de coordination du Green Path of Hope of Iran (rencontré le 7 juin 2011 par le Président et le Rapporteur)
– M. Olivier Guérot, sous-directeur des droits de l’Homme et des affaires humanitaires au ministère des affaires étrangères et européennes, et M. Jean-Luc Delvert, chargé de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à la sous-direction, accompagnés de Mme Alice Rufo, rédactrice Iran (rencontrés le 7 juin 2011 par le Président et le Rapporteur)
– M. Arnaud Breuillac, directeur Moyen-Orient à la direction générale Exploration et production de Total, accompagné de M. François Tribot-Laspiere, directeur des relations institutionnelles (8 juin 2011)
– Mme Sabrina Mervin, chargée de recherche au CNRS, membre du centre d’études interdisciplinaires des faits religieux à l’EHESS (22 juin 2011)
2) A Moscou (le Président et le Rapporteur)
6 avril 2011
– Son Exc. M. Jean de Gliniasty, ambassadeur de France en Russie
– Général de brigade Jean Maurin, attaché de défense
– M. Alexandre Giorgini, deuxième conseiller
– M. Togrul Bagirov, vice-président exécutif du Club international pétrolier de Moscou
– M. Igor Kalioujny, ancien représentant du président de la Fédération de Russie pour la Caspienne et ancien vice-ministre de l’Energie
– M. Serguei Ryabkov, vice-ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie
– M. Vladimir Valériévitch Evseev, chercheur à l’Académie des Sciences, Institut de l’économie mondiale et des relations internationales
7 avril 2011
– M. Nicolas Spassky, directeur général adjoint de ROSATOM pour les relations internationales
– M. Talyat Aliev, directeur adjoint des relations internationales au ministère de l’Energie
– M. Zamir Nabiévitch Kaboulov, représentant spécial du président de la Fédération de Russie pour l’Afghanistan et directeur du 2eme Département d’Asie, compétent pour l’Iran et le sous-continent indien
– M. Alexeï Malachenko, chercheur à la fondation Carnegie
3) A New-York (le Président et le Rapporteur)
16 mai 2011
– Son Exc. M. Gérard Araud, représentant permanent de la France auprès des Nations unies
– M. Martin Briens, représentant permanent adjoint de la France auprès des Nations unies
– M. Emmanuel Bonne, conseiller politique
– Mme Céline Jurgensen, première secrétaire en charge du dossier Iran
– Son Exc. M. Vitaly I. Churkin, représentant permanent de la Fédération de Russie auprès des Nations unies
– Mme Gülin Dinç, conseillère politique à la représentation permanente de la Turquie auprès des Nations unies
– Son Exc. M. Li Baodong, représentant permanent de la Chine auprès des Nations unies
– Son Exc. Mme Salomé Zourabichvili, coordinatrice du Panel des experts du Comité 1737 (Iran)
– Son Exc. M. Philip J. Parham, chargé d’affaires, représentant permanent adjoint du Royaume-Uni auprès des Nations unies
– Son Exc. M. Miguel Berger, chargé d’affaires, représentant permanent adjoint de l’Allemagne auprès des Nations unies
– M. Joshua J. Black, conseiller à la représentation permanente des Etats-Unis auprès des Nations unies
– Son Exc. M. Néstor Osorio, représentant permanent de la Colombie auprès des Nations unies, chargé de la présidence du Comité 1737
– Son Exc. Mme Maria Luiza Ribeiro Viotti, représentante permanente du Brésil auprès des Nations unies
– M. Lynn Pascoe, secrétaire général adjoint auprès des Nations unies pour les Affaires politiques
– Son Exc. M. Hardeep Singh Puri, représentant permanent de l’Inde auprès des Nations unies
4) A Washington (le Président et le Rapporteur)
17 mai 2011
– Son Exc. M. François Delattre, ambassadeur de France aux Etats-Unis
