N° 3716 N° 782
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ASSEMBLÉE NATIONALE SÉNAT
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2010 - 2011
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Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale Enregistré à la présidence du Sénat
le 23 août 2011 le 23 août 2011
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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
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LES ENJEUX DES METAUX STRATEGIQUES :
LE CAS DES TERRES RARES
Compte rendu de l’audition publique du 8 mars 2011
et de la présentation des conclusions, le 21 juin 2011
Par MM. Claude Birraux et Christian Kert, députés,
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Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale Déposé sur le Bureau du Sénat
par M. Claude BIRRAUX, par M. Bruno SIDO
Président de l'Office Premier Vice-Président
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SOMMAIRE
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Pages
M. Claude Birraux, député, président de l’OPECST 5
M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST 7
Première table ronde : « Le cas des terres rares » 9
M. Benoît Richard, directeur de la stratégie à Saint-Gobain Solar 16
M. François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la Recherche Stratégique 19
M. Éric Noyrez, Président et Chief operating officer de Lynas Corp, Australie 21
M. Frédéric Carencotte, Directeur industriel de Rhodia Terres Rares 25
Allocution d’ouverture de la deuxième table ronde 33
Deuxième table ronde : « Quel futur pour les métaux stratégiques ? » 37
M. Christian Hocquard, expert économiste, service des ressources minérales, BGRM 37
M. Marcel Van de Voorde, professeur à l’Université de technologie de Delft, Pays-Bas 44
M. Philippe Joly, Directeur de la stratégie et de la communication financière, Groupe ERAMET 49
M. Claude Birraux, député, président de l’OPECST. Le sénateur Sido, premier vice-président, Christian Kert et moi-même sommes heureux de vous accueillir, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, pour évoquer les enjeux des métaux stratégiques et, plus particulièrement, le cas des terres rares.
Je voudrais, tout d'abord, remercier monsieur le ministre de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique d'avoir bien voulu accepter, malgré ses nombreuses obligations, de prononcer l'allocution d'ouverture de la deuxième table ronde, confirmant ainsi l'intérêt que porte le Gouvernement au rôle de passerelle entre société, mondes scientifique, industriel et politique, dévolu à l'Office parlementaire.
Celui-ci a été créé en 1983, afin de permettre au Parlement d'évaluer, en toute indépendance, les enjeux stratégiques et sociaux des avancées scientifiques et technologiques. Seul organe commun aux deux chambres du Parlement, il réunit dix-huit députés et dix-huit sénateurs, désignés à la proportionnelle par les groupes politiques des deux assemblées. Pour réaliser une étude, il doit être saisi par un organe interne au Parlement : commission permanente, groupe politique ou Bureau de l'une des assemblées. Les rapporteurs désignés s'appuient sur quelques principes de méthodologie qui ont fait leur preuve au fil du temps. Ils s'entourent d'un comité de pilotage scientifique où sont représentées les différentes disciplines concernées, y compris les sciences de l'homme et de la société. Ils auditionnent toutes les parties prenantes. Ils se rendent sur quelques sites clefs à l'étranger, la composante internationale étant essentielle à la compréhension objective d'une situation. Ils fondent leurs conclusions sur la bibliographie scientifique la plus récente et la plus réputée. C’est ce qui leur permet ensuite, en croisant les informations, de forger leur opinion. Le respect de cette méthode rigoureuse garantit la qualité des rapports de l’Office. L’élaboration de ces rapports, souvent considérés comme des références durant de nombreuses années, nécessite une implication et un travail extrêmement importants de la part des parlementaires. Cela explique que l'Office ait joué, et continue à jouer, un rôle déterminant dans de nombreux domaines, comme l'énergie, la bioéthique ou la réflexion sur la stratégie de recherche.
La question du rapport entre science et société étant aujourd'hui prégnante, l’Office remplit, par ailleurs, une mission de dialogue avec les milieux scientifiques, qui ne lui était pas dévolue par la loi qui l’a créé. Ce dialogue a d'abord lieu à travers le Conseil scientifique de l'Office, lequel réunit vingt-quatre scientifiques reconnus dans leurs disciplines respectives. Par ailleurs, les membres de l'Office vont régulièrement à la rencontre des chercheurs dans les laboratoires et instituts de recherche. Enfin, depuis plusieurs années, un partenariat avec l'Académie des sciences permet, en associant jeunes chercheurs et parlementaires, d'assurer une meilleure compréhension entre scientifiques et politiques et de mieux prendre en compte les préoccupations des uns et des autres.
Je reviens au thème que nous allons aborder aujourd'hui : les enjeux des métaux stratégiques. Son actualité ne fait aucun doute sur le plan politique, ainsi qu'en témoignent la création, récemment annoncée par M. Éric Besson, du Comité pour les métaux stratégiques, lequel sera représenté aujourd'hui par son Secrétaire général, M. François Bersani, ingénieur général des mines, ou encore les mesures annoncées par la Commission européenne qui nous seront expliquées par M. Gwenoele Cozigou, dont la direction a notamment en charge les matières premières.
Les industries françaises et européennes recourent en effet de façon croissante à ces métaux peu connus, car produits en faibles quantités, mais pourtant indispensables à la fabrication d'équipements aussi variés que les catalyseurs de nos véhicules à essence, les ampoules basse consommation, les batteries de nos téléphones ou, demain, de nos véhicules électriques, les moteurs électriques destinés à ces mêmes véhicules, aux disques durs de nos ordinateurs ou aux éoliennes, ou encore les panneaux photovoltaïques les plus performants.
Le cas des terres rares a récemment montré que l'accès à ces matières premières essentielles n'allait pas de soi et nécessitait donc une vigilance toute particulière. La première table ronde, présidée par Christian Kert, a précisément pour objectif d'expliciter les spécificités et l'importance de ces terres rares, les conditions de survenue de cette crise et de présenter des solutions concrètes, en cours de mise en oeuvre. La deuxième table ronde permettra d'élargir la réflexion, en se demandant comment identifier les métaux indispensables à notre industrie et comment garantir leur approvisionnement.
Retranscrite sur le portail de l'Office, cette audition permettra d'éclairer le Parlement sur ces questions. Elle donnera également lieu à la publication d'un rapport qui reprendra intégralement le contenu de nos débats, et sera, le cas échéant, complété des conclusions que Christian Kert, Bruno Sido et moi-même présenterons devant nos collègues de l'OPECST, pour fixer les grandes lignes d'analyse et ouvrir des perspectives – leçons à tirer et les mesures à prendre.
Avant de donner la parole à Bruno Sido, qui évoquera, en quelques mots, la genèse de cette audition, je voudrais rappeler certains de ces éléments rares à ceux qui ne les connaîtraient pas : le scandium, l’ytrium, le lanthane, le cerium, le néodyme, le prométhium, le samarium, l’europium … Les terres rares ne seraient-elles pas en fait l’opium du peuple de l’innovation ? (Sourires.)
M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST. La question des terres rares a surgi fin 2010 au premier plan de l'actualité, après l'annonce par la Chine d'un embargo sur ces matières à l’encontre de son voisin japonais. Cette mesure de rétorsion était consécutive à l'arrestation, à proximité des îles Senkaku, par les gardes-côtes japonais, d'un capitaine de bateau de pêche chinois qui venait de les éperonner. Cet incident a ranimé, entre les deux pays, une querelle, remontant au XIXe siècle, autour de ce petit archipel. A cette occasion, nous avons été nombreux à découvrir, tout à la fois, l'importance des terres rares pour nos industries de pointe et l'incroyable position de quasi monopole – on parle de plus de 95 % de la production – prise par la Chine.
Il nous a semblé indispensable d'apporter aux parlementaires un éclairage plus précis sur cette question. Puis très vite, nous avons souhaité étendre cette réflexion, afin d'identifier, au-delà des terres rares, les autres métaux critiques pour nos industries et les mesures susceptibles de limiter les effets d'éventuelles tensions sur leur approvisionnement.
PREMIÈRE TABLE RONDE :
« LE CAS DES TERRES RARES »
Présidence de M. Christian Kert, député
M. Christian Kert, député. La tension survenue entre la Chine et le Japon a déclenché toute une série d’interrogations à propos des terres rares. Qu’est-ce qui fait leur spécificité ? Quelles en sont les applications actuelles et futures ? Comment la Chine est-elle parvenue à prendre une telle position en ce domaine ? Quelles sont les conséquences de cette situation ? Combien de temps faudra-t-il pour trouver d’autres sources d’approvisionnement ? Quelles mesures envisager ? Tel est le thème général de cette première table ronde. Paul Caro, membre de l’Académie des technologies, va tout d’abord nous présenter les terres rares, leurs caractéristiques et leurs principales applications.
M. Paul Caro, membre de l’Académie des technologies, ancien sous-directeur du Laboratoire des terres rares du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Je voudrais souligner ce qui fait l’originalité des terres rares, éléments peu connus, dont on parle un peu à l’université, mais jamais à l’école.
Groupe d’éléments de la classification périodique, elles sont au nombre de 17 : le scandium, l’yttrium et le lanthane, et les 14 lanthanides : le cérium, le praséodyme, le néodyme, le prométhium, le samarium, l’europium, le gadolinium, le terbium, le dysprosium, l’holmium, l’erbium, le thulium, l’ytterbium et le lutétium.
Tableau périodique des éléments
Les terres rares ont toutes les mêmes propriétés chimiques : on ne peut les séparer qu’en profitant de la légère variation du rayon des ions trivalents et, pour certaines d’entre elles, des changements de valence. Ce fut un obstacle historique à la séparation et à l’identification de ces éléments, connus et répertoriés dès le XVIIIe siècle, notamment en Suède et en France – par Vauquelin. Les Français se sont d’ailleurs particulièrement illustrés dans cette entreprise de patience, en particulier Georges Urbain et Lecoq de Boisbaudran.
Ces problèmes de séparation et d’identification n’ont été résolus que dans le cadre du Manhattan Project, par un procédé d’échanges d’ions sur résines, lent mais efficace. C’est à Ames, en Iowa, qu’a été construite l’usine de séparation des terres rares qui joua un rôle historique et permit, dans les années soixante, de disposer de terres rares en grandes quantités. Les Américains envisagèrent alors de construire un avion à propulsion nucléaire. Le projet n’aboutit pas, mais l’yttrium nécessaire devint disponible pour une autre aventure industrielle : celle de la télévision en couleur.
Les terres rares, en particulier les lanthanides, possèdent, par ailleurs, des configurations électroniques uniques, formées d’électrons f, qui vont conserver, à l’état condensé dans les solides, les propriétés des atomes libres, un cas unique parmi tous les éléments.
Niveaux d'énergie des électrons 4f de différentes
terres rares (extrait d’un livre de G.H. Dieke)
Les spectres d’absorption et d’émission des lanthanides dans les solides sont composés de raies fines, qui peuvent être mesurées avec une très grande précision expérimentale. Cela permet de dégager des luminescences qui sont à la base de l’industrie de haut niveau : rouges pour la télévision couleur et infrarouges pour les lasers.
Les terres rares constituent un défi pour la théorie quantique.
Les spectres des atomes contenant un grand nombre d’électrons (atomes lourds) sont très riches et leur explication quantitative n’a été possible que vers le début des années soixante par la combinaison d’un formidable outil théorique qu’est l’algèbre de Racah (un chercheur israélien), de l’application de la théorie des groupes continus et de l’ordinateur. Ces terres rares ne peuvent être comprises que par un important support mathématique.
Les terres rares, qui permettent de réaliser des matériaux clefs, jouent un grand rôle dans les technologies du quotidien : si leurs premiers usages ont été la pierre à briquet et les céramiques, on les trouve maintenant, grâce à leurs propriétés réfractaires et à leur utilisation dans la fabrication des aimants, dans les télévisions en couleur, le son portatif, les turbines des jets, les pots catalytiques des automobiles, les batteries des téléphones portables, les alliages magnétiques, etc.
M. Christian Kert. Je donne maintenant la parole à M. Michel Latroche, dont l’intervention va porter sur les axes de recherches et les possibilités de développement des matériaux à base de terres rares.
M. Michel Latroche, directeur de recherche au CNRS (Institut de chimie et des matériaux de Paris-Est). Le domaine étant très vaste, il est difficile d’être exhaustif sur ce sujet et je me limiterai à vous présenter une dizaine d’axes de recherche, développés dans les laboratoires, qui peuvent, potentiellement, déboucher sur des applications.
L’intérêt des terres rares tient à leurs propriétés chimiques, souvent liées à l’état de valence et au nombre d’électrons Z qu’elles portent, à leurs propriétés physiques, mais surtout à leurs propriétés électroniques remarquables, liées aux quatorze orbitales 4f.
En ce qui concerne les lasers, les cristaux dopés aux terres rares sont utilisés dans de multiples applications : ophtalmologie, chirurgie esthétique, spectacles ou guidage balistique des armes.
Les aimants permanents sont une autre grande application. Prises seules, les terres rares n’ont pas grand intérêt comme aimant, mais elles deviennent intéressantes quand on les allie avec des métaux de transition
Exemple d'une application d’un alliage métaux rares / métaux de transition :
les aimants permanents
Là encore, les applications sont multiples : balais des moteurs électriques (véhicules électriques et véhicules hybrides), générateurs des grosses éoliennes offshore, enregistrement magnétique haute densité (disques durs).
Autre application possible, la réfrigération magnétique s’explique par un phénomène relativement bien connu : l’effet magnétocalorique, propriété intrinsèque des matériaux, qui se traduit par une variation réversible de leur température sous l’action d’un champ magnétique. Par rapport aux compresseurs à gaz, leur utilisation dans la réfrigération, le conditionnement d’air ou les pompes à chaleur, permet d’éviter le recours aux CFC (gaz à effets de serre) et aux pièces en mouvement (fiabilité), ainsi que le bruit.
Exemple d'une application de terres rares : la réfrigération magnétique
En venant insérer une nanoparticule magnétique au sein d’une entité biologique, les applications médicales des terres rares sont nombreuses : agents de contraste en imagerie par résonance magnétique, relargage contrôlé de substances associées aux particules magnétiques, catabolisme de tumeurs par hyperthermie.
Exemple d'une application de terres rares : nano particules à but thérapeutique
La catalyse représente également un pan très important des recherches sur de nombreux matériaux : pots catalytiques, polymérisation, pétrochimie, etc. La production d’hydrogène à partir de la biomasse, sans émission de CO2, est une voie particulièrement prometteuse.
Les propriétés chimiques des terres rares sont également utilisées dans les céramiques à haute température : aubes de turbines de réacteurs, industrie nucléaire (par exemple, ITER). C’est aussi un axe de recherche très important.
Exemple d'une application de terres rares : les céramiques hautes températures
On ne peut pas parler des terres rares sans évoquer les supraconducteurs à haute température, les cuprates, découverts dans les années quatre-vingts. Les applications sont très importantes en recherche : électroaimants à fort champ (CERN, ITER, imagerie médicale), transport d’énergie – en Corée, un projet de ligne à haute tension, de 48 km, s’appuie sur ce type de technologie – espoirs de stockage d’énergie en bobine supra de type SMES. Dans ces domaines, la difficulté est d’obtenir des rubans conducteurs à forte densité de courant. Ce problème peut être résolu, par des dépôts de couches successives à base de terres rares depuis un ruban métallique jusqu’au matériau supraconducteur.
Il faut également citer les accumulateurs alcalins type Ni-MH, qui servent au stockage de l’électricité. Ils sont moins coûteux, plus robustes que le Li-ion. Tous les véhicules hybrides commerciaux sont équipés à ce jour de ce type de batteries. Les électrodes de ces accumulateurs sont aujourd’hui basées sur des alliages de type LaNi5. Des programmes de recherches sont actuellement menés pour développer des alliages plus légers, augmenter l’énergie massique embarquée, et ainsi améliorer les performances de durée de vie en cycles. Les applications sont nombreuses : batteries pour le transport – le tramway de Nice en est équipé pour ses parties sans caténaires –, batteries de secours (éclairage, aviation, ferroviaires), outillage portable.
Mon dernier exemple d’application est lié aux propriétés physiques des terres rares : les poisons neutroniques consommables sont utilisés dans les réacteurs nucléaires, pour contrôler la criticité de la réaction en chaîne. Un des objectifs des travaux en cours est d’optimiser, grâce à l’erbium, la composition du poison neutronique, et d’homogénéiser sa répartition à l’intérieur des réacteurs, afin de développer des réacteurs de nouvelle génération.
Exemple d'une application de terres rares : les poisons neutroniques consommables
Je terminerai en signalant que la communauté scientifique est très active en ce domaine : en 2012, la huitième conférence internationale sur les éléments f regroupera plusieurs centaines de chercheurs à Udine, en Italie.
M. Christian Kert. Nous pouvons passer à un exemple d’application industrielle, qui est d’ailleurs d’une grande actualité. En effet, M. Benoît Richard va maintenant nous parler de l’énergie solaire photovoltaïque.
M. Benoît Richard, directeur de la stratégie à Saint-Gobain Solar. J’évoquerai l’énergie solaire photovoltaïque, qui est en effet sur le devant de la scène, sous l’angle particulier des terres rares.
Les deux premiers transparents qui vous sont présentés permettent de voir l’objet et le produit fini, une maison couverte de panneaux solaires ainsi que vous donner une vision micrométrique des couches minces que nous déposons et qui contiennent des éléments rares, en l’occurrence plutôt des métaux rares, comme l’indium, le sélénium ou le gallium que des terres rares.
Mon exposé portera sur trois grandes questions : d’abord, la raison pour laquelle une technologie comme le photovoltaïque, susceptible d’utiliser des matériaux parmi les plus abondants, tel le silicium, fait appel aux métaux rares et l’étendue des besoins à venir dans ce domaine ; ensuite, le cas particulier de la technologie CIGS (cuivre, indium, gallium, sélénium) ; enfin, la situation particulière de l’indium.
Pourquoi le groupe Saint-Gobain croit-il fortement à l’énergie solaire ? D’abord parce que c’est une source d’énergie inépuisable et sans doute l’énergie renouvelable qui présente le plus fort potentiel de développement. En 2007, le marché était de dix milliards d’euros ; en 2010, il a atteint cinquante milliards, pour dix-sept gigawatts installés dans le monde. Ensuite, parce que cette énergie permet, à la fois la production centralisée et décentralisée d’électricité, ce qui est tout à fait unique. Enfin, parce que, même si les subventions sont nécessaires pendant une certaine période, nous croyons profondément que la baisse des coûts est possible et va générer une électricité à un coût acceptable. Nous verrons l’influence que peuvent avoir des matériaux rares sur cette baisse des coûts.
Nous ne sommes pas, au départ, spécialistes des terres rares, même si nous faisons quelques cristaux laser et quelques céramiques dopées à l’yttrium. Cela dit, nous sommes des experts dans le dépôt de couches métalliques de faible épaisseur, qui permet de créer des produits photovoltaïques. Par ailleurs, ces produits peuvent avoir, dans quelques années, d’importantes applications dans l’habitat, notamment sur toutes nos toitures, qui est l’axe stratégique de développement du groupe Saint-Gobain.
L’activité solaire que nous avons structuré fournit en composants des fabricants de modules photovoltaïques, fabrique des modules photovoltaïques avec des éléments rares, en l’occurrence l’indium (modules CIGS, fabriqués par la filiale Avancis), enfin, distribue des toitures complètes.
La grande question est la compétitivité future de cette industrie. Des subventions sont aujourd’hui nécessaires pour accompagner le développement du marché photovoltaïque. Grâce à ces subventions, nous avons atteint des volumes tels, que tous les pays d’Europe sont forcés de freiner l’emballement du marché. Ceci s’accompagne d’une forte baisse des coûts qui nous rapproche plus vite d’une énergie compétitive, c’est-à-dire à dix centimes d’euros du kilowatt et, sur une génération centralisée dans des pays ensoleillés, à des coûts de génération de soixante euros du mégawatt.
En utilisant le silicium cristallin, élément abondant, nous doutons de la possibilité de réduire les coûts à un niveau suffisant. La poursuite de la croissance suppose donc d’aller vers ces technologies de couches minces, plus économiques en termes de procédés, mais qui font appel à ces éléments rares, dont l’indium. C’est le choix qu’a fait Saint-Gobain
Pour parvenir à ces dix centimes le kilowatt qui rendent la technologie compétitive, il faut pouvoir installer un système en dessous de deux euros par watt, ce que permet notre module utilisant l’indium, le sélénium, le cuivre et le gallium, avec un coût cible d’un demi euro par watt. On peut alors s’attendre à des volumes très importants, jusqu’à cinquante ou cent gigawatt installés annuellement. D’où la question de la disponibilité des métaux rares utilisés pour améliorer la compétitivité de cette industrie.
Le CIGS n’est pas la technologie prépondérante, laquelle consiste à fabriquer des cellules de deux cents microns d’épaisseur de silicium, élément particulièrement abondant, encapsulées entre différentes couches de plastique et de verre.
Comparaison entre les technologies silicium et CIGS de panneaux photo-voltaïques
Mais la part de marché de cette solution est en baisse, car la diminution des subventions nécessite d’utiliser des procédés plus compétitifs, comme les couches minces, et d’aller chercher dans ces procédés les matériaux qui offriront les plus forts rendements.
