N° 1430 tome IV - Avis de Mme Marie-Noëlle Battistel sur le projet de loi de finances pour 2014 (n°1395)



N
° 1430

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 octobre 2013

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LE PROJET DE
loi de finances pour 2014
(n° 1395)

TOME IV

ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES

ÉNERGIE

PAR Mme Marie-Noëlle BATTISTEL

Députée

——

Voir les numéros : 1395, 1428 (annexe 15).

SOMMAIRE

___

Pages

PREMIÈRE PARTIE : PRÉSENTATION DES CRÉDITS BUDGÉTAIRES DE L’ÉNERGIE 5

DEUXIÈME PARTIE : QUEL FINANCEMENT POUR LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE ? 7

I. LE FINANCEMENT DES ÉNERGIES RENOUVELABLES : UN DISPOSITIF EN CONSTANTE AMÉLIORATION 7

A. LA SOUTENABILITÉ DES CHARGES DE CSPE 7

1. Le déficit de couverture des charges de CSPE est en cours de résorption 8

2. L’évolution des charges de CSPE pose la question de leur soutenabilité 9

B. UNE RÉFLEXION EN COURS SUR LES MÉCANISMES DE SOUTIEN AU DÉVELOPPEMENT DES ÉNERGIES RENOUVELABLES 10

1. Le principe de l’obligation d’achat pose deux problèmes 10

2. Plusieurs pistes d’amélioration sont envisagées 11

II. LE FINANCEMENT DE LA RÉNOVATION THERMIQUE DU PARC PRIVÉ 12

A. TROIS INSTRUMENTS D’ACTION PRINCIPAUX 13

1. Le crédit d’impôt développement durable : une intégration progressive de la logique de performance énergétique globale de l’habitat 13

2. L’éco-PTZ : un instrument peu distribué par les banques 13

3. Les certificats d’économie d’énergie 14

a. Un succès au regard des objectifs initiaux 15

b. Un changement d’échelle du dispositif à partir de 2015 16

B. VERS UNE MISE EN COHÉRENCE DES DISPOSITIFS DE SOUTIEN À LA RÉNOVATION THERMIQUE DU PARC PRIVÉ DE LOGEMENT? 19

III. LE PROLONGEMENT DE LA DURÉE DE VIE DU PARC NUCLÉAIRE PEUT-IL SERVIR DE SOURCE DE FINANCEMENT À LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE ? 20

A. UNE QUESTION QUI NE PRÉEMPTE PAS LE DÉBAT DE POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE 20

B. UN GAIN ÉCONOMIQUE À TRAVERS DEUX EFFETS DISTINCTS 21

1. L’allongement de la durée d’amortissement comptable du parc : un effet intégré dans les tarifs et les prix 21

2. Le report de la date de démantèlement : un effet « cash » de plus d’un milliard d’euros pour le budget de l’État 22

C. LA « RENTE NUCLÉAIRE » : MYTHE OU RÉALITÉ ? 22

EXAMEN EN COMMISSION 25

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 27

PREMIÈRE PARTIE :
PRÉSENTATION DES CRÉDITS BUDGÉTAIRES DE L’ÉNERGIE

Le programme 174, « Énergie, climat et après-mines », poursuit trois objectifs :

1. Mettre en œuvre la politique énergétique de la France (Action n° 1)

Cette action prévoit un budget de 6,2 millions d’euros en crédits de paiement au PLF 2014, en légère baisse par rapport à 2013. L’essentiel de ces crédits est versé à l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs (ANDRA) dans le cadre de l’exercice de ses missions de service public.

2. La gestion économique et sociale de l’après-mine (Action n° 2)

Les dépenses de l’après-mine s’élèvent à 554 millions d’euros en crédits de paiement. 540 millions d’euros sont consacrés aux ayants-droit, et 14 millions d’euros aux frais de fonctionnement. Ce poste de dépense est en baisse de 6,7 % par rapport à 2013, en raison de la diminution du nombre d’ayants-droit pour des raisons démographiques. 89 % des crédits constituent des prestations servies par l’Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM).

3. La lutte contre le changement climatique et l’amélioration de la qualité de l’air

Si les crédits accordés à cette action sont en nette baisse (- 59 %), cela résulte d’éléments exceptionnels. Le budget de l’année 2013 consacrait 50 millions d’euros au paiement des bonus du dispositif de bonus-malus écologique. Cette dépense n’est pas reconduite dans le cadre du budget 2014. Hors bonus-malus exceptionnel, les dépenses de l’action n° 3 sont stables (35 millions d’euros).

PRÉSENTATION PAR ACTION DES CRÉDITS DU PROGRAMME 174
« Énergie, climat et après-mines »

(en euros)

Numéro et intitulé de l’action/sous-action

2014

2013

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

01. Politique de l’énergie

5 860 000

6 220 324

5 551 000

6 442 003

04. Gestion économique et sociale de l’après-mines

549 516 962

554 416 962

589 178 962

594 158 772

05. Lutte contre le changement climatique

35 003 844

35 003 844

85 009 358

85 009 358

06. Soutien

1 847 446

1 847 446

1 847 446

1 847 446

Total

592 228 252

597 488 576

681 586 766

687 457 579

Source : projet annuel de performances

DEUXIÈME PARTIE :
QUEL FINANCEMENT POUR LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE ?

Si le budget de l’énergie peut être qualifié d’anecdotique, les financements publics ne sont pas pour autant absents de la politique énergétique. Ils empruntent d’autres canaux et représentent des montants tout à fait conséquents.

La contribution au service public de l’électricité (CSPE), imposition assise sur la consommation d’électricité, est le vecteur privilégié du financement des énergies renouvelables et de la précarité énergétique. Au cours des précédentes années, elle s’est placée au centre des débats en raison de la croissance exponentielle du montant des charges couvertes.