– M. Frédéric Doré, ministre-conseiller à l’ambassade de France aux Etats-Unis
– M. David Cvach, conseiller pour le Moyen-Orient
– M. Alexis Morel, conseiller pour les affaires stratégiques
– M. Jillian Burns, en charge de l’Iran au Policy Planning Staff
– M. Karim Sadjadpour, associate, Carnegie Endowment for International Peace
– M. Richard Kessler, responsable démocrate de la commission des affaires étrangères de la Chambre des Représentants
– Mme Sarah Blocher et M. Alan Goldsmith, collaborateurs de Mme Ileana Ros-Lehtinen, présidente de la commission des affaires étrangères de la Chambre des Représentants
– M. Mike Singh, chercheur, WINEP
– M. Alireza Nader, chercheur, Rand
– M. Geneive Abdo, chercheur, The Century Foundation
– Mme Robin Wright, chercheur, The Iran Primer
18 mai 2011
– M. Mustafa Popal, director for Iran au National Security Council
– M. Philo Dibble, deputy assistant secretary of State for Iran
– M. Robert Einhorn, special advisor for nonproliferation and arms control
– MM. Ali Akbar Moussavi Khoeyni et Mojtaba Vahedi, opposants iraniens
– M. Mehdi Khalaji, senior fellow au Washington Institute for Near East Policy
5) A Londres (le Président)
28 juin 2011
– Son Exc. M. Bernard Emié, ambassadeur de France au Royaume-Uni
– Mme Delphine Hournau-Pouezat, première secrétaire
– Mme Katerina Doytchinov, troisième secrétaire
– Mme Nazenin Ansari, rédactrice en chef de Kayhan London
– M. Behrouz Afagh, head of region, Asia and the Pacific, de BBC world service
– M. Mark Matthews, deputy Iran coordinator, Foreign and commonwealth office
– Mme Rachel Holmes, head of the Iran regional Team, , Foreign and commonwealth office
– Professeur Ali Ansari, chercheur à l’université de St. Andrews
6) A Vienne (le Président)
6 septembre 2011
– Son Exc. M. Yukiya Amano, directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)
– M. Herman Nackaerts, directeur général adjoint de l’AIEA, en charge des garanties
– Son Exc. M. Ali Asghar Soltanieh, représentant de l’Iran auprès de l’AIEA
7 septembre 2011
– Son Exc. Mme Florence Mangin, représentante permanente de la France auprès de l’ONU et des organisations internationales
– M. Philippe Merlin, représentant permanent adjoint de la France
– Son Exc. Monsieur Simon Smith, représentant permanent du Royaume Uni
– Son Exc. Monsieur Glyn T. Davies, représentant permanent des Etats-Unis
– Son Exc. Monsieur Rüdiger Lüdeking, représentant permanent de l’Allemagne
– Son Exc. Monsieur H.E. Alexander Zmeyevskiy, représentant permanent de Fédération russe
– Son Exc. Monsieur Chang Jingye, représentant permanent de Chine
2. CHRONOLOGIE : L’IRAN DE JANVIER 2009 À SEPTEMBRE 2011
2009
20 mars : à l’occasion de Norouz, le nouvel an iranien, le Président Obama adresse un message d’ouverture à l’Iran et à ses dirigeants, appelant à la reprise du dialogue.
20 mai : le Conseil des Gardiens de la constitution approuve les seules candidatures du président Mahmoud Ahmadinejad, de MM. Mir Hossein Moussavi, Mehdi Karoubi et Mohsen Rezaie pour l’élection présidentielle du 12 juin.
5 juin : M. Barack Obama prononce au Caire un discours visant à donner une nouvelle orientation à la politique américaine au Proche et au Moyen-Orient : il reconnaît les erreurs américaines et exprime une volonté de dialogue.
12 juin : élection présidentielle en Iran. De source officielle, le taux de participation serait très élevé (85 %) ; le vainqueur déclaré, M. Ahmadinejad, est crédité de 62,5 % des voix. M. Moussaoui aurait obtenu 33,9 % des voix, MM. Rezaï et Karoubi, respectivement 1,7 % et 0,9 %.