Je ne rentrerai pas dans le détail des caractéristiques exactes de l’indium qui en font un semi-conducteur à fort rendement dans le procédé photovoltaïque. Toujours est-il que lorsque l’on compare diverses combinaisons d’éléments comme le silicium, le tellure de cadmium et le CIGS, ce dernier apparaît comme le semi-conducteur qui offre le plus fort rendement, donc qui transforme le plus de radiations du soleil en électricité. C’est, par ailleurs, le matériau qui permet une bonne captation d’irradiation, donc qui va fabriquer le plus de kWh. Tous ces procédés de couches minces ayant des coûts au mètre carré à peu près similaires, c’est le coût au watt le plus bas qui déterminera le meilleur rendement ; d’où l’importance de mener cette recherche sur ces matériaux.
Nous avons une marge de progression, entre une production industrielle, aujourd’hui à 12 %, qui atteindra, en quelques années, les rendements de 20 % des meilleures cellules actuelles dans le monde, en CIGS.
Dès lors que les cellules contenant de l’indium, sous-produit du zinc, revêtent une telle importance, avant d’engager des investissements très importants, le groupe Saint-Gobain a lancé un premier niveau d’études sur la disponibilité des différents éléments. Sa production actuelle – mille deux cents tonnes par an – a assez fortement augmenté ces dernières années en raison surtout de son utilisation dans les écrans plats. Produit à plus de 70 % en Chine, son prix est de six cents dollars le kilogramme, mais il est extrêmement volatile. Outre les problèmes de disponibilité, des questions économiques se posent.
Quelques ordres de grandeur : quand on fabrique un module CIGS, d’à peu près cent trente watts, on utilise environ cinq grammes d’indium, donc 0,04 grammes par watt. Le marché atteint actuellement dix-sept gigawatts, sachant que la plupart de ces modules sont fabriqués en silicium. Pour fabriquer un gigawatt de module, il faut trente huit tonnes de CIGS. Par rapport aux mille deux cents tonnes de production annuelle, ce volume est relativement faible, même s’il commence à être significatif.
Aujourd’hui, nous ne prévoyons pas de difficulté à court terme. En revanche, nous considérons que nous avons une identification trop limitée des réserves et des capacités d’affinage. Il sera très important de suivre l’évolution de l’utilisation pour les écrans plats et de voir si l’on trouve un matériau de substitution. Quoi qu’il en soit, nous mettons déjà en place des actions préventives responsables. A court terme, il s’agit de sécuriser et de diversifier les approvisionnements. Aujourd’hui, nous avons l’opportunité de signer des contrats à long terme, même sur dix ans, et de lancer des études poussées sur la disponibilité et les coûts associés, que ce soit sur les ressources minières ou sur la capacité d’en extraire notamment de l’indium.
Nous menons des actions au quotidien pour réduire la consommation. En effet, en augmentant le rendement au mètre carré et en diminuant l’épaisseur du semi-conducteur, aujourd’hui de trois à quatre microns, nous espérons réduire de moitié la consommation. On peut aussi limiter la perte de matériau dans le processus de fabrication lui-même. Tout cela peut faire passer la consommation de quarante à quinze tonnes par gigawatt à l’horizon 2020.
Une action, à plus long terme, d’ailleurs recommandée par le Gouvernement dans les futurs décrets sur le photovoltaïque, consiste à obliger les industriels à inclure les métaux rares dans le programme de recyclage des panneaux en fin de vie. Leur durée étant de vingt à trente ans, on n’aura pas à traiter ce problème tout de suite, mais il faut s’y intéresser dès aujourd’hui. Nous participons donc activement à une association européenne qui travaille sur ce sujet.
Enfin, des dizaines d’années de recherche sont nécessaires pour trouver des combinaisons d’éléments meilleures que les combinaisons précédentes. Nous avons donc engagé des programmes de recherche et développement à long terme, afin de faire évoluer la composition chimique du semi-conducteur pour qu’il remplace un élément qui deviendrait trop peu disponible.
M. Christian Kert. Nous en venons aux aspects géopolitiques des terres rares, thème de l’intervention de M. François Heisbourg.
M. François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la Recherche Stratégique. Je ne suis ni géologue, ni chimiste, ni physicien, ni métallurgiste.
Il y a bien une géopolitique des minerais, pour lesquels on peut aller jusqu’à la guerre : il y a cent dix ans, les Britanniques ont attaqué les Boers pour prendre le contrôle des mines d’or de la région de Johannesburg. On lutte par toutes sortes de moyens pour assurer son accès aux minerais jugés stratégiques. Ainsi, pendant la Deuxième guerre mondiale, l’Allemagne voulait obtenir en Espagne, au Portugal, en Finlande et en Turquie, l’accès au tungstène, au chrome ou au nickel, dont elle avait besoin pour ses munitions, et les Alliés voulaient l’en empêcher. À la même époque, les Américains se sont assurés le contrôle des mines d’uranium alors connues, au Congo belge et au Canada. Pour sa part, la France a cherché, pour sa force de frappe, à obtenir, au Niger, en Namibie, etc., de l’uranium libre d’emploi.
Pendant la Guerre froide, le « jeu » consistait à naviguer entre des gisements soviétiques – qui nous étaient par définition interdits – et une concentration de métaux dans des endroits où l’on aurait préféré qu’ils ne fussent point : l’Afrique du Sud pour le vanadium, le molybdène, etc., le Congo Kinshasa pour le cobalt.
Très récente, la géopolitique des terres rares est très différente. Elle est tout d’abord paradoxale : une des caractéristiques des terres rares est qu’elles sont relativement également réparties dans le monde. A la différence des métaux que j’ai évoqués précédemment, si les terres rares posent un problème technique de récupération, compte tenu de leur teneur très faible, elles ne posent pas de difficulté géopolitique a priori. Si l’on veut de l’yttrium, du néodyme, du cérium, du lutétium, etc, on en trouve au Brésil, en Afrique du Sud, en Australie, au Canada, en fait à peu près partout. Mais, et c’est le paradoxe, la Chine dispose d’un quasi monopole : elle concentre 97 % de la production mondiale des terres rares, tous éléments confondus, alors même qu’elle n’est créditée que de 37 % des réserves prouvées. D’où un grand écart, source, comme toujours, d’instabilité.
Cela m’amène à la volatilité, deuxième grande caractéristique de cette géopolitique. Bien que cette dernière ait à peine soixante-dix ans, elle a déjà connu trois phases bien distinctes. Lors de la première phase, avant 1965, l’extraction s’est déroulée en Afrique du Sud, au Brésil, en Inde, mais la production totale était marginale : moins de dix mille tonnes par an, toutes matières confondues.
Lors de la deuxième phase – le temps de la télévision pour reprendre les termes du professeur Caro –, entre 1965 et 1985, les États-Unis sont, de loin, les premiers exportateurs de terres rares. Sans qu’ils soient en situation de monopole, leur prépondérance est marquée, tandis que les quantités deviennent plus importantes, autour de cinquante mille tonnes par an.
À partir de 1985, on passe à la prépondérance, puis au quasi-monopole, de la Chine, qui réalise entre 90 et 97 % des exportations mondiales, avec une offre dépassant les cent mille tonnes, peinant à satisfaire une demande excédentaire de quelque quarante mille tonnes par an.
Dans cette géopolitique, la Chine joue les terres rares de manière à la fois géoéconomique et géostratégique. On a vu un exemple, spectaculaire, de géostratégie, avec, aussitôt après l’incident naval des îles Senkaku, fin 2010, un embargo chinois vers le Japon qui ne dit pas son nom. En matière géoéconomique, la Chine joue sur les quantités exportées, non seulement parce que des choix doivent être faits, dès lors qu’il n’est pas possible de satisfaire tout le monde, mais aussi par volonté délibérée de faire pression sur les sociétés utilisatrices de terres rares, afin de s’assurer qu’elles vont installer en Chine les parties correspondantes de leur chaîne de valeur. C’est ce qui s’est produit, en 2006, lorsque General Motors a du transplanter des États-Unis vers la Chine son centre de recherche et développement sur les micro-aimants nécessaires aux véhicules hybrides ou électriques : il est peu vraisemblable que l'entreprise aurait sauté le pas sans l’incitation que constituait le monopole chinois. La Chine mise donc sur le rapport de forces.
Cela nous amène au dernier temps de cette situation géopolitique, qui paraît d'autant moins durable que les prix flambent – le néodyme, par exemple, est passé, courant 2010, de cinquante à deux cents dollars le kilo. Dans ces conditions, des gisements abandonnés redeviennent rentables, des gisements nouveaux deviennent intéressants et le recyclage mérite d'être regardé. En 2010, les exportations de terres rares vers le Japon sont réduites de 40 % alors même que les besoins japonais s'accroissent rapidement, notamment avec la Toyota Prius : un million de Prius produites, c'est mille tonnes de néodyme pour les aimants et dix mille à quinze mille tonnes de lanthane pour les batteries.
En 2009, l'État central chinois impose sa tutelle directe sur l'essentiel de la production de terres rares, pour des raisons légitimes – écologie, lutte contre la contrebande – mais aussi pour pouvoir conduire sa géopolitique des terres rares.
Du fait de l'insuffisance des exportations chinoises et de l'augmentation forte des prix, il devient nécessaire et rentable de remettre en activité des gisements. Cela se traduit notamment, aux États-Unis, par la réouverture de l'ancienne mine de Mountain Pass, en Californie. De même, l'extraction de terres rares a redémarré en Estonie et représente 2 % des exportations mondiales.
Il convient aussi de s’intéresser à l'exploration et au développement de nouveaux gisements, qui concernent en particulier l’Australie, le Groenland du Sud, le Nebraska, le Canada, l’Asie centrale, le Vietnam – avec lequel le Japon a signé un accord à la suite des incidents avec la Chine.
Le recyclage, naguère inexistant, puisque les terres rares n'étaient pas exploitées à l'échelle industrielle, est désormais possible. On en trouve une illustration dans l’automobile : avec la multiplication des voitures hybrides, les proportions récupérables deviennent intéressantes et les perspectives s'accroissent. On évoque le chiffre de trois cent mille tonnes de terres rares récupérables au Japon, sans que j’ai pu valider ce chiffre.
Si les lois de l'économie fonctionnent, on peut donc penser que le monopole de la Chine est appelé à s'éroder, d'ici cinq à dix ans.
Cela suppose, toutefois, un effort délibéré en faveur du recyclage. La communication de la Commission européenne du 2 février dernier en fait brièvement état. Il faut aussi envisager la constitution de stocks stratégiques. Je suis toutefois prudent sur ce sujet car, lorsque l'on est dépendant en quasi-totalité d'un fournisseur unique, et que les prix s'envolent, le moment n'est sans doute pas le mieux choisi pour constituer des stocks.
M. Christian Kert. Je donne maintenant la parole à Éric Noyrez, qui représente la société Lynas et qui va nous expliquer comment assurer une exploitation minière fiable et durable des terres rares.
M. Éric Noyrez, Président et Chief operating officer de Lynas Corp, Australie. François Heisbourg a bien présenté la palette des solutions.
Cela a été dit, on utilise les terres rares au quotidien dans les technologies, qu’elles soient traditionnelles ou nouvelles. On peut affirmer, par ailleurs, que les terres rares ne sont pas rares. Ainsi, si la Chine représente aujourd'hui 97 % des exportations mondiales, elle ne dispose que de 35 % des réserves. Le reste est réparti un peu partout dans le monde, la concentration dans le sol variant toutefois beaucoup.
La situation actuelle tient probablement à la politique d'achat des Européens, des Américains et des Japonais, au cours du temps. Il est important de le comprendre pour trouver des solutions durables. Aujourd'hui, les terres rares sont présentes dans les lampes à économie d'énergie, les éoliennes, les écrans d'ordinateurs, les disques durs, les automobiles, les raffineries de pétrole. Mais leur proportion dans les produits est très faible. On pourrait les comparer aux vitamines, c'est-à-dire à quelque chose qui, d'un point de vue isolé, n'a pas beaucoup d'importance, mais qui permet, toutefois, de modifier quelque peu le comportement du corps humain et, ici, du matériau dans lequel elles se trouvent.
Pendant vingt ans, il y a eu peu d’acheteurs et beaucoup de producteurs. On a évoqué Mountain Pass, en Californie, qui a été, un temps, le premier producteur mondial. Un incident écologique a précipité l'arrêt de la mine, mais le problème économique était préexistant. En 2004, alors que je présidais une des divisions de Rhodia, j'ai visité la Mongolie intérieure pour voir quels étaient nos principaux fournisseurs. Nous disposions alors d’une liste, probablement non exhaustive, de six cents acteurs ; trois ans après, on était tombé à cent cinquante ; deux ans plus tard, à cinquante.
Que s'etait-il passé ? Alors qu’il y avait des milliers d'acteurs en Chine, on comptait seulement douze ou treize acheteurs majeurs hors Chine, qui achetaient près de 90 % des besoins mondiaux. Sous cette pression, à l’évidence, l'économie de cette filière était devenue désastreuse.
Aujourd'hui, la situation de la production chinoise n'est toujours pas résolue. Il est bien difficile de mettre de l’ordre chez ceux qui, il y a vingt ans, ont reçu un peu d’argent du gouvernement pour développer quelques exploitations industrielles, certains dans l'acier, d'autres dans le charbon, dans le zinc, dans l'antimoine et quelques-uns dans les terres rares, et qui les ont fait fonctionner, sans profits réels durant toutes ces années, permettant de maintenir ces outils, voire de les améliorer. Pour ces derniers, l’exploitation consistait souvent à creuser un trou au fond d’un terrain, à y mettre du minerai, de l'acide ou des alcalins, et à extraire un peu de produit vendu, bien en dessous des cash costs, c’est-à-dire des coûts nécessaires du point de vue d’un industriel.
Dès 2005, la Chine elle-même a annoncé que la situation s'était dégradée, qu’il était urgent de traiter les conséquences environnementales de ces productions, mais cela a été largement ignoré.
En 2007, une nouvelle tentative de l’état Chinois pour consolider cette industrie, avec la création des pôles nord et sud, a échoué.
En 2010, on a vu à l’œuvre la manière chinoise lorsqu’il s’agit de régler un problème récurrent. Après que le reste de l'industrie a été nettoyé – par exemple Pékin pour les Jeux olympiques et Shanghai pour l'Exposition universelle – les industries minières majeures (charbon, acier,..), de production électrique, le gouvernement chinois s’est dit qu’il n’était plus possible de continuer à dégrader l’environnement et constater, chaque année, que deux mille à trois mille personnes pouvaient perdre la vie du fait de l’absence de traitement des effluents de la production des terres rares, représentant (un chiffres d’affaires de) moins d’un milliard de dollars par an.
Cette conception a peu à peu progressé, dès lors que l’on s’est efforcé de comprendre la position chinoise et de trouver des solutions acceptables On se rend finalement compte que, compte tenu des enjeux, les prix n'ont pas beaucoup d'importance, même s'il y a une certaine limite.
La croissance des besoins (en terres rares) est un peu supérieure à celle de la production, mais c’est surtout la rupture des exportations qui amène les industriels à se préoccuper de la situation.
Le recyclage en fin de vie est une dimension économique qui n'avait pas été encore prise en compte pour des produits utilisés à l'échelle de vitamines. Dans la plupart des cas, il faudrait sans doute que les prix des matières vierges soient dix fois supérieurs pour rendre ce recyclage économiquement viable. Mais le recyclage industriel de terres rares qui ne méritaient pas qu'on les récupère jusqu'alors, va soudain gagner de l'intérêt. Pour prendre un exemple, lorsque l'on fabrique un aimant, on découpe un bloc (fraisage) et on génère 25 à 30 % de déchets, dont on se préoccupait très peu jusqu'ici et qui sont désormais recyclés en totalité. Les prix d'aujourd'hui équilibrent à peu près économiquement cette récupération. On voit que certaines solutions sont finalement justifiées par les circonstances et la réalité économique. Cela vaut aussi pour le polissage des écrans : tant que les poudres de polissage ne coûtaient que quelques dollars le kilo, personne ne s'en préoccupait, au regard du prix d'une télévision. Avec l'augmentation des coûts et la rareté, les industriels se sont dits qu'en investissant davantage dans les machines à polir, on pouvait utiliser le produit un peu plus longtemps et les volumes ont été divisés par deux.
Le marché (des terres rares) lui-même est en croissance. Le marché chinois est le plus important, le Japon venant ensuite, puis l'Europe et les Etats-Unis.
Les premiers à s'être préoccupés de la situation ont été les Français. En 2004, la question était moins celle de la disponibilité que de la qualité : les infrastructures chinoises nous renvoyaient à l'époque de Zola ; les mines étaient interdites d'accès et il était difficile d'imaginer ce qui s'y passait. Il fallait faire quelque chose ! En tant que chimiste français, Rhodia se préoccupait de ses approvisionnements futurs. La société que je représente a été créée grâce à deux contrats, le premier avec Rhodia, le second avec le partenaire de Rhodia au Japon. De la sorte, Lynas a pu lever des fonds et créer une alternative.
Pour notre part, nous proposons des solutions industrielles plutôt à court terme. Le département d'État américain en a trouvé une pour sécuriser l'approvisionnement des 10 à 20 tonnes nécessaires pour l'industrie militaire, mais c'est surtout pour l'automobile et l'électronique que le problème se pose.
Les incidents navals entre la Chine et le Japon coïncident, en fait, avec la fin de la disponibilité des quotas d'exportation. On a vu d'ailleurs que le Japon a largement dépassé, en fin d'année, son allocation de terres rares, ce qui montre bien que ses sources ne sont finalement pas si limitées. Le gouvernement japonais se préoccupe beaucoup de l’approvisionnement et finance des investissements industriels pour doubler les capacités sous peu (Inde, Vietnam, Australie,…).
La Chine va, elle-même, prochainement devenir importatrice de terres rares, d'autant qu'elle se préoccupe de la pérennité de ses réserves.
Lynas va être la première nouvelle société, hors Chine, à produire des terres rares, à hauteur de près de 10 % des besoins mondiaux. Depuis sa création, il y a dix ans, elle cherche à exploiter la concession d'un gisement qui est le plus riche en terres rares au monde, avec un taux dans le sol de 14 à 17 %. L'unité de concentration va démarrer ce mois-ci. Une raffinerie de grande taille est installée en Malaisie, pour séparer les concentrés en provenance d'Australie.
En fait, c'est là que se situe le problème de la Chine : le pays est parfaitement capable de faire cela, mais un tel projet représente des sommes importantes, de l'énergie, beaucoup de produits chimiques qui doivent être neutralisés, avant d'être rejetés, ce qui est également onéreux. Pour en apprécier les dimensions, l'unité de traitement des eaux de notre société correspond à celle de la taille d'une ville moyenne française. Ce sont donc des investissements lourds, que la Chine est parfaitement capable de faire, mais qu’il va lui falloir réaliser avec une économie renouvelée. Toutefois, les prix désormais atteints lui permettent, comme à d'autres acteurs, de repenser des filières industrielles économiquement viables, et durables dans le temps.
Pour répondre à la demande japonaise, la capacité de nos sites sera doublée d’ici l’an prochain.
Notre souci stratégique est d'assurer la pérennité des ressources minières pour trente ou quarante ans, avec un objectif de production de vingt mille tonnes pendant 40 ans comme objectif à court terme. Il y a quelques années, le BRGM a découvert au Malawi un gisement de terres rares assez similaire à celui de l'Australie. Nous allons exploiter ce site, pour ajouter des réserves à celles dont nous disposons déjà.
M. Christian Kert. Merci. Dernier intervenant de cette table ronde, M. Frédéric Carencotte va maintenant évoquer le recyclage.
M. Frédéric Carencotte, Directeur industriel de Rhodia Terres Rares. Je commencerai par vous présenter le groupe Rhodia et son entreprise terre rares.
Le groupe Rhodia représente cinq milliards de chiffres d'affaires, soixante-cinq sites industriels dans le monde, quatorze mille collaborateurs, onze entreprises focalisées sur leurs marchés et leurs moteurs de croissance, dont l'une, qui compte mille cent collaborateurs, travaille exclusivement sur les terres rares.
Rhodia est le leader mondial des formulations à base de terres-rares. En fait, nous transformons les concentrés de terres rares en ces produits de haute performance qui vous ont été précédemment décrits. Nous sommes le seul industriel en Europe capable de raffiner et de séparer l’ensemble des terres rares.
Comme précisé par les orateurs précédents, les terres rares ne sont pas si rares. Ainsi, dans l'écorce terrestre, le lanthane est aussi présent que le cuivre, tandis que le taux de l’yttrium, du néodyme et du cérium se situe entre celui du cuivre et du plomb. On retrouve ainsi des terres rares en Russie, aux États-Unis, en Australie, en Inde, etc. – et donc pas uniquement en Chine.
Réserves et abondances des terres rares
Les réserves mondiales s’élèvent à plus de quatre-vingt-dix millions de tonnes pour une consommation annuelle estimée à deux cent mille tonnes à l'horizon 2014. Le marché présente un taux de croissance annuel moyen de 6 à 10 % ; il est tiré par quelques secteurs, comme les aimants néodyme-fer-bore dopés dysprosium ou terbium.
