N° 254
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 octobre 2012
AVIS
PRÉSENTÉ
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2013 (n° 235),
TOME IV
DÉFENSE
PAR M. Guy TEISSIER
Député
——
Voir le numéro 251 (annexe n°s 10 et 11).
.
SOMMAIRE
___
Pages
INTRODUCTION 5
I. LE CADRE STRATÉGIQUE POUR LA FRANCE EN 2013 : ENTRE PERMANENCE ET RENOUVELLEMENT 7
A. Des menaces persistantes 7
1. Le Sahel, un nouvel Afghanistan ? 7
2. Le Moyen-Orient déstabilisé: prolifération nucléaire iranienne et crise syrienne 8
3. Le monde se réarme 10
B. Une crise économique durable, des exportations difficiles 11
C. Un dispositif militaire en mutation 12
1. Le dispositif permanent 12
2. Des opérations extérieures en renouvellement 16
3. Vers un renforcement du rôle de l’armée sur le territoire national ? 20
II. LE BUDGET DE LA DÉFENSE POUR 2013, UN BUDGET DE TRANSITION ? 23
A. Des crédits stabilisés mais de plus en plus éloignés de la trajectoire de la LPM 23
1. Les grandes lignes du budget 2013 de la défense 23
2. Le décrochage par rapport à la trajectoire de la LPM s’accentue 25
B. Un ministère qui contribue fortement aux efforts de réduction de la dépense publique 26
C. Un avenir fragile 27
1. Le choix bienvenu de maintenir la sanctuarisation de secteurs clefs 28
2. L’évolution heurtée des grands programmes d’équipements 31
2.1. Les équipements terrestres 31
2.2. Les programmes navals 32
2.3. Les programmes aéronautiques 33
2.4. Les hélicoptères 35
2.5. Les drones 36
2.6. L’espace 38
2.7. Les missiles et munitions conventionnels 38
III. CONSERVER DES CAPACITÉS SUFFISANTES DANS UN CONTEXTE BUDGÉTAIRE CONTRAINT 41
A. Un besoin de cohérence 41
1. Pour une adéquation des missions aux moyens 41
2. Ne pas sacrifier l’entretien et la formation 42
3. Faire une pause dans les réformes 42
1. L’OTAN, des perspectives intéressantes mais limitées 44
2. L’impasse communautaire et l’avenir des coopérations bilatérales 45
3. Vers une restructuration de l’industrie européenne ? 48
D. Approfondir la prise en compte des nouveaux défis 48
Mesdames, Messieurs,
2013 va constituer une année charnière pour notre défense.
Pour la première fois depuis le début des années 90, les effectifs déployés en opérations extérieures vont passer sous la barre de 7500 et devraient être de l’ordre de 5000 en janvier prochain, du jamais vu depuis deux décennies. Cela ne sera sans doute pas sans conséquence sur l’organisation, le fonctionnement et les missions de nos forces, alors même que le cadre géopolitique international demeure instable et menaçant avec, notamment, les crises sahélienne, syrienne et iranienne et la montée en puissance de pays émergents qui entendent peser militairement.
Parallèlement à cette nouvelle donne, l’année 2013 va aussi être le moment d’effectuer des choix et de prendre des décisions qui engageront durablement l’avenir. Le Président de la République a souhaité que soit élaboré un nouveau Livre blanc. Une commission a été nommée à cet effet et ses conclusions serviront de support à la discussion, d’ici quelques mois d’une nouvelle loi de programmation militaire pour la période 2014-2020.
Dans ce contexte, le budget 2013 entend être un budget de « transition avec comme principal objectif de ne pas compromettre la capacité opérationnelle de nos armées dans l’attente des choix stratégiques à venir.
Si l’objectif est louable, votre rapporteur souhaite souligner la difficulté de l’exercice. S’il est vrai que le projet de loi de finances pour 2013 maintient les crédits de la mission « défense » à un niveau équivalent à ceux de 2012 s’agissant des crédits de paiement – qui s’élèvent à 38,16 milliards d’euros – les autorisations d’engagement, elles, sont en baisse de 3,3% et passent de 39,96 à 38,64 milliards d’euros.
Cela n’est pas sans répercussion. Ce budget accentue le décrochage de la loi de finances par rapport à la loi de programmation militaire. S’il poursuit la nécessaire préservation de la dissuasion et des moyens affectés au renseignement, certains grands programmes d’équipements n’ont pas été épargnés, au risque de créer de regrettables tensions capacitaires.
Dans un cadre budgétaire de plus en plus contraint, il y a donc urgence à apporter à nos forces armées des réponses réalistes et pérennes. Aussi votre rapporteur, après avoir fait le point sur le contexte stratégique actuel et présenté le projet de budget pour 2013, a-t-il souhaité, sans anticiper le contenu du prochain Livre blanc, présenter les principales pistes qui devront, selon lui, encadrer le travail de réflexion et de programmation qui façonnera nos armées de demain.
I. LE CADRE STRATÉGIQUE POUR LA FRANCE EN 2013 : ENTRE PERMANENCE ET RENOUVELLEMENT
1. Le Sahel, un nouvel Afghanistan ?
Le retrait des troupes d’Afghanistan ne signifie pas que la menace terroriste a reculé. Elle semble au contraire s’être déplacée au Sahel, une zone caractérisée par l’absence d’autorité étatique et la prolifération de trafics en tous genres, notamment les armes et la drogue. A la suite de la guerre en Libye, plusieurs centaines de tonnes d’armes sont passées au Mali. La rébellion des indépendantistes touareg du MNLA (1) au nord du Mali, en janvier 2012, a encore aggravé la situation : en effet, des groupes terroristes (notamment AQMI (2), le Mujao et Ansar Dine) en ont profité pour prendre le contrôle du nord du pays (dont les trois villes principales, Goa, Tombouctou et Kidal). A Bamako, le président a été renversé par un coup d’état militaire en mars. Aujourd’hui, la situation humanitaire au nord du Mali est préoccupante. Des violations fréquentes des droits de l’Homme et du droit international humanitaire ont lieu. Il est fait une application brutale de la charia (amputations, lapidations, destructions de monuments sacrés). Bien que la crise soit pour l’instant contenue au nord du Mali, elle constitue un facteur de déstabilisation majeure pour toute la région. AQMI a acquis un pouvoir d’attraction régional, et entretient des liens avec la secte Boko Haram, au Nigeria.
Cependant, le danger constitué par la situation au Sahel ne concerne pas uniquement les Etats de la région, mais aussi la France, qui est explicitement désignée comme adversaire par AQMI (3). La perspective d’une implantation durable d’AQMI au Sahel, dans une sorte de « base avancée » vers l’Europe et la France, est donc très inquiétante et menace la sécurité des ressortissants et du territoire français, ainsi que ses intérêts économiques. Au total, vingt-cinq entreprises françaises travaillent en Mauritanie, au Mali et au Niger, notamment dans le secteur de l’énergie. Les risques d’attentats et d’enlèvements sont très forts dans toute la zone sahélienne. A l’heure actuelle, six otages français, employés d’Areva, Vinci et Sogea-Satom, sont toujours détenus, depuis plus de deux ans, par AQMI, qui menace de les exécuter en cas d’intervention militaire de la France. Enfin, le risque existe que, après l’Afghanistan, le Sahel devienne à son tour un camp d’entraînement pour djihadistes occidentaux. En effet, confirmant les craintes préexistantes, une photo récupérée par les services secrets français a récemment apporté la preuve que des hommes de nationalité française ont intégré des katibas au Sahel, où certains serviraient de traducteurs.
Face à la crise au Sahel, le Conseil de Sécurité a adopté, à l’unanimité, le 12 octobre 2012, la résolution 2071. Il y invite les groupes rebelles maliens à rompre tout lien avec les organisations terroristes, sous menaces de sanctions. Il appelle les différents protagonistes maliens (autorités de transition, groupes rebelles maliens et représentants légitimes de la population du nord) à entamer des négociations en vue d’une solution politique viable. Il demande au Secrétaire général de lui présenter, dans les 45 jours, un rapport sur la base duquel il pourra autoriser l’envoi d’une force militaire africaine au Mali, détaillant notamment « les moyens et modalités du déploiement envisagé et, en particulier, le concept d’opérations, les capacités de constitution de la force, ses effectifs et les coûts financiers de soutien ».
Il est donc possible qu’une intervention militaire ait lieu au Mali dans les prochains mois. Seules des troupes africaines (environ 3300 hommes) devraient y participer. La France, sans envoyer de troupes au sol, jouera probablement un rôle de « facilitateur » : elle devrait participer à la formation des troupes africaines et apporter un soutien logistique. Un plan en trois phases est envisagé (4) : stabiliser le sud du Mali et protéger Bamako, mettre en place la formation des armées africaines, et enfin amorcer la reconquête du nord. Il faut aussi noter qu’actuellement des détachements d’assistance militaire opérationnelle de l’armée française sont déployés en Mauritanie, au Mali et au Niger. Ils aident ces pays à renforcer leurs capacités à contrôler leur territoire, à s’opposer au développement des trafics et à lutter contre le terrorisme.
2. Le Moyen-Orient déstabilisé: prolifération nucléaire iranienne et crise syrienne
Au Moyen-Orient, deux crises majeures concernant l’Iran et la Syrie, deux pays de l’ « axe chiite », ne sont toujours pas résolues. Bien que distinctes, elles constituent une menace pour la stabilité de la région et, à moyen terme, pour notre sécurité et nos intérêts.
La poursuite par l’Iran d’un programme d’enrichissement de l’uranium à des fins probablement militaires inquiète la communauté internationale. Celle-ci adopte une double approche. D’une part, des négociations, qui réunissent l’Iran et le groupe 5+1 (5), mais ne semblent pour l’instant pas dissuader Téhéran. D’autre part des sanctions, de plus en plus strictes, adoptées depuis plusieurs années par les Etats-Unis, l’UE et le Conseil de sécurité de l’ONU (6) : interdictions de visa et gels d’avoirs à l’étranger pour une liste de personnes impliquées dans le programme nucléaire, embargo sur les armes et le matériel nucléaire, restriction de l‘accès des étudiants iraniens à des formations sensibles… Dernièrement, l’Union européenne a décidé d’un embargo sur le pétrole et le gaz iraniens, et interdit toute transaction bancaire entre les banques européennes et iraniennes. Ces sanctions affectent très durement l’économie iranienne mais ne semblent pas entamer la détermination du régime à poursuivre son programme.
Les conséquences d’un Iran nucléarisé sont difficiles à prévoir. On peut craindre que cela ne relance la course aux armements au Moyen-Orient : en plus d’Israël, qui n’exclut pas une intervention militaire si l’Iran dépassait certaines lignes rouges, d’autres puissances régionales comme la Turquie ou l’Arabie saoudite pourraient se sentir menacées. Plus symboliquement, cela serait une remise en cause de plus du régime de non-prolifération nucléaire instauré par le TNP de 1968. En effet, outre les cinq puissances nucléaires reconnues par le TNP, l’Iran rejoindrait Israël, l’Inde, le Pakistan et probablement la Corée du Nord. Enfin, cela aurait pour conséquence d’accroître le pouvoir d’influence de l’Iran dans la région par rapport à son rival saoudien.
En Syrie, la rébellion contre Bachar al-Assad, initiée en mars 2011, a depuis longtemps dégénéré en guerre civile aux accents religieux et ethniques. En effet, le régime baasiste est soutenu par une grande partie des minorités alaouite et chrétienne, tandis que les rebelles sont pour beaucoup des sunnites, majoritaires sur le plan démographique en Syrie. Ils sont soutenus, matériellement et financièrement, par le Qatar et l’Arabie saoudite.
Aujourd’hui, aucune intervention militaire internationale en Syrie n’apparaît envisageable. Le soutien de la Russie au régime syrien, et les réticences de la Chine et des pays émergents, empêchent toute résolution du Conseil de sécurité dans ce sens. Même l’instauration d’une simple zone d’exclusion aérienne nécessiterait des moyens importants équivalents à un état de guerre. La France se refuse, pour l’instant, à fournir des armes aux insurgés. Cependant la crise syrienne n’est pas sans conséquences pour l’armée française. La France a déjà déployé un groupement médico-chirurgical au camp de Zaatari, en Jordanie. Elle a aussi renforcé sa coopération militaire avec le Liban et la Jordanie, afin de prévenir, autant que possible, un embrasement régional.
La communauté internationale est impuissante à apporter une réponse au conflit. La mission de paix de Kofi Annan, émissaire spécial des Nations Unies pour la Syrie, a échoué. L’escalade de la violence est porteuse de menaces et d’incertitudes pour les mois à venir. Le régime syrien possède en effet des armes chimiques, ce qui présente un double risque : qu’il les utilise (ce qui pourrait pousser la communauté internationale à une réaction beaucoup plus ferme), ou qu’elles tombent entre les mains d’éléments islamistes incontrôlables. Une chute du régime risquerait d’aggraver les tensions ethnico-religieuses. On peut émettre des craintes sur le sort des minorités au sein du régime, pas forcément démocratique, qui succéderait à celui de Bachar al-Assad. Les insurgés comptent dans leurs rangs des combattants islamistes. Les Chrétiens et les Alaouites, soutiens traditionnels du régime syrien, pourraient être victimes de nettoyage ethnique. Enfin, l’afflux de réfugiés syriens dans toute la région pourrait aussi être une source de déstabilisation. Le HCR dénombre 250 000 réfugiés syriens « enregistrés », principalement dans les pays voisins (Turquie, Jordanie, Liban, Irak). Leur afflux au Liban, pays fragile et multiconfessionnel, est préoccupant et accroît les risques d’une déstabilisation de ce pays, où 1000 Français sont toujours déployés dans le cadre de la Finul.
En dépit de la crise économique, la tendance générale pour les grandes puissances, en particulier les BRIC (7), est à la hausse des budgets de défense. L’Europe constitue à cet égard une exception.
Les Etats-Unis ont toujours le premier budget de défense au monde (plus de 700 milliards de dollars, soit 44% du total mondial (8)). Entre 2001 et 2010, les dépenses militaires ont augmenté de 190% en Chine, 82% en Russie, 81% aux Etats-Unis, 55% en Inde, 29% au Brésil. Les dépenses militaires des pays d’Asie s’élèvent à 224 milliards de dollars, et dépassent celles des pays européens (environ 200 milliards de dollars) pour la première fois en 2012. Par conséquent, les dépenses militaires cumulées des BRIC représentaient en 2010 environ 15% du total mondial, contre moins de 10% en 2000. A l’inverse, les dépenses militaires cumulées de la France, du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de l’Italie représentent environ 13% du total aujourd’hui, contre presque 20% en 2000.
La hausse des budgets militaires est particulièrement remarquable en Chine et en Russie. La Chine représente à présent le deuxième budget de la défense dans le monde : 130 milliards de dollars en 2011, soit 8,2 % des dépenses mondiales (contre seulement 5,8 % en 2008 et 3,2% en 2000). En réaction à la montée en puissance chinoise, un certain nombre d’Etats de la région ont passé ou vont passer commande de sous-marins (Vietnam, Indonésie, Japon, Corée du sud, Malaisie). La Russie détient quant à elle le troisième rang mondial des plus gros budgets militaires (64 milliards de dollars en 2011), devant le Royaume-Uni et la France. Vladimir Poutine a annoncé son intention de moderniser radicalement l’armée. 772 milliards de dollars de dépenses sont prévues à cet effet dans les dix ans à venir : missiles balistiques intercontinentaux, blindés, avions de combat, sous-marins nucléaires. En outre, les BRIC investissent beaucoup dans la recherche et développement afin de développer leur autonomie.