La rénovation thermique des bâtiments, qui ne relève pas intégralement du secteur de l’énergie mais dont l’impact sur le mix énergétique est décisif, est soutenue par plusieurs dispositifs complémentaires.

Enfin, dans le prolongement du débat sur la part du nucléaire dans le système énergétique français, la « rente nucléaire » a été évoquée comme source de financement possible de la transition énergétique.

La politique énergétique française se situe à un tournant. Le débat national sur la transition énergétique a permis à la société civile de confronter les positions sur le sujet et de faire émerger un consensus sur la nécessité de réduire la consommation d’énergie à l’horizon 2050. Dans la perspective de l’examen d’un projet de loi de programmation au Parlement au cours de l’année 2014, il convient de remettre à plat l’ensemble des composantes du modèle énergétique français, au premier lieu desquelles ses mécanismes de soutien public. Le présent rapport a pour objet de dresser un constat objectif des dispositifs financiers en vigueur et d’examiner selon quelles modalités ils pourront jouer le rôle de leviers dans la transition énergétique.

La CSPE vise à compenser les surcoûts que supportent les opérateurs du fait de leurs obligations de service public :

– le financement de la moitié du budget du médiateur national de l’énergie ;

– le soutien aux installations de cogénération ;

– la péréquation tarifaire à destination des zones non interconnectées (la Corse et les outre-mer) : la CSPE supporte la différence de coût de production entre la France continentale et les ZNI, de façon à ce que chaque citoyen ait accès à l’électricité au même prix ;

– la solidarité énergétique, à travers les aides attribuées aux ménages précaires sous la forme du tarif social dit « produit de première nécessité » ;

– le financement des moyens de production d’électricité renouvelable, via le mécanisme des obligations d’achat attribuées à certaines installations (éoliennes, photovoltaïque, etc.). Les obligations d’achat d’énergie renouvelable, qui engendrent un surcoût de 3 015 millions d’euros, représentent désormais 59 % de l’ensemble des charges de CSPE et constituent un instrument central du financement de la transition énergétique.

Depuis 2009, les recettes de CSPE ne couvrent plus les charges et il en résulte un déficit de compensation supporté par EDF (1) et estimé par l’entreprise à 4 250 millions d’euros à la fin 2012.

Ce déficit provient en partie de l’écart entre le montant des charges prévisionnelles évalué par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et le montant des charges effectivement supportées par les opérateurs. Mais il s’explique surtout par le fait que le montant de la contribution unitaire, fixé à 4,5 €/MWh en 2004, n’a pas été modifié jusqu’en 2010. Le montant annuel des charges à couvrir est passé de 1 535 millions d’euros à 3 569 millions d’euros sur la même période, soit une croissance annuelle d’environ 13 %. Les montants pour 2012 et 2013 n’ont pas encore été constatés par la CRE mais ont été estimés respectivement à 4 261 millions d’euros et 5 124 millions d’euros.

Le mécanisme de fixation de la CSPE a évolué en 2011 afin de garantir une évolution de la CSPE au rythme de l’augmentation des charges. À partir de son évaluation des charges, la CRE propose chaque année au Gouvernement un montant de contribution unitaire, en €/MWh. Sur la base de cette proposition, le ministre en charge de l’énergie fixe ce montant par arrêté. À défaut, le montant proposé par la CRE entre en vigueur le 1er janvier, dans la limite toutefois d’une augmentation de 3 €/MWh par rapport au montant applicable avant cette date. Ainsi, en 2013, le niveau de la CSPE, fixé à 13,5 €/MWh, devrait permettre de couvrir les coûts de l’année et de stabiliser la dette, avant de commencer à la résorber à partir de 2014.

Par lettre en date du 8 janvier 2013, le Gouvernement s’est engagé auprès d’EDF à ce que l’intégralité du déficit de compensation soit remboursée à horizon 2018 et à couvrir les coûts de portage associés à cette créance. Si le processus actuel de fixation du montant de la CSPE est cohérent avec l’engagement de combler l’intégralité du déficit de compensation, la prise en compte des coûts de portage devra faire l’objet d’une disposition législative.

La reconnaissance de dette du Gouvernement améliore la notation financière d’EDF, ce qui lui permet de se financer dans de meilleures conditions, à l’heure où l’entreprise souhaite s’engager dans un programme d’investissements colossal (cf. infra).

La DGEC a réalisé des prévisions d’évolution des charges de CSPE à l’horizon 2020, sur la base des hypothèses suivantes :

– un doublement de la puissance installée des énergies renouvelables entre 2013 et 2020, date à laquelle le photovoltaïque, l’éolien terrestre et l’éolien maritime atteindraient une capacité respective de 11 GW, 16 GW et 2 GW. Le biogaz et la biomasse se développeraient plus modérément et atteindraient respectivement une capacité de 700 MW et 1 500 MW.

– une hypothèse conservatrice sur le prix de marché de 44,5 €/MWh en 2020, soit une évolution légèrement supérieure à l’inflation.

– une extension du bénéfice des tarifs sociaux à l’ensemble de la « cible », c’est-à-dire aux 4 millions de foyers situés en deçà du seuil de pauvreté, à partir de 2014.

Selon de telles hypothèses, les charges totales de CSPE représenteraient 10 milliards d’euros en 2020, dont 7 milliards d’euros seraient consacrés au financement des énergies renouvelables.

Afin de compenser de telles charges, la contribution unitaire sur l’électricité devrait alors passer de 13,5 €/MWh à 26,5 €/MWh entre 2013 et 2020.