La production s’est progressivement concentrée en Chine, qui représente aujourd'hui de 95 à 97 % de la production mondiale.
Evolution de la production de terres rares
Afin de sécuriser l'approvisionnement et la ressource en terres rares, Rhodia a choisi d'activer plusieurs leviers.
Le premier est la diversification, en partenariat avec les exploitants de gisements. C'est dans ce cadre que, comme Éric Noyrez vient de l'expliquer, Rhodia a signé un contrat avec Lynas.
En terme de ressources, il convient de distinguer les terres rares légères – lanthane, cérium, praséodyme, néodyme – des lourdes – tout le reste. Les gisements ne présentent, en effet, pas tous les mêmes caractéristiques, ainsi Bayan Obo, en Chine, est très riche en terres rares légères, tandis qu'on trouve davantage de terres rares lourdes, toujours en Chine, à Jiangxi et Long Nan, ainsi qu'à Kola, en Russie.
En matière de diversification de l’approvisionnement un certain nombre de projets sont assez avancés. Le premier à voir le jour sera celui de Lynas, à Mount Weld, suivi par Mountain Pass en Californie, puis par Orissa en Inde et certainement Arafura, également en Australie.
Ces projets devraient aboutir entre 2011 et 2013, mais ils concernent surtout les terres rares légères.
Pour avoir un accès, en dehors de la Chine, aux terres rares lourdes, il va donc falloir attendre un peu plus longtemps, sans doute 2014. Nous y travaillons, avec un certain nombre de partenaires potentiels.
Nous croyons beaucoup au deuxième levier, qui vise à optimiser l'utilisation des terres rares.
La réduction des pertes de production, en recyclant les chutes de production de nos usines, permet d’optimiser l’utilisation des terres rares. Nous avons ainsi démarré en novembre 2010, sur le site de La Rochelle, une nouvelle unité industrielle, qui permet de recycler 97 % des terres rares contenues dans les chutes de production de nos usines. Ces chutes représentaient 5 % des terres rares entrantes sur le site. De la sorte, plus de 99,8 % des terres rares qui pénètrent aujourd'hui sur le site de La Rochelle sont désormais utilisées pour un produit en application.
Optimiser l'usage des terres rares et leurs performances peut également être réalisé en travaillant sur des nouveaux produits, permettant à ces « vitamines » de l'industrie d’être utilisées à des teneurs encore plus faibles. Dans ce cadre, nous avons développé un procédé innovant, permettant de produire des nouvelles poudres luminophores utilisées pour la fabrication des écrans LCD et des lampes à basse consommation. Les poudres luminophores contiennent cinq terres rares : yttrium, europium, lanthane, cérium et terbium. Cette dernière est la plus rare et notre nouveau procédé permet de diminuer la teneur en terbium dans la poudre. Le principe est simple : l'épaisseur utile étant assez faible dans un mécanisme d'absorption et de réémission, il n’est donc pas nécessaire d’avoir une teneur élevée en terbium au cœur de chaque particule. Ces produits sont actuellement en phase de qualification industrielle chez nos clients.
Le troisième levier de diversification est le recyclage des terres rares.
Je prendrai l’exemple des poudres de polissage. Nos clients essaient de réduire la consommation en terres rares, mais il reste à l'issue du procédé une suspension qui n'est plus utilisable et qui est aujourd'hui envoyée en décharge. Nous avons mis au point un procédé qui permet le recyclage de ce slurry usagé, en les ramenant à l'état initial afin de permettre une nouvelle utilisation.
Un mot enfin des terres rares issues des équipements en fin de vie. On en trouve dans un grand nombre de produits : lampes à économie d'énergie, écrans LCD, pots catalytiques, caoutchouc polymérisé, aimants de nouvelle génération, etc. L'Europe n'a pas de mine mais elle a tous ces produits et elle doit pouvoir les recycler.
La filière du recyclage des lampes à économie d'énergie existe déjà. Elle est gérée par des éco-organismes. Mais, si la collecte est organisée, et si le verre, les métaux et les plastiques sont recyclés, les terres rares, elles, sont enfouies. Nous avons mis au point un procédé breveté qui permet de les concentrer et de les séparer, afin de leur donner une deuxième vie.
Au premier trimestre 2012, nous allons lancer sur deux sites industriels – l'amont, à Saint-Fons dans le Rhône, et l’aval, à la Rochelle – un démonstrateur à la taille du marché européen actuel de recyclage des lampes, l'unité industrielle devant être opérationnelle en 2014.
En conclusion, je dirai que les terres rares sont une ressource stratégique pour l'Europe : elles soutiennent le développement des nouvelles technologies ; elles sont très difficiles à substituer ; elles peuvent permettre d’économiser d’autres ressources.
La préservation de cette ressource nécessite la mise en œuvre de plusieurs leviers, dont le recyclage est une composante essentielle, pour laquelle l’Europe, en particulier la France, est bien positionnée.
Nous sommes persuadés que le recyclage à 100 % en Europe est possible, pourquoi ne pas le faire ?
Tout cela nécessitant d’importants efforts de recherche et développement, qui pénalisent la rentabilité, il est important que cet effort soit aidé.
M. Christian Kert. Il nous reste un peu de temps pour débattre.
M. Marcel Van de Voorde, Professeur à l’Université de Technologie de Delft, Pays-Bas. Ces vingt dernières années, aucun véritable programme n’a été conduit en Europe dans le domaine des terres rares, et les laboratoires de recherche ont même réduit leurs activités. Mais quelle est plus particulièrement la situation en France, dans les laboratoires comme dans l'industrie ? On parle beaucoup des nanotechnologies mais qu’a-t-on fait ces dernières années, en faveur des terres rares ?
M. Paul Caro. J’ai l'impression que, ces dix dernières années, la recherche sur les terres rares était plus ou moins passée de mode en France. En revanche, des unités de recherche dans des domaines utilisant les terres rares, comme les nano-conducteurs, ont connu un formidable développement. Les sujets de recherche ont donc éclaté en de nombreuses spécialités, comme les céramiques. L'unité de la recherche sur les terres rares a ainsi un peu disparu, y compris, d'ailleurs, d'un point de vue administratif, le CNRS n'ayant pas soutenu la recherche sur ces éléments. Cette évolution n'est pas forcément négative, puisqu’elle a, dans une certaine mesure, contribué à banaliser les terres rares et que la spécialisation a permis de mener des recherches d'une certaine importance, en particulier en biologie, domaine où le développement est considérable, puisque les terres rares sont utilisées comme marqueurs ou pour leurs propriétés magnétiques dans une série d'applications.
M. Éric Noyrez. Dans le monde entier, la recherche sur les matériaux et les éléments individuels a sans doute été moins marquée ces dernières années et l'on a probablement davantage recherché l'innovation, c'est-à-dire l'utilisation des connaissances pour l'association des produits, que l'invention. Cela n'appelle aucun jugement de valeur, car les deux sont nécessaires.
M. Frédéric Carencotte. Chez Rhodia, plus de cinquante chercheurs travaillent uniquement sur les terres rares, et un tiers du chiffre d'affaires vient de produits de moins de cinq ans. Notre groupe travaille donc activement en faveur de la recherche industrielle sur les terres rares. C'est de la sorte que nous avons développé la catalyse automobile, par exemple les additifs pour la catalyse diesel. Mais il est évident que nous ne nous situons pas dans la recherche fondamentale.
M. Marcel Van de Voorde. Rhodia fait un travail formidable, mais c'est l’une des seules entreprises dans ce cas en France et en Europe. Il faut comparer les cinquante chercheurs dont on vient de nous parler, avec les cinq mille que compte le Japon… De même, leur nombre est très important aux États-Unis, dans la seule recherche fondamentale. Je crois donc que l'on a besoin, en Europe, de créer de très grands centres de recherche, pour développer toutes les solutions relatives aux terres rares.
M. Yves Quéré, Membre de l’Académie des Sciences, Membre du GRAMEF. La comparaison que vous faites entre le Japon et la France est très instructive. La question de la recherche en terres rares se pose dans le contexte beaucoup plus général de la recherche en métallurgie. L'Académie des sciences et l'Académie des technologies viennent de produire un important rapport, conjoint, sur le problème de la métallurgie, du point de vue tant de la recherche que de l'industrie. Il y a, bien évidemment, de magnifiques exceptions, comme Rhodia, mais l'ensemble de la recherche en métallurgie a connu, depuis une quinzaine d'années, une sorte d'affaissement ; il ne s'agit pas encore d'une catastrophe mais ce pourrait le devenir. L'enseignement de la métallurgie, dans notre pays, a quasiment disparu : seules subsistent quelques formations, excellentes mais très rares.
On sait ce qui s'est passé pour la sidérurgie et pour l'aluminium, industries essentielles, encore présentes en France mais passées sous contrôle étranger. On peut craindre de tels développements pour beaucoup d'autres métaux. J'invite tous ceux qui se préoccupent de cette question à consulter ce rapport, dont le simple fait qu'il soit commun montre qu'il y a, en la matière, à la fois beaucoup de science, beaucoup de technologie et beaucoup d'ingénierie.
Mme Catherine Tissot-Colle, Directeur de la communication et développement durable, Groupe ERAMET. Un aspect intéressant n'a pas été mentionné : les terres rares peuvent permettre de nouer avec des États des partenariats durables, sur le plan tant économique qu’environnemental et social, qui pourraient susciter l'intérêt des politiques.
Nous avons ainsi, au Gabon, autour d'un gisement de pyrochlore, un projet d'exploitation, pour lequel nous travaillons avec Rhodia et Areva, car il s'agit d'un enjeu fondamental de recherche et développement appliquée. Mais c'est aussi une chance formidable pour ce pays. Le Président de la République du Gabon a fait une priorité de ce moyen de développer, de façon avancée, des mines et des industries métallurgiques sur le sol national.
M. Olivier Zajec, Directeur-adjoint du pôle stratégique, Société CEIS. On nous a fort bien présenté la stratégie chinoise en matière de terres rares. La Chine est pour l'instant en situation de monopole de production et a tout intérêt à le rester le plus longtemps possible. Leurs besoins internes augmentant, au rythme de leur développement économique et de leur programme en matière d'énergie verte, les Chinois vont devenir importateurs de terres rares. Dans ces conditions, n'ont-ils pas intérêt à prendre, à l'étranger, des participations dans des mines et dans des entreprises ? Au nom de quoi le leur interdirait-on ? Dès lors que nous-mêmes nous nous fondons, depuis des années, sur les lois du marché – n’est-ce pas d’ailleurs ce qui a permis à la Chine d’établir son monopole ? –, sur quelles bases pouvons nous défendre notre autonomie stratégique ?
M. Éric Noyrez. En 2009, la Chine a souhaité prendre dans Lynas une participation de 51 %, mais le gouvernement australien a refusé qu'elle aille au-delà de 49 %. Sans porter sur cette décision un jugement de valeur, on voit qu'un État dispose d'une telle possibilité, dès lors qu'il ne souhaite pas que les ressources soient dans les mains d'un seul pays.
Bien évidemment, la Chine, pour les terres rares comme dans d'autres domaines, est consciente de ses besoins et cherche à prendre des participations. Elle prend aussi des risques dans un certain nombre de projets miniers. Si la France, le Japon ou les États-Unis estiment qu'il faut faire de même, il n'appartient qu’à eux de prendre des risques similaires.
Dans l'histoire, les terres rares ont souvent été associées aux produits radioactifs. La technologie disponible dans un pays comme la France, forte de son industrie nucléaire, pourrait permettre de trouver des solutions d'exploitation conjointe.
M. François Heisbourg. En effet, on s'intéresse désormais aux terres rares présentes dans des gisements jusque là exploités pour l'uranium, ou pour le thorium. S'agissant de domaines d'excellence de l'industrie française, il faut bien évidemment avancer dans cette voie.
À partir de 2009, le gouvernement chinois a tenté de mettre de l'ordre dans l’exploitation des terres rares sur son sol. Cela était nécessaire, en particulier pour des raisons écologiques, mais cela renforce aussi la capacité de la Chine à gérer les exportations – ou les embargos… – dans une optique tant géo-économique que géostratégique.
C'est au nom de la souveraineté que l'on peut interdire des fusions ou des acquisitions : on parle de biens provenant du sous-sol et les États où se trouvent les gisements considèrent, en règle générale, qu'ils ont leur mot à dire. Le Canada a récemment empêché une acquisition d'un groupe chinois dans le domaine minier. Le Congrès américain a amené l'exécutif à faire en sorte que la grande société pétrolière Unocal ne soit pas avalée par un grand groupe chinois.
Certains États africains semblent faire fi de leur souveraineté et l’instabilité politique y est telle que je ne partage pas tout à fait l'optimisme de Mme Tissot-Colle quant à la capacité à nouer avec eux des partenariats de long terme.
M. Christian Kert. Merci à tous ceux qui ont participé à cette première table ronde.
ALLOCUTION D’OUVERTURE
DE LA DEUXIÈME TABLE RONDE
M. Claude Birraux. Je suis d’autant plus heureux d’accueillir M. Éric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique, qu’il est aujourd’hui responsable de dossiers sur lesquels je me suis moi-même beaucoup penché.
Au cours de la première table ronde, nous avons pu mesurer combien la question des terres rares est importante en raison, notamment, de leur présence dans notre vie quotidienne.
Je tiens à préciser, enfin, combien je suis touché de la participation d’un ministre à une audition de l’OPECST qui, elle, n’est pas sponsorisée, quand ses homologues ont tendance à se presser le plus souvent à celles qui le sont.
M. Éric Besson, ministre, auprès de la ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. Je vous remercie. La France est une puissance et une terre industrielle qui doit le rester : tel est le sens de ma mission, mais aussi des convictions qui animent la plupart d’entre vous. Parce que l’Europe et notre pays doivent demeurer des lieux de production, et pas seulement de consommation, nous devons disposer de tous les leviers propices au développement industriel, dont l’approvisionnement en matières premières, notamment en métaux stratégiques. Cette question étant particulièrement importante, je tiens à saluer l’OPECST, et son président, pour avoir organisé la rencontre de ce jour.
L’industrie recourt de plus en plus à des métaux aux qualités spécifiques, permettant des applications de haute performance. Les terres rares, une des familles de substances les plus emblématiques, sont utilisées dans des applications aussi stratégiques que les alliages de haute performance des turbines aéronautiques, les verres techniques servant, entre autres applications, à la vision de nuit, ou encore les dopants par laser, utilisés dans le domaine de la santé, notamment en chirurgie.
Nous anticipons une augmentation de la demande mondiale en terres rares de 50 % entre 2007 et 2012. Les besoins en néodyme devraient croître de près de 400 % – plus de vingt quatre mille tonnes – entre 2006 et 2030, en raison de la seule banalisation de l’usage des aimants permanents au néodyme dans la construction automobile – véhicules hybrides ou électriques – et dans celle des éoliennes. En outre, les prix ont considérablement augmenté : le prix annuel moyen du néodyme a plus que doublé entre 2002 et 2008 – notons d’ailleurs que, faute de marché organisé, il ne s’agit que de prix estimés. Enfin, et surtout, l’approvisionnement est actuellement assuré pour plus de 95 % par la Chine, qui cherche légitimement à tirer le meilleur parti de ses ressources. Ainsi contrôle-t-elle très strictement l’ensemble de la chaîne de production : l’extraction de terres rares est réservée aux seules sociétés chinoises, la première transformation ne peut se réaliser que sur le sol chinois et des quotas, décroissant chaque année, encadrent les exportations. Si ces dernières ont longtemps été de cinquante mille tonnes par an, elles ont été ramenées en 2009 entre trente mille et trente cinq mille tonnes, la Chine annonçant pour 2011 un volume de quinze mille tonnes et envisageant de cesser les exportations à l’horizon de 2015.
Ce qui est vrai pour les terres rares l’est également pour d’autres métaux. Le niobium, par exemple, qui augmente l’indispensable résistance de l’acier dans bien des usages et permet notamment d’alléger le poids des automobiles – contribuant ainsi à réduire la consommation d’énergie – provient essentiellement du Brésil et, pour près de 80 %, d’une seule société. Les Japonais ont d’ailleurs bien cerné le problème en décidant, la semaine dernière, d’entrer, au prix fort, dans son capital.
Gallium, germanium, rhénium, tungstène… Je pourrais multiplier les exemples, car la liste est longue… et la conclusion limpide : penser que l’approvisionnement en matières premières stratégiques à prix compétitif serait garanti par la simple bonne volonté des uns et des autres serait, non seulement illusoire et naïf, mais aussi une faute politique. C’est pourquoi la France a décidé un plan d’action global, en cinq axes principaux, pour sécuriser notre approvisionnement.
Premièrement, nous devons accroître nos connaissances sur les métaux indispensables à l’essor de notre industrie. Telle est la mission que j’ai confiée à cet établissement public qu’est le BRGM. Substance après substance, celui-ci évalue le marché, les risques, ainsi que les opportunités associées. Dans une logique de filière, ce travail doit être nourri par un dialogue, constant et permanent, avec les industriels extracteurs, transformateurs, consommateurs, de premier ou de second rang, afin que nous puissions, en temps réel, répondre à la question suivante : « Quels sont les besoins, les forces et les faiblesses de l’industrie française en la matière ? ».
Deuxièmement, nous devons renforcer notre filière industrielle minière et les coopérations en son sein. Il me paraît, en particulier, très important de reprendre les explorations : comment la France, dont une entreprise est la première productrice mondiale d’uranium, dont une autre figure parmi les premiers producteurs de nickel et de manganèse, qui possède des champions dans les hydrocarbures, tels que Total ou GDF Suez, qui est l’une des premières exportatrices de matières premières agricoles, pourrait-elle être absente de l’exploration en matières premières minérales non énergétiques et stratégiques ? L’inventaire géologique réalisé dans les années soixante-dix par le BRGM doit donc être actualisé. Une première campagne de prospection a ainsi eu lieu à Wallis-et-Futuna pendant l’été 2010, dans le cadre d’un groupement associant le BRGM, l’IFREMER, AREVA et ERAMET, ainsi qu’une société d’ingénierie, Technip. Au-delà de la prospection, nous devons accroître nos efforts et conforter notre base industrielle, pour rester à la pointe de la technologie dans la transformation des métaux.
Troisièmement, en ce qui concerne les matières premières, écologie et industrie peuvent aller de pair. L’un de nos principaux leviers pour diminuer notre vulnérabilité réside dans les économies et le recyclage. Il ne s’agit pas là d’un métier nouveau – les ferrailleurs ont toujours existé, qui offrent une sécurité essentielle pour sécuriser notre approvisionnement et développer notre industrie – mais de nouvelles idées, si simples soient-elles, qui nécessitent une organisation parfois complexe afin de structurer la récupération et la valorisation des produits en fin de vie, c’est-à-dire des « déchets ». Le Gouvernement a donc demandé à l’ADEME de réaliser une étude approfondie, afin d’évaluer le potentiel de développement du recyclage pour une vingtaine de métaux stratégiques. C’est notamment à la lumière de son rapport que seront lancés, dans le courant du mois d’avril, et dans le cadre des investissements d’avenir, deux appels à manifestation d’intérêts pilotés par l’ADEME. Le premier portera sur des démonstrateurs technologiques de collecte, tri, recyclage et valorisation des déchets. A la fin de cette année, le second portera, quant à lui, sur la thématique de l’éco-conception. L’ensemble des projets retenus au titre de ce programme bénéficiera de financements, sous forme de subventions, d’avances remboursables ou de prises de participation, pour un montant de deux cent cinquante millions, soit un objectif d’investissement total de six cents millions, grâce à l’effet de levier sur les financements des acteurs privés et des organismes de recherche. Voilà qui nous permettra de voir émerger différents projets pour exploiter cette « seconde mine » que sont les déchets industriels.
Quatrièmement, le plan d’action comporte une forte dimension européenne et internationale. Il s’agit-là d’un axe prioritaire des discussions que je mène régulièrement avec Antonio Tajani, vice-président de la Commission européenne chargé de l’industrie et de l’entreprenariat. Nous pensons, l’un et l’autre, qu’il convient qu’une grande stratégie horizontale associe les politiques minière, industrielle, commerciale et d’aide au développement. Vendredi dernier encore, j’ai pu lui dire combien j’étais satisfait que la Commission se soit emparée du thème des matières premières, dans le cadre d’une communication au début de février. C’est à partir de cette dernière que nous adopterons après-demain, lors du conseil compétitivité de Bruxelles, des conclusions qui permettront, je l’espère, à l’Union, de montrer un volet concret d’engagement en faveur de la politique industrielle. Autre motif de satisfaction, le collège des Commissaires considère la relance des politiques minières compatible avec la réglementation environnementale européenne.
L’action internationale en faveur des matières premières stratégiques passe également par un travail général sur la volatilité des marchés. Une telle action a été érigée par le Président de la République, comme l’une des priorités absolue de notre pays, dans le cadre de notre présidence du G20. Les travaux ont été engagés sur ce sujet, dès le mois de novembre dernier, et se poursuivent activement, comme ce fut le cas le 19 février dernier, lors de la réunion des ministres des finances, à Paris.