Plusieurs facteurs permettent d’expliquer cette forte croissance des budgets de défense des BRIC. Ils ont besoin de remplacer des équipements vieillissants arrivés en fin de cycle. Les dépenses militaires sont aussi un moyen d’affirmer leurs ambitions internationales, certaines sont affectées à des achats de prestige (porte-avions, sous-marins nucléaires d’attaque…). Elles répondent, enfin, à des besoins de sécurité propres que n’ont pas forcément les Etats européens. Le Brésil par exemple doit défendre un vaste espace maritime riche en ressources ; l’Inde entretient des relations tendues avec son voisin pakistanais et est en compétition avec la Chine, qui, de son côté, cherche à s’affirmer dans son espace régional, face à la présence américaine.
Si les efforts de défense des BRIC ne constituent pas une menace directe pour l’Europe et la France, ils témoignent cependant d’un désir de peser dans les affaires du monde. En comparaison, le déclin des dépenses militaires en Europe porte le risque d’un déclassement stratégique et d’une perte d’influence.
B. UNE CRISE ÉCONOMIQUE DURABLE, DES EXPORTATIONS DIFFICILES
La crise économique fait peser de fortes contraintes sur les budgets de défense en Europe. En effet, les budgets militaires des Etats européens sont en baisse depuis plusieurs années : l’effort de défense européen a décru de 15% sur la période 2000-2010. Cependant, la crise économique qui a éclaté en 2007 a fait empirer cette tendance de fond en raison des mesures d’austérité nécessaires pour réduire les déficits budgétaires. Les budgets de la défense n’ont pas été épargnés, et ont parfois servi de variables d’ajustement, en dépit des pressions américaines pour que les Européens, en particulier les membres de l’OTAN, s’investissent davantage dans leur propre défense. A l’heure actuelle, les Etats européens semblent n’avoir ni la capacité, ni la volonté, de maintenir un niveau raisonnable de dépenses militaires. De nombreux Etats européens considèrent en effet que les Etats-Unis et l’OTAN suffisent à assurer leur protection, alors qu’on observe un rééquilibrage des préoccupations américaines de l’Atlantique vers le Pacifique.
La part du budget de la défense 2011 dans le PIB est de seulement 1,5% pour l’UE (contre 4,8% pour les Etats-Unis, 3,9% pour la Russie, 2% pour la Chine). Les pays les plus touchés par la crise de la dette (Portugal, Grèce, Espagne, Italie, Irlande), ainsi que la plupart des pays d’Europe de l’est, ont effectué des coupes supérieures à 10%. La France reste, avec le Royaume-Uni, un des rares Etats européens à avoir un budget de défense crédible (autour de 2% du PIB): à eux seuls, ces deux Etats représentent 40% du budget de défense total des Etats de l’UE. Mais comme les autres Etats, la France n’a pas échappé à la nécessité de procéder à des reports de programmes et des réformes de structure. Comme votre rapporteur le relèvera ultérieurement, l’année 2012 constitue un net décrochage par rapport à la trajectoire prévue par la loi de programmation militaire et la tendance va aller en s’accentuant en 2013.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que nos exportations militaires connaissent une évolution heurtée. Elles sont pourtant indispensables notamment parce qu’elles permettent de réduire les commandes passées par la France tout en maintenant le calendrier de livraison des industriels au-dessus du niveau de rentabilité. Après avoir perdu des parts de marché au début des années 2000, la France a vu ses prises de commandes se redresser depuis 2004 pour culminer en 2009 à 8,15 milliards d’euros. Ce résultat, qui correspond à la part française des contrats entrés en vigueur au cours de l’année, était en grande partie dû à la commande de sous-marins Scorpène par le Brésil. La crise économique et financière a interrompu cette tendance haussière : en 2010, elle n’a enregistré que 5,12 milliards de prises de commandes et aucun contrat majeur n’a été conclu. Une nouvelle dynamique positive s’est toutefois amorcée en 2011, le montant total des prises de commande s’élevant alors à 6,5 milliards d’euros. L’évènement majeur de l’année 2012 est assurément l’ouverture, en février dernier, de négociations exclusives entre Dassault Aviation et les autorités indiennes à propos de la vente de Rafale et qui pourrait trouver une issue positive dans les premiers mois de 2013. En tout état de cause, l’analyse de la répartition des prises de commandes françaises par zone géographique confirme les observations formulées précédemment par votre rapporteur. Elle met en évidence l’importance de l’Asie, et en particulier de l’Inde et de la Malaisie, tout comme celle du Moyen-Orient : l’Arabie Saoudite demeure un des premiers clients de la France après avoir signé plusieurs contrats pour sa Garde nationale. Enfin, l’Europe occupe une part moindre que par le passé dans le portefeuille français, conséquence de la diminution des budgets de défense et de la crise de la dette.
C. UN DISPOSITIF MILITAIRE EN MUTATION
La France dispose de forces pré-positionnées dans quatre pays : dans trois anciennes colonies d'Afrique avec lesquelles elle est liée par des accords de défense (le Sénégal, Djibouti et le Gabon) ainsi qu’à Abu Dhabi (Emirats Arabes Unis). ). Ces forces pré-positionnées, ainsi que les forces de souveraineté, ont subi d’importantes mutations ces dernières années.
Notre dispositif de pré-positionnement a pour principal objectif de mettre en œuvre la fonction stratégique de « prévention » qui consiste à détecter et traiter les crises « embryonnaires » afin d’éviter l’aggravation de celles-ci et de préserver la sécurité de la France. Il vise donc à conférer à notre pays une capacité de réactivité immédiate, de sécurisation régionale et de respect de nos engagements dans le cadre des accords de défense.
Depuis l’adoption du dernier Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale, en 2008, le dispositif des forces pré-positionnées a vu son centre de gravité glisser vers l'est, avec la création d’une base militaire française aux Émirats arabes unis en 2009 dont la pleine capacité opérationnelle a été validée en 2012. Par ailleurs, les forces de présence en Afrique ont été réorganisées à l’été 2011 avec la mise en place du pôle opérationnel de coopération à effectifs réduits au Sénégal, la consolidation des capacités au Gabon, et le départ d’un régiment de Djibouti.
Le tableau suivant dresse l’état des effectifs prévu à la fin de l’année 2012 et indique, pour mémoire, en italique, ces mêmes données à la mi-2010 :
Effectifs militaires des forces pré positionnées fin 2012 (9)
(en italique : effectifs à la mi-2010)
ETATS |
TOTAL |
TERRE |
AIR |
MARINE |
SOUTIEN |
AUTRES (10) |
DJIBOUTI |
2109 2876 |
725 1530 |
423 809 |
204 203 |
376 |
381 334 |
SENEGAL |
365 1135 |
114 562 |
25 285 |
48 141 |
61 |
117 147 |
GABON |
927 876 |
575 642 |
50 83 |
0 0 |
118 |
184 151 |
EAU |
712 360 |
335 107 |
141 86 |
42 124 |
65 |
129 43 |
TOTAL |
4113 5247 |
1749 |
639 |
294 |
620 |
811 |
Source : ministère de la défense.
Les forces françaises du Cap Vert (FFCV) sont devenues les éléments français au Sénégal (EFS) le 1er août 2011. Avec la dissolution des formations des trois armées (11) et l’organisation en base de défense, les EFS sont structurés autour d’un module opérationnel de coopération (regroupant une unité de commandement et de coopération opérationnelle, une escale aérienne et une station navale) et d’un pôle de soutien (groupement de soutien et entités locales des directions et services interarmées).
Au Gabon, la base de Libreville prend en compte une composante terrestre à capacité amphibie, en remplacement de celle qui a été retirée du Sénégal à la dissolution du 23ème BIMa. Les Forces françaises du Gabon ont ainsi la capacité de conduire des opérations amphibies, en coordination avec la mission Corymbe (12) et fournissent le GTE (groupement tactique embarqué) à son profit. A compter de l’été 2012, la gestion de cette capacité amphibie a été rendue plus souple, le noyau de force constituant le GTE pouvant, en fonction de la situation opérationnelle, être stationné indifféremment à Port-Bouët (Côte d’Ivoire) ou à Libreville.
S’agissant de Djibouti, un nouvel accord de partenariat de défense a été signé avec ce pays, le 21 décembre 2011. Non ratifié à ce jour, ce texte confirme notamment la répartition des emprises à partir desquelles le dispositif des Forces françaises de Djibouti (FFDj) a été restructuré à l’été 2011. Votre rapporteur relève que la rationalisation de notre présence sur le sol djiboutien ainsi que la confirmation de son caractère permanent interviennent au moment où l’importance stratégique du point d’appui de Djibouti n’a jamais été aussi forte, amenant une concentration militaire multinationale toujours plus grande, en particulier pour ce qui concerne la présence américaine (déploiement d’avions de chasse F15…).
Enfin, les forces françaises aux Emirats Arabes Unis (FFEAU) comprennent une base navale, un groupement de soutien et un état-major interarmées, situés dans le port de Mina Zayed à Abou Dhabi. En font également partie la base aérienne n° 104, laquelle accueille, de façon permanente, un détachement de plusieurs Rafale ainsi que la 13ème Demi-brigade de Légion étrangère (13ème DBLE), implantée à Zayed Military City, à 65 km d’Abou Dhabi. Renforcées à compter de l’été 2011, les FFEAU sont en ce moment en sureffectif d’une centaine de personnels afin de stabiliser la montée en puissance du dispositif.
Unités constituant les forces pré-positionnées (13)
TERRE |
AIR |
MER | |
DJIBOUTI |
5e RIAOM |
BA 188 - EC 3/11 - ETOM 088 |
1 base navale |
SENEGAL |
Unité de coopération régionale (UCR) incluse dans le CGO |
Dét. aéronautique inclus dans le GCO |
1 station navale, 1 ATL2 inclus dans le GCO |
GABON |
6e BIMa - DICOM |
Détachement air |
/ |
EAU |
GTIA EAU sous 13e DBLE |
BA 104 |
1 base navale |
Le coût total de notre dispositif pré-positionné a diminué au cours des deux dernières années. De 437,39 millions d’euros en 2011, il est passé à 408,77 millions d’euros l’année suivante et devrait être de 408,35 millions d’euros en 2013. En fonction, notamment, des rationalisations opérées sur les soutiens, le coût de ce dispositif devrait encore baisser en 2014 et 2015.
Votre rapporteur entend souligner l’importance stratégique de notre dispositif pré-positionné. C’est, notamment, un outil précieux dans la lutte contre le terrorisme au Sahel qui permet le déploiement rapide, si nécessaire, d’hommes et de matériels. Si le prochain Livre blanc venait à préconiser une évolution de l’architecture actuelle de nos forces de présence, il serait indispensable d’en évaluer longuement les conséquences et de ne pas privilégier aveuglément une logique de coût à court terme. Au demeurant, maintenir des forces pré-positionnées coûte nettement moins cher que d’affréter, le jour où c’est nécessaire, avions et navires pour ramener des effectifs en nombre suffisant
Déployées dans les départements, territoires et collectivités d'outre-mer, les forces de souveraineté garantissent la protection du territoire national et des installations stratégiques. Elles contribuent au maintien de la sécurité dans leur zone respective, participent au dialogue régional et concourent à la préservation des intérêts de la France en y maintenant une capacité d'intervention permanente des forces armées.
Comme les forces pré-positionnées, celles de souveraineté ont été réorganisées après l’adoption du dernier Livre blanc. Le dispositif est désormais stabilisé et s’organise autour de trois points d’appui principaux (Guyane, Nouvelle-Calédonie et zone Sud de l’océan Indien) avec deux points d’appui secondaires à dominante maritime (Antilles et Polynésie).
A l’été 2012, les effectifs militaires des forces de souveraineté étaient les suivants :
EMPLOI FORCES (14) |
TERRE |
MARINE |
AIR |
TOTAL | |
FAG (Guyane) |
70 |
1 264 |
120 |
261 |
1 715 |
FAA (Antilles) |
50 |
423 |
382 |
28 |
883 |
FAPF (Polynésie) |
45 |
201 |
332 |
45 |
623 |
FAZSOI (La Réunion / Mayotte) |
54 |
660 |
497 |
95 |
1 306 |
FANC (Nouvelle-Calédonie) |
49 |
560 |
339 |
159 |
1 107 |
Saint-Pierre et Miquelon |
0 |
0 |
11 |
0 |
11 |
TOTAL |
268 |
3 108 |
1 681 |
588 |
5 645 |
Ces effectifs sont en diminution par rapport à 2011, à la suite de la fermeture de 3 bases aériennes et de la dissolution de 3 régiments.
Votre rapporteur tient à relever l’importance de notre dispositif militaire en Guyane, lequel est celui qui bénéficie de la plus grosse dotation en personnels. Les unités qui y sont déployées ont la particularité de participer au dispositif interministériel de lutte contre l’orpaillage clandestin (opération HARPIE) et à la protection du centre spatial de Kourou (opération TITAN).
L’année 2012 a représenté un tournant pour la présence française en Afghanistan. Par deux fois, notre pays a décidé d’appliquer, avec anticipation, la décision de procéder au retrait de ses troupes combattantes du territoire afghan. Une première fois, en janvier 2012, à la suite de la mort de quatre de nos soldats, le Président Sarkozy avait décidé d’avancer à la fin 2013 cette étape. Dans un deuxième temps, peu après son élection, le Président François Hollande fixa l’arrêt de la participation de soldats français à des missions de combat à la fin 2012 et en informa nos alliés lors du sommet de l’OTAN de Chicago des 20 et 21 mai derniers.
Par conséquent, les forces de combat françaises – Task Force Lafayette, détachement EPIDOTE (15) et détachement aérien – doivent être retirées d’Afghanistan avant la fin de l’année 2012. Si le calendrier est respecté – ce qui en l’état des informations recueillies par votre rapporteur, semble le cas –, il restera en Afghanistan, au 1er janvier prochain, de 1 400 à 1 450 hommes, regroupés sur Kaboul ou ses environs. Il est en effet nécessaire de maintenir une présence militaire au-delà de 2012 afin de permettre la poursuite du retrait des matériels français et d’assurer la protection des personnels qui resteront. De même, les missions de formation des forces afghanes conduites dans le cadre de la FIAS se poursuivront jusqu’en 2014 – et pourront ensuite continuer dans le cadre du traité d’amitié et de coopération franco-afghan du 27 janvier 2012 (16) –, tout comme notre présence dans les états-majors de cette force ainsi que dans les structures de soutien tels que l’hôpital militaire, le laboratoire contre les IED (17) et l’aéroport international.
L’année 2012 a donc vu la déflation d’une des principales OPEX de ces dix dernières années qui, à son apogée, a compté plus de 4500 militaires déployés sur le sol afghan et au cours de laquelle 88 soldats ont perdu la vie et 700 autres ont été blessés. Votre rapporteur tient à leur rendre hommage et à saluer leur courage.
Sur le plan logistique, nos trois Mirage 2000D, encore basés à Kandahar, ont regagné leur base de Nancy le 10 juillet dernier. En outre, à cette même date, 2720 UAT (18) – soit 1160 véhicules et remorques et 1560 containers – devaient être rapatriées en France. La première phase de ce processus particulièrement lourd s’est déroulée tout au long du premier semestre 2012. Elle a permis le retrait d’environ 17% du volume global au moyen de 20 rotations aériennes directes entre l’Afghanistan et la France, de 60 rotations entre l’Afghanistan et les Emirats arabes unis et de deux rotations de navires affrétés. La deuxième phase a débuté l’été dernier et a été mise à profit pour regrouper sur Kaboul les matériels retirés du district de Surobi. D’ici juin 2013, profitant de conditions plus favorables pour les aéronefs, sera mis en place un pont aérien pour rapatrier près de 80 % des UAT encore présentes sur le sol afghan. Bien évidemment, certains matériels ne peuvent rentrer en France soit parce que trop vieux soit parce qu’impossibles à transporter. Le mobilier (tentes, abris collectifs…) doit être cédé aux Afghans, les emprises doivent être transférées aux forces locales ou américaines et d’autres matériels, eux, seront détruits.
