N° 2226 N° 204
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ASSEMBLÉE NATIONALE SÉNAT
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE SESSION ORDINAIRE DE 2009 - 2010
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Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale Enregistré à la présidence du Sénat
le 15 janvier 2010 le 15 janvier 2010
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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
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Face à la grippe A(H1N1) et à la mutation des virus,
que peuvent faire chercheurs et pouvoirs publics ?
(compte rendu de l’audition publique du 1er décembre 2009)
Par M. Jean-Pierre Door, Député, et
Mme Marie-Christine Blandin, Sénatrice
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Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale Déposé sur le Bureau du Sénat
par M. Claude BIRRAUX, par M. Jean-Claude ÉTIENNE,
Président de l'Office Premier Vice-Président de l'Office
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de l’Office parlementaire d’évaluation
des choix scientifiques et technologiques
Président
M. Claude BIRRAUX
Premier Vice-Président
M. Jean-Claude ÉTIENNE
Vice-Présidents
M. Claude GATIGNOL, député Mme Brigitte BOUT, sénatrice
M. Pierre LASBORDES, député M. Christian GAUDIN, sénateur
M. Jean-Yves LE DÉAUT, député M. Daniel RAOUL, sénateur
SOMMAIRE
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Pages
Ouverture PAR M. CLAUDE BIRRAUX, DÉPUTÉ, PRÉSIDENT DE L’OPECST 11
PREMIERE PROBLEMATIQUE : COMMENT PEUT-ON RALENTIR LA PROPAGATION DES VIRUS ? 15
I. En a-t-on les moyens scientifiques ? 15
II. La vaccination est-elle la meilleure solution ? 31
Conclusion : M. Jean-François Delfraissy, directeur de l’Institut Microbiologie et Maladies infectieuses (IMMI), INSERM 51
I. Pouvoirs publics et gestionnaires des pandémies 55
Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice, présidente, co-rapporteure 55
M. Didier Houssin, directeur général de la santé 57
M. Christian Lajoux, président du LEEM – les entreprises du médicament 60
M. Claude Le Pen, économiste, université de Paris Dauphine 62
Mme Françoise Weber, directrice générale de l’Institut national de veille sanitaire 64
M. Patrick Zylberman, historien, Centre de recherche médecine, sciences, santé et société 72
II. Acteurs de terrain, praticiens et citoyens 79
M. Martial Olivier-Koehret, président de MG France 84
M. Thierry Amouroux, secrétaire général du Syndicat des personnels infirmiers 87
Mme Marianne Buhler, porte-parole du Réseau Environnement Santé 89
M. Dominique Tricard, Inspection générale des affaires sociales (IGAS), INSERM 91
Dans le cadre de leur rapport sur la mutation des virus et la gestion des pandémies, M. Jean-Pierre Door, député et Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice, ont organisé le mardi 1erdécembre une audition publique de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur le thème : « Face à la grippe A(H1N1) et à la mutation des virus, que peuvent faire chercheurs et pouvoirs publics? »
Cette audition publique a permis d’aborder deux questions : Comment peut-on ralentir la propagation des virus ? Comment peut-on garantir les bons choix dans la lutte contre des virus potentiellement dangereux ?
Les débats, très riches, ont permis un dialogue entre parlementaires, professeurs de médecine, chercheurs, réseaux de médecins, syndicats et représentants des autorités sanitaires : ministère de la Santé, Institut de veille sanitaire, Établissement de Préparation et de Réponse aux Urgences Sanitaires. Ces intervenants ont été confrontés à plusieurs regards croisés du terrain.
I. PEUT-ON RALENTIR LA PROPAGATION DES VIRUS DE LA GRIPPE ?
A. L’état des connaissances scientifiques
La structure des virus est connue. Mais leur mutation est imprévisible.
Les virus de la grippe sont répertoriés selon trois classes : A, B et C. Ils sont composés d’hémagglutinine (H) et de neuraminidase (N). Ils peuvent être très différents, puisqu’il existe 16 formes connues de H et 9 de N.
Le virus pandémique actuel est un virus de type A(H1N1). Il a pour l’instant tendance à dominer les deux autres virus de la grippe qui circulent en cette saison : un H1N1 classique et un H3N2.
Ce virus pandémique, détecté d’abord au Mexique, associe des brins d’ARN de trois sources différentes : aviaire, humaine, mais aussi porcine. C’est pour cette raison que la grippe a été appelée dans un premier temps grippe porcine ou grippe mexicaine.
La virulence du A(H1N1) fait l’objet d’un constat unanime des scientifiques.
Ce virus n’est pas aussi dangereux que le H5N1 (le virus de la grippe aviaire). Mais il est davantage contagieux.
Il peut entraîner des formes graves d’infections respiratoires aigues qui restent inexpliquées et qui peuvent entraîner la mort. Les décès ne correspondent pas à ceux causés par une grippe saisonnière. La moitié d’entre eux concerne des populations qui ne présentent pas de risque particulier. Les jeunes sont ainsi particulièrement frappés.
La manière dont le virus se transmet reste inconnue : les membres d’une même famille ne seront pas tous atteints ni atteints de la même façon.
Les antiviraux sont, en cas d’infection, généralement efficaces, mais sous certaines conditions.
Le seul antiviral qui soit vraiment utilisé n’a d’effet que s’il est pris dans les 48 heures suivant l’apparition des premiers symptômes. C’est la raison pour laquelle ce traitement, relativement récent, suscite parfois des réticences de la part de certains médecins.
Le médicament anti-viral idéal n’est pas encore trouvé.
L’OMS sait sélectionner le virus contre lequel il faut lutter, chaque année, de manière prioritaire.
Après prélèvement sur des patients contaminés, et identification par des centres de références (CMR), l’OMS dispose de souches sélectionnées.
L’OMS choisit le « virus candidat vaccin » et met à la disposition des entreprises pharmaceutiques travaillant sur oeufs embryonnés des semences vaccinales.
Un laboratoire travaille sur cellules avec le virus entier inactivé, obtenu directement à partir du virus sauvage.