La politique française et européenne d’aide au développement doit aussi prendre en compte le caractère prioritaire de l’accès aux ressources minérales, tout comme, d’ailleurs, la politique de recherche, s’agissant en particulier des questions de recyclage et de substitution.
Enfin, nos efforts sur la réciprocité, en matière de politique commerciale, participent de la sécurité de l’approvisionnement.
Cinquièmement, j’ai lancé une mission de réforme de l’administration centrale de façon à améliorer la lisibilité et l’efficacité de l’action publique dans ce domaine. Fruits de l’histoire, les services en charge des mines et des métaux sont, en effet, aujourd’hui largement cloisonnés. Si nous voulons nous engager à la hauteur de ce que nous attendons de nos industriels, nous devons les décloisonner et donner au ministre des mines – mais c’est évidemment le Premier ministre qui, le moment venu, arbitrera – tous les leviers nécessaires, afin qu’il puisse exercer ses fonctions dans l’intérêt du pays.
Parce qu’un tel programme de travail - que j’espère cohérent et ambitieux - suppose un dialogue quotidien avec l’ensemble des parties prenantes, j’ai créé, par décret, en début d’année, le Comité pour les métaux stratégiques, que j’aurai l’honneur de présider. Il constituera un lieu d’échange avec les professionnels, les administrations ainsi que les organismes publics et sera installé dans deux semaines, afin de décliner, dans le temps, chacun des axes du plan d’action, et de prendre les premières mesures qui s’imposent.
Vous savez, monsieur le président, combien ce sujet stratégique est passionnant. Comme vous, je suis persuadé qu’il n’y a pas d’industrie possible sans des conditions d’accès raisonnables et sûres aux matières premières et stratégiques, dont les métaux rares. Je suis donc certain que nous aurons l’occasion de poursuivre notre dialogue.
M. Claude Birraux. Merci beaucoup, monsieur le ministre, pour ce message réconfortant, qui comporte une vision industrielle et stratégique, pour la France et l’Europe, que partagent d’ailleurs nos partenaires de l’Union. J’ajoute que vos propos confortent notre conviction que de telles auditions sont opportunes à la veille de décisions importantes.
DEUXIÈME TABLE RONDE :
« QUEL FUTUR POUR LES MÉTAUX STRATÉGIQUES ? »
Présidence de M. Claude Birraux, député, président de l’OPECST
M. Claude Birraux. Je donne tout d’abord la parole à MM. Christian Hocquard, puis Jean-Claude Samama, pour nous entretenir des contraintes et des défis d’une politique de sécurisation des besoins industriels, s’agissant des métaux critiques.
M. Christian Hocquard, expert économiste, service des ressources minérales, BGRM. Je me propose, en effet, d’évoquer devant vous, les métaux critiques, qui constituent une classe particulière des métaux rares.
Les métaux rares sont également appelés métaux mineurs – minor metals en anglais –, métaux high-tech, métaux verts, petits métaux, métaux exotiques, métaux technologiques ou stratégiques. Avec une palette riche d’environ quarante cinq éléments, ils sont à la base des nouveaux matériaux. Quatre critères permettent de les caractériser : quantitatif – il s’agit de petites productions, inférieures à deux cent mille tonnes, par rapport à celles des métaux industriels, qui dépassent très souvent le million de tonnes –, technique – il s’agit majoritairement de sous-produits de l’industrie minière ou métallurgique –, économique – ces produits ont une valeur élevée, à très élevée, et connaissent, parfois, d’importantes fluctuations, ainsi que des crises –, enfin « criticalité » – malgré un chiffre d’affaires très faible, leur importance est vitale, en particulier pour les nouvelles filières industrielles.
Les sous-produits sont nombreux. Les produits principaux ou les co-produits ayant des mines propres, sont les terres rares, le lithium, le platine, le niobium. La production de certains autres, tel que le tantale, est artisanale, pour des raisons géopolitiques et environnementales.
L’aspect monopolistique de la production est, par ailleurs, frappant, puisque la Chine en contrôle une grande partie, de même que d’autres pays confrontés à des risques géopolitiques assez élevés, comme la République démocratique du Congo ou l’Afrique du Sud ; l’Union européenne étant quant à elle à peu près totalement dépendante. La Chine, importatrice nette d’un grand nombre de métaux de base et industriels, est en revanche une exportatrice traditionnelle de métaux rares.
Les technologies innovantes nécessitent de tels métaux, l’estimation des demandes, à l’horizon de 2030, étant considérable, en particulier s’agissant de l’indium et du néodyme.
La notion de « métal critique » relève, quant à elle, plutôt du domaine civil, et s’oppose à celle, militaire, de « métal stratégique », qui prévalait depuis 1939, puisque des produits comme le cobalt, ou le tungstène, étaient principalement utilisés pour le blindage. Pour les industries des pays développés, les métaux critiques doivent être appréhendés selon deux axes de criticité : le risque lié à l’approvisionnement – la vulnérabilité est grande, y compris pour les produits intermédiaires comme le métal raffiné, les alliages ou les semi-produits et donc, la chaîne complète de l’approvisionnement – et le risque de l’impact d’une pénurie industrielle.
Le tantale a connu une crise importante en 2000 – ses prix ont été multipliés par dix – d’ailleurs emblématique de celles que connaissent les métaux rares : lorsqu’ils sont peu utilisés, leur prix est certes élevé, mais une augmentation forte et brutale de la demande entraîne une baisse de l’offre et une hausse des prix considérable. Il convient, plus particulièrement, de distinguer trois types de crise : crise conjoncturelle – interruptions accidentelles de l’offre pour des raisons techniques, climatiques ou sociales -, crise provoquée – restriction à l’exportation comme dans le cas des quotas chinois, rétention de producteurs dominants, comme avec le producteur russe de palladium Norilsk, spéculation dans le cadre de ces nouveaux produits financiers que sont les ETF-ETP et les actions trade products visant à stocker du métal, pour raréfier l’offre et faire augmenter les cours –, crise structurelle, enfin, due à des innovations de rupture et à leur commercialisation massive, dont la croissance de la demande dépasse 20 % par an.
Cinq stades caractérisent ce type d’innovations : la recherche et le développement, la première industrialisation, le succès du produit de masse, la saturation du marché, avec des stocks à résorber, et une chute des prix, enfin, une phase de maturité, avec leur lente remontée.
Evolution du prix d'une matière première intervenant dans
l'apparition d'une technologie de rupture
Les impacts de telles crises diffèrent selon les produits : ils sont significatifs pour les catalyseurs automobiles diesel, qui peuvent requérir jusqu’à deux cents dollars de platine palladium, mais négligeables pour les écrans plats qui comprennent moins d’un gramme d’indium, dont le kilo coûte cinq cents dollars. Le véritable risque, pour certains d’entre eux, est la pénurie. Le raisonnement est alors simple : « peu importe le prix pourvu qu’il y en ait ». Or, suite aux délocalisations et externalisations, les industriels ne perçoivent absolument pas ce « risque métal ».
De nouvelles contraintes pèsent sur l’offre, dont celles des quotas chinois et des ETF-ETP sur les métaux rares. Sont notamment concernés le lithium, l’indium, les terres rares et, en particulier, le néodyme. Les projections font, en effet, état d’une demande importante, alors que les quotas chinois diminuent : au premier semestre de 2011, ils chuteront de 35 % par rapport au premier semestre de l’année dernière. A court terme, la situation risque d’être bloquée, même si la Chine n’a pas le monopole de la ressource. Les projets miniers, hors de ce pays, avancent diversement. Le prix du néodyme, compte tenu d’une telle situation, a été multiplié par vingt, de 2003 à 2010, et continue de s’envoler. Ce métal est présent dans les moteurs électriques – un kilo par voiture chez Nissan – dont il permet de réduire la taille. Chaque turbine d’éolienne off-shore peut en contenir jusqu’à six cents kilos, le néodyme permettant de supprimer les boîtes de vitesse, donc de limiter la maintenance, mais également de diminuer la taille de la nacelle, ce qui favorisera la conception d’éoliennes beaucoup plus importantes, de cinq ou six mégawatts.
La filière indium concerne, quant à elle, les écrans plats et le photovoltaïque « cuivre indium, gallium et sélénium » (CIGS), à technologie de films minces. Une croissance forte est prévue à partir de 2012, le Japon choisissant, potentiellement, des couches minces Cadmium-Tellure (CdTe) - alors que le tellure commence d’ailleurs à connaître une crise -, les recherches de substituts envisagées pouvant déboucher sur un choix final d’électrodes transparentes, qui ne seront plus à base d’indium ITO mais de zinc-étain, ou d’autres produits.
M. Jean-Claude Samama, ancien directeur de l’Ecole nationale supérieure de géologie de Nancy et professeur émérite de géologie appliquée. La sécurité d’approvisionnement repose sur trois composantes et, tout d’abord, la ressource minière. Face à la criticité des besoins, ce sont les délais de réaction qui importent. Par exemple, ce n’est qu’après quinze ou vingt ans d’exploitation d’une nouvelle ressource qu’un métal pourra être mis sur le marché. Les acquisitions d’entreprises, ou de gisements, sont, quant à elles, plus coûteuses et les possibilités très limitées sur le marché mondial.
S’agissant, ensuite, du recyclage, le néodyme sera, par exemple, recyclable en scrap, après avoir été utilisé dans les moteurs électriques, au bout d’une dizaine d’années pour les automobiles et d’une vingtaine ou d’une trentaine d’années dans le cas des éoliennes, alors qu’une crise se profile d’ici deux ou trois ans.
Enfin, les stocks stratégiques peuvent avoir un effet à court terme dès lors qu’ils sont constitués, comme c’est le cas pour le Japon, la Corée et la Chine. Les prix sont, certes, très élevés, mais le coût du stockage de quinze, trente ou cinquante tonnes d’indium serait extrêmement faible, dès lors que le chiffre d’affaire mondial de ce métal représente moins de deux cents millions de dollars.
Même si les délais de réponse à une situation critique d’approvisionnement sont donc variables, l’anticipation nécessite une veille, en amont des ressources primaires, afin de connaître les tendances et les opportunités du marché, ainsi qu’une veille, en aval, s’agissant des nouveaux usages et des substitutions. Le diagramme qu’a présenté M. Hocquard (cf. figure 11 de l’annexe) permet d’évaluer, selon les éléments, les différents niveaux de criticité, soit l’éventuelle explosion de la demande par rapport à une offre contrainte. L’anticipation constitue, d’ailleurs, un élément essentiel vis-à-vis de la concurrence, notamment en cas de crise avec rupture d’approvisionnement. Un pays qui aura sécurisé ses approvisionnements aura ainsi acquis un avantage compétitif par rapport à ceux qui ne l’auront pas fait et, de ce point de vue-là, nous sommes en retard, vis-à-vis du Japon ou de la Corée.
Le contrôle de la filière depuis l’amont – la ressource – jusqu’au semi-produit constitue également un élément décisif de la sécurité.
De surcroît, la réactivité dépend de la décentralisation des décisions, de moyens financiers élevés – jusqu’au milliard de dollars – facilement mobilisables, enfin d’une acceptation du risque.
J’ajoute que ces réflexions sur la sécurisation des approvisionnements sont présentées dans une logique globale et dynamique, qu’elles sont applicables au niveau national et européen, et qu’elles s’inscrivent dans le cadre de celles qui sont d’ores et déjà menées.
M. Claude Birraux. Je donne la parole à M. Benoît de Guillebon pour évoquer ce défi qu’est, pour notre société, la raréfaction des métaux.
M. Benoît de Guillebon, ingénieur de l’Ecole centrale de Paris, co-auteur de Quel futur pour les métaux ?, directeur de l’APESA, centre technologique en environnement et maîtrise des risques. Je me suis penché sur la question de la raréfaction des métaux à partir d’un travail collectif réalisé au sein de l’association des Centraliens dont l’ouvrage Quel futur pour les métaux ?, coordonné, avec Philippe Bihouix, est issu.
Quatre idées me semblent fondamentales.
Tout d’abord, nous assistons à une consommation exponentielle des grands métaux : elle a doublé en vingt ans et, compte tenu de l’expansion de la Chine et de l’Inde, elle doublera, à nouveau, dans les vingt prochaines années.
Evolution de consommation des ressources métalliques
En outre, alors que, dans les années soixante-dix, nous exploitions moins d’une vingtaine de métaux relativement courants et bien répartis, ils sont aujourd’hui une soixantaine, et les nouvelles technologies nécessitent de plus en plus de métaux rares, dont l’extraction se fait dans des pays qui connaissent des situations géopolitiques délicates. De plus, certains de ces métaux étant des sous produits d’autres métaux, leur disponibilité est contrainte par l’exploitation des métaux dont ils dépendent. Dans les exposés précédents, on a parlé des terres rares, ou de l’indium. Je prendrai comme exemple le rhénium, qui est utilisé dans l’aéronautique, afin que l’« avion vert » bénéficie de moteurs plus efficaces et générant moins de NOx, mais qui coûte le tiers du prix de l’or, pour une production qui n’excède pas cinquante tonnes par an.
Un autre aspect à regarder avec attention est la relation entre métaux et énergie. Si la teneur moyenne des mines en cuivre se situait entre 1,8 à 2 %, dans les années trente, elle est aujourd’hui de 0,8 %. La quantité d’énergie nécéssaire pour l’extraction du cuivre a donc augmenté au cours du temps. Et, au fur et à mesure que les mines deviendront de plus en plus « pauvres », les besoins énergétiques de l’extraction vont continuer à augmenter. On atteindra une limite, car si, théoriquement, il reste du métal dans la croûte terrestre, il sera inenvisageable, sur un plan énergétique, d’exploiter des mines contenant des quantités de quelques dizaines de parties par million (PPM) du métal considéré. Et comme la production d’énergie requiert de plus en plus de métaux (rappelons que l’exploitation pétrolière et gazière consomme, d’ores et déjà, plus de 5% de l’acier mondial), dont l’extraction réclame de plus en plus d’énergie, nous sommes engagés dans un véritable cercle vicieux.
"Cercle vicieux" entre l'exploitation de ressources de plus en plus energivore et le besoin de accru de métaux rares pour la production d'énergie "verte"
Enfin, l’extraction minière est parfois violente et dangereuse, tant pour les êtres humains – les mines de terres rares ont causé plusieurs milliers de morts – que pour la nature, et ce pendant de très nombreuses années. Le drainage minier acide est ainsi responsable de déversements d’acide sulfurique, ayant entraîné des pollutions chroniques, ou engendré des dépenses de dépollution considérables, afin d’éviter des catastrophes encore plus graves.
Il convient donc de changer de regard, en anticipant une raréfaction des métaux et en cessant d’utiliser sans retenue des matériaux dont nous savons qu’ils ne sont pas inépuisables.
Dans la préface dont elle a honoré notre ouvrage, Michèle Papallardo rappelle qu’en une quinzaine d’années, pour un euro de valeur ajoutée, la consommation de ressources a diminué de 25 % en France, mais a globalement augmenté. Cela s’explique par un classique effet de rebond : l’accès à des technologies de plus en plus sophistiquées implique d’utiliser encore plus de technologie. Nos sociétés occidentales, qui représentent un cinquième de la population mondiale mais utilisent aujourd’hui 80 % des métaux, ont donc tout intérêt à changer de vision sur le progrès technologique, car elle vont se trouver de plus en plus en plus en concurrence, avec des pays en développement, pour des ressources métalliques rares, dont pratiquement toutes les ressources se trouvent dans ces mêmes pays en développement.
Soyons un peu provocateur : les complexifications technologiques en cours ne nous entraîneront-elles pas vers des impasses ? Il a été question de la filière CIGS, comparativement à celle du silicium, mais nous savons, d’ores et déjà, que l’Indium (le I di CIGS) est un métal dont les ressources sont limitées, et pour lequel la pression liée aux développements technologiques est forte. Nous savons aussi que des matériaux très performants impliquent des produits d’une très haute pureté dont le recyclage entraînera une dégradation de l’usage et des coûts énergétiques considérables, afin de retrouver un niveau de pureté comparable. Sans vouloir revenir à des technologies trop rudimentaires, je considère que l’éco-conception de ces technologies devrait intégrer le facteur de raréfaction.
Le recyclage, qui est souvent proposé comme « la » solution a lui aussi ses limites. D’abord, les lois de la thermodynamique nous disent clairement qu’un recyclage à 100 % est impossible. De plus, que son coût peut croître énormément avec la complexité des objets technologiques à recycler. En outre, une partie des métaux sont utilisés dans des usages dispersifs : on peut prendre les exemples du titane ou l’étain, respectivement présents dans la peinture blanche ou les soudures qui ne peuvent être récupérés afin d’être recyclés, en raison de leur dispersion. Enfin, tant que la consommation des métaux augmentera, comme cela a été le cas dans les cinquante dernières années (+ 3% par an en moyenne pour le fer par exemple), le recyclage permettra que de retarder, de quelques années, l’échéance d’une raréfaction.
Au terme de cet exposé, plus sociétal que technique, je considère que le développement technologique est certes fondamental et doit être poursuivi, mais dans le cadre de cette éco-conception, dont a parlé monsieur le ministre (j’irai même jusqu’à dire éco-socio-conception), au sein de laquelle les métaux et les matières premières, à l’instar du CO2, doivent être intégrés.
M. Claude Birraux. Lors d’une réunion de l’European Parlementiary Technology Assessment (EPTA) dont l’OPECST est membre, un professeur avait exposé son concept de cradle to cradle qui, présenté comme inédit, n’en désigne pas moins ce que nous appelons recyclage ou éco-conception, depuis que le Grenelle de l’environnement, en particulier, a contribué à modifier nos paradigmes, donc les différentes politiques menées, y compris sur un plan international.
Je donne la parole à M. Marcel Van de Voorde pour évoquer la vision des métaux stratégiques aux États-Unis et au Japon.
M. Marcel Van de Voorde, professeur à l’Université de technologie de Delft, Pays-Bas. Si, en tant qu’expert du Conseil national de recherche américain depuis 2002, j’ai engagé avec mes collègues une étude comparable à celle que monsieur le ministre appelle de ses vœux, il n’en reste pas moins qu’aux Etats-Unis, c’est le comité de recherche dépendant du ministère de la défense qui dispose des éléments les plus importants concernant cette difficile question des métaux stratégiques.
Quoi qu’il en soit, depuis une dizaine d’années, les études américaines visent à déterminer la nature des terres rares, qui seront utiles dans les technologies futures, à l’horizon de 2020, 2030 ou 2050, ainsi que des moyens permettant de les exploiter, tout en tenant compte des difficultés rencontrées avec la Chine et la Russie. Les États-Unis, en effet, craignent que ces pays refusent de vendre ces matières premières lorsque, à moyen ou à long terme, ils disposeront eux-mêmes des techniques de fabrication des composants avancés e.a. « computer chips ». Cela met en danger la survie des usines de fabrications des composants, de haute qualité, fabriqués à partir des terres rares aux Etats-Unis, et donc influencera fortement le marche du travail dans ce secteur.
Il est, par ailleurs, notable que si, dans les années quatre-vingt, les computers chips utilisaient dix ou onze éléments de la table de Mendeleïev, dix ans plus tard, ils en utilisaient quinze, puis quarante-cinq vingt ans plus tard, et soixante aujourd’hui. Or, les technologies avancées, dans quelque domaine que ce soit, nécessiteront de plus en plus de terres rares, ou de matériaux très spécifiques.
De plus, les importations de matériaux rares ont sensiblement augmenté aux États-Unis entre 1996 et 2006, les provenances étant politiquement délicates, en particulier avec la Chine ou la Russie.
Outre que les ressources sont rares, elles sont, de surcroît, limitées à un petit nombre de pays. Les seuils de criticité des métaux dépendent de deux facteurs : la disponibilité politique, géologique, économique … et des besoins technologiques ; notamment des nombreux composants issus de non moins nombreuses combinaisons de terres rares. Des rapports réalisés aux États-Unis détaillent la nature des métaux critiques nécessaires dans le domaine énergétique, électronique, transport, et de telles études existent également pour d’autres secteurs.
Les Japonais ont peur de leur dépendance vis-à-vis de la Chine, avec laquelle les relations ne sont pas formidables. Cela les a conduits à faire d’énormes efforts, dans les domaines de la substitution et du recyclage. Tandis que les Américains s’efforçaient plutôt de ramasser des éléments, et de développer des stratégies, les Japonais, confrontés à de très forts besoins en matériaux rares dans l’automobile, et dans l’informatique, se sont immédiatement préoccupés de se procurer des matériaux de substitution. Depuis deux ans, ils ont donc lancé de grands projets en la matière. Il y a quelques mois, les ministères de l’industrie, de l’économie et de la recherche a ont décidé d’en faire un des thèmes principaux du grand programme national de recherche et de développement.
Un tableau vous montre quels sont les matériaux nécessaires pour les seuls secteurs de l’énergie et de l’environnement, en particulier pour les batteries, les moteurs, l’électronique, la catalyse, etc. On voit que sont impliqués, à la fois, le ministère de la recherche et de l’éducation, ainsi que celui de l’économie. Au sein de tous les centres de recherche, un grand nombre de chercheurs sont désormais engagés dans d’importants programmes de recherche fondamentale et appliquée sur la substitution, à laquelle les grands organismes japonais consacrent des budgets bien plus importants qu’à l’extraction.