12-30 juin : dénonçant des fraudes, les partisans de M. Mir Hossein Moussavi descendent dans les rues de Téhéran le soir même et les jours suivants, dans la plupart des grandes villes. Le Guide suprême confirme la victoire d’Ahmadinejad et exige l’arrêt des manifestations. Moussavi demande un nouveau scrutin. Interdites par le régime, ces manifestations sont durement réprimées par la police et les milices du régime. Au moins 20 personnes sont tuées et plus de 2 000 personnes sont arrêtées selon la Ligue iranienne des droits de l’Homme.
1er juillet : arrestation d’une universitaire française, Clotilde Reiss, accusée d’espionnage.
9 juillet : 3 000 personnes bravent l’interdiction de manifester pour marquer l’anniversaire des émeutes estudiantines de 1999 et contester la réélection de Mahmoud Ahmadinejad.
1er août : ouverture du procès d’une centaine d’opposants et manifestants, parmi lesquels d’importantes figures du courant réformiste.
18 octobre : quinze membres des Gardiens de la révolution sont tués dans un attentat-suicide dans la province du Sistan-Balouchistan, frontalière du Pakistan. Revendiqué par le groupe extrémiste sunnite Joundallah, l’attentat fait au total plus de quarante victimes.
17 et 22 novembre : cinq « émeutiers » sont condamnés à mort et 81 opposants sont condamnés à des peines allant jusqu’à 15 ans de prison. L’ancien vice-président Mohammad Ali Abtahi est condamné à six ans de prison ferme dans le cadre de poursuites liées aux troubles post-électoraux ; il est aussitôt libéré sous caution.
27 décembre : la répression de manifestations de l’opposition à l’occasion de la célébration religieuse de l’Achoura fait plusieurs morts. Plusieurs personnalités de l’opposition sont arrêtées.
2010
5 janvier : Le Parlement adopte un projet de loi supprimant les subventions des principaux produits de base, de l’essence et du gaz dans un délai de cinq ans.
17 mai : Téhéran, Ankara et Brasilia annoncent la signature d’un accord sur le nucléaire. L’Iran s’engage à transférer en Turquie 1 200 kilogrammes d’uranium faiblement enrichi, en échange de la livraison de combustible destiné à son réacteur médical de Téhéran dans le délai maximum d’un an.
Juin : l’Iran découvre le virus « Stuxnet » qui présente la spécificité de reconnaître et d’endommager des programmes de Siemens, principalement utilisés dans le contrôle d’oléoducs, de plates-formes pétrolières ou de centrales électriques.
7 juillet : des attentats font de nombreux morts parmi les Gardiens de la révolution au Sistan-Baloutchistan. Ils sont revendiqués par le Joundallah, dont le chef arrêté avait été exécuté en juin.
Août : la situation de Sakineh Mohammadi Ashtiani est portée à la connaissance de l’opinion publique internationale. Iranienne de langue azérie, cette femme accusée d’avoir eu deux relations extraconjugales et d’avoir été complice de l’assassinat de son mari est condamnée à la peine capitale par lapidation.
11 octobre : le fils de Mme Ashtiani, Sajjad Ghaderzadeh, son avocat, ainsi que deux journalistes allemands qui procédaient à un entretien sont arrêtés au bureau de l’avocat, M. Houtan Kian.
13 au 15 octobre : M. Mahmoud Ahmadinejad effectue une visite au Liban. Des discours vilipendant Israël et glorifiant l’œuvre du Hezbollah ponctuent ces deux jours de visite.
26 octobre : le porte-parole du ministère iranien des affaires étrangères interrogé sur les versements d’argent liquide par Téhéran à l’administration du président Hamid Karzaï confirme leur existence. Ses versements sont également reconnus par le pouvoir afghan.
29 novembre : selon un télégramme révélé par Wikileaks, le roi Adballah d’Arabie Saoudite a exprimé le vœu de voir les Etats-Unis attaquer l’Iran pour « couper la tête du serpent Ahmadinejad ».
13 décembre : M. Ahmadinejad limoge son ministre des affaires étrangères, M. Manouchehr Mottaki. M. Ali Akbar Salehi, chef du programme nucléaire, le remplace.
15 décembre : un double attentat suicide contre une procession religieuse chiite, revendiqué par le groupe Joundallah, fait plus de 15 morts dans la province du Sistan-Balouchistan.