Tous les nouveaux vaccins sont préparés en quelques mois, au cours desquels ils sont soumis à des essais cliniques, et aux procédures d’autorisation de mise sur le marché. Les techniques sont connues. Elles consistent notamment à utiliser des vaccins maquettes ou des vaccins prépandémiques.
Des vaccins différents sont alors produits par divers laboratoires. Ces différences sont répertoriées. Elles portent notamment sur la technique de production des vaccins, sur les conservateurs (comme le thiomersal), sur les excipients et sur l’utilisation d’adjuvants (généralement de l’aluminium, du mercure et du squalène) afin d’augmenter les quantités produites et d’élargir leurs effets.
B. Le débat scientifique sur la vaccination
Pour la plupart des virologues, la vaccination est la meilleure et la seule solution pour lutter contre la propagation de la pandémie.
C’est la mesure efficace qui permet une protection nettement supérieure aux mesures d’hygiène classiques.
C’est le moyen de diminuer l’intensité du pic de pandémie à venir, et de diminuer la durée pendant laquelle la contagion est la plus élevée.
Ses effets ont été quantifiés sur des pathologies éradiquées dans le monde (variole).
On peut évaluer ce qui se passe en cas de vaccination, ou ce qui se passerait si la population ne se faisait pas vacciner.
Tenants et adversaires de la vaccination A/H1N1 continuent de s’opposer.
Il est possible d’approfondir certains arguments.
La vaccination continue de faire l’objet des débats scientifiques.
Ces débats existaient déjà à l’époque de Pasteur, ce qui pose la question de comparer les bénéfices et les risques de la vaccination. Il faut désormais s’interroger sur la mise en œuvre des principes de précaution et de prévention.
Les recherches ne permettent pas pour l’instant d’apporter des réponses absolues aux questions que certains posent sur la mesure de l’efficacité « barrière » des vaccins au niveau sociétal, sur leurs effets secondaires et sur leur mode optimal de production.
Le lien entre vaccination et syndrome de Guillain-Barré donne lieu à des appréciations contradictoires, d’autant que la grippe peut provoquer ce syndrome.
II. COMMENT PEUT-ON GARANTIR LES BONS CHOIX DANS LA LUTTE CONTRE DES VIRUS POTENTIELLEMENT DANGEREUX ?
A. L’action des pouvoirs publics et des gestionnaires des pandémies
Les choix des autorités sanitaires n’ont pas été confidentiels contrairement à ce qui s’était passé lors du virus H5N1
C’est un progrès par rapport à la situation qui avait prévalu lors de la grippe aviaire. Les autorités sanitaires ont publié la liste des mesures qu’elles envisageaient de prendre.
Ces mesures sont une mise en œuvre du plan national de prévention et de lutte « Pandémie grippale », élaboré pour réagir à une grippe aussi dangereuse que celle causée par le H5N1.
Leur logique est claire : les mesures prises ont essentiellement pour but d’écrêter le pic attendu de la grippe, afin d’éviter la multiplication des cas graves, l’embouteillage du système de santé et la désorganisation de notre société.
En revanche, le choix des vaccins et leur achat n’ont pas été débattus.
Le passage aux mesures maximales est inférieur au stade 6 décrété par l’OMS, ce qui présente le grand avantage de s’adapter à la gravité de la pandémie, et d’éviter de prendre trop rapidement des mesures de limitation des libertés individuelles qui ne sont prévues qu’en situation extrême.
La veille et la surveillance sanitaire sont efficaces
Elles reposent sur des mesures coordonnées par l’Institut de veille sanitaire, sur la base des observations des réseaux Sentinelles, des GROG (groupements régionaux d’observation de la grippe), de SOS médecins et du réseau Oscour.
Les méthodes utilisées par ces divers réseaux spécifiques et non spécifiques sont différentes, mais les résultats obtenus sont cohérents et complémentaires pour les spécialistes formés aux méthodes de statistiques et de probabilité. Ces résultats déconcertent les patients et même certains médecins qui considèrent que seule l’analyse biologique est une preuve.
Un rapprochement des réseaux GROG et Sentinelles sera un acquis intéressant de cette grippe pandémique.
Les choix des autorités sanitaires ont résulté de consultations au sommet mais pas de larges concertations. Il n’y a pas de consensus dans la société.
C’est la cause de multiples critiques, dans un contexte où la situation est moins grave que prévu.
La multiplicité des acteurs impliqués dans la gestion de cette pandémie rend parfois difficile le message public. Les rôles du ministère de la Santé et du ministère de l’Intérieur mériteraient d’être précisés.
B. Les observations d’acteurs de terrain, de praticiens et de citoyens
La campagne de vaccination est critiquée sous plusieurs angles: pertinence, organisation, coût, mode d’association ou non des professionnels.
Certaines des mesures mises en place pour organiser la campagne de vaccination sont contestées par les professionnels de santé qui n’ont pas été associés à leur définition et à leur mise en œuvre.
Les médecins souhaitent par exemple pouvoir, sur la base du volontariat, vacciner eux-mêmes leurs patients. Certains d’entre eux estiment que la campagne de vaccination en aurait été facilitée, et des patients sensibles mieux repérés.
Son organisation ne permet pas toujours l’efficacité souhaitée
La vaccination dans des centres dédiés a souvent entraîné de longues files d’attente.
Les vaccins n’étaient pas encore, au 1er décembre, disponibles en quantité suffisante pour vacciner les personnes qui ne sont pas prioritaires.
La décision de n’injecter qu’une seule dose de vaccin plutôt que deux pour les plus de neuf ans a néanmoins réduit le besoin en vaccins.
La réquisition de médecins et d’internes suscite des polémiques.
La communication publique n’a pas créé la confiance.
Les informations sont parfois contradictoires. Certains élus s’en plaignent.
Des professionnels de santé souhaiteraient recevoir davantage d’information de la part des pouvoirs publics. Ils regrettent d’apprendre par la télévision ou par les journaux des éléments qui leur permettraient de mieux conseiller leurs patients. Ils constatent qu’ils n’ont pas reçu une formation semblable à celle qui leur avait été donnée lors de la grippe aviaire.
La communication publique doit être repensée en fonction du développement d’Internet et de la multiplication des blogs. L’information ne suffit plus à remporter l’adhésion.