Des travaux remarquables sont également consacrés au recyclage, en particulier dans l’automobile, l’informatique et l’électronique. Des programmes pilotes sont aussi conduits, dans la métallurgie, afin d’utiliser des technologies permettant de séparer les différents produits.
Si l’on sait que les États-Unis ont une stratégie en la matière, on en ignore les détails, en raison de la véritable culture du secret de ce pays : même l’expert de l’OTAN que j’étais ne peut obtenir de renseignements. Pour leur part, les Japonais se concentrent sur la recherche, mais aussi sur l’éducation, qui fait, jusqu’ici, une trop faible place aux terres rares.
Ces deux pays ont en commun leur inquiétude, face à l’évolution de la situation mondiale, à tel point que l’on a pu dire qu’il leur serait difficile – comme d’ailleurs aux Européens – de survivre à cette guerre technologique et économique, à un horizon de cinq, dix, quinze ou vingt ans.
M. Claude Birraux. Merci d’avoir dressé ce panorama.
Après le Japon et les États-Unis, l’Europe : je donne maintenant la parole à M. Gwenole Cozigou, qui va nous présenter la stratégie européenne face aux défis relatifs aux terres rares et autres matières premières clés. Je suppose, monsieur, que vous êtes en phase avec ce qu’a dit le ministre…
M. Gwenole Cozigou, Directeur industries chimiques, métalliques, mécaniques, électriques et de la construction ; Matières premières, DG ENTR, Commission européenne. Bien évidemment, nous ne pouvons donc que nous féliciter de notre coopération avec les autorités françaises sur ce sujet.
Le thème des matières premières prend, depuis peu, une importance croissante. Même si l'on ne saurait oublier que l'Union européenne s'est constituée à partir de la Communauté économique du charbon et de l'acier, c'est surtout à partir de 2008 que nous nous sommes, à nouveau, intéressés à ce sujet.
On a aussi beaucoup parlé, ces derniers temps, des marchés, sur lesquels la volatilité des prix, et la spéculation, jouent à l'évidence, même s'il faut, bien sûr, distinguer la spéculation utile, par exemple lorsqu'une entreprise couvre ses risques.
En français, l'expression « matières premières » couvre les produits agricoles – que l'on distingue en anglais sous le mot « commodities » –, les matières premières énergétiques et les matières premières non agricoles non énergétiques. Je m’intéresserai ici uniquement à ces dernières.
Les principaux facteurs qui influent sur nos problématiques sont la demande et l'offre. La demande augmente principalement sous l'effet de la croissance des économies émergentes et du développement des nouvelles technologies. L'offre ne parvient parfois pas à suivre, mais il y a eu aussi des désinvestissements, ou un désintérêt, de l'industrie : le volet extractif de l'activité industrielle ne donne pas un rendement de 8 à 9 %. À une époque, la logique financière a pu l’emporter sur la logique industrielle, et alors ce secteur n'était pas particulièrement tentant pour les investisseurs. Les choses bougent, on assiste à des mouvements d'intégration verticale, et à une reprise des investissements. L'offre est également affectée par les restrictions à l'importation, imposées par plusieurs pays producteurs.
En juin 2010, la Commission a publié le rapport d'un groupe d'experts identifiant quatorze matières premières critiques – appelées à tort « essentielles » dans son dernier document, à la suite d'une erreur de traduction. Ces matières sont critiques en raison du risque aval et du risque amont : risque-pays ou risque-géographique, d’une part, et importance pour l’économie, d’autre part.
Les terres rares en font bien évidemment partie, même s'il faut les distinguer entre elles : si les ouvertures de mines prévues en Australie et aux États-Unis devraient couvrir environ 25 % de la demande, les terres rares lourdes étant assez peu concernées, cela ne réglera pas forcément la question de nos éoliennes.
La stratégie européenne repose essentiellement sur trois piliers, que nous avons identifiés dès 2008 : accès aux matières premières à l'extérieur de l'Union ; accès à l'intérieur de l'Union, utilisation efficace et recyclage. Nous nous efforçons d'adopter une démarche globale, qui couvre l'ensemble de la problématique.
S'agissant du premier pilier, j'insisterai sur le volet commercial et sur la politique de développement. De plus en plus de restrictions à l'exportation étant posées par les pays producteurs riches en ressources, nous essayons d'agir sur les dimensions bilatérale et multilatérale, mais aussi de manier la carotte – le dialogue, qui a bien sûr toujours notre préférence – et le bâton – les recours.
Dans le cadre multilatéral, une discussion s’ouvre au G20 : nous sommes en contact permanent avec l'OCDE afin d'apprécier si les restrictions à l'exportation peuvent se justifier, et si elles sont aussi favorables que certains le pensent, aux pays riches en ressources. En effet, un pays qui applique ces restrictions doit prendre en compte le fait qu'il sera peut-être un jour utilisateur net, mais aussi qu'il peut avoir intérêt à attirer des investisseurs, qui ne sont guère enclins à se tourner vers ceux qui posent des entraves aux échanges.
Dans le cadre bilatéral, la Commission prendra désormais en compte les matières premières dans les accords de libre-échange qu'elle négociera avec des pays tiers.
Nous avons ouvert, en décembre 2010, un dialogue sur les matières premières avec la Chine. Nous l'avions déjà fait avec le Brésil. Il s'agit essentiellement de mieux se comprendre, et de faire valoir nos propres arguments.
Parallèlement, nous n'excluons nullement de recourir à l'OMC. Pour la première fois, nous avons lancé contre la Chine, à propos de neuf matières premières, une plainte conjointe, avec les États-Unis et avec le Mexique. Faute d'être parvenus à un règlement à l'amiable, nous attendons l’avis du panel qui a été créé à cette occasion. À propos des arguments qui nous sont opposés, j'avoue avoir quelque mal à comprendre pourquoi des préoccupations environnementales devraient imposer des restrictions plus fortes à l'exportation qu’à l'industrie transformatrice domestique…
Les États membres et l’Union ont, en matière de politique de développement, une expérience qui n'a pas toujours été celle que l'on aurait pu souhaiter, et que nous rappelle la pratique de certains partenaires, notamment en Afrique. En juin dernier, la Commission européenne et la Commission de l'Union africaine se sont accordées pour une coopération, dans le domaine des matières premières, axée sur la gouvernance, les infrastructures, les investissements, la connaissance, notamment géologique. Les programmes que nous menons dépendent obligatoirement de la demande des pays bénéficiaires. Ce premier accord prend en compte, à la fois, notre initiative relative aux matières premières et le document politique qui expose la vision minière des pays africains.
J’en viens à l'accès aux matières premières à l'intérieur de l'Union. Nous nous efforçons de promouvoir une recherche tous azimuts, en mettant toutefois l'accent, dans les prochains programmes cadre de recherche et de développement, sur l'industrie extractive : techniques d'extraction, extractions maritimes, extractions à grande profondeur, extractions sans participation humaine, meilleure récupération du minerai, etc.
Nous travaillons également avec nos collègues en charge de la politique de l'environnement sur Natura 2000 et sur la législation environnementale. Natura 2000 étant une directive que les États membres transposent en droit national, en allant parfois plus loin, l'application de ce droit communautaire n’est pas toujours uniforme au sein de l'Union. Il a donc été nécessaire de clarifier les choses afin d'exposer qu'il n'y avait pas, a priori, de contradiction entre l'activité extractive et la protection de l'environnement, dans les zones Natura 2000 ou à proximité, pour autant, bien évidemment, que l’on respecte les conditions strictes posées en matière d'environnement et de biodiversité.
Nous proposons également aux États membres, tout en respectant leurs compétences, de favoriser l'échange de bonnes pratiques sur les procédures d'autorisation d'exploitation minière. Dans certaines régions, plusieurs autorisations sont nécessaires et une nouvelle demande n’est instruite qu'après l'achèvement de la précédente, ce qui allonge considérablement les procédures, sans aucune garantie de succès.
Même si cela ne relève pas non plus de notre champ de compétences, je veux aussi souligner qu'il y a des années que j'entends les industriels se plaindre du manque d'ingénieurs et géologues. Le risque de perte de connaissances est réel, si nous n'investissons pas dans notre capital humain. Les formations scientifiques ne sont peut-être pas à la mode, mais elles sont essentielles pour préserver notre compétitivité.
En ce qui concerne le troisième pilier, c'est-à-dire l'utilisation efficace et le recyclage, nous avons des « mines urbaines » que nous devons exploiter. Plusieurs possibilités ont été évoquées, notamment en matière d'aide à la conception et au recyclage. Nous avons, au niveau européen, des législations sur l'exportation illégale des véhicules et des équipements électroniques en fin de vie. Nous voyons pourtant régulièrement, à la télévision, des images de pauvres gens en train de désosser des ordinateurs. Nous avons donc un problème de mise en œuvre pratique de cette législation et nous devons travailler, avec les États membres, à son amélioration, car il n'est pas acceptable que des populations, à l'extérieur de l'Union, souffrent, dans leur santé et dans leur environnement, de telles exportations illégales.
Au-delà de la recherche, l'innovation porte sur les marchés, en particulier publics. Elle influence l'offre et la demande. Dans le cadre de l'Union innovante, qui est un volet de la stratégie pour la compétitivité et le développement durable lancée par la Commission à l'horizon 2020, nous réfléchissons à plusieurs partenariats pour l'innovation. Le programme « vieillir en bonne santé » a déjà été retenu, d'autres sont candidats, et on pourrait envisager un tel partenariat pour les matières premières.
Je m’arrête là, en souhaitant longue vie à la stratégie mise en œuvre par la France. Les synergies sont réelles. D'autres États membres se sont déjà engagés dans cette voie ou s'apprêtent à le faire : l'Allemagne et la Finlande ont une stratégie, d'autres y réfléchissent. La France ne paraît donc pas en retard dans ce domaine.
M. Claude Birraux. Mme Catherine Tissot-Colle, Directrice de la communication et développement durable du Groupe ERAMET et M. Philippe Joly, Directeur de la stratégie et de la communication financière, vont maintenant nous expliquer, à partir de l’exemple de leur entreprise, comment répondre aux besoins des grands industriels.
Mme Catherine Tissot-Colle, Directrice de la communication et développement durable, Groupe ERAMET. Nous allons essayer de vous montrer comment le groupe ERAMET, dans son activité quotidienne comme dans son développement, s’efforce de répondre à un certain nombre des besoins qui ont été identifiés depuis le début de cette réunion.
Je commencerai par vous présenter notre groupe, qui n’est peut-être pas très connu mais qui est un leader mondial français, à la pointe des technologies d’extraction et de transformation des métaux d’alliages, et un spécialiste de ces métaux. Notre taille n’est pas un handicap, car nous ne sommes pas en concurrence directe avec les producteurs de métaux à fort volume.
Nous sommes un groupe intégré, qui dispose de gisements miniers et de capacités de production métallurgiques qui vont jusqu’aux produits semi-finis comme des pièces de moteur pour l’industrie aéronautique, à condition qu’ils soient fabriqués à partir de métaux très technologiques.
Nous disposons d’une recherche et développement de premier plan, nous y reviendrons.
Pour vous donner quelques chiffres, nous sommes cotés à Euronext Paris, avec une capitalisation de l’ordre de sept milliards d’euros, et nous avons annoncé, il y a peu, un chiffre d’affaires 2010 de 3,6 milliards d’euros.
Deux tiers de nos ventes sont liées à la sidérurgie. Nous produisons du nickel, utilisé dans l’inox, dont les producteurs sont nos premiers clients, et du manganèse, utilisé dans les aciers au carbone. Nous servons également d’autres industries : aéronautique, automobile, défense, électronique, nouvelles technologies…
Nous employons plus de quatorze mille personnes dans vingt pays ; nous disposons de quarante sept sites industriels dans douze pays ; notre réseau de vente couvre une vingtaine de pays. Ainsi, en dépit de notre petite taille, notre diversité d’activité et d’implantation nous met en contact avec nombre de problématiques. C’est une de nos richesses, dont j’espère qu’elle attirera des talents vers nous.
Pour nous, il s’agit, d’une part, de servir les pays émergents, qui ont besoin de matières premières brutes ou juste transformées – sans doute serez-vous heureux d’apprendre que nous fournissons des matières qui ne sont pas présentes en grande quantité en Chine… D’autre part, nous fournissons des produits transformés, à haute valeur ajoutée, aux industries aval high-tech, consommatrices de métaux, en France et en Europe, mais aussi, même si elles n’en sont qu’à leurs débuts, dans les pays émergents, dont il ne faudrait pas croire qu’ils vont s’en tenir à l’acier de base.
Nous avons intégré tout cela dans des filières qui répondent aux enjeux du développement durable. Il a été fait référence à l’impact des activités minières et métallurgiques. En tant que responsable du développement durable au sein de notre groupe, je sais bien qu’il s’agit d’un enjeu quotidien. Nous nous sommes dotés non seulement d’une politique mais aussi d’objectifs précis qui peuvent être évalués. Il est, pour nous, extrêmement important d’opérer de façon différente de ce qui a été fait dans le passé.
M. Philippe Joly, Directeur de la stratégie et de la communication financière, Groupe ERAMET. Nous avons voulu vous présenter plus particulièrement la filière des métaux d’alliages, dont dépendent notamment, la construction automobile, l’électroménager, la mécanique, la défense, l’aéronautique. Ces industries achètent, en effet, une large gamme d’aciers dont les caractéristiques dépendent de la teneur en différents métaux d’alliages.
Ces métaux d’alliages proviennent d’abord de l’exploitation minière, mais il faut, pour les obtenir, les extraire du minerai par fusion ou par voie chimique. Ils peuvent alors être ajoutés au process de production des aciers.
En améliorant les propriétés des aciers, les métaux d’alliages contribuent au développement durable. Ils permettent, en effet, de les alléger et d’allonger leur durée de vie dans des usages contraignants.
On a déjà beaucoup évoqué le recyclage. J’indique simplement que nos technologies pyro-métallurgiques et chimiques, utilisées pour extraire les métaux des minerais, sont totalement applicables au recyclage des métaux contenus dans des déchets complexes.
La technologie est, de plus en plus, un enjeu clé pour les mines. Il faut bien sûr d’abord accéder à la ressource. L’identifier et étudier le développement de la mine est le premier travail du géologue. Mais, ensuite, la mise en œuvre de technologies d’extraction et de valorisation des gisements est nécessaire. Or, les gisements sont de plus en plus complexes, en particulier en raison de l’association de plusieurs métaux, et du coût croissant de l’énergie, qui impose de rechercher de nouveaux procédés. L’emplacement des gisements peut aussi être un défi technologique en soi, en particulier lorsqu’il faut accéder à des fonds marins.
Il nous faut également évoquer la nécessité de partenariats locaux de long terme. Les pays où se trouvent les gisements ont un droit de regard sur la valorisation de ces ressources. Développer de tels partenariats avec les autorités locales est une des expertises du groupe ERAMET. Pour qu’ils soient durables, ces partenariats supposent notamment une valorisation locale, une bonne gouvernance, une attention à l’emploi local.
ERAMET est, au Gabon et en Nouvelle-Calédonie, un acteur local majeur. Nous associons les gouvernements locaux au capital des filiales, comme à leur gouvernance. Sécuriser l’accès à la ressource repose sur un modèle à long terme durable, par symbiose entre l’industriel, qui apporte sa compétence technologique, et le gouvernement local, qui recherche des retombées locales équitables.
J’en viens plus précisément à la réponse d’ERAMET aux besoins des industriels. Le groupe est actif sur une large gamme de trente-quatre métaux et substances minérales, à différents stades de la création de valeur : extraction, transformation, recyclage. Ce positionnement unique, fortement créateur de valeur, fait de notre groupe le partenaire de nombreux acteurs industriels.
Notre stratégie de développement nous conduit à élargir notre gamme de métaux par exemple au lithium, aux terres rares, au niobium. Pour cela, nous misons beaucoup sur notre recherche et développement, à laquelle se consacrent plus de trois cents personnes, qui travaillent à de nouvelles technologies, permettant de valoriser des gisements de plus en plus complexes. Il s’agit notamment de l’hydro-métallurgie, qui présente l’avantage de remplacer les traitements dans des fours par une voie chimique, bien moins gourmande en énergie.
Je donnerai, pour conclure, quelques exemples concrets de réponses aux besoins des industriels.
S’agissant du développement de nouvelles ressources, nous travaillons, en Indonésie, à un très grand projet, Weda Bay Nickel, dont l’étude est à un stade avancé, pour permettre une prise de décision fin 2012. Il s’agit d’un gisement de nickel de classe mondiale, qui nous permettrait, grâce à notre nouveau procédé hydro-métallurgique, de doubler à terme notre taille dans ce secteur, en deux phases.
S’agissant des nouveaux métaux, le gisement de Mabounié est un axe de développement important, pour le groupe et pour le Gabon. Ce gisement est détenu majoritairement par COMILOG, notre filiale locale, dont l’Etat gabonais est actionnaire. Il contient des terres rares, du niobium et du tantale. La ressource est de premier plan mondial. L’enjeu est, là aussi, de mettre au point un procédé hydro-métallurgique, permettant d’extraire ces différents métaux stratégiques. Nous en sommes au pilotage de la phase amont. Le projet s’étalera sur une assez longue période, mais il présente un potentiel très important.
S’agissant du développement de filières, nous avons, avec le groupe Bolloré, qui a développé une technologie de batteries pour les véhicules électriques, des projets de développement en commun d’une filière de production de lithium, à partir de l’exploitation des gisements situés dans les salars, en Amérique du sud. ERAMET développe, dans son centre de recherches, des procédés pour transformer le lithium brut en produits transformés, adaptés au marché des batteries. Le partenariat devrait couvrir également le recyclage des batteries.
Nous développons également, avec une entreprise kazakh, un partenariat visant à constituer, pour le titane, une filière intégrée européenne, apte à faire face aux filières américaine et russe jusqu’ici dominantes. Dans la mesure où le titane contribue à alléger les avions, il s’agit ici de favoriser le développement durable, en sécurisant une filière autonome. C’est un marché en fort développement avec, à la clé, des emplois en France. Le site démarrera cette année.
Au total, ERAMET a un profil original d’acteur minier et métallurgique, présent à tous les stades de la création de valeur, depuis la mine jusqu’au recyclage, en passant par des pièces critiques pour l’aéronautique. Nous avons la capacité de créer des partenariats durables avec les pays où se trouvent les gisements, avec les clients industriels en aval et avec des acteurs complémentaires de la chaîne de valeur, notamment en France. Par son approche industrielle propre, ERAMET se positionne donc comme un partenaire de nouvelles filières industrielles.
M. Claude Birraux. Le ministre nous a annoncé qu’il allait installer, dans quelques jours, le nouveau comité pour les métaux stratégiques. Vous en êtes, M. François Bersani, le secrétaire général et vous allez donc nous en préciser les contours, ainsi que les orientations retenues par la France.
M. François Bersani, Ingénieur général des mines, Secrétaire général du Comité pour les métaux stratégiques (Comes). Je commencerai en rappelant ces mots d’Oscar Barenton : « Il ne faut jamais oublier de prévoir l’imprévu »…
Ainsi que cela a été dit par le ministre, il convient, en premier lieu, de savoir dans quelle situation nous nous trouvons et, pour cela, d’évaluer les consommations françaises. Même si bon nombre d'entreprises ne consomment pas directement des matières stratégiques, nous essayons de les sensibiliser au fait que leurs fournisseurs font peut-être appel à ces matières et que certaines précautions s'imposent. Ce travail doit aussi être effectué à l'échelon européen, et même au-delà, dans la mesure où nous dépendons très largement des importations, par exemple pour les pots catalytiques, qui contiennent des platinoïdes et des terres rares et, plus encore, pour les écrans plats, avec l’indium.
Il nous faut également faire un exercice de prévision et de prospective. Les produits qui sortent actuellement des bureaux d'études seront sur les marchés dans quelques années et il est intéressant de savoir quelle sera alors l'exposition de notre économie et comment la consommation aura évolué.
Il convient, en outre, de s'intéresser aux approvisionnements, à travers les deux sources de productions qui ont été très largement évoquées aujourd'hui, les mines et le recyclage. Là aussi, nous devons nous préoccuper des perspectives d’évolution, qui sont à assez long terme dans le domaine minier, et faire de la prospective, en particulier grâce aux travaux des géologues.
Sur ces points, le ministre a évoqué les actions sur diverses substances qui sont déjà engagées par le BRGM. Des travaux se poursuivent aussi, sous l’égide de la Commission européenne, la liste précédemment établie étant sans doute appelée à être élargie, par exemple au lithium et au rhénium. Des études sont également conduites par l'Ademe, pour les perspectives de recyclage. Pour ce qui concerne la prospective, je citerai, à ce stade, les travaux de l’Institut Fraunhofer, en Allemagne.
Menées par les pouvoirs publics, ces actions se feront en étroite liaison avec les acteurs économiques. C’est l’une des tâches du Comes.