Il faut également prendre en compte les incertitudes fortes qui entourent ces prévisions. Ces chiffres, qui se traduiraient par un effet significatif sur la facture des ménages, peuvent varier sensiblement, dans un sens ou dans un autre.

D’un côté, les progrès technologiques réalisés dans chaque filière de production renouvelable peuvent engendrer une baisse des charges en rendant possible une réduction des coûts unitaires.

De l’autre, une baisse sensible des prix de marché aurait des conséquences financières très importantes : 1 €/MWh en moins sur le prix de marché a pour conséquence, en 2014, une augmentation des charges de CSPE de 65 millions d’euros. Par ailleurs, une diminution de la consommation nationale d’électricité, dans la perspective du succès des programmes d’amélioration de l’efficacité énergétique, aurait également un impact : si l’assiette de la contribution se réduisait, le niveau de la contribution unitaire nécessaire pour couvrir les charges devrait être relevé.

Ces éléments plaident, d’une part, pour un élargissement de l’assiette de la taxe à l’ensemble des sources d’énergie et, d’autre part, pour une évolution des outils de soutien au développement des énergies renouvelables.

Le premier problème est lié au pilotage du système. L’objectif recherché par la puissance publique est de soutenir le développement des énergies renouvelables, selon la trajectoire fixée, tout en limitant le coût de la subvention supportée par le consommateur. Les deux outils utilisés ont leurs avantages et inconvénients respectifs :

– les tarifs d’achat sont fixés par arrêté ministériel et ouverts à toutes les installations répondant aux critères nécessaires, sur la logique du « guichet ouvert » ; ce système présente l’avantage d’être simple à mettre en œuvre, mais se heurte à un problème d’asymétrie d’information. La puissance publique n’ayant pas connaissance des coûts de production de la filière, elle peut fixer un tarif qui s’éloigne de ces derniers et proposer une rémunération trop ou pas assez élevée. Cela peut engendrer des « bulles », si le tarif est trop haut, ou au contraire freiner une filière, en cas de tarif pas assez attractif, et nécessiter des ajustements brutaux. Ces épisodes de « stop and go » sont particulièrement néfastes pour les investisseurs, qui ont besoin de prévisibilité. L’épisode de la bulle photovoltaïque de 2010 a ainsi donné lieu à une réforme du système de tarif d’achat en 2011 et à la mise en place d’un tarif révisable par trimestre, en fonction du volume des projets entrés en file d’attente le trimestre précédent.

– les appels d’offre : le prix offert au producteur n’est pas fixé par arrêté ministériel mais par appel d’offres et dépend donc des propositions effectuées par chaque candidat. Les appels d’offre permettent ainsi d’éliminer le problème d’asymétrie d’information mais nécessitent des procédures administratives plus lourdes, et sont, de ce fait, réservés à des installations de plus grande puissance. De plus, l’efficacité du mécanisme n’est garantie que sur des segments concurrentiels.

Le second problème est d’ordre macro-économique et dépasse le simple cadre français. L’injection massive d’électricité subventionnée, non corrélée à la demande, déstabilise l’ensemble du marché européen de l’électricité, dont les prix se sont écroulés. Les prix spot ont affiché une moyenne de 33 €/MWh en base et 46 €/MWh en pointe au deuxième trimestre 2013 pour la France, soit des baisses respectives de 38 % et 11 % par rapport au trimestre précédent. Un important épisode de pic de prix négatifs est même intervenu sur la journée du 16 juin. Les prix en base et pointe en 2012 à la même période étaient supérieurs de 19 % et 11 % respectivement.

La plupart des États européens sont confrontés à ces deux problèmes et mènent des réflexions sur les modalités d’évolution des dispositifs de financement des énergies renouvelables. En France, la direction générale de l’énergie et du climat a indiqué qu’une consultation serait bientôt lancée sur ce sujet.

Plusieurs solutions sont envisagées :

– les tarifs d’achat, pour les filières les plus mâtures ou les projets de petite taille ;

– les appels d’offre pour les installations de plus grande taille sur un segment concurrentiel ;

– des subventions proportionnelles à la puissance installée (prime en €/MW) et non à la quantité d’énergie produite ; c’est le système qui a été retenu récemment pour la cogénération ;

– enfin, pour les projets les plus innovants, l’obligation d’achat pourrait être couplée à une subvention sous la forme de contribution aux dépenses de recherche.

Pour favoriser l’intégration des énergies renouvelables au réseau, deux mécanismes alternatifs sont également en cours de discussion :

– attribuer une prime additionnelle au prix de marché plutôt qu’un tarif d’achat garanti, ce qui inciterait les producteurs d’électricité à ajuster leur offre à la demande ;

– créer une prime à l’autoconsommation pour certains types d’installations.

*

* *

Les réflexions en cours témoignent d’une meilleure connaissance des filières sur la base d’un retour d’expérience d’une décennie de tarifs d’obligation d’achat. Parvenir à une meilleure efficacité des dispositifs de soutien au financement des énergies renouvelables confortera le développement de ces dernières.

La loi « Grenelle I » du 3 août 2009 a fixé l’objectif de réduire les consommations du parc des bâtiments existants d’au moins 38 % d’ici 2020.

Dans son discours du 14 septembre 2012 à l’occasion de la Conférence environnementale, le Président de la République a rappelé que la rénovation énergétique des logements serait « l’une des grandes priorités » de son quinquennat. L’objectif de rénovation énergétique de 400 000 logements par an prévu par l’article 5 de la loi du 3 août 2009 est porté à 500 000 logements à l’horizon 2017, dont 120 000 logements sociaux.