L’information sur les vaccins reste insuffisante pour de nombreux observateurs
Peut-être aurait-on dû rendre publics de manière spontanée les contrats entre l’État et les laboratoires.
Il faut remédier à cette insuffisance de l’information, qui est la source des rumeurs.
En l’absence de données certaines, il convient de promouvoir les recherches sur les effets secondaires des vaccins et les adjuvants. Il est souhaitable de développer les recherches en sciences sociales et humaines pour analyser et comprendre les réticences de la population.
Si le vaccin reste facultatif, il est nécessaire qu’il soit accepté si l’on estime que la vaccination reste le meilleur moyen pour prévenir les effets graves de cette grippe pandémique.
M. Claude Birraux, député, président de l’OPECST. Je suis heureux d’ouvrir cette audition publique organisée par Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice, et M. Jean-Pierre Door, député. Je souhaite la bienvenue à l’ensemble des intervenants qui évoqueront, avec la grippe A(H1N1), un thème dont l’actualité était déjà patente en juin dernier lorsque la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale nous a saisis d’une demande d’étude sur la mutation des virus.
La grippe A, alors dite porcine ou mexicaine, était perçue différemment : nous savions en effet qu'elle était contagieuse, mais nous ignorions jusqu'à quel point elle pouvait être dangereuse. Chacun se souvenait des dangers encourus par les personnes qui avaient été infectées par la grippe aviaire deux ans auparavant et les informations dont nous disposions faisaient craindre une désorganisation profonde du pays. En outre, la nouvelle grippe frappait et tuait de jeunes personnes n'appartenant à aucune des catégories à risque. Enfin, résultant d'une recomposition de trois virus respectivement d’origine aviaire, porcine et humaine, le virus responsable de la pandémie que venait de décréter l'Organisation mondiale de la santé (OMS) était nouveau – les virus se transformant et mutant en permanence, certaines mutations étaient marginales et d'autres avaient des conséquences majeures.
Le thème de nos débats peut paraître austère, mais si la mutation des virus est bien un phénomène scientifique analysé par les théoriciens qui donne lieu à des recherches compliquées effectuées parfois dans des conditions d'extrême sécurité, son étude n’en demeure pas moins fondamentale pour qui veut comprendre les risques épidémiques encourus par notre société et mesurer la pertinence des dispositions prises par les pouvoirs publics. Selon ses procédures habituelles, l'OPECST a désigné deux rapporteurs – M. Jean-Pierre Door, député, et Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice – qui ont déjà travaillé ensemble sur le risque épidémique. Ils ont engagé une étude de faisabilité définissant le cadre de travaux qui s'étendront sur plusieurs mois, et c’est ainsi que l'Office a finalement décidé, le 13 octobre dernier, de traiter le thème : « Mutation des virus et gestion des pandémies ».
Cette étude, réalisée à partir de premières auditions et d'une recherche documentaire approfondie, a montré combien les pouvoirs publics prennent au sérieux ce risque et ont tiré les conséquences organisationnelles de l'expérience vécue lors de la grippe aviaire mais, également, de la canicule de 2003. Le plan de lutte contre les pandémies de 2007 a ainsi été actualisé en février 2009 et ses dispositions ont commencé à être systématiquement mises en œuvre par l'État. Sous la conduite des ministères de l'intérieur et de la santé, une coordination interministérielle concernant aussi bien le ministère de l'éducation nationale que celui des affaires étrangères ou des transports a été mise en place. Des circulaires ont également été envoyées aux préfets dès la fin du mois d’août afin d'organiser un plan de grande envergure, les ministres associant à leurs efforts les élus locaux ainsi que le corps médical. La lecture de ces textes – disponibles sur Internet – est extrêmement intéressante et montre combien les pouvoirs publics, in fine, se sont efforcés de combiner les principes de précaution et de prévention : le problème, en effet, n’est pas seulement de gérer une crise sanitaire, mais de limiter ses manifestations les plus aiguës et de freiner sa progression. En l’occurrence, cette dernière peut être limitée par des vaccins et la pathologie peut être quant à elle soignée par des antiviraux, les uns et les autres donnant lieu à de nombreuses études. Ainsi, lors de l'apparition d'un nouveau virus, de nouveaux vaccins doivent-ils être trouvés, testés et autorisés, qui peuvent être proches – ou non – des vaccins précédents et comporter – ou pas – des adjuvants. Les techniques de production, enfin, évoluent en permanence – que l’on songe à la culture embryonnaire ou cellulaire.
Par ailleurs, notre étude tend à créer un pont entre les connaissances scientifiques les plus récentes et les légitimes interrogations de nos concitoyens dans un contexte nouveau lié notamment à l’importance de plus en plus grande d'Internet dans notre vie quotidienne : si, en effet, l'information y est surabondante et immédiate, elle génère aussi parfois des réactions pouvant affecter la mise en œuvre des mesures prises par les pouvoirs publics. Le débat est ainsi foisonnant concernant l’opportunité ou non de la vaccination ou la nature du vaccin et des adjuvants, mais il peut aussi engendrer des effets secondaires en colportant de fausses rumeurs ou en nourrissant des théories du complot qui n'ont évidemment rien de scientifiques, au point que je n’hésiterai pas à parler en la matière de véritable « pandémie des rumeurs » !
L'Office se situe à la croisée des chemins scientifique, politique, juridique et médiatique. Ses trente-six membres étant députés ou sénateurs, il constitue une instance politique parlementaire mais également de réflexion et d'évaluation sur la base de liens tissés depuis plus de vingt-cinq ans avec la communauté scientifique. Ses travaux ont toujours été marqués par une exigence de rigueur. Ses rapports résultent d'auditions et de déplacements sur le terrain tant en France qu'à l'étranger. De surcroît, son comité de pilotage constitué à l’occasion de chaque étude lui permet de se saisir de toutes les questions essentielles. Dans le contexte que nous connaissons, il peut donc être le lieu où s'organise un débat raisonné et apaisé sur les questions que se posent nos concitoyens, il peut en outre servir de « courroie de transmission » avec la communauté scientifique et, enfin, présenter en termes compréhensibles les choix et les explications qui sont formulés par les chercheurs les plus en pointe.