J’en viens aux nouvelles sources d’approvisionnement. Si la France ne produit pas, aujourd’hui, de métaux stratégiques alors qu’il y a peu, elle était encore le premier producteur mondial de germanium, grâce à un gisement de zinc très intéressant mais maintenant épuisé, on ne saurait exclure que notre domaine minier terrestre recèle encore quelques richesses à exploiter. Afin d'offrir un cadre juridique adapté, une ordonnance portant réforme du code minier a été promulguée récemment et sera prochainement soumise à ratification. Il a, par ailleurs, été demandé au BRGM de réexaminer l’« Inventaire », précédemment réalisé dans les années quatre-vingts, en se préoccupant, cette fois, des métaux stratégiques. Enfin, deux régions restent actives sur le plan minier : la Guyane, avec l’or, et pour laquelle nous élaborons actuellement un schéma départemental d'orientation minière, et la Nouvelle-Calédonie, dont on connaît la richesse en nickel et, peut-être, dans quelques autres matières.
Les fonds marins sont un autre domaine minier potentiel. Même si l'accès est difficile, les pétroliers nous montrent qu'il est possible. Le projet Extraplac est destiné à définir les zones d'action : zone économique exclusive, mais aussi, sous certaines conditions, plateau continental. Au vu de premières campagnes de prospection de l’IFREMER, l'enjeu semble important. Une campagne davantage orientée vers l'exploration a été engagée, au large de Wallis-et-Futuna, pour les amas sulfurés.
Les opérateurs miniers français, en particulier Eramet et Areva, conduisent un certain nombre de réflexions, dont la presse s'est faite l'écho, et des partenariats industriels sont envisagés. Ces opérateurs s'intéressent également à des projets terrestres, mais aussi aux fonds marins français, ainsi qu'à la zone maritime internationale, qui relève de l'Autorité internationale des fonds marins créée par la convention de 1982 sur le droit de la mer. Outre la réglementation internationale relative aux nodules, et je rappelle que la France détient un titre minier sur les nodules dans les grands fonds marins au large de Clipperton, celle qui porte sur les amas sulfurés a été établie l'année dernière. La Chine et la Russie ont déjà déposé des demandes de permis. Un travail est actuellement mené sur le droit applicable aux encroûtements. On pourrait en trouver au large de la Polynésie.
S'agissant des nouvelles sources d'approvisionnement, on a évoqué la récupération et le recyclage, qui sont extrêmement importants pour notre stratégie. L’étude préliminaire de l’Ademe montre qu'il y a bien un potentiel français, même s'il n'est souvent pas suffisant pour assurer l'équilibre économique de la filière, car il s'agit de collecter un gisement extrêmement diffus. Mais, une fois cette collecte effectuée, on parvient à des teneurs nettement supérieures à celles que l'on trouve dans la nature. Encore faut-il, bien sûr, disposer des installations de traitement. Un certain nombre de nos partenaires européens sont assez spécialisés dans ces questions, notamment l’Allemagne et l’Autriche, mais on trouve également quelques grandes unités en Belgique et en Scandinavie. Peut-être pourrions-nous voir apparaître des opérateurs français et des projets pilote, notamment dans des secteurs où les positions n’ont pas encore été prises, comme les terres rares.
Pour bénéficier de nouvelles sources d'approvisionnement, il faut des compétences. Or, ingénieurs, mais aussi géologues, font cruellement défaut, au point que certains de nos partenaires envisagent de demander à bénéficier de l’appareil de formation qui subsiste dans notre pays. Au-delà des écoles des mines et des formations universitaires, deux organismes pourraient jouer un rôle important dans notre plan d'action : le CESMAT, qui forme des personnels étrangers et l’ENAG, qui vient d'être créé sous l'égide du BRGM et de l'université d'Orléans.
De manière générale, ainsi que le ministre l'a annoncé, nous allons également renforcer les organismes publics (BRGM, Ifremer et Ademe) et nous appuyer sur des interventions de l'Agence française de développement, en direction d'un certain nombre de pays, qu'ils soient de tradition minière, même si certains ont laissé péricliter leurs capacités, ou qu'ils présentent des possibilités de découverte.
D’autres actions portent sur les substitutions et sur les économies de matières, que les industriels s'efforcent, a priori, systématiquement de faire, mais en faveur desquels on pourrait davantage mobiliser des efforts de recherche et développement.
Il convient, au surplus, de souligner que certaines interventions, dans le domaine de la transformation des minerais et de la métallurgie, présentent plus d'importance pour la sécurité d’approvisionnement de matières données. Pour le titane, par exemple, le problème est moins l'accès au minerai que l'élaboration du métal : on n'a pas encore trouvé de substitut au vieux procédé Kroll.
Je n'insisterai pas sur ce qui est fait au niveau européen, qu’a remarquablement présenté M. Cozigou. Nous jouons pleinement le jeu européen, car l’ensemble du continent est confronté aux mêmes problèmes.
Nous essayons également d'apporter un soutien aux opérateurs français qui interviennent à l'étranger. Nous menons des négociations dans un grand nombre d'enceintes et nous nous impliquons dans les travaux du G8 et du G20. Même si l'accent y est aujourd’hui surtout mis sur la volatilité des prix sur les marchés, la question des métaux stratégiques y a été évoquée.
Je dirai enfin un mot du Comes. Les pouvoirs publics viennent ainsi de se doter d'un nouveau moyen d'action, avec cette organisation originale, puisqu'il s'agit d'un comité interministériel, qui réunit également les organismes publics et qui doit être un lieu de concertation avec les acteurs économiques. Grâce à l'implication des fédérations industrielles, nous espérons parvenir à faire, non seulement du top down, mais aussi du bottom up, en faisant remonter les informations, pour que les pouvoirs publics sachent ce qu'il serait le plus utile de faire pour permettre à l'économie française de sortir des difficultés.
Pour conclure sur une autre citation, je rappelle que, selon Maurice Blondel, « l’avenir ne se prévoit pas, il se prépare ».
M. Claude Birraux. Je vous propose d’ouvrir le débat, avant que je ne prononce quelques mots pour clore cette audition. J’ai pour ma part trois questions. Rhodia est implanté à La Rochelle, l'avenir de l'emploi y est-il assuré ? On a beaucoup parlé de développement durable et des risques liés à l'exploitation minière, mais assez peu des résidus de l'extraction, lorsqu'elle est pratiquée à partir de sable. Quelle est la nature de ces déchets ? Y a-t-il des filières de stockage ? Les a-t-on remis dans la nature ou les a-t-on utilisés à autre chose ?
Enfin, les pays producteurs sont essentiellement des pays émergents et en développement. Se pourrait-il que la rareté et le coût de ces matières fassent qu'ils soient privés de leur utilisation ?
M. Frédéric Carencotte. L’avenir de l'emploi à La Rochelle est assuré et nous y avons embauché plus de vingt personnes l’an dernier. Il s’agit d’un site stratégique pour Rhodia, en matière de terres rares, même si nous allons aussi utiliser, pour le recyclage, celui de Saint-Fons, où nous disposons d’outils, grâce auxquels le besoin d’investissement sera moindre.
S’agissant des déchets, Rhodia introduit des produits qui sont uniquement des terres rares et utilise donc 100 % des produits, qui alimentent le site de La Rochelle. Nous y entreposons, ainsi qu’au CEA, des matières radioactives issues des traitements passés de minerais. Ces entreposages sont contrôlés, et vérifiés très régulièrement, par les autorités de tutelle.
M. Éric Noyrez. Je puis donner un exemple concret, dans lequel l'économie du recyclage est liée au pays, et aux infrastructures industrielles sur place. En Malaisie, pour dix mille tonnes de terres rares extraites, il y a quinze fois plus de gypse synthétique, ce que vous avez appelé du « sable », dont le pays est importateur net d’un demi million de tonnes. La valeur du produit est au moins égale à celle de son transport. Saint-Gobain et Lafarge sont utilisateurs de ce gypse en Malaisie, ce qui donne une idée de ce que l'on pourra faire en termes de recyclage, dans des voies économiques qui sont encore à définir : il faudra encore travailler quelques mois au procédé de transformation, probablement par déshydratation, pour assurer une utilisation quotidienne de ces produits.
M.Claude Birraux. J’aimerais que les représentants de Rhodia nous en disent davantage sur la façon dont les choses ont été gérées dans le passé. Y a-t-il un passif ?
M. Frédéric Carencotte. Il y a plusieurs types de matières. Je l’ai dit, nous avons lancé, en novembre 2010, le recyclage des matières en suspension, c'est-à-dire des chutes de production actuelles, comme de celles du passé. Pour leur part, les matières radioactives contenant du thorium sont entreposées et nous menons, à plus long terme, des programmes avec l'ambition de parvenir à les recycler et à les valoriser.
M. Gwenole Cozigou. Dans le nord de l'Union européenne, en Suède et en Finlande, l'augmentation des prix, ou le progrès des techniques de valorisation, ont conduit à mener des programmes, en vue de revisiter et de réexploiter les déchets miniers.
Par ailleurs, il faut nuancer la vision que l'on a de l'activité minière. On insiste toujours sur les effets négatifs, mais n'oublions pas qu’une fois que l'on a arrêté l'extraction, certaines carrières deviennent de véritables réserves de biodiversité.
M. François Bersani. Les opérateurs miniers, français et européens, ont l'obligation, légale et réglementaire, de ne pas créer de risques pour la sécurité publique, pour la santé publique, pour la nature et pour l'environnement. Ces dispositions ont été prévues, en raison des difficultés que rencontrent certains États membres, en particulier les plus récents, dont les normes de sécurité étaient un peu moins élevées.
Il y a aussi, en la matière, un problème de qualification juridique. Assez fréquemment, les producteurs sortent un minerai, et le trient avec un seuil de coupure, qui tient compte des conditions du marché. Si le cours monte, ils vont revisiter le reliquat, afin d’en récupérer une partie. Cela s'est produit à plusieurs reprises lors des décennies précédentes.
Enfin, nous parlons de petites exploitations qui n'ont rien à voir avec celles de charbon et leurs gigantesques terrils. Assez peu de déchets sortis n'ont pas été réutilisés, soit par l'exploitant, en fonction de l'évolution des cours, soit en réinjection dans le sous-sol, à l'occasion de la fermeture de l'exploitation, afin de conforter les galeries.
Nous sommes en train d'établir un inventaire, conformément aux obligations européennes, mais il n'y a pas, à ma connaissance, dans le passif français, de problèmes douloureux à traiter, si ce n'est peut-être du côté des mines d'uranium.
M. Claude Birraux. Si je dis que, dans un passé où les questions environnementales étaient moins prégnantes, il est possible qu'on ait rejeté du sable à la mer, s'agit-il d'une grosse bêtise ?
M. Éric Noyrez. Non, l'impact passé de l'industrie n'est pas forcément connu ou reconnu. Il s'est passé en France, dans le domaine minier, des choses inacceptables, et il s'en passe encore en Chine. Mais le passé sera traité, même si cela n'est pas facile.
Il est d'ailleurs beaucoup plus facile de traiter l'avenir. Aujourd'hui, on « éco-conçoit » une activité minière, dont la fin de vie peut-être prévue. Lynas a ainsi conservé la terre fertile, pour le jour où la mine sera remblayée, et je suis persuadé que l'on procède de même, pour toutes les mines qui s'ouvrent.
Mme Catherine Tissot-Colle. Certaines choses qui ont été faites, dans le passé, deviennent aujourd'hui vertueuses. Ainsi, au Gabon, il y a eu, pendant des années, des rejets dans une rivière qui s’est envasée. Nous avons lancé un programme de réhabilitation qui va permettre, d'une part, d'utiliser et de valoriser les sables extraits, qui ont aujourd'hui de la valeur ; d'autre part, de rendre à cette rivière son statut originel.
Certes, les technologies ne nous permettent pas de gérer l'ensemble du passé, mais il est du moins possible de réparer beaucoup.
En Nouvelle-Calédonie, où les mines de nickel se trouvent en haut des montagnes, certaines, très anciennes, ne pourront sans doute jamais être réparées. Mais tel ne sera plus le cas à l’avenir, car nous avons développé, depuis plus de vingt ans, des techniques éprouvées de revégétalisation.
M. Marcel Van de Voorde. Les infrastructures nécessaires dans l'éducation, dans la recherche et dans l'innovation, font aujourd'hui défaut pour construire une industrie européenne dans les terres rares. Une véritable stratégie européenne est donc nécessaire, qui pourrait sans doute s’inspirer des actions engagées en France.
Enfin, je m'étonne qu’Eramet semble avoir une dimension plus française qu’européenne. Sans doute serait-il utile que le groupe se rapproche des initiatives allemandes dans des domaines similaires.
M. Claude Birraux. Je remercie les collaborateurs de l'Office qui ont préparé cette audition fort intéressante.
J'exprime également ma gratitude aux participants aux deux tables rondes, pour la qualité de leur contribution, ainsi qu’à tous ceux qui ont assisté à cette audition publique.
Le compte rendu de nos échanges sera bientôt disponible en ligne sur le site de l'OPECST, accessible via les sites de l'Assemblée nationale et du Sénat. Les documents présentés ici sur écran y seront annexés, pour autant que leurs auteurs n'y voient pas d'inconvénient.
Les exposés que nous avons entendus ont montré, tout à la fois, l'importance de ces métaux, dits stratégiques ou critiques, pour les industries de haute technologie françaises et européennes, la réalité des risques sur leur approvisionnement, la possibilité de mettre en œuvre un ensemble de solutions opérationnelles, d'ordre politique mais aussi scientifique et technologique.
Personnellement, j'ai été frappé de la réactivité de nos responsables politiques, que ce soit au niveau national ou européen, et de celle des industriels, soucieux d'apporter, très rapidement, des solutions, au travers de l'exploration minière et du recyclage. Les avancées technologiques évoquées en matière d'optimisation des usages et de recyclage montrent que la recherche de solutions nouvelles, permettant de favoriser un développement durable, peut aboutir, et doit être fortement encouragée.
Mais j'ai également relevé que certaines pistes mériteraient d'être approfondies, notamment en ce qui concerne les possibilités de substitution. Je ne suis pas certain qu'on ne puisse pas mieux faire pour limiter notre dépendance vis-à-vis de matières premières dont les réserves sont si limitées. Il me semble que nous pourrions nous inspirer, sur ce plan, de la démarche volontariste engagée par le Japon, qui est concerné au premier chef par ces problèmes.
Sur le plan sociétal, l'exemple des métaux stratégiques ou critiques montre, encore une fois, s'il en était besoin, que l'intérêt des avancées technologiques doit être évalué de façon plus globale, en prenant en compte leurs impacts, en amont et en aval de leur production, ainsi que l'ensemble des coûts induits, sur le plan environnemental et social. Ce n'est qu'au prix de ce changement de paradigme que nos sociétés pourront conserver de façon durable leur capacité à innover.
Une réflexion stratégique sur la formation et les métiers dans ces domaines me paraît d'autant plus indispensable qu’à l'occasion de l’audition que nous avons organisée sur l'apport des sciences et des technologies à l'évolution des marchés financiers, nous avons appris qu'à la sortie des écoles bon nombre de nos meilleurs ingénieurs se dirigent vers les banques pour mettre leurs compétences au service de la spéculation financière… Par ailleurs, la Russie, en appliquant strictement le discours qu'a tenu le Président de la république devant l'OCDE, dispose désormais, dans le domaine nucléaire, d'une capacité de formation de quatre mille opérateurs par an.
L'Office parlementaire, à partir des idées que vous nous avez apportées cet après-midi, va s'attacher à faire des propositions concrètes, qui seront soumises à l'ensemble de nos collègues.
Merci à tous pour la qualité des échanges que nous avons eus aujourd'hui.
EXTRAIT DE LA RÉUNION DE L’OPECST DU
21 JUIN 2011 :
PRÉSENTATION DES CONCLUSIONS DE L’AUDITION PUBLIQUE
M. Claude Birraux, député, président de l’OPECST. – Notre Office est habitué à traiter, lors de ses auditions publiques, les sujets les plus divers, et à recevoir, dans ce cadre, des spécialistes de disciplines elles-mêmes des plus variées. L’audition du 8 mars dernier, intitulée « Les enjeux des métaux stratégiques : le cas des terres rares » n’a pas dérogé à cette forme d’éclectisme, puisqu’elle a réuni des scientifiques, des économistes, mais aussi des industriels, dont deux français et un australien, un expert des questions géopolitiques ainsi que des responsables gouvernementaux. De nombreux décideurs ont, en effet, pris conscience, en 2010, de l’importance de ce sujet, à l’occasion d’un incident de frontière survenu entre la Chine et le Japon qui a conduit, pendant quelques mois, à une situation d’embargo menaçant l’activité industrielle de ce dernier pays.
Si cette question inquiète tant les responsables politiques et industriels, c’est que l’extraction de ces métaux se trouve souvent sous le contrôle d’un nombre réduit de pays, parfois d’un seul. Ainsi, pour les terres rares, la Chine assure aujourd’hui plus de 95% de la production mondiale, alors même qu’elle ne possède qu’un tiers des réserves. Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’elle n’a pas hésité à utiliser son monopole comme moyen de pression vis-à-vis du Japon et qu’elle l’utilise constamment comme une arme commerciale, pour obliger les industries consommatrices à déplacer leur production en Chine. De fait, la Chine réduit chaque année ses quotas d’exportation et deviendra un jour importatrice nette de ces matières.
A l’occasion de cette audition, nous avons constaté que les métaux stratégiques, peu connus du grand public, sont devenus indispensables au développement de nombreuses nouvelles technologies, en raison de propriétés physico-chimiques très spécifiques. C’est le cas pour les énergies renouvelables. L’éolien peut très difficilement se passer de néodyme, un métal de la famille des terres rares, utilisé dans la fabrication des turbines les plus performantes. C’est tout aussi vrai des panneaux solaires en couche mince, plus performants et plus prometteurs que les panneaux traditionnels à base de silice.
Des différentes interventions, deux principaux axes d’amélioration intéressant directement notre Office se sont clairement dégagés.
Le premier concerne l’insuffisance et le morcellement de la formation et de la recherche sur les métaux stratégiques, et plus particulièrement sur les terres rares. Ce problème affecte en réalité l’ensemble de la métallurgie. A ce sujet, il est significatif que plus aucune école d’ingénieur ne comporte le terme métallurgie dans son intitulé ! La métallurgie n’a certes pas totalement disparu des formations et des recherches, mais elle se trouve désormais diluée, notamment au sein des cursus et laboratoires tournés vers l’étude des applications des matériaux. Cette situation apparaît d’autant plus insatisfaisante que la formation et la recherche en métallurgie perdurent aux Etats-Unis et se développent en Chine comme au Japon. Une solution, en ce domaine, serait d’inscrire la formation et la recherche sur les métaux stratégiques, plus largement sur la métallurgie, dans la logique des Alliances, d’où elle est absente aujourd’hui.
Le second axe d’amélioration concerne la réduction de notre dépendance vis-à-vis de ces métaux. En ce domaine, les recherches en cours concernent pour l’essentiel le recyclage des métaux stratégiques. Un industriel français, Rhodia Terres Rares, nous a présenté, à ce sujet, des résultats tout à fait impressionnants. Mais cette solution trouvera forcément ses limites, résultant des propriétés mêmes de ces matières qui conduisent à les utiliser en faibles quantités dans des alliages, un peu comme des vitamines. Ceci constitue évidemment une difficulté pour leur recyclage. Qui plus est, certains usages, dits dispersifs, par exemple dans les cosmétiques, les encres ou encore les colorants, interdisent tout recyclage. C’est pourquoi nous suggérons de compléter les recherches en cours sur le recyclage des métaux stratégiques, par l’étude des possibilités de substitution de ces métaux, à l’égal de ce qui se fait au Japon.
Enfin, sur le plan sociétal, l’exemple des métaux stratégiques ou critiques montre encore une fois, s’il en était besoin, que l’intérêt des avancées technologiques doit être évalué de façon plus globale, en prenant en compte leurs impacts en amont et en aval de leur production ainsi que l’ensemble des coûts induits, sur le plan environnemental et social. Ce n’est qu’au prix de ce changement des comportements que nos sociétés pourront conserver de façon durable leur capacité à innover. A défaut, nous risquons de nous trouver piégés dans un véritable cercle vicieux, l’extraction des métaux nécessitant de plus en plus d’énergie, dont l'obtention mobilise elle-même des infrastructures toujours plus consommatrices en métaux. Aussi, l’éco-conception doit-elle devenir la norme et la traçabilité des produits et alliages utilisant des métaux stratégiques doit-elle être mise en place afin de favoriser le recyclage.
D’autres axes d’amélioration, comme l’identification des besoins de l’industrie ou la reconstitution des réserves stratégiques, auxquelles la France avait renoncé au milieu des années 90, relèvent plus directement de l’action du Gouvernement. A l’occasion de l’audition organisée par notre Office, M. Eric Besson, ministre de l’Industrie, a annoncé la création du Comité pour les métaux stratégiques et l’extension des missions du BRGM. Le Secrétaire général du COMES a d’ailleurs présenté les premières actions engagées en ce domaine.
En conclusion, si nous saluons l’action ambitieuse engagée par le Gouvernement pour assurer l’approvisionnement de nos industries en métaux stratégiques, nous estimons que cette démarche gagnerait à être accompagnée, dans le domaine scientifique, par une meilleure coordination et un renforcement des moyens consacrés à la formation et à la recherche en métallurgie ainsi que par une investigation poussée des solutions de substitution.