2011
8 janvier : M. Ali Akbar Salehi, demande au groupe de presse allemand Bild, dont deux journalistes sont détenus en Iran depuis le 11 octobre, de s’excuser pour la présence des journalistes sur son territoire afin de faciliter leur libération.
10 janvier : la juriste iranienne Nasrine Sotoudeh, qui combattait en faveur du droit des femmes et des prisonniers politiques, est condamnée à 11 ans de prison et 20 ans d’interdiction d’exercer son métier d’avocate pour avoir « mené des actions contre la sécurité nationale et fait de la propagande contre le régime iranien »..
24 janvier : deux militants de l’Organisation des moudjahiddins du peuple, Jafar Kazemi et Mohammad Ali Hajaghaei, arrêtés lors des manifestations antigouvernementales en 2009, sont exécutés par pendaison.
29 janvier : Sahra Bahrami, une Irano-Néerlandaise condamnée à mort pour trafic de drogue, est pendue à Téhéran. Elle avait participé à une manifestation contre la réélection de M. Mahmoud Ahmadinejad. L’Union européenne appelle l’Iran à cesser toute exécution.
5 février : le jour où sont célébrés les 32 ans de la République islamique, l’ayatollah Ali Khamenei salue les révolutions tunisienne et égyptienne qu’il qualifie de « mouvement de libération islamique ».
14 février : le gouvernement interdit la tenue d’une manifestation en soutien aux révolutions tunisienne et égyptienne. Des dizaines de milliers d’Iraniens se rendent malgré tout dans les rues pour montrer leur opposition au gouvernement. Le rassemblement est rapidement dispersé par les forces de l’ordre et les militants des droits de l’Homme dénoncent 1 500 arrestations et deux morts.
19 février : en réponse aux manifestations du 14 février, des fidèles du gouvernement iranien réclament l’exécution des opposants au régime.
20 février : de nouvelles manifestations anti-gouvernementales sont suivies dans tout le pays.
25 février : l’Iran durcit le ton face aux opposants. MM. Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, sont assignés à résidence.
8 mars : M. Rafsandjani est écarté de la présidence de l’Assemblée des experts au profit de l’ayatollah conservateur Mohammad Reza Mahdavi Kani.
16 mars : l’Iran juge inacceptable l’arrivée au Bahreïn d’un contingent de 1 000 soldats saoudiens sur décision du Conseil de coopération du Golfe.
24 mars : le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU adopte une résolution créant un mandat de rapporteur spécial sur la situation des droits de l’Homme en Iran.
1er avril : Berlin est accusé d’avoir aidé Téhéran à contourner les sanctions internationales en échange de la libération des deux journalistes allemands détenus en Iran.
16 avril : Washington accuse l’Iran d’aider et d’encourager le régime syrien dans la répression des manifestations en Syrie.
2 mai : M. Ahmadinejad réapparaît pour la première fois après un silence politique de deux semaines faisant suite à un conflit interne provoqué par le refus de l’ayatollah Ali Khamenei de laisser le Président limoger le ministre du renseignement.
18 mai : dans un contexte de tension avec le Parlement, M. Ahmadinejad prend le contrôle par intérim du ministère du pétrole.
1er juin : les députés iraniens saisissent la justice pour contester la décision de M. Ahmadinejad de s’autoproclamer ministre du pétrole par intérim.
2 juin : M. Ahmadinejad nomme M. Mohammad Ali Aliabadi, ministre du pétrole par interim.
24 juin : sommet tripartite à Téhéran avec les présidents pakistanais Assif Ali Zardari et afghan Hamid Karzaï et tenue d’une conférence internationale sur la lutte contre le terrorisme.
12 juillet : l’ancien président iranien Akbar Hachémi Rafsandjani plaide dans une interview pour des négociations avec les Etats-Unis et critique la politique étrangère de l’Iran.
24 juillet : les autorités iraniennes accusent les Etats-Unis et à Israël d’être à l’origine de l’assassinat la veille à Téhéran d’un physicien iranien spécialiste du nucléaire.