L'audition publique d'aujourd'hui est représentative de cette démarche puisqu’elle rassemble des responsables politiques, des scientifiques éminents, des concepteurs et des maîtres d'œuvre de l'action publique mais aussi des hommes et des femmes de terrain qui témoigneront de la complexité de la situation. Les journalistes ici présents pourront bien entendu poser des questions s’ils le souhaitent. Les débats s'organiseront autour de deux grands thèmes : comment peut-on ralentir la propagation des virus ? Comment peut-on garantir que nous faisons les bons choix dans la lutte contre des virus potentiellement dangereux ? Le premier permettra ainsi de mieux comprendre la nature des virus, de leur mutation et des moyens permettant de les combattre – la question de vaccins et des réactions qu'ils suscitent y sera abordée ; le second sera l’occasion de présenter la politique menée par les pouvoirs publics afin de freiner la pandémie, et de la confronter aux réactions d'acteurs de terrain et de praticiens. Enfin, retranscrits et publiés, ces débats constitueront l'une des bases de l'étude de l'Office parlementaire et permettront aux deux rapporteurs de préciser leur analyse et de poser de nouvelles questions aux dizaines de personnes qu'ils ont l'intention d'auditionner.
PREMIERE PROBLEMATIQUE :
COMMENT PEUT-ON RALENTIR LA PROPAGATION DES VIRUS ?
I. EN A-T-ON LES MOYENS SCIENTIFIQUES ?
M. Jean-Pierre Door, député, président, co-rapporteur. Nos travaux porteront donc sur les connaissances scientifiques dont nous disposons concernant les virus, les vaccins et les médicaments antiviraux, mais également sur l'organisation de la vaccination ainsi que sur les choix qui peuvent être faits entre différents vaccins. Connaître les virus et leur mutation n'est pas une tâche facile même si de nombreuses études portent sur la structure du virus de la grippe, sur la manière dont il pénètre dans une cellule, s'y reproduit et en sort – ainsi savons-nous différencier les vingt-cinq virus répertoriés de cette pathologie grâce à leurs composantes en hémagglutinine et en neuraminidase, ce qui permet de distinguer le HlNl du H3N2, mais aussi le HlNl pandémique du HlNl saisonnier.
Les premières auditions d'historiens, de politologues et d'économistes ont également été particulièrement instructives. En effet, faire référence à la grippe espagnole, aux grippes de 1957, de 1968, de 1976 ou à la grippe aviaire de 2007 et, surtout, les replacer dans leur contexte, permet de prendre du recul et de mieux analyser la situation présente. En outre, s'interroger sur les discours tenus lorsque l’on aborde les questions de santé publique favorise la compréhension des réticences qu'ils sont susceptibles de générer.
Pluridisciplinaire, notre approche est également comparative : il est en effet essentiel de comprendre pourquoi d'autres pays ont fait des choix différents et quelles en sont les conséquences – que l’on songe, par exemple, à la décision des autorités américaines de recourir à des vaccins sans adjuvant et à la pénurie à laquelle ce pays est désormais confronté. Tout choix présentant des avantages et des inconvénients, nous veillons avec une extrême attention à la valeur scientifique des arguments présentés – ce qui explique la nécessité de bénéficier d’avis différents et de recouper les informations, souvent contradictoires. Leur accessibilité sur le réseau Internet est d’ailleurs proportionnelle à la diversité de leur qualité : si certaines doivent être prises en compte – même si nous ne partageons pas le point de vue de leurs auteurs –, d'autres relèvent de la rumeur ou du café du commerce.
Nous avons commencé notre étude au début du mois de septembre, mais, depuis, le contexte a changé :
Le plan gouvernemental de prévention et de lutte "Pandémie grippale" tendait à faire vacciner la majeure partie de la population – c’est pourquoi avait été passée aux laboratoires pharmaceutiques la commande de 94 millions de doses de vaccins, chaque personne devant être vaccinée deux fois. Le risque de forte contagiosité avait par ailleurs été pris en compte –, même si le gouvernement français avait décidé de ne déclarer que l'étape 5 du plan et non l'étape 6, contrairement à l'OMS, se réservant ainsi la possibilité de moduler sa réaction à la crise sans limiter les libertés publiques si cela n'était pas nécessaire ;
En outre, lors de l'hiver austral, il est apparu que la grippe était moins virulente qu'on ne l'avait craint : les chiffres provenant de l'hémisphère Sud et, notamment, de La Réunion et de la Nouvelle-Calédonie ont ainsi montré qu’elle était certes contagieuse mais pas autant que prévu, données qui ont été rapidement confirmées en France métropolitaine ; le pic attendu à la mi-octobre n'est toujours pas atteint et le nombre des personnes infectées reste maîtrisable ;
Le nombre de cas graves est quant à lui relativement bas à ce jour, de même que celui des décès. Néanmoins, il n’est pas question de baisser la garde, la grippe A présentant parfois des formes graves qui concernent des personnes jeunes et apparemment en bonne santé – en l’occurrence, les critères traditionnels d'âge et de populations à risque ne s'appliquent pas ;
À cela s’ajoute de la part du Gouvernement un choix essentiel que personne ne remet du reste en cause, à savoir le caractère volontaire de la vaccination. Celle-ci, en effet, relève de la « responsabilité » de chacun – j'emploie le mot à dessein car une personne qui se fait vacciner protège de ce fait son entourage, la vaccination étant aussi un acte altruiste.
Au cours de cette audition, nous entendrons des virologues éminents, des professeurs de médecine, des spécialistes passionnés par leur travail qui nous feront part de leurs interrogations et de leurs découvertes, voire, de leurs doutes ou de l'impossibilité dans laquelle ils se trouvent de prévoir des mutations virales. Nous souhaitons également qu'ils nous donnent un aperçu de leurs recherches et qu'ils n'hésitent pas à nous dire si notre pays – qui reste un des grands producteurs de vaccins et de médicaments – fournit un effort suffisant dans ce domaine comparativement aux grandes nations disposant d'une industrie pharmaceutique puissante. Je donnerai donc successivement la parole à François Bricaire, chef du service des maladies infectieuses et tropicales à La Pitié Salpêtrière, Thierry Pineau, chef du département de santé animale à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) à Toulouse, Brigitte Autran, professeur d'immunologie et codirectrice de l'institut fédératif de recherche Immunité-Cancer-Infection, et, enfin, à Jean-Claude Manuguerra, qui dirige la cellule d'intervention biologique d'urgence de l'Institut Pasteur. Ces interventions seront suivies d'un débat.