Les conclusions de l’audition publique ont été adoptées à l’unanimité des membres présents.
ANNEXE
ANNEXE :
LES MÉTAUX « CRITIQUES » :
DÉFIS ET CONTRAINTES D’UNE POLITIQUE
DE SÉCURISATION DES BESOINS INDUSTRIELS1
PAR MM. CHRISTIAN HOCQUARD2 ET
JEAN CLAUDE SAMAMA3
Dans les milieux gouvernementaux des pays développés, relayés abondamment par les médias, une inquiétude, voire une fébrilité s’est dégagée depuis quelques temps au sujet de l’approvisionnement en métaux rares4 essentiels au développement d’industries innovantes de haute technologie, et tout particulièrement celles associées aux énergies vertesi. La récente crise provoquée par la Chine vis-à-vis du Japon sur les terres rares a même placé la question sur le plan politique et n’a fait qu’amplifier ces inquiétudes.
La question fondamentale posée est en fait la suivante : comment assurer à temps l’approvisionnement harmonieux des industries manufacturières pour lesquelles ces alliages et composés chimiques élaborés à partir de métaux rares sont indispensables, alors même que leur disponibilité présente des vulnérabilités à différents niveaux de leur chaîne d’approvisionnement. De rares, certains de ces métaux deviennent ainsi « critiques ».
Figure 1 : Matrice de criticité : Les « métaux critiques » sont ceux qui présentent à la fois un « risque approvisionnement » (au niveau des pays producteurs) et une « vulnérabilité industrielle » (au niveau d’une filière manufacturière high-tech du pays consommateur), sans possibilité de substitution (2007, National Research Council - NRC)
Dans cette catégorie, on se réfère à la liste des 14 substances sélectionnées par l’Union Européenne en juin 2010 dans son rapport intitulé « critical raw materials for the EU »5 : l’antimoine, le béryllium, le cobalt, la fluorine, le gallium, le germanium, le graphite, l’indium, le magnésium, le niobium, les platinoïdes (6 éléments), les terres rares (une famille de 17 éléments chimiques), le tantale, le tungstène. Le niveau de criticité est modulable selon les spécificités industrielles des pays. Pour les Etats-Unis par exemple, qui ont également réalisé une telle étude, le béryllium n’est pas critique dans la mesure où ils en contrôlent l’essentiel de la production mondiale. Tant au niveau de la demande que de l’offre, la criticité de certains métaux peut s’estomper ou bien se renforcer avec le temps pour atteindre des niveaux de crise. C’est avant tout une notion dynamique.
Figure 2 : Les 14 substances qualifiées de critiques par l’UE
1 - Présentation des problèmes
Le rôle des petits métaux est resté pendant longtemps ignoré, les gros arbres des métaux industriels majeurs cachant le taillis des métaux mineurs. Par opposition aux grands métaux industriels comme le fer, le cuivre, le zinc …pour lesquels les marchés sont importants et les approvisionnements à la fois bien établis et assez transparents, le secteur des métaux critiques est au final moins structuré et homogène, ce qui rend beaucoup plus difficile son analyse. Les marchés sont petits et opacifiés par de nombreux négociants intermédiaires et, il n’existe pas de place de marché à terme permettant de procéder à des achats de couverture, hormis le cobalt et le molybdène depuis peu cotés au London Metal Exchange (LME).
Pour chaque métal critique, les points de fragilité (goulets d’étranglement) se situent généralement à un niveau précis, qui peut se situer aussi bien à l’amont qu’à l’aval de la filière qui le caractérise. Chacun des métaux critiques nécessite donc une analyse fine de toute la filière qui lui est spécifique, depuis la ressource minière jusqu’à l’élaboration des semi-produits6 utilisés par les manufacturiers, en incluant les substitutions potentielles, ainsi que la thématique 3R (« reduce-reuse-recycle»), et jusqu’aux produits d’investissement gagés sur du métal physique, à finalité purement spéculative7.
Les inquiétudes concernant la disponibilité en métaux rares n’est toutefois pas nouvelle. Dès 1939, à la veille du second conflit mondial, les Etats-Unis avaient lancé le « Strategic Material Act » (en charge du premier stockage de 39 substances stratégiques), puis en 1950 le « Defense production Act » (autorisant une aide fédérale à la production minière et métallurgique domestique). Ces dispositifs furent complétés en 1979 par le « Strategic Stockpiling Act » qui a conduit à stocker jusqu’à 5 ans de consommation domestique en 1958 ! Ce stockage stratégique était exclusivement à finalité militaire.
Les métaux rares constituent une palette riche d’environ cinquante éléments dans laquelle puisent aujourd’hui les métallurgistes pour élaborer de nouveaux matériaux. Bien qu’ayant tous des applications spécifiques, on peut cependant caractériser ce groupe par un ensemble de critères communs :
- Le critère quantitatif : il s’agit de petites productions, de quelques tonnes jusqu’à 200 000 tonnes par an, qui se distinguent des métaux industriels, produits à plusieurs dizaines de millions de tonnes.
- Le critère technique : il s’agit majoritairement de sous-produits de l’industrie minière et métallurgique, mais il existe aussi des mines de métaux rares où ces derniers sont exploités en tant que produits principaux.
- Le critère économique : Il s’agit de produits à valeur élevée à très élevée, principalement en raison du haut degré de pureté, pouvant atteindre 7N (99,99999%), requis pour certaines applications.
- Le critère critique : Leur importance ne vient pas du chiffre d’affaires qu’ils représentent, mais de leur présence indispensable pour de nombreux produits high-tech.
- Le critère de comportement : les marchés des métaux rares présentent de longues périodes atones, entrecoupées de crises qui se caractérisent par une flambée des prix pouvant aller jusqu’au stade extrême de la pénurie.
La valeur comparée de quelques marchés mondiaux de métaux : En raison des quantités faibles mises en jeux, même avec des prix élevés, le chiffre d’affaire (valeur de la production primaire) correspondant à chacun des métaux rares reste au final faible, de quelques millions à quelques centaines de millions de USD (par exemple 200 M$ pour le néodyme, 250 M$ pour l’indium, 270 M$ pour le rhénium, 700 M$ pour le lithium). Seuls quelques-uns comme le cobalt, le platine et le molybdène dépassent le milliard d’USD.
Nature et contraintes de l’offre primaire (d’origine minière et/ou métallurgique) : Cette faible importance économique explique non seulement pourquoi les métaux rares ont peu de visibilité, écrasés par le poids des grands métaux industriels, mais aussi pourquoi ils n’intéressent pas les grandes entreprises minières (« majors »), autrement que comme sous-produits fatals de leurs usines métallurgiques.
• De nombreux métaux rares sont des sous-produits de la métallurgie de métaux industriels (parfois même des sous-produits de sous-produits8). Il s’agit souvent d’une production fatale dont la commercialisation représente un simple apport de liquidité. Ceci explique aussi pourquoi les prix des métaux rares sont le plus souvent proches de leurs prix plancher9, périodes atones entrecoupées de hausses généralement relativement brutales (crises) quand l’équation offre-demande est déséquilibrée. Pour certains sous-produits cependant, une surproduction semble inévitable à long terme. En effet, la demande mondiale en métaux industriels d’origine minière va continuer à croître fortement dans les prochaines années impliquant une baisse généralisée des teneurs des gisements de métaux de base. Cette tendance impose une meilleure récupération des sous-produits qui vont devenir ainsi une composante significative de l’économie de ces projets (par exemple le cobalt pour les mines de nickel latéritique ou le cuivre de la Copperbelt de Zambie et RDC, ou comme le molybdène pour les porphyres cuprifères andins.
• Seules de petites sociétés minières spécialisées exploitent les mines où les métaux rares sont des co-produits ou des produits principaux. Pour survivre aux périodes de faible demande où les prix sont déprimés, il leur est indispensable d’exploiter un gisement exceptionnel de classe mondiale, leur permettant d’avoir une position dominante sur leur substance. Elles présentent souvent une forte intégration verticale, comme Brush Wellman pour le béryllium, ou Companhia Brasileira de Metalurgia e Mineração (CBMM) pour le niobium.
• Il peut aussi y avoir des productions artisanales temporaires, très élastiques en fonction du prix, comme pour le tantale de la région des grands lacs en RDC.
Des crises aux origines variées : Les crises de prix qui jalonnent d’ailleurs de manière récurrente l’histoire des métaux rares, peuvent être de nature différente, étant liées soit à l’offre soit à la demande
• Les crises liées à l’offre (au niveau du concentré pour la mine, du métal pour la raffinerie, du semi-produit pour le transformateur, du marché physique pour les négociants ou les spéculateurs), les crises correspondent à des interruptions temporaires et conjoncturelles de la production. Celles-ci peuvent être de nature accidentelles d’ordre technique, climatique ou sociale, aussi bien que de nature intentionnelles par assèchement délibéré de l’offre soit par des restrictions à l’exportation (mise en place de quotas), ou par un stockage spéculatif.
Figure 3 : Exemple de la crise du palladium de fin 2000 et sa substitution par le platine (Crise provoquée par la rétention par Norilsk, principal producteur mondial de palladium, conduisant à une envolée du prix et sa rapide substitution par les constructeurs automobiles qui se tournent alors vers le platine).
• Les crises liées à la demande sont les plus critiques. Ce sont des crises de nature structurelle, provoquées par la commercialisation massive d’un produit innovant issu de technologies de rupture ; majoritairement basées sur de nouveaux matériaux faisant appel à des métaux rares, ces crises sont plus violentes quand il s’agit de sous-produits, en raison de l’inélasticité de leur production. L’offre contrainte ne peut s’adapter à une vive croissance de la demande pouvant atteindre et même dépasser 20% par an.
Figure 4 : Mécanisme typique d’une crise de métaux rares à travers l’industrialisation massive d’un nouveau produits high-tech (adaptation C. Hocquard du Gartner Hype Cycle de J. Fenn).
Les crises sont plus aigües que celles des grands métaux classiques cotés au LME. Elles seront d’autant plus violentes qu’elles toucheront des métaux indispensables à des technologies de rupture et que leur source est contrôlée par des pays en situation de position dominante à monopolistique. Au premier rang se trouve la Chine (97% de la production de terres rares, mais aussi 87% de celle d’antimoine, de 75 % de celle de tungstène, etc.). Il en est de même pour le Brésil qui contrôle 90 % de la production mondiale de niobium, l’Afrique du Sud (78 % du platine), ou la Russie (65 % du palladium).
L’impact de la mise en place de quotas d’exportation pour les métaux rares produits en Chine : Depuis plusieurs années, la Chine a introduit des quotas d’exportations qu’elle réduit chaque année un peu plus, induisant des contraintes d’approvisionnement croissantes pour les métaux rares des pays développés, fortement et parfois totalement dépendants de leurs importations. Les raisons invoquées par la Chine sont multiples : limiter les pollutions générées par leur exploitation, préserver ses ressources domestiques limitées, obtenir davantage de valeur ajoutée en contraignant les industriels étrangers à se délocaliser en Chine pour y avoir accès. Certains y voient un abus de position dominante apparenté à un « resource nationalism » qui traduit la nouvelle dimension géopolitique des métaux rares.
De la crise des prix à la pénurie : A ces facteurs de crises s’ajoutent des mécanismes amplificateurs, comme le comportement des responsables d’achat, ou encore les produits financiers spéculatifs gagés sur du métal physique.
• Le comportement des responsables d’achats est basé sur une logique moutonnière. S’ils voient les prix orientés à la hausse, ils sont tentés de passer des ordres d’achat par crainte que la hausse ne se poursuive. De plus, chacun se détermine non pas en fonction de ce qu’il pense lui-même de l’orientation du marché, mais en fonction de ce qu'il pense que les autres acheteurs sont susceptibles de faire, c'est-à-dire acheter à un prix encore plus élevé. Il en résulte des interactions mimétiques basées sur une logique imitative. C’est ainsi que des décisions individuellement rationnelles conduisent, par consensus, à des dynamiques collectives irrationnelles. On entre là dans l’économie comportementale voir la neuro-économie. L’émotion dicte des réactions excessives et les marchés passent de l’avidité à la peur... jusqu’à constituer une "bulle spéculative" et au final, provoquer la pénurie.
• Les ETP (« exchange traded products») sont des produits financiers, assimilables à des certificats gagés sur du métal physique. Après avoir connu un grand succès sur les métaux précieux (or, argent, platine, palladium en particulier de ETF Securities), ils s’ouvrent maintenant aux métaux rares10.L’objectif annoncé est un stockage spéculatif visant à raréfier l’offre et provoquer ainsi une hausse des cours. Selon Johnson Matthey, les récents ETF sur le platine peuvent être « disruptifs » et provoquer une pénurie en asséchant un marché spot très réduit. Dans ces conditions, est-il raisonnable de considérer les métaux rares comme une classe d’actif ? Marchés réduits et peu de métal disponible au comptant (spot) sont un environnement favorable à la spéculation.
Ainsi, le faible tonnage produit, l’absence de place de marché et stocks, l’opacité de ces petits marchés entretenue tant par les producteurs que les négociants, l’imprécision des statistiques, et très peu de métal disponible contribuent aussi à la mauvaise appréciation du risque. De plus, l'industriel manufacturier qui assemble des composants que lui livre en flux tendu un transformateur ou fabricant de composants, n’a plus aucune perception du risque métal. Mais au final, c’est le plus souvent le comportement opportuniste des acteurs (achats excessifs et spéculation) qui amplifie les crises jusqu’à la pénurie.
Signe de l’importance nouvelle des métaux rares, le London Metal Exchange (LME) a inauguré en Février 2010 une cotation avec des contrats à terme sur le molybdène et le cobalt. Deux avis s’opposent quant aux effets de cette initiative: s’agira-t-il d’une place de marché de couverture permettant plus de transparence dans l’établissement des prix et une couverture vis-à-vis de la volatilité ou, à l’opposé, un nouveau lieu favorisant la spéculation ?
Les impacts des crises sont toutefois très différents selon le produit manufacturé considéré. :
• Ils peuvent être très significatifs par exemple pour le catalyseur platine des automobiles diesel (sur la base de 3 grammes de platine, sur la base de 2 000 US$/once, il s’agit de presque 200 USD par véhicule).
• Ils peuvent être à l’opposé insignifiants, avec moins de 1 USD contenu de tantale dans les téléphones portables ou d’indium dans un téléviseur à écran plat. Pour ces industries le seul vrai risque, au final, est celui de la pénurie.
Ainsi, pour nombre de métaux critiques, beaucoup plus que le prix, qui n’a qu’une influence marginale sur le produit fini en raison des faibles quantités contenues par unité, ce sont les ruptures d’approvisionnement qui sont les plus préoccupantes.
En l’absence de stocks, et compte tenu des faibles volumes produits sur un nombre réduits de sites, les métaux critiques sont très sensibles à toute rupture de la production, même conjoncturelle, provoquant ainsi une tension sur les prix, voire « une crise » accompagnée d’une volatilité extrême, pouvant conduire au stade extrême de la « rupture de l’approvisionnement ». Ainsi, pour de nombreux métaux rares, la disponibilité est donc le facteur déterminant et la notion de criticité d’un métal rare prend toute son importance.
Il s’ensuit que toute politique de sécurisation d’approvisionnement doit impérativement être dynamique et extrêmement réactive pour pouvoir s’adapter en permanence aux besoins et mieux, anticiper les situations de crise.
Mais pour tracer les défis et les contraintes d’une telle politique de sécurisation des besoins industriels, nous nous appuierons seulement sur trois exemples types, à savoir l’indium, le néodyme (une des 17 terres rares), et le lithium.
2 - Ressources et utilisation
Une bonne connaissance des ressources actuelles et potentielles d’une part et des utilisations actuelles et futures d’autre part est indispensable pour définir les orientations d’une politique de sécurisation des approvisionnements. Le paysage est extrêmement diversifié comme vont le montrer les exemples choisis.
Figure 5 : Métaux rares : principales filières associées à l’énergie et aux émissions de GES : catalyse, énergies renouvelables, stockage de l’énergie, superalliages, électronique, nucléaire
2.1 - L’Indium (In)
La production d’indium qui était peu élastique en étant, essentiellement, un sous-produit de la métallurgie de certains minerais de zinc a retrouvé une certaine élasticité avec le retraitement de scories anciennes. La Chine contrôle environ 60% de la production mondiale d’indium et a introduit des quotas à l’exportation qui vont en diminuant.
L’indium, sous forme d’alliage avec l’étain (ITO) a son principal débouché dans la fabrication d’écrans plats où il intervient comme électrode transparente. Dans la filière indium, la fabrication des écrans plats génère d’importantes quantités de scraps, ce qui permet un recyclage en boucle fermée qui couvre plus de 50 % de l’offre globale.
Pour ce métal, où se situent les éventuels risques de la filière ? En plus des quotas et d’une montée rapide de la demande chinoise en raison du boom des ventes de téléviseurs LCD en Chine (40 millions en 2010), de nouvelles applications sont attendues, comme la technologie photovoltaïque film mince à semi-conducteurs cuivre-indium-gallium-sélénium (CIGS) ainsi que les écrans OLED, potentiellement fortement consommateurs d’indium. Les besoins estimés dépasseraient les capacités de production actuelles dès 2015. De ce fait, les substitutions sont activement recherchées, tant pour l’ITO des écrans plats, que pour le photovoltaïque CIGS qui pourrait voir le Japon privilégier la technologie Cd-Te par crainte d’une insuffisance d‘indium sur le marché. On prévoit donc des tensions à court terme ce qui justifie à la fois la mise en place rapide d’une filière de récupération de l’ITO dans les produits en fin de vie, ainsi que la R&D pour des technologies de substitution.
2.2 - Le néodyme (Nd)
Les terres rares ayant fait l’objet de la première partie de la table ronde, nous ne reviendrons ici que sur l’une d’entre elles, le néodyme dont l’utilisation majeure est la fabrication d’aimants permanents NdFeB dont la production mondiale est de l’ordre de 45 à 50 000 t/an, principalement en Chine et au Japon. Ces aimants, qui renferment 27% de Nd, trouvent en particulier un débouché dans les moteurs électriques (miniaturisation et très haut rendement énergétique). Ils sont appelés à se généraliser, tout particulièrement dans l’industrie automobile (véhicules hybrides et électriques), ainsi que dans l’éolien off-shore.
En France, il semble n’y avoir aucun producteur d’aimants permanents à base de néodyme (sous réserve). Le néodyme présente un risque élevé de déficit de production mondiale à l’horizon 2014. A cette date, le déficit de production devrait atteindre 5,7% voire 32 % suivant les estimations de la Société Lynas. Sur ce fonds de déséquilibre offre/production, la poursuite de la réduction des quotas chinois (après une diminution de 40% pour l’année 2010, et une baisse de 35% annoncée pour le premier semestre 2011) va amplifier les difficultés d’approvisionnement et conduire à une probable situation de crise aigüe à court terme.
Une technologie alternative est possible pour les aimants de haute performance, celle au samarium-cobalt, mais indépendamment des prix plus élevés, cette filière ne conduirait qu’à déplacer le problème, d’une terre rare à une autre.
Du point de vue de la production de terres rares, il y a de nombreux projets dans le monde.
Figure 6 : Liste des 10 projets miniers de terres rares les plus avancés
Mais relativement peu qui soient avancés, c'est-à-dire disposant soit d’une faisabilité ou soit d’un financement acquis pour la construction de la mine et de ses installation de concentration des minerais. La mise en production des nouveaux gisements est contrainte par trois facteurs : la valeur du minerai dictée par le mix de terre rares lourdes et légères (les premières étant beaucoup plus chères que les secondes), une récupération optimale des différentes terres rares contenues dans le minerai, et surtout un client qui achètera la production sur un contrat à long terme. Pour le néodyme, il conviendrait d’analyser les projets de manière plus spécifiques, c'est-à-dire d’estimer les perspectives de production en fonction de l’avancement des projets et de la teneur en néodyme des minerais correspondants.
2.3 - Le lithium (Li)
La demande en carbonate de lithium devrait croitre rapidement avec le démarrage, en 2011-2012, de la production commerciale d’automobiles électriques à batteries lithium-ion. Cette demande s’ajoutera à celle, croissante, des batteries pour téléphones, ordinateurs, et autres appareils portables. De nouvelles demandes sont également attendues pour l’industrie aérospatiale avec les nouveaux alliages aluminium-lithium, la substitution des batteries NiMH (nickel-hydrure de métal) par les Li-ion, voire le stockage des énergies renouvelables (éolien et photovoltaïque).
Le lithium est principalement utilisé sous deux formes pour deux applications distinctes:
• sous forme de minéraux de lithium, extraits de mines en roche, et qui sont utilisés par l’industrie du verre et,
• sous forme de carbonate de lithium, obtenu à partir du pompage suivi de l’évaporation des saumures imprégnant les croutes de sels de certains lacs salés ou salars (Chili, Argentine, Etats-Unis, Chine). Ce produit est utilisé dans les batteries Li-ion.