3 août : le général Rostam Ghasemi, commandant la branche économique des Gardiens de la révolution, est nommé ministre du pétrole.
5 août : la Turquie confirme avoir intercepté une cargaison d’armes en provenance d’Iran et à destination de la Syrie.
20 août : la justice iranienne condamne deux ressortissants américains arrêtés en Iran en juillet 2009 à huit ans de prison pour entrée illégale sur le territoire iranien et pour espionnage.
22 août : l’Iran commence à installer des centrifugeuses dans son usine souterraine d’enrichissement d’uranium de Fordou (150 km au sud de Téhéran).
27 août : l’ayatollah Ali Khamenei ordonne la libération de cent détenus politiques, certains ayant participé aux manifestations contre la réélection du président Mahmoud Ahmadinejad en juin 2009.
9 septembre : le président iranien appelle le régime syrien, allié de Téhéran, à ouvrir des discussions avec l’opposition.
19 septembre : six Iraniens accusés de collaborer illégalement avec le service en persan de la BBC-Television sont arrêtés.
21 septembre : libération des deux Américains condamnés le 20 août.
22 septembre : discours du Président Ahmadinejad à l’Assemblée générale des Nations unies. Les délégations américaines et européennes quittent la salle.
3. RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES SUR LA SITUATION DES DROITS DE L’HOMME
EN RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE D’IRAN
4. RÉSOLUTION 1929 (2010) ADOPTÉE PAR LE CONSEIL DE SÉCURITÉ
DES NATIONS UNIES
5. DÉCISION 2011/235/PESC DU CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE
DU 12 AVRIL 2011
1 () M. Jean-Louis Bianco, président, M. Jean-Marc Roubaud, rapporteur, L’Iran à la croisée des chemins, rapport d’information de la commission des affaires étrangères sur « Iran et équilibre géopolitique au Moyen-Orient », Assemblée nationale, XIIIème législature, n° 1324, décembre 2008.
2 () La liste des personnes entendues à Paris par la Mission ou rencontrées par le Président et votre Rapporteur, notamment à l’étranger, figure à l’annexe 1 du présent rapport.
3 () M. Ahmad Salamatian et Mme Sara Daniel, Iran – La révolte verte. La fin de l’islam politique ?, Paris, Editions Delavilla, 2010, 260 p., p. 45.
4 () Audition du 30 novembre 2010.
5 () Audition du 9 mars 2011.
6 () M. Maziar Parizi, « De l’élection présidentielle iranienne de juin 2009 », Revue française de sciences politiques, vol. 60, n° 5, pp. 927-949.
7 () M. Ahmad Salamatian et Mme Sara Daniel, op. cit., p. 163.
8 () Le persan est la deuxième langue la plus utilisée pour la tenue de blogs.
9 () Audition du 26 janvier 2011.
10 () Audition du 16 février 2011.
11 () Audition du 19 janvier 2011.
12 () Plusieurs étudiants ont été tués, des centaines ont été emprisonnés.
13 () Installé dans les locaux d’une prison abandonnée depuis la guerre Iran-Irak, ce centre, ouvert dès 2007, était utilisé pour enfermer des personnes ayant agi contre les mœurs islamiques ; ces détenus n’avaient aucun droit ; l’exécution de plusieurs de ces prisonniers avait été diffusée à la télévision pour impressionner la population.
14 () M. Ahmad Salamatian et Mme Sara Daniel, op. cit., p. 166.
15 () Cf. annexe 3.
16 () Audition du 16 décembre 2010.
17 () Audition du 11 mai 2011.
18 () Audition du 16 novembre 2010.
19 () La liste comporte les personnes suivantes : M. Mohammad Ali Jafari, commandant du corps des Gardiens de la révolution, M. Sadeq Mahsouli, ministre de la sécurité sociale, ancien ministre de l’intérieur, M. Gholam-Hussein Mohseni-Ezhei, procureur général, ancien ministre du renseignement, M. Saïd Mortazavi, ancien procureur de Téhéran, M. Heydar Moslehi, ministre du renseignement, M. Moustafa Mohammed Najjir, ministre de l’intérieur, ancien ministre de la défense, M. Ahmad-Reza Radan, chef adjoint de la police iranienne, et M. Hossein Taeb, chef du renseignement du corps des Gardiens de la révolution et ancien chef de l’organisation paramilitaire des bassidjis.