M. François Bricaire, chef du service des maladies infectieuses et tropicales à la Pitié Salpêtrière. Les épidémies et les pandémies, notamment infectieuses, sont l’occasion de garder en mémoire que si la médecine est une science, elle n’en reste pas moins également un art avec ce que cela suppose d’incertitudes. À cet égard, dispose-t-on des moyens scientifiques permettant d’évaluer avec précision la situation que nous connaissons ? Le clinicien que je suis est tenté de répondre à la question à la fois par l’affirmative et par la négative.
Par l’affirmative d’abord, car nous disposons d’une surveillance épidémiologique grippale remarquable tant sur le plan international – avec l’OMS – que sur le plan national au moyen notamment des groupes régionaux d’observation de la grippe (GROG) mis en place par le docteur Jean-Marie Cohen, lesquels permettent de signaler l’arrivée de tel ou tel virus, mais également sa progression et son éventuelle mutation.
Par ailleurs, certains critères permettent de mesurer scientifiquement l’efficience des mesures générales qui sont prises – je songe, par exemple, au nombre de fermetures de classes ou d’établissements, la limitation des contacts permettant d’éviter la transmission du virus et d’entraver l’extension d’une épidémie. Il en va de même s’agissant de la traçabilité des virus, grâce en particulier au repérage puis au contact d’un certain nombre de sujets au sein des aéroports.
Il est également attesté que les « mesures barrière » qui ont été appliquées permettent d’éviter une transmission respiratoire ou tactile du virus – je pense, notamment, au lavage des mains et, plus particulièrement, à l’utilisation de solutions hydro-alcooliques, mais aussi à celle de masques FFP2 ou chirurgicaux.
Les antiviraux – essentiellement inhibiteurs de la neuraminidase – ont également fait preuve de leur efficacité à condition, toutefois, d’être utilisés au plus tard dans les 48 heures après la survenue des premiers symptômes grippaux comme nous avons pu le constater dans des services de réanimation ou, en Égypte, sur des sujets atteints par le virus H5N1.
Enfin, outre que la vaccination est particulièrement efficace et bien tolérée, le rapport entre bénéfices et risques, sur le plan tant individuel que collectif, est tout à fait favorable. Mieux : c’est elle seule qui, selon moi, permet de lutter contre les épidémies virales et de les vaincre.
Mais je répondrai également à la question par la négative en raison de l’imprévisibilité des épidémies et des pandémies, qu’il s’agisse de leur survenue dans le temps ou de la définition précise des virus. Ce « flou artistique » ne manque d’ailleurs pas de créer des problèmes : outre que nos concitoyens comprennent parfois mal que l’on crie au loup sans raison apparente, le passage de la grippe aviaire à la grippe porcine a été l’occasion de nombreuses interrogations. Plus spécifiquement, la grande imprévisibilité des virus de la grippe quant à leur virulence ou à leurs mutations rend délicate l’adaptation des moyens visant à les combattre.
Par ailleurs, les mesures que j’ai évoquées peuvent être ambivalentes. Ainsi le degré précis d’efficacité des antiviraux – dont le Tamiflu – est-il difficile à établir : sa prescription s’impose-t-elle pour réduire de moitié la durée des symptômes quand cette dernière s’élève à quarante-huit heures seulement ?
De la même manière les diagnostics ne peuvent pas être posés de façon assez rapide : ainsi la mise au point d’un test et la production en nombre pour un coût acceptable se révèlent-t-elle assez délicates.
S’agissant des vaccins, outre que la sûreté prévisionnelle de leur fabrication est liée à la détermination précise de la nature des virus – laquelle n’est donc pas aisée –, la rapidité de leur mise au point et des délais de diffusion suscite des attitudes ambiguës : « Il le faut rapidement » ; « Il a été fabriqué trop vite ». J’ajoute que la recherche d’un vaccin universel n’en est qu’à ses balbutiements.
Enfin, des incertitudes demeurent quant aux structures de prises en charge médicales : à l’hôpital, faut-il établir des zones de haute et de basse densité virales ? Ou bien une zone dédiée aux malades de la grippe doit-elle être mise en place dans chaque service ? Comment, dans le secteur libéral, réduire l’extension du phénomène infectieux ? Enfin, quid de l’isolement à domicile ?
M. Thierry Pineau, chef du département de santé animale à l’INRA. L’INRA se doit de mener des recherches sur les grippes animales, son champ d’intervention étant complémentaire de celui des autres acteurs de la recherche publique et privée. Nous la conduisons en l’occurrence à l’échelle d’un consortium réunissant à l’INRA, entre autres structures, le Centre international en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ainsi que les écoles vétérinaires de manière que l’ensemble des moyens publics soit utilisé d’une façon aussi cohérente que possible. Nous travaillons également avec les autres instituts de recherche publique au sein de l’Institut thématique multiorganismes (ITMO) "Microbiologie et maladies infectieuses".
Plus spécifiquement, nous nous interrogeons sur la transmission et les éventuelles recombinaisons des virus de la grippe entre les animaux et les êtres humains, ce qui implique une recherche pluridisciplinaire en matière d’épidémiologie moléculaire des virus, de physiopathologie animale – la volaille et le porc étant, en l’occurrence, particulièrement affectés –, d’immunologie ou encore d’infectiologie expérimentale en milieu très confiné – notamment à l’installation nationale protégée pour la recherche sur les encéphalopathies spongiformes transmissibles (INPREST) de Tours – et, enfin, des études internationales, en particulier dans le Sud-Est asiatique, creuset des départs et des recombinaisons des virus infectieux.