Atteindre cet objectif doit être considéré comme une priorité nationale, au regard de quatre critères :

– un critère environnemental : parvenir à l’objectif de réduction de 38% des consommations d’énergie du parc de logements français à l’horizon 2020 afin de diminuer les émissions de gaz à effet de serre ;

– un critère social : si la loi du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre a contribué à enrayer le phénomène de la précarité énergétique en élargissant le nombre de bénéficiaires des tarifs sociaux, seule une action de long terme portant sur les logements des ménages précaires permettra de la combattre durablement ;

– un critère économique : l’accélération du rythme de rénovation du parc de logement contribuera à développer un emploi qualifié et non délocalisable dans le secteur du bâtiment ;

– un critère énergétique : l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique passe par une diminution de la demande d’énergie dans le secteur du bâtiment.

Si l’objectif de réduction de la facture des ménages est essentiel, la rénovation thermique des bâtiments ne peut être réduite à une cause privée. Réduire la consommation d’énergie des ménages est un combat national, ce qui justifie l’octroi de subventions aux particuliers pour les aider à financer les opérations sur leur logement. Ces subventions prennent aujourd’hui trois formes différentes.

Le crédit d’impôt développement durable (CIDD), mis en place depuis le 1er janvier 2005, permet d’inciter les particuliers à se diriger vers les équipements les plus performants au plan énergétique lorsqu’ils réalisent des travaux sur leur logement ou qu’ils installent des équipements de production d’énergie renouvelable. Entre 2005 et 2011, plus de 7 millions de logements ont été rénovés grâce à ce dispositif et 1,36 million de ménages en ont bénéficié en 2011.

Le CIDD a été dans un premier temps renforcé, mais a ensuite été revu chaque année à la baisse par les lois de finances initiales et rectificatives 2009 à 2012.

DÉPENSE FISCALE ASSOCIÉE AU CIDD

(En M€)

 

2010

2011

2012

2013

2014

Coût du dispositif

2 600 (*)

1 950 (*)

1 107 (*)

845 (**)

723 (**)

Source : Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

(*) Coût constaté par les services fiscaux

(**) Évaluation réalisée dans le cadre de la RGPP

La fréquence de ces modifications témoigne du mauvais calibrage initial d’une mesure construite sur la logique du « guichet ouvert ». Les taux du crédit d’impôt pour l’ensemble des dépenses éligibles ont été revus à la baisse, de façon à réduire l’impact budgétaire de la mesure. Par ailleurs, les critères d’éligibilité au CIDD ont intégré une logique de performance thermique globale de l’habitat : la réalisation d’un « bouquet de travaux » – c’est-à-dire la réalisation d’au moins deux catégories de travaux éligibles – est nécessaire pour pouvoir bénéficier du crédit d’impôt sur certains types d’opérations (pose de fenêtres et portes en double-vitrage, etc.) et le renforcement des critères de performance des matériaux permet de ne subventionner que les solutions qui génèrent le plus d’économies d’énergie. Il est également possible de cumuler CIDD et éco-PTZ depuis le 1er janvier 2012 (cf. infra).

Adopté en loi de finances pour 2009, l’éco-PTZ est une des mesures du Grenelle environnement. C’est un prêt sans intérêt et accessible sans condition de ressources, pour financer un ensemble cohérent de travaux d’amélioration de la performance énergétique.

Les travaux qui y ouvrent droit doivent soit constituer un « bouquet de travaux », soit permettre d’atteindre une « performance énergétique globale » minimale du logement, calculée par un bureau d’études thermiques, soit constituer des travaux de réhabilitation de systèmes d’assainissement non collectif par des dispositifs ne consommant pas d’énergie.

L’éco-PTZ a connu jusqu’à présent un succès modéré. Le nombre de prêts distribués, qui devait atteindre les 150 000 par an selon les objectifs initiaux, n’a jamais dépassé les 80 000 et est en diminution.

DISTRIBUTION DE L’ÉCO-PTZ

 

2009

2010

2011

2012

Nombre d’éco-PTZ distribués

70 000

80 000

40 000

34 000

Dépense fiscale (M€)

150

210

130

95

Source : Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

Pour inverser cette tendance, la loi de finances initiale pour 2012 a mis en œuvre des ajustements à l’éco-PTZ et au CIDD visant à renforcer l’incitation financière en faveur des rénovations lourdes. La durée de remboursement de l’éco-PTZ a ainsi été allongée de 10 à 15 ans pour ces dernières et il est désormais possible de cumuler CIDD et éco-PTZ si le revenu fiscal de référence du ménage ne dépasse pas 30 000 euros.

Toutefois, de telles évolutions ne contribuent pas à résoudre l’obstacle majeur au déploiement de l’éco-PTZ, qui tient au peu d’intérêt qu’ont les banques à proposer ce type de produit à leurs clients. D’une part, l’examen des conditions d’éligibilité technique et administrative des travaux à l’éco-PTZ a été confié aux banques, dont ce n’est pas le métier. D’autre part, en l’absence d’un système de garanties, les prêts à la rénovation thermique sont traités techniquement par les banques comme des crédits à la consommation (2), tout en étant bien moins attractifs que ces derniers (durée et montants unitaires moyens plus élevés, volumes et marges dégagées faibles).

Les certificats d’économies d’énergie (CEE) sont attribués aux acteurs réalisant des actions d’économies d’énergie éligibles. La valeur d’un CEE correspond à la quantité d’énergie qu’il permet d’économiser, exprimée en kWh cumac (cumulé actualisé).

L’efficacité du dispositif repose sur une obligation de réalisation d’économies d’énergie imposée par les pouvoirs publics aux vendeurs d’énergie (électricité, gaz, chaleur, froid, fioul domestique et carburants). Un objectif d’économies d’énergie est défini puis réparti entre les opérateurs en fonction de leurs volumes de ventes. Les vendeurs d’énergie s’acquittent de leurs obligations par la détention de certificats d’une valeur correspondant à leur obligation, soit en réalisant des opérations pour leur propre compte, soit en achetant des certificats à d’autres acteurs. Cet objectif est assorti d’une pénalité financière de 2 c€/kWh pour les vendeurs d’énergie ne remplissant pas leurs obligations dans le délai imparti.