20 () Cf. annexe 5.
21 () rencontré le 7 juin 2011 par le Président et le Rapporteur.
22 () Elle a notamment permis au Guide suprême de bloquer les réformes soutenues par le Président Khatami, alors même que le Parlement disposait lui aussi d’une majorité réformatrice.
23 () Le Majlès est le parlement iranien.
24 () Audition du 14 décembre 2010.
25 () M. Ahmad Salamatian et Mme Sara Daniel, op. cit., p. 188.
26 () Le président voulait fusionner neuf ministères en trois ; le Parlement n’a laissé réaliser qu’une seule fusion, celle des ministères des transports et de l’urbanisme. Un commandant des Gardiens de la révolution a finalement été nommé ministre du pétrole début août.
27 () Cette accusation renvoie aux idées de M. Rahim-Mashai selon lesquelles les Iraniens ont une « interprétation pure de la vérité de la foi et du monothéisme islamique » et l’Iran est « l’incarnation même de la foi », discours aux accents nationalistes qui suscite la colère des conservateurs.
28 () M. Ahmad Salamatian et Mme Sara Daniel, op. cit., pp. 204-205.
29 () Audition du 15 mars 2011.
30 () Selon les données de la Banque mondiale.
31 () Les réserves de l’Iran ont augmenté de 40 % au cours des cinq dernières années, mais celles de l’Arabie saoudite ont presque doublé au cours de la même période.
32 () Audition du 25 mai 2011.
33 () Audition du 11 janvier 2011.
34 () à cause de leur rôle dans le financement du programme nucléaire.
35 () M. Ahmad Salamatian et Mme Sara Daniel, op. cit., p. 209.
36 () Audition du 8 juin 2011.
37 () Audition du 13 avril 2011.
38 () Selon l’ambassade de France à New Delhi, les paiements du brut iranien par l’Inde auraient pu reprendre à la mi-août, par l’intermédiaire d’une banque turque.
39 () Selon l’indice de perception de la corruption de Transparency international, l’Iran est passé de la 105ème place en 2006 à la 146ème en 2010 (sur 178 Etats classés).
40 () Cité par M. Alain Faujas, « En Iran, l’économie paie le prix des choix politiques », Le Monde, vendredi 9 juillet 2010, p. 6.
41 () Cette condition préalable était justifiée par le souci des Six d’éviter que l’Iran ne profite de la durée des négociations pour poursuivre l’enrichissement. Pour préparer l’entrée dans la négociation, les Six avaient proposé le « double gel » : pendant une période de six semaines préalables à l’ouverture des négociations, le programme iranien ne serait pas étendu, mais pourrait continuer à fonctionner ; en contrepartie, aucune nouvelle sanction ne serait prise, mais les sanctions en vigueur continueraient à s’appliquer.
42 () Cf. rapport de décembre 2008 précité, pp. 90-91.
43 () « Quand une nation cherche à obtenir l’arme nucléaire, le risque d’une attaque nucléaire augmente pour toutes les nations. »
44 () Audition du 2 mars 2011.
45 () Qui figurent pourtant sur la liste américaine des organisations terroristes.
46 () Bruno Tertrais, Iran. La prochaine guerre, Le cherche midi, novembre 2007, 140 pages.
47 () Le Président Medvedev a pris un décret publié le 22 septembre 2010 interdisant cette livraison, ainsi que celle de chars, d’avions, d’hélicoptères de combat et de bâtiments de guerre. Le décret interdit en outre l’entrée sur le territoire russe d’une série de responsables iraniens liés au programme nucléaire.
48 () Cf. annexe 4.
49 () Décision 2010/413/PESC du Conseil eu 26 juillet 2010 concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC.
50 () Règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil du 25 octobre 2010.