En outre, nous travaillons avec des organismes européens ou internationaux sur un ensemble de projets communs : nous avons ainsi répondu à un appel d’offres de l’Union européenne concernant la pathogénécité des virus chez les porcs. Une sorte de partie de ping-pong se prépare ainsi entre cette espèce et la nôtre, une expérimentation du Friedrich Loeffler Institut ayant par ailleurs montré que si les porcs s’infectaient entre eux, aucune transmission avec des volailles – et c’est rassurant – n’avait pu être démontrée. Nous avons également noué des liens avec l’Université de Wageningen, le ministère de l’agriculture des États-Unis (USDA) ainsi que des grands industriels tels que Pfizer.
Nous avons également observé à l’unité de Nouzilly, dédiée à l’adaptation des virus à la volaille, que le processus de transmission des palmipèdes migrateurs à la volaille d’élevage se caractérise par le raccourcissement de la tige de neuraminidase, lequel est symptomatique d’une plus grande pathogénicité. Nous avons alors transmis cette information aux réseaux de surveillance de manière à essayer de prévoir l’arrivée de virus particulièrement pathogènes et à mettre en place des mesures de gestion efficaces. C’est ainsi qu’à la biologie de l’observation peut succéder une biologie prédictive, si difficile soit-elle à élaborer quoi qu’en pensent nos concitoyens : il s’agit non seulement, en effet, des jeux du hasard et de la nécessité, mais d’un véritable « tirage au sort » quant aux espèces touchées et au degré de pathogénicité.
Nous travaillons également sur les questions de l’immunité. Depuis la pandémie grippale de 1918 nous savons que l’intensité du déluge inflammatoire touchant les poumons est révélatrice de l’importance des atteintes. De nouvelles pistes de recherches s’offrent à nous, au moyen en particulier de l’utilisation de petits peptides permettant de contrôler la sévérité de la réaction inflammatoire dans le poumon. À terme, les patients devraient pouvoir passer le cap de ce déluge.
Sur le plan épidémiologique, nous collaborons avec les pays d’Asie du Sud-Est puisque c’est là que la promiscuité entre les espèces est la plus grande – en particulier entre les volailles et les porcs – et où les évolutions virales sont les plus prégnantes. Plus précisément, nous travaillons avec la Thaïlande ainsi qu’avec l’institut Pasteur de Phnom Penh ; nous envisageons également de nouer des liens avec la Chine et le Vietnam.
Nous étudions aussi les déterminants de pathogénicité du virus à travers l’examen des génomes viraux afin de déterminer les protéines qui entraînent les infections les plus virulentes et de mieux cibler les espèces concernées.
Enfin, je tiens à souligner combien les chercheurs sont outrés face aux réactions de certains confrères ou collègues qui jugent bon de faire la fine bouche quant à la vaccination. Une bonne communication s’impose : il s’agit là d’un acte civique responsable et militant d’un point de vue individuel et collectif. J’ajoute qu’il convient également de faire preuve de civisme et de responsabilité dans l’usage de certains médicaments, notamment du Tamiflu : le pharmacologue de formation que je suis vous assure que nous devons avoir une politique d’usage raisonné en la matière si nous voulons, le cas échéant, faire face à une crise de grande ampleur et éviter les phénomènes bien connus de résistance. Il ne faut pas que, comme au Japon, des molécules de Tamiflu – fût-ce en quantités infimes – se retrouvent dans les eaux de rivière et entrent en contact avec des palmipèdes sauvages.
Mme Brigitte Autran, professeur d’immunologie, codirectrice de l’institut fédératif de recherche Immunité-cancer-infection à Paris. Immunologie et infection vont ensemble. Il n’y a pas de système immunitaire qui ne se soit créé sans environnement infectieux. Dans le cas particulier de la grippe, les réponses immunitaires se constituent immédiatement après l’atteinte virale. En quelques jours ces réponses immunitaires permettent d’assurer une mémoire durable. La pandémie va s’installer grâce à l’émergence d’un virus mutant pour lequel la population ne dispose pas de mémoire immunitaire. La première infection sera donc potentiellement grave.
Cette mémoire immunitaire, quand elle existe, peut durer toute la vie, ce qui a été étudié et montré dans le cas pour la variole. Mais le virus de la variole ne mute pas, contrairement à celui de la grippe, qui mute de manière aléatoire.
Seules les mutations victorieuses vont émerger. Ce sont elles qui confèrent la possibilité au virus de se reproduire. Mais il ne peut se reproduire que chez des individus –hommes, porcs ou oiseaux- qui ont une immunité.
L’immunité constituée face aux virus grippaux peut quant à elle être conçue comme une sorte de tamis au travers duquel, en bonne logique écologique, les virus mutants vont devoir passer afin de se développer. Les mutants accrochés par un anticorps vont être bloqués. Seuls les mutants ne correspondant à aucun anticorps présent sur la planète vont pouvoir émerger.
Lors d’une nouvelle création d’espèce virale, la population ne dispose pas d’immunité et surgit la pandémie. Le virus doit créer les conditions de sa propre survie dans un environnement. L’espèce humaine fournit cet environnement.
Plus généralement, il n’est pas étonnant que les petits enfants soient particulièrement exposés aux virus grippaux faute de disposer d’une mémoire immunitaire suffisamment vaste – les complications infectieuses pouvant être très importantes pour eux –, de même que les personnes très âgées dont l’immunité est parfois déficiente.
La configuration est différente avec le H1N1. Dans le cas de la pandémie que nous connaissons, la population – si l’on excepte ceux qui parmi nous sont nés avant 1957, date de la disparition du virus dit de la « grippe espagnole » de 1918 dont le H1N1 est un lointain descendant – ne dispose pas de cette mémoire immunitaire en raison du virus mutant qui en est à l’origine. Cela explique d’ailleurs que ce soit essentiellement les adultes de moins de cinquante ans qui sont victimes des formes les plus graves de cette pathologie.
Que sait-on en termes de recherche ? La grippe est une infection bien connue. La France le mérite d’avoir mis en place un remarquable système de surveillance de la grippe qui a contribué à maintenir un haut niveau de connaissance de ce virus, même si l’on peut regretter que les instances dirigeantes des organismes de recherche n’aient pas toujours été sensibles à la nécessité d’accroître davantage le potentiel de recherche – de ce point de vue, nous sommes par exemple en retard par rapport à la Grande-Bretagne. Quoi qu’il en soit, nous avons pu organiser, avec les instituts thématiques et l’Institut de microbiologie et de maladies infectieuses (IMMI), des recherches complémentaires à celles des centres nationaux de référence afin, notamment, de mieux comprendre la réponse immunitaire aux virus mutants en fonction de l’âge et des vaccinations antérieures des sujets.