Outre les voies aériennes et maritimes, l’armée française envisage aussi, dans un souci de réduction des coûts, de recourir à la voie terrestre pour rapatrier en France le fret peu sensible. Toutefois, selon les informations recueillies par votre rapporteur pour avis, ces opérations rencontrent certaines difficultés, liées notamment à des difficultés douanières qui ralentissent considérablement les premiers convois. Le sujet est d’importance. Il dépend de l’issue de délicates négociations menées avec les pays concernés et pour lesquelles la France a nommé, en juin dernier, un ambassadeur spécial en la personne de M. Stanislas de Laboulaye, ancien ambassadeur à Moscou et ancien directeur général des affaires politiques et de sécurité du Quai d’Orsay. L’enjeu est d’autant plus significatif que chaque mode de transport a un coût, qui varie fortement en fonction de la voie choisie :
Voie aérienne directe Afghanistan-France |
Entre 33.000 et 58.000 euros par UAT |
Voie multimodale via les Emirats Arabes Unis (avion + navire) |
Entre 21.000 et 30.000 euros par UAT |
Voie multimodale via le Kazakhstan |
Entre 11.000 et 16.000 euros par UAT |
Voie terrestre via l’Ouzbékistan |
Entre 7.000 et 8.000 euros par UAT |
Voie terrestre via le Pakistan |
Environ 5.000 euros par UAT |
Source : ministère des affaires étrangères.
Toutefois, les derniers « signaux » sont plutôt positifs. Au début du mois d’octobre 2012, l’Ouzbékistan a ratifié des accords techniques permettant le transit via son territoire. Au même moment, 28% du plan de marche du retrait avaient été réalisés, contre 25% prévus à cette date.
Le retrait des forces combattantes d’Afghanistan intervient dans un contexte de déflation des effectifs déployés en opérations extérieures, après le pic d’engagement de 2011, année de l’opération Harmattan en Libye. 2012, en effet, se caractérise par une très forte inversion de tendance. Pour la première fois depuis le début des années 90, les effectifs déployés en OPEX passent sous la barre de 7500. Ils devraient être de l’ordre de 5000 à la fin du mois de décembre, soit une réduction des deux tiers par rapport au point culminant de l’année précédente.
Effectifs engagés en opérations extérieures (effectifs moyens annuels)
Zone |
Théâtre d’opération |
Opération |
2010 |
2011 |
Prévision |
Europe |
Kosovo |
TRIDENT |
791 |
424 |
323 |
Bosnie |
ASTREE |
1 |
1 |
1 | |
Afrique |
Tchad |
EPERVIER |
996 |
959 |
981 |
Rép. Centre-Africaine |
BOALI |
240 |
238 |
247 | |
Côte d’Ivoire |
LICORNE (19) |
1 133 |
1 092 |
796 | |
Libye (20) |
HARMATTAN |
- |
1 789 |
- | |
Océan-Indien |
ATALANTA (21) |
495 |
283 |
431 | |
Asie |
Liban |
DAMAN |
1 460 |
1 354 |
1072 |
Jordanie (22) |
TAMOUR |
- |
- |
40 | |
Afghanistan |
PAMIR |
4 361 |
4 269 |
3 472 | |
Autres |
Haïti (séisme) |
95 |
0 |
0 | |
Petites opérations |
387 |
450 |
365 | ||
Total effectifs engagés |
9 959 |
10 860 |
7 728 |
NB : En 2012, la moyenne annuelle tient compte des effectifs réalisés jusqu’en juin et de la prévision pour les mois suivants.
Logiquement, cette déflation des opérations extérieures se traduit par une baisse des coûts, plus exactement du « surcoût OPEX », c'est-à-dire la différence entre les coûts du dispositif sur le théâtre et le coût de son équivalent en métropole. Supérieur à 1,2 milliard d’euros en 2011, il devrait être de 870 millions d’euros à la fin de l’année 2012 :
Surcoût annuel des opérations extérieures (en millions d’euros)
Zone |
Théâtre |
Opération |
2010 |
2011 |
Prévision 2012 |
Europe |
Kosovo |
TRIDENT |
64,7 |
47,3 |
42,2 |
Bosnie |
ASTREE |
0,1 |
0,0 |
0,0 | |
Afrique |
Tchad |
EPERVIER |
84,6 |
97,4 |
109,3 |
EUFOR TCHAD |
0,3 |
- |
- | ||
RCA |
BOALI |
11,5 |
12,6 |
15,3 | |
RCI |
LICORNE (1) |
65,9 |
64,0 |
58 | |
Libye |
HARMATTAN |
0,0 |
368,5 |
- | |
Océan Indien |
ATALANTE (2) |
41,6 |
29,4 |
35 | |
Asie |
Liban |
DAMAN |
83,3 |
78,6 |
75,8 |
Jordanie |
TAMOUR |
- |
- |
3,8 | |
Afghanistan |
PAMIR |
482,7 |
518,3 |
487,8 | |
HERACLES | |||||
EPIDOTE | |||||
Autres |
HAITI (Séisme) |
5,6 |
0,7 |
0 | |
Petites opérations |
19,8 |
29,7 |
40,6 | ||
Total |
860,1 |
1246,5 |
872,9 |
Dans le projet de loi de finances pour 2013, le montant de la provision budgétaire pour financer les opérations extérieures est de 630 millions d’euros. Ce montant est stable depuis 2011, le financement résiduel des « surcoûts OPEX » faisant l’objet d’un abondement interministériel.
3. Vers un renforcement du rôle de l’armée sur le territoire national ?
Quelles peuvent être les conséquences de la réduction de nos engagements en opérations extérieures ? Une telle évolution, après une décennie où, à certains moments, plus de 13.000 hommes et femmes étaient déployés, en même temps, dans le monde entier, doit être appréhendée avec précaution. Pour certains, les risques sont réels. Le retour d'Afghanistan représente, pour les militaires, la fin d'une perspective de départ en OPEX très motivante et qui, malgré les risques, donnait un sens éminent à leur engagement. Les manœuvres et exercices qui seront menés sur notre territoire peuvent difficilement susciter la même fierté et le même intérêt qu'une mission dans une zone instable. Dès lors, au-delà même de considérations liées à la rémunération, l’avenir immédiat ne peut être que moins exaltant.
Interrogé par votre rapporteur pour avis, le ministère de la défense a indiqué être conscient de ces enjeux. Il entend permettre à l’armée de terre de retrouver une logique de préparation opérationnelle plus équilibrée, moins dépendante du contexte et des contraintes liées à la projection sur le théâtre afghan. A cet égard, il faut fournir un effort accru en faveur de la préparation opérationnelle, que ce soit « en garnison » ou en dehors du territoire national. En effet, nos capacités d’entraînement outre-mer – notamment au sein de nos forces pré positionnées à l’étranger – seront précieuses et pourront permettre l’acquisition et le maintien de la culture de projection acquise depuis plusieurs décennies.
La déflation des opérations extérieures doit-elle aussi avoir un impact sur les effectifs ? Le prochain Libre blanc examinera assurément cette question mais votre rapporteur pour avis entend, d’ores et déjà, rappeler l’impérieuse nécessité que nos armées conservent un format satisfaisant. Le repli de notre présence à l’étranger est conjoncturel. Il ne faut pas tirer de conclusions hâtives. « Cette contraction est circonstancielle. Le monde n’est pas moins dangereux. Il reste incertain. L’Afrique du Nord, le Sahel, le Proche et le Moyen-Orient, l’Asie centrale sont agités par une instabilité chronique. Le risque de prolifération nucléaire est avéré – je pense à l’Iran, bien sûr. Le poids relatif des mers, de l’espace et du « cyber » - ce que nous appelons les « espaces communs » - dans les enjeux de sécurité augmente » (23).
II. LE BUDGET DE LA DÉFENSE POUR 2013, UN BUDGET DE TRANSITION ?
A. DES CRÉDITS STABILISÉS MAIS DE PLUS EN PLUS ÉLOIGNÉS DE LA TRAJECTOIRE DE LA LPM
1. Les grandes lignes du budget 2013 de la défense
Le Gouvernement et les personnalités rencontrées par votre rapporteur pour avis l’ont répété plusieurs fois : le budget de la défense pour 2013 doit être un « budget de transition » ou un « budget d’attente ». Faisant le lien entre deux lois de programmation militaires – celle couvrant la période 2009-2014 et celle qui sera débattue l’an prochain – ce budget est censé ne préempter aucun choix pouvant résulter du prochain Livre blanc ni compromettre l’activité opérationnelle de nos armées en reconduisant, pour 2013, les crédits votés en 2012.
S’agissant des crédits de paiement, votre rapporteur constate, en effet, une stabilisation au niveau de la loi de finances pour 2012, soit 38,16 milliards d’euros (contre 38 milliards d’euros l’année précédente).
En revanche, cette stabilité ne se retrouve pas pour les autorisations d’engagement, puisque celles-ci diminuent de 3,3 % entre 2012 et 2013, passant de 39,96 à 38,64 milliards d’euros.
Pour mémoire, la mission défense comprend quatre programmes :
● Le programme n° 144 (« environnement et prospective de la défense ») « rassemble l’ensemble des actions contribuant à éclairer le ministère [de la défense] sur son environnement présent et futur, dans le but d’élaborer et de conduire la politique de défense de la France » (24) . Il contient notamment les crédits des services de renseignement et de la diplomatie de défense. Placé sous la responsabilité du directeur des affaires stratégiques, ce programme est le moins volumineux de la mission puisqu’il représente environ 5% des moyens inscrits. Il est quelque peu privilégié par le projet de loi de finances pour 2013 puisque ses crédits enregistrent une hausse substantielle, de l’ordre de 4,4 % en autorisations d’engagement et de 6,7 % en crédits de paiement. Le Gouvernement se place ainsi dans la continuité de la précédente majorité qui, à partir 2009, et à la suite des préconisations du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, avait entendu fournir un effort croissant en faveur de la fonction dite « Connaissance et anticipation ».
● Le programme n° 178 (« préparation et emploi des forces ») est sous la responsabilité du chef d’état-major des armées. Il contient, entre autres, les crédits de la préparation des trois armes (armée de terre, marine et armée de l’air), ceux de la « logistique » et du « soutien interarmées » ainsi que la prévision du « surcoût Opex ». C’est le principal programme de la mission défense puisqu’il regroupe près de 59 % de ses moyens. Si ses crédits sont stabilisés par rapport à 2012 (+0,7% en autorisations d’engagement et +1,03% en crédits de paiement), il prend une part significative aux efforts d’économies comme votre rapporteur pour avis va avoir l’occasion de le souligner ultérieurement.
● Le programme n° 212 (« soutien de la politique de la défense »), sous la responsabilité du secrétaire général de l’administration du ministère de la défense, « assure le soutien général du ministère afin de permettre aux autres composantes de se consacrer à leur cœur de métier » (25). Il regroupe les grandes fonctions transverses exercées, par exemple, par le contrôle général des armées et la plus grande partie des directions du secrétariat général pour l’administration. Il représente environ 9 % des crédits de la mission Défense. Par rapport à 2012, les crédits de paiement enregistrent une baisse de 6,35 % mais les autorisations d’engagement augmentent de 4,1 %.
● Enfin, le programme n° 146 (« équipement des forces »), co-piloté par le chef d’état-major des armées et par le délégué général pour l’armement, « vise à mettre à disposition des armées les armements et matériels nécessaires à la réalisation de leurs missions » et « concourt au développement et au maintien des savoir-faire industriels français ou européens » (26). En ce qui concerne les crédits de paiement, ceux prévus pour 2013 sont stables par rapport à 2012 (10,97 contre 10,96 milliards d’euros) et à ce montant viendra s’ajouter un milliard d’euros en provenance des recettes exceptionnelles retirées de la cession de bandes de fréquences (via le compte d’affectation spéciale Gestion et valorisation des ressources tirées de l’utilisation du spectre hertzien) (27). En revanche, s’agissant des autorisations d’engagement, les moyens inscrits connaissent une nette diminution, de l’ordre de 14,4 %. Cette évolution se traduit par le report de 4,5 milliards d’euros de commandes d’équipements militaires prévues en 2012 et 2013 – sans toutefois remettre en cause les contrats en cours (28).
Le tableau suivant retrace l’évolution des crédits de la mission défense, par programme, entre 2012 et 2013 :
Évolution des crédits de la mission défense entre 2012 et 2013
(en millions d’euros)
Programmes |
AE |
CP | ||||
LFI 2012 |
PLF 2013 |
Variation |
LFI 2012 |
PLF 2013 |
Variation | |
144 – Environnement et prospective de la politique de défense |
1 903 |
1 987 |
4,40 |
1 789 |
1 909 |
6,72 |
178 – Préparation et emploi des forces |
22 900 |
23 059 |
0,70 |
22 204 |
22 433 |
1,03 |
212 – Soutien de la politique de la défense |
3 376 |
3 513 |
4,06 |
3 046 |
2 852 |
– 6,35 |
146 – Équipement des forces |
11 783 |
10 085 |
– 14,41 |
10 962 |
10 970 |
0,06 |
Total pour la mission |
39 962 |
38 644 |
– 3,30 |
38 001 |
38 164 |
0,43 |
Total pour le périmètre de la LPM |
32 312 |
30 629 |
– 5,21 |
30 352 |
30 148 |
– 0,67 |
Source : Projet annuel de performances pour 2013.
2. Le décrochage par rapport à la trajectoire de la LPM s’accentue
La loi de programmation militaire 2009-2014 a été promulguée le 29 juillet 2009. Elle fixe à l’armée de terre l’objectif de pouvoir déployer, dans un délai de six mois, une force de 30 000 hommes à une distance de 7 000 à 8 000 km de la métropole pour une durée d’un an. La marine nationale, quant à elle, doit pouvoir déployer simultanément un groupe aéronaval, c'est-à-dire un ensemble de bâtiments déployés autour d’un porte-avion, ainsi que deux groupes navals amphibie ou de protection du trafic maritime. Enfin, l’armée de l’air doit pouvoir projeter 70 avions de combat, en combinant ses moyens avec ceux de l’aéronavale, ainsi que deux bases aériennes. Sur le plan budgétaire, elle prévoit une dépense cumulée de 180 milliards d’euros pour la période 2009-2014 et de 377 milliards d’euros jusqu’en 2020 (29) avec une prévision d’évolution des dépenses au même rythme que l’inflation entre 2009 et 2011 et une légère « accélération » à partir de 2012, les dépenses devant croître de 1 % de plus que l’inflation. Pour financer les nouveaux équipements tout en contenant l’évolution des dépenses militaires, la LPM 2009-2014 a prévu de réduire de façon importante le nombre des personnels militaires, de l’ordre de 7 600 emplois par an, jusqu’en 2015, soit au total 54 000 emplois et 17 % de l’ensemble de l’effectif du ministère.