405 TWh cumac de CEE ont été délivrés depuis le lancement du dispositif. Malgré le renforcement important des exigences entre la première et la deuxième période (multiplication par 4 de l’objectif de rythme annuel), les fournisseurs d’énergie n’ont pas rencontré de difficultés à atteindre les objectifs fixés.

BILAN ET PERSPECTIVES QUANTITATIFS DU DISPOSITIF DES CEE

(TWh cumac)

 

Première période (2006-2010)

Deuxième période

(2011-2014)

Troisième période

(2015-2017)

1er juillet 2006

30 juin 2009

Transition :

1er juillet 2009

31 décembre 2010

1er janvier 2011

31 décembre 2013

Prolongation :

1er janvier 2014

31 décembre 2014

1er janvier 2015

31 décembre 2017

Objectif

Rythme annuel

18

74

115

200

Total de la période

54

334 (*)

115

600

Réalisé

Rythme annuel

22

73

90 (**)

   

Total de la période

65

109

231 (**)

   

Source : d’après les chiffres du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

(*) Les objectifs de la deuxième période hors prolongation ont été fixés à 345 TWh. Ce chiffre inclut les certificats en excès de la première période (soit 65-54=11Twh). L’objectif fixé pour la période allant du 1er juillet 2009 au 31 décembre 2013 s’élève donc à 334 TWh.

(**) Au 31 juillet 2013. La quantité de CEE délivrée entre le 1er janvier 2011 et le 31 juillet 2013 correspond à la différence entre le total des CEE délivrés à cette date (405 TWh) et les résultats obtenus sur les périodes précédentes (65+109=174TWh).

Ces résultats ont une traduction concrète pour la transition énergétique. Les 174 TWh cumac délivrés entre le 1er juillet 2006 et le 31 décembre 2010 (première période et période de transition) représentent :

– 12,3 TWh d’énergie finale économisés (21 % d’électricité, 79 % de combustibles), soit 1,5 % de la consommation annuelle du secteur résidentiel-tertiaire, à travers 570 000 travaux d’isolation (450 000 ouvrants et 120 000 surfaces opaques) et l’installation ou le remplacement de 850 000 chaudières ;

– 1,3 TWh de production de chaleur renouvelable, via l’installation de 360 000 dispositifs de production (167 000 pompes à chaleur, 143 000 systèmes individuels biomasse et 52 000 chauffe-eau solaires) ;

– 3,1 MtCO2 évitées, soit 3,2 % des émissions annuelles du secteur résidentiel-tertiaire.

Le bilan actuel du dispositif est donc satisfaisant : les CEE ont contribué à atteindre le gisement d’économies les plus rentables et ont amorcé le programme de rénovation thermique des bâtiments à l’échelle nationale.

Le lancement de la phase préparatoire de la troisième période du dispositif des certificats d’économies d’énergie a été annoncé le 19 février. Cette nouvelle période affichera un objectif encore plus ambitieux, en cohérence avec les engagements pris par la France dans le cadre de la directive 2012/27/UE du 25 octobre 2012 relative à l’efficacité énergétique, dont l’article 7 dispose que :

« Chaque État membre établit un mécanisme d’obligations en matière d’efficacité énergétique. Ce mécanisme assure que les distributeurs d’énergie et/ou les entreprises de vente d’énergie au détail qui sont désignés comme parties obligées au titre du paragraphe 4 et exerçant leurs activités sur le territoire de chaque État membre atteignent, d’ici au 31 décembre 2020, un objectif cumulé d’économies d’énergie au stade de l’utilisation finale, sans préjudice du paragraphe 2.

« Cet objectif doit être au moins équivalent à la réalisation, chaque année du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2020, de nouvelles économies d’énergie correspondant à 1,5 %, en volume, des ventes annuelles d’énergie aux clients finals effectuées soit par l’ensemble des distributeurs d’énergie, soit par l’ensemble des entreprises de vente d’énergie au détail, calculé sur la base de la moyenne des trois dernières années précédant le 1er janvier 2013. Les ventes d’énergie, en volume, utilisée dans les transports peuvent être exclues, partiellement ou intégralement, de ce calcul. »

La direction générale de l’énergie et du climat considère que, pour atteindre 1,5 % d’économies d’énergie par an en moyenne sur la période 2014-2020, l’objectif du dispositif des CEE doit être porté à 200 TWh, soit une multiplication de l’effort demandé aux fournisseurs d’énergie par un facteur de 2,7 par rapport à la période 2011-2013 et de 1,7 par rapport à la période de prolongation en 2014.

La phase préparatoire à la troisième période sera l’occasion d’apporter des améliorations techniques au dispositif, suivant les résultats de la concertation menée par la direction générale de l’énergie et du climat, les recommandations formulées par la Cour des comptes dans son rapport sur le dispositif (3), et les conclusions du débat national sur la transition énergétique. Plusieurs mesures peuvent être envisagées, parmi lesquelles :

– la création d’un comité professionnel obligé unique rassemblant l’ensemble des 2000 entreprises de distribution de fioul domestique, dans un objectif de rationalisation de la gestion administrative des dossiers et de simplification des procédures pour les professionnels ;

– la standardisation et la révision des fiches servant à calculer les économies d’énergie engendrées par les opérations éligibles aux CEE, voire la suppression de fiches rendues obsolètes ou présentant une efficacité limitée.

Au-delà de ces évolutions du fonctionnement du dispositif, le doublement de l’obligation imposée aux fournisseurs pose question.