Concernant les salars, de nombreux projets miniers avancés de sociétés juniors sont en cours d’évaluation, tout particulièrement en Argentine ; tandis qu’au Chili, les deux principaux producteurs actuels (SQM et Chemetall) ont des projets d’expansion, qui devraient pouvoir couvrir la croissance de la demande à court terme. La Chine envisage aussi de nouveaux projets d’exploitation de salars tibétains. En Bolivie, des ressources majeures ont été estimées par la coopération française dans le salar d’Uyuni. Elles font actuellement l’objet de tests d’évaporation par la société d’Etat Comibol, qui souhaite produire par elle-même le carbonate de lithium ; l’investissement étranger n’étant souhaité par le gouvernement que pour industrialiser sur place cette matière première via des usines de fabrication de batteries.
Figure 7 : Salar d’Atacama - Chili : augmentation de la surface des bassin d’évaporation entre 2002 et 2008 de la société Chemetall, second producteur mondial de carbonate de lithium
Concernant les minéraux, plusieurs juniors d’exploration envisagent d’exploiter les minéraux de lithium pour les transformer ensuite en carbonate de lithium, et ce malgré un coût de production plus élevé et davantage d’émissions de CO2 que celui issu des salars.
L’enjeu est de savoir si ces nouvelles productions seront bien au rendez-vous en 2015, de manière à satisfaire et équilibrer la forte demande attendue associée à la montée en production des véhicules hybrides et électriques. Comme pour les aimants permanents, l’enjeu est de taille.
Pour ces métaux, comme pour tous les autres métaux critiques, bien des voies sont invoquées pour résoudre les défis de sécurisation des approvisionnements ; la première d’entre elles est le recyclage.
3 - Le recyclage s.l.
Nous regrouperons sous le terme recyclage s.l., la thématique 3R (recyclage, réutilisation, économie d’usage) et la substitution.
3.1 - Le recyclage
Les filières de recyclage pour des métaux comme le plomb, le cuivre, le fer ou l’aluminium, qu’elles soient alimentées par des scraps neufs (déchets d’usinage) ou vieux (équipements en fin de vie) sont bien établies, mais elles ne peuvent servir de modèles pour nombre de métaux rares. En effet, dans ce cas,
Figure 8. Projet de recyclage des luminophores à terres rares des lampes basse consommation
• seuls les scraps neufs sont disponibles à très court terme pour le recyclage, selon des flux variables, directement liés au cycle de la production industrielle. Pour un industriel, si les chutes métalliques de fabrication sont abondantes, Il peut être intéressant d’organiser leur tri pour les faire recycler en boucle fermée via un tooling (c’est cas des fabricants de dalles de téléviseurs où l’indium est récupéré directement sous forme de l’alliage ITO).
• jusqu’à présent le recyclage se limite le plus souvent au recyclage des chutes neuves de fabrication, tandis que le recyclage des métaux rares contenus dans les produits en fin de vie se limite à ceux ayant une très forte valeur comme les métaux précieux (or, argent, platine, palladium) et le cobalt. Par ailleurs, pour les produits en fin de vie, la durée de vie des équipements conditionne la disponibilité de vieux scraps. Ainsi, le néodyme des aimants permanents est immobilisé pour 3 à 5 ans dans les disques durs des ordinateurs (mais la complexification multi-matériaux, la miniaturisation et la dispersion sont telles qu’il n’est pas récupéré). Il ne sera récupérable qu’après 10 ans pour les aimants permanents des moteurs électriques de nouvelle génération (équipant en particulier certains véhicules hybrides et électriques dont la production commerciale vient de démarrer). Ce délai d’immobilisation dépassera 20 ans pour les aimants des éoliennes off-shore. En d’autres termes, un gisement de néodyme secondaire à la fois significatif et alimenté par un flux annuel conséquent ne sera pas constitué au plus tôt avant 15 ans.
• encore faut-il, pour les vieux scraps que la filière de recyclage soit techniquement et économiquement possible. Comment récupérer des matières très dispersées dans un produit ? Le problème se pose par exemple pour le néodyme des disques durs d’ordinateur ou l’indium et le germanium, des semi-conducteurs de plus en plus envahissants avec le développement de l’automobile « communicante ».
Ainsi, non seulement la constitution d’un gisement secondaire significatif de métaux rares prend du temps, mais les filières de recyclage dédiées sont soumises à des contraintes multiples, comme :
• les fortes variations de prix (comment rester rentable en bas de cycle)
• les substitutions (exemple de la filière batterie),
• l’exode des scraps (conséquence notamment du point suivant),
• les contraintes environnementales car il n’est pas aisé de recycler propre… et comment gérer les régulations RoHS et REACH11 qui impacteront également le recyclage des métaux rares.
La problématique émergente du recyclage des métaux rares implique l'identification des problèmes associés à chaque étage du processus. Ce recyclage est complexe et constitue à lui seul un métier spécialisé. Pour ces raisons, le recyclage, certes essentiel d’un point de vue environnemental12, ne pourra représenter du point de vue quantitatif qu’un appoint pour la satisfaction de la demande. Des modélisations de flux, comme celles par réalisées par le recycleur belge Umicore pour le platine de la catalyse automobile, sont indispensables pour préciser, au cas par cas, l’impact du recyclage dans le temps.
En résumé, le recyclage ne pourra que contribuer pour une part très variable, fonction du métal, à la sécurisation indispensable des approvisionnements pour les années à venir.
3.2 - Les réductions d’usage
Les réductions d’usage sont le fruit des innovations incrémentales, comme par exemple l’augmentation régulière de la capacitance des poudres de tantale, qui conduit à une diminution régulière de la taille des condensateurs. La considérable augmentation de la production mondiale de téléphone et d’ordinateurs portables est ainsi compensée par la diminution des quantités de tantale par unité produite.
3.3 – Les substitutions
La substitution d’un métal ou d’un alliage par un autre n’est pas seulement dictée par le prix de la matière première. Le choix d’un métal ou le plus souvent d’un alliage sophistiqué issu d’un laboratoire nécessite des adaptations lors du passage à l’échelon industriel, car il peut être d’usage restreint (avec des métaux lourds), altérer la qualité finale, présenter des difficultés d’assemblage avec les autres matériaux, ou présenter des risques d’approvisionnement (terres rares, etc.). De plus, le choix des métaux est encore réduit par la prise en compte des contraintes environnementales et sociétales à travers les réglementations contraignantes. Elles obligent non seulement à substituer les matériaux dangereux par d’autres considérés comme sans danger, mais aussi à évaluer les conséquences positives ou négatives de ces substitutions.
Le Japon se propose de réduire d’un tiers sa consommation de terres rares, estimée à 30 000 t par an, soit la quasi-totalité du quota d’exportation de la Chine pour 2010. Dans ce cadre, les sociétés japonaises dont Hitachi Metals et Asahi Glass vont investir 1,3 milliards d’USD en R&D d’ici à mars 2012, avec une aide gouvernementale très substantielle.
Les substitutions peuvent aussi impacter une filière recyclage. C’est le cas par exemple des batteries Ni-Hydrure Métallique, où des unités de traitement viennent à peine de se constituer, qu’elles sont déjà fragilisées par le développement des batteries Li-ion, où le lithium n’est jusqu’ici pas recyclé.
Figure 9. Chaîne de substitution dans les batteries et contraintes d’une filière de recyclage
Vu les limites de l’approvisionnement à partir des filières de recyclage, le recours à des ressources primaires, c'est-à-dire des ressources minières s’avère donc absolument indispensable mais fait surgir deux ensembles de défis.
4 - Les deux défis majeurs du recours aux ressources minières
Dans l’optique de la sécurisation des approvisionnements, on identifie deux enjeux : à l’amont, le défi de sécurisation de la filière minière et à l’aval celui de la maitrise de la filière métallurgique incluant l’élaboration des semi- produits.
4.1 - Le défi de la sécurisation de la filière minière
- L’exploration minière : La première voie est bien entendu celle de la prospection, mais elle impose des délais longs qui peuvent être difficilement compatible avec les prospectives de crises identifiées pour les trois métaux considérés précédemment. En effet, de tels projets lancés aujourd’hui ne permettraient pas d’alimenter le marché en produits semi-finis avant au minimum 10 à 15 ans, en admettant que ces prospections conduisent à la découverte de gisements économiquement exploitables. L’idée de relancer des prospections sur le territoire national se heurte de plus à des obstacles administratifs, environnementaux et sociaux qui retarderaient encore plus ou même inhiberaient le projet.
Par ailleurs, l'anticipation d'une offre minière tendue et d’une hausse des prix de certains métaux critiques, terres rares et lithium surtout, a déjà provoqué un rapide afflux de nombreuses petites sociétés d'exploration (« juniors ») en quête de nouveaux gisements de ces différents métaux, partout dans le monde où la géologie était favorable. Très rapidement, on s'est d'ailleurs aperçu que les gisements de lithium, tantale, terres rares ne manquaient finalement pas. Pas moins de 165 sociétés travaillent actuellement sur 251 projets dans le monde. Les restrictions d’exportation de la Chine apparaissent donc comme une opportunité pour les sociétés junior extrêmement réactives.
Certains projets sont cependant localisés dans des pays considérés comme à risques géopolitiques et de gouvernance élevés (cf. Transparency International, Fraser Institute) de sorte que la diversification géographique des sources d’approvisionnement doit être pondérée (lithium de Bolivie et d’Afghanistan, platine du Zimbabwe, etc.)
Par ailleurs, et pour différentes raisons, les grandes sociétés minières (« majors ») sont systématiquement absentes de l’exploitation des gisements de métaux rares en tant que produits principaux. La principale raison est qu’une exploitation minière de ces métaux rares représente un chiffre d'affaire trop faible.
Les sociétés minières qui exploitent des métaux rares en production primaire sont des sociétés moyennes (« mid-size ») qui exploitent un gisement de classe mondiale, c'est-à-dire de qualité exceptionnelle tant par sa taille que par sa teneur, ce qui permet d’assoir un contrôle de facto sur les productions et la formation des prix. C’est tout particulièrement le cas du niobium, du lithium, de l’antimoine et des terres rares.
En résumé, chercher et trouver des gisements de métaux rares est certes nécessaire mais représente une solution de long terme, alors que les défis identifiés pour certains métaux critiques sont d’abord à court terme.
- Les contrats d’achat à long terme et « off-take » ainsi que l’acquisition de gisement encore en terre : La deuxième voie est celle du contrat d’achat à long terme de produits miniers avec en particulier pour les métaux rares le contrat off-take, qui permet de s’assurer la production future de la mine (par un enlèvement des produits miniers) en contribuant de manière précoce au financement de la construction de la mine. Il s’applique aux projets miniers avancés d’une société junior disposant d’une faisabilité positive, c’est à dire prêts à être mis en production. En effet, la junior minière doit non seulement trouver le financement pour développer la mine, mais aussi avoir un client pour acheter la production minière. C'est l’aval manufacturier qui conditionne la viabilité économique des projets miniers de métaux rares. Il est donc impossible pour une junior d'ouvrir une mine sans avoir sécurisé préalablement un contrat d'achat à long terme avec un trader, un transformateur ou un industriel manufacturier. Ce financement a pour contrepartie un droit à enlèvement de tout ou partie de la production (stratégies « off-take » ou « take or pay »). On peut considérer que le délai avant la mise en production est de l’ordre de 5 ans. C’est une voie efficace, mais elle nécessite une veille parfaite pour saisir les opportunités, une bonne réactivité et la disponibilité de capitaux. C’est la voie choisie par Rhodia qui a réalisé un off-take avec l’Australien Lynas, qui va ainsi pouvoir développer son gisement de Mt Weld. On peut aussi noter la récente acquisition par un consortium de sidérurgistes japonais de 10% de CBMM qui contrôle la production mondiale de niobium pour 1,3 milliard de $, et le financement d’une nouvelle expansion de la production pour 700 M$.
L’acquisition de gisement encore en terre (reconnu mais non encore exploité) est une voie qui permet aussi de raccourcir les délais. Des partenariats public-privé avec contribution de l’Etat au financement ou en garantie du financement existent en Corée du sud et au Japon.
En résumé, le contrat off-take est une solution intéressante à la sécurisation et la diversification des sources d’approvisionnement, mais avec un objectif de moyen terme.
- La troisième voie est l’acquisition de sociétés minières : une acquisition permet de contrôler une production déjà existante. Le problème majeur est qu’il y a peu ou pas de sociétés minières productrices disponibles à l’achat dans le secteur des métaux rares critiques.
En résumé, la voie de l’acquisition est certes une voie à court terme idéale, mais elle bute sur la rareté des cibles et leur prix d’acquisition.
4.2 - Le défi de la sécurisation de la filière aval (métallurgie incluant l’élaboration des semi-produits)
Ce serait une erreur de n’envisager l’approvisionnement d’une industrie qu’en terme de ressource primaire, car c’est toute la filière de la mine jusqu’au produit semi-fini qui doit être sécurisée. On arrive ainsi à la notion essentielle de filière intégrée de la mine aux produits, à l'instar du programme américain sur les terres rares intitulées « mine to magnet ».
L’exemple des terres tares est à cet égard parfaitement démonstratif. Rhodia, qui contrôle une production minière et effectue une première séparation en Chine, réalise en France une purification avancée et l’élaboration de luminophores et les catalyseurs via des formulations complexes (« compounds»). La réduction régulière et rapide des quotas d'exportation de la Chine ont poussé Rhodia à se tourner vers Lynas (chapitre précédent). Mais si l’entreprise Rhodia a ainsi sécurisé pro parte ses approvisionnements, ce n’est pas le cas de la sécurisation pour la France et l’Europe de la filière aimant permanents à base de néodyme.
En résumé, au-delà de la seule production minière, c’est l’ensemble de la filière, incluant impérativement l’aval métallurgique qu’il est également indispensable de sécuriser.
5 - Les stockages stratégiques
C’est bien évidement un outil de sécurisation des approvisionnements. Mais si le concept est simple, les choix qu’il implique et leur mise en œuvre sont complexes et délicats.
On peut distinguer deux types de stockages qui sont complémentaires : le stockage de précaution pour parer à des interruptions temporaires (stock de soutien aux industries en cas de prix excessifs), et le stockage stratégique pour faire face à une rupture durable des approvisionnements.
Les questions qui se posent sont multiples :
• Stock de soutien ou stock stratégique ?
• Quels métaux stocker?
• Sous quelle forme ? (produits intermédiaires, métal, autres « compounds »),
• En quelle quantité ? (en mois de consommation)
• Avec quel financement ?
• Et surtout, avec quelle gestion dynamique ?
Le tableau ci-après illustre les choix de stockage stratégiques opérés par certains pays
Figure 10. Stockages stratégiques opérés par certains pays à fin 2010
En France, un dispositif de stockage de précaution des matières minérales stratégiques a été créé en 1974. La Caisse Française des Matières Premières a été dissoute par le décret du 26 décembre 1996, au profit d’un recentrage des activités de l'Observatoire des matières premières (OMP) autour de la surveillance et de la sécurité d'approvisionnement.
Aux Etats-Unis, la liquidation totale progressive du stock stratégique gérée par le « Defense Logistics Agency - Defense National Stockpile Center » (DLA-SNSC) a été interrompue en 2008, et un nouveau programme de sécurité des matériaux stratégiques a été proposé.
On peut aussi imaginer un stockage alimenté en priorité par les productions domestiques, et tout particulièrement par le recyclage. Ce stockage se ferait sur la base d’achat, à des prix planchers garantis sur une longue durée, de certains produits issus du recyclage. Avec comme objectif d’inciter à la création de filières de recyclage à haut risque.
Au niveau des industriels consommateurs, le stockage est mal perçu, surtout en période où les liquidités sont précieuses. La gestion en flux tendus a évidemment comme corolaire que les acheteurs de ces entreprises procèdent à des achats compulsifs en cas de tensions sur une substance critique lorsqu’ils auront une crainte de pénurie.
La gestion des stocks est trop souvent comptable, avec leur liquidation systématique en fin d’année pour améliorer l’esthétique du bilan. Il peut être utile de réaliser un tableau de bord pour mesurer et contrôler la performance des achats, en suivant les quantités et l’écart de valorisation des stocks
6 - Conclusion
De cette analyse, il ressort trois idées majeures :
6.1 - La sécurité d’approvisionnement en métaux critiques relève de 3 grandes voies :
• Le recyclage s.l. qui ne peut contribuer que pour une part très variable à l’approvisionnement selon le métal critique. Pour les métaux en forte croissance de consommation, l’impact sur la disponibilité (en % des besoins) ne se fera sentir qu’à moyen et long termes.
• La ressource minière : l’exploration minière ne peut avoir qu’un effet à long terme alors que les défis poses impliquent des politiques à court terme. Les contrats off-take sont sans doute le moyen le plus accessible avec des réponses à moyen terme et des besoins financiers importants. L’acquisition est le moyen le plus court pour assurer un approvisionnement, mais il est limité et couteux.
• Les stocks stratégiques, qui peuvent avoir des effets positifs à très court terme, mais seulement une fois le dispositif mis en place. Ils nécessitent des moyens financiers relativement limités, mais impliquent une gestion dynamique délicate.
Aucune des solutions identifiées n’est en soi suffisante, elles sont en revanche complémentaires en s’inscrivant chacune avec un pas de temps différent. Pour les trois métaux critiques visés, c’est l’importance des délais de mise en place des outils de la sécurisation qui est cruciale, car plusieurs crises potentielles sont déjà bien identifiées à court terme.
6.2 - L’anticipation : C’est elle qui va faire la différence dans un monde industriel en concurrence vis-à-vis des métaux critiques. Elle implique :
• un système de veille amont sur les ressources primaires sur l’ensemble des mines et projets miniers impliquant des métaux critiques. Il faut aller, au-delà de l’information publiée et avoir un suivi dynamique continu des avancements des projets et pour cela, être en contact direct avec les acteurs impliqués (suivi des juniors, participation à des congrès comme le PDAC de Toronto au Canada, ou Indaba en Afrique du Sud).
• un système de veille aval sur les applications : nouveaux usages, recyclage/substitution.
Une telle stratégie est indispensable pour raccourcir les délais et saisir les opportunités.
Figure 11. Principales technologies innovantes et métaux rares associés
(C. Hocquard, brgm) Pour chaque substance, un baromètre, dont le curseur se déplace sur différents niveaux d’intensité de crise, correspond à un système avancé d’alerte de type « early warnings ».
6.3 – Enfin, pour être efficace, une politique de sécurisation des besoins industriels et de réduction des vulnérabilités doit avoir les caractéristiques suivantes :
• Etre réactive, avec décision décentralisée,
• Disposer de moyens financiers importants (de l’ordre de la centaine de million à plusieurs milliards de USD selon les choix effectués) et rapidement mobilisables,
• Accepter la prise de risque.
Ces réflexions sur la sécurisation des approvisionnements en métaux rares « critiques » sont présentées avec une logique globale et dynamique. Elles nous paraissent applicables tant au niveau national que supranational, et s’inscrivent dans le cadre des réflexions déjà engagées tant en France qu’au niveau européen.
Un pays qui aura sécurisé ses approvisionnements aura acquis un avantage compétitif vis à vis de ceux qui ne l’auront pas anticipé.
1 Cette réflexion, qui n’engage que leurs auteurs, concerne avant tout les mécanismes en relation avec les politiques publiques, d’autres solutions sont bien évidemment envisageables au niveau des industriels.
2 Géologue, économiste des matières premières minérales au BRGM
3 Professeur émérite de géologie appliquée et ancien Directeur de l’ENSG de Nancy
4 Les métaux rares sont également appelés métaux mineurs ou « minor metals » du « Minor Metals Trade Association » (MMTA) à Londres, mais on trouve aussi métaux high-tech, métaux verts, petits métaux, métaux exotiques, ou encore métaux technologiques (par opposition aux métaux industriels). On notera aussi la fréquente confusion dans les médias entre « métaux rares » et « terres rares » une famille de métaux rares comprenant 17 éléments.
5 Critical Raw Materials for the UE, Report of the ad-hoc Working Group on defining critical raw materails, 30 july 2010, http://ec.europa.eu/enterprise/policies/raw-materials/documents/index_en.htm
6 On distingue, respectivement en amont et en aval de la production métal, les produits précurseurs (éponge de titane, APT pour le tungstène, etc…), et les alliages et semi produits (TiAIVA pour le principal alliage de titane, GaAS, GaN, et GaCI2 pour le gallium, ITO pour l’indium, etc…).
7 Exchange Traded Products (ETP).
8 Le rhénium est un sous-produit du molybdène, lui-même un sous-produit du cuivre des porphyres cuprifères, le hafnium est un sous-produit du zirconium (zircon), lui-même un sous-produit de l’exploitation des sables titanifères à ilménite.
9 Prix plancher = coût de production, plus coûts du stockage, du transport, des assurances et de la commercialisation
10 ETP sur l’indium avec SMG Specialty Metals Group, sur les terres rares avec Van Eck et Dacha Capital, ETF sur le lithium avec GlobalX Funds.
11 Directives RoHS “Registration, Evaluation and Authorization of Chemicals” et REACH “Restrictions on Hazardous Substances”.
12 Le recyclage non seulement recycle le gisement domestique de « matières secondaires », mais permet de réaliser de substantiels gains d’énergie par rapport à la ressource primaire.
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