Dans un contexte de crise économique qui n’avait pas été envisagé lors de l’élaboration du Livre blanc de 2008, la réalisation de la LPM a été quelque peu difficile (30). Sur la période 2009-2011, elle a été respectée à 98 % – ce qui correspond à moins de 2 milliards d’euros d’écart sur ces trois années – ce qui a permis de poursuivre les efforts en faveur des équipements, d’engager la transformation des structures du ministère de la défense, de revaloriser la condition du personnel et d’engager la réduction du format des armées. A partir de 2011, la trajectoire du budget de la défense a commencé à dévier plus sérieusement de celle prévue par la LPM sous l’effet de la pression exercée par l’obligation de redresser les comptes publics. « En tenant compte des lois de finances rectificatives et du gel de crédits supplémentaires intervenu en juillet, les crédits de 2012 sont désormais en recul de 1,2 milliard par rapport à l’annuité initialement prévue. Conjugué à l’écart cumulé de 1,9 milliard de la fin de 2011 et sans préjuger des conditions de la fin de gestion de 2012, le recul dépassera les 3 milliards à la fin de l’année. » (31)
Votre rapporteur constate que le projet de loi de finances pour 2013 n’entend pas inverser – ou ne serait-ce que ralentir – cette tendance. Et cela ne va aller qu’en empirant du fait de la volonté affichée par le Gouvernement de stabiliser les crédits budgétaires de la défense jusqu’en 2015. A cet égard, le graphique suivant est éloquent et montre le fossé croissant entre la programmation initiale et l’exécution réelle :
Source : ministère de la défense.
B. UN MINISTÈRE QUI CONTRIBUE FORTEMENT AUX EFFORTS DE RÉDUCTION DE LA DÉPENSE PUBLIQUE
1. La réduction des effectifs se poursuit
Comme votre rapporteur vient de l’indiquer, la loi de programmation militaire 2009-2014 prévoit une réduction de 54.000 emplois sur la période qu’elle couvre. Contrairement à d’autres domaines, la LPM a été très bien respectée sur ce plan : sur le périmètre de la mission « défense », 30.000 de ces 54.000 postes étaient supprimés à la fin 2011. Le projet de loi de finances pour 2013 poursuit cette déflation des effectifs avec la suppression de 7234 ETPE sur le périmètre de l’ensemble du ministère de la défense. L’essentiel de ces réductions d’emploi pèse sur le programme 178, lequel porte près de 88% des effectifs de la mission défense. Votre rapporteur tient à relever le lourd « tribut » que paie la défense à la baisse des effectifs de l’Etat. En effet, 58,8% des postes supprimés en 2013 concernent le ministère de la défense alors que les personnels civils et militaires de ce dernier ne représentent que 12% des effectifs totaux de l’Etat.
Ces suppressions de poste, toutefois, ne doivent pas occulter le fait que le ministère de la défense entend recruter 22.000 personnes dans le cadre du renouvellement de ses personnels. En outre, 164 postes seront créés au profit de la fonction « connaissance et anticipation » et de la cyberdéfense (32).
2. Les moyens de fonctionnement diminuent
La stabilisation en 2013 des ressources en valeur exige d’importantes économies. Le Gouvernement a choisi de ne pas compromettre l’activité opérationnelle de nos armées. A cet égard, les crédits dédiés à l’activité et l’entraînement augmentent de près de 300 millions d’euros entre 2012 et 2013 et des jours supplémentaires de préparation opérationnelle de l’armée de terre sont financés pour compenser la moindre activité opérationnelle liée au désengagement progressif d’Afghanistan. Toutefois, à peine 105 JPAO (jours d’activité par homme Terre) sont prévus en 2013. Ce chiffre est bien inférieur aux 120 jours qui seraient nécessaires et, en tout état de cause, ne permet pas de préparer au contexte d’engagement le plus contraignant (33).
En parallèle, le projet de loi de finances pour 2013 prévoit une baisse significative des coûts de fonctionnement courant, essentiellement au sein du programme n° 178. En 2013, les dépenses en la matière diminueront de 7% par rapport à 2012, le Gouvernement ayant choisi d’aligner le sort du ministère de la défense sur celui des autres administrations de l’Etat. « Ainsi, les subventions pour les opérateurs ont été révisées à la baisse. Il en va de même du parc de véhicules légers et des dépenses de communication » (34).
Depuis qu’il a présenté le projet de budget de la défense pour 2013, le Gouvernement rappelle à l’envi que ses choix n’ont pas vocation à remettre en cause les contrats en cours ni à anticiper les choix qui sortiront du prochain Livre blanc et de la future LPM. Votre rapporteur entend cependant être plus réservé. S’il se félicite de la sanctuarisation de certains domaines et des efforts produits dans d’autres, il ne peut que constater les difficultés en matière d’équipements où divers reports ont été décidés.
1. Le choix bienvenu de maintenir la sanctuarisation de secteurs clefs
Votre rapporteur n’entend pas revenir sur l’importance, pour la sécurité de la France, de notre outil de dissuasion nucléaire, véritable « assurance-vie de la Nation ». Il ne peut que regretter la polémique née ces derniers mois à l’issue des propos d’un ancien Premier ministre (35) et d’un ancien ministre de la défense (36) en faveur d’un abandon de notre dissuasion. L'un pour faire des économies, l'autre parce qu'elle s'apparenterait à « une assurance-mort ».
Aussi, votre rapporteur ne peut-il que saluer le fait que le président François Hollande ainsi que le ministre de la Défense, M. Jean-Yves Le Drian, se soient placés dans le sillage de leurs prédécesseurs respectifs en rappelant fermement que la dissuasion ne serait pas remise en cause.
À cet égard, si, comme cela sera exposé ultérieurement dans le présent avis, le projet de loi de finances pour 2013 prévoit pour plus de 4,5 milliards d’euros de report de commandes, la dissuasion n’est pas concernée.
La composante maritime recevra les nouvelles têtes nucléaires océaniques à partir de 2015, pour un coût global de 3 milliards d’euros. Dans le même temps, le missile M51 sera progressivement implanté dans les trois sous-marins nucléaires lanceurs d’engin devant être rénovés (37), le dernier de la série
– Le Terrible – ayant été directement construit dans une version adaptée au nouveau missile.
La composante aérienne de la dissuasion nucléaire, qui se caractérise par sa souplesse de mise en œuvre, sa précision et sa capacité à maîtriser les effets, n’a pas été remise en cause par la nouvelle majorité. Le système d’armes ASMPA – qui emporte la charge nucléaire de nouvelle génération TNA (tête nucléaire aéroportée) – est entré en service en 2009 sur le Mirage 2000N K3 et en 2010 sur le Rafale. Il a été déployé progressivement et remplace depuis mai 2011 le système ASMP, aujourd’hui totalement retiré du service. Le remplacement définitif du Mirage 2000 N par le Rafale devrait intervenir en 2018.
Si cela ne concerne pas directement notre outil de dissuasion, votre rapporteur souhaite évoquer les efforts fournis jusqu’à présent en matière d’alerte avancée. En effet, face à la prolifération des armes balistiques et la menace croissante qu’elles font peser, la France a décidé de se doter d’un système d’alerte à partir d’un satellite et d’un radar très longue portée au sol (TLP). Ce système doit permettre de réaliser quatre grandes missions : développer nos capacités de surveillance de la prolifération balistique afin d’acquérir une autonomie d’appréciation des situations ; déterminer l’origine des tirs et caractériser les vecteurs employés afin de contribuer à l’identification des agresseurs ; estimer les zones potentielles visées, à partir des caractéristiques des trajectoires, afin de disposer de la réactivité nécessaire pour alerter les populations et participer à la défense active du territoire et des sites de déploiement de nos forces. Le programme « alerte avancée » est actuellement au stade d’initialisation, c'est-à-dire au premier stade. Dans le cadre de la préparation de ce programme, un démonstrateur SPIRALE, formé de deux microsatellites lancés par la fusée Ariane V, en février 2009, a permis de recueillir des données qui participeront à la spécification du futur système opérationnel. Pour le radar, la réalisation, au titre des études amont, d’un démonstrateur TLP à l’échelle 1/8ème a été lancée à la fin 2011 et les résultats complets sont attendus pour 2014. Actuellement, des études d’architecture sont en cours afin de déterminer les options possibles pour le futur système. Un choix devrait être fait fin 2013 afin d’enchaîner sur la phase d’élaboration incluant la contractualisation. La réalisation du satellite devrait débuter en 2015 pour une livraison en orbite en 2020.
Dans le projet de loi de finances, les crédits de deux des trois services de renseignement militaire – la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) – sont retracés dans l’action 3 du programme « environnement et prospective de la défense ». Dans l’ensemble, les moyens alloués à cette action 3 connaissent une hausse de 7,3 % en autorisations d’engagement et 3 % en crédits de paiement, soit un montant de respectivement 739,5 millions d’euros et 695 millions d’euros. Les crédits de la Direction du renseignement militaire (DRM) sont, quant à eux, retracés dans l’action 1 du programme « préparation et emploi des forces ».
● En ce qui concerne la DGSE, elle bénéficie, dans le cadre du plan de recrutement de 690 agents sur la période 2009-2014 pour la fonction « Connaissance et anticipation », de la création de 95 emplois en 2013, auxquels s’ajoutent 18 emplois au titre de la cyberdéfense. Au total, le plafond d’emplois de la DGSE passe de 4 897 ETPT à 4 991 ETPT entre 2012 et 2013 et cette croissance des effectifs se traduit par celle des crédits de titre 2, à hauteur de 5,2 %. Le tableau suivant retrace l’évolution des plafonds d’emploi de la DGSE, par catégorie de personnel, entre 2011 et 2013 :
Plafond d’emplois (en ETPT) | ||||
2011 |
2012 |
2013 |
Evolution 2012-2013 | |
Officiers |
552 |
565 |
583 |
+18 |
Sous-officiers |
791 |
809 |
818 |
+9 |
MDR |
13 |
11 |
18 |
+7 |
Sous-total militaires |
1356 |
1385 |
1418 |
+33 |
A |
1259 |
1351 |
1409 |
+58 |
B |
834 |
853 |
860 |
+7 |
C |
1311 |
1309 |
1305 |
-4 |
Sous-total civils |
3404 |
3512 |
3574 |
+62 |
TOTAL |
47590 |
4897 |
4991 |
+94 |
NB : l’écart marginal parfois constaté dans les totaux est dû aux arrondis.
Source : ministère de la défense.
Par ailleurs, les moyens hors titre 2 de la DGSE augmentent de 1,5 % en crédits de paiement et de 14,8 % en autorisations d’engagement, pour s’établir respectivement à 213,6 et 258,2 millions d’euros. 111,2 millions d’euros en autorisations d’engagement et 82 millions d’euros en crédits de paiement sont notamment inscrits au titre des dépenses d’investissement.
Dans le cadre de la préparation du présent avis, votre rapporteur a rencontré M. Erard Corbin de Mangoux, directeur général de la sécurité extérieure, lequel a fait état de sa satisfaction s’agissant du budget 2013. En effet, le Gouvernement a choisi de se placer dans le sillage de la précédente majorité en ne remettant pas en cause le renforcement progressif des capacités de la DGSE. M. Corbin de Mangoux a également tenu à souligner la grande qualité des personnels de ses services, lesquels bénéficient d’un recrutement diversifié et d’un large brassage de compétences multiples et de haut niveau.
● En 2013, la DPSD va voir ses moyens diminuer (-2,5% en engagements et -2,4% en paiements). Cette diminution résulte de celle des crédits de titre 2, puisque les effectifs autorisés sont réduits de 32 ETPT par rapport à 2012, au titre de la contribution à la baisse des effectifs du ministère. En revanche, les moyens hors titre 2 sont stables, à hauteur de 11,86 millions d’euros.
● Enfin, s’agissant de la DRM, ses moyens augmenteront nettement en 2013 du fait d’une hausse de ses effectifs équivalente à 27 ETPT. En revanche, ses moyens hors titre 2 sont en légère baisse, passant de 35,4 millions à 34,4 millions d’euros.
2. L’évolution heurtée des grands programmes d’équipements
Comme votre rapporteur l’a précédemment relevé, le programme « équipement des forces » a connu une forte déflation des autorisations d’engagements entre 2012 et 2013 puisque ces dernières sont passées de 11,78 milliards d’euros à 10,09 milliards soit une diminution de 14,41 %. Le budget pour 2013 étant envisagé comme un « budget de transition », le Gouvernement a en fait choisi de décaler pour près de 4,5 milliards d’euros de commandes prévues en 2012 et en 2013. Parmi les reports, figurent notamment la commande du quatrième sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) Barracuda et la première étape du programme Scorpion, destiné notamment à remplacer les véhicules de l’avant blindé (VAB) et les AMX 10 RC de l’armée de terre, par des véhicules blindés multi rôles (VBM) et des engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC).
Votre rapporteur pour avis a souhaité faire le point sur les principaux équipements qui ont vocation à profiter à nos forces armées dans les années à venir et, le cas échéant, évaluer l’impact du projet de loi de finances pour 2013 sur ces programmes.
Considérée comme une grande priorité par le Livre blanc de 2008, la question de la protection des forces terrestres sur les théâtres d’opération fait l’objet de plusieurs programmes.
● Le programme SCORPION vise à assurer la modernisation des groupements tactiques interarmes (GTIA) afin d’accroître leur efficacité et leur protection. Il comprend le remplacement ou la modernisation des véhicules existants et le développement de capacités nouvelles, en utilisant au mieux les technologies permettant les échanges d’information au sein du GTIA. Afin de mettre en œuvre rapidement les premières réalisations, le programme a été structuré en trois étapes successives :
2015 : homogénéisation des systèmes d’information tactique ;
2018 : déploiement du VBMR (38), successeur du véhicule de l’avant blindé (VAB), mise en réseau des informations ;
2021 : livraison d’une capacité de combat complète avec l’EBRC (39), successeur de l’AMX10RC, et le Leclerc rénové.
La première étape SCORPION pourrait être achevée en 2021, date à laquelle 977 VBMR, 72 EBRC et une partie des 254 Leclerc rénovés pourraient être livrés avec le système d’information tactique partagé.
Ce calendrier n’est cependant que prévisionnel. Les travaux de préparation du budget 2013 ont conduit à décaler d’une année l’objectif de lancement en réalisation de l’opération prévu initialement en 2013 et les premières livraisons d’équipement.
Votre rapporteur tient à souligner que la réalisation du VBMR constitue un enjeu prioritaire. Il est indispensable de renouveler dès 2016 les VAB en fin de vie (40 ans) et fortement sollicités en OPEX, avec une attrition accélérée. Elle revêt en outre une importance vitale pour l’industrie française du domaine.
● En ce qui concerne le programme Félin (40), 4036 livraisons sont attendues en 2013, soit un niveau équivalent à celui de 2012.
● S’agissant du VBCI (41), qui permet de transporter, de manière sécurisée, un groupe de combat de 9 hommes et qui se décline en deux versions – Véhicule de Combat de l'Infanterie et Véhicule Poste de Commandement – 100 d’entre eux ont été livrés en 2012. 83 livraisons sont programmées en 2013.