Si le système immunitaire protège, il peut également tuer, la symptomatologie des infections étant très souvent due à l’intensité de la réponse immunitaire – certaines maladies, en effet, sont plus lourdes chez les patients qui disposent de bonnes défenses, comme c’est sans doute le cas des victimes les plus gravement atteintes par la grippe H1N1. La réponse immunitaire par le biais de l’inflammation peut créer des désordres. Ces mécanismes sont sans doute impliqués dans les formes graves de la grippe. Ils ne sont pas encore totalement connus, et la recherche doit jouer son rôle.
Les formes dangereuses de cette grippe sont dues à une infection très profonde des poumons, mais également à un déluge d’inflammation dans les poumons conduisant à une fibrose accélérée de cet organe – d’où la nécessité d’une oxygénothérapie extracorporelle. En l’état, nous ne savons pas s’il faut alourdir le traitement antiviral ou limiter l’immunité, limiter l’inflammation. Un important programme de recherche a été mis en place par l’IMMI, les laboratoires et les services de réanimation et de virologie afin de comprendre si les formes graves de la maladie sont dues à des virus mutants spécifiques, comme on l’a vu en Norvège, à un terrain génétique particulier ou à d’autres mécanismes qui pourraient être contrôlés avec des thérapeutiques mieux adaptées.
Les vaccins, quant à eux, visent à constituer une mémoire immunitaire avant la contamination virale. À ce propos et à l’instar de mon collègue, le déluge de désinformation auquel nous sommes soumis me fait mal au cœur alors que la vaccination est l’une des armes les plus fantastiques que les hommes aient inventées et, aujourd’hui, la seule pratique médicale capable d’éliminer certaines maladies de la planète. Nos concitoyens réagissant parfois en enfants gâtés, je suis particulièrement sensible aux efforts de communication de l'Assemblée nationale en la matière.
Outre qu’il permet de vacciner rapidement le plus grand nombre de personnes possible, l’adjuvant au vaccin a quant à lui été nécessaire parce que nous sommes face à cette pandémie comme un bébé de six mois face à une grippe saisonnière. Nous avons besoin de constituer à toute allure une immunité. Dans le cas de la grippe saisonnière, il suffit d’une seule injection de vaccin sans adjuvant. Ce n’est pas le cas pour une grippe pandémique, où il faut éduquer le système immunitaire, ce qui suppose deux à trois doses de vaccin. Or, si l’on réfléchit au plan mondial, la quantité de vaccins disponibles ne serait pas suffisante pour vacciner toute la population en trois mois.
C’est en l’occurrence grâce aux injonctions des pouvoirs publics aux scientifiques et aux industriels à l’occasion de la grippe H5N1 que cet adjuvant a pu être élaboré. C’est de là qu’est née la réflexion sur l’adjuvant : Comment faire plus de vaccination avec le vaccin ? Comment avoir une couverture plus rapidement ? L’adjuvant est la seule réponse.
J’affirme qu’il n’y a pas d’autres réponses efficaces pour nous adapter au besoin de couverture vaccinale. Les Américains n’en ont pas voulu, suite à leur histoire récente, mais les Français et l’ensemble des Européens, en leur âme et conscience, ont eu selon moi raison de travailler avec les industriels sur un produit susceptible d’accélérer la mise en place de la réponse immunitaire nécessaire afin de faire face à des situations d’urgence et de réduire les quantités d’antigène vaccinal nécessaire pour pouvoir vacciner la totalité des populations. J’ajoute que non seulement les effets secondaires de l’adjuvant sont minimes et maîtrisés, mais qu’il est utilisé depuis plus de cinq ans dans des produits commercialisés.
Si l’on ne devait retenir qu’une chose de cette intervention, c’est l’impérieuse nécessité de se faire vacciner, seule façon de se protéger contre cette épidémie.
M. Jean-Claude Manuguerra, responsable de la Cellule d’intervention biologique d’urgence à l’Institut Pasteur. Je m’intéresserai, pour ma part, aux accidents viraux qui affectent le patrimoine héréditaire des virus, avec des conséquences sur leurs propriétés et leur possible impact sur les moyens de lutte contre les effets de la pandémie grippale. Je reviendrai d’abord sur le mot « mutation ». Il convient d’être précis à cet égard, car plusieurs accidents génétiques peuvent frapper les virus.
Si l’on a eu du mal à nommer le virus en question, nous savons maintenant que nous avons affaire à un virus de type A – l’un des trois types de virus grippaux –, le plus important en termes de création d’épidémie et d’impact sur la santé publique. Ce type A est lui-même divisé en sous-types, dont celui qui nous intéresse : le H1N1, que l’on connaissait déjà pour être un virus saisonnier.
La genèse des nouveaux virus se fait par des mécanismes de variation, qui peuvent être de deux ordres principaux : les réassortiments et les mutations.
Les réassortiments sont des échanges génétiques de gènes entiers. Ce sont des changements brutaux, pouvant avoir un impact fondamental sur les propriétés du virus. Ce mécanisme nécessite des virus différents chez un même individu infecté, sachant que si les virus sont semblables, il n’interviendra pas grand-chose en termes de propriété les concernant. En revanche, s’ils sont dissemblables, il peut en résulter la genèse d’un cocktail viral complètement nouveau. C’est sur la base de cette nouvelle équipe de gènes, assortis différemment, que se créera alors un virus neuf, aux propriétés complètement différentes de celles que l’on avait pu observer auparavant.
Un tel mécanisme a présidé à la genèse, par la nature, du génotype Z après que le virus aviaire H5N1 hautement pathogène eut fait l’objet de multiples événements de réassortiments. Ces derniers ont ainsi abouti, depuis les premières alertes du passage du H5N1 chez l’homme en 1997, à des virus qui ont changé nos connaissances en matière de grippe ou de peste aviaire. Plus récemment, la genèse des virus que l’on a appelés porcins, puis mexicains, puis A(H1N1), a résulté de nombreux réassortiments, lesquels ont collecté des gênes toujours, semble-t-il, par l’intermédiaire du porc. Le phénomène est beaucoup plus fréquent qu’on ne le pensait auparavant.