51 () Le protocole additionnel au TNP, établi en 1997 par l’AIEA, a été signé par l’Iran en 2003 à la demande de l’Allemagne, de la France et du Royaume-Uni. Bien que l’Iran se soit alors engagé à le mettre en œuvre, il ne l’a jamais ratifié et a décidé en février 2006 de revenir sur cet engagement. Ce protocole vise à permettre à l’AIEA d’inspecter les installations nucléaires en activité mais aussi les réacteurs arrêtés, les centres de recherche et les usines fabriquant des produits susceptibles d’être utilisés dans un programme nucléaire. Il étend les prérogatives du TNP en donnant un accès plus facile aux structures des pays signataires par les inspecteurs de l’AIEA et complète l’accord de garanties. Une centaine d’Etats signataires du TNP a signé le protocole additionnel et une cinquantaine d’Etats l’a mis en application.
52 () En mai 1974, l’Iran a signé un accord de garanties avec l’AIEA puis approuvé le code 3.1 des arrangements subsidiaires à son accord de garanties stipulant qu’il doit déclarer à l’AIEA l’existence de toute structure nucléaire au plus tard 180 jours avant d’y intégrer des matériaux nucléaires. L’Iran a accepté en février 2003 la modification du code 3.1 faite au début des années 1990 par l’AIEA et demandant aux Etats de notifier l’existence d’une nouvelle construction nucléaire avant même la phase de construction. En mars 2007, l’Iran a annoncé à l’AIEA la suspension de la seconde version du code 3.1 et son retour à la forme première.
53 () L’enrichissement a repris en août 2005, après l’élection à la présidence de M. Ahmadinejad.
54 () Comme cela a été indiqué au Président lors de son déplacement à Vienne, le directeur des garanties de l’AIEA a pu visiter, l’été dernier, plusieurs installations d’enrichissement, d’autres liées à l’eau lourde et certains ateliers de recherche et développement ; parmi ces installations, certaines n’étaient même pas soumises aux garanties de l’Agence.
55 () Mme Elisabeth Guigou, présidente, M. Renaud Muselier, rapporteur, Quel chemin pour Damas ?, rapport d’information de la commission des affaires étrangères sur la place de la Syrie dans la communauté internationale, Assemblée nationale, XIIIème législature, n° 2628, juin 2010, p. 74.
56 () Audition du 22 juin 2011.
57 () Les houthistes défendent une vision traditionnelle de leur religion, le zaydisme, branche yéménite du chiisme assez éloignée du chiisme duodécimain, et refusent son rapprochement progressif du sunnisme.
58 () L’Iran tient le colonel Kadhafi pour responsable de l’enlèvement et de la disparition en Libye, à la fin des années 1970, du charismatique chef religieux chiite libanais Moussa al-Sadr.
59 () M. al-Arabi ayant été élu en mai secrétaire général de la Ligue arabe et, ayant pris ses fonctions le 1er juillet, il a été remplacé fin juin au poste de ministre des affaires étrangères par M. Mohammed al-Orabi.
60 () Il s’agit du général Mohammad Ali Jafari, et de ses deux adjoints, le général Qasem Soleimani et M. Hossein Taeb, tous trois accusés par les Européens d’être « impliqués dans la fourniture de matériel et d’assistance pour aider le régime syrien à réprimer les manifestations en Syrie ». Le premier et le troisième figurent aussi sur les listes américaine et européenne des personnes sanctionnées pour leur participation à de graves violations des droits de l’Homme en Iran.
61 () Environ 160 Iraniens ont obtenu le statut de réfugiés en France depuis 2009 ; il n’existe pas de données précises, mais notre pays semble être celui d’Europe qui en a accueilli le plus grand nombre. La France voudrait obtenir de l’Union européenne une aide financière pour les ONG qui agissent en faveur de ces réfugiés.
62 () Des chaînes libyennes et syriennes ayant été placées sous sanctions européennes, il pourrait en être de même de l’IRIB (l’Islamic Republic of Iran Broadcasting) – qui est diffusée par Eutelsat, comme les chaînes occidentales régulièrement brouillées –, pour incitation à la répression. Eutelsat pourrait aussi décider d’interrompre la diffusion de l’IRIB aussi longtemps que les chaînes occidentales restent brouillées.
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