● Le programme Barracuda est un programme de sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) destinés à la maîtrise des espaces maritimes. Ils doivent assurer le soutien de la force océanique stratégique (FOST) ou d'une force aéronavale. Ils ont également vocation à participer aux opérations de projection de forces et de frappe dans la profondeur (missile de croisière naval) et aux opérations spéciales (commandos et nageurs de combat). Le lancement de la réalisation de ce programme et la notification du marché correspondant sont intervenus en fin d’année 2006. Ce marché a été passé avec DCNS – maître d’œuvre pour l’ensemble du sous-marin – et AREVA TA pour la chaufferie nucléaire. Il couvre le développement et la réalisation de 6 sous-marins et 6,5 années de maintien en condition opérationnelle. Il s’agit d’un marché à tranches où la commande de chaque sous-marin est affermie par une tranche conditionnelle. Le programme est conduit sous maîtrise d’ouvrage de la DGA, qui a confié la maîtrise d’ouvrage déléguée des chaufferies nucléaires embarquées au CEA. Trois sous-marins (Le Suffren, Le Duguay-Trouin et Le Tourville) ont été commandés, le troisième en juin 2011. Le Gouvernement a choisi de décaler la commande du quatrième, prévue initialement en 2013. Si ce report semble ne pas obérer le plan de charge de DCNS, il apparaît qu’il sera difficile de le réitérer l’an prochain.
● Le programme des frégates multi-missions (FREMM) constitue un autre programme majeur destiné à équiper la Marine nationale. Ces bâtiments seront le socle de la force navale dans les différents domaines de lutte à la mer (lutte anti-aérienne, anti-navire et anti-sous-marine). Ce programme a pour objet de remplacer la plupart des frégates de la marine, notamment les trois types de bâtiment (F67 type Tourville, F70 type Georges Leygues et FAA type Cassard). Chaque navire déplacera 6000 tonnes et sera servi par un équipage de seulement 108 marins, y compris le détachement chargé de mettre en œuvre l’hélicoptère NH90 qu’il sera possible d’embarquer. La frégate Aquitaine, première FREMM de la série, a commencé à être construite en 2007. Les essais plateforme sont terminés, les essais système de combat se poursuivent. Quelques difficultés dans la mise au point du système de combat ne remettent pas en cause, à ce stade, la réception d’ici à la fin d’année 2012. Elle devrait être admise en service actif au cours de l’année 2013. La deuxième FREMM de la série, la frégate Normandie, est en cours d’assemblage et sortira de construction en octobre 2012. La troisième frégate, Provence, est en préfabrication. Au total, 11 FREMM serviront dans la Marine nationale, 9 dans une version « action sous-marine » et 2 dans une version de « défense aérienne.
● Le programme Rafale n’a pas été touché par le projet de loi de finances pour 2013 : 11 exemplaires seront livrés, en 2013, à l’Armée de l’Air et à la Marina nationale. Le calendrier de livraison prévisionnel est le suivant :
Années |
Livraisons avant 2012 |
2012 |
2013 |
2014 |
Après 2014 |
Total | |
Rafale |
B |
38 |
4 |
8 |
60 |
110 | |
C |
33 |
7 |
5 |
1 |
72 |
118 | |
M |
33 |
4 |
2 |
2 |
17 |
58 | |
Total Livraisons |
104 |
11 |
11 |
11 |
149 |
286 |
Votre rapporteur tient à saluer l’excellence du Rafale qui a prouvé des qualités remarquables sur tous les théâtres où il a été déployé. Aujourd’hui, cet appareil est ainsi le premier avion de combat européen en service à bénéficier de la technologie AESA (42) qui traduit l’aboutissement de plus de 10 ans d’efforts de R&D sur les antennes actives et permet notamment d’améliorer significativement sa portée de détection. La qualification de cette capacité a été prononcée au tout début du mois d’octobre 2012.
● En revanche, la rénovation à mi-vie des Mirage 2000D a été décalée par le Gouvernement. Cette opération est importante. Elle vise à moderniser les Mirage 2000D – version biplace air-sol d'assaut conventionnel tout temps du Mirage 2000 – pour leur permettre de contribuer à la tenue des contrats opérationnels au-delà de 2020 (traitement d’obsolescences, améliorations fonctionnelles…). Il en va de même pour la rénovation des Atlantique 2 qui est également décalée. Ces choix sont assumés par l’exécutif, pour qui ils n’auront pas de conséquence industrielle majeure. Votre rapporteur recommande une grande prudence eu égard à l’intérêt que représentent ces deux types d’aéronefs, en particulier l’Atlantique 2 dont on connaît les remarquables qualités d’écoute et de recherche qui ont fait leur preuve dans la lutte contre le terrorisme au Sahel.
● S’agissant de l’A400 M, le programme est aujourd’hui en phase de développement et de production. Les essais en vol ont débuté le 11 décembre 2009 et se poursuivent avec cinq prototypes totalisant plus de 3800 heures de vol. La production en série des avions a été relancée en février 2011 et les deux premiers avions français sont en cours d’assemblage final. Au cours des derniers mois, plusieurs incidents sur le moteur ont conduit Airbus Military à suspendre sa campagne d’essais en vue de la certification civile et à annoncer, fin août 2012, un retard de quelques mois dans la livraison des premiers appareils. La livraison du premier avion à la France est ainsi annoncée par Airbus Military au deuxième trimestre 2013, a priori au mois de juin. 8 avions sont prévus au total d’ici fin 2014 et 35 d’ici fin 2020. La livraison du cinquantième et dernier avion français est prévue en 2024.
Votre rapporteur se réjouit de l’arrivée prochaine de cet appareil tant attendu par l’armée de l’air. En revanche, deux sujets demeurent préoccupants. Il s’agit du soutien et de la « soutenabilité » de la poursuite des livraisons :
- en effet, les modalités de soutien des premiers A400 M n’ont pas encore été définies. Compte tenu des différences de calendrier de livraison entre les pays partenaires, y compris entre la France et le Royaume-Uni, l’émergence de solutions communes sur le soutien est difficile. Les six pays ont toutefois prévu de coopérer sur le cœur commun qui regroupe les activités qu’il est indispensable de mener à six (gestion de la configuration et des faits techniques). Ainsi, le premier contrat de soutien destiné à sécuriser la mise en œuvre des premiers avions français pendant 18 mois à compter de la livraison du premier avion français, sera-t-il signé uniquement par la France (via l’OCCAR) (43). A l’issue de cette période, le Royaume-Uni et la France mettront en place une solution commune et des contrats de soutien étendus à d’autres partenaires seront étudiés ultérieurement. En parallèle de ces initiatives, la France négocie actuellement l’acquisition, via l’OCCAR et à travers le contrat de développement, des rechanges, des outillages et des moyens de servitude destinés au soutien des premiers appareils. Les premiers contrats concernant la formation des personnels ont également été signés ;
- votre rapporteur attire également l’attention sur le montant des crédits de paiement qu’il sera nécessaire de dégager au cours des prochaines années pour financer le programme A400M :
Programme A 400 M : tableau des crédits paiements (en millions d’euros) (44)
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
> 2015 |
Total |
209,12 |
236,99 |
486,43 |
583,48 |
4417,23 |
5933,25 |
L’ « inflation » des crédits de paiement sera donc inévitable en 2014 et les années suivantes. Cette situation risque de susciter des tensions dont il conviendra de suivre les répercussions sur les autres programmes d’équipement.
● Votre rapporteur ne saurait achever la présentation des grands programmes aéronautiques actuellement en cours sans évoquer une des principales dispositions du budget de la défense pour 2013 dont il ne peut que se féliciter : le lancement de la réalisation de l’avion multi rôles de ravitaillement en vol et de transport, plus connu sous son acronyme anglais « MRTT » (45). Ce programme est primordial pour l’avenir de nos armées, notamment pour notre outil de dissuasion. L’intervention en Libye a rendu criantes nos lacunes en la matière. De surcroît, les ravitailleurs actuels sont hors d’âge et arrivent à bout de souffle : l’âge moyen du parc de K/C 135 est supérieur à 49 ans ! Le principe d’une acquisition patrimoniale des avions a été retenu par la précédente majorité et la DGA poursuit la préparation du programme sur cette base. Le précédent Livre blanc avait établi un objectif de 14 avions. Comme le chef d’état-major de l’armée de l’air l’a indiqué à votre rapporteur pour avis, ce chiffre serait idéal. Il permettrait de remplacer plus de 19 avions actuellement en service : 11 C-135 FR, 3 K/C135 R, 2 A340-200 et 3 A310-300. Votre rapporteur souligne une fois de plus l’intérêt de ce programme. Il conviendra de rester attentif à sa réalisation concrète, laquelle, si elle se déroule dans les conditions prévues, permettrait une entrée en service en 2017.
● A l’instar du programme A400M, l’hélicoptère de transport NH90 a connu d’importants retards de développement. Cet appareil est un hélicoptère de la classe des 11 tonnes, décliné en deux versions principales : une version navale, le NFH (NATO Frigate Helicopter) et une version terrestre, le TTH (Tactical Transport Helicopter). Le calendrier initial a fortement dérapé dans le temps, en particulier à cause d’un manque de maturité des systèmes lors du lancement de l’industrialisation et de la production mais aussi par manque de maîtrise des systèmes complexes par le consortium industriel, particulièrement Agusta-Westland pour la version navale. La Marine a prononcé une première mise en service opérationnel pour les missions de secours maritime et de contre-terrorisme maritime le 8 décembre 2011, et se déclare satisfaite des performances et des qualités de vol de l’appareil. Le premier TTH livré à l’armée de Terre en décembre 2011 a effectué 170 heures de vol depuis sa livraison et a permis de réaliser une évaluation technico-opérationnelle de l’appareil qui s’est clôturée en juillet 2012 sur un bilan très satisfaisant, tant sur le plan des performances que de la disponibilité. Un second TTH a été livré fin juillet 2012 au Centre de Formation Interarmées du Luc en Provence afin d’y débuter les formations des équipages et techniciens. Le projet de loi de finances pour 2013 prévoit la livraison de 12 NH90 l’an prochain, 8 en version TTH et 4 en version NFH.
● S’agissant du Tigre – qui a donné pleinement satisfaction lors de l’opération Harmattan – 4 livraisons sont prévues, en 2013, par le budget de la défense. Pour mémoire, la mise en service opérationnel de la version HAP (Appui Protection), dont les livraisons se termineront cette année, a été prononcée en juin 2012. La qualification de la version HAD (Appui Destruction) est en cours.
Plusieurs sortes de drones équipent les forces françaises.
● Le système DRAC (46), drone de courte portée, est mis en œuvre par l’armée de terre au profit des forces au contact. Il peut mener des missions de surveillance et de reconnaissance avec une portée de 10 km, une autonomie de 90 minutes et une capacité de détection d’un engin blindé de jour et de nuit. Il se caractérise par des délais de mise en œuvre inférieurs à 15 minutes. Un premier déploiement a été effectué au Kosovo pour une expérimentation opérationnelle. Le système DRAC a ensuite été projeté en Afghanistan.
● Depuis 2004, l’armée de terre met également en œuvre un système de drone tactique intérimaire (SDTI) Sperwer fourni par Sagem. Ces drones, qui ont été déployés au Kosovo et en Afghanistan, ont eu à souffrir d’un taux d’attrition relativement élevé en raison des conditions d'emploi et de récupération difficiles en opérations extérieures. Plusieurs acquisitions complémentaires ont donc eu lieu entre 2009 et 2012 et le projet de loi de finances pour 2013 prévoit la commande de 3 systèmes de drones tactiques supplémentaires l’an prochain, le Sperwer devant être retiré du service d’ici 2017. Le nom du successeur du SDTI n’est pas encore connu. Pour ce projet, baptisé SDT (47), différentes options sont en cours d’instruction et une décision devrait être prise en 2013. Votre rapporteur se réjouit qu’à cette fin, l’armée de terre et la British Army envisagent une coopération étroite, dans le cadre du traité de coopération franco-britannique. Ainsi une expérimentation sur la base de la solution britannique en cours de mise en service (le Watchkeeper) est en cours de préparation et conduira les militaires français à tester le système britannique. En matière de drones, les relations entre les deux pays sont donc excellentes et se sont traduites, l’an passé, par le jumelage des deux unités qui, de part et d’autre, sont chargées de les mettre en œuvre : le 61ème régiment d’artillerie de Chaumont et le 32ème régiment de la Royal Artillery basé à Larkhill. Enfin, il convient d’indiquer que le projet SDT a un pendant naval, le SDAM (48), lequel vise à confier à la Marine nationale, d’ici 2019, une capacité pérenne de drone tactique. Ce dossier est moins avancé que le projet SDT mais la solution retenue devrait probablement être celle de drones à voilure tournante.
● L’armée de l’air met en œuvre le système intermédiaire de drone MALE (49) (SIDM) Harfang qui comprend 4 appareils. Ce système a été déployé en Afghanistan et a participé à l’opération Harmattan. Il a également réalisé plusieurs missions intérieures (14 juillet 2012, G8 de Deauville en 2011, etc.). Il arrive toutefois en fin de vie et ne devrait pas aller au-delà de 2017. Son remplacement est envisagé en deux étapes.
Dans un premier temps, il est prévu que l’armée de l’air dispose d’un nouveau système intermédiaire qui permettrait de combler la lacune capacitaire qu’engendrera le retrait prochain des drones harfang. Début 2012, le ministre de la défense a fait le choix de recourir à une solution proposée par Dassault et IAI (Israël) avec le drone Heron TP mais le nouveau Gouvernement a décidé de remettre les choses à plat et pourrait s’acheminer vers une solution d’achat « sur étagères » de drones américains Predator B Reaper. À ce sujet, le délégué général pour l’armement, M. Laurent Collet-Billon, déclarait le 10 octobre dernier, devant la commission de la défense et des forces armées de notre Assemblée : « S’agissant des drones, le ministre de la défense ne manquera pas de faire connaître ses options en matière de drones MALE. Si nous voulons doter nos forces très rapidement de moyens opérationnels, la seule source, ce sont les États-Unis, avec tous les inconvénients que vous avez mentionnés en matière de maîtrise des logiciels et de certains capteurs. C’est pourquoi nous travaillons sur la possibilité de distinguer la chaîne de pilotage de la chaîne de mission, de manière à doter ces drones de capteurs ou d’armements européens. Nous avons entamé à cette fin des discussions informelles avec l’industriel américain General Atomics, qui ne produit ni les capteurs ni les armements ». Votre rapporteur entend dès lors être très attentif aux suites qui seront données à cette question dans les semaines à venir. À titre personnel, sa préférence va à une solution nationale. Il est indispensable de développer la compétence « drones » en France, a fortiori dans la période actuelle où notre industrie a besoin d’être soutenue. De surcroît, le retrait d’Afghanistan nous donne sans doute une marge de manœuvre suffisante pour ne pas être contraints de se précipiter et de recourir obligatoirement à une solution non européenne. En tout état de cause, le projet de loi de finances pour 2013 ouvre les crédits qui permettront de commander le premier système de nouveaux drones MALE intermédiaires.
Dans un second temps est envisagée l’acquisition d’une capacité pérenne de drones MALE à l’horizon de 2020. Le lancement de la réalisation de ce programme pourrait intervenir d’ici 2014 et une coopération semble possible avec le Royaume-Uni et l’Allemagne. Avec cette dernière, la France a d’ailleurs signé une déclaration le 12 septembre 2012 qui fait des drones MALE un des huit domaines potentiellement porteurs de coopération technologique et industrielle entre les deux pays.
● À plus long terme, l’acquisition d’une capacité de drones de combat n’est pas à exclure. « Vers 2030-2035, nous aurons un mix des drones de combats et des avions de chasse. Mais aujourd’hui, nous ne savons pas encore quel usage précis nous aurons de ces drones de combat. Cela dépendra des évolutions technologiques.» (50). Dans l’immédiat, le démonstrateur européen de drone de combat nEUROn dont la maîtrise d’œuvre a été confiée à Dassault devrait faire son premier vol d’ici la fin de l’année.