Les analyses menées par l’ADEME et la Cour des comptes font état d’un coût global du dispositif maîtrisé. Le coût moyen unitaire sur la deuxième période, pour la plupart des obligés, est d’environ 0,4 c€/kWh cumac, ce qui représente une dépense annuelle de 300 millions d’euros.

Toutefois, plusieurs éléments viennent atténuer ce constat positif. En premier lieu, le coût complet des CEE obtenus intègre une part liée aux frais de gestion et d’animation des dispositifs, estimée par la Cour des comptes à 25 %.

En deuxième lieu, signalons que les CEE sont utilisés à des fins commerciales par les obligés, qui bénéficient d’un retour positif en termes d’image. Quant aux bénéficiaires, ils ne savent pas que les subventions qui leur sont versées ne résultent pas d’une initiative du fournisseur d’énergie mais d’une obligation légale, qu’ils contribuent à financer via leur facture d’énergie. Dans certains cas, ils sont même captifs, car la prime est versée sous la forme de bons d’achat n’ayant aucun rapport avec les économies d’énergie. Un tel fonctionnement explique que les particuliers représentent le « cœur de cible » des énergéticiens, alors même que les actions engagées dans d’autres secteurs sont moins coûteuses à mettre en œuvre.

RÉPARTITION PAR SECTEUR DES OPÉRATIONS RÉALISÉES DANS LE CADRE DES CEE

(% du total d’économies réalisées par le dispositif des CEE, au 31 juillet 2010)

Secteur

% kWh cumac

Bâtiment résidentiel

80,5 %

Bâtiment tertiaire

9,6 %

Industrie

5,9 %

Réseaux

2,5 %

Agriculture

0,7 %

Transports

0,7 %

Source : Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

Ainsi que le signale la Cour des comptes dans le cas d’EDF, « les coûts unitaires des CEE sur les autres marchés, celui des entreprises et des collectivités locales, sont très sensiblement inférieurs à celui du marché des particuliers (…). L’augmentation de leur part permettrait donc de sensiblement faire baisser le coût unitaire ». La récupération du dispositif à des fins commerciales engendre donc un coût supplémentaire pour le consommateur, qui finance le système via sa facture d’énergie.

En troisième lieu, rapporté au prix de l’énergie, le coût des CEE n’est tout de même pas négligeable : il représente entre 0,5 % et 1 % des tarifs de l’électricité et du gaz et cette part est probablement amenée à croître. En effet, on observe que les énergéticiens se sont d’abord dirigés vers les gisements d’énergie les plus rentables. Le remplacement des chaudières représente ainsi 32 % du total des économies réalisées dans le cadre des CEE. À l’inverse, les opérations d’isolation des combles ou de toitures n’ont représenté que 9 % des économies générées. Or, de telles opérations sont bien plus complexes à mettre en œuvre et demandent un apport financier conséquent – de l’ordre de 10 000 à 20 000 euros–, ce qui explique que les ménages sont moins disposés à s’y lancer. Il est donc probable que, pour satisfaire leurs obligations, les fournisseurs d’énergie soient contraints d’accroître considérablement les primes distribuées, et d’en répercuter le coût sur la facture des consommateurs.

« TOP 10 » DES OPÉRATIONS RÉALISÉES DANS LE CADRE DES CEE

(% du total d’économies réalisées par le dispositif des CEE, au 31 juillet 2010)

Intitulé de l’opération standardisée

% kWh cumac

Chaudière individuelle de type condensation

16,02 %

Isolation de combles ou de toitures

9,40 %

Chaudière collective de type condensation

7,24 %

Isolation des murs

6,40 %

Appareil indépendant de chauffage au bois

6,36 %

Chaudière individuelle de type basse température

5,39 %

Fenêtre ou porte-fenêtre complète avec vitrage isolant

5,10 %

Pompe à chaleur de type air/eau

3,89 %

Chaudière collective de type condensation avec contrat assurant le maintien du rendement énergétique de la chaudière

3,77 %

Système de variation électronique de vitesse sur un moteur asynchrone

3,71 %

Source : Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

Le passage dans la troisième phase du dispositif des CEE, que l’on peut considérer comme un véritable changement d’échelle, est donc susceptible d’en modifier considérablement la nature et pose la question de l’adéquation de l’instrument que constituent les CEE aux opérations qui seront ciblées.

La Caisse des dépôts estime que la réalisation de 380 000 rénovations thermiques dans le parc privé nécessite de lever, en complément des subventions publiques, qui s’élèvent à 1,5 milliard d’euros par an (4), 5 milliards d’euros par an de financement. Ce chiffre est à comparer à la production actuelle de crédits pour des rénovations thermiques ambitieuses, qui est de 1 milliard d’euros par an.

Le véritable enjeu est donc de parvenir à mobiliser, à très court terme, l’ensemble du système bancaire « classique » pour multiplier par 5 le volume de prêts accordés. Il convient pour cela de lever les freins objectifs qui dissuadent les banques et les particuliers de se lancer dans la rénovation thermique par l’emprunt.

Le scénario élaboré par la Caisse des dépôts repose sur la création d’un fonds national de garantie des prêts à la rénovation thermique, abondé par les contributions des fournisseurs d’énergie au titre des obligations qui leur sont imposées par la directive efficacité énergétique. Un tel scénario ne semble pas compatible avec le lancement de la troisième période des certificats d’économie d’énergie. Notamment, il conviendrait de mettre fin à l’éligibilité aux CEE des opérations financées grâce à la garantie apportée par le fonds national, sans quoi il y aurait un double compte. Cela induirait une évolution en profondeur du dispositif, jusqu’à présent centré sur la relation individuelle de chaque fournisseur d’énergie avec ses clients, majoritairement particuliers. Les CEE pourraient être recentrés sur les actions à destination des industriels, des agriculteurs ou du tertiaire.