Les mutations, quant à elles, sont des erreurs de copiage lors de la synthèse des patrimoines héréditaires des virus « fils ». Ce sont des changements discrets. Mais ils sont cumulatifs et peuvent entraîner une modification importante des propriétés du virus et se produire à plusieurs endroits. Là encore, des mutations peuvent, en dépit d’un contexte connu, faire apparaître des propriétés inattendues. Ces mutations ne nécessitent pas des virus différents chez un même individu infecté. Enfin, c’est un phénomène que l’on constate très fréquemment.
À propos justement de cette fréquence, on entend souvent dire que le virus mute. Certes, mais il n’a jamais cessé de muter ! C’est même l’une des caractéristiques des virus à ARN, puisque c’est l’ARN – ou acide ribonucléique – qui porte le patrimoine génétique des virus grippaux. Les taux de mutation de ces virus sont estimés de 1 sur 1 000 à 1 sur un million par an, et si l’on prend un constituant basique de ce code génétique du virus, ce taux oscille entre 1 sur 10 000 et 1 sur 100 000. Cela signifie que si l’on a un patrimoine génétique de plus de 10 000 unités – sachant qu’en la matière la molécule repose sur un code de quatre éléments : A, U, G, C –, on assiste mécaniquement, en cas de multiplication – in vitro ou chez l’individu, homme ou animal – à un mélange de génomes viraux. Un tel mécanisme introduit donc de la diversité et, éventuellement, de nouvelles propriétés au sein de la population virale. Le fait que ces populations de virus soient en compétition et en évolution n’est pas un phénomène strictement limité aux virus grippaux. On l’observe avec le virus de la polio chez l’homme, avec le virus de la fièvre aphteuse chez l’animal, ou encore avec le virus du sida. C’est dans ce contexte général que s’inscrit le virus de la grippe.
Cette fréquence d’évolution signifie-t-elle que le virus mute ? Si l’on prend le domaine le plus variable de l’hémagglutinine des virus saisonniers H3N2, le taux d’évolution entre 1984 et 1996 a été estimé à environ 6 dix puissance moins troispar site et par an, soit, pour chaque site, 1 sur 10 000 par semaine, soit 1,3 mutation en moyenne, par semaine, pour un génome de la taille du virus grippal. Si l’on prend le taux de mutation par cycle viral – soit dix à douze heures –, le taux est de 1,4 dix puissance trois mutation par semaine.
Bien sûr, des études seraient nécessaires pour quantifier ces fréquences de manière plus précise et pour les adapter au nouveau virus A(H1N1). Mais en restant sur ces ordres de grandeur, le réseau des GROG ayant estimé, pour la semaine 47, que 712 000 individus avaient été infectés, cela signifie, pour cette seule semaine, qu’en France seulement, des milliers de mutations sont apparus. Le phénomène a donc lieu partout autour de nous. Il faudrait, pour observer ces milliers de mutations, procéder au séquençage du génome de tous les virus. Les efforts faits en ce domaine par les deux centres nationaux de référence sont énormes, mais ils concernent les segments les plus importants, notamment l’hémagglutinine et la neuraminidase. Heureusement, la majorité de ces mutations n’ont pas d’impact. Mais pour les virus grippaux, notamment lorsqu’ils passent la barrière de l’espèce, on assiste, globalement, à une sélection positive de type darwinien.
Certaines mutations, que l’on appelle non synonymes, auront un impact sur la constitution des protéines. Elles peuvent affecter une fonction enzymatique, par exemple la neuraminidase. Une mutation peut donc entraîner la résistance à un, voire à plusieurs antiviraux. S’il s’agit de la fonction d’attachement du virus aux cellules CIF, c’est-à-dire si l’on change la clé d’entrée du virus dans les cellules en lui permettant de pénétrer davantage de types cellulaires, cela peut provoquer un changement de tropisme – notamment la fameuse mutation annoncée en Norvège, puis dans d’autres pays comme la France – et prédisposer le virus à coloniser des parties plus profondes de l’appareil respiratoire et donc prendre éventuellement un caractère pathogène plus important.
Les mutations peuvent affecter d’autres segments. Elles peuvent toucher des sites antigéniques – les cibles des anticorps –, suscités soit par l’infection soit par la vaccination, et avoir un impact plus ou moins grand sur l’efficacité vaccinale. J’en profite pour dire que les adjuvants type émulsion, tels qu’ils ont été développés, ont comme avantage d’offrir non seulement une réponse plus intense, mais aussi un spectre beaucoup plus large, ce qui nous affranchit des mutations qui nous obligent à adapter le vaccin saisonnier.
Dispose-t-on des moyens de ralentir la propagation du virus ? Selon moi, il est beaucoup trop tard pour arrêter sa transmission. Toutes les études menées sur le virus de la grippe aviaire hautement pathogène H5N1 n’ont-elle pas conclu qu’il fallait agir au moment de l’introduction du virus dans les populations humaines ? Une fois que le virus est adapté – ainsi qu’on a pu malheureusement le constater avec le nouveau virus A(H1N1) –, il est déjà trop tard. Dès lors qu’il a colonisé tous les continents en quelques semaines, il est illusoire de penser que l’on peut arrêter sa propagation. En revanche, il est possible d’en limiter les effets sur la santé publique.
Sachant que si l’on veut la paix, il faut préparer la guerre, il faut donc se doter d’armes, même si l’on sait bien que celles-ci peuvent être prises en défaut. Le virus peut en effet trouver une parade. C’est ainsi qu’une mutation sur la neuraminidase peut tout d’un coup entraîner une diminution de sensibilité à un antiviral et rendre inutile un stock de plusieurs millions de traitements. De même, une mutation peut très bien modifier le tropisme du virus pour entrer et infecter le poumon tandis qu’une ou plusieurs mutations peuvent diminuer l’efficacité du vaccin sans adjuvant. Par ailleurs les mutations peuvent se