Les principaux programmes spatiaux militaires visent au remplacement de matériels existants. C’est le cas du projet MUSIS (51) qui est destiné à remplacer, à terme, l’ensemble des composantes européennes militaires ou duales en service ou en cours de réalisation : les systèmes français Hélios et Pléiades, allemand SAR-Lupe et italien COSMO-SkyMed. Un premier accord a été conclu, en décembre 2006, par l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, la France, la Grèce et l’Italie. Une « letter of intent » fut ensuite signée en novembre 2008 lors d’une réunion interministérielle de l’Agence européenne de défense. Toutefois, en l'absence d'un accord de coopération par les partenaires de MUSIS, la France a décidé, en 2010, par souci capacitaire, de lancer seule la réalisation de la composante spatiale optique sur la base de deux satellites et de son « segment sol » associé (52). La mise en orbite du premier satellite devrait intervenir en 2016, celle du second en 2017. Les principaux engagements prévus en 2013 par le projet de loi de finances portent sur la réalisation du segment sol utilisateur du système MUSIS.
En matière de missiles, le projet de loi de finances pour 2013 prévoit la livraison, en 2013, de 18 missiles Exocet MM40 Block 3. Cette version « mer-mer » est mise en œuvre à partir des frégates de type Horizon Forbin et Chevalier Paul et, prochainement, à partir des FREMM. Sa portée est plus que doublée par rapport aux versions précédentes. De même, le budget 2013 de la défense prévoit, l’an prochain, la livraison de 220 bombes AASM (53) – qui ont vocation à être utilisées à partir des avions Rafale – et de 335 missiles MISTRAL (54) rénovés.
Du côté des commandes, le projet de loi de finances pour 2013 autorise le lancement, l’an prochain, de la réalisation de l’opération MMP (55) qui viendra remplacer le missile Milan dont la durée de vie opérationnelle a récemment été prolongée jusqu’en 2015.
En revanche, le budget 2013 de la défense ne mentionne pas le missile antinavire léger (ANL), envisagé dans le cadre d’un accord industriel franco-britannique. Ce projet n’est pas abandonné mais il a été provisoirement suspendu pour des raisons de calendrier. Votre rapporteur entend suivre attentivement le devenir de ce programme dont l’intérêt est plus qu’évident, en particulier à l’aune de la qualité de notre relation avec le Royaume-Uni.
III. CONSERVER DES CAPACITÉS SUFFISANTES DANS UN CONTEXTE BUDGÉTAIRE CONTRAINT
Le travail actuellement en cours d’élaboration d’un nouveau Livre blanc débouchera, au premier semestre 2013, sur la discussion, au Parlement, d’une nouvelle loi de programmation militaire qui déterminera les missions et les moyens de nos forces armées pour les années à venir. La principale difficulté à laquelle ces documents devront alors faire face consistera à concilier l’acquisition et le maintien de capacités suffisantes avec un cadre budgétaire très restreint. Aussi votre rapporteur a-t-il souhaité, sans anticiper le contenu du prochain Livre blanc, présenter les principales pistes qui devront, selon lui, encadrer le travail de réflexion et de programmation qui façonnera nos armées de demain.
1. Pour une adéquation des missions aux moyens
Plusieurs des personnalités rencontrées par votre rapporteur l’ont répété : il va falloir désormais faire des choix. L’expérience d’un budget d’attente ou de transition reportant, par exemple, des commandes d’équipements très attendus comme le programme Scorpion, ne pourra pas être reproduite une deuxième fois. Le monde militaire attend la fixation d’un cap et la définition d’un modèle d’armée adapté à nos ambitions, lesquelles devront peut-être être réduite mais, en tout état de cause, reformulées. « Le défi sera de mettre en œuvre la transition entre la situation actuelle et le modèle qui sera défini au vu des contraintes budgétaires et des rigidités de court et moyen terme de nos dépenses » (56). Dans certains domaines, il va falloir inévitablement trancher entre les capacités et la mission demandée à notre armée. Votre rapporteur considère qu’il serait inopportun que la prochaine loi de programmation militaire fixe des objectifs bien trop élevés que les lois de finances annuelles seraient incapables de tenir. Il en va, notamment, du moral des personnels civils et militaires de la défense nationale qui ont accompli de remarquables efforts au cours des dernières années et qui ont pu légitimement être découragés, à certains moments, par le fait de ne pas voir arriver les moyens qui avaient été promis.
Votre rapporteur n’entend pas, pour autant, préconiser l’absence d’ambitions. La France est et devra demeurer engagée comme l’ont montré, ces dernières semaines, les prises de positions en faveur d’une initiative au Sahel.
Il importera donc que le prochain Livre banc et que la loi de programmation à venir résolvent la difficile équation à laquelle doivent faire face désormais nos forces armées, celle de la conciliation des missions et des moyens.
2. Ne pas sacrifier l’entretien et la formation
Votre rapporteur est très préoccupé par les chiffres communiqués par le ministère de la défense et relatifs à la disponibilité des matériels et à l’entraînement des personnels.
Par exemple, alors que le projet de loi de finances pour 2012 prévoyait un taux de disponibilité de 85% pour les chars Leclerc, ce taux ne devrait être que de 63% cette année et l’objectif est de 70% pour l’an prochain. Les avions de combat de l’armée de l’air ont, eux, un objectif de disponibilité de 63% en 2013. Il était de 77% pour 2012 et, dans les faits, devrait plutôt tendre vers 69%. Plus spectaculaire encore, les hélicoptères de manœuvre de l’armée de terre devaient avoir un taux de disponibilité de 95% cette année. Au final, il devrait être de 47%. Pour 2013, il est prévu qu’il soit de 50%.
S’agissant de l’entraînement et de la formation des personnels, les chiffres sont là aussi décevants. Comme l’a indiqué à votre rapporteur le général Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’air, un pilote de chasse a besoin de 180 heures de vol par an pour conserver ses compétences et en acquérir de nouvelles. En 2013, seules 160 heures sont prévues, ce qui pose de sérieuses limites quant à la crédibilité du contrat opérationnel. Il en va de même pour les pilotes de transport pour qui voler 400 heures par an serait nécessaire. Or, seules 260 sont envisagées l’an prochain. L’amiral Rogel, chef d’état-major de la marine, a également souligné les mêmes difficultés lors de son audition par votre rapporteur. Par exemple, il serait souhaitable que nos frégates soient 110 jours en mer chaque année. La prévision pour 2013 est de 97 jours, soient un recul de 12% par rapport à la cible idéale. Enfin, l’armée de terre connaît le même problème. Le JPAO (57) sera de 105 jours en 2013 alors qu’il devrait plutôt tendre vers 120.
Dans le projet de loi de finances pour 2013, le ministère de la défense a apporté un début de réponse en augmentant de près de 300 millions d’euros, par rapport à 2012, les crédits d’entretien programmé du matériel, de fonctionnement opérationnel et de carburants, l’idée étant de préserver au mieux l’activité générale des forces et la disponibilité des matériels.
L’intention est louable mais largement insuffisante. Il importe désormais que la future loi de programmation militaire prenne pleinement en compte la question de la formation et de l’entretien et y fasse face de manière réaliste. La situation actuelle est préoccupante et il faut y remédier rapidement.
3. Faire une pause dans les réformes
Tous les interlocuteurs de votre rapporteur ont rappelé les lourds efforts structurels faits par le ministère de la défense ces dernières années. Rationalisation de l’organisation des armées, réduction drastique des effectifs et des coûts ont fortement remodelé nos forces armées, lesquelles ont pourtant réussi à s’adapter tout en demeurant un outil de qualité, comme l’a montré, en 2011, l’opération Harmattan. Mais cette réforme n’est pas finie. La loi de programmation militaire 2009-2014 a, par exemple, prévu une déflation des effectifs d’en moyenne 7600 emplois jusqu’en 2015. Dans ces conditions, votre rapporteur recommande qu’on n’ajoute pas une réforme à la réforme. Il est souhaitable que les prochains Livre blanc et loi de programmation militaire prennent en compte tous les efforts fournis dernièrement par nos armées et envisagent qu’une période de répit puisse au moins être préservée, ne serait-ce que pour évaluer sereinement et efficacement le bilan des réformes passées.
Le contexte budgétaire tendu auquel est confronté notre pays depuis plusieurs années a conduit à diminuer les efforts dans des domaines non directement opérationnels tels que la recherche militaire.
Évolution des crédits de paiement de recherche-développement entre 2009 et 2013
CP M€ courants |
LFI 2009 |
LFI 2010 |
LFI 2011 |
LFI 2012 |
PLF 2013 |
Etudes de défense |
1 571,3 |
1 620,1 |
1 647,9 |
1 649,5 |
1 732,9 |
dont études amont |
660,1 |
653,2 |
645,2 |
633,0 |
751,8 |
Développements (58) |
2 253,1 |
1 948,5 |
1 629,6 |
1 800,0 |
1 550,0 |
Total R&D |
3 824,4 |
3 568,6 |
3 277,5 |
3 499,5 |
3 282,9 |
La période de mise en œuvre de la loi de programmation militaire actuellement en vigueur a ainsi vu une diminution constante des crédits affectés à la recherche développement, ceux-ci passant de 3,8 milliards d’euros dans le budget pour 2009 à 3,3 milliards d’euros dans celui pour 2013.
En revanche, on note, dans le projet de loi de finances pour l’année prochaine, une forte hausse des crédits de paiement relatifs aux études amont qui, selon le ministère de la défense traduit une volonté « de garantir l'effort de recherche, de consolider la base industrielle et technologique, tout en faisant participer les opérateurs du programme aux efforts d'économie demandés à l'ensemble des opérateurs de l'Etat » (59). Pour autant, il ne faut pas se leurrer. Cet effort est assurément loin d’être suffisant, en particulier par rapport aux Etats-Unis. « Avec la France et le Royaume-Uni, qui y consacrent les budgets les plus importants, la recherche de défense en Europe reste néanmoins très loin derrière les Etats-Unis. Il faut savoir en outre que, si le budget des États-Unis baisse sur les dix années à venir, le montant consacré à la R & D, en revanche, ne baisse pas. En particulier les budgets alloués à la Defense advanced research project agency (DARPA), qui s’occupe des technologies de très bas niveau de maturité. Or ses orientations sont très claires : la furtivité, la robotique et les missiles hypersoniques. Si nous voulons rester un acteur important de la défense, nous devrons nous interroger, aux plans français et européen, sur nos orientations en la matière. Cette interrogation peut évidemment inclure l’utilisation éventuelle de fonds structurels européens à des fins de défense : cela impliquerait d’élargir à la défense le spectre d’utilisation de fonds aujourd'hui essentiellement dédiés à la sécurité. Ce serait une évolution majeure » (60).
La future programmation de notre outil de défense ne pourra donc pas faire d’impasse sur l’avenir de notre recherche militaire. Le sujet est d’autant plus important qu’il est une contrepartie indispensable aux transferts de technologie que les entreprises sont susceptibles de faire dans le cadre d’accords d’exportation. En effet, désormais incontournables, les transferts de technologie portent sur un champ très large de domaines et peuvent recouvrir à la fois l'ingénierie, la production et la maintenance. Cela est particulièrement vrai dans le cadre des négociations avec les grands clients émergents (Brésil, Inde, Russie, Emirats arabes unis) (61), au risque, si rien n’est fait, de favoriser l'émergence, à terme, de nouveaux concurrents. Il y a donc là une incitation évidente à ne pas sous-estimer les indispensables efforts devant être faits en matière de recherche et d’innovation pour conserver un ou plusieurs temps d’avance technologique et, ainsi, préserver un avantage compétitif.
Conserver des capacités suffisantes passe sans doute par des coopérations intelligemment menées.
1. L’OTAN, des perspectives intéressantes mais limitées
Le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’Alliance atlantique n’a pas eu les conséquences funestes avancées par certains à l’époque où cette décision fut prise par le Président Sarkozy. Notre souveraineté n’a pas été entamée et n’a pas empêché le retrait anticipé de nos forces combattantes d’Afghanistan. Sur le plan fonctionnel, notre pays a obtenu, lors des négociations pour la nouvelle NATO Command Structure (NCS), 13 postes d’officiers généraux, soit un niveau égal à celui du Royaume-Uni. Un commandement suprême, celui de la « Transformation », est même confié à un Français depuis 2009 (62).
Dans ce contexte plutôt favorable à notre pays, le concept de « défense intelligente » – ou encore « smart defence » en américain –, peut revêtir un certain intérêt. Le but affiché de la « smart defence » est de mutualiser et de partager les capacités, de définir des priorités et de mieux coordonner les efforts de chacun. Sur plus de 200 projets identifiés initialement, vingt-deux ont été approuvés lors du sommet de l’OTAN de Chicago au mois de mai dernier. Par exemple, un de ces projets, dirigés par l’Allemagne vise à créer un « pool » multinational d’avions de patrouille maritime. Un autre, sous l’égide du Danemark, doit permettre la création de dépôts communs de munitions où les frais seront partagés entre les participants. Sur les vingt-deux projets arrêtés à Chicago, la France est partie prenante d’onze d’entre eux ainsi que de huit projets à l’étude. Elle en dirige deux : « logistique carburant » et « capacités médicales ». En outre, depuis le sommet, la France a communiqué son intérêt pour 7 projets supplémentaires, dont 4 portés par la DGA.
De telles initiatives, cependant, présentent un intérêt limité eu égard au fort tropisme de l’OTAN envers l’industrie militaire américaine. « Il est vrai que toute la machinerie otanienne, les normes américaines et le complexe militaro-industriel relayé par l’OTAN, tendent à faire acheter du matériel américain. C’est d’ailleurs le choix que font sans états d’âme la plupart des Européens » (63). C’est le cas, par exemple, pour le « bouclier antimissile » avalisé lors du sommet de Lisbonne de 2010. Sans revenir sur les aspects liés à l’articulation de ce programme avec notre dissuasion, il est évident qu’à ce jour, il a surtout profité aux industriels des Etats-Unis. Ainsi, une première capacité opérationnelle « intérimaire », basée quasi exclusivement sur des moyens américains a été déclarée lors du récent sommet de Chicago. Il en va de même du programme AGS (64) de surveillance terrestre aéroportée pour lequel 14 pays membres de l’OTAN ont signé, en mai dernier, le contrat d’acquisition de cinq drones produits par Northrop-Grumman.