Enfin, les dispositifs de soutien à la rénovation thermique, qui ne sont pas assez clairement reliés entre eux, doivent encore évoluer, de façon à ce que les ménages aient à disposition une véritable « offre globale », unifiée autour d’une appellation commune. Parallèlement, pour mettre fin à l’absence de répartition claire des tâches entre les différents acteurs (particuliers, banques, fournisseurs d’énergie, professionnels du bâtiment et structures publiques), il convient de donner corps à la notion de « guichet unique ».

Ce n’est qu’à ces conditions que les ambitions de la France en matière de rénovation thermique se concrétiseront, permettant d’atteindre les quatre objectifs fixés : la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages, la lutte contre la précarité énergétique, la création d’emplois verts et le rééquilibrage du mix énergétique.

La question du prolongement de la durée de vie du parc nucléaire est d’abord une question technique. Il ne s’agit pas, dans ce rapport, de passer outre le rôle central et les décisions de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui est la seule à même d’autoriser la poursuite de l’exploitation du parc nucléaire français historique.

En 2009, EDF a fait part à l’ASN de sa volonté d’étendre la durée de fonctionnement significativement au-delà de quarante ans et de maintenir ouverte l’option d’une durée de fonctionnement de 60 ans pour l’ensemble des réacteurs. Dans cette intention, EDF a transmis à l’ASN le programme générique proposé à cet effet.

Dans une lettre au président d’EDF en date du 28 juin 2013, le président de l’ASN a indiqué que la méthodologie proposée par EDF dans son programme générique pour prolonger la durée d’exploitation du parc nucléaire au-delà de quarante ans était « globalement satisfaisante ». Cette réponse est assortie de deux réserves importantes : d’une part, des modifications et compléments doivent être apportés au programme d’EDF ; d’autre part, la validation du programme générique ne vaut pas autorisation de prolongation, cette dernière étant octroyée après un examen spécifique à chaque réacteur.

Le programme générique proposé par EDF prévoit la réalisation d’un programme d’investissements estimé à 55 milliards d’euros. L’ampleur d’un tel programme commande de s’interroger de manière approfondie sur son opportunité, au regard de deux questions de politique énergétique fondamentales.

Il existe d’abord un risque industriel ; si l’ASN refusait in fine la prolongation du parc, soit en rejetant le programme générique, soit en interdisant le maintien en activité d’un nombre important de réacteurs, la sécurité d’approvisionnement en électricité serait très menacée. Le rôle de l’État est donc d’obtenir toutes les garanties nécessaires pour prévenir un tel risque. Corollaire du risque industriel, le refus de l’ASN mettrait en péril l’équilibre financier d’EDF, dont l’État est actionnaire à 84 %.

De plus, la question du prolongement du parc nucléaire doit être mise en regard de la volonté, exprimée par le Président de la République, de diversifier l’approvisionnement énergétique de la France en diminuant la part nucléaire dans le mix électrique à 50 %. La prolongation de l’ensemble du parc est-elle cohérente avec cet objectif ?

Si toutefois une telle décision était prise, elle aurait un impact économique qui se traduirait de façon mécanique dans les comptes d’EDF. Le présent rapport a pour objet de faire le point sur ce sujet.

La décision de politique énergétique sur la prolongation de la durée du parc nucléaire aurait des conséquences sur la stratégie industrielle d’EDF, ce qui se traduirait par une évolution de paramètres comptables décisifs pour le groupe.

D’un point de vue économique, le prolongement de la durée de vie du parc nucléaire se traduit par deux opérations comptables différentes engendrant des conséquences distinctes.

L’amortissement comptable de l’actif de production étant réparti sur une plus grande période, le montant des dotations annuelles serait réduit d’autant. La baisse des amortissements se traduit par une baisse des coûts de production d’électricité. Les tarifs réglementés de vente (TRV) étant actuellement construits pour couvrir ces coûts, ils devraient donc mécaniquement baisser pour en tenir compte.

La CRE a estimé qu’un allongement de la durée d’amortissement aurait un impact baissier sur les TRV de l’ordre de 3 %. En effet, la hausse des tarifs bleus (hors taxes) préconisée par la CRE est de 16,7 % sur la période 2013-2015 sans allongement de dix ans de la durée comptable des centrales, contre 13,7 % dans le cas d’un allongement.

D’autre part, l’obligation de constituer des provisions pour démantèlement et gestions des déchets nucléaires ultimes serait retardée de 10 ans. Sous l’effet du mécanisme combiné de l’inflation et de la désactualisation de cette provision, le montant de provision nécessaire aujourd’hui serait inférieur au montant qui avait été provisionné jusqu’alors. EDF serait alors autorisée à reprendre une partie des sommes qui ont été engagées dans les actifs dédiés destinés à couvrir cette provision. Le montant de la reprise de provisions s’élèverait à 3,3 milliards d’euros.

Les normes comptables IFRS appliquées par EDF permettent un étalement de la reprise de provisions sur plusieurs années. Toutefois, ce mécanisme ne s’applique pas sur le plan fiscal. La reprise de provisions étant incluse dans l’assiette de l’impôt sur les sociétés, elle donnerait lieu au versement d’un supplément d’impôt sur les sociétés de 1,3 milliard d’euros.

Soulignons néanmoins que le montant des provisions à constituer est soumis à deux incertitudes. La première porte sur le montant du devis de démantèlement, qui pourrait être revu dans les prochaines années à mesure que des progrès dans l’appréciation des coûts seront réalisés, en particulier sur la question du stockage des déchets ultimes et du démantèlement lui-même. L’arrêt de Fessenheim constituerait à cet égard une source d’information importante pour objectiver les coûts de démantèlement. La seconde incertitude porte sur le rendement des actifs dédiés, en raison notamment de l’impact de la crise financière.

Au-delà des interrogations sur l’impact économique et financier du prolongement de la durée d’exploitation du parc nucléaire, se pose la question de la « rente nucléaire ». Existe-t-il une source de revenu additionnelle qui pourrait être affectée au financement de la transition énergétique ?

Un premier élément de réponse porte sur le montant de la rente. La rente nucléaire correspond, en première approximation, à la différence entre les prix de marché de l’électricité et les coûts de production comptables de l’électricité d’origine nucléaire produite par EDF tenant compte d’une rémunération normale du capital investi. Or, sous l’effet de l’afflux massif d’électricité subventionnée, les prix de marché de l’électricité sont historiquement à un niveau très bas (cf. supra). Le niveau de la rente nucléaire touche donc un point historique.

Un second élément de réponse a trait au mode de répartition de la rente nucléaire. On pourrait considérer que cette dernière captée par l’opérateur historique si ce dernier vendait l’ensemble de sa production au prix de marché. Or, la situation est en réalité bien différente :

– une grande partie de la production nucléaire d’EDF est aujourd’hui vendue aux TRV (environ 60 %), qui sont construits en théorie pour couvrir les coûts comptables de production d’EDF et assurer à l’entreprise une rémunération normale du capital. En conséquence, la rente nucléaire sur ce volume d’électricité est transmise au consommateur ;

– une autre partie de la production nucléaire d’EDF est vendue sous forme de contrats de long terme dits « historiques » (environ 10 %), établis en contrepartie d’un investissement dans l’outil de production. Ces contrats prévoient une participation aux investissements de production et tiennent compte du risque d’exploitation. Le prix de vente de l’électricité sous contrat est strictement égal aux coûts comptables de production. Il n’y a donc pas non plus de rente nucléaire sur ce volume d’électricité ;

– une autre partie de la production nucléaire d’EDF est vendue au tarif de cession aux entreprises locales de distribution (environ 8 %) afin de permettre à ces fournisseurs historiques d’alimenter leurs clients, dans leur zone de desserte, aux TRV. Il n’y a donc pas non plus de rente nucléaire sur ce volume d’électricité ;

– une dernière grande partie de la production nucléaire d’EDF, utilisée pour fournir le segment des clients en offre de marché (environ 20 %), soit directement soit indirectement par le biais des fournisseurs alternatifs qui achètent de l’ARENH, est vendue au prix de l’ARENH. Ce prix a été conçu pour « continuer à fournir aux consommateurs finals le bénéfice d’un parc nucléaire largement amorti ». C’est un dispositif de captation de la rente nucléaire, en ce qu’il est lui aussi construit pour couvrir les coûts comptables de production du nucléaire historique. Il n’y a donc pas de rente nucléaire sur ce segment ;

– le reliquat des volumes peut être vendu sur le marché de gros de l’électricité par EDF. Ces volumes sont extrêmement marginaux. Par ailleurs, les prix de marché sont aujourd’hui proches voire inférieurs au prix de l’ARENH. Il n’y a donc pas non plus, actuellement, de rente sur ce segment.

En conclusion, la « rente nucléaire » repose sur une réalité, le différentiel de coût de production entre l’électricité nucléaire et le prix de marché. Toutefois, l’idée de capter cette rente pour financer la transition énergétique semble illusoire car, d’une part, le niveau de la rente est à un niveau historiquement bas compte tenu des prix de marché actuels et, d’autre part, cette rente est déjà en très grande partie captée via divers mécanismes.

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À la lumière des analyses précédentes, il apparaît que la prolongation de la durée d’exploitation du parc nucléaire aurait pour conséquences :

– une moindre hausse des tarifs réglementés de vente de l’ordre de 3 points, à même d’atténuer les effets de la hausse prévisible de la CSPE ;

– un apport exceptionnel de 1,3 milliard d’euros qui pourrait être utilisé au financement de la transition énergétique.

Toutefois, cette question est indissociable des décisions de politique énergétique et doit entrer dans le cadre fixé par le Président de la République : porter la part du nucléaire à 50 % du mix électrique. La transition énergétique passe par la réduction de la dépendance au nucléaire et la montée en régime conjointe de sources d’énergie alternatives. Pour être envisageable, un tel scénario repose sur une politique de rénovation thermique des bâtiments très ambitieuse.

EXAMEN EN COMMISSION

Dans le cadre de la commission élargie, la commission des affaires économiques a examiné pour avis, sur le rapport de Mme Annick Le Loch (pêche) et de Mme Marie-Noëlle Battistel (énergie), les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » (voir le compte rendu officiel de la commission élargie du 7 novembre 2013, sur le site internet de l’Assemblée nationale5).

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À l’issue de la commission élargie, la commission des affaires économiques a délibéré sur les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

La commission, suivant l’avis favorable de Mme Annick Le Loch et de Mme Marie-Noëlle Battistel, donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME)

M. Bruno Lechevin, président

M. Rémi Chabrillat, directeur production énergies durables

Commission de régulation de l’énergie (CRE)

M. Philippe de Ladoucette, président

M. Jean-Yves Ollier, directeur général

M. Christophe Leininger, directeur du développement des marchés

Cour des comptes

M. Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre

Mme Michèle Pappalardo, conseillère maître

Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC)

M. Laurent Michel, directeur général

M. Mario Pain, adjoint au directeur

EDF

M. Thomas Piquemal, directeur exécutif groupe en charge des finances

Mme Corinne Fau, directrice financière France

M. Bertrand Le Thiec, directeur adjoint des affaires publiques

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