2. L’impasse communautaire et l’avenir des coopérations bilatérales
Comme l’a justement rappelé l’ancien ministre Hubert Védrine devant notre Commission et celle de la défense, le 3 octobre dernier, la notion de « défense européenne » ne doit pas être confondue avec la « défense de l’Europe ». « Si, par malheur, l’Europe était menacée militairement, les Européens seraient incapables de défendre eux-mêmes le continent. Seuls deux pays ont des capacités réelles – encore s’amenuisent-elles jour après jour : la Grande-Bretagne – mais les Américains (et les Anglais eux-mêmes) ont été surpris par la faiblesse des moyens britanniques dans l’affaire libyenne – et la France, malgré les contraintes budgétaires qui pèsent aussi sur elle » (65). À cet égard, l’analyse des budgets de défense des Etats membres de l’Union européenne est édifiante. Dans quasiment tous les pays, les répercussions de la crise économique ont commencé à se manifester sur les budgets en 2010 et la tendance s'est prolongée depuis. En 2012, le ratio dépenses de défense / PIB a perdu 0,1 point en tombant à un point bas de 1,5 %. Aucun pays n'a échappé à cette tendance. Ces réductions budgétaires ont été surtout répercutées sur les dépenses en capital qui ont subi une érosion de plus de 4 milliards sur un an :
Budgets de défense dans l'Union européenne (66)
Budgets de défense 2012 |
Dépenses en capital |
R&D (2010) | ||
En M€ ppa |
En % du PIB |
En M€ ppa |
En M€ ppa | |
Royaume-Uni |
52 005 |
2,6 |
13 564 |
2 895 |
France |
39 094 |
1,9 |
13 294 |
3 580 |
Allemagne |
38 535 |
1,3 |
8 134 |
1 455 |
Italie |
20 180 |
1,2 |
2 228 |
140 |
Espagne |
11 402 |
0,9 |
982 |
162 |
Pologne |
13 370 |
1,8 |
3 030 |
121 |
Pays-Bas |
8 391 |
1,3 |
1 417 |
75 |
Grèce |
6 551 |
2,5 |
1 308 |
10 |
Belgique |
3 940 |
1,0 |
251 |
9 |
Suède |
4 192 |
1,2 |
1 123 |
107 |
Portugal |
3 629 |
1,6 |
360 |
7 |
Roumanie |
3 694 |
1,2 |
363 |
2 |
République tchèque |
2 709 |
1,1 |
611 |
20 |
Danemark |
2 861 |
1,4 |
465 |
0 |
Autriche |
2 612 |
0,8 |
334 |
0 |
Finlande |
2 531 |
1,5 |
688 |
38 |
Hongrie |
1 823 |
0,9 |
259 |
0 |
République slovaque |
1 341 |
1,1 |
103 |
0 |
Bulgarie |
1 238 |
1,3 |
58 |
0 |
Irlande |
942 |
0,6 |
87 |
0 |
Slovénie |
655 |
1,3 |
55 |
8 |
Lituanie |
467 |
0,8 |
51 |
0 |
Chypre |
442 |
2,1 |
88 |
0 |
Estonie |
548 |
2,0 |
108 |
1 |
Lettonie |
330 |
0,9 |
60 |
0 |
Luxembourg |
190 |
0,5 |
74 |
2 |
Malte |
67 |
0,7 |
3 |
0 |
Total UE |
223 739 |
1,5 |
49 085 |
8 493 |
Dans ces conditions, la défense collective ne peut être qu’assurée par l’OTAN. Les coopérations qui sont menées à l’échelon européen sont alors d’un autre ressort et sont mises en œuvre de manière ad hoc associant, à chaque fois, un nombre différent d’Etats membres. Durant la présidence française de l’Union européenne, en 2008, ont par exemple été lancées diverses initiatives qui, tout en étant d’ampleur modeste, n’en représentent pas moins un certain intérêt. C’est notamment le cas de l’ « Erasmus militaire » dont l’objectif est de développer et de diffuser, parmi les futurs cadres des armées européennes, une conscience européenne accrue dans le but d’améliorer, à terme, l’interopérabilité des forces mises à disposition de l’Union européenne en opérations. En 2011, le total des élèves officiers européens ayant participé à un module s’élevait à 619 soit une augmentation de 40 % par rapport à 2010. C’est également le cas de la création d’une flotte européenne de transport aérien, dotée d’un commandement européen commun, l’EATC (67). Ce dernier regroupe quatre pays européens (Allemagne, Belgique, France, Pays Bas) et a été inauguré, le 1er septembre 2010, sur la base néerlandaise d’Eindhoven. Comprenant 160 personnes, il est commandé par un général français jusqu’en 2015, date à laquelle un général allemand lui succèdera. L’EATC est chargé d’harmoniser la préparation, la mise en œuvre et l’emploi des capacités de transport aérien militaire (tactique et stratégique) des quatre pays. Il a atteint sa première capacité opérationnelle en mai 2011, une pleine capacité étant attendue en 2013.
Ces projets sont positifs. Ils n’ont pas encore atteint, cependant, le potentiel que peut avoir une coopération bilatérale privilégiée comme celle actuellement en cours – et très prometteuse – avec le Royaume-Uni. Le traité de Lancaster House a jeté les bases d’une coopération de défense qui va du nucléaire militaire aux programmes d’armement et aux opérations conjointes. Le volet militaire de cette coopération s’appuie sur le concept de force expéditionnaire conjointe (« Combined Joint Expeditionary Force » - CJEF), qui devrait atteindre une pleine capacité opérationnelle en 2016. Le sommet du 17 février 2012 a officialisé la création d’un état-major conjoint de niveau opératif non permanent (« Combined Joint Task Force Headquarters » – CJTF-HQ), qui s’appuiera sur les structures nationales existantes et sera capable de conduire des opérations limitées dès la fin 2012. Dans cette perspective vient d’avoir lieu un exercice majeur – « Corsican Lion » – impliquant la Royal Navy et la Marine nationale. Dans le domaine des équipements, votre rapporteur a déjà évoqué la prochaine évaluation du drone tactique britannique Watchkeeper. Des discussions sont également en cours à propos des futurs drones de combat – pour lesquels une vision à 30 ans a été établie autour de l’axe BAE Systems-Dassault –, du renouvellement de la capacité de guerre des mines et de la préparation de la future génération de satellites de communication militaire. Comme l’Amiral Rogel, chef d’état-major de la Marine l’a indiqué à votre rapporteur, la coopération avec le Royaume-Uni dans le domaine de la défense est unique puisqu’elle prend la voie d’une intégration opérationnelle croissante. À partir de 2020 et la mise en service du premier des deux porte-avions commandés par la Royal Navy, une véritable force navale commune pourra être activée à tout moment, si les intérêts des deux pays le commandent. Les progrès sont rapides, les perspectives encourageantes. Il conviendra de les suivre avec attention et d’en favoriser l’essor.
3. Vers une restructuration de l’industrie européenne ?
Dans le contexte actuel de rétrécissement des dépenses militaires d’équipement et d’augmentation significative du coût des programmes d’armement, les acteurs industriels européens ont tout intérêt à se rapprocher. L’offre européenne est assurément trop dispersée. Cela est vrai dans le domaine naval avec une multitude d’entreprises telles que DCNS, Thyssen Krupp Marine Systems, BAE Systems ou Fincantieri Navantia. Cela est également le cas en matière d’armement terrestre avec Nexter, Rheinmetall, Krauss-Maffei Wegmann, à nouveau BAE Systems ou même General Dynamics via ses filiales européennes. L’aéronautique n’est pas en reste avec, là aussi, un nombre sans doute trop important de motoristes : Safran, MTU, Rolls-Royce, Avio, ITP…
Des opérations structurelles ne doivent pas donc être exclues si elles peuvent permettre, à terme, l’édification d’entreprises industrielles plus fortes et plus aptes à affronter la concurrence internationale. Dans cette perspective, votre rapporteur regrette les conditions dans lesquelles s’est déroulée la tentative de rapprochement entre EADS et BAE Systems. Un tel mouvement aurait pu avoir du sens même s’il n’aurait pas été sans conséquence pour le reste de l’industrie européenne de défense et notamment, en France, Dassault, Thalès, Nexter ou DCNS. BAE Systems, affaibli, aurait trouvé là un nouveau souffle et EADS aurait eu une opportunité accrue de pénétrer le marché américain et de procéder à un rééquilibrage entre ses activités civiles et militaires.
D. APPROFONDIR LA PRISE EN COMPTE DES NOUVEAUX DÉFIS
Sans préjuger, là encore, du contenu du prochain Livre blanc, votre rapporteur souhaite attirer l’attention sur deux des défis dont la prise en compte est capitale pour notre sécurité nationale.
De plus en plus, les océans sont des espaces stratégiques, ce dont le Livre blanc de 2008 n’a peut-être pas rendu suffisamment compte. D’une part, ils constituent des voies d’approvisionnement pour des ressources (pas seulement les hydrocarbures) indispensables aux industries françaises. D’autre part, ils sont en soi riches en ressources pétrolières (68), halieutiques et minérales. Ces dernières sont utilisées pour des industries comme les télécommunications, l’électronique ou l’armement. L’économie française est donc dépendante de notre capacité à assurer la sécurité des approvisionnements et à défendre les ressources situées dans notre territoire maritime.
L’intérêt stratégique des océans pourrait être source de rivalités et de contestations entre Etats pour la maîtrise de certaines zones maritimes, et ce d’autant plus que les ressources naturelles sur terre se raréfient. Les pays émergents ont pleinement pris conscience de ces nouveaux enjeux maritimes et font un effort considérable de développement de leurs moyens navals (sous-marins, frégates, porte-avions). Leurs budgets navals devraient ainsi augmenter, entre 2011 et 2016, de 35% en Russie, de 57% en Chine, de plus de 60% au Brésil et en Inde (69). La piraterie maritime constitue également une menace pour notre sécurité. L’opération européenne « Atalante », au large de la Somalie, a permis un net recul des actes de piraterie dans cette zone. Elle a été prolongée jusqu’à la fin de 2014 mais d’autres « foyers » apparaissent, notamment en Indonésie ou dans le Golfe de Guinée.
La France a longtemps été concentrée sur ses ambitions continentales, mais elle est particulièrement concernée par la dimension stratégique croissante des océans. Grâce à ses départements et territoires d’outre-mer, elle dispose du deuxième territoire maritime au monde en superficie (10,2 millions de km2). Dans le cadre du programme EXTRAPLAC (70), cette superficie pourrait passer à 13 millions de km2, ce qui en ferait alors le premier espace maritime du monde. Les ressources potentielles de ce vaste espace sont encore peu exploitées, mais elles pourraient se révéler précieuses dans les décennies à venir. Ce vaste domaine maritime, qui offre à la France une présence dans tous les océans, n’est cependant pas sans contreparties : il faut être en mesure de le contrôler et de le défendre face aux ambitions d’autres Etats. La nécessité de disposer d’une marine adaptée apparaît dès lors clairement. Ses tâches sont multiples, et incluent notamment : la lutte contre les trafics en tous genre dont les océans sont le théâtre (drogue, armes, êtres humains), la police des zones de pêche, la prévention des pollutions maritimes, le sauvetage en mer, le déploiement à proximité des points chauds pour pouvoir intervenir rapidement en cas de crise… Par ailleurs, le simple maintien d’une présence suffisante et ostensible, par des patrouilles, permet de dissuader d’éventuels acteurs, publics ou privés, de piller les ressources du domaine maritime français.
Pour bénéficier de la maritimisation, la France doit posséder des capacités maritimes à la hauteur des enjeux ; or celles-ci sont insuffisantes par rapport à l’importance du domaine maritime français et à la diversité des missions. Le format de la marine française a été réduit de 30% depuis 2000, et se heurte aujourd’hui à plusieurs problèmes : une flotte vieillissante, des ruptures de capacité et des réductions d’effectifs (71). Dans le prolongement de ses observations sur le budget 2013 de la défense, votre rapporteur considère qu’il serait très préjudiciable de sacrifier les investissements qui sont nécessaires au profit d’une logique d’économies à court-terme.
Le cyberespace, au même titre que la terre ou la mer, doit être défendu. Les cyberattaques, qu’elles soient le fait de hackers privés, d’organisations criminelles ou d’Etats, constituent des menaces à prendre très au sérieux. Dirigées contre les sites internet des administrations publiques ou des entreprises, dans le but de voler des données, de les rendre inaccessibles ou de les saboter, elles sont susceptibles d’avoir des conséquences qui ne seraient pas seulement virtuelles. Nos sociétés en effet sont de plus en plus dépendantes des moyens virtuels d’information et de communication. Le cas de l’Estonie le montre bien : en 2007, le pays a été victime d’une attaque informatique dirigée contre les sites internet gouvernementaux, des opérateurs de téléphonie mobile, de banques commerciales. Les sites concernés ont été rendus inaccessibles par saturation de demandes. La Géorgie a aussi subi des cyberattaques en 2008. Via le virus STUXNET, les Etats-Unis auraient ainsi pu détruire mille centrifugeuses iraniennes, retardant ainsi le programme nucléaire de plusieurs mois. La France n’est pas épargnée. Des attaques ont récemment visé les sites internet du Sénat, du ministère de l’économie et des finances, l’entreprise Areva a aussi été récemment visée.
La France a tardivement pris conscience du problème, et accuse donc toujours un certain retard en la matière par rapport à ses partenaires. En 2009, à la suite de la parution du Livre blanc, qui citait les « attaques informatiques majeures » comme une menace majeure probable, a été créée l’ANSSI (Agence nationale de sécurité des systèmes d’information). Elle a pour mission de fixer des règles de protection des systèmes informatiques de l’Etat. Elle assure aussi la veille, la détection, l’alerte et la réaction en cas d’attaque informatique.
Cependant, la cyberdéfense en France est encore insuffisamment développée. D’une part, en comparaison avec d’autres Etats qui ont pris plus tôt la mesure des cybermenaces, les moyens sont limités : le budget de l’ANSSI est de 75 millions d’euros en 2012 et ses effectifs devraient s’élever à 360 en 2013. A titre de comparaison, les services homologues en Allemagne et au Royaume-Uni disposent d’environ deux fois plus d’agents. Les Etats-Unis devraient consacrer 50 milliards de dollars à la cyberdéfense pour la période 2010-2015, et le Royaume-Uni devrait fournir un effort supplémentaire de 750 millions d’euros pour la période 2010-2014. D’autre part, la sensibilisation des entreprises et organismes publics à la menace est encore insuffisante.
C’est pourquoi, tout en saluant les efforts accomplis en matière de cyberdéfense depuis 2008, votre rapporteur entend insister sur la nécessité de poursuivre nos efforts en matière de cyberdéfense, et de renforcer la coopération entre Etats européens sur ce point (72).
Le budget de la mission « Défense » pour 2013 a l’ambition d’être un « budget de transition » et de ne préempter aucun choix futur ni de compromettre l’activité opérationnelle de nos armées en reconduisant, pour 2013, les crédits votés en 2012. L’exercice est délicat et est loin d’être atteint, d’autant plus que ce projet de budget s’écarte significativement de la loi de programmation militaire en vigueur.
Toutefois, les choix les plus importants pour l’avenir de notre outil de défense restent à faire. 2013 constituera un tournant avec l’élaboration d’un nouveau Livre blanc et la discussion d’une nouvelle programmation financière militaire. Dans ce contexte, votre rapporteur a entendu rappeler des orientations qui lui semblent incontournables, notamment la poursuite de programmes d’équipements indispensables à nos armées, un effort accru en faveur de l’entretien et de la formation et une plus grande confiance dans les coopérations
– notamment bilatérales avec le Royaume-Uni et l’Allemagne – afin de conserver des capacités tout en nous adaptant aux contraintes budgétaires qui pèsent sur nos finances publiques.
Ainsi, dans l’attente des conclusions de la commission chargée d’élaborer le nouveau Livre blanc mais aussi – et surtout – des décisions qui seront prises par la suite, votre rapporteur ne prendra pas position sur les crédits de la mission « défense » du projet de loi de finances pour 2013 et s’en remet à la sagesse de la Commission.
La Commission examine le présent avis au cours de sa réunion du mardi 6 novembre 2012.
Après l’exposé du rapporteur pour avis, un débat a lieu.
Mme Nicole Ameline. Je souhaite avant tout saluer la clarté du rapport. Les questions de défense sont très importantes, elles concernent la souveraineté de la France. Comme vous l’avez dit, en dépit de la stabilité apparente de ce budget, il s’écarte de la trajectoire fixée par la loi de programmation militaire. Mais le budget de la défense ne doit pas être une variable d’ajustement, alors que le monde se réarme, qu’il y a toujours des menaces, et que les Américains se désengagent en Europe. Cette situation oblige l’Union européenne à s’organiser et à se renforcer, sinon elle perdra en puissance et en crédibilité de sa diplomatie. Il y a urgence ! Je suis positivement impressionnée par le traité de Lancaster House avec le Royaume-Uni et souhaiterais donc savoir quelle en est votre appréciation ? Je me réjouis également du rapprochement avec l’Allemagne. Peut-on aller plus loin dans le décloisonnement politique et industriel en Europe ? Enfin, vous avez à juste titre évoqué l’insuffisance du soutien à la formation des troupes. Il faut rectifier ça car c’est préoccupant.
M. Serge Janquin. Je salue également la présentation du rapport, qui a été volontairement réaliste et non polémique. L’important, dans des discussions portant sur la défense, est de dégager l’intérêt de la Nation. Je voudrais revenir sur l’idée d’impasse communautaire. Nous avons rejoint le commandement militaire intégré de l’OTAN, et beaucoup de nos alliés européens pensent, en toutes circonstances, que l’OTAN va les défendre. Or, je constate qu’à chaque opportunité d’engagement des forces de l’OTAN, par exemple dans le cadre d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, beaucoup se dérobent ! Ensuite, il existe aussi un bataillon franco-allemand, mais à quoi sert-il ? Quelle est son utilité ? Par ailleurs, grâce à ses bases en Afrique, la France apporte une protection à ses propres ressortissants évidemment, mais aussi au reste des Européens, qui n’en sont pas conscients. Nous ne sommes pas les seuls touchés par les menaces au Sahel, mais nos partenaires se déchargent de ce fardeau sur nous ! Ne faut-il pas donc pousser le dialogue pour qu’ils y participent aussi et assument les charges collectives ? Enfin, l’intervention française en Libye a été critiquée. La Russie, la Chine, le Brésil, mais aussi l’Union africaine, ont considéré que la résolution du Conseil de sécurité n’avait pas été observée et avait été outrepassée. Quelles garanties a-t-on pour que la « responsabilité de protéger » soit observée conformément aux délibérations du Conseil de sécurité ? Quand on affecte des crédits, on veut savoir où et comment ils seront employés.
M. Alain Marsaud. Avant tout je tiens à féliciter le rapporteur. Je voudrais parler du renseignement. Vous saluez la sanctuarisation de ce secteur-clé, lequel regroupe la DGSE, la DRM, et la DPSD. Le budget qui leur est affecté est donc en hausse. Je déplore le fait qu’aujourd’hui, personne ne sait vraiment ce que font exactement nos services de renseignement ou ce qui s’y passe. Les chefs de ces services sont maîtres chez eux, ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent. C’est malheureux ! Compte tenu des moyens que nous y consacrons, je ne suis pas sûr que nous ayons les services renseignements que nous méritons. En 2006, j’étais rapporteur du projet de loi créant la délégation parlementaire au renseignement. Je n’avais pas été réélu, et la première chose que le rapporteur qui m’a succédé a dite a été que le politique n’avait pas à intervenir dans ces domaines. C’est une erreur ! Je dis clairement que nos services de renseignement ne sont pas à la hauteur. Il faut un contrôle, à défaut d’une information.
M. le rapporteur pour avis. Pour ce qui est des coopérations, la volonté doit être partagée. Il faut avoir envie d’Europe. Or, pour ce qui est de la défense, les Espagnols, les Italiens, les Allemands ont cette envie, mais pas les pays scandinaves ni les pays de l’est ! Pour des raisons diverses, historiques, économiques, cela ne les intéresse pas. Je prends l’exemple des pays baltes, qui sont plutôt, par ailleurs, de bons élèves de l’Europe. Ils étaient terrorisés à l’idée que les Russes reviennent. L’entrée dans l’UE et dans l’OTAN leur donne l’impression de ne plus rien risquer ou presque désormais. Les Polonais avaient le même tropisme. Souvenons-nous que les fondateurs de l’Europe, qui étaient de grands visionnaires et ont voulu tourner le dos à une guerre terrible, venaient pour la plupart de notre pays ! L’idée d’Europe n’a pas le même cheminement ailleurs. De plus, tous nos pays sont confrontés à la crise, donc au problème de l’emploi. On ne va pas dire à un peuple d’arrêter de fabriquer, par exemple, des VAB, parce que le voisin en fabrique aussi. En outre, il est difficile d’abandonner des pans entiers de l’industrie de défense, un domaine régalien depuis très longtemps. Mais je ne désespère pas, il faut continuer. Les accords avec l’Allemagne et le Royaume-Uni constituent des exemples encourageants. D’ailleurs, les grands pays doivent avoir un effet d’attractivité et d’exemple pour les autres.
Je faisais partie d’un groupe de travail, regroupant des députés et des sénateurs, sur le traité de Lancaster House, afin d’évaluer l’avancée des travaux. Les progrès sont appréciables mais difficiles. J’ai eu l’occasion de rencontrer le chef d’état-major des armées et d’aborder avec lui la question. La coopération se renforce, mais nous ne sommes pas encore prêts à partager le fardeau. Prenons l’exemple du nucléaire, c’est un sacrifice pour notre budget et pour les contribuables, puisque cela représente tout de même 20% de notre effort de défense. L’idée d’avoir un seul sous-marin à la mer, à tour de rôle, avec les Britanniques, existe bien, mais on n’en est pas encore là.
Enfin, M. Janquin, vous avez évoqué un bataillon franco-allemand. Il s’agit en réalité d’une brigade, ce qui est encore mieux.
M. Serge Janquin. Reste à savoir à quoi elle sert !
M. le rapporteur pour avis. On est dans l’ordre du symbole. Un régiment allemand est implanté dans l’Est de notre pays et un régiment français en Allemagne, mais il faut reconnaître que la brigade n’a jamais été engagée à l’extérieur.
Dès que j’ai été élu à présidence de la commission de la défense, j’ai constitué un organe de contrôle, ensuite élargi aux membres du Sénat. Nous nous rendions tous les trimestres à l’état-major.
S’agissant de la Libye, il me semble que le mandat de l’ONU a été respecté, ainsi que nos engagements.
Nous avons été le dernier pays d’Europe à avancer sur la question du renseignement. Une délégation parlementaire comprenant les présidents des commissions des lois et de la défense de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que deux députés et deux sénateurs représentant la majorité et l’opposition, a tout de même été créée en 2007. Tout n’est sans doute pas parfait, mais il existe maintenant un dialogue très direct et très franc, y compris avec les douanes et Tracfin, qui font aussi du renseignement.
Afin d’éviter tout risque de fuite, la délégation ne saisit pas des opérations en cours.
M. Alain Marsaud. Ni de celles du passé !
M. le rapporteur pour avis. Elle en a la possibilité.
Le budget de la DGSE est désormais contrôlé et il y a des réunions constructives avec les services. Nous n’en sommes pas au même stade que l’Allemagne ou les Etats-Unis, mais les responsables savent qu’ils sont sous le regard insistant du Parlement. L’affaire Merah l’a bien montré : beaucoup de questions ont été posées.
J’ajoute qu’un coordonnateur national du renseignement, M. Ange Mancini, a été nommé pour faire la synthèse, éviter la guerre des services et décloisonner l’ensemble.
M. Paul Giacobbi, président. La résolution autorisant le recours à la force en Libye visait à protéger les civils. Or, dès le lendemain, on a déclaré qu’il s’agissait de renverser le régime. Il ne faut donc pas s’étonner de l’attitude des Chinois, des Russes, des Indiens et d’autres encore. Ce qui s’est passé est la principale raison pour laquelle il n’y aura pas de résolution autorisant l’usage de la force en Syrie.
Vous avez évoqué la question des livraisons du Rafale en France. Il y a aussi des perspectives à l’étranger : la France a finalement remporté l’appel d’offres en Inde. Certains éléments restent à définir pour que l’on puisse signer un contrat, mais il ne fait aucun doute que la commande sera passée dans un délai relativement court. La commande suivante ne fait pas non plus l’objet du moindre doute.
Si nous en sommes arrivés là, c’est d’abord grâce à la qualité et à la compétitivité du Rafale – contrairement à ce qu’affirmait un ministre de la défense, pour qui l’avion était trop cher et trop sophistiqué. Par ailleurs, l’Inde a voulu claquer la porte au nez des Américains, dont l’ambassadeur a démissionné et quitté le pays dans la journée. La procédure a aussi été menée avec une rigueur extrême, confinant parfois à l’absurde. Enfin, la démonstration a été faite en Libye de l’efficacité du Rafale, de son opérationnalité, même dans des conditions de mise en œuvre difficiles, et de son taux de disponibilité pendant des durées assez longues.
En ce qui concerne le domaine maritime français, il y a un décalage considérable entre le discours et la réalité des moyens. Si nous poussions la logique jusqu’à son terme, nous pourrions obtenir le premier domaine maritime de la planète. Nous sommes déjà au deuxième rang mondial, mais il ne suffit pas de détenir ou de revendiquer des droits. Il faut aussi les utiliser et les faire respecter. En dehors de la pêche et de l’exploitation des ressources du sous-sol, assez limitée, ce n’est pas vraiment le cas. Il y a aussi la question de l’environnement, autre moyen pour revendiquer des droits, comme l’a démontré le Canada en créant un parc national dans une île qui ne présente aucun intérêt réel, le seul but étant de rappeler ses droits et ses revendications juridiques. J’ajoute qu’il n’y a pas de police possible sans moyens maritimes suffisants, que ce soit en matière d’exclusivité, de sécurité ou d’environnement.
M. Michel Terrot. Sans méconnaître les contraintes budgétaires, je trouve difficile de donner un avis favorable à ce budget : il y a un décrochage important, dûment mis en lumière par le rapporteur, dont la compétence est reconnue par tous.
S’il n’a pas cité le dispositif « Epervier » à N'Djaména, il y pensait sans doute. Nous avions réussi à dissuader le précédent gouvernement de réduire la voilure dans le contexte actuel du Sahel : ce serait un acte de pure folie. Même si le nouveau Livre blanc n’a pas encore été adopté, j’aimerais savoir si le nouveau ministre a donné des assurances en la matière.
M. Philippe Cochet. Je tiens également à féliciter le rapporteur pour son travail. Mais je m’interroge : jusqu’à quand notre commission va-t-elle exister ? Car si nous n’avons plus de capacités militaires suffisantes pour soutenir notre diplomatie, celle-ci va devenir une diplomatie d’opérette et notre commission sera inutile. Le budget qui nous est proposé est dramatique. Dans quel délai allons-nous être obligés à renoncer à certaines actions militaires ?
M. Jean-Paul Bacquet. Je remercie le rapporteur d’avoir présenté son rapport sans aucune polémique. Je rappelle que nous-mêmes, quand nous étions dans l’opposition, avons toujours voté le budget de la défense. Pourtant il y a longtemps que ce budget sert de variable d’ajustement, mais, sur un tel sujet, nous ne pouvons pas nous permettre des positions polémiques.
Traditionnellement la recherche militaire était financée par les ventes d’armes. Quel est aujourd’hui le niveau de celles-ci ? Sur cette question de la production d’armements, je comprends que la coopération européenne peut imposer des évolutions, mais je plaide aussi pour un certain patriotisme. Quand on constate qu’aujourd’hui il n’y a plus aucune production de munitions en France, on ne peut que s’inquiéter de la dépendance ainsi créée, tout en s’interrogeant sur la qualité des munitions importées.
Le rapporteur a évoqué deux sujets essentiels : le renseignement et la dissuasion nucléaire. Il me semble qu’un troisième sujet est déterminant, c’est celui des transmissions, sur lesquelles un effort important devrait être fait en lien avec ce qui a d’ailleurs été dit sur la cyberdéfense.
S’agissant de ce qu’on peut dire sur l’attitude des pays européens, le parapluie américain apparaît comme une illusion, mais avec des conséquences. C’est peut-être pour cela que la Pologne n’a pas choisi le Rafale. Je crois que le sérieux des alliances compte plus que l’ampleur des budgets militaires. A quoi cela sert-il que l’Allemagne dispose du troisième budget militaire européen, quand on sait qu’elle ne participera jamais à certaines opérations ? Des petits pays comme les pays baltes cités par le rapporteur sont peut-être plus fiables…
M. le rapporteur pour avis. Le prépositionnement de nos forces s’inscrit dans un triptyque. A N’Djamena, nous avons beaucoup d’avions au point que cette base est parfois comparée à un porte-avions au cœur de l’Afrique. La base de Djibouti a en revanche été largement dégarnie pour déployer des forces à Abu Dhabi ; le 5ème régiment d’infanterie de marine y reste et assure une présence et des missions de formations. Au Gabon, nous conservons un régiment d’intervention qui tourne. Enfin, il y a la Côte d’Ivoire, avec la présence d’un bataillon d’infanterie de marine. Sous le précédent gouvernement, il était prévu que nous nous retirions de Côte d’Ivoire. Finalement, à la demande du nouveau président de ce pays, nous devrions conserver une présence. Globalement, il me semble que la ligne du nouveau gouvernement français est de conserver notre dispositif de positionnement à l’extérieur.
Je comprends l’inquiétude de Philippe Cochet. Il y a longtemps que l’on taille dans les budgets de la défense. Cela a été en particulièrement le cas sous le gouvernement Jospin, mais nous devons reconnaître qu’il y a eu également un décrochage en 2011 du fait de l’application de la RGPP, car nous n’avons pas sanctuarisé le budget de la défense comme le propose pour son pays Mitt Romney. C’est clair, à un moment, nous risquons de ne plus jouer en première division et de devoir changer de format d’armée et renoncer à des actions que nous pouvons aujourd’hui conduire, même si la dissuasion nucléaire nous aidera à conserver notre statut.
M. Philippe Cochet. Le nucléaire militaire lui-même sera fragilisé du fait de la remise en cause du nucléaire civil.
M. le rapporteur pour avis. Je ne le pense pas, car le nucléaire militaire et le nucléaire civil sont développés de manière complètement séparée.
Les ventes d’armes de la France ont représenté 5,5 milliards d’euros en 2007, 6,5 milliards en 2008, 8 milliards en 2009, 5 milliards en 2010 et 6,5 milliards en 2011. Pour ce qui est du débat entre coopération européenne et patriotisme, nous devons trouver un équilibre. Et certes des petits pays, comme les pays baltes, ont un rôle à jouer, mais il faut le mesurer à sa juste portée : ces pays, participant à l’opération en Afghanistan, n’y ont envoyé que quelques dizaines de soldats.
M. Jean-Paul Bacquet. C’est toujours cela. C’est mieux qu’un investissement inutilisable comme l’est la brigade franco-allemande.
M. le rapporteur pour avis. L’Allemagne s’est également engagée en Afghanistan, mais il est vrai essentiellement sur le service de santé et sans participer aux opérations de guerre.
Enfin, pour ce qui est des communications, il y a des programmes très importants, avec notamment le programme Musis qui remplace le programme Hélios.
M. Paul Giacobbi, président. Avant de passer au vote, je vous annonce que la commission auditionnera le 22 novembre le ministre de la défense et le 5 décembre M. Guéhenno, président de la commission chargée de l’élaboration du livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.
Le rapporteur s’en remettant à la sagesse de la commission, celle-ci émet alors un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Défense pour 2013.
Liste des personnalités rencontrées par votre rapporteur
Mardi 2 octobre 2012
- Amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine
- Amiral Edouard Guillaud, chef d’état-major des armées
Mardi 9 octobre 2012
- Général Denis Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’air
- M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement
Mardi 23 octobre 2012
- Erard Corbin de Mangoux, directeur général de la sécurité